Avec ERCKMANN-CHATRIAN Évocation Du Passé En Lorraine Au Xixe Siècle Traces Et Survivances Dans Le Folklore Au Xxe Par M
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Avec ERCKMANN-CHATRIAN évocation du passé en Lorraine au XIXe siècle traces et survivances dans le folklore au XXe par M. Georges L'HÔTE Après des débuts difficiles, Emile Erckmann et Alexandre Chatrian furent protés de leur vivant sur les ailes de la gloire. Leurs contes, leurs romans parurent d'abord dans des journaux et des revues sous forme de feuilletons. L'année 1861 marqua le point de départ de leur notoriété avec « L'Invasion » éditée en volume par Hetzel. Dès lors, Pierre-Jules Hetzel publiera la quasi-totalité de leurs œuvres illustrées en majorité par Théophile Schiiler. Et ce sera le succès dans tous les milieux. Plus d'un million d'exemplaires vendus en 1866, 16 mois après la parution du premier numéro des « Romans nationaux ». Après leur mort, celle de Chatrian survenue en 1890, celle d'Erckmann en 1899, l'engouement des Français pour leurs contes et romans diminuera, sans cependant disparaître jamais, et ce jusqu'à la tourmente de 1914. Entre les deux guerres, Hachette fera revivre les principaux titres des Romans nationaux, « Madame Thérèse », « Le Conscrit de 1813 », « Waterloo » et le chef d'oeuvre « L'Ami Fritz », dans sa « Bibliothèque verte » destinée plus spécialement aux enfants. Aujourd'hui, en 1976, il est permis de se poser une question : lit-on encore Erckmann-Chatrian ? La réponse jaillit affirmative, puisque dès 1962, Jean-Jacques Pauvert lança une réédition des œuvres complètes en 13 volumes, suivie d'un quatorzième réservé à la biographie et à la critique. Des titres aujourd'hui épuisés sont déjà réédités. Tout récemment la revue littéraire « Europe » consacra un de ses numéros, celui de janvier 1975, à Erckmann-Chatrian, et la télé FR III, une émission régionale, en date du 28 février 1976. Le couple est surtout connu comme auteur de romans populaires, de romans nationaux, de contes fantastiques, comme « écrivain alsacien ». « Un alsacien folklorique et pas méchant » (1) écrit Jean-Jacques Pauvert. « ... il emploie comme il peut son monde alsacien a dit «Zola» (2). M. Pierre-Pascal Furth titre dans la revue «Europe»: «Erckmann- Chatrian écrivain alsacien ? » (3) avec cependant un point d'interroga tion. Et j'en passe. J'ai simplement, à l'occasion d'une relecture de l'ensemble de l'œuvre, voulu me rendre compte si, natifs tous deux de l'ancien département de la Meurthe, le premier à Phalsbourg en 1822, le second à Grand-Soldat en 1826, ils n'avaient pas introduit dans leurs écrits, ne serait-ce que furtivement, quelques faits, la relation de quelques cou tumes, un peu de folklore de cette Moselle-Sud, berceau de leur enfance. Tel est l'objet que je me propose de soumettre à votre jugement. Cependant, avant de poursuivre, il convient de circonscrire l'univers géographique et de définir la période au cours de laquelle sont nés, ont vécu et agi leurs principaux personnages. Si l'on excepte les romans exotiques dont les récits se passent en Kabylie, sur les rives du Canal de Suez, en Prusse orientale, les lieux de combats de Michel Bastien le paysan des Baraques de Bois-de-Chêne, de Joseph Bertha le conscrit de 1813 et d'autres, en Allemagne, en Suisse, en Vendée, le Haut-Rhin qui ne figure que dans un récit (4), il reste que la région la plus marquante se situe à cheval sur la limite entre la Moselle et le Bas-Rhin, de la vallée de la Sarre à la vallée de la Zinzel, d'Abreschviller au Graufthal ; pourtant, dans ce cadre deux cercles plus restreints se démarquent ; ils feront écrire à M. Pierre-Pascal Furth déjà cité : « Et il apparaît de façon évidente, que c'est à Phalsbourg et à ses environs, ainsi qu'à Abreschviller et Grand-Soldat (5) qu'Erckmann- Chatrian attache la plus grande importance ». (1) T. XIV avant-propos p. 8 (2) T. XIV p. 286 (3) Janvier 1975 p. 34 (4) T. III Confidences d'un joueur de clarinette p. 393 (5) « Europe » Janvier 1975 p. 36 D'emblée, nous voilà transportés au coeur du sujet. En ce qui concerne la période, elle s'étire sensiblement au long d'un siècle, des années situées autour de 1775 jusqu'à celles qui gravitent autour de 1875 et débute ainsi bien avant leur naissance. Jean-Jacques Pauvert l'exprime de façon originale : « Erckmann-Chatrian voyage en arrière (6) ». Successivement seront ici évoqués les thèmes suivants : - la vie de tous les jours ; les métiers, l'alimentation quotidienne, le costume populaire ; - les cérémonies familiales ; - les fêtes calendaires ; - les traditions et les coutumes. Les métiers... d'abord ceux des hommes des bois qui vivaient six jours sur sept en forêt. Erckmann-Chatrian ne fait la plupart du temps que les citer. Ainsi dans « L'Invasion » : « Il s'asseyait au milieu des bûcherons, des charbonniers, des schlitteurs » (7) ; dans « Les deux frères » : ... « les garçons devenaient bûcherons, schlitteurs, cordonniers, sabotiers, cuveliers, tailleurs, selon la profession du père » (8). Ailleurs, il mentionne les « ségares, les scieurs de long » (9). Il semble pourtant qu'une hiérarchie se soit établie parmi les gens de métiers. A Rôthalp, village imaginaire, situé dans le département de la Meurthe, dans cette vallée de la Zinzel, proche de Metting, il est dit : « C'est un grand et beau village de cent trente feux, ququel ne manquent ni son curé Daniel, ni son maître d'école Adam Fix, ni des notables de toute sorte, charrons forgerons, cordonniers, tailleurs, cabaretiers, bras seurs, marchand d'œufs, de beurre, de volailles » (10). Beaucoup de ces métiers sont aujourd'hui disparus ou se sont transformés. Je ne m'y attarderai pas et réserverai mon propos à ceux qui, plus encore qu'abandonnés, sont effacés du souvenir. Dans le massif forestier du Donon, le cours des deux Sarre autrefois servait au transport du bois (11). Les « flottes appelées trains», guidées par les « wolous », (bûcherons transformés à l'approche de Pâques en (6) T. XIV avant-propos p. 9 (7) T. VIII p. 2 (8) T. XI p. 318 et 319 (9) T. III Une nuit dans les bois p. 364 ; T. VIII Le blocus p. 280 (10) T. XI Histoire de plébiscite p. 2 (11) T. X Histoire d'un sous-maître p. 331 flotteurs) armés du « forot », (perche de sapin flexible, longue de 3,50 m à 4 m, emmanchée dans un fer terminé en pointe) descendaient jusqu'au port de Hesse, jusqu'à Sarrebourg, jusqu'à Sarrelouis et même, au début du XIXe siècle, jusqu'à Trêves et parfois jusqu'à Coblence. Les derniers « trains » sur la Sarre disparurent avec l'année 1905 ; le flottage à bûches perdues persista jusque 1907 (12). Les survivants de cette épopée, s'il en existe encore, sont aujourd'hui centenaires. Personnellement, je conserve le souvenir ému de l'un d'entre eux que j'ai connu en 1937, l'Aubin, maire de Laneuville-devant-Lorquin (13). Un métier qui n'a pas survécu à la guerre de 1939-1945 le taupier appelé aussi « mauser » par Erckmann-Chatrian, est décrit dans « Mada me Thérèse » (14). « C'était une véritable mine de rat des champs ; le nez long, la bouche petite, le menton rentrant, les oreilles droites, quatre poils de moustache jaunes ébouriffés. Sa souquenille de toile grise lui descendait à peine au bas de l'échine, son grand gilet rouge, aux poches profondes, ballotait sur ses cuisses, et ses énormes souliers, tout jaunes de glèbe avaient de gros clous, qui luisaient sur le devant, en forme de griffes, jusqu'en haut des épaisses semelles. « Le mauser pouvait avoir cinquante ans ; ses cheveux grisonnaient, de grosses rides sillonnaient son front rougeâtre et des sourcils blancs à reflets d'or lui tombaient jusque sur le globe de l'oeil ». « On le voyait toujours aux champs en train de poser ses attrapes... ». Au cours des années trente, ma commune a encore engagé un taupier pour débarrasser les prairies du finage de ces petits animaux fouilleurs et déprédateurs. Qui se souvient encore du marchand d'amadou ? Notre auteur en parle dans « La taverne du jambon de Mayence » (15), dans « La maison forestière» (16). La découverte en 1831 et l'introduction des allumettes phosphoriques à la campagne mit fin à cette activité. Une savoureuse anecdote à ce sujet (17) est contée. A l'époque du lancement, à la Croix- aux-Mines, un colporteur s'était installé devant l'église et criait à gorge déployée : « Allumettes chimiques ! Trois paquets pour un sou », (12) Zéliqzon etThiriot Textes patois. Le flottage à Niderhoffp. 203 à 239 (13) Laneuville-lès-Lorquin (14) T. VI p. 5 et 6 (15) T. V p. 269 (16) T. V p. 402 (17) E. Mathis, nouveaux contes lorrains p. 79-80 importunant les fidèles et l'officiant. Ce dernier avait dû abréger son homélie tandis que ses « orémus » étaient couverts par la voix du crieur. A la fin de la messe, au moment de 1' « lté missa est », les oreilles bourdonnantes de la mélopée, il se tourne vers les assistants et entonne sur l'air connu « Allumettes chimiques !... » et le chantre de répondre du même ton : « Trois paquets pour un sou ! ». Le hardier, pâtre, gardeur de troupeaux, a survécu jusque la dernière guerre, du moins dans mon village, à Foulcrey où il consuisait à la pâture, les matins les porcs, les après-midis les chèvres, en automne au temps de la vaine pâture les vaches. A Gélucourt, avant 1914, les chèvres étaient mélangées au troupeau de cochons. Jusque 1880, à Blanche-Eglise, une gardeuse d'oies conduisait les volatiles dans les prairies marécageuses entourant le village. Erckmann-Chatrian cite le hardier à plusieurs reprises. Dans « Histoire d'un paysan » nous lisons (18) : « Le hardier de Phalsbourg n'amenait que des pourceaux, qui, pendant les chaleurs de midi, faisaient leur trou dans le sable et se vautraient les uns contre les autres, comme des poules dans un pailler.