NOTES BIBLIOGRAPHIQUES

Shimeon BRISMAN. — History and Guide to Judaic Dictionaries and Concordan- ces, Hoboken (N.J.), Ktav Publishing House, 2000, XXIII + 337 pages («Jewish Research Literature», 3/1).

M. Brisman a déjà fourni d’ambitieux répertoires: A History and Guide to Jewish Bibliography, Cincinnati, Hebrew Union College-New York, Ktav, 1977, répertoire des bibliographies d’études juives, y compris les catalogues de bibliothèques, par thèmes, chaque ouvrage faisant l’objet d’une notice détaillée et annotée; Judaic Encyclopedias and Lexicons, Cincinnati, H.U.C., 1987 («Jewish Research Litera- ture», 2), répertoire des encyclopédies et lexiques d’études juives, par thèmes, cha- que chapitre étant couvert dans l’ordre chronologique et chaque ouvrage faisant l’objet d’une notice. Dans l’ouvrage en recension, chaque entrée donne lieu à une notice et à des no- tes. Ce volume ne couvre que les dictionnaires (ce qu’un sous-titre eût plus commo- dément indiqué), le t. 2, à venir, devant traiter des concordances; les lexiques et glossaires anciens (XIe-XVIIIe s.) y tiennent presque autant de place que les moder- nes. Outre les dictionnaires de l’hébreu, sont aussi inclus les dictionnaires de l’ara- méen, du yiddish et du judéo-espagnol, d’où le titre («Judaic»). Neuf chapitres, p. 1-155 et notes p. 265-312, retracent l’histoire de chaque sous-genre: lexicogra- phie hébraïque du moyen âge (Xe-XIe s.); lexicographes juifs du moyen âge (XIIe- XIVe s.); gloses et glossaires (XIe-XVIIe s.); Élie Lévita et les hébraïsants chrétiens (XVe-déb. XVIIe s.); lexicographie hébraïque moderne (XVIIIe-milieu du XXe s.); la résurrection de l’hébreu parlé (fin XIXe-fin du XXe s.); dictionnaires d’araméen et talmudico-rabbiniques (XIXe-XXe s.); dictionnaires à sujets divers (d’un intérêt particulier: dictionnaires d’abréviations, vocabulaires spécialisés et techniques, mots étrangers ou rares [travaux d’I. Avinery], noms propres, argot, synonymes); dictionnaires yiddish et «ladinos» (scil., du ladino et du djudezmo?). P. 157-263 est donnée la liste des dictionnaires imprimés, reprenant le cadre des chapitres avec des subdivisons supplémentaires malaisées car difficiles à repérer et non récapitu- lées, chronologiques à l’intérieur de ce cadre. On indique les référence bibliogra- phique complète, nombre de pages, rééditions et, pour les publications contempo- raines, comptes rendus, parfois très nombreux: vingt-six pour le dictionnaire de J. Knaani, dix-huit volumes, 1960-1989, p. 188-189; quatorze pour le dictionnaire des termes philosophiques de Klatzkin, 4 vol., 1928-1933, p. 237, bien que la liste, centrée sur des revues israéliennes d’histoire de la langue et les principales revues internationales d’études juives, ne soit sans doute pas complète. Un index commun aux noms, titres et sujets (p. 313-337) est probablement, pour ce volume qui, s’il donne à lire les chapitres d’une histoire suivie, est aussi destiné à la consultation rapide, le choix le plus judicieux. On peut trouver à redire à l’organisation du volume. L’A. lui-même observe (p. 49) que le chapitre sur les glossaires (portant sur des mots étrangers à l’hébreu) a interrompu le cours de l’historique des lexicographes de l’hébreu. Le ∑emaÌ Dawid de David de’Pomis (XVIe s.) est traité (p. 60, 171) parmi les productions des hébraïsants chrétiens, parce que le plan ne prévoyait pas de productions juives pour

Revue des Études juives, 161 (1-2), janvier-juin 2002, pp. 291-342 292 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES la période considérée. L’historique paraît s’arrêter à la fin des années 1980 (la der- nière source citée paraît être de 1989; la dernière édition signalée, de 1990-1991), délai de rétrospection sur les dernières années concevable, quoiqu’un peu long pour un livre paru en 2000, mais qui aurait dû être tout simplement signalé, de préfé- rence en sous-titre ou au moins dans le bref avant-propos. Il est inévitable que l’exhaustivité ne soit pas atteinte mais certaines lacunes semblent criantes. On peut se demander, dans tel ou tel cas, s’il s’agit de problèmes de limites, les critères d’exclusion ou d’inclusion n’ayant pas été précisés: ainsi pour E.Z. Melamed, Eshnab ha-Talmud, Jérusalem, Qiryat-Sefer, 1976, 128 p., qui comporte essentiel- lement un glossaire d’expressions araméennes, le vocabulaire araméen-hébreu d’un pereq, un dictionnaire d’abréviations: l’ouvrage en question n’est pas un diction- naire «pur» mais une introduction au Talmud comportant en outre des listes de maîtres, de poids et mesures, de règles diverses, des paradigmes flexionnels. De même pour le Lexicon heptaglottum d'Edmund Castell (1686) et la Critica sacra d’Edward Leigh: ont-ils été écartés en raison des intentions à la fois excédant celles d’un dictionnaire strictement dit, et non scientifiques, de leurs auteurs, — montrer comment les langues dérivent de l’hébreu? Mais on se demande aussi si, dans ces cas comme dans le précédent, un titre non explicite n’est pas la cause de l’absence; il est vrai que la traduction française du dictionnaire de Leigh, Dictionnaire de la langue sainte, Amsterdam, 1703, etc., est également absente. Injustifiable à tous égards, en revanche, semble l’omission de N.Ph. Sander, I. Trenel, Dictionnaire hébreu-français, Paris, 1859, réimpr. Genève, 1987. Mais la section II du ch. 5, dé- diée aux lexicographes juifs modernes, dans laquelle il aurait dû prendre place, se divise elle-même en deux: «Anglo-Jewish Lexicography», «East-European Jewish Lexicography», simplification qui n’est pas de mise dans les travaux de bon aloi, même outre-Atlantique. L’exécution matérielle de l’index accroît le sentiment de lacunes: on cherche en vain le Sefer ra’shei teybot d’Abraham Isaac Stern, Sigeth, 1926, réimpr. Israël, s.l.n.d., que l’entrée Stern (Adolf), qui omet de plus la référence à la p. 220, ne per- met pas de trouver. Un détour par le répertoire de Friedberg (resh, no 71) donne l’idée d’une autre recherche au terme de laquelle on accède enfin à une intéressante note 27, p. 303, qui fournit l’historique et la bibliographie du plagiat par Stern du Notariqon de M. Heilperin (pourquoi «Halpern», en dépit de la graphie hébraïque, translittérée sous la première forme pour d’autres auteurs?). D’autres erreurs de l’index, moins gênantes, sont néanmoins spectaculaires: p. 325 [index] «Lévy, Paul, Les noms Israélites en France, 235», non, mais Les noms des israélites…, p. 233; ibid. et plus encore p. 336, un titre de R. Levy est sérieusement malmené; de même, dans le corps du volume, p. 189, «1969-1961»; p. 199, «Paris: Laroussé», etc. Peut-être avons-nous joué de malchance, mais il est inquiétant qu’un recenseur non-spécialiste ait eu des résultats si décevants à partir de quelques ouvrages qu’il avait par hasard sous la main. Ce répertoire est appelé à rendre bien des services et en histoire de la lexicographie, et en bibliographie, mais les vérifications, toujours de bonne règle, sont particulièrement indispensables et l’on paraît loin de l’exhaus- tivité. Il est vrai, pour un sujet aussi vaste et aussi difficile, il était impossible à un chercheur travaillant seul et ayant, on l’a vu, assumé d’autres travaux considérables, d’y atteindre du premier coup, même s’il a disposé, comme il l’indique, des res- sources de la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Jérusalem et de l’Hebrew Union College de New York. Jean-Pierre ROTHSCHILD NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 293

Hayim LAPIN. — Economy, Geography, and Provincial History in Latin Roman Palestine, Tübingen, Mohr Siebeck, 2001, X + 227 pages («Texts and Studies in Ancient Judaism», 85).

Hayim Lapin, Professeur associé à l'Université de Maryland, est un spécialiste de la géographie économique de la Palestine à l'époque de l'Antiquité tardive. L'auteur est connu pour avoir dirigé la publication d'un ouvrage collectif sur les communautés religieuses et ethniques dans la Palestine sous domination romaine, paru en 19981. Dans le livre dont il est question ici, il examine la géographie économique de la Palestine romaine au IVe siècle à partir des sources littéraires et des sources archéo- logiques, et tout spécialement de la Galilée. L'auteur défend la thèse que du point de vue économique, social et culturel, le paysage de la Palestine romaine du IVe siècle est semblable à ceux des autres provinces de l'Empire — région dans la- quelle les juifs sont intégrés comme le sont les autres groupes ethnico-religieux. Les travaux de Y. Hirschfeld sont au point de départ de cette recherche, mais fort curieusement un des ouvrages principaux de cet auteur, pourtant paru en 1995, n'est pas cité2 — il est vrai que celui-ci porte sur les maisons d'habitation aux épo- ques romaine et byzantine en Palestine et non pas sur les places centrales des villes et villages à propos desquelles H. Lapin focalise tout particulièrement et fort juste- ment son attention. Les places centrales des villes et villages en Palestine comme ailleurs ont joué un rôle fondamental dans la vie économique et sociale des sociétés anciennes — cette fonction s'est d'ailleurs maintenue jusqu'à fort récemment. Les places centrales ont également tenu un rôle important d'un point de vue culturel, notamment dans la dif- fusion des idées religieuses. L'ouvrage se compose de cinq chapitres très techniques qui portent sur (1) les places centrales (les marchés) en théorie et en pratique, (2) le paysage, l'archéolo- gie et le modèle d'installation (des marchés), (3) les reconstructions hypothétiques d'un paysage économique en Palestine du nord, (4) les aspects de la géographie des marchés dans la littérature palestinienne et (5) l'histoire régionale de la Palestine du nord dans l'Antiquité tardive. La discussion du matériel archéologique repose sur un état de plus ou moins 900 pièces établi à partir des rapports archéologiques pu- bliés couvrant la Galilée, la vallée de Beth-Shean et le Golan. Une excellente bi- bliographie complète très utilement cette étude, ainsi que des index détaillés des sources, des auteurs et des sujets. Il s'agit là d'un ouvrage important, bien documenté tant sur le plan littéraire que sur le plan archéologique, qui sera fort utile à qui veut connaître le milieu économi- que et social dans lequel s'est développé le judaïsme galiléen du IVe siècle — un bel exemple d'étude régionaliste telle que l'a préconisée E.M. Meyers dans une contribution qui remonte à 19793. Simon C. MIMOUNI

1. Cf. H. LAPIN (éd.), Religious and Ethnic Communities in Later Roman Palestine, Bethesda, Maryland, 1998. 2. Cf. Y. HIRSCHFELD, The Palestinian Dwelling in the Roman-Byzantine Period, Jérusa- lem, 1995. 3. Cf. E.M. MEYERS, «The Cultural Setting of Galilee: The Case of Regionalism and Early Judaism», in ANRW II, 19.1 (1979), p. 686-702. 294 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES

François BLANCHETIERE. — Enquête sur les racines juives du mouvement chrétien (30-135), Paris, Cerf, 2001, 587 pages («Initiations»).

Cet ouvrage pourrait s'intituler «Le Nazaréisme», car l'auteur, récusant le terme de judéo-christianisme comme peu adéquat, retient celui-là pour désigner le mouve- ment chrétien à ses origines. Il distingue même un proto-nazaréisme, celui des pre- miers disciples de Jésus d'origine juive jusqu'à leur scission d'avec le judaïsme pa- lestinien durant le dernier quart du Ier siècle, du nazaréisme au sens large, dont il continue l'histoire jusqu'en 135, le moment où ce mouvement devient marginal par rapport au christianisme hellénophone et se sépare de lui, non sans survivre sous de multiples formes. Deux grandes parties structurent l'ouvrage, la première étant une approche sociohistorique du phénomène, la seconde une description des pratiques, des croyances, des controverses, des institutions des Nazaréens. L'ouvrage paraît dans une collection intitulée «Initiations»: il fournit donc tout d'abord, dans quelques pages de prolégomènes, les données indispensables (avec de nombreuses indications bibliographiques) sur les contextes géopolitique et cultu- rel dans lesquels se situe l'apparition du mouvement chrétien. Suit une enquête historiographique sur le judéo-christianisme qui montre bien la diversité de sens donnée par ceux qui l'utilisent à ce terme, inadéquat même s'il reste couramment reçu. Le chapitre suivant énumère et commente les sources documentaires sur le proto-nazaréisme (écrits rédigés par des judéo-chrétiens et écrits traitant des judéo- chrétiens), non sans en proposer des critères d'identification et de discernement. L'A. s'interroge ensuite sur la dénomination à retenir pour les premières généra- tions des disciples de Jésus et, après avoir passé en revue les appellations ancien- nes, retient l'expression nazaréens-chrétiens pour les juifs qui ont cru en Jésus-Mes- sie, réservant aux croyants d'origine païenne l'expression hellènes-chrétiens. Il pose ensuite la question: le nazaréisme primitif fut-il «missionnaire»? et il lui donne une réponse négative: pas plus que les autres juifs, les disciples du Nazaréen n'ont fait de prosélytisme, mais c'est le témoignage de leur vie qui a suscité intérêt et conversion, ou à l'inverse hostilité et persécution. Quoi qu'il en soit, on doit bien constater que le groupe primitif de Jérusalem s'est bien vite développé, a essaimé dans toute la Palestine et la diaspora: un substantiel chapitre est donc consacré à cette expansion, à la sociologie du proto-nazaréisme et à sa géographie; il évoque aussi rapidement quelques courants «nazaréens». Enfin un chapitre courageux, tant sont obscures ces origines (l'A. le soulignait lors du colloque de Jérusalem), tente de faire l'histoire du proto-nazaréisme et de sa différenciation progressive d'avec le judaïsme, qui aboutit à une séparation dans le dernier quart du Ier siècle. La seconde partie de l'ouvrage est une présentation du nazaréisme, ce terme dési- gnant «à la fois une conception de vie et un mode d'existence qui découlent tous deux de convictions fondamentales, et tout autant d'une certaine halakha et d'une herméneutique propres»; non pourtant un système, d'autant que le nazaréisme n'a cessé d'évoluer. Après d'utiles réflexions méthodologiques (dont plusieurs visent à se distancier des positions de J. Daniélou), l'A. s'interroge sur les observances à partir desquelles définir le nazaréisme, puisque ce critère semble le plus sûr. Il tente ensuite de dégager les idées et croyances, la «théologie» de ses adeptes, en souli- gnant que nos sources pour les connaître sont hétérogènes et insuffisantes et qu'il ne s'agit pas d'un système élaboré, mais d'un discours pluriel. Si sur un grand nom- bre de points les Nazaréens partagent sans réserve les convictions du judaïsme, NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 295 quelques questions fondamentales font l'objet de leur réflexion particulière: la messianité de Jésus, sa mort sur la croix, sa résurrection, la nature de la commu- nauté (qehila) de ses disciples. Autant de questions qui, comme celles des obser- vances, provoquent dialogue, controverses, polémique, évoqués en un bref chapitre. Celui qui suit traite des institutions qui ont structuré ces premières communautés, de leur organisation communautaire, liturgique, de leurs organismes de régulation de la doctrine. Le dernier chapitre de cette seconde partie est consacré à une évoca- tion assez schématique de la seconde composante du christianisme primitif, celle des «hellènes-chrétiens». On comprend le souci de l'A. d'avoir voulu éviter une présentation unilatérale du christianisme primitif, mais il lui aurait été parfaitement légitime de se limiter aux Nazaréens! Ce chapitre toutefois reste à sa place dans une «enquête sur les racines juives du mouvement chrétien» (le titre de l'ouvrage), puisque le christianisme est largement tributaire du judaïsme hellénistique de la diaspora. Il est suivi de conclusions, d'un très utile glossaire, d'une riche bibliogra- phie et de cartes. Écrit souvent avec une certaine passion, mais toujours bien informé, n'hésitant pas à s'affronter à des problèmes difficiles et à prendre parti, soucieux d'expliciter sa méthodologie, l'ouvrage de F. Blanchetière sera certainement une excellente ini- tiation pour ceux qui désirent aborder avec un œil neuf le premier siècle du christia- nisme. Peut-être, en prenant en considération ces lecteurs, l'A. aurait-il pu éviter d'abuser du langage de la tribu, de maintes expressions savantes qui, sans réelle uti- lité, encombrent ici et là sa prose… petit défaut d'un dicendi peritus. Pierre MARAVAL

Simon C. MIMOUNI, en collaboration avec F. STANLEY JONES. — Le judéo-christia- nisme dans tous ses états. Actes du colloque de Jérusalem 6-10 juillet 1998, Paris, Cerf, 2001, 464 pages («Lectio Divina», hors série).

Ce colloque organisé dans le cadre de l'École biblique et archéologique française avait pour objectif de faire le point sur l'état des recherches actuelles concernant le judéo-christianisme ancien. Après la conférence d'ouverture de S. Mimouni, qui engage le débat, deux conférences traitent de l'histoire de la recherche sur cette question, l'une consacrée à l'œuvre de Marcel Simon (F. Blanchetière), l'autre aux recherches sur le roman pseudo-clémentin depuis le livre publié sur ce sujet en 1930 par Oscar Cullmann (P. Geoltrain). Suivent, sous le titre «Fondations», six conférences qui abordent diverses questions concernant les origines: «La cruci- fixion comme peine capitale dans le judaïsme ancien» (É. Puech), «Le ‘pléthos’ des disciples de Jésus» (J. Taylor), «Jacques, le frère de Jésus, ne fut jamais un chrétien» (É. Nodet), «L'Évangile de Jean et les Samaritains» (M.-É. Bois- mard), «Paul de Tarse, éléments pour une réévaluation historique et doctrinale» (S.C. Mimouni), «Construire la matrice de la chrétienté juive à partir des textes» (W.L. Petersen). Les points de vue ici sont parfois divers, souvent opposés: on re- grette un peu de ne pas avoir l'écho des discussions qui ont pu suivre l'une ou l'autre de ces conférences (tout en sachant la difficulté qu'il y a pour les éditeurs d'un congrès de les mettre en forme!). La troisième partie est constituée d'analyses diverses, faites à partir d'approches disciplinaires multiples, sur diverses questions qui touchent l'histoire du judéo-christianisme: le rôle de celui-ci dans l'Antioche 296 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES du second siècle (C.N. Gefford), le Testimonium Flavianum (S. Bardet, qui récuse l'hypothèse de l'interpolation chrétienne mais tente d'expliquer ce dont témoigne le texte reçu), Hégésippe comme source du judéo-christianisme (F.S. Jones), deux contributions sur les Recognitiones clementinae (C. Gianotto et B. Pouderon), le re- gard d'Origène sur les judéo-chrétiens (G. Dorival), les Nazoréens sur le Mont Sion (B. Pixner), une tradition judéo-chrétienne chez Hilaire de Poitiers (F. Manns), les Symmachiens de Marius Victorinus et ceux du manichéen Faustus (M. Tardieu), le judéo-christianisme et le Leviticus Rabbah (B.L. Visotzky), le deuxième volume de la version syro-palestinienne de la (M. Bar-Asher), la Pesiqta de-Rav Kahana et le christianisme (S. Verhelst). Dans une quatrième partie, intitulée «Interpréta- tions», C. Geffré se pose la question de la révision de la théologie chrétienne du judaïsme amorcée par Vatican II, en soulignant sur quelques points les difficultés du débat théologique entre juifs et chrétiens; G. Nerel évoque la théologie et les pratiques de juifs d'aujourd'hui qui croient en Jésus Fils de Dieu et Sauveur (Messianic ), dans la ligne des judéo-chrétiens des origines. Pour finir, F. Blanchetière propose ses conclusions au colloque: il y rappelle tout d'abord à grands traits l'historiographie du judéo-christianisme, met en relief le renouveau actuel des études et souligne parallèlement le regain d'intérêt pour la littérature dite apocryphe (celui qui concerne les écrits intertestamentaires pourrait aussi être men- tionné ici). Ceci l'amène à constater que «les premières décennies du mouvement des disciples de Jésus de Nazareth constituent présentement un vaste chantier ren- dant tout effort de syntèse quasiment impossible» (p. 428). Il relève donc un certain nombre de problèmes toujours ouverts, dont certains formulés lors du colloque: adéquation du recours au terme judéo-chrétien, mise en œuvre des sources (qu'elles soient dites canoniques ou apocryphes), chronologie du judéo-christianisme, théo- logie de ce mouvement, centres judéo-chrétiens anciens… et d'autres questions en- core. Ce colloque, qui apporte de premières réponses à ces questions, est donc à la fois état des lieux et invitation à la recherche. On ne peut qu'en être reconnaissant à ses acteurs et organisateurs. Pierre MARAVAL

Jostein ADNA, Hans KVALBEIN (éd.). — The Mission of the Early Church to Jews and Gentiles, Tübingen, Mohr Siebeck, 2000, IX + 313 pages («Wissenschaft- liche Untersuchungen zum Neuen Testament», 127).

Dans ce volume ont été réunies les contributions à un symposium qui s'est dé- roulé les 28 et 29 avril 1998 à la School of Mission and à Stavanger en Norvège sur le thème de la «Mission de l'Église ancienne à l'égard des juifs et des païens». Outre une excellente introduction de Hans Kvalbein et Jostein Adna, les onze études sont regroupées sous quatre rubriques. I. L'Évangile selon Matthieu: 1. P. STUHLMACHER, «Matt 28:16-20 and the Course of Mission in the Apostolic and Postapostolic Age», p. 17-43. 2. H. KVALBEIN, «Has Matthew abandoned the Jews?», p. 45-62. 3. U. LUZ, «Has Matthew abandoned the Jews?», p. 63-68. 4. O. SKARSAUNE, «The Mission to the Jews — a Closed Chapter?», p. 69-83. II. Les Actes des Apôtres: 5. J.M. SCOTT, «Acts 2:9-11 As an Anticipation of the Mission to the Nations», p. 87-123. 6. J. ADNA, «James' Position at the Summit Meeting of the Apostles and the Elders in Jerusalem (Acts 15)», p. 125-161. NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 297

III. Paul: 7. S. HAFEMANN, «The Role of Suffering in the Mission of Paul», p. 165- 184. 8. H. STETTLER, «An Interpretation of Colossians 1:24 in the Framework of Paul's Mission Theology», p. 185-208. IV. Contributions historiques: 9. R. RIESSNER, «A Pre-Christian Jewish Mission?», p. 211-250. 10. I.H. MARSHALL, «Who were evangelists?», p. 251-263. 11. R. HVAL- VIK, «In Word and Deed: The Expansion of the Church in the Pre-Constantinian Era», p. 265-287. Des index — portant sur les auteurs, les sources ainsi que les sujets et les noms — complètent cet ouvrage dont quelques contributions intéressent à plusieurs titres les études juives anciennes, notamment celle de R. Riessner qui insiste sur l'importance de la diffusion des idées juives de la Diaspora hellénophone dans cer- tains milieux païens attirés par la croyance au «Dieu d'Israël» (ces païens sympa- thisants au judaïsme sont mieux connus sous le nom de «Craignant-Dieu») — dif- fusion qui a évidemment permis ensuite le développement de la mission chrétienne dans ces mêmes milieux. Simon C. MIMOUNI

Aryeh COHEN. — Rereading Talmud. Gender, Law and the Poetics of Sugyot, At- lanta, Scholars Press, 1998, 242 pages («Brown Judaic Studies», 318).

