Patrimoine et patrimonialisation au Cameroun Les Diy-gid-biy des monts Mandara septentrionaux pour une étude de cas

Thèse

Jean-Marie Datouand Djoussou

Doctorat en ethnologie et patrimoine Philosophiae Doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

© Jean-Marie Datouang Djoussou, 2014

RÉSUMÉ Portant le titre Patrimoine et patrimonialisation au Cameroun: les Diy-gid-biy des monts Mandara septentrionaux pour une étude de cas, notre thèse est un chainon d'éléments argumentatifs orientés vers l'élucidation du statut de bien patrimonial. Elle s'inscrit dans le champ des recherches considérant le patrimoine et la patrimonialisation comme un ensemble de codes discursifs dont l'intérêt pour l'anthropologue est la compréhension du sens et non de la caractéristique ontique. Il s'agit de l'intelligibilité des rapports aux éléments patrimoniaux qui passe par une mise en évidence de la patrimonialité, l'expression des changements et des conséquences sociaux patrimogènes. De ce fait, le travail met en discours les mises en patrimoine et les rapports sous-tendant le statut d'élément patrimonial. D'une manière générale, c'est un exposé sur le grand paysage patrimonial du Cameroun à travers un regard à la fois vertical et horizontal qui souligne les différentes formes de constructions patrimoniales ayant eu cours dans ledit pays. Il est donc question d‘une mise en relief de l'alchimie de la construction patrimoniale, et donc, du comment les choses deviennent patrimoniales. Pour ce faire, notre thèse se penche sur l'analyse des processus de mise en patrimoine en les considérant dans deux échelles de temps focalisées respectivement sur leur genèse historique et leur construction procédurale actuelle. Ces deux niveaux de considération ont induit à constater que la patrimonialisation est un processus scellant l'alliance de divers acteurs et de contextes sociaux aussi bien sur le plan idéologique, politique que sur les plans social et religieux. Et avec l'exemple des Diy-gid- biy, notre thèse met en exergue certaines des caractéristiques qui permettent la détermination de l'appartenance d'une propriété à la sphère de biens portant des charges d'un attachement symbolique.

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ABSTRACT Entitled Patrimony and patrimonialization in Cameroon: the DGB sites of the northern Mandara Mountains as a case study, my thesis presents a linked series of arguments designed to clarify the concept of ―patrimonial good‖. It falls within a field of research that considers patrimony and patrimonialization as an ensemble of discursive codes, of which the interest to anthropologists lies in the understanding of meaning rather than in ontological characteristics. The thesis is concerned with the intelligibility of relationships to elements of patrimony arrived at by a process involving the identification of patrimoniality, the expression of changes and patrimogenic social consequences. Thus this work discusses the identification of patrimony and the relationships that underlie the concept of patrimonial element. In a general way, it is a presentation on the overall state of patrimony in Cameroon from a viewpoint that is both vertical and horizontal and which focuses on the different forms of construction of patrimony existing in that country. Identification of the alchemy of patrimonial construction is thus a subject of enquiry, as is the how of things becoming patrimonial. To achieve its results, the thesis relies on analysis of the processes of identification of patrimony, considering them in terms of two timescales, one focused on their historical genesis, the other on the construction procedures taking place in the present. These two levels of analysis lead to the finding that patrimonialization is a process embedded in the linkage of various actors and social contexts in the domains of ideology and politics as well as the social and religious. With the example of the DGB sites, the thesis brings out certain of the characteristics that allow determination of the attribution of a property to the sphere of goods laden with symbolic charges.

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TABLE DES MATIÈRES RÉSUMÉ ...... iii ABSTRACT ...... v Table des tableaux ...... xi Table des figures ...... xiii LISTE DES ABRÉVIATIONS ET SIGLES ...... xv REMERCIEMENTS ...... xvii INTRODUCTION GÉNÉRALE ...... 1 CHAPITRE 1 : CONTEXTE SCIENTIFIQUE ET CADRE MÉTHODOLOGIQUE ...... 9 Introduction ...... 9 1.1 Le contexte scientifique ...... 9 1.2 Problématique ...... 25 1.3 Le cadre méthodologique de la recherche ...... 32 1.3.1 Les clefs des sources ...... 33 1.3.2 Sources, justification et collecte ...... 39 1.3.2.1 Les données écrites ...... 39 1.3.2.2 Les données orales ...... 41 1.3.3 Analyse et interprétation des données ...... 52 Conclusion ...... 62 CHAPITRE 2 : LE CADRE THÉORIQUE ...... 65 Introduction ...... 65 2.1 Du patrimoine à la patrimonialisation : orientation théorique ...... 66 2.1.1 Orientation conceptuelle ...... 67 2.1.2 De la Patrimonialisation ...... 73 2.2.1 La question des concepts ou expressions dans les discours patrimoniaux ...... 79 2.2.1.1 Le binôme patrimoine-héritage ...... 80 2.2.1.2 Le binôme patrimoine culturel-ressources culturelles ...... 82

vii 2.2.3 Gestion des éléments culturels et patrimoniaux ...... 84 2.3 Les sens donnés au patrimoine ...... 92 2.3.1 Le patrimoine entendu comme mémoire/souvenir ...... 95 2.3.2 Le patrimoine vecteur d‘identité ...... 99 2.3.3 Le patrimoine perçu comme place ...... 102 2.3.4 La performativité dans les actes de patrimonialisation ...... 105 Conclusion ...... 108 CHAPITRE 3 : POLITIQUE ET RHÉTORIQUE PATRIMONIALES AU CAMEROUN ...... 111 Introduction ...... 111 3.1 Présentation générale du Cameroun ...... 112 3.1.1 Situation géographique ...... 112 3.1.2 Le cadre humain ...... 114 Composition socio-ethnique ...... 115 3.2 La patrimonialisation au Cameroun ...... 116 3.2.1 Les modèles de patrimonialisation endogènes ...... 118 3.2.2 Les Patterns de patrimonialisation exogènes ...... 126 3.2.2.1 Le début des modèles de patrimonialisation exogènes au Cameroun ...... 126 3.2.2.2 Le schéma postcolonial de la politique patrimoniale ...... 132 3.3 De la rhétorique patrimoniale au Cameroun ...... 144 3.3.1 Le patrimoine dominant ...... 145 3.3.2 Le patrimoine dominé ...... 159 Comprendre le patrimoine dominé ...... 169 Conclusion ...... 172 CHAPITRE 4 : LES DIY-GID-BIY DES MONTS MANDARA SEPTENTRIONAUX ET LE PATRIMOINE ARCHÉOLOGIQUE DE L‘EXTRÊME-NORD ...... 177 Introduction ...... 177 4.1 Présentation du cadre géographique et humain des DGB ...... 178 viii

Peuplement actuel des monts Mandara ...... 180 4.2 Les Diy-gid-biy ...... 181 4 .2.1 Descriptions des DGB ...... 181 4.2.2 Distribution des sites DGB ...... 183 4.3 Background scientifique des DGB ...... 186 4.4 La maçonnerie DGB à travers le Complexe de Kuva ...... 190 4.4.1 DGB-1 ...... 191 4.4.2 Détails architecturaux de DGB-1 ...... 192 4.5 Les DGB dans l‘ensemble archéologique de l‘Extrême-Nord ...... 194 4.6 Les valeurs des biens archéologiques de l‘Extrême-Nord ...... 202 4.6.1 La valeur historique ...... 206 4.6.2 La valeur sociale ...... 210 Conclusion ...... 221 CHAPITRE 5 : LES DIY-GID-BIY ET LA QUESTION DE LA PATRIMONIALISATION ET DE LA PATRIMONIALITÉ ...... 223 Introduction ...... 223 5.1 Patrimonialisation des sites DGB ...... 224 5.1.1 La patrimonialisation nationalisante des DGB ...... 225 5.1.1.1 Rétrospective de la patrimonialisation nationalisante des DGB ...... 225 5.1.1.2 Mécanismes de la patrimonialisation nationalisante des DGB ...... 228 5.1.2 La patrimonialisation locale des DGB ...... 233 5.1.2.1 Méthode et tactiques de la patrimonialisation locale ...... 234 5.1.2.2 La compréhension de la patrimonialisation locale ...... 238 5.1.3 Rapports des deux types de patrimonialisation autour des DGB ...... 240 5.2 Patrimonialité autour des Diy-gid-biy ...... 244 5.2.1 La patrimonialité récessive ...... 245 Un autre de dire : ...... 249 5.2.2 La patrimonialité locale ...... 251 ix 5.2.2.3 Le site familialement affectionné ...... 264 5.2.2.4 La symbolique de la patrimonialité locale autour des DGB ...... 266 5.2.3 Relations des patrimonialités en rapport avec les DGB ...... 269 5.3 Le statut patrimonial des biens archéologiques au Cameroun à la lumière des DGB ...... 271 Conclusion ...... 275 CONCLUSION GÉNÉRALE ...... 279 Bibliographie ...... 287 RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ...... 287 WEBPOGRAPHIE ...... 310 ANNEXE : RÉCITS DE PRATIQUES SUR LES DGB ET LES ILLUSTRATIONS ..... 311 DGB-1 DGB-2 ...... 311 DGB-6 ...... 312 DGB-7 ...... 314 DGB-8 ...... 315 DGB-9 ...... 316 DGB-10 ...... 317 DGB-12 ...... 319 DGB-15 ...... 320 LES APPENDICES...... 323 APPENDICE 1 : LA N° 91/008 DU 30 JUILLET 1991 PORTANT PROTECTION DU PATRIMOINE CULTUREL ET NATUREL NATIONAL ...... 323 APPENDICE 2 : LOI N°2013/003 DU 18 AVRIL 2013 RÉGISSANT LE PATRIMOINE CULTUREL AU CAMEROUN ...... 327 APPENDICES 3: MANAGEMENT PLAN OBJECTIVES AND KEY ACTIONS .... 344

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TABLE DES TABLEAUX Tableau 1.1 : Enquêtes sur le patrimoine géré par l'État ou qu'il entend gérer ...... 45 Tableau 1.2 : Enquêtes ethnographiques pour le patrimoine n'étant pas géré par l'État ...... 47 Tableau 1.3 : Codage thématique ouvert ...... 55 Tableau 1.4 : Codage en champs thématiques ...... 57 Tableau 4.1: Répartition des Diy-gid-biy par village ...... 184 Tableau 4.2: Datation C14 des sites DGB ...... 209 Tableau 5.1 : Catégorie patrimoniale des DGB et élément de consécration ...... 238

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TABLE DES FIGURES Figure 1.1 : Démarche méthodologique générale...... 63 Figure 3.1 : Carte géographique et administrative du Cameroun ...... 113 Figure 3.2: Filtrage des éléments en patrimoine ...... 118 Figure 3.3: Festivals au Cameroun.1-ngondo, 2-Nguon, 3-Féo kagué, 4-Peulh ...... 140 Figure 3.4: L‘une des cinq cases construites avec l‘appui de PSF ...... 142 Figure 3.5: Le monument de la réunification ...... 154 Figure 3.6: Le site de Bidzar présentant les traces de la clôture de protection ...... 155 Figure 3.7: Objets Sao trouvés chez des vendeurs d‘antiquités à Maroua ...... 156 Figure 3.8: Artefacts archéologiques — 1 et 2) Musée de ; 3) Musée de Makary ...... 161 Figure 3.9: La tour en terre crue de Goulfey — 1) le Goto; 2) l‘escalier ...... 163 Figure 3.10: Schéma relationnel et hiérarchique du patrimoine culturel au Cameroun ..... 174 Figure 4.1 : Situation géographique des monts Mandara et de l‘aire Diy-gid-biy ...... 179 Figure 4.2: L‘architecture DGB ...... 182 Figure 4.3: Distribution géographique des sites DGB ...... 185 Figure 4.4: Poterie caractéristique DGB ...... 189 Figure 4.5: Configuration du complexe de Kuva ...... 191 Figure 4.6 Quelques pièces archéologiques de l'Extrême-Nord du Cameroun ...... 195 Figure 4.7: Exemples de pièces archéologiques du Cameroun ...... 198 Figure 4.8: Sud du bassin du lac Tchad...... 199

Figure 4.9: Deux de nombreuses représentations présentes à Bidzar ...... 201 Figure 4.10: Vue de l‘est de DGB-1 illustrant la porte du cheval...... 213 Figure 4.11: DGB-1 illustrant l'aspect monumental de l'architecture DGB ...... 218 Figure 5.1 Visite sur le DGB-1 à Kuva ...... 226 Figure 5.2 : Catégories patrimoniales des DGB ...... 236 Figure 5.3: Niveaux de patrimonialisation des DGB ...... 243 Figure 5. 4: L‘autel sur DGB-8 ...... 261 xiii Figure 5. 5: Schéma rituel en relation avec DGB-12 ...... 264 Figure A.1 : Autel érigé à DGB-1 (1-pierre dressée ; 2-pot sacrificiel) ...... 311 Figure A.2 : Démonstration du rituel du Zom vérifiant l‘acceptation du sacrifice ...... 312 Figure A.3: pierre-gardienne de la famille et offrande rituelle ...... 314 Figure A.4: L‘autel sur DGB-7 ...... 315 Figure A.5: Sièges des officiants et pierres dresses ...... 317 Figure A.6: Le RS assis au pied de pierre qui transmet le sacrifice au DGB-10 ...... 318 Figure A.7: Lieux de rituels liés au DGB-12 ...... 320

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LISTE DES ABRÉVIATIONS ET SIGLES ACT: Analyse de contenu thématique

A.E.F: Afrique Équatoriale Française AHD: Authorised heritage discourse AMPO: Ancient Monuments Preservation Ordinance ASSEDEM: Association des Élites Musgum de Maroua BRA: Bushmen Relics Act BRARP: Bushmen Relics and Ancient Ruins Protection (BRARP) BRO: Bushmen Relic Ordinance 14C: Carbone quatorze CCU: Centre Catholique Universitaire CEP: Chad Export Project CHM: Cultural heritage management CICIBA: Centre International de la Civilisation Bantou COE: Centro Orientamente Educativo CS: Chef sacrificateur DGB: Diy-gid-biy DPC: Direction du Patrimoine culturel FENAC: Festival National des Arts et de la Culture GPC: Gestion du patrimoine culturel GRC: Gestion des ressources culturelles ICCROM: Centre international d'études pour la conservation et la restauration des biens culturels IFA: Institut de formation Artistique IFAN: Institut Français d'Afrique Noire INC: Institut national de Cartographie INTSH: Institut National Tchadien des Sciences Humaines

xv IRD: Institut de Recherche pour le Développement IRSAC: Institut de Recherche Scientifique en Afrique Centrale ISH: Institut des sciences Humaines MAETUR: Mission d'aménagement et d'équipement des terrains urbains et Ruraux MAP: Mandara Achaeological Project MASA: Marché des Arts et du Spectacle Africain MINCULT: Ministère de la Culture MSA: Middle Stone Age ORSTOM: Office de la Recherche Scientifique et technique d'Outre-mer PC: Patrimoine Culturel PNARSEC: Plan National d‘Elaboration de la Réglementation du Secteur de la Culture PNFISEC: Plan National de Financement du Secteur de la Culture PNDAP: Plan Nation de Développement des Arts Plastiques PNDDA: Plan National de Développement de la Danse PNDIFORC: Plan National de Développement des Instituts de Formation du secteur Culturel PNDMAC: Plan National de Développement de la Musique et Arts Connexes PNSFEC: Plan National de Soutien aux Festivals et Evénements Culturels POAPIO: Preservation of Objects of Archaeological and Paleontological Interest Ordinance PS: Pot sacrificiel SDN: Société des Nations RS: Responsable du sacrifice UNESCO: Organisation des Nations Unies pour l'Éducation, la Science et la Culture.

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REMERCIEMENTS Parvenu à ce stade de notre thèse, nous voudrions témoigner notre gratitude à tous ceux qui, d‘une manière ou d‘une autre, nous ont aidé pendant les différentes phases de notre cheminement académique.

Notre profonde reconnaissance va premièrement à l‘endroit d‘Habib Saidi et de Scott MacEachern qui, malgré leurs multiples occupations, ont bien accepté de codiriger notre thèse. En outre, nous tenons à remercier singulièrement Scott MacEachern, directeur du DGB-Archaeological Project sans lequel il nous aurait été presqu‘impossible de collecter les données constituant les matériaux de la présente thèse. Il nous restera gravé dans la mémoire que c‘est grâce aux frais défrayés du financement (alloué par la National Science Foundation, US) du DGB-Archaeological Project qu‘il nous a été possible d‘effectuer plusieurs voyages de recherches vers le Cameroun et à l‘intérieur de celui-ci.

À Réginald Auger dont le travail de pré-lecture a été d‘un apport substantiel pour la qualité de notre thèse, nous disons merci. Ses appréciations ont été également d‘un réconfort moral; car il n‘a pas hésité de souligner les forces de notre thèse.

Nous sommes redevable à N. David, directeur du Mandara Archaeological Project qui nous a permis de prendre connaissance des Diy-gid-biy. Depuis que nous avons fait sa connaissance, il n‘a jamais tergiversé à répondre à nos sollicitations. Nous lui prions de bien vouloir croire à la sincérité de notre gratitude pour ses multiples aides.

Nous exprimons notre reconnaissance à A. Marliac qui a répondu favorablement lorsque nous lui avons demandé l‘autorisation de reproduire quelques-unes des illustrations figurant dans certaines de ses publications.

Que dire du Bureau des bourses et aides financières et de la Facultés des Lettres et des Sciences Humaines de l‘Université Laval dont les politiques financières ont allégé le fardeau du coût de notre séjour d‘étude à Québec; nous vous en sommes gré. Dans la même lancée, nous expreimons notre gratitude au CELAT pour nous avoir donné un cadre de travail qui nous a été très utile.

xvii Nous remercions S. Mengolo, Mbaldina Moïse et Amadou Pouldo, qui ont été des compagnons infatigables lorsque nous arpentions les pentes de certaines montagnes, faufilions entre les blocs rocheux des monts Mandara pour des enquêtes au sujet des DGB. Dans la même veine, nous sommes reconnaissant envers Bissaï Sokona et R. Janson Lapierre, nos collègues au sein du DGB-Archaeological Project.

Nous disons également merci à R. Asombang, M. Elouga, C. Mbida, enseignants à l‘Université de Yaoundé I pour nous avoir toujours encouragé à faire des études doctorales. Merci particulièrement à R. Asombang, directeur de notre mémoire pour l‘obtention du diplôme d‘études appronfondies (DEA). C‘est avec lui que nous avions fait nos premiers véritables pas en méthodologie.

Merci à A. Metsa de nous avoir mis sur la piste du Mandara Archaeological Project lorsqu‘il a été déclaré définitivement admis à l‘École Nationale d‘Administration et de Magistrature (ENAM) du Cameroun.

À nos camarades et amis J.R. Daudruche et P.R. Nlend, nous adressons notre reconnaissance pour leur ouverture envers nous et les discussions ayant trait aux domaines scientifiques pour lesquels nous avons des points communs.

Nos remerciements sont aussi adressés aux responsables de tous les sites que nous avions visités pour la collecte des données. Ils vont pareillement à l‘endroit des ceux qui nous ont accordé de leur précieux temps pour la réalisation des entretiens.

Nous ne saurions terminer les remerciements sans exprimer la pensée que nous avons pour notre famille (parents, frères et épouse). La réalisation de notre thèse tient, en partie, à son soutien. Notre épouse Marie-Claire Fimigué, toute notre reconnaissance pour la patience dont tu as fait montre malgré la distance qui nous séparait pendant tout le temps qu‘a pris cette thèse.

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INTRODUCTION GÉNÉRALE Brillant désormais par l'arborescence de son champ d'application et l'élasticité de son contenu, le patrimoine culturel est de nos jours un fait d'utilité sociale dont l'importance tend à s'imposer (POULOT, 1997) aux acteurs des cadres sociopolitique, culturel, professionnel et scientifique. Il est au centre des questions de politique de protection, de préservation, de mise en valeur et d'appréhensions scientifiques. Toutefois, il faut souligner que même si les politiques en rapport au patrimoine culturel convergent par l'intérêt porté à la mise en valeur et la transmission aux générations à venir, les mécanismes mis en branle varient selon que l'on se trouve dans un contexte familial, ethnique, local, régional, national, continental et international. En d'autres termes, les mécanismes et techniques orientant les pratiques patrimoniales sont tributaires de l'environnement sociopolitique et socioculturel, voire géoculturel dans lequel les actions sont entreprises. C'est dire que les patterns de production du patrimoine et les procédés de sa transmission varient dans l'espace et dans le temps, en réponse aux divers besoins des sociétés humaines en perpétuel remodelage. Raison pour laquelle le processus de patrimonialisation apparaît comme un procédé prenant des formes diverses et protéiformes (SKOUNTI, 2010: 20), qu'il soit lu verticalement ou horizontalement. Outre, cette divergence politico-administrative, les angles d'approche scientifiques du patrimoine culturel sont pluriels. Cette pluralité est due, soit aux intérêts portés à tel ou tel autre aspect de la question patrimoniale, soit aux champs disciplinaires1 d'appartenance de ceux qui s'adonnent au domaine du patrimoine culturel.

Cela dit, intitulée « Patrimoine et patrimonialisation au Cameroun: les Diy-gid-biy des monts Mandara septentrionaux pour une étude cas », notre recherche trouve place au sein des préoccupations scientifiques relatives au patrimoine culturel. Les constructions patrimoniales connaissant une ascendance remarquable à travers le monde et donc, au Cameroun, consacrer un sujet de recherche à ce phénomène culturel rentre en droite ligne dans les champs des préoccupations anthropologiques. Ces dernières s'intéressant, entre

1 Eu égard au fait que les spécialistes se recrutent, entre autres, au sein des archéologues, des architectes, des ethnologues, des géographes, des historiens, historiens de l'art et muséologues, les angles d'approche et les questions traitées ne peuvent qu'être multiples.

1 autres, aux innovations sociétales, à ce qui a cours et ce qui est en construction, la question patrimoniale est, à n'en point douter, un sujet d'intérêt notable. Cette appréhension repose sur la pensée d‘AGIER pour qui s'intéresser aux émergences telles que la fièvre patrimoniale est une autre manière de faire de l'anthropologie. Il postule que « L'anthropologie des émergences, du contemporain, c'est aller découvrir ce qui naît, ce qui se transforme, ce qui est en processus » (AGIER, 2008 : 57).

Alors, si la patrimonialisation est le processus qui fait naitre le patrimoine et qui, parfois, le transforme, se pencher sur le binôme patrimoine et patrimonialisation, d'un cadre géographique bien délimité, est un esprit anthropologique d'étudier un phénomène actuel et bourgeonnant ayant un potentiel contributif pour le savoir scientifique. En fait, quoi que la littérature sur la question patrimoniale soit assez fournie, elle brille par une disproportionnalité de répartition géographique. Notre travail, comme le souligne le titre, s'intéresse au Cameroun où, comme ailleurs dans le monde, les actions orientées vers la protection et la mise en valeur du patrimoine culturel sont de plus en plus perceptibles dans l'espace public. Mais c'est un terrain très peu étudié ; nonobstant la richesse des représentations et la diversité des pratiques patrimoniales.

De ce fait, se situant dans la logique des sciences sociales, notre recherche s'attèle à décrire et analyser le contexte patrimonial camerounais. Elle s'entend également comme une explicitation de la place du patrimoine et les enjeux auxquels il répond au sein de la macro- société camerounaise. Il s'agit d'une contribution à la compréhension du fait patrimonial au Cameroun au travers de l'exploitation de différentes formes et catégories de discours, et ce, selon une approche holiste dont l'importance est la mise en exergue des grands ensembles d'élans patrimoniaux existant dans ledit pays.

Pour ce faire, outre le fait que le travail fait une part belle à une théorisation assez générale du patrimoine, il met en évidence les mécanismes de patrimonialisation et ce à quoi renvoie la notion de patrimoine lorsqu'elle est utilisée au Cameroun. Il est question, d'une part, de comprendre la diversité des consciences patrimoniales identifiables de nos jours au Cameroun. D'autre part, le travail se penche à cerner les usages multiples du vocable patrimoine dans les discours culturels performés, par les différents acteurs de la scène patrimoniale, sur notre terrain de recherche et porter à la connaissance de la communauté

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scientifique l'existence de considérations locales véhiculant le sens de l'acception patrimoniale de la modernité occidentale. D'où la formulation du premier fragment de notre sujet de recherche, « Patrimoine et patrimonialisation au Cameroun [...] », formulation qui, sans doute, laisse poindre le désir ou qui annonce la volonté de se baser sur un espace socioculturel et sociopolitique afin de participer aux débats sur la question patrimoniale.

Par ailleurs, le dessein de notre thèse n'est pas seulement la compréhension du phénomène patrimonial au Cameroun, mais de parvenir à une différenciation des biens patrimoniaux et culturels dont la tendance vers le tout-patrimoine des acteurs sociaux n'aide pas à lever l'équivocité. Cette ambiguïté, présente dans les discours patrimoniaux, se laisse percevoir à travers la propension à prendre tout ce qui relève de la culture, que celle-ci soit matérielle ou immatérielle, pour élément patrimonial. Ce constat constitue la raison d'être du deuxième et dernier fragment de notre sujet de recherche « [...] les Diy-gi'd-biy des monts Mandara septentrionaux pour une étude de cas ». C'est dire qu'à travers l'exemple des Diy- gid-biy, notre thèse s'emploie à montrer comment un bien passe du statut d'élément culturel à celui d'élément patrimonial. Elle permet de lire les marqueurs de la patrimonialisation, c'est-à-dire le processus au travers duquel les Diy-gid-biy ont été hissés au rang de bien patrimonial envers lequel se dégage un certain attachement. Ce dernier, qu'il soit d'ordre bureaucratique, affectif, religieux ou symbolique, est ce qui donne sens au statut patrimonial d'un bien de quelque nature que ce soit. Comme il est souligné au chapitre 5, il s'agit de la patrimonialité rendue intelligible par l'ensemble des rapports de protection, de conservation, de mise en valeur et de transmission aux générations futures dont est entouré l'objet de notre étude de cas.

Mais pour parvenir à cela, le travail place préalablement les Diy-gid-biy dans un contexte régional (voir chapitre 4) et national en les mettant en rapport avec d'autres éléments de la même catégorie culturelle afin de prouver la préférence qui leur a été accordée aux dépens des autres. Cette préférence dévoile l'évidence d'un acte de patrimonialisation qui sous- entend un choix, une sélection (BÉGHAIN, 1998), procédant ainsi à une mutation de statut, de fonction, d'usage et le dévoilement d'une autre valeur (FABRE, 1997).

3 Comme toute construction intellectuelle, la matérialisation de notre thèse a nécessité l'usage d'un certain nombre de matériaux. Il s'agit des données tirées des discours écrits et oraux, mais également de celles issues de l'exercice d'observation participante. La mise en forme, réalisée après un travail de recoupement, d'analyse et d'interprétation, a donné lieu à une structuration en cinq chapitres de l'ensemble de la thèse. Bien que chacun des chapitres soit organisé suivant une logique répondant à une thématique clairement définie, leur succession a été échafaudée pour une présentation que nous voulons cohérente.

Ainsi, le chapitre 1 porte sur le contexte scientifique et le cadre méthodologique. Bien que n'apparaissant pas dans le titre du chapitre, la problématique est l'une des composantes de ce dernier. Consacré au Cameroun, le contexte scientifique fait un bilan historiographique critique de ce qui a été fait en matière d'études patrimoniales sur ledit pays afin de dégager le problème scientifique auquel s'attaque notre recherche. À la suite de ce bilan critique, la problématique est formulée dans un ensemble comprenant une question principale, des préoccupations secondaires, pointant respectivement l'intérêt d'atteinte d'un objectif général et des objectifs subsidiaires. Et cette partie du chapitre se termine en soulignant les intérêts de notre recherche. La dernière partie du chapitre expose l'ensemble du cadre méthodologique réparti en méthodologie de collecte de données et méthodologie d'analyse et d'interprétation. La première fait état des natures des données ayant été collectées et utilisées tout en présentant la démarche qui a été adoptée à ce niveau du travail. Quant à la deuxième, elle n'est autre qu'une explication du schéma analytique et interprétatif soulignant les outils scientifiques ayant été mis à contribution.

Intitulé Le cadre théorique de la recherche et structuré en trois parties, le chapitre 2 présente le filon théorique d'ensemble de la thèse. Son contenu va de ce que nous avons appelé orientation théorique du patrimoine et de la patrimonialisation à un ensemble de sens attribuables au patrimoine, tout en passant par la sémantique discursive et la gestion des ressources culturelles et patrimoniales. La première partie met l'accent sur l'orientation conceptuelle du patrimoine en y jetant un regard diachronique qui souligne l'évolution reliée au champ définitionnel qu'a connue la notion de patrimoine et l'élargissement de l'assiette patrimoniale. Elle s'intéresse également à la question de patrimonialisation dans une démarche généraliste dont l'objectif est celui de montrer comment les mécanismes de

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mise en patrimoine ont été développés à travers le monde, bien que les exemples cités ne couvrent pas l'ensemble des continents. Se penchant sur la sémantique discursive et le sujet de la gestion des ressources culturelle et patrimoniales, la deuxième partie du chapitre, attire l'attention sur ce qui s'apparente à un usage à tous vents et parfois nom approprié du lexique patrimonial. Cet appel porte sur ce que nous considérons comme de l'amalgame conceptuel dans les discours patrimoniaux où il est parfois difficile de cerner ce à quoi renvoie, par exemple, le patrimoine culturel. Pour cela, la partie fait une lecture binomiale afin de souligner les subtilités sémantiques. Il est question des binômes patrimoine-héritage et patrimoine culturel-ressources-culturelles. La deuxième partie du chapitre se termine par ce qui a trait à la gestion des éléments culturels et patrimoniaux pour une mise en contexte des émergences des attitudes patrimoniales. À la troisième section du chapitre, nous faisons un exposé sur les sens du patrimoine, c'est-à-dire de ce que peut induire une réflexion sur le fondement qui sous-tend les constructions patrimoniales. De ce fait, il s'agit d'une orientation de notre travail percevant le patrimoine comme un construit pouvant exprimer le sens de mémoire, d'identité, de positionnement et d'élément de performativité.

Le chapitre 3 est consacré à la question patrimoniale au Cameroun, abordée de manière holiste. Portant le titre « Politique et rhétorique patrimoniales au Cameroun », il s'organise en trois parties. La première fait une présentation générale du Cameroun où nous mettons en exergue la situation géographique du pays et le cadre humain qui, pour nous, sont des éléments importants pour une étude s'intéressant à un fait social comme celui du patrimoine culturel. La deuxième partie du chapitre focalise sur la question de la patrimonialisation au Cameroun. Elle fait état, à travers des exemples tirés du grand mouvement patrimonial du pays, des mécanismes et techniques de mise en patrimoine ayant eu ou ayant cours dans ledit pays. La troisième partie se rapporte à la rhétorique patrimoniale du Cameroun dans son ensemble. Elle s'étale sur le sens que charrie la notion de patrimoine lorsqu'elle est utilisée par les acteurs de la scène patrimoniale camerounaise et livre la catégorisation des types patrimoniaux que notre analyse nous a permis de déterminer dans le contexte camerounais.

Quant au chapitre 4, il se rapporte aux Diy-gid-biy et leur mise en parallèle avec l'ensemble du patrimoine archéologique de la Région de l'Extrême-Nord du Cameroun. Il est

5 fractionné en six éléments structurants. Le premier fragment présente les cadres physique et humain dans lesquels se trouvent les Diy-gid-biy. Cette présentation, par rapport à celle du Cameroun faite au chapitre 3, permet au lecteur de se faire une idée assez claire des contextes environnemental et social de l'objet de notre étude de cas. Le deuxième fragment est spécifiquement voué aux Diy-gid-biy. Il fait une description de ces derniers pour que le lecteur ait une connaissance assez précise des éléments patrimoniaux sur lesquels notre travail se fonde pour élucider la question de patrimoine et de patrimonialisation au Cameroun. Pour plus de lumière, cette description est suivie d'une présentation de la distribution spatiale des Diy-gid-biy. Par ailleurs, pour mettre en évidence l'importance du choix que nous avons porté sur ces biens patrimoniaux, nous avons consacré le troisième fragment du chapitre au bilan historiographique en rapport avec les sites. Ce dernier fait mention des travaux scientifiques ayant été réalisés sur lesdits biens afin de prouver que l'angle patrimonial qui nous a intéressé demeurait assez peu débrouillé. Tandis que la quatrième partie du chapitre aborde l'angle structurel des Diy-gid-biy, la cinquième les situe dans le contexte archéologique de l'Extrême-Nord du Cameroun afin de prouver la richesse de cette région en matière d'artefacts de la culture matérielle du passé. Cette mise en parallèle permet de saisir la logique de la patrimonialisation qui, pour quelque raison que ce soit, laisse transparaitre la sélection d'un élément au sein d'un ensemble donné. Le chapitre se clôt par la présentation des valeurs des biens archéologiques de la Région de l'Extrême- Nord du Cameroun; puisque ce sont ces valeurs qui, le plus souvent, sont à la base de la conscience de mise en patrimoine.

Le cinquième et dernier chapitre de la thèse est celui au travers duquel nous présentons, par l'exemple des Diy-gid-biy, les arguments nous ayant permis de décrier l'amalgame sémantique prêtant à mettre en confusion le patrimonial et le culturel. Le chapitre met en relief les mécanismes ayant été mis à contribution pour hisser les Diy-gid-biy à l'échelle de biens patrimoniaux dont la reconnaissance est on ne peut plus évidente. Cette mise en exergue porte à la fois sur la mise en patrimoine desdits biens tant au niveau familial, communautaire que national. Il s'agit là de la patrimonialisation, processus au travers duquel un quelconque élément culturel est transformé en élément patrimonial. Ce statut, comme nous l'avons prouvé dans la deuxième partie du chapitre 5 qui expose les différentes formes et niveaux d'attachements aux Diy-gid-biy dont l'ensemble constitue la

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patrimonialité, est le trait permettant de dire que tel ou tel autre bien est patrimonial. Sur cette base, il nous a été loisible de remettre en cause les travaux présentant l'ensemble des artéfacts archéologiques du cadre géographique de la recherche comme éléments patrimoniaux du Cameroun, pas dans le sens juridique, mais dans celui de biens auxquels on accorde une certaine attention.

En fait, si tant est que le patrimoine n'existe que par l'existence des acteurs sociaux qui lui donnent forme et vie selon les besoins de l'heure, axiome de la problématique de notre thèse, ce qui intéresserait le scientifique devrait être l'élucidation des attitudes patrimoniales et des patrimonialités reliées à tel ou tel bien de quelque nature que ce soit. Mais le constat, pour peu élogieux qu'il soit, qui se dégage de plus en plus est que des archéologues, ethnologues, historiens, historiens de l'art, etc. s'investissent à proclamer des patrimoines dont il est peu évident d'établir la patrimonialité afférente.

Par ailleurs, des détails dont l'insertion dans les corps des chapitres n'était pas nécessaire, mais qui demeurent utiles pour la compréhension de certaines parties de la thèse, sont mis en annexe et en appendices.

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CHAPITRE 1: CONTEXTE SCIENTIFIQUE ET CADRE MÉTHODOLOGIQUE

INTRODUCTION

Toute entreprise de recherche ne naissant ex-nihilo, produire des connaissances scientifiques est un exercice nécessitant une mise en contexte et une méthodologie appropriée. Pour ce faire, ce chapitre met l‘accent sur le contexte scientifique dans lequel se situe notre recherche en présentant les travaux traitant des recherches patrimoniales qui ont été conduites au Cameroun. Il livre également les sources dans lesquelles nous avions puisé les différentes données ainsi que leurs justifications. En outre, il est également question de présenter les éléments méthodologiques qui ont été exploités pendant toutes les phases de réalisation de l‘ensemble du travail. De ce fait, le chapitre s'article principalement autour du contexte scientifique duquel découle le problème correlatif. Celui-ci étant déniché, s'en suit la formulation de la problématique de recherche dont les éléments de réponse se trouvent dans les chapitres suivants. Mais étant donné que pour obtenir des résultats il faut préalablement suivre une certaine démarche, la problématique est suivie du cadre méthodologique. Ce dernier concerne aussi bien la collecte des données que l'analyse de celles-ci et leur interprétation.

1.1 LE CONTEXTE SCIENTIFIQUE

La question patrimoniale a été et est l‘objet de problématisation à travers le monde. On est parti de la période de définition de la notion de patrimoine aux questions liées à sa gestion en passant par l‘interrogation du processus de sa mise en forme.

Au Cameroun, la lecture des travaux scientifiques relatifs aux études culturelles conduit à une évidence : les recherches menées dans le domaine de la politique patrimoniale sont rarissimes. À l‘état actuel des connaissances, il n‘y a aucune recherche qui a été conduite dans le sens de saisir les logiques patrimoniales du pays à la fois sur le plan national, régional et ethnique. Certes, il y a des auteurs, comme on le verra ci-dessous, qui se sont penchés sur la question, mais le champ de recherche sur le patrimoine culturel au Cameroun demeure l‘un des moins explorés.

9 La littétature en lien avec ledit champ de recherche laisse apparaître une prédominance des travaux des archéologues.1 La plupart des ces derniers ont travaillé dans le cadre des études d‘impacts environnementaux lors des travaux de construction des routes et du pipeline. Leurs travaux présentent davantage les résultats purement archéologiques auxquels ils sont parvenus. Ils ne mettent pas ledit patrimoine en lien avec les Camerounais dont les rapports à ces éléments culturels élucideraient le statut de biens dotés de considération particulière.

Pour des besoins de mise en contexte, rappelons, en substance, ce qui a été déjà fait par ceux qui, d'une manière ou d'une autre, ont abordé ou traité de la question patrimoniale au Cameroun.

En 1975, BAHOKEN et ATANGANA publient un ouvrage intitulé La politique culturelle en République unie du Cameroun. Le titre indique clairement qu‘il s‘agit d‘un travail qui se penche sur la politique culturelle au Cameroun. Il traite des cadres ethnoculturel et institutionnel du développement culturel, de la politique culturelle du Cameroun d‘antan, des écrivains et artistes camerounais et l'action culturelle publique et privée. Les auteurs présentent aussi des données sur la planification et l‘organisation des biens culturels, le contenu culturel de l‘éducation, la formation du personnel, l‘évaluation des besoins culturels. Ils mettent en évidence la politique du renouveau culturel postcolonial dont le but principal est la ré-patrimonialisation2 des valeurs culturelles ayant été dé-patrimonialisées3

1 Si on exclut BAHOKEN, ATANGANA et NDOBO qui ne sont pas archéologues, nous avons affaire à des archéologues. À l‘exception de DAVID et de NYST, tous les autres ont été impliqués, d‘une manière ou d‘une autre, dans la politique relative à la protection/conservation et gestion du patrimoine culturel en général, mais archéologique, en particulier. Ils furent des acteurs actifs et passifs dans les travaux d‘expertises archéologiques lors de grands travaux d‘aménagement, d‘exploitation minière, construction routière, pipeline, etc. 2 La notion de ré-patrimonialisation dont nous faisons usage a pour but d'exprimer le nouvel attachement des pouvoirs publics camerounais, ou du moins, leur intérêt avoué pour la conservation et la valorisation des éléments culturels d'origine locale que la volonté de l'administration coloniale voulait faire subjuguer par la culture occidentale. 3Les valeurs culturelles dé-patrimonialisées sont celles dont les efforts de la politique d'assimilation culturelle de l'administration coloniale avaient amené les populations à leur accorder très peu d'importance ou pas du tout.

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par les affres des politiques d‘assimilation culturelle allemande, britannique et française qu'avaient subies les peuples autochtones de 1884 à 1960. Ce travail, mis dans son contexte temporel de production, constitue une bonne synthèse scientifique qu'aura été la politique culturelle camerounaise institutionnalisée selon le prisme occidental.

GEARY s‘est investi à l‘étude des politiques culturelles déployée au sein de deux entités culturelles des Grassfields camerounais que sont les communautés Bamoum et les Bali- Nyonga. En 1984, il s‘est intéressé à la collection du musée du palais bamoum (bamoun) de Foumba. L‘étude menée par GEARY a été l‘objet d‘un catologue intitulé « Les Choses du Pays ». Quatre ans plus tard, il va publier un article sous le titre « Art and political process in the kingdoms of bali-Noyonga and Bamum (Cameroun Gassfields). Le premier fait fait référence à un ensemble de choses (njoo) d‘origine variée ayant été leguées à la chefferie par les différents chefs ayant occupé le trône. Ces biens, assez anodins à première vue, sont chargés de représentations véhiculant la conception sacrale du pouvoir. Appelés parfois choses du palais (njoo ntoh) et placées sous l‘œil bienveillant du mfor (chef), ces objets hétéroclites témoignent de l‘intérêt du mfodom (chefferie) pour la mise en patrimoine. Le second article met en parallèle les conceptions patrimoniales des dignitaires des communautés mises en exergue. Les résultats de recherches menées par GEARY mettent en évidence des métaphores dont usent les communautés au centre de son étude pour désigner les éléments patrimoniaux.

De son côté, NYST va se mettre sur les pas de GEARY en s‘intéressant au patrimoine culturel cheffal au Cameroun; celui d‘une chefferie traditionnelle des Grasslands camerounais. En 1996, elle commet un article sous le titre « Le trésor cheffal et le projet de musée du palais à Bafut (Cameroun) ». Publié aux Annales d’histoire de l’art et d’archéologie de l‘Université libre de Bruxelles, cet article apporte de la lumière sur la mise en patrimoine d‘un ensemble d‘objets que NYST nomme trésor cheffal. Il porte précisement sur une initiative du pouvoir traditionnel qui entend mettre sur pied une institution muséale devant protéger et valoriser certains biens culturels pour lesquels il accorde une attention particulière.

Deux ans plus tard, NYST produit une thèse de doctorat dont le sujet est « Bafut: une chefferie et son trésor. Eléments pour l‘étude de la gestion culturelle traditionnelle ». C‘est

11 la toute première recherche universitaire de niveau doctoral conduite au Cameroun sur la politique de gestion culturelle traditionnelle. C‘est un travail très fouillé qui montre une facette des considérations patrimoniales locales où le pouvoir traditionnel semble le pivot des mécanismes mis en marche pour la réalisation d‘un objectif assez complexe, mais très noble.

En 2001, NYST se penche sur le palais de Bafut qui n‘est pas une simple résidence du chef, mais un élément patrimonial d‘ordre communautaire. En bref, le travail de l‘auteure montre que le palais n‘est pas la propriété privée du chef, mais plutôt la maison du pays, c‘est-à- dire du peuple bafut. Publié aux Annales d’hitoire de l’art et d’archéologie de l‘Université libre de Bruxelle, cet article qui est intitulé « Le palais de Bafut (Nord-Ouest Cameroun) et ses dépendances : description et symbolique de la ―maison du pays‖ » est une contribution très significative à l‘historiographie des études partrimoniales au Cameroun. Cet article ne fait pas seulement une simple description de la « maison du pays » (le palais) pour une mise en lumière de son aspect grandiose et l‘ingéniosité architecturale des locaux qui a été mise à profit. Il met aussi en exergue les égards qu‘ont les Bafut pour ce qu‘il considèrent non seulement comme un simple ensemble d‘habitations remplissant des fonctions propres à la gestion cheffale, mais un bien au cœur des préoccupations communautaires de protection et de sauvegarde, voire de mise en valeur d‘une identité socioculturelle et sociopolitique.

En 2006, NYST publie un autre article sous le titre « Le trésor de la chefferie de Bafut: un musée ? ». Avec l‘ensemble de connaissances qu‘elle a acquises sur la gestion culturelle de la chefferie de Bafut, NYST amène le lecteur à percevoir le palais non seulement comme un enemble d‘habitations, mais aussi comme un musée dont l‘organisation interne constitue une sorte de conception muséale et muséographique. La chefferie protège, conserve et met en valeur certains artefacts qui semblent décliner l‘identité culturelle et politique des Bafut.

Si nous pouvons nous permettre de résumer l‘ensemble de la production de NYST, nous dirions qu‘elle a abordé la question patrimoniale camerounaise par l‘analyse d‘une politique muséale cheffale. Les travaux de NYST apportent une importante contribution à la littérature patrimoniale relative au Cameroun. Son analyse et ses interprétations essaient de lever le voile sur les charges symboliques incarnées par les artefacts. Elles révèlent également l'existence des mécanismes de mise en patrimoine (même si elle ne le souligne

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pas explicitement) et d'un vocabulaire patrimonial local (voir chapitre 3). Mais ce dernier semble en passe de disparition à cause de la forte emprise lexicale imprimée par le discours patrimonial dominant.

En outre, le travail d'analyse fait par NYST, permet au lecteur de faire une distinction entre élément culturel et élément patrimonial. Cette clarté discursive, bien que se limitant à un exemple cheffal, est assez contributive pour le champ patrimonial dans un contexte où les discours des acteurs ont tendance à verser dans une sorte de confusion sémantique.

Par ailleurs, au sortir de la lecture des travaux de l'auteure, l‘on est assez édifié sur les enjeux qui ont présidé à la mise en patrimoine de cet ensemble d'éléments de la culture matérielle des Bafut. Nous entendons par là, les intentions qu'expriment implicitement les biens culturels que l'auteure reconnait comme éléments patrimoniaux pour la communauté Bafut en général.

Dans ce défrichessement de la question patrimoniale au cameroun, ASOMBANG, archéologue camerounais, a mis sa main à la patte. En 1989, il se penche sur le rapport entre musée et identité en Afrique. L‘article publié à cet effet a pour le titre « Museums and Afrcan identity: The museum in Cameroon- a critique ». Comme l‘indique le titre, l‘auteur problématise la place des musées dans la construction et la valorisation identitaire des entités culturelles africaines. En 2003, ASOMBANG souligne, dans un artilce publié en ligne par Enjeux, les avancées auxquelles sont parvenus les pouvoirs publics dans les politiques de gestion des ressources culturelles. Il laisse savoir l'intérêt, de plus en plus manifeste, que la politique gouvernementale accorde à la question culturelle en général et au patrimoine culturel en particulier.

En 1999, s‘intéressant à la question du Musée National du Cameroun, NDOBO fait une analyse du contexte de conception du projet de création dudit musée. Elle y relève les enjeux qui semblaient avoir sous-tendu la politique culturelle d‘envergure nationale qui entendait se mettre sur place. L‘auteure a aussi procédé, de manière peu approfondie, à une analyse du contenu du projet en soulignant, à grands traits, les différents volets dont la matérialisation qu'allait constituer le complexe muséal. Ce dernier, s'il avait été mis sur

13 pied, aurait été le tout premier du rêve culturel camerounais dont les origines sont aussi anciennes que les orientations des politiques culturelles du Cameroun indépendant.

Mais ce qu‘on touverait à redire concernant son travail est qu‘il ne fait pas le tour d‘horizon de la question des musées au Cameroun. Il aurait été plus intéressant si elle s‘était adonnée à piocher dans le champ épistémologique des pratiques muséales qui se sont développées dans le pays. Cette lacune ne permet pas au lecteur de cerner les étapes de la politique muséale dans le pays et par ricochet, celles de la gestion du patrimoine culturel. Pourtant, la littérature au sujet de la question culturelle au Cameroun, quelle soit administrative, politique ou scientifique, avait déjà une certaine avancée si tant est que les institutions muséales étatisées existent au pays depuis la première moitié des années 1940.

La même année, POMPEO publie aussi un article portant également sur le grand projet qu‘a été celle de la création du Musée National du Cameroun. Intitulé, « L‘ethnologue ``génant``4 ou les vicissitudes du Projet de création du Musée national au Cameroun », ce travail fait promener le lecteur dans les coulisses de toutes les tractations qui eurent cours pour la réalisation de ce noble projet, mais qui, au final, ne sera d‘ailleurs qu‘une simple et bonne intention qui échouera à la croisée de chemins.

MACEACHERN (2001), dans le cadre du projet de l‘oléoduc baptisé Pipeline Tchad- Cameroun, a mené une étude sur la gestion du patrimoine. Il s‘agit d‘un article portant le titre « Cultural resource management and Africanist archaeology » et publié par Antiquity. MACEACHERN y a fait un bref rappel de l‘historique de la gestion des ressources culturelles en rapport avec les pratiques archéologiques en Afrique subsaharienne. Les difficultés entravant cette gestion y sont également mises en exergue. Les plus évidentes sont celles liées au manque de financement, des structures, de personnel et la non- opérationnalité des législations devant garantir un meilleur contrôle des activités touchant directement ou indirectement les éléments du patrimoine culturel.

4 Ces guillemets sont de l‘auteur.

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Dans le cadre spécifique de l‘archéologie préventive ou de sauvetage, l‘article souligne le manque d‘archéologues africains formés en la matière, bien que les archéologues africains veuillent de plus en plus avoir le contrôle de ce qui relève de leur discipline scientifique d'appartenance. Sur le plan de financement, la plupart des grands projets d‘investissement public qui s‘effectuent en Afrique sont financés par des organisations occidentales, à l'instar de la Banque Mondiale et l‘Union Européenne. Ceci ôte le voile sur le manque de sensibilité des gouvernements en rapport avec ce qui touche la culture matérielle du passé. Et, le pouvoir fiduciaire aidant, ces pourvoyeurs de fonds jouent un rôle crucial lorsqu'il faut procéder au choix des experts devant conduire l‘expertise dont nécessitent les projets.

Ceci a amené MACEACHERN à faire le constat relatif aux acteurs sociaux intervenant dans le domaine d‘études d‘impacts environnementaux. Il note que les archéologues africains sont assujettis aux décisions des puissances extérieures qui les relèguent au second plan de la gestion du patrimoine culturel de leur pays. L'exemple des travaux réalisés sur le tracé de l'oléoduc Tchad-Cameroun témoigne fort à propos de la pertinence du constat de l'auteur qui a travaillé comme consultant dans la réalisation du projet. Mais selon lui, pour palier cette injustice, la Banque Mondiale et toute autre organisation de même envergure, devrait intégrer un programme de formation en gestion de ressources culturelles à travers certains pays d‘Afrique.

Le travail de LOUMPET (2003), un autre archéologue camerounais, essaie, peu ou prou, de toucher l‘angle sous lequel nous avons abordé la question du patrimoine au Cameroun. On y trouve des analyses sur la conception de la notion du patrimoine, les lieux de mémoire, le champ du patrimoine monumental dans l‘écriture de l‘histoire. La contribution se rapporte aux prémices du niveau d'intérêt que le Cameroun a atteint aujourd'hui sur la gestion des biens culturels. LOUMPET dira que la notion de patrimoine apparaît tardivement dans le discours politique et social camerounais. Selon lui, les premières esquisses d'une conscience patrimoniale nationale se situent aux années 1970. Son argument se fonde sur un nationalisme culturel manifesté par les pouvoirs publics. Il s'agit d'une action d'éclat réalisée par l'État du Cameroun qui rachète une statuette qui avait été volée dans la chefferie de Kom et déterritorialisée non seulement de son contexte socioculturel, mais aussi hors des frontières nationales. LOUMPET renchérit en parlant d'une

15 patrimonialisation à outrance dans les discours politiques ou sociaux d'alors. C'est un discours nourri de l'idée d'un enracinement culturel commun jouant dans le registre de l'émotionnel et de l'affectif, faisant du patrimoine un leitmotiv. Par ailleurs, lors de l'interview qu'il a accordée à Africa245, LOUMPET relève également la confusion conceptuelle dans laquelle se plonge l'idée du patrimoine. En outre, il souligne que sans travail d'inventaire systématique préalable qui consacre la reconnaissance et l'inscription à la liste de biens patrimoniaux, on ne saurait parler de politique patrimoniale et encore moins de patrimoine. Pour lui, l'on ne sait pas encore définir les catégories objectives du patrimoine et la question de compétence en serait la cause principale.

Quant à la contribution d‘OSLISLY (2007), il s‘agit d‘un article que nous avons consulté en ligne et qui porte sur les mégalithes et l'art rupestre. Pour l'auteur, ces réalisations constituent un pan méconnu du patrimoine; car le titre « Mégalithes et art rupestre: patrimoine méconnu au Cameroun » rend bien compte de la pensée de l‘auteur. La question que l'on se pose à la suite de la lecture de cet article est celle de savoir si les représentations mégalithiques et rupestres citées par l'auteur est un patrimoine méconnu, quelle est la forme de patrimonialité y afférente. L'on pourrait aller plus loin avec le questionnement en disant que si c'est un patrimoine méconnu, à qui attribue-t-il cette méconnaissance ? Sans trop vouloir lire dans la boule de cristal, puisque l'auteur n'étant pas assez précis, l'article semble dire que c'est une méconnaissance aux niveaux intra et extranationale. Alors, s'il y a un côté national de la méconnaissance, ces éléments culturels sont patrimoniaux pour qui ? N'assiste-t-on pas là à la proclamation d'un statut patrimonial qui, en réalité, n'existe pas chez les locaux. En fait, les mégalithes et les arts rupestres qui sont de plus en plus objet de patrimonialisation sous certains cieux, semblent n'avoir pas encore atteint ce niveau de considération au Cameroun, si l'on exclut les pétroglyphes de Bidzar dont l'initiative de mise en patrimoine revient d'ailleurs aux chercheurs étrangers6. Pour nous, l'auteur n'a pas

5 www.dailymotion.com/video/xj5u02_l-interview-germain-loumpet consulté le 22 février 2011. 6 Les pétroglyphes de Bidzar avaient été trop tôt perçus comme élément pouvant aider à l‘écriture ou la réécriture de l‘histoire culturelle et artistique du pays et par ricochet, l‘enrichissement de son patrimoine culturel. Pour l‘archéologue français MARLIAC, cet art rupestre est un point essentiel pour le référentiel culturel du Cameroun. En fait, c‘est au début des 1970 que Marliac commence à faire des investigations sur les pétroglyphes de Bidzar, préalablement signalés par BUISSON (1933), JAUZE (1944), NICOLAS (1951), 16

tenu compte du fait que ce qui est patrimonial sous certains cieux peut avoir une considération contraire sous d'autres. Il y a lieu ici de souligner une sorte de transposition de considérations patrimoniales. La sensbilité de l‘auteur pour la mise en valeur des biens archéologiques est d‘ailleurs assez connue au Cameroun. Par ses soins, certains vestiges archéologiques ont été mis en vitrine à l‘Institut de Recherche pour Développement (IRD) de Yaoundé. On y trouvait aussi une affiche géante présentant les richesses mégalithiques susceptibles de patrimonialisation et de valorisation. Par la suite, il a transféré cette documentation à Vabioce7, structure de consultance oeuvrant dans le domaine de la mise en valeur de la biodiversité et des écosystèmes dont le patrimoine archéologique est l‘une des composantes.

Les ouvrages de LAVACHERY et al. (2010), MARET DE et al. (2008) présentent les contours, les détours, les problèmes et les résultats des recherches conduites sur le tracé de l‘oléoduc Tchad-Cameroun.

Le premier est le gros œuvre de toute l‘archéologie du pipeline, recherches conduites dans le contexte du « programme de gestion du patrimoine culturel du CEP8 » (LAVACHERY et al. 2010: 29). Au primier abord, l‘intitulé de ce programme du CEP laisse sous-entendre que les biens archéologiques étaient d‘ores et déjà des éléments patrimoniaux des pays dans lesquels allaient être effectués les travaux du pipeline.

De ce fait, quoi qu‘il eût été davantage question d‘un programme de pratique de l‘archéologie préventive et de sauvetage dans le but d‘éviter ou, du moins, minimiser la destruction des sites archéologiques, ces travaux effectués l‘ont été sous le label d‘une vision de gestion patrimoniale. Dans l‘ouvrage cité, outre le fait que les auteurs présentent toutes les étapes traversées pour sa réalisation, ils y ont bien voulu faire partager les aspects

MVENG (1965) et ALIMEN (1966). Sa fréquente présence sur le site va ralentir la destruction de ce dernier, entamée il y a quelques décennies, par l‘exploitation du marbre sur lequel sont imprimées les gravures (MARLIAC, 1991). Il va signifier, avec insistance, l‘importance de cet art aux autorités compétentes pour qu‘une décision indiquant la protection soit prise. Sous cette insistance et excitation, il a été interdit d‘exploiter les dalles gravées et celles des alentours immédiats. 7 Valorisation de biodversité, de la culture et des écosystèmes. 8 CEP est l'acronyme de Chad Export Project, projet de construction du pipeline Tchad-Cameroun

17 liés aux paysages socioculturel et politique des visions patrimoniales des deux pays. On y trouve des données se rapportant aux ressources du domaine patrimonial telles que le personnel, les institutions et les infrastructures.

Ainsi, l'on pourrait retenir de cet ouvrage que le Cameroun ne disposait pas, avant le démarrage du CEP, de centre de traitement du matériel archéologique répondant aux normes de l'UNESCO9. Mention est également faite d'un manque d'équipements indispensables à l'exécution des recherches archéologiques. On y relève aussi la relative expérience en matière de gestion de patrimoine culturel et leurs procédures dont disposaient les archéologues travaillant dans le domaine au Cameroun depuis les années 1990 (Ibid.: 12). Sur le plan réglementaire, le document souligne l'existence des dispositions se rapportant à la politique patrimoniale. Il s'agit de la loi nationale, des conventions internationales et les accords conclus avec le CEP.

Tel que nous l‘avons dit plus haut, le document apporte très peu de lumière sur l‘archéologie de la gestion du patrimoine culturel10 dans le pays. En outre, les cadres réglementaire et institutionnel de gestion du patrimoine n‘y sont évoqués que de manière superficielle. Par ailleurs, la lecture de l‘ouvrage ne permet pas de cerner la patrimonialité que les Camerounais et les Tchadiens prononcent envers les biens archéologiques dont le programme en fait un pan important du patrimoine culturel.

Le second est un article publié dans les actes du colloque de Nouakchott (MOHAMED NAFFÉ et al. 2008; MARLIAC et al. 2008) sur l‘Archéologie préventive en Afrique de l‘Ouest». C'est un article réalisé en forme d'entonnoir; ouvrant la contribution sur l'Afrique subsaharienne en général et revenant sur le CEP comme cas d'étude. Il dresse un tableau synoptique des problèmes et avancées du patrimoine archéologique tout en présentant l‘historique de la démarche qui a conduit au niveau de considération d'aujourd'hui. Il attire

9 UNESCO: Organisation des Nations Unies pour l'Éducation, la Science et la Culture. 10 Nous entendons par l'archéologie de la gestion du patrimoine le regard diachronique sur la question patrimoine au Cameroun. Il s'agit là d'une réclame pour une rétrospective de la conscience patrimoniale du pays.

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l'attention sur l'aspect très dérisoire des moyens alloués au patrimoine archéologique et les menaces pesant sur ce dernier.

Le contenu de l'étude de cas fait un bref rappel de toutes les tractations qui eurent lieu au sujet de la question patrimoniale en lien avec l'archéologie. Il se termine par un volet généraliste où les forces, les faiblesses du patrimoine archéologique de l'Afrique subsaharienne et les menaces pesant sur lui sont esquissées. Cependant, la problématisation de la gestion ou de la politique patrimoniale dans la sous-région, en général, et dans le contexte camerounais, en particulier, n‘y est abordée que de manière très abrégée.

DAVID (2002, 2004, 2008) et MARLIAC (1981) qui ont été à l‘origine de mesures de protection/conservation de certains sites archéologiques, n‘ont jamais abordé la question dans leurs études culturelles. Leurs travaux se sont concentrés sur les aspects purement reliés à leur discipline scientifique d‘appartenance qui n‘est autre que l‘archéologie et/ou l‘ethnoarchéologie. Les pas qu‘ils ont effectués dans le domaine du patrimoine se sont limités, pour la plupart, à interpeller les autorités camerounaises sur les valeurs patrimoniales de certaines données de leur recherche qui pourraient être valorisées. C'est par exemple, comme nous y reviendrons au chapitre 5, le plaidoyer de MARLIAC pour la protection des pétroglyphes de Bidzar et l'appel de DAVID à l'endroit du Ministère de la Culture du Cameroun via la Direction du Patrimoine Culturel pour une reconsidération des Diy-gid-biy.

DAVID a fouillé les Diy-gid-Biy-2 et 8 en 2002. Sa dernière publication en date, sur le sujet, est Performance and Agency: the DGB site of northern Cameroon. C‘est une monographie sur les sites DGB de Monts Mandara septentrionaux qui sont l‘élément principal du patrimoine archéologique que nous avons étudié. Son travail est davantage une somme d‘analyses et d‘interprétations archéologiques qu‘une étude patrimoniale. Bien qu‘ayant attiré l‘attention sur la valeur patrimoniale de ces sites, il n‘a pas abordé l‘aspect théorique de la gestion et de la politique patrimoniale.

Cependant, nourrissant l'espoir de voir les Diy-gid-biy mis en valeur, DAVID et STERNER (2007) ont fait une proposition de création d‘un « Parc international de la paix» entre le Cameroun et le Nigéria. Cette initiative avait pour ambition l‘établissement d‘une

19 connexion culturelle institutionnalisée entre le site patrimoine mondial de Sukur et les Diy- gi'd-biy, mais également la mise en valeur du continuum culturel à cheval entre le Cameroun et le Nigéria. Selon cette proposition, il aurait été profitable, à la génération présente et celles à venir, que les gouvernements camerounais et nigérian accordent leurs violons pour que le paysage culturel des monts Mandara soit valorisé à grande échelle. Il était question de faire savoir aux publics internes et externes les facettes culturelles témoignant du palimpseste d'anthropisation de la région par les occupations humaines qui s'y sont succédé au fil des temps.

Outre les Diy-gid-biy, les banquettes de terrasses agricoles (mædәdә) qui parsèment les pentes et les habitations (gay)11 constituent certains des éléments culturels sur lesquels la proposition de tracer un parc s‘appuie. Mais selon toute vraisemblance, cette volonté de DAVID et STERNER n'aurait pas eu de suite favorable puisque l'on n'a jamais entendu parler d'une politique culturelle de collaboration visant à valoriser le paysage ayant été l'objet de ladite proposition.

À ces travaux de DAVID en rapport avec les Diy-gid-biy, il convient de rappeler, en substance, ses travaux qui revêtent un caractère de mise en patrimoine quoi qu‘ils aient été faits dans des perspectives ethnoarchéologiques. Il s‘agit des travaux réalisés dans le but de comprendre et documenter la chaîne opératoire dans la production traditionnelle du fer (DAVID ET LEBLÉIS, 1988 et 1995) dans les monts Mandara et les considérations ethnologiques liées à la production et les usages de la poterie. Ce sont des films ethnographiques (DAVID ET LEBLÉIS, 1990) qui constituent de preuve de patrimonialisation etic12 des pratiques séculaires disparues (pour la métallurgie) et en voie d‘obsolescence (du fait de nouvelles considérations religieuses). D‘ailleurs, DAVID considère maintenant la métallugie africaine, et donc, celle des monts Mandara comme élément du patrimoine immatériel africain (DAVID et STERNER, 2011).

11 Mædәdә et gay sont des appellations Mafa, groupe linguistique au sein duquel la recherche autour des Diy- Gi'd-Biy a été conduite. 12 Dans ce sens que c‘est une initiative qui vient d‘un scientifique, outsider, (HARRIS, 1976) n‘appartenant pas aux groupes sociaux qui sont les dépositaires desdites pratiques.

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Pour ce qui est de nos recherches antérieures, en 2006, dans le cadre de notre recherche pour l‘obtention du diplôme d‘études approfondies (DEA), nous avions abordé la question patrimoniale liée aux artefacts archéologiques. Ce fut un travail axé sur la réflexion autour du contexte de développement de la civilisation DGB, des fonctions que les sites auraient remplies et ce qui aurait été à l‘origine de sa décadence. Cependant, dans cette œuvre, nous attirions déjà l‘attention sur leur importance dans les recherches sur l‘histoire de peuplement et la consolidation de l‘ancienneté d‘une ou des cultures architecturale(s) camerounaise(s) et par ricochet, l‘enrichissement du patrimoine culturel du pays. Mais comme les travaux des archéologues cités ci-dessus, notre travail ne s‘est pas détaché de la bannière de l‘archéologie pour porter une analyse sur la question patrimoniale dans son ensemble.

Cependant, bien que ces travaux soient ceux qui eûssent eu un intérêt explicite pour le patrimoine culturel au Cameroun, il existe une abondante littérature évoquant la question culturelle au Cameroun. Ces œuvres remontent à la période coloniale, époque pendant laquelle nombre d'administrateurs s'étaient intéressés à la production des monographies renfermant des descriptions et analyses permettant la lecture d'indices de pratiques patrimoniales13.

Sans prétendre à l'exhaustivité de tous les travaux, il convient de mentionner les œuvres d'autres auteurs ayant marqué les paysages anthropologique et historique du Cameroun et dont la lecture des travaux laisse percevoir des attitudes patrimoniales. Il s'agit des publications desquels nous avons tiré des données pour faire asseoir notre raisonnement sur des pratiques que nous avons qualifiées de modèles endogènes de patrimonialisation. Ces travaux portent, pour la plupart, sur les arts, les castes sociales, les chefferies, les architectures, etc. au Cameroun. Les écrits de MVENG (1980), NOTUÉ (1988, 1990, 1993), PERROIS ET NOTUÉ (1997), PERROIS (1988, 1993), PERROIS ET NOTUÉ

13 Il s'agit par exemple des données archivistiqueS citées par PERROIS ET NOTUÉ (1997) mais qui n'existent plus aujourd'hui à cause disparition de l'Institut des sciences Sociales. Les auteurs ont cités FOURNIER (1921), GEAY (1934), RAYMOND (1935, 1939), REYNIER (1935), DELACROIX (1937), RELLY (1945) dont les travaux sont respectivement des monographies sur la circonscription de Dschang, de plusieurs chefferies de la région de Dschang, des chefferies des départements de la Mifi et du Haut-Nkam, de la chefferie de Bafou et de la chefferie de Bafoussam.

21 (1986), HARTER (1973), et TEY LEUNKEU (2008) contiennent de nombreuses descriptions et interprétations révélant des pratiques patrimoniales. Il ressort, dans la plupart de ces travaux que les objets d'arts, surtout ceux qui se trouvent dans les chefferies, sont investis de charges symboliques canalisant leurs usages et contribuant à leur protection, conservation et transmission aux futures générations. L'ouvrage de PERROIS et NOTUÉ (1997), par exemple, en mettant en relief les rapports entre sculpture et royauté dans l'Ouest du Cameroun souligne également la patrimonialisation des architectures palatales vernaculaires, qui sont d'un genre particulier, dans certaines chefferies comme celles de Bafoussam, Bana, Bandjoun (PERROIS et NOTUÉ, 1997:164)

Ceux de LEMBEZAT (1950) sur les Mundang de Kaélé et Giziga de Moutourwa, RICHARD (1977) sur les Mada et les Mouyeng, TARDITS (1981) sur les Bamoun, VINCENT sur les Medey de Mofu-Gudur, DUMAS-CHAMPION sur la Haute Bénoué présentent L'Homme comme élément de patrimonialisation. Comme il est souligné au chapitre 3, c'est une mise en patrimoine effective des personnes passées de vie à trépas pour des raisons propres aux différents groupes ethniques cités par les auteurs.

Sur le plan social, les données publiées par NOTUÉ (1984) sous le titre « Sociétés secrètes chez les Bamiléké de l'Ouest du Cameroun » dévoilent combien cette catégorie sociale participe à la construction, la protection, la conservation et la transmission des patrimoines culturels.

Dans la Région de l'Extrême-Nord du Cameroun, en général, et plus particulièrement dans les monts Mandara où se trouvent les Diy-gid-biy, HALLAIRE (1991) parle des actes de patri/matrimonialisation de la terre au sein des sociétés camerounaises. Toujours dans le registre de la considération patrimoniale du foncier, ABWA (2006) énonce sans ambages que la terre des ancêtres était au centre des préoccupations de conservation pour les descendants des occupants.

On ne saurait terminer cette partie sans évoquer l'ouvrage de SEIGNOBOS et JAMIN (2003) portant sur les cases obus, tradition architecturale ayant été reconnue de valeur patrimoniale et reconstruite, grâce à une conjugaison d'efforts de Patrimoine Sans Frontière (PSF) et l'Association des Élites Musgum de Maroua (ASSEDEM). Mais il ne s'agit pas

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d'un travail visant à mettre en lumière les marqueurs de patrimonialisation et la patrimonialité y afférente.

À la lumière de la revue critique de la littérature qui vient d‘être faite en rapport avec la question patrimoniale au Cameroun, il y a un problème scientifique qui s‘en dégage. Il apparaît que certains aspects de la question patrimoniale n'ont pas été abordés en profondeur. Les données fournies dans les travaux cités ci-dessus présentent un certain nombre de lacunes. Celles-ci, telles que soulignées à la suite de différents travaux, se rapportent à certains angles d'étude et d'analyse qui n'ont pas été abordés. Nous pensons que l‘étude de la question patrimoniale au Cameroun se doit, de prime abord, de se pencher sur le contenu de la notion de patrimoine14 dans un contexte socioculturel et politique différent de son milieu de formulation et essayer de comprendre ce qu‘elle signifie pour les acteurs locaux. En outre, elle doit chercher à saisir la question de la politique patrimoniale camerounaise dans sa complexité historique et sociopolitique.

Ceci étant, nos efforts ont été orientés pour une mise au jour des aspects qui n‘ont pas été abordés, l'enrichissement et l'élucidation des points qui sont développés de manière superficielle par les auteurs ci-dessus mentionnés. Il s'agit d‘aborder la question dans une démarche à la fois ontique, épistémologique et pragmatique, en considérant le patrimoine dans sa globalité. Dans l'appréhension ontique, il est question de prendre le patrimoine comme l'étant, c'est-à-dire l'objet tel qu'il est, en tant que fait social dont il faut décrypter afin de préciser les composantes. Quant à ce qui est de l'angle épistémologique, bien qu'un essai de mise en lumière de l'évolution usuelle de la notion de patrimoine soit fait en considération des travaux scientifiques, il nous a semblé davantage contributoire de se pencher aussi sur ce qui tiendrait lieu de l'évolution des conceptions patrimoniales au Cameroun. Le caractère pragmatique se décline au travers du regard porté sur le rôle joué par le patrimoine au sein de la société camerounaise. Cette approche réaliste du patrimoine se dégage comme l'une des meilleures voies permettant de saisir les enjeux entourant les

14 Il s'agit de la notion de patrimoine dans sa conception occidentale.

23 différentes formes de patrimonialisation et déceler les catégories patrimoniales et les acteurs sociaux, actifs ou passifs, se rattachant à telle ou telle sphère desdites catégories.

Au regard de ces angles d'approche, notre travail se situe dans une logique actualiste ne se privant pas d'une réminiscence historiciste dont l'importance n'est pas la moindre pour la compréhension des questions liées au patrimoine dans le cadre géographique de la recherche. Autrement dit, bien que portant sur un sujet en rapport avec le présent, notre travail vise également à faire une lecture diachronique de ce qui est en relation avec le patrimoine culturel au Cameroun.

Par ailleurs, le regard à la fois diachronique et synchronique que nous posons sur le sujet d'étude et l'analyse contextuelle à sens interprétatif qui s'en suit fait distinguer notre entreprise des chapelles d'approche soit archéologique, soit ethnologique qui se sont intéressées à l'étude du patrimoine.

En fait, notre travail donne davantage à savoir sur ce qui est du patrimoine et de la patrimonialisation ; contrairement aux travaux composant la revue de la littérature faite ci- dessus où il se dégage que le discours sur le patrimoine semble très peu précis. Cette imprécision tient du fait que les discours ne permettent pas de faire une distinction entre les éléments culturels et patrimoniaux. C'est une situation qui tend à plonger le lecteur dans le tout patrimoine, étant donné que le moindre élément culturel, qu'il soit archéologique ou ethnographique, est présenté comme bien patrimonial. La particularité de notre travail se laisse percevoir également par l'attention accordée au caractère sociologique du patrimoine dans le contexte de notre étude de cas dont l'objet est souvent de facto considéré comme patrimoine culturel, sans aucun effort de mise en rapport avec les acteurs présents à qui échoit toute considération faisant office d'indice de patrimonialité.

Pour nous, le patrimoine ne se conjuguant pas au passé, le regard que l'on pose sur lui doit prendre en considération les rôles joués par les acteurs qui le produisent et/ou l'actualisent dans le présent. Pour ce faire, nous avons trouvé que l'ethnographie serait la clef permettant de glaner des données fort utiles à la réalisation de notre construction intellectuelle. Dans cette logique, nous avons considéré les acteurs de la patrimonialisation et les éléments patrimoniaux comme terrain d‘observation. Cette approche a été animée par le fait qu'il

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n'était pas seulement question de présenter la politique patrimoniale qui est en cours au Cameroun. Il fallait aussi s‘adonner à une mise en perspective qui permettrait de renseigner plus profondément sur ce phénomène qui prend de plus en plus de l‘ampleur dans les politiques culturelles publiques et associatives (RAUTENBERG, 1998). C'est donc fort de cette vision de recherche que nous avons formulé la problématique du présent travail dont les réponses aux préoccupations exprimées sont déchiffrables dans les différents chapitres constituant l'ensemble de notre œuvre.

Cependant, pour formuler la propblématique de notre thèse se trouvant ci-dessous, nous sommes parti du postulat selon lequel: qu‘il soit de nature archéologique, ethnologique, historique ou naturel, le patrimoine n‘existe que par l‘existence des acteurs sociaux qui lui donnent forme et vie selon les besoins du temps. En d'autres termes, le patrimoine n'est pas un construit figé qu'on transmettrait d'une génération à une autre ; mais plutôt un élément sujet à d'éventuelles déconstruction, reconstruction, dé-actualisation ou réactualisation, et ce, en fonction des vouloirs et des besoins de ce qui le façonnent. Et tout ce qui est développé dans la suite du travail s'est fait suivant cet aphorisme qui constitue la ligne directrice des schémas descriptif et analytique au travers desquels l'on peut lire les réponses apportées aux différentes préoccupations et par ricochet, notre contribution au savoir scientifique dans le champ des sciences humaines et sociales. Cet axiome laisse entendre que le patrimoine est un champ social qui ne saurait être étudié en dehors du cadre social, dans toute sa complexité, dont il est tributaire.

