ÉCRIVAINS

LORRAINS

Antho lo gie

des Ecrivains du Comité

Erikmann-Chatrian

Préface du Président

Le Comité Erckmann-Chatrian ayant été fondé le 16 jan- vier 1914, notre société a donc cinquante années d'exis- tence en 1964. Comment fêter ce cinquantenaire ? Organiser un grand banquet où l'on prononcerait d'éloquents discours ? Faire frapper une belle médaille en bronze ou en argent ? Il nous a semblé que la manière la plus conforme à nos tra- ditions de marquer les cinquante ans du Comité serait de publier un volume de mélanges, un choix de textes des écrivains de notre Comité, qu'ils soient lauréats ou mem- bres du Jury. Le présent volume, modeste, mais substantiel et varié, constitue la réalisation de notre projet. Il contient — à tout seigneur tout honneur — des textes relatifs à nos patrons, Erckmann et Chatrian ; des articles sur le Comité, son histoire, ses premiers dirigeants, certains de ses membres ; des récits folkloriques, des nouvelles, des souvenirs, des extraits de roman ; il présente aussi des poésies et enfin — les Français sont et restent des moralis- tes — des maximes et des aphorismes. Nous espérons que tous ces textes, dont beaucoup sont inédits, intéresseront le public lorrain. Nous aurions voulu faire mieux, présenter une antholo- gie encore plus riche. Mais nous avons été limités par nos possibilités financières. Même le présent livre n'a pu paraî- tre que grâce à une subvention du Conseil Général de la Meuse et à la compréhension de l'éditeur Marchal. Je tiens ici à exprimer mes vifs remerciements aux membres et au Président du Conseil Général et à M. Marchal, si dévoués à la cause des lettres lorraines. Nous avons été limités aussi par la difficulté à toucher les anciens lauréats. Pendant la guerre 39-45, nos archives se sont perdues, de sorte que nous ne disposons plus des renseignements voulus pour correspondre avec nos lauréats anciens et leurs éditeurs. Nous avons donc dû nous borner à publier des textes de nos lauréats les plus récents et des écrivains qui font actuellement partie du Jury Erckmann- Chatrian. Même sous cette forme, notre Anthologie, qui ne cher- che donc nullement à être complète, ne manquera pas d'in- térêt, me semble-t-il. Elle permettra au public curieux de littérature de mieux faire connaissance avec les écrivains du Comité, d'avoir un aperçu de leurs activités, de leurs écrits, de se faire une idée de leur manière, de leur valeur. La présente Anthologie ne sera peut-être pas la dernière. Si elle a du succès, on essaiera d'en publier d'autres, selon une formule peut-être élargie : l'anthologie du Comité Erck- mann-Chatrian pourrait devenir une anthologie des écri- vains lorrains actuels. L'avenir nous dira ce que nous pour- rons faire. Pour finir, j'adresserai nos remerciements aux écri- vains et aux éditeurs qui ont bien voulu nous autoriser à reproduire leurs textes. Albert SCHNEIDER Historique du Comité

Erckmann-Chatrian par Barthold (au Musée de Phalsbourg)

