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20 Magazine Samedi 12 juillet 2008 • La Gruyère No 81 Lac de la Gruyère (2) «DES PERDANTS, DES GAGNANTS» C’est avec beaucoup d’émotion que la Basse-Gruyère accueille la décision de construire le barrage de Rossens, en décembre 1943. Une commission est alors créée afin de résoudre les cas d’expro- priation. Pour ce deuxième volet de notre série sur le lac de la Gruyère, trois anciens habitants de Pont-la-Ville témoignent. ¥«Le Conseil d’Etat négo- ciera, par l’intermédiaire d’une commission désignée par lui, d u avec les communes et les par- o n ticuliers touchés par la mise en e G eau. L’Etat prendra à sa charge a c i s les indemnités transactionnel- s e les en espèces ou en nature, en J tenant largement compte de tous les éléments du domma- ge. Ces prestations lui seront remboursées par les Entrepri- ses électriques fribourgeoises Retour aux sources pour Victor, Marie-Louise et Jean (EEF).» C’est ainsi que le Allemann: les fondations de leur ancienne ferme de Grand Conseil fribourgeois, Pont-la-Ville dorment maintenant sous les eaux du lac peu après son vote quasi una- nime en faveur de la création du futur lac de la Gruyère, offi- l e cialise le 24 décembre 1943 sa Conseil d’Etat, qui estimaient quatre ans? «Les adultes ne r o M volonté de prendre le délicat en début d’année qu’il n’y avait parlaient guère qu’entre eux s d problème des expropriations à pas d’opposition de principe au de l’arrivée du lac», justifie n o F bras-le-corps. projet de Rossens. Le verdict Victor, dont la famille a habité - approchant, une assemblée de Pont-la-Ville de 1938 à 1941. n e i r protestation se tiendra encore à «Nous avons ensuite repris le é u PÉTITION CONTRE LE LAC r Bulle, en novembre domaine de notre grand- g e 1943, suivie d’une père, sur les hauts é ruyèr s Il faut dire qu’un mouve- pétition fustigeant G e d’Avry-devant- u M a ment d’opposition au «projet la création du bas- l Pont, laissant celui © de Rossens» s’était peu à peu sin d’accumula- e de Pont-la-Ville à d s développé en Basse-Gruyère. tion. Déposée à la famille de n c Les rumeurs allaient bon train quelques jours de a Jean», explique a l s depuis la reprise de l’étude de la séance extraor- 0 Marie-Louise, qui e En 1920, la ferme qu’exploitait la famille Allemann (tout à gauche) avant la création du lac L l’accumulation par les EEF, dinaire du Grand 6 se voit encore tra- n avant que la presse régionale ne Conseil, elle com- a verser le pont a s’en fasse largement écho dès portait 511 paraphes de Thusy, reliant les jusqu’à Hauterive. Il s’en est propriétaire, en compensation vail à de nombreux fils de 1942. Les assemblées des sur les 4750 habitants deux villages, en char à 0 fallu de peu!» de ses terres noyées», raconte paysans, de toute la région. quinze communes concernées que totalisaient les treize com- cheval. Un6 La montée des eaux, quel- Victor, dont le papa a préféré Du coup, les gens ont mieux se sont alors successivement munes signataires, Broc et Ros- chemin qu’ils ont souventa ques années plus tard, les a une compensation financière. accepté.» prononcées contre le projet en sens n’ayant pas participé. emprunté: «Il y avait la grotte marqués. «Quand ils ont fermé «Ils aimaient bien ceux qui pre- Quant au lac en lui-même, question, en bloc, pour des rai- Notre-Dame-de-Lourdes au à Rossens, en mai 1948, il n’a naient de l’argent, ça leur évi- les trois Gruériens n’en ont pas sons que l’on devine aisément: bout du pont, côté Avry. Les pas fallu trois jours pour que le tait de chercher du terrain.» vraiment profité. «Chez nous, l’exil forcé de certains habitants EMPLOIS POUR LA RÉGION gens des environs en faisaient pont de Thusy disparaisse sous Avec le recul, les indemni- personne ne savait nager, et et la diminution des surfaces leur promenade du diman- les flots», reprend Victor. La tés versées étaient-elles suffi- les parents n’aimaient pas cultivables ou forestières, en De cette période un peu che.» Jean, bien que plus jeune, famille de Jean venait alors de santes? «Au