1.2 PROBLEMATIQUE

Au regard de la formulation du sujet de notre thèse qui est libellé «Patrimoine et patrimonialisation au Cameroun: les Diy-gid-biy des monts Mandara septentrionaux pour une étude de cas», nous avons articulé la problématique en deux volets. Le premier est en rapport avec l‘approche généraliste du patrimoine alors que le deuxième se rétrécit en se rabattant sur les Diy-gid-biy, éléments patrimoniaux tirés du patrimoine archéologique15.

15 Le « patrimoine archéologique » renvoie à tout ce qui relève du champ archéologique. Il en ainsi question des sites et des vestiges de toutes natures.

25 Comment le patrimoine est perçu et construit au Cameroun est la question principale de la problématique. Cette question qui présente un aspect ouvert, parce que la notion de patrimoine n‘est pas suivie d‘une épithète qui l‘enserre dans un champ particulier, annonce une approche en forme d‘entonnoir allant du général au particulier. Pour nous, aborder la question patrimoniale camerounaise de manière assez ouverte et la canaliser progressivement dans un champ particulier permettrait de rendre compréhensible notre raisonnement autour de l'objet d'étude. La raison de cette approche tient du fait que le champ dans lequel s'inscrit notre travail est très peu débrouillé dans le contexte camerounais. Sur ce, avons-nous trouvé, étudier le patrimoine au Cameroun en évitant d'y poser un regard d'ensemble serait un manquement très récusable.

À partir de cette question principale, des interrogations subsidiaires ont émergé. Ces dernières constituent le fond de toile des deux volets de la problématique soulignés dans le paragraphe introductif.

Comme mentionné ci-dessus, le premier volet de la problématique se rapportant à l‘aspect général de la question du patrimoine, un certain nombre de question à été posé à cet égard. La première est en rapport avec les charges symboliques que comportent les différentes formes de patrimoine. En fait, étant donné que pour des auteurs tels que NORA (1988) et WERTSCH (2002) le patrimoine rappelle le passé en le donnant pour mémoire, pour SMITH (2006) et BEGHAIN (1998), il contient respectivement un sens d'identité et d‘élément fixateur et outil de performance concurrentielle pour MCCANNELL (1999) et PORIA et al. (2003), on est en droit de se poser la question sur ce qu'il serait pour les Camerounais.

Le questionnement de recherche se poursuit avec une préoccupation se rapportant à la politique et à la rhétorique patrimoniale du Cameroun. Il s'agit de ce qu'on exprime par patrimoine lorsque l‘État, les associations socioculturelles, les groupes ethniques et des tiers en font usage. Autrement dit, étant donné que la notion de patrimoine, telle qu'utilisée couramment, étant une construction de la modernité occidentale (GERVARI-BARBAS et GUICHARD et ANGUIN, 2003), son emploi au sein de la société camerounaise traduit-il la même réalité ? Ou, existerait-il une conception locale du patrimoine qui serait subjuguée

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par l‘assertion occidentale ? S'il en existait une, est-ce que l'usage actuel de la notion de patrimoine dans les discours patrimoniaux en rend bien compte

Par ailleurs, en apprendre davantage sur les prémices et l'évolution des habitudes ou des pratiques patrimoniales, qui se déclinent comme mise en patrimoine et gestion de celui-ci, est également un aspect important pour la recherche. Ce souci demande à ce que l'on consacre des efforts à la question des origines de la conscience ou de l'attention portée à la constitution d'un patrimoine. Pour cela, nous avons convoqué, au débat, les travaux de MESLÉ (1956) qui situent l'origine au lancement des travaux de l'IFAN et ceux de LOUMPET (2003) la situant dans les années 1970. Il nous a semblé pertinent de les interroger sur la gestion patrimoniale d'avant l'arrivée des Européens au Cameroun. Autrement dit, les sociétés traditionnelles qui vivaient sur le sol qui a été baptisé Cameroun n'avaient-elles pas une gestion culturelle qui avait trait à ce qui est considéré comme conscience patrimoniale en Occident ? Sinon, que dire des trésors des chefferies, lamidats et sultanats, des regalia, des terres des ancêtres et le patrimoine immatériel auxquels elles avaient des attachements particuliers et dont elles veillaient à la conservation et la transmission aux futures générations ? Ne s'agit-il pas là des biens patrimoniaux issus des patterns de patrimonialisation qui diffèrent des principes de mise en patrimoine développés en Occident et dont l'expansion à l'échelle mondiale fait des considérations patrimoniales un phénomène d'origine occidentale ?

Ce questionnement scientifique orientant la recherche, il fallait prendre les travaux de ces auteurs pour des données et non des informations. Pour ce faire, la lecture active étant ce qui permet d'explorer d'autres angles de la question et produire de nouvelles connaissances, notre investigation s'intéresse, par exemple, à savoir si les prémices des esquisses de la conscience patrimoniale camerounaise correspondent réellement aux débuts fixés par LOUMPET et MESLÉ ou se sont-elles manifestées un peu plus tôt. Il est question de savoir s'il existerait des indices d'une origine endogène de mise en patrimoine, qu'il soit de l'ordre du culturel ou du naturel.

Toujours dans le même registre de recherche, nous problématisons le sujet dans le sens de voir si, considérant le contexte dans sa globalité, les cadres institutionnel et législatif traitant du patrimoine culturel au Cameroun ne se résument qu'à ceux mentionnés par

27 BAHOKEN et ATANGANA (1975) et LAVACHERY et al. (2010). En d'autres termes, n'existeraient-ils pas, en dehors des institutions et des législations conventionnelles adoptées par l'État du Cameroun, d'autres mécanismes (traditionnels ?) jouant tacitement les mêmes rôles. En outre, comme nous le verrons plus loin, est-ce que le Ngouon16, le Ngondo17, le Labana18, entre autres, ne sont-ils pas des institutions de gestion du patrimoine culturel conçues selon les aspirations et les désirs sociétaux, et ce, dans un registre normatif faisant office de législation ?

Par ailleurs, à ce niveau de la problématique, nous nous posons la question de savoir les catégories patrimoniales qui existeraient au Cameroun, les modèles ou patterns de patrimonialisation y conduisant et les formes de patrimonialité exprimées par les uns et les autres.

Une autre interrogation, non la moindre, a également contribué à l'orientation de la recherche. C‘est celle de savoir comment s‘effectue le passage du simple élément naturel ou culturel à un élément fédérateur, identitaire, d‘attachement affectif et dont on se doit de protéger, conserver, voire transmettre au sein des générations d‘une nation, d‘une région, d‘une commune, d‘une ethnie ou d‘une famille ? C‘est une question visant à comprendre le(s) mode(s) opératoire(s) de la patrimonialisation exploité(s) par les différents acteurs intervenant dans la chaine de l‘industrie patrimoniale. L'importance de cette interrogation réside dans le fait qu'elle est une piste servant à débrouiller le flou qu‘entraine l‘usage à outrance de la notion de patrimoine qui tend de plus en plus à conduire au tout-patrimoine. C'est dire que le but de cette préoccupation est celui de faire des analyses et des interprétations devant aboutir à des résultats, comme nous le verrons aux chapitres suivants, contributifs à une bonne différenciation des éléments culturels et patrimoniaux.

Enfin, ce volet de la problématique se boucle par une interrogation visant à susciter des réponses portant sur les objectifs de la mise en patrimoine d‘éléments culturels (sites

16 Assemblée traditionnelle Bamoun mise en patrimoine et organisée de manière biennale. 17 Assemblée traditionnelle Sawa érigée en patrimoine vivant et qui se tient tous les ans. 18 Rite d‘initiation chez les Massa.

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archéologiques, monuments architecturaux modernes et traditionnels…), naturels (des paysages bâtis : parcs nationaux, réserves nationales, forêt sacrée, plages…). Il s‘agit de la question du pourquoi de la patrimonialisation aux niveaux national et local. Cette question se veut une recherche des éléments de réponse à ce qui touche aux enjeux patrimoniaux.

Alors, si la constitution du patrimoine culturel entend implicitement répondre aux enjeux de mémoire, d'identité et de positionnement sous-tendus par des mécanismes de mise en scène, quels seraient les mobiles qui animent les différentes catégories patrimoniales camerounaises? Répondre à cette préoccupation est l'un des angles d'analyse de notre recherche qui, sans avoir la prétention d'être exhaustive, apporte une contribution substantielle au débat sur les enjeux patrimoniaux au travers des résultats issus d'un cadre géopolitique (le Cameroun) où l'on note une effervescence de mouvements de patrimonialisation mais dont des travaux de recherche en la matière sont rarissimes.

Quant au deuxième volet de la problématique, il s‘agit d‘un ensemble de questions de recherche dont le but est de participer à l‘élucidation de la question du patrimoine, de la patrimonialisation, et par extension, de la patrimonialité à la lumière des Diy-gid-biy, objet de recherche pour l'étude de cas. Ainsi, nous nous posons deux questions en lien avec les Diy-gid-biy et à la suite desquelles surgissent d‘autres interrogations.

La première est l‘interrogation sur les mécanismes d‘appropriation des sites Diy-gid-biy, tant au niveau local qu'au niveau national. En d‘autres termes, comment les Diy-gid-biy qui sont des structures archéologiques ont été appropriés. La deuxième question est celle de savoir pourquoi ces éléments culturels bénéficient d'un attachement symbolique tant de la part de l'État du Cameroun que des communautés riveraines. Autrement dit, quelles seraient les raisons qui sous-tendent les valeurs reconnues et attribuées aux Diy-gid-biy aussi bien au niveau national qu‘au niveau local ?

En fait, sites dont l'existence des auteurs est problématique dans la mémoire historique, les Diy-gid-biy ont été et sont l'objet de reconnaissance et construction patrimoniale dichotomique. D'un côté, l'État du Cameroun les considère comme partie intégrale de la richesse culturelle du pays à conserver et donc, un élément patrimonial. De l'autre côté, nous avons les communautés riveraines qui les ont appropriés depuis des siècles; étant

29 donné qu'elles les présentent comme des lieux ayant été objet de considération symbolique au fil des générations.

Ces deux interrogations entendent concourir à la détermination des mécanismes ayant servi d'outils de mise en patrimoine desdits sites et les mobiles y afférents. C'est dire que c'est un angle de recherche se voulant contributif à la production des connaissances en sciences humaines et sociales.

D'une part la détermination des indices de patrimonialisation pallie, dans le contexte camerounais voire au-delà, le manque d'études soulignant les procédés hissant les éléments naturels et culturels à la sphère d'éléments patrimoniaux. En fait, est-il adéquat de parler de biens patrimoniaux si la mise en évidence de la patrimonilité y afférente est incertaine? Car, lorsqu'on dit d'un bien culturel qu'il est patrimonial, n‘est-il pas important de pouvoir donner des arguments présentant des indices des actes d'attachement symbolique?

Ces questions étant, nous remettons sur la table du débat les travaux des archéologues (MBIDA et al. 2001; MACEACHERN 2001; DELNEUF et al. 2003; LAVACHERY, 2004; OSLISLY, 2007; MARET DE et al. 2008; LAVACHERY et al. 2010, entre autres) qui ont présenté les témoins archéologiques issus de leurs recherches comme éléments patrimoniaux du Cameroun. Certes, selon le droit privé les artefacts archéologiques font partie du patrimoine du Cameroun, mais est-ce qu'il serait normal d'accepter cela sous le couvert de biens frappés du sceau de la symbolique culturelle ?

D'autre part, les éléments de réponse au pourquoi de la patrimonialisation des Diy-gid-biy permettent de cerner les mobiles ou les enjeux cultivant l'attachement symbolique qui leur est manifesté par les acteurs sociaux.

Ceci étant, les DGB constituent un terrain où les enjeux liés à la mobilisation et la volonté de mise en patrimoine peuvent être mis en évidence. À travers eux, on est en mesure de percevoir les raisons pour lesquelles l'administration camerounaise en charge de la politique culturelle prend activement part au processus de patrimonialisation et celles des populations riveraines qui manifestent un fort attachement auxdits témoins. De ce fait, il est question, d'avoir des données éclairant sur les intérêts d'une politique de mise en patrimoine nationale et locale.

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Grosso modo, les Diy-gid-biy sont donc un exemple au travers duquel s'affirme notre position théorique en rapport avec les différents sens pouvant être attribués au patrimoine, le processus de patrimonialisation, les formes de patrimonialité et les caractéristiques hissant un bien au stade d‘objet patrimonial.

Cette problématique a été formulée dans l'optique d'atteindre un certain nombre d'objectifs dont le principal est celui d‘apporter une contribution à l‘état des connaissances sur la politique patrimoniale au Cameroun et souligner des critères d'attribution de statut patrimonial à un quelconque bien. Mais cet objectif principal recouvre des objectifs secondaires tels que:

- démêler la sémantique patrimoniale, en général, et la rhétorique patrimoniale au Cameroun, en particulier,

- mettre en évidence des catégories patrimoniales et les acteurs de la patrimonialisation tout en soulignant les patterns de mise en patrimoine utilisés et les mobiles animant la conscience patrimoniale au Cameroun,

- attirer l'attention sur le piège du tout patrimoine et ce, en nous appuyant sur l'exemple des Diy-gid-biy dont l'étude permet d'étaler le processus de patrimonialisation et les indices de patrimonialité.

Au regard de la problématique de notre recherche et des objectifs qu'elle recouvre, il ne fait point de doute que le travail a un intérêt scientifique. Il apporte une contribution significative sur la question de ce qu'il faut considérer comme élément patrimonial et lève le voile sur l'existence d'une patrimonialisation dichotomique au Cameroun tout en soulignant la coexistence des patterns de patrimonialisation d'origine exogène et endogène dans le pays. Il contribue à la compréhension des stratégies et des mécanismes de construction d‘une conscience patrimoniale qui vise à mieux comprendre le passé, mesurer sa présence au sein de la société actuelle et participer à la modélisation d‘un présent futuriste.

En outre, en prenant les Diy-gid-biy comme cas d‘étude spécifique, dans une approche actualiste, l‘étude dévoile sa richesse interdisciplinaire qui la situe à la confluence de

31 l‘ethnologie, de l‘archéologie et de l‘ethnohistoire. Elle se démarque ainsi des investigations archéologiques qui ont été mentionnées dans la revue de la littérature. En effet, les travaux des archéologues ne mettent guère en exergue la patrimonialité envers les éléments archéologiques qu‘ils présentent, dans certaines circonstances, comme une partie du patrimoine culturel. Elle se démarque également des études patrimoniales qui ont été effectuées au Cameroun et qui ne se sont limitées qu‘à présenter le fait patrimonial sans le problématiser.

Toutefois, l'atteinte de ces objectifs ne saurait se faire sans une méthodologie pertinente et bien cadrée permettant de glaner des données de toutes natures et facilitant l‘analyse et l‘interprétation de celles-ci.

1.3 LE CADRE METHODOLOGIQUE DE LA RECHERCHE

Procéder à l‘étude de la politique patrimoniale du Cameroun en s‘intéressant aux contours épistémologique, ontique et pragmatique des politiques culturelles dans une vision diachronique recoupant les époques précoloniale, coloniale et postcoloniale nécessite une démarche méthodologique devant conduire à saisir et analyser les contextes et les réalités d‘un cadre sociopolitique et culturel bien défini.

Vu le cadre chronologique auquel appartiennent les Diy-gid-biy, la démarche se veut de répondre aux critères de la recherche qualitative et ethnohistorique au travers d'une perspective multi-site. Sur ce, les techniques et les méthodes conséquentes pouvant donner la possibilité d‘observer et d‘analyser les pratiques et les actes liés à la production et la gestion du patrimoine culturel ont été exploitées. Cela dit, cette partie du présent chapitre s'atèle à dérouler les voix et moyens ayant été utilisés pour la quête, l'analyse et l'interprétation des données. Il s'agit de dire comment nous avons procédé pour accéder aux sources, quelles sont ces dernières, pourquoi en avions-nous opté et comment les données ont été collectées.

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1.3.1 Les clefs des sources

Notre approche méthodologique s‘est déroulée suivant les principes de l‘ethnographie multi-site (MARCUS, 1995)19 qui, au contraire des ethnographies traditionnelles, est la bonne clé pour la compréhension d‘un phénomène social se manifestant dans plusieurs localités et sur plus d‘une époque.

Toutefois, rappelons-le, comme nous le relevons (cf. chapitre 2) dans la théorie appréhendant le patrimoine comme objet de positionnement, le site ou la place dont il est question dans cette méthode ne se confine pas spécifiquement dans le sens d‘une entité géographique. Il s‘agit d‘un ensemble englobant les significations diachroniques et synchroniques se rapportant à des faits sociaux particuliers. En fait, notre pensée va dans le sens de celle d'APPADURAI (2001) qui, dans un raisonnement inspiré de MARCUS, emploie la notion de localité dont il croit être une question de relation et de contexte, plutôt que d‘échelle et d‘espace. Pour Appadurai, la localité se caractérise par sa complexité phénoménologique dont les éléments constitutifs sont, entre autres, les rapports entre la perception de l'imminence sociale, les procédés de l'interactivité et la reproductibilité des situations.

Cette qualité phénoménologique est le prédicat majeur de la localité en tant que catégorie que l‘auteur cherche à explorer. Cela dit, dans les discours patrimoniaux et culturels, les notions de site, place et localité déclinent une certaine convergence. Cette dernière est fondée sur le fait qu‘elles ne véhiculent pas seulement l‘idée de la territorialité, mais aussi celle de construction immatérielle d‘une histoire, d‘une réalité, bref, d‘un vécu. Cette construction qu'on a souvent tendance à homogénéiser se réalise à travers l'usage des matériaux hétéroclites issus de plusieurs milieux ou places, d'où l'importance d'une approche multi-site.

19 Dans « Ethnography ». In Of the world system: The Emergence of Multi-Sited Ethnography. MARCUS (1995, PP : 24:95-117 remet en cause la démarche de l‘ethnographie « traditionnelle » qui, d‘après lui, ne semble pas tenir compte des réalités historiques dans une vision horizontale et diachronique et ne se focalise que sur un seul site.

33 Par ailleurs, en situant notre recherche dans un cadre chronologique allant de la période précoloniale à la période postcoloniale, en passant par la période coloniale, notre étude se met ainsi en phase avec la démarche multi-site. En fait, étendre l'étude sur une pluralité d'époque sous-entendrait l'étude de plusieurs sites. En outre, cette trilogie diachronique exprime notre sensibilité à cerner les différentes situations qui ont émaillé la politique patrimoniale sur une échelle temporelle bien graduée. L‘importance de cette échelle d‘étude tient de sa capacité à pouvoir conduire à la compréhension de l‘état de la question patrimoniale auquel le Cameroun est rendu aujourd‘hui.

Deux principales raisons justifient le penchant que nous avons eu pour l‘ethnographie multi-site. La première est relative au caractère ouvert de la démarche qui entrevoit le cadre historique (s‘appuyer sur les faits historiques) de la recherche comme un élément important susceptible d‘être l‘objet d‘une observation ethnographique. Ceci est aussi important pour notre recherche parce que pour comprendre un phénomène aussi complexe que celui du patrimoine, il est nécessaire de jeter un regard rétospectif afin de pouvoir déceler les différentes mutations que celui-ci aurait connues. Et nous savons que dans les politiques patrimoniales, la question de mémoire/souvenir, d‘identité, de positionnement (place), se définit le plus souvent sur la base d‘arguments historiques. Ces arguments vont dans le sens d'un enracinement qu'on voudrait plonger aussi profondement que possible afin de prouver l'existence d'une identité propre à soi, sa place au sein d'une entité sociale ou vis-à-vis des autres.

En plus, étant donné que le Cameroun est un pays multiethnique, et donc multiculturel, trainant une histoire commune imaginaire et des histoires liées aux différents groupes ethniques20, le recours à l‘ethnographie multi-site est on ne peut plus justifié.

20 L‘expression de groupe ethnique utilisée dans ce travail n‘ignore pas le caractère aussi imaginaire de l‘ethnie qui n‘est autre chose que la résultante d‘une construction dans laquelle le jeu d‘assimilation, de recomposition et de redéfinition est très présent. En effet, si nous admettons la définition de l‘ethnie qui fait référence à un groupe humain stable dans l‘histoire et dans le temps, ayant en partage certains traits tels que des origines, des traditions etc. on pourrait tenter de faire appliquer cela à des groupes culturels. Mais en nous situant dans le débat anthropologique, la logique d‘opposition/inclusion du jeu d‘interaction permanent entre les groupes, permet de partager le point de vue de BARTH, dans Les Groupes ethniques et leurs frontières (1969) selon lequel qu‘il est difficile de donner des caractéristiques définissant la notion d‘ethnie. Nous 34

Le deuxième argument justificatif est celui qui est lié à la complexité/diversité de notre objet de recherche. Le patrimoine qui se caractérise par sa dualité matérielle et immatérielle, d‘une part, naturelle et culturelle, d‘autre part, présuppose l‘existence de plusieurs sites ou éléments patrimoniaux. Dans cette diversité, en tant qu'ethnologue voulant saisir un « fait social » qu'est celui du domaine patrimonial, nous nous sommes trouvé dans la nécessité de nous déployer sur plusieurs lieux afin d‘observer les réalités propres à chaque élément. Dans cette situation, nous pensons être à plein pied dans l‘ethnographie multi-site qui prône l‘observation horizontale et/ou transversale d‘une réalité sociologique, politique ou culturelle que l‘on voudrait comprendre. Ce déploiement sur plus d'un site caractérisant l'ethnographie multi-site trouve d'ailleurs écho dans l'affirmation de TURGEON pour qui : « L’ethnographie multi-site privilégie l’observation et la prise en compte de plusieurs sites, leur comparaison et leur traduction, l’étude de différents niveaux d’interactions, l’examen des trajectoires mouvantes des gens, des récits et des objets. » (TURGEON, 2003 : 165).

Ce point de vue de L. Turgeon est très poignant dans le contexte de notre recherche. L'aspect diachronique de notre travail implique l‘observation des sites se plaçant dans le cadre de la chronologie relative21 que nous avons définie pour la recherche. Il est vrai que notre travail ne nourrit aucune prétention d‘une étude holiste, mais il met en évidence le caractère diversifié de l‘ensemble de données constituant son objet d‘étude. Pour ce faire, il nous a semblé nécessaire d‘étudier des données archéologiques, ethno-historiques et des spectacles performés par des associations socioculturelles. Ces éléments culturels n'étant pas rassemblés à un quelconque endroit, il fallait aller à leur contact où ils se trouvent ; d'où la multiplicité des sites d'étude.

l‘employons pour coller le raisonnement à la réalité de façade que nous présentent les différents acteurs qui, pour des raisons dépendant des circonstances, se prononcent sous le couvert d‘une ethnie alors qu‘une fois rentrés dans leur cadre restreint, des tensions des origines s‘élèvent, remettant ainsi en cause l‘imaginaire ethnique. 21 Nous parlons de chronologie relative parce que nous ne faisons pas usage de quelconque dates, mais plutôt d'époques.

35 L‘aspect d‘ethnographie multi-site de l‘étude se lit également dans la démarche mettant en parallèle des catégories et types patrimoniaux du contexte camerounais les uns avec les autres et ce, dans l‘optique de saisir les diverses formes des expressions patrimoniales qui ont cours au Cameroun. Cette mise en parallèle prend corps lorsque nous parlons de patrimoine communautaire, familial, lignager, ethnique, national, des trésors de chefferies et de sultanats auxquels nous nous sommes intéressé dans notre recherche pour une production scientifique.

L‘étude n‘a donc aucune intention de donner l‘illusion d‘une homogénéité de politiques patrimoniales, et encore moins d‘ensembles et d‘éléments patrimoniaux. La diversité culturelle de la Région de l‘Extrême-Nord, les constructions culturelles qui y ont cours et les modes de gestion, ont inéluctablement invité à une démarche comparative et interactionniste. Il s‘agit là d‘un défi de recherche consistant à étudier les formes culturelles d‘un Cameroun moderne et cosmopolite sans supposer logiquement ou chronologiquement première, l‘autorité de l‘expérience occidentale ou les modèles qui en sont dérivés dans le champ des études patrimoniales.

Par ailleurs, notre recherche se veut qualitative puisqu‘elle est inductive et, comme l‘a souligné NEUS GONZÁLEZ MONFORT (2005), génératrice et constructive. Son côté qualitatif réside dans la démarche utilisée pour cerner la question patrimoniale. Comme l‘a dit VAN MANEN (1990), l‘objectif principal n‘a pas été celui de constater la fréquence des faits et des phénomènes patrimoniaux, mais plutôt de comprendre leur signification au sein de la société.

Pour ce faire, la politique patrimoniale est étudiée comme un aspect de la vie sociétale où se construisent et se développent les différentes dimensions des conceptions humaines. Ceci ouvre la voie à la compréhension des valeurs, des significations et des représentations inscrites dans le patrimoine par les acteurs sociaux, à travers des processus socioculturels et historiques. Et c‘est la compréhension de ces processus qui a permis d‘extirper de nouvelles

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connaissances. Mais pour en arriver là, il a fallu établir une collaboration22 étroite entre le chercheur que nous étions et les acteurs sociaux ayant accepté de participer à la recherche. Cette démarche, selon HABERMAS (1987), conduit à produire une connaissance plus légitime que celle qui résulterait du seul point de vue du chercheur et des théories existantes. En fait, comme il est dit dans le postulat ayant orienté notre problématique, le patrimoine n'existant que grâce aux acteurs sociaux, la construction de tout discours scientifique sur un contexte patrimonial ne devrait être modelé qu'à partir des données produites par ces derniers.

Cette connaissance formant la réalité épistémique incrustée dans les contextes présents et historiques, issue des réalités empiriques constituées par les faits patrimoniaux, est une construction qui sort de l‘interaction chercheur/participant. Cependant, étant entendu qu‘il y a toujours un jeu performatif dans ce type de production de connaissance, on se doit de signaler ici le jeu de subjectivité et d‘intersubjectivité qui a animé la recherche. Ce jeu se situe dans le fait que nous ne saurions penser nos questions de recherche dépouillées de toute subjectivité ; car la préparation préalable du guide d'entretien constitue en elle-même une orientation de la recherche, et donc, une certaine subjectivité en rapport avec les résultats que l'on voudrait obtenir. Et le participant n'est pas passif dans sa posture ; ses réponses à nos questions sont personnellement préparées, et ce, dépendamment de l'impression qu'il voudrait donner. Néanmoins, pour nous, ces attitudes ne constituent en rien un obstacle, mais plutôt des escalades importantes pour la production du savoir.

Mais cela s‘est fait en tenant compte de ma position de camerounais en interaction avec d‘autres camerounais sur un sujet dont l‘une et l‘autre des parties en avaient plus ou moins connaissance.

Il s‘est donc agi, peu ou prou, d‘une ethnologie du Soi, puisqu‘étant de parents camerounais de l‘intérieur, nous sommes né et avons grandi et vécu au Cameroun jusqu‘à la date de notre départ pour les études doctorales à l‘Université Laval. Issu du Groupe ethnique massa

22 Cette collaboration a été sans violation du principe de l‘écart d‘observateur que nous nous devions de garder en nous-même. Mais pour gagner la confiance des participants et ne pas leur donner l‘apparence d‘instauration d‘une relative de dominé et de dominant, par une attitude qui tend à violer les us et coutumes.

37 de la Région de l‘Exrtrême-Nord et ayant fait une partie de nos cusus scolaire et académique dans la partie méridionale du pays, nous avons une vue d‘ensemble du paysage culturel du Cameroun. En fait, nous ne saurions être l’autre de la réalité de la question patrimoniale camerounaise. Mais selon la méthode d'approche, nous étions également l‘autre, parce que portant le manteau d‘ethnologue et échangeant avec des concitoyens considérés comme informateurs. (MARCUS, Op.cit.). En clair, notre recherche n‘a pas été faite dans un monde totalement inconnu de nous. Nous avions donc fait un voyage ethnographique dans le sens contraire de l‘ethnologie de l‘ailleurs. Cette démarche s‘arrime à la critique de CLIFFORD (2003) adressée à ceux des ethnologues qui pensent que le meilleur terrain ethnographique est l‘ailleurs.

Toutefois, nous reconnaissons les critiques de ceux qui cantonnent le champ ethnologique dans l‘altérité exotique et lointaine puisque l‘ethnologie du proche et du semblable (URBAIN, 2003; SEGALEN, 1989) a des pièges qu‘il faut éviter. Il ne faut pas se faire coupable de subjectivité non mesurée. C'est dire qu'il fallait garder une certaine distance entre ce que nous savions de la question patrimoniale camerounaise et le travail ethnographique, pour ne pas tomber dans le piège de la subjectivité et de l'aveuglement.

Ayant ceci en conscience, notre recherche a été conduite sous le contrôle du souci de ne pas laisser notre subjectivité et notre réflexivité déborder le seuil de l‘acceptable. Pour ainsi dire, cette autocensure nous a amené à ne pas mettre nos connaissances en avance, mais à nous intéresser à ce qui se fait significatif dans les pratiques des acteurs sociaux, les représentations, les perceptions et les sentiments.

Ceci étant, nous nous sommes attelé à comprendre la réalité à partir des points de vue des acteurs qui sont eux-mêmes les constructeurs de la réalité sociale en matière de patrimoine. En d‘autres termes, nous nous sommes efforcé à nous faire étranger à la situation par notre posture d‘ethnologue et pour maintenir les principes des démarches ethnographiques. Il nous est même arrivé, dans certains cas, de nous faire totalement étranger à l‘égard du participant en recourant au service d'un interprète local pour la réalisation des entrevues alors que nous pouvions parler, ne serait-ce que de manière approximative, la langue de la personne qui échangeait avec nous.

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Cette attitude visait à comprendre les versions de faits qu‘un participant peut donner lorsqu‘il a faire à un chercheur totalement étranger au contexte social, ou à un chercheur dont il sait assez introduit dans sa société. Cette expérience nous permet aujourd‘hui de relativiser l‘argument traditionnel selon lequel le fait de faire preuve d‘une certaine assimilation des réalités d‘une société pour des besoins de recherche n‘est qu‘avantageuse pour l‘ethnographe. En effet, on s‘est rendu compte que, pour certains participants, dès lors qu‘ils savent que vous avez une bonne pénétration du milieu, ils se font moins généreux. Ils se disent que l‘on connait la question et que l‘entretien n‘a pour autre objectif que de leur tirer les vers des narines.

La méthode a été aussi ethno-historique. Cette démarche tient du fait qu‘il a fallu étudier un fait social dans un cadre géographique bien délimité (le Cameroun) très hétérogène avec diversité de langues et de cultures, d‘une part, et la lecture de l‘ancrage du présent dans le passé, d‘autre part. Cet ancrage est exprimé dans la volonté de protéger les survivances culturelles au sein des populations où le vernaculaire se dilue à l‘exotique et où la nostalgie du passé provoque un engouement pour la réactivation des pratiques culturelles autrefois dévaluées. Il était question de se pencher sur les pratiques de ré-reconnaissance et de ré- patrimonialisation qui sont conduites au sein de plusieurs groupes sociaux et de la méta- société qu‘est le Cameroun.

1.3.2 Sources, justification et collecte

Pour réaliser le présent travail, plusieurs sources ont été exploitées. La diversité de celles-ci est en rapport avec l‘étendue du sujet de recherche. C‘est une étude patrimoniale sans exception chronologique de toutes les époques pendant lesquelles les politiques culturelles se sont construites au Cameroun. Pour y parvenir, il nous a fallu caller les données à l‘intérieur d‘un cadre chronologique dont la borne inférieure est la période précoloniale et la borne supérieure est la période postcoloniale. Ce cadre laisse pointer, en filigrane, une diversité de sources relevant du présent et du passé, du matériel et de l‘immatériel, du naturel et du culturel. Grosso modo, nous avons fondé le raisonnement sur des données écrites et orales.

1.3.2.1 Les données écrites

39 Étant donné que toute définition d‘un sujet de recherche ne nait jamais ex-nihilo, la consultation de documents produits dans le champ de recherche auquel l‘on s‘intéresse est un préalable. Cette nécessité implique un déploiement d‘efforts afin de pouvoir s‘enquérir de la littérature existante.

Dans le cadre de notre recherche, cette partie du travail est allée du général au particulier ; car il fallait que nous nous imprégnions de la littérature patrimoniale, en général, et de celle traitant du patrimoine culturel au Cameroun, en particulier. Pour ce faire, nous nous sommes déployé dans des centres de documentation aussi bien à l'intérieur qu'au-delà des frontières du Cameroun. Des documents sur support papier et des textes des publications électroniques ont été consultés. La nécessité de faire des lectures d'ordre général en matière de patrimoine résidait dans l'importance qu'à cette approche pour la canalisation du champ théorique de notre réflexion. Et le chapitre 2 fait ainsi office de fruit de cette démarche qui nous a permis de multiplier les exemples étayant notre raisonnement et poser les jalons pour l'analyse du contexte camerounais.

En ce qui concerne le Cameroun, il fallait que nous sachions ce qui avait été déjà fait dans le domaine patrimonial, et ce, à la fois sur le plan scientifique, politique et administratif. Ainsi, sur le plan scientifique, c'est dans cet élan de recherche qu'il nous a été possible de bâtir le cadre historiographique présenté ci-dessus, ressortir le problème scientifique et formuler la problématique dont les éléments de réponse sont disséminés à travers les différents chapitres constituant notre apport au savoir en sciences sociales. Par ailleurs, la recherche des données écrites, dans le champ scientifique, nous a permis de circonscrire le background scientifique des DGB.

Sur le plan politique et administratif, la recherche documentaire sur le Cameroun nous a permis de découvrir l‘existence d‘outils réglementaires régissant la politique culturelle au Cameroun et certains biens patrimoniaux dont l'État assure la protection et la mise en valeur. Mais pendant ce travail de recherche, nous avions connu un certain nombre de difficultés. Au rang de ces dernières, celle liée à la détérioration des documents entreposés aux Archives Nationales de Yaoundé, structure dépendant du ministère des Arts et de la Culture, est la plus significative. Beaucoup de textes ont disparu des Archives Nationales et

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ce n‘est que dans certaines structures étatiques très sensibles qu‘on peut avoir accès à des copies et ce, sans compter les tractations que cela implique.

1.3.2.2 Les données orales

Pour la réalisation de notre recherche, l'exploitation des données orales était d'une importance capitale. Le patrimoine étant produit par les acteurs sociaux, son étude se doit d'accorder une place de choix aux discours de ces derniers. De ce fait, les discours verbaux ou non verbaux, des acteurs actifs ou passifs de la question patrimoniale au Cameroun dont traite notre travail ont été l'un des matériaux utilisés pour la production de notre thèse. Cependant, il faut souligner que l'importance accordées aux données orales ne va pas le sens de l'idée faisant de l'Afrique le continent de l'oralité ; mais plutôt celle de montrer que c'est à travers les différentes formes de discours que l'on parvient à relever les rapports des acteurs présents au patrimoine. C'est pourquoi, en nous appuyant sur la logique de CALAME (2007), nous pouvons dire que le discours oral est une matière féconde en données exploitables, surtout en sciences sociales. Souvent factuel ou contextuel, il doit mériter beaucoup de considération dans les études patrimoniales, et ce, nonobstant le champ disciplinaire dans lequel évolue le chercheur23.

Toutefois, il nous paraît important de souligner que la collecte de données ne s'est pas faite à travers tout le Cameroun comme semble l'indiquer le titre de la thèse. Sur les dix régions que compte le pays, nos travaux de terrain en ont touché trois dont les régions du Centre, de l'Extrême-Nord et du Nord, bien que ce soit dans la Région de l‘Extrême-Nord qu‘a été conduit le gros de la recherche.

Plusieurs raisons justifient cette orientation spatiale de la recherche. Yaoundé étant la capitale politique du Cameroun, toutes les administrations centrales dont celle s'occupant de la culture, y sont implantées. Outre ces dernières, on y trouve les Archives Nationales, le

23 CALAME, 2007 (34-35), « La mémoire orale, hypothèse et finalité » PP. 33-39

41 Musée National et la plupart d'importants monuments24 auxquels le Cameroun accorde des intérêts particuliers. Le choix de la région du Nord tient de la présence des pétroglyphes de Bidzar, le tout premier site archéologique à avoir été mis en patrimoine dans le pays, mais également grâce à son appartenance partielle au bassin du lac Tchad et sa connexion avec la Région de l'Extrême-Nord. Pour ce qui est de cette dernière, c'est dans cette unité administrative que se trouvent les Diy-gid-biy, matériaux pour notre étude de cas.

Les enquêtes ont été plus accentuées sur les récits de vie (d‘objets ethnographiques ou archéologiques et de personne), de lieu (sites archéologiques, monuments…), de pratique (cultuelle et culturelle). Certaines interrogations ont été orientées de manière à percevoir le niveau de connaissance que les participants ont de l‘activité archéologique ou du fait archéologique, la notion de patrimoine et sa conservation.

Nous n‘avions pas recouru aux enquêtes par questionnaire pour collecter les données auprès des participants. C‘est la méthode par interview qui a été exploitée (LOMBARD, 2004). Ceci se justifie par le fait que nous avions craint le délai que pourraient prendre les participants pour fournir les réponses. En outre, avec les questionnaires, on n‘est jamais sûr du nombre de participants qui donneront suite à la sollicitation.

En revanche, les interviews permettent au chercheur de vivre la participation de l‘interlocuteur et offre l‘occasion de noter certains non-dits qui font partie d‘importants éléments qui manquent souvent aux données recueillies par administration de questionnaires. Mais il fallait se décider du type d'interview qu'il convenait d'appliquer et le choix a été opéré suivant la qualité de données auxquelles nous aspirions. On a procédé par des interviews en profondeur, mais de manière individuelle, sauf à Mourla (Pouss)25. Le choix porté sur ce type d'interview s‘explique par le fait que les interviews répétées ou Panels (DUBOUCHET, 1990) demandent plus de temps, favorisent les réactions et des réponses de masse qui rendent la quantification individuelle des interventions très difficile.

24 On peut citer le monument de l'indépendance, la stèle Eugène Jamot, la place l'an 2000, les trois statues mariales, le monument de la réunification, etc. 25 Aucune des personnes présentes ne se prêtait à une entrevue individuelle. Tout individu ayant accepté un entretien individuel était suspecté d‘avoir perçu une compensation qu‘il cacherait aux autres. 42

Cependant, pour réaliser les différentes collectes de données nous avions fait des entretiens semi-directifs (RODRÍGUEZ-GIL-GARCÍA et al, 1999) sur la base des questions préalablement préparées dans le guide d‘entretien. Toutefois, ce guide d‘entretien a été parfois amendé pour être adapté aux nécessités de recherche se rapportant aux sites sur lesquels la recherche s‘est déroulée. La méthode d‘enquête semi-directive a permis à nos interlocuteurs de se sentir dans des échanges conviviaux et de s‘ouvrir à nous quoique nous ne saurions être sûr que l‘intimité culturelle eût été totalement évacuée.

Néanmoins, on a été également astreint, dans une certaine mesure, à procéder à des entrevues informelles. Cela a souvent eu cours avec des membres de la famille, des amis et d‘anciens collègues de l‘université de Yaoundé I. Le jeu consistait à provoquer des échanges sur le sujet du patrimoine à l‘instar des méthodes de transmission des pratiques de patrimonialisation. Les moments de visites de courtoisie, de retrouvailles étaient des circonstances propices à ce type d‘exercice. Mais il fallait savoir comment introduire le sujet relatif à la question patrimoniale touchant variablement le communautaire, l‘ethnique, le familial, le national et le régional. On évoquait le patrimoine culturel dans sa dualité matérielle et immatérielle afin de cerner les appréhensions que les uns et les autres ont de lui. Mais la démarche se devait d‘être très subtile afin de ne pas laisser savoir qu‘il s‘agissait d‘un travail de recherche qui se réalisait. Cela se justifie par le fait que nous avons voulu recueillir des données au travers des discours dits dans un contexte autre que celui dans lequel les interlocuteurs savent qu‘il est question d‘enquêtes ethnographiques (où le jeu de subjectivité et d‘intersubjectif est plus présent).

Le choix des participants a été opéré au cas par cas, et ce, suivant le contexte patrimonial sur lequel nous voudrions avoir des données. Les échantillons ont été constitués sur les critères tels que l‘âge, la fonction, la classe sociale, l'environnement social (lieu de résidence). Les personnes en contact permanent avec les sites et les vestiges archéologiques, les professionnels du patrimoine ont occupé une place de choix au sein de notre échantillon. Des politiques, des administrateurs et des membres des associations socioculturelles dont la mise en valeur des identités culturelles est l'un des objectifs ont aussi fait partie de l'échantillon.

43 Mais au regard des accords éthiques conclus avec les participants, aucune information de nature à décliner l‘identité des interviewés ne peut être donnée26. Certains participants n'ont pas d‘ailleurs manqué, au cours des entretiens, de nous rappeler de ne pas révéler leur identité. On s‘est entendu dire : « J'espère que cela va rester entre nous » ou « je crois que vous allez respecter votre engagement à ne pas dévoiler mon identité », ou encore, « Je vous le dis ; mais sachez que c'est parce que je vous fais confiance. Je ne voudrais pas que l'on sache que cela vient de moi. Ce sont des réalités qui existent, mais on est tenu de ne pas en parler au grand jour ».

Ces paroles nous ont été tenues par les interviewés appartenant au ministère des Arts et de la Culture, aux cours des sultanats et des politiques craignant des conséquences pour leur sécurité politique, professionnelle et sociale. Cependant, pour les personnes occupant des postes où des mutations ou remplacements sont possibles, la fonction sera indiquée puisque cette dernière ne saurait permettre d‘identifier physiquement l‘auteur d‘un récit. En fait, comme il y a eu des affectations, des mutations et des promotions au sein du Ministère des Arts et de la Culture, le fait de mentionner le titre de l‘interviewé ne trahit en rien le contrat éthique dont le caractère anonyme des discours est le principe cardinal.

Ainsi, pour le volet de la recherche touchant le patrimoine culturel constitué par l'État du Cameroun, la participation de certains responsables du ministère des Arts et de la Culture aussi bien que celle des administrations municipales et traditionnelles ont été sollicitées. L'échantillon de cette catégorie de participants a été constitué des personnes travaillant dans les services centraux tels que la Direction du Patrimoine Culturel, le Secétariat Général et des responsables des services déconcentrés dudit ministère. Dans l'ensemble, vingt cinq (25) personnes ont été interviewées et le tableau 1.1 montre le résumé des travaux d'enquêtes ethnographiques.

26 Ils seront désignés par les premières lettres de leurs noms et prénopms ou le titre de la fonction occupée lorsque ce titrene permet d‘identifier proprement la personne.

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Types Nombre de personnes Services Lieux Sujets évoqués administratifs interviewées

Secrétariat général dudit Politique culturelle Yaoundé 2 ministère du Cameroun, la Direction du Patrimoine question Yaoundé 2 Culturel patrimoniale, les Délégation Régionale éléments culturels des Arts et de la Culture Yaoundé 2 pour lesquels l'administration Responsables du Centre culturelle du pays Ministère des Délégation Régionale prête une attention Arts et de la des Arts et de la Culture 2 Maroua particulière, la place Culture de l'Extrême-Nord réservée au

patrimoine archéologique tels Délégation Régionale que les DGB, les des Arts et de la Culture Garoua 2 mécanismes de du Nord conservation et de mise en valeur des biens patrimoniaux, Sous-préfecture de Koza Koza 1 Les considérations patrimoniales locales Autorités Sous-préfecture de et nationales en administratives Mozogo 1 Mozogo rapports avec Diy- gid-biy Communauté urbaine de Yaoundé 2 La place des éléments Yaoundé patrimoniaux de

Commune rurale de statut national ou Autorités Koza 1 Koza local dans la politique communales Commune rurale de de gestion Mozogo 1 Mozogo communale

Lamidat de Koza Koza 1 Duval, Koza, L'appréhension locale Moskota, des Diy-gid-biy et la Autorités Lamidat de Moskota Mondossa, question relative à la traditionnelles 6 Mudukwa, nationalisation du Oupay statut patrimonial Lamidat de Mozogo Mozogo 1

Tableau 1.1: Enquêtes sur le patrimoine géré par l'État ou qu'il entend gérer

Il était question de recueillir des récits de pratique afin de cerner la politique patrimoniale nationale et les mécanismes de patrimonialisation utilisés par l'État pour faire passer certains biens du statut d'éléments culturels à celui d'éléments patrimoniaux pour lesquels des efforts de conservation sont consentis. Pour ce faire, les entretiens ont tourné autour de

45 biens qui sont déjà statutairement gérés par l'État du Cameroun comme les Archives Nationales, le Musée National, les monuments à caractère historique à l'exemple de celui de la réunification. Les entretiens ont également porté sur des sites archéologiques tels que les Diy-gid-biy, l'abri sous roche de Shum Laka et les pétroglyphes de Bidzar que le Cameroun voudrait voir inscrire à la liste du Patrimoine mondial.

Pour les autres éléments patrimoniaux dont l'État n'a pas le contrôle, nous avons sollicité la participation d'un ensemble assez diversifié de personnes (Tableau 1.2). Cette diversification tient au fait que les sites et éléments ayant fait partie de notre échantillon de biens patrimoniaux sont assez variés. Ils sont de nature différente et sont gérés par le biais de mécanismes d'appropriation et de mise en valeur qui diffèrent les uns des autres. Pour ce faire, des leaders des mouvements socioculturels, des responsables des trésors de certains sultanats dont ceux de Goulfey et de Makary, de l'ancien palais du chef Mofu Douvangar, des cases musgum de Mourla, les riverains de quelques sites archéologiques comme les Diy-gid-biy (fig.1.1), les pétroglyphes de Bidzar, certaines buttes anthropiques de l'aire Sao du Cameroun ont été interviewés. Ici, contrairement à ce qui a été fait dans le cadre du patrimoine géré par l'État, les entretiens ont été orientés vers la collecte des récits de lieu, de pratiques et de vie. Mais le nombre de participants a varié selon les différents éléments patrimoniaux qui ont retenu notre sensibilité scientifique et le tableau 2 présente la quintessence du travail d'enquête se résumant à cinquante trois (53) interviews pour un ensemble de dix-huit (18) sites repartis en quatre (4) types.

De la sorte, lors de nos enquêtes sur les trésors des sultanats de Goulfey et de Makary, nous n'avions eu des entretiens qu'avec quelques membres des cours desdits sultanats. Ces participants ont été assez généreux, car ils se prêtaient à répondre volontiers à toutes nos questions, malgré le fait que chacun nous rappelait le respect l‘engagement éthique. Ce dernier stipule qu‘aucune mention de nature à décliner l‘identité de l‘interviewé allait être évitée et que les récits seront gardés en endroit sûr pour que personne ne puisse en avoir accès.

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Types de sites localités sites Nombre de participants Données collectées DGB-6 2 Bigide DGB-7 2 Duval DGB-15 3

DGB-1 et 2 4

DGB-3 1 Kuva DGB-4 1 Récits de lieu, de vie DGB-5 1 Archéologiques Mondossa (d'hommes) et de DGB-12 2 pratiques

DGB-8 2 Mtskar DGB-9 3 DGB-13 1 Mudkwa DGB-14 1 DGB-10 2 Oupay DGB-16 1

Douvangar Ancien palais du 6 Récits de lieu, de vie et Historiques Viri chef Kalakguissaï 4 de pratiques

Muséologique Goulfey Goto Goulfey 2 Récits de lieu et de Makary Musée de Makary 3 pratique

Arbres- Guisey Diakka 4 Récits de lieu et monuments Viri Wayta masta 4 pratiques

Guisey Dimari 4 Récits de lieu et de Lieux d'esprit Viri Dimari 4 pratique

Tableau 1.2: Enquêtes ethnographiques pour le patrimoine n'étant pas géré par l'État

À Goulfey, on nous a fait visiter le complexe muséal tenu par le sultanat et le sultanat lui- même. Nos échanges ont porté sur l'histoire des origines du complexe muséal, les rapports de la communauté locale aux structures que l'on nous a présentées, les mécanismes d'appropriation des biens entreposés dans le musée et la politique de conservation mise en place. Ce dernier aspect (politique de mise) à nécessité une second voyage pour la localité de Goulfey, nous nous avions aperçu des récits y afférents n‘avaient été récueillis.

47 À Makary nous avions visité le musée du sultanat, le monument du "roi serpent" et une partie du sultanat. Ici, outre les échanges avec des membres de la cour portant sur la politique patrimoniale et la patrimonialité manifestée envers les éléments patrimoniaux qu'ils nous ont présentés, nous avions eu la chance d'être reçu en audience par le Sultan. Avec ce dernier, les questions ont été orientées dans le sens de cerner le pourquoi de la nécessité ressentie par le sultanat pour la conservation des biens archéologiques, à l‘instar des figurines Sao. Cette orientation avait pour but de comprendre comment le patrimoine est modelé en fonction des besoins de l'heure.

En fait, on se trouve là dans un contexte de patrimonialisation appelant à des investigations intellectuelles. Makary, autant que Goulfey, sont des localités sous l'emprise de la foi musulmane et comme on le sait, cette dernière proscrit l'admiration de certains objets ; à l'exemple des figurines en terre cuite. De ce fait, il y avait lieu de creuser afin de savoir si les politiques en place n'étaient pas une prise de conscience patrimoniale dénonçant implicitement l'assimilation culturelle issue de l'Islam dont les populations locales ont été victimes. Dans le même ordre d'intention, nous avons posé des questions en rapport avec certaines buttes anthropique qualifiées de Sao et dont les pouvoirs traditionnels de Goulfey et de Makary veillent désormais à la protection et pour une exploitation participative et communautaire. Mais le sultan, peut-être à cause de son statut, a été moins prolixe en escamotant des réponses à certaines questions touchant des aspects sensibles pour l'ordre socio-religieux.

Cependant, nous aurions voulu avoir aussi des entretiens avec des personnes n'étant pas membres des cours des sultans, mais nous n'avons pas pu le faire à causes des difficultés liées à l'organisation sociétale régulant la vie communautaire dans les deux sultanats. Cette démarche nous aurait permis de savoir si les discours tenus par les participants fait consensus au sein de toute la communauté locale ou si une partie de cette dernière aurait dit un discours mitigé quant à la place, dans sa vie, des patrimoines dont mention est faite. Toutefois, ce manquement ne discrédite pas le caractère patrimonial des éléments présentés, puisqu'un nombre de personnes en déclarent un certain attachement symbolique.

A Douvangar où l'ancien palais du chef est un bien patrimonial, nous sommes allé rencontrer la cour du chef afin d'obtenir l'autorisation de visite et d'avoir des entretiens avec

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certains membres de ladite cour et de l'ensemble de la communauté. Un guide, l'un des petits-frères du chef, a été mis à notre disposition. Il nous a fait visiter, avec explication, l'organisation structurelle du palais et le mode de vie corrélatif. Cette visite nous a amené à axer nos enquêtes sur les récits de vie et de pratiques. L'importance de ceux-là réside dans le fait qu'ils permettent de cerner l'angle historique et identitaire de la mise en patrimoine et celle de ceux-ci est en rapport avec la compréhension des mécanismes de patrimonialisation et de conservation. Pour l'ensemble de l'enquête, six personnes, dont deux de la cour et quatre autres, ont participé à la recherche.

Pour ce qui est de l'ensemble architectural Musgum de Mourla (ce lieu fait partie du package touristique de la Région de l'Extrême-Nord), nous y sommes rendu et avons eu des entretiens avec le guide du site et cinq autres personnes.

C'est sur les Diy-gid-biy que le travail a été très ardu ; car les riverains ne parlant pas français, les services d'un interprète nous ont été indispensables sur le terrain. Il fallait se rendre sur les 16 Diy-gid-biy afin de procéder à des enquêtes orales. Car bien qu'étant reconnus comme des sites archéologiques appartenant à une même typologie, les considérations qui leur sont accordées varient d'un site à un autre. Ceci étant, le travail d'enquêtes ethnographiques que nous étions appelés à faire s'avérait l'un des plus complexe et laborieux.

Les sites étant variablement appropriés par des familles, des lignages et des communautés, le choix des participants se devait d'en tenir compte. Pour ce faire, vu le nombre de sites, nous avions défini une stratégie d'enquête en rapport avec le nombre de participants. De ce fait, il a été décidé d'avoir des entretiens avec un maximum de 6 personnes par site. Pour les sites bénéficiant des égards des communautés (plusieurs groupes claniques), il fallait interroger un membre par clan lorsqu'il en existait plus de trois et deux membres si l'on ne dénombrait que trois clans au plus. Pour ce qui est des sites appartenant à des lignages, il fallait interviewer trois membres du lignage concerné. Quant à ce qui est des sites dont la propriété n'échoie qu'à une famille, nous avions décidé d'avoir des entretiens avec deux membres de la famille. En ce qui concerne les Diy-gid-biy qui ne sont pas éléments patrimoniaux, les entretiens se limitaient à une seule personne par site. Mais dans les quatre cas de figure, la série d'entretiens commençait toujours avec celui qui est pensé comme le

49 conservateur du site. La nécessité d'interviewer des personnes autres que ceux qui sont localement connus pour le monitoring qu'ils font sur les sites tenait à ce qu'il fallait chercher à savoir s'il n'existerait pas une pluralité de versions de discours en rapport avec un même site. Pour nous, la confrontation des discours sur un même site conduirait à une interprétation plus lucide que celle faite sur la base d'une seule version discursive.

Dans l‘'ensemble, les entretiens ont été orientés dans le sens de saisir l‘attachement affectif et religieux des populations actuelles aux différents Diy-gid-biy transformés en éléments patrimoniaux. Autrement dit, il a été question de recueillir toutes les formes de récits ayant cours autour des sites, élucidant davantage leur statut d'objets patrimoniaux.

Pour parvenir à cette fin, il fallut que l‘on adoptât une attitude ethnoscientifique. Cette dernière dont l‘un des principes cardinaux est la prise en compte de la linguistique, était d‘une importance capitale pour l‘appréhension des catégories conceptuelles locales (CONKLIN, 1955 ; TYLER, 1969). Pour nous, elle a paru comme la démarche appropriée permettant de saisir la sémantique locale en rapport avec le patrimoine.

Dans un exercice d‘enquête semi-directive, cette démarche a permis d‘avoir une idée de la patrimonialisation d‘éléments culturels reçus des ascendants ou par contingence historique. Elle a également conduit à la reconnaissance des marqueurs de patrimonialisation et à la lecture des indices de patrimonialité en lien avec les Diy-gid-biy dont la mémoire historique peine à révéler le groupe d‘individus auquel appartiendrait la paternité. Dans la même lancée méthodologique et dans l‘optique de dégager les catégories patrimoniales dans lesquelles se rangent les sites, il fallait chercher à savoir quelles fonctions remplient ces sites. En effet, étant donné que la littérature relative aux sites focalise davantage sur les fonctions que les sites auraient remplies à l‘origine (SEIGNOBOS, 1982; DAVID, 2004, 2008 et DATOUANG DJOUSSOU, Op.cit.), il fallait poser un regard actualiste.

Pour nous, il fallait davantage dégager, dans une logique patrimoniale, les usages actuels desdits sites. Ces usages témoignent de la nouvelle vie que les populations environnantes ont donnée aux sites et par ricochet, la preuve que le patrimoine n‘est pas une monade close et hermétiquement fermée. Il est la résultante d‘un processus au cours duquel il y a intégration et désintégration, classement, déclassement, voire reclassement d‘éléments

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culturels et patrimoniaux. Cette démarche nous a permis de savoir les rôles joués par les acteurs sociaux faisant usage des Diy-gid-biy et les mobiles de leurs actions.

Mais pour mieux appréhender les intérêts liés aux sites, il aurait fallu que l'on procèdât de manière relativiste (SIDKY, 2004). Il ne fallait pas orienter les questions dans le sens de lire la patrimonialité envers les sites DGB dans une logique qui les placerait, de facto, dans le prisme du regard patrimonial de la société occidentale. Ce relativisme consistait à considérer les Diy-gid-biy dans un isolat culturel local propre à des acteurs sociaux appartenant à un environnement sociopolitique et culturel particulier. Cette démarche n'avait pour autre objectif que celui de contribuer à une mise en évidence d'un particularisme patrimonial local. Ce dernier, selon nous, pourrait permettre d'attirer les attentions sur le côté subjuguant de la codification normative dont se font chantres les institutions, les scientifiques, les professionnels intéressés par ce qui a trait au patrimoine culturel.

Aussi, pour avoir les données sur les aspects vivants des types patrimoniaux, nous avions utilisé la méthode de l‘observation participante. Cette option tient du fait qu‘elle permet d‘enregistrer des données qu‘un participant pourrait, par intimité culturelle ou par omission, ne pas livrer. L‘autre avantage que présente cette expérience est la possibilité de pouvoir discerner l‘idéal que donne le participant de la réalité liée au fait social qu‘on observe. Nos participations à certains rituels sur quelques uns des Diy-gid-biy et à d‘autres manifestations socioculturelles ont enrichi la constitution de la base de données en rapport avec le sujet de recherche.

Les données qui nous ont été livrées ont été enregistrées dans des fiches d‘enquête et les cahiers de notes. Les fiches et les cahiers ont été les seuls outils d‘enregistrement parce que nous ne disposions pas de dictaphone. Nous n‘avions pas apprêté cet outil parce que lors de notre recherche de DEA, nous nous sommes rendu compte que les personnes qui nous accordaient les entretiens n‘aimaient pas que leurs dires soient consignés sur ce type de support. Mais nous avions également fait des enregistrements photographiques de certaines données de musées, sites et éléments archéologiques, types architecturaux et patrimoine vivant. Cette imagerie ethnographique nous a été d‘une utilité capitale, car nous n‘aurions

51 pas pu profondément analyser ces éléments sur le terrain (LABURTHE-TOLRA et WARNIER, 2003).

1.3.3 Analyse et interprétation des données

Comme cela ressort de la présentation des matériaux collectés faite ci-dessus, le corpus de données à analyser a été constitué des notes d‘entrevues formelles et informelles, des données tirées de notes d‘observation et des sources écrites. Cependant, l‘ensemble de données a été réparti en deux catégories de discours. Il y a une catégorie dite discours patrimonial dominant, appélé « authorised heritage discourse » par SMITH (2006). Elle renferme les dires des autorités de la politique culturelle du Cameroun, des scientifiques et des professionnels du patrimoine. L‘autre catégorie est celle que nous avons dénommée « discours patrimonial dominé » qui est celui des groupes ethniques, des associations socioculturelles, des communautés et des familles.

Pour le traitement d'ensemble, nous avons procédé par une démarche analytique accordant une place de choix aux sens des contenus des interviews et des idées afin de relever les logiques patrimoniales exprimées par les uns et les autres. Et comme il est mentionné plus haut, l'exercice a été conduit suivant un élan constructiviste, selon le canon de la démarche enracinée27 pour laquelle les données sont considérées comme le résultat d'une expérience partagée entre le chercheur et les interviewés. Dans cette perspective nous n'avons pas placé à l'oubli, lorsque nous procédions à l'analyse, les influences réciproques qui se sont produites entre nous et les participants. D'une part, notre manteau de chercheur n'a pas été sans influence pour ceux qui nous ont accordé les interviews. Ces influences sont possibles à travers l'orientation que nous donnions à l'entretien ou les questions de relance, lorsque nous avions l'appréhension que notre interlocuteur n‘abonde pas dans le sens d'atteindre les résultats escomptés. D'autre part, les styles et formes discursifs des interviewés, dépendamment de la représentation patrimoniale et des sensibilités, objectives ou subjectives, que les uns et les autres entendaient nous livrer exercent, implicitement, un

27 Démarche analytique inspirée du travail de CHARMAZ dans «Quantitative Interviewing and Grounded Theory», in JABER GRABRIUM and James, HOLSTEIN (dir) Handbook of Interview Research. Context and method, London, Sage, PP : 677.

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poids sur notre compréhension de la question patrimoniale du Cameroun. De ce fait, nous nous sommes conduit de manière à replacer les données d'analyse dans les cadres spatio- temporel et socioculturel en tenant compte de l'interaction chercheur/interviewés afin de réduire le risque de troncature analytique. Cet état de conscience étant en nous, la relecture analytique des entretiens et l‘interprétation concomitante ont été faites par le biais d‘une démarche ne dérogeant pas à l'approche constructiviste en essayant toujours de nous repositionner dans le contexte de l'entretien.

Ce fut un exercice peu aisé; car les faits sociaux étant complexes comme l‘être humain lui- même, comprendre la question patrimoniale par le truchement des discours des acteurs sociaux est loin d‘être la chose la plus évidente. En effet, pour une intelligibilité d‘ensemble, il fallait ne pas perdre de vue les positions sociales des interviewés afin d‘appréhender les particularités individuelles et associatives nuançant les considérations patrimoniales continues dans les discours sur lesquels nous travaillons. Il s‘agit de pouvoir discerner les influences institutionnelles, associatives et individuelles concernant le patrimoine culturel sur les énonciations ayant été formulées par les uns et les autres. Cette conduite permet d‘être averti vis-à-vis des tendances de réification et de substantialisation découlant des appartenances institutionnelle et corporative.

Dans cet état de considération en rapport avec le possible jeu de subjectivité et de réflexivité ayant glissé dans la production et la collecte des données, il fallait que nous nous intéressions davantage aux caractéristiques patrimogènes des éléments discursifs. Ainsi, les schèmes patrimoniaux ne doivent jaillir que des discours des interviwés. Pour y parvenir, l‘analyse de contenu thématique (ACT) est apparue comme la voie la mieux indiquée. Cette dernière a cet avantage d‘être extensive avec un potentiel descriptif et interprétatif, favorable à la compréhension du phénomème patrimonial que nous entendons expliquer, bien qu‘elle contienne un risque de projection sémantique. En outre, l‘ACT est une approche descriptive des données en étude offrant la possibilité d‘identifier, de recenser et de classer les substances des contenus de celles-ci pour un travail de mise en parallèle, de contextualisation et d‘interprétation. C‘est également une méthode analytique focalisant sur le repérage et le regroupement, voire l‘interrogation rationnelle des thèmes mis en relief dans un spicilège de données.

53 Rappelons ici que notre ACT a commencé par le choix du type de codage thématique. La notion de thème s‘entend, dans le contexte de notre travail, comme ce sur quoi portent les différents discours et ce qui désigne ce dont ces derniers font référence. Il s‘est agi d‘un codage inductif non fondé sur une théorie existante (codage conceptualisé), mais sur les matériaux produits par les acteurs de la question patrimoniale au Cameroun. Nous avons procédé par thématisation continue sous le soin d‘un effort de détermination graduelle et intégrale des thèmes par le canal des lectures linéales et fouillées des discours.

Mais les thèmes qu‘il convenait de dégager étaient ceux ayant le potentiel de rendre compte des pratiques et des représentations patrimoniales du cadre géographique de la recherche. Cet exercice a été conduit à travers un codage séparé et une mise en parallèle des discours, expressions d‘un phénomène social. Il fallait retenir tout ce qui semblait véhiculer le sens patrimonial et non privilégier les récurrences. C‘est dire que nous avions prévilégié l‘aspect qualitatif pour aboutir à l‘ensemble des thèmes.

Nous avons commencé le travail par un codage thématique ouvert (UWE FLICK, 2006) des entretiens pour chuter sur un codage en champs thématiques ayant des éléments catégoriels. La première étape n'a pas été facile ; car nous avions baigné dans une foule de codes bourgeonnants qui nous venaient à l'esprit et où il nous a été assez difficile de décider de quoi retenir ou écarter. Mais, par prudence, tout ce qui nous paraissait ambigu comme thème ou sous-thèmes était mis en veilleuse pour une possible insertion dans les thèmes retenus. L‘étape était davantage complexe et laborieuse lorsqu‘il fallait trouver le terme explicitant tel ou tel aspect de l‘idée patrimoniale contenu dans le discours qui était en exploitation et devant faire office de thèmes. Ce fut une véritable gymnastique intellectuelle qui demandait à ce que nous examinions les données qui étaient à notre disposition à plusieurs reprises afin d‘atteindre une certaine précision de codage d‘un seuil d‘intelligibilité sans équivoque pour la lumière du discours descriptif et analytique que nous entendions mettre en place. Dans cette logique, lorsque la compréhension de certains discours apparaissait assez obscure pour le codage, cela nécessitait de glaner des données supplémentaires plus expressives de la réalité patrimoniale qu‘il fallait mettre en évidence. C‘est ainsi qu‘il nous est apparu nécessaire de retourner à Douvangar, Goulfey et Makary pour faire des interviews. De fil à aiguille, nous sommes arrivé à coder les matériaux

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discursifs à partir desquels il fallait modeler la présente thèse. Au sortir de cette acrobatie d'encodage, un ensemble de quarante-quatre (44) thèmes a été établi (Tableau 1.3).

1 archéologique 12 élément 23 monument 34 patrimoine dominant patrimonial

2 archivage 13 ethnique 24 monumental 35patrimoine dominé

3 archives 14 familial 25 monumentalisation 36 patrimonialité

4 autels 15 fétiches 26 muséification 37 Patrimonialisation

5 communal 16 fétichisation 27 musée 38 performation

6 communautaire 17 historique 28 muséographie 39 politique

7 croyance 18 identité 29 muséologique 40 regalia

8 cultuel 19 idéologie 30 national 41 régional

9 culturel 20 international 31patri/matrimoine 42 sacralisation

10 documentaire 21matrimoine 32 patrimoine 43 sanctuaire

11élément culturel 22 mémoire 33patrimoine culturel 44 sanctuarisation

Tableau 1.3: Codage thématique ouvert

Ces thèmes qui ont émergé des données empiriques traduisent, en fait, l'aspect constructiviste et générateur de la recherche, corolaires d'une approche qualitative. La portée constructiviste réside dans la qualité des codes à servir des matériaux pour le discours qui va être élaboré sur le contexte patrimonial camerounais. C‘est un schéma de contruction ayant considéré le Cameroun comme site d‘exploitation et les données sur la question patrimoniale de ce site comme matières premières à transformer pour la réalisation notre thèse, résultat d‘un travail de métamorphose intellectuelle. Pour ce qui est de l'aspect générateur, il tient au fait que les thèmes n'émergent pas du néant ; mais des discours ayant été recueillis.

Cependant, il fallait procéder à un examen de ce premier codage afin d'organiser les différents thèmes en des ensembles spécifiques à des champs structurant notre entendement du phénomène patrimonial au Cameroun. Ce travail de groupage rend les thèmes compréhensibles, nous semble-t-il. De ce fait, après un travail de codage sélectif, certains 55 thèmes ont été mis de côté. Cette mise à l'écart ne signifiait pas leur rejet, mais un allégement du codage pour une cohérence et une logique dans le groupage. Ils sont juste mis sous cape et leur décodage est observable dans le tableau 1.4. D'autres thèmes ont été remplacés par leur forme adjectivale afin de qualifier la nature des enjeux patrimoniaux. C'est le cas de mémoire, identité et idéologie qui ont été transformées et auxquelles correspondent respectivement mémoriels, identitaires et idéologiques. Au final, 26 thèmes ont été retenus et repartis en cinq ensembles thématiques portant sur les enjeux patrimoniaux, la nature des éléments patrimoniaux, les mécanismes de conservation, la dénomination et le niveau de considération (tableau 1.4).

L'ensemble de cet exercice de codage a été le socle d'une interprétation des différentes formes et types de discours dont le but est d‘élucider le phénomène de patrimoine dans le contexte camerounais, et ce, à travers le décryptage du langage (FAIRCLOUGH, 2001). C'est une approche de production du savoir qui a une importance double. Elle permet non seulement de distinguer les formations discursives, mais également d‘harnacher le niveau discursif au niveau de la société et décliner les catégories patrimoniales. Étant donné que toute politique ou gestion patrimoniale est de plus en plus une compétition entre les discours dominants et les acteurs sociaux en matière d‘autorité, l‘ACT des discours est apparue comme une approche adéquate pour une étude qui veut saisir les constructions abstraite et pratique du patrimoine.

Grâce au codage, nous sommes parvenu à ressortir une sémantique patrimoniale descriptive et interprétative exprimant la réalité camerounaise. Cette sémantique constitue le matériau de base de la rhétorique patrimoniale du discours émancipateur que nous établissons entre les textes et les interactions sociales (FAIRCLOUGH, 2003), en mettant en évidence la dominance, le contrôle, les forces sociales et les pouvoirs organisés qui sont en performance.

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1 Enjeux 2 Nature 3 Mécanismes de 4 5 Niveau patrimoniaux conservation Dénomination patrimonial

culturels archéologique archivage archives communal

identitaires documentaire fétichisation autels communautaire

idéologiques historique monumentalisation fétiches familial

mémoriels immatérielle muséification monuments ethnique

politique monumentale sacralisation musées international

religieux naturelle sanctuarisation regalia national

sanctuaires régional

Tableau 1.4: codage en champs thématiques

Les deux tableaux de thèmes illustrent notre volonté de parvenir à une compréhension de différentes manières par lesquelles les uns et les autres font étalage de la considération patrimoniale qui les anime. Cela dit, il fallait considérer les discours comme un construit social ou le point d‘intersection au niveau duquel les effets idéologiques, identitaires, culturels, religieux, politique, le sens commun des approches patrimoniales et l‘homogénéisation des conceptions peuvent faire l‘objet de consensus ou rencontrer des poches de dissonance sociétale (BLAMMAERT, 2005).

Le tableau 1.3 expose les différents thèmes résultant de la lecture des dicours que nous avions collectés. De manière générale, il s‘agit des aspects patrimoniaux que nous avions pu détecter au travers des données. Ce tableau qui est constitué d‘un certain nombre de thèmes dresse un panaroma du visage patrimonial du Cameroun. C‘est un ensemble d‘adjectifs et de noms susceptibles de laisser entrevoir les différentes physionomies du fait patrimonial au Cameroun.

Ici, non seulement le discours est considéré comme l‘instrument dans lequel et par lequel se forge et s‘exprime l‘esprit patrimonial, il en constitue l‘une des manifestations spécifiques abtraites. C‘est par lui que le groupe organise sa praxis dialogique de mise en scène

57 patrimoniale. Chaque communauté ou groupe d‘individus peut se définir comme un ensemble de structures où le discours permet l‘utilisation rationnelle du patrimoine culturel de la société humaine globale (BAHOKEN et ATANGANA, 1975).

Pour ce faire, pour ressortir les thèmes présentés ci-dessus, il fallait mettre l‘accent sur les genres discursifs, les discours eux-mêmes et les styles par lesquels la performance discursive patrimoniale se déploie. Ces trois points de considération correspondent schématiquement à ce qu‘expriment les pratiques langagières dans l‘action, la représentation et l‘identification patrimoniales. Mais pour parvenir à mettre cette trilogie de l‘appréhension analytique du discours en exergue, pour une compréhension d‘ensemble, il a fallu que nous prêtassions attention à l‘intertextualité des différents discours cultuels et culturels performés au Cameroun (LEMKE, 1995).

La nécessité d‘une lecture intertextuelle venait des connexions de fond et de forme entre les discours dominants de l‘industrie patrimoniale, puis entre le discours émancipateur de nouvelles formes de mise en patrimoine et traditionnel, de fond endogène. Ceci tenait au fait que les différentes formes de discours déployées au Cameroun pourrraient entretenir un certain nombre de relations dont il est nécessaire de mettre en évidence. Eu égard au contexte patrimonial où les acteurs se recrutent de plusieurs milieux, il est important de mettre les discours en parallèle afin de typologiser et de catégoriser les ensembles patrimoniaux et les patterns de patrimonialisation. Il s'agit d'un travail orienté vers la mise en relief des politiques et des considérations patrimoniales qui ont cours au Cameroun.

Au sortir de cette mise en parallèle, il fallait, sur la base des thèmes, ressortir ce qui est commun et spécifique aux différentes catégories de discours. Le but relatif à cette entreprise est celui de cerner les enjeux patrimoniaux exprimés aux différents niveaux de considération.

C‘est la raison d‘être du tableau 1.4 présentant les cinq champs thématiques de la réalité patrimoinale camerounaise. Suivant les deux ensembles de discours (dominant et dominé), l‘examen de la grille de thèmes a permis de relever que les enjeux culturels, politiques, mémoriels, identitaires et religieux se retrouvent dans les deux catégories. Quant à ce qui est de la nature du patrimoine et les mécanismes de sa constitution, l‘archéologique,

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l‘historique, l‘immatériel, le monumental et le naturel, d‘une part, la monumentalisation et la muséification, d‘autre part, sont des thèmes partagés entre les deux. Pour ce qui des dénominations patrimoniales, on a trouvé que les monuments, les musées et les sanctuaires sont des substantifs évoquant des thèmes dans l‘une et l‘autre catégorie. Mais il y a des thèmes qui n‘appartiennent qu‘à l‘une ou l‘autre des deux catégories de discours et par ricochet, les deux catégories patrimoniales. C‘est le cas de l‘idéologique, du documentaire, de l‘archivage, des archives, du national, du communal, de l‘international, du régional qui ne sont identifiables que dans la catégorie dite partrimoine dominant et la fétichisation, la sacralisation, les autels, les fétiches, les regalia, le communautaire, le familial et l‘ethnique qui sont du ressort du patrimoine dominé.

Par le biais de ce codage permettant la lecture de distribution des thèmes, il nous a été possible de saisir les mobiles ou les objectifs28 de la patrimonialisation, de la sauvegarde et de la mise en valeur du patrimoine. En outre, nous avons été en mesure de déterminer les multiples sens donnés au patrimoine, les marqueurs de la patrimonialisation et de la patrimonialité envers des éléments ou des ensembles patrimoniaux. Il s‘agit là des résultats porteurs d‘une analyse fondée sur la prise en considération de la sémantique discursive (de toutes les formes de discours) et le dialogue performatifs développés par les acteurs sociaux qui a permis d‘appréhender (cf. chapitres 3, 4 et 5) les différents concepts à travers lesquelles sont exprimées la notion de patrimoine et les idées qu‘ils véhiculent.

À la fin de ce travail, nous avons été conduit à l‘induction selon laquelle la construction du patrimoine constitue une mise en branle des systèmes de symboles utilisés pour divers types de communications. Chacun de ces systèmes serait le produit d‘une histoire collective ou individuelle spécifique, imposée ou non, selon le cas, par certaines forces politiques, culturelles, économiques ou socio-environnementales.