Le Comité Erckmann-Chatrian a été créé officiellement en 1914, sous le patronage de Raymond Poincaré, président de la République. Officieusement, il existait déjà ; en novem- bre 1913, Georges Sadler, violoniste virtuose qui, après dix ans de succès, s'était assez mystérieusement détourné de la musique et était devenu un intime de Maurice Barrès et un collaborateur du maréchal Lyautey, avait été reçu par le Président de la République. Ils discutèrent de l'Invasion, pièce de théâtre retentissante tirée du roman bien connu d'Erckmann-Chatrian. Le Président Poincaré demanda à G. Sadler de faire quelque chose qui s'inscrivît dans l'optique du moment. Sadler pensa à créer une société qui propagerait en Alsace et en Moselle des livres français et en particulier les œuvres très populaires et hautement patriotiques d'Erckmann-Chatrian. Une première réunion de personnes intéressées par ce projet eut lieu à Nancy, chez le célèbre restaurateur Walter, le soir de Noël 1913. La création offi- cielle de la société eut lieu le 16 janvier 1914. Elle s'appela d'abord Société Erckmann-Chatrian et ne prit le nom actuel de Comité Erckmann-Chatrian qu'en 1934, pour éviter la confusion avec une autre société créée à cette date. Le pre- mier président fut un écrivain très connu : Emile Hinzelin, de l'Académie française. Georges Sadler fut chargé des fonc- tions d'administrateur-délégué. Il y eut deux prestigieux pré- sidents d'honneur : Maurice Barrès et le maréchal Lyautey. Quelques mois plus tard, la guerre éclatait et mobilisait la Société Erckmann-Chatrian au service de la patrie. Elle devint un bureau d'entraide pour les engagés alsaciens et lorrains et leurs familles. Elle réunit les fonds nécessaires à son activité grâce à des conférences, des concerts, des représentations théâtrales, et aussi à des dons et souscrip- tions. La manifestation la plus mémorable réunit, en juin 1917, mille deux cents personnes à la salle Poirel, à Nancy. Pendant toute la représentation, un carrousel d'avions fran- çais dut survoler la salle pour protéger les spectateurs contre une attaque des « Tauben », les avions allemands. La Société diffusa l'œuvre d'Erckmann-Chatrian en plus de 5 000 volumes distribués aux écoles et aux hôpitaux. Elle disposait d'un organe de presse : Le Messager de Lor- raine, auquel collaborait l'élite de cette province. A l'Armistice, le 11 novembre 1918, le Général MANGIN chargea G. Sadler de se rendre à Metz, en mission spéciale. Il s'agissait, en distribuant des journaux français aux Mosel- lans, de leur donner enfin des nouvelles sûres. G. Sadler entra à Metz dès le 13 novembre et y retrouva toute une série de patriotes lorrains. Après la guerre, la Société Erckmann-Chatrian continua à vivre et même brillamment. Mais au fond, elle avait réa- lisé la mission qui lui avait été assignée et, en un certain sens, elle faisait double emploi avec le « Souvenir Français ». Il fallait lui trouver une activité nouvelle, conforme à son beau passé. Ses dirigeants décidèrent en 1924 de créer un Prix Erckmann-Chatrian attribué par une Commission litté- raire tous les ans, au courant de novembre, avant un déjeu- ner réunissant des personnalités et des écrivains lorrains. Ce prix devait récompenser l'œuvre d'un écrivain lorrain. Le premier lauréat fut Eugène Mathis, couronné pour son livre : Les héros de Fraize. Il eut l'insigne honneur de se voir remettre son prix par le Maréchal Lyautey en personne. Depuis 1925, les Prix Erckmann-Chatrian se sont succédé régulièrement — avec une interruption due à la guerre de 1939-45. De 1940 à 1944, il n'y a pas eu de prix. Il y a donc une lacune (voulue par Georges Sadler) de cinq prix, de sorte qu'en 1963, nous n'en étions qu'au 34e prix. En 1945, la presse parisienne a baptisé le Prix Erckmann- Chatrian « Goncourt lorrain », appellation flatteuse qui lui est restée depuis et que le jury cherche à justifier en choi- sissant des œuvres de qualité et en préférant le genre narra- tif (roman, contes, nouvelles) chaque fois que c'est pos- sible. Parmi les cinq derniers prix, il y a quatre romans. Le Comité Erckmann-Chatrian a été dirigé durant de longues années par Georges Sadler, qui en avait fait le contenu de sa vie et qui en fut le Secrétaire Général avant d'en être le Président. G. Sadler ne limitait pas son action à la littérature. Il eut le souci de resserrer les liens entre les diverses cités lorraines et en particulier entre Metz et Nancy. C'est pour ménager entre les deux métropoles lorraines — toujours un peu jalouses l'une de l'autre — un climat favorable qu'il créa en 1928 l'Amitié lorraine et qu'il organisa des manifestations annuel- les qui reprirent en 1945. Il s'installa à Novéant-sur-Moselle, à égale distance entre les deux villes qu'il aimait. Dans la désignation des lauréats, il tenait compte non seulement de la valeur littéraire des ouvrages présentés, mais aussi d'une juste répartition des prix entre les quatre départe- ments lorrains. G. Sadler, homme pittoresque et très per- sonnel, a su faire vivre le Comité Erckmann-Chatrian et faire entrer son Prix dans la tradition lorraine. Quand il est mort, le 30 avril 1958, il laissait le Comité Erckmann- Chatrian libre soit de se dissoudre, soit de se fondre dans l'Académie de Metz, soit de continuer ses activités comme auparavant. C'est cette dernière solution qu'en octobre 1959 adoptèrent les dirigeants du Comité, réunis à Epinal pour remettre à M. Testart le prix Erckmann-Chatrian 1958. Ils élurent comme Président le signataire de ces lignes, Albert Schneider, Professeur à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Nancy, Membre du Comité Erck- mann-Chatrian et du Jury depuis 1950, écrivain à ses heures puisqu'il a écrit des poésies, des contes, des nouvelles, un petit roman et prépare actuellement un volume de maximes. Le Jury Erckmann-Chatrian, qui n'avait primitivement que trois membres, s'est fortement développé et a vu son importance s'accroître d'année en année. Il est devenu la pièce maîtresse du Comité. A la mort du Président Sadler, il comprenait dix membres, tous écrivains ou universitaires. Depuis, on s'est limité à neuf membres, ce nombre impair étant très commode pour départager les voix. Car Je Jury Erckmann-Chatrian est un vrai jury et joue pleinement son rôle. Chaque membre lit consciencieusement les ouvra- ges présentés pour le Prix. On discute ferme avant de voter, à bulletins secrets pour assurer la pleine liberté de chacun. Le jury actuel, qui se renouvelle par cooptation, est guidé par un double souci : objectivité et qualité littéraire. Il cherche à distinguer parmi les candidats non seulement le plus méritant, mais aussi celui qui a le plus d'avenir et le plus de chance d'honorer la littérature lorraine. Cette politique probe et ferme ne peut que rehausser le prestige du Prix Erckmann-Chatrian, qui est incontesté. Notre ambi- tion est de faire connaître et aimer la littérature lorraine, d'aider les écrivains lorrains à percer et à se faire un nom, de susciter parmi