Mettre au point une méthodologie appropriée à l'étude du Talmud est l'objectif, implicite ou explicite, de nombre de chercheurs depuis longtemps déjà. Aryeh Cohen, dans cet ouvrage qui est une adaptation de sa thèse de doctorat à la Brandeis Univer- sity, apporte sa contribution personnelle à cette vaste entreprise. À cet effet, AC cri- tique après les avoir exposées et, le cas échéant, dégagées les solutions proposées par Abraham Weiss, David Weiss Halivni, Shamma Friedman (ch. II), Jacob Neusner (ch. III), Yonah Fraenkel et Daniel Boyarin (ch. IV). L'ordre comme le choix sont commandés par the move away from historicism (p. 3). La théorie d'analyse du Tal- mud qu'AC met au point au chapitre V, est appliquée dans deux études pratiques de TBGi††in 34b-35b (ch. VI) et TBGi††in 12a-13a (ch. VII). La relation entre droit et narration, ainsi que la construction du genre (avec une référence à Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe) dans le Talmud sont ses objectifs ultimes. De l'œuvre d'Abraham Weiss (1895-1970), dont l'itinéraire est pourtant retracé en détail, AC ne retient que le caractère d'œuvre littéraire du Talmud et le «sentiment» que l'existence de strates chronologiques fait partie de la rhétorique de la sugya (p. 8). Ce «sentiment» sera quelque peu éclairé par la notion de «couche stammaïtique» (sont qualifiés ainsi les passages anonymes du débat talmudique, qui constituent la couche rédactionnelle), notion définie par David Weiss Halivni. Ce qu'AC nommera, à la suite de Michael Riffaterre, les «agrammaticalités» du texte (qui ne sont autres que les difficultés textuelles) sont l'indice pour A. Weiss (p. 14) comme pour D. Halivni (p. 29) de l'existence de couches différentes ou de la corruption de la source (p. 27), l'alternative n'existant que pour le dernier auteur. Cette conclusion est inacceptable pour AC, qui voit dans ces «agrammaticalités» le signe de la présence d'un «intertexte». De toute l'œuvre de Jacob Neusner, AC choisit de présenter la théorie d'interprétation littéraire [qu'il critique violemment (p. 44-49) en reprochant à Neusner de n'avoir pas compris les notions d'intertextualité (p. 49; ce point avait déjà été relevé par Daniel 298 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES

Boyarin dans Intertextuality in Reading Midrash, 1990, auquel AC eût pu se contenter de faire référence)], ainsi que la traduction du Talmud de Babylone. AC prend la peine de montrer concrètement (p. 49 à 57) que Neusner n'est pas parvenu à ses fins qui étaient que sa traduction puisse servir à une analyse scientifique du Talmud de Babylone; cette démonstration semble superflue tant l'entreprise paraissait vouée à l'échec par sa nature même. L'une des contributions majeures de Neusner est, pour AC, la remise en question de la véracité des attributions. AC montre que l'analyse par Neusner de la répartition de l'hébreu (nature normative) et de l'araméen (nature cri- tique, analytique ou épisode concret), qui auraient donc été des indices herméneutiques, est fausse (p. 64-66). En fin de compte AC ne garde qu'une idée: le TB est un ouvrage édité. Daniel Boyarin et Yonah Fraenkel ont tous deux en commun d'étudier le Talmud comme une œuvre littéraire au premier chef et d'utiliser à cette fin les théories littéraires qui ont marqué leurs époques. Y. Fraenkel a recours aux méthodes de la critique phénoménologique et du New Criticism: il considère que, puisqu'il forme un tout autonome, chaque récit doit être interprété de façon indépendante, hypothèse et con- clusion contetées par AC, pour lequel tirer une aggadah de son contexte revient en réalité à la replacer dans un autre contexte, celui de la collection de récits sur les sages (p. 89 et p. 121). Pour AC, la théorie laisse à désirer et son application pratique échoue (p. 89). D. Boyarin qui s'inspire du post-structuralisme et du New Historicism re- place, au contraire, les récits dans des réseaux culturels et textuels plus larges (forma- tions discursives, selon la terminologie de Foucault) et repense les relations de la aggadah et de la halakhah: cette dernière doit servir de toile de fond pour expliquer les récits. Un point essentiel de la méthode de Boyarin est de déceler les tensions culturelles, que tout texte de aggadah est réputé tenter de résoudre, et ce, de façon utopique. AC reproche à Boyarin de passer trop vite ou trop facilement à un contexte plus large (p. 72); c'est que, pour AC, le premier lieu d'interprétation doit être le contexte immédiat, c'est-à-dire la sugya. De façon générale, «while the method itself is sound, on the whole, Boyarin's application is flawed» (p. 90). Si AC, de son aveu même (p. 3), n'est pas intéressé par les conclusions historiques ou culturelles de ces auteurs, puisqu'il ne retient de leurs travaux que certains aspects qui apparaissent parfois assez mineurs, et qu'il n'a pas non plus pour ambition de brosser un tableau du développement de la critique talmudique (on a néanmoins l'impression par moments que cela a été son dessein), on comprend mal ce qui justifie un exposé aussi développé de chacune des théories — de surcroît illustré par des exemples concrets — si ce n'est, peut-être, le scrupule de l'auteur. Quelques renvois auraient probablement suffi. Cela n'empêche pas que cette partie de l'ouvrage vaut pour la présentation honnête de ces travaux (elle est tout à fait édifiante et mériterait d'être lue par tout néophyte) et leur critique, fondée essentiellement sur des argu- ments logiques, est parfois recevable. La méthode mise au point par AC consiste donc en une lecture à rebours de la sugya (après qu'il en a arrêté les limites), suivie par une analyse de sa structure, et par une analyse intertextuelle, qui suppose que l'on en trouve les intertextes (en s'appuyant sur les agrammaticalités) et les constructions culturelles. On entre là dans le domaine de la subjectivité. On n'est sans doute pas forcé de suivre l'auteur dans les conclu- sions de ses analyses des ch. VI et VII, dont on ne peut donner ici le détail. Certaines interprétations sont très convaincantes, certains postulats demanderaient à être démontrés (par exemple, celui aux termes duquel tout, dans le Talmud, serait guidé NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 299 par la notion d'exil) et enfin certaines conclusions sont étranges, comme celle concernant l'esclave qui est «one who is gendered female» (p. 216-217). Cet ouvrage se recommande donc parce qu'il constitue une tentative à la fois honnête, intéressante, cultivée, inventive et intelligente de lire le Talmud. La présentation matérielle de l'ouvrage est très soignée et commode puisque les originaux, tant des passages talmudiques que des textes des auteurs contemporains, apparaissent en bas de page ou en annexe. On peut seulement déplorer une ligne traduit par דאמרת לי absente de la traduction de TBYebamot 91a (p. 37), p. 79, l. 20 for they said to me et quelques coquilles mineures (en particulier p. 71 n. 1, p. 72 n. 4, p. 74 n. 10 et p. 75 n. 12 etc.: lire darkhei et non «darkei»). Agnès WOOG

Rivka ULMER. — Pesiqta Rabbati. A Synoptic Edition of Pesiqta Rabbati Based upon All Extant Manuscripts and the Editio Princeps, Atlanta (Georgia), Scholars Press, 1997 et 1999, 2 vol. in-4°, LIV + 617 pages et XI pages + p. 618-1113 («South Florida Studies in the History of Judaism», 155 et 200).

Pesiqta Rabbati est un recueil palestinien datable des Ve-VIe s. et rassemblant des homélies plus anciennes, pour la plupart au nom de maîtres des IIIe-IVe s.; il couvre presque toutes les leçons des fêtes et les shabbatot particuliers de l'année liturgique, d'où peut-être son titre (attesté pour la première fois par Rachi). Les éta- pes de la constitution du recueil dans son état actuel, antérieurement au ms. de Parme, 3122 (De Rossi [et non: «formerly»] 1240), du XIIIe s., sont mal connues, attestées par de rares fragments et testimonia. Des différences de style et de genre trahissent des apports extérieurs et une homogénéité moindre que celle d'autres œuvres classiques de la littérature rabbinique. On se réjouit de disposer d'une édi- tion nouvelle, précédée d'une introduction copieuse et bibliographiquement bien informée. L'Éd. a déjà travaillé sur l'analyse d'homélies de la PR selon les voies tracées par A. Goldberg (Brigitte A.A. Kern [depuis, R. Ulmer], Tröstet, tröstet mein Volk! Zwei rabbinische Homilien zu Jesaja 40,1 (PesR 30 und PesR 29/30), Francfort, 1986). Elle entend cette fois remplacer l'édition M. Friedmann (Ish Sha- lom), Vienne, 1880, qui s'appuyait essentiellement sur l'édition princeps de Prague, Isaac b. Hayyim Katz, 1653 ou 1656. Une défiance pas toujours justifiée vis-à-vis des méthodes stemmatiques se conjugue avec une perspective théorique renversée par rapport à celle de leurs adep- tes — non plus s'intéresser tant, ou seulement, au «texte d'origine», à supposer la notion claire, qu'aux versions qui en ont effectivement circulé, qui en ont été lues et à travers lesquelles il a joué un rôle dans l'histoire littéraire ou doctrinale — pour justifier les éditions synoptiques telles que celle dont nous disposons ici. La pers- pective de renoncer à toute critique textuelle et de produire un ouvrage aussi peu maniable et aussi onéreux (le t. II, 507 p., est vendu 129, 95 $) pouvait pourtant conduire à y regarder à deux fois: Ch. Milikowsky, recensant le t. I sans attendre le second (JQR 90/1-2, July-October, 1999, p. 137-149), a déjà montré que la «flui- dité» alléguée des textes n'était pas telle et que deux des cinq témoins étaient inuti- les, l'un (JTS 8195) étant la copie moderne d'éditions imprimées et l'autre, Dropsie College 26, celle du ms. de Rome, Casanatense 3324, lui-même du XVIe s. et copié sur un modèle du XIVe (p. XXXI, n. 152); l'éd. princeps peut être retenue dans la mesure où son ms. de base est inconnu. Mais la fluidité se manifeste non dans le 300 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES détail du texte des homélies, mais dans leur arrangement, ce dont un tableau tel que celui des pp. XLVIII-LIII («The Distribution of Pesiqta Rabbati Homilies in the Manuscripts») suffisait à rendre compte, complété par un système de numéros. Il nous semble ainsi que le ms. de Parme, le plus ancien et le plus complet, aurait dû fournir le texte de base, moyennant les corrections qui sont le travail normal de l'éditeur, même si l'on cherchait à rendre compte non de la compilation primitive mais de ses états successifs jusqu'à la fixation par l'imprimerie (ce qui est contra- dictoire avec les fins assignées p. XIV, qui ont trait à la signification de l'ouvrage aux Ve-VIe s.). On avance (p. XLIV) que seule une édition synoptique permet l'étude des relations mutuelles des témoins: on ne saurait mieux dire qu'on laisse au lecteur le soin du travail d'édition! Une forte raison en faveur des éditions sy- noptiques, la faculté de procéder à une étude de langue comparée, n'est pas évo- quée, encore moins illustrée. L'une des finalités déclarées (préserver de la destruc- tion le texte des mss, p. XLI) n'a jamais été celle des éditions scientifiques et paraît paradoxale en un temps où microfilms et cd-rom les reproduisent couramment avec une sûreté que n'atteint pas la transcription. De très brefs sondages sur le t. I à partir des microfilms de l'Institut des micro- films de mss hébreux de Jérusalem nous ont en effet permis le relevé suivant: ms. Parme, Bibl. Pal. 3124: p. 1, §1, l.12, ba-mo‘adot: lire ka-? L. 14, shoqlin: lire shequlin; p. 111, §16, l. 1, devant ‘omed we-nish'al: suppléer Sha'ul; l. 5, ha- pelishti': lire ha-pelisht'; l. 12, {hbk}: lire {hbb}, le redoublement erroné du -b- expliquant que le copiste se soit repris avant d'écrire le mot juste, ha-beka'im; p. 374, §17, l. 4, supprimer zo; l. 9, supprimer min ha-shamayim im min {y} — ha- shamayim; l. 11, rd, lire {rd} (annulation du copiste); ib., §18, l. 2, aÌarkakh: lire aÌar kakh; l. 3, aÌarkakh: lire semble-t-il aÌarken; l. 6, ken: lire semble-t-il kakh; l. 7, wd: {wd}; l. 11, te‘unim: te‘unin; l. 13, bo: {bo}; p. 484, §40, l. 7, we-amarti li: we-amart{i} li (donc, corrigé [par le copiste?] en we-amarta). JTS 8195: p. 213, lire p. 83 et non «83v»; l. 2 shib‘ah: shebu‘ah; p. 375, l. 6, lô: lire lo'. Rien de tout cela n'est sans doute très grave, mais cela contredit l'intention de rendre compte du moindre détail par des éditions quasi-diplomatiques (p. XLIV-XLVI) et rend quelque peu incertaines les observations que, prenant appui sur ce dossier d'édition inachevée, le linguiste pourrait faire à la place de l'Éd. et qui sont peut- être le meilleur parti qu'on puisse tirer d'un tel ouvrage. Encore un regret: l'ab- sence d'index et de glossaire, même sélectif. Jean-Pierre ROTHSCHILD

Meyer I. GRUBER. — Rashi’s Commentary on Psalms 1-89 (Books I-III), with English Translation, Introduction and Notes, Atlanta, Scholars Press, 1998, 568 pages («University of South Florida Studies»).

Cette édition de l’exégèse de Rashi sur les Psaumes à partir du manuscrit Vienne 220, traduite en anglais et annotée, est d’un grand intérêt. La présentation est claire et les nombreuses notes ont pour but d’éclairer un lecteur parfois déconcerté par la forme laconique de l’exégèse de Rashi. Meyer I. Gruber justifie toujours l’utilité1 1. Voir note 7 à propos de Psaumes XXXIII: «Rashi here explains that the rare verb hisgîah, which is attested only three times in the Hebrew Bible (Is. 14:16; Ps. 33:14; Cant. 2:9) is a synonym of the commonly attested hibbît». NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 301 de la glose et le raisonnement qui la sous-tend. Il élargit aussi le champ de connais- sances du lecteur en mentionnant des sources traditionnellement associées au texte glosé, sans que ces dernières figurent pour autant dans le commentaire de Rashi. Enfin, il n’hésite pas à souligner la méconnaissance qu’avait Rashi de certaines for- mes linguistiques2. Cette traduction commentée permettra certainement à des lec- teurs peu familiers de l’exégèse rabbinique d’aborder ce type de texte et d’en com- prendre la logique, même s’ils ne possèdent pas le savoir nécessaire à son intelli- gence. En ce sens, et c’est une bonne chose, l’auteur apporte aux non-initiés la pos- sibilité d’apprécier pleinement les subtilités du commentaire de Rashi sur les Psau- mes. Cette traduction est précédée d’une longue introduction3 sur la vie de Rashi, la qualité de son œuvre et ses méthodes exégétiques. Puis l’auteur explique les raisons qui l’ont poussé à traduire le commentaire de Rashi sur les Psaumes. On retiendra notamment sa réflexion sur la place qu’occupe ce livre dans le monde judéo-chré- tien, et sur la qualité de cette exégèse, une des meilleures de Rashi après celle de la Genèse, d’après H. Hailperin cité par Meyer I. Gruber4. L’auteur expose ensuite la méthodologie de la traduction ainsi que le but de l’ouvrage, avant de citer les divers travaux antérieurs à son livre. En dernier lieu, il justifie le choix du manuscrit Vienne 220 pour l’édition du commentaire. Le lecteur s’étonnera cependant du parti pris de l’auteur, qui s’écarte de la date de 1040 communément acceptée par les spécialistes comme étant l’année de nais- sance de Rashi pour retenir à la suite de V. Aptowitzer (1938), H. Hailperin (1963) et E. Shereshevsky (1982), la date de 1028 que transmet la tradition. Cette question a pourtant été définitivement tranchée par Avraham Grossman dans The Early Sa- ges of France: Their Lives, Leadership and Works5, ouvrage que Meyer I. Gruber ne cite pas. Surprenant également est l’exercice apologétique auquel se livre notre auteur pour prouver que Rashi avait intégré l’idée d’un parallélisme biblique, thèse réfutée par deux spécialistes de Rashi, James Kugel et Benjamin Gelles. En dépit des défauts de l’introduction, cet ouvrage, par la qualité de la traduction et de l’apparat critique, s’avérera fort utile à un public large et varié. Judith KOGEL

Aleph. Historical Studies in Science and Judaism, 1, 2001, Jérusalem, The Hebrew University of Jerusalem [editorial office: The Sidney M. Edelstein Center, The Hebrew University of Jerusalem, Givat Ram, 91904 Jérusalem, Israël], 351 pages.

Nous sommes heureux de signaler cette nouvelle revue, de langue anglaise, dirigée par M. Gad Freudenthal, directeur de recherche au C.N.R.S. et collaborateur de la REJ. Elle vient à point nommé répondre à un récent développement, suscité notamment, selon nous, par les travaux récents de Y.Ts. Langermann et de M. Zonta, tous deux membres du comité de lecture d'Aleph, du thème qu'elle illustre. Le pre-

2. Voir note 9 à propos de Psaumes XIV: «Rashi treats Yitten as a future indicative, ignoring the appearance of Yitten here as a part of the idiomatic expression mî yitten». 3. Pp. 1-43. 4. Voir note 37, p. 18. 5. Jérusalem, The Magnes Press, 1995. 302 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES mier numéro se signale par sa haute qualité, qui fait seulement craindre qu'un tel niveau ne puisse être maintenu facilemement sur autant de pages chaque année. Essentiellement axé sur le moyen âge il contient les articles de fond suivants: B.R. Goldstein, «Astronomy and the Jewish Community in Early Islam»; Sh. Sela, «The Fuzzy Borders Between Astronomy and Astrology as Reflected in the Thought and Work of Three Twelfth-Century Jewish Intellectuals» [Abraham bar Hiyya, Abraham Ibn Ezra, Maïmonide]; R. Fontaine, «The Reception of 's Meteorology in Hebrew Scientific Writings of the Thirteenth Century» [Otot ha- shamayim de Samuel Ibn Tibbon, RuaÌ Ìen, les encyclopédies Midrash ha- Ìokhmah de Juda b. Salomon ha-Kohen de Tolède, De‘ot ha-pilosopim de Shemtob Ibn Falaquera, Sha‘ar ha-shamayim de Gershom b. Salomon]; S. Stroumsa, «“Ravings”: ' Concept of Pseudo-Science»; D. Schwartz, «From Theurgy to Magic: The Evolution of the Magical-Talismanic Justification of Sacri- fice in the Circle of Nahmanides and his Interpreters»; Sh. Volkov, «Jewish Scien- tists in Imperial Germany». Notes brèves: R. Glasner, «Zeno of Elea's Argument from Bisection: Newly Discovered Evidence in a Hebrew Translation of Aver- roes»; T. Lévy, «Hebrew and Latin Versions of an Unknown Mathematical Text by Abraham Ibn Ezra»; M. Zonta, «New Data on Judah Messer Leon's Commen- taries on the Physics»; Y.Ts. Langermann, «From my Notebook. 1. An Unknown Medieval Hebrew Astronomical Treatise. 2. Tekunat ha-hawayah by Meir b. Moses Judah Loeb Neumark of Nicolsburg». Il n'est pas, si l'on ose dire, jusqu'à l'actualité nécrologique qui ne soit d'un intérêt exceptionnel, puisque la disparition de la figure hors du commun de R. Yosef KafaÌ (QafiÌ) z˝l (1917-2000), le traducteur en hébreu de Sa‘adia Gaon et de Maïmonide, a donné lieu à un «Memo- rial Tribute» de Y.Ts. Langermann, aussi émouvant que pénétrant en ce qui concerne la place des sciences dans les milieux orthodoxes orientaux. De très succinctes notes bibliographiques signalent dix ouvrages portant strictement sur le domaine couvert par la revue. Jean-Pierre ROTHSCHILD

Amira ERAN. — Me-emunah tamah la-emunah ramah. Haguto ha-qedammaymo- nit shel R. Abraham Ibn Da'ud («From Simple Faith to Sublime Faith. Ibn Daud's Pre-Maimonidean Thought»), s.l., Hakkibutz Hameuchad, 1998, 331 pages.

Vise à faire connaître à un public élargi l'œuvre négligée d'Ibn Daud, La foi exaltée (1161), sans traiter au fond la question de l'influence peut-être exercée sur Maïmonide, qui recoupe celle du rapport à la source avicennienne. En cas de doute sur l'interprétation, Ibn Daud a été ici compris selon la ligne du philosophe arabe. Négligé, Ibn Daud a pourtant contribué de façon décisive à poser parmi les juifs les questions nouvelles et spécifiques de la philosophie religieuse: celles du principe unitaire de l'ordre de la nature et de son caractère naturel ou transcendant, de l'éter- nité ou de la création continuée de ses lois, de la cognoscibilité de leur principe, du libre arbitre, des aptitudes du chef politique, de la place de l'homme dans la créa- tion. Son projet n'est pas de conciliation car il tient que les différences entre la philo- sophie et l'enseignement révélé ne sont qu'apparentes et que c'est la seule faiblesse NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 303 de l'entendement humain qui l'empêche d'en percevoir l'unité. Il examine tour à tour les principes fondamentaux de la philosophie scientifique, les concepts reli- gieux fondamentaux, morale et société idéale selon la Torah. Il indique au début qu'il veut résoudre la contradiction du libre arbitre humain et de l'omniscience di- vine et, bien que cette question paraisse reléguée ensuite aux marges, elle subsume en fait les trois moments de son livre: la philosophie seule surmonte les contradic- tions scripturaires; si l'homme n'est libre, comment pourrait-il être puni, s'il l'est, comment Dieu serait-il dans l'ignorance de l'avenir? Enfin, conséquences pour la conduite pratique des discussions précédentes: fonder le principe de la morale, qui doit être moins la que le libre arbitre. À ces trois moments correspondent les parties du présent livre, «le modèle philosophique», «la conception de la foi», «la réconciliation de la foi et de la philosophie». Le plan suivi par Ibn Daud rap- pelle l'abrégé de la Shifa d'Avicenne, divisé en physique et métaphysique, seule- ment physique et métaphysique sont réunies dans son premier livre et le deuxième, dévolu aux principes de la foi; quant au troisième, son programme, la refu'ah nafshit, rappelle le titre même de la Shifa et son contenu, la fin de l'abrégé. La différence entre la révélation et la philosophie est la même qu'entre une lettre privée et un livre qui s'adresse à tous. La vraie démarcation est entre ce qui relève de l'intellection et le donné sensible, entre l'un et le multiple, entre intelligence agente et matière soumise à l'action, dont les rapports sont l'objet de sa philoso- phie. Les difficultés apparentes viennent d'une intellection insuffisante. En fin de compte, l'opposition s'estompe entre le point de vue épistémologico-intellectuel et le point de vue ontologico-existentialiste. La question de la foi devient une question de philosophie de la connaissance. Ainsi, Ibn Daud ne pose pas la question classi- que de la création et de l'éternité du monde mais celle de la continuité des niveaux passif et actif de l'échelle de l'existence; de même, sa philosophe de la prophétie scrute les degrés de la connaissance, de la vision obscure à la perception claire, de la sujétion au corps à l'explication spirituelle. Créature naturelle mais usant du libre arbitre, l'homme résume cette «harmonie» du monde; l'intuition fondamentale de ce système apparemment trop simple est celle d'une gradation nécessaire de l'être s'éloignant du premier principe à défaut de laquelle celui-ci retomberait sur lui- même, la création serait avortée; c'est à condition de cet éloignement même, pro- gressif, de la perfection, que la création peut être qualifiée de «bonne». C'est pour- quoi la question du libre arbitre peut apparaître à Ibn Daud comme celle qui engen- dre les autres, plaçant l'homme en position décisive dans cette gradation. Le libre arbitre se fonde chez lui sur l'existence d'un possible, non reconnue par le détermi- nisme absolu de la tradition aristotélico-musulmane; mais son apport a été négligé sur ce point car il n'y a pas consacré une section spécifique de son ouvrage, le pré- sentant comme une évidence (analyse fort différente de R. Krygier, p. 57-61 de son ouvrage présenté plus bas). La connaissance divine implique nécessité; la non connaissance, l'impossibilité; en vertu du principe précité de gradation du créé, l'état intermédiaire doit exister, et quant aux degrés de détermination des choses, et quant à ceux de l'action humaine: c'est celui du possible, particulier non déterminé d'avance. De même encore, entre la non-existence absolue et la chose s'interpose la non-existence capable de forme: à la façon dont l'oiseau qui naît d'un non-oiseau ne naît pourtant que d'un œuf et de rien d'autre. Ainsi la volonté de l'homme n'ap- paraît-elle plus comme une exception et une contradiction à l'ordre du réel mais comme une de ses parties. Il peut se faire l'associé actif de l'ordre cosmique. Cette 304 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES hiérarchie de l'existence est dynamique, en ce que le principe de l'amour permet de s'y élever du matériel au spirituel; à cet égard, le critère du savoir de l'intellect n'est pas, même du point de vue philosophique, le plus élevé, mais c'est celui de l'amour de l'âme qui assume le service divin jusque dans les moindres degrés de la création. L'A., ayant dégagé cette ligne de force ou cette intuition fondamentale, juge avec vraisemblance avoir mis au jour un principe d'organisation de l'œuvre que d'autres critiques estimaient lui manquer. Ibn Daud, selon cette lecture, tient lui-même une position jugée intermédiaire entre aristotélisme et aristotélo-platonisme. Jean-Pierre ROTHSCHILD

Shlomo SELA. — Astrologiyah u-farshanut ha-Miqra' be-haguto shel Abraham Ibn ‘Ezra («Astrology and Biblical Exegesis in Abraham Ibn Ezra's Thought»), Ramat-Gan, Bar-Ilan University, 1999, 420 pages.