La construction discursive autour de toutes ces données s‘est faite à travers l‘exploitation de la « Grounded theory » (GUILLEMETTE, 2006; GLASER et STRAUSS, 1967). Il s‘est

28 Quand nous parlons de mobiles et d'objectifs ici, nous faisons allusion aux enjeux patrimoniaux qui pourraient être à la base des actions de mises en patrimoine.

59 agi d‘une analyse et d‘une interprétation par émergence. Comme souligné plus haut, certains résultats de l‘analyse ont suscité de nouveaux besoins de collecte de données d‘où la raison de la figure 1.2 qui laisse entrevoir la circularité entre l‘analyse et la collecte des données. Le développement théorique a été validé par une constante confrontation aux nouvelles données sous le prisme du principe de l’emergent-fit qui permet d‘opérationnaliser l‘orientation inductive (GLASER, 2002; LAPERRIÈRE, 1997).

Cette démarche qui consiste à travailler à partir des données pour ensuite formuler des concepts et arguments théoriques, est le contre-courant de l‘approche hypothético- déductive embrigadant le chercheur dans des hypothèses qui tendent à forger les résultats. C‘est d‘ailleurs sur la base du concept d‘emergence-fit que l‘exercice de codage a été effectué. Au risque de nous répéter, les thèmes constituant l‘ensemble des codes n‘ont pas été prédéfinis, mais sont issus de la lecture des discours recueillis pendant le travail de collecte de données. C‘est dire que ce qui fait office de codes ici est une forme d‘émergence ayant pris corps à partir d‘un ensemble de matériaux préalablement rassemblés et soumis à un traitement analytique.

Cependant, on reconnaitra qu‘aucune entreprise de recherche n‘est jamais «vierge» puisqu‘on a toujours un soubassement théorique qui oriente le mode opératoire de la phase de collecte de données à celle d‘analyse et d‘interprétation. Mais c‘est l‘orientation fondamentale de la recherche consistant à étudier les phénomènes à partir des connaissances empiriques des acteurs qui détermine le poids inductif.

En revanche, l'exploitation de cette approche analytique ne signifie pas que la théorisation qui en découlait était non enracinée29. Nous avions fait référence à certains écrits scientifiques qui fournissent des théories sur le phénomène de patrimoine. Mais ces derniers n‘ont été exploités qu‘à la fin de l‘analyse des données. Autrement dit, nous avions procédé à une suspension temporaire de cette référence afin de produire des résultats n‘émanant que des données empiriques. Le recours aux écrits scientifiques servait à

29 Lorsque nous parlons de d'approche analytique non enracinée, il s'agit de celle qui ne se met pas dans la logique de la méthodologie de la théorisation enracinée.

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enrichir les raisonnements théoriques, mais surtout pour faire entrer les résultats de notre recherche en dialogue avec ceux des autres chercheurs (GLASER, 1992).

Pour nous, suspendre le recours à des cadres théoriques constituait un déni d‘appliquer, a priori, des cadres théoriques explicatifs aux données que nous avions récoltées. En d‘autres termes, il s‘agissait de ne pas imposer aux données empiriques un cadre d‘explication qui ne résulterait pas du matériau à disposition, mais de laisser les concepts et les cadres théoriques jaillir de l‘exploitation des données (GLASER et STRAUSS, 1967). C‘est la logique de la démarche inductive. Pour ce faire, le souci qui nous animait était celui de nous assurer que nos résultats d‘analyse proviennent des données et non de nos préconceptions théoriques.

Toutefois, notre démarche n‘avait aucune intention de discréditer, de méconnaitre ou d‘omettre l‘importance des théories existantes. Il n‘était pas question de faire une recherche a-théorique. Il s‘agissait de s‘adonner à mettre entre parenthèses notre bagage théorique en faisant abstraction de forcer nos données à rentrer dans ces théories. C‘est pour cela que GLASER (1998 : 92) dit qu‘apprendre à faire de la Méthodologie de la Théorisation enracinée, c‘est « apprendre à ne pas savoir » et diminuer le forcing en évitant que les données ne soient pas des preuves consolidant les théories existantes. Ceci dit, il fallait, s‘ouvrir à tout ce qui pouvait émerger des données et bâtir son raisonnement sur ces dernières tout en faisant son possible de ne pas sombrer dans les pré-jugements et les précompréhensions des faits patrimoniaux sous les projecteurs des connaissances qu‘on a déjà en soi.

Pour en arriver là, il fallait développer une sensibilité théorique, c‘est-à-dire des outils de lecture nous permettant d‘aller aux tréfonds des données et faire ressortir l'implicite de l'empirique. Cette démarche suivait la logique de STRAUSS et CORBIN (1998)30 pour qui, « être doté d‘une sensibilité théorique renvoie à la capacité de trouver du sens aux faits empiriques et transcender l‘évidence de l‘approche première pour cerner l‘en-dessous ». Et

30 Les auteurs parlent de sensitizing concepts. Selon l‘explication de CHARMAZ (2004), les concepts sensibilisateurs permettent au chercheur de reconnaitre, de manière particulière, ce qui émerge des données.

61 les différents thèmes forment la preuve de cette transcendence. Grâce à cet effort, nous avions pu lire les routines servant à produire la vie sociale du domaine patrimoine culturel et dégager des particularismes de conceptions patrimoniales des différentes couches sociales du cadre de recherche. L‘individu codant le patrimoine et la société dans laquelle il vit à l'aide d'un réseau de symboles matériels et immatériel, il importait que nous déchiffrions les systèmes socio-patrimoniaux dans lesquels nous avions conduit la recherche.

CONCLUSION

Au sortir de ce chapitre sur le contexte scientifique et le cadre méthodologique de notre recherche, il convient de souligner que la problématique n'est pas née ex-nihilo. Elle a été formulée suite au problème scientifique déniché au travers de la revue critique de la littérature relative à la question patrimoniale au Cameroun. Cette problématique soulève des questions assez intéressantes dont les éléments de réponse seront fournis dans les chapitres suivants. Mais ces derniers sont les fruits d'une démarche méthodologique conséquente entretenant une logique entre les différentes phases de la recherche.

Pour résumer l'ensemble du schéma méthodologique ayant conduit à la production de notre thèse, nous nous sommes servi d‘un graphique (fig.1.2) qui met en relief la réalisation de l'exercice. Ce graphique est une représentation de la relation de chevauchement et de rapport à une idée centrale (la question patrimoniale au Cameroun).

Ce graphique laisse savoir que toutes les phases de la recherche sont en relation avec le point central de la recherche qui renvoie à l‘ensemble d‘éléments que nécessite une production scientifique. Celle-ci a commencé par la définition du sujet de recherche qui a conduit à l‘expression des besoins de sources et de collecte de données. Rendu à ce niveau, comme le montre la figure, il fallait commencer par les rassembler puis procéder à leur analyse. La flèche relationnelle entre la collecte et l‘analyse exprime la relation corrélative et symétrique qui unit les deux phases. Toute collecte est marquée par des moments d‘analyse et l‘analyse suscite de nouvelles collectes.

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définition du sujet et identification des sources

collecte de point central de la données recherche interprét-ations

analyses des données

Figure 1.1: Démarche méthodologique générale.

Cela dit, il y a eu un va-et-vient entre la collecte et l‘analyse qui traduit l‘opérationnalité de la grounded theory (GUILLEMETTE, 2006). Une relation de même nature s‘est observée entre l‘analyse et l‘interprétation. Aucune analyse ne peut se faire sans tentative de compréhension, et donc, d‘interprétation. Et cette dernière ne pouvait être conduite sans vérification, ré-analyse implicite, des résultats en exploitation. Par transitivité, la phase interprétative était en relation avec l‘ensemble des données. Ceci marque l’emergent-fit (GLASER, 2002) qui traduit le caractère inductif de la méthode qualitative. L‘interprétation des résultats d‘analyse qui constitue la finalité, l‘aboutissement de la recherche entreprise depuis la définition sujet, rapporte le produit fini au sujet.

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CHAPITRE 2: LE CADRE THÉORIQUE

INTRODUCTION

La notion de patrimoine a connu d‘importantes modifications et évolutions du contenu sémantique depuis le 19ème siècle (MARET DE, 2001). Devenue polysémique, sa définition est de plus en plus complexe et ne doit se rapporter qu‘à des circonstances, des contextes spatio-temporels et politiques dont les besoins de l‘heure circonscrivent les contours de la patrimonialité (MUNIER, 2007). Par ailleurs, d‘usage très courant de cette notion semble s‘être répandue, en dehors de son cadre social de production qu‘est la modernité occidentale (GERVARI-BARBAS et GUICHARD-ANGUIS, 2003). De nos jours, le vocable de patrimoine a gagné une ampleur usuelle de telle enseigne que les chapelles scientifiques, politiques, la société civile, les élites et des tiers l‘exploitent à tous vents dans des circonstances lui conférant des significations multiples.

Cette multitude d‘assertions ne saurait être l‘objet d‘éclipse de réflexion dans le cadre d‘une recherche portant sur la question patrimoniale dans un cadre géopolitique et socioculturel où les rapports au patrimoine se développent davantage au niveau de toutes les couches sociales. Pour cela, il nous a paru important de consacrer une partie de notre travail aux traits théoriques relatifs au patrimoine.

Le but de ce chapitre est de poser les balises théoriques de notre travail afin de canaliser le filon dans lequel doit se développer le raisonnement que nous formulons autour de ce qui se laisse percevoir au regard de la politique patrimoniale. Cette démarche se veut de centrer la réflexion suivant une ligne d‘argumentation qui laisserait entrevoir les réalités du contenu ou des notions théoriques qui ont envahi le terrain africain, en général, et camerounais, en particulier, depuis les années 1980.

Les notions de patrimoine et de patrimonialisation vont être articulées l‘une après l‘autre suivant leur préséance usuelle dans l‘appréhension culturelle discursive autour de la formalisation et de la normalisation patrimoniales. En fait, il est premièrement question de procéder par une entame définitionnelle. Ensuite suivra la réflexion sur la sémantique discursive en rapport avec le patrimoine culturel. Le dernier volet du chapitre se consacre

65 aux multiples connotations qui peuvent se décliner suite à l‘emploi conceptuel du patrimoine.

2.1 DU PATRIMOINE A LA PATRIMONIALISATION : ORIENTATION THEORIQUE

Aujourd‘hui, la question patrimoniale est au centre de plusieurs débats, parfois houleux, et l‘administration du patrimoine devient de plus en plus une préoccupation méritant des attentions particulières (POULOT, 1998). Pour paraphraser POULOT (1997 : 15), le devoir de patrimoine semble s‘imposer à chacun en ayant pour corolaire des investissements intellectuels, psychologiques, politiques, financiers, etc. Ceci étant, la notion de patrimoine fait l‘objet d‘assertions multiples, la parant de contours parfois un peu flous. Chaque acteur ou groupe d‘acteurs sociaux l‘interprète ou lui donne une connotation selon les valeurs patrimoniales que l‘on voudrait construire, défendre, préserver, et à un certain degré, mettre en valeur.

Dans une étude se rapportant à la politique patrimoniale, en général, il nous a semblé important d‘aborder le raisonnement par une approche conceptuelle à orientation définitoire. Celle-ci a un potentiel permettant de saisir le transfert sémantique de la notion de patrimoine qui subjugue d‘autres termes qui, utilisés de manière isolée, paraissent comme des sous-ensembles patrimoniaux (DESVALLÉES, 1998). C'est une démarche susceptible de contribuer également à cerner l‘exportation et l‘application de cette notion hors de l‘Occident et mettre en exergue les contenus qui lui sont attribués par les acteurs de « l‘industrie patrimoniale » (HEWISON, 1987). Il s‘agit de comprendre la notion de patrimoine et d‘apprécier les actions dévolues à sa conservation, son interprétation et sa mise en valeur (DE PAOLI et al. 2008). Par ailleurs, conduite de manière holiste, la démarche a permis également de cerner les rapports entre patrimoine et patrimonialisation qui, de notre point de vue, n'avaient pas été l‘objet d‘élucidation.

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2.1.1 Orientation conceptuelle

Notion dont l‘étymologie renvoie à l‘origine latine patrimonium, le terme patrimoine est de nos jours diversement défini. Revenir à toutes ces définitions est une tâche fastidieuse, mais également impossible au regard de la multitude de chercheurs qui ont usé de leur énergie intellectuelle pour donner des contenus à cette notion rendue polysémique.

Toutefois, dans le but de comprendre l‘élargissement du sens de cette notion, il est apparu nécessaire de puiser au sein de la kyrielle des acceptions faites par certains auteurs. Ces morceaux choisis constituent la base conceptuelle à partir de laquelle nous essayerons de développer le raisonnement qui permettrait de saisir les significations qu‘on pourrait donner à la nation de patrimoine dans le contexte camerounais.

Mais il faut souligner que l‘emprise de la notion de patrimoine sur le terrain culturel se veut une préoccupation importante. Elle est sans doute l‘un des thèmes favoris de débat de nos jours, apparaissant comme le trait notable des politiques culturelles actuelles. Son évocation sous-entend des interrogations relatives à la destinée des éléments culturels, de la représentation d‘une ethnie, d‘une communauté, d‘une région, d‘un pays, etc. et l‘interprétation du passé.

De ce faire, nous nous sommes intéressé à comprendre son caractère polysémique. Ceci nous a permis de dégager un certain constat. Selon ce dernier, si de nos jours le rappel du patrimoine auprès du public renvoie à une panoplie d‘éléments culturels et naturels, on se doit également de noter que pour en arriver là, la notion aurait progressivement pris de l‘ascendance sur les anciens termes de biens culturels et de monument (DESVALLÉES, op.cit), des propriétés pour lesquelles l'on a des considérations particulières.

Dans la logique du premier terme, le patrimoine se dessine sous le caractère juridique de propriété, de l‘avoir, de l‘appropriation, la possession personnelle. C‘est donc ce qui appartient à soi et que l‘on peut léguer, volontairement ou involontairement, à sa descendance. De ce fait, le patrimoine s‘envisage comme ce qui est revendiqué pour soi et pour lequel un effort est consenti pour sa protection. Le patrimonium, comme le note MARTIN-GRANEL (1999), va donc être francisé et prendre une connotation monumentale, mémorielle et de mentalité (NGUINI OWONA, 2003). C‘est dire que le 67 patrimoine, quelle que soit sa nature, était une sorte de monument auquel on accordait une attention particulière. Il est l‘expression des rapports particuliers à certains biens hissés à la fixation d‘une sensibilité qu‘on voudrait pérenniser au sein du présent et son entretien dans le futur.

Ces notions, biens culturels et monument, se recoupent en ce sens qu‘ils témoignent tous deux de la construction matérielle de ce qu‘on désire doter d‘une certaine considération dans la logique de la symbolique sociale. Partant de cette dernière, les biens mis en patrimoine contenaient un capital symbolique social les monumentalisant. Cette monumentalisation n‘allait pas seulement dans le sens architectural du terme ; mais surtout dans celui de ce qu‘il importe de conserver dans le patrimoine, de quelque degré que ce soit, pour les souvenirs qui s‘y rattachent ou pour d‘autres considérations.

Pour ce faire, les biens patrimoniaux, bien que ne tenant leur caractéristique que de la génération présente, sont également constitués avec une certaine dose de volonté de pouvoir permettre à la jeune génération de garder les ascendants en mémoire. Biens culturels et patrimoine monumental, dans le sens patrimonial, ont donc un fond commun, celui de représenter les souvenirs ou présenter le visage prestigieux, impressionnant, de l‘histoire familiale ou nationale (DAVALLON et al. 1997).

Cela reviendrait à dire que le patrimoine était le miroir du passé où reflètent les souvenirs de ce dernier, construits de manière délibérée. C'est ce qui expliquerait l‘usage des vocables d‘héritage ou de biens pour la lecture étymologique du patrimoine. Il est défini comme héritage ou biens reçus du père.

Ces deux termes, le bien qui laisse sous-entendre une possession et l‘héritage une succession (DESVALLÉES, Op.cit: 102), traduisent l‘idée de la conception selon laquelle le patrimoine dénoterait de la détention successorale patrilinéaire des biens culturels. Cette approche matérialiste de la notion de patrimoine se présente comme le point de départ de l‘idée qui se veut que tout ce qui est reçu en héritage d‘un ascendant serait peu ou prou patrimonial. C‘est un point de vue tenant sa logique de la conception juridique du patrimoine, classant aux rayons des oubliettes les idéaux identitaire, politique, religieux,

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social, etc. qui nourrissent la détermination de la constitution des biens et éléments patrimoniaux.

Comme l‘on le verra plus bas, cette approche définitionnelle invite à s‘interroger sur le lien entre patrimoine et héritage. Sur ce, il ne serait pas sans intérêt de se demander si tout héritage est ipso facto patrimoine. Car si le patrimoine ne doit son existence que par la reconnaissance symbolique qui lui est accordée par un individu, une famille, une communauté, un pays, etc. cette préoccupation a sa raison d‘être. Et l‘on n‘aurait pas tort de dire qu‘entre héritage et patrimoine, il y a un pas à franchir. Et ce pas ne pourrait être effectué que par ceux qui reçoivent le legs. Alors, dépendamment des besoins, des circonstances, des idéaux politiques et religieux, un bien jadis patrimonial reçu en héritage peut garder ou perdre sa valeur patrimoniale.

Ce serait pour cette raison que qualifier un bien culturel ou naturel d‘élément patrimonial demanderait que l‘on soit à même de mettre en évidence les rapports symboliques manifestés par ceux qui le détiennent.

Mais bien que l‘aspect matériel ne soit totalement exclu, il existe une autre logique percevant le patrimoine dans l‘aspect immatériel. Celui-ci se trouve mis en évidence, par exemple, dans les propos de MARTIN-GRANEL (op.cit.) lorsqu‘il dit que le patrimoine est un « Monument »1, c‘est-à-dire un signe monitoire adressé par le père à ses descendants pour que ceux-ci le gardent en mémoire ». Dans cette appréhension à forte connotation immatérielle, le monument renvoie à une construction sociale de symbolisation d‘artefacts qui doivent maintenir les souvenirs vivants. Lu sur ce registre, le rapport au patrimoine peut être perçu comme un attachement affectif et symbolique dont le but serait de sauvegarder la mémoire sociale et culturelle. Ceci étant, ce n‘est pas la matérialité d‘un artefact qui lui conférerait son caractère patrimonial, mais plutôt la symbolique, c‘est-à-dire l‘affect, l‘attachement immatériel autour de cet objet qui marque la patrimonialité vis-à-vis de ce dernier.

1 C‘est l‘auteur lui-même qui a mis le mot entre guillemets, en gras et en italiques

69 Cependant, dans les deux logiques, le patrimoine constituait une construction matérielle presque clause protégée d‘une manière ou d‘une autre, pour des raisons variables, dont la volonté sous-jacente était celle de lui assurer une longue existence.

Mais, peu à peu, la notion va connaitre un élargissement interne et sortir de ce qui la caractérise de collection figée qu‘on transmettrait d‘une génération à une autre. Elle ne sera plus que du ressort des érudits, de la réflexion savante, mais aussi d‘un dessein politique pour lesquels l‘appréciation publique et le sens collectif ont une importance (POULOT, 1997).

Cette volonté politique qui résulte, le plus souvent, des situations sociopolitiques particulières, va donner un caractère de notion à contenu variable au patrimoine. Elle renferme désormais le culturel et le naturel, les biens et ceux qui les détiennent. De ce fait, l‘évocation du patrimoine appelle plus que jamais à beaucoup d‘interprétations possibles, surtout lorsqu‘il n‘est pas suivi d‘épithète.

Ce niveau de généralisation et d‘englobement auquel les considérations sociales hissent le patrimoine entraîne le caractère polysémique de celui-ci. Son emploi multi-contextuel lui confère de plus en plus une propriété usuelle polyvalente à n‘en point douter. Ce serait dans ce sens que pour LAMY (1996 : 28)2, la polyvalence sémantique du patrimoine fait de lui un concept qui désigne « propriété et héritage, individu et collectivité, nation et humanité, nature et culture, culte du passé et mémoire collective, sélection et classement, profane et sacré, réalité susceptible (ou non) d‘aliénation ».

On lit, en filigrane, dans cette définition que le patrimoine n‘est pas une entité close. Il fait toujours l‘objet de construction-déconstruction-reconstruction, classement-déclassement et reclassement au rythme des besoins des acteurs sociaux. De ce faire, sa constitution serait tributaire de l‘évolution sociétale avec ses désirs et exigences dont il faille satisfaire. Ceci veut dire que le patrimoine n‘est plus la chose la plus figée dans son contenu. C‘est dans ce sens que l‘on conviendrait avec ROBINE, (1996), interprétée par ANDRIEUX (1997 : 21), pour qui « Certains comparent le patrimoine à un arbre généalogique dont les branches

2 LAMY. 1996. éd., L‘Alchimie du patrimoine : discours et politiques, paris, Éditions Mengès.

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prospèrent ou dépérissent au rythme des courants d‘idées qui anime la société »3. Cette assertion peut s‘observer au sein des États, des régions et des communes dont le contenu des packages patrimoniaux qu‘elles présentent change au fil des ans.

Ce que les pays occidentaux présentent aujourd‘hui comme patrimoine culturel diffère de ce qu‘ils considéraient davantage de patrimonial pendant l‘Antiquité, le Moyen Âge, la Renaissance et le 19ème siècle. De nombreux pays ont intégré d‘autres types patrimoniaux dans leur politique culturelle et souhaitent voir certains de ses éléments constitutifs inscrits sur la liste de la reconnaissance mondiale détenue par l‘UNESCO. On note de nos jours que le contenu de la notion de patrimoine connait une certaine élasticité. Cette dernière se présente comme l‘une des principales caractéristiques faisant sortir cette notion du carcan de la monumentalité, de la rareté qui circonscrivait les critères fondamentaux de considération.

L‘exemple du Canada est assez parlant avec l‘inventaire du patrimoine culturel immatériel au Québec. L‘exemple peut être étendu à la Belgique, la France, l‘Espagne, le Portugal, entre autres, où plusieurs éléments immatériels ont été sortis de l‘ornière de la négligence pour être hissé sur le piédestal de la reconnaissance mondiale dont l‘UNESCO est la voix autorisée4. Cette mouvance s‘est enclenchée depuis que la convention sur la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel a été adoptée par l‘UNESCO en 2003.

La même évolution des considérations patrimoniales est très manifeste dans les pays non occidentaux où les critères de la monumentalité d‘origine occidentale ne permettaient pas une reconnaissance valorisante des éléments culturels dépourvus de l‘empreinte des cultures du Nord. De nos jours, des habitudes alimentaires comme la cuisine traditionnelle mexicaine, la danse de ciseaux péruvienne, la musique Marimba et les chants traditionnels

3 Cette interprétation est faite par ANDRIEUX dans Patrimoine et Histoire, publié aux Éditions Belin en 1997. La pensée de l‘auteure principale se trouve dans « Des usages du mot », LAMY (dir.). 4 http://www.unesco.org/culture/ich/index.php? , consulté le 18 février 2012

71 de la région Sud du pacifique colombien, parmi tant d‘autres, sont autant d‘éléments culturels mis en valeur patrimonialement5.

En Afrique, surtout en Afrique subsaharienne, région la moins représentée sur le classement UNESCO, les packages patrimoniaux des États présentent d‘évidentes démarcations par rapport à ceux que les anciennes puissances coloniales brandissaient comme image patrimoniale des indigènes. Les pratiques culturelles et cultuelles ayant été longtemps décriées, voire interdites, pour diverses raisons, par les administrations coloniales et néocoloniales, font l‘objet de ré-reconnaissance dans une démarche de patrimonialisation. On note ainsi une valorisation à la fois des éléments culturels matériels et immatériels de production locale.

Sur le plan matériel, on peut parler de la patrimonialisation des architectures vernaculaires telles que les Koutamakou béninois et togolais, les constructions dogon, les cases obus Musgum camerounaises, etc. qui bénéficient de mesures de conservation. Dans le domaine de l‘immatériel, le Gbofe d‘Afounkaha (Musique de trompe traversières de la communauté Tagbana) de la Côte d‘Ivoire, le Kankurang (rite d‘initiation Mandengue) en Gambie et au Sénégal, le Sanké mon malien (rite de pêche collective dans le Sanké), le patrimoine oral Gèlèdé au Bénin-Nigéria-Togo sont autant d‘exemples6. La mise en patrimoine de ces éléments culturels matériels et immatériel témoigne de la dynamique de constitution patrimoniale qui va grandissante en s‘ouvrant à plusieurs types d‘éléments.

En paraphrasant LYOTARD (1989)7, nous pouvons dire que l‘élargissement du contenu de la notion de patrimoine vient saper le méta-patrimoine de la modernité occidentale. Ce méta-patrimoine se construisait autour des antiquités, curiosités, et monuments dont la peur de la conscience patrimoniale, craignant un futur oublieux, procédait à leur fétichisation (MUNIER, 2007).

5 http://www.unesco.org/culture/ich/index.php? , consulté 18 février 2012 6Http://whc.unesco.org. 18 février 2012. 7 Dans son ouvrage intitulé La condition postmoderne, LYOTARD décrit la postmodernité comme un moment « d‘incertitude à l‘égard des grands métarécits ». Nous avons transposé cette réflexion dans le domaine du patrimoine en parlant de méta-patrimoine qui est en rapport avec la grandeur des monuments et la rareté des objets qui étaient considérés comme éléments patrimoniaux.

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L‘extension du contenu patrimonial apparait ainsi comme une phase d‘évolution qui a conduit à la postmodernité patrimoniale caractérisée par un relativisme de considérations et de politiques culturelles. Le patrimoine archéologique, la culture immatérielle, comme bien d‘autres, deviennent des ressources patrimoniales dont la protection est le cheval de bataille des acteurs sociaux.

Cette extension des considérations patrimoniales partage une certaine concomitance avec le développement des politiques culturelles mues par des nationalismes tous azimuts et la nostalgie du passé sur fond de construction identitaire nationale, régionale ou ethnique. Émanant des réalités sociales sur lesquelles il faut discourir, cette politique culturelle a conduit à la construction d‘éléments lexicaux dont l‘emploi sémantique semble évoquer la même idée dans certains contextes. Comme cela est développé dans la troisième partie de ce chapitre, patrimoine, identité, mémoire sont devenus des maitres-mots des discours culturels et/ou politiques (VALLAT, 2009) exprimant des sentiments d‘attachement à des éléments culturels aussi bien matériels qu‘immatériels. Tout ce qui est évoqué par l‘un ou l‘autre de ces mots traduit une marque de rapport particulier et attire davantage d‘intérêt, suscitant parfois de mobilisation tout autour pour une meilleure protection.

2.1.2 De la Patrimonialisation

La ruée pour la sauvegarde, la mise en valeur des biens culturels et naturels a conduit à la mise sur pied d‘une machine de traitement de ces derniers. Il s‘agit de les sélectionner, classer et en assurer la conservation autant que besoin y sera (BÉGHAIN, 1998). Cette machine est un mécanisme qui doit faire passer les objets culturels d‘un niveau de considération à un autre. C‘est la phase de passage de l‘échelle de valeur de simples objets appartenant au vaste ensemble de la culture matérielle à la sphère d‘éléments affectionnés, bénéficiant d‘attentions particulières. C‘est un passage qui se réalise à travers une démarche active dont la constatation à contribuer à la suffixation du patrimoine pour donner le verbe patrimonialiser afin d‘exprimer le mode opératoire. C‘est ainsi que FABRE dira que patrimonialiser, « c‘est mettre à part, opérer un classement, constater une mutation de fonction et d‘usage, souligner la conscience d‘une valeur qui n‘est plus vécue dans la reproduction de la société mais qui est décrétée dans la protection de traces, de témoins et de monuments. » (FABRE, 1997 : 64-65).

73 La substantivation de ce verbe va donner la notion de patrimonialisation qui détermine la phase de changement de considération. Cette notion, bien qu‘elle soit apparue après celle de patrimoine, est une action qui est la première phase de la sauvegarde d‘éléments culturels et/ou naturels à des fins identitaires, politiques, économiques, etc. (BOTTINEAU- FUCHS, 2008). C‘est la démarche au travers de laquelle les biens passent du statut d‘éléments culturels et naturels à celui d‘éléments patrimoniaux. Cela dit, l‘on n‘aurait fait aucune extrapolation en disant que le patrimoine ne pourrait connaitre une existence en dehors de la patrimonialisation, procédé dont il est indubitablement tributaire.

Alors, si la patrimonialisation est la démarche conduisant à l‘état patrimonial, elle ne serait autre qu‘une dynamique, et donc un processus. Elle se réalise suivant des étapes. SKOUNTI la définit comme : « [...] le processus par lequel des éléments de la culture ou de la nature deviennent, à un moment de l'histoire, investis de la qualité de bien patrimonial digne d'être sauvegardé, mis en valeur au profit des générations actuelles et transmis aux générations futures » (SKOUNTI, 2010 : 19).

Suivant cette définition, la patrimonialisation qui entre plus tardivement dans le lexique des acteurs sociaux, pourrait avoir des racines dans l‘Antiquité grecque. On pourrait dire que les pratiques de patrimonialisation appliquées aux biens culturels remonteraient au temps des premières collectes qui contribuèrent au prestige de leur détenteur. Pour ce faire, on situerait les prémices des pratiques de patrimonialisation au 5e siècle avant notre ère (BENKIRANE et DEUBER ZIEGLER, 2007). C‘est l‘époque pendant laquelle les Grecs commencèrent à s‘intéresser à la quête et à la conservation d‘objets ayant appartenu à leurs ascendants. La matérialisation la plus concrète des intentions se fit à Athènes où l‘on dressa une pinacothèque des peintures célèbres (ibid.). L'on aurait donc tort d‘affirmer que les pratiques de patrimonialisation est l‘apanage de notre contemporanéité. En fait la littérature relative au sujet rappelle que les bases du classement au patrimoine mondial remontent au 5ème siècle. Cela s‘illustre à travers les sept Merveilles du monde dont, selon LENIAUD (2000: 186) « l‘énumération apparaît en germe […] dans les Histoires d‘Hérodote ». À cela s‘ajoutent les pratiques de restauration monumentale par des dignitaires, l‘implication de l‘État dans la conservation des témoins du passé, le rôle des collectionneurs (Ibid.: 187).

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L‘existence de ces pratiques patrimoniales se fera visible sur toutes les époques de l‘histoire culturelle dont la Renaissance marque, en Occident, la tradition d‘un héritage matériel. C‘est pendant cette époque que se développèrent, par exemple, les politiques de restauration de la Rome antique et de la protection des antiquités sous l‘égide de la papauté auxquelles on adjoindrait les constitutions de collections liées à des cités, des princes et l‘usage académique et pédagogique des éléments de la culture matérielle (POULOT, 1997). C‘est ce qui, selon Poulot, conduit «…aux premières manifestations du sens moderne du patrimoine [faisant de ce dernier] un ensemble d‘objets définis et protégés (ibid.: 18).

Au fur et à mesure que les années passent, les attitudes patrimoniales évoluent également et la patrimonialisation s‘étend à d‘autres types de ressources ou de richesses. Au 19ème siècle, les principes de patrimonialisation européens s‘attelaient à donner une vie aux monuments et aux reliques culturelles qui étaient inexpressifs. En d‘autres termes, il fallait leur donner une voix en les insérant dans le quotidien des acteurs sociaux (GRANGE et POULOT, 1997). Cette volonté de construire une identité à travers une attitude passéiste, va conduire à la construction de nombreux musées pour la sauvegarde des éléments culturels. On va désormais assister aux désirs de conserver tout ce qui a été mis au rebut par les ascendants et parfois, aux politiques orientées vers la muséification de tout ce qui semble quitter les usages culturels pour tomber dans l‘oubli. Ici, dénoncer les menaces sur les éléments culturels et décrier les destructions qui ont cours constituaient des moyens d‘expression d‘un plaidoyer à visée patrimoniale. La patrimonialisation d‘éléments culturels visait la construction des racines identitaires pour la légitimité politique et culturelle (POULOT, 2003).

Mais cette vision patrimoniale va connaitre un élargissement de sa perception au fur et à mesure que surviennent des changements idéologiques et politiques liés aux nécessités de l‘heure. Elle ne se contente plus que d‘une juxtaposition d‘objets rares et de bâtiments témoins (ARPIN, 2002). La mise en patrimoine touche, désormais, aussi bien aux éléments anciens, gigantesques, précieux qu‘aux biens récents, minuscules voire insignifiants dont seules les mailles de la patrimonialisation procèdent à la rétention. Le but est de faire advenir à la conscience du corps social l‘importance des ressources dont il dispose en les façonnant en objet de communication.

75 En Occident comme dans les autres parties du monde, les nouveaux principes de patrimonialisation vont conduire à de nouvelles formes de constructions patrimoniales. Des politiques culturelles plus ouvertes se développent avec la conception d‘outils normatifs et institutionnels devant garantir leur application. L‘ancienne conception de ce qui est patrimonial ou devrait l‘être éclate et fait place à des attitudes patrimoniales malléables ouvertes à des possibles amendements.

Comme l‘a noté MONPETIT (2000) dans son analyse de la situation du musée de la postmodernité, le patrimoine se fait, de nos jours, moins dogmatique en s‘ouvrant à d‘autres catégories pouvant contribuer à son enrichissement. Le naturel et plus récemment, l‘immatériel, rentrent dans l‘ensemble des biens susceptibles de patrimonialisation. Il se compose de plus en plus d‘éléments matériels et immatériels des patrimoines archéologique, historique, ethnologique et naturel.

La vision passéiste du patrimoine cède progressivement, si elle ne l‘a encore fait sous tous les cieux, la place à la vision actualiste pour laquelle les acteurs sociaux et le patrimoine sont considérés comme des éléments en performance. En effet, si les acteurs sociaux sont à l‘origine de la construction patrimoniale, le patrimoine semble, à son tour, être un élément de construction de la vie sociale. Il est de plus en plus important, dans ses valeurs économique et identitaire, pour la génération détentrice. Il renseigne, divertit, fait intégrer, rayonner, confère un capital symbolique, l‘objet de toute quête de reconnaissance sociale dont les acteurs sociaux sont fortement intéressés. Cela rend le patrimoine, qu‘il soit culturel ou naturel, matériel ou immatériel, très vivant et présent. Cependant, la manifestation des actes de patrimonialisation varie selon les pays, les régions, les communes, les communautés et les individus.

En Occident la mise en patrimoine d‘éléments culturels est profondément normalisée au travers des textes protecteurs et des institutions publiques et privées. Les initiatives sont soutenues par des mesures d‘accompagnement et leur traduction en acte est à jamais perceptible. Ces mésures permettent aux acteurs sociaux de s‘impliquer davantage dans des stratégies de défense et de promotion des types patrimoniaux pour lesquels ils ont une certaine sensibilité. Parmi ces types, les patrimoines archéologique (vestiges et sites archéologique), bâti (les architectures), ethnologique (éléments culturel matériels et

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immatériels), historique et naturel sont les plus en vue. Archéologues, architectes, biologistes, ethnologues, géographes, historiens et historiens de l‘art, muséologues et urbanistes, entre autres, usent des leurs expertises pour donner du poids aux initiatives, adminstratives, associatives, municipales et professionnelles de mise en patrimoine.

En Afrique, même si les effets de la mondialisation culturelle sont sensibles, les efforts étatiques à vouloir canaliser la gestion suivant le schéma occidental peinent à être positivement assimilés par toutes les couches sociales.

En Afrique subsaharienne, les pratiques traditionnelles sont toujours en usage dans plusieurs pays. Elles résident dans les valeurs immatérielles reconnues aux entités spatiales (les esprits des lieux) et à des objets (fétichisation). Ces marqueurs de patrimonialisation sont souvent à l‘origine des conflits entre les administrations de l‘État et les communautés locales dont certaines décisions tendent à empiéter sur les rapports aux éléments à patrimonialiser. On y assiste, le plus souvent, à des patrimonialités dichotomiques, réalité d‘une politique de patrimonialisation hybride. Cette dichotomie est due au fait que les administrales publiques traitant du patrimoine culturel ont des considérations culturelles se rattachant aux principes du discours patrimonial dominant. Les mécanismes de patrimonialisation appliqués et la patrimonialité qu‘elles manifestent divergent avec les expressions patromiales extériorisées par les communautés locales.

Cette situation résulte de la transposition non mesurée d‘une politique patrimoniale dont les principes directeurs ne sont pas toujours compatibles aux attitudes et conceptions patrimoniales locales. Les États non occidentaux et surtout africains voulant toujours s‘arrimer aux préceptes occidentaux, importent, avec très peu de circonspection, les normes patrimoniales définies par les institutions situées en Occident et dont les critères de détermination normative sont inspirés des réalités à dominance occidentale. Cette transposition réalisée parfois sans étude préalable de son implantation durable, est souvent source de dissension et de rejet implicite. Les communautés locales ayant développées des pratiques patrimoniales (sacralisation et fétichisation par exemple) qui leur sont propres au fil des temps, ne sont pas toujours prêtes à intégrer des valeurs exogènes dont ils ne comprennent pas la logique.

77 Cependant, que ce soit dans un cadre individuel, ethnique, communautaire, régional ou national, la patrimonialisation a conduit au développement d‘une sémantique discursive dont l‘interrogation permettrait de juger de la perspicacité du lexique expressif qui met souvent en branle les perceptions patrimoniales.

2.2 Sémantique discursive et gestion des ressources culturelles et patrimoniales

Archéologues, ethnologues, historiens, linguistes, muséologues, politiques, élites, entre autres, emploient la notion de patrimoine dans des discours en rapport avec la question culturelle. Ces usages multiples placent cette notion dans une situation de transdisciplinarité et multi-contextualité témoignant ainsi de la polyvalence sémantique qui la caractérise désormais.

Cependant, si l‘exploitation plurielle du vocable patrimoine se confirme davantage, cela ne lève pas pour autant l‘ambiguïté discursive qui interpelle à une réflexion. Cette ambiguïté serait partie de la canonisation du lexique patrimonial par les institutions qui virent le jour au Nord et qui œuvrent aujourd‘hui, avec leurs ramifications, pour l‘universalisation des normes devant régir la gestion du patrimoine culturel. Cette universalisation aidant, les mots et expressions constituant le lexique patrimonial dominant, fruits de la modernité occidentale, sont de nos jours exploités à travers le monde entier, et ce, parfois dans des contextes n‘exprimant pas toujours la même réalité. Il s‘agit là d‘une question d‘appropriation adaptative pour des raisons de conformité aux exigences implicites du langage culturel, véhicule des intentions identitaires, politiques, voire économiques.

Comme conséquence, l‘on assiste à une récurrence des mots et expressions culturels dans les discours culturels, quelles que soient les échelles auxquelles ils se situent. Cette situation étant, il nous a semblé important de faire une lecture diachronique et horizontale de ce qu‘est la gestion des ressources culturelles et patrimoniales. Pour ce faire, notre analyse prend appui sur des exemples qui pourraient indiquer le chainon épistémologique de la formulation du langage patrimonial qui, malgré la porosité de ses frontières, est en passe de spécialisation. Cette spécialisation, rappelons-le, peine à se débarrasser des avatars d‘une adaptation discursive prêtant parfois à une synonymie qui n‘est pas toujours des mieux appropriées. Pour y arriver, il va falloir apporter, préalablement, des éclaircis sur ce

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qu‘exprime ces expressions. La section va être clôturée par une articulation, de manière verticale, de leur application géoculturelle afin de mettre en relief les significations qu‘elles dégagent.

2.2.1 La question des concepts ou expressions dans les discours patrimoniaux

La polyvalence sémantique dont font montre la notion de patrimoine et les expressions connexes n‘est pas sans poser des problèmes de discernement de ce qui releverait du patrimoine culturel et de biens culturels. N‘entend-on pas parler ou ne lit-on pas souvent de notions et expressions telles que heritage, cultural heritage, cultural resources, cultural items, en anglais et patrimoine, héritage culturel, patrimoine culturel, élément culturel et élément patrimonial, en français ?

Cette pléthore d‘expressions s‘apparente à une synonymie rapprochant des éléments lexicaux véhiculant la même signification. Pourtant à y voir avec récul, il se dégagerait une certaine subtilité différentielle, bien que cette dernière ne soit pas aisément discernable. Elle se dégage davantage lorsque ces mots et expressions patrimoniaux sont contextuellement pris selon les différents cadres géopolitiques et géoculturels où ils sont mis en exploitation. On en veut pour exemple le cas du Cameroun où l‘usage, à tous vents, des notions empruntées des « discours dominants »8 du patrimoine laisse un peu perplexe sur ce que l‘on entend exprimer.

Alors, vouloir se pencher sur ce qui s‘assimile à de l‘amalgame conceptuel dans le discours patrimonial se décline comme une démarche visant à mettre en exergue le discernement qu‘il serait possible d‘établir entre les éléments lexicaux employés pour exprimer une même pensée. Toutefois, il n‘est pas question de revenir sur leur mise en forme comme outils conceptuels, mais de procéder à une lecture binomiale afin de cerner certaines subtilités sémantiques.

8 L'expression de « discours dominants du patrimoine » fait allusion à ce qui dit par les scientifiques, les responsables des administrations et institutions qui ont pour vocation la défense, la protection, la préservation, voir la mise en valeur du patrimoine culturel.

79 Le premier binôme auquel nous nous intéressons est celui de patrimoine-héritage formant la base sémantique essentielle des discours patrimoniaux tenus par ceux qui, pour raisons administratives, associatives, communautaires, politiques sont intéressés par la question patrimoniale. Le discours tenu sur ce binôme permettra également de saisir la compréhension des binômes patrimoine culturel-héritage culturel et par extension, celui de gestion du patrimoine culturel-gestion des ressources culturelles.

2.2.1.1 Le binôme patrimoine-héritage

Populairement prises pour synonymes lorsqu‘elles sont secondées de l‘épithète culturel, les notions de patrimoine et d‘héritage, bien que renfermant toutes deux l‘idée de possession de biens, ont, à y voir avec beaucoup de circonspection, des subtilités différentielles. En fait, comme nous l'avions mentionné plus haut, tout ce qui est patrimonial n'est pas toujours issu d'un héritage et tout ce qui est héritage n'est pas de fait patrimonial. Sur ce, la synonymie qu‘on a établie, entre les deux viendrait du désir à toujours vouloir faire des correspondances entre les parlers francophone et anglophone. Or en allant en profondeur, il semble avoir du hiatus entre les deux notions si l‘on essaie de les situer dans les deux contextes linguistiques. Comme l‘a dit HEWISON (1997 : 357), sans ambages, dans la version anglo-saxonne, l‘heritage n‘a pas fondamentalement la même signification que le terme patrimoine.

Le premier a une connotation relevant du droit privé, c‘est-à-dire de la propriété privée successorale alors que le deuxième, si l‘on le considère dans sa conception purement française, évoque une idée de possession ne se rapportant pas à une succession (DESVALLÉES, 1997). Pour ce faire, l‘on se doit de souligner ici que l‘héritage renferme l‘idée d‘un passage, préparé ou non, de biens entre les membres d‘une famille, d‘une communauté, d‘une ethnie, d‘une nation, voire des générations de l‘humanité. Quant à ce qui est du patrimoine, il dénote de ce qu‘on l‘on a pour soi. De ce fait, si l‘héritage qu‘on détient, de quelque façon que ce soit, rentre dans ce qui est de l‘ordre de la possession, cette dernière ne saurait prise pour héritage. Car pour qu‘elle ait ce statut, il faudrait qu‘elle eût passé par le processus au sortir duquel on accède à la sphère conférant l‘indice d‘héritage.

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Cette différence d‘ordre sémantique qui n'est toujours pas bien perçue par ceux qui s'intéressent au champ patrimonial, proviendrait de deux approches assez différentes des préoccupations culturelles d‘antan.

En France, la question patrimoniale émerge avec le nationalisme culturel, historique et idéologique dont l‘État se prévalait le garant de la constitution d‘une identité nationale (FABRE, 1997; POULOT, 1997, 1998). Le patrimoine qui se constituait avait alors une vision communautariste dont le but n‘était autre que de rassembler les français autour des mêmes idéaux. Il s‘agissait d‘amener tous les citoyens français à partager le même sentiment d‘appartenance à la nation imaginaire à travers la construction d‘une identité commune et d‘une même histoire. Ce type de construction patrimoniale se présente comme les prémices de l‘idée selon laquelle le patrimoine serait un héritage reçu des ascendants biologique ou non. Pour ce faire, tout ce qui était de l‘ordre de l‘ethnologie, de l‘histoire et de l‘archéologie, avait une capacité contributive pour l‘image patrimoniale qu‘on entendait faire savoir aux uns et aux autres. C‘est pourquoi folklores, monuments, archives, et biens archéologiques étaient des éléments auxquels l‘on accordait des attentions pour la construction de l'identité culturelle nationale.

Par contre, du côté de la Grande-Bretagne, ce qui est appelé héritage a été tout d‘abord une affaire de particuliers même si, de nos jours, le public en a accès. Cette particularité britannique peut être explicitée par l‘exemple le plus sommital : les forteresses médiévales, les palais, n‘appartiennent pas à l‘État, mais à la Couronne et donc, à la reine qui en a la jouissance (HEWISON, Op.cit.). Cette conception permettait à ce que les biens puissent passer d‘une génération à une autre, acquérant au final le statut d‘objets d‘héritage. Et ce n‘est qu‘au dernier quart du 20ème siècle que la politique britannique en matière de patrimoine va prendre un autre tournant pour s‘arrimer à la vision patrimoniale de l‘Europe à travers la fameuse Année du Patrimoine architectural de 1975. Le patrimoine est désormais considéré comme un héritage appartenant à l‘ensemble national. C‘est ce qui aurait été à l‘origine de la législation britannique libellée par National Heritage Act qui établissait le National Heritage Memorial Fund, scellant du même coup la synonymie très peu circonscrite entres les termes patrimoine et héritage lorsqu'ils sont suivis de l'épithète culturel.

81 Le deuxième binôme sur lequel nous nous sommes penché est celui que constituent les expressions culturelles de Patrimoine culturel et ressources culturelles. Ces deux expressions, une fois de plus, viennent remettre au goût du jour les débats sur les transferts des notions théoriques entre le français et l‘anglais. Ressources culturelles est la traduction exacte de l‘expression anglaise de cultural resources à laquelle on a tendance à faire correspondre celle du patrimoine culturel. Cependant, ce qui nous intéresse ici ne sont pas les rapports corrélatifs qu‘elles entretiennent, mais plutôt ce qu‘expriment l‘une et l‘autre des ces expressionsen.

2.2.1.2 Le binôme patrimoine culturel-ressources culturelles

L‘expression ressources culturelles se caractérise par sa plasticité, élasticité, extensibilité. Comme l‘a noté SMITH (2004), l‘appellation ressource culturelle évoque une certaine fluidité de circulation de biens sans aucun impératif lié à la propriété particulière. Elle renvoie à tout ce qui est potentiellement exploitable comme élément culturel. Mais comme le culturel ne se confine plus à ce qui est matériellement ou immatériellement produit par l‘Homme, les ressources culturelles engloberaient donc tout bien auquel des individus ont développé des rapports de quelque nature que ce soit. Quant à ce qui est du patrimoine culturel, si nous nous référons à l‘analyse du terme patrimoine explicité dans le binôme précédent, on conviendrait qu‘il y a reconnaissance de possession. Le patrimoine laisse sous-entendre qu‘il y aurait des groupes entretenant des relations symboliques avec des artefacts, des sites, des places, etc. Il tient les étrangers à distance, transmet des mythes exclusifs, dissimule des autres, dote de prestige, ses messages codés sont limités au groupe dont il est la propriété privée (LAWENTHAL, Op.cit. 111).

Vu ces nuances, utiliser l‘expression de ressources culturelles pour parler du patrimoine culturel, d‘une nation, d‘une région, d‘une commune ou d‘une ethnie, pourrait être interprété comme une méconnaissance du droit de possession. Au sein des communautés où les membres sont sensibles au jeu de mots, l‘usage d‘une sémantique mal appropriée est souvent source de mécontentement. Ce genre de scène eut cours en Australie lorsque les indigènes prirent conscience que cette notion les éloignait subtilement de biens auxquels ils ont des rapports particuliers. Ils demandèrent que la notion soit changée par celle de Cultural heritage resource et ceci fut fait en 1990 (SMITH, Op.cit.). C‘est dire que pour

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eux, le fait de présenter vaguement comme ressource culturelle ce qu‘ils tiennent pour héritage culturel serait une malice de politique culturelle visant à ouvrir ce qui leur appartient à tous les Australiens. Ce genre de prise de position a été aussi noté au Zimbabwé au cours des assises au sujet de la gestion du site Domboshava. Le représentant de la communauté locale laissa entendre que le site dont il est question n‘est pas une ressource culturelle à la disposition des pouvoirs publics, mais plutôt la propriété de ceux qui y sont symboliquement rattachés. Malgré ces cas de figure qui existent çà et là, les usages troubles de ces expressions sont itératifs dans les discours culturels.

Au Cameroun, l‘amalgame persiste dans l‘emploi de ces expressions auxquelles les acteurs locaux du domaine patrimonial semblent ne pas prêter attention. Il se laisse entendre que le patrimoine c'est l'héritage et inversement, de telle enseigne qu'il est assez difficile pour le commun des Camerounais de savoir ce qui est vraiment patrimonial. La confusion est d'autant plus criarde que lorsque ce sont des élites en mal de positionnement politique qui utilisent le créneau culturel afin de se faire une place au sein de l'appareil étatique. Se faisant leaders de conservation, de mise en valeur et de transmission des éléments culturels de leur ethnie d'appartenance, ils emploient indistinctement ou presque, les expressions de patrimoine culturel et d'héritage culturel. Leurs allocutions sont relayées par les radios et télévisions locales, entrainant ainsi la masse dans l'amblyopie sémantique se perpétuant de manière inconsciente.

Il ne fait aucun doute que l‘usage de ces expressions se justifie dans le contexte patrimonial camerounais qui a le français et l‘anglais comme langues officielles. Mais ce sont leurs emplois synonymiques qui posent problème. En effet, ce procédé discursif plonge les profanes dans un obscurantisme sémantique déplorable à souhait. Pour éviter de sombrer dans les mêmes erreurs, nous avons jugé utile de poser un regard sur cet anachronisme sémantique en précisant les termes pouvant traduire les réalités du contexte camerounais.

De ce fait, eu égard au paysage patrimonial du terrain de recherche, les expressions de ressources culturelles et ressources patrimoniales ainsi que leurs corolaires d’éléments culturels et éléments patrimoniaux seront utilisés. La première sera exploitée pour parler de tout ce qui est susceptible d‘intégrer l‘un ou l‘autre des ensembles culturels du

83 Cameroun, qu‘il soit traditionnel ou métissé. Quant à la seconde, elle va désigner les éléments culturels ou naturels se prêtant aux logiques de patrimonialisation ou dont le traitement laisse transparaître certains indices pouvant être interprétés comme marqueurs d‘une attitude de patrimonialisation.

En ce qui concerne l’élément patrimonial, il renverra à tout élément appartenant à tout ensemble patrimonial, c‘est-à-dire le produit du processus d‘appropriation et de redéfinition d‘objets extraits de l‘ethnologique, l‘historique, l‘archéologique et du naturel (RAUTENBERG, 1998). Il s‘agit, en bref, de tout bien ayant passé par le processus de patrimonialisation au bout duquel il sort du commun d‘éléments appartenant au vaste champ culturel.

Pour ce qui est de l’élément culturel il définit ce qui est du ressort de la culture matérielle et qui n‘a pas encore fait l‘objet de tri et de classification pour des considérations particulières. Cela dit, l‘emploi synonymique de ces expressions est à décrier.

En revanche, élément culturel et élément patrimonial ont un certain fond commun. Ils sont produits par les acteurs sociaux et n‘existent que par l‘existence de ceux-ci. Néanmoins, l‘élément patrimonial, dans le domaine du patrimoine culturel, ne saurait exister sans avoir été préalablement élément culturel. Il n‘y a pas d‘élément patrimonial qui nait ex-nihilo. La gestation du patrimoine culturel se fait donc au sein du grand ensemble culturel. Mais qu‘il s‘agisse d‘éléments culturels ou patrimoniaux, tous font l‘objet de gestion dont il importe de s‘y attarder.

2.2.3 Gestion des éléments culturels et patrimoniaux

La question de la gestion des biens culturels et patrimoniaux fait partie des préoccupations sociales de l'heure. Toutes les sphères sociétales ou presque, laissent de plus en plus savoir leur sensibilité aux valeurs culturelles. Des procédés de construction patrimoniale sont développés, des moyens d'accompagnement sont davantage mis à disposition et des types patrimoniaux sont construits.

Pour bien assurer un bon suivi, il est construit à partir des taxons appartenant à des ensembles à valeurs non classificatoires, mais catégorielles. On parle alors de patrimoine

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ethnologique (culture matérielle à la fois tengible et intangible), historique (ensemble de biens auxquels on renonnait une valeur hsitorique), archéologique (témoins matériels, enfouis ou non, du passé)… qui constituent des élaborations scientifique et administrative dont le but est de créer des démarcations. Ces dernières permettent de dégager des principes opératoires assez allégés et fondés sur des spécificités ou des accointances disciplinaires.

Le patrimoine à gérer est donc le résultat d‘une juxtaposition de plusieurs séries de déterminants absolument hétérogènes dont le seul lien est ce qu‘ils déterminent. C‘est donc un agrégat d‘éléments tirés de plusieurs types patrimoniaux.

Toutefois, comme l‘a remarqué FABRE (1997 : 59)9, les adjectifs ethnologique, historique et archéologique ne sauraient être considérés comme des qualificatifs aux limites tranchées, étant donné que les disciplines elles-mêmes s‘imbriquent l‘une dans l‘autre. Ils ne représentent que les natures des matériaux exploitables pour l‘échafaudage du patrimoine. Les épithètes ethnologique, historique et archéologique sont très fréquentes dans les discours patrimoniaux, oraux ou écrits. Elles témoignent des apports des disciplines respectives à l‘industrie patrimoniale.

De toutes les disciplines scientifiques qui s‘adonnent à l‘analyse des faits patrimoniaux, l‘ethnologie et l‘archéologie, dans leur distinction purement diachronique, figurent parmi les promotrices des réflexions sur le patrimoine, sa constitution et sa gestion. Toutefois, avant de nous pencher sur l‘épistémologie de la gestion des éléments culturels et patrimoniaux, il serait important de commencer par canaliser cette expression.

La gestion du patrimoine culturel (GPC) qui correspond à l‘expression anglo-saxonne de cultural heritage management (CHM) est un volet de la gestion des ressources culturelles (GRC) englobant à la fois, le patrimoine matériel et immatériel, le mobilier et l‘immobilier et les paysages culturels. Toutefois, il n‘est pas inutile de relever la dichotomie sémantique entre l‘Europe et les États-Unis. En Europe, on parle généralement de patrimoine culturel (PC) et d‘élément culturel alors qu‘aux États-Unis, on use de l‘appellation «cultural

9 D. Fabre ne s‘est penché que sur le cas de l‘épithète ethnologique puisque son article ne porte essentiellement que sur le rôle de l‘ethnologie dans l‘industrie patrimoniale.

85 heritage» et «cultural resources »10. Mais dans les pratiques, bien que les mots et expressions ne véhiculent pas foncièrement les mêmes idées, on ne voit pas de différence ou presque entre les activités auxquelles renvoient leurs usages.

Perçue comme processus technique en rapport avec la gestion et l‘usage de la culture matérielle (CLEERE, 1989; PERSON and SULLIVAN, 1995; KING, 1998), la GPC ou la GRC se veut davantage une activité dévouée à l‘identification, l‘interprétation, le monitoring, la préservation/conservation et la mise en valeur des biens culturels et patrimoniaux. Cette pratique bien que variant d‘un pays à un autre, est réglementée par des principes législatifs, réglementaires, professionnels et associatifs (KING, 2000)11. La mise en place de ces derniers répond, le plus souvent, à des enjeux sociopolitiques et idéologiques qu‘aux fins de façade habituellement évoquées. C‘est pourquoi RAUTENBERG (1998 : 279) a fait remarquer, à travers une lecture d‘ethnologue, ce qui suit :

Sous couvert de préservation du patrimoine historique et de revalorisation des patrimoines sociaux, la mise en œuvre de ces projets, qu‘elle soit nationale, régionale, ou municipale, répond plus souvent à des préoccupations d‘ordre politique, économique ou social qu‘à un souci strictement conservatoire, qu‘il s‘agisse d‘attirer le touriste ou de redonner du sens à la vie collective. Cette activité qui devient de plus en plus l‘une des sensibilités des recherches orientées vers la question patrimoniale et qui semble une entreprise nouvelle, aurait des origines qui remonteraient au-delà du 20ème siècle, que ce soit dans les catégories ethnologique, historique ou archéologique.

En ethnologie, on peut situer le début des considérations à l‘égard de la gestion du patrimoine culturel à l‘époque des l‘Encyclopédie qui constituait une sorte de construction du patrimoine et donc, de gestion de celui-ci. Cette conception va inspirer d‘autres corporations. Si nous prenons par exemple le cas de la France, lorsque l‘Académie des

10 Il est à remarquer que le contexte américain entretient toujours l‘amalgame discursif de l‘usage de cultural resources. Cette expression laisse savoir que patrimoine culturel fait partie de ce vaste ensemble. 11 Dans son texte, King n‘a pas évoqué les principes associatifs. Mais avec la prolifération d‘associations de défense du patrimoine culturel, nous pensons que celles-ci méritent une intention aussi particulière que les autres.

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Sciences avait été fondée au 17ème siècle (en 1666) elle avait comme l‘un de ses buts principaux, de transmettre aux « postérités des renseignements les plus complets possibles sur l‘état des Arts de Métiers »12 . Des cabinets de curiosités se constituaient. Ils renfermaient des objets hétéroclites qui nourrissaient les réflexions. Avec la création de l‘Académie Celtique au tout début du 19ème siècle, conséquence du nationalisme qui s‘était développé en Angleterre, en Allemagne et en Suisse, un projet de collecte des traditions populaires est conçu. Le mot monument devient alors récurrent dans les discours culturels et n‘est plus la seule référence aux vestiges architecturaux. Il se rapporte également aux croyances, traditions, mœurs, cérémonies, langages et usages13. Cette période peut être considérée comme celle du tournant déterminant pour la construction du patrimoine ethnologique. Le mouvement celtisant cadre avec les revendications nationalistes dont les ferments étaient les identités construites.

Bénéficiant du climat des politiques nationalistes, les folkloristes s‘investirent à connaitre les traditions populaires à travers une démarche historique (BELMONT, 1974). Les politiques patrimoniales d‘alors avaient pour objectif principal la constitution des États- nations fondés sur les communautés imaginaires ayant pour soubassement des identités, histoires et légendes, forgées de toutes pièces.

Mais après les trois premières décennies du 19ème, la nécessité d‘ancrer les racines dans la profondeur historique va se faire impérieuse. L‘archéologie et l‘histoire deviennent des champs de prédilection aux dépens du folklore bien que ce dernier continue d‘attirer nombre de chercheurs. La défense et la protection des monuments historiques et sites archéologique deviennent une préoccupation majeure. Les gouvernements et les dignitaires ne ménagent aucun effort pour permettre aux spécialistes de ces deux domaines du savoir de pouvoir apporter leur contribution à la réalisation du chantier patrimonial.

Mais, selon SCHNAPP (1997: 75), en citant Cassidore, ces pratiques avaient été initiées dans la Rome antique où la gestion du patrimoine historique remonte au 1er siècle de notre

12 Réunion des musées nationaux (France), 1980, Hier pour demain : arts, traditions et patrimoine : Galeries nationales du Grand Palais, 13 juin-1er septembre, P.33. 13 Ibid. P. 58

87 ère. Il paraît qu‘un décret relatif à la protection du patrimoine signé par l‘empereur se rapportait à la préservation des « œuvres des personnes privées autant que les œuvres publiques » (SCHNAPP, 1997 : 75). En archéologie, l‘expression patrimoine archéologique trouverait davantage son origine dans l‘archaiologia des grecs et dans les antiquités de Varron (ibid.: 74) qui désignait la part matérielle, palpable du passé. Cependant, ce n‘est qu'après la deuxième Guerre Mondiale que la gestion du patrimoine archéologique va connaitre un engouement particulier et décisif. Des législations, des conventions, des associations militant pour sa protection se mettront progressivement en place.

En Europe, les vestiges archéologiques sont protégés et régis par des législations et des textes réglementaires. Nonobstant la diversité des systèmes législatifs, on remarque une homogénéité des mesures de protection à travers des espaces protégés ou l‘instauration de fouilles préalablement à l‘exécution d‘un projet d‘aménagement.

Historiquement, c‘est à la conférence de Malte, 1969, que le Conseil de l‘Europe (fondé en 1949) a adopté la première Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique14. Le regard sera focalisé sur les activités archéologiques perçues comme clandestines. En 1992, on procède à une révision de la convention en insistant sur la nécessité de protéger le patrimoine archéologique vu comme ressource limitée et non renouvelable. Des suggestions de la conservation in situ, l‘établissement des cartes archéologiques et l‘élaboration d‘inventaires15 sont faites.

Aux États-Unis, le développement de la gestion du patrimoine archéologique dans les années 1970, est consécutif à la destruction des sites archéologiques lors des travaux de modernisation qui suscita l‘idée d‘archéologie de sauvetage puis l‘archéologie d’urgence. Mais l‘approche méthodologique de cette dernière va provoquer d‘autres réactions qui conduiront à l‘archéologie préventive. Cette mobilisation n‘est autre chose que le démembrement des initiatives sur la protection de l‘environnement des années 1970 qui sont connues aujourd‘hui sous le label d‘études d‘impacts environnementaux lors de grands

14 Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique (Londres, 6 mai 1969. 15 Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique (La Valette, 16 janvier 1992)

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travaux d‘aménagement. Mais rappelons-le, la première appellation (aux États-Unis), selon KING (2000) était celle de cultural resource utilisée par les spécialistes de National Park Service (US) au tout début des années 1970. Le terme management sera ajouté après la conférence de Cultural resources management tenue à Denver en 1974.

En Afrique Subsaharienne, la gestion du patrimoine archéologique a été introduite par les administrations coloniales. Cette période que nous considérons comme celle de la recherche effrénée des antiquités d‘outre-mer était celle d‘une pratique assez généralisée dans ladite sous-région. Elle a connu une exportation à grande échelle des artefacts archéologiques en Europe. L‘archéologie qui était une discipline très peu connue et dont l‘apport à la construction patrimoniale et identitaire n‘était pas perçue ou l‘était très peu, a permis aux anciennes puissances coloniales de la sous-région d‘exporter, avec ruse (il fallait meubler les musées afin d‘attirer la clientèle en quête d‘exotisme), une quantité assez importante d‘artefacts archéologiques découverts en Afrique au Sud du Sahara.

Au Ghana comme en Côte d‘Ivoire, à la même latitude, de nombreuses figurines (anthropomorphes et zoomorphes) en terre cuite issues des tertres funéraires ont longtemps alimenté les marchés d‘art à Paris, New-York et Dakar. Ces éléments culturels provenaient précisément du Komaland, extrême-nord du Ghana et du Nord-Ouest et Centre-Ouest de la Côte d‘Ivoire (ANQUANDAH, 1987). Ce fut également le cas avec la célèbre civilisation Nok et celles d‘Ife, d‘Esie, d‘Igbo Ore, d‘Igbajo16, etc., trésors ancestraux qui ont été l‘objet d‘exportation. On ne saurait terminer ces exemples sans faire allusion aux oiseaux du Zimbabwé (NODORO, 2001), les richesses archéologiques du Mali et du Niger, les arts Sao en territoires camerounais, nigérian et tchadien.

Cette situation a été favorisée par des laxismes correctionnels savamment laissés par les politiques culturelles des puissances coloniales afin de pouvoir exporter les éléments culturels et patrimoniaux autant qu‘elles le voulaient. Ces laxismes ont beaucoup contribué aux désastres de déterritorialisation et de dé-patrimonialisation des biens culturels de l‘Afrique subsaharienne.

16 Igbajo, selon l‘auteur, est un village Yoruba situé à 56 km d‘Ife.

89 Toutefois, cette exportation du patrimoine archéologique de cette partie de l‘Afrique connaitra une certaine réduction grâce à la nouvelle politique d‘institutionnaliser la gestion du patrimoine culturel dans les colonies et les pays sous tutelle comme le Cameroun et le Togo. Des orientations réglementaires et institutionnelles seront données à travers la conception des textes et la création des institutions par des administrateurs soucieux des valeurs culturelles locales qu‘il fallait mettre en valeur pour le rayonnement culturel des États dont ils avaient la charge.

Sur le plan réglementaire, c‘est dans les colonies britanniques que l‘impulsion sera donnée pour la normalisation de ce qui a trait à la culture matérielle tant du passé que du présent. Nous pouvons citer, en guise d‘exemples, l’Ancient Monument Protection Ordinance (AMPO) de 1902 signé en Rhodésie du Sud, actuel Zimbabwé (KUNDISHORA, 2008 : 42), la Bushmen Relics Act (BRA) de 1911 signé en Afrique du Sud dont le but était la préservation de l‘art rupestre (GWASIRA, 2008 : 46) et la Bushmen Relics and Ancient Ruins Protection (BRARP) proclamée au Botswana, en 1911 (MMUTLE, 2008). Mais le premier texte réglementaire signé dans le contexte de la Rhodésie du Sud ne mentionnait pas explicitement la protection des antiquités et de l‘art rupestre et ce n‘est qu‘en 1912 que la conscience vis-à-vis de cet art ancestral conduira à son introduction dans la Bushmen Relic Ordinance (BRO)17.

Cette volonté réglementariste née en Afrique Australe va se développer dans les autres colonies britanniques. En Afrique de l‘Est et plus précisément au Kenya, les intentions en faveur de la protection et de la préservation des ressources archéologiques sont déclarées sans ambages. Elles se remarquent dans le texte réglementaire rédigé sous le label de The Preservation of Objects of Archaeological and Paleontological Interest Ordinance (POAPIO) signé en 1934, remplaçant ainsi l’Ancient Monuments Preservation Ordinance (AMPO) de 1927.

17 En 1936, le Monuments and Relics Act (MRA) prendra la place de la BRO et introduira, entre autres, la notion de National Monument (NM) et de Monuments Commission (MC). Ces instances vont procéder à la classification des monuments et de reliques. En 1972, l‘acte de 1936 est remplacé par le National Museums and Monuments Act (NMMA).

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En Afrique de l‘Ouest, les législations orientant la gestion du patrimoine culturel connaitront des retards par rapport à l‘Afrique Australe et l‘Afrique de l‘Est. C‘est le cas par exemple du Nigéria où la première législation voit le jour en 1953 sous l‘appellation d'Antiquities Ordonnance. Mais l‘on retiendra que l‘intérêt envers les ressources culturelles du pays a été suscité par la Benin Punitive Expedition of 1897-8 dont la moisson se résumait à une importante quantité d‘éléments de l‘art du cuivre et de l‘ivoire (FOLORUNSO, CALEB, 1996 : 796).

En Afrique subsaharienne francophone, les textes législatifs et réglementaires de la période coloniale se rattachent à la culture juridique de la métropole. Le poids du décret portant sur la protection de monuments et des sites de caractère historique, scientifique, légendaire ou pittoresque du 25 août 1937 a beaucoup pesé sur l‘orientation de la politique culturelle (NÉGRI, 2001). Au Congo Belge, c‘est le décret signé par Léopold II en 1939 qui organise la gestion du patrimoine culturel.

Dans le domaine des institutions de gestion du patrimoine culturel, l‘on pourrait faire remonter les prémices aux engagements en la faveur de la création de la toute première institution muséale en 1863 par le gouverneur Faidherbe (GAUGUE, 1999) au Sénégal. Cependant, cette initiative ne prendra forme qu‘avec la création de l‘IFAN18 en 1936.

En Afrique centrale, l‘Institut de Recherche Scientifique en Afrique Centrale (IRSAC) y voit le jour en 1947. Mais c‘est l‘IFAN qui a véritablement boosté la politique muséale dans toute l‘Afrique subsaharienne francophone, faisant de cette dernière le point d‘éclosion de politique d‘institutionnalisation de gestion du patrimoine culturel.

Cette politique culturelle va favoriser le développement d‘une politique muséale à travers la sous-région. Des institutions vouées à la gestion du patrimoine culturel à l‘instar des musées de Kampala en 1908, de Zanzibar, en 1925, de Livingstone, en 1934, de Dundo en1936, et de Luanda, en1938, verront le jour (POSNANSKY, 1960; CHELLAH, 1983).

18 Institut Français d'Afrique Noire

91 On trouvait dans ces institutions des éléments de la culture matérielle du présent (ethnographiques) et du passé (vestiges archéologiques). Le caractère éducatif du musée était aussi mis en exergue à travers les expositions qui essayaient d‘expliciter les cultures ancestrales. Une bonne partie de la richesse archéologique de la sous-région va être conservée dans des institutions d‘envergure nationale, régionale et locale. Des musées assignés à la conservation et la mise en valeur du matériel archéologique seront créés. Nous en voulons pour exemple ceux d‘Ife (1938) et d‘Esie (1944), au Nigéria.

Au Cameroun, le ton avait été donné par des administrateurs coloniaux qui voulurent centraliser la gestion du patrimoine archéologique. Des collections, comme cela est développé au chapitre suivant, avaient été constituées et entreposées dans des musées des institutions étatiques, privées et confessionnelles. Cette politique sera poursuivie pendant les deux premières décennies de la période postcoloniale à travers des efforts consentis par le gouvernement et l'ORSTOM19.

Toutefois, la patrimonialisation d‘objets culturels et naturels et la gestion patrimoniale placent le patrimoine aujourd‘hui au centre des débats théoriques. Il faut chercher à savoir ce à quoi renvoient théoriquement la notion de patrimoine et aussi bien le cheminement qui mène à sa réalisation en tant que construction sociale.

2.3 LES SENS DONNES AU PATRIMOINE

Le patrimoine a été et est l‘objet de constructions théoriques. Celles-ci portent sur le sens à accorder aux expressions patrimoniales. Elles ont été développées ou amorcées20 par plusieurs auteurs (LOWENTHAL, 1985; TILLEY, 1989; YOUNG, 1989; URRY, 1990 et 1996; SAMUEL, 1994; AH KIT, 1995; DICKS, 2000a et 2000b; HARVEY, 2001; BAGNALL, 2003; CROUCH et PARKER, 2003; SMITH, 2006; FOURCADE, 2007).

19 Office de Recherche Scientifique et Technique d'Outre Mer 20 Nous nuançons notre dire par le terme amorce parce que les débats scientifiques, surtout en sciences sociales, ne sont jamais clos. La conclusion d‘une recherche est parfois le début d‘un problème scientifique pour un autre chercheur.

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Ces théories ont été faites, dans leur début, au regard des pratiques patrimoniales en Occident. Ce sont, en général, des théories qui essaient d‘expliquer les rapports des communautés, des communes, des régions, des pays, des continents, voire de l‘humanité au patrimoine.

Mais de nos jours, l‘application de ces théories tend à dépasser leur cadre géopolitique de formulation et semblent s‘imposer à d‘autres régions du monde. Ces dernières à qui on méconnaissait, jadis, toute patrimonialité, sont devenues des odyssées des patrimoines dont les valeurs vont au-delà des frontières régionales et nationales pour se hisser aux firmaments des universaux culturels (BARAKAT, 2003).

La mise en exergue de certaines théories présente une importance pour notre travail. Elle constitue une voie permettant de faire ressortir leur niveau de généralisation pêchant parfois par un manque de nuancement par rapport aux différentes situations géopolitiques et culturelles du monde.

Dans cette partie du chapitre, nous entendons faire un exposé des approches théoriques possibles pouvant être induites par une réflexion sur le patrimoine. Cette lecture théorique est envisagée dans la perspective d‘énoncer les contenus patrimoniaux dans un contexte non occidental où le poids de la supra-patrimonialisation tend à codifier les attitudes de patrimonialisation.

Comme l‘a noté RAUTENBERG (1998), on assiste, dans le domaine du patrimoine, à une course de positionnement scientifique se prévalant de discipline spécialisée. Historiens et historiens de l‘art, ethnologues, archéologues, architectes, entre autres, se disputent le podium de la voix patrimoniale.

Certains historiens s‘intéressant aux monuments de quelque nature que ce soit, des historiens de l‘art étudiant l‘art de quelque époque que ce soit, des ethnologues sensibles aux cultures matérielles tangible et intangible et des archéologues orientés vers la découverte, l‘interprétation et la gestion des ressources archéologiques, se proclament implicitement des voix autorisées du patrimoine. Cet état de choses maintient vivace les paradigmes de savoir-pouvoir et de pouvoir-savoir. Ces deux paradigmes s‘imbriquent directement l‘un dans l‘autre ; puisque les deux mots les composant s‘impliquent également

93 l‘un dans l‘autre. Autant le savoir constitue et suppose un état de pouvoir, le pouvoir se présume d‘un champ corrélatif de savoir.

Dans le domaine du patrimoine culturel, le paradigme, pouvoir/savoir, est celui qui anime les intellectuels de nos sociétés qui tiennent un discours rendu dominant par sa prééminence sur celui de la société productrice qui détiendrait le véritable savoir, c‘est-à-dire, le savoir originel21 ou presque. Ce qui est simple élément culturel pour les propriétaires est de plus en plus pris pour élément patrimonial par les scientifiques, les professionnels et les élites, quand bien même ceux qui les détiennent cherchent à s'en débarrasser.

De tels exemples existent au Cameroun. Certaines architectures traditionnelles et tenues vestimentaires montagnardes sont considérées comme richesses patrimoniales par les administrations et les promoteurs du tourisme. Pourtant, les concernés au premier plan les trouvent, pour la plupart, désuètes et veulent avoir des habitations au style moderne et des vêtements importés. Ils se voient souvent imposer un patrimoine culturel qu'il sont tenus de conserver malgré leurs aspirations au bien-être socioculturel dont le paraître est l'élément de mise en évidence. En fait, la plupart des populations ne semblent pas résolues à un conservatisme culturel clos. Elles ont une forte propension pour le métissage culturel; elles sont attirées par les architectures ayant des toitures en tôle ondulée (FERGUSON, 2006).