les jeunes une noble et ardente émulation. Faut-il le dire ? Cette ambition est tout à fait désintéressée et ne s'inspire que de l'amour de la Lorraine et de la langue française. Les tâches actuelles ne font pas oublier aux dirigeants du Comité que celui-ci est placé sous le patronage d'Emile Erckmann et d', dont les noms, associés depuis 1847, sont devenus indissociables. L'une des fonctions de notre Comité est d'entretenir le souvenir de ces bons écrivains lorrains, de faire connaître et lire leur œuvre. Les membres du Comité se réunissent deux fois par an ; en automne pour choisir le lauréat annuel, au prin- temps pour la remise solennelle du Prix. A ces réunions, la mémoire d'Erckmann-Chatrian est, comme il se doit, souvent évoquée. A ce propos, on nous permettra de signaler au public que l'œuvre d'Erckmann-Chatrian connaît à l'heure actuelle un regain de faveur. La belle revue strasbourgeoise Saisons d'Alsace, dirigée par Antoine Fischer, a consacré son numéro de printemps 1963 à la « Redécouverte d'Erckmann-Cha- trian ». On aura plaisir et profit à lire cet excellent numéro. La même année 1963, l'éditeur Jean-Jacques Pauvert a publié en treize volumes luxueusement présentés une réé- dition parfaite des « Contes et Romans nationaux et popu- laires » d'Erckmann-Chatrian. Il a expliqué pour quelles raisons il l'a fait dans un article incisif et net qu'il nous a autorisés à reproduire dans le présent recueil, ce dont nous lui savons grand gré. La réédition est complétée utilement par un 14 volume sur « La vie et l'œuvre d'Erckmann-Cha- trian », par G. Benoît- Guyaud, étude enrichie par une large série de « Témoignages et documents » dûs à des plumes autorisées. Les fervents d'Erckmann-Chatrian, qui sont encore — ou de nouveau — nombreux, disposent donc maintenant d'une édition digne de figurer dans leur biblio- thèque et qui ravivera les merveilleux souvenirs d'enfance et de jeunesse qu'ils doivent aux deux écrivains lorrains. Notre Comité a contribué à la « renaissance » Erckmann- Chatrian en créant une Collection Erckmann-Chatrian dont le premier volume, écrit par René Vigneron et intitulé Catherine Barseau, a paru en avril 1963 et a obtenu presque aussitôt le Prix Georges Sadler de l'Académie de Stanislas. Il y contribue encore en publiant dans cette Anthologie trois articles substantiels sur Erckmann-Chatrian. On le voit, notre Comité pratique une politique de fidélité active, qui va de pair avec sa politique de découverte de nouveaux talents. Notre dernier lauréat est M Sylvette Brisson, de Saint- Dié, qui, ayant toute sa vie respiré l'encre d'imprimerie (elle est fille et femme d'imprimeur), devait tôt ou tard fournir du travail aux imprimeries. Le roman qui lui a valu le Prix 1963, Emmanuelle s'en va-t-en guerre, destiné aux adolescents, connaît un gros succès de librairie. Mme Brisson est douée d'un talent qu'on peut appeler com- plet. Elle est observatrice, psychologue, Imaginative ; elle a de la verve et de la tendresse ; enfin elle écrit un fran- çais alerte et pur. Nous attendons beaucoup d'elle. Le Jury Erckmann-Chatrian est fidèle à la mémoire de ses deux patrons. Cette fidélité ne le rend pas aveugle au talent, à l'originalité, bien au contraire. Nous sommes fiers d'avoir distingué des écrivains tels que Maurice Gar- çot, Dieterlen, Léon Fresse, André Dorny, Jean L'Hote, René Vigneron, Robert Javelet, pour ne citer que ceux-là. Et nous souhaitons de tout cœur en découvrir beaucoup d'autres Albert SCHNEIDER Georges SADLER