bout du compte, qu’on s’en approche de trop période de guerre qui plus est. trouble, Marie-Louise Demierre- garde aussi des souvenirs déménager sur le territoire il y a eu des perdants et des près!», enchaîne Jean. Ce qui La population locale appa- Allemann, son frère Victor d’avant le lac: «Une fois, ils ont d’Avry-devant-Pont, en bordure gagnants. Certains ont reçu de ne les empêche pas d’apprécier raît globalement solidaire, va- Allemann et son cousin Jean ouvert les vannes alors qu’on du lac à venir. «La commission moins bons domaines en sa présence: «Il est tout de guement organisée et surtout Allemann n’ont pas gardé de jouait au poletz (jeu de billes) a racheté le domaine de Pont- échange, ou n’ont pas su même beau quand il est plein. unanimement opposée au pro- souvenirs beaucoup plus pré- dans le canal – sec pour l’occa- la-Ville, dont la ferme était négocier un prix juste.» Mais Et puis, c’est sûrement une jet. De quoi relativiser l’opti- cis. N’étaient-ils pas, en 1943, sion – qui séparait la digue de condamnée. Ils ont donné la le barrage avait aussi du bon: bonne chose pour le tourisme.» misme, tant des EEF que du âgés seulement de neuf, huit et Thusy de la galerie courant partie restée au sec à un autre «Le chantier a donné du tra- Frank-Olivier Baechler 954 hectares et 64 bâtiments submergés ¥La «Commission du lac», telle de Fribourg. Il était prévu que l’accu- encore la grange, aucune disparition qu’on la nommait alors, se composait mulation noie un territoire d’une d’école, d’église ou de cimetière n’a à sa création de l’ingénieur cantonal, superficie de 954 hectares (9,54 km2), été à déplorer. de l’inspecteur en chef des forêts, de comprenant approximativement une trois agriculteurs et d’un notaire. Un moitié de terrains communaux, un montant de cinq millions de francs quart de propriétés privées, un cin- COMPENSATION FINANCIÈRE lui a été alloué, à comparer aux quième de domaine public et un 66 millions de francs de l’ensemble vingtième de terrains appartenant A noter que des quinze com- du projet. C’était presque quatre fois aux EEF. Les forêts, prés et pâturages, munes touchées, seule celle de plus que la valeur cadastrale des ter- autant de terrains productifs, repré- Rossens a préféré recevoir une in- rains et immeubles voués à disparaî- sentaient les deux tiers de la superfi- demnité en espèces. Il n’en était pas n o s tre, mais largement moins que ce que cie totale. de même pour les particuliers, puis- s a l G réclamaient quelques députés. Les 64 bâtiments submergés ne que 120 d’entre eux, sur 155 au total, s Les quinze communes concernées formaient pas une localité unique, ont opté pour une compensation d n o par la création du lac de la Gruyère mais étaient disséminés sur toute la financière. Au final, la somme totale F - étaient, sur la rive droite, Pont-la- surface inondée par le lac. Une ving- déboursée par les EEF s’est montée à n e i Ville, La Roche, Hauteville, Corbiè- taine d’entre eux étaient des habita- 5,6 millions de francs. En conclusion r é u res, Villarvolard, Villarbeney, Botte- tions permanentes, et autant de famil- de son ultime rapport, la Commission r g rens, Broc et, sur la rive gauche, les ont donc été contraintes de quitter du lac s’est plu à relever la compré- e é s Morlon, Echarlens, Vuippens, Gume- leur domicile, soit une centaine d’ha- hension et la bonne volonté dont a u M fens, Avry-devant-Pont, Pont-en-Ogoz bitants. Si la montée des eaux provo- fait preuve la majeure partie de la et Rossens. Toutes situées dans le dis- qua la disparition de bâtiments de population de la Basse-Gruyère. Pour © trict de la Gruyère, à l’exception de nature fort différente, allant de la mai- preuve: jamais il ne fut nécessaire Rossens, elles totalisaient un peu plus son de maître au fenil, en passant par de recourir à la procédure d’expro- de 6000 habitants en 1943, sur les le chalet, le rural, la porcherie, le priation. Les eaux montent et le pont de Thusy est immergé 152000 que comptait alors le canton rucher, la remise, la fromagerie ou FOB.