Le Red Star. Mémoires D'un Club Légendaire
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
Le Red Star Mémoires d'un club légendaire GUILLAUME HANOTEAU avec la collaboration de Gilles Cutulic Le Red Star Mémoires d'un club légendaire Mémoire vive SEGHERS Couverture : La joie des joueurs et des supporters après une victoire en coupe de Paris : les beaux jours du Red Star reprennent. (Ph. Gilles Saillant.) 4e de couverture : Lucien Gamblin, au centre, toute une carrière vouée à son cher Red Star. (Ph. X D. R.) Si vous désirez être tenu au courant des publications de l'éditeur de cet ouvrage, il vous suffit d'adresser votre carte de visite aux Éditions Seghers, Service « Bulletin », 6, place Saint-Sulpice, 75279 Paris Cedex 06. Vous rece- vrez régulièrement, et sans engagement de votre part, leur bulletin illustré, où, chaque mois, se trouvent présentées toutes les nouveautés, que vous trou- verez chez votre libraire. TOUS DROITS DE REPRODUCTION, D'ADAPTATION ET DE TRADUCTION RÉSERVÉS POUR TOUS PAYS © ÉDITIONS SEGHERS, PARIS, 1983 ISBN : 2-221-01156-2 1. LOIN DE SAINT-OUEN (1873-1897) L'histoire du Red Star commence loin de Saint-Ouen à une époque qui ne ressemble guère à la nôtre. Nous sommes dans un petit village de la Haute-Saône, Theuley, à 40 kilomètres de Vesoul, à 30 de Gray. Jules Rimet, le futur fondateur du Red Star et l'inven- teur de cette Coupe du Monde qui à ses débuts porta son nom, y voit le jour le 24 octobre 1873 sous le signe du Scorpion selon l'astrologie classique, sous le signe du Coq selon l'astrologie chinoise. Des Rimet, on en trouve à Theuley sur les registres de la paroisse dès le début du XVII siècle, tous mariés à des filles du pays. Jules Rimet est donc un pur Franc-Comtois. Mais sa Franche-Comté n'est pas celle de la montagne, ni celle des vignobles. Il appartient à une Franche-Comté voisine de la Bourgogne, plaine boisée à peine ridée par quelques vallons, campagne calme comme cette Saône qui la baigne. Pourtant, à 9 kilomètres de là, dominant les méandres paresseux de la rivière, un château, le château de Ray, se dresse. Cette ancienne forteresse cache dans ses flancs un puits profond de 53 mètres. On s'en servait pendant les sièges et il nous rappelle que cette province qui paraît assoupie a été au cours des siècles déchirée par les guerres et piétinée par les invasions. Les Francs-Comtois, qui ne devaient devenir des Français — et de bons Français — qu'en 1678 sous le règne de Louis XIV, tenaient à leurs libertés et les avaient farouchement défendues. De ce passé, le Franc-Comtois a acquis ses vertus. Il est sérieux — d'un sérieux qu'accentue son élocution un peu traînante —, prudent, obstiné, parfois même têtu, mais si on le contrarie il peut se laisser aller à de violentes colères. Un portrait par avance du président Jules Rimet. Mais pour l'instant ledit président n'est qu'un enfant quasi orphelin. Ne le plaignez pas. Il n'est qu'un orphelin d'occasion. Dieu merci ! il n'a pas eu à porter le deuil de ses chers parents. Il s'est contenté d'agiter un mouchoir le long d'un train. En effet son père, ruiné par la crise agricole qui suivit la guerre de 1870, a dû vendre sa ferme et, en compagnie de son épouse, il s'est exilé à Paris pour y gagner son pain, après avoir laissé à Theuley son fils Jules aux soins du grand-père. Un grand-père gâteau ? Mieux ! Un grand-père meu- nier. Quelle aubaine ! Et un vrai meunier, propriétaire d'un moulin, bâtisse de quatre étages, dont la roue tourne en grinçant dans l'écume neigeuse de la Gourgeotte, un minuscule affluent de la Saône. Tapi dans un coin de la cour, un enfant n'a pas le temps de s'y ennuyer. C'est un défilé ininterrompu de carrioles chargées de sacs. Sacs de blé à l'arrivée. Sacs de farine au départ. Chaque ferme de Franche-Comté a en effet sa « maie » au fond de laquelle les femmes pétrissent le pain et un four où les hommes le font cuire. A Theuley, on vit encore comme vivaient les paysans du Moyen Age. L'année est entrecoupée de cérémonies. Au moulin, une fois l'an, on fait cercle autour du père Billet. Songez donc ! C'est le « rabillheur ». Il vient affûter les arêtes des lourdes meules en grès qui broient le grain. Autre tradition de ce pays profondément catholique : la messe de minuit. On s'y rend en bande par des chemins ténébreux, éclairé par une seule lanterne qui précède la troupe. A chaque détour, on frissonne d'une peur déli- cieuse. On n'a pas l'habitude d'être si tard sur ces routes que les vieilles, à la veillée, peuplent de fantômes. Dans l'église illuminée, revêtu de sa robe rouge d'enfant de chœur, le petit Jules récite — insigne honneur — d'une voix assurée « la leçon de Noël ». Et puis on s'en retourne à la maison où l'on mange, les yeux crépitant de sommeil, les « gaudes », ces crêpes de maïs qu'en Franche-Comté on recouvre de lait aigre ou de cancoillotte. Le reste du temps Jules va à l'école ou se bat contre les gamins de Lavoncourt, un bourg tout proche. Quoique petit par la taille, mais agile et vif, il n'est pas le dernier à faire le coup de poing. Néanmoins ses dons naturels le vouent à d'autres tâches. Il tend les embuscades. Il ima- gine ces stratégies buissonnières que nous décrira quel- ques années plus tard, en 1912, Louis Pergaud dans sa Guerre des boutons. Il est déjà un chef. Mais ce turbulent peut être aussi un rêveur. Parfois on le cherche en vain. On l'appelle. Il ne répond pas. Couché sur le ventre dans le grenier de son grand-père, il lit un livre qu'il a trouvé en fouillant le bric-à-brac entassé là-haut. Ce volume doré sur tranche et saupoudré à la fois de poussière et de farine a appartenu à un de ses aïeux, capitaine dans les armées napoléoniennes. Il raconte les exploits qui ont valu à leurs héros une des premières croix de la Légion d'honneur. Hélas ! ce bonheur va lui être dérobé. Il va perdre son paradis. Le grand-père à son tour est touché par la crise. Il lui faut vendre son moulin et Jules doit rejoindre ses parents à Paris. A onze ans, il voyagera seul. On l'accompagne jusqu'à son beau wagon de troisième classe. Une fanfare joue. En vérité, ces clairons ne sonnent pas pour saluer son départ. Ils fêtent la République, car c'est le 14 juillet 1884 que Jules Rimet quitte Theuley. Et pour toujours. Il n'y reviendra qu'en pèlerinage. Les Rimet habitent rue Cler au Gros-Caillou, ce quar- tier qui allait tenir un rôle tellement important dans sa vie et dans celle du futur Red Star. On dit à l'enfant qu'autrefois, aux temps des rois, sur l'emplacement de sa maison se trouvait un énorme rocher, d'où le nom du site : le Gros-Caillou. En 1738, quand on décida de le faire disparaître, il fallut amonceler baril de poudre sur baril de poudre pour le faire sauter. On n'ajoute pas que ce terme de Gros-Caillou a dû sa promotion géographique à des circonstances beaucoup moins glorieuses. Longtemps après l'explosion, les Pari- siens continuaient à parler de ce Gros-Caillou parce qu'un établissement mal famé mais très bien achalandé l'avait pris pour enseigne. Aujourd'hui, le Gros-Caillou est une exception dans le très aristocratique VII arrondissement. Si ce quartier est traversé par de vastes avenues récemment percées et bor- dées de riches immeubles en pierres de taille, il abrite encore des rues populaires dont la rue Cler. Les Rimet sont pauvres. Le fermier de Theuley n'est devenu à Paris qu'un modeste employé. On envoie Jules au patronage La Rochefoucauld. Il dépend de l'école paroissiale qui porte le même nom et qui jouxte Saint-Pierre du Gros-Caillou, une église sans faste, toute simplette, véritable église de village en plein Paris au 92 de la rue Saint-Dominique. Les enfants de ce patronage vont jouer sur l'esplanade des Invalides quand elle n'est pas occupée par quelque fête foraine ou par quelque exposition. Jules Rimet y découvre-t-il le football, ne serait-ce qu'un football rudimentaire avec une balle en guise de ballon ? On peut répondre sans crainte de se tromper : non. Les enfants ne font qu'imiter les grandes personnes. Or, en 1884, le football association, sport britannique, vient à peine de franchir la Manche. En France, il existe en tout et pour tout deux clubs : au Havre, le Havre Atletic Club, à Paris, le Paris Football Club. Là, des Anglais résidant dans notre capitale y jouent aussi bien à l'association qu'au rugby, mais en 1886 il aura déjà disparu, victime des tentations du « gay Paris ». Il faut l'avouer, les Français des années 1880 sont peu tentés par les efforts physiques. La bourgeoisie s'adonne à l'escrime par nécessité à cause des duels, à l'équitation, à la chasse, souvent pour imiter la noblesse d'autrefois, lais- sant au peuple la pêche à la ligne et une gymnastique que la République a favorisée après la débâcle de 1870 pour des raisons patriotiques. Le gymnaste n'est-il pas le soldat de la Revanche ! De jeunes excentriques déguisés en jockeys ont bien disputé des courses dans la salle des pas perdus à la gare Saint-Lazare.