Chez les Massa et les Tupuri de la plaine péri-tchadienne, le Labana/libida-Gooni (rite d'initiation) et le Féo Kagi (fête de poulet), le Nulda (fête célébrant la divinité territoriale), entre autres, sont en voie de valorisation par les élites. Ces dernières procèdent de plus en plus à une déterritorialisation des pratiques pour diverses raisons. Elles sont performées à Douala, Yaoundé, loin de l'Extrême-Nord, la région fief au Cameroun. Des exemples du genre sont innombrables au Cameroun.

Par ailleurs, ce paradigme de pouvoir-savoir a été et est à l‘origine de plusieurs approches théoriques du patrimoine. Celles-ci sont des raisonnements à connotation explicative des

21 Ce savoir est dit véritable ou originel parce qu‘il est dit par les auteurs qui ont été à l‘origine de sa conception. Ils sont à même de pouvoir donner les vraies valeurs intrinsèques de l‘élément culturel et/ou naturel auquel ils ont donné un sens. La position du scientifique, nonobstant ses investigations, demeure entachée d‘une certaine marche de spéculation.

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raisons d‘être du patrimoine. Ceci étant, les différents angles du contenu du patrimoine qui vont être présentés ci-dessous n‘est autre chose qu‘une démarche contributive au débat scientifique. Il s‘agit d‘aborder la notion de patrimoine sur des facettes de mémoire, d‘identité, de place et de performance.

2.3.1 Le patrimoine entendu comme mémoire/souvenir

La première considération théorique sur laquelle nous voudrions nous étaler est celle qui fait du patrimoine un élément de mémoire/souvenir. En percevant le patrimoine comme mémoire/souvenir, on se retrouve dans une théorie qui confère le rôle de consignateur aux éléments patrimoniaux. À cet effet, le patrimoine rappelle le passé qu‘il soit élogieux ou traumatisant. Cette approche passéiste du patrimoine est exprimée dans les travaux des auteurs tels que NORA (1987), WERTSCH (2002) URRY, (199622).

Même s‘il est vrai qu‘il existe un écart, dans leur conception épistémologique, entre patrimoine et mémoire, leur lecture ontique permet de dire qu‘ils constituent le médium du vécu. À cet effet, les deux peuvent être considérés comme des éléments souvenirs; d‘où la considération conférant au patrimoine la valeur d‘objet mémoire/souvenir qui va être exploré ci-dessous.

Toutefois, cette appréhension du patrimoine ne doit pas en faire un synonyme de l‘histoire. Il n‘est qu‘un fragment d‘histoire modelé et ré-modelé physiquement ou spirituellement, par le biais de jeu de sélection-désélection, pour fixer le passé dans le présent comme un état alors que l‘histoire se doit d‘être non sélective. C‘est pour cela que LOWENTHAL (1998 : 110) dit que « Si les historiens ne peuvent pas ignorer l‘ensemble des connaissances passées qu‘au péril de leur identité professionnelle, le patrimoine, lui, peut les transgresser à la légère. ».

22 J. Urry dit que le temps est un concept abstrait dont le sens de construction de mesure linéaire n‘est que construction culturelle.

95 De ce regard historiciste, nous pouvons nous permettre de dire que les actes en relation avec le patrimoine peuvent être considérés comme un rapport au passé. Cette lecture théorique peut être rattachée à la pensée juridique de MARTIN- GRANEL (Op.cit.) faisant du patrimoine une construction monitoire visant à cristalliser les souvenirs des temps passés.

Le patrimoine théorisé en mémoire/souvenir a eu un retentissement scientifique très étendu à travers le « Lieux de mémoire » de NORA qui renferme, entre les lignes, l‘idée de Patrimonium, c‘est-à-dire des biens reçus du père. Mais c‘est également l‘immatérialité du patrimoine qui est mise en avant si tant est qu‘on ne saurait palper le souvenir, la mémoire. Il s‘agit là du jeu abstrait individuel ou collectif d‘interprétation et de négociation des souvenirs dans le présent. Le patrimoine pris pour mémoire/souvenir pourrait alors être approché comme un point de rencontre symbolique entre les générations passées et celle du présent.

Ce patrimoine qui se constituait, dans sa version latine, de biens reçus par filiation patriarcale, a connu une évolution dans sa forme et son fond. Il n‘est plus qu‘une question de gloire personnelle, familiale, communautaire, etc. Il peut être extrait aussi des belles pages que des pages sombres de l‘histoire des acteurs de sa construction. C‘est pour cette raison qu‘il devient de plus en plus multiforme.

Par ailleurs, même s'il est vrai que la culture matérielle demeure l‘une des sources de pérennisation des souvenirs, les événements historiques, les faits sociaux et religieux non matériels, font aujourd‘hui partie des matériaux du patrimoine-souvenir. Des lieux patrimoniaux illustrant ce raisonnement existent à travers le monde.

En Europe, le Mur de Berlin qui disparut en 1989 a laissé des souvenirs dans les mémoires de la ville réunifiée qui sont en voie d'être transmis de génération en génération. Des restes de ce mur sont aujourd'hui conservés pour la postérité et perdent peu à peu leur terrifiante connotation. Pourtant, les lieux commémoratifs en la mémoire des victimes du mur de Berlin rappellent des tristes souvenirs. Verden

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qui fut le théâtre d‘une boucherie humaine, est de nos jours un lieu de mémoire à connotation patrimoniale.

En Afrique subsaharienne, l‘île de Gorée (Sénégal) qui a été, pendant des siècles, le centre de la déshumanisation des noirs, les forts de Kumasi (Ghana), les quais à négriers de Douala et Limbé (Cameroun), sont de nos jours des lieux de mémoire. La patrimonialité qui leur est dévolue ne dépend pas seulement des comportements des acteurs locaux, mais également de tous ceux qui s‘y sentent enracinés symboliquement. L‘évocation de Gorée interpelle un ensemble de communautés d‘africains, d‘afro-américains et caraïbiens dont le trait d‘union est la traite négrière qui, sans doute, n‘est pas un passé élogieux mais traumatissant.

Cette lecture du patrimoine va dans le sens du raisonnement de SMITH (2006 : 58) critiquant l'acception confinant le patrimoine-mémoire dans ce qui a été glorieux. En effet, ce qui inspire de la patrimonialité envers les sites cités ci-dessus n‘est pas leur forme, le bien que certains en avaient tiré, mais plutôt les tristes souvenirs qu‘ils rappellent à toute l‘humanité.

Cette idée peut être confortée davantage par l‘analyse de l‘imaginaire historique cubain qui s‘est dessiné sous l‘affectation « […] fonctionnelle et symbolique du Palacio Presidencial et de la Caserna Moncada » (KARNOOUH, 2009 : 15). Le Cuba a procédé à une sacralisation patrimoniale de la lutte révolutionnaire à travers le processus d‘incarnation mémorielle de ceux qui y perdirent leur vie. Cette incarnation est faite dans les bâtiments portant des stigmates, physiques ou moraux, des attaques et des combats. Si nous pouvons nous permettre de paraphraser KARNOOUH, la monumentalisation, la muséification, et la commémoration de la

97 Moncada et du Palais présidentiel sont autant de marqueurs de patrimonialisation des événements historiques qui marquèrent le Cuba dans les années 195023.

De ce faire, nous pouvons dire que le patrimoine-mémoire/souvenir peut être considéré comme la résultante d‘une expérience vécue. C‘est peut-être dans ce sens que SMITH (2006) le perçoit comme un processus culturel en lien avec les actes de souvenir. En s‘appuyant sur une expérience australienne, elle dit que: «While these things are often important, they are not in themselves heritage. Rather, heritage is what goes on at these sites, and while this does not mean that a sense of physical place is not important for these activities or plays some role in them, the physical place is not the full story of what heritage may be » (SMITH, 2006: 44). 24

Cette pensée laisse sous-entendre l‘immatérialité des supports tangibles des ressources culturelles. On pourrait se permettre d‘interpréter la pensée de l‘auteure en disant que l‘immatérialité rattachée aux éléments patrimoniaux constitue un marqueur de patrimonialisation et exprime le degré de patrimonialité. À ce titre, le patrimoine est considéré comme expérience (SAMUEL, 1994; SMITH et al. 2003 et SMITH, 2006 pp : 45-48) dans la mesure où il témoigne de ce qui a marqué l'esprit. SMITH a vécu cela en participant aux activités du Waanyi Women’s History Project. Elle put comprendre ce qui fait le caractère patrimonial du site et arriva à la conclusion suivante : « Heritage was not the site itself, but the act of passing on

23 La Moncada, caserne qui abrita le Premier Régiment de la Garde rurale et la seconde forteresse du pays sous le général Fulgencio Bastio après sa reprise du pouvoir par cout d‘État, en 1952, a été transformée en école, espace Muséal et mémoriel sous Fidel Castro. Baptisée du nom de Guillermòn Moncada, « héros des guerres cubaines d‘indépendance », la Moncada se transforma en un symbole de l‘armée et du pouvoir de Bastio. Quant au Palacio Presidencial, il est érigé en mussée de la Révolution. La sémantisation «ré- sémantisation» de ces hauts lieux de la vie et de l‘histoire du Cuba peut appréciée sous l‘angle de construction patrimoniale à valeur mémorielle. Le pouvoir a changé de main, les bâtiments publics se sont vu attribuer d‘autres fonctions, mais entre les deus temps, la monumentalisation et/ou la sacralisation patrimoniale est une vision convergente. 24 Pour apporter un éclaircissement au début de cette citation, nous tenons à signaler que l‘auteure avait déjà cité un certain nombre d‘éléments du patrimoine tels qu‘objets, sites, bâtiments…

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knowledge in the culturally correct or appropriate contexts and times » (SMITH, 2006: 46).

Mais en ramenant la théorie patrimoine-mémoire à notre cadre spatial de recherche, selon nos investigations sur les pratiques patrimoniales au Cameroun dans sa multiethnicité, la constitution du patrimoine comme mémoire n‘est vérifiable qu‘à une certaine échelle sociétale. Comme nous le verrons au chapitre 3, le patrimoine mémoriel monumentalisé, selon la nature par laquelle le considère la politique patrimoniale nationale, n‘est qu‘une pratique ne remontant pas au-delà du 19ème siècle, sans pour autant dire que les sociétés traditionnelles étaient dépourvues de conceptions monumentale (cf chapitre suivant).

De l‘élément de souvenir, le patrimoine va prendre d‘autres attributs. Il n‘est plus seulement perçu comme mémoire du passé, mais également comme marqueur d‘identité.

2.3.2 Le patrimoine vecteur d’identité

Dans cette logique, l‘appréhension qu‘on ait théoriquement du patrimoine est celle qui lui confère le rôle d‘élément de définition identitaire. C‘est donc un outil permettant de d‘affirmer son identité culturelle, sociologique, ethnique, politique. L‘idée principale ici est celle qui fait du patrimoine une expression de l‘identité du groupe social auquel appartient l‘élément patrimonial.

Cette théorie considérant le patrimoine comme identité alimente les raisonnements de plusieurs auteurs dont SMITH (2006, PP. 48-53) fait rappel dans son ouvrage portant sur les usages du patrimoine.

C‘est une approche qui aborde la question en problématisant l‘existence des sites ou d‘éléments patrimoniaux afin de déceler les différentes sortes d‘actions d‘identité qui s‘y manifestent. Pour URRY (1996) et BAGNALL (2003), l‘identité se construit au fil des ans par plusieurs canaux dont celui du patrimoine. Il est donc question de percer la logique de la construction et du maintien de l‘identité à travers le patrimoine.

99 D‘après CROUCH et PARKER (2003: 405) et SMITH (2006), le caractère de révélation d‘identité du patrimoine se lit dans l‘exploitation dont il a été l‘objet dans les mouvements nationalistes.

En nous élançant dans la même logique, nous pouvons dire que le patrimoine est aujourd‘hui un matériau pour les constructions d‘identités nationales, régionales, ethniques, politiques et confessionnelles. Le folklore qui est la prémisse de l‘ethnologie, avait pour option principale l'étude des particularismes propres aux groupes sociaux. Ces particularismes servaient à construire des États-nations culturels dans lesquels sont forgés des patriotismes culturels particularistes (PESTIEAU, 2002) autour du partage d‘une langue, d‘une histoire, des traditions et des mœurs qu‘on essaie d‘homogénéiser. Cette tradition des États-nations se perpétue de nos jours, bien que de manière implicite, par la constitution des aires culturelles au sein desquelles des formes de particularismes ethniques et religieux sont reconnus. De ce fait, le patrimoine se présente comme un état d‘affirmation et de légitimation de l‘identité (SMITH, 2006: 52 et Urry, 1990).

Le patrimoine comme vecteur d'identité dit comment nous-sommes. Et cet état peut être appréhendé sous l‘angle idéologique, sociologique, culturel, politique, nationaliste, régionaliste, communautariste, ethnique, voire familial. Pour constituer ce soi qu‘on voudrait être différent du soi de l‘autre et que ce dernier devrait considérer comme un soi au même titre que le sien, tous les éléments contributifs sont mis à contribution. Le passé et le présent sont exploités dans les arguments identitaires.

Dans des situations où l‘état du présent rend la définition du soi difficile, mais pourtant nécessaire pour son affirmation/accomplissement, on se met, comme on le verra dans les chapitres suivants, à la ré-patrimonialisation de ce qui a été dé-patrimonialisé par les phénomènes sociaux. Tout ce qui est susceptible de prouver ou faire asseoir une profondeur identitaire est exhumé. C‘est dans cette logique que BRETT (1996), en se basant sur une lecture de l‘impact de la modernisation sur les coutumes, est parvenu à la conclusion selon laquelle les êtres humains sont parfois dans l‘obligation de redonner une signification au passé afin de pouvoir reconquérir l‘habitus. Il s'agit de s'appuyer sur les données du passé afin de se définir dans le nouvel ordre de socialisation où des classes socioculturelles qui tendent à se donner une certaine lisibilité existentielle. Le patrimoine prend ainsi le sens de

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capital social et culturel pouvant permettre de cerner l‘appartenance d‘un individu à un groupe social donné, voire faire savoir sa spécificité identitaire dans un système qui tend à assimiler les particularismes culturels.

Ceci est très vérifiable en Afrique subsaharienne, bien que cela ne soit pas une exception, où la multiethnicité des États rend les politiques patrimoniales très sensibles et complexes. La patrimonialisation à l‘échelle nationale ne pouvant procéder à un échantillonnage des valeurs et caractéristiques culturelles de toutes les ethnies, des manifestations culturelles à caractère régional, ethnique voire religieux rivalisent pour exalter leur identité parfois en passe d‘omission, d‘avilissement, d‘asservissement et même d‘assujettissement, dans les discours patrimoniaux. Au Canada, le français est l‘identité principale par laquelle se définissent les québécois. Des exemples de ce genre, on pourrait les multiplier N fois.

Cependant, dans ce contexte de définition du soi, que ce soit en Occident, en Afrique ou n'importe où ailleurs, le patrimoine devient une arme contre le patrimoine. C‘est un soi patrimonial qui se développe comme l‘épine de Lenoir sous un méga-soi patrimonial avilissant ou subsumant, entretenu par ce que L. Smith a appelé «Authorised Heritage Discourse» (AHD). Ce dernier constitue une ligne arbitraire servant au resserrement des vases patrimoniaux, qui sont parfois en compétition inavouée, afin de les rendre non seulement communicants, mais également les fédérer dans un supra-vase homogénéisant. Mais pour y parvenir, il faut prendre à cœur de sacrifier ou d‘ignorer certains qui ont également des mérites en tant que spécificités identitaires.

L'opérationnalité du AHD qui, en Afrique, commence avec la pénétration européenne, s‘est implantée véritablement avec le colonialisme et le néocolonialisme. La colonialité et la néocolonialité culturelles avaient pour caractéristique principale le musèlement et l‘anéantissement des manifestations culturelles subalternes qui constituaient des cadres propices de construction identitaire, pour ne pas dire qu‘elles étaient elles-mêmes des identités.

La théorie donnant le patrimoine pour synonyme d'identité laisse se dégager, en filigrane, que le patrimoine est un moyen pour la confirmation de l‘existence et l‘affirmation du soi particulier face à autrui. Le patrimoine confère, à cet effet, un pouvoir temporel ou matériel,

101 socle des fondements identitaires. Cette identité s‘affermit davantage lorsque le patrimoine se trouve intégré dans la politique de conservation des « discours patrimoniaux autorisés » des scientifiques et des administrations du patrimoine.

Ce qui nous semble intéressant dans l‘idée du AHD, même si L. Smith ne le dit pas de manière explicite, c‘est qu‘elle traduit l‘omnipotence dont se prévalent les scientifiques et les responsables des services patrimoniaux. Cette omnipotence qui est issue de la modernité occidentale semble ne pas bien cadrer avec les réalités non occidentales. Cette allégation peut être vérifiée dans nombre de pays africains où la construction patrimoniale bâtie suivant le canon occidental n‘est reçue que par une audience élitaire.

La définition de l‘identité de soi laisse donc entrevoir la quête de positionnement. Cette perception du patrimoine sous l‘angle d‘identité peut donner à réfléchir sur le cadre physique et/ou mécanique de son expression. On est et son être n‘est manifeste que dans un environnement, une société, qui permette de prendre conscience de sa différence. Il s‘agit de se faire présent, utile et impérieux afin de donner l‘image d‘un soi au style habité. Ce dernier qui, loin d‘être un état de hâblerie, est déterminant pour se faire une position, un rang, une place dans la société. Et le patrimoine semble être exploité dans une perspective de positionnement à l‘échelle communautaire, ethnique, régional, national, continental et mondial.

2.3.3 Le patrimoine perçu comme place

La notion de place qui a été longtemps l‘apanage des études géographiques, est de nos jours un concept théorique dans les heritage studies. On le rencontre dans la littérature relative au patrimoine et aux politiques de gestion et de conservation (SMITH, 2006: 75). Dans certains discours autorisés du patrimoine tels que celui de la Charte de Bourra, en Australie (ICOMOS, 1999), la notion de place vient supplanter celle de site dans le discours patrimonial. Ce changement, comme l‘a noté CRANG (2001: 102), vient de la réflexion qui postule que le terme site traduit davantage les conceptions archéologique et architecturale. Il a un fort penchant pour le vocable place qui, selon lui, est assez expressif quant au fait que le patrimoine permet de construire l‘identité. Ainsi donc, « […] place invokes a sense of belonging; it represents a set of cultural characteristics and says

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something about where you live, come from and who you are—it provides an anchor of shared experiences between people and a physical demonstration of continuity over » (SMITH, 2006: 76).

De ce fait, percevoir le patrimoine comme place ne renvoie pas à l‘entité géographique, mais davantage au sens de classe sociale et/ou culturelle d‘appartenance d‘un individu, d‘une communauté ou d‘une nation. La place n‘est pas simplement un lieu d‘action ou un coffre inexpressif. Il s‘agit à la fois des positionnements spatial, mental et sociologique. Elle est donc une construction sociale (RODMAN, 2003: 205) dans les luttes de classes qui animent les sociétés humaines. Cette construction se réalise non seulement par une vie effective, mais aussi par la présence symbolique traduite dans la conventionalité du langage et du discours humain. Celui-ci est exprimé à travers des codes de conduite internes ou externes à travers lesquels les acteurs sociaux font savoir leur appartenance, leurs valeurs et leur volonté de les voir reconnues.

À l‘interne, il est question des multiples manières codifiées par lesquelles on dit qu‘on est ou ce que nous sommes. Ce sont des manières dont la démarche et la méthode sont propres à chaque groupe d‘individus, mais qui interagissent par le jeu d‘influence co-existentielle. Cette influence n‘est pas toujours conflictuelle puisque, comme le souligne BEGHAIN (1998), « […] le patrimoine des uns peut accueillir le patrimoine des autres ».

À l‘externe, nous faisons allusion à des codes supra-sociétaux visant à définir des normes arbitrales nationalsantes ou internationalisantes. C‘est ce qui explique la mise en place des institutions nationales et internationales de régulation des politiques patrimoniales.

Selon cette théorie, le patrimoine joue un rôle d‘outil fixateur, d‘implantation, de positionnement, d‘insertion et donc, de mise en évidence de sa présence. C‘est le visage de l‘être du patrimoine (BEGHAIN, ibid.). Cette idée nous conduit à dire que l‘on n‘existe que parce que l‘on est et l‘on ne peut être que quelque part, et donc, à une place.

Le patrimoine comme place ou position est celui qui entend dire qu‘on a une place, qu‘on la mérite et qu‘on a en droit. Il révèle le caractère existentialiste de l‘être humain. Cela peut se vérifier, de manière plus générale, dans la volonté de tous les États d‘avoir des éléments patrimoniaux inscrits sur la liste du patrimoine mondial.

103 Au niveau étatique, des acteurs sociaux se battent pour faire inscrire certaines richesses patrimoniales au registre national, régional et/ou communal. L‘exemple d‘un patrimoin à connotation de positionnement qui connut l‘adhésion pour l‘affirmation de l‘antériorité d‘une communauté imaginaire est le site Thulamela, en Afrique du Sud. Après les travaux archéologiques qui ont révélé que le site date d‘entre 1200-1600 AD, le ministre des affaires environnementales et du tourisme avait fait une sortie médiatique en 1996 en disant que : « History books always taught that black people had never created anything of worth, which was lie. Now we can produce evidence that it was untrue. On the foundation of this African civilization we will build a better future for all South Africans. Our true origins have been captured by Thulamela and not by colonialism which was just a passing phase in our history25 ». Ces propos rendent bien compte

Dans la logique de cette théorie, la place est un construit social politisé et historiquement spécifique (RODMAN, 2003: 205). Elle s‘assimile à l‘expérience vécue et à la matérialisation abstraite des sentiments, pensées et images qui taraudent l‘esprit des individus ou groupes d‘individus. Cette matérialisation n‘est pas seulement reliée à un passé, mais également associée aux pratiques et conceptions quotidiennes. Il s‘agit donc d‘un sens de l‘acte et de l‘expérience d‘être qui sont le plus souvent entretenus par les acteurs de l‘industrie patrimoniale.

Le patrimoine-place est une réalité vivante qui existe depuis la nuit des temps. La plupart des sociétés humaines ont connu des pratiques patrimonialisantes orientées vers l‘inscription et le maintien de son existence comme sujet à part entière méritant une reconnaissance à la fois matérielle et immatérielle.

En nous appuyant sur des exemples tirés de la littérature archéologique, nous pouvons dire que la réalisation des mégalithes, Pyramides, cimetières et cités emmurés, entre autres, sont autant d‘anciennes manières de s‘inscrire dans l‘espace et se l‘approprier. Cette réalité, existe bien en Afrique subsaharienne, et en Afrique centrale en particulier. Nous faisons allusion aux cimétières et cités emmurés des abords du la Tchad connus dans ce qui est

25 http://www.e-tools.co.za/~etools/newsbrief/1996/news0925 consulté 27-07-2010

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respectivement civilisation sao et kotoko. Il en est de même des mégalithes sénégambiens et des tazunu (mégalithes) centrafricains. Ces éléments culturels traduisent des volontés d‘appropriation des territoires par l‘inscription des marqueurs identitaires et religieux.

Cependant qu'il soit considéré selon le registre de la mémoire, de l'identité ou du positionnement, la construction patrimoniale pourrait être également considérée comme une mise en performance des acteurs sociaux qui, la plupart de temps, sont animés par l'esprit de concurrence.

2.3.4 La performativité dans les actes de patrimonialisation

Un autre courant de pensée va s‘intéresser à la prouesse des acteurs sociaux de la chaine patrimoniale pour placer le patrimoine sous l‘angle de performance. En effet, pour ceux qui regardent le patrimoine à travers le prisme interactionnel assurant l‘aimantation entre les acteurs de l‘industrie patrimoniale, il aurait un côté performatif (MCCANNELL, 199926; SMITH, 2006, PP. 66-74). Le raisonnement se fonde sur les interactions entre les visiteurs et ceux qui gèrent et interprètent les sites patrimoniaux. Ils sont en performance les uns face aux autres. C‘est le paradigme de spectacle/performance d‘ABERCCROMBIE et LONGHURST (1998: 68-9) qui tend à expliciter le nouveau rapport entre performance et audience.

Cette nouvelle relation performative est basée sur le principe de production et de consommation mutuelle. Il y a création et récréation active et interactive de la signification et de l‘identité du sujet patrimonial par le visiteur et le visité. C‘est pour cela que BAGNALL (2003: 88-89) dira dans sa réflexion sur la signification et le sens de l‘authenticité que celle-ci se manifeste par le canal d‘une construction plausible d‘expériences et d‘émotions que l‘on voudrait faire consommer aux autres. Mais la réception par les visiteurs ne doit pas être lue dans le sens d‘une acceptation

26 MCCANNELL argumente que, en se basant sur les pratiques du tourisme, que l‘expérience émotionnelle et physique sont des composantes à part entière du patrimoine.

105 passive. Les deux parties sont davantage dans une atmosphère de communication interactive caractérisée de performance culturelle (SMITH, 2006: 67).

Par ailleurs, la théorie performative dans le domaine patrimonial ne se limite pas aux seuls rapports entre les visiteurs et ceux qui offrent la visite. La gestion du patrimoine elle-même renferme des scènes d‘action. Les actes de transmission, de commémoration, les interprétations sont autant de performances. À cet effet, nous pouvons dire que dans la chaine patrimoniale, le patrimoine, la patrimonialisation et la patrimonialité semblent partager des liens schématiques avec le théâtre, la théâtralisation et la théâtralité d‘une part, le musée, la muséification et la muséalité, d‘autre part.

Cette triangulation du patrimoine est manifeste dans la plupart des constructions patrimoniales. En revenant sur l‘exemple cubain précité, nous pouvons dire qu‘il exprime une mise en scène d’un passé combatif, d‘un passé politique de la communauté imaginaire nationale. Cette mise en scène qui donne à voir, à saisir et à interpréter, comme dans un théâtre, un musée, les faits sociohistoriques réflexifs de « l‘État-nation cubain » n‘est autre chose qu‘une performance communicationnelle. En outre, la performance patrimoniale ne s‘explique pas seulement par les exemples argumentatifs cités dans les paragraphes précédents. Elle s‘établit également entre les différents patrimoines dont les mises en scène ne sont pas sans provoquer des attitudes concurrentielles27.

En fait, qu‘ils soient de même nature ou de nature différente, d‘une même région ou non, les patrimoines se font une concurrence implicite. Cette dernière est perceptible

27 La concurrence dont il est question n‘est pas une concurrence nuisible. Il s‘agit de la volonté affichée par les uns et autres dans le but de prendre part à la nouvelle donne patrimoniale. À notre sens, c‘est une concurrence constructive puisqu‘elle permet le développement des consciences vis-à-vis du patrimoine. Ces consciences boostent les constructions patrimoniales, d‘une part, et attisent les attachements symboliques aux patrimoines existants, d‘autre part. Les deux attitudes contribuent respectivement à une meilleure gestion des ressources culturelles et patrimoniales.

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à travers les attitudes rivales des États, régions, communes et communautés qui s‘adonnent au jeu compétitif de construction patrimoniale. La prolifération des villes du patrimoine mondiale dont 07 en Afrique, 36 en Amérique Latine et Caraïbes, 20 en Asie et pacifique, 120 en Europe et 20 dans les Pays arabes, bien que se faisant avec l‘accord arbitral de l‘UNESCO, est une performance entre les États et ces villes elles-mêmes28. C'est une concurrence qui rappelle celle motivée par les compétitions sportives mondiales telles que les jeux olympiques et la coupe du monde de football.

Dans l‘exemple camerounais, comme nous le verrons au chapitres 3, la multitude d‘associations socioculturelles dont le leitmotiv est la sauvegarde, conservation et mise en valeur des patrimoines, met en performance les différentes communautés du pays et leurs packages patrimoniaux. Cette performance se fait manifeste pendant les festivals annuels ou biennaux et lors des manifestations ponctuelles liées à des circonstances diverses.

Lu sous cet angle, le patrimoine-performance des sociétés actuelles vient supplanter celui des États modernes qui eurent cours aux 19ème et début 20ème siècles. Il constitue l‘un des aspects novateurs du patrimoine postmoderne, celui-là qui n‘est pas renfermé sur lui-même ; mais qui se livre à une performance ouverte. Le patrimoine n‘est plus, en empruntant à MONPETIT (Op.cit.: 21), l‘apanage « des idéaux et des discours élitaires », mais un instrument de dialogue performatif entre les acteurs de l‘industrie patrimoniale. En outre, avec les nouvelles technologies de l‘information et de la communication (TIC), cette performance est rendue on ne peut plus évidente par des spots publicitaires, des annonces, des films ethnographiques et la numérisation des publications scientifiques qui s‘adjoignent aux publications électroniques et informations fournies par les blogueurs.

28 http://www.ovpm.org

107 Cette médiatisation tous azimutes vise à « assurer un pouvoir symbolique toujours renouvelé et une place prépondérante » (ibid.: 9) aux éléments patrimoniaux tels que le Paysage culturel de Mapungubwe Thumalela (Afrique du Sud), les palais royaux d‘Abomey (Benin), Opéra de Sydney (Australie). On peut aussi citer l‘Arrondissement historique du Vieux Québec, le Parc provincial Dinosaur (Canada), le Parc archéologique national de Tierradentro (Colombie), le Temple du Ciel, autel sacrificiel impérial de Beijing (Chine), l‘Église creusées dans le roc de Lalibela (Éthiopie), la Grotte de Lascaux (France). La liste peut être allongée avec les Cercles mégalithiques de Sénégambie (Gambie et Sénégal), le Bâtiments traditionnels ashanti (Ghana), l‘Acropole d'Athènes, les Site archéologique d'Olympie, (Grèce), Les Zones archéologiques de Pompéi, Herculanum et Torre Annunziata (Italie), Tombouctou, Djenne (Mali), le Site archéologique de Carthage, Médina de Sousse (Tunisie), Great Zimbabwe, Khami (Zimbabwe) etc.29 Cette course est confortée par la convention du patrimoine mondial. Pour les pays riches l‘inscription à la liste du patrimoine mondial est perçue comme un couronnement, un prestige alors pour les pays pauvres, c‘est un moyen d‘avoir une reconnaissance, servant également de levier pour un rayonnement international.

CONCLUSION

Au sortir de cette réflexion sur les considérations conceptuelles et théoriques du patrimoine, nous pouvons postuler qu‘il se caractérise par son ambivalence culturelle et naturelle, d‘une part, matérielle et immatérielle, d‘autre part. Le matériel ne s‘intègre dans la vie des acteurs sociaux que par le médium de l‘attachement symbolique que ces derniers éprouvent vis-à- vis de lui. Quant à l‘immatériel, il est, pour une grande part, inscrit dans le matériel.

Ceci étant, nous pouvons dire que le patrimoine renvoie à tout élément culturel et/ou naturel, matériel et/ou immatériel auquel un individu, une famille, une communauté, une région, un pays voire l‘humanité, manifeste un attachement symbolique pour quelque

29 Liste patrimoine mondiale Unesco, [en ligne] consulté le 25 mars 2012

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raison que ce soit et construit des clivages sociaux. À ce titre, le patrimoine rime avec le vécu quotidien au sein duquel il est progressivement ou ponctuellement modelé et sert à des fins diverses. Il n‘est donc point de patrimoine qui se conjugue au passé puisque c‘est le présent qui fait le patrimoine. En fait, ce sont les rapports des acteurs sociaux actuels à certains biens culturels ou naturels qui permettent de dire que ceux-ci transcendent les considérations juridiques les plaçant dans le domaine de la propriété privée. Ils sont des proriétés d‘une certaine marque d‘affection qui les met position préférentielle et donc, d‘object patrimoniaux bénéficiant des égards de protection et de conservation.

C‘est dans cette logique que nous convenons avec POULOT (2006: 3) pour qui «le patrimoine n‘est pas le passé, puisqu‘il a pour but d‘attester l‘identité et d‘affirmer des valeurs, de célébrer des sentiments, le cas échéant contre la vérité historique». Sur ce, le patrimoine n‘existe que pour le présent même si sa nature le plonge dans la profondeur historique. La patrimonialité ne se décline qu‘à travers les sentiments, les discours qui donnent du contenu à certains éléments culturels et/ou naturels. C‘est pour cette raison que nombre d‘auteurs, (BOWDLER, 1988; FOURMILE, 1989; AH KIT, 1995; NAS, 2002; NIGEL THRIFT, 200430 ; SMITH, 2006 31; FOURCADE, 2007) pensent que c‘est l‘immatérialité qui est le socle du patrimoine étant donné que toute construction n‘est d‘abord que psychique.

Au regard de ce qui ressort du présent chapitre, la question de savoir comment le patrimoine est perçu et construit au Cameroun mérite d'être posée. C‘est une préoccupation saisir les rapports au patrimoine cultirel ainsi que les procédés au travers desquels ce dernier se constitue. Pour ce faire, le chapitre suivant se consacre à fournir des éléments de réponse relatifs à la question patrimoniale dudit pays.

30 Pour THRIFT, la configuration et l‘usage de l‘espace urbain fait naitre des affects culturels, émotionnel et politique. 31 Il revient de reconnaitre à BAGNALL (2003) d‘avoir réalisé des études qui lui ont permis de constater que le patrimoine a un aspect performatif. Cette recherche a été effectuée dans le Museum of Science and Industry à Manchester et sur le site Wigan Pier, à Wigan, en Angleterre (SMITH, 2006: 66).

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CHAPITRE 3: POLITIQUE ET RHÉTORIQUE PATRIMONIALES AU CAMEROUN

INTRODUCTION

En 1993, CLEERE faisait savoir que le besoin et la volonté de protéger, préserver, gérer et mettre en valeur les éléments culturels, en général, et les ressources patrimoniales, en particulier, avait déjà pris de l‘importance. Près d'une vingtaine d'années plus tard, l'histoire lui donne pleinement raison, au vu des égards dont bénéficient ces biens. Les États, les régions, les communes, les groupes ethniques et associatifs, les hommes politiques, les scientifiques, les professionnels, en autres, s'investissent davantage pour la défense des causes de ce qu'ils considèrent comme patrimoine culturel. Comme conséquences corrélatives, des mesures de protection se sont développées à toutes les échelles des couches sociales ou presque. Mais, qu'elles soient réglementaires ou institutionnelles, ces mesures n'ont pas été normalisées de manière synchrone et encore moins de la même manière. Les sphères sociétales n'ont pas connu le même parcours de construction patrimoniale, malgré la tendance uniformisatrice des considérations de mise en patrimoine actuelle à orientation universaliste.

Cela dit, s'appesantir sur la politique et la rhétorique patrimoniale au Cameroun n'est autre chose qu'une démarche contributive aux connaissances sur la question en rapport avec la patrimonialisation. C'est un travail qui livre au public les réalités patrimoniales d'un cadre sociopolitique et culturel donné.

Pour ce faire, le présent chapitre a pour but de jeter un regard à la fois descriptif et analytique sur ce qui se laisse observer comme attitudes patrimoniales, non pas dans le sens de la propriété privée ; mais dans celui de l'appropriation symbolique et affectif.

Mais, soulignons-le, c'est un regard historiciste et actualiste au travers duquel on essaie de lire ou de faire lire ce qui touche le patrimonial camerounais si tant que la politique patrimoniale d'une société est fille d‘époques ayant marqué l'histoire sociopolitique et culturelle de celle-ci.

Ce regard focalise sur la présentation de l'entité géographique appelée Cameroun dans ses composantes naturelle et humaine, la rhétorique patrimoniale du pays par le biais de

111 laquelle se déclinent les échelles patrimoniales et les enjeux y afférents. La rhétorique patrimoniale dont il s'agit ici est l'ensemble de différents discours par lesquels est exprimé tout ce qui a trait au patrimoine. Elle englobe les discours écrits ou oraux véhiculés par des administrateurs, des communautés, des groupes associatifs voire confessionnels, ethniques, des leaders d'opinion, des législations, des médias, des politiciens, des scientifiques et des tiers. Par ailleurs, le chapitre se penche également sur le volet se rapportant à la patrimonialisation et par le biais duquel nous entendons relever les différents modèles de mise en patrimoine déchiffrables dans le contexte camerounais.

3.1 PRESENTATION GENERALE DU CAMEROUN

Notre recherche ayant été conduite dans un environnement géographique et humain bien déterminé, il nous a semblé important de faire une présentation de ce dernier bien que celle- ci ne se targue pas d'une certaine exhaustivité.

3.1.1 Situation géographique

Constitué de dix régions administratives1, le Cameroun est un pays d‘Afrique Centrale, situé au Nord de l‘Équateur et ouvert sur l‘Océan atlantique dans sa partie Sud, s‘allongeant ainsi dans le golfe de Guinée. Avec une longueur intercalée entre le 2ème et 13ème degré latitude Nord et pour une largeur allant du 9ème au 16ème degré de longitude Est, il partage plusieurs frontières avec des pays d‘Afrique de l‘Ouest et d‘Afrique Centre. Au nord et nord-est, il est limité par le lac Tchad et le Tchad continental. À l‘est, il est limitrophe à la République Centrafricaine. Dans sa partie occidentale, la République fédérale du Nigéria partage des frontières terrestres et maritimes avec lui. Au sud, le pays se frotte au Congo, au Gabon, et la Guinée Équatoriale (fig.3.1).

1 Les dix régions administratives du Cameroun: L‘Adamaoua, le Centre, l‘Est, l‘Extrême-Nord, le Littoral, le Nord, le Nord-ouest, le Sud et le Sud-ouest.

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Source, carte google; modification DATOUANG DJOUSSOU (2012)

Figure 3.1: Carte géographique et administrative du Cameroun

113 Ces frontières sont des vestiges des pratiques qui eurent cours pendant la colonisation et dont héritent nombre de pays du monde. Ces vestiges du passage colonial donnent au pays l‘apparence d‘un triangle assez encoché tant dans sa dorsale ouest que sur son flanc est. Cette géométrie a été souvent à l‘origine de certains différends frontaliers entre le Cameroun et le Nigéria, dans la zone Bakassi, le Cameroun et le Tchad, dans sa partie du bassin du lac Tchad. Cependant, il faut relever que bien qu‘ayant subi les mêmes traitements pratiques que toutes les colonies des puissances européennes, le Cameroun n‘a jamais été sous le statut de colonie. Il a été sous le Protectorat allemand puis sous mandat de la Société des Nations (SDN) et sous tutelle française et britannique. Ces dernières puissances qui gouvernèrent respectivement sur le 4/5 et le 1/5, passeront le commandement aux nationaux en 1960, pour le Cameroun francophone et 1961 pour la partie anglophone. Cette longévité tutélaire à eu des conséquences aussi bien positives que négatives. Pour ne pas dérouler la litanie de toutes les conséquences, l‘adoption du français et de l‘anglais comme langues officielles du pays, constitue la preuve de politiques culturelles assimilatrices.

3.1.2 Le cadre humain

Sur le plan humain, le Cameroun est un gisement ou une mosaïque de groupes ethniques. On en dénombre plus de 230 qui s‘y côtoient. Rassemblés dans des groupes linguistiques, ils ont des origines assez difficiles à retracer. Ils ne sont pas sûrement les tous premiers habitants du Cameroun. Ils ont succédé à d‘autres groupes dont les indices de leur présence ne sont livrés que par la science archéologique. Ces anciennes populations ont laissé des traits culturels très diversifiés. Une forte technologie lithique abondamment identifiée dans le Nord-Cameroun, faiblement à l‘ouest méridional et isolement à l‘Est, indique une occupation préhistorique remontant géologiquement au pléistocène et culturellement à l‘Acheuléen (MARET DE, 1996; MARLIAC, 1979, 1991, 2002)2.

2 L‘évocation du patrimoine archéologique a pour but de donner une idée de la richesse de ce type de patrimoine. On n‘a fait qu‘une présentation ramassée des données disponibles dans la littérature en rapport avec l‘archéologie camerounaise.

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Composition socio-ethnique

Sur le plan de l‘histoire du peuplement actuel, probablement grâce à sa situation géographique et ses écosystèmes de forêt, de savane et ses cours d‘eau, le Cameroun semble avoir été une terre de convergence ou de dispersion. Comme la plupart des pays d‘Afrique au sud du Sahara, le Cameroun est une fourmilière de bantou, semi-bantou, soudanais et de néo-soudanais. Ils se repartissent en un minimum de 230 groupes ethniques pour autant de langues et se trouvent dans ce qu‘on peut schématiquement appeler savane du Nord-Cameroun, le Sud forestier et les Grassfields.

Si nous raisonnons en termes de grands foyers avant la constitution de l‘État-nation que représente aujourd‘hui le Cameroun, on reconnaitra que les Bantou sont localisés majoritairement dans la partie méridionale. Ils peuplent les hauteurs de l‘ouest et du Nord- ouest et la zone forestière du Centre, Sud et de l‘Est. Ils y côtoient des groupes assez minoritaires tels que les pygmées qui ont longtemps vécu, même jusqu‘à une période récente, dans la forêt dense équatoriale en se nourrissant de ressources spontanées de la nature. Mais en faisant une dissection de grands groupes de la partie méridionale, nous avons de grands ensembles tels Fang- Beti, Sawa, Bakweri, Bamiléké et Bamoun, dispatchés dans les « aires culturelles » Fang- Beti, Sawa et Grassfield (Bamiléké et Bamoun). Mais il faut souligner que les Bamoun forment un groupe très homogène occupant l‘actuel département du Noun où ils se sont implantés en venant du pays Tikar, en lisière entre le septentrion et le Sud-Cameroun. Quant aux Bamiléké, ils sont constitués des groupes ne partageant pas la même langue, mais qui se rapprochent sur la base des considérations fondées sur d‘autres traits culturels tels que les folklores et la culture matérielle (LECOQ, 2000).

Au Nord du pays, la partie qui va du plateau de l‘Adamaoua à la pointe septentrionale qui plonge dans le lac Tchad, se trouve une très forte diversité sociologique. C‘est une région qui a subi à la fois l‘invasion européenne et celle des États ou empires musulmans dont la plus marquante est celle des Peuls arrivés au 19ème siècle, de l‘empire Sokoto (MALEY, 1981). On y trouve les grandes familles linguistiques telles qu'Adamawa-Oubangui, Sémitique, Tchadique, Saharienne, Chari-Nile (BARRETEAU et LE BLÉIS, 1990).

115 Parmi ces grandes familles linguistiques, les locuteurs tchadiques de la province de l‘Extrême-Nord se dégagent comme dominant si l‘on prend la taille numérique comme critère principal. Selon BARRETEAU et LE LBÉIS (ibid.) cette famille se subdivise en quatre branches dont occidentale, centrale, orientale et méridionale. Mais ces branches ont connu des fusionnements au fil des temps. Nous en voulons pour preuve la disparition de la branche méridionale avec l‘intégration des Massa dans la branche centrale.

Ces différents groupes ethniques qui peuplent le Cameroun ont des éléments culturels qui les caractérisent. Leur juxtaposition constitue les richesses culturelle et patrimoniale du pays. Parmi les éléments culturels et patrimoniaux qu‘ils présentent, se rencontrent des types architecturaux, les arts culinaires, les langues (BEGUIN et al. 1952; SEIGNOBOS, 1982). Il y a également les cultures vivantes performées pendant les festivals, les cérémonies d‘initiation, les périodes de rituels sacrificiels, les mariages, les deuils, etc.

La combinaison d‘éléments naturels (climat, relief, végétation) et socioculturel, dans leur diversité, dont regorge le Cameroun lui a valu l‘appellation de l‘Afrique en miniature. En fait, en partant de la côte atlantique au lac Tchad, l‘on peut observer le panorama culturel camerounais qui permet de distinguer, et mieux, de mettre en exergue quelques grandes sphères culturelles ayant leurs originalités et spécificités propres. Certains de ces éléments culturels sont diversment mis en patrimoine par les pouvoirs publics, des élites, des groupes ethniques, des communautés dont l‘objectif est d‘inscrire le passé dans le présent et d‘établir une liaison entre le présent et le futur.

3.2 LA PATRIMONIALISATION AU CAMEROUN

Il convient de relever, de prime abord, que la patrimonialisation s'opère au Camroun par le jeu de sélection au sein des éléments naturels, archéologiques, historiques et ethnologiques.

Sur le plan naturel, il y a d'un côté, des ensembles forestiers et savanicoles constitués en réserves, sanctuaires, zones cynégétiques, jardin botanique, parcs nationaux. De l'autre côté, l'on a des bois et arbres sacrés. Les éléments du premier groupe constituent la propriété de l'État du Cameroun alors que ceux du second appartiennent variablement à des familles, des ethnies ou des communautés.

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Quant à ce qui renvoie à l‘histoire, seuls certains lieux de mémoire relatifs au mythe d'installation appartiennent à des familles ou des groupes claniques. Ces sites bénéficient des soins que leur apportent ceux qui s'en rattachent. Il peut s'agir des sacrifices et des célébrations festives. On peut faire allusion à Ngok Lituba, grotte mythique et mémorielle dans le discours historique des Bassa au Cameroun. Il en est de même de kalakgissay chez les Virina de Wina, dans l'Extrême-Nord du Cameroun où se terminent les festivités du sacrifice du poulet, Ŋatta, adressé au père décédé. Cependant, des lieux de mémoire d'ordre national tels que des sites de grandes catastrophes à l‘instar du lac Nyos, lac Monoun dont les explosions ont fait des centaines de victimes humaines, sont aujourd‘hui patrimonilisés par l‘État pour les causes humanitaires. Dans le même ordre d'idée, les mémoires de certaines grandes figures et faits historiques sont cristallisées dans les monuments.

Dans le champ archéologique certains sites à l‘instar des buttes Sao et les sites DGB, bénéficient d‘attachement symboliques tant de l‘État que des groupes d‘individus. Il en est de même du domaine ethnologique dont certains éléments sont érigés en patrimoines dans les deux catégories.

Ce raisonnement de la macro-constitution du patrimoine est schématisé par un entonnoir dans lequel sont logés des éléments archéologiques, ethnologiques, historiques et naturel dont le filtrage donne le patrimoine (fig.3.2). Cette figure présente la constitution du patrimoine culturel qui n'est autre qu'un ensemble hétéroclite résultant du traitement d'éléments mentionnés dans l'entonnoir.

Mais que ce soit dans la catégorie du patrimoine géré par l'État ou dans celle relevant des familles, ethnies, communautés ou groupes associatifs, la patrimonialisation s‘est opérée suivant les époques ayant marqué l'histoire socioculturelle et politique du Cameroun. Ces dernières constituent des paliers sur lesquels repose l'échafaudage de l'analyse de ce qui se rapporte au patrimoine culturel dudit pays. Et selon cette analyse fondée sur un regard diachronique et synchronique, il se dégage aujourd'hui que la patrimonialisation qui a cours au Cameroun est sous-tendue par des patterns d‘origine endogène et exogène.

117 éléments éléments historiques ethnologiq et ues archéologi ques

éléments naturels

Filtre par lequel certains biens passent au stade d‘éléments patrimoniaux

Patrimoine culturel

Figure 3.2: Filtrage des éléments en patrimoine

3.2.1 Les modèles de patrimonialisation endogènes

Les patterns endogènes de mise en patrimoine d‘éléments culturels et naturels ont une configuration assez diversifiée au Cameroun. Ce sont des anciens procédés par lesquels les populations exprimaient les différentes façons de patrimonialiser certains éléments de leur vécu quotidien. La notion d‘ancien fait allusion à toute la période d‘avant les contacts avec les civilisations occidentales de la phase dominatrice. Il s‘agit des attitudes que les sociétés, les populations, les groupes d‘individus ou des familles avaient développées en vue de garantir la conservation et la transmission de leurs us et coutumes ainsi que des biens auxquels ils avaient des rapports particuliers. Ces éléments appartenaient à la double ambivalence comprenant le matériel et de l‘immatériel, d'une part; le culturel et le naturel, d'autre part.

Cependant, relevons tout de même que dans les pratiques, il y a enchevêtrement de ces formes. L‘immatériel s‘inscrit le plus souvent dans le matériel et ce dernier ne devient patrimonial que lorsqu‘il est investi d‘attachement symbolique, c'est-à-dire des attentions

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lui conférant un traitement préférentiel par rapport aux autres. Par ailleurs, au Cameroun, si l'on note une certaine démarcation entre le naturel et le culturel dans la catégorie patrimoniale construite suivant le prisme occidental, l‘imbrication est vivante dans le contexte des patrimoines construits par les sociétés traditionnelles. Les pratiques culturelles et cultuelles réalisées relevant de l‘endogène permettent très peu de différenciation entre le culturel et le naturel puisque la nature est fortement culturalisée par le canal des procédés de sacralisation, mystification, etc. C'est par exemple le cas avec les forêts et arbre sacrés.

Comme on pourrait s'y attendre, les éléments patrimoniaux de ces méthodes de patrimonialisation marquent une certaine démarcation avec ceux issus de patterns exogènes. L'exemple des terres des ancêtres, tel que développé ci-dessous, illustre fort bien le penchant patrimonial pour ce qui est pensé de naturel sous d'autres cieux. En effet, pour les sociétés africaines, en général, et camerounaises, en particulier, la terre constitue un élément patrimonial auquel elles accordent beaucoup d‘importance. Pour les sociétés camerounaises d'antan, protéger la terre des ancêtres était un devoir auquel personne ne pouvait déroger. Et avant l‘introduction de nouvelles habitudes qui ont éveillé les consciences sur la valeur vénale du domanial, les populations camerounaises ne vendaient guère leurs terres. Celles-ci étaient des biens patrimoniaux à léguer à sa descendance. Pour ce faire, elles pouvaient faire l‘objet de cession, mais pas de vente.

D'ailleurs, jusqu‘à nos jours, chez les populations rurales, les terres ne sont jamais définitivement vendues, elles sont toujours en cession temporaire. En effet, même si dans les langages courants les parties parlent de vente et d‘achat, dans les pratiques, il n‘en est pas question. Il est traditionnellement reconnu qu‘un membre de X génération d‘une famille dont une parcelle de terre avait été concédée à une autre famille moyennant une somme d‘argent, des ovins, caprins ou tout autre bien, peut redevenir propriétaire s‘il rembourse ce que son aïeul avait reçu en contrepartie. Chez les Virina par exemple, celui qui exploite une terre agricole acquise par cession paie une sorte de compensation annuelle pour l'usage qu'il en fait. Il s'agit du ruwat sinna3 payé en nature ou en argent à qui de droit.

3 Signifiant littéralement ventre du Champ ce paiement est une réparation de l'usure ou l'appauvrissement de la terre que provoque son exploitation.

119 En outre, la terre était un patrimoine communautaire qui ne devrait être vendu à aucun étranger. Elle doit être exploitée pour le seul but de satisfaire les besoins des membres de la société. Un membre pouvait l‘acquérir par cession, mais jamais par achat, acte très prohibé.

Chez les Giseyna et les Virina (groupes Massa) du Mayo-Danay par exemple, vendre la terre à un membre de la famille était considéré comme un acte incestueux, Yauna. Il était donc yauwi (incestueux) de faire acheter une portion de sa terre par une personne avec laquelle on avait un lien de parenté proche ou lointaine. Et comme il était non plus permis aux étrangers d‘en avoir la propriété, le constat que l‘on peut faire est celui d‘un conservatisme à vertu sociale du domaine foncier et donc, de la patrimonialisation. Cette dernière se réalisait selon des principes reconnus par les acteurs sociaux. L‘acquisition du titre foncier ou la mise en patrimoine de la terre se faisait par le défrichage. Il s‘agit d‘une appropriation foncière se matérialisant directement par ceux qui procèdent à l'anthropisation d'un milieu n‘ayant jamais appartenu ou n‘appartenant plus à personne4 ou indirectement comme bien légué par le travail d‘un aïeul.

Dans les monts Mandara, comme l‘a souligné HALLAIRE, (1991)5 les défrichages marquaient les procédés d'appropriation et donc, l'acte de patri/matrimonialisation. Mais cela ne se faisait pas de manière incontrôlée. Il y avait des formes d‘accords conclus entre les voisins. Au cas contraire, des crises foncières éclataient avec possibilité de mort d‘hommes et le groupe vainqueur spoliait le vaincu. Dans ce dernier cas, le vaincu est obligé d‘aller trouver asile ailleurs sur une zone d‘accueil vierge ou auprès d‘un autre groupe auquel il demeurera assujetti.

L'attachement à la terre est un fait transculturel observable dans toutes les sociétés traditionnelles du Cameroun. La lecture de l'histoire du Cameroun en rend d'ailleurs bien compte. L‘inaliénabilité de cet élément patrimonial a été l‘un des mobiles des résistances

4 Il peut avoir été défriché par une famille, un groupe ethnique qui a quitté les lieux depuis longtemps et dont les repères sont très brouillés, ce qui signifie que l‘espace, bien que portant des traces d‘anciennes présences, peut être considéré comme no mans land. 5 L‘auteure souligne que lorsque les principes sont acquis, les exploitants ont le loisir de mettre l‘environnement en valeur autant que leurs forces le leur permettront.

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autochtones aux conquêtes européennes et des empires musulmans. Aucun peuple ne pouvait accepter quitter la terre ancestrale. La perte de cette dernière était considérée comme une mort morale qui signifiait une perte d'identité socioculturelle.

Comme cas d‘exemple, l‘attachement à la terre s‘est traduit par les actes signés entre les chefs Duala et le consul allemand en 1884. Les chefs Duala avaient apostillé des clauses qui garantissaient leur propriété sur les lieux. L‘une des clauses stipulait que : « Les terrains cultivés par nous, et les emplacements sur lesquels se trouvent des villages doivent être la propriété des possesseurs actuels et de leurs descendants » (ABWA, 2006). La méconnaissance de celle clause par Théodore Seitz, gouverneur allemand au Cameroun, en 1910 provoqua le courroux des indigènes qui se virent dans l‘obligation de se soulever contre la décision de l‘autorité coloniale. En fait, il était question que les locaux quittent la terre de leurs ancêtres pour s‘établir à New Bell, New Akwa, New Deido qui étaient de nouveaux lotissements. ABWA (ibid.)6 renchérit en disant :

Pendant toute la période allemande, il y eut partout au Cameroun, une récurrence de conflits en rapport avec la construction du domaine national et la défense de la terre des ancêtres. Personne dans ce territoire devenu protectorat allemand n‘accepta d‘aliéner la terre de ses ancêtres aux nouveaux « maîtres » qui, dans le but de mettre en exécution le principe de l‘hinterland décidé par la conférence de Berlin, avaient engagé des campagnes de conquête du Cameroun par la force des armes. Le proverbe massa « θek gulok may hel kay masta niramdi7 » exprime d'ailleurs fort à propos l'attachement des populations à la terre ancestrale et l'inviolabilité du droit liée à cette dernière.

Au Nord du pays, les souvenirs des guerres entre les peuples anciennement établis dans la région et les immigrants-envahisseurs des empires musulmans du 15ème siècle et les peuls au 19ème sont restés gravés dans la mémoire. Nous pouvons citer le combat meurtrier qui opposa les Giziga et les Peuls à Maroua.

6 http:/www1.planeteafrique.com+remidac 7 Ce proverbe qui se traduit littéralement comme «Un coq ne chante pas sur le territoire d'un autre», signifie que l'on ne saurait gouverner en terre étrangère. Cette expression renchérit l'extrait de ABWA (2006) faisant savoir que l'on ne pouvait pas être fait chef sur la terre des ancêtres des autres.

121 La terre qui apparaissait une simple étendue naturelle pour les conquérants, était un élément culturel pour les autochtones. Pour ces derniers, il n‘est point de milieu environnemental non investi d‘un sens d‘attachement affectif, spirituel. La terre des ancêtres contient sur sa surface des lieux, arbres, bois sacrés. Ces lieux fixent les appartenances et excluent les non membres et par ricochet, se veulent de marqueurs de patrimonialisation tant sur la plan juridique que sur le plan de la symbolique affective.

Chez les Giseyna, Dimari est le lieu sacré où masta, puissance surnaturelle se manifestant parfois sous forme humaine (jeune fille) ou animale (chèvre), demeure virtuellement. C‘est un milieu spirituel et physique dont les valeurs sont transmises de génération en génération. Il témoigne de l‘antériorité du groupe Guiseyna sur les autres groupes qui peuplent aujourd‘hui Guisey8. Cette réalité de construction patrimoniale se vit aussi chez les Virina. Au sein de ces ensembles Massa, l'accès au poste de mul ma masta ou mul masta (prêtre de la terre), habitant toujours Dimari, n'est accordé à une personne à filiation patrilinéaire douteuse. Cela conforte l'idée selon laquelle le patrimoine fait prévaloir la propriété et exclut les non membres.

Par ailleurs, la création des bois sacrés était aussi une forme de patrimonialisation pour des fins particulières. Chez les Mundang et les Giziga par exemple, il fallait respecter la grandeur des chefs et leur importance sociale. Pour ce faire, leur inhumation a nécessité la création des cadres spécifiques dont la communauté est tenue de respecter. Ces cadres étaient parfois en rapport avec les mythes fondateurs.

Les chefs des communautés Mundang de Kaélé et Giziga de Moutourwa, étaient enterrés dans des bois sacrés (LEMBEZAT, 1950 : 52). Cette considération vis-à-vis des chefs n‘était pas différente de l‘appréciation occidentale du caveau royal ou des oppida à l'africaine. L'histoire rappelle que ce modèle de patrimonialisation s‘était aussi développé en Afrique de l‘Est où l‘Ouganda s‘est distingué par les tombes royales de Kasubi

8 Guisey est un terme polysémique qui désigne à la fois l‘étendue territoriale reconnue comme telle ; mais également l‘être surnaturel masta dont l‘appellation spécifique doit porter le nom de la terre qu‘elle commande en hottant le phonème ta. Comme exemple, nous avons mas Viri, mas Guisey qui peuvent être appelées, dans des langages soutenus, Guisey et Viri.

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(KAMUHANGIRE, 2008). En outre, ce procédé de création de bois sacrés réservés uniquement à l'enterrement des chefs est une mise en exergue de l'identité sociale du défunt, rappelant que la mort ne nivèle pas les catégories sociales. Elle permet également, à travers des traitements réservés aux morts, d'inscrire l'identité sociale ou culturelle qui est souvent un motif de construction patrimoniale.

D'autres éléments rattachés à la terre tels que l'eau, la forêt figurent au rang des biens patrimoniaux. Les eaux possèdent des esprits qui entretiennent de profondes relations avec les occupants des environs. C‘est le cas par exemple des Sawa avec le Wouri dans lequel ils communient avec les ancêtres et les génies de l‘eau. Pour ces peuples de l’eau, cette étendue naturelle constitue un patrimoine matériel et immatériel pour des ensembles ethniques qu'il convient de conserver et transmettre les valeurs invisibles aux jeunes générations.

Chez les peuples de la forêt, les populations affichent un attachement à la fois symbolique, identitaire et revalorisant à leur écosystème. Dans leur vie quotidienne, ces populations à l‘instar des pygmées, montrent qu‘elles ont des rapports particuliers à la forêt. Cette dernière remplit les fonctions matérielle et structurelle. Elle est le milieu où sont pratiqués la chasse, la cueillette, l‘agriculture et l‘élevage. C‘est un support à tout ce qui touche au spirituel, lieu des esprits, médiateur entre les vivants et les morts. En bref, la forêt nourrit, soigne, habille, abrite et est un environnement de déroulement de certains rites de passages. Sur ce, la forêt est pour ses habitants un patrimoine, un trésor à protéger et à transmettre de génération en génération. Cette valeur accordée à la forêt retrouve la pensée de BRINCKERHOFF (1994) dans A sense of Place, A sense of Time.

Dans le domaine purement immatériel, les patterns de patrimonialisation communautaires reposaient sur l‘organisation périodique des activités culturelles et cultuelles.

Le Labana (rite de passage initiatique) des Massa était une manière de transmettre les fondamentaux de la vie aux adolescents. C‘est un rite de passage réservé à la gente masculine. C‘était une institution de formation ayant une langue spécifique comme canal de communication et des règles de conduite visant à discipliner, dresser l‘esprit des jeunes aux principes sociaux dont ils se devront de respecter. De cette institution de formation

123 traditionnelle, les élèves (dagooni) en revenaient, après trois mois de formation dans une sorte de retraite, en ayant acquis une nouvelle langue dont seuls les anciens initiés (dopaïna) comprennent et parlent. La patrimonialisation de cette pratique résidait dans le fait qu‘elle constituait un devoir social et sa transmission se faisait d‘une génération à une autre. Ce type de pratique patrimoniale se trouve chez plusieurs groupes ethniques de langue tchadique, adamaoua et bantu qui peuplent le Cameroun.

Au niveau familial et dépendant de chaque groupe ethnique et clanique, certaines pratiques cultuelles et l'être humain font l‘objet de patrimonialisation. Ceci se passe dans les sociétés animistes.

Dans plusieurs ethnies du Cameroun, comme c‘en est aussi le cas dans bien d‘autres ethnies africaines, l‘être humain est le patrimoine familial voire sociétal. On procède à la patrimonialisation des crânes des ancêtres. Ils sont conservés dans un local approprié voué à cette fin9. On leur rend des cultes et chaque membre de la famille est tenu à respecter les principes. Mais c‘est une pratique agnatique.

Dans la Haute Bénoué, la préservation de la boîte crânienne à des fins cultuelles est une pratique largement répandue (DUMAS-CHAMPION, 1995). Chez les Dowayo, Gabin, Koma, Véré, Voko, des abords du Faro, Monts Alantika et leurs marges, on conserve tous les crânes. Ces derniers jouent le rôle de regalia chez les Bamiléké, Bata, Durou et Tchamba.

La patrimonialisation des morts passe par l‘exhumation du crâne, l‘acte princeps procédant à l'ancestralisation du défunt. Considéré comme sacra ou regalia, le crâne doit être conservé dans son entièreté. Comme l‘a relevé TARDITS (1981), chez les Bamoun, la boite crânienne des rois incarnent le pouvoir du pays. Ils jouent un rôle primordial dans l‘intronisation du tout nouveau chef, car celui-ci se soumet au rituel lui faisant tenir deux fois de suite le crâne de son prédécesseur. Dans les monts Mandara, des exemples de ces pratiques existent chez les Mada, les Mouyeng (RICHARD, 1977) où les parents défunts

9 Les locaux peuvent être des huttes, des urnes, des pots ou des aménagements particuliers à l‘intérieur des habitations.

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sont conservés sous la forme d‘urnes10. Chez les Medey de Mofu-Gudur, VINCENT (1991) souligne la décollation du crâne pour la conservation de l‘âme du défunt.

Au titre de la même catégorie patrimoniale, il implique également de parler de la patrimonialisation des regalia rituels dont disposent chaque famille, chaque chefferie (PERROIS et NOTUÉ, 1997). C‘est un ensemble hétéroclite d‘objets, supports matériels des croyances et pouvoirs auxquels les intéressés croient tenir leurs forces et les relations d‘avec l‘être suprême qu‘est Dieu, diversement nommé.

Dans les Grassfields par exemple, les masques et les statues ne servaient pas pour leurs valeurs artistiques. Ils étaient perçus comme l‘habitacle de certains esprits et utilisés à des fins cérémonielles à caractère rituel. On en trouvait des zoomorphes et anthropomorphes. Les masques de danse étaient le plus souvent en rapport avec les mythes. Chez les Nyun (TEY LEUNKEU, 2007), on reconnait aux statuettes l‘incarnation de la force vitale de l‘ancêtre et l‘assurance de la prospérité familiale. La plupart des chefferies disposaient des trésors d‘œuvres d‘art sculptural qui occupaient une place importante dans les valeurs spirituelles et prestigieuses des royaumes, sultanats et lamidats. Ils établissaient et rappelaient l‘histoire du pouvoir et contribuaient à sa pérennisation.

Pensées comme regalia, ces trésors garantissaient la transmission matérielle du pouvoir des dignitaires à leurs successeurs et, par cette voie, la continuité de la chefferie grâce au sceau du secret et de l‘invisibilité dont ils sont frappés. Les objets acquis par le nouveau lui procurent la puissance des ancêtres (NYST, 1998, 1996). Ils éveillent aussi la mémoire. Ces trésors étaient sous la responsabilité de la cour royale, cheffale, sultanale ou lamidale. Ces regalia ne constituent pas la propriété privée du dignitaire, il n‘en est que « le détenteur ad interim, le temps de son règne » (NYST, 2006). Chez les Bafut, ils sont appelés : « choses du pays » (njoo ala’a)11, qui regroupent l‘ensemble des éléments, matériels et immatériels,

10 Mais pour ces groupes, il n‘est pas question de procéder à la conservation de tous les ancêtres. Les urnes ne doivent pas dépasser deux. Il y a élimination au fur et à mesure et ce sont celles des parents directs, au cas où ces derniers sont tous morts, qui sont entretenus. 11 Il y a aussi des objets appelés choses du palais (njoo ntoh).

125 naturels et culturels, symbolisant la souveraineté et l‘intégrité de l‘unité politique concernée (Ibid12, 2001).

Ce type de patrimonialisation endogène met en relief un caractère patrimonial semblable au début de la constitution des trésors, curiosités et antiquités dans les sociétés occidentales. C‘est dire que la patrimonialisation se vivait en Afrique précoloniale, mais sans modélisation comme c‘en fut le cas en Occident. Toutefois, dans le contexte des sociétés camerounaises d‘antan, la constitution de ces trésors se faisait, dans la plupart des cas, sur des fondements spirituels.

3.2.2 Les Patterns de patrimonialisation exogènes

L‘introduction de nouvelles visions de mise en patrimoine de ce qui relève du culturel ou du naturel s‘est faite au Cameroun suite aux contacts colonialisants que les locaux eurent avec les européens vers la fin du 19ème siècle. L‘année 1884 marque le début de l‘ère coloniale au Cameroun dont le glas sonnera le 1er janvier 1960. L‘histoire de la gestion patrimoniale selon le prisme européen remonte donc au début de la période de la mainmise coloniale.

3.2.2.1 Le début des modèles de patrimonialisation exogènes au Cameroun

De 1884 à 1916, le Cameroun est sous protectorat allemand. En effet, le 12 juillet 1884, les Allemands coiffent les anglais au plateau et signent le traité germano-douala avec les chefs Duala. Peu après, les Allemands procèdent à l‘étatisation de tout ce qui leur parait important pour les intérêts nationaux. L‘Allemagne engage des négociations avec les autres puissances européennes présentes dans les territoires voisins. En 1885, 1886, 1893, elle signe des conventions avec l‘Angleterre pour délimiter les frontières avec le Nigéria, à l‘Ouest. En 1885, 1894, 1908, des accords sont conclus avec la France pour fixer les limites

12 http://civilisations.revues.org/index243.html

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des parties Sud, Est et nord-est. Au final, le Kamerun est un territoire de 480.000 km²13, patrimoine territorial d‘outre-mer de l‘Allemagne.

Les raisons de l‘impérialisme d‘antan obligeant, il fallait parcourir le pays afin de dresser l‘inventaire de nouvelles conquêtes14. Ceci ne se fera pas sans abus des droits des locaux. Pendant 32 ans, les Allemands vont gérer le Cameroun de mains de maître avec la complicité de certains chefs locaux. Ils vont exproprier certains Camerounais de ce qui leur est patrimonial (la terre), au sens du patrimonium. La nouvelle politique domaniale fait changer le statut des terres des ancêtres qui deviennent domaine national. La notion de domaine privé de l‘État va naitre, supplantant ainsi les diverses formes de propriétés endogènes. Certains éléments culturels tels que des biens archéologiques deviennent la propriété du pouvoir central et l'on procédera, par le même coup, à la déterritorialisation desdits biens vers l'Allemagne. Nous faisons allusions aux pièces lithiques (haches polies) constituée par WENDT et entreposée au Musée de Lübeck, en République Fédérale d‘Allemagne dès 1907 (MARLIAC, 1981). Ces haches avaient été collectées à Bétougué, localité située dans l‘actuelle région de l‘Est du Cameroun.

À l‘issue des batailles de la 1ère Guerre Mondiale, la France et l‘Angleterre, vainqueurs de l‘Allemagne, prennent le contrôle du Cameroun dès 1916. La politique d‘exploitation domaniale ne changera pas. Les Français méconnaissent les clauses des textes ayant été l‘objet de discorde entre Allemands et Camerounais et rajoutent un nouveau procédé de patrimonialisation dans le Cameroun oriental dont ils ont la gestion. Il s'agit, dans les années 1930, de la création des aires protégées, une appropriation de ce auquel les locaux avaient des rapports intimes. Des réserves de chasses telles que celles de Waza, Kalamaloé, Dja, Douala, Edea, Santchou, Korup, Bénoué et Boubandjidah sont créées.

Mais la politique de mise en patrimoine de l'administration coloniale française s‘intéresse également aux éléments culturels des populations sous administration. Pour ce faire, la

13 Ce territoire s‘agrandira de 27.000 km², en 1911, suite à un accord conclu avec la France laissant mains libres à cette dernière au Maroc. 14 Les reconnaissances et conquête de l‘intérieur ont été faites par Kund, Morgen, Zintgraf, entre autres, dans la majeure partie méridionale et de l‘est au Nord par le Major Hans Dominick.

127 conception patrimoniale européenne du 19ème va être transposée au Cameroun. Il s‘agit de la constitution des musées, jugés comme réceptacles des cultures et lieux propices à la conservation de ce dont on voudrait pérenniser l‘existence.

Mais comme le firent les Allemands, les premières collections ont été envoyées en France afin d‘enrichir les collections dans les musées de la métropole politique de la puissance mandataire. Il est ainsi question d‘assez importantes quantités, si l‘on tient compte de l‘époque de leur constitution, d‘objets d‘origine camerounaise, avec ou sans indication des localités où ils ont été collectés.

Dans le Musée de l’Homme, à Paris, on pouvait noter la présence des vestiges de provenance camerounaise, portant parfois des codes, dans certains lots (MARLIAC, 1981). C‘est le cas par exemple du lot « Pièces Néolithiques A.E.F15 » où la collection de PERVES (1941) contenait plusieurs artefacts. Il s'agissait d'une hache polie (45.20.1), deux pierres percées (45.20.10) de Bétaré Oya (dans l‘actuelle Région de l‘Est Cameroun), des broyeurs provenant de Ngaoundéré16, un biface (39.101.10) et une hache polie (39.11.2) de Maroua, des éclats (45.20.2 à 45.20.4) sans provenance précise et ceux venant de la localité de Galim, un objet en silex de Dschang, une pierre taillée de Foumban et de haches polies (45.20.12) sans provenance.

Dans le lot portant la mention « Nord-Cameroun », SIEFFERMANN (1960) a une collection allant de 67.43.11 à 67.43.54 comprenant 43 haches « néolithiques », mais « cassées perpendiculairement à l‘axe long » (MARLIAC, 1981 : 73). Toutefois, 09 pièces de Fianga, localité tchadienne, sont malencontreusement mentionnées dans le lot « Nord- Cameroun ».

Par ailleurs, selon JAUZE (1944), une bonne collection de statuettes anthropomorphes provenant de la localité de Babimbi existait dans le Musée de l’Homme. MARLIAC (op.cit.) indique qu‘il s‘agit de pièces portant les codes 38.114.60, 38.114.14 et 38.114.15.

15 A.E.F est l‘abréviation de l‘Afrique Équatoriale Française 16 Ceux pièces lithiques sont, selon MARLIAC (1981 : 73), d‘usage actuel par les Mboum.

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Cette politique de déterritorialisation au-delà des frontières nationales a été aussi appliquée par certains administrateurs britanniques qui officiaient dans le British Cameroon. Des collections en provenance du Cameroon avaient été laissées dans le Musée Pitt-Rivers d‘Oxford et le British Museum de Londres par JEFFREYS (1951) alors que celle de MIGEOD avait été déposée au Musée Hornimans de Forest Hill (MARLIAC, 1981).

Mais dans les années 1950 une conscience pour une mise en patrimoine des biens culturels sur le territoire camerounais éclot. Cette nouvelle politique prend forme grâce aux initiatives de l'IFAN, déjà bien implanté en Afrique de l‘Ouest et qui avait créé l‘antenne du Cameroun en 1944. Dès 1948, cette dernière entame des démarches de mise sur pied des structures muséales. En 1953, les musées de Douala et de Maroua sont ouverts. On y a exposé des objets ethnographiques, préhistoriques qui provenaient des collections constitués, au début, par des administrateurs civils, militaires et des missionnaires et puis par des scientifiques.

On va procéder à la patrimonialisation des biens culturels dans le pays. De ces biens culturels, les artefacts archéologiques dont les Camerounais n'avaient pas bonne connaissance, comptaient parmi ceux qui avaient retenu l'attention des acteurs sociaux qui procédaient à la mise en patrimoine. Plusieurs collections d‘objets archéologiques occupaient des espaces dans des musées, des instituts de recherche et des services administratifs pour des raisons de mise en valeur, pour les unes, et d‘études, pour les autres (MARLIAC, 1981, 1991; MVENG, 1992).

Le musée qui comptait une quantité assez importante de vestiges archéologiques était celui de Douala (MESLÉ, 1956; MARLIAC, 1981 : 73), on y trouvait plusieurs artefacts archéologiques. La collection laissée par JAUZE (1944) renfermait une pièce en quartz de la localité de Yaoundé (région du Centre). Le don de Hangou se résumait en un percuteur en quartz provenant de Bétaré Oya (région de l‘Est) alors que celui de LEMBEZAT comprenait un poignard, un hachoir, un perçoir et une limande, collectés à Maroua. Une hache polie, une hache à biseau poli de Mayo Darlé (Région de l‘Adamaoua), une hache semi polie et de figurines anthropomorphes de Babimbi (région du Sud) constituent le don du révérend Père Carret. Des poids de filet, pipe, fusaïole, d‘objets en terre considérés comme monnaie (objets Sao) portaient l‘estampille de Vaillant. D‘autres artefacts dont les

129 collectionneurs ne sont pas indiqués y figurent. Il s‘agit des bracelets de bronze provenant du Haut Nyong (région du Centre), des chevillières en bronze de Batouri (région de l‘Est), d‘un couteau en fer du Mungo (région du Littoral), une armature de lance en fer, considérée comme monnaies de dot, de (région de l‘Extrême-Nord) et une molette en marbre dont la provenance n‘est pas indiquée.