Ce serait de notre part une grande ingratitude, au moment où nous remettons le prix Erckmann-Chatrian à son attributaire de 1958, M. Paul Testart, de ne pas rendre hommage à la mémoire de l'homme qui créa ce prix et qui, pendant plus d'un quart de siècle, organisa et présida cha- que année, pour en choisir et en proclamer le lauréat, la réunion rituelle qu'il nous faut aujourd'hui tenir sans sa présence. Je suis certain que tous les membres du Comité Erckmann-Chatrian, au cours de cette cérémonie, évoque- ront plus d'une fois son visage familier et ressentiront très vivement, en ne l'apercevant point à sa place habituelle, le vide irremplissable que sa mort a laissé parmi nous. Je voudrais donc, à grands traits, rappeler ici l'essen- tiel de la carrière de Georges Sadler. Carrière curieuse, car elle se partage en deux périodes fort différentes. Après avoir, pendant quelque dix ans, fait figure de virtuose du violon, il devint, à partir de 1913 environ, journaliste et littérateur. Né le 16 octobre 1879 à Nancy, il fut pendant toutes ses études, l'élève du Lycée Henri-Poincaré. Ses parents songeaient pour lui à Saint-Cyr et à l'armée. Mais très tôt, un goût irrésistible pour la musique le détourna de cette voie. Il suivit les cours du Conservatoire de Nancy, puis c eux du Conservatoire de Bruxelles, dont il fut lauréat ; sa maîtrise, qui s'y affirma, lui valut d'y devenir, à dix-neuf ans, chargé de cours. Dès lors, fixé à Bruxelles, il donna sur place et dans plusieurs autres villes, et Nancy entre autres, des récitals de violon, qui lui assurèrent bien- tôt une réputation flatteuse. J'emprunte à des journaux de l'époque deux appréciations élogieuses de son remarquable talent : « Georges Sadler, écrivait le 13 février 1904 le cri- tique musical de l'Est Républicain, fit une fois de plus admi- rer sa sûre virtuosité et la maîtrise de son coup d'archet toujours victorieux. » Et, plus explicitement, celui de l'Echo de Paris déclarait à son tour le 26 décembre 1904 « Le violoniste Sadler a exécuté d'impeccable façon la redouta- ble Chaconne de Bach pour violon seul, ainsi que l'Aria avec orchestre ». Plus tard, ayant abandonné le violon mal- gré lui, l'artiste qu'avait été Sadler se plaisait à conter quel- ques souvenirs de ses succès d'alors et à dire qu'il avait en ces temps vécu les plus beaux jours de sa vie. Il aurait sans doute conquis la grande renommée, si des raisons impérieuses de santé ne l'avaient forcé de renoncer à cette existence fatigante et à quitter la Belgique pour revenir à Nancy. En 1913, ayant relu et admiré les livres d'Erckmann- Chatrian, il conçut le dessin de créer une société pour faire mieux apprécier du public français l'œuvre des deux romanciers et du même coup, attirer son attention vers cette pittoresque région dont Phalsbourg, patrie d'Emile Erckmann, est le centre et qui va de Saverne à Sarrebourg, région si souvent décrite par eux. A cette heure en effet, non seulement le mouvement régionaliste était à la mode, mais en outre les regards se tournaient volon- tiers vers la Moselle et l'Alsace, perdues depuis quarante ans. Après avoir longtemps pensé à elles sans en parler jamais, suivant une formule célèbre, on commençait à estimer qu'il convenait au contraire d'en parler et d'exprimer ouverte- ment l'amour dont elles restaient l'objet. Sous l'impu sion de G. Sadler et d'Emile Hinzelin, une vingtaine de person- nalités lorraines, assemblées à Nancy, le 17 juillet 1913, examinèrent les conditions d'établissement et les moyens d'ac- tion possibles de la société projetée. En novembre, G. Sadier, reçu à cette occasion par Raymond Poincaré, Président de la République, de qui il voulait avoir l'approbation, se voyait par lui fortement encouragé à favoriser la diffusion en France des ouvrages trop oubliés des deux écrivains lorrains, si riches d'enseignements moraux et patriotiques. Une pre- mière réunion des fondateurs de la société Erckmann-Cha- trian eut donc lieu à Nancy, chez Walter, le 25 décembre, et celle-ci prit son existence officielle le 16 janvier 1914. Elle publiait, dès le mois de mars, son premier Bulletin trimestriel, contenant, avec ses statuts, des articles litté- raires relatifs à l'Alsace-Lorraine. Un second Bulletin, en juin, relatait les détails d'une manifestation au cours de laquelle une délégation de ses membres avait déposé à Lunéville une palme de bronze au monument d'Emile Erckmann. Puis, soudain, ce fut la guerre. G. Sadler, mobilisé, la fit comme agent de liaison au 41 Régiment d'Infanterie terri- toriale, jusqu'en 1917 où sa mauvaise santé provoqua sa mise en réforme. Toutefois, même pendant sa mobilisation, il resta dans le secteur de Nancy ; cette circonstance lui permit, avec le concours d'E. Hinzelin et de J.