La Chute, Chef D'œuvre Nécessaire Ou Choquante
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
La Chute, chef d’œuvre nécessaire ou choquante réhabilitation ? Un article d’Histony sur Veni Vidi Sensi La Chute, chef d’œuvre nécessaire ou choquante réhabilitation ? Aujourd’hui, tout le monde connaît La Chute et la légendaire prestation de Bruno Ganz en Hitler. Pas forcément pour le film lui-même, certes ; mais plusieurs des scènes de grande colère du dictateur ont été maintes fois détournées à coups de sous-titres, lui permettant de s’indigner des problèmes de stationnement dans les rues de Tel-Aviv, de rencontrer Jacquouille la Fripouille, ou encore, récemment, de s’emporter contre les Enfoirés pour leur chanson Toute la vie. Désormais entrées dans la culture collective, au point que l’acteur lui-même reconnaît en interview trouver cette créativité positive, ces parodies avaient pourtant fait scandale et poussé les producteurs à tout faire pour les faire supprimer. Le personnage d’Adolf Hitler reste en effet un sujet sensible, et s’il peut être cathartique de lui faire dire n’importe quoi, certains continuent à serrer les dents en jugeant qu’il est des sujets sur lesquels on ne peut pas rire. Mais bien avant les parodies, à sa sortie, La Chute faisait polémique sur des questions bien plus sérieuses. Fallait-il représenter Hitler ainsi ? Le film n’humaniserait-il pas ainsi le Mal ? Tout cela pose un grand nombre de questions auxquelles je vais essayer de répondre. Hitler rendu sympathique : salutaire ou odieux ? J’étais en seconde lorsque La Chute est sorti, et je me souviens des scandales provoqués par le simple fait de la diffusion de l’affiche du film dans les rues : le retour du dictateur sur les murs des villes françaises n’était en effet pas du goût de tous. Mais le principal problème était surtout que, dans ce film, Hitler devenait humain. J’avais alors quatorze ans, et j’étais sorti du cinéma avec un sentiment bizarre. Cette plongée de 2h30 au milieu de tous ces nazis me les avait rendus sympathiques, dictateur compris. La première image que le spectateur a d’Hitler est en effet celle d’un homme passablement fatigué, une nuit de 1942, lorsqu’il recrute sa secrétaire, Traudl Junge, à travers les yeux de laquelle nous suivons principalement l’histoire. Homme fatigué, mais surtout diablement humain lorsqu’il invite les candidates au poste à laisser tomber les formalités qui assurent pourtant le culte de la personnalité. Homme même touchant lorsqu’il présente sa chienne Blondi et assure, tel un ado dépité d’aujourd’hui, qu’elle vaut « mieux que la plupart des humains ». 1 La Chute, chef d’œuvre nécessaire ou choquante réhabilitation ? Un article d’Histony sur Veni Vidi Sensi Avant même la sortie du film, l’apparition de la figure d’Hitler dans les rues à travers son affiche a fait polémique. Durant le film, le spectateur reste ainsi, toujours, tiraillé entre plusieurs émotions. L’humain Hitler, qui verse une larme lorsqu’Albert Speer lui apprend qu’il n’a pas suivi certains de ses ordres, qui félicite sa cuisinière en prenant son dernier repas avant son suicide parvient presque à faire oublier le tyran génocidaire qui ressurgit, dans ses colères mégalomanes. Même la vanité de ces crises de folie où il invoque des armées déjà perdues nous ferait presque prendre en pitié l’individu. En présentant Hitler en humain, touche-t-on à un tabou ? Cette vision tranche effectivement avec la plupart des représentations du dictateur, dont on ne garde généralement que les hurlements gutturaux. Bien des documentaires ont également tenté de dresser un portrait humain foncièrement négatif du dictateur, en insistant sur de supposées perversions sexuelles, notamment, et il est rare que l’on se prenne à imaginer un Hitler capable d’amour, voire de compassion pour ses proches. 2 La Chute, chef d’œuvre nécessaire ou choquante réhabilitation ? Un article d’Histony sur Veni Vidi Sensi Réhumanisé, comme lorsqu’il caresse affectueusement sa chienne, Hitler n’en devient finalement que plus effrayant. Pourquoi, en réalité, tenons-nous tant à ce que les plus grands criminels de l’histoire, les responsables des pires atrocités, soient, dans leur part intime, des salopards ? Peut-être s’agit- il ici de nous rassurer. En présentant Hitler comme un tordu incapable d’un bon sentiment, il est exclu de la « communauté humaine », devient une sorte d’individu à part, une erreur qui portait le mal par sa nature même. On se prend alors à considérer qu’Hitler ne pouvait être que méchant, à partir de sa naissance même, par essence. Comme dans les films les plus stéréotypés, les méchants deviennent méchants par plaisir de la méchanceté. S’imaginer un Hitler humain est pourtant une démarche salutaire. Elle revient à comprendre que le mal réside potentiellement en chacun de nous, chose difficilement acceptable. Nous peinons à comprendre que certains directeurs de camps d’extermination aient pu pleurer en écoutant Mendelssohn, mais ne pas ciller en participant à l’extermination de millions d’individus. Mais souhaitons nous, réellement, le comprendre ? Pouvons-nous accepter l’idée que la plus grande partie des Nazis n’aient pas eu de troubles mentaux comme excuse, aient simplement été comme nous ? Pouvons-nous accepter de chercher une explication plus complexe que « ils étaient mauvais » ? C’est en cela que La Chute est un film nécessaire. Présenter Hitler comme un humain, avec d’indéniables qualités humaines, c’est rappeler que nous avons tous en nous le potentiel pour devenir aussi horribles. Que les hommes capables du pire ne l’affichent pas forcément sur leur figure, contrairement aux idées répandues. La Chute invite donc à se demander pourquoi. Pourquoi ces gens « normaux » ont commis les pires atrocités, de façon anormale. Une fois éliminée l’explication simpliste, il faut alors se pencher sur bien des questions complexes : psychologie de groupe (les expériences de Millgram et de Stanford, notamment, sont très éclairantes à ce sujet), étude du contexte de l’émergence des idées nazies… Bref, de ce qui a fait d’Adolf Hitler… Hitler, et de millions d’Allemands des nazis convaincus. 3 La Chute, chef d’œuvre nécessaire ou choquante réhabilitation ? Un article d’Histony sur Veni Vidi Sensi Ce n’est que par ces moyens et par le refus des explications simplistes qu’il sera possible d’éviter que l’Histoire ne se répète, surtout quand elle en prend tristement la direction. Trouver des gentils parmi les méchants La Chute ne présente, fort heureusement, pas pour autant tous les personnages sous un jour totalement positif. L’équilibre me semble en effet très bien trouvé, entre des nazis humainement bons… et pourtant capable de parler de leurs pires actes sans sourciller. On a reproché au film d’être léger sur ce dernier aspect, ce qui est vrai. Si la guerre et les exactions infligées aux traîtres dans Berlin assiégé sont présentées, si Hitler fait plusieurs fois mention de l’extermination des Juifs et de ses idéaux mégalomanes, il n’en reste pas moins que le sujet apparaît comme secondaire. Ce n’est pas gênant dans le cas du dictateur lui-même : toute personne susceptible de voir et comprendre le film a une idée de l’ampleur des actes de Hitler, et sait donc, même sans que le film le lui dise clairement, que l’homme a sur les mains le sang de millions de personnes. Les choses sont beaucoup plus ambiguës pour la « cour » de nazis qui entoure le tyran dans son bunker, car peu sont explicitement présentés. Généraux, dignitaires, ministres : tous apparaissent sans que l’on sache réellement quelle place ils ont tenue au sein du régime. Simples militaires ? Clés de voûte de certaines atrocités commises ? Médecins de la mort ou soigneurs dévoués ? Si l’on se doute que, pour avoir atteint cette position, tous sont loin d’être des saints, la confusion reste là, et certains personnages éminemment négatifs finissent par devenir (trop) positif. C’est le cas, à mon avis, de Himmler, qui passe pour sensé face à la folie du Führer et qui quitte le bunker trop tôt pour que le spectateur mal informé puisse prendre conscience qu’il a sous les yeux l’un des principaux artisans de la logique génocidaire. Si Himmler apparaît dans le film, sa participation majeure au génocide n’est pas mise en avant, et le personnage passe pour raisonnable en s’opposant aux dernières folies du dictateur. Pourtant, tout cela s’explique assez aisément et logiquement, et le choix des réalisateurs se comprend : La Chute représente les derniers jours d’Hitler, alors que Berlin subit les pilonnages 4 La Chute, chef d’œuvre nécessaire ou choquante réhabilitation ? Un article d’Histony sur Veni Vidi Sensi des armées soviétiques et que le Troisième Reich tombe en lambeaux. La machine concentrationnaire est d’ores et déjà en miettes, et l’on se doute qu’il ne s’agissait plus alors, dans l’esprit des hommes réunis sous la chancellerie, que d’un détail mineur face à leur préoccupation centrale : la survie du régime, et, de plus en plus, leur propre survie. Il est donc cohérent que les personnages ne parlent pas de ces atrocités qui, dans ces derniers jours d’avril 1945, n’occupaient pas une place centrale dans leur esprit. Il est en revanche regrettable que la longue litanie de portraits en fin de film se contente de donner noms et destin des différents protagonistes, sans réellement revenir sur leurs responsabilités respectives. La chose aurait été fort instructive, et aurait aussi pu faire passer un message en forme de pied de nez au spectateur : « oui, ce gars, là, qui vous a semblé être un brave type, il avait X000 morts sur la conscience ».