Par ailleurs, d‘autres musées à taille réduite où des vestiges archéologiques ont été entreposés existaient dans certaines localités du pays. Il s‘agit des musées de Foumban, de Bamenda et du Centre Catholique Universitaire (CCU) de Yaoundé.

Dans cette catégorie muséale que nous considérons de musées secondaires, celui des Arts Nègre du CCU était le mieux loti en collections archéologiques. Les objets étaient de nature céramique et lithique. Parmi ces objets, la provenance de certains n‘était pas indiquée. Il s‘agissait précisément des tessons de poteries, de deux haches semi-polies et des pièces polies arrondies. Cependant, la plus grande proportion des artefacts archéologiques portaient des indications sur leur provenance. Il y avait un morceau de hache polie à biseau aplani marqué par le numéro 425. C‘est une pièce de Milon Assi, localité située à quelques encablures d‘Obala. Un biface, une hache à biseau poli et une hache cassée semi-polie portant respectivement les numéros 459, 460 et 461, provenaient de la localité de Minlaba. Quatre haches à biseau poli numérotées de 466 à 470 provenaient de Messog, non loin de Ngoulemakong. Un os à rayures rectangulaires et une poterie à décors étaient ramenés de Bibak Biti. Par ailleurs, des objets dont la caractéristique d‘artefact serait problématique (MARLIAC, ibid.) avaient été rapportés de Ngoro et de Mvolyé.

Les autres musées ne disposaient que d‘une infime quantité de vestiges archéologiques. Le Musée de Foumban ne contenait que des pierres dressées rapportées à travers les chefferies secondaires Bamoum. Dans le Musée de Bamenda, on y trouvait des haches et pierres taillées dont les provenances n‘étaient pas indiquées ; mais qui y auraient été constituées en collection par JEFFREYS (1951).

Outre ces musées où avaient été entreposés des éléments de la culture matérielle du passé camerounais, certains établissements religieux disposaient de collections d‘objets archéologiques. Il en est ainsi de la mission catholique de Kribi où le Révérend Père Carret

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avait constitué une collection et de la mission catholique de Lam qui disposait d‘un lot de petites haches à biseau poli dont l‘auteur était le révérend Père Bève.

Mais ces nouveaux procédés de conservation qui avaient contribué à la patrimonialisation de la richesse archéologique pour laquelle les camerounais n'avaient pas les mêmes considérations, était aussi une phase de dé-patrimonialisation des éléments patrimoniaux auxquels les locaux avaient des rapports symboliques. En fait, de nombreux objets rituels, et sacrés sont déterritorialisés, désacralisés, pour prendre place dans les musées.

Ces biens perdent alors la patrimonialité que leur vouaient les locaux qui sont subtilement ou ouvertement écartés de la gestion. Par ailleurs, l'on observe la même dé- patrimonialisation au travers de la création des aires protégées qui met les camerounais à distance des milieux naturels qu‘ils avaient déjà culturalisés par le canal du totémisme et de la sacralisation. Ces milieux désormais profanés, perdent leurs valeurs spirituelles.

Cependant, même si l‘on peut admettre que la dé-patrimonialisation des milieux naturels sacralisés et de certains biens culturels s‘était faite de manière inconscience, celle de certains patrimoines vivants aurait résulté d‘une volonté de déstabilisation de l‘ordre établi afin de soumettre les indigènes à la culture occidentale. En effet, sachant que le patrimoine est ce qui fait collectif (GLEVAREC et SAEZ, 2002), menacés par la contestation foncière des Duala, les Allemands décident d‘ankyloser et de subjuguer l‘âme d‘un peuple récalcitrant en mettant en branle l‘élément rassembleur qu‘est le Ngondo en 1912. Cette politique sera aussi appliquée par les français en 1924 à travers l'acte interdisant la pratique du Nguon. Un leader de mouvement socioculturel (Tokna Massana) de mise en valeur nous a laissé entendre que :

Le patrimoine culturel est un élément dont la valeur et le poids politique ont été reconnus depuis fort longtemps. De la période coloniale au premier régime postcolonial, la lecture verticale de la politique camerounaise, en général, permet de savoir que les institutions culturelles traditionnelles ont été les cibles des pouvoirs centraux. Ils savaient que ces institutions étaient de véritables centres de transmissions des us et coutumes des peuples autochtones et des foyers où se cultivaient et se faisaient acquérir l'attachement à la défense des valeurs locales et l'endurance qui était une sorte de prévention à toutes formes de difficultés que l'on serait appelé à surmonter. C'est pour cela qu'il fallait les réduire au néant afin de faire asseoir l'autorité gouvernementale. L'histoire nous apprend que des cultures vivantes et populaires avaient été interdites par les 131 colons et que le régime Ahidjo avait mis fin à certaines pratiques culturelles traditionnelles dans le Nord-Cameroun. Toutefois cette patrimonialisation dé-patrimonialisante va connaitre des réajustements progressifs à l‘ère postcoloniale.

3.2.2.2 Le schéma postcolonial de la politique patrimoniale

La présentation du schéma postcolonial de la politique culturelle du Cameroun a pour but de montrer comment les considérations patrimoniales ont évolué dans le pays. Il s'agit de tous les actes d'envergure nationale pris par l'État dans l'optique de normaliser et de réglementer la gestion du patrimoine culturel après l'accession du pays à l‘autonomie politique internationale qu‘on a appelée indépendance.

Comme leurs pairs Africains du réveil postcolonial, les autorités camerounaises vont, dès le début des années 1960, revoir la politique culturelle et patrimoniale. Pour ce faire, il fallait se doter d‘un outil réglementaire orientant la manœuvre.

Le 31 mars 1962, le décret no 62/DF/ 108 de politique culturelle du Cameroun postcolonial est signé. Il met en place le «Centre Linguistique et Culturel» dont la tâche était de procéder au recensement, à la conservation et la diffusion des cultures camerounaises. Il s‘agissait du début d‘une nouvelle ère de patrimonialisation commençant par l‘inventaire, procédé d'origine exogène, qui devrait permettre d‘évaluer les dimensions de la richesse culturelle du pays et de décider des mesures à prendre pour sa conservation tout en la faisant connaitre aux publics interne et externe.

Cette vision sera marquée du sceau de l‘adhésion nationale à travers le premier acte législatif. Il s‘agissait de la Loi fédérale no63-22 du 19 juin 1963 organisant la protection des monuments, objets et sites, de caractère historique ou artistique. L‘article 24 de cette loi définissait ce que l‘État entendait par «biens» alors que l‘article 26 s‘attardait sur le régime de propriété. Quant à l‘étendue de la protection, les modalités de classement sont soulignées dans les articles 24 et 25. Les articles 27 à 33 se résolvaient à mettre en exergue les droits et obligations du propriétaire, détenteur, et de l‘administration. La réglementation de l‘exportation était assurée par l‘article 30 et les articles 34 et 35 déterminaient les types

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de sanctions à infliger aux contrevenants. Pour ce qui est des autorités et organismes chargés de la protection ont leur avait consacré les articles 1er à 5.

La politique ira crescendo, en s'inspirant de la politique culturelle de l'ancienne puissance coloniale. Le 5 août 1965, le décret no 65/DF/350 porte création du tout premier service de développement culturel au sein du Ministère de l‘Éducation Nationale. L‘importance du patrimoine culturel se décline davantage et le gouvernement manifeste sa sensibilité à travers un texte réglementaire : le décret no 68/DF/268 du 28 août 1968, restructurant le Ministère de la Jeunesse et des Sport (NDOBO, 1999 ; BAHOKEN et ATANGANA, 1975). Le Département culturel se voit transformer en Direction des Affaires culturelles dont la protection et l‘animation culturelles font parties des principales tâches.

Pour assurer une couverture internationale à son patrimoine culturel, le Cameroun ratifie, le 24 mai 1972, la Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l‘importation, l‘exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels (Paris, 1970). Cette décision se situait dans un contexte où les vols des biens culturels étaient récurrents dans les musées et sur les sites à travers le monde, en général, mais dans les pays du Sud, en particulier.

La même année, 28 août 1972, le décret no 72/425 rattache la Direction des affaires culturelles au Ministère de l‘Information et de la Culture. Il revient désormais à cette direction d‘appliquer la politique gouvernementale dans les domaines culturel et patrimonial (BAHOKEN et ATANGANA, 1975). Selon l‘article 36 de ce décret, le patrimoine culturel renferme les collections publiques et privées, les monuments, les musées, les sites, les vestiges, les objets à caractère artistique ou historique, les fouilles et chantiers archéologiques et préhistoriques.

Ce qui se dégage à ce stade de la lecture diachronique de la politique patrimoniale camerounaise c‘est que cette dernière, malgré le fait d‘avoir adopté de nouveaux textes réglementaires, reste embrigadée dans les carcans de la conception occidentale du patrimoine. Le naturel n‘est pas souligné comme faisant partie du patrimoine alors que le culturel des sociétés camerounaises, comme toutes les sociétés d‘Afrique subsaharienne, intègre bien la nature. Cette influence de la culture patrimoniale occidentale va se faire

133 davantage envahissante lors des actes de concrétisation et de consolidation de l‘idéologie unitaire en œuvre au Cameroun.

À partir de 1977, suite aux mutations sociopolitiques survenues en 1972 au travers de la réunification des deux parties du Cameroun, les pouvoirs publics entendent consolider les acquis. Pour rassembler davantage les citoyens camerounais, il faut créer le Musée National. Le pays fait appel à l‘expertise de l‘UNESCO pour l‘élaboration du projet. Celle- ci répond favorablement en déléguant Réné Rivard dont le rapport se résume en la proposition d‘« un musée écologique qui aura une vocation nationale, un Musée de l‘Homme et de la Nature, Musée du temps, musée de l‘Espace, Conservatoire, Laboratoire, école », (NDOBO 1999 : 795). Ce projet va lamentablement échouer et les raisons de cet échec demeurent une énigme. Mais la nécessité de la mise sur pied d‘une institution muséale de gestion du patrimoine culturel reste fort préoccupante.

En 1988, le Président de la République met l‘ancien palais présidentiel à la disposition du Ministère de l‘Information et de la Culture pour qu‘on en fasse le Musée National. Cette intervention de l‘autorité suprême du Cameroun faisait suite au colloque sur l‘identité culturelle organisé en 1985 (LOUMPET, 2003). Pour conduire à bien l‘étude de ce projet, Barry Lane, architecte et expert UNESCO est convié à faire profiter le Cameroun de son savoir et savoir-faire en termes d‘aménagement et d‘architecture. Mais cette politique ne prendra pas corps avant les 1990 qui marquent le grand tournant de la politique patrimoniale au Cameroun.

En 1991, le gouvernement publie le projet du Musée National. On convoque les États Généraux du patrimoine et une nouvelle législation, loi n° 91 / 008 du 30 juillet 1991 portant protection du patrimoine culturel et naturel du Cameroun, est votée. Le projet du Musée National qui est en étude sera confié au Ministère de la Culture à sa création en 1992 (aujourd‘hui Ministère des Arts et de la Culture17, appellation qui donne une idée plus

17 Voir www.atangana-etememeran.com/spip.ph?article23836 où l‘auteur ATANGANA ETEME, administrateur civil principal, conseiller technique no 1 au ministère de du Développement Urbain et de l‘Habitat et enseignant à l‘École Nation d‘Administration et de Magistrature (ENAM) du Cameroun à bien voulu mettre à la disposition du grand public le décret no 2012/381 du 14 septembre 2012 portant organization du ministère des arts et de la culture du Cameroun.

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large de ce qui est L‘État du Cameroun entend comme conception de politique culturelle). Ce dernier comprend une Direction du Patrimoine culturel18, service central en charge de la protection et de la mise en valeur des biens patrimoniaux. Cette administration se déploie sur le terrain à travers les délégations régionales des arts et de la culture, services déconcentrés ayant pour mission l‘application de la politique culturelle nationale au niveau régional. Par ailleurs, avec le réajustement de la contitution de 1972 intervenu en 1996, il y a eu création de deux catégories de collectivités territoriales décentralisées dont les régions et les communes. Les articles 55 et 56 font état de ce que l‘État transfert aux régions les compétences pour le développement éducatif et culturel. En remonmtant un peu plus loin dans cette logique, l‘article 24 de la 2004/019 du 22 juillet 2004 fixant régime applicable aubx régions indique que ces dernières doivent promouvoir le développement des activités culturelles et participer à la surveillance et au suivi de l‘état de conservation des sites et des monuments historiques ainsi qu‘à la découverte des vestiges préhistoriques.

Pour ce qui est de la responsabilté de l‘autre catégorie de collectivité territoriale décentralisée, l‘article 11 de la même loi fixe le régime applicable aux communes du Cameroun. Ansi, les communautés urbaines ont la pleine charge de la création et de la gestion de centres culturels d‘intérêt coommunautaire. Quant aux autres communes, elles assurer le développement de la mise en valeur des sites touristiques communaux (artilcle 9) et l‘organisation des journées culturelles, manifestations culturelles traditionnelles et concours culturels et artistiques (article 17).

C‘est une grande mutation politique qui s‘opère au Cameroun. Des nouvelles formes de patrimonialisation voient le jour. Avec la restauration de la démocratie, la liberté

18 Elle comprend trois sous-directions dont celles du patrimoine culturell matériel (structurée en services du patrimoine culturel immobilier, des musées et de l‘archéologie), patrimoine culturel immatériel (composée d‘un service du patrimoine culturel vivant et anthropologique et celui des figures historiques et des fêtes commémoratvies) et de la diversité culturelle (renfermant le service des langues maternelles et nationales et celui des expressions et valeurs culturelles). Toutefois, il faut noter qu‘en plus de cette administration dénommée direction du patrimoine culturel, les autres directions dudit ministères œuvrent également pour la construction, la protection et la mise en valeur du patrimoine culturel du Cameroun ; dans son sens le plus large. Il s‘agit ainsi de la direction du dévelippement et de la promotion des arts, la direction des archives et des ducments administratifs, la direction du livre et de la lecture, la direction de la cinématographie et des productions audiovisuelles, la direction des spectacles et des industries créatives et la direction des affaires générales.

135 d‘expression et d‘association devient un droit et se pratique dans un code de conduite assez ouvert. Longtemps astreintes au silence et au regard passif, les populations camerounaises vont se déployer de plus en plus dans la défense de leurs droits naturellement inaliénables. Des groupes associatifs à caractère culturel vont se constituer et prendre à cœur la re- patrimonialisation des valeurs culturelles dont ils avaient été longtemps dépouillés.

Cet engouement est favorisé par les cadres législatifs sur les associations (loi n°90/053 du 19 décembre 1990), sur les sociétés coopératives et les groupes d'initiative commune (loi n° 92/006 du 14 août 1992 et décret n° 92/455/PM du 23 novembre 1992. L‘État, bien que gardant sa prééminence sur l‘ensemble du patrimoine, procède à une implication des populations dans la nouvelle patrimonialisation. On passe de la patrimonialisation strictement étatique à une patrimonialisation communautaire.

Cette nouvelle politique à pour objectif d‘améliorer le niveau de vie de tous les acteurs sociaux sans exception à travers la mise en valeur et la conservation du patrimoine culturel auquel ils sont symboliquement attachés et dont ils sont parfois tributaires. La patrimonialisation communautaire accroit donc le degré d‘implication des communautés locales dans la mise en patrimoine et l‘exploitation des ressources culturelles. Elle est effective à travers la création des forêts communautaires dans lesquelles ERDMAN (2003) lit des potentiels contributifs à la conservation, mais également l‘amélioration du niveau de vie des populations locales. Cette patrimonialisation se veut tenir compte des aspects socio- humains des ressources culturelles produites par les différents groupes sociaux et des tiers sur lesquels l‘État a des droits régaliens.

Dans la catégorie de la conventionalité culturelle occidentale, la patrimonialisation communautaire se vit par exemple à travers l‘organisation du Festival National des Arts et de la Culture (FENAC) pendant lequel les producteurs des biens culturels sont eux-mêmes mis en valeur par l‘État qui joue le promoteur, c‘est-à-dire le le metteur en scène national. C‘est un cadre performatif dont l‘objectif est de faire connaitre les ressources culturelles et patrimoniales du Cameroun tant à l‘intérieur qu‘à l‘extérieur. Pour atteindre cet objectif, l‘État se fait présent, à travers des délégués, aux rencontres culturelles internationales telles

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que le Centre International de la Civilisation Bantou (CICIBA), le Marché des Arts et du Spectacle Africain (MASA)19.

Sur le plan institutionnel, la nouvelle politique patrimoniale camerounaise présente une gamme d‘institutions publiques et privées. Dans le cadre du patrimoine géré par l'État, nous retenons de prime abord le Musée National, les Archives Nationales. S'y ajoute le Centre Culturel Camerounais où se trouve l‘Ensemble National des arts du spectacle. Il est conçu pour abriter les manifestations culturelles et artistiques. En outre, la politique de décentralisation de la gestion du patrimoine culturel a conduit à la reconnaissance et la création des « Maisons de Culture » et de « Village Artisanal ». C'est une politique qui vise à doter les dix régions du Cameroun en structures devant accueillir des animations performatives, assurer la formation, la promotion et la diffusion des ressources culturelles.

Pour parvenir à ces fins, plusieurs programmes à visée culturelle et patrimoniale sont élaborés au sein du Ministère des Arts et de la culture du Cameroun même si leur déploiement n'est pas totalement effectif. Il s‘agit, entre autres, de :

►Plan National d‘Elaboration de la Réglementation du Secteur de la Culture (PNARSEC);

►Plan National de Financement du Secteur de la Culture (PNFISEC);

►Plan Nation de Développement des Arts Plastiques (PNDAP);

►Plan National de Développement de la Danse (PNDDA);

►Plan National de Développement des Instituts de Formation du secteur Culturel (PNDIFORC);

►Plan National de Développement de la Musique et Arts Connexes (PNDMAC);

►Plan National de Soutien aux Festivals et Evénements Culturels (PNSFEC).

Par ailleurs, on note une nouvelle volonté gouvernementale à donner une importance à ce qui touche le culturel. Cette volonté s'exprime par la création des cursus académiques

19 http://www.camerfeeling.net/dossiers/dossier.php?val=2480

137 destinés à la formation des cadres et des professionnels dans le domaine du patrimoine culturel. On peut citer le Département des Arts et d‘Archéologie de l‘Université de Yaoundé I, le Département des Beaux Arts et Sciences du Patrimoine de l'Institut Supérieur de Maroua, les instituts des Beaux Arts de Foumban et de Nkongsamba. Le fait que ces établissements soient rattachés à l'enseignement supérieur avec des formations allant jusqu'au troisième cycle universitaire, fait nourrir l'espoir de régler le déficit en personnels qualifiés en matière de ce qui touche le patrimoine.

En outre, au régard des dimensions que recouvre de nos jours le patrimoine culturel, le Cameroun se veut être au diapason de nouvelles considérations patrimoniales qui se développent à travers le monde. Pour ce faire, il fallait redéfinir la cadre législatif régissant la politique patrimoniale. Une nouvelle loi patrimoniale a été rendue publique en 2013. Il s‘agit de la Loi n°2013/003 du 18 avril 2013 régissant le patrimoine culturel au Cameroun (appendice 2). Cette loi laisse savoir les nouvelles considérations patrimoinales du gouvernement camerounais. C‘est une loi qui dresse un éventail de biens culturels subceptibles de patrimonialisation dont mention est faite à l‘article 3. L‘alinéa 4 de cet article donne une liste de nature de biens meubles ou immeubles. Des biens comme la monnaie, vignettes, timbres, éléments vestimentaires militaires, armes, entre autres, dont la précédente loi ne faisait pas mention peuvent désormais être classés éléments patrimoniaux, à mesure qu‘ils aient au moins 50 ans d‘âge. Le même alinéa de cet article laisse apparaître l‘un des points fort de cette nouvelle loi. Il s‘agit de la possibilité de reconnaissance des forêts sacrés comme biens patrimoniaux du Cameroun. Dans la même lancée, les évènements liés aux croyances, notamment les rites, rituels et initiations y compris les objets, vêtements et lieux associés sont vus comme éléments culturels pouvant bénéficier de la reconnaissance patrimoniale du Cameroun.

Cependant, la protection du patrimoine culturel du Cameroun est aussi inscrit dans la feuille de route d‘autres administrations. C‘est le cas par exemple de la loi no 94/01 du 20 janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche qui stipule en son 12 alinéa 1 que «les ressources génétiques du patrimoine national appartiennent à l‘État du Cameroun. Nul ne peut les exploiter à des fin scientifiques, commerciales ou culturelles sans en avoir botenu l‘autorisation. C‘est le cas également de la loi no 96/12 du 05 janvier

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1996 portant loi cadre à la gestion de l‘environnement. L‘alinéa 1 de l‘article 2 de cette loi souligne que « L‘environnement constitue en République du Cameroun un patrimoine commun de la nation. Il est une partie intégrante du patrimoine universel ». À l‘alinéa 2 du même article, on peut lire ce qui suit « Sa protection et la gestion des ressources qu‘il offre à la vie humaine sont d‘intérêt general. Celles-ci visent en particuliers la geosphere, l‘hydrosphère, l‘atmosphère, leur contenu materiel et immatériel, ainsi que les sociaux et culturels qu‘ils comprennent ». L‘article 39 de cette même loi est plus explicite lorsque ses alinéas 1 et 2 disent respectivement que « La protection, la conservation et la valorisation du patrimoine culturel et architectural sont d‘intérêt national»; « Elles sont parties intégrantes de la politique nationale de protecrtion et de mise en valeur de l‘environnement».

C‘est, en partie, grâce à cette loi régissant la gestion de l‘environnement que beaucoup de travaux d‘archéologie preventive et de sauvetage ont été réalisés au Cameroun. Ce type d‘archéologie qui a commencé au Cameroun à la fin des annés 1990, a non sulement enrichi l‘historiograpghie de l‘archéologie dans ledit pays; mais aussi permis la sauvegarde et la conservation d‘un important mobilier archéologiques.

Dans le domaine du patrimoine ne portant pas le sceau de l'État, des nouvelles méthodes de patrimonialisation ont été introduites dans les habitudes ancestrales. L‘implication des élites politique et intellectuelle dans les manifestations traditionnelles donne une autre orientation à la patrimonialisation. Dans le cadre des patrimoines vivants (fig.3.3), cette dernière est rendue plus mobilisatrice, du fait des enjeux qu‘on y met. On peut citer, entre autres, les festivals Giziga, Kanuri (biennale des arts et de la culture Kanuri), Kotoko (festival des arts Sao et Kotoko), Mousey (festival des arts et culture Mousey) peulh (Festival international des arts et traditions peulhs).

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Figure 3.3: festivals au Cameroun.1-ngondo, 2-Nguon, 3-Féo kagué, 4-Peulh

L‘élément route des chefferies du Cameroun dont le grand projet est le Musée des civilisations de Dschang20, les cases patrimoniales de Bagam, Bandjoun, Baham, Bangoua, Bamendjou, Bamenda, Foumban, les coopératives artisanales, sont autant de nouveaux procédés de patrimonialisation introduits au sein des mécanismes et méthodes qui caractérisaient les pratiques traditionnelles de mise en patrimoine. Il s'agit là d'un boom de muséification d'origine exogène qui intègre les pratiques endogènes. Cette nouvelle

20 Le musée de Dschang qui a officiellement ouvert ses portes en novembre 2010 et cette réalisation est le fruit d‘une coopération entre les municipalités de Nantes et de Dschang et nombre de chefferies traditionnelles. C‘est un projet de grande envergure en matière de gestion, protection, sauvegarde et mise en valeur du patrimoine culturel centré sur les grasslands, quoi que le discours administratif veuille le faire passer pour un projet initié pour l‘ensemble des trésors des chefferies et des collections des particuliers qui souffriraient de menaces de perte de valeurs.

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politique prend de plus en plus corps au sein des sociétés traditionnelles. La plupart de grandes chefferies traditionnelles s‘investissent davantage dans la mise en patrimoine des architectures palatales de type vernaculaires et constituent des fonds muséaux même si des structures adéquates font amèrement défaut. Nous en voulons pour preuve les chefferies de la région des Grassfields et certains sultanats et chefferies du Nord-Cameroun qui possèdent des collections et des musées21.

Cependant, il faut noter que l‘explosion des pratiques muséographiques, dans le secteur de la patrimonialisation traditionnelle, s‘est davantage étendue grâce aux appuis techniques et financiers apportés par des organismes et institutions étrangers. Les actions de ces derniers sont assez expressives au Cameroun. Elles sont ménées au sein des groupes associatifs et de projets de mise en patrimoine géoculturelle locale de grande envergure.

C'est le cas par exemple de la case obus ou tseuleuk qui a été reconstruite par l'appui de Patrimoine Sans Frontière. C'est une forme architecturale qui attira la curiosité de nombreux voyageurs au cours du 19ème siècle, mais qui disparut dans les années 1950 suite à des influences de nature diverse.

Toutefois, la mémoire collective des Musgum la présente comme l‘un des symboles de leur identité. Enjeux patrimoniaux aidant, l‘Association des élites Musgum de Maroua (Assedem) prit la résolution de sauvegarder ce pan de leur patrimoine commun. En 1990, un architecte Franco-camerounais se vit confier la charge de trouver un partenaire pouvant donner du sien pour la reconstruction/conservation du Tseuleuk. C‘est ainsi qu‘en 1996, selon un accord conclu, Patrimoine sans frontière débute, sur un site mis à disposition par la chefferie de Pouss, à Mourla, un projet de chantier-école pour six mois. Des personnes ayant la maîtrise de l‘art de Bâtir Musgum contribuèrent à la réalisation du projet. Un ensemble de cinq cases présentant les styles monumental et décoratif a été constitué (fig. 3.4). Il a été inauguré en 1997 avec pour corollaire une ouverture au tourisme pour que le site puisse contribuer au développement économique de la localité.

21 Nous en voulons exemples les chefferies de Bafoussam, Bafut, Bandjoun, Djohong, les sultanats de Goulfey, Logone-Birni, entre autres, où des architectures vernaculaires et des collections d'objets sont mises en patrimoine.

141 En 2000, l‘attachement au patrimoine culturel commun prend de l‘envergure. L‘Association Culturelle Musgum organise son premier festival. Cette prise de conscience va amener les élites Musgum à manifester la volonté de voir leur patrimoine historique et culturel consigné dans un ouvrage dont les générations à venir pourront s‘en inspirer. En outre, l‘ouvrage permettrait à la communauté internationale de connaitre l‘existence et la richesse patrimoniale des Musgum.

Aujourd‘hui, les Musgum essaient de plus en plus de valoriser leur architecture. On en trouve des spécimens à l‘Hôtel le Sahel, au Complexe Artisanal, à Maroua. Par ailleurs, le chef du canton de Pouss est en train de donner forme à un campement (cases de passage). Ce site est situé à moins de 400 m au sud-est de l‘actuelle destination touristique de Mourla.

© DATOUANG DJOUSSOU (2010)

Figure 3.4: L’une des cinq cases construites avec l’appui de PSF

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Les musées de Baham, Bandjoun, Babungo, Mankon dont les activités ont débuté en 2003 est un autre cas d'exemple. Ils doivent leur réalisation à l‘ONG italienne dénommée Centro Orientamente Educativo (COE)22. Cela s‘est effectué à travers le projet Formation, tutelle du patrimoine artistique, culturel et développement au Cameroun23. Ces musées œuvrent aujourd‘hui pour la valorisation des ressources culturelles et la conscientisation envers les valeurs identitaires dans un effort de respect de la pluralité culturelle locale. Ayant son siège en Barzio, le COE qui existe au Cameroun depuis 1970, a mis sur pied, dans la ville de Mbalmayo, l‘Institut de Formation Artistique (IFA), le tout premier établissement, au Cameroun, orienté vers l‘art.

Par ailleurs, dans le paysage patrimonial camerounais, il y a une catégorie de patrimonialisation qui s‘est développée, et continue de l‘être, sous les auspices des corporations religieuses et la volonté des particuliers. C‘est une patrimonialisation élitaire assez structurée dénotant d‘esprit de mise sur pied de galeries et de musées à l‘occidentale. Ce type de structure ne se développe que dans les métropoles camerounaises telles Douala et Yaoundé. Parmi ces lieux d‘exposition, nous pouvons citer le Monastère Bénédictin de Yaoundé disposant de la structure muséale la mieux aménagée du pays. Fonctionnelle depuis 1970, elle recèle de pièces d‘époques anciennes et actuelles.

Au regard de ce qui est dit au sujet de la patrimonialisation et des procédés conduisant la manœuvre, l'on est en droit de se poser la question de savoir ce que serait le langage patrimonial au Cameroun. Cette interrogation est une volonté de saisir la sémantique patrimoniale qui permettrait de mettre en évidence ce que véhicule l'usage de la notion de patrimoine, d'une part, et voir s'il n'existerait pas des termes patrimoniaux issus des communautés locales, d'autre part. En bref, il s‘agit de répondre à la question relative à ce à quoi renvoie la notion de patrimoine qui très à la mode dans les discours culturels performés au Cameroun par les acteurs actifs du patrimoine culturel.

22 Le COE ne s‘intéresse pas qu‘à la culture, il se déploie également dans les domaines de développement de l‘éducation, de l‘agriculture et de la santé. 23 http://www.museumcam.org/.

143 3.3 DE LA RHETORIQUE PATRIMONIALE AU CAMEROUN

Patrimoine et patrimonialisation, deux notions de politique culturelle de la modernité occidentale, ont gagné du terrain à travers le monde entier. Il n'est plus d'États où l'usage de ces notions par des acteurs sociaux de quelque sphère sociale que ce soit ne se rencontre pas, même si les connotations qui s'en dégagent expriment parfois des réalités différentes. Cet usage presque tous azimuts les positionne au statut de vocables à la mode dont les désirs sociétaux en font presqu'une passion. Cette dernière tient du fait que le patrimoine culturel est de plus en plus pensé comme un canal par lequel l'affirmation de soi est on ne peut plus possible. Cela induit à une frénésie patrimoniale poussant à l'accolement de l'étiquette patrimoine culturel à tout artefact qu'on voudrait voir acquérir un certain coefficient de considération tant sur le plan familial, ethnique, régionale, national qu'international. Pays, groupes associatifs, familles et tiers sont plus que jamais déterminés à constituer un patrimoine culturel même si ce dernier pourrait se prêter à des questionnements tant à l'interne qu'à l'externe.

Le Cameroun, État-nation et personne morale, n'est pas en reste. Certains des éléments culturels et naturels qu'il regorge ont été affectés de charges symboliques et affectives les hissant au rang de biens patrimoniaux dont la sauvegarde est un devoir national. C'est un patrimoine culturel dressé par l'État qui parle au nom de tous les groupes ethniques qui peuplent le Cameroun.

Mais cette politique d'uniformisation des biens culturels par les pouvoirs publics n'éteint pas les lampions sur la diversité patrimoniale exprimant la multiethnicité et le multiculturalisme correspondants. Cette diversité d‘expression culturelle et patrimoniale va du local au national en passant par le régional. C‘est une réalité relative à la complexité humaine et environnementale du Cameroun bien que le métissage culturel gagne de plus en plus du terrain.

En effet, une cohabitation de personnes d‘origine diverse présuppose un ensemble de cultures, de savoir-faire et de croyances qui sont en interaction. De cette interaction nait souvent un métissage culturel fils de son temps et de son environnement. Mais tout métissage culturel ne se construit qu'à travers la conjonction de deux ou plusieurs éléments

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culturels d'origine diverse. Ceci étant, suivant leur échelle étatique, régionale, ethnique, voire socio-confessionnelle, les différents patrimoines présents au Cameroun n'ont pas forcement les mêmes codifications tant sur le plan du lexique que sur celui de la forme.

Abordée sous cet angle, la lecture holiste du contexte patrimonial camerounais nous a permis de catégoriser les codifications patrimoniales en des ensembles qui interagissent. Grosso modo, nous avons subdivisé le patrimoine camerounais en deux, division fondée sur le degré d‘autorité en rapport avec les considérations nationales. En nous inspirant du point de vue de SMTIH (2006)24, nous pouvons parler d‘un patrimoine dominant sous-tendu par un discours dominant tenu par ceux qui entretiennent la pensée de pouvoir/savoir subsumant par le fait le savoir de la masse populaire, et d‘un patrimoine dominé maintenu par ceux qui s‘attachent à leur identité ou impulsé par des leaders inspirés par des mobiles divers.

3.3.1 Le patrimoine dominant

Il est dit dominant parce que c‘est celui qui est construit par les autorités mandatées à parler, avec un certain pouvoir, du patrimoine culturel du pays. Il a l‘onction du gouvernement, des communautés territoriales décentralisées et des scientifiques dont les discours s'imposent au reste de la communauté nationale pensée comme profane. Ces discours lui confèrent une prééminence sur les autres expressions patrimoniales pour lesquelles ils ont moins de considérations.

Le patrimoine dominant est une catégorie patrimoniale à travers laquelle l'on entend présenter l‘image culturelle à charge symbolique du pays en la matière. Cette catégorie patrimoniale traduit, en filigrane, les enjeux patrimoniaux défendus au concert des rendez- vous culturels de donner et de recevoir, l‘un des enjeux de la mondialisation. Vu cette importance qu'on lui accorde, des efforts bureaucratique et professionnel sont déployés pour que l'ensemble national ait la sensibilité de l'intégrer comme la physionomie culturelle qui le représente. Et, assimilé comme telle, ladite catégorie prend une dimension symbolique préférentielle imposée lui conférant une dominance sur les autres éléments

24 L‘auteure parle de Authorised Heritage et de Subaltern Culture.

145 culturels auxquels les acteurs ont des rapports intimes. Cette dominance, bien que faisant parfois l'objet de contestation implicite, se maintient grâce aux forces imprimées par la reconnaissance nationale dont l'administration publique en charge de la politique culturelle se fait la voix consensuelle. Celle-ci est une suprématie régulatrice astreignant les acteurs sociaux à placer, malgré leurs convictions, ce que nous appelons patrimoine dominant au- dessus de toutes autres catégories patrimoniales.

C'est dire que le patrimoine dominant se caractérise par la position qu'il occupe par rapport à toutes les autres constructions patrimoniales. Il est la primauté de tous les efforts nationaux de protection et de mise en valeur demandant une participation active ou passive de l'État et les institutions auxiliaires. Des textes réglementaires lui sont consacrés et le défendent, théoriquement, contre toutes formes de menaces susceptibles de porter atteinte à son intégrité. Ce patrimoine peut être, dans une certaine mesure, considéré comme le méta- patrimoine camerounais, au regard du poids qui lui est accordé par les pouvoirs scientifique, administratif et politique. Ce méta-patrimoine se dessine matériellement comme celui de la modernité occidentale auquel allusion est faite au chapitre 2. Le discours le construisant tend à se positionner dans le champ de la postmodernité patrimoniale s'entendant sortir des stéréotypes patrimoniaux. On essaie d‘arrimer ce patrimoine à la nouvelle donne patrimoniale dont l‘Occident est la locomotive principale, trainant le reste du monde aux différentes gares d‘embarquement culturel.

Le mécanisme sous-tendant ce discours est celui qui l'enracine dans le champ lexical des puissances patrimoniales mondiales telles que l‘UNESCO, l‘ICCROM et l'ICOMOS qui influencent les conceptions des politiques culturelles à travers le monde. Les critères définis pour les considérations patrimoniales sont ceux de l‘universalité, la rareté, l‘originalité, l‘exceptionnalité, la profondeur diachronique et la scientificité25.

25 Voir la loi camerounaise no 91/008 du 30 juillet 1991 portant protection du patrimoine culturel et naturel du Cameroun quoique la loi patrimnoniale de 2013 fasse mention des arbres et les sacrés, des traditions populaires ainsi que les instruments les costumes qui leur sont reliés. Ces dernières qui sont du ressor du patrimoine culturel immattérliel, ne peuvent pas être encore protégées et mises en valeur par le Camerounais au niveau mondial, puisque la convention de l‘Unesco de 2003 avec pour vbut la protection de ce type patrimonial n‘est pas ratifiée par le Cameroun.

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Cependant, un constat se dégage de l'analyse du discours sur ce patrimoine. L'usage de la notion de patrimoine ne véhicule pas toujours le même sens, faisant d'elle une variable à assertions multiples.

Ainsi, lorsque la notion de patrimoine est employée sans épithète au Cameroun, elle renvoie à la connotation juridique s‘attachant au propre, à l‘avoir, la propriété (MARTIN- GRANEL, 1999). De ce fait, le patrimoine camerounais, du moins selon les voies, politiques et administratives, par lesquelles il est exprimé, renferme tout ce qui existe sur et sous le sol du pays et qui est de facto la propriété de l'État, personne morale. Cette affirmation se fonde sur les différentes catégories repérables dans le discours par lesquels l'on entend exprimer le pouvoir de possession qu'a le Cameroun sur ce qui constitue ses biens. C'est pourquoi on a coutume d'entendre parler de patrimoines routier, forestier, minier, immobilier, etc. Dans un sens général et suivant cette acceptation à connotation juridique, les Camerounais eux-mêmes font partie du patrimoine du pays, puisqu‘appartenant à l‘État-nation qu‘est le Cameroun. Dans ce contexte, le patrimoine est une notion polyvalente à signifiant multi-facette. Il devient à la fois culture et nature, individus et collectivité (LAMY, 1996), dans leur cadre ontologique.

Les éléments cités en exemples permettent de dire que la notion du patrimoine utilisée par l‘État camerounais, si nous revenons partiellement à la pensée de POULOT (1997), est une volonté politique de gestion mettant en avance la prééminence du pouvoir étatique sur ce que contiennent les frontières nationales. À ce titre, le discours y afférent est exclusif ; en ce sens que ceux qui ne sont pas investis du pouvoir des administrations auxquelles est affectée la responsabilité, sont subtilement écartés.

De ce fait, le patrimoine sans suite adjectivale ne renvoie pas à la même réalité qu‘en Occident. Il ne signifie pas bien public, mais témoigne plutôt d‘une propriété exclusivement gouvernementale quottée à des départements ministériels dont les architectures et modes de fonctionnements sont préalablement définis par la hiérarchie suprême. Ces administrations sont des préposées à la mise en œuvre et à l‘application de la politique de gestion. Ce patrimoine n‘a rien de commun avec « […] le patrimoine public

147 qui doit être préservé au seul profit de la communauté pour laquelle il représente un capital symbolique. » (MARTIN-GRANEL, 1999 : 494)26.

Cependant, lorsque c‘est le ministère des Arts et de la Culture qui parle du Patrimoine, cela est « synonyme de notre culture » (LOUMPET, 2003). Ici on y trouve toutes les expressions culturelles matérielles et immatérielles, mobilières et immobilières. Les propos du secrétaire général dudit ministère, en rendent bien compte :

En matière de patrimoine, le Cameroun témoigne d'une richesse qu'on ne saurait qualifier. Il suffit de prêter attention à ce qui se fait comme manifestations culturelles dans nos campagnes et villes pour se rendre compte des dimensions du patrimoine de notre pays. De manière ramassée, je peux parler de la production artistique dans ses formes littéraire, musicale, plastique, sculpturale et théâtrale, des monuments historiques, des architectures traditionnelles comme celles des Musgum et de certaines chefferies et l'ensemble des folklores des ethnies camerounaises. Mais cette conception patrimoniale de l‘instance suprême de la politique culturelle du pays plonge le récepteur du discours dans l‘impasse. Il est difficile de faire un distinguo entre les éléments culturels et patrimoniaux. C‘est un discours qui entraine vers le tout-patrimonial entendant laisser savoir un attachement symbolique. Pourtant, à l'analyse des discours administratifs et bureaucratiques, il se trouve qu'il est davantage question d'une mise évidence de la richesse culturelle du pays. L'on se retrouve ainsi dans un amalgame discursif, conséquence de l'usage d'une notion dont la polyvalence sémantique peut pousser à une confusion conceptuelle. Comme conséquence, tout ce qui relève de l'art dans toutes ses facettes, des traditions populaires, entre autres, est entendu comme élément constitutif du patrimoine camerounais.

Néanmoins le patrimoine affecté de l‘épithète culturel traduit une réalité tout autre. C‘est un patrimoine formé d‘un ensemble hétéroclite, produit de choix opérés au sein de la kyrielle des richesses culturelles, et parfois naturelles, existant sur le territoire camerounais. L‘État a de facto le pouvoir discrétionnaire de décider de la sélection et du classement et ce,

26 MARTIN-GRANEL, dans « Malaise dans le patrimoine » parle de deux logiques qui s‘affrontent dans la question de la braderie des sites et monuments militaires en France. Il s‘agit des logiques vénale et sentimentale.

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pour des raisons guidées par des sensibilités politiques et/ou idéologiques. Ainsi, au risque de contenter les uns et fâcher les autres (CLIFFORD, 2007), on sélectionne, sur des bases naturellement subjectives, certains éléments culturels et on leur fait muter de statut afin d‘en assurer la conservation (BÉGHAIN, 1998). Ici, c'est plus l‘aspect matériel qui compte, reléguant au second plan l‘immatérialité ou la symbolique autour de l‘élément culturel qu‘il convient de mettre en patrimoine. Le patrimoine est conçu pour un capital culturel capable de faire reluire le Cameroun. Il est performatif, puisqu‘il est sensé être la vitrine du pays sur l‘extérieur et son image au-delà des frontières nationales.

Cette catégorie du patrimoine culturel que nous avons qualifiée de patrimoine dominant renferme des sous-ensembles patrimoniaux tels que les patrimoines bâti, muséologique, archéologique, archivistique, documentaire et immatériel.

Le patrimoine bâti rassemble les éléments architecturaux tels que des édifices religieux, administratifs, résidentiels, des monuments à caractère historique. La Cathédrale Notre- Dame, la Basilique Mineur figuraient parmi les biens pour lesquels le Cameroun avait sollicité une inscription sur la liste du patrimoine mondiale. Sur le plan administratif, le Palais de l'Unité (la présidence de la république), le bloc administratif de la Communauté Urbaine de Yaoundé, servent d'exemple de biens patrimoniaux. Quant à ce qui est des monuments historiques, ils sont assez nombreux et des exemples sont donnés ci-dessous dans le cadre de l'interprétation de la construction patrimoniale par l'État du Cameroun.

Le muséologique comme l'indique son appellation, est principalement représenté par le Musée National du Cameroun qui a l'attention des pouvoirs publics, même si des mesures adéquates pour un bon fonctionnement manquent et le professionnalisme n'est pas très au rendez-vous. On peut aussi parler des maisons de la culture, des centres artisanaux qui sont des lieux d'exposition, de conservation, de mise en valeur et de transmission des éléments culturels. Cette dernière catégorie d‘institutions culturelles est le fruit de récentes mesures du ministère en charge de la culture qui entend donner une certaine ampleur à l‘action gouvernementale en matière de gestion et de mise en valeurs des richesses culturelles dont regorge le Cameroun. Ces institutions ont pour vocation de servir de lieux d‘animation et d‘exposition au niveau régional. Ainsi, la conservation des pratiques culturelles locales en

149 passe de disparition à cause du phénomène d‘acculturation dans les centres urbains est l‘un de leurs objectifs majeurs.

Quant à ce qui est de l'archéologique, on peut citer, entre autres, les pétroglyphes de Bidzar et les Diy-gid-biy de monts Mandara septentrionaux. En plus, la loi patrimoniale du Cameroun mentionne les artefacts archéologiques comme des biens devant être traités avec beaucoup d'égards parce qu'étant d'intérêt pour la science et l'histoire. Raison pour laquelle toute campagne d‘opérations archéologiques en sol camerounais ne doit se faire qu‘à la suite de l‘obtention de l‘autorisation de recherche auprès du minitre de la recherche scientifique et des innovations. Par ailleurs, les recherches sur des sites reconnus d‘importance nationale comme le Diy-gi-biy, devraient avoir l‘aval du ministère des Arts et de la Culture du Cameroun.

Pour ce qui est de l'archivistique, les Archives Nationales, le seul établissement gouvernemental agréé pour la conservation des archives de l'État, en constituent une parfaite illustration. Par ailleurs, les différentes administrations publiques constituent des archives dont le véritable propriétaire est l'État du Cameroun.

En ce qui concerne le documentaire, la Bibliothèque Nationale du Cameroun a pour, entre autres, mission la conservation des périodiques, des publications gouvernementales, des documents cartographiques, géologique, statistiques, démographiques, miniers, des enregistrements sonores et vidéos, des papiers de presses, des livres, etc. Outre cette bibliothèque, celles des universités participent à la conservation du patrimoine documentaire. Ce sont des centres de documentation où l'on trouve des thèses, des mémoires, des rapports de recherche, des ouvrages originaux de grand intérêt de plusieurs domaines du savoir scientifique.

Dans le domaine de l'immatériel, la politique ayant procédé à la création du Centre Culturel Camerounais avait pour but la conservation et la vulgarisation du patrimoine immatériel du pays. C'est d'ailleurs pourquoi ledit centre devrait abriter l‘Ensemble National des arts du spectacle. Mais, soulignons-le, ce centre peine à remplir ses fonctions. Il a même été inopérationnel pendant plusieurs années quoique le discours de la tutelle ministrerielle en

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fasse mention lorsqu‘il faut mettre en lumière les efforts de l‘État dans la conservation et la mise en valeur du patrimoine cultuel.

Comprendre le patrimoine dominant

Comme il a été développé au chapitre précédent, la constitution d'un patrimoine culturel est souvent l'expression implicite d'un désir identitaire, d'une construction mémorielle ou d'un positionnement social tant sur le plan ethnique, communautaire, régional, national qu'international, livrés à une performance tacite. Alors, ceci étant, il est fort important de décrypter ce que véhicule la catégorie patrimoniale qualifiée de dominante au Cameroun.

Pour nous, le patrimoine dominant camerounais n'est autre chose qu'un imaginaire culturel national, moins hétérogène qu‘il ne l‘est dans sa réelle configuration et savamment construit de manière objective ou subjective. Il fait consommer un Cameroun présenté comme tel qui, pourtant, n‘est qu‘un Cameroun culturel partiellement miniaturisé. C‘est une physionomie culturelle qu‘on met en performance avec celles des pays du monde (ABERCCROMBIE et LONGHURST, 1998). Il s‘agit de l’exposition-Cameroun dans le musée-monde. À ce titre, nous nous permettons de dire que le patrimoine culturel du Cameroun est en lui-même un « musée » dans lequel figurent de nombreuses expositions permanentes d‘éléments culturels ayant connu une mutation statutaire.

Par ailleurs, l‘image patrimoniale du Cameroun construite par l‘État traduit aussi une autre réalité. Le Cameroun veut marquer son existence sur l‘échiquier culturel mondial. Cette intention rentre dans le cadre de la lutte de positionnement à laquelle se livrent tous les États du monde pour une reconnaissance. Et la liste indicative que le Cameroun a soumise à l‘UNESCO en 2006, pour inscription au patrimoine mondial, témoigne de la volonté de s‘inscrire dans une place qu‘on pense avoir le droit d‘y être. Cette affirmation est une induction qui fait suite à l'analyse des données collectées lors des enquêtes orales relatives au patrimoine construit par l'État du Cameroun. Plusieurs des participants ont fait des déclarations allant dans le sens de donner la valeur d'élément d'affirmation de soi et de positionnement au patrimoine culturel. Parmi ces affirmations, celle du responsable de la cellule de communication du ministère des Arts et de la Culture apparaît assez expressive :

151 Notre pays, le Cameroun, est une mosaïque de groupes ethniques et ceci sous- entend une pluralité de cultures ou des valeurs culturelles dignes de ce nom. Mais voyez vous même, quand on parle de culture au niveau mondial, on ne sait même pas que le Cameroun existe. Quand je parle de niveau mondial, il faut laisser de côté la reconnaissance culturelle faite part les touristes, les voyageurs et les scientifiques qui ont étudié les cultures camerounaises. Je fais davantage allusion à la reconnaissance qui fait autorité et qui confère une certaine plus- value, qu'est la voix de l'UNESCO. Le Cameroun regorge d'éléments culturels qui méritent d'être inscrits à la liste du patrimoine mondial mais hélas. Je ne comprends pas pourquoi les sites DGB du Nord-Cameroun, qu'on dit culturellement proche des sites au Zimbabwé, n'ont pas été retenus ? Oui, je comprends, il faut conserver la forêt pour le bien être de l'humanité, mais peut- être aussi une manière de sauvegarder l'écosystème des sauvages qui n'ont pas de culture (il rit en disant cette dernière proposition). Dans cette logique, le patrimoine est, pour le Cameroun, un construit social pouvant permettre d‘atteindre des objectifs de positionnement (RODMAN, 2003). Comme souligné au Chapitre 2, le patrimoine apparaît ici comme un moyen à travers lequel le Cameroun veut se faire culturellement présent.

La conception patrimoniale camerounaise relève également d‘une conscience de mémoire et d‘identité. La première se lit à travers les éléments patrimoniaux cristallisant des faits sociopolitiques ayant marqué le Cameroun. Cette politique s‘est manifestée et se manifeste par la voie des monuments historiques réalisés en la mémoire de certaines figures et événements de l‘histoire Camerounaise. De nos jours, toutes les dix régions administratives que compte le Cameroun sont pourvues de plusieurs monuments. Nombre d‘interviewés ont laissé savoir l‘importance mémorielle dont sont dotés les monuments qui se trouvent au Cameroun. En répondant à notre question relative aux monuments réalisés dans la ville de Yaoundé, l‘un des proches collaborateurs du délégué du gouvernement auprès de la Communauté Urbaine de Yaoundé nous fit entendre ce qui :

Le Cameroun est un pays qui a une histoire et les monuments participent à l'écriture de cette histoire afin de la transmettre aux générations futures. Il est des faits qui méritent d'être immortalisés. C'est par exemple le cas de la réunification des deux partis du Cameroun et de l'indépendance du pays. Nous avons aussi des grandes figures de l'histoire de notre pays, j'allais dire de notre histoire. Faits ou figures de reconnaissance nationale devraient être monumentalisés. Sur ce, je trouve même que le Cameroun n'en fait pas assez. Essayez de voir dans les pays occidentaux, tout est monument ; car les routes

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sur lesquelles ils roulent sont des monuments rappelant des personnages et d'événements jugés dignes de recevoir la reconnaissance nationale. En guise d'exemple, le Monument de la Réunification, se trouvant à Yaoundé, est le souvenir de l‘aboutissement d‘une idéologie unitaire enclenchée dès l‘accession du pays à l‘indépendance le 1er janvier 1960. En fait, érigé en 1974 suite à la venue de l‘État unitaire en 1972, il fait graver la réunification des deux parties du Cameroun qui eut lieu 13 ans plus tôt. C‘est un monument comprenant une tour en forme de spirale au-devant de laquelle est modelé un personnage tenant un flambeau à la main droite sur lequel grimpent des enfants, symbolisant ainsi l‘unité nationale (Fig.3.5). Il est situé au terminus du Boulevard de la réunification où se passait, sous le régime Ahmadou Ahidjo (premier président du Pays), le défilé pour la fête nationale du pays. Dans ce type d‘immortalisation des faits à importance nationale, prend place le monument de l‘indépendance se trouvant au rond- point de l‘hôtel de ville de Yaoundé. C‘est le lieu historique où M. Ahmadou Ahidjo prononça solennellement l‘accession à l’autonomie interne27 du pays.

Comme autre exemple, le Monument Charles Atangana, dans la ville de Yaoundé, perpétue l‘image du tout premier chef supérieur Bəti sous le règne allemand et qui contribua à la modernisation de la ville de Yaoundé.

On ne saurait passer sous silence la patrimonialisation du traumatisme collectif relatif au colonialisme. Dans ce registre, le Monument Martin Paul Samba de la ville d'Ébolowa fait figure d'exemple expressif. Il témoigne de la mémoire d'un homme vaillant ayant accepté de perdre sa vie pour des raisons relatives à sa vision politique qui se refusait d'être de connivence avec celle de l'administration allemande qui régnait au Cameroun. Il fut publiquement exécuté, par fusillade, afin de marquer l'omnipotence de la puissance coloniale et attirer l'attention sur ce qui adviendrait comme réaction à toute velléité ramant à contre courant de l'administration coloniale.

27 Nous préférons cette appellation à celle d‘indépendance puisqu‘en fait cette dernière n‘avait jamais été acquise si l‘on fait une lecture assez juste des pratiques néocoloniales qui n‘étaient autres que la continuation de la politique des maîtres-colons, tapis dans l‘ombre et faisant agir leurs élèves respectant la feuille de route à la lettre.

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© DATOUANG DJOUSSOU (2010)

Figure 3.5: Le monument de la réunification

Cependant, cette patrimonialité mémorialiste ne fait pas seulement honneur aux camerounais. Des personnages dont les images s'inscrivent dans l'histoire du Cameroun sont monumentalisés, et ce, selon le jeu de sélection de la patrimonialisation. On peut citer, entre autres, les monuments Leclerc à Douala et celui de Rabah à Kousseri, personnages de l'histoire militaire du Cameroun et qui avaient pour feu d'arme d'avoir conduit des expéditions guerrières dans le pays. À ces exemples de reconnaissance mémorielle s'ajoute la Stèle d‘Eugène Jamot, dans la ville de Yaoundé, qui combattit efficacement la maladie du sommeil.

Alors, que dire de la construction du patrimoine sous l'angle de la mémoire ? Pour nous, cette attitude camerounaise de concevoir le patrimoine sous le prisme de la mémoire est une préoccupation dont l‘objectif est d‘établir un point de rencontre symbolique entre le passé, le présent et l'avenir. Cette volonté est davantage perceptible au travers de la patrimonialisation de certains artefacts des périodes les plus reculées de l'histoire du 154

Cameroun. Nous en voulons pour preuve la mise en patrimoine des pétroglyphes de Bidzar. Ces gravures rupestres étaient perçues comme pouvant aider à écriture ou à réécrire l‘histoire culturelle et artistique du pays et par ricochet, l‘enrichissement de son patrimoine culturel. Pour l‘archéologue français MARLIAC (1981a), cet art rupestre est un point essentiel pour le référentiel culturel du Cameroun. Il va signifier, avec insistance, l‘importance de cet art aux autorités compétentes pour qu‘une décision indiquant la protection soit prise. Sous cette insistance et excitation, il a été interdit d‘exploiter les dalles gravées et celles des alentours immédiats. En plus, l‘art préhistorique a été sécurisé par une grille et l'affectation d'un agent commis à la surveillance (fig.3.6).

© DATOUANG DJOUSSOU (2010)

Figure 3.6: Le site de Bidzar présentant les traces de la clôture de protection

Bien que l'engouement impulsé par les archéologues étrangers ait connu une mise en berne, la Délégation Régionale des Arts et de la Culture pour le Nord s'efforce à redonner sens à cet ensemble d'évidences archéologiques par le canal de campagnes de sensibilisation et de 155 mise en valeur. Le site a été l‘objet d‘un film documentaire de court-métrage qui fut diffusé sur les antennes de la télévision nationale, même si l'on note un manque de politique de monitoring.

En plus, au Cameroun, en général, et dans la Région de l‘Extrême-Nord, en particulier, les vestiges de la civilisation Sao figurent parmi les biens culturels dont la vente et l‘exportation sont de plus en plus contrôlées. Les chasseurs d‘antiquités qui les obtenaient à visage découvert sont obligés de procéder par des moyens de contournement illicites, s‘ils ne sont pas munis d‘acte les autorisant à la pratique. Les vendeurs des souvenirs des hôtels et lieux touristiques qui les exposaient sur les étales, les écoulent de manière très dissimulée. Lors de nos recherches dans la région, les vendeurs que nous avions approchés dans certains établissements hôteliers se refusaient de nous présenter des spécimens d‘objets Sao. C‘est lorsque nous nous sommes exprimé en Fulfulde, langue véhiculaire de la région, en expliquant que nous sommes un fils du territoire que certains firent sortir des belles pièces de la civilisation de terre cuite du bassin du lac Tchad (Fig.3.7).

© DATOUANG DJOUSSOU (2010)

Figure 3.7: Objets Sao trouvés chez des vendeurs d’antiquités à Maroua

Cette peur sous laquelle se trouvent les prébendiers, pilleurs et receleurs, des vestiges archéologiques apparaît comme une sorte de pansement du saignement archéologique qui s‘écoulait à l‘extérieur des frontières nationales, dépourvoyant ainsi le Cameroun d‘une partie de ses richesses culturelles.

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Cependant, ce pansement aurait été plus curatif et marquerait le statut patrimonial de tous les vestiges archéologiques si la sortie de ces derniers était sous le contrôle d'une mesure législative. On note une certaine rigueur dans l‘octroi de l‘autorisation d‘exporter le matériel archéologique pour des raisons d‘étude et d‘analyse, mais de nombreux témoins matériel du passé culturel du pays continuent d'être déterritorialiser, et ce, sans mesure d'un probable retour.

L'ensemble de ces pratiques de mise en patrimoine rend bien compte d'une volonté de garder le passé en mémoire et tisser une continuité des souvenirs entre les générations. Ces éléments qui sont patrimoniaux pour la génération présente constituent, pour reprendre le terme si cher à MARTIN-GRANEL (Op.cit.), une construction monitoire pour les générations à venir.

Par ailleurs, le patrimoine dominant camerounais se décline aussi comme l'édification d'une identité culturelle. Les indices de cette construction patrimoniale sont manifestes dans ce qui est présenté comme représentatif et caractéristique des grands ensembles culturels imaginairement construits sur la base des raisons inavouées.

En effet, nonobstant le fait que le Cameroun soit un pays multiethnique et donc multiculturel, le discours dominant s‘est résolu à constituer cette multi-culturalité en quatre aires d‘identification culturelles. On a ainsi les aires culturelles Fang-béti, Grassfield, Sawa et Soudano-sahélienne par lesquelles l‘État a procédé à une homogénéisation afin d‘alléger l‘identitaire camerounais bouillonnant de particularismes. C‘est un patrimoine qui entend dire "comment est le Cameroun culturel". Il s'agit d'un Cameroun culturel imaginairement construit selon des critères dont seule l'administration culturelle nationale saurait, mieux que quiconque, les raisons ayant présidé à la détermination. Bien qu‘acceptée comme telle, cette structuration culturelle ne fait pas l‘unanimité quant à ce qui est de sa justesse pour le contexte camerounais.

Interrogés sur la question des aires culturelles au Cameroun, les participants ont donné des réponses laissant apparaître le manque d'adéquation de cette politique. L'un des participants (conseiller technique Ministère des Arts et de la Culture) a répondu en ces termes :

157 Pour répondre à votre question, je dirais que les idées qui ont sous-tendu la création des aires culturelles au Cameroun avaient pour but de dessiner les grands ensembles culturels du pays. Il faut reconnaitre que notre pays est très riche en matière de culture. Mais pour des besoins de gestion, il fallait définir des ensembles dans lesquels devaient rentrer des sous-ensembles. C'est ainsi que l'on est parvenu à retenir quatre aires culturelles pour le Cameroun. Je dois dire ici que ce genre de travail n'est pas aisé dans un pays comme le nôtre où chaque groupe ethnique prononce haut et fort sa singularité. D'ailleurs, vous conviendrez avec moi que la définition des ces aires culturelles n'a été faite que pour des raisons basées sur des considérations populairement admises comme des réalités existantes. Prenons par exemple l'aire culturelle soudano- sahélienne définie pour les trois régions septentrionales du Cameroun alors qu'on y trouve, entre autres, des groupes Adamaoua, soudanais et sahéliens. Ce procédé de construction patrimoniale, en aires culturelles, est une pratique qui avait fortement marqué les pays dans le nationalisme d‘antan (BAGNALL, 2003). Au Cameroun, et pour l'administration culturelle, il est à la mode. Il se décline comme une volonté politique dont le but principal serait d‘amener les différentes communautés à partager un sentiment d‘appartenance à des valeurs identitaires communes. Cependant, ces découpages, autant qu‘ils homogénéisent des grands ensembles nationaux, autant ils mettent en branle des particularismes régionaux, pour paraphraser José Morin28.

Mais ce qui importe pour l'État du Cameroun c'est l‘identitaire national. Cependant, la construction de celui-ci laisse transparaitre l‘idéologie d‘un État en quête de modélisation d‘une identité culturelle, synthèse du multiculturalisme des populations camerounaises.

Cette idéologie s‘est traduite en acte par la création du Musée National, situé en plein cœur de la capitale politique. Cette institution regorge de nombreux éléments culturels des quatre coins de la nation, pour ne pas dire des quatre aires culturelles du pays. Les expositions qui s‘y trouvent ont été montées dans l'optique de montrer la diversité culturelle et environnementale du Pays. Il y a quatre expositions permanentes correspondant aux quatre aires culturelles du Cameroun. Toutes ces expositions ont des caractéristiques qui leur sont propres. Ces caractéristiques se démarquent les unes des autres. Les éléments les distinguant sont tirés soit des œuvres culturelles, soit du milieu naturel, comme l‘on peut le

28 MORIN 2007. «Mondialisation et Diversité Culturelle». In Culture et Cultures, 2007, sous la direction de Réda Benkirane et Erica Deuber Ziegler.

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lire à travers la dénomination des aires culturelles. Cependant, ce musée national n‘est qu‘une construction qui répondrait davantage à certains enjeux idéologiques et politiques. Les éléments constituant les différentes expositions résultent d‘une certaine sélection effectuée au sein des aires culturelles imaginaires du pays. C‘est une constitution de l‘image patrimoniale du Cameroun selon le prisme muséologique occidental, mais sans rigueur de la muséographie. L‘investigation faite au sein du Ministère des Arts et de la Culture a permis une mise en évidence de cette vision patrimoniale. Au cours d'un entretien avec un responsable (Conseiller technique) dudit ministère, nous avons pu recueillir ce qui suit :

Le Musée National est l'institution de mise en exergue de la richesse culturelle et naturelle. En principe, c'est un lieu conçu [désigné] pour des expositions permanentes et temporaires de toutes sortes. Je dirais que ce musée se doit d'être le creuset de l'unité nationale à travers une mise en scène de l'histoire du Cameroun, cultivant le sens de partage d'une histoire commune à tous les camerounais malgré l'appartenance politique, religieux, régionale et ethnique des uns et des autres. Outre l'histoire commune que les camerounais partagent, le fait d'exposer les éléments culturels des différentes régions du pays constitue également une manière de mettre les camerounais ensemble pour qu'ils aient le sentiment d'être proches les uns des autres. C'est d'ailleurs pourquoi on a appelé cette institution Musée National, c'est-à-dire le Cameroun en un.

3.3.2 Le patrimoine dominé

Il est caractérisé de patrimoine dominé parce que les voix et les moyens le portant sont assujettis à l‘autorité des compétences et pouvoirs dont sont investies les institutions de la république. Ce patrimoine bien qu‘étant reconnu, à un certain degré, par les municipalités et les autorités administratives, n‘est pas souvent associé à l‘image patrimoniale du pays qui est présentée lors des manifestions à caractère international. Il est celui des groupes associatifs à caractères socioculturels, des groupes ethniques, des communautés et parfois des regroupements confessionnels29. Le discours y afférent est revendicatif, concurrentiel et performatif. Il plaint la possible disparition des identités culturelles par une assimilation très accrue de formes culturelles construites par l‘État, d‘une part, et la prolifération

29 Nous pouvons citer l‘exemple de la Dynamique Culturelle Kirdi (DCK) des originaires de la partie septentrionale qui se veut un regroupement socioculturel de tous les « nordistes » non musulmans.

159 médiatique des cultures acculturatrices exotiques et celles de certains groupes locaux vus comme envahisseurs30, d‘autre part.

Ce patrimoine se manifeste de manière diverse et se rapproche, dans son essence, du patrimonium, c'est-à-dire du bien reçu du père. Il est ainsi des patrimoines constitués sous l'impulsion des dignitaires locaux, des patrimoines vivants communautaires des ethnies qui sont transmis d‘une génération à une autre et des biens familiaux.

Parlant des patrimoines de chefferies, dans la région camerounaise de la civilisation Sao, les sultans des localités Kotoko se sont impliqués dans la défense et la préservation de cette culture matérielle. Les grandes buttes anthropiques Sao sont de plus en plus contrôlées, limitant ainsi le pillage des artefacts par les antiquaires et leurs acolytes. En outre, il y a de véritables preuves d‘appropriation de ce patrimoine par les riverains.

Dans les musées des sultanats de Goulfey et de Makary, par exemple, certains éléments reconnus d‘appartenance Sao par les locaux, Mandagué, y sont exposés (fig. 3.8). Ils sont collectés fortuitement lors des travaux champêtres ou de construction des structures d‘habitation. Ces initiatives sont encadrées par les dignitaires que sont les deux sultans des localités concernées.

Comme l‘a si bien reconnu, d‘entrée de jeu, LEBEUF (1949), Goulfey et Makary, figurant parmi les grands centres de la civilisation d‘architecture en terre crue, sont des sites archéologiques dont les témoins du passé socioculturel prennent place dans la vie des présents occupants et servent des points d‘ancrage et de définition sociopolitique. Cette politique dont les sultans sont les premiers meneurs, connait une forte adhésion des communautés locales. Elles se refusent, de plus en plus, d‘être de connivence avec ceux qui se livrent au trafique des antiquités.

30 Dans la seule partie septentrionale, nous avons des groupes culturels revendiquant des particularités patrimoniales vis-à-vis d‘autres groupes assimilateurs. Il y a l‘exemple Massa-Moussey; animistes- musulmans.

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© DATOUANG DJOUSSOU (2010)

Figure 3.8: Artefacts archéologiques — 1 et 2) Musée de Goulfey; 3) Musée de Makary

Cette politique locale d‘appropriation des éléments culturels du passé par les Mandagué est plus manifeste à Goulfey où l‘on note une adhésion de la population aux initiatives prises par le sultan et ses notables. Outre les mobiliers archéologiques, les traces d‘anciennes structures architecturales telles que les sections de murs de l‘ancienne Goulfey, ville emmurée, la tour en terre battue à laquelle les locaux attribuent la paternité Sao, sont autant d‘indices d‘anciennes cultures matérielles localement conservés. Ces rapports symboliques aux restes d‘éléments culturels constituent les marqueurs d‘une patrimonialité évidente envers la culture tangible d‘un passé humain proche ou lointain. Ceci sonne comme une prise de conscience de l‘aliénation culturelle à laquelle l‘Islam avait soumis les kotoko (LEBEUF, 1981; 1992). Ils étaient appelés à se débarrasser des statuettes de tous genres

161 pour des raisons d‘incompatibilité avec la nouvelle religion dont ils sont devenus adeptes. La ré-patrimonialisation enclenchée par les dirigeants coutumiers et positivement appréciée par la communauté locale est une ré-reconnaissance de l‘importance des valeurs de biens culturels dont le dogmatisme religieux acculturant avait conduit à une dénégation.

Cette patrimonialité a permis la mise en place d‘un complexe muséal dans la localité de Goulfey. Il s‘agit de l‘ensemble architectural dénommé Complexe Goto Goulfey Musée des Arts et Traditions Sao Kotoko, constitué de l‘ancien palais du sultan, de la tour appelée Goto et des salles d‘exposition permanente. Il comporte six portes représentant les six quartiers de Goulfey qui a été structuré selon le mythe d‘origine de la tour se rapportant au nombre six en rapport avec les six enfants du légendaire Sao, bâtisseur de la structure.

L‘élément le plus ancien de cet ensemble est la tour (fig.3.9), mesurant environ 14 m de hauteur, qui est le point de cristallisation des croyances à l‘esprit des lieux. Structure dont la présence est antérieure à celle des ascendants de ceux qui réclament aujourd‘hui l‘autochtonie de la localité, elle fait partie des éléments culturels mis en avant pour l‘image identitaire des locaux. Son intégration dans le système symbolique remonte au début de la fondation du centre de pouvoir entériner par les occupants actuels. L‘ancien palais a été construit auprès de cette tour qui n‘avait aucun point d‘accès. Le pouvoir traditionnel décida d‘arriver au sommet de cette structure qui attirait autant de curiosité. Un escalier de 34 marches fut réalisé, partant de la salle d‘audience du palais.

La construction de l‘escalier une fois achevée, l‘on donna une nouvelle fonction à la tour. Elle est désormais le piédestal du chef. C‘est de ce perchoir qu‘il va de temps à autre, observer son agglomération et s‘adresser, en cas de besoin, à ses sujets. Il donne une position dominante et traduit le pouvoir du chef. Mais c‘est fut également un lieu utilisé lors d‘événements de grande envergure. Ce serait cet usage qui amena LEBEUF (1949) à le confondre au Gudu traditionnel des chefs au lieu du Mbideu couronné de chéneaux qui domine les entrées principales des palais de Makary et de Goulfey.

La patrimonialisation de la tour ou Goto (crête), comme la patrimonialisation endogène des DGB qu'on verra dans le chapitre 5, s‘est faite sur la base de considérations et de croyances religieuses. Elle n‘était utilisée qu‘à des circonstances précises. Le chef n‘y montait qu‘à de

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moments de rites d‘initiation, d‘intronisation et lors de grands jours pendants lesquels il doit communiquer avec le peuple. On lui reconnaissait la vertu de conférer la puissance, à la hauteur de sa grandeur, aux dignitaires qui avaient la lourde mission de veiller au bien- être sociopolitique de tous les habitants. Il n‘était pas donné au commun des mortels de monter au sommet de la tour.

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© DATOUANG DJOUSSOU (2010)

Figure 3.9: La tour en terre crue de Goulfey — 1) le Goto; 2) l’escalier

De nos jours, le Complexe Goto Goulfey est le symbole et l‘aspect matériel de l‘enracinement au terroir. Il bénéficie d‘une attention particulière. La population est consciente du devoir de transmission qui lui incombe de faire la restauration toutes les fois qu‘une partie de cette structure présente des signes de détérioration.

Au regard de cette adhésion au projet patrimonial, le Goto Goulfey nous semble du ressort du patrimoine communautaire où l‘on note l‘engouement d‘une patrimonialité très poignante de la part de la communauté locale autochtone. Bien qu‘étant sous l‘œil bienveillant du sultan, le complexe appartient à tous les sujets du sultanat qui participent volontiers à la restauration de la structure et ravitaillent le musée adjacent en mobiliers Sao et autres anciens artefacts archéologiques qu‘ils découvrent sporadiquement. Ils font ainsi preuve d‘une volonté de voir rester vivre des éléments matériels pour lesquels ils ont développé des relations d‘affection et d‘attachement symbolique.

163 La patrimonialisation de l'ancien site de la chefferie de Mofu Douvangar est un autre exemple de construction patrimoniale par des dignitaires locaux. Le pouvoir traditionnel aurait introduit un dossier auprès des instances nationales s‘occupant du patrimoine culturel et du tourisme pour une reconnaissance patrimoniale d'échelle nationale.

Le site Douvangar est un patrimoine culturel chargé de récits de vie, de lieu et d‘objet auquel les Mufu Douvangar prononcent un fort attachement symbolique. Sa mise en patrimoine tient de la croyance aux esprits de lieu et des ancêtres. Selon ce qui ressort de l'analyse des données d'enquêtes, le palais abrite un esprit appelé mbolom en Mofu Douvangar. Le mbolom est un esprit de lieu qui dote l‘habitat d‘une puissance surnaturel à laquelle les Mofu accordent une importance particulière. Cette croyance en des esprits de lieu est le socle de l‘attachement spirituel au palais perché sur un éminent sommet qui contient le mbolom ma ay. Pour ce faire, il est sacralisé de telle enseignent qu'il est interdit d'y envoyer paitre le bétail.

Pour ce qui est des patrimoines vivants, le Nguon chez les Bamoun, le Ngondo chez les Sawa, le Labana/Libida chez les Massa qui sont de nos jours des manifestations culturelles patrimonialisées31 font figure d'exemples évidents.

Le Ngondo est une cérémonie traditionnelle du peuple Sawa qui se caractérise par son attachement à l‘esprit de l‘eau. Elle se déroule tous les ans sur les rives du fleuve Wouri, ancien Rio Dos Camaroes, duquel est issue l‘appellation Cameroun. Quant au Labana, c‘est un rite initiatique qui était accompli de marinière quinquennale ou septennale. Pour ce qui est du Nguon, c'est un cadre d'expression du peuple Bamoun. Manifestation annuelle à ses débuts sous l'initiative de Nchare Yen (1394-1418) qui fonda la dynastie Bamoun, le Nguon est rendue une expression biennale depuis 1992 pour laquelle le sultanat consent beaucoup d'efforts pour une reconnaissance à l'échelle mondiale. L'on en veut pour preuve l'ouverture de l'édition de 2010 sous les auspices de la ministre de la culture du Cameroun aux côtés de laquelle se trouvaient une bonne fourchette de membres du gouvernement, des

31 Ces pratiques sont des institutions traditionnelles. Leur caractéristique patrimoniale tient de leur réhabilitation et de l'attachement de plus en plus marqué dont font montre les différents groupes ethniques qui militent pour une valorisation à grande échelle.

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autorités administratives, des personnalités du corps diplomatique, des organisations non gouvernementales et de la société civile.

Patrimoines culturels communautaires vivants, le Ngondo, le Nguon, le Labana, sont aussi des legs traditionnels, réceptacles de doctrines, de légendes et de coutumes, de façons d‘agir et de pensées transmises de génération en génération, au sein des peuples concernés. Ces institutions ont connu des phases d‘abolition lorsque le Cameroun était sous l‘administration coloniale et pendant le premier régime postindépendance et ce, jusqu'au début des années 1990. Nous pourrions dire que l'intérêt patrimonial qui leur est accordé de nos jours prend source dans les phases d'abolition. Simples institutions et pratiques traditionnelles, le Ngondo, le nguon et le Labana seront hissés à l'échelle d'éléments patrimoniaux grâce au changement politique ayant concédé la liberté d'association au début des années 1990. Elles sont aujourd'hui transformées en mouvements socioculturels performés dans le sens de mise en valeur culturelle du groupe ethnique, mais également comme moyens de positionnement et de reconnaissance dans le jeu de participation à la gestion du pays.