Ouvrage très important et très précisément informé sur le plan de l'histoire des sciences, qu'il aurait incombé à d'autres que nous de recenser en détail et de façon critique, dans lequel sont étudiés les emprunts d'A.I.E. à «Ptolémée», — la figure mythique du «roi» Ptolémée des Arabes, nommé tel pour la supériorité de sa science —, accompagné d'autres sources: Messalah, al-Kindi, al-Batani, Azarqiel, Tabat b. Qorah, al-Sufi, Ibn Yunus, etc. Ibn Ezra a cherché à légitimer l'étude des sciences en les présentant comme cultivées puis perdues par Israël, ce dont témoi- gnerait l'ancien lexique, y compris biblique, de l'hébreu, la présence des fonde- ments des doctrines scientifiques dans la Bible, ce pourquoi le «roi Ptolémée» (!) l'aurait fait traduire, l'écho même dans la Bible des différentes écoles scientifiques et des diverses sciences (astrologie, médecine, physique, magie); BeÒalel est le type de l'homme de science aux compétences variées (ad Ex. 31, 3). Cependant l'ensei- gnement des sciences n'est pas l'objet premier des textes sacrés, qui comportent des niveaux scientique, naratif et, plus profondément, théologique. Alors que le texte biblique s'adresse tour à tour à qui possède un maître, ou est capable d'intellection, et à qui n'a pas ces moyens (long comm. à Ex. 20, 2; 20, 18), lui-même s'adresse au premier type de lecteur. Quant à ce que «la Torah a parlé le langage des hom- mes», principe talmudique énoncé pour indiquer que tout détail du texte biblique ne requiert pas une exégèse, alors que le regretté A. Funkelstein y voyait la raison pour laquelle une minimum seulement d'enseignements scientifiques y figurait, A.I.E. y lit une réaction apologétique pour justifier les anthropomorphismes vis-à-vis des chrétiens et des musulmans et suit lui-même cette ligne pour les expliquer (long comm. à Ex. 19, 20). Reprenant des éléments scientifiques puisés dans le milieu d'al-Andalus, A.I.E. fournit aussi du nouveau qui suppose immersion dans un vrai milieu scientifique et qu'il développe de façon spécifique et plus poussée dans le cadre exégétique et théologique qui est le sien: ainsi des cent vingt combinaisons des planètes, incon- nues jusque-là dans l'exégèse et auxquelles il découvre des significations théologi- ques ignorées des seuls astronomes. Ses écrits scientifiques se bornent à transmettre la science andalouse aux communautés françaises, italiennes et anglaises qui l'igno- raient. En revanche, les excursus ou «articles» scientifiques insérés dans ses com- mentaires exégétiques ou ses monographies théologiques ouvrent souvent des voies NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 305 scientifiques nouvelles, outre le rôle éminent de ses écrits dans le développement de l'exégèse. Cela ressortit à l'histoire des sciences entre tradition grecque et révolu- tion copernicienne, dans la mesure où il s'agit, en y intégrant le donné scripturaire, de mettre les théories scientifiques en état de rendre compte d'un plus grand nom- bre de cas, comme chaque fois que se prépare une «révolution» scientifique, et d'un de ces changements d'image du monde qui en sont aussi le point de départ, A.I.E. ayant importé l'image du monde ptoléméenne dans des communautés euro- péennes qui ne la connaissaient pas, ce qui fut une des composantes importantes de la renaissance scientifique du XIIe s. Quant aux grands points de doctrine ordinairement agités entre philosophes et te- nants de la tradition, en matière de liberté et de Providence, A.I.E. se montre conci- liateur en tenant pour un déterminisme relatif (long comm. à Ex. 6, 3): comme le disent les savants musulmans, les grands événements sont liés à des conjonctions astrales; cependant, Dieu même y introduit des entorses au déterminisme astral; comparable harmonisation se passe en géographie, où sont adoptées les notions de méridiens, d'œcoumène et des sept climats, cependant que Jérusalem est tenue pour le centre du monde habité, d'où la droiture et la sagesse des habitants de ce climat du milieu; en fait de création, il n'y eut aucun temps avant celle des luminaires, mais elle ne concerne que le monde sublunaire. Les analyses du corps de l'ouvrage, techniques et méticuleuses, se divisent en deux grandes parties: la conception du temps historique: le texte exégétique en face du texte scientifique; la conception de l'espace géographique: entre la langue hébraïque et l'astrolabe. Elles sont suivies de quatre annexes, d'une bibliographie (p. 379-398), d'un index des noms (personnes, titres et lieux) et des matières et notions. Jean-Pierre ROTHSCHILD

René LÉVY. — Maïmonide, Lettre sur l'astrologie, traduit de l'hébreu et annoté, Paris, Éditions Allia, 2001, 45 pages.

En 1195/6, Maïmonide répondit à une interrogation des sages de Montpellier concernant la validité de l'astrologie, par sa Lettre sur l'astrologie, rédigée en hé- breu. On sait qu'il s'opposait de façon catégorique à l'astrologie, y voyant un non- sens scientifique (position courante, comme il le dit lui-même, parmi les philoso- phes), qui, de surcroît, confine à l'idolâtrie. Ce document intéressant est traduit ici en français pour la quatrième fois (p. 41). Son examen nous incite cependant, à no- tre regret, à appeler de nos vœux une cinquième traduction, dont on espère qu'elle sera «la bonne». Nous n'étalerons pas ici tous les à-peu-près de la traduction, ses oscillations per- manentes entre traduction approximative et paraphrase. Nous nous contentons de donner un seul exemple d'un contresens qui attribue à Maïmonide des propos aux antipodes de ses certitudes les plus centrales. Après avoir affirmé que l'astrologie est «pure sottise», Maïmonide l'oppose à l'astronomie qui, elle, est une science valable. Maïmonide caractérise le contenu de l'astronomie par une énumération des variables qu'elle étudie, dans une phrase tra- duite ici de la façon suivante: «Sachez, mes maîtres, que l'astronomie, elle, est une science certaine, et c'est la connaissance de ce qu'est la nature des astres, de ce que 306 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES sont leur nombre, leur grandeur et leur mouvement….» (p. 13, souligné par nous). Or quiconque a lu attentivement le Guide des égarés, ou une partie des discussions récentes à son sujet, sait à quel point Maïmonide insiste sur l'impossibilité, pour l'homme, de connaître la nature des corps célestes: «Quant à tout ce qui est dans le ciel, l'homme n'en connaît rien, si ce n'est ce peu de choses mathématiques. […] Dieu seul connaît parfaitement la véritable nature du ciel, sa substance, sa forme, ses mouvements et leurs causes» (Guide II, 24; trad. S. Munk, t. II, p. 194). Il est exclu que dans la Lettre sur l'astrologie, datant de la même période que le Guide, Maïmonide ait changé soudainement d'avis de fond en comble. En effet, ce que Maïmonide affirme dans la Lettre est que l'astronomie procure la connaissance de la figure — entendez: figure géométrique — des astres. Certes, Maïmonide em- ploie ici le terme hébreu Òurah, qui désigne par ailleurs la forme, au sens aristotéli- cien, d'une chose et qui, alors, est souvent synonyme de «nature». Mais attribuer à Maïmonide l'idée que l'astronomie étudie la «nature des astres» est méconnaître totalement sa pensée sur un sujet fondamental, qui a fait couler beaucoup d'encre. De fait, en arabe, Maïmonide emploie le terme de shakl et non celui de Òurah pour désigner cette notion: voir par exemple Guide 1, 34, troisième cause; éd. QafaÌ, t. I, p. 76; Samuel Ibn Tibbon le traduit avec perspicacité par le mot hébraïque tabnit. À la fin de l'ouvrage on trouve une «notice» sur la vie de Maïmonide (une page et demie), une autre sur l'astrologie (deux pages), et quelques mots sur la Lettre et ses répercussions. Tout cela est bien trop bref et incomplet et l'on s'inter- roge sur ce qui a bien pu motiver la publication de cet opuscule. En revanche, la fabrication matérielle de ce petit ouvrage de dimensions réduites (17x10 cm) est bien réussie. Gad FREUDENTHAL

Rivon KRYGIER. — À la limite de Dieu. L'énigme de l'omniscience divine et du li- bre arbitre humain dans la pensée juive, [Paris], Publisud, 1998, 346 pages («Genèses/Sociétés et cultures juives»).

Nous signalons avec un regrettable retard ce livre important. La question du libre arbitre se pose au moyen âge dans les termes suivants: comment concilier la liberté des choix humains, qui implique qu'une partie des futurs soient contingents, avec l'omniscience divine qui, si elle est complète, semble les déterminer d'avance, puisqu'il n'y a de science (du moins digne de Dieu) que certaine? Ce travail, issu d'une thèse, couvre l'intégralité de la question dans la philoso- phie juive. Il présente d'abord (ch. I) une vue générale sur son traitement dans la Bible, la littérature talmudique, le judaïsme hellénistique, les premiers auteurs mé- diévaux dont les solutions sont jugées rudimentaires (les ge'onim Saadia et Haï, Bahia Ibn Paqquda, Juda ha-Lévi, Abraham Ibn Ezra, Abraham Ibn Daoud). Il se concentre ensuite sur les solutions de Maïmonide, Gersonide et Hasdaï Crescas, objet chacune d'un long chapitre. Le «bilan» du dernier chapitre est complété d'un «épilogue» où est proposée une théologie «alternative» nourrie des apports de la kabbale, du hassidisme et de la théologie contemporaine (H. Jonas, H. Küng) et fondée sur l'idée d'interaction dynamique entre l'homme et Dieu, trop (p. 230-262) ou trop peu développé à notre sens, car cette théologie de remplacement, elle-même NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 307 plurielle et difficile, serait la matière d'un autre livre. Il est peut-être dommage, voire fâcheux, de terminer une étude qui portait avant tout sur des philosophes en laissant le dernier mot à G. Scholem, même s'il ne s'agit nullement de sceller une capitulation de la raison devant la mystique mais plutôt de promouvoir à la faveur des textes de kabbale une rationalité qui se veut plus subtile. Douze appendices (cinquante pages) fournissent des développements particuliers qui, en leur lieu, eus- sent entravé le mouvement général, notamment «La vision du Cosmos selon Maïmonide», «Les solutions de quelques penseurs juifs du XIIIe au XVe siècle», «Trois interprétations modernes sur le déterminisme chez Crescas». Il ne nous appartient pas de remettre en cause ici, en quelques mots, ce que l'A. présente implicitement comme la défaite de la philosophie juive classique; nous nous contenterons de caractériser chacun des points de vue des trois auteurs qu'il a placés au centre de son étude ainsi que l'élément qui leur est commun. Maïmonide présente deux solutions aux antipodes l'une de l'autre, exotérique (dépassement de la contradiction dans une métalogique peu crédible selon l'A.) et ésotérique (par «érosion» des deux termes contradictoires: si Dieu connaît les singuliers, c'est en tant qu'inclus dans les généralités; si l'homme est libre, il n'échappe pas pour autant au déterminisme physique). Gersonide et Crescas «procèdent ouvertement à une réduction sémantique de l'un ou l'autre des deux termes»: le premier défend le libre arbitre et soutient que Dieu n'a pas connaissance du détail, du contingent non généralisable, des décisions humaines. Le second, pour maintenir à tout prix l'inté- grité de l'omniscience divine, renonce à la contingence du libre arbitre. Tous trois, y compris Crescas qui s'en est fait le critique, travaillent dans les limites d'une axiomatique aristotélicienne: on ne saurait attribuer à Dieu une connaissance ac- quise à partir du monde; ni une connaissance des détails en tant que tels; nul pas- sage de la puissance à l'acte n'est possible sans cause extérieure. De la sorte, Dieu ne saurait réagir aux désordres du monde, il est nécessairement le premier moteur impassible d'Aristote (si la contingence est sauvée); ou bien il est le responsable des injustices (s'il est omniscient). C'est ainsi que, reconduit à la fin de son étude devant les termes mêmes du dilemme initial, l'A. voit l'échec de la philosophie médiévale, prédéterminé par ses axiomes indépassables, aboutir à une sorte de pro- cès de Dieu. Il se peut que la philosophie médiévale ait échoué en effet; il se peut aussi que ce qui apparaît comme un échec (encore que l'A. n'use pas de ce terme) pour qui isole la question et la réduit à la nudité de ses termes logiques, se présente différemment aux yeux de celui qui l'envisage comme faisant système avec d'autres (on songe ici à Abraham Ibn Daud, traité brièvement pour une position ju- gée fruste de cette question, qu'A. Eran, dans un ouvrage recensé ci-dessus, regarde pourtant comme la clef de voûte de son œuvre philosophique). L'ouvrage, qui a pourtant bénéficié d'une subvention, est desservi par un manque de travail éditorial: les fautes de frappe sont nombreuses, des longueurs, voire des redites, gênent la saisie des ensembles, la bibliographie, fragmentée par chapitres, est difficile à consulter. D'évidence, on s'est contenté d'imprimer sans préparation le document fourni par l'auteur. Premier traitement d'ensemble de la question pour la philosophie juive, fondé sur une lecture attentive, rigoureuse et sensible aux pro- blématiques philosophiques, il méritait un meilleur sort et aurait dû paraître dans une grande collection d'études de philosophie médiévale. — Il a manqué, vu la date, au moins une référence importante et d'accès facile sur le traitement de la question dans le contexte latin (dans lequel il n'aurait pas été mauvais de rappeler 308 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES qu'elle s'est posée avec assez d'acuité pour être un des points de départ du pro- testantisme): J.-F. Genest, Prédétermination et liberté créée à Oxford au XIVe siè- cle. Buckingham contre Bradwardine, Paris, Vrin, 1992. Jean-Pierre ROTHSCHILD

Steven HARVEY (éd.). — The Medieval Hebrew Encyclopedias of Science and Philosophy, Dordrecht etc., Kluwer Academic Publishers, 2000, XI + 547 pa- ges («Amsterdam Studies in Jewish Thought», 7).

Ce volume résulte d'un colloque tenu à l'Université Bar-Ilan en 1998. Le pre- mier à être consacré aux encyclopédies hébraïques du moyen âge, qui demeurent, pour l'essentiel, inédites, et en particulier à celles du XIIIe s., il consacre aussi deux sections, sur six, aux encyclopédies produites en Chrétienté et en Islam. L'introduc- tion de l'Éd. fait l'historique des études: à la fin du XIXe s. Steinschneider, HÜ, avait analysé les quatre principales encyclopédies hébraïques (les pages qu'il leur avait consacrées font ici l'objet, en fin de volume, d'une traduction annotée de Charles H. Manekin) mais son travail est demeuré longtemps sans écho, à l'excep- tion de l'article célèbre de H.A. Wolfson sur la classification des sciences dans la philosophie juive médiévale, en 1925; Mme Colette Sirat, en 1975 et dans les ver- sions ultérieures de son histoire de la philosophie hébraïque, a introduit cet objet d'étude que n'avaient inclu ni I. Husik, ni J. Guttmann, ni G. Vajda; depuis lors et singulièrement depuis les années 1990, les travaux de l'Éd. sur Shemtob Ibn Falaquera, de R. Fontaine, de M. Zonta ont convergé avec ceux qui étaient menés sur les encyclopédies latines. Sans presser trop la définition, l'encyclopédie médié- vale (le terme est évidemment anachronique) se caractérise en général par son éten- due, son caractère de compilation organisée mais dépourvue d'analyses nouvelles, son public et ses usages: un ouvrage de vulgarisation, de consultation et non de lec- ture; il y a lieu de distinguer à ce propos entre l'intention de l'auteur et l'usage ef- fectif. J.B. Voorbij, présentant les quatre grands encyclopédistes latins du XIIIe s. (Alexandre Neckam, Barthélemy l'Anglais, Thomas de Cantimpré et Vincent de Beauvais) et E. Albrecht, se concentrant sur ce dernier et sur les sources gréco-ara- bes des encyclopédies latines, font apparaître une destination à l'usage des prédica- teurs et des procédés d'organisation très différents de ceux de leurs contemporains hébreux; d'ailleurs, leur influence se fit sentir trop tard pour avoir pu déterminer l'activité des encyclopédiste juifs (Voorbij). Plus anciennes (Xe s.), les encyclopé- dies scientifiques arabes, objet d'une présentation générale d'H.H. Biesterfeldt, eurent bien plus d'influence mais Ch.E. Butterworth exclut de la définition les auteurs, d'Aristote à Averroès, qui, tout en couvrant l'étendue des savoirs, ne les vulgarisent pas. Quatre études sont consacrées aux premières encyclopédies hébraïques: J. Woolf présente comme telle le Mishneh Torah de Maïmonide, eu égard à sa qualité de re- cueil de toute la science du droit juif. M. Rubio traite des Yesodey ha-tebunah u- migdal ha-emunah d'Abraham Bar Hiyya, la première encyclopédie scientifique et théologique en hébreu, perdue ou jamais écrite pour l'essentiel, comme inspirée par la volonté de faire partager une conception unitaire des sciences. Sh. Sela tient que les plus de vingt ouvrages scientifiques d'Abrahm Ibn Ezra résultent d'un projet encyclopédique, en dépit de l'autonomie de chacun d'eux sous son titre propre, pour autant qu'ils sont complémentaires et, ensemble, exhaustifs, se faisant écho, NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 309 peu novateurs et organisés pour faciliter l'accès du profane à la littérature scientifi- que. Appartenant déjà au XIIIe s., la Liweyat Ìen de Lévi b. Abraham de Villefran- che n'avait pas été examinée par Steinschneider; en dépit de sa conservation frag- mentaire, W. Harvey montre qu'elle visait à mettre le lecteur en état de lire le Guide des égarés et soutient que c'est pour avoir vulgarisé avec succès la philoso- phie que Lévi fut inquiété plus que tout autre philosophe, et même par d'autres phi- losophes, tenants de l'ésotérisme. Deux sections sont consacrées aux encyclopédies majeures du XIIIe s.: l'une, à leurs sources et structures, l'autre à leur contenu par disciplines. R. Fontaine traite du Midrash ha-Ìokhmah de R. Juda b. Salomon, S. Harvey des De‘ot ha-pilosofim de Falaquera, le plus explicite sur ses intentions de compilateur, J. Robinson (qui termine une thèse sur Samuel Ibn Tibbon à l'université de Harvard), du Sha‘ar ha- shamayim de Gershom b. Salomon, de beaucoup plus de diffusion et d'influence que les deux autres, soit directement soit à travers les Shebiley ha-emunah de Meir Aldabi, et la seule à avoir été imprimée. Le traitement par discipline est assuré par Ch. Manekin pour la logique, incluse dans le seul ouvrage de Juda b. Salomon qui exclut d'ailleurs Topiques, Réfutations sophistiques, Rhétorique et Poétique; Manekin traite aussi de la logique dans le Maqâsid al-falâsifah d'al-Ghazâlî, dont les trois traductions connues en hébreu jouirent d'une popularité qu'attestent soixante-dix mss. T. Lévy traite des mathématiques, présentes seulement, si l'on ne tient pas compte d'une section perdue de la Liweyat Ìen, dans le Midrash ha- Ìokhmah, dont l'auteur se montre compétent et créatif en la matière. Le traitement de l'astronomie dans l'encyclopédie du XIVe s. de Moïse b. Juda apparaît, en dépit de son absence de prétention, étonnamment neuf selon R. Glasner. G. Freudenthal s'attache au traitement par Falaquera des difficultés de l'astronomie d'Aristote. Les sections d'astronomie et d'astrologie du Midrash ha-Ìokhmah apparaissent à Ts. Langermann d'une surprenante originalité bien qu'il dépende largement de Ptolé- mée et d'al-Bitrûjî; noter comme il s'ingénie à retrouver dans la Loi le savoir astro- nomique, jusque dans la forme des lettres de celle-ci, et que son ouvrage fut peut- être rédigé en vue de préparer les juifs à la rédemption, que son auteur croyait pro- che selon ses calculs. En psychologie, A. Ivry oppose Juda b. Salomon et Shemtob Ibn Falaquera, qui exposent les vues d'Averroès commentant le De anima d'Aris- tote sans intervenir personnellement ni faire état des conceptions de la tradition juive, à Gershom b. Salomon et à l'auteur du RuaÌ Ìen, qui les placent dans une «ambiance juive»; comme cela a été noté pour les mathématiques, Ivry indique que l'exposé n'est nulle part suffisamment clair pour fournir une introduction au débutant, et même qu'il est parfois si laconique qu'il peut avoir été destiné à être complété par un enseignement oral. Pourrions-nous franchir un pas de plus et de- mander, en toute incompétence, si ces ouvrages n'auraient pas pu être destinés à fournir un point d'appui à un enseignement, livres du maître plutôt que de l'étu- diant, de même que les encyclopédies latines étaient à l'usage des prédicateurs et non du «grand public»? Irait dans le même sens le notable souci des encyclopédis- tes juifs, tant au moyen âge qu'à la Renaissance (introduction, p. 24), de se faire l'écho des développements scientifiques récents dans la société non juive. M. Zonta, prenant pour point de départ l'usage réduit de la Métaphysique, trop contestable d'un point de vue religieux, dans la philosophie juive post-maïmonidienne, suppose que Juda b. Salomon renonce à un traitement complet de la théologie devant l'in- suffisance de la Métaphysique d'Aristote à cet égard et voit chez Falaquera une des rares tentatives juives de construire une théologie fondée scientifiquement, avec 310 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES pour résultat une absence de caractère juif; le non traitement pur et simple de la théologie par Gershom b. Salomon procéderait du refus délibéré de la formuler en termes philosophiques. À noter l'absence de traitement de l'éthique ou de la politi- que, pourtant présentes dans les encyclopédies arabes, pour des raisons encore in- connues. E. Eisenmann, qui lui consacre une thèse à Jérusalem, a présenté une encyclopé- die du XIVe s., Ahabah ba-ta‘anugim de Moïse b. Juda Nogah, très fortement in- fluencé par le Guide des égarés, dans une moindre mesure par le commentaire d'Abraham Ibn Ezra sur la Torah; A. Melamed, mettant à jour un article de 1985, deux encyclopédies de la Renaissance, Îey ha-‘olamim de Yohanan Alemanno, écrit à un niveau rhétorique pour le grand nombre et à un niveau théorique pour les savants, et Shil†ey ha-gibborim d'Abraham Portaleone, faisant voir leur parenté bien plus étroite qu'au moyen âge avec les encyclopédies latines. En dépit du manque d'originalité qui est la loi du genre, on ne doit pas sous-esti- mer l'importance des encyclopédies hébraïques du XIIIe s.: comme le note l'Éd. (p. 24-25), au moment où Juda b. Salomon publie la sienne (1247) et même vingt ans plus tard avec Shemtob Ibn Falaquera, très peu de textes de science naturelle étaient accessibles en hébreu; vers 1250 n'avaient été traduits que les épitomés d'Averroès sur les livres d'Aristote: au contraire des encyclopédies latines, celles- ci ont précédé les traductions, alors que celles-là avaient été rendues possibles par elles. Identifier les fins différentes poursuivies par leurs auteurs est d'importance pour déterminer le statut de la philosophie à l'époque; leur rôle dans la formation et la diffusion d'un vocabulaire scientifique fut grand; elles témoignent du développe- ment des problèmes scientifiques. L'essentiel du matériel demeurant inédit, il sem- ble que l'on s'achemine vers des publications partielles de sections par matières plutôt que vers l'édition de chaque encyclopédie d'un seul bloc. Outre celles dont il a été question ici, d'autres attendent encore une première analyse. Plus le matériau accessible et commenté sera abondant et plus on pourra donner des réponses sûres, précises et détaillées aux questions des fins, des fonctions, d'histoire du vocabulaire et des problèmes. D'ores et déjà ce beau volume, fruit de la collaboration des meilleurs spécialistes mondiaux de l'histoire des sciences en hébreu au moyen âge, fournit une somme extrêmement instructive. On regrettera seulement que ce livre soigné (qui s'en plaindrait?), pourvu de tous les index souhaitables (des lieux [Bi- ble, Talmud, Aristote, Maïmonide], des titres [rabbiniques, grecs et latins, musul- mans, juifs, chrétiens], des noms [anciens, médiévaux et modernes; contempo- rains], des sujets), peut-être plus volumineux qu'il n'était raisonnable, ne soit pas, du fait de son prix (239 dollars; 204 unités de la monnaie paneuropéenne), près d'être sous la main de tous ceux qui rêveraient d'en faire un usuel. Jean-Pierre ROTHSCHILD

Christoph MIETHING (éd.). — Politik und Religion im Judentum, Tubingue, Nie- meyer, 1999, X + 296 pages («Romania Judaica. Studien zur jüdischen Kultur in den romanischen Ländern», 4).

Dix-huit textes résultant d'un congrès réuni à l'université de Münster en mai 1998 à l'occasion des cinquante ans de l'État d'Israël et regroupés en trois parties: «pensée politique»: D. Banon, «Pour sortir de la crise: séparer la religion et l'État?»; M. Kriegel, «Réflexion philosophique et appartenance identitaire chez les NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 311 penseurs juifs médiévaux»; P. Bouretz, «La crise théologico-politique du judaïsme moderne: sur les fondements de la pensée politique de Leo Strauss»; Chr. Mie- thing, «Franz Rosenzweigs “Messianische Politik”. Anmerkungen zum Problem der politischen Theologie»; A. Kilcher, «Kafka, Scholem und die Politik der jüdischen Sprachen». — «Histoire et société»: A. Guetta, «Le mythe du politique chez les Juifs dans l'Italie des Cités»; F. Raphael, «Une entrée singulière dans la modernité: les Juifs d'Alsace du XVIIIe au XXe siècles [sic]»; B. Philippe, «Les Israélites français et la Révolution de 1848»; R. Azria, «Identités juives et dias- pora. Le paradigme diasporique à l'épreuve de la modernité»; É. Meir, «The Chal- lenge of Religious Education in the Secular State of Israel»; G. Fubini, «Loi juive et loi de l'État: à la recherche d'une solution du conflit». — «Le sionisme»: M. Zuckermann, «State and Religion: An Aporetic Relationship in Zionism»; M. Cavarocchi Arbib, «Sionisme et mysticisme: la controverse entre Gershom Scholem et Isaac Breuer»; A. Raz-Krakotzkin, «The Golem of Scholem — Mes- sianism and Zionism in the Writings of Rabbi Avraham Isaac HaKohen Kook and Gershom Scholem»; M. Brumlik, «Der jüdische Fundamentalismus»; M. Halévy, «Sioniste au parfum romanesque. La vie tourmentée de David Shaltiel (1903- 1969)»; B. Rother, «Sephardim of the Balkans and Zionism»; H.-J. Stuckstätte, «Abschlußbericht über die Podiumdiskussion “50 Jahre Israel — Vorgangenheit und Zukunft” (19. Mai 1998)». De cet ensemble dans lequel la francophonie se taille la part du lion et dont la diversité chronologique est grande (moyen âge, XIXe siècle, sionisme), on ne dira un mot que des études touchant au moyen âge et à la Renaissance, bien qu'elles ne soient pas les plus nombreuses et que leur articulation à l'ensemble ne soit pas ap- parente à première vue. A. Guetta analyse, p. 119-131, chez trois penseurs juifs italiens, Yohanan Ale- manno (ca 1434-ca 1504), Abraham Portaleone (1541-1612), Simone Luzzatto (1583-1663), trois modalités de l'absence au politique, d'abord attendue, du ju- daïsme exilique: le premier loue une politique non-juive en la rapprochant de celle du roi Salomon; le second projette dans le passé juif les réalités politiques, sociales et militaires de son temps, le troisième réfléchit sur l'universel politique. M. Kriegel (p. 15-35) montre, dans la mouvance espagnole mais surtout dans la tradition farabienne, une véritable philosophie de la religion et une réflexion sur l'histoire, selon des positions diversifiées, sur la base du système maïmonidien des préceptes divins (assurer le bon ordre de la cité, inculquer des vertus morales et faire accéder le philosophe à la vérité), et des difficultés qu'il comporte: Moïse de Narbonne met en avant la gêne causée au philosophe par les anthropomorphismes bibliques liés à un contexte dépassé, Samuel Ibn Tibbon distingue une doctrine de Moïse, non écrite et vraie dans l'absolu, de ses versions écrites d'autant plus impar- faites qu'elles sont plus anciennes, Joseph Ibn Kaspi tient que le sens littéral feint d'épouser les préjugés de ses destinataires (anticipant sur un principe de l'hermé- neutique de Spinoza). À la façon d'Averroès, Isaac Albalag soutient à la fois qu'il est de l'intérêt de la société d'affirmer les doctrines religieuses centrales, et qu'in- dépendamment de cela, elles sont vraies. Isaac Poliqar insiste sur les contradictions des deux premières fins, l'exigence éthique ruinant la construction politique, et de celles-ci et de la troisième. Jacob Anatolio et lui limitent les droits de la philosophie par l'évidence de la pratique et de la supériorité de la Loi de Moïse sur les autres, profession de fidélité qu'Avner de Burgos, qui a fui l'incrédulité juive, dénonce comme insincère chez Poliqar et chez tous les philosophes. 312 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES

P. Bouretz (p. 37-60) procède à une lecture de la pensée politique de Leo Strauss dans and the Crisis of Modernity (recensé in REJ 158, 1999, p. 473-477) qui amène à comprendre sa démarche d'historien de la philosophie et singulièrement de la pensée de Maïmonide à partir de sa question de philosophe cri- tique d'un Hermann Cohen captif sans le savoir de Spinoza, s'il y a des lumières non nécessairement modernes. Cette question de philosophe prend elle-même occa- sion de l'obstacle spinoziste rencontré dans la démarche biographique du jeune Strauss partant de la constatation de l'échec de la solution politique libérale du pro- blème juif et se ralliant au sionisme sans avoir encore vu que celui-ci se situait sur le même terrain. Cette contribution est peut-être, avec celle de Mme Arbib sur Scholem et Breuer (p. 209-222), celle qui lie la gerbe de cet ouvrage d'apparence disparate, en nous montrant la pratique scientifique de l'histoire doctrinale du ju- daïsme enracinée dans une situation sociale des juifs allemands qui la cultivèrent et liée, en la personne de Strauss et en celle de Scholem, à la question du sionisme comme issue. Cet enracinement-là est évidemment matière à réflexion sur notre manière et nos raisons d'étudier la philosophie juive médiévale. Jean-Pierre ROTHSCHILD

David NIRENBERG. — Communities of Violence. Persecution of Minorities in the Middle Ages, Princeton, Princeton University Press, 1996, IX + 301 pages1.

Le cruel Moyen Âge a souvent été décrié pour ses violences encore que les temps modernes n'aient pas grand chose à lui envier dans ce domaine. Les minori- tés en souffrirent particulièrement et nombre d'historiens ont pu s'interroger quant à leur nature véritable. Pour M. N. leurs explications se sont toujours inscrites dans la longue durée, ce qui les a amenés à considérer la formation d'une idéologie, d'une mentalité collective qui se serait constituée au Moyen Âge et se serait main- tenue jusqu'aux temps modernes. La société serait devenue une société persécutrice par essence et les minorités, notamment la juive, en auraient subi les conséquences meurtrières. Des images stéréotypées de l'autre auraient conquis l'imaginaire col- lectif avec les conséquences que l'on sait. Il en est résulté, pour les historiens no- tamment, une tendance bien affirmée qui favorise l'examen des structures mentales collectives au détriment de l'étude des actes des groupes et des individus. Pour re- prendre une expression de l'auteur, «les historiens se conduisent donc comme des géologues à la recherche des processus grâce auxquels des anxiétés collectives se sont associées en un paysage persécuteur qui s'est peu transformé au cours du der- nier millénaire». Son propos sera donc de réfuter cette perspective «structuraliste» et d'étudier les persécutions des minorités dans leur contexte local, social, politique et culturel, en mettant en évidence leur originalité et en montrant l'interdépendance fondamentale de la violence et de la tolérance au Moyen Âge. Pour ce faire l'auteur a volontairement limité le cadre chronologique de son ana- lyse aux trois décennies qui séparent la Croisade des Pastoureaux des premières violences de la Peste Noire. Son cadre géographique ne sera pas moins circonscrit, puisqu'il se limitera au Midi de la France et aux terres de la Couronne d'Aragon, ce qui peut surprendre, étant donné qu'une population juive restreinte venait à peine

1. Cette recension étant sous presse, paraît une traduction française de l'ouvrage: Violence et minorités au Moyen Âge, préf. de Claude Gauvard, Paris, P.U.F., [nov.] 2001, 353 p., (coll. «Le nœud gordien») [N.d.l.R.]. NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 313 de rentrer dans le Midi français dont elle avait été expulsée quelques années aupara- vant, alors même que la stabilité de l'établissement juif en Aragon n'avait pas été menacée. Il est vrai que les Juifs de Provence, qui n'ont pas perdu le souvenir de leur brutale expulsion du Royaume, joueront un rôle relativement secondaire dans son argumentation. L'auteur s'attachera néanmoins à décrire avec la plus grande minutie le déroulement des événements, mais c'est surtout la voix de la violence persécutrice que nous entendrons et très peu celle de la persécution subie. M. N. détectera sans doute les signes d'une certaine convivencia dans la Péninsule, mais il admettra également — malgré un relent de structuralisme — que la violence est un aspect essentiel, systématique de la coexistence de la majorité et des minorités dans l'Espagne médiévale. Il faut rendre grâce à l'auteur d'avoir réussi à restituer avec beaucoup de dili- gence la suite des événements qu'il décrit; tous les historiens de l'Espagne et de ses Juifs ne manqueront pas de reconnaître l'importance de la contribution qu'il a ap- portée à leur étude et il faut espérer qu'il les poursuivra. Reste à savoir s'il a réussi à démontrer la thèse qui est à la base, et peut-être même à l'origine de son ouvrage. On peut en effet se demander si le choix qu'il a fait d'une aire et d'une période aussi circonscrites pour démontrer son propos est de nature à lui permettre de réfu- ter les thèses de ses prédécesseurs: ceux-ci pourront toujours rétorquer que l'exem- ple choisi n'a rien de probant et que l'histoire des Juifs s'inscrit, en bien ou en mal, dans la longue durée, ce qui n'est évidemment pas le cas de leurs voisins et co-per- sécutés les mudejars qui seront appelés à rejoindre un jour leurs frères musulmans indépendants, à moins qu'ils ne se soient ralliés à la majorité chrétienne. Il y a là deux continuités qui n'ont pas grand-chose de symétrique. Le rejet d'une vue téléo- logique de l'histoire exige une vue d'ensemble de cette histoire et ne peut se fonder sur la seule étude d'une période aussi brève. Cela est d'autant plus vrai que les «téléologistes» resteront en mesure d'affirmer que c'est le quotidien qui a servi de détonateur dans l'effacement, passager ou non, de la convivencia, laquelle avait pu faire oublier un certain temps l'existence de courants puissants même quand ils sont devenus provisoiremen souterrains. Relevons dans ce contexte l'ambiguïté qui entoure l'utilisation du terme tolé- rance pour le Moyen Âge. Il semble bien qu'il faille l'identifier ici avec la non-per- sécution. Il n'est pas certain qu'un discours déclarant à quelque minoritaire contem- porain: «Votre vie et vos biens seront saufs, mais n'oubliez jamais votre rang réel dans la société» serait perçu de nos jours comme un bel exemple de tolérance! L'auteur a volontairement limité la nature des sources dont il s'est servi. Nous ne savons pas si les mudejars ont laissé une œuvre ou une documentation écrites, ni s'il est possible de retrouver dans leurs écrits ou dans ceux des témoins musulmans non soumis à la domination chrétienne les échos de l'attitude mentale de ces popu- lations devant les conquêtes chrétiennes. Comment ont-ils apprécié et compris le repli musulman d'une terre qu'ils n'auraient pas dû perdre? Comment ont-ils inter- prété la retraite impossible de l'islam conquérant? Ont-ils rêvé à un retour? Il existe par contre une littérature hébraïque importante, légale, philosophique et poé- tique, qui ne s'est jamais désintéressée des malheurs d'Israël et qui n'a pas manqué de les interpréter, ou tout au moins de proposer des explications. Le recours à de telles sources, et aux sources hébraïques en général, ne saurait être récusé: elles ne devraient pas être occultées, quand bien même l'auteur trouverait leur témoignage stérile, voir inutile. Il vaudrait la peine d'établir si ces Juifs récemment revenus en France ou anciennement établis en Aragon ressentaient leur exil comme un châti- 314 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES ment divin ou un avatar politique. Il y a là une longue durée qu'il n'est pas possible de minimiser: un refus millénaire, constant, du christianisme et de l'islam et les réactions de ces derniers. Les réflexions que nous a inspirées la lecture du fort intéressant ouvrage de M. N. visent bien plus son historiographie que son histoire. L'exiguïté de la période et de l'aire choisies nous les a dictées dans leur grande majorité. Son ouvrage n'en apporte pas moins une contribution importante à leur connaissance et il mérite à ce titre de retenir l'attention de tous les spécialistes. Il faut espérer qu'il pourra élargir son propos dans ses travaux à venir. Il sera alors possible de procéder à un nouvel examen des thèses qu'il a exposées dans ce premier ouvrage. Simon SCHWARZFUCHS

Carlos CARRETE PARRONDO, Marcelo DASCAL, Francisco MARQUEZ VILLANUEVA, Angel SAENZ BADILLOS (éd.), Aviva DORON (coord.). — Encuentros and Desencuentros. Spanish-Jewish Cultural Interaction Throughout History, Tel- Aviv, Tel Aviv University Publishing Projects, 2000, 678 pages.

Actes de trois congrès Howard Gilman tenus à Harvard, Salamanque et Tel Aviv en 1995, 1996 et 1997. Contiennent: Y. Dinstein, «Preface». I. Introduction: F. Márquez Villanueva, «Hispano-Jewish Cultural Interactions: A Conceptual Frame- work». II. «Sefarad and the Sefardíes»: Y.T. Assis, «“Sefarad”: A Definition in the Context of a Cultural Encounter»; Y. Kaplan, «El vínculo prohibido: las relaciones de la “nación sefardí” occidental con Iberia en el siglo XVII». III. In- fluences: M. Idel, « in : Some Cultural Observations»; M. Polliack, «The Spanish Legacy in the Hebrew Bible Commentaries of Abraham Ibn Ezra and Profayt Duran»; S. Klein-Braslavy, «The Concept of Magic in R. Solomon ben Abraham Adret (Rashba) and R. Nissim Gerondi (Ran)»; A. Dotan, «The Vicissi- tudes of Arabic Impact on Hebrew Language Study in the East and in Spain». IV. «Literary Exchanges»: L.M. Girón Negrón, «Huellas hebraicas en la poesía del Marqués de Santillana»; A. Doron, «New Trends in the Conception of Hebrew Poetry in 13th and 14th century Spain in relation to Spanish Literature»; A. Gómez Moreno, «Lírica española medieval y lírica sefardí: entre tradición y poligénesis». V. «Armistead and Sephardic Folklore»: S.G. Armistead, «The Memory of Tri- Religious Spain in the Sephardic Romancero»; M. da Costa Fontes, «Samuel G. Armistead and Sephardic Balladry»; I.J. Katz, «Samuel G. Armistead: Hispa- nist and Spokesman for Sephardic Folklore and Culture». VI. «Crossroads»: E. Gutwirth, «Face to Face: History, Physiognomy and Pictorialism in Selomoh Bonafed»; A. Sáenz-Badillos, «Solomon Bonafed at the Crossroad of Hebrew and Romance Cultures»; R.J. González-Casanovas, «Ramon Llull's Rhetorical Ambi- valence Towards the Jews: Utopia and Polemic in Medieval Iberian Missionary Discourse»; C.H. Rose, «Antonio Enríquez Gómez y el templo de Salomón»; M. Lazar, «Rabbi Moses Arragel as Servant of two Masters: A Call for Tolerance in a Century of Turmoil». VII. «Conversos»: C. Carrete Parrondo, «Mesianismo/ sionismo entre los judeo-conversos castellanos»; M.F. García Casar, «El mundo converso del tribunal de la inquisición de Sigüenza»; D. Gitlitz, «Lucas Fernández y Pierre Menard: El Auto de la Pasión»; F. Márquez Villanueva, «Sobre el con- cepto de judaizante». VIII. «Breakdown»: B. Netanyahu, «The Old-New Contro- versy about Spanish Marranism»; A. Meyuhas Ginio, «The Inquisition in Modern NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 315

Jewish and Spanish Historiography»; A.A. Sicroff, «Spanish Anti-Judaism: A Case of Religious Racism». IX. «A Tolerated Minority»: J. Carrasco, «Las comunidades judías del Reino de Navarra en los primeros siglos de su historia (1076-1276); R. Rein, «Una minoría tolerada: los judíos en la España de Franco». M. Dascal, «Epílogo». — Pas d'index. Jean-Pierre ROTHSCHILD

Moshe HALBERTAL. — Beyn Torah la-Ìokhmah. Rabbi MenaÌem ha-Me'iri u- ba‘aley ha-halakhah ha-mayimoniim be-Probans («Between Torah and Wisdom. Rabbi Menahem Ha-Meiri and the Maimonidean Halakhists in Pro- vence»), Jérusalem, The Hebrew University Magnes Press, 2000, 239 pages.

À partir de la fin du XIIe s., la Provence cesse d'être le centre des études kabbalistiques, remplacée par la Catalogne et la Castille; l'influence de Maïmonide ne cesse de s'y étendre; elle perd son identité halakhique propre, à côté de la France et d'Ashkenaz, pour devenir une province de la mouvance espagnole. Au début du XIIIe s. et à nouveau dans la décennie 1230, elle est le lieu de batailles autour des études philosophiques. La thèse soutenue ici de façon ferme et argumentée est qu'en dépit de la radicalisation bien connue d'éléments maïmonidiens, il a existé aussi en Provence au XIIIe s., à la faveur de la double possibilité de lecture, radicale ou modérée, de l'œuvre du Maître, une tradition bien affirmée, bien qu'interrompue ou ignorée depuis (dans quelles conditions? pourquoi?), de halakhistes philoso- phes, champions d'un maïmonidisme modéré. L'œuvre de l'un d'eux, R. Mena- hem ha-Méïri, qui connaît un destin singulier puisque, totalement oublié jusqu'au XIXe s., son ouvrage principal, le grand commentaire du Talmud Beit ha-beÌirah, jouit d'un succès croissant et est devenu l'un des ouvrages de base dans des acadé- mies talmudiques guère réputées pour leur goût des nouveautés, serait le principal monument de cette école; les écrits des autres maîtres — R. Samuel Shqyyl (Gross, GJ, p. 433), R. Gerson b. Salomon de Béziers, R. Ruben b. Hayyim — étant perdus ou peu s'en faut, ou inexploités (R. Joseph b. Saül, Mezuqaq shib‘atayim), ne sub- siste en outre que le Sefer ha-batim de R. Samuel ha-Kokhabi, récemment édité, matière du chapitre sixième et dernier de cette étude. Les trois premiers ont pour objet la pensée de Méïri: Méïri et la tradition maïmo- nidienne, l'intellectuel et l'homme de foi, la «tolérance» religieuse envers les peuples régis par une loi religieuse. De la tradition maïmonidienne Méïri retient l'interprétation des principes religieux de base (crainte, amour, union) en termes de connaissance spéculative et l'usage de la philosophie comme clef de la aggadah. Il transfère l'application de la méthode allégorique de Maïmonide des textes bibliques à l'homilétique des sages. Appliquée aux préceptes et récits bibliques, il la reçoit tant qu'elle ne met en cause ni la nécessité d'accomplir les commandements (antinomisme de l'exégèse chrétienne), ni l'historicité des événements rapportés. Radicalement hostile à la magie, comme Maïmonide, il tient compte plus que lui des multiples énoncés talmudiques qui semblent y incliner et les désamorce par l'exégèse, tout en réduisant le champ de l'interdit maïmonidien. Sur un sujet comme les rétributions ultimes, il se montre ambigu, alternant ésotérisme et exotérisme dans son commentaire des Proverbes. La différence avec le maïmonidisme radical est plus nette sur le point de l'étude du Talmud: alors que Jacob Anatoli, par exemple, dans le prologue du Malmad ha- 316 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES talmidim, explique que celui-ci ne visait qu'à déterminer la halakhah et que c'est chose faite depuis R. Isaac al-Fassi et le Mishneh Torah de Maïmonide, l'entreprise même de Beit ha-beÌirah témoigne de ce que tel n'est pas l'avis de Méïri: aussi bien est-ce la démarche même des philosophes que de ne rien accepter qu'on ne l'ait vérifié soi-même. Comme les philosophes non talmudistes, il admet que la fin la plus élevée est l'explication des vérités qui rendent compte de la halakhah elle- même, tout en maintenant contre eux que l'étude de celle-ci demeure nécessaire et centrale. Contre les anti-philosophes comme le Rashba, qui tiennent qu'un avis rendu contre ceux des geonim est nul, Méïri limite ce principe à la contradiction avec le Talmud. Mais cette liberté revendiquée pour le raisonnement halakhique va contre l'idée des philosophes non talmudistes que ce qui importe est seulement la décision. Il écrit pourtant son ouvrage en hébreu, comme Maïmonide et à la diffé- rence des talmudistes non-philosophes qui pratiquent l'idiome du Talmud, mêlé d'araméen. La question de la création est une autre occasion de distinguer le Méïri des philo- sophes radicaux en même temps que de le comparer à la scolastique du temps. À la différence de Samuel Ibn Tibbon, il estime que Maïmonide a montré que la création était plus probable, même philosophiquement, que l'éternité du monde. À la diffi- culté soulevée par cet auteur (Yiqqawu ha-mayim) sur la place de l'eau parmi les éléments selon la Genèse, il répond dans son commentaire du Ps. 95, s'appuyant sur les Météorologiques d'Aristote, qu'il n'y a pas lieu de mettre ce récit en doute; il se désigne lui-même comme ba‘al dat, d'un terme employé de façon dédaigneuse par le Tibbonide. Avait-il connaissance des trois courants (averroïste, dominicain, franciscain) d'interprétation de l'aristotélisme en vigueur à l'université de Paris à l'époque? Sans doute, mais similitude ne signifie pas forcément influence, mais solutions comparables à des problèmes identiques, indique prudemment l'A.; si l'on voulait risquer un parallèle avec le courant modéré dominicain de saint Tho- mas d'Aquin, on verrait Méïri demeurer plus proche de l'averroïsme: on ne peut superposer les deux courants «modérés». Le ch. III, sur la «tolérance», reprend une dénomination anachronique et des analyses déjà proposées par J. Katz (Exclusion et tolérance), les illustrant de nou- velles analyses de détail. À propos de la notion de gedurey be-darkey ha-dat, «[peuples] réglés par une loi religieuse», modernes (chrétiens) non visés par les dispositions talmudiques relatives aux idolâtres, l'A. montre brillamment comment une notion d'origine philosophique, le consensus des peuples civilisés sur un petit nombre de principes, se trouve importée dans la halakhah avec de puissances con- séquences pratiques. En ces trois chapitres, l'A. a fait voir l'intégration à différents niveaux de démar- ches et de concepts philosophiques à ceux de la halakhah dans l'œuvre de Méïri, de façon selon nous convaincante. Les deux chapitres suivants, d'un caractère plus historique et sans doute moins originaux, sur la tradition rabbinique maïmonidienne en Provence et sur R. Menahem et la polémique touchant l'étude de la philosophie, relatent, à partir des lettres auxquelles elles ont donné lieu, les querelles du siècle autour des études philosophiques ou des pratiques magiques. Ils servent, avec le chapitre dévolu à R. David b. Samuel, à insérer Méïri dans un milieu. Resterait à s'interroger sur les raisons de l'effacement précoce du souvenir de cette école et de ses écrits. Jean-Pierre ROTHSCHILD NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 317

Eli‘ezer Ze'ev (Lawrence V.) BERMAN (éd.). — Ha-be'ur ha-emÒa‘i shel Ibn Roshd le-Sefer ha-middot ‘al-shem Niqoma'kos le-Aris†o be-targum Shemu'el ben Yehudah («' Middle Commentary on Aristotle's Nicomachean Ethics in the Hebrew Version of Samuel ben Judah»), Jérusalem, The Israel Aca- demy of Sciences and Humanities, 1999, 417 + XIII [anglais] pages («Corpus Averrois. Averroes Hebraicus»).

Le professeur Steven (Shemu'el) Harvey (université du Néguev) a fait œuvre pie et utile en amenant à publication ce travail que son auteur, qui y avait travaillé à partir de 1962, avait laissé orphelin à sa disparition en 1988. Il s'agit d'un moment très important de l'histoire de la science politique médiévale car cette traduction dont le premier état date de 1321, jamais imprimée auparavant et la première du texte d'Averroès à faire l'objet d'une édition moderne, est avec la traduction latine de 1240 due à Hermann l'Allemand le seul témoin du texte arabe, qui n'a pour l'es- sentiel pas été conservé. Trois articles parus en 1967 et une édition synoptique du livre IV (Jérusalem, Académie des sciences, 1981) ont montré comment Berman avait recouru au manuscrit unique de l'Éthique en arabe, nouvellement découvert, et démêlé les différentes révisions de la traduction de Samuel de Marseille, auquel une terminologie inhabituelle avait donné beaucoup de mal, en en attribuant deux à lui-même et trois à d'autres réviseurs. De cette tradition complexe c'est ici l'état initial qui est publié, bien que Berman eût projeté de publier aussi la troisième révi- sion anonyme, l'état du texte le plus éloigné de celui-ci. La discrétion de M. Harvey ne permet pas de prendre la mesure exacte de sa contribution à la présente publica- tion, qu'il présente comme laissée par Berman dans un état proche de l'achèvement, tout en indiquant ce que la mise au point de la traduction des termes techniques et la révision du glossaire hébreu-latin-arabe-grec, le premier dans son genre concer- nant le vocabulaire éthique et politique (p. 361-417), doivent au docteur Caterina Rigo (Jérusalem). La préface de Berman (p. 19-53) présente le commentaire d'Averroès; la pré- sence diffuse de l'Éthique en hébreu, antérieurement à la traduction de Samuel, chez Maïmonide, Ibn Falaquera, dans les traductions d'al-Fârâbî; les circonstances et les caractéristiques de la traduction de Samuel de Marseille, les limites de sa compétence en arabe et les fautes probables du texte arabe qu'il a utilisé (longue liste d'exemples commentés, p. 29-40); la tradition manuscrite de la version initiale (six témoins et leurs relations); le recours aux fragments du texte arabe, au témoin unique de celui de l'Éthique et à la traduction latine du commentaire; l'édition, les notes et le glossaire. Le texte, dont les lignes sont numérotées livre par livre et qui comporte en marge les références à l'édition Bekker de l'Éthique, est pourvu d'un apparat critique et d'un second apparat où l'Éd. justifie ses choix, suppute le texte arabe en cas de dé- saccord de l'hébreu et du latin, examine les désaccords entre ce dernier et la traduc- tion arabe de l'Éthique. Avec cette édition, qui paraît très soignée sous réserve d'un examen plus appro- fondi, c'est un pas très important que le regretté L.V. Berman et ceux qui ont eu le mérite de parachever son travail font accomplir à l'étude de la tradition de l'Éthi- que. Par la force des choses, ce n'est qu'une des versions du texte qui est éditée et l'on pourrait douter que la première fût la plus indiquée, vu les difficultés avouées du traducteur (voir l'introduction, p. 25-29, où il n'est pas clair si ce texte meqori 318 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES est celui de la rédaction initiale de Samuel, en 1321, de sa révision en 1322 ou d'une troisième; nous n'avons pu, pour clarifier ce point, consulter l'introduction de E.Z. (L.V.) Berman, The Hebrew Versions of Book Four of Averroes' Middle Commentary on the Nicomachean Ethics, Jérusalem, 1981); celle-ci a, du moins, connu une ample diffusion et est peut-être la mieux à même de témoigner du texte arabe. Le glossaire quadrilingue des termes de philosophie morale et politique est un apport nouveau et considérable. — Relevés en passant: p. 13, n. 4 et p. IX, n. 4, la référence de l'article de B. Chiesa sur la Summa Alexandrinorum comme source de l'éthique de Shemtob Ibn Falaquera n'est pas «Judentum und Umwelt, XXIX, 1990», titre d'une collection et non d'une revue, mais A. Vivian (éd.), Biblische und judaistische Studien. Festschrift für Paolo Sacchi; p. 46, n. 36, corriger «M.T. d'Alverney… Arch. d'hist. doctr. et litt. du m. â., IL (1983)» en M.-T. d'Alverny… XLIX, 1982 (1983). Jean-Pierre ROTHSCHILD

‘Eli YASSIF (éd.). — Sefer ha-zikhronot hu' Dibrei ha-yamim le-YereÌme'el («The Book of Memory that is The Chronicles of Jerahme'el»), Tel Aviv, Tel Aviv University, The Chaim Rosenberg School of Jewish Studies, 2001, 553 pages, 2 pl. dans le texte.

Édition la plus complète à ce jour, d'après le ms. unique Oxford, Bodl. Lib., Heb. d. 11. D'une longue introduction, un peu diffuse et répétitive mais intéressante, nous extrayons ce qui suit. Cette anthologie en forme de chronique universelle fut compilée à grand peine et à grands frais au moins entre 1327 et 1341, en Allema- gne, principalement par un certain Éléazar b. Asher ha-Lewi. Apparemment fami- lier des métiers du livre quoique ni enseignant ni rabbin, sans doute fils de lettré et descendant d'un élève de Rachi, il eut accès à une littérature qu'on ne trouvait pas dans les institutions pieuses ni les écoles et regarda comme un «devoir sacré» de la préserver de l'oubli, fondant ainsi l'histoire juive sur des sources jamais encore réu- nies. Aussi a-t-il nommé son ouvrage Sefer ha-zikhronot ou S. ha-zikkaron, et énu- méré vingt-sept «livres» dont il se compose (liste p. 18), entendant par là non ses sources mais des sujets. La chronique proprement dite est suivie, dans le ms., par cent trente feuillets de textes divers, réunis par la ou les mêmes mains, ainsi placés, pour les uns, parce qu'ils furent trouvés après la rédaction, pour d'autres, parce qu'ils ne s'inséraient pas dans le fil de l'histoire tout en paraissant devoir être re- cueillis. L'Éd. ne les a pas édités non plus que ceux, dans le corps de la chronique, qui ont été récemment édités à partir de ce même ms. (Geste d'Alexandre, Ben Sira, Sandabar, Mishley shu‘alim de R. Berakhia ha-Naqdan) et surtout que le Yosippon qui y occupait plus de cent feuillets et qu'il a semblé inutile de reproduire après l'édition de David Flusser. On a estimé à la fin du XIXe s. que la source principale avait été fournie par la chronique de YeraÌme'el b. Salomon, composée en Italie du sud à la fin du XIe ou au début du XIIe s. Celle-ci éclaire en particulier des sources inconnues de l'Histo- ria scholastica de Pierre Comestor (XIIe s.): en ce qui concerne la description de la fin des temps, sur vingt et un lieux où la source de ce dernier était inconnue, L.H. Feldman a montré que dix se trouvaient chez YeraÌme'el et avaient dû arriver à la connaissance de Pierre par le milieu des juifs de Troyes. YeraÌme'el était égale- NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 319 ment cité dans ‘Arugat ha-bosem d'Abraham b. Azriel, dans le milieu des Îasidey Ashkenaz, au début du XIIIe s., qui nous fait connaître qu'il comportait aussi une partie grammaticale, non conservée; on a encore la trace de sections de musique et d'astronomie. Il a donc dû s'agir d'un ouvrage encyclopédique. Le S. ha-zikhronot lui doit le Yosippon et des chapitres des Antiquités judaïques (sur Abraham, les Ju- ges) retraduits du latin, toute la partie qu'il nomme Sefer toledot, les commence- ments du monde, de l'homme et du peuple juif, repris presque sans changement. Malgré l'intervalle de deux siècles, les deux compilateurs font un usage très sem- blable de leurs sources, enchaînant des sources hétérogènes selon une conception historiographique analogue. L'influence de YeraÌme'el ne porta donc pas seule- ment sur les contenus, mais aussi sur la méthode et même le style. On est frappé de la façon dont le Sefer intègre des récits de la mythologie païenne et les associe aux récits de la tradition juive, davantage à la manière des écrivains chrétiens que des juifs; il tient ses récits de YeraÌme'el, ils ne faisaient assurément pas partie de la bibliothèque du judaïsme allemand des XIIIe-XIVe s. Son rédacteur indique son intention de sauver des textes qui n'intéressent pas les doctes, mettant en avant une différence entre littératures savante et populaire que signalent d'autres textes d'époque. Il réintègre dans la littérature juive les apocry- phes bibliques (notamment le livre de Judith) et ce, à la différence de la mythologie et comme le Yosippon, durablement. La chronique s'organise différemment des recueils midrashiques (yalqu†im): ici, selon le texte biblique et la succession des versets, là selon les événements; elle re- court aussi à une plus grande diversité de sources, puisées à tous les genres littérai- res, en contradiction avec son propre principe de narration chronologique. Un paral- lèle est proposé avec la chronique universelle qui fleurit alors dans l'Allemagne chrétienne, sur la base d'un même projet de rendre compte de toute l'histoire, du premier homme jusqu'au temps présent, voire jusqu'au jour du Jugement. (Mais YeraÌme'el n'y tendait-il pas déjà, en d'autres temps et lieux?) S'attachant à la composition, l'Éd. retrouve la logique d'enchaînements à pre- mière vue incohérents (exemples p. 52-53). Éléazar pratique la «déconstruction», autrement dit fragmente des récits pour les insérer dans un cadre nouveau, chrono- logique, non plus celui de l'explication midrashique. Il fournit parfois des interpré- tations doubles (sur la destruction du Temple, p. 58-59), joignant à un récit histori- que celui du midrash comme pour indiquer (mais à qui? la question d'un public n'est pas posée au-delà de la citation de recommandations qui ne s'adressent qu'à ses enfants, comme si nulle diffusion hors du cadre familial n'était envisagée) qu'il ne rejette pas l'interprétation traditionnelle: l'Éd. parle d'un «pluralisme» avant la lettre pour aussitôt se rétracter en donnant au terme une acception «non idéologi- que, mais technique». Pourquoi Éléazar a-t-il arrêté sa chronique avant son temps? On suggère qu'il a perçu une continuité entre les persécutions des deuxième et troi- sième croisade, rapportées en dernier lieu, et les temps derniers, sanglants, qu'il annonce ensuite et qui en seront la réparation. Cependant son projet, tout de «conservation» des textes, est jugé dégagé d'intention religieuse, argument contre H. Yerushalmi (p. 63), les objections de Bonfil étant d'ailleurs rappelées; en cela, il s'écarterait aussi de l'historiographie chrétienne avec laquelle les rapprochements n'ont pas manqué dans cette introduction. Pur projet de mémoire, il a aussi pour effet majeur d'intégrer des événements récents (les croisades) au cours général de l'histoire juive. 320 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES

Le texte, présenté avec des notes textuelles et explicatives minimales, est suivi d'un substantiel appendice portant sur les sources et parallèles (p. 453-524) et d'in- dex des abréviations, des titres et général. Jean-Pierre ROTHSCHILD

Juan CARRASCO, Fermín MIRANDA GARCIA, Eloísa RAMIREZ VAQUERO.— Los Judíos del Reino de Navarra. Regestas documentales 1353-1386, Indice de nombres propios 1351-1386, Pampelune, Gobierno de Navarra, Departamento de Educación y Cultura, 1998; 1 vol. in -8° de 472 pages («Navarra Judaica 3*** 1351-1386, Documentos para la Historia de los judíos del reino de Navarra»).

Les investigations systématiques dans les dépôts d'archives, conduites depuis plusieurs années par le Professeur Juan Carrasco Pérez et ses savants collabora- teurs, ont accru considérablement notre information sur l'histoire des juifs du royaume de Navarre. Grâce à l'appui du gouvernement et de l'Université Publique de Navarre, nous disposons aujourd'hui d'un corpus documentaire de tout premier ordre tiré des archives de la Couronne d'Aragon à Barcelone, des archives cathé- drales de Pampelune et de Tudèle, des Archives Générales de Navarre à Pampe- lune, des Archives Historiques nationales de Madrid, des archives municipales de Cáseda et de Tudèle, de nos Archives Nationales, des archives secrètes du Vatican et de la Bibliothèque Nationale de France. Aux magnifiques volumes, fruits de cet immense labeur, s'ajoute aujourd'hui un nouveau recueil de documents complété par un outil précieux, à savoir un Index des noms propres des trois volumes consti- tuant le tome 3 de la collection. Ce volume comprend donc deux sections: la première offre sur 310 pages 1.859 notices documentaires, la deuxième, de la page 313 à la p. 472, l'Index. À la différence des autres volumes de la série, celui-ci est un regeste alors que les précédents publiaient des transcriptions complètes des documents. Les éditeurs s'en expliquent: les documents brièvement ou longuement décrits ici concernent de façon tangentielle seulement la population juive. Il s'agit un effet d'actes d'offi- ciers et de commissaires dans le cadre des fonctions exercées au service du roi: le fait que ces personnages furent des juifs motive leur insertion dans le regeste. S'il est vrai que ces hommes perçurent taxes, impôts, amendes au profit de l'admi- nistration, ils le firent sur des chrétiens comme sur des juifs. À ce titre les docu- ments intéressent l'histoire de la Navarre en général, tout en montrant à l'évi- dence que les juifs exerçaient des fonctions publiques, surtout financières, dans le royaume. On pense à la profusion d'actes relatifs à Judas Levi, receveur de la merindad d'Estella, aux péagers Ezmel Evendavit d'Olite et compagnie, à Gento Cami de Pampelune, commissaire des impôts de Pampelune et de la merindad des Montagnes, à Judas Cardeniel collecteur de Sangüesa de concert avec le chrétien Pascal Pérez, à Ezmel d'Ablitas, receveur à Tudèle avec le chrétien Gutier García de Aguilar. L'Index toponymique et onomastique s'avère d'une richesse extrême et son inté- rêt ne se limite évidemment pas à la Navarre, les royaumes de France et de Navarre ayant été à plusieurs reprises réunis sous le même prince, le comte de Champagne puis le roi de France. Par ailleurs un nombre surprenant de juifs tirent leurs origines NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 321 de villes françaises. À titre d'exemple signalons Abraham, Aim, Judas et Samuel de Niort, Azac Encave d'Avignon, Benedit, Benvengut, Juce, Miron et Nazán de Ber- gerac, Jacob de Perpignan, Jacob de Pont-au-de-Mer, León de Paris, Menahem de Troyes et une multitude de Francès. Un ouvrage d'une précision, d'une rigueur et d'une présentation matérielle tout à fait exceptionnelles. Gérard NAHON

Christine MAGIN. — «Wie es umb der iuden recht stet». Der Status der Juden in spätmittelalterlichen deutschen Rechtsbüchern, Göttingen, Wallstein, 1999, 462 pages.

Livre issu d'une thèse soutenue à l'université de Göttingen en 1995, qui contient: I. Introduction; 2. Grandes lignes de la position juridique et sociale des juifs dans le haut et le bas moyen âge; 3. Les livres de droit (remarques préliminaires; Sachsen- spiegel; livre du droit de Magdebourg et sa glose; droit des jurés (Schöffenstuhl) de Magdebourg; Deutschenspiegel et Schwabenspiegel; les gloses de Johannes von Buch au Sachsenspiegel-Landrecht: livre du droit de la Misnie; somme de droit de Berthold de Fribourg; livres du droit de villes particulières); 4. Les thèmes du droit des juifs dans les livres de droit; 5. Résultats et perspectives; 6. Sources et biblio- graphie (p. 425-450). Index des noms et des matières. La situation juridique des juifs en Allemagne au moyen âge tardif, période où leur condition ne cesse de s'aggraver, est étudiée à partir de dix-sept livres de droit local choisis parmi un bien plus grand nombre, depuis le «Miroir des Saxons» (Sachsenspiegel, 1225-1231) et le livre du droit impérial de Mühlhäusen (avant 1231) jusqu'au droit de la Misnie (1357-1387) et aux sentences des jurés de Magdebourg. Une distinction d'ensemble opère entre le Nord et le Nord-Est, zones de diffusion du «Miroir des Saxons», et le Sud où influe le Schwabenspiegel. La période des recueils de droit local coïncide avec la première réception du droit ro- main et du droit canonique et des méthodes de la jurisprudence savante, ce qui n'est pas sans incidences sur le traitement des juifs. On entrerait après 1400 dans une autre phase de l'histoire du droit, celle des compilations systématiques. On a exa- miné dans les recueils le «droit relatif aux juifs» au sens où l'entendait Guido Kisch qui en a illustré l'étude après guerre (encore qu'il ne soit pas aussi indépen- dant du droit juif qu'il l'avait posé, puisqu'on a trace de ce que les juifs ont essayé avec succès de faire reconnaître par le droit des autorités du pays des éléments du droit juif), catégorie qu'isolent déjà certaines sources (Von der Juden rechte, Wie es umb der iuden recht stet, Waz iuden rechtes gen den cristen haben). Les points saillants de ce droit sont la condition d'esclaves impériaux des juifs, la condition chez eux des domestiques chrétiens, la réglementation du vêtement, les missions, les baptêmes forcés et l'apostasie, l'enlèvement et le baptême d'enfants juifs, la dé- possession et l'exhérédation des juifs du fait de leur conversion, les plaintes ou les témoignages de juifs contre des chrétiens, leurs serments, le commerce. Les conclusions distinguent trois groupes de livres: les plus anciens, ceux du Nord-Est, sous l'influence du «Miroir des Saxons», surtout consacrés aux règles judiciaires, courts et précis, dans le style des privilèges impériaux et seigneuriaux. Les livres produits à partir de la deuxième moitié du XIIIe s., notamment le 322 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES

Schwabenspiegel (environ 300 mss) et ses gloses, en particulier celle de Johannes von Buch, marqués par le droit savant romano-canonique. Dans la première moitié du XIVe s., l'ouvrage du dominicain Berthold (80 mss), surtout répandu dans le Sud-Est et en Autriche, illustre la tradition des sommes pénitentielles remontant à Raymond de Peñafort, destinées à un public peu instruit. Les deux derniers groupes puisent surtout leur «droit des juifs» aux sources canoniques et, comme elles, asso- cient juifs, païens et hérétiques. En dépit de tendances à une relative remise en cause du statut juridique et social des juifs, le «droit des juifs» lui-même, tant séculier qu'ecclésiastique, garantit en- core, même après la Peste noire, les conditions théoriques d'une existence sociale et économique suffisamment sûre. La dégradation de fait de la condition des juifs qui s'observe pourtant dans la période est due à des changements dans les relations so- ciales et à la diffusion des imputations de meurtre rituel, de profanation d'hostie et d'empoisonnement des puits, — nous dirions pour notre part au passage à un état des conduites et des esprits moins contrôlé par la norme savante. Jean-Pierre ROTHSCHILD

Yom Tov ASSIS, Yosef KAPLAN (éd.). — Dor geyrush Sefarad. QobeÒ ma'amarim («Jews and Conversos at the Time of the Expulsion»), Jérusalem, The Zalman Shazar Center for Jewish History, 1999, †et-waw + 322 + [V] + 171 [anglais] pages.