-B. Jean, comme lui mobilisés à proximité de Nancy, de développer l'activité de la jeune société, en l'orientant cette fois sur- tout vers les œuvres patriotiques de bienfaisance. Elle s'attacha d'abord, sinon à réveiller, du moins à entretenir chez les enfants alsaciens, qui, jalousement pri- vés par les Allemands de toutes relations directes avec la France, la connaissaient peu et mal, leurs sentiments d'af- fection à son égard. Elle adressa donc au Gouverneur de Belfort, le Général Thévenot, un lot très important de romans nationaux d'Erckmann-Chatrian, destinés à être dis- tribués aux élèves des écoles de l'Alsace reconquise. Elle commençait, en même temps, à s'occuper des nombreux Lorrains chassés de leurs foyers par l'ennemi et réfugiés dans les casernes vides de Nancy. Son premier soin fut de mettre dans leur vie si triste un rayon de gaieté. En 1915, à quatre reprises, les 28 mars, 5 avril, 19 juillet et 1 août, elle les convia à des représentations théâtrales, où fut joué notamment le chef-d'œuvre dramatique d'Erckmann-Chatrian, l'Ami Fritz. Elle leur offrit en outre deux concerts sympho- niques, l'un au parc de la Pépinière, l'autre à la caserne Molitor. Mais, surtout grâce aux fonds qu'elle avait réussi à collecter, elle installa avec l'appui du Préfet Mirman, à la Préfecture de Meurthe-et-Moselle, un bureau où les exi- lés d'Alsace et de Lorraine trouvaient avec des renseigne- ments sur leurs familles, une aide morale et des subsides. Ce bureau, pendant toute la durée de la guerre, fonctionna sans relâche, préparant ainsi le retour des Alsaciens-Lor- rains dans la patrie française, où G. Sadler ne doutait point qu'ils ne dussent prochainement reprendre leur place. Ce dévouement n'allait d'ailleurs point tarder à recevoir sa récompense : le 30 août 1915, le Président de la République, Raymond Poincaré, s'inscrivait comme membre-fondateur de la société Erckmann-Chatrian et lui accordait son haut patronage. Rendu à la vie civile et libre désormais de se dépenser plus complètement au profit de la société créée par lui et dont il était, depuis le début, administrateur-fondateur, G. Sadler intensifia ses efforts patriotiques. En 1917, il publia un recueil de chansons lorraines, dont il avait com- posé la musique et qu'avait préfacé Maurice Barrès. Le 16 décembre de la même année, il organisa, avec le théâtre de l'armée, une matinée de gala à la salle Poirel, au béné- fice de l'œuvre d'assistance aux Alsaciens-Lorrains : au pro- gramme figurait une revue de guerre en trois actes. En 1918, il fit paraître le premier numéro d'un almanach, le Messa- ger de Lorraine, auquel allaient collaborer Maurice Barrès, Albert Lebrun, Léon Mirman, le chanoine Collin, Emile Hin- zelin, Emile Nicolas, pendant qu'Emile Friant, P.E. Collin, Victor Prouvé en fournissaient les illustrations : bientôt cette publication fut utilisée par les Ministères des Affaires étrangères et de la Guerre pour leur propagande à l'étranger. Au lendemain de l'armistice du 11 novembre, G. Sadler se vit chargé par le Général Mangin, nommé Gouverneur de Metz, où il devait se rendre le 13, d'une mission pour laquelle ses activités antérieures le désignaient entre tous. Les Allemands avaient fallacieusement fait courir dans la ville le bruit d'une révolution en France, souhaitant par ce moyen troubler l'esprit de la population messine : il s'agis- sait donc d'apporter d'urgence aux Messins trois mille exem- plaires des journaux de Nancy, afin de contrebattre cette manœuvre et d'assurer un climat favorable à l'entrée des troupes françaises. Grâce à cette mission, les Messins se ressaisirent aussitôt et G. Sadler eut lui-même la grande joie d'être l'un des premiers à pénétrer dans Metz redevenue française. Si Maurice Barrès avait en 1917 rédigé une préface pour les Chansons lorraines, c'est que l'auteur de ce recueil vivait, à ce moment, dans son intimité. L'écrivain, retiré à Charmes, où il se reposait de ses fatigues et méditait ses ouvrages futurs, avait trouvé en G. Sadler un précieux auxiliaire pour les enquêtes qu'il menait alors sur la bataille de la trouée de Charmes, et sur le drame de Gerbéviller : à ce drame, Barrès songeait à consacrer peut-être un volume. Le projet fut abandonné, quand les démarches de G. Sadler eurent démontré l'impossibilité d'obtenir des gens du pays des renseignements assez précis pour permettre de recons- tituer avec vérité l'atmosphère de ces heures tragiques. Mais, après cette collaboration dans la recherche de la documentation d'un roman, G. Sadler devait rester en rela- tions cordiales avec Barrès. Vers le même temps, il nouait avec Lyautey des rela- tions analogues. Ce grand Lorrain s'était très tôt intéressé à la société Erckmann-Chatrian et avait échangé quelques lettres avec son fondateur. En 1922, il l'invita à faire au Maroc un voyage d'études : le résultat de ce voyage fut un petit livre plein d'humour où G. Sadler traçait un portrait vivant et fouillé de son hôte, observé dans son milieu maro- cain et dans ses diverses tâches. Qu'allait cependant devenir la société Erckmann-Cha- trian dont la raison d'être semblait avoir disparu avec le retour de la paix et la reconquête de l'Alsace ? Pour qu'elle subsistât, il était indispensable de la transformer en lui assignant un but nouveau. G. Sadler y pourvut : en 1924, il institua un prix littéraire annuel, qui devait récompenser l'œuvre jugée la meilleure parmi celles présentées au concours, d'un écrivain originaire d'un des quatre dépar- tements de la région lorraine : Moselle, Meurthe-et-Moselle, Meuse, Vosges. Le jury était une commission formée de membres de l'ancienne société les plus qualifiés par leur compétence. Bien entendu, ce prix reçut le nom de Prix Erckmann-Chatrian. Décerné pour la première fois en 1925, il continua de l'être régulièrement jusqu'en 1938 : l'attri- bution en fut suspendue pendant la guerre, mais reprise en 1945. A la veille de ce nouveau conflit mondial, G. Sadler avait rassemblé, dans un volume intitulé Sur le vif, dont le libraire Dory de Nancy était l'éditeur, ses souvenirs sur quelques-uns des éminents Lorrains qu'il avait eu l'occa- sion de voir de près et par là de bien connaître : Mau- rice Barrès, le Maréchal Lyautey, le Général Mangin, le Chanoine Collin. Un autre Lorrain, l'académicien Louis Ber- trand, en avait, dans une belle préface, souligné l'intérêt et les mérites. Cette seconde guerre mondiale infligea à G. Sadler, ainsi qu'à tant d'autres, une dure épreuve. Obligé de fuir pour éviter un emprisonnement que les Allemands n'au- raient pas manqué de lui faire subir, sinon pire encore, en raison de son rôle depuis 1914, il se réfugia, en se camou- flant, à Angers, tandis que ses biens étaient pillés et vendus par l'ennemi. En outre sa carrière de journaliste pour sui- vie depuis 1919 par des articles de critique musicale et aussi en qualité d'administrateur-délégué du quotidien régio- nal l'Impartial de l'Est, se trouva brusquement interrom- pue. Mais, dès qu'il put, à la libération, regagner la Lorraine, ce fut, oubliant ses propres maux, pour porter secours à ses compatriotes malheureux, en prenant la présidence du Comité d'entraide des 19 communes du canton d'Ars-sur- Moselle. Je n'ai rencontré G. Sadler qu'en 1950. Il avait donc 71 ans, et l'âge, joint à une déficience croissante de sa santé, le condamnait à ménager davantage ses forces ; il vivait de plus en plus dans une demi-retraite, à Novéant. Il en sortait pourtant quelquefois pour aller soit à Metz, soit à Nancy où l'appelaient ses amitiés ou ses affaires. Mais en outre, il se déplaçait chaque année, ponctuellement pour présider, dans l'une de ces deux villes, et aussi à l'occasion, à Bar-le-Duc, à Verdun, à Gérardmer, voire même à Rem- bercourt-aux-Pots, le Comité Erckmann-Chatrian, réuni là en vue du choix du lauréat ou de la remise du prix. En 1957, comme s'il pressentait une fin prochaine, il demanda à ce Comité de désigner d'avance le lauréat de 1958 : la pré- caution n'était pas inutile, il est mort, en effet, à Pont-à-Mous- son le 30 avril 1958. Il fut un bon Lorrain et un bon Français : je n'en veux pour preuve que cette amitié que lui accordèrent et lui conservèrent toute leur vie des hommes tels que Ray- mond Poincaré, Albert Lebrun, Maurice Barrès, le Maré- chal Lyautey, de qui la confiance l'associa parfois même à leur œuvre. Il servit de tout son pouvoir ses deux patries, la petite, la Lorraine, et la grande, la France, qu'il aima l'une et l'autre passionnément, justifiant ainsi cette très profonde remarque que je prends dans le recueil de maxi- mes de l'un des nôtres, Maurice Garçot, Prix Erckmann- Chatrian de 1934 : « Plus on est de sa province, mieux on est de sa patrie ». Paul DIMOFF Epinal, octobre 1959 Bureau de la Société Erckmann-Chatrian

en 1918-1919

Présidents d'honneur : Maurice BARRÈS, Louis-Hubert-Gonzalve LYAUTEY. Président : Emile HINZELIN. Vice-Présidents : Antonin DAUM, Emile NICOLAS. Adminisirateur-fondateur : Georges SADLER. Trésorier : Commandant JEANNEQUIN. Siège social: 1, rue de la Ravinelle, NANCY. Organe : « Le Messager de Lorraine », paraissant annuelle- ment chez BERGER-LEVRAULT, Paris-Nancy.

Bureau actuel du Comité

Erckmann-Chatrian

Président: Albert SCHNEIDER (Nancy). Vice-Présidents : René BOUR (Metz), Paul DIMOFF (Nancy). Secrétaire général: Léon Fresse (Epinal). Trésorier: Henri Louyot (Metz). Siège social : Mairie de Metz. Membres du Jury Erckmarm-Chatrlan

1964

M. Albert SCHNEIDER, Professeur d'Université, écrivain, membre du Syndicat des Journalistes et Ecrivains et de la Société des Ecrivains d'Alsace et de Lorraine, Président du Comité. M. René BOUR, Professeur, écrivain, journaliste, membre de l'Académie de Metz. M. Gaston CHATELAIN, Directeur Général de la Liberté de l'Est à Epinal, Président du Syndicat de la Presse de Province. M. Paul DIMOFF, Professeur d'Université, membre de l'Aca- démie de Stanislas, Nancy. M. Léon FRESSE, écrivain, ancien lauréat du Prix Erck- mann-Chatrian, lauréat de l'Académie d'Alsace, Epinal. M. Maurice GARÇOT, écrivain, ancien lauréat du prix Erck- mann-Chatrian, Grand prix de Littérature de la ville de Nancy, Membre de l'Académie de Stanislas, Nancy. M. Pierre MARIZIER, Maire de Bar-le-Duc, Conseiller Géné- ral de la Meuse. M. René SCHAMBER, écrivain, membre de la Société des Ecrivains d'Alsace et de Lorraine, Nancy. M. René VIGNERON, Instituteur, écrivain, ancien lauréat du prix Erckmann-Chatrian, lauréat de l'Academie Française et de l'Académie de Stanislas (Prix Geor- ges SADLER 1963). Pages du Souvenir

Depuis l'année 1959, où le signataire de ces lignes a été élu Président du Comité Erckmann-Chatrian, notre Jury a perdu trois de ses membres : Lucien Braye, Marcel Cressot et Marcel Vert. Qu'on nous permette de rappeler ici leur souvenir.

Lucien BRAYE Notre confrère et ami M Braye nous a quittés pour toujours le 13 septembre 1960, à l'âge de 81 ans. Avoué de son métier, il était Docteur en droit, membre de la Société d'Archéologie Française et de la Société d'Archéolo- gie Lorraine, correspondant de l'Académie de Stanislas et Vice-Président du Comité Erckmann-Chatrian, et je n'ai pas encore cité toutes ses fonctions et activités. Lucien Braye était un érudit de tout premier ordre, pour qui l'histoire de l'Est de la France, et en particulier celle du Barrois, n'avait pas de secret. C'était un homme plein d'activité, de droiture, de bonté, qui s'attelait avec dévouement et bonheur aux tâches les plus diverses et les plus absorban- tes. Je n'évoquerai ici que sa longue fidélité au Comité Erck- mann-Chatrian, auquel il appartenait depuis 1928. Il ne man- quait aucune de nos réunions. J'ai eu l'occasion de le ren- contrer une vingtaine de fois et d'apprécier ses vastes con- naissances, la finesse de ses jugements et la courtoisie de ses manières. Je ne l'ai vu en colère qu'une fois, en novem- bre 1950, lors de l'attribution du Prix E.C. au chanoine Joignon, pour son étude historique Au Cœur du Barrois. Cette fois-là, Lucien Braye, qui avait le courage de ses opinions, s'est opposé très vivement au Président Sadler. L'affaire s'était ensuite arrangée. Mais l'alerte avait été chaude. Et Georges Sadler, qui, comme on sait, était assez autoritaire, en était resté quelque peu mortifié, car il avait senti vacil- ler son autorité. J'ai vu pour la dernière fois Me Braye au mois de mai 1960 à Verdun, où nous avons, au cours d'une séance mémorable présidée par M. le Sénateur-Maire Schleiter, remis le Prix E.C, 1959 à M. René Vigneron, l'auteur du Dépôt légal : 4 trimestre 1964

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