Mais s'il est une chose matérielle dont les sociétés traditionnelles camerounaises, comme toutes les sociétés d‘Afrique subsaharienne, tiennent à sa transmission aux futures générations, c'est le foncier. C'est un patri/matrimoine dont l'aliénation est proscrite et la dépossession n'advenait qu'en cas de crise grave telle qu'un conflit armé au terme duquel le vaincu pouvait être spolié et poussé à la recherche d'une terre d'accueil. Pendant le travail de collecte de données en rapport avec les types patrimoniaux gérés par des groupes associatifs, des communautés, des ethnies, des familles ou des tiers, nous avions posé des questions dans le sens de saisir les rapports des participants à la terre. Tous ont laissé savoir l'aspect patrimonial de la terre. Un des participants (M. G. R) en répondant à une question ouverte nous a fait comprendre son attachement à la terre. La question était la suivante : Quels sont les biens que vous entendez conserver, pas seulement pour vous, mais également pour vos enfants ? Et il répondit :

Le bien le plus précieux dont il faut assurer la conservation est la terre. Pour moi, quand tu n'as pas de terre, tu es sans âme. Tous les biens ont une durée de vie. Mais la terre, elle reste. La terre est le bien dont on est certain de recevoir de ses parents. Les miennes viennent des mes aïeux et la préoccupation relative

165 à leur conservation a été au-dessus de toutes autres. Vendre ses terres c'est comme si l'on détruisait ses origines ou celles de sa descendance. Je puis donc vous dire que les terres de mes ancêtres demeurent la propriété de toute ma famille (au sens large du terme). J'en suis propriétaire, mais j'ai le devoir de les conserver pour les plus jeunes et ceux-ci devront en faire autant. En fait, la détention du domaine foncier est un droit inaliénable. Les conflits relatifs à ce domaine étaient et demeurent, dans une moindre mesure, récurrents. Il s‘agit de la défense de la terre des ancêtres (ABWA, 2006). Ce patrimoine est non seulement constitué de la terre des ancêtres, mais également des paysages bâtis tels que forêts, bosquets et arbres sacrés32, de lieux des esprits (dimari chez les Massa)33. Ce sont des arbres-monuments, une particularité de la monumentalité africaine telle qu‘elle est connue en Afrique de l‘Ouest et ailleurs (ROSS, 2006). Ces arbres-monuments sont traités avec beaucoup d'égards. L'on leur porte un degré d'attention parfois plus élevé que celui accordé aux éléments de la monumentalité importée qui tend aujourd'hui à les reléguer au banc des oubliettes. Tous les membres d'une communauté symboliquement rattachés à un arbre-monument de quelque type que ce soit remplissent leur devoir vis-à-vis de ce dernier alors que les monuments du patrimoine dominant ne connaissent pas souvent ce type de reconnaissance.

Chez les Guiseyna, dans l'arrondissement de Guéré, Diakka, un figus, est un arbre- monument et fétiche dont la profanation par un individu de quelque appartenance culturelle et religieuse que ce soit n'est pensable. S'il venait à être profané, l'ensemble de la communauté en serait informé et veillerait à ce que le contrevenant se soumette à la cérémonie et au rituel d'expiation. Cet arbre est en relation avec Mass Guisey34, esprit dominant l'entité territoriale Guisey dont le point de fixation est dimari où sont collectivement performées les festivités de nulda, patrimoine communautaire vivant de Guiseyna.

32 Les bosquets ou arbres-monuments existent dans l‘ensemble Grassfield de la région de l‘Ouest, chez les pèrè, les Massa, les Tupuri et plusieurs autres ethnies du Cameroun. Ces arbres fixent non seulement la propriété foncière, mais dessine également l'appartenance à un groupe cultuel dont on appelé à assimiler les pratiques et les transmettre aux jeunes générations. Ces lieux sont des monuments parce qu'on leur accorde une attention particulière pour une protection durable. 33 Dimari est un espace territorial bien délimité chez les Massa de Viri et de Guisey. C‘est un lieu où vit le prêtre de la terre, supposé communiquer avec masta (l‘esprit ou être suprême). 34 Ce terme désigne à la fois l'esprit Guisey et l'entité territoriale encore appelée nig Guisey.

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Comme dans le cas des monuments de la modernité occidentale où des architectes et des conservateurs assurent le suivi, le monitoring du diakka est confié au Mul ma kud guda35qui veille à relever les actes de profanation. Le Mul ma kud guda est un acteur clé du patrimoine vivant des Guiseina. C'est lui qui pose le durbida36 condamnant l'individu désigné à regagner dimari afin d'assumer le rôle de mul ma masta37 ou mul mi dimara38. Ce type d'arbre-monument existe aussi chez les Virina, dans l'arrondissement de Wina, sous l'appellation de Waïta masta39, un jujubier, qui est un arbre dont la communauté Viri sait qu'il incarne Masta, esprit auquel elle est intimement liée et à qui elle doit sa prospérité.

Toutefois, le patrimoine dominé du Cameroun, bien que témoignant d‘une pratique de transmission familiale et communautaire, connait des réalités filiales aussi bien patrilinéaire, matrilinéaire que bilinéaire. Sur ce, suivant les groupes ethniques, on y rencontre des patrimoines, matrimoines et patri-matrimoines.

Pour ne pas nous étaler sur une série d‘innombrables exemples, on peut parler, de manière succincte, du matrimoine chez les Pèrè (PRADELLES DE LATOUR, 2005) du patri- matrimoine chez les Chamba (FARDON, 1983) et les Bamoun, les Mbamvələ, partiellement chez les Massa où le legs de la maman revient au cadet de ses fils40. Ce triptyque patrimonial exprime le fait qu'au sein de la société camerounaise, l'héritage peut venir du père, de la mère ou des deux à la fois, dépendamment des groupes ethniques. Cependant, le patrimonium latin est la forme dominante puisque la majorité des populations camerounaises est patrilinéaire, d‘où le caractère agnatique des héritages.

35 Cette appellation signifiant littéralement chef (mul) sous (kud) l'arbre ou bois (guda) veut dire chef habitant dans le bois sacré. 36Ce terme renvoie à l'ensemble d'éléments de condamnation spirituelle qu'on laisse nuitamment devant la cour de celui qui est appelé à assurer la fonction de prêtre de la terre. La pose du durbina, scelle la mise aux arrêts symbolique du nouveau prêtre de la terre, mul ma masta ou mul mi dimara. 37Prêtre de la terre. 38 Mul mi dimara est l'appellation distinguant le grand prêtre de la terre des ceux n'officiant qu'à l'échelle de village pour les sous-mastas. 39 Littéralement jujubier-esprit, waïta étant l'appellation du jujubier et masta, celle de l'esprit. 40 Pour le cas Massa, le futur héritier des regalia de la mère peut payer une sorte de contrepartie en prenant en charge sa maman si jamais son père venait à la précéder dans l‘au-delà.

167 Ainsi, le lexique désignant le patrimoine, le matrimoine ou le patri/matrimoine varie d'un groupe ethnique à un autre et ne s'apparente pas à celui du discours patrimonial dominant. Le lexique des discours dits par les instances officiellement autorisées en matière de patrimoine et l‘élite ne trouve pas de correspond dans les langues locales. Car, bien que des attitudes patrimoniales existent dans les sociétés traditionnelles camerounaises, on ne rencontre pas des équivalents de la notion de patrimoine. En revanche, il y a des expressions et termes qui expriment l‘acquisition successorale des biens.

Chez les Tupuri (Toupouri), tabuli désigne l'ensemble des biens laissés par un parent décédé. Dans la communauté massa, chez les Guiseyna et les virina, djoona ou djuna et par extension yam djoona ou yam djuna, signifie demeure ou ruine d'une personne passée de vie à trépas et va djoona ou va djuna renvoie aux biens dont on devient propriétaire suite au décès de l'un des siens. Chez les Parəkwa41, werita désigne l'habitation dont prend possession celui à qui est confiée la gestion des biens familiaux après le décès du père. Chez les Bəti, l‘elig rappelle les souvenir laissés par une famille, un individu et l‘akum signifie biens reçus de l‘un des siens.

Dans les sociétés traditionnelles de ces groupes et tout comme dans nombre d‘ethnies camerounaises, les termes désignant ce dont on devient propriétaire à la mort d'un proche comprennent à la mort du chef du ménage ou de la famille, ses épouses et ses biens (RICHARD, 1977).

Dans ces langues, ces biens font partie, à la fois, du registre du privé et du commun. Ils sont privés parce qu‘ils appartiennent à une famille, alors que leur caractère communautaire s‘exprime aux droits partagés par les membres d‘une famille, d‘une ou plusieurs ethnies42, sur plusieurs générations. Cette dernière caractéristique lui donne le sens de patrimoine

41 Dans la littérature relative au peuplement ou à la culture matérielle du Cameroun en général et du Nord- Cameroun, en particulier, les Parəkwa sont appelés Podokwo. Ceci est très fréquent et provient, pour la plupart des cas, des notes des « administrateurs-ethnologues » coloniaux qui n‘utilisaient que les appellations que les empires musulmans leur donnaient des autres peuples. 42 Les patrimoines vivants sont communautaires ; car plusieurs groupes sociaux et parfois ethniques se reconnaissent dans une même pratique et participe à sa pérennisation. Il en est ainsi du NGondo partagé par plusieurs ethnie Sawa, le Labana qui connait ce dernier temps une forte mobilisation des Massa et Tupuri.

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puisqu'il est possible de percevoir les mécanismes de constitution, de protection, de transmission et des rapports intimes dont témoignent les attitudes des acteurs sociaux.

Mais le constat qui se dégage du contexte camerounais est que l'existence de ces termes locaux renvoyant aux biens ayant appartenu à l'un des siens et dont on devient propriétaire à la mort de ce dernier est presque subsumée par le lexique du discours dominant du patrimoine. On ne peut en prendre conscience que lorsqu'on a des entretiens avec ceux qui vivent dans l'arrière pays et dont le lexique n'est pas contaminé par la fièvre patrimoniale. Dans les discours des leaders culturels dont le leitmotiv est la conservation et la valorisation des traits culturels, il est assez rare de trouver des termes issus des langues locales.

Comprendre le patrimoine dominé

Si ces exemples montrent à suffisance l'existence d'un patrimoine dominé, comparativement à un patrimoine dominant qui s'impose par les forces des outils assurant sa protection, ils constituent des moyens exprimant certaines considérations, voire des ressentiments. À cet égard, nous nous sommes intéressé au sens que l'on pourrait donner à ces pratiques de patrimonialisation. Nous pensons que les attitudes ayant conduit au patrimoine dominé peuvent être interprétées comme la volonté des acteurs de voir rester vivre leur culture au sein des générations à venir dans un monde où les frontières culturelles s‘effritent davantage ou sont parfois inexistantes. Pour ce faire, les acteurs sociaux croient que les manifestations à caractère culturel telles que le Féo kagué Tupuri43, le Tokna Massana44, le Mbam-art45, le festivals Mafa, Musgum46, entre autres, seraient des moyens

43 Cérémonie sacrificielle Tupuri érigé en élément culturel qu'on performe partout où se trouve une forte communauté tupuri tel qu'à Douala, Yaoundé. 44 Le Tokna Massana est un mouvement culturel qui entend mettre en valeur les expressions culturelle de toutes les composantes massa du Cameroun et du Tchad. 24 Le Mbam-art est un groupement culturel au travers duquel ceux qui sont communément appelés Mbamois mettent en exergue leurs richesses culturelles afin de marquer leur différence par rapport aux autres grands ensembles culturels du Cameroun 25 Les festivals Mafa et Musgum sont également des manifestations culturelles d'exhibition des valeurs culturelles des Mafa et des Musgum.

169 de sensibilisation les mieux indiqués pouvant contribuer à la préservation des traits culturels en voix d‘obsolescence et d‘extinction. Dès lors, elles se présentent comme des mécanismes de transmission; car ces pratiques favorisent le développement d'un attachement symbolique chez les membres de la communauté.

La deuxième interprétation est celle liée au positionnement social. Dans le contexte des manifestions culturelles à travers le Cameroun, l‘enjeu qui se présente en filigrane est ce qui, selon SMITH (2006), rapproche le patrimoine du positionnement. Ainsi donc, les expressions culturelles de l‘un ou de l‘autre groupe, est une volonté de dire leur existence. Ces expositions culturelles ont un intérêt pour les groupes ou les individus qui les soutiennent. En fait, les acteurs sociaux étant parfois dans une situation de sous- représentation ou d‘antagonisme culturel, ces manifestations apparaissent comme des méthodes de reconnaissance ou de ré-reconnaissance47. Elles sont aussi parfois des lobbies pour des fins politiques, car le fait de performer les manifestations socioculturelles à Yaoundé, siège du pouvoir central, n‘est pas innocent. En effet, une association qui a un grand poids numérique à Yaoundé, témoigne d‘une bonne existence dans l‘arrière pays et par conséquent, un électorat potentiel dont il est nécessaire d‘intégrer certains membres dans l‘équipe dirigeante de l‘État.

Cette recherche de l‘affirmation du soi identitaire a conduit à une multiplication de déploiements culturels dans le pays, rendant ainsi la cité un lieu où l‘interaction de la diversité culturelle camerounaise est manifeste. À titre d‘exemple, certains regroupements constituent des régionalismes opportunistes cherchant à répondre à des nécessités circonstancielles.

La DCK (Dynamique Culturelle Kirdi) par exemple, loin d‘être une quelconque culture, est un mouvement qui veut implicitement restaurer l‘estime et la dignité des populations non- musulmanes du Cameroun septentrional. C‘est un regroupement de personnes d‘origine et de culture différentes dont la contingence historique fait partager le même sort. Elles ont

47 La notion de ré-reconnaissance entend souligner le fait que les éléments culturels dont il est question ont été l'objet d'attachement symbolique au départ et pour des raisons circonstancielles, ils ont été mis en berne pour être réhabilités dans un nouvel élan patrimonial.

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subi ou vécu la conquête musulmane et partagent de nos jours les séquelles de cette religion dont les adeptes sont considérés, par la majorité des camerounais de la partie méridionale, comme représentant la configuration sociale du septentrion. Cette dynamique n‘est qu‘une parodie de dynamique puisqu‘à son sein des groupes tels que Massa, Tupuri48, Musgums, Mafa, Giziga, Mundang etc. se rétractent pour l‘organisation de leurs célébrations culturelles annuelles ou biennales.

Troisièmement, l‘ensemble de ce patrimoine dominé, bien qu‘exprimant le caractère multiculturel du pays et sa dynamique culturelle, présente un aspect subversif vis-à-vis du patrimoine dominant qui tend à homogénéiser la diversité des cultures afin d‘obtenir une image identitaire construite sur la base de référentiels et d‘épistémè traduisant la perception et la conception du socioculturel national. L'essor des sentiments de mise en évidence et de ré-reconnaissance au sein des groupes ethniques pourrait s'expliquer comme un désaveu de la politique patrimoniale nationale qui a constitué des aires culturelles. Le regroupement en aires culturelles semble susciter davantage l'explosion d'orgueils identitaires sensibles à toutes formes d'assimilation. Nous en voulons pour preuves le cas de l'Aire Culturelle Soudano-salienne regroupant des communautés d'origines diverses et d'appartenance culturelle très différenciée. Comme réaction, des mouvements culturels Mafa, Massa, Musgum, Mundang s'insurgent en vitupération de la conception patrimoniale nationale dessinant une imagine culturelle peu hétérogène du Cameroun septentrional.

Cette interprétation se fonde sur l'analyse des données collectées auprès des leaders de mouvements socioculturels du Nord-Cameroun. En fait, au cours de toutes les enquêtes ethnographiques que nous avons conduites en rapport avec les mouvements culturels de mise en valeur, il en ressort que la question d'enjeu identitaire est l'un des principaux mobiles. Cela est clairement mis en évidence dans les propos de l'un des leaders (H.L) interviewés qui laissent savoir que :

Le visage culturel du Cameroun ne saurait être présenté de manière simpliste tel que le Ministère des Arts et de la Culture le fait à travers les aires culturelles. Les groupes ethniques peuplant le Cameroun ont des éléments

48 Le «u» se trouvant dans les noms des groupes ethniques se lit comme le «u» de la phonétique française.

171 culturels qui leur sont propres. Ceci dit, il est inadmissible qu'on fasse prévaloir les traits culturels d'un groupe sur ceux d'autres. Prenons par exemple le cas de l'aire culturelle soudano-sahélienne à laquelle on nous fait appartenir. Il y a combien de groupes ethniques au Nord-Cameroun ? Ont-ils les mêmes traits culturels ? L'affirmative me surprendrait beaucoup. Dans cette définition commune, pour des raisons politiques ou je ne sais quoi, l'on constate curieusement qu'on a tendance à résoudre l'existence de certains au néant. Alors, dans ce contexte, on ne saurait demeurer passif. On sait que les décisions de l'État priment sur celles des tiers, mais sur le plan culturel, l'on n'est pas prêt à accepter qu'on vous attribue un trait culturel qui n'est pas le vôtre en vous dépouillant des valeurs qui vous ont été transmises depuis des siècles. Toutefois, la lecture des deux noumènes patrimoniaux coexistant dans le contexte camerounais permet de dire que ce qui est modelé en patrimoine dans ce pays résulte d'un processus de traitement des éléments ethnologiques, historiques49 et naturels. Ce processus, comme souligné au premier chapitre, est ce qu'il convient d'appeler patrimonialisation dont les marqueurs constituent l'évidence des traits de mutation statuaire des biens. Ces derniers passent du statut d‘objets ordinaires, banals pour celui d‘éléments patrimonaiux, c‘est-à- dire des biens pour lesquels les acteurs sociaux ont des attentions particulières. Celle-ci concourent à leur protection, conservation, mise en valeur, voire leur transmision aux générations à venir qui, selon les besoins sociétaux, pourront les maintenir vivants en les conservant comme tels ou en procédant à un réajustement dans un arrimage aux nouvelles formes de pratiques patriomales.

CONCLUSION

Au sortir de ce chapitre sur la poltique et la rhétorique patrimoniales au Cameroun, force est de constater que le patrimoine y est pluriel. Il y a un patrimoine culturel homogénéisant que présente l‘État camerounais sous le voile implicite de l‘idéologie unitaire vue comme garante de la dissimulation des différences au profit de l‘apparente union nationale. C‘est le patrimoine qui chapeaute toutes les autres formes de patrimoines telles que les patrimoines scientifiques, élitaires, communautaire, lignager, familier et les trésors de chefferies et sultanats comme le montre pyramide se trouvant ci-dessous (fig.3.10).

49 L‘histoire dont est question ici doit être considérée au lato sensu du terme.

172

Cette pyramide laisse entrevoir des relations d‘endiguement et d‘interconnexion. La base de la pyramide montre le développement parallèle des patrimoines communautaires, lignagers et familiers d‘un côté et des trésors des chefferies et sultanats, de l‘autre, même si dans les pratiques les acteurs de ceux-là contribuent pour beaucoup à la constitution de ceux-ci. La partie médiane montre les patrimoines scientifique et élitaire qui prennent sources dans les formes précédentes, les coiffent et se posent comme "dominants" par rapport à elles. La position sommitale du patrimoine étatique met en évidence son pouvoir et son aspect représentationnel de l‘image patrimoniale camerounaise aux dépens des autres. Cependant, il est en relation avec les patrimoines scientifique et élitaire à partir desquels il tire sa substance formelle.

Toutefois, quelle que soit la forme patrimoniale, la patrimonialisation s‘est réalisée au travers d‘une mise en vase des ensembles ethnologique, historique et naturel dans un processus en forme d‘entonnoir dont le résultat syncrétique est l‘élément patrimonial. Mais le regard diachronique des politiques patrimoniales dont nous avions fait état plus haut montre qu‘il y a eu un schéma de patrimonialisation (1) — dé-patrimonialisation (2) — re- patrimonialisation (3).

La première est la phase d‘avant contact marquée d‘une conscience de reconnaissance de ses propres valeurs identitaires et de prestiges. La deuxième survient avec la domination coloniale avilissante, assujettissante et dévalorisante qui va se perpétuer de manière très réduite pendant les premières années de l‘indépendance, quoique les discours de l‘époque semblent plaider pour un renouveau culturel50. Quant à la troisième phase, elle s‘annonce dès les années 1970 et explose à partir de 1990 avec l‘introduction de la démocratie dont la liberté d'association et d'expression est l'une des caractéristiques fondamentales.

50 Dans son discours d‘ouverture de la réunion du Conseil de l‘Enseignement Supérieur et de la Recherche scientifique et Technique et du Conseil National des Affaires Culturelles (18-22 décembre 1974), le Président de la République SEM. Ahmadou Ahidjo avait déclaré : « […] un renouveau culturel qui vise à restituer au peuple camerounais le sens de sa dignité et de l‘initiative, c‘est-à-dire à faire de lui, pleinement, le sujet de sa propre histoire.

173 patrimoine étatique

patrimoines scientifique s et élitaires

patrimoines communaut tésors des airess chefferies lignagers et sultanats et familiers

Figure 3.10: Schéma relationnel et hiérarchique du patrimoine culturel au Cameroun

De nos jours, deux formes de patrimonialisations coexistent au Cameroun. Une qui garde les patterns endogènes, développés par les sociétés traditionnelles et qui se pratiquent encore dans l‘arrière pays même si les contacts avec les occidentaux et les empires musulmans favorisent l'infiltration des indices culturels allochtones. L‘autre est un harnachement des modèles occidentaux de mise en patrimoine. Cette dernière est l‘apanage des administrations étatiques, des scientifiques, élites politiques, certains particuliers s‘inscrivant dans la logique élitiste. Tous ces paliers patrimoniaux ont donné lieu à deux catégories patrimoniales dites dominante et dominée. Et des institutions de gestion de ces patrimoines se sont développées proportionnellement à chaque degré de considération où se situent les acteurs performant leur sensibilité patrimoniale.

Toutes ces formes de patrimonialisation partagent des points communs. Elles sont sous- tendues par des logiques d‘enjeux identitaires, de reconnaissance sociale, politiques, bien que ceux-ci soient différemment manifestés par les acteurs sociaux. Ces logiques sont exprimées dans le contexte de la Région de l'Extrême-Nord du Cameroun où l'on assiste à une mise en patrimoine des artefacts archéologiques tels que la civilisation Sao des abords des fleuves Logone et Chari et les Diy-gid-biy des monts Mandara septentrionaux. Ces 174

éléments archéologiques appartenant à deux civilisations distinctes bénéficient des égards des pouvoirs publics et des riverains comme, l'on le verra dans les chapitres suivants. Bien que les Diy-gid-biy constituent le matériau pour l'étude de cas, les chapitres qui suivent exposeront d'abord les richesses archéologiques de la région d'étude et les valeurs qu'elles incarnent, puis la question de patrimonialisation et de patrimonialité à la lumière des DGB.

175

CHAPITRE 4: LES DIY-GID-BIY DES MONTS MANDARA SEPTENTRIONAUX ET LE PATRIMOINE ARCHÉOLOGIQUE DE L’EXTRÊME-NORD

INTRODUCTION

En Afrique subsaharienne, jusqu‘en 2001, la région comprise entre les fleuves Limpopo et le Zambèze est considérée comme l‘aire de la civilisation des structures en pierre sèche (NDORO, 2001). Cependant, à travers certaines structures, le Cameroun s‘illustre en Afrique Centrale comme un foyer ou une aire de production de structures de la maçonnerie à sec, localement appelées Diy-gid-biy (DGB). Seize (16) ruines de taille variée mais de nature homogène, témoins évidents du palimpseste d‘occupation ancienne et d‘une conception architecturale, sont répertoriées dans les monts Mandara septentrionaux du Cameroun.

Ces restes architecturauxd'une ancienne civilisation transformés en éléments patrimoniaux constituent l'objet de notre étude de cas au travers duquel nos assertions théoriques faites aux chapitres 2 et 3 vont se faire plus concrètes. Toutefois, dans le présent chapitre, il est davantage question de faire une présentation de ces ruines pour que le lecteur soit imprégné de ce qu'elles sont. Mais cette présentation ne se limite pas seulement à la situation géographique et à la description des ruines; mais fait également un bref rappel historiographique afin de faire remonter les premières attentions scientifiques leur ayant été portées.

Par ailleurs, le chapitre a également pour but de les situer dans un contexte archéologique plus régional afin que le lecteur puisse mesurer la cote d'importance des ruines, caractéristique les plaçant au statut d'élément patrimonial. Autrement dit, à la suite de la présentation des DGB nous essayons de mettre en exergue certains éléments de la richesse archéologique de la Région de l'Extrême-Nord qui sont susceptibles de patrimonialisation. En outre, étant donné que la mise patrimoine des biens culturels est tributaire des valeurs qu'ils incarnent ou qu'on leur accorde, le présent chapitre s'attarde aussi sur les valeurs des éléments archéologiques du cadre géographique mis en évidence.

177 Mais avant d‘en arriver là, il nous a semblé important de présenter les cadres géographique et socioculturel dans lesquels se trouvent les DGB. Cette présentation, nous semble-t-il, permettrait au lecteur d'avoir une localisation plus précise des sites ayant attiré notre sensibilité scientifique; mais également une idée d'ensemble de l'environnement social dans lequel s'est développé et se manifeste certaines formes de patrimonialité envers lesdits sites.

4.1 PRESENTATION DU CADRE GEOGRAPHIQUE ET HUMAIN DES DGB

Tirant leur appellation du nom d'un petit royaume établi à leur extrémité nord au 15ème, les monts Mandara constituent l'ensemble montagneux situés entre les 10° et 11° parallèles (BOUTRAIS 1973, 1984; STERNER, 2003), à cheval entre le Cameroun et le Nigeria (fig.4.1). Ils s‘allongent du Nord au Sud sur 150 Km de long et s‘étale au Cameroun sur une cinquantaine de kilomètres de large (HALLAIRE, 1991). Au Cameroun, les limites de la frange est de la chaîne commence au sud de Mora et se termine dans la plaine du Mayo- Oulo au sud, au nord de Garoua (HALLAIRE Ibid.). L‘extrême nord-ouest et nord-est forme une enclave entourant la plaine de Koza. Dans les délimitations courantes, les Monts Mandara se limitent juste au nord de Mubi. La partie nord se trouvant dans l‘Etat du Borno est appelée les sommets de Gwaza (Ibid.).

Bien que constituant une chaîne de montagnes, les hautes terres du Mandara ont un relief très diversifié qui les caractérise. On y trouve des plateaux centraux, des massifs-îles et des piémonts (HALAIRE, Ibid.). Le sud et le nord des Mandara sont dominés par des plateaux alors que les massifs-îles se trouvent à l‘ouest. Les piémonts sont très fréquents à l‘est. D‘après Hallaire, les plateaux centraux sont entourés de bourrelets élevés qui isolent parfois de larges vallées dans lesquelles se sont accumulés des alluvions anciens et récents.

Au pourtour du grand édifice montagneux, des massifs-îles dominent le piémont. De nature, d‘ampleur et d‘altitude différentes, certains apparaissent comme des roches plus résistantes à l‘érosion, d‘autres sont de véritables reliefs résiduels d‘affleurements plus vastes et de composition lithologique homogène. Au niveau des piémonts, on remarque que les massifs tombent par des fortes pentes qui accusent des angles allant jusqu'à 60° (J. Boutrais, 1984). En contre bas, le paysage d‘abord en pente douce, est uniformément plat.

178

© DATOUANG DJOUSSOU (2011)

Figure 4.1: Situation géographique des monts Mandara et de l’aire Diy-gid-biy

Sur le plan du peuplement desdits monts, les indices d‘un peuplement ancien ont été collectés pendant la première moitié du 20ème siècle. En effet, des administrateurs coloniaux tels que JAUZE (1944) ont eu à signaler la présence de pièces lithiques. Le matériel collecté à Galdala1, proche de Koza, placerait l'occupation humaine, sur la base des considérations typologiques, au Middle Stone Age. Comme on le verra ci-dessous, des marques d‘anciennes occupations humaines ont été prélevées sur la majeure partie

1 C‘est un site qui a livré un nombre impressionnant d‘éléments de l‘industrie lithique. Il se rapproche du site de Makabay et aurait entretenu des liens d‘échange avec lui.

179 septentrionale des monts Mandara. C‘est dire donc que les populations actuelles de l‘ensemble montagneux est la dernière couche du palimpseste du peuplement humain.

Peuplement actuel des monts Mandara

Présenter les populations qui occupent l‘environnement immédiat des sites archéologiques est une constante pour les études archéologiques ou patrimoniales. Car ignorant même parfois les origines d‘un site, les personnes qui habitent près de celui-ci y élèvent un ou des autels et par delà empêchent souvent les archéologues d‘y opérer. L‘on est amené, dans ce genre de contexte de recherche, à se poser des questions relatives à l‘antériorité de ces populations sur le site ou vice-versa. En outre, si le patrimoine n‘existe que par l‘existence des populations actuelles, porter un regard sur celle-ci dans une étude patrimoniale ne serait que logique. Cependant, il n‘est pas question ici de s‘étaler sur les différents groupes ethniques qui peuplent les monts Mandara ; mais de donner une idée holiste des groupes de la partie desdits monts.

La région est peuplée d‘un ensemble hétéroclite de groupes ethniques d‘origine diverse. Leur mise en place est relative à certaines crises (conquêtes musulmanes, guerres tribales, luttes fratricides) dont la partie septentrionale du Cameroun était l‘objet au fil des temps. Dans les environs des DGB, vivent des clans Mafa, arrivés dans la région il y a quelques générations, probablement vers la fin du 17ème siècle2.

Leur mouvement aurait été provoqué par la construction puis le développement des États soudanais de la cuvette tchadienne qui sont des empires musulmans : Kanem du 7ème au 14ème siècle, Kanem-Bornou du 15ème au 19ème siècle, Baguirmi du15ème au17ème siècle, Mandara au 15ème siècle (MOHAMADOU, 1982a et b). Ce dernier va étendre son rayon d‘influence au cours du 17ème siècle pour fixer sa capitale à Doulo (MÜLLER-KOSACK, 2003), en ayant défait, peut-être, le royaume Maya vers 1675 (FORKL, cité par MÜLLER- KOSACK, op.cit.) et constitué ce qui fut appelé le royaume Maya-Wandala. Cette

2 Étant donné qu‘ils ne savent rien des bâtisseurs des DGB et comme ces derniers semblent avoir été abandonnés entre les 15ème et 16 siècles, nous pensons qu‘ils seraient arrivés quelques décennies plus tard.

180

installation Mandara va créer un climat d‘insécurité sociale chez les peuples non islamisés des montagnes et ce, pendant plus d‘un siècle.

Ces différents groupes sociaux du passé et du présent ont produit des richesses culturelles matérielles et immatérielles dont certains éléments ont été érigés en patrimoine culturel. Au sein de ce dernier, les architectures reliquaires, par devoir de transmission, font l‘objet de débat dans les politiques de patrimonialisation. Les DGB, meilleures évidences d‘habitat architectural d'antan, se trouvent donc au cœur des préoccupations de préservation et de mise en valeur. Mais comment se présente l‘élément culturel DGB sur lequel portent des attentions patrimoniales et où le trouve-t-on précisément.

4.2 LES DIY-GID-BIY

L‘expression Mafa Diy-gid-biy selon MŰLLER-KOSACK (2002), signifie littéralement « yeux de chef au dessus » alors que DAVID (2008) l'interprète comme emplacement de résidence cheffale. Diy veut dire œil et peut renfermer une idée de vigilance. Gi‘d signifie sommet, qui traduirait le contrôle des lieux alors que Biy veut dire grand, dans le sens de puissant. Cependant, d‘après des données linguistiques (BARRETEAU et LE BLÉIS, 1990), díy signifie ruines comme dans l‘étymologie de díygáy qui veut dire ancienne demeure. De ces deux appellations métaphoriques par lesquelles sont désignées ces ruines, un élément commun se laisse percevoir. Il s'agit du morphème biy signifiant chef. Ceci étant, les DGB, selon l'entendement des riverains, se rattacheraient à des individus dotés d'un certain pouvoir. Les Mafa de Gouzda pensent d'ailleurs que les auteurs des Diy-gid-biy étaient de puissantes personnes qui s'étaient installés au sommet des collines afin de mieux avoir le contrôle du territoire.

4 .2.1 Descriptions des DGB

Les Diy-gid-biy sont des structures en pierres sèches dont les assises ont été superposées les unes sur les autres sans utilisation de liants (fig.4.2). Les murs ne s‘imbriquent pas ; ils s‘abattent les uns sur les autres. Comme type de murs, nous avons des contreforts, des terrasses, de murs de soutènement et des murs individualisés à double parements.

181 Dans l'ensemble, les DGB sont des monuments constitués de plates-formes contiguës ayant des formes asymétriques avec des murs parfois en arc de cercle. On y trouve des couloirs, des escaliers, des silos (DGB-8) des chambres (DAVID, 2008; DATOUANG DJOUSSOU, 2006). Ces éléments structurants sont caractéristiques de l‘ensemble culturel DGB et le différencient de celui de l‘Afrique Australe.

© DATOUANG DJOUSSOU (2010)

Figure 4.2: L’architecture DGB

Par ailleurs, l‘architecture DGB ne se confond guère aux architectures en pierres sèches développées par certaines populations actuelles des monts Mandara ou leurs ascendants. Toutefois, on retiendra que sur le site de l‘ancien palais du chef Mofu Douvangar, le style architectural de la grande enceinte de la Chefferie ressemble au style DGB (cf Annexe 3). C‘est une structure constituée d‘un mur à double parements dont le modèle conceptuel est

182

plus proche de certaines enceintes du Zimbabwé. Mais la technique de construction qui a été appliquée la différencie nettement des DGB et permet, de ce fait, d‘éviter toute corrélation entre les auteurs des DGB et les Mofu Douvangar.

Une analyse de la configuration des DGB laisse penser que les formes actuelles des monuments de l'ancienne maçonnerie à sec des monts Mandara n‘ont pas été préconçues; elles auraient été élargies au fur et à mesure que des besoins se faisaient sentir. Le mur individualisé de la plate-forme sud de DGB-2 qui est devenu un mur de soutènement en est la preuve. Ce mur était, au départ, le parement Est du couloir. Les fouilles archéologiques conduites dans la cour centrale de DGB-1 pendant l‘été 2008, nous ont aussi permis de constater que cette structure a été construite plus tard, au cours du processus d‘élargissement de l‘ensemble monumental.

4.2.2 Distribution des sites DGB

Dans l‘état actuel des recherches, les sites DGB sont localisés dans une aire géographique bien déterminée de 23km² (DAVID 2008). On les trouve précisément dans sept (07) villages (tableau 4.1) dont Bigidé (03), kuva (04), Mondossa (02), Mudukwa (02), Moutchikar (02), Ndouval (01) et Oupay (02), à cheval entre les Cantons de Koza et de Moskota, respectivement dans les arrondissements de Koza et Mayo Moskota 3 (fig.4.3), tous deux dans le département du Mayo-Tsanaga de la Région de l‘Extrême-Nord.

Découverts en plein air, leur emplacement répond à un certain type de localisation bien précis. Comme on pourrait s‘y attendre, les indices d‘occupation ancienne et leur répartition montrent une série d‘aires privilégiées. Ils se trouvent à des positions dominantes et sont majoritairement inter-visibles. Leurs altitudes sont comprises entre 800 et 1200 m, donnant une vue à longue portée sur les alentours. À DGB-15,

3 Les chiffres entre parenthèses indiquent le nombre de sites par village.

183 le plus en altitude (1232m), on voit par exemple la vallée de Kerawa, Rhoumsiki et une partie du Nigéria.

Villages Les Diy-gid-biy

1 2 3 4 5 6 8 11 16 7 9 10 12 13 14 15

Bigide X X X

Duval X

Kuva X X X X

Mondossa X X

Moutchikar X X

Mudukwa X X

Oupay X X

Tableau 4.1: Répartition des Diy-gid-biy par village

De DGB-12 l‘on a un bon regard sur les plaines de Koza et de Mozogo. Par ailleurs, les sites s‘organisent aussi selon la nature et par rapport aux réseaux hydrographiques, nous semble-t-il, mais également près des réservoirs naturels d‘eau comme celui de Mondossa. En outre, ils sont situés dans des milieux dont la mise en culture pose moins de problèmes.

184

La recherche des terres cultivables aurait été un facteur important dans le choix du lieu d‘implantation.

Source, DAVID (2008: 5) avec autorisation

Figure 4.3: Distribution géographique des sites DGB

De ce fait, nous pourrions dire que les structures en pierres sèches des Monts Mandara sont des témoins matériels d'habitats, ne serait-ce que temporaires, d‘une société ayant produit son espace se traduisant par des activités sociales répondant elles-mêmes à quelques besoins (se loger, se nourrir, se défendre, etc.).

Avec des terrasses agricoles caractéristiques de l‘élément culturel architectural de l‘ensemble DGB aux alentours des DGB-7 et DGB-12, l‘on peut dire que ces structures faisaient partie des éléments structurants d'occupation humaine dans un environnement

185 paysan où se pratiquait l'agriculture sur terrasse. A Mondossa où on aborde DGB-12 par des escaliers, les terrasses se prolongent sur une distance de 135 m. Les terrasses qui subsistent aujourd‘hui ne sont hautes que de 0,25 à 0,40 m. Cette exploitation de la terre qui ne se limite qu‘au tour des habitats, nous fait penser à une exploitation intensive du milieu et à une population moins dense que celle d‘aujourd‘hui (DATOUANG DJOUSSOU 2006). Cette interprétation est appuyée par MULLER-KOSACK (2005, communication personnelle) qui dit que les auteurs de DGB pratiquaient l‘agriculture sur terrasses.

À DGB-2 l‘on pourrait penser que le champ constitué de multiples banquettes horizontales et en arc de cercle se trouvant dans la partie sud-ouest aurait connu une exploitation DGB4. Il s‘étale sur une longueur de 105 m. Un grand mur de soutènement dont le reste a des niveaux d‘élévation variant entre 2,90m; 3,40m; 3; et 2,80 m (de l‘ouest à l‘est) avec une longueur de 22m constitue la borne sud séparant DGB-2 de DGB-1. Cet emplacement s‘est révélé, après les opérations de fouilles archéologiques, une plateforme sur laquelle d‘autres structures avaient été construites. Nous faisons allusion, par exemple, au mur à double parements, ceinturant un sol damé constitué de terre apportée d‘ailleurs (DATOUANG DJOUSSOU, 2010, notes de fouille). Ce sol damé serait le plancher d‘une structure circulaire comme les cases Mafa actuelles. D‘ailleurs le même type de plancher a été mis au jour dans la cour central de DGB-1 où l‘on put observer des pierres-sièges disposées le long des ceintures ouest et est plus un ensemble de quatre foyers collés à la partie sud.

4.3 BACKGROUND SCIENTIFIQUE DES DGB

L‘attention des scientifiques portée aux structures DGB remonte au-delà de 40 ans. La première publication faisant mention de l‘existence de certaines ruines DGB a été faite par BOUTRAIS (1973). Mais cette publication est le produit des recherches menées de 1968- 1969 (DAVID, 2008: 5)5. L‘auteur a parlé de ruines de fortification. En 1974, travaillant sur la cosmologie Mafa (DAVID, Ibid.), BOISSSEAU et SOULA attirent l‘attention sur

4 Mais il est difficile de déterminer l‘existence de cette nature DGB du Champ sans avoir procédé à des explorations archéologiques. 5 Pour davantage d‘informations sur l‘apport assez détaillé des scientifiques ayant évoqué les sites DGB avant l‘initiative du MAP, nous convions le lectorat à lire DAVID (2008 : 5-6).

186

l‘existence de « Forteresse mystérieuse près de Mudkwa ». Leur propos est illustré par une photo de la plateforme nord-est de DGB-1. En 1982, C. Seignobos porte une partie des résultats de ses travaux à la connaissance de la communauté scientifique. Les sites DGB dont il a parlé à l‘époque se trouve dans un article intitulé «Notes sur les ‗ruines de Mudukwa‘ en pays Mafa». Malgré ces publications, les structures DGB vont demeurer assez mal connues (DAVID, ibid.).

Il va falloir attendre 19 à 20 ans pour qu‘elles prennent leurs marques dans le monde scientifique. Ce fut grâce au programme du MAP dirigé par DAVID qu‘une mission de reconnaissance archéologique (fin 2001-début 2002) a été consacrée à ces ruines. De septembre à décembre 2002, le MAP s‘est investi aux travaux d‘excavation sur deux sites DGB. Il s‘est agi, par ordre de fouille, de DGB-8 et DGB-2. Les résultats de ces recherches ont été diffusés par plusieurs voies. Deux étudiants ayant été membres du projet, ont exploité certaines données de la recherche pour des travaux académiques (DATOUANG DJOUSSOU, 2003 et 2006; RICHARDSON, 2004). Des articles, ouvrage, communications aux colloques, rapports et site web portent sur le sujet DGB (DAVID, 2008, 2004; DAVID et al. 2002; DATOUANG DJOUSSOU, 2005; MATENGA, 2002; MATENGA, 2005; MULLER-KOSACK, 2010)6.

Depuis 2008, le DGB Archaeological Project (DGB-AP), dirigé par MACEACHERN, conduit des recherches non seulement archéologiques, mais également à visée patrimoniale sur lesdits sites et les plaines avoisinantes. Les résultats des travaux sont en train d‘être diffusés à travers des communications aux colloques et des articles (MACEACHERN, 2008, 2010, MACEACHERN et al. 2010, 2012, 2013, DATOUANG DJOUSSOU, 2011) et des theses: le présent travail et celui qui est entrepris par JASON-LAPIERRE, à l‘Université de Montréal.

6 Dans DAVID (2008) se trouvent les contributions de KLASSEN (PP. 147-148), MACEACHERN et DAVID (PP. 142-146), MŰLLER-KOSACK (PP.115-119), DAVID et RICHARDSON (PP. 123-136) et STERNER (PP. 119-124).

187 Toutes ces investigations et productions scientifiques ont contribué et contribuent à une meilleure intelligibilité de l‘architecture DGB. Par ailleurs, elles ont permis à la communauté scientifique internationale d‘avoir des connaissances de plus en plus détaillées et fines sur les preuves, les plus évidentes, d‘habitats anciens du peuplement des monts Mandara. En outre, ces travaux ont révélé et continuent de révéler l‘existence d‘impressionnants témoins de la maçonnerie à sec en dehors de la région comprise entre le Limpopo et le Zambèze. Avant les travaux entamés en 2001 par le MAP, aucune étude ne rapprochait les structures des monts Mandara septentrionaux de celles de l‘Afrique Australe et de la corne de l‘Afrique. En 2002, E. Matenga, Direction du Great Zimbabwe d‘alors, vint visiter les sites DGB lors de la campagne de fouille archéologique qui dura de septembre à décembre 2002. La lecture faite par Matenga rapprocha le modèle architectural des DGB du site Khami, patrimoine mondial, se trouvant à quelques encablures de la ville de Bulawayo, au Zimbabwé. Ce rapprochement fait selon les considérations typologiques a été consolidé par les résultats des datations au carbone quatorze (14C) qui situent les ruines des Monts Mandara dans la même fourchette chronologique que celles de la région de l‘Afrique Australe.

La borne chronologique inférieure des sites se rapproche de la période d‘expansion de l‘architecture en pierre sèche dans la partie australe de l‘Afrique. Il y a des dates des 12ème et 13ème siècles qui ont été obtenues même s‘il l‘on note une forte concentration autour du 15ème siècle (DAVID, 2008; MACEACHERN et al.2010).

Toutefois, malgré ce rapprochement diachronique et typologique, les structures de monts Mandara ne semblent pas avoir de liaison culturelle avec celles des parties australe et orientale de l‘Afrique au sud du Sahara. Leur point commun est l‘usage du même type de matériau de construction que la pièrre. D‘ailleurs, la civilisation zimbabwènne a été réalisé à travers l‘usage des pierres équarries alors que l‘on observe une mçonnerie assez mélagée dans les monts Mandara, témoin de l‘utilisation des pierres de tout venant.

Il ressort, à la suite de ces travaux que l‘élément culturel DGB qui a été longtemps caractérisé par l‘aspect architectural, a une autre composante. Il s‘agit d‘un type céramique spécifique (fig.4.4), du moins à l‘état actuel des connaissances, qui est devenu un indicateur majeur de la « diy-gid-biyité » des ruines dont l‘état de délabrement appelle à une prudence 188

de classification DGB sans une profonde exploration. Des pots entiers ont été mis au jour à DGB-2 et DGB-1. De nombreux objets lithiques et métalliques ont été et sont en train d‘être exhumés (DAVID, 2008; MACEACHERN et al. 2010, 2013), dévoilant ainsi d‘autres natures culturelles d‘éléments DGB.

© DAVID (2002)

Figure 4.4: Poterie caractéristique DGB

189 La combinaison de tous ces éléments de la culture matérielle DGB explicitée par les travaux archéologiques fait aujourd‘hui desdits sites un ensemble culturel constitué d‘éléments culturels céramique et architectural. Ceci étant, la question patrimoniale, d‘ordre national et scientifique, liée à la gestion des DGB concerne tous ces éléments qui ne peuvent avoir de sens que dans leur considération horizontale interrelationnelle. Les DGB pourraient, après analyse des éléments archéologiques, être considérés comme l‘ancienne civilisation la plus évidente des Monts Mandara.

4.4 LA MAÇONNERIE DGB A TRAVERS LE COMPLEXE DE KUVA

Le complexe de Kuva auquel nous faisons allusion dans le présent travail est l‘ensemble formé de DGB-1 et DGB-2 (fig.4.5). Bien que ces structures soient reconnues comme ayant chacune sa structuration, on ne saurait les considérer, dans la présente étude, comme des enceintes totalement isolées l‘une de l‘autre. Nous prenons bien acte des travaux archéologiques du MAP (DAVID, 2008) qui font de ces ruines deux sites distincts. Mais pour nous, elles forment les composantes d‘un ensemble structuré en sous-ensembles architecturaux ayant à leur tour des éléments organisationnels. Leur rapprochement donne lieu à penser à des espaces ayant servi pour une même cause et pendant la même fourche chronologique d‘occupation. Cette contemporanéité d‘utilisation tend à être confirmée par les datations au 14C.

D‘autres raisons plaident pour la considération des deux ruines comme un seul site (MACEACHERN et al. 2013). DGB-1 et DGB-2 sont distants de moins de 100 m dans leur extension nord-est et nord-ouest, respectivement et 32m si l‘on se place entre le sud-est de DGB-1 et le sud-ouest de DGB-2 dont le parement de la plateforme sud-ouest constitue l‘aire annexe d‘organisation. Ce rapprochement ne saurait permettre de penser à des sites distincts sans aucun rapport (DATOUANG DJOUSSOU, 2006). D‘ailleurs les populations actuelles qui desservent ces ruines DGB les considèrent comme des structures habitant les mêmes esprits, ceux des ancêtres et de leurs auteurs. En outre, pour des considérations de conservation, il serait approprié de les présenter comme des éléments constitutifs d‘une même configuration architecturale. Leur disposition est assez semblable de celle des structures formant le Grand Zimbabwé constitué de « Hill Complex, valley Complex et

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great enclosure » et l‘explication fonctionnelle que donnent les Mafa de Kuva n‘est pas différente de celle attribuée à l‘occupation du complexe zimbabwéen.

Plan, DAVID (2002); révision, DATOUANG DJOUSSOU (2004)

Figure 4.5: Configuration du complexe de Kuva

Cependant, pour une lecture succincte de la maçonnerie DGB, il nous a semblé utile de focaliser l‘analyse sur la structure dénommée DGB-1. Ce choix se justifie par le fait que c‘est la structure présentant un état de conservation relativement bon, comparativement aux autres dont l‘état de délabrement est à son comble ou presque.

4.4.1 DGB-1

À une altitude de 787m, DGB-1 est localisé sur le côté nord de l‘axe de drainage du ruisseau Shikewé aux coordonnées UTM à 0369510E et 1207322N, DGB-1 est limité de part et d‘autre par DGB-2 à l‘est. Au sud, il surplombe l‘axe de drainage de Shikawé

191 (apparaissant en saison sèche, comme la vallée séparant Kuva de Mtskar) et au nord la montagne de Mondossa constitue la limite qui met fin au vaste plateau partant du ruisseau Shikewé au sud. Une vallée de 32 m de large le sépare de l‘impressionnant mur de parement de la plateforme sud-ouest, annexe de DGB-2. L‘établissement humain le plus proche se trouve à environ 100 m au nord-est du site. Par ailleurs, ce site est le mieux conservé de toutes les structures DGB.

L‘architecture est dominée par les murs de soutènement. Mais ceux formant le parement des plateformes nord-2 et ouest-1 seraient, au départ, des murs individualisés ou mur à double parements. Présentant une très belle vue du côté nord-est, sa partie ouest est assez dégradée. Des murs mesurant 6m de hauteur existent au niveau des plateformes nord-centrale, nord-est et centre-est. Cependant, comme toute œuvre humaine abandonnée aux intempéries, le site est soumis à de sérieuses menaces. Toutefois, le site garde encore toute son originalité dans l‘histoire architecturale du Cameroun.

4.4.2 Détails architecturaux de DGB-1

Structurellement, le site est constitué de quatorze plateformes (N. David 2008: 20). Dans sa partie nord on en trouve quatre: deux plateformes nord dont N1 et N2 ; une plateforme nord-centrale (NC) ; une plateforme nord-est (NE). Une plateforme centre-est (CE). Une plateforme centrale (C). Il existe deux plateformes dans sa partie centre-sud: centre-sud 1 (CS 1) et centre-sud 2 (CS2). Au sud, nous avons une seule plateforme (S). Il en est de même pour le côté sud-ouest (SO). A la lisière centre-ouest, on y retrouve deux plateformes (OC1) et (OC2). Du côté ouest qui surplombe l‘axe de drainage du ruisseau Shikewé, il en existe deux plateformes ouest-1 et ouest-2. Au-dessus des plateformes NC et CS1 il existe des dispositions circulaire de pierres qui ressemblent à des fonds de case. Il y a une entrée, la seule visible pour le moment7, au côté nord-est comportant un linteau. Cette porte

7 Dans tous les travaux ayant porté sur le site DGB-1 présentés ci-dessus, seule l‘entrée nord-est a été reconnue. Elle est visible à premier abord et se trouve sur le flanc le plus impressionnant du site. Ce n‘est qu‘en 2008 et 2011 que deux escaliers ont été respectivement mis au jour sur le ceinture est de la cour 192

continue sur un tunnel de direction sud jusqu‘au milieu de la plateforme centrale puis tourne à l‘ouest. La porte est à moitié fermée de pierres jusqu‘à une hauteur de 1,5 m. Ceci pourrait nous amener à penser que les auteurs de la structure ont voulu totalement fermer cette porte comme ils l‘ont fait à DGB-2 au niveau des deux chambres. A 3m de l‘entrée, vers l‘intérieur, il y a un aménagement carré vers la droite qui nous laisserait penser à un poste de garde, pour ne pas dire guérite. Après cet emplacement, on trouve, à la gauche, une structure semi-circulaire qui marque la fin de la première section Est du corridor dallé de grosses pierres. La sortie ouest de cette section donne directement sur une structure trapézoïdale dont la grande base mesure 3,90 m et d‘où le corridor suit la direction ouest pour déboucher sur un complexe architectural ceinturé par des murs d‘enceinte et de soutènement. Cette structure a été baptisée «Cour Centrale (CC) » pendant la campagne de fouille de 2008 (MACEACHERN et al. 2010).

Cet aménagement a été réalisé après un travail de tassement de pierres sur une épaisseur de 1, 25m. C‘est un ouvrage dont le but aurait été de corriger la pente descendant vers l‘Est, mais également d‘élever le plancher à mi-hauteur de la plateforme NC. Les ceintures ouest, sud et est donnant forme à la structure ont été respectivement construites l‘une après l‘autre. La ceinture orientale est percée de deux issues dont le couloir traversant la cour dans sa moitié Nord et l‘escalier montant au flanc Est de la plateforme centrale. Mais cette maçonnerie connait un ensemble de désordres qui sont assez identifiables conformément au lexique des problèmes propres aux structures en pierres sèches.

Il se degage, de cette étude du site DGB-1, que ces bâtisses sont constituées de plateformes construites en bourgeonnement. Les murs sont de deux types: des murs à double parements et des murs de soutènement. Chacun des murs est affecté d‘au moins de deux types de désordres que peuvent connaître les structures de cette nature. Leur dégradation tient à deux types de causes: des causes internes et des causes externes.

centrale et le parement ouest de la plateforme. Ces escaliers ne constituent d‘ailleurs des entrées pour l‘ensemble du site. Ce sont des issues internes.

193 Leur présence est la preuve la plus évidente d‘une occupation permanente des monts Mandara septentrionaux par un groupe d‘individus dont les données historiques ne permettent d‘attribuer une certaine filiation. Par ailleurs, ils témoignent du développement d‘un type architectural en Afrique subsaharienne dans la période allant du 11ème au 15ème siècle dont le plus impressionnant est le Grand Zimbabwé, aujourd‘hui patrimoine mondial UNESCO. Cependant, les DGB ne constituent pas les seules richesses du patrimoine archéologique de la région et encore moins du Cameroun.

4.5 LES DGB DANS L’ENSEMBLE ARCHEOLOGIQUE DE L’EXTREME-NORD

Comme nous l‘annoncions au chapitre 2, cette partie traite du patrimoine archéologique du cadre géographique restreint de la recherche. C‘est la région du pays où se trouvent les Diy- gid-biy, éléments archéologiques mis en exergue dans le libellé de la thèse. Il est donc question de les mettre en parallèle avec d‘autres éléments culturels du passé, lointain ou proche, afin de donner une idée d‘ensemble de l‘archéologialité8 de la Région de l‘Extrême-Nord et ses environs. L‘approche permet également de situer les DGB au sein des développements culturels qui se sont déployés dans la région de l‘Extrême, en particulier, et dans le bassin du lac Tchad, en général. Ce dernier semble avoir connu des développements remarquables et remarqués de civilisations dont les indices matériels ont été et sont l‘objet de patrimonialisation. Cependant, il n‘est pas question de présenter tous les sites ou toutes les traces d‘anciennes présences humaines. L‘accent sera mis sur les éléments caractéristiques susceptibles d‘être mis en valeur.

L‘Extrême-Nord est la région administrative camerounaise la plus au nord. Ayant pour chef-lieu Maroua, elle est limitée à l‘est et au nord par le Tchad et le lac Tchad. À l‘Ouest elle partage des frontières avec le Nigéria. Au Sud, elle est limitrophe à la Région du Nord qui à pour chef-lieu Garoua. Sur le plan administratif, la région est subdivisée en six (06) départements dont le Diamaré, le Logone et Chari, le Mayo-Danay, le Mayo-Kani, le

8 Nous entendons par archéologialité de l‘Extrême-Nord, les caractéristiques archéologiques de la région. Il s‘agit donc des sites et/ou des artefacts archéologiques dont regorgent la région d‘étude et ses environs.

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Mayo-Sava et le Mayo-Tsanaga. Toutes ces circonscriptions administratives possèdent des archives enfuies.

© Marliac (1981b, 1991), avec autorisation

Figure 4.6 Quelques pièces archéologiques de l'Extrême-Nord du Cameroun

Dans l‘historiographie de l'archéologie du Cameroun, le Nord-Cameroun, en général, et l‘actuelle région de l‘Extrême-Nord, en particulier, a été le terrain de prédilection de

195 premières recherches archéologiques scientifiques (ESSOMBA, 1992, LANGLOIS, 1995). Dans la partie camerounaise du bassin du lac Tchad, de nombreux objets ont été mis au jour et regroupés en collections (MARLIAC, 1981; 1991 vol. 1 et 2).

La région a livré une variété d‘artefacts remontant chronologiquement au paléolithique et sur le plan d‘industrie, au Early Stone Age (HERVIEU, 1970; JAUZE, 1944). Les sites Hosséré Makabay, Hosséré Minjinré, Hosséré Maroua et le Massif de Mogazang (MARLIAC, 1981b : 33) sont autant d‘anciens lieux d‘activités d‘industries lithiques, des plus remarquables, au sud du bassin du lac Tchad.

De nombreuses pièces bifaciales (fig. 4.6), des lames, haches polies, etc. y ont été collectées. À Tsanaga II et CFDT (A Marliac, 1991 vol 1 : 100-101et vol 2 : 803-808), une importante quantité de bifaces, pointes de javelot ou de flèches, des burins d‘angles, des becs, grattoirs, racloirs distaux sur lames, une pointe de flèche à base concave, une pointe de flèche triangulaire sur roche verte et une sur calcédoine rose, a été collectée sur les points de sondage. À Galdala, une abondante collecte d‘objets lithiques situe une occupation humaine datant du MSA (DATOUANG DJOUSSOU, 2003). Le site 506 (DAVID et al. 1988 : 58) donne la preuve d‘éléments néolithiques assez anciens.

Selon l‘étude faite par MARLIAC (1981 : 72-75), de nombreux objets archéologiques ont été rapportés des localités de montagne et de plaine de la région. Pour les localités montagneuses, nous pouvons retenir Gouzda, Paha, Djokilo Louvar. (MARLIAC, 1968; QUÉCHON, 1974), Roumsiki (MARLIAC, 1972), Godigon, Tala , Mamban (SIEFFERMANN, 1967). Beaucoup d‘artefacts de la région ont fait l‘objet de collection dans le but de mise en valeur dans des institutions de conservation et de gestion du patrimoine.

Dans la collection de Pervès (1945, cité par MARLIAC, 1981 : 73) au Musée de l‘Homme de Paris, on trouve un biface de Maroua, une hache polie provenant de la terrasse du Mayo Kalliao. Au Musée de Douala, LEMBEZAT (1950) y avait fait le don de poignard, hachoir, et perçoir (MARLIAC, 1981 : 73). Au musée de Maroua, une caisse de haches y était laissée. Marliac croit que ce serait des pièces collectées sur les gisements de surfaces des inselbergs de Maroua. On notait également la présence de pierres taillées de Maroua au

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Centre ORSTOM, actuel IRD9, de Yaoundé, entreposée par NICOLAS (1948). Des pièces bifaciales taillées, des broyeurs et meules provenant d‘Oudjila et de Mora-Mokolo10, collection de Laquay (cité par MARLIAC, 1981 : 73), était exposées au Musée de l‘Institut National Tchadien des Sciences Humaines (I.N.T.S.H.) de Fort-Lamy. Au Musée de Fort- Lamy, Courtin y avait laissé un ensemble d‘objets lithiques provenant de Maroua chef-lieu de la Région de l‘Extrême (MARLIAC, ibid.). LANGLOIS (1995 vol. 2 : 268) signale une industrie microlithique (quelques pièces retouchées) à Tchoukol et des éclats de débitages sur quartz et roche verte colluvionnées, à Moundour, non loin de Maroua. Des herminettes- haches, houes et bracelets polis sur roche verte provenant d‘un atelier de taille, en place, ont été récoltés au Nord du massif.

D‘autres éléments issus d‘ateliers de taille (haches, houes, herminettes), de débitage (lames), façonnage sur éclats et poterie, ont été mis au jour dans la basse terrasse du Mayo Tsanaga, classés en Tsanaga I et II (MARLIAC, 1975; 1978). Des armatures isolées de flèche sur calcédoine et poinçons sur os ont été collectées, en surface, à Djodjong (MARLIAC, 1987, 1991 vol. 1: 100) et en place à la mission catholique de Viri, par le père Canel11, et à Tsanaga II (MARLIAC, 1991: ibid.) probablement aussi à Vaïdou, Djengreng et Bosgoy. Les pièces trouvées à Viri ont la particularité d‘être concaves à leur base et sont denticulées (fig.4.7).

On ne saurait passer sous silence les haches-herminettes, houes polies et semi-polies de Salak (MARLIAC, 1991 vol 1 : 162), l‘aiguille et le pendentif en os, les diverses pointes, bracelet, bagues métalliques de Goray (ibid. : 372 et 426-435) et des pendentifs, perles multiformes en fer, os, lithique, poterie, des labrets, boutons, os poli avec perforation, bague et pointe en fer (Ibid. vol 2 : 625-658). À ces ensembles s‘associent des types céramiques à morphologie et décors très variés ayant été récoltés et dont la présentation

9 ORSTOM : Office de Recherches scientifiques et Techniques d‘Outre-mer. IRD : Institut de recherche pour le développement. 10 Mora-Mokolo est une localisation imprécise dénotant du fait qu‘à l‘époque ces localités se trouvaient dans un même département. De ce fait, on ne saurait se faire une idée exacte ou approximative de la provenance de cette collection. Mais son importance réside dans le fait qu‘elle appartient à la région d‘étude. 11 A. Marliac parle de Faïdou et Djingrin dans le manuscrit de Archéologie du Diamaré au Cameroun que nous avions lu, mais c‘est plutôt Vaïdou et Djengreng.

197 dépsserait le cadre de la présente étude ne se voulant pas un exposé sur l‘archéologie camerounaise, mais plutôt un regard sur les considérations et les approches de mise en patrimoine développées dans ledit pays.

© MARLIAC (1991 vol.2: 803 ET Vol. 1 : 434), avec autorisation

Figure 4.7: Exemples de pièces archéologiques du Cameroun

— 1) armatures de flèches: Viri (gauche), Tsanaga II (milieu) et Djodjong (droite) — 2) bague et pendantif —3) pierres percée, tubes en os et objets en fer —4 et 5) divers objets céramiques.

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Dans les abords du Logone et du Chari, les données archéologiques sont très impressionnantes tant par la qualité du matériel que par sa quantité. Ce sont des secteurs qui suscitèrent l‘intérêt archéologique pour le Nord-Cameroun. Dans la Région de l‘Extrême-Nord, la préséance de recherches archéologiques revient à GRIAULE et LEBEUF (1948). Ces travaux levèrent le voile sur la civilisation Sao. Cette dernière désigne un ensemble de traits culturels dont l‘élément principal est la terre cuite. Ce fut une civilisation développée par les anciennes populations qui peuplèrent le sud du lac Tchad et ses environs. Cette zone est de nos jours repartie entre le Cameroun, le Nigéria et le Tchad, conséquences du partage de l‘Afrique entre les puissances coloniales.

Figure 4.8: Sud du bassin du lac Tchad

Les sites caractéristiques de cette civilisation Sao sont des buttes anthropiques, de taille variée. Elles sont de véritables mines anthropiques dont les richesses culturelles sont inquantifiables. Elles contiennent de nombreux objets en terre cuite, en métal (fer, cuivre et alliages), en os et ivoire, en verre et en pierre (LEBEUF, 1977 : 46-94).

199 Dans la catégorie terre cuite, une abondante moisson de mobiliers domestiques (jarres, bol, écuelles, jattes, récipients…) est signalée dans plusieurs travaux (LEBEUF et al. 1980; RAPP ,1984; HOLL, 1987, 1992, 1994; ).

Des outils (fusaïoles, lissoirs…), armes (masses d‘armes), bijoux (bracelets, pendentifs, colliers…), mobiliers funéraires (urnes-cercueils), objets rituels, des figurines (anthropomorphes et zoomorphes) ont été mis au jour (LEBEUF, 1977 : 46-65).

Parmi les objets en métal, on note des outils en fer tels que alènes, vanniers, haches, poinçons, pinces, houes, harpons, bidents, hameçons, pointes de flèches et de sagaies, des bijoux. Il y a également des objets en cuivre et des alliages cuivreux dont des statuettes, figurines animales, bracelets, des pendentifs animaliers (lézard, canard, gazelle), des spirales de nattage, des anneaux de cou torsadés, extrémités de hampes cérémonielles, etc. Des disques de nacre, grains de collier (perles), etc. en os figurent parmi le matériel récolté.

Bien qu‘étant dans une zone dépourvue de prééminence montagneuse, l‘aire de la civilisation Sao a livré une quantité énorme d‘objets lithiques. Ceux-ci témoignent des relations d‘échange entre l‘aire concernée et des sites proches ou lointains. Les rhyolithes, l‘amphibolite gris vert, le grès ferrugineux, la syénite, le schiste, la calcite, le quartz, l‘agate, étaient autant de matériaux exploités pour la fabrication de divers outils (ibid : 08- 81). Des haches taillées et polies, des haches à gorge, des polissoirs, hachettes, des labrets ovales et cylindriques, broyeurs, projectiles, des perles polyédriques, sont quelques uns des outils lithiques ayant été retrouvés dans des couches archéologiques en place ou en position secondaire.

À ces preuves culturelles d‘occupation ancienne de l‘actuelle région de l‘Extrême-Nord, l‘on adjoindrait les éléments culturels de la circonscription administrative voisine du Mayo- Louti, en général et ceux des arrondissements de Guider et de Figuil, en particulier. Bien qu‘appartenant actuellement à la région du Nord, ces localités font partie intégrante de la partie camerounaise incluse dans le bassin tchadien. Les nombreuses haches polies collectées à Lam et Bidzar, les nucléi discoïdaux et les éclats à talon facetté du Mayo-Louti, les burins, les galets aménagés des Mayo Paha (MARLIAC, 1969) et Djokoli Louvar, les

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pointes Levallois sans talon facetté, des burins de Douroum et les éclats para-levallois de Sanguéré (MARLIAC, 1981 : 40-41), témoignent de la richesse culturelle du bassin.

En dehors de ces ressources culturelles, existent des expressions artistiques que sont les pétroglyphes de Bidzar. Ils se trouvent en bordure de l‘axe Garoua-Maroua. C‘est un site regorgeant de représentations anthropomorphes et animalières gravées sur du cipolin (fig.4.9). Ces gravures extériorisent la conception mythologique et religieuse des populations d‘antan. Par ailleurs, elles constituent les témoins évidents de la maîtrise de la gravure rupestre au Cameroun.

© DATOUANG DJOUSSOU (2010)

Figure 4.9: Deux de nombreuses représentations présentes à Bidzar

L‘ensemble de ces éléments de la culture matérielle du Cameroun d‘autrefois souligne la richesse culturelle du passé de la région d‘étude. En outre, ces différents éléments renferment de nombreuses valeurs dont la mise en évidence pourrait conduire à une reconsidération/ré-reconnaissance valorisante. Cette revalorisation pourrait se fonder sur des raisons idéologique, politique, identitaire et/ou économique, dépendamment des acteurs

201 sociaux de la patrimonialisation, fut-elle du ressort du discours dominant ou du discours dominé. De ce faire, elle (la revalorisation) s‘exprimerait au travers d‘une patrimonialité locale, régionale ou nationale, preuve d‘un désir ou d‘une volonté de redonner un ou des sens à des éléments culturels perçus, par la majorité de la masse populaire, comme inexpressifs.

4.6 LES VALEURS DES BIENS ARCHEOLOGIQUES DE L’EXTREME-NORD

La patrimonialisation de certains biens culturels est une forme d'extériorisation d'attribution ou de reconnaissance de valeur à l'égard de ces derniers. Ceci étant, si l'on note de plus en plus une forte propension à la mise en patrimoine des artefacts archéologiques, cela voudrait dire qu'ils ont des valeurs intrinsèques. Mais dans un pays, comme le Cameroun, où les données archéologiques ne constituent pas la chose la mieux connue et partagée, comment avions-nous procédé pour déterminer ces valeurs dont la reconnaissance est d'importance à la fois scientifique et administrative? Nous sommes passé par l'analyse et l'interprétation des récits recueillis au cours des enquêtes ethnographiques et les travaux des scientifiques archéologues.

Pour nous, la mise en évidence des valeurs des biens archéologiques est susceptible d'apporter des informations sur les fondements des enjeux de la patrimonialisation desdits biens. Par ailleurs, la connaissance des valeurs pourrait, comme l‘a dit MACKLIN (1999: 52), aider les administrateurs, les professionnels du patrimoine à « formuler les arguments persuasifs contre les coutumes traditionnelles ou les lois restrictives qu‘ils tentent eux- mêmes de modifier dans leur propre société ».

Pour y arriver, nous nous sommes appuyé sur la logique de la Charte de Burra explicitée dans l‘article 6.2. Cette logique stipule que « La politique de gestion d‘un bien ou d‘un lieu patrimonial doit se fonder sur la compréhension de sa valeur culturelle ». Alors, comme tous les biens et sites archéologiques du Cameroun font partie du méga-patrimoine dudit pays, dans le sens de la propriété, il importe de dégager les valeurs pour lesquelles les acteurs sociaux sont souvent prompts à les protéger, les conserver et les mettre en valeur.

Cette approche de définition des valeurs du patrimoine archéologique de la Région de l‘Extrême-Nord s‘inscrit dans le nouveau courant de l‘ethnographie critique pour laquelle «

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l‘énoncé et l‘affirmation de valeurs ne sont pas les buts d‘une ethnographie en tant critique culturelle; mais ses buts sont plutôt l‘exploration empirique des conditions historiques et culturelles et l‘articulation et de la mise en œuvre de diverses valeurs » (FISCHER, 1999: 167). En fait, il est question ici de procéder par une ethnologie interprétative soucieuse de poser un regard également analytique sur les biens et lieux archéologiques afin d‘évaluer et cerner leur portée socioculturelle dans un contexte local.

Cependant, pour définir les valeurs des éléments archéologiques de notre cadre géographique de recherche, nous nous sommes inspiré des auteurs et des textes tels que les travaux LIPE (1984), la Carte de Burra (révision de 1999), NDORO (2001).

S‘inspirant des expériences européennes et nord-américaines dans le domaine de la gestion du patrimoine culturel, Lipe définit les valeurs culturelles que l‘on pourrait attribuer à un lieu ou un bien en quatre catégories: les valeurs informationnelles, dérivée, économique et esthétique.

La charte de Burra12 qui a été adoptée en 1979 par l‘ICOMOS, en Australie et modifiée en 1981, 1988, 199913, en définit aussi quatre catégories: les valeurs sociale, historique scientifique et esthétique. Par ailleurs, en se penchant sur la compréhension des valeurs culturelles du patrimoine, cette charte s‘est également intéressée à sa gestion, raison pour laquelle ses orientations nous sont parues adéquates dans le cadre de notre réflexion sur les valeurs culturelles des biens et sites archéologiques constituant le matériau du présent exercice. C‘est un document qui a été à l‘origine du développement des modèles de gestion patrimoniale (KERR, 1996; Australian Heritage Commission, 1999).

Dans son analyse des valeurs culturelles du Great Zimbabwe, NDORO (2001: 94) a exploité les valeurs définies par la Charte de Burra en y ajoutant la valeur économique, figurant déjà dans la liste de LIPE. Mais le recours à ces derniers ne signifie pas que notre

12 IL s‘agit de La Charte de Burra «pour la conservation des lieux et de biens patrimoniaux à valeur culturelle» adoptée par ICOMOS Australie s‘était inspirée fondamentalement inspirée de la situation australienne. 13 Australia ICOMOS 1999, The Burra Charter, [en ligne], consulté le 24 04-211 et disponible sur http://www.icomos.org/australia/burra.html.

203 travail a été conduit sans recul vis-à-vis des principes à prétention universelle reflétant un dogmatisme d‘application si tant est que l‘étude du principisme14 par MASSÉ (2003) n‘a révélé aucun «principisme dogmatique, mécaniste et décontextualisé».

Pour ce faire, pour reprendre la formule de DEGRAZIA (1999), les valeurs sont définies par « principisme spécifié » dont la règle est l‘ajustement qualitatif des normes aux cas particuliers (BEAUCHAMP et CHILDRESS, 2001) et par ricochet, «…un principisme sensible aux contextes et aux circonstances …». Ce principisme, comme l‘a reconnu R. Massé (ibid.), a l‘avantage de faire asseoir un vocabulaire assez orienté du champ de réflexion dans lequel se plonge l‘analyse d‘une expérience scientifico-politique et socio- ethnologique en rapport avec les items culturels du passé de la région d‘étude.

Mais la question qui mérite d‘être posée est celle de savoir si ces valeurs définies dans des contextes propres à des situations géopolitiques et culturelles cadrent-elles avec d‘autres contextes ayant d‘autres usages et rhétorique patrimoniaux. Comme réponse, nous pourrions dire qu'il serait illusoire de répondre par l‘affirmative. En fait, l‘expression de la patrimonialité varie d‘un pays à un autre, d‘une région à une autre, d‘un groupe d‘individus à un autre ; même si le monde tend à homogénéiser les principes généraux de patrimonialisation. Le dernier paragraphe de l‘article 1.2 de la Charte de Burra souligne bien que les valeurs portées par les lieux et les biens patrimoniaux peuvent varier en fonction des individus et des groupes en présence. Alors, qu‘en est-il le cas avec les sites et biens archéologiques auxquels se rapporte notre analyse?

Après recoupement des données et vue la contribution que les biens et sites archéologiques mis au jour à l‘Extrême-Nord du Cameroun apportent au passé sociopolitique et culturel du pays, du bassin du lac Tchad, de l‘Afrique au sud du Sahara, ces valeurs pourraient s‘y dégager de manière explicite ou implicite. Cependant, au regard des résultats des nos

14 Selon MASSÉ (2010), « le principisme nous rappelle que le problème en éthique n‘est pas d‘« avoir des principe s» mais d‘y adhérer de façon dogmatique ». [En ligne] dans www.fss.ulaval.ca/cms/upload/ant/fichiers/valeurs_universelles.pdf, consulté le 06-06-2011. Utilisé dans le cadre d‘études de l‘Éthique de la recherche en santé, nous l‘employons ici dans le registre des normes ou critères de définitions des valeurs des biens culturels qui sont le plus souvent énoncées selon les logiques des institutions tels que l‘Unesco, l‘ICCROM, L‘ICOMOS, etc., ou des professionnels et théoriciens en études culturelles.

204

analyses, nous ne pourrions qu‘adopter partiellement le lexique de l‘une ou de l‘autre situation. Pour nous, les valeurs que renferment les données archéologiques du cadre géographique de la recherche sont d‘ordre historique et social.

Quant aux autres valeurs citées dans les travaux pris comme références, leur identification dans le contexte de l‘archéologie de l‘Extrême-Nord ne se révèle que de manière subsidiaire.

La valeur économique par exemple ne pourrait se décliner que comme valeur dérivée puisque les sites ne sont pas encore muséifiés ou tourisifiés, même si certains touristes ayant eu des contacts avec des chercheurs15 connaissant les sites s‘y rendent souvent.