Études d'histoire politique, sociale, économique, religieuse, doctrinale et litté- raire, dont on nous pardonnera de n'analyser ici que les dernières, portant sur les juifs de Castille et d'Aragon, dues à des spécialistes israéliens, espagnols et améri- cains. Les questions regardant les Nouveaux-Chrétiens (leurs relations avec les juifs, le processus de leur intégration religieuse et sociale) et l'Inquisition (son ex- portation d'Espagne vers les autres territoires de la couronne de Castille et d'Ara- gon) y tiennent une place importante, de même que les nouvelles orientations de la production intellectuelle des juifs après l'expulsion. Section hébraïque: A. Le judaïsme espagnol à la veille de l'expulsion: L. Suárez Fernández, «Les villes de Castille et le problème juif»; J. Hinojosa Montalvo, «Les communautés juives dans le royaume de Valence à la fin du moyen âge à la veille de l'expulsion»; M.A. Bel Bravo, «Les juifs de l'est de l'Andalousie avant l'expulsion»; I.M. Ta-Shma, «L'état des études talmudiques dans l'Espagne du XVe s.» [Nombre d'écrits halakhiques espagnols et byzantins de la période n'ont pas été étudiés. La méthode de R.J. Campanton et ses élèves, le ‘iyyun, marqué par la logique classique et une terminologie philosophique, procédant par analyse (Ìaluqah) et examen de tous les cas possibles, ne s'accommodait pas de l'étude des tossafistes; mais elle ne fut pas acceptée par tous les halakhistes espagnols, le Rosh y ayant dénoncé le mélange de deux formes de pensée (philosophique et talmudi- que) opposées, et les tossafistes étaient cultivés dans d'autres cercles, que les chro- niqueurs du temps, Zacuto, Ibn Ardutiel et Capsali, proches de l'école de Campanton, ont passés sous silence. Les beaux fruits de l'exil naquirent de la ren- contre du ‘iyyun avec les tossafistes, en honneur dans l'aire byzantine]; M. Orfali, «L'image du judaïsme dans Censura et confutatio libri Talmud» [Écrit inédit de 1488, qui vise à définir le judaïsme talmudique comme anti-messianique et à mon- NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 323 trer aux inquisiteurs que les pratiques juives, passées en revue sous forme de liste, relèvent de l'hérésie; fut utilisé dans l'entourage de Torquemada. Texte latin, citant le Talmud en castillan «afin que même les profanes comprennent». Les citations talmudiques sont déjà connues dans la littérature du genre mais un rédacteur au moins dut être un apostat instruit car apparaissent le targum, Rachi, Josué Ibn Shu'aib, le Rosh, le Mishneh Torah, etc.; d'un autre côté, les interprétations antichrétiennes se réfèrent à une littérature cléricale: bulle de Benoît XIII, Décret, Liber Extra, Décrétales, Raymond de Pennafort pour le droit, Richard de Saint-Vic- tor, Alexandre de Halès, Thomas d'Aquin, Duns Scot, Nicolas de Lyre, Johannes Calderinus, etc. en théologie. Une section, négligée jusqu'ici, a trait aux nouveaux convertis, distinguant ceux qui sont demeurés juifs au fond et les convaincus, souli- gnant la dureté des juifs à l'égard des derniers, indiquant qu'un converti qui aurait l'intention d'accomplir les préceptes de la Loi, même s'il ne la met pas en pratique et obéit à l'Église, doit être tenu pour hérétique. — P. 78, n. 48, la seule longue citation latine compte cinq fautes en un peu plus de cinq lignes, abstraction faite des graphies hispaniques]; D. Romano, «Bonastruc Benveniste, le dernier collecteur d'impôts juif d'Espagne (Gérone, 1492)». B. L'expulsion: H. Beinart, «L'expulsion d'Espagne: du projet à l'exécution»; M.A. Motis Dolader, «Le démantèlement officiel des communautés juives de la Couronne d'Aragon»; A. Blasco Martínez, «L'expulsion des juifs des terres de la noblesse: les états de chevalerie et Éléazar et l'ordre des Hospitaliers». C. Les conversos et l'Inquisition: C. Carrete Parrondo, «La mélancolie des con- vertis de Castille et l'expulsion de 1492»; M.A. Ladero Quesada, «Juifs et conver- tis en Andalousie, 1481-1508»; M. del P. Rábade Obradó, «Les témoins dans les actes des procès d'inquisition — la réfutation de témoignages, 1483-1507». D. Réponses à l'expulsion: J.R. Hacker, «Les réponses des exilés à l'expulsion d'Espagne et à la conversion forcée au Portugal»; J. Dan, «La révolution dans la littérature éthique à la suite de l'expulsion» [Les trois courants de l'éthique médié- vale, philosophique, des Îasidey Ashkenaz, rabbinique traditionnel, s'adressaient à l'individu. L'exil induit un changement complet: la question individuelle et spécu- lative de l'adhésion à la philosophie est remplacée par celle, sociale et historique, de la conversion. Les Îasdey H. de R. Joseph Ya‘abeÒ, l'un des grands ouvrages de la littérature morale, voient dans les épreuves une sanction de la conduite générale du peuple et non plus du comportement individuel. La polémique contre le ratio- nalisme devient systématique, le motif messianique et la kabbale, triomphent]; M. Idel, «La chronique d'un exilé: R. Isaac b. Hayyim ha-Kohen de Xátiva» [Une figure mineure, sans responsabilités communautaires (d'où peut-être un discours plus spontané). Né vers 1465, il ne présente pas comme traumatique la sortie d'Es- pagne; il avait cultivé la philosophie et appris la poésie; à Naples puis en Turquie, privé de livres, il se fait poète, renouant avec une tradition familiale, écrit un art poétique où il présente la poésie comme la forme adéquate aux productions inspi- rées par l'Intellect Agent (mystique philosophique qui rappelle Juda Romano en Italie au XIVe s. et ne doit rien à la kabbale), les revêtant de la dignité qui convient et agissant sur le lecteur, l'élevant s'il ne pénètre pas les profondeurs de la pensée: vie et doctrine qui ne semblent marquées ni par l'exil ni par le messianisme, au re- bours de ce que l'on attend]; J. Yahalom, «Culpabilité et blâme — Réponses à l'expulsion et à la conversion forcée dans la poésie des exilés»; E. Benito Ruano, «La réintégration de juifs exilés dans la société espagnole jusqu'à 1500». 324 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES

Section anglaise: B. Septimus, «Yitzhaq Arama and Aristotle's Ethics» [Remet en cause l'interprétation de S. Heller-Wilensky en 1956, comme à cheval sur deux modèles contradictoires empruntés à H.A. Wolfson et à I. Baer. Voit en Arama un critique subtil, passionné et efficace du rationalisme, un théologien conservateur mais raffiné, à la manière de Joseph b. Shemtob Ibn Shemtob, en profond dialogue avec l'Éthique d'Aristote]; D.E. Carpenter, «From Al-Burâk to Alboraycos: The Art of Transformation on the Eve of Expulsion»; M. Lunenfeld, «Instruments of Repression: The Marginalization of the Castilian Jewish Community by Isabella the Catholic's Officials, 1474-1492»; J.N. Hillegarth, «The Reactions of Catholic Intellectuals to the Jewish Presence in Spain during the Reign of the Catholic Monarchs»; B.R. Gampel, «Ferdinand and Isabella and the Decline of Portuguese and Navarrese Jewries»; E. Gutwirth, «Continuity and Change after 1492»; A. Al- calá, «From Dislike to Disguise: Jews and Conversos in Spanish Literature at the Time of the Expulsion (1474-1516)»; R.H. Popkin, «Marranos, New Christians and the Beginnings of Modern Anti-Trinitarianism». — Index des personnes et des lieux. Jean-Pierre ROTHSCHILD

Moshe HALLAMISH. — Ha-Qabbalah ba-tefillah, ba-halakhah u-ba-minhag («Kab- balah in Liturgy, Halakhah and Customs»), Ramat-Gan, Bar-Ilan University, 2000, 686 pages.

Les doctrines ésotériques du judaïsme, peut-être secrètes à l'époque mishnique (c'est une interprétation de M. Îagigah 2, 1), ont commencé de se faire jour dans la liturgie dès la période qui suivit la destruction du second Temple, lorsque la littéra- ture dite des Heykhalot vint proposer la scrutation des mystères comme substitut de la comparution devant la Face à laquelle donnait lieu le culte aboli (voir, sur ces rap- ports, M. Bar-Ilan, Sitrey tefillah ba-Heykhalot, Jérusalem, 1987). C'est ainsi que la sanctification (qedushah) et la prière ‘aleynu en clôture de l'office furent introduits. Les débuts médiévaux de la doctrine kabbalistique furent le fait de milieux fermés et ses premiers grands disciples halakhistes, R. Abraham de Posquières, R. Moïse de Narbonne, R. Salomon b. Aderet la maintinrent dans un arrière-plan ésotérique de leurs œuvres; mais, avec l'apparition du corpus du Zohar, commença une diffusion plus grande; vers 1300, R. Behaye b. Asher, R. Moïse de Recanati, en dévoilèrent quelque chose au grand public dans leurs commentaires sur la Torah. La doctrine demeurait cependant peu visible et si, parce qu'elle abordait des questions commu- nes avec la liturgie et la halakhah, celles-ci lui firent quelques emprunts, ce ne fut que peu de chose sur une longue durée. En matière halakhique, la kabbale n'inno- vait pas toujours (comme elle le fait par exemple avec l'obligation de lier les arba‘ah minim); il arrivait qu'elle inclinât à trancher des maÌloqot anciennes: ainsi pour ce qui regarde le port des tefillin à Îol ha-mo‘ed ou la prosternation. Comme on sait, son influence se fit bien plus forte à partir de la fin du XVe siè- cle: l'exil de la péninsule Ibérique marqua, selon le schéma historiographique ad- mis, la défaite de la philosophie et le triomphe de ses adversaires qui étaient (sou- vent, du moins) des kabbalistes et la kabbale devint la forme dominante de la pen- sée spéculative, tandis que l'imprimerie propageait les rituels et livres halakhiques nouveaux, influencés par la kabbale, surtout lurianique, et que se développait aussi, bien entendu, outre l'obstacle du conservatisme naturel à la liturgie, une littérature de résistance en retour, notamment en Italie, mettant en doute, en particulier, la NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 325 qualification du Zohar comme source halakhique (inversement, des halakhistes non kabbalistes l'admettaient sur la foi de son attribution à R. Simon bar Yohaï). D'ailleurs, rien n'est jamais unilatéral et systématique, mais complexe et contradic- toire, dans l'évolution de ces matières. Cette créativité est attestée par un très grand nombre de comptes rendus de voya- ges, responsa, sermons, traités d'édification, rituels, recueils halakhiques, commen- taires bibliques. L'A. travaille depuis vingt ans sur les rapports entre kabbale, litur- gie et droit juif à partir de cette documentation, prenant aussi en compte les manus- crits, qui permettent la saisie de phénomènes beaucoup plus variés et nuancés que ceux dont témoignent les imprimés. S'il n'est ni le premier ni un isolé, rappelant les noms d'Idelsohn, Elbogen, Scholem (de façon sporadique), J. Katz (en historien et en sociologue), M. Benayahu, I. Ta-Shma, E. Ginzburg, M. Bar-Ilan, Y. Gertner, Y. (E.) Zimmer, il pense être à peu près le seul à en traiter de façon spécifique et systématique, sans du reste prétendre faire plus qu'ouvrir la voie, vu l'abondance de la matière à explorer. Il a réuni ici trente et un articles déjà publiés (références p. 685-686), qui ne cou- vrent pas le champ d'étude d'une façon complète mais qui procèdent d'une mé- thode unique. Il les a répartis en trois sections. La première comprend quatre études consacrées à des sujets généraux et fondamentaux: problèmes de la recherche; les préfaces le-shem yiÌud… à l'accomplissement des préceptes; la question des inten- tions (kawwanot) lors de celui-ci; les treize portes des cieux. La deuxième section (neuf études) concerne des personnalités et des courants: le Zohar, R. Joseph Qaro, R. Isaac Luria, R. Isaac Vana, R. Yahiya Salah, le Me‘il qa†an, les compositions liturgiques d'Afrique du Nord. La troisième section (dix-huit études) porte sur des sujets spécifiques: kabbale et coutume religieuse, aumônes, bénédictions, proster- nation, consommation de poisson le shabbat, récitations supplémentaires, tiqqunim, ligature des «quatre espèces» lors de la fête des Cabanes, intercalation wa-yismaÌ purqaney dans le Qaddish, version ancienne de la prière ‘aleynu. Comme il s'agis- sait avant tout de travailler sur les sources, la littérature secondaire, récapitulée seu- lement pour les titres abrégés, occupe moins de trois pages. Mais les index (person- nes, manuscrits, œuvres et sujets), complément indispensable de ce volume massif et multiple, permettent d'en saisir aussitôt la richesse confondante: près de trois cents manuscrits et plus de mille deux cents titres cités! Autant dire que le directeur de la revue Da‘at a mis à la dispositon de la recherche en ce domaine un outil de première importance. Si jamais il a valu la peine de recueillir rétrospectivement des articles (ce n'est pas toujours vrai), c'est bien cette fois, vu la cohérence et la ri- chesse du recueil, la nouveauté relative d'un traitement systématique de cette ma- tière et l'intérêt particulier de disposer, dans un tel cas, des index, notamment thé- matique. Jean-Pierre ROTHSCHILD

Lysette HASSINE-MAMANE. — Le Piyyut de David Hassine, Paris, Maisonneuve et Larose, 2000, 195 pages.

Comme l'indique le sous-titre, il s'agit d'une «traduction et annotation de quel- ques poèmes». Les dix-neufs compositions qui constituent cette anthologie témoi- gnent de la variété des genres et des thèmes abordés par David Hassine: poésies en l'honneur du Messie et du prophète Élie, qinot pour le neuf Av, élégies après la 326 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES mort de proches parents, poèmes à l'occasion des fêtes, de cérémonies familiales, de voyages effectués par le poète, d'une disette qui frappe la région etc. Elles sont extraites de neuf des seize parties qui forment l'édition de Tehilla le-David publiée à Casablanca en 1931 et qui a servi au travail de L. Hassine-Mamane. L'édition cri- tique établie par André E. Elbaz et Éphraïm Hazan (Ramat-Gan, 1999) n'a appa- remment pas pu être utilisée. Présenter le recueil sous la forme d'une édition bilingue est une excellente idée. On regrettera cependant que le texte hébraïque, qui comporte quelques coquilles, ne soit pas vocalisé comme cela se fait habituellement lorsqu'il s'agit de poésie. Les notes en marge de la traduction française consistent en références bibliques et rabbiniques. Celles-ci sont nombreuses et précises. Cependant, les renvois au Talmud et au Midrash peuvent être d'une utilisation difficile pour le lecteur non spécialiste et quelques explications auraient été nécessaires. Certaines références semblent avoir échappé à la traductrice. C'est le cas, par exemple, dans le piyyu† qui ouvre cette anthologie. Le poète, à la suite de la tradi- tion midrashique, identifie le prophète Élie à Pinhas et reprend l'épisode relaté en Nombres 25. Le rapport entre la fin du verset 13 et le dernier vers de la huitième strophe (p. 44-45) n'apparaît pas clairement dans la traduction. Lorsque le pay†an, dans PatoaÌ tiftaÌ (p. 110-115), utilise l'expression {am eÌad, il pense à Israël et non pas seulement à «un peuple»; il se réfère à II Samuel 7, 23 et I Chroniques 17, 21 (peut-être aussi à Esther 3, 8). Si la quasi-totalité des références sont signalées, la traduction ne tient pas tou- jours compte du fait que l'introduction d'expressions bibliques dans la poésie ne contraint pas l'auteur à en conserver le sens premier. Ainsi, David Hassine, s'adres- sant à Dieu, reprend Genèse 33, 11 (p. 166-167). Mais il semble que birkhati prenne ici le sens de louange, de prière, plutôt que celui de présent, comme dans le texte biblique. David Hassine puise également ses sources dans le Talmud. Il le fait, par exem- ple, dans Lekhu banim sim{u li (p. 88-95) où il évoque (p. 90-91) la femme en cou- ches dont le respect des commandements sur les menstrues, le prélèvement de la Ìalla et les lumières du shabbat est «examiné» par le tribunal céleste. L'origine de cette strophe en Berakhot 31b est parfaitement indiquée (il faut y ajouter: Shabbat 31b-32a), mais la traduction, assez confuse, ne rend pas compte de l'enseignement du Talmud. Malgré quelques faiblesses, la traduction de L. Hassine-Mamane est précise et reste proche du texte original. Elle permet ainsi au lecteur francophone une appro- che de l'œuvre de l'un des plus célèbres pay†anim marocains. Jules DANAN

David BANON, Denis MULLER, Mohammed ARKOUN, Jean-Claude BASSET. — Ju- daïsme et islam. Dans le face à face avec le protestantisme, Genève, Labor et Fides, 1999, 94 pages («Dossiers de l'Encyclopédie du protestantisme», 6, «Entrée libre», 44).

Deux dossiers de l'Encyclopédie du protestantisme sont traités dans ce livre, deux traditions religieuses dans leur rapport au protestantisme. La différence entre les deux dialogues tient à ce que le christianisme a intégré la Bible hébraïque alors que l'islam a réécrit des parties de la Bible dans le Coran, se tenant dans une rela- NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 327 tion d'héritage face au judaïsme. Pour la foi chrétienne, l'islam reste extérieur. Le judaïsme et l'islam présentent des points de rencontre avec le protestantisme qui, en général, a négligé ces jusqu'au XXe siècle. En revanche, l'histoire con- temporaine indique des rapprochements. Des traits communs à ces trois monothéis- mes apparaissent: la pratique, la relation à l'Église, aux images et au clergé. L'histoire des relations entre chrétiens et juifs relève des domaines théologico- philosophique et socio-politique. La composante théologique est déterminante: elle oriente ces rapports. Rosemary Ruether, spécialiste de la patristique, affirme que l'antisémitisme chrétien a pour origine l'hostilité de la théologie chrétienne au ju- daïsme. La Bible juive et la littérature midrashique semblent soumises à des ten- sions dialectiques entre loi et grâce, lettre et esprit. Ces concepts présentent le «nouvel» Israël par la négation de l'«ancien». L'«enseignement du mépris» per- mit le génocide nazi. La conjonction du texte et du peuple, du texte et du commen- taire, de l'interprétation et de l'existence s'impose comme définition du fait juif. C'est cette triple conjonction qu'on tenta de détruire à partir d'une lecture christocentrique de la Bible. Comment alors se reconnaître mutuellement? Com- ment «poser ensemble» les deux types d'affirmation religieuse? Cela est possible si l'affirmation chrétienne se situe dans une «théologie de l'espérance», où elle re- nonce à toute forme d'impérialisme. Le dialogue, cependant, ne peut dissimuler le fait que la relation entre judaïsme et christianisme sera toujours conflictuelle. Il doit analyser en premier lieu les notions d'alliance, d'élection et le concept de messia- nisme. En réduisant le fait juif à une théologie, l'approche historique lui retira sa dimension de socialité. Il n'y aurait pas de civilisation juive. L'approche scientifi- que ne put réussir à supplanter le texte massorétique. Pendant la seconde moitié du XIXe siècle et au début du XXe siècle, des penseurs juifs célèbres insistèrent sur la cohérence interne des textes bibliques. Il faut citer également des exégètes contem- porains tels Robert Alter ou André Neher qui réaffirmèrent l'importance de la lec- ture qui existait avant la critique biblique. L'alliance fait participer Dieu et l'être humain à une œuvre commune, éthique, existentielle, universelle. Le peuple juif assume sa tâche de peuple-prêtre que définit le concept d'élection, c'est-à-dire un surcroît de devoirs et de responsabilités. L'alliance avec Israël est «imprescripti- ble». À vouloir substituer une «nouvelle alliance», on retrouve peut-être autrement «la réalisation de la solution finale de la question juive». Le débat entre chrétiens et juifs ne peut laisser sans réponse la question messianique. Dans la pensée juive, le messianisme est lié à l'expérience de l'échec, car aspiration à l'impossible. Il s'agit d'une attente qui maintient une tension entre l'accompli et l'inaccompli, sans dé- nouement. C'est sur le terrain éthique qu'une rencontre peut se faire. Le judaïsme bénéficia de la Réforme aux XVe et XVIe siècles. Mais, dans le dé- roulement de l'histoire, le protestantisme ne parvint pas à faire face à la montée de l'antisémitisme. L'attitude de Martin Luther fut négative. Certes, l'humanisme re- mit en valeur les écrits hébraïques et certains juifs comprirent la Réforme de Luther comme un encouragement. Cependant, à partir de 1530 les propos du Réformateur se firent accusateurs, ils atteignirent un sommet en 1542-1543. Il craignait une in- fluence du judaïsme sur le christianisme. Se perpétua ainsi le mouvement qui con- duisit de l'antijudaïsme théologique à l'extermination des juifs. Entre calvinisme et judaïsme, les liens semblèrent plus forts. Jean Calvin souligna les éléments de con- tinuité entre l'Ancien et le Nouveau Testament et le caractère immuable de l'élec- tion divine du peuple juif. Il affirma «l'élection spéciale» en Jésus-Christ. Sa prati- 328 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES que se caractérisait par un recours direct aux œuvres des commentateurs juifs. Cal- vin apparut donc comme un acteur remarquable du dialogue. Il appartenait néan- moins à l'Église triomphante. L'émancipation amena l'élite juive à adopter les idées philosophiques et morales de la société environnante. Un rapprochement avec la pensée protestante fut facilité. Dans les années 1920, avec le retour du messia- nisme, des liens se nouèrent entre le pasteur Fritz Lieb et Walter Benjamin, entre Martin Buber et Leonhard Ragaz. À l'époque nazie, l'attitude des théologiens pro- testants révéla de fortes ambiguïtés. La position courageuse de l'Église confessante fut minoritaire et les Églises protestantes n'intervinrent pas directement en faveur de la population juive. Il existe des exceptions, tel Dietrich Bonhoeffer qui s'enga- gea personnellement. Après la Shoah, on remarque «l'amorce d'un tournant». De- vant l'horreur, de nombreux théologiens chrétiens s'interrogèrent sur leur doctrine et actuellement les théologiens protestants essaient de redéfinir la relation entre ju- daïsme et christianisme. R. Ruether en appelle à une Église repentante. Le pasteur Marc Faessler souhaite un renouveau de la christologie dépouillée de prétention dominatrice. L'éthique doit l'emporter sur l'affirmation trinitaire. Toutefois, faut-il réduire à ce point la différence des deux religions? Le différend messianique reste manifeste. Pour ce qui est de l'islam, Martin Luther l'ignora. Jean Calvin ne fut pas mieux informé. L'événement majeur demeura la publication du Recueil de Bibliander en 1543 à Bâle. On y trouve la traduction latine du Coran et d'autres ouvrages dans la collection de Cluny. S'intéresser objectivement au Coran était une nécessité. Mais les Réformateurs reprochaient à l'islam son monothéisme anti-trinitaire, sa percep- tion du salut et une morale jugée laxiste. Ils virent en Mohammed la figure de l'An- téchrist. Il existe cependant un certain nombre d'affinités théologiques et pratiques entre les deux religions. La Réforme protestante se caractérise par un attachement aux sources sémitiques proches de l'islam. La primauté de l'Écriture rejoint la prio- rité donnée au Coran. Musulmans et protestants veulent adorer Dieu seul. On relève un parallèle entre soli Deo gloria de Calvin et la conviction musulmane de la trans- cendance absolue de Dieu. La grâce de Dieu invoquée par les Réformateurs trouve un écho dans le «au nom de Dieu, le miséricordieux qui fait miséricorde» musul- man. Mais en soulignant le péché, la tradition protestante — l'être humain ne peut rien sans le pardon divin — se différencie de l'islam. Quand l'islam se caractérise par une fidélité stricte à la loi, le protestantisme combat pour le libre examen. La conscience personnelle l'emporte sur les normes morales et parfois doctrinales. Elle est à l'origine de «l'individualisme protestant». On doit mentionner pourtant la convergence du soufisme avec le protestantisme: souci de l'intériorité, méditation des textes et réunions de prière. La simplicité du culte protestant se rapproche de la prière musulmane. L'imam comme le pasteur n'ont pas de statut sacerdotal et peu- vent se marier. Il fallut attendre le développement des missions au XIXe siècle pour une rencontre sur le terrain et sur le plan des idées. Charles Forster fut le premier protestant à renouveler le savoir sur l'islam. Parmi les islamologues contemporains, on retient le nom du pasteur écossais William M. Watt et celui du français Henry Corbin. Des centres d'études d'inspiration protestante se consacrent à une plus grande intelligence de l'islam. Une commission Église-Islam existe au sein de la Fédération protestante de France à Paris. Toutefois, le protestantisme n'a pas de l'islam une perception unique. Quatre options s'expriment: la convivialité, l'évan- gélisation, le respect mutuel, la reconnaissance de la pluralité des traditions comme NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 329 don de Dieu. «Deus semper major». Si l'islam ne peut être comparé au judaïsme «pour faire rebondir» la pensée chrétienne, il paraît urgent aujourd'hui de lui re- connaître une pertinence pour avancer dans le domaine des sciences sociales des religions. Ce petit ouvrage, rédigé par des professeurs d'université en théologie, témoigne d'une connaissance réelle du dialogue interreligieux. Précis et clair, il permet au lecteur averti d'approfondir et d'actualiser son savoir sur le sujet. Un constat s'im- pose: les progrès dans la compréhension de l'autre religion sont lents. On remarque la présence d'une bibliographie. Élisabeth COUTEAU

Daniel TOLLET. — Accuser pour convertir. Du bon usage de l'accusation de crime rituel dans la Pologne catholique à l'époque moderne, Paris, PUF, 2000, 304 pages («Histoires»).

Dans ce livre en deux parties, Daniel Tollet étudie l'accusation de crime rituel en Pologne à l'époque moderne. Entre le Concile de Trente au XVIe siècle et le Troi- sième Partage de la Pologne en 1795, on dénombre 111 cas d'accusations de crime rituel à l'encontre de la minorité juive. Cette calomnie, condamnée par l'Église ro- maine, emprunte à une idéologie héritée du Moyen-Âge. Elle fut utilisée à des fins différentes: comme argument dans la lutte contre les protestants assimilés aux juifs, comme explication aux malheurs du pays, comme élément du débat culturel qui s'achèverait par le triomphe des Lumières. En trois siècles, ces accusations causè- rent la mort de plus de mille personnes et minèrent les communautés juives qui n'hésitèrent pas à s'endetter pour défendre leurs coreligionnaires. Sur le plan quan- titatif, ces faits sont d'un intérêt secondaire. Ils sont néanmoins porteurs de sens. Tuer un membre d'un groupe religieux différent du sien, «ennemi», et recueillir son sang afin de profiter de ses vertus, c'est commettre un crime rituel. L'accusa- tion de crime rituel fournit une approche de la coexistence entre juifs et chrétiens. Ceux-là pourraient utiliser le sang d'enfants chrétiens immolés pour permettre la confection de pain azyme lors de la Pâque. La littérature judéophobe de l'époque moderne affirme que la prescription se trouve dans le Talmud sans que la moindre trace n'y ait été décelée. Il s'agit d'attribuer à celui qu'on veut haïr «l'absolu du mal». L'accusation, absurde, suppose que l'auteur du crime considère le sang de sa victime comme supérieur au sien. Les juifs auraient dû être dispensés de ce type d'accusation, puisque la Bible interdit le crime et proscrit l'usage du sang. Les ac- cusations de crime rituel se répandirent dans l'Occident chrétien dès le XIIe siècle. À partir du XIIIe siècle, elles allèrent fréquemment de pair avec les accusations de profanation d'hostie. Ces phénomènes trouvaient leur signification dans un con- texte général. Au XVIe siècle, la Pologne était devenue le refuge des juifs d'Europe. L'Église catholique connaissait de graves difficultés dues à la pénétration du luthé- ranisme et, à partir de 1540, du calvinisme. En 1551, au synode de Piotrkow, les idées réformées avaient imprégné le clergé et l'ordre des franciscains ainsi que les milieux nobles et bourgeois de Petite Pologne, de Grande Pologne et de Lituanie. Des affaires judiciaires associèrent juifs et réformés dans les accusations de profa- nation d'hostie. L'allégation de cette association pour profaner l'Eucharistie fut du- rable bien qu'abusive. Les réformés critiquaient la manière romaine de célébrer la Cène mais ne niaient pas sa valeur symbolique. L'Église, d'autre part, était irritée 330 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES par l'attirance pour le judaïsme de certains chrétiens dans la ligne de pensée de l'humaniste hébraïsant allemand Johannes Reuchlin. Les jésuites s'installèrent en Pologne en 1564 et s'opposèrent avec force aux nouvelles confessions protestantes. Mais celles-ci furent reconnues par la diète de 1573. La période la plus féconde en accusations de profanation d'hostie s'étendit de 1563 à 1668. Puis, ces accusations diminuèrent, par manque de protestants à convertir. Les accusations de crime rituel, interdites en Pologne, furent rares dans la première moitié du XVIe siècle. Elles augmentèrent à la fin du siècle avec la mise en place de la Contre-Réforme pour atteindre un niveau élevé jusqu'au commencement des Lumières. Dès le début, cal- vinistes et sectaires les rejetèrent. Les régions constituant la Couronne de Pologne en présentèrent la plus grande fréquence. On remarque que les accusés furent prin- cipalement des responsables de communautés de bourgades et de villages, rarement de métropoles régionales. Après 1770, le mouvement s'inversa. L'opinion polo- naise considéra longtemps les accusations de crime rituel comme des «affaires mal éclaircies». L'effort entrepris pour convertir les juifs au catholicisme resta sans suc- cès et provoqua des violences dont le nombre s'accrut après 1571. Passons en revue les phases successives de l'évolution de l'accusation de crime rituel. On note cinquante et un cas d'accusations de crime rituel pendant la période de la Contre-Réforme. Souvent, ces affaires ne firent l'objet que d'une simple men- tion dans un registre de justice. Parfois, il était précisé que l'enfant avait été volé à ses parents par des juifs ou une personne intermédiaire. Dans d'autres cas, on avait plus de détails. En Lituanie, les jésuites lancèrent une série d'accusations sur le mo- dèle de celle du martyre du petit Simon de Trente, assassiné au XVe siècle. Faute de preuves, la torture était communément utilisée. Ces conditions étaient inacceptables pour les communautés juives et il fallait trouver des moyens pour empêcher les exé- cutions capitales, seul châtiment. Le clergé catholique tirait parti de l'accusation de crime rituel en la diffusant. Les accusations nourrirent d'abord une forme de littéra- ture judéophobe: celle-ci prit ensuite le relais de la propagation. Quels auteurs dé- veloppèrent ces accusations? Quatre-vingt-deux œuvres de ce type sont recensées entre 1588 et 1668 sur le territoire de la Confédération polono-lituanienne. Sur quinze auteurs catholiques, onze furent des prêtres et des professeurs de l'Univer- sité de Cracovie. Quel était le contenu des textes? En quoi servaient-ils des buts religieux et sociaux? L'accusation de crime rituel était répandue par des textes po- lémiques destinés à un large public, des publications d'actes de tribunaux, des trai- tés exposant les motifs des crimes. Le jésuite Pierre Skarga fut l'un des écrivains les plus connus. Des ouvrages anonymes affirmèrent à la fin du XVIe siècle que les juifs achetaient des enfants et pratiquaient le commerce de sang. Certains essais proposèrent une explication historique et théologique comme la brochure du cha- noine de Cracovie Przeclaw Mojecki, Les atrocités juives: les juifs avaient besoin de tuer. On devait se défendre d'eux soit en les convertissant, soit en les expulsant. Les arguments utilisés contre les juifs montrent que derrière ces derniers, les protes- tants étaient attaqués. À quels besoins correspondait l'accusation de crime rituel? Il faut examiner la vie religieuse à cette époque. La Réforme était partout présente, sauf en Mazovie. La diversité et la faiblesse théologique des réformés, leur manque d'implantation au sein de la paysannerie furent une chance pour la Contre-Réforme. Les calvinistes s'étaient démarqués des accusations de crime rituel, mais repro- chaient aux juifs de ne pas aimer les chrétiens et de leur nuire dans la vie économi- que. Les jésuites voulaient absolument ramener les hérétiques et les infidèles à la vraie foi. Les accusations de crime rituel formaient un mouvement perpétuel, en- NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 331 gagé par des fanatiques. La période de reconquête catholique qui se développa de 1669 à 1733 fut dotée de caractères spécifiques. On relève trente-cinq accusations de crime rituel. L'Église catholique éprouva le désir d'une réforme intellectuelle et spirituelle. Elle encouragea des recherches sur la Bible hébraïque, le Talmud et la Kabbale. Des ouvrages destinés à faciliter les conversions furent diffusés. Après les guerres cosaques et le «Déluge» de la Deuxième Guerre du Nord, la Pologne re- dressa lentement son économie. Le nombre des juifs diminua en ville, la noblesse les appréciait peu. L'archiprêtre de la collégiale de Sandomierz, Étienne Zuchowski, s'interrogea sur les malheurs du pays. Ils étaient la punition divine d'un péché: celui de tolérer la présence des juifs. Si on ne pouvait les convertir, il fallait les expulser. Ses thèses furent mises en cause par la pensée des Lumières. Celles-ci, en provenance d'Allemagne et d'Angleterre, pénètrent tardivement. Elles furent propa- gées grâce au soutien de quelques magnats unis aux élites intellectuelles. Le souci des partisans des Lumières était de moderniser le pays dans son fonctionnement politique, en introduisant des techniques et des idées nouvelles, en transformant les rapports sociaux. Entre 1734 et 1795, l'esprit de tolérance et de justice ne permit le recul de l'accusation de crime rituel que progressivement. La littérature spécialisée luttait contre les Lumières. Sur huit auteurs judéophobes, sept furent des prêtres. Cependant, les multiples protestations de la papauté et le souffle des Lumières por- tèrent des fruits. En 1767, les juifs adressèrent une supplique au roi Stanislas- Auguste pour s'élever contre les conversions forcées. Toutefois, les différentes cou- ches de la société s'opposaient à leur émancipation. Les réformateurs qui entou- raient le roi proposèrent alors de «régénérer» les juifs en en faisant de bons chré- tiens et en les lavant de l'infamie. L'historiographie oublia le bilan, très modeste, des conversions. Le sujet ne fut évoqué qu'à la fin du XIXe siècle, quand les po- groms des années 1880 reposèrent la «question juive». Cet ouvrage, fondé sur l'analyse d'archives religieuses et historiques polonaises, italiennes et vaticanes, est le résultat de dix ans de recherches de l'auteur, secrétaire général du Centre d'études juives de l'Université de Paris-IV. Livre d'érudition, c'est un livre de vérité. Il saisit par son ampleur et sa qualité. Des annexes, une bi- bliographie et deux index de noms propres le complètent. Élisabeth COUTEAU

Antony POLONSKY. — Polin, Index to volumes 1-12, Londres-Portland, Oregon, The Littman Library of Jewish Civilization, 2000, 237 pages et 3 cartes.

En 1984 eut lieu à Oxford le premier congrès de l’Association internationale des historiens des Juifs de Pologne; les textes en furent réunis dans un volume intitulé The Jews of Poland, par Chimen Abramsky, Maciej Jacimczyk et Antony Polonsky, et édités à Oxford en 1986. L’année suivante, le second congrès se tint à Cracovie et la décision fut prise de créer une revue spécialisée nommée Polin («Tu vivras ici», en hébreu) dont la direction fut confiée à l’historien britannique Antony Polonsky, entouré d'un conseil éditorial international. Le premier volume parut, également en 1996, sous la responsabilité de l’Institute for Polish-Jewish Studies d’Oxford. Depuis et jusqu’en 1999, douze volumes ont été diffusés sous ce titre. Jusqu'au volume no 4 de 1989, la revue n'a publié que des varia; avec le volume 5, en 1990, des regroupements d’articles sont apparus (art et architecture; Juifs polonais en Allemagne; sionisme en Pologne) et encore au volume 7 de 1992 (La 332 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES vie dans Varsovie occupée par les Nazis). Progressivement, les volumes sont deve- nus entièrement thématiques: Les Juifs de Lodz (6, 1991), Les Juifs dans la Polo- gne indépendante, 1918-1939 (8, 1994), Polonais, Juifs, socialistes: l'échec d'un idéal (9, 1996), Les Juifs en Pologne au début de l’Époque moderne (10, 1997), Aspects et expériences religieux (11, 1998), La Galicie: Juifs, Polonais et Ukrai- niens, 1772-1918 (12, 1999); signalons enfin, hors série: Du Shtetl au socialisme, extraits de la revue Polin (1993). Comme on peut s'en rendre compte à la lecture de l'énoncé des titres, l'intérêt essentiel, mais non exclusif, des rédacteurs porte sur l’époque contemporaine. En adoptant les divisions traditionnelles de l'histoire polonaise, pour un total de 320 articles, on compte 29 articles pour la période allant du Moyen-Âge à 1795 (soit 9% du total), 79 articles pour la période de 1795 à 1918 (soit 24,7% du total), 76 articles pour la période de 1918 à 1938 (soit 23,8% du total), 77 articles pour la période de 1939 à 1945 ( soit 24% du total), 32 articles pour la période de 1945 à 1990 (soit 10% du total) et enfin 27 articles sans périodisation précise (soit 8,5% du total). La lecture des index, bien qu'ils soient ici nombreux et détaillés (tables des ma- tières, index chronologique, des personnes, général, des livres recensés, des contributeurs; notices sur ceux-ci; index des notices nécrologiques), ne permet évi- demment pas d'appréhender la qualité des articles mais il convient de se féliciter que le public non-polonophone puisse, grâce à la revue Polin, avoir accès, en lan- gue anglaise, à des travaux concernant l’importante population que fut celle des Juifs de Pologne. Polin, aux côtés des revues polonaises spécialisées (Biuletyn zydowskiego insitutu historycznego de Varsovie ou Studia judaica de Cracovie) est, quinze ans après sa fondation, devenue une source documentaire incontournable sur le sujet. Daniel TOLLET

Jean BAUMGARTEN, David BUNIS (dir.). — Le Yiddish, langue, culture, société, Paris, CNRS Éditions, 1999, 282 pages (Coll. «CFRJ Mélanges»).

Ce volume de Mélanges de presque 300 pages présentant des travaux de huit chercheurs israéliens et français participe d'une certaine tendance actuelle, timide encore, d'ouvrir la problématique du yidiche sur le monde extérieur et établit des ponts entre les diverses cultures juives. Il fait intervenir, au sein des sciences hu- maines, d'abord les domaines de l'histoire littéraire et poétique ainsi que de la so- ciologie de la culture, mais aussi ceux de la science des religions, de l'ethnologie, de la socio- et de l'ethnolinguistique. La langue est envisagée tant sous l'angle de l'écriture (5 contributions: nos 2, 3, 5, 6, 7) que sous celui de l'oralité (1 contribu- tion: n° 4) voire les deux réunis (3 contributions: nos 1, 4, 6). Comme le dit à juste titre Jean Baumgarten, codirecteur et préfacier de cet ou- vrage: «Tout en constituant une voix unique, originale, la culture yiddish ne peut se comprendre qu'insérée dans le concert des cultures au contact desquelles elle s'est trouvée mêlée» (p. 14). À travers les huit articles du recueil, le monde achkénaze se trouve non seulement désenclavé mais montré dans sa diversité et sa dynamique. Plusieurs points phares éclairent ce volume. Le premier représente l'effort appré- ciable de mise en relation entre la ou les culture(s) juive(s) et les autres cultures par le biais d'analyses sociologiques et ethnologiques, ou du moins comparatistes. Tan- tôt un «rite conjonctif», selon la dénomination lévi-straussienne, ou un trait carac- NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 333 téristique du chamanisme est mis en valeur (Baumgarten, p. 116-118, 129) pour dé- crire respectivement la mitsve tants («danse du commandement») et le marshalik («maître de cérémonie»). Tantôt, une pratique rituelle propre aux religions primiti- ves est mise en avant (Werses, p. 86, qui cite Rapoport) pour décrire la prière hassi- dique. Ailleurs encore, un parallèle est esquissé entre le courant idéologique russe eurasiste, dit ici «asiatisme fantasmé», qui marque, au cours de la première moitié du XXe siècle, son identité face à un Occident hégémonique, et un courant de la culture juive de la même époque exaltant la culture populaire (Ertel, p. 211-212); ajoutons à ce propos que le parallèle aurait pu être poussé plus loin par une réfé- rence à Nicolas Troubetzkoy, l'un des fondateurs de l'eurasisme et proche de Ro- man Jakobson, qui, par ses écrits mêmes, compare la culture juive diasporique et la culture russe de l'émigration (cf. Patrick Sériot, N.S. Troubetzkoy, L'Europe et l'humanité, écrits linguistiques et paralinguistiques, Sprimont, Mardaga, 1996, chap. «Sur le racisme», p. 193-202). Ailleurs enfin, l'analyse du judaïsme polonais en termes de «polysystème culturel et linguistique» (Schmeruk, p. 277), véritable laboratoire des groupes minoritaires dans leur interaction dynamique, ouvre des perspectives comparatistes. Le lecteur pourrait être amené à penser par exemple au poly-système du sous-continent indien, à ceux qui régissent les diasporas romani (Tziganes) et arméniennes, ou, plus près de nous, en France même, au poly-système qui prévaut dans l'écriture poétique médiévale et contemporaine chez certains auteurs durant des périodes pré- et post-hégémonique linguistiquement, où la «pro- lifération horizontale» l'emporte sur «l'enracinement vertical» (cf. l'excellente thèse d'Anne-Marie Lilti, Écriture poétique et langue étrangère; contribution à l'histoire de la poésie française, non publiée). Certaines problématiques soulevées dans ce volume ont une résonance géné- rale. Il en est ainsi de l'opposition sacré - profane (incluant la dichotomie langue sainte - langue vulgaire), qui connaît des fragilités dans la mesure où des oscilla- tions entre les deux pôles, des cas de fusion, voire de transgression sont repérés. On retrouvera cette opposition dans l'examen de la position du badÌan (l'amuseur, — le troubadour juif animant les cérémonies domestiques, notamment les mariages), qui, depuis l'époque talmudique jusqu'à nos jours, vit cette oscillation (Baumgar- ten, p. 102, 105, 107, 126) tandis que la langue hébraïque, elle, tend à codifier les oppositions (par des termes spécifiques pour «danse sacrée» et «danse profane», «chant de louange à Dieu» et «chant d'amour» par exemple). On rencontrera la même ambivalence autour de la fête de Pourim (Baumgarten, p. 103). Un cas spé- cial de fusion est développé pour le Mayse Bukh (histoires et hauts faits en yidiche du XVIIe) où se mêlent monde juif et monde chrétien, monde antique et monde mo- derne (Starck, p. 39-41). Mais d'une façon générale, la littérature juive moderne peut être vue comme la résultante d'une fusion entre hébreu d'un côté et yidiche et les principales langues européennes de l'autre (Baumgarten, introduction, p. 12-13). Un cas de transgression est envisagé à travers le mouvement pan-artistique Yung yiddish des années vingt, «lieu de tensions irrésolues et assumées», où`, pour pren- dre l'exemple de la poésie, hébreu et yidiche sont associés «au nom de leurs pro- priétés antinomiques» (Ertel, p. 222-223). L'opposition sacré - profane a pour co- rollaire celle de tradition - sécularisation, incluant le champ relatif à la normalisa- tion linguistique (Bunis l'évoque pour le yidiche et le djudezmo, p. 160). Ceci dé- bouche sur l'importante question du rôle des vernaculaires dans la démocratisation de la pensée religieuse, instrument d'éducation des masses (et du rapport entre écrit et oral: Baumgarten, p. 16, Turniansky, p. 21-34, Starck, p. 48), abordée ici par rap- 334 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES port au yidiche et au djudezmo. (Turniansky, p. 26, Bunis, p. 140). On ne peut s'empêcher de voir un parallèle intéressant, non relevé ici, celui du pali, langue que le Bouddha avait choisi naguère pour diffuser son enseignement, et dont la base était précisément constituée par les langues vernaculaires de l'Inde du Nord (Claude Hagège, Halte à la mort des langues, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 77). Un troisième point qui n'est pas mis en relief dans ce volume mais qui présente pour- tant des traits caractéristiques de langues minoritaires sujettes à la précarisation est celui de l'attitude des locuteurs vis-à-vis de leur langue, alternant entre l'auto-déni- grement (Bunis, p. 161-162), la fierté et la conscience linguistique (Bunis, p. 174, Ertel, p. 220) et les accès de purisme (Bunis, ibid.). À ce propos, on relève une coïncidence amusante: Bunis note la qualification auto-méprisante de locuteurs judéo-hispanophones de «peuple muet»; or, il se trouve que les peuples germani- ques étaient, eux aussi, réputés «muets» par plusieurs peuples slaves («Allemand» se dit toujours nemec en russe, nemecky en tchèque, c'est-à-dire «muet» car incom- préhensible!). Un dernier point à retenir enfin, linguistique, mais traité ici (Baum- garten, p. 132, note 154) sous l'angle ethnographique de l'analyse d'un rituel (en l'occurrence une cérémonie de mariage dans la communauté d'Anvers), est celui de l'alternance des codes (non dénommée comme telle) entre le yidiche et l'hébreu pratiqué par le badÌan, au sein de poèmes récités devant les mariés et l'assistance. Le linguiste pourra regretter de ne pas avoir plus d'exemples de ces couplets, et de ne pas disposer de traduction et d'analyse de ces derniers. D'autres problématiques présentes dans ce recueil sont plus spécifiques du ju- daïsme, encore qu'elles puissent, par certains traits de détail, trouver des correspon- dances dans d'autres cultures. La première est celle des relations dynamisantes pour le judaïsme entre cultures ashkénaze et sépharade à travers les siècles, vues ici (par Bunis) sous l'angle des activités très fécondes de publication et de traduction (pluri- directionnelle). On retiendra que les publications en yidiche précèdent générale- ment celles en djudezmo et ladino, et que l'hébreu se présente le plus souvent comme la langue intermédiaire entre les deux vernaculaires (p. 167). On pointera au passage quelques perles rares telles qu'un Pentateuque en hébreu - ladino - judéo- grec publié à Constantinople en 1547 (p. 140), un lexique hébreu - yidiche - italien publié à Cracovie en 1590 (p. 141) et une Hagadah de Pâques partiellement en la- dino - yidiche - judéo-italien publiée à Venise en 1603 (p. 144). On soulignera en- fin les lieux de contacts privilégiés entre Sépharades judéo-hispanophones et Achké- nazes yidichophones et germanophones que sont l'Italie (Livourne notamment), l'Autriche, la Roumanie, la Yougoslavie et, plus récemment, Israël et les États-Unis (New York surtout) (p. 144, 152-53, 173). Par ailleurs, le lecteur sera utilement in- formé sur les questions internes des relations entre Hassidisme et Haskalah comme facteur stimulant et créatif du judaïsme achkénaze (Werses, p. 66, 87, 95) et de l'idéologie des Lumières irradiant sur les régions ottomanes (Bunis, p. 154). Anne SZULMAJSTER-CELNIKIER

Ketty KUPFER. — Les juifs de Balzac, Paris, NM7 Éditions, 2001, 362 pages.

Les lecteurs de notre Revue ont déjà eu leur attention sollicitée par l'article de R. et A. Pierrot paru ici en 1997, sur les relations de Balzac et des juifs, qu'il s'agisse de personnages réels ou de créations littéraires du père de la Comédie Humaine («Notes sur Balzac et les juifs»). NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 335

Le livre de Ketty Kupfer, issu d'une thèse de doctorat, est beaucoup plus étendu. Nourri par une information très complète et très sûre, abordant les sujets sous plu- sieurs points de vue, il nous remettra en mémoire nos lectures et il sera très utile à ceux qui ne sont pas familiers avec le monde de Balzac. Ces derniers seront très surpris par le nombre de juifs cités par Ketty Kupfer. Son ouvrage contient un véri- table inventaire, mais la présentation et les développements, s'il y a lieu, en rendent la lecture plaisante. Les sujets de réflexion qui se présentent alors peuvent intéresser particulièrement les lecteurs de notre Revue; ils se déploient en plusieurs directions. D'abord, le nombre de romans concernés; si on admet que la Comédie Humaine est avant tout le reflet de la société de son temps, la reproduit dans sa diversité, on y trouvera, chrétiens et juifs, des hommes et des femmes de toutes conditions. Certaines tares, certains vices, certains défauts incarnés par des personnages juifs, peuvent être at- tribués à la permanence de vieux préjugés qui remontent au Moyen Âge. C'est pro- bable, mais en même temps pourquoi, tous chrétiens, le vieux Séchard est-il avare, Vautrin criminel, Claparon usurier, Lousteau journaliste, du Tillet, banquier, es- croc? Chacun de ces types sociaux a les mêmes réflexes, le même comportement que son équivalent juif. De sorte qu'en y regardant de près la caractéristique exclu- sivement juive ne se retrouve que dans la beauté des femmes. Ketty Kupfer a eu soin d'expliquer en détail l'origine du rêve exotique du romancier, aboutissant à la création de personnages de femmes belles, touchantes, vertueuses mais absolument pas selon la morale usuelle. Deux personnages se prêtent à une étude plus poussée: Nucingen, le banquier, très lointaine caricature de Rothschild, redoutable, odieux, grotesque, rendu amou- reux fou par la rencontre d'une jeune femme, Esther, en qui cet athée revoit soudain une vraie figure de la Bible. Puis Gobseck, entièrement issu de l'imagination du romancier, figure complexe dans laquelle on peut discerner comment et par quels sentiments contradictoires en apparence, Balzac pouvait considérer un juif, usurier impitoyable envers ses débi- teurs, se tenant souvent à l'extrême limite de la légalité, chérissant l'or, les dia- mants surtout, avare jusqu'à la folie, humble par système, mais en même temps courageux, généreux et fidèle à la parole donnée. La pratique de l'hébreu aide Ketty Kupfer à expliquer le choix des prénoms exercé par Balzac, lui attribuant parfois des intentions inaccessibles à l'écrivain, ignorant évidemment de l'hébreu, dont les connaissances en cette matière se limi- taient à la lecture de la Bible en traductions latine ou française. Mais l'auteur nous démontrera facilement que Balzac était un lecteur assidu de l'Ancien Testament. Si on considère les personnages réels on s'aperçoit que Balzac a rencontré, sou- vent avec sympathie, des juifs hors du commun. Les Rothschild évidemment, à Pa- ris, Francfort et Naples, qui se montraient très obligeants et dont la simplicité de vie traditionnelle ébranlait même les préjugés de Madame Hanska. Ce sont les seuls juifs observant la religion, a écrit Ketty Kupfer, auxquels il faut ajouter un grand savant, Samuel Caën, qui avait composé pour Balzac une devise amoureuse en hé- breu dédiée à Madame Hanska, précieux talisman aux yeux du romancier. Il y eut aussi Léon Gozlan, baptisé très jeune par l'initiative de sa mère, dont on a écrit qu'elle n'était pas d'origine juive par une mauvaise interprétation de son nom, Estelle Provenzal, qui atteste au contraire des ancêtres au Comtat Venaissin ou en Espagne (Estelle, lire Esther, Provenzal, lire Serfati). Enfin, Henri Heine, ami très cher, tenu dans l'estime la plus haute par Balzac. 336 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES

Le romancier disposait ainsi d'informations sur les juifs ayant pris place dans la société en Occident, ce qui lui fait écrire: «Les juifs, en Allemagne, en France, sont des gens comme vous et moi». Quand il va trouver Madame Hanska dans son château en Ukraine, Balzac note ses impressions de voyage, en vue de les publier dans le Journal des Débats. Ce sera la «Lettre sur Kiev» restée inachevée (Balzac est tombé gravement malade), publiée pour la première fois en 1927. Balzac, en route, est passé par Cracovie, il y visite et admire de nombreuses églises, et ne semble pas avoir remarqué les juifs pourtant très nombreux alors. Mais il a été bien informé, comme le révèle une phrase où il évoque ceux qui se consacrent à l'étude à Cracovie, «les vrais Talmu- distes». Passé Brody, c'est la découverte par Balzac des juifs sujets à l'époque de l'Em- pire Russe qui va renouveler le sujet; en lisant Ketty Kupfer on prendra la mesure du regard balzacien et de la profondeur de ses analyses. Parfois il répète les propos de voyageurs, ou de vétérans de la Campagne de Russie, sur la misère et la saleté de ces pauvres gens, ou il reproduit des propos totalement malveillants provenant sans doute de l'entourage de Madame Hanska. Mais parfois aussi tout change, la réflexion dépasse les apparences, les informations provenant d'une autre source montrent les juifs se sacrifiant pour qu'un membre de chaque famille se consacre à l'étude des Écritures; ou bien Balzac explique à ses futurs lecteurs que, persécutés par les autorités, exposés au risque de déménagements imposés à l'improviste, ils convertissent leurs économies en perles fines que les femmes cousent sur leurs bon- nets. Ketty Kupfer en annexe a étoffé la nomenclature récapitulative des personnages par l'indication des romans où le lecteur pourra les retrouver. Et puis, en mémoire pieuse, elle a ajouté deux courtes notices rappelant l'épouvantable destin réservé, près de cent ans après le passage de Balzac, aux habitants de Brody et de Berdit- chev. Georges JESSULA

Alfred LOISY. — L'Évangile et l'Église. Autour d'un petit livre. Jésus et la tradition évangélique, Paris, Éditions Noesis, 2001, 482 pages.

On doit aux Éditions Noesis l'excellente idée de réimprimer ces trois ouvrages importants d'Alfred Loisy, présentés par Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, écri- vains et cinéastes. Alfred Loisy, né en 1857 et mort en 1940, a été ordonné prêtre en 1879 à l'âge de vingt-deux ans, est entré à l'Institut catholique de Paris en 1885 comme répétiteur d'hébreu, pour devenir professeur d'Écriture Sainte en 1889 à l'âge de trente-deux ans. Écarté quelques années après de l'enseignement catholique, il donne à partir de 1900 des cours à l'École pratique des hautes études, puis est élu en 1909 au Collège de France où il professera l'histoire des religions jusqu'en 1926. L'Évangile et l'Église est paru pour la première fois en 1902 et a connu plusieurs éditions jusqu'en 1930. Il s'agit d'une réponse circonstanciée à une série de confé- rences d'Adolf von Harnack dont les thèses, réunies sous le titre L'essence du christianisme, viennent d'être publiées en traduction française1.

1. A. HARNACK, Das Wesen des Christentums, Berlin, 1900 (= L'essence du christianisme, Paris, 1902). NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 337

Selon Harnack, il convient de mettre en évidence la distance entre Jésus et l'Évangile, en soulignant le caractère intemporel de son message et en précisant que le christianisme n'est que le produit de la mentalité humaine. Pour Loisy, le chris- tianisme est aussi le produit de la mentalité humaine, mais il en va de même pour Jésus qu'il convient de comprendre dans le cadre du judaïsme du Ier siècle. Alors que le savant allemand tente une allégorisation du Royaume de Dieu en Royaume des Cieux, le savant français le comprend comme le Royaume d'Israël, le royaume terrestre dont Jésus et ses disciples ont espéré la restauration. Pour A. Loisy, l'enjeu de L'Évangile et l'Église est double: (1) faire entendre publiquement son discours sur la méthode; (2) prononcer un plaidoyer pro domo pour soutenir sa cause et garantir la pérennité de ses recherches. Au tout début du XXe siècle, A. Loisy sonne la charge contre l'expression domi- nante du catholicisme français, farouchement conservatrice et traditionaliste. C'est cela que ses adversaires vont lui reprocher en le décrétant «protestant», «libéral», «allemand» — autant de motifs pour signer son arrêt de mort. Ses con- tradicteurs amalgament contre toute évidence les thèses de Loisy et de Harnack, fai- sant comme si elles ne formaient qu'une seule et même théorie hostile à la tradition catholique. Au nom de l'Église de France, catholique et romaine, les censeurs s'écrient que la critique d'A. Loisy n'est pas catholique et que sa méthode n'est pas chrétienne, car à sa base première se trouve un prétendu progrès de la foi qui en est la destruc- tion et qui conduit à nier les dogmes fondamentaux du christianisme et l'autorité historique des Évangiles. G. Mordillat et J. Prieur ont raison de souligner qu'aux yeux de ses détracteurs, A. Loisy est non seulement l'ennemi de la foi, mais un suppôt de Kant et de Hegel, un traître à sa patrie, un agent du rationalisme athée, voire un suppôt de l'«œuvre de démolition» organisée par le «judaïsme talmudique», tant l'affirmation répétée de la judéité de Jésus demeure inacceptable pour une société élevée dans l'«anti- judaïsme» (et non pas nécessairement l'«antisémitisme» comme le disent les deux présentateurs) foncier des discours sur le «peuple déicide» — l'affaire Dreyfus, il est vrai, n'est pas très loin. Afin de situer le niveau des débats, comment ne pas citer le chanoine Henri De- bout qui, en 1907, a objecté à l'abbé Alfred Loisy: «Comment ne vous apercevez- vous pas vous-même qu'une science dont les conclusions vont contre les enseigne- ments de l'Église est nécessairement fausse dans ses principes et dans son point de départ?» Au lieu de répondre par le mépris, A. Loisy réunit minutieusement les pièces de son dossier. Ce qui lui permet de faire paraître dans les premiers jours d'octobre 1903 une réponse intitulée Autour d'un petit livre qui est destinée à apai- ser le débat — le soi-disant remède est évidemment pire que le mal. Ainsi, c'est pour avoir écrit L'Évangile et l'Église et pour n'en avoir rien abjuré qu'Alfred Loisy a été excommunié le 7 mars 1908 par le pape Pie X. Il n'empêche qu'on doit à A. Loisy un certain nombre d'acquis que l'on peut ré- sumer en quatre points: (1) sa façon de replacer sans cesse la figure de Jésus de Nazareth au sein du judaïsme de son temps; (2) sa volonté de confronter les contra- dictions des textes, leur anomalies, leurs impasses, leur manques, leurs exagéra- tions — de les lire comme des livres écrits par des hommes et non pas inspirés par Dieu; (3) son analyse de la chronologie rédactionnelle des Évangiles, non seule- ment les uns par rapport aux autres mais aussi, à l'intérieur de chaque texte, par 338 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES strates successives; (4) son effort constant pour dissocier toujours la théologie de l'histoire pour éviter en permanence le présupposé christianocentrique. On trouvera aussi dans ce recueil un troisième ouvrage d'Alfred Loisy: il s'agit de Jésus et la tradition évangélique publié en 1910. La question de l'historicité des textes chrétiens a été posée depuis le XVIIème siècle non sans difficulté et polémi- que. Comme le disent G. Mordillat et J. Prieur, «Loisy a eu raison trop tôt. Il en a payé le prix fort. Loisy a gagné et perdu la partie qu'il avait engagée contre l'Église catholique. Il a gagné parce que son approche historienne des textes, ses analyses, ses conclusions qui paraissaient si scandaleuses en son temps, font aujourd'hui l'objet d'un très large consensus dans la communauté exégétique… Mais Loisy a perdu puisque ses livres ont été peu à peu condamnés au silence». A. Loisy, de son vivant, a publié en cinquante ans une trentaine d'ouvrages chez un petit éditeur scientifique, la Librairie Émile Nourry, rue des Écoles à Paris, et «Chez l'auteur» à Ceffonds. À l'étranger, plusieurs de ses titres ont fait l'objet de traductions ou réimpressions. En France, en revanche, son œuvre est devenue qua- siment introuvable, du fait qu'aucun de ses ouvrages n'a été réimprimé après sa mort. Sans compter qu'A. Loisy est devenu «un spectre qui hante l'exégèse néo- testamentaire» — selon l'expression de G. Mordillat et J. Prieur. En effet, fort cu- rieusement, il est rarement question de l'œuvre de ce savant dans les études historiographiques relatives au Jésus de l'histoire et à l'exégèse du Nouveau Testa- ment: on l'oublie purement et simplement2 ou on le minimise en considérant que ses découvertes sont excellentes à condition de les exploiter «avec justesse»3. A. Loisy a été un des premiers grands historiens et exégètes de son temps à esti- mer que «la première condition du travail scientifique est la liberté» et que «le pre- mier devoir du savant, catholique ou non, est la sincérité». La réimpression en un seul volume de L'Évangile et l'Église, Autour d'un petit livre et Jésus et la tradi- tion évangélique répare par conséquent en partie l'injustice «intellectuelle» qui a été faite à Alfred Loisy. On pourrait aussi souhaiter la réimpression de toute son œuvre, ou à la limite la reprise d'au moins ses grandes sommes et notamment par exemple La naissance du christianisme (1933) et Les origines du Nouveau Testa- ment (1936). On doit regretter que les excellentes tables des matières qui caractéri- sent la plupart des ouvrages d'A. Loisy n'aient pas été reprises dans cette réimpres- sion. Simon C. MIMOUNI

Shulamit ZEMACH-TENDLER. — Lehrbuch der neuhebräischen Sprache, Hambourg, Buske, 1999, 293 pages.

Ce manuel d’hébreu moderne constitue un instrument de travail très attendu qui comblera une lacune dans ce domaine en langue allemande. Il est le fruit d’une lon- gue expérience de l’A. dans l’enseignement de l’hébreu par une méthode appliquée

2. Comme c'est le cas dans la contribution de E. CUVILLIER, «La question du Jésus histo- rique dans l'exégèse francophone. Aperçu historique et évaluation critique», in D. MARGUE- RAT, E. NORELLI, J.-M. POFFET (éd.), Jésus de Nazareth. Nouvelles approches d'une énigme, Genève, 1998, p. 59-88. 3. Comme c'est le cas dans la contribution de C. PERROT, «La quête historique de Jésus du XVIIIe siècle au début du XXe», in Recherches de sciences religieuses 87, 1999, p. 353-372. NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 339

à l’Oulpan en Israël tout comme dans divers établissements en Allemagne. Il a pour but d’initier le néophyte à l’hébreu moderne en cinquante leçons réparties en gram- maire, dialogues, textes et exercices. Ce but semble réalisable à en croire l’Ambas- sadeur d’Allemagne en Israël, M. Niels Hansen, qui dans la préface de l’ouvrage (p. v) indique qu’il a tiré profit de cette méthode pour s’initier et progresser en hé- breu. L’ouvrage débute par une présentation du contenu de chaque leçon (p. ix-xv). L’introduction (p. 1-9) est consacrée à l’alphabet, la lecture et la transcription. Ensuite on plonge directement dans le texte. Au début de chacune des cinquante leçons on présente le nouveau lexique que l’on trouvera dans le texte. La gram- maire est expliquée au fur et à mesure que l’on avance dans les leçons. Celles-ci sont judicieusement arrangées autour d’un thème: la famille (leç. 11), l’expression du temps (leç. 19), faire ses courses (leç. 21), l’expression des sentiments. En plus du vocabulaire de base, un grand nombre d’expressions idiomatiques, de citations bibliques et des proverbes viennent enrichir le lexique, reflétant le génie de la langue et la mentalité israélienne. Chaque mot est accompagné d’une translit- tération, qui ne suit d’ailleurs pas la translittération conventionnelle, mais est adap- tée au système phonétique des langues germaniques. Ainsi le zayin est representé par /s/, le Ìet par /kh/, le kaph par /k/, le qoph par /k/, samekh et sin par /ß/, le shin par /sch/,… Dès le début le lecteur est sensibilisé aux deux types d’écritures: celui de l’hébreu carré et celui de la cursive moderne. L’ouvrage est dépourvu de tout terme technique, ce qui selon l’A. devrait faciliter une meilleure compréhension, par ex. le daguesh (léger, lourd et mappiq), le sheva et le changement vocalique de l’état construit ne sont pas élucidés. Le daguesh (léger et lourd) est omis dans la vocalisation; il n’est indiqué que dans les lettres /b/k/p/. Le sheva vocalique n’est pas toujours indiqué. L’A. suit en cela l’usage aujourd’hui en vigueur en Israël. Nous avons relevé quelques «bizarreries» et incohérences au niveau de la trans- cription. La transcription des lettres ’aleph et ‘ayin par /‘/ et /’/ est inversée, ce qui est contraire aux grammaires des autres langues sémitiques. À force de simplifier on passe à côté des phénomènes linguistiques qui faciliteraient la compréhension; donner» ( p. 103) aux 1re et 2e» נתן ainsi la «disparition du nun final» du verbe pers. sing. et plur. paraîtrait moins étrange si le daguesh et la capacité du nun à s’assimiler à la consonne suivante avaient été expliqués, d’autant plus que l’A. écrit avec daguesh. L’absence d’explication du daguesh de נָ ַתנּוּ sans daguesh, mais נ ָ ַת ִתי la forme x i x e x (= Pi‘el) (p. 139) nécessite une règle supplémentaire précisant que dans cette conjugaison. Un peu trop simpliste paraît פּ et כּ ,בּ deviennent פ et כ ,ב .(p. 150) . ִמ qui se réduit à ִמן aussi le traitement de la préposition proclitique vous, fém.) au lieu de) ַא ֶתן On rencontre aussi quelques fautes: par ex. toujours יו $ ֵַדע au lieu de יו $ ֵֵדע ,(p. 152, lg. 7) ( ַמה ִשּׁ ְמָך =) מה ִשמָך au lieu de מה ֵשמָך ,( ַא ֵתּן =) ַא ֵתן (p. 23, lg. 9). Les textes et exercices enregistrés sur cassette sont indispensables pour l’auto- apprentissage. Un index pratique par ordre thématique (p. 265-289), un index par ordre alphabétique (p. 291-293) et l’hymne national israélien (p. 294) terminent l’ouvrage. Ce livre à la présentation généralement soignée et claire constitue un instrument agréable à consulter et facilite une vraie progression dans l’acquisition de l’hébreu. On peut seulement espérer que dans une réédition, l’A. fournisse plus d’explica- tions et de règles phonétiques, au moins en résumé à la fin de l’ouvrage. Ainsi le 340 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES lecteur qui s’interroge sur le «pourquoi» pourra-t-il trouver une réponse à ses ques- tions. Malgré ces réserves, il convient de féliciter et de remercier l’A. pour la tâche en- treprise ici. Nous souhaitons avec l’A. que l’ouvrage contribue à une meilleure compréhension entre Allemands et Israéliens. Ursula SCHATTNER-RIESER

Michael BRENNER, Stefan ROHRBACHER (éd.). — Wissenschaft vom Judentum. An- näherungen nach dem Holocaust, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2000, 240 pages.

Recueil riche d'informations sur le présent des études juives en Allemagne, après un aperçu sur un passé par lequel nos disciplines sont encore en partie déterminées. Trois parties: développement historique, perspectives de recherche et d'enseigne- ment, bilan par domaines. I: I. Schorsch, «Das erste Jahrhundert der Wissenschaft des Judentums (1818-1919)» [bilan par discipline qui s'achève sur le legs méthodo- logique à l'Université hébraïque de Jérusalem]; Chr. Hoffmann, «Wissenschaft des Judentums in der Weimarer Republik und im “Dritten Reich”» [en 1917, Eugen Täubler travaille, dans l'esprit du siècle précédent, à l'insertion des études juives dans un cadre universel; Rosenzweig (Zeit ist's) témoigne au même moment, au contraire, d'une tendance à la «dissimilation» et à la recherche d'identité due no- tamment à la «Judenzählung» prussienne de 1916 qui avait marqué les juifs comme citoyens de seconde zone en plein effort patriotique; les deux courants vont dominer la période de Weimar, l'un pour la méthode scientifique et la spécialisa- tion, l'autre pour la pédagogie et la popularisation, jusqu'à la dissimilation forcée de 1933-42: de l'«autonomie culturelle» avec les difficultés financières et le retour au bercail de savants exclus des universités jusqu'à la Nuit de Cristal (nov. 1938) et la fermeture de la Hochschule libérale de Berlin en 1942. Cependant se développait avec W. Grau une «histoire de la question juive» — des méfaits des juifs —, dont témoignent huit volumes des Forschungen zur Judenfrage (1937-1944) et une tren- taine de thèses entre 1935 et 1942. Les projets de refondation à l'étranger avortè- rent; l'Université hébraïque recueillit des isolés selon ses capacités; aux États-Unis, l'intégration fut plus aisée dans l'institution libérale que dans la conservatrice, où libéralisme et germanité n'étaient pas prisés d'un corps enseignant en général est- européen]; M. Brenner, «Jüdische Studien im internationalen Kontext» [vue rapide des études aux États-Unis, en Israël, en Europe où seule France et Grande-Bretagne font l'objet d'un développement, ce qui est injuste au moins pour l'Espagne et l'Ita- lie]. II. «perspectives»: J. Dan, «Jüdische Studien ohne Gewißheit» [pour l'heure n'est possible, singulièrement hors de l'État d'Israël, plus particulièrement encore en Allemagne, que le travail au jour le jour, sans perspective théorique ambitieuse; comme ailleurs en Europe sauf en France, le domaine attire une majorité d'étu- diants et nombre d'enseignants non juifs, comme n'importe quelle littérature étran- gère]; K.E. Grözinger, «“Jüdische Studien” oder “Judaistik” in Deutschland. Aufgaben und Strukturen eines “Faches”» [la Réunification a été l'occasion d'une mise en question du modèle ouest-allemand des études juives (longtemps d'ailleurs demeurées notablement absentes, nach wie vor, des vieilles universités, hors un rôle ancillaire dans les études sémitiques, théologiques ou pastorales): peuvent-elles NOTES BIBLIOGRAPHIQUES 341

être une matière «normale», la science doit-elle servir le dialogue judéo-allemand? En 1991, la spécialisation en littérature rabbinique ancienne fut accusée de margi- naliser la discipline, de fausser la conception d'ensemble et d'être sans portée pour le «dialogue», au profit d'une interdisciplinarité, interne et externe, ou au moins d'une diversité qui fleurit dans les chaires créées depuis et que défend l'A.]; M. Schlüter, «Judaistik an deutschen Universitäten heute» [un enseignement, dont le spectre est détaillé, conçu en chaque université, à la différence des États-Unis ou d'Israël, pour pouvoir intégrer des débutants et être suivi en parallèle avec une for- mation générale dans chaque spécialité (philosophie, littérature, etc.); qui procure une compétence minimale d'ensemble tout en autorisant la spécialisation. Depuis 1974, des rencontres d'enseignants règlent les programmes, ce qui permet le pas- sage des étudiants d'une université à l'autre, et sont l'occasion de discussions et d'un consensus sur les contenus]; A. Gotzmann, «Entwicklungen eines Faches — Die universitäre Lehre in der Judaistik» [répartition des enseignements par spécia- lité; sont commentées à part l'acquisition de l'hébreu (et du yiddisch), la littérature rabbinique, l'histoire; domine un caractère général des formations qui, devant les difficultés budgétaires, doit se conserver sous forme de spécialisations locales com- plémentaires si la recherche allemande entend demeurer de niveau international, ou bien par l'intégration des disciplines juives avec les disciplines générales corres- pondantes]; W. Benz, «Antisemitismusforschung». III. Bilans: G. Stemberger, «Talmud und Rabbinische Literatur» [revue, après un point sur leur «préhistoire», des éditions, traductions, commentaires de la Michna, la Tosefta, des midrashim halakhiques, du TJ, des midrashim tardifs, et des études particulières; si l'érudition a changé depuis l'avant-guerre (les étudiants arrivent avec un œil neuf et un bagage léger), l'Allemagne occupe une position de premier plan, ce qui passe aussi par des publications en anglais]; G. Veltri, «“Jüdische” Philosophie — Eine philosophisch- bibliographische Skizze» [définition (double: question de l'identité juive; sens de la philosophie générale vue d'un point de vue particulier), histoire de la philoso- phie par périodes, usages du concept de philosophie juive, ce qui opposa Scholem et Jacob Taubes; bibliographie p. 151-163]; S. Rohrbacher, «Jüdische Geschichte»; H. Künzl, «Jüdische Kunst»; M. Aptroot, «Jiddische Sprache und Literatur»; D. Lamping, «Jüdische Literatur» [de langue allemande, contemporaine]. Jean-Pierre ROTHSCHILD

Shimon Dovid COWEN. — Jewish Thought in Context. Studies on the Relationship of Jewish and General Thought, 2e éd. revue, Melbourne [Victoria], Institute for Judaism and Civilization, 1998, 118 pages. Journal of Judaism and Civilization. Essays on the Relationship of Judaism with the Arts, Sciences and Values of General Civilization 1, 5758 (1998), Victoria, Institute for Judaism and Civilization [88 Hotham Str., E.S. Kilda, Victoria 3183, Australia], [VI]-106 pages.

On nous communique avec retard ces deux brochures, témoignage de l'effort es- timable du Rabbi Dr. Cowen, qui se réclame de Th.W. Adorno et du dernier rabbi de Lubavitch, pour insérer la pensée juive dans le contexte de la pensée, sinon «gé- nérale», du moins occidentale. Jewish Thought comprend cinq chapitres: le pre- mier fait correspondre les concepts de sujet, objet et praxis d'Adorno à ceux de 342 NOTES BIBLIOGRAPHIQUES peuple juif, de divinité et de service divin dans la tradition juive; les rapports de ces termes commandent les chapitres suivants qui mettent en parallèle la pensée juive et la philosophie des nations: le deuxième voit en Maïmonide comme en la pensée scolastique latine, son inspirateur saint Augustin et sa plus haute figure saint Thomas les représentants de doctrines de la transcendance, centrées sur l'objet; le troisième montre un retour au sujet pareillement à l'œuvre chez le Maharal de Pra- gue dans son insistance sur l'entité spirituelle constituée par le peuple juif, et dans le mouvement de la Renaissance; le quatrième, une identification du sujet et de l'objet dans l'absolu divin (R. Schne'ur Zalman de Liadi) et dans l'absolu selon Hegel; le cinquième, un intérêt pour la coopération de l'individu à l'absolu selon R. M.M. Schneerson et selon R. J.D. Soloveitchik, analogue à la praxis d'Adorno dans laquelle l'individu est l'auteur de la totalité sociale. Ces pages ont, entre autres, le mérite de montrer en acte une volonté de tenir ensemble le double héri- tage intellectuel du judaïsme occidental et de dégager des éléments communs du Zeitgeist des périodes envisagées: influence du contexte intellectuel sur la pensée juive, similitudes formelles, qui ne font pas perdre de vue l'hétérogénéité de la phi- losophie et du judaïsme. Présenté par le même Rabbi Dr. Cowen, directeur de l'Institute for Jewish Civilization, le Journal poursuit un objectif similaire. La confrontation, dans ce nu- méro, s'opère sur le terrain de la psychothérapie et sur celui du droit: G. Halasz, «Psychoanalysis and the Soul»; M. Gelman, «Viktor Frankl: Psychotherapy and the Quest for Meaning»; Sh. Cowen, «The Concept of a Person: Reflections on Judaism and Psychotherapy»; I. Waller, «Religious Premises of the Secular Law»; Sh. Cowen, «Eternal Law and Human Legislation: Secular and Jewish Perspecti- ves»; A. Strum, «Getting a get in Australian Courts». Nous ne pouvons que saluer avec sympathie ces tentatives pour formuler le judaïsme dans des termes qui le ren- dent pensable aujourd'hui, l'optimisme et la loyauté dont elles témoignent, quelles que soient les difficultés théoriques de l'entreprise. Jean-Pierre ROTHSCHILD