En ce qui concerne de la valeur esthétique, il est vraiment difficile de dire que l‘aspect esthétique aurait joué et/ou influencé l‘origine de leur mise en patrimoine chez les locaux, quoi que pour le discours dominant de la patrimonialisation l‘esthétique influence implicitement certaines décisions à divers degrés. Les objets Sao, les DGB et certaines pièces lithiques présentent une facette esthétique, mais cette dernière, pensons-nous, ne saurait être détachée des autres considérations sociales. Le soin esthétique apporté à tel ou tel objet n‘exprime que l‘intention humaine liée au jeu social. De nos jours, il est vrai que le côté esthétique est l‘un des critères stimulant le désir de les valoriser (patrimonialisation dominante) ; mais l‘analyse de l‘attachement des locaux aux données archéologiques ne s‘observe que sous l‘angle des croyances animistes, pour la plupart.

Par rapport à la valeur scientifique, si tant est qu‘elle constitue les éléments d‘un site ou d‘un objet qui peuvent potentiellement nous conduire à obtenir des connaissances à travers certains domaines scientifiques, est-ce qu‘il vaille la peine de revenir dessus comme valeur lorsque l‘on travaille dans un champ scientifique. En d‘autres termes, si les vestiges archéologiques n‘avaient pas d‘intérêt scientifique, la science archéologique n‘existerait pas. De ce faire, ouvrir une sous-partie visant à démontrer l‘importance scientifique de la culture matérielle du passé serait comme si l‘on entendait défoncer une porte ouverte;

15 Pendant la campagne de fouille archéologique de 2008, l‘équipe de recherche a été marquée par l‘arrivée d‘un touriste qui révéla que c‘est MȔLLER-KOSACK qui lui a parlé des sites de Kuva (DGN-1 et DGB-2).

205 puisque les compétences de plusieurs domaines scientifiques sont mises à contributions dans le champ archéologique.

Mais comment les valeurs dont on a fait mention se laissent-elles appréhender dans le cadre géographique défini pour cette étude. La suite du présent chapitre s'adonne à livrer des éléments de réponse à cette préoccupation.

4.6.1 La valeur historique

Les artefacts étant communément considérés comme remplissant des fonctions usuelles temporelles, ne répondent pas moins en qualité de témoins historiques. On ne le dira jamais, les charges historiques (ou d‘objets témoins) reconnues aux objets est une considération dont les voyages d‘exploration, la colonisation sont des périodes au cours desquelles elles ont connu leur explosion. On rapportait des objets comme preuves d‘un exploit réalisé et/ou d‘une mission accomplie. Mais la culture matérielle atteint le caractère d‘élément de graduation historique au travers de l‘évolutionnisme, avec ses lexiques binaires tels que Bon sauvage-mauvais sauvage, Barbare-évolué et civilisé-non civilisé. Cette remarque prend appui sur celle de TURGEON (2007: 15) pour qui « […] l‘objet matériel a acquis son statut de témoin surtout dans le contexte du discours scientifique occidental du 19eme siècle qui propose une vision binaire du monde: le monde civilisé, associé à l‘écriture et à l‘histoire, et celui, non civilisé, sans écriture et sans histoire ». Et comme la souligné TURGEON (ibid.) la lecture anthropologique (au lato sensu du terme) de la culture matérielle a prouvé que celle-ci renferme des informations d‘ordre historique qui ne demandent qu‘à être décryptées et que l‘histoire ne saurait être confinée à l‘écriture.

L‘intérêt que les régions, et les communautés accordent, de nos jours, au patrimoine archéologique témoigne d‘une reconnaissance de sa valeur historique dans l‘écriture des discours sur le passé. Cette appréhension est bien perceptible dans les domaines de la muséologie et du patrimoine. C‘est un point de vue qui trouve son écho dans l‘article de TURGEON (ibid.: 31) sur la question de mémoire liée aux objets matériels lorsqu‘il dit: « Le regain d‘intérêt pour la muséologie et surtout pour le patrimoine, considéré comme une voie d‘accès au passé par les traces matérielles, participe d‘un désir de voir concrètement le passé et de renouer avec le sens grec du mot "histoire" qui signifie savoir une chose comme

206

l‘ayant vue ». Mais lorsque l‘on parle de valeur historique des objets, il y a une préoccupation sous-jacente qui se dégage en filigrane, c‘est-à-dire celle de savoir ce que renferme cette valeur.

En guise de réponse, elle consiste en la contribution qu‘un objet ou un site archéologique peut apporter à notre connaissance du passé proche ou lointain (NDORO op.cit.: 95). Il est question de(s) élément(s) témoin(s) culturel(s) d‘un groupe donné, d‘une période du temps, d‘un type culturel d‘une activité humaine. Grosso modo, en tant que restes de produits de l‘action humaine ayant résisté à l‘usure des temps, les vestiges archéologiques sont des porteurs d‘informations, ne fussent-ce que parcellaires. Ces objets et lieux ont une valeur historique parce qu‘ils reflètent une longue période du passé humain et nous amènent à nous faire des idées sur ce que fut la vie de nos prédécesseurs. Avoir des informations sur les sociétés disparues via les vestiges est l‘un des principaux objectifs de l‘archéologie qui démontra que les peuples ayant disparu sans avoir connu l‘écriture ont bel et bien une histoire inscrite dans les objets matériels, témoins de leur vécu.

Les recherches archéologiques conduites à l‘Extrême-Nord du Cameroun ont prouvé la place qu‘occupe cette partie du pays dans l‘histoire de peuplement du Cameroun, mais également celle de l‘Afrique subsaharienne. Des éléments et lieux témoins de plusieurs périodes d‘occupation humaine ont été mis au jour. On sait désormais que cette aire géographique a connu des occupations humaines préhistoriques, néolithiques et historiques (MARLIAC, 1991). Les objets lithiques et des traces d‘activité des ateliers de Galdala, Makabay, les pièces lithiques mises au jour à travers la région, rendent bien compte de la préhistoire locale. Les traces d‘occupation qualifiées de civilisation Sao et les DGB révèlent bien l‘histoire de la fixation de groupes humains dans la région.

Grâces aux indices Sao, l‘on sait aujourd‘hui que le peuplement du sud du lac Tchad remonte à 2000 BC (LEBEUF, 1969, 1981; RAPP, 1984; HOLL, 1994) et qu‘il s‘est densifié avec la connaissance de la métallurgie du fer à laquelle s‘ajoutera celle du cuivre et des alliages cuivreux entre 700-800 AD.

La valeur historique déterminée à travers l‘archéologie de l‘Extrême-Nord du Cameroun rappelle aussi l‘histoire politique, économique et sociale par la formation des États

207 (MACEACHERN, 2002) ou des principautés et grands centres de concentration des pouvoirs. Les résultats des travaux archéologiques réalisés à Gréa, Pulké, Doulo et Aissa Dugjé (MACEACHERN et al. 2001) ont conduit MACEACHERN (ibid.: 216) à constater que: « Prehistoric settlements in the plains around the Mandara Mountains, with their evidence of horse use, their wall systems and their proximity to ritually important landscapes at the edge of inselbergs, would have been arenas for public political and ritual display by nascent elite ».

Par les biais de la lecture des indices archéologiques couplés aux données écrites et orales, il est dit que dès le début du 2ème millénaire AD, on assiste à un mouvement de réorganisation sociopolitique. Le royaume du Kanem se met en place au Nord-est du bassin du lac Tchad et de petites cités prennent forme au Sud et au Sud-ouest (Holl, 1989). Une période d‘un siècle (1450-1550) est marquée par un affaiblissement du peuplement qui est explicable par le hiatus séquentiel décelés dans les stratigraphies. À partir de 1550, le peuplement reprend de l‘ampleur avec l‘apparition de cités à murailles, centres politiques livrés à des rivalités les uns avec les autres. C‘est la période qui a vu l‘apparition des cimetières et des inhumations en jarres ou urnes funéraires.

Chronologiquement, les inhumations en pleine terre, à proximité et au sein des espaces domestiques, ont cours entre 2000 BC et 1450 AD, c‘es-à-dire du Néolithique final à la fin de l‘Âge du Fer récent. Dès 1550, on rencontre des tombes secondaires côtoyant des inhumations en jarres et la présence des cimetières. Des dépôts funéraires très timide au cours du Néolithique final, va s‘accroitre pendant l‘Âge du Fer ancien et s‘amplifier remarquablement au tout début du 8ème siècle AD par la présence de perles en cornalines et divers objets en cuivre et alliage cuivreux (HOLL, ibid.).

Par ailleurs, les DGB sont le reflet d‘un passé architectural très remarquable, constituant des valeurs identitaires locales, régionales ou nationales. On sait dorénavant qu‘il y a eu, entre les 12ème et 17ème sicles AD (Tableau 4.2), dans les Monts Mandara septentrionaux, le développement d‘un type architectural bien déterminé et jamais connu dans le bassin du lac Tchad et la sous-région d‘Afrique Centrale (DAVID, 2008 et MACEACHERN et al. 2010, 2013).

208

source: MACEACHERN (2012: 277)

Tableau 4.2: Datation C14 des sites DGB

C'est d'ailleurs en reconnaissance de la valeur historique des DGB que les autorités en charge de la politique culturelle du Cameroun ont souscrit aux considérations scientifiques qui ont révélé l'importance de la maçonnerie à sec des monts Mandara pour l'écriture de l'histoire culturelle du pays en matière d'architecture vernaculaire. L'analyse des données recueillies en rapport avec l'importance des DGB pour les participants a fait ressortir la valeur historique des ruines. Qu'il s'agisse des récits livrés par les riverains des sites ou ceux donnés par les autorités administratives, municipales et traditionnelles, tous les discours évoquent implicitement ou explicitement l'aspect historique des DGB. C'est le cas

209 par exemples des propos suivant du député de Mayo-Moskota recueillis au sortir de la réunion des parties prenantes pour la patrimonialisation des DGB au niveau national:

On ne peut pas cacher les vérités historiques. On nous a toujours fait croire que notre histoire était celle de groupes humains mal organisés, très peu inventeurs, et que la vraie histoire de notre région ne commence qu'avec l'implantation de l'Islam dont les adeptes vivent dans des modèles sociaux mieux structurés et propices à la réalisation de grosses œuvres. Qui peut encore nier que les populations qu'on avait étiquetées par l'appellation kirdi avaient des modes de vie bien organisés et hiérarchisés qui ont été à l'origine du développement des civilisations. Allez dans les grands centres des pouvoirs musulmans, dans et aux alentours des monts Mandara, aucun pouvoir ne réclame une paternité ancestrale des Diy-gid-biy. Or tout le monde le sait, les musulmans aiment beaucoup le commandement et l'honneur. Dans ce cas, depuis que les blancs viennent ici pour les Diy-gid-biy, s‘ils en savaient quelque chose, ils se seraient attribués l'origine de ces monuments. Il faut savoir que les choses ont évolué ; car les autres ont eu à parler en notre nom ; mais ce ne doit plus se passer comme cela de nos jours. C'est pourquoi nous avons répondu présents à cette réunion, la toute première où on invite nos parents pour qu'ils participent au débat sur ce qui nous concerne. De leur côté, les tenants du discours patrimonial dominant, ceux de l'administration culturelle du Cameroun, en l'occurrence, parlent d'une ancienne civilisation architecturale dont la référence en la matière est le Grand Zimbabwé. Pour eux, c'est une fierté historique de savoir qu'une civilisation jamais connue en Afrique Centrale ait été développée au Cameroun il y a plusieurs siècles. Ils accordent beaucoup d'importance au caractère historique des ruines qui, selon eux, constituent des preuves tangibles de l'histoire culturelle du pays.

4.6.2 La valeur sociale

Les travaux scientifiques soulignant le caractère social de la culture matérielle sont innombrables et nous n‘avons pas la prétention de faire un rappel de cette abondante littérature. C‘est la connaissance de cette kyrielle d‘auteurs qui amène TURGEON (op.cit. 21) à faire le constat selon lequel « l‘intérêt pour les fonctions sociales [valeur sociale] de l‘objet [constitue]… le courant de pensée le plus important des trente dernières années […] ». Et selon BOURDIEU (1979), dans un raisonnement à caractère marxiste, les objets forment un canal véhiculant la hiérarchisation sociale et construisent également un « habitus ». Par ailleurs, l‘idée de vie, de trajectoire et de biographie développée par

210

KOPYTOFF (1986) et reprise par plusieurs auteurs (THOMAS, 1991; BONNOT 2002; TURGEON, 2004, entre autres) mettant en exergue le rôle d‘entremetteur social joué par l‘objet, participe de la reconnaissance des intentions sociales que portent ce dernier.

Mais si tant est que les objets contiennent une charge sociale relative aux intentions de leurs créateurs et de leurs détenteurs, à quoi renvoie ce que l‘on entend par valeur sociale? Autrement dit, lorsque l‘on parle de valeur sociale d‘un objet ou d‘un site, que devrait-on avoir comme idée ?

Comme nous l‘avons indiqué ci-dessus en guise de réponse à la préoccupation relative aux valeurs culturelles de biens et lieux susceptibles de patrimonialisation, la réponse est tributaire des cas particuliers et des contextes sociopolitiques et culturels.

Toutefois, selon les critères qui ont été définis par la charte mentionnée ci-dessus et exploités par les auteurs cités, la valeur sociale comporte un éventail d‘éléments.

Selon NDORO (Op.cit. 94), il s‘agit des raisons pour lesquelles une place est le centre de convergence des sentiments spirituels, politiques, nationalistes et autres, pour un groupe d‘individus ou pour tout un pays. Nous en rajoutons en disant que la trajectoire et la bibliographie d‘un objet ou la configuration d‘un site concourt à mettre en évidence non seulement la charge sociale de son contexte de production, mais également la relation symbolique que les utilisateurs présents entretiennent avec lui. Ceci étant, plusieurs sites et objets ont souvent ce genre de valeur. Les communautés locales, régionales ou nationales peuvent les considérer comme sources d‘identité culturelle, de célébration religieuse ou symbole et d‘enracinement culturel.

Par ailleurs, le plus souvent, les valeurs scientifique et historique confèrent à un site ou un objet, une valeur sociale. En fait, les travaux de recherche contribuent à donner une plus- value de considération sociale aux éléments auxquels ils sont orientés. Cette réalité se vit bien au travers des travaux archéologiques qui contribuent, à bien des égards, à booster les consciences de reconsidération valorisante.

Pompéi, les grottes de Lascaux, les Tazunus centrafricains, les mégalithes sénégambiens, le site de l‘Îlot des Palais à Québec, les pyramides égyptiennes, les empreintes des hominidés

211 (Australopithecus afarensis) datés de 3,5 millions d‘années à Laeotoli (Tanzanie), entre autres, sont autant d‘exemples des sites dont les travaux archéologiques ont révélé la valeur sociale. Ces sites ont alors gagné des significations sociales et historiques tant sur le plan local que sur le plan international. C‘est une preuve que les éléments archéologiques possèdent une valeur sociale indéniable. Mais comment cette dernière est-elle défrichable dans le contexte de la richesse archéologique mise au jour à la pointe septentrionale du Cameroun ?

Au regard de la configuration des données archéologiques collectées et inventoriées dans la Région de l‘Extrême-Nord du Cameroun, il ne se pose plus de question quant à ce qui est de leur expression sociale. Des objets mobiliers aux structures archéologiques, la culture matérielle ancienne de la partie camerounaise du bassin du lac Tchad en générale, et de l‘Extrême-Nord en particulier, livrent d‘importantes informations d‘ordre social. Cependant, il est à souligner que cette valeur sociale véhiculée par les artefacts est double; car on relève une qui est en rapport avec le passé et une autre avec le présent.

La valeur sociale du passé renvoie au contexte primaire de production et d‘usage dont les interprétations archéologiques permettent de prendre connaissance. Les objets lithiques obtenus par façonnage, débitage ou polissage de la roche verte de Maroua qu‘on a trouvés à Galdala, sur certains sites DGB (DATOUANG DJOUSSOU, 2006) et dans l‘aire de la civilisation Sao (LEBEUF, 1969) témoignent d‘un réseau de relation ou d‘organisation social du travail. Qu‘ils aient été acquis par don, échange ou production personnelle, ils marquent un point de rencontre entre plusieurs groupes d‘individus. C‘est un contexte d‘échange en rapport avec la dynamique sociale d‘antan (MYERS, 2001).

Les sites Sao et les DGB ont une forte valeur sociale. Les ruines DGB qui sont des structures architecturales organisées en éléments architecturaux tels que des cours, plateformes, silos, couloirs, portes, escaliers, chambres, terrasses, contreforts et mur de soutènement, présentent une sorte de vie sociale interne et externe.

La vie sociale interne est en rapport avec la structuration des ensembles architecturaux. En effet, les structures constituant l‘ensemble de l‘architecture laissent savoir un mode de vie sociale interne propre à chaque société. Quant à la vie sociale externe, elle est l‘expression

212

de la personnalité au travers de la forme impressionnante que les auteurs ont donnée aux bâtisses. Les structures DGB n‘ont pas la même configuration architecturale et les dimensions varient d‘une structure à une autre. Cela pourrait être interprété comme une volonté délibérée des auteurs de dire ce qu‘ils sont, d‘affirmer leur personnalité et dessiner la hiérarchie sociale (TURGEON, 2007). Cette expression du pouvoir social, politique, rituel à travers l‘architecture a été reconnue à Sukur (Nigéria) où le Xidi ou chef, a construit une demeure extraordinairement monumentale (SMITH et DAVID, 1995).

D‘ailleurs, même si les données fournies par l‘archéologie ne permettent pas de confirmer cette assertion, SEIGNOBOS (1982) avait fait l‘hypothèse que les structures DGB-1 et DGB-2 donnaient lieu à un centre de concentration du pouvoir. Il décrit DGB-1 et DGB-2, comme des murailles qui avaient été construites pour freiner l‘élan de la cavalerie. En outre, il qualifie les ruines d‘oppida ou d‘acropoles et dit que l‘entrée Est est la porte du cheval (fig.4.10).

Source, SEIGNOBOS (1982: 43)

Figure 4.10: Vue de l’est de DGB-1 illustrant la porte du cheval. 213 En 2002, MACEACHERN essayait déjà de faire une corrélation entre les DGB et les complexes architecturaux des chefs d‘Oudjila en territoire Podoko, Gulak en région Margui, et les demeures des princes Mofu largement étudiés par VINCENT (1991) qui forment les principales grandes structures architecturales d‘habitation des monts Mandara. MACEACHERN conclut en disant que « In all of these cases, religious and political power in the community appears to be represented by the construction of a "super-compound", the expression in stone of centripetal forces of ritual and common practice that bind these communities together with varying degrees of effectiveness (op.cit.: 207) ».

Par ailleurs, l'hypothèse de DAVID (2004, 2008) faisant d'eux des lieux cultuels d'antan leur donne une cote sociale très acceptable même si ses interprétations ne partagent pas le point de vue de SEIGNOBOS. DAVID oriente l‘usage des sites vers une autre activité en évoquant l‘hypothèse selon laquelle les sites seraient des restes de châteaux d’eau symboliques. En fait, pour DAVID, les DGB auraient été construits dans une situation de crise environnement. Il s'agirait d'une situation de sécheresse qui a nécessité la construction des autels où l'on performait des rituels pour la conjuration des pluies. Ils auraient servi de lieux des cultes à la pluie. DAVID appuie son argumentation par la présence, à proximité des DGB, du domicile du grand faiseur de pluie, le biy yam de Mudukwa. Il dit, à cet effet, ce qui suit: « It is hardly coincidental that the powerful rainmaker, the bi yam of Mudukwa, lives within the area of the DGB sites which his ancestors found abandoned on their arrival generation ago » (DAVID, 2004: 34)

Il pousse son raisonnement plus loin en montant un scénario social relatif au rituel en rapport avec la pluie. Selon lui la forme en S des couloirs représenterait le ruissellement des eaux des pluies et que les escaliers symboliseraient les chutes en cascade des eaux des pluies. Il nous propose d‘imaginer pour un instant les sites DGB soumis aux grandes pluies de juillet et août. Des nappes d‘eau parcourent les plates-formes, tombent en cascade du haut en bas des escaliers et dans les passages d‘où jaillissent des torrents rougeâtres. C‘est donc, d‘après lui, dans ce sens que les Diy-Gid-Biy auraient rempli les fonctions de châteaux d‘eau symboliques. Ils auraient fourni un théâtre pour des représentations pendant lesquelles les acteurs auraient utilisé les passages couverts et les escaliers pour dramatiser

214

leur entrée sur les plates-formes embellies des mises en scènes en pierre et en torchis dont ne survivent maintenant que des traces.

Il dit aussi que le fait que le site DGB-12 de Mondossa se trouve près des réservoir naturels d‘eau tels que les fissures qui ont été protégés, à l‘aide de grosse dalles de granite par les constructeurs du site, plaiderait pour la recherche du pouvoir de la pluie. En outre, en observant le matériel céramique, David pense que l‘abondance des cruches de bière à ouverture en forme d‘entonnoir hémisphérique, de grands bols avec anse et des rares formes connues ailleurs dans les Monts Mandara, rappellent des fêtes et des festins et donc, un fait social.

Par ailleurs, dans une publication très récente, MACEACHERN (2012: 279) souligne la valeur sociale des DGB dans le nord des monts Mandara à travers l'hypothèse suivante:

It seems unlikely that the scale and spectacle of DGB-1/2 would not have had sociopolitical implication for the region, merely through the very fact of their existence: there was nothing else like it in the region at the time, as far as is known. The internal diversity and architectural complexity of DGB-1/2 seems to imply a variety of different activities taking place during its period of use. This certainly included domestic activity on DGB-1 and in the now-terraced spaces between and around DGB-1 and DGB-2, as well as a variety of what can only be called ritual activities in the Central Courtyard area of DGB-1. The latter includes evidence for food preparation and consumption in stone niches on the periphery of the sunken courtyard, burial of a cache of weapons underneath a floor in its northwest corner and the careful construction and then concealment of a stairway in the eastern wall of the courtyard. En outre l‘homogénéité du style architectural DGB dénoterait d‘une intension de marquer son appartenance identitaire à une société ou sa socialisation au sein d‘un groupe humain donné. La disposition des unités DGB dans une aire de 23km2 permet de penser à une connexion sociale entre les individus partageant un espace approprié et segmenté. Ainsi donc, les DGB constituent des formes d‘énonciations sociales abstraites que les archéologues sont en train de décoder afin de les rendre plus intelligibles.

215 Ce système de vie sociale au sein ou entre les unités domestiques est toujours vivant dans les monts Mandara. MACEACHERN (2002: 205)16 rend bien compte de cet état de chose lorsqu‘il écrit:

The montagard domestic unit, the household, is strikingly demarcated from its surroundings as a physical, economic and ritual unit, and the events that take place in the indoor space of the household compound are central to the reproduction of montagnard society. […] Interaction within and between montagnard communities is intense, mediated by considerations of proximity, by distributions of local resources […]. A cette valeur sociale placée dans le contexte premier des DGB, s‘ajoute la valeur sociale vivante.

Transmis d‘abord par contingence historique, ensuite intentionnellement de manière traditionnelle et enfin de manière institutionnelle, la plupart des DGB ont connu et connaissent une récontextualisation leur conférant une valeur sociale indiscutable. Ils sont dotés de nouveaux sens donnés par les groupes récepteurs les ayant intégrés comme partie de leur être socioculturel.

En effet, il ressort des enquêtes ethnographiques que nous avons menées que dix (10) des structures, comme on le verra au chapitre suivant, jouent des rôles essentiels dans la vie des riverains. Grâce aux pouvoirs qui leur sont reconnus par les utilisateurs actuels, les ruines sont des lieux cultuels sur lesquels sont performées des cérémonies rituelles propres à des circonstances données. Tous les sites appropriés sont au centre des préoccupations sociales d‘ordre communautaire, lignager ou familial. Pour ces différents groupes, les sites DGB sont des lieux sur lesquels ils ont des droits inaliénables puisque constituant une partie de leur intimité culturelle. Pour ce faire, ils ont la latitude d‘accorder ou de refuser leur collaboration aux scientifiques intéressés par la question DGB. Nous avons vécu le refus que les utilisateurs de DGB-11, à Bigide Warkama, nous ont opposé lorsque que nous effectuions les enquêtes ethnographiques.

16 Il s‘agit de l‘article intitulé « Beyond the Belly of the house : Space and power around the Mandara mountains », publié dans Journal of Social Archaeology, P.197-219 et mis en ligne sur http://jsa.sagepub.com/content/2/2/197 .

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Par ailleurs, la mobilisation des pouvoirs publics camerounais et de certaines institutions internationales œuvrant pour la protection et la préservation du patrimoine culturel est un supplément de valeur sociale des DGB qui s‘ajoute aux deux précédentes soulignées ci-dessus. On a remarqué la volonté du Cameroun, personne morale, de vouloir s‘inscrire sur l‘échiquier patrimonial mondial à travers les DGB qui semblent mieux témoigner du développement d‘une ancienne architecture vernaculaire en pierres sèches. Les propos d'un cadre de la Délégation Régionale des Arts et de la Culture de l'Extrême-Nord témoignent de la valeur sociale reconnue aux DGB. Ce responsable s'est exprimé en ces termes:

Il n'y a rien à dire sur l'importance des sites DGB. Ces sites illustrent l'intelligence culturelle des camerounais d'autrefois en matière d'architecture. On reconnait en ces bâtisses l'existence d'une société assez organisée au sein de laquelle des valeurs morales et réglementaire régissant la gestion sociétale sont reconnues de tous. Car, lorsqu'on voit ces structures de plus près, il ne fait point de doute que leur réalisation a nécessité la mobilisation ou la conjugaison d'efforts des membres d'une société. Je puis d'ailleurs dire les dimensions architecturales des DGB [fig.4.11] battent en brèche l'idée faisant des populations non musulmanes du Nord-Cameroun celles vivant au sein des sociétés acéphales. On n'a pas besoin de le prouver, les sites parlent d'eux- mêmes. La mise à disposition des pierres et la construction des ces immenses joyaux architecturaux laissent entrevoir une société au sein de laquelle l'organisation du travail est bien établi. On lit en ces structures une main- d'œuvre disponible, des spécialistes de l'art de bâtir en pierres, et surtout sans l'utilisation d'un élément d'assemblage, et une politique de mobilisation. Je tiens d'ailleurs à dire merci aux archéologues qui ont permis à ce que le monde sache aujourd'hui que la réalisation des travaux bien organisés est une pratique assez ancienne dans les sociétés traditionnelles africaines, en général, et camerounaises, en particulier. C'est tout le Cameroun qui est fier aujourd'hui de l'existence de ces témoins d'une ancienne civilisation architecturale ayant été développée dans les monts Mandara. C'est la mémoire de l'histoire architecturale sociale du Cameroun; raison pour laquelle l'État consent à la nécessité de les conserver et de les mettre en valeur.

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© DATOUANG DJOUSSOU (2004)

Figure 4.11: DGB-1 illustrant l'aspect monumental de l'architecture DGB

Mais en plus de sites DGB, d‘autres sites susceptibles d‘être muséifiés possèdent également une valeur sociale.

Il s‘agit notamment des sites Sao, riches en information d‘ordre social. Les tombes mises au jour à Mdaga, goulfeil, Sou Blamé, Sao, Houlouf, Hamei, Krénak, Krénak-Sao et Blé V (HOLL, 1992) rendent bien compte des conceptions sociales du traitement des morts. L‘auteur rapporte qu‘il y a deux types d‘inhumations : inhumations à même la terre, caractérisée par des tombes primaires et secondaires et des inhumations en jarres caractérisées par l‘usage de celles-ci comme bière dans laquelle le défunt est enterré en position fœtal et d‘un nombre variant de jarres disposées à des dizaines de centimètres au dessus du crâne et qui équivaudraient à des pierres tombales.

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En outre, l‘organisation des espaces funéraires comporte aussi une dose d‘appréhension en rapport avec les groupes d‘individus et la hiérarchie sociale. Les inhumations en jarres, par exemple, sont présentes dans les cimetières sauf à l‘exception de 03 sur 111 dont 02 Goulfey et 01 à Gilgil. Ces inhumations, sauf Gigil, sont logées dans les sites à enceinte tels que Goulfei, Mdaga, Midigué, Sao, Houlouf, Longone-Birni, Kabé et Kousseri (HOLL 1987). HOLL rapporte que « dans un ensemble de 15 tells repartis sur un territoire d‘environ 400m² les inhumations en jarres ne se retrouve qu‘à Houlouf seul site à muraille de la région qui est aussi considéré dans l‘histoire orale comme un ancien centre de politique important dont le déclin à profité à Logone-Birni ».

Par ailleurs, la fréquence des biens funéraires, la spécialisation des zones et formes d‘inhumation se prêtent bien à des interprétations relatives aux catégories, hiérarchies, classes et rapports sociaux des individus. C‘est ainsi que ESCHLIMAN (1985 : 198) a pu dire : « Il est remarquable de noter que la mort ne nivelle pas la hiérarchie et les dépendances qui sont à la base du système social, elle les fige plutôt. C‘est le pouvoir qui se protège de la sorte, en se servant de la mort comme consécration suprême de son ordre ».

Dans ce sens, la tombe, lieu d‘expression des différences sociales par excellence, apparaît comme une biographie visuelle et en même temps une « archive visuelle historique » (HOSKINS, 2007 : 148-149) en rapport avec le défunt. C‘est une démonstration du niveau social du disparu ou de sa famille qu‘on muséifie et muséographie sous forme d‘exposition mortuaire permanente que les archéologues découvrent avec beaucoup de passion.

Outre les modes d‘inhumation qui contiennent une charge sociale symbolique, les mobiliers de la civilisation Sao n‘en sont pas dépourvus. Les objets en métal (alliages cuivreux, cuivre et fer) et en terre cuite constituent d‘importants moyens d‘interaction sociale. Le développement de la valeur vénale des antiquités aidant, cette dernière s‘est maintenue jusqu‘à nos jours. Beaucoup de vendeurs de souvenirs de l‘Extrême-Nord proposent leurs collections d‘objets Sao et les vendent aux touristes, en majorité étrangers, même si la vente à ciel ouvert ne se pratique plus.

219 Par ailleurs, lors de notre travail d'enquêtes ethnographiques dans les localités de Goulfey et de Makary, nous avons eu des échanges avec les acteurs locaux sur la question de l'importance des objets Sao. Dans les différents discours recueillis, se manifeste un certain regret plus ou moins voilé du laxisme ayant conduit au pillage et à la déterritorialisation des vestiges de la culture Sao. C'est le cas par exemple de ce discours (par O. K) qui nous a été tenu à Goulfey :

Vous savez, il n'est plus un secret pour personne et nul n'ignore plus que l'histoire des Kotoko est fortement liée aux Sao, grands artisans dont les œuvres sont enfouis dans les abords des fleuves Logone et Chari et le lac Tchad. Mais pour des raisons fondées sur les percepts religieux, nous avons assisté à un désintéressement envers ce flanc de notre histoire. Mais tel que nous renseigne l'histoire ce désintéressement n'est pas imputable à la génération d'aujourd'hui et encore moins à celle qui a précédé la nôtre. On doit l'imputer à l'introduction de l'Islam au sud du bassin du lac Tchad. Nos ancêtres ayant été convertis pendant la période d'invasion musulmane, adoptent la nouvelle religion. Comme conséquence, il fallait se déprendre de toute sorte de représentation. Et la culture matérielle Sao, dans le domaine du mobilier, comme on le sait bien, excelle en statuettes zoomorphes et anthropomorphes, objets incompatibles avec l'Islam. C'est ainsi que ces objets ont été passés à l'oubli, donnant l'occasion et la latitude aux prédateurs des antiquités de toutes sortes de s'en servir à bon vouloir. Mais l'envie de savoir son histoire, ses origines, ses valeurs culturelles étant inhérentes à la nature humaine, la génération actuelle des Kotoko entend réapproprier son histoire dans toutes ses dimensions. Alors, pour y arriver, tous témoins d'histoire de quelque dimension et nature que ce soit, ne sauraient être l'objet de négligence. Et les objets Sao constituent l'un des témoins essentiels. C'est pourquoi vous voyez qu'ils prennent place dans notre musée. C'est une partie de notre culture et de notre histoire et donc, une partie de nous-mêmes. Nous pensons désormais que la religion ne signifie pas un effacement de son histoire. C'est notre histoire sociale et culturelle que nous conservons et non une vénération d'objets qui compromettrait nos pratiques musulmanes. Cette sensibilité développée par des acteurs sociaux est la preuve que nombre de biens archéologiques charrient une valeur sociale indéniable.

Au regard de ces facettes sociales (du moins celles des éléments évoqués), il devient loisible de dire que la richesse archéologique, de l‘Extrême-Nord du Cameroun contient une certaine humanité résultant de leur biographie (HOSKINS, 2007). Cette charge sociale devient de plus en plus perceptible lorsque les biens et sites archéologiques sortent davantage des considérations d‘instantanés arrêtés pour prendre place au sein des matériaux

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avec lesquels les communautés ou le pays entend écrire son histoire et marquer son identité culturelle.

CONCLUSION

Pour mettre un terme à ce chapitre consacré aux DGB dans l‘ensemble du patrimoine archéologique de la Région de l‘Extrême-Nord, nous pouvons dire qu‘ils forment les seuls témoins d‘une ancienne architecture en pierre sèche en dehors de la région comprise entre le Limpopo et le Zambèze. Datés de la même fourchette chronologique que les grands ensembles de l‘Afrique australe, ils se différencient de ces derniers par leur style architectural et leurs éléments structurants.

Sur l‘échiquier de l'archéologie camerounaise, les sites DGB constituent les toutes premières preuves d‘habitats bâtis du pays. Ils révèlent une ancienne architecture qui s‘est développée dans les monts Mandara septentrionaux entre les 12ème et 17ème siècles. Leur reconnaissance archéologique amorcée en fin 2001 a contribué à l‘enrichissement du potentiel de la culture matérielle du passé de la région camerounaise du bassin du lac Tchad qui s‘était déjà illustrée en livrant de nombreux artefacts du passé lointain ou proche. D‘importantes collectes d‘objets lithiques préhistoriques y ont été faites et continuent de l‘être. Une civilisation de terre cuite, communément connue sous le nom de « civilisation Sao » est révélée dans les abords du Logone et du Chari et une culture d‘art rupestre est mise en évidence à Bidzar.

Ces vestiges de la culture matérielle du passé humain de la Région de l‘Extrême-Nord possèdent des valeurs historique et sociale. Ces dernières se perçoivent aussi bien dans les considérations historiques qu‘ethnologiques. Ceci étant, nombre d‘éléments archéologiques font l‘objet d‘attachement intime à caractère national ou local, mettant en évidence leur caractéristique d'objets patrimoniaux.

Cependant, comme il est souligné au chapitre 1, le but pour nous n'est pas de dire que tel ou tel autre objet est patrimonial ; mais de le prouver. C'est pour cette raison que le chapitre qui suit est consacré à la mise en évidence du processus de patrimonialisation et les rapports manifestés envers un objet de statut patrimonial afin de marquer la différence entre ce dernier et le reste des biens culturels. Pour ce faire, les DGB dont il a été question tout

221 long de ce chapitre constituent le matériau pour l'étude de cas qui a pour but de relever les marqueurs de patrimonialisation et les indices d'attachement symbolique.

222

CHAPITRE 5: LES DIY-GID-BIY ET LA QUESTION DE LA PATRIMONIALISATION ET DE LA PATRIMONIALITÉ

INTRODUCTION

Le mobilier archéologique, ces restes de la culture matérielle du passé dans lesquels sont encodés des valeurs historiques et sociales des sociétés créatrices et utilisatrices, primaires ou secondaires, sont devenus de plus en plus l‘un des schèmes du référentiel patrimonial. Ils sont au cœur des enjeux identitaires, idéologiques, politiques, professionnels conduisant au développement des mesures de protection contre les menaces de destruction et parfois de déterritorialisation extranationale ou extrarégionale. On attribue au mobilier archéologique l‘attribut de ressources fragiles, non-renouvelables et par conséquent, des objets à traiter avec beaucoup de précaution.

Aux préoccupations en rapport avec ce qu‘ils seraient s‘ajoutent des appréhensions liées à leur gestion. Pour ce faire, les administrateurs, les politiques, les professionnels, les scientifiques, voire des tiers, déploient des efforts de manière parallèle ou conjuguée afin de garantir aux collections archéologiques une sauvegarde et une mise en valeur optimale. Des textes législatifs et réglementaires, des recommandations et des appels se multiplient sous les auspices des regroupements continentaux, régionaux, sous-régionaux et nationaux dans l‘optique de discipliner les acteurs sociaux vis-à-vis d‘une meilleure considération du patrimoine archéologique (MERRIMAN, 2002; SMITH, 2004; SMITH and WATERTON, 2009). L‘archéologie s‘ouvre au champ patrimonial et devient un élément de lobby ayant droit de cité dans la GPC.

Cette appréhension culturelle d‘origine occidentale qui a été à la base du discours patrimonial dominant (SMITH, 2006; WATERTON et al. 2006) s‘est propagée à travers le monde. À cet effet, la question liée à la préservation et la conservation du patrimoine archéologique est désormais de portée internationale.

Au Cameroun, malgré le fait que l‘archéologie soit une jeune discipline dans les curricula académiques, elle devient davantage une science du patrimoine qui participe aux débats sur la gestion des biens culturels du pays. Ici, comme sous d‘autres cieux, les éléments

223 archéologiques sont, pour ceux qui en ont une sensibilité, placés sans discernement dans la catégorie patrimoine culturel.

Mais la question que l‘on se doit de se poser est celle de savoir si cette conception rentre dans le champ définitoire de la patrimonialité relative aux biens et sites patrimoniaux dans un contexte local, national, voire international.

Pour apporter des éléments de réponse à cette préoccupation, l‘exemple des sites DGB nous a semblé un cas d‘étude approprié. L‘objectif de ce chapitre est donc d‘amener le lecteur à cerner la logique de passage de l‘élément archéologique à l‘objet patrimonial, d‘une part, et d‘autre part, d‘expliciter les caractéristiques de ce statut, c‘est-à-dire la patrimonialité qui se manifeste envers un élément culturel. Sur ce, il est question de présenter les différentes catégories de patrimonialisations et de patrimonialités envers les DGB tout en nous étalant sur les logiques sous-tendant les unes et les autres.

5.1 PATRIMONIALISATION DES SITES DGB

La reconnaissance archéologique des raretés architecturales dans les Monts Mandara a soulevé le problème de considération ou de reconsidération des sites archéologiques d‘importance. Ces sites ont révélé la place de la contribution de la science archéologique à l‘enrichissement du patrimoine culturel d‘une communauté, d‘une région ou d‘un pays.

Au Cameroun, les monuments DGB ne sont pas les premiers sites archéologiques à avoir révélé le passé culturel du pays. Des lieux historiques tels que l‘abri sous-roche de Shum- Laka et les pétroglyphes de Bidzar ont témoigné d‘une occupation préhistorique et d‘une maîtrise artistique. Malheureusement, ces sites n‘ont pas pu attirer l‘attention nationale pendant plusieurs années. Ce n‘est qu‘en 2001 que le ministère de la Culture d'alors va en tenir compte pendant la réalisation de ce qu‘il a appelé Inventaire Général du Patrimoine Culturel et Naturel du Cameroun. Et c‘est dans cette mouvance que DAVID a fait la reconnaissance archéologique des Diy-gid-biy pendant la campagne de décembre 2001- février 2002 (DATOUANG DJOUSSOU, 2006). Depuis lors, des mesures de mise en patrimoine nationale ont été enclenchées pour leur assurer une meilleure sauvegarde.

224

Mais d'après l'analyse des données glanées au sujet de la patrimonialisation des Diy-gid-biy et l'interprétation qui en a suivi, il se dégage que deux types de patrimonialisations se sont réalisées sur ces éléments témoins de la plus ancienne civilisation architecturale en pierres sèches de la sous-région d'Afrique Centrale. L'une a été qualifiée de patrimonialisation nationalisante et l'autre de patrimonialisation locale.

5.1.1 La patrimonialisation nationalisante des DGB

Avant d‘entrer dans le développement de la patrimonialisation nationalisante, une précision apparaît utile pour mieux la saisir. C‘est une formulation qui entend extérioriser l‘idée renvoyant à toutes les démarches d‘appropriation patrimoniale à l‘échelle nationale. Il s‘agit de la conjugaison des efforts administratifs, politiques et scientifiques mis en œuvre pour faire passer les DGB du statut d‘éléments archéologiques à celui d‘éléments patrimoniaux bénéficiant de la reconnaissance de l‘État-nation qu‘est le Cameroun. Mais cette patrimonialisation qui est aujourd‘hui perçue comme telle, mérite d‘être appréhendée de manière diachronique afin de situer le lecteur par rapport au début de la popularisation desdits sites par les scientifiques et leur considération comme éléments culturels à valeur patrimoniale.

5.1.1.1 Rétrospective de la patrimonialisation nationalisante des DGB

Signalé par BOUTRAIS depuis 1973, puis en 1982, par SEIGNOBOS (DATOUANG DJOUSSOU, ibid. DAVID, 2008), ce n‘est qu‘en 2002 que l‘importance des sites dans l‘enrichissement du patrimoine culturel immobilier du Cameroun va être révélée par le MAP (DATOUANG DJOUSSOU, 2011). DAVID procède à la mobilisation de ceux qui constituent les parties prenantes de la mise en valeur des DGB. Les travaux archéologiques que l'équipe du MAP entend y conduire expriment ainsi une sensibilité pour l'aspect patrimonial des tout premiers témoins d'évidences architecturales dans l'histoire de l'archéologie camerounaise. Pour le directeur du MAP, il est nécessaire d'impliquer, dès le début, ceux qui peuvent être, de près ou de loin, appelés à jouer un rôle déterminant pour la nouvelle forme de patrimonialisation dont il voudrait voir les DGB bénéficier. Pour ce faire, les autorités administratives, traditionnelles, les élus locaux et les riverains sont mobilisés et mis à contribution pour ce qui va être fait comme recherche sur les DGB. Ces

225 acteurs sociaux on répondu favorablement à la sollicitation du MAP; car certaines autorités feront d'ailleurs le déplacement de prise de connaissance à Kuva (fig. 5.1).

6

4 5

3 2 1

© Mandara Archaeological Project (2002)

Figure 5.1: Visite sur le DGB-1 à Kuva

1 (sous-préfet de Mozogo), 2 (Lamido de Mozogo), 3 (N. David), 4 (maire de Koza), 5 (député de Koza), 6 (député de Mozogo).

Aux niveaux national et international, DAVID s'adresse respectivement à la Direction du Patrimoine Culturel (DPC), service central du ministère de la Culture (Mincult), actuel Ministère des Arts et de la Culture et à l'ICCROM, dans le cadre de la préparation des fouilles archéologiques de 2002. L'initiative de DAVID reçut des échos favorables à ces deux paliers. L‘ICCROM répondit positivement, par le canal d‘Africa 2009, en envoyant Edward Matenga, Directeur du Great Zimbabwe d‘alors, comme consultant et le Mincult à

226

travers la DPC17. À ce stade, la machine de mise en patrimoine à l'échelle nationale et internationale18 des DGB semble définitivement lancée. Des coopérations s'établissent entre l'ICCROM, l'UNESCO et le Mincult pour une reconnaissance mondiale et une mise en valeur selon les normes du discours dominant en rapport avec le patrimoine culturel.

Des missions de concertation, de formation, de sensibilisation et d‘information vont se multiplier dans le but de mieux préparer (outiller) les différentes parties prenantes et d‘assurer de bonnes conditions de patrimonialisation aux DGB. L'ICCROM et le Mincult sont à pied d'œuvre et décident de commun accord à répondre à l'une des recommandations formulées par MATENGA (2002) soulignant le manque de capacité locale en matière de gestion des structures en pierres sèches. Il était précisément question d‘un conservateur et des maçons formés en la matière19.

Des mesures de protection et de mise en valeur se mettent en branle. Il n'est plus jamais autorisé de faire des fouilles archéologiques sur les sites si le Mincult n'est pas rassuré des mesures de conservation afférentes. Parmi celles-ci la conservation in situ des structures composant les sites et la non déterritorialisation du matériel archéologique semblent les plus importantes.

17 Mais le Directeur du patrimoine culturel qui devrait être présent pendant le séjour de Matenga sur le terrain, n'avait pas pu effectuer le déplacement à cause de contraintes administratives de dernière minute. 18 La patrimonialisation internationale est subséquente à la patrimonialisation nationalisante. Ceci est dû au fait que le recours que le Cameroun a fait à l'ICCROM apparaît comme un plaidoyer de reconnaissance et protection à l'échelle internationale. 19 En 2003, un jeune camerounais, en la personne de J-M. Datouang Djoussou, reçoit une subvention de l‘ICCROM pour une participation à un séminaire, organisé par Africa 2009, portant sur l‘inventaire et la documentation des structures en pierres sèches qui se tint à Gaborone, au Botswana. Le but était lié au principe de l‘ICCROM qui prône le transfert des compétences. Ce jeune va s‘enquérir des orientations théoriques et participer aux travaux pratiques en rapport avec la documentation et l‘inventaire. A l‘été 2004, le même camerounais reçoit une autre subvention de l‘ICCROM via Africa 2009. Il est envoyé au centre de restauration du Great Zimbabwe où il fera un séjour de formation en restauration/reconstruction, en matière de maçonnerie à sec. De retour au Cameroun, ses services sont sollicités par le MAP pour la documentation de DGB-1(J.-M. DATOUANG DJOUSSOU, 2004) qui est le site le plus attractif des ruines DGB. Au bout de toutes ces expériences, il fera partie du comité de suivi qui sera mis en place. Avec les connaissances qu‘il a des sites et les nouvelles capacités acquises, il sera de toutes les missions administratives et les travaux scientifiques portant sur les sites.

227 Toutefois, il est important de souligner que même si dans l'ensemble on parle de sites DGB, les actions menées laissent transparaître une priorisation de certaines ruines DGB. Les DGB-1 et DGB-2, probablement grâce à leur aspect grandiose et l'attraction sensorielle qu'ils exercent sur les visiteurs, semblent davantage retenir les attentions et ce, depuis les premiers travaux (BOUTRAIS, op.cit; SEIGNOBO, op.cit.) de recherche qui n'avaient aucune orientation patrimoniale. DGB-1 et DGB-2 seront d'ailleurs un projet situé pour l'Africa 2009. Des fonds seront défrayés du budget du programme dans le but de parvenir à une meilleure sauvegarde de ce qui fait désormais office de rareté et d'exceptionnalité de témoins d'une ancienne architecture vernaculaire de pierres sèches en Afrique Centrale.

Comme couronnement de la politique de mise en patrimoine nationale, voire internationale, en avril 2006, les sites ont été classés sur la liste indicative du Patrimoine Culturel et Naturel du Cameroun qui a été soumise à l‘appréciation de l‘UNESCO. Ce fut les résultats du séminaire de validation de la liste indicative des biens culturels et naturels du Cameroun, organisé par l‘UNESCO et le Ministère de la Culture du Cameroun, du 30 janvier au 1er février 2006 à Yaoundé. Les DGB figuraient ainsi parmi les trois biens du domaine architectural, la chefferie de Bafut et le Lamidat de Rey Bouba, devant être reconnus mondialement. Ils étaient également l‘un des quatre types de biens archéologiques, à l‘instar de l‘abri sous roche de Shum Laka, l‘ensemble mégalithique de Saa et les pétroglyphes de Bidzar, figurant sur la liste.

Au travers de cette proposition au classement, les DGB bénéficient désormais d‘une preuve de reconnaissance en qualité de bien culturel à valeur patrimoniale. Leur mise sur la liste indicative témoigne du principe de patrimonialisation qui implique l‘idée de sélection de biens culturels du grand ensemble culturel pour le statut de bien patrimonial. Ils ont été soustraits des objets culturels, en général, et du patrimoine archéologique, en particulier, pour faire partie de la shortlist d‘éléments patrimoniaux marqués du sceau de la reconnaissance nationale.

5.1.1.2 Mécanismes de la patrimonialisation nationalisante des DGB

Le bilan rétrospectif de la patrimonialisation des DGB présenté ci-dessus indique clairement que les dispositions administratives de reconnaissance, de conservation et de

228

mise en valeur des sites DGB ont été pensées comme une nécessité par les autorités camerounaises. C‘est la patrimonialisation venant du sommet de l‘État camerounais puisque toutes les actions sont menées avec l‘aval des administrations mandatées par «la voix consensuelle» des populations du pays.

Cette mise en patrimoine conférant le statut de biens patrimoniaux d'échelle nationale aux DGB est considérée comme dominante. Cet attribut se justifie par le fait que la patrimonialisation mise en œuvre par l'État s'appuie sur les outils législatifs et réglementaires permettant de garantir une protection appropriée aux sites. Par le biais de ces outils, les avis des autorités en charge de la politique culturelle prédominent. D‘ailleurs la loi patrimoniale de 2013 citée au chapitre 3 donne droit à l‘État camerounais d‘exproprier le propriétaire d‘un site ou d‘un élément patrimonial si jamais ce dernier est d‘un intérêt national et que des menaces de détérioration pèsent sur lui. Par ailleurs, selon l‘article 15 de la loi fédérale n° 63-22 du 19 juin 1963, qui est en vigueur aujourd‘hui, « Les propriétaires des monuments ou sites classés ne peuvent ni détruire ni modifier l'état des lieux ou leur aspect sauf autorisation spéciale donnée par le Ministre de l'Education nationale, après avis de la commission supérieure de protection des monuments, objets et sites de caractère historique ou artistique ».

Beaucoup d‘autres articles (6, 12, 23, 14, 16, 29, 23, 26, 27, 28, 30 et 31) de la même loi abondent dans le même sens, confirmant la prédominance de l‘appareil étatique sur les désirs des tiers et des groupes d‘individus ou des communautés, quoi qu'il existe un écart entre les initiatives en matière de normes bureaucratiques et la traduction de ces mesures en acte. Administrativement, les services culturels savent que l'État est au-dessus de tous. Cette suprématie de l‘État a été mise en évidence à travers des discours recueillis au auprès de certains responsables de l‘administration culutrelle du Cameroun. Le texte qui suit, discours tenu par le délégué régional des arts et de la culture pour l‘Extrême-Nord, en rend bien compte.

Les sites DGB posent bien un problème de gestion. Ils se trouvent au cœur des villages densément peuplés et sont, d'une manière ou d'une autre, propriétés des riverains. C'est une situation qui appelle à une délicatesse à tous les niveaux du processus. Mais il est une chose, comme on a l'habitude de le dire, nul n'est censé ignorer la loi. Cette dernière est faite par les hommes et pour les hommes

229 et donc, lorsqu'il advient de l'appliquer, il n'y a pas d'exception à faire. Il y a une loi patrimoniale qui définit ce qu'il convient de faire dans un contexte de patrimonialisation comme celui des sites d'architecture que les scientifiques ont portés à la connaissance nationale et au-delà. Nous ne voudrions pas dire que le ministère assurant la tutelle de la politique culturelle procédera par une expropriation manu militari de ceux qui en sont propriétaires, il y aura des plateformes de négociation ; mais il faut reconnaitre qu'à un certain niveau, l'État a le dernier mot. On ne doute plus de l'importance de ces sites pour le Cameroun. De ce fait, nous veillons désormais à ce qu'ils soient bien conservés et que d'autres dégradations, surtout celles de nature humaine, n'y surviennent plus. Toutefois, nous comptons sur la bonne collaboration des riverains pour que cela soit possible. Outre la posture dominatrice de l‘administration nationale en charge de la politique culturelle, s‘ajoutent les forces des organisations internationales. Elles sont acquises aux causes nationales soit par la ratification des chartes et conventions, soit par l‘adhésion à celles-ci. L‘UNESCO20, l‘ICCROM sont les organisations impliquées dans la patrimonialisation des DGB. Ces organisations non gouvernementales qui peuvent être considérées comme des institutions internationales œuvrant pour la protection et la conservation du patrimoine culturel, sont également des outils contraignants et normatifs exploités dans les discours dominant du patrimoine.

Pour la reconnaissance patrimoniale internationale, la convention de l‘UNESCO de 1972 est l‘outil dont la satisfaction des critères mentionnés ci-dessous est le préalable pour toute inscription à la liste du Patrimoine Mondial. Ceci expliquerait la raison pour laquelle son expertise et son support ont été sollicités afin d‘assurer une patrimonialisation à l'échelle mondiale des DGB comme c‘est le cas des certaines structures de cette nature identifiées en Afrique Australe. Pour ce faire, il fallait rester dans le discours dominant définissant les critères de classements tels que la valeur universelle se déclinant en « chef-d‘œuvre du génie créateur humain ». Grosso modo, il s‘agit de répondre au moins à l‘un des critères i,

20 Le Cameroun a adhéré, depuis de nombreuses, à plusieurs conventions de l‘UNESCO et en a ratifié. Nous avons par exemples : Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels. Paris, le 14 novembre 1970 (adhésion le 25 mai 1972). Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel. Paris, le 16 novembre 1972 (ratification le 07 janvier 1982).

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ii iii, iv et v des paragraphes 49-53 de la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel21. C'est un outil normatif orienté vers une conception existentialiste de la nature des biens patrimoniaux. Il s‘agit de les transmettre, dans la richesse de leurs valeurs, aux générations à venir. Pour ce faire, il faut lister les éléments patrimoniaux dont les valeurs sont jugées universelles, bien que ces critères soient sujets à des critiques22, pour en assurer la sauvegarde.

Toutefois, il faut noter que le discours patrimonial dominant sur les DGB repose sur celui des scientifiques que sont les archéologues. En effet, dans le contexte de la mutation statutaire des DGB, le discours des archéologues a été la première pierre de l‘édification de la reconnaissance nationale et internationale. Ce sont les données fournies par ces outsiders, dans le sens etic de la compréhension d‘un fait social (HARRIS, 1976), et leur lecture culturelle qui ont incité la volonté de protéger et conserver les sites DGB. Cette incitation viendrait de la révélation du caractère exceptionnel des ruines DGB et la profondeur historique dans laquelle elles plongent. Ce discours scientifique constitue le fait ayant légitimé la cote patrimoniale des DGB au niveau nationale et au-delà. Cet usage des données scientifiques étaye à suffisance l'idée avancée au chapitre 3 selon laquelle le patrimoine dominant est celui qui est sous-tendu, entre autres, par les discours scientifiques.

Cette acceptation de la voix des scientifiques pour la consolidation de la prééminence des décisions de l‘administration sur la position des tiers ou des communautés rentre dans le champ de la gouvernementalité23 culturelle qui exprime la mentalité patrimoniale. Les savoirs des scientifiques ont été et sont exploités par les administrateurs et les élus locaux pour justifier les plaidoyers pour la mise en valeur des DGB. Les datations issues des analyses scientifiques et l'affirmation de l'exceptionnalité de l'existence des DGB dans la

21 Http://whc.unesco.org. 22 Beaucoup (Cleere, 2001; Lawental, 1998, par exemple) pensent que ces critères sont teintés d‘eurocentrisme. 23 Dans le champ de la réflexion foucaldienne (FOUCAULT, 1991), la gouvernementalité raisonne sur une pluralité de buts spécifiques qui impliquent une multiplicité de tactiques adéquates. Parmi ces tactiques, il y a évidemment les lois, mais aussi le pouvoir scientifique qui est un appareil utile servant souvent de socle au discours politique et/ou idéologique.

231 sous-région d'Afrique Centrale, sont des éléments sur lesquels se fondent les arguments appuyant les démarches de mise en patrimoine tant au niveau national qu'au niveau international.

Mais la patrimonialisation nationalisante, par l‘usage de plusieurs types de moyens de pouvoir, se développe dans une logique de contrôle de la richesse patrimoniale. Administrativement et politiquement, les institutions étatiques telles que la Direction du Patrimoine Culturelle et les délégations régionales des arts et de la culture jouent le rôle de contrôle de police et de gendarme du pouvoir central. En fait, nonobstant le fait qu‘elles aient pour charge l‘encadrement des populations de toutes les couches sociales dans la gestion patrimoniale, elles sont également dotées des dispositions réglementaires leur permettant de réprimander les délinquances envers les politiques culturelles. L‘article 34 de la loi fédérale confirme cette appréhension lorsqu‘elle stipule que :

Toute infraction aux dispositions des articles 6, 12, 13, 14, 15, 16, 19, 22, 23, 26, 27, 28, 30, et 31 sera punie d'une amende de 12.000 à 4.800.000 francs sans préjudice de l'action en dommages-intérêts qui pourra être exercée par le ministre de l'Éducation Nationale24 contre ceux qui auront ordonné les travaux exécutés ou les mesures prises en violation de ces articles.

Sur ce, nous pouvons dire que le déploiement de différentes administrations dans la gestion patrimoniale, au Cameroun comme ailleurs, constitue un quadrillage de l‘ensemble du corps social, du local au national. C‘est un mécanisme de contrôle adroitement préparé de l‘intérieur pour servir à des fins idéologiques, identitaires, économiques, etc. Il impose la discipline patrimoniale à tous ceux qui auront affaire au patrimoine du pays. C'est ainsi qu'à travers les structures de gestion du patrimoine, l‘État dresse l‘esprit social en procédant par l‘imposition des normes législatives et réglementaires. Cette imposition traduit le regard hiérarchique assurant l‘examen permanent de la société afin de la rendre conformiste par

24 Il est à signaler que le ministère de l‘Éducation qui a été dédoublé en ministère de l‘Éducation de Base et ministère des Enseignements Secondaires à cédé la tutelle culturelle au ministère de la Culture bien que la loi culturelle de 1991 n‘eût pas encore remplacée celle de 1963, pour cause de manque de décret d‘application.

232

rapport à la politique et/ou l‘idéologie culturelle soutenue par un «discours patrimonial dominant»25.

À travers les services centraux et déconcentrés de l'administration culturelle camerounaise, la gestion du patrimoine culturel du pays se présente comme un système de contrôle assez structuré où la voix du pouvoir étatique est celle qui a le fin mot. Ce système est un mécanisme de contrôle au travers duquel l‘État camerounais croit pouvoir avoir une posture susceptible d'apeurer les acteurs sociaux sur tout écart de comportement préjudiciable à la politique culturelle. Les rapports du Cameroun aux DGB illustrent bien ce mécanisme ; car les DGB se trouvent sous le contrôle du Ministère des Arts et de la Culture grâce à la Direction du Patrimoine Culturel et la Délégation Régionale des Arts et de la Culture de l'Extrême-Nord qui sont respectivement des administrations centrale et déconcentrée. Celle-ci est l‘oroeil et l‘œil des publics au niveau régional en matière des arts et de la culture, et par ricochet, dans le domaine du patrimoine culturel.

Cependant, il faut souligner que la patrimonialisation nationalisante des DGB n'a pas, malgré son caractère subsumant, pu mettre en berne celle que les riverains avaient déjà mise en place.

5.1.2 La patrimonialisation locale des DGB

La notion de patrimonialisation locale introduite dans ce travail s‘entend comme l‘ensemble des méthodes et tactiques de mise en patrimoine développées par les riverains des sites DGB. Il est question, comme souligné au chapitre sur la politique patrimoniale au Cameroun, de patterns de patrimonialisation d'origine endogène. Il est question de l‘aspect emic de la mise en patrimoine des DGB. Mais la préoccupation principale est celle de savoir les indices permettant à mettre en exergue cette appropriation protectionniste et conservatrice à connotation futuriste guidée par le souci de transmission aux générations à venir.

25 Nous nous sommes inspiré de l‘expression « Athorised Heritage Discourse » (AHD) formulée par SMITH. Mais comme il n‘y a pas de discours patrimonial interdit, nous avons trouvé le terme «dominant» plus adéquat.

233 5.1.2.1 Méthode et tactiques de la patrimonialisation locale

Dans les monts Mandara septentrionaux, la patrimonialisation des DGB par les communautés locales, des lignages ou des familles remonte à la nuit des temps. Elle est révélée par plusieurs marqueurs qui explicitent les procédés mis en place par ceux qui vivent dans les environs des sites. Il s‘agit des rapports d‘appropriation, de conservation et de sauvegarde qu‘ont les locaux aux ruines. Ce sont des rapports se différenciant des ceux manifestés par les scientifiques et les autorités en charge de la politique culturelle du Cameroun.

Selon les résultats de nos analyses, les structures DGB appropriées font partie de ce qui est localement appelé ǹndiy giy26 et le pattern de patrimonialisation en pratique est celui de la sacralisation (Tableau 5.1) par l'installation des mbuloms27. Les sites ont été l‘objet d‘appropriation communautaire, lignagère ou familiale (fig.5.2), sur fond religieux et/ou mythique avec devoir de protection et de transmission, qui leur confère des valeurs patrimoniales. Ils sont des lieux protégés, investis de pouvoir et entretenus par les pratiques cultuelles qui impliquent leur transmission de génération en génération. Les marqueurs de patrimonialisation locale sont les différents autels que les communautés, lignages ou familles ont érigés sur ou près des sites DGB et faisant d‘eux des éléments appropriés. C‘est dire que les DGB font partie de la culture matérielle particulièrement préservée et conservée par les populations locales. Ces dernières qui ne sont pas les auteurs des ces structures et qui n‘ont pas, pour la majorité, une idée des groupes ayant développé cette maçonnerie, les ont intégrées dans leurs dispositifs cultuels.

Cette patrimonialisation des DGB par les locaux confirme davantage notre assertion selon laquelle « qu‘il soit archéologique, historique, ethnologique ou naturel, le patrimoine n‘existe que par l‘existence des acteurs sociaux qui lui donnent forme et sens, selon leurs croyances, leur politique et les besoins du temps ».

26 Signifiant littéralement manger la maison c'est le terme générique désignant l'héritage. 27 Autel.

234

En effet, biens culturels reçus par contingence historique par les populations actuelles des monts Mandara septentrionaux, les DGB sont sous protection, à quelques exceptions près28. Les populations locales tiennent à la protection de l‘intégrité actuelle des sites et les secteurs de murs qui ont résisté à l‘usure des temps sont sous observation conservatrice. Les pierres des parties écroulées ne sont plus déplacées alors que les riverains ont besoin des matériaux de construction en pierre. Ce besoin est manifeste tant pour l‘édification des structures d‘habitation constituant les gay29 Mafa que pour la construction des terrasses agricoles. Selon les participants rencontrés à DGB-9, DGB-10, DGB-12, lesdits sites sont souvent l‘objet de reconstruction lorsque survient un écroulement sur une quelconque partie de la maçonnerie. Il se dégage donc que les DGB bénéficient de l'attachement protecteur et de conservation qui favorise leur transmission d'une génération à une autre

Cet attachement des indigènes aux DGB symbolise leurs perceptions sociale, culturelle, historico-identitaire par rapport au passé. Les locaux veulent assurer une longue vie aux éléments culturels qu‘ils ont investis de charges symboliques, charges liées aux conceptions et croyances religieuses et mythiques. Pour nécessité de la cause, plusieurs stratégies de sauvegarde sont mises en places et le respect des interdits religieux et sociaux en font partie. Ces mécanismes de préservation fondés sur des principes à dominance religieuse révèlent la différence assez fondamentale des critères de patrimonialisation entre les modèles endogènes et exogènes.

Les DGB qui sont perçus, a priori, par les scientifiques comme des données pour l‘écriture de l‘histoire (au sens large du terme) du Cameroun, sont pour les locaux des éléments patrimoniaux reçus de leurs ascendants, bien qu'ils reconnaissent que ce ne sont pas ces derniers qui les ont bâtis. Les riverains des DGB ont développé une sensibilité culturelle vis-à-vis de ces vestiges et fait asseoir des lois qui régissent leur conservation et leur transmission aux jeunes générations. Cette sensibilité à connotation patrimoniale est nourrie

28 Sur les 16 ruines DGB répertoriées, six (DGB-3, DGB-4, DGB-5, DGB-13, DGB-14 et DGB-16) ne sont pas patrimonialement appropriées. 29 Le gay est une appellation de l‘ensemble d‘unités d‘habitation organisée en une ferme familiale communément appelé «concession» dans le français local, ou saré, en fulfulde, langue véhiculaire dans toute la partie septentrionale du Cameroun.

235 des considérations immatérielles rattachées à la matérialité architecturale des DGB qui constituent l‘une des marques tangibles du palimpseste de l‘occupation humaine des monts Mandara septentrionaux du Cameroun.

Source, David (2008); modification DATOUANG DJOUSSOU (2012)

Légende: : Patrimoine communautaire : Patrimoine lignager

: Patrimoine familial : Non approprié

Figure 5.2: Catégories patrimoniales des DGB

Il se révèle que les indigènes ont leurs propres tactiques et méthodes de conservation, voire de perception, d‘interprétation, de préservation, de valorisation et de transmission du patrimoine culturel. Comme tactiques et méthodes de préservation et de conservation, la sacralisation se dégage comme le mécanisme le plus utilisé. Tous les sites appropriés l'ont été par le canal des considérations sacrales ayant induit leur inviolabilité pour les riverains.

236

Ces stratégies et méthodes de conservation qui sont des expressions culturelles propres aux utilisateurs actuels des DGB, prouvent la variabilité des processus de patrimonialisation. Cette variabilité est tributaire des cadres géopolitiques et culturels, foyers sociaux de toutes initiatives de reconnaissance affective envers certains éléments culturels ou naturels dont on voudrait assurer l‘existence sur le long terme. Comme nous l‘annoncions au chapitre 4, les procédés patrimoniaux en applications sur les DGB témoignent d‘un fond endogène très ancien de mise en patrimoine, battant en brèche l‘assertion attribuant le développement de « l‘habitude patrimoniale30 » à l‘Occident.

Cette habitude patrimoniale locale apporte un éclairage sur la diversité culturelle et permet de mieux cerner, de manière transversale, le comportement patrimonial dans le nouveau paradigme international de sauvegarde du patrimoine culturel. Elle amène à ne plus douter que le désir de mise en patrimoine est un fait social transculturel très ancien se rapportant à la mise en place des dispositions matérielles et immatérielles de conservation et de transmission des biens patrimoniaux à travers le temps. Cependant, qu‘est-ce que traduit l‘approche patrimoniale locale?

Comme l‘a remarqué KREPS (2008) par rapport à la tâche de conservateur assurée par les indigènes dans les musées, l‘approche patrimoniale des locaux vis-à-vis des DGB met en exergue, comme nous le verrons ci-dessous, l‘intangibilité à travers la matérialité. Les pratiques protègent, de manière commune, l‘intégrité spirituelle et matérielle des sites. Cependant, comme l‘a dit SMITH (2006) dans le contexte australien, la véritable patrimonialisation locale des DGB n‘est pas fondée sur la valeur de leur matérialité; mais plutôt sur les charges symboliques qui leur sont rattachées. Ce sont les pratiques, les croyances religieuses et les savoirs traditionnels inscrits dans les ruines de cette ancienne architecture vernaculaire qui constituent le ciment de leur intégration dans l‘habitude patrimoniale des habitants de leurs environs. Elles sont des espaces sacrés importants pour la pérennisation des pratiques religieuses, et donc, des lieux d‘esprit au travers desquels des

30 Cette expression est inspirée de KREPS (2008 :193) dans son texte intitulé «Indigenous curation, museums, and intangible cultural heritage» faisant office de 10ème chapitre de Intangible Heritage, édité par Laurajane Smith et Nattsuko Akagawa.

237 récits de pratiques et de vie, des pratiques rituelles sont transmis d‘une génération à une autre. Ces récits jouent un rôle fondamental dans le maintien de propriété foncière et des relations sociales faisant du patrimoine un élément d'exclusion et d'inclusion.

Les DGB Catégorie Moyens de sacralisation patrimoniale

DGB-1 et communautaire diy mbulom ḿbiya'a (Pierre dressée et pot formant le lieu sacré communautaire majeur) DGB-2

DGB-6 communautaire Diy mbulom, (des pots constituant un lieu sacré communautaire)

DGB-7 familial mbulom (pierres dressées représentant l'esprit des auteurs des DGB et ceux des ancêtres)

DGB-8 lignager mbulom qui est le zhigilé gay (pierre dressée et pots représentant le couple divin)

DGB-9 communautaire diy mbulom (pierres dressées)

DGB-10 lignager ged mbulom (pierre dréssée)

DGB-11 lignager ged mbulom

DGB-12 lignager mbulum mutsor (autel caché)

DGB-15 communautaire diy mbulom mutsor (autel communautaire caché)

Tableau 5.1: Catégorie patrimoniale des DGB et élément de consécration

5.1.2.2 La compréhension de la patrimonialisation locale

Toutefois, cette transmission s‘opère à travers des curators traditionnels. Dérivé du verbe Latin curare, le terme anglais de curator nous semble très expressif par rapport à la notion française de « conservateur ». Signifiant « prendre soin de », cette notion latine présuppose l‘existence des personnes dévouées à l‘exercice.

238

Dans le cadre des DGB, les soins qui leurs sont administrés sont dévolus aux responsables des sacrifices, chargés des rituels, et parfois, prêtres de la terre, reconnus par les groupes humains s‘y sentant symboliquement rattachés. Ce sont des spécialistes qui savent lire les désordres physiques sur les sites, les phénomènes surnaturels qui constituent des menaces appelant à des interventions de protection matérielle ou immatérielle. Ces interventions sont faites au nom d‘une famille, d‘un lignage ou d‘une communauté.

En abondant dans la même veine que KREPS (2003) et SULLIVIAN et EDWARDS (2004), ces intervenants sont responsables devant les désirs de la société puisque les pratiques font partie des traditions et systèmes de l‘organisation sociale (KREPS, 2008: 195) qui régissent la vie des groupes et des familles. C‘est un devoir sociétal auquel la politique patrimoniale locale astreint ceux dont la loi successorale religieuse "condamne" à maintenir vivaces les pratiques ancestrales qui régulent la vie en société.

Ce devoir n‘est imposé par aucun pouvoir politique même si actuellement les chefs traditionnels (biy), les élus locaux sont du comité de suivi initié localement dans l‘arrondissement de Mayo-Moskota. Ce dernier est le fruit d‘emprunt des patterns de patrimonialisation exogènes introduits par les scientifiques, les professionnels et les administrations des politiques culturelles.

Cette patrimonialisation locale que nous considérons de dominée, est la plus ancienne appropriation qu‘ont connue les sites. Elle remonte au début du peuplement actuel de la partie septentrionale des monts Mandara que l‘on pourrait situer aux 16ème-17ème siècles si tant est que les différents groupes sociaux occupant la région n‘ont pas des connaissances édifiantes sur les auteurs des ruines.

Selon les données filtrées de nos entretiens, avec les participants du clan Kər bay à qui tous les autres clans de Kuva reconnaissent la préséance sur les lieux (à Kuva), les ruines étaient noyées dans une brousse à leur arrivée. On a pu retenir ce récit qui nous a été conté par celui qui assure le monitoring sur le complexe de Kuva:

239 Lorsque nos ancêtres sont partis de la région occupée aujourd‘hui par les Podokwo [au nord-est des monts Mandara], ils se sont implantés à Givanda31 [actuel site de la mission catholique d‘Ouzal]. Après, ils ont migré vers l‘emplacement actuel. Le paysage DGB de Kuva était une broussaille et personne n‘avait connaissance de l‘existence des ruines. C‘est en allant à une partie de chasse que l‘ancêtre fit connaissance des DGB. Le milieu étant propice à l‘agriculture, l‘élevage et la chasse, il se décida de venir s‘y installer. Mais lorsqu‘il eut mauvaise production et que le gibier devenait de plus en plus rare, il s‘est rendu chez le devin et ce dernier lui a fait savoir que tous les mauvais sorts qu‘il subit sont provoqués par les DGB. Pour se concilier leurs bonnes grâces, il se doit de les ménager en leur adressant des sacrifices; car ce sont eux qui commandent la fertilité des terres et tout ce qui s‘y rapporte, mais également le bien être des occupants. C‘est ainsi que le premier Kər bay a intégré DGB-1 et DGB-2 dans son quotidien et en est devenu le principal responsable spirituel. Aujourd‘hui, les DGB contiennent non seulement les esprits de leurs auteurs, mais également ceux de nos ancêtres. Pour la prospérité de notre clan et de celui de tout le village, nous nous devons de les protéger et de perpétuer les sacrifices que cela implique. Après avoir présenté les deux types de patrimonialisations en rapport avec les DGB, la question que l‘on se pose est celle de connaitre le rapprochement qu‘on pourrait faire entre les différentes mesures de leur protection et conservation et les logiques qui les sous- tendent.

5.1.3 Rapports des deux types de patrimonialisation autour des DGB

Que ce soit au niveau national ou au niveau local, les différentes démarches et pratiques orientées vers la protection des DGB constituent des marqueurs de patrimonialisations. Elles indiquent les indices d‘appropriation, de sélection, de reconnaissance, voire de ré- reconnaissance. Leur catégorisation donne lieu à des patrimonialisations locale, nationalisante et internationalisante. La première porte l‘estampille des communautés locales, lignages, familles et comité de suivi. La deuxième et la troisième sont réalisées par les scientifiques, les administrations publiques en charge du patrimoine culturel et les organisations internationales qui se font maitres du discours patrimonial. Néanmoins, les deux catégories de patrimonialisation qu'on retrouve dans le contexte des DGB ne reposent

31 Cette appellation signifie champ d‘arachide. Le récit dit qu‘il s‘agissait d‘un champ trouvé en place et dont les auteurs sont restés inconnus jusqu‘à l‘exploitation maximale par les nouveaux venus.

240

pas sur les mêmes mobiles. La patrimonialisation locale qui émane des patterns endogènes est gouvernée par des raisons religieuses alors que la patrimonialisation dominante est en relation avec les nouveaux paradigmes de politique patrimoniale. Ces paradigmes ont été lus au niveau de la patrimonialisation des DGB au travers d'un certain nombre de discours comme ces propos du chef de service des monuments et sites historiques de la direction du patrimoine culturel:

Les anciennes architectures qui sont découvertes dans les monts Mandara doivent être une fierté nationale en matière culturelle. Elles nous rappellent l'intelligence de nos prédécesseurs et révèlent que ces derniers ont été aussi bien ingénieux qu'innovateurs. Alors, la mémoire de nos anciens génies mérite une reconnaissance nationale. Et c'est fort de cette dernière que l'État du Cameroun n'a pas hésité de s'engager dans le processus de mise en patrimoine dès lors qu'il a été mis au courant de l'existence de cette civilisation architecturale. Les scientifiques disent qu'en Afrique Centrale, c'est seulement au Cameroun qu'on les trouve. C'est pour cela que je dis que c'est une fierté nationale; car elles permettent au Cameroun d'écrire son nom en lettre d'or sur l'échiquier culturel continental et mondial. Et, sans langue de bois, notre pays militera pour que ces merveilles aient une reconnaissance mondiale et une mise en valeur de grande ampleur. À mon sens, il est d'intérêt national que ces sites archéologiques soient inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO, ils le méritent et notre pays mérite également d'être reconnu culturellement à cette échelle. Il ressort de cet extrait que la patrimonialisation élevant les DGB au statut d'éléments d'importance nationale est insufflée par certains aspects des fondements de la politique de mise en patrimoine du Cameroun qui sont mis en exergues au chapitre 3. En fait, l'appropriation des DGB par l'État du Cameroun et les actions de mise en valeur qui sont menées rentrent dans la logique donnant le sens d‘élément de mémoire et de positionnement au patrimoine culturel.

Sur le plan mémoriel, la mise en patrimoine de DGB par le Cameroun exprime une volonté actuelle de mémoire du passé: il s‘agit de conserver les témoins d'une ancienne architecture vernaculaire qui avait été développée en territoire camerounais. Cette conservation, pour les tenants du discours dominant, permettra aux générations à venir de savoir le génie des camerounais d'antan en matière d'architecture. On voit ainsi une invitation à partager une expérience collective, civilisation architecturale, ayant traversé le cours de l‘histoire et une pédagogie d‘appropriation et de partage de valeurs culturelles d'autrefois. C'est une

241 patrimonialisation qui repose également sur une problématique de médiation entre l‘intégrité et l‘intégration d‘éléments culturels au travers d‘une orientation identitaire inspirée par l‘imaginaire culturel national dont est soucieux l'État. C'est l‘expression d‘une conscience patrimoniale nationale se voulant une redéfinition, une reconsidération et une nouvelle forme de mise en valeur de l‘"identité culturelle nationale" dans un monde où le patrimoine culturel devient de plus en plus une arme politique, économique, voire idéologique.

Par ailleurs, la patrimonialisation des DGB peut être assimilée à une volonté de positionnement par le fait que les discours, qu'ils soient bureaucratiques ou scientifiques, qui la sous-tendent les positionnent comme une exception en Afrique Centrale. Ce positionnement essaye de les mettre en comparaison avec les structures architecturales analogues, par leur nature, présentes en Afrique subsaharienne. Cette comparaison a pour référentiel les structures en pierre sèche de l'Afrique Australe que sont, entre autres, le Grand Zimbabwé et Khami, au Zimbabwé.

De ce fait, il se dégage qu'à travers les DGB, le Cameroun se positionne comme une autre aire de l'Afrique subsaharienne où la maçonnerie à sec avait aussi connu un essor. Cette exceptionnalité en Afrique Centrale a été d'ailleurs l'un des principaux points d'intérêt soulignés par le Cameroun lorsque les DGB avaient été proposés pour le classement à la liste du patrimoine mondial tenue par l'UNESCO. Comme cela a été dit au chapitre 2, les DGB sont utilisés pour des fins de positionnement culturel non seulement sur le plan continental, mais également sur le plan mondial.

L‘analyse du schéma patrimonial des DGB laisse entrevoir quatre niveaux de patrimonialisation, suivant les acteurs sociaux impliqués passivement ou activement dans le processus (fig. 5.3).

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• 1er niveau de • 2ème niveau de patrimonialisation: les patrimonialisation: modèles endogènes introduction de (sacralisation). patterns sexogènes par les scientifiques (inventaire ).

les les populations scientifiques locales

les organisations l'État internationale (Ministère de s (UNESCO, la Culture) ICCROM) via Africa 2009 • 4ème niveau de • 3ème niveau de patrimonialisation: patrimonialisation: internationalisation nationalisation des des DGB. DGB.

Source, DATOUANG DJOUSSOU (2011)

Figure 5.3: Niveaux de patrimonialisation des DGB

Cette matrice schématise la relation cyclique entre les différents niveaux de patrimonialisation. Il en ressort que le premier niveau de patrimonialisation des DGB est d‘origine locale bien qu‘il soit subsumée, de nos jours, par le discours patrimonial dominant. C‘est le modèle endogène de mise en patrimoine dont le moteur est la sacralisation. Le deuxième niveau apparaît avec les scientifiques qui ont apporté une nouvelle vision patrimoniale différente de celle manifestée par les locaux. C‘est la patrimonialisation scientifique des sites qui annonce également l‘introduction des patterns exogènes avec son corolaire de discours dominant assujettissant ou phagocytant implicitement le premier. Comme le signale le sens cyclique de la flèche relationnelle, le rapport des scientifiques à l‘administration camerounaise chargée de la politique culturelle va amener cette dernière dans le mouvement de reconnaissance des sites. C‘est le troisième niveau de patrimonialisation que nous considérons comme la nationalisation des DGB puisque c‘est le ministère de la Culture du Cameroun qui s‘y est impliqué. Les textes

243 réglementaires et législatifs protègent implicitement les ruines et ces dernières se voient revêtir les attributs du statut de bien patrimonial d‘ordre national.

L‘adresse des voix des niveaux 2 et 3 aux institutions internationales s‘intéressant à la protection et la conservation du patrimoine culturel telles que l‘UNESCO, l‘ICCROM a déclenché le niveau 4 de la patrimonialisation. Cette phase est ce que nous entendons par internationalisation des DGB qui n‘est autre chose que la reconnaissance internationale de leur valeur patrimoniale. Cette assertion tient de l‘implication de l‘ICCROM via Africa 2009 depuis les opérations de fouilles archéologiques en 2002. Il a donné un appui d'expertise au MAP pour la toute première campagne d‘excavation sur certains sites DGB.

Par ailleurs, ce dernier niveau de patrimonialisation en association avec le troisième niveau, entretient des rapports d'orientation de mise en valeur avec le premier niveau. Les troisième et quatrième niveaux entendent apporter des mesures de mise en patrimoine et en valeur plus rationnelles que celles appliquées par les riverains. Les différentes missions de sensibilisation et d'information effectuées et dont mention est faite plus haut témoignent du diktat dont se prévalent les instances du discours patrimonial dominant.

Mais comment pourrait-on apprécier cette valorisation des témoins de cette ancienne architecture vernaculaire, la plus évidente de l‘histoire du peuplement du Cameroun? Cette chaine de relations entre les différentes sphères de patrimonialisation ne laisse-t-elle pas sous-entendre le partage d‘une certaine logique?

Pour répondre à cette interrogation, nous stipulons que la mise en valeur patrimoniale des DGB, tant au niveau local qu'au niveau national, tout comme l‘acte de conservation, exprime une volonté actuelle de mémoire du passé. C‘est une transformation d‘un passé reçu par contingence historique en héritage collectif d‘ordre familial lignager, communautaire, national, voire international, que l‘on voudrait faire fructifier.

5.2 PATRIMONIALITE AUTOUR DES DIY-GID-BIY

L‘intelligibilité de la patrimonialité en rapport avec les Diy-gid-biy s‘est faite en référence à la définition énoncée par POULOT (2006 : 16-17) selon laquelle : « Le rapport intime ou secret, à des lieux ou à des monuments, d‘un propriétaire, ou d‘usufruitiers à divers titres,

244

de spécialistes ou d‘initiés, au nom d‘attachements, de convictions, mais aussi de rationalisations savantes et de conduites politiques, définit une première patrimonialité ».

Partant de cette définition et suivant la logique des types de patrimoines présentés au chapitre 4 et les niveaux de patrimonialisation présentés ci-dessus, nous avons pu déterminer des catégories de patrimonialités. Cette détermination s‘est faite sur la base de l‘emprise des différents niveaux d‘attachement symbolique. D‘après l'analyse des données collectées tant dans le contexte de la patrimonialisation nationalisante et dans celui de la patrimonialisation locale, nous avons pu déterminer deux catégories de patrimonialité manifestée envers les sites DGB. La détermination de ces catégories a été faite suivant une lecture des discours et attitudes des acteurs des deux catégories de patrimonialisation ci- dessus mentionnées. Il y a une catégorie de nature exogène que nous avons qualifiée de patrimonialité récessive et une autre de nature endogène que nous avons considérée de patrimonialité dominante.

5.2.1 La patrimonialité récessive

Selon ce qui a été développé jusqu‘alors, il ressort que l‘administration camerounaise chargée de la politique culturelle tient, en s'appuyant sur les discours dominants connexes tels que ceux des organisations non gouvernementales et des scientifiques, le gouvernail des initiatives patrimoniales à valeur nationale ou internationale. Ce pouvoir dominant lui est conféré par les textes législatifs et réglementaires en vigueur. Mais cette prééminence du regard hiérarchique sur tous les actes envers les différents types patrimoniaux exprime d‘autres réalités lorsqu‘il s‘agit de mettre en évidence les rapports intimes aux éléments culturels patrimonialisés ou en voie de patrimonialisation. En fait, si dans certains cas l‘attachement de l‘État aux biens patrimoniaux, à travers l‘administration culturelle, est plus fort, une tendance inverse s‘observe dans d‘autres.

Ainsi, pour les types patrimoniaux construits suivant le discours dominant orienté par la conception occidentale de patrimonialisation, les rapports de l‘État à ces éléments sont très développés et on ne peut plus dominants. Il s‘agit des rapports orientés par une conduite de politique culturelle dont l'État se doit être le garant. Ces rapports sont assez expressifs si l'on prend en exemple les monuments historiques, les Archives Nationales, le Musée

245 National, les parcs nationaux, les jardins zoologiques et botaniques, etc. Il s'agit là d'éléments patrimoniaux construits d'une manière assimilatrice fondée sur une référence au modèle occidental de construction patrimoniale et auxquels le plus grand nombre des camerounais n'éprouve pas vraiment une patrimonialité.

Cependant, une réalité contraire se vit dans le cadre des éléments patrimoniaux reconnus par des communautés, des lignages, des familles ou des individus, comme partie de leur être culturel et qu‘ils se doivent de conserver et transmettre aux jeunes générations. Ici, même si l‘on pourrait voir les partisans du discours dominant intervenir comme donneurs de leçons de "bonnes pratiques" de patrimonialisation, les intérêts qu‘ils manifestent n‘ont pas les mêmes impacts positifs que ceux des locaux. La patrimonialité qu‘ils présentent est une patrimonialité secondaire qui se greffe sur la principale, celle exprimée par les véritables concernés au premier chef que sont les locaux.

Cette réalité s‘est dégagée dans le cas des DGB dont les deux niveaux de patrimonialisation sont mis en évidence ci-dessus. En fait, l'analyse de différents types de récits en rapport avec les DGB nous a permis de mettre en évidence la démarcation qu'il y a entre la science, la politique, les discours y afférents et la réalité patrimoniale dans certains cas. On s‘est rendu compte que la patrimonialisation dominante des DGB repose sur une patrimonialité récessive, très peu expressive, voire dominée. Cette dernière traduit les marqueurs d‘attachement des scientifiques et des institutions de gestion du patrimoine culturel aux ruines de la maçonnerie à sec. C‘est un attachement à faible emprise sociale locale qui est subsumé par les remarquables signes de conviction très intimes et la profonde reconnaissance que les riverains des sites laissent appréhender assez aisément.

Cet attachement issu du discours dominant n'émane que de convictions de rationalisation savante dont les scientifiques se croient dépositaires et d'une orientation politique que les autorités étatiques entendent imprimer sur le territoire national. Ce manque d'emprise de la patrimonialité bureaucratique et administrative s'est révélé à Koza et à Mozogo où des réunions des parties prenantes ont été convoquées. Malgré des mesures prises par la Direction du Patrimoine Culturel, en envoyant des lettres d'invitations au préalable, les nombres des participants ont été en deçà des attentes des organisateurs. Le fait a été plus criard à Mozogo, chef-lieu de l'arrondissement dans lequel se trouvent les DGB les plus

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impressionnants et qui constituent la priorité des mesures de conservation à l'échelle nationales.

Ceci étant, pendant la phase d'enquêtes ethnographiques, nous avons posé des questions relatives à cette situation dans le but de savoir pourquoi cette réunion n'a pas été courue par les locaux alors que c'était le moment pendant lequel il faillait discuter de ce qui conviendrait à toutes les parties. L'analyse des réponses fournies à cette préoccupation nous a permis de cerner un manque de considération de la patrimonialité des pouvoirs publics par les locaux. La réponse suivante qui nous a été fournie par le secrétaire général de la commune rurale de Mozogo illustre bien cette interprétation :

Les populations du canton de Moskota vivant auprès des forteresses qui attirent aujourd'hui l'attention des services centraux du pays ont développé des rapports très profonds envers lesdites structures. Ces rapports ont été transmis depuis des générations. Spirituellement dépendantes d'elles, ces populations ne sont pas prêtes à s'en départir. Or, elles savent qu'il y a désormais une volonté publique allant dans le sens de les faire passer pour des biens nationaux. Pour les locaux, il est difficile de comprendre comment les autorités camerounaises qui ont à peine connaissance des bâtisses peuvent prétendre leur donner des conduites à tenir quant à ce qui de la conservation de ces dernières. Alors, ils se disent est-ce que les autorités aiment ces forteresses plus qu'eux ? Par ailleurs, même s'il faut admettre que c'est ainsi que fonctionnent l'administration, mais essayons d'y voir avec beaucoup de recul. Je pense qu'on gagnerait davantage de venir en appui aux locaux que de vouloir leur dire que les pouvoirs publics sont mieux placés pour le travail de conservation. Il faut éviter de penser que les rapports sous-tendus par des besoins de recherche et les missions administratives pourraient équivaloir ceux qui ont été inscrits depuis des siècles32. De ce fait, bien que les partisans du discours dominant se positionnement comme acteurs incontournables de la patrimonialisation durable des DGB, il ne serait pas exagéré de dire que leurs rapports, qu'ils soient scientifiques, professionnels ou administratifs, aux ruines manquent de profondeur d'attachement comme il en existe chez les riverains.

Le sentiment de préserver et mettre les sites en valeur est né à l‘occasion de recherche scientifique du domaine archéologique. Le caractère extraordinaire des restes

32 Propos recueillis à Mozogo

247 architecturaux dans l‘histoire de l‘archéologie camerounaise et la nature du type architectural ont suscité une sensibilité d‘abord d‘intérêt scientifique puis d‘intérêt patrimoniale. Cette dernière témoigne d‘une démarche de rationalisation excitée par l‘impression de savoir les DGB dans une gestion irrationalité.

Cet engouement scientifique va entraîner un déploiement de comportement de réceptivité et de reconnaissance des institutions s‘intéressant à la sauvegarde du patrimoine culturel. L‘engagement de l‘État camerounais, via le Ministère de la Culture, pour une meilleure reconsidération des DGB est un indice évident d'une conviction politico-administrative à vouloir transformer les reliques culturelles du passé en élément identitaire national devant représenter l‘image culturelle du Cameroun à l‘exposition mondiale par la reconnaissance des institutions vouées à la cause culturelle et patrimoniale telles que l'UNIESCO et l'ICCROM.

Les DGB dont la nature et le style étaient inaccoutumés dans le paysage architectural de l‘Afrique subsaharienne, en dehors du foyer compris entre le Limpopo et le Zambèze, ont attiré l‘attention patrimoniale nationale et internationale. Leur positionnement comme projet situé d‘Africa 2009 et leur inscription parmi les biens à valeur patrimoniale retenus par le Cameroun bien qu‘étant des indices de patrimonialisation, sont également des marques d‘attachement composant les caractéristiques d‘une patrimonialité, même si cet attachement est plus bureaucratique qu'intime.

Cependant, cette patrimonialité qui est du domaine de l‘érudition intellectuelle est très peu expressive et interpellatrice pour la masse populaire des communautés camerounaises. Pour celles-ci, cette patrimonialité sous-tendue par les patterns exogènes de patrimonialisation et le discours dominant corrélatif, n‘est qu‘une épi-patrimonialité, comme on pourrait le saisir dans les discours des riverains. L'interprétation des analyses de ces derniers a induit à l'existence d'une idée assez générale chez les locaux qui ont participé à la recherche. Cette idée est celle qui dit implicitement que les locaux sont les plus sensibles à tout ce qui touche aux DGB. Leur sensibilité n'a point de pareille malgré les aspirations de conservation et de mise en valeur manifestées par les responsables de la politique culturelle du Cameroun. Les enquêtes en rapport avec tous les DGB ont révélé des discours comme ceux qui suivent :

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Nous savons que le Diy-gid-biy est important pour nous. Il l'a été pour nos parents, nos grands-parents, nos arrière-grands-parents, nos aïeux et le sera pour nos enfants et leurs enfants ainsi de suite. C'est pourquoi, même dans des conditions assez difficiles, le devoir de satisfaire aux exigences liées à lui (DGB) est fait avec fierté et engagement. C'est ce que nos ancêtres nous ont laissés pour notre bonheur et ce bonheur doit être conservé pour les générations futures33. Un autre de dire : Datouang, les Diy-gid-biy que vous voyez là ne sont pas de simples tas de pierres comme vous le pensez. Pour nous, ce sont des lieux qui participent beaucoup au succès du village tant sur le plan de la fertilité de nos femmes que sur celle de nos animaux domestiques. C'est pour cette raison que nous nous acquittons des sacrifices qu'ils réclament. Ce sont des endroits qui vivent comme vous et nous. Et comme vous et nous, ils ont besoin de manger et de boire. Les sacrifices que nous y faisons sont utiles pour eux et pour nous aussi. Ils sont nourris par ce canal et par ricochet, nous recevons leurs bénédictions. Alors, comment des gens peuvent prétendre aimer ce qui vous tient à cœur plus que vous-même ? Que ce soient les gens du parti [élus locaux], le ngomna [autorité administrative] ou tes amis les Blancs, personne n'aime les Diy-gid- biy mieux que nous34. Ces discours révèlent la patrimonialité condescendante des locaux envers celle exprimée par ceux du discours dominant. Le caractère subsidiaire de la patrimonialité véhiculée par ceux-ci tient aussi du fait que pour se manifester au-delà des frontières nationales, elle exploite les formes de patrimonialités locales comme argument déterminant. C'est le cas par exemple pour le plaidoyer en faveur d'une reconnaissance mondiale des DGB au titre de bien culturel à valeurs universelles comme c‘en est le cas avec certaines structures de même nature de l‘Afrique Australe, classées patrimoines mondiaux.

Cette exploitation mettant en avant plan l‘attachement symbolique des locaux aux DGB traduirait la prééminence des rapports intimes de riverains sur la sensibilité des scientifiques et des institutions qui ont la charge de la gestion patrimoniale au Cameroun.

33 Discours recueilli, à Mtskar, auprès de celui à qui incombe actuellement la protection de DGB-9. 34 Propos recueillis à Kuva où se trouvent DGB-1 et DGB-2. Ces propos nous été tenus par celui qui remplit les devoirS nécessaireS pour la protection spirituelle et physique du complexe de Kuva.

249 La reconnaissance et l‘exercice de la prépotence de la patrimonialité locale ont été plusieurs fois mis en exergue dans le chantier de mise en valeur des DGB. Les locaux ont toujours fait prévaloir la prédominance de leurs rapports aux sites. Ils soumettent toujours les archéologues aux rituels qui sont l‘une des caractéristiques principales de leur patrimonialité. En guise d'exemple, il est souvent demandé aux chercheurs de fournir les éléments devant être offerts en sacrifices pour négocier la clémence des esprits des lieux qui se sentiraient persécutés par la présence allogène et les actes qu‘elle pose.

Les rituels sacrificiels performés sur DGB-8, DGB-2 et DGB-1 lors des campagnes de fouilles archéologiques de 2002, 2008 et 2010-2011 en sont des exemples très expressifs. En 2002, le MAP a été tenu de se soumettre aux exigences sacrificielles en endossant la charge que cela imposait. En 2008 et 2011, le DGB Archaelogical Project est soumis au même devoir et parfois avec des jours fériés pour des raisons liées aux sacrifices piaculaires. En outre, lors des réunions des parties prenantes de 2005, "l‘inaliénabilité" des rapports de riverains aux ruines était la pierre d‘achoppement dont la reconnaissance par les autres acteurs de la patrimonialisation est apparue comme un préalable déterminant.

Mais dans le langage métaphorique de la gestion patrimoniale, les adeptes du discours dominant occultent l‘impotence de leur patrimonialité en mettant en avance la politique d‘inclusion faisant participer les communautés locales aux prises de décisions. Pourtant, l'analyse de leur comportement à l'égard des riverains des DGB a laissé entrevoir un angle de patrimonialité récessive due au poids de celle imprimée par les locaux. Cette dernière qui remonte à la nuit des temps est si forte que toute autre forme d'appropriation ne pourrait passer outre. Ceci étant, l'on se permettrait de dire que le respect des avis des riverains serait une ruse de reconnaissance dont le but est d‘éviter tout échec susceptible de survenir à travers des comportements dissonants des locaux qui sentiraient leur légitimité historique et ethnologique méconnue. La dissonance pourrait subvenir des ressentiments qu'éprouveraient ceux pour qui les sites font partie de la culture matérielle depuis plusieurs siècles. En effet, comme le montrent les discours cités ci-dessus les locaux tiennent aux rapports socioculturels qu‘ils ont aux sites et n‘accepteraient pas qu‘ils soient ignorés ou rendus triviaux. Cette posture des riverains des DGB semble inébranlable ou presque, même s'ils se montrent ouverts aux scientifiques dont l'approche patrimoniale est souvent

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sujette à des remises en cause fondées sur des raisons religieuses telle que l'interruption des travaux, justifiée par la nécessité des sacrifices expiatoires comme ce fut le cas à DGB-1 en 2011. Ce type de patrimonialité dichotomique où la balance pèse du côté des locaux n'est d'ailleurs pas un cas exclusif aux DGB.

Nombre de cas de politique et gestion patrimoniales rendent bien compte des réclamations autochtones (CHIPPINDALE, 1986 ; BENDER, 1998, SKEATES ; 2000 ; SMITH, 2006). Des indigènes, Premières Nations (comme ils sont appelés au Canada) ou Natives (aux États-Unis d'Amérique), ont manifesté leur préséance sur la gestion de l‘héritage culturel. En guise d'exemple, nous avons l‘attachement des indigènes australiens à l‘art rupestre aborigène dont ils n‘entendent pas partager la propriété culturelle managériale (BOWDLER, 1988). Les autorités et professionnels du patrimoine leur ont concédé cette propriété en se remettant à leurs désirs. Ceci démontre la dominance de la patrimonialité locale comme cela se dégage dans le contexte DGB où des communautés, des lignages et des familles ont fait asseoir leurs rapports et soumettent les présences allochtones aux exigences de sacrifices de négociation de la clémence des esprits des lieux et la réparation de probables préjudices qu'elles pourraient produire.

Avec l‘adoption de la convention relative à la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, par l‘UNESCO en 2003, la patrimonialité locale qui est le plus souvent basée sur la dichotomie du sacré et du profane, est rendue davantage importante. Dans le cas des DGB, elle est assez manifeste et tient le haut du pavé. Les sites qui sont considérés par les tenants et les promoteurs du discours patrimonial dominant comme indices d‘un passé à réanimer, sont des lieux vivants et pleins de charges symboliques pour les locaux. Ces sentiments d‘attachements passifs et actifs des riverains constituent une patrimonialité très expressive ayant un large spectre de prédominance qui tanscende le niveau pour imposer une discipline de de protection à tous ceux qui, pour des raisons scientifique ou touristiques se rendent sur les sites.

5.2.2 La patrimonialité locale

La deuxième catégorie de patrimonialité envers les DGB, du fait des voix qui la portent et de son ampleur, est considérée comme la patrimonialité dominante. Cette considération se

251 fonde sur le fait qu‘elle supplante populairement et massivement le discours dominant et les rapports véhiculés par la première catégorie. Elle se rapporte aux rapports affectifs et religieux des familles, lignages et communautés locales aux sites qui font partie de leur vie socioculturelle et religieuse. Cette patrimonialité constitue l‘aspect fondamental des valeurs des sites DGB qui ont contribué à leur conservation et leur transmission de génération en génération.

Les sites DGB sont reconnus, par les communautés riveraines, comme des ruines d‘anciennes demeures d‘un groupe social aujourd‘hui disparu, bien que les travaux archéologiques n'aient pas encore rassemblé des données nécessaires pouvant confirmer cette allégation. Pour les locaux, ce sont des lieux incarnant des esprits maléfiques et protecteurs. Ils les utilisent pour la conjuration des pluies, l‘apaisement des calamités, des rituels relatifs à la vie socio-économique. Sur ce, ils veillent au maintien de l‘équilibre entre les esprits et les vivants en remplissant les devoirs qui les incombent. Mais les dimensions de la patrimonialité des sites sont assez variables. Ils se répartissent, suivant des considérations sociales, en éléments d‘attachement communautaire, lignager et familial.

5.2.2.1 Les sites à appropriation communautaire

Sur les 16 ruines répertoriées, cinq d‘entre elles bénéficient de l‘attachement multi-facette des communautés environnantes (fig.5.2). Il s‘agit des DGB-1, DGB-2, DGB-6-, DGB-9 et DGB-15. Ce sont des lieux cultuels "incarnant" des pouvoirs dépassant l‘entendement humain dont il faut se concilier les bonnes grâces. Ils seraient capables de faire éviter les épidémies, gagner des batailles armées contre une quelconque communauté voisine, favoriser la fertilité des terres et la fécondité des bétails et des femmes. Ces croyances aux pouvoirs reconnus à la plupart des DGB constituent le ferment du devoir de sauvegarde et de transmission dont le but serait d'éviter tout manquement qui pourrait s'avérer néfaste pour les individus à qui échoie la responsabilité.

Pour ce faire, la clémence des esprits des lieux est négociée par la réalisation des sacrifices de chèvres, moutons, poulets accompagnés, le plus souvent, de la libation de la bière locale (zom). Des autels (mbolum) des rituels (pierres dressées et pots) sont aménagés auprès ou au-dessus de ces sites et chaque communauté à un chef-sacrificateur (CS) dont le rôle est reconnu de tous les membres. Les CS (biy) sont assistés, pendant le rituel, de deux hommes 252

dont l‘enfant-guide ou Kirbiygwala et le suppléant du chef, appelé Gad biy à DGB-12 et Biy gwala, c‘est-à dire le disciple du biy à DGB-1, DGB-2 et DGB-9.

Toutefois, nonobstant le fait que ces sites bénéficient tous d‘une patrimonialité communautaire, la taille des groupes d‘individus rattachés à l‘un ou à l‘autre, le type de sacrifice et la performativité des rituels ne sont toujours pas les mêmes. Sur ce, il nous a semblé important de présenter la patrimonialité reliée à chaque site.

Les sites de Kuva

À Kuva se trouvent deux ruines (DGB-1 et DGB-2) approriés par des communautés. Selon l'issue du recoupement de données recueillies pendant les enquêtes ethnographiques, six groupes claniques (Beffé, Béré, Malgujé, Kər bay, Mblayé et Slirwa) témoignent d‘un attachement spirituel aux vestiges architecturaux. C‘est une patrimonialité fondamentalement religieuse qui s‘éploie au travers de plusieurs types de rituels sacrificiels. L‘ampleur de cette patrimonialité qui est assez constante spirituellement, varie manifestement. Elle est très prononcée pendant la fête du Maray35 et lorsque surviennent certaines crises naturelles ou sociales. Mais quelles que soient les circonstances pendant lesquelles elle se traduit en acte, la performance rituelle n‘est pas donnée à tout le monde. Certains clans jouent des rôles particuliers qui leur sont socialement et spirituellement reconnus et comme nous le disions plus haut, ce sont des curators.

Le clan Kәr bay, du fait qu‘il soit Kәrjéjé (premier clan arrivé sur les lieux), détient le pouvoir de la performance sacrificielle, malgré le fait que des pouvoirs parcellaires soient reconnus à d‘autres groupes claniques. En guise d‘exemple de rôles dévolus à certains, le clan Slirwa tient le rôle de biy gwala madzaf (disciple détenant les potions magiques). De ce fait, il s‘occupe des rites en rapport avec la pluie et le vent. Le Malgujé joue le rôle de biy gwala. Ce dernier est indispensable pour le déplacement du CS pendant les cérémonies rituelles. C‘est une hiérarchie établie depuis les temps ancestraux dont ils se doivent de respecter pour que l‘ordre socio-spirituel soit conservé.

35 Le maray est une période de rituels dont la principale caractéristique est le sacrifice du taureau.

253 Le cérémonial du Maray commence près de DGB-1. Tout le monde effectue le déplacement pour le site. On y fait le sacrifice et après, la foule se déporte chez le CS pour les réjouissances. Les jours suivants, ils dansent à travers le village. Le rituel de clôture de la fête se fait sur les DGB-1 et 2. On y laisse les parures portées par les participants. Ils gardent les tarokw (chevillière en pierre) dans une cachette près de DGB-1. On termine par des ablutions. Ces rituels et cérémonies constituent le liant entre les différents clans qui occupent le village.

Mais il est des sacrifices qui n‘échoient qu‘au clan Kər bay dont le lignage Damvalda assume la responsabilité et les obligations. De ce faire, pour sa réalisation, c‘est le CS qui offre tous les éléments nécessaires (deux calebasses à bière, deux pots de zom et une chèvre) à la réalisation du sacrifice. Cependant, pour le rituel, il y a trois actants, mais tous du lignage Damvalda. Le sacrifice est fait suivant un certain ordre respectant la hiérarchie des officiants.

Les sacrifices qui n'incombent qu'au clan Kər bay sont faits deux fois l‘an. À la veille des pluies, on fait un sacrifice pour négocier les bénédictions des esprits pour qu‘il pleuve de manière suffisante afin que les productions agricoles soient bonnes. Pendant la période de maturité de tous les plans agricoles, appelée Zavat en Mafa, un autre sacrifice doit être fait. Ce dernier est réalisé en guise de remerciement, mais surtout pour que les récoltes reçoivent de la bénédiction. Pour les participants, si le sacrifice n‘est pas accompli, les stocks des récoltes vont s‘épuiser très vite et de manière inexplicable. Ils disent que « les esprits (mezheb) reprennent ce qu‘ils avaient donné ». Cependant, en cas de maladie grave, d‘épidémie ou d‘irrégularité très poussée des pluies, le devin (méslégéd) peut révéler que des sacrifices soient faits sur les DGB. Sur ce, la nature des éléments du sacrifice est déterminée par le devin. Le sacrifice peut être fait sur DGB-1 ou DGB-2.

Au regard de l‘importance des ruines de Kuva-1 et 2 dans la vie des locaux, ces derniers ont développé une sensibilité de protection, de conservation et de transmission de leurs rapports aux DGB. Tous sont passivement ou activement impliqués dans la logique de sauvegarder et d‘inculquer, aux jeunes générations, les sentiments d‘attachement intime aux sites. Les ruines sont des lieux où se manifeste le lien d‘appartenance à la communauté. Les jours des rituels sont des moments où les petites divisions et haines entre les différents clans et

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lignages sont mises en berne et l‘esprit communautaire triomphe, parfois à travers la confession des rancœurs et l‘acceptation des excuses.

Les rapports au DGB-6

DGB-6 est l‘un des deux sites DGB de Bigide Ouzi. C‘est un endroit auquel les locaux ont un attachement très symbolique. Même le responsable de sacrifice à DGB-7 reconnait son poids nonobstant les sacrifices qu‘il est tenu de faire sur le site appartenant à sa famille. L‘esprit de lieu du site est au-dessus de son apparence physique. Une partie du site a été sacralisée dans son ensemble. La preuve est que le bois des arbres qui s‘y trouvent n‘est jamais utilisé comme combustible dans une localité où le bois de chauffe est une denrée très rare et âprement disputée. C‘est un patrimoine communautaire des habitants de Bigide Ouzi. Il est aujourd‘hui l‘élément unificateurs et rassembleur des locaux. Le jour du sacrifice est le moment pendant lequel la division cède la place à la communion et l‘appartenance au groupe est des plus remarquables.

Le lieu sacré, Ngaliyé, est un endroit où on ne se rend qu‘en cas de nécessité sacrificielle. S‘il advenait à ce que quelqu‘un transgresse les lois, il paierait un lourd tribut au CS pour que ce dernier intercède auprès des esprits pour l‘expiation de son acte. Trois personnes vont sur le site pour faire le sacrifice: le CS, un adulte jouant le rôle d‘enfant-guide et un autre qui joue le rôle de la femme. Les assistants du CS sont nommés par des assises familiales.

La chèvre et le Zom constituent les éléments du sacrifice. La chèvre est fournie, à tour de rôle, par les familles nucléaires des officiants. Cependant, pour la réjouissance d‘après sacrifice, la bière est produite dans toutes les familles. Elles en apportent chez le CS pour la consommation en commun et conviviale. Toutefois, il faut relever que la chèvre offerte en sacrifice est cuisinée sur l‘autel et n‘est consommée que par les officiants.

C‘est un sacrifice interdit au reste de la communauté et qui est fait une fois l‘an pour la protection du quartier Ouzi et ses habitants. Si le sacrifice n‘est pas réalisé, les jeunes éprouveraient de la difficulté à se marier, la production agricole connaitrait une baisse et en cas de conflit armé, le quartier perdrait la bataille.

255 Mais dans le cadre des sacrifices restrictifs à la famille nucléaire du CS, celui-ci ne manque jamais d‘évoquer le grand autel. Ce sacrifice est fait à domicile et une immense pierre dressée (fig.A.3) en constitue l‘autel. Cette pierre entretenue par le CS joue le rôle de couroi de transmission des éléments sacrificiels entre le domicile et le site.

L’attachement au DGB-9

À DGB-9, trois clans (Kər bay, Ndirwa et Wéslém) partagent de sentiments communs envers le site. Mais ces clans n‘y sont pas arrivés au même moment et la préséance joue dans la gestion de la cité. Les Kər bay ont été précédés des Wéslém et Ndirwa. La préséance aidant, les Wéslém détiennent le pouvoir du prêtre de la terre, les Ndirwa jouent le rôle de militaire et les Kər bay ont le pouvoir politique traditionnel. Toutefois, ils sont tous des démembrements Wula partis de Sakon et ayant transité par Soulédé pour se retrouver à Mtskar.

Aucun de ces clans n‘a le monopole du rôle de CS. C‘est le plus âgé de trois branches qui succède à la responsabilité du sacrifice. Le contenu et la nature des offrandes sont déterminés par le méslégéd. Ce dernier doit indiquer aussi le lieu du sacrifice. Il peut être fait à domicile ou sur le site. Dans la première alternative, une partie des éléments offerts en sacrifice est jetée sur le site.

Pour accomplir le rituel, en plus du CS, les deux autres branches doivent être représentées. Il y a donc présence de Wéslém, Ndirwa et Kər bay. Chaque représentant ne s‘assoit qu‘à la place réservée à son groupe (fig.A.5). C‘est le CS qui apporte les éléments du Sacrifice et qui égorge la bête offerte en sacrifice. Le sang et une partie du contenu du rumen sont répandus sur la principale pierre dressée, considérée comme force protectrice du village. Cette dernière en donnera aux autres qui l‘entourent et représentant les trois groupes.

La viande est cuisinée sur place et consommée en communauté. Pour la consommation du zom, le droit d‘ainesse est reconnu au Wéslém. Le Kər bay, assumant son rôle de kirbigwala, verse de la bière dans la calebasse et la remet au Wéslém. Il en boit et donne le reste au Ndirwa, le Biy gwala. Après avoir vidé le contenu ce dernier remet la calebasse au Kər bay.

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En dehors de ce type de sacrifice, le CS est soumis à une certaine obligeance vis-à-vis du site. Tous les sacrifices qu‘il fait pour sa famille nucléaire doivent faire allégeance au site DGB. Il se doit d‘aller y répandre le rumen et du sang, de peur qu‘il ne se fâche et que quelque chose de fâcheux n‘arrive à la famille.

Par ailleurs, si une portion du site tombe, il se rend chez le méslégéd qui va lui révéler les causes de cet événement. S‘il est dit qu‘un sacrifice doit être préalable à toute réparation, il s‘en remet. Mais pour ce dernier, il n‘appelle pas les deux autres clans.

Malgré sa taille assez petite, DGB-9 est au cœur des sensibilités des clans qui sont symboliquement attachés à lui. Cet attachement lui a valu une bonne conservation. Par sacralité, aucune activité agricole n‘est permise sur le site. Une ceinture de sécurité, non matérialisée, d‘environ trois mètres l‘épargne de toutes destructions liées aux travaux champêtres. La gente féminine en est également interdite. Le lieu du sacrifice aménagé auprès du site est aussi interdit d‘accès ; seul le CS peut s‘y rendre en dehors du jour de sacrifice, raison pour laquelle le MAP s'entendit dire de quitter les lieux lorsqu'il s'y était rendu pour en dresser la carte. Ces mesures de protection et de sauvegarde vis-à-vis d'un DGB qui n'est pas le plus impressionnant, visuellement, expriment une patrimonialité permettant de dire que ce n'est pas la grandeur matérielle qui lui confère une importance, mais plutôt son côté immatériel qui le place au cœur des considérations l'intégrant dans la vie communautaire locale.

Ces égards envers DGB-9 le place dans la logique du patrimoine culturel au travers de laquelle l'on doit entrevoir les marqueurs et les indices d'appropriation et d'attachement symbolique. C'est un site qui appartient à un ensemble de groupes dont l‘appartenance et l‘attachement spirituels sont manifestés pendant les moments de sacrifices. Les rituels sacrificiels et la succession à la charge de CS se font de manière consensuelle. Les trois démembrements Wula sont représentés pendant les sacrifices. Les règles de transmission et de succession sont connues et acceptées de tous, répondant ainsi au principe du contrat social.

La symbolique autour de DGB-15

257 À Duval, deux groupes claniques sont spirituellement rattachés au site : Hizhé Sakon et Gelwé. Tous situent l‘origine de leur clan à Sakon et reconnaissent l‘antériorité, à Duval, du clan Gelwé. Les premiers Gelwé ont trouvé le DGB en place et ne savent rien de ses auteurs.

Comme les Gelwé y ont précédés les autres clans, ils ont le pouvoir traditionnel sacrificiel sur l‘ensemble du village. Ainsi, ce sont eux qui font les sacrifices en rapport avec le DGB. Les autres sont des acteurs passifs durant le déroulement des rituels. Les enfants Hizhé ne doivent pas se rendre sur le site. Si cette interdiction est enfreinte par ces derniers, ils vont écoper de mauvais sorts ; il peut s‘agir de cas de maladie.

Il n‘y a pas de sacrifice qui est fait sur le site. En cas de manque d‘eau dans les puits, par exemple, les Gelwé (officiants) se rendent auprès de la grande montagne surplombant le site pour y faire le sacrifice. Ce dernier peut aussi être fait au domicile du CS. Cependant, quel que soit le lieu de sacrifice, l‘acceptation du sacrifice par les esprits des ancêtres, des montagnes, des eaux et Dieu (Zhigilé) ne se vérifie que sur le site. Selon les participants, une partie des éléments sacrificiels déposés la veille en direction du DGB se retrouve sur celui-ci le lendemain si le sacrifice a été approuvé. Lorsque la vérification est confirmative, la population est rassurée de la satisfaction du besoin pour lequel le sacrifice a été fait. Dans le cas contraire, le CS se doit d‘aller consulter un méslégéd pour qu‘il détermine les causes du refus du sacrifice par les esprits auxquels il a été adressé. Dans ce cas, on doit procéder à un nouveau sacrifice selon les directives données par le méslégéd.

Dans le cadre du pouvoir traditionnel, le DGB est le lieu qui confère de la puissance au chef (biy wudam). Pour que le nouveau biy wudam Gelwé prenne fonction, le sacrifice est obligatoire. Celui-ci devra être approuvé des mezheb par l‘entremise du DGB. Mais à la mort du biy wudam, aucun sacrifice n‘est fait.

Le DGB de Duval joue un rôle de premier plan dans la vie socioculturelle et spirituelle de la population. Fort de cette importance, il est interdit à tous, sauf l‘équipe sacrificielle, de s‘approcher de la portion restante du DGB où se trouverait une certaine cavité couverte de blocs de pierre. Ces pierres ne doivent pas être déplacées, de peur de subir des mauvais sorts, tels que se faire tuer par la foudre. Les Gelwé expriment une certaine obsession de

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transmettre ces attachements spirituels à leurs enfants même si cette fierté pourrait avoir une connotation d‘obligation religieuse.

5.2.2.2 Les sites à attachements lignagers

Quatre sites, DGB-8, DGB-10, DGB-11 et DGB-12, sont cultuellement appropriés par des lignages. Pour ces derniers, les ruines DGB matérialisent les liens entre eux et leurs ancêtres (bab babhiy nga). Pour ce faire, ils se doivent de les protéger afin que le lien entre les humains et les esprits soient préservé pour le bonheur des lignages concernés.

Mais d‘un lignage à un autre, l‘expression de la patrimonialité envers un DGB varie aussi bien en fonction des relations symboliques transmises par les ascendants qu‘en fonction des attachements développés au fil des temps. Ces attachements pourraient être liés aux appétences provoquées par certains évènements qui auraient donné une plus-value symbolique aux DGB dans la vie de ceux qui les desservent. Cependant, si tant est que la patrimonialité varie d‘un lignage à un autre, comment est-elle rendue intelligible pour des outsiders comme les ethnologues qui voudraient en savoir davantage ?

DGB-8 et ses caractéristiques patrimoniales

Du clan Gidana est d‘origine Sakon, le responsable du sacrifice sur DGB-8 dit que ses ancêtres ont trouvé le milieu inoccupé à leur arrivée. Ils s‘y sont établis. Après, sont arrivés, successivement, les Wula, les Slagam, les Tchapka (Marba), les Wéslém et les Zharwa.

L‘antériorité du clan Gidana lui a donné la prééminence du sacrifice. Sa proximité avec DGB-8 a conduit à l‘incorporation du site au sein des éléments des puissances surnaturelles qui régissent la vie du groupe et auxquelles il doit des sacrifices. Toutefois, le groupe reconnait la paternité du site aux Ndody, légendaires anthropophages, qui s‘en seraient allés nuitamment à causes des réactions des Mafa qui prenaient déjà conscience de leur cannibalisme.

Le responsable du sacrifice pérennise un legs religieux laissé par son père qui tenait aussi cela de ses ancêtres. Mais ce legs ne concerne que la famille nucléaire du responsable du sacrifice. Il en a la charge parce qu‘il est l‘aîné des hommes de la famille. L‘héritage matériel et immatériel dont il est question existe sous forme d‘un autel implanté sur le site

259 DGB-8. Il s‘agit d‘une pierre dressée qui est le protecteur de la famille (zhigilé gay36) et des deux pots qui représentent le couple divin (fig. 5.4). Le pot qui est couché représente la femme de Dieu (gwas biy zhigilé). Celui qui est débout incarne Zhigilé ḿbiya'a (Dieu suprême).

Cet autel joue le relai entre sa famille (gay) et Zhigilé ḿbiya'a, sa famille et ses bab babhiy nga. Il marque également la conviction spirituelle liée au site et la matérialisation de la patrimonialité du lignage envers la ruine. Ici, comme à DGB-9, le site est un endroit sacré où l‘on ne peut pratiquer l‘agriculture. Le responsable des sacrifices veille à ce que son intégrité soit préservée et que sa sacralité ne soit profanée. Au regard de ces considérations, le MAP a été tenu au respect lors des fouilles archéologiques de 2002. La présence des archéologues et leurs activités étant jugées perturbatrices pour l‘ordre sacral, il fallait qu‘il fournisse les moyens nécessaires à la réalisation du sacrifice à la fois expiatoire et conciliatoire.

En général, pour faire le sacrifice, il faut du zom, une chèvre et/ou une poule. L‘acte sacrificiel est accompli à domicile. Il est effectué par le responsable (RS) et ses enfants. Il égorge la chèvre et le rumen de la bête est répandu sur la pierre dressée. La viande est cuisinée par son épouse. Après la cuisson, la famille a la primeur de la consommation du repas. Le RS fait la libation de la bière, en goute puis donne à son épouse et à ses enfants. Les membres de la famille large qui ne participent pas au sacrifice viennent pour la réjouissance populaire qui accompagne le rituel du jour. Ils consomment les éléments offerts en sacrifice. Le sacrifice est fait deux fois l‘an : l‘un pour la récolte et l‘autre pour le culte aux bab babhiy nga. Pendant les rituels, les membres des autres familles doivent être absents. Sur ce, il assume la charge de tous les éléments du sacrifice.

En cas de manquement au respect de ce legs, la famille encourt le risque de maladie et mort peut s‘en suivre. Il faut également veiller à ce que le site ne se dégrade pas davantage. Si une partie des éléments constitutifs du site tombe, le responsable est tenu d‘aller consulter

36 Littéralement Dieu de la Maison

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un méslégéd afin de déterminer les mobiles. Cette consultation peut révéler la nécessité d‘un sacrifice supplémentaire.

© DATOUANG DJOUSSOU (2010)

Figure 5. 4: L’autel sur DGB-8

DGB-8 est un lieu sacrificiel appartenant à une famille large, mais dont l‘acte rituel, la sauvegarde et la transmission sont faites de manière unilinéaire, au sein d'une famille nucléaire. La transmission du savoir et savoir-faire se fait de manière agnatique. Les oncles et cousins sont écartés au fur et à mesure que les générations s‘accroissent. Cependant, bien que ne pouvant plus participer au sacrifice, ces membres de la famille témoignent néanmoins de leur attachement à l‘autel et bénéficient des retombées des actes sacrificiels qui y sont accomplis.

DGB-10 et les signes d'affection

En matière de la configuration de la population, le village d'Oupay où se trouve DGB-1 est peuplé des Kər bay, Ngerdwa, Maval, Mbakri, Kirjiklé, Tchekweré, Ndirwa, Zhardi et Kavoua. C‘est ce dernier groupe qui occupe les environs du site. C‘est un clan d‘origine

261 Sakon qui a transité par Galdala, fuyant des ravisseurs Mondodiy qui serait une variante de Ndodiy.

Pour le groupe, les auteurs du site seraient de Gwodaliy. Cependant, il ne sait rien du lieu où ces derniers se sont rendus alors que selon G. Műller-Kosack (2008), ils sont sur les monts Gwoza. Les rapports qu‘il entretient avec le site viennent des bab babhiy nga. Le RS dit que son père considérait le site comme un zhigilé. Toutefois, il n‘y a pas d‘autel sur le site.

Le type de sacrifice est révélé par le méslégéd. Tous les sacrifices sont faits au domicile du RS. Ce dernier dépose une partie des éléments du sacrifice sur une pierre dressée (fig. A et le mezheb DGB vient la prendre. Pour le rituel du zom, il le fait avec deux autres dont l‘un est kәr biy gwala et l‘autre est biy gwala. Mais la désignation de ces deux est faite par la révélation divinatoire.

Ce n‘est que la famille du RS qui fait des offrandes au site même si les sacrifices visent parfois la protection de tout le lignage. Les retombées des sacrifices sont diversement ressenties par la famille. Des personnes malades se remettent souvent rapidement de leur maladie, après le sacrifice. Des cas d‘infertilité de femme sont résolus. Ces vertus du site constitueraient le nœud du lien affectif et symbolique que les Kavoua partagent avec le site. Pour ce faire, laisser le site se dégrader davantage serait synonyme d‘une rupture des rapports au site et par conséquent, une exposition aux risques que cela pourrait induire.

Pour ce faire, le RS manifeste une certaine attention pour la conservation du site. S‘il y a des portions du site qui s‘écroulent ou sont en voie de tomber, il s‘en va consulter le méslégéd qui lui dira le pourquoi de cet incident. Pour procéder à la restauration, il faut également consulter le méslégéd. La restauration est faite par lui. Toutefois, s‘il a une asthénie due au poids de l‘âge ou à une maladie, il fait appel à quelques jeunes du village. Ce travail n‘est pas fait dans le sens d‘obtenir un résultat très proche du style DGB, mais plus, pour maintenir la structure en place et bénéficier des bonnes grâces du site. Ceci rend bien compte de l'effort de conservation déployé par les riverains et donc, le sens patrimonial étant donné que toute restauration exprime une volonté d'éviter la perte pour des besoins présents ou à venir.

262

La transmission du savoir est faite par observation. Pour préparer la succession à la charge du RS, il va, à un moment de sa vie, appeler ses frères et son fils aîné toutes les fois qu‘il y a un sacrifice à faire. Ces derniers suivent religieusement ce qui est fait par le RS. Après le décès de celui-ci, la famille large consulte le méslégéd pour que l‘identité de la personne qui doit assurer la succession soit déclinée.

Sentiment passionnel autour de DGB-12

Plusieurs groupes claniques se côtoient dans le village. Il y a des Slétchouklé, des Bédjéré, des Wouzi et des Zharwa. Tous ces groupes ignorent les auteurs du site. Mais ce sont les Zharwa qui sont rattachés à DGB-12.

La responsabilité et les devoirs rituels envers le DGB sont dévolus au clan Zharwa. Mais c‘est le lignage Yaba qui entretient des rapports spirituels avec le site. Ces rapports sont basés sur des croyances dont les devoirs de sacrifices constituent l‘acte princeps d‘interconnexion entre le monde du visible et celui de l‘invisible. Le sacrifice est fait de deux manières : au domicile ou sur le site. Mais dans les deux cas, les besoins sont révélés par le méslégéd.

Le sacrifice au domicile n‘est fait que pour le bien-être de la famille nucléaire. Il peut s‘agir de l‘immolation d‘une chèvre. Le RS prend un peu de sang, du poumon, du rumen et pose le tout sur une pierre (figure 5.5) se trouvant entre son domicile et le site DGB. Cette pierre va transmettre les offrandes au DGB. Le repas sacrificiel n‘est consommé que par les membres de la famille nucléaire.

Mais si le méslégéd révèle qu‘il faut faire le sacrifice sur le DGB, cela demande l‘implication des autres Yaba. Le rituel est réalisé sous un arbre, à proximité du site. Trois personnes, du même lignage, s‘y rendent pour faire le sacrifice : le RS, le Kәr biy gwala et le Gad biy. Ces deux derniers sont désignés par leur lignage d‘appartenance. Une seule marmite sert à la cuisson de la viande et de la préparation de la boule de sorgho. C‘est un ustensile qui n‘a été jamais remplacé ni lavé. Il est gardé dans une cachette au lieu du sacrifice.

263 Comme chez la plupart des CS et des RS, le RS entretient des rapports particuliers avec le site. Lors des sacrifices effectués pour la satisfaction des esprits et la divinité propre à sa famille nucléaire, il prend une partie des offrandes et la jette en direction du site. Pour lui, si ce geste n‘est pas accompli, le DGB va se fâcher et lui demander des offrandes plus contraignantes.

Reception des éléments domicile du RS où se dépôt d'une partie des sacrificiels par DGB-12 font les sacrifices. éléments sacrifiels sur la pierre médiatrice pour une transmission au DGB-12

Figure 5. 5: Schéma rituel en relation avec DGB-12

Le site DGB-12 se trouve dans le même contexte patrimonial que le site DGB-8 de Mtskar. Ce sont de relations spirituelles que le lignage tient de ses ancêtres. La crainte qu‘il éprouve vis-à-vis du site est l‘un des éléments qui montrent que ce dernier est un symbole spirituel. Pour le RS, si le DGB venait à disparaître, la famille perdrait sa prospérité. Les sacrifices qu‘il fait contribuent à maintenir le site vivant et tant que le site vit, la famille et le clan prospèrent.

Pour la transmission du savoir-faire spirituel, il va du père au fils aîné. Lorsque le père sent déjà le poids de l‘âge ou d‘une maladie, il décide d‘initier son fils aux rituels. Il l‘appelle toutes les fois qu‘il y a des sacrifices de nature différente à faire. Le fils observe les gestes du père et écoute les paroles qui sont prononcées pour tous les rituels.

5.2.2.3 Le site familialement affectionné

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Dans cette catégorie, il n‘y a que le site DGB-7 qui s‘y trouve. Une seule famille nucléaire prononce un attachement spirituel au site. À la différence de DGB-8, tous les rapports au site n‘échoient qu'à la seule famille et non pour un lignage. Ces révérences au DGB-7 remonte à plusieurs générations. Le chef de ménage (bab gay) de la famille concernée affirme tenir ces relations de son père qui, lui aussi, pérennisait les pratiques ancestrales de ses bab babhiy nga.

Les indices de la patrimonialité sont inscrits par des autels votifs où sont performés des rituels sacrificiels. Il y a deux pierres dressées qui représentent les mezheb des lieux. C‘est la matérialisation des mezheb des bab babhiy nga de la famille et des auteurs du site. Ce sont des mezheb des groupes distincts mais dont les bonnes grâces profitent à la génération présente.

Le sacrifice qu‘il fait est adressé à ces pierres qui jouent le rôle de zhigilé gay. Le contenu du sacrifice dépend de la révélation faite par le méslégéd. Il est le plus souvent constitué de zom, chèvre ou poulet. La bête est égorgée chez lui en indiquant les maux pour lesquels il voudrait être libéré ou épargné. Il prend le rumen et un peu de zom et s‘en va les répandre sur les pierres (fig. A.4). Si ce rituel n‘est pas fait, il court le risque de certains malheurs. Selon le participant, « le DGB peut laisser sortir le serpent qui peut mordre certains membres de la famille. Même si le serpent ne mord personne, il vient crier la nuit dans la cour. Ce signale indique qu‘il a besoin de quelque chose ».

En dehors du fait que le serpent peut sortir du site, les sacrifices jouent un rôle prophylactique. Ils permettent d‘éviter des cas de maladie et d‘accident. Pour lui et ses enfants, le site est le génie de la famille. De ce fait, ils doivent le protéger. Lorsqu‘une portion du site tombe de manière accidentelle, il essaie de la remettre en place, même s‘il ne peut pas le faire au style DGB. C‘est interdit à la famille de retirer les pierres du site pour la construction des terrasses agricoles.

Cependant, le nombre de sacrifices à adresser au site n‘est pas préalablement déterminé. La nécessité est toujours révélée par le méslégéd. Par ailleurs, pour tout sacrifice effectué pour d‘autres impératifs, il va toujours verser une partie sur le site. Ceci est fait de peur que l‘esprit DGB ne dise qu‘il a mangé sans se soucier de lui.

265 Les sacrifices qu‘il fait pour le DGB n‘a aucun rapport avec ceux qui sont faits sur les autres sites DGB. Il ne concerne pas tout son clan (Golda) d‘appartenance. C‘est un rituel propre à la famille. Le site DGB-7 est donc un patrimoine familial ambivalent (matériel et immatériel).

Après la présentation de différentes marques de conviction, d‘attachement symbolique exprimées par les riverains des ruines, l‘on en droit de se poser la question de savoir ce qu‘elles traduisent.

5.2.2.4 La symbolique de la patrimonialité locale autour des DGB

Au sortir de la présentation de la patrimonialité dominante envers les DGB, force est de constater que cette patrimonialité s‘exprime au travers des rituels. Ceux-ci, comme la souligné MAISONNEUVE (1988), remplissent des fonctions particulières. Ils constituent un registre de codes d‘extériorisation des attachements intimes aux sites, lesquels faisant partie des schèmes des convictions religieuses locales. C‘est donc un système assez codifié utilisé par des familles, des lignages et des communautés pour établir des relations avec des puissances occultes, des esprits ou des divinités. On conviendrait avec MAISONNEUVE (ibid.) pour qui le rite incarne un rôle d‘affectivité communielle et de la corporéité, base d‘un symbolisme collectif et de l‘expression des liens interpersonnels. En effet, au regard de ce qui est présenté comme patrimonialité envers les différent sites, il ne se fait plus de doute que les moments et les actes sacrificiels en rapport avec les DGB constituent un liant social, quelle que soit l‘échelle d‘appropriation.

La réalisation des rites sur les DGB est un procédé visant à maintenir la médiation entre le passé et le présent, le présent et le futur. Mais cela se fait par le biais des gestes, signes et objets figuratifs auxquels on assigne une quelconque efficience. Ces codes sont des moteurs de communication et de régulation renforçant le lien social. Leur expression courante sur les DGB est matérialisée par des sacrifices qui ne sont autre chose que des offrandes de bêtes ou de boissons (libations) accompagnées d‘oraisons jaculatoires, rendant ainsi les sites des monuments culturels et cultuels ou des autels votifs.

Sur ce, les DGB bien qu‘étant du domaine de la matérialité, forment un patrimoine religieux des entre-lieux du cultuel et du culturel (TURGEON, 2005) combinant lieux,

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objets et pratiques. Comme l‘ont rappelé DORMAELS et BERTHOLD (2009), « le culte chrétien de la trace »37 ayant été pour beaucoup dans la construction du patrimoine38, dans le cadre des DGB, c‘est la croyance aux puissances qu‘ils incarnent qui caractérise la patrimonialité qui leur est dévolue et par ricochet, consacre leur patrimonialisation.

Toutes les symboliques autour des DGB autant qu‘elles indiquent les valeurs immatérielles des sites, autant elles évoquent l'intimité cultuelle à leur égard ; car c‘est à travers elles que les liens intimes des populations aux sites sont rendus perceptibles. En effet, il ressort de tout ce qui a été dit sur les structures DGB des monts Mandara septentrionaux qu‘elles sont physiquement et symboliquement intégrées dans la vie des populations locales. Leur incorporation dans le vécu de groupes claniques, des lignages et/ou des familles, tient de la logique processuelle de la construction patrimoniale. Elles leur reconnaissent l‘esprit des lieux. Cette reconnaissance contribue, à bien des égards, à la conservation de l‘ambivalence patrimoniale dont la matérialité et l'immatérialité en sont les caractéristiques. Mais c‘est surtout le côté immatériel qui prédomine. Les populations ne prononcent pas leur attachement aux ruines pour leur aspect physique, mais plutôt pour les esprits qu‘elles incarnent. La protection de la matérialité des sites se comprendrait donc comme une manière de ménager les esprits de toute atteinte pouvant provoquer leur courroux. Ces esprits confèrent aux sites de nombreux pouvoirs. Ils dévient les épidémies, favorisent la bonne réussite des productions agricoles, la fécondité des femmes et du bétail. Ils permettent aux locaux de se concilier la bonne grâce de zhiglé et des bab babhiy nga parce qu‘abritant leur esprit.

Partant de ces pouvoirs qu‘ils détiennent, les habitants des environnements immédiats les desservent. Pour ce faire, des autels sont érigés sur certains d‘entre eux. Pour d‘autres, les éléments sacrificiels leur sont transmis à travers des gestes rituels liés à de circonstances

37 C‘est une expression de NOPPEN et MORISSET (2005 : 54) reprise par DORMAELS et BERTHOLD dans l‘introduction de Patrimoine et Sacralisation (2009 : 3) publié sous la direction de DORMAELS, BERTHOLD et LAPLACE. 38 Les mêmes auteurs (DORMAELS et al.) rappellent que c‘est dans le contexte ecclésiastique qu‘on parla du « Patrimonium Crucifixi » au 12ème siècle. Voir également Trésor de la Langue Française Informatisé (TLFI), définition de « Patrimoine », [http://atilf.atilf.fr/tlf.htm].

267 bien déterminées. Toutefois, pour nombre de sacrifices rendus, la révélation de la nécessité des actes est, pour la plupart, faite par le méslégéd qui joue un rôle très important, comme au sein de beaucoup d‘autres sociétés africaines, dans l‘animisme Mafa.

Pour les différents clans, lignages, familles, si les DGB auxquels ils sont liés, pour plus d‘une raison, ne sont pas bien entretenus et qu‘ils venaient à disparaître, ils seront mis en difficulté. Le régime de fécondité des femmes et des animaux domestiques connaitra une baisse substantielle. Ils seraient vaincus si jamais un différend venait à les opposer à un village voisin. Cet ensemble de qualités fait des DGB les lieux patrimoniaux qui ne sont pas la propriété des CS et des RS quand bien même ces derniers en sont les principaux conservateurs.

Toutefois, la patrimonialisation et la patrimonialité locales liées aux ruines DGB dont nous avons fait mention ci-dessus laissent transparaître le procédé de sélection et de classement conduisant à l'état patrimonial. Tous les sites DGB n'ont pas été l'objet de mise en Patrimoine. Des seize ruines répertoriées dans les arrondissements de Koza et du Mayo Moskota, six d'entre elles ne bénéficient pas de rapport d'attachement symbolique des riverains. Deux de ces ruines dont DGB-3 et DGB-4 se trouvent à Kuva, un à Mondossa (DGB-5), deux à Mudukwa (DGB-13 et DGB-14) et un à Oupay (DGB-16).

Bien qu'il ne soit pas évident de se prononcer sur les raisons du délaissement de ces sites, les résultats des enquêtes que nous avions menées dans ce sens ont été très contributifs à plus d'un égard. Il en ressort qu'à Kuva, les DGB-3 et DGB-4 ne sont pas patrimonialisés pour des raisons de rapports de pouvoir que ces derniers entretiennent avec les DGB-1 et DGB-2. Pour les riverains, ces sites n'ont pas d'importance pour eux parce que leur présence ou absence est sans effet. Selon ceux qui ont participé à l'exercice d'interview, les ruines sont les restes des structures des personnes qui étaient assujetties à celles qui occupaient DGB-1 et DGB-2. « On y faisait la cuisine pour servir le repas aux occupants des plus grands sites ». Pour ce faire, selon la tradition transmise des aïeux, ces lieux n'incarnent aucune puissance dont il serait nécessaire de négocier les pouvoirs pour le bien- être du groupe et par conséquent, ils ne sauraient les desservir. En revanche, ils prononcent un attachement aux ruines DGB-1 et DGB-2 qui, d'après les interviewés, est d'une importance capitale pour tout le village Kuva.

268

À Mudukwa où se trouve le Biy Mudukwa dont les pouvoirs religieux sont reconnus au- delà du village, les ruines qui s'y trouvent ne sont pas mis en patrimoine. À DGB-13, l'on a bâti un établissement sur une bonne partie du site. C'est d'ailleurs sur le site où sont prélevés les matériaux de construction. Il est vrai qu'on note la présence de plusieurs sections de murs DGB, l'analyse des données recueillies pendant l'enquête ethnographique et les interprétations qui en ont été faites permettent de dire que ce n'est pas pour des raisons de rapports symboliques que ces portions existent de nos jours. Le fait ayant contribué à leur maintien serait l'importance qu'ils ont pour le maintien de la plateforme. Cette dernière est utile pour le positionnement de l'établissement en hauteur dans un environnement de piémont où le risque de déchaussement des semelles des cases par les eaux de ruissellement constitue l'une des menaces pour des architectures dont les murs ne sont réalisés qu'à l'aide d'un assemblage d'argile et de pierres. Quant au DGB-14, du même village, la négligence dont il fait l'objet est presque totale. On ne lui reconnait aucune importance. Il en est de même pour DGB-16 et DGB-5.

Mais si l'on tient compte de la polyvalence sémantique de la notion de patrimoine, ces six sites ne sauraient être considérés comme éléments patrimoniaux que dans le sens juridique du terme, puisqu'ils se trouvent sur des domaines fonciers appartenant à des individus qui en ont, de facto, la propriété. Cette dernière est d'ailleurs partagée avec la personne morale qu'est le Cameroun à qui revient légalement l'ensemble de la richesse archéologique. La patrimonialité qui pourrait se laisser entrevoir est celle des archéologues pour lesquels toutes les ruines ont une importance pour l'élucidation d'une civilisation d'architecture de pierre sèche ne subsistant qu'en termes de ruines. Cette patrimonialité aiguisée par des nécessités scientifiques ne saurait conférer le statut de biens culturels bénéficiant d'un traitement préférentiel, puisque ce ne sont pas les scientifiques qui en ont la gestion.

Toutefois, étant donné qu'il y a deux catégories de patrimonialité qui sont performées sur les DGB, il nous a semblé important de nous étendre sur ce que l‘on pourrait retenir d‘elles, dans le sens de leur déploiement corrélatif.

5.2.3 Relations des patrimonialités en rapport avec les DGB

269 L‘analyse des indices des patrimonialités liées aux DGB indique que l‘attachement aux sites s‘exprime à travers trois sphères de pratiques patrimoniales dont traditionnelle, scientifique et étatique. Cependant, si nous procédons par une lecture diachronique des manifestations des rapports intimes aux 10 ruines DGB bénéficiant d‘appropriation symbolique, l‘on se rendrait compte qu‘il existe un certain mouvement affectif se déclinant sous forme d‘un engrenage à trois roues. Les trois sphères patrimoniales constituent chacune une roue et la motricité de l‘une par rapport à l‘autre se dégage à la lumière de leur degré d‘explicité autant performative que relationnelle.

La patrimonialité traditionnelle se dégage comme celle qui est à la base du mouvement des rapports intimes, secrets, politiques culturels et cultuels aux sites DGB. C‘est dire que la patrimonialité de sites DGB s‘enracine dans les comportements des indigènes de l‘aire de distribution des ruines. Toutes les actions de reconnaissance, de sauvegarde et de mise en valeur des DGB instruites par la patrimonialité récessive, quoi que se voulant de nos jours l'engagement le plus déterminant, n'est qu'une couche de patrimonialité qui se pose sur celles des locaux qui ont religieusement donné de l‘importance aux restes architecturaux.

Les scientifiques (archéologues) qui rentrent en contact avec les locaux pour une meilleure mise en valeur des DGB ne savaient rien de la patrimonialité locale envers les sites. Pourtant, les ruines faisaient déjà l'objet de considérations affectives à connotation religieuse, indice d'appropriation et de rapports intimes. L'intérêt des archéologues, d'abord scientifique puis patrimonial, ne sera donc qu'un deuxième attachement qui va poser la deuxième couche de patrimonialité à travers la manifestation de leur sensibilité. C'est cette dernière qui sera à la base du discours dominant qui va être en branle sur les sites DGB.

Leurs rapports et plaidoyers adressés aux instances nationales et internationales préoccupées par la question patrimoniale amènent ces dernières à adhérer au mouvement. Cette adhésion à la préoccupation de mise en valeur des DGB par les scientifiques forme la troisième couche de patrimonialité dont sont oints les sites.

On voit donc que la patrimonialité nationale et internationale a été stimulée et mise en action par l‘entremise de la première roue menée de l‘engrenage que constitue la patrimonialité scientifique. Cette dernière s‘est opérée au travers des projets de recherche

270

qui se veulent à la fois des recherches fondamentales et actions. Et cet attachement à vouloir valoriser les DGB commence avec le MAP qui a attiré l‘attention de l‘administration camerounaise des politiques culturelles et l‘ICCROM sur la place des ruines dans l‘histoire culturelle du pays.

Cependant, les éléments témoins ou les marqueurs de la patrimonialisation et de la patrimonialité des sites DGB amènent à réfléchir sur certains travaux archéologiques réalisés, au Cameroun, dans une optique patrimoniale. Il s‘agit des expertises archéologiques effectuées au nom de la sauvegarde du patrimoine culturel lors des travaux d‘aménagement d‘espaces ruraux (la MAETUR), la construction des routes (Bertoua- Garoua-Boulaï et Ngaoundé-Touboro-Moundou), centrales thermique Yassa-Dibamba) et à gaz (Kribi), l‘oléoduc (Pipeline Tchad-Cameroun), et des exploitations minières (Mbalam, Lomié,…). Plusieurs sites ont été découverts, de nombreux éléments culturels mis au jour, des rapports, articles et ouvrages scientifiques produits (LAVACHERY et al. 2010, 2005a, 2005b; MARET DE et al. 2008; OSLISLY et al. 2000; OSLYSLY et MBIDA, 2001; LAVACHERY, 2004; MACEACHERN, 2001, ASOMBANG et al. 2001), mais aucune présentation de preuves de patrimonialisation et de patrimonialité n‘a été faite. L‘on s‘est limité à porter les résultats des travaux purement archéologiques à la connaissance du public. Il est vrai que ces résultats constituent en eux-mêmes une sorte de patrimonialisation, mais cette dernière n‘est que du ressort du scientifique. C‘est une patrimonialisation à l‘occidental qui produit très peu d‘impacts utiles sur les personnes dépourvues de connaissances archéologiques.

Alors, au regard des efforts des scientifiques plaidant pour la protection et le sauvetage des artefacts archéologiques, pourrait-on dire que ces derniers sont des éléments patrimoniaux dans leur ensemble ? Répondre à cette interrogation déclinerait notre entendement du statut des biens archéologiques au Cameroun.

5.3 LE STATUT PATRIMONIAL DES BIENS ARCHEOLOGIQUES AU CAMEROUN A LA LUMIERE

DES DGB

Une tendance disciplinaire tend de plus en plus à présenter les éléments archéologiques comme patrimoine culturel. Cependant, rappelons-le, cette tendance n'est pas le propre des

271 archéologues. Des ethnologues et historiens en font souvent autant lorsqu'ils s'intéressent à l'étude de certains éléments de la culture tels que les arts culinaires, les musiques traditionnelles, les architectures, les monuments, etc. Ils déclarent étudier le patrimoine culturel. Mais la question que l'on se pose est celle de savoir ce qui fait dire que ces éléments sont du domaine du patrimoine culturel qui présuppose une certaine marque d'attention à un bien donné. Cette question a sa raison d'être surtout dans le contexte actuel où l'on glisse de plus en plus vers le tout-patrimoine. C'est fort de ce constat qu'il nous a semblé important de discourir sur cet aspect de la question dans le cadre notre recherche portant sur la question patrimoniale au Cameroun.

Tel qu‘il est mentionné au chapitre 1, les données présentées ci-dessus font asseoir notre thèse selon laquelle on ne saurait parler d'élément patrimonial si l'on n'est pas en mesure de montrer ou démontrer le processus de patrimonialisation et la patrimonialité correspondante. La mutation subie par les DGB, les pétroglyphes de Bidzar et certaines buttes Sao marquent leur passage du statut de simples artefacts archéologiques à celui de biens patrimoniaux auxquels le Cameroun et des groupes d'individus ont des rapports particuliers.

Ceci étant, en prenant le contexte camerounais pour exemple, nous considérons le discours plaçant les biens archéologiques, sans distinction, à la sphère du patrimoine culturel comme de l'amalgame discursive qu'on gagnerait à éviter. Peu de biens archéologiques bénéficient des égards de conservation et de mise valeur au Cameroun. Les scientifiques ont souvent l'art de considérer pour outil de protection la législation patrimoniale citée plus haut. Or, cette loi, comme nous l'avions dit au chapitre 3, place les éléments archéologiques dans ce qui relève de la propriété privée. Autant que tout ce dont dispose le Cameroun, les personnes y comprises, ils sont protégés par une législation comme celles qui protègent la faune, la flore, les mines, etc. dans leur ensemble. Cette législation devrait-elle être considérée comme indice de patrimonialité ? Nous répondons par la négative ; car il existe des services et des institutions de l'État à travers lesquels l'attachement du Cameroun aux vestiges archéologiques peut être mis en évidence, comme ce fut le cas avec les sites dont les indices de mise en patrimoine ont été soulignés. De ce fait, prendre tous les artefacts archéologiques pour des biens patrimoniaux serait une manière de transposer la

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considération patrimoniale occidentale au Cameroun où l'attention à porter aux biens culturels du passé est loin d'être l'une des priorités de l'heure.

Dans les pays occidentaux, les biens archéologiques avaient gagné en considération parce qu'ils constituaient l'un des matériaux pour la construction de l‘identité culturelle nationale (BENNETT, 1995). Sur ce, il occupait une place importante dans les musées avec le but d‘éduquer et sensibiliser les publics sur le sens du partage des racines communes. Ce fut, par exemple, l‘objectif de l‘archéologue Pitt-Rivers lorsqu‘il mit sur pied, à Oxford, le musée consacré aux matériels archéologiques issus de ses différentes fouilles (DANIEL, 1978).

Influencés, par cette culture, les occidentaux (de majorité européenne), autorités administratives, religieuses et scientifiques, avaient constitué des collections et les avaient entreposées dans des institutions conçues pour la conservation et la valorisation des éléments culturels et patrimoniaux. Les collections mentionnées au chapitre 3 en rendent bien compte.

Mais le hic que rencontre la politique de mise en valeur du patrimoine archéologique en Afrique subsaharienne, en général, et au Cameroun, en particulier, est le manque de culture archéologique. Cette culture matérielle était pensée comme celle ayant été produite par une main surnaturelle39. Cette pensée prend appui sur les écrits de BUISSON (1933) qui signalait qu‘en pays Babimbi, les haches polies, appelée Hond-Bakoo40, servaient de talisman et se transmettaient de génération en génération. Ce constat a été aussi fait par FOURNEAU (1935) dans ce qu‘il a appelé région Yambassa. Pour FOURNEAU, appelées localement yaguébogol, les œuvres lithiques de l‘Industrie Néolithique étaient tenues « pour surnaturelles, tombées du ciel et nées du feu de la foudre ». Des attentions

39 Les pièces lithiques étaient reconnues avec beaucoup de superstition. D‘ailleurs, dans certaines localités du Cameroun et chez beaucoup de devins, les objets lithiques prennent place dans les cultuels et des autels de divination. 40 Selon l‘auteur, Hond signifierait hache et Bakoo veut dire invisible, ce qui semble cadrer avec notre idée de conception de production surnaturelle des objets lithiques.

273 particulières leur étaient portées et cela procédait à leur conservation/transmission. FOURNEAU (ibid.: 70) rapporte ce qui suit :

Les yaguébogol constituent […] un symbole bénéfique. Pour les hommes, elles sont l‘annonciation de richesses à venir, pour les femmes une promesse de fécondité. Une femme qui a découvert une ou plusieurs yaguébogl est assurée d‘une nombreuse progéniture. Plus un homme a amassé de yaguébogol et plus il est certain d‘améliorer sa condition si c‘est un paysan, ou de voir croître son influence, son autorité, sa fortune et le nombre de ses épouses, s‘il s‘agit d‘un chef. Ces pierres-talismans sont jalousement conservées et entourées d‘un véritable culte. Chaque case possède ses yaguébogol, véritables divinités domestiques comparables aux lares de l‘antiquité, qui sont placées dans des jarres ou des marmites contenant de l‘eau dans laquelle macèrent des écorces ou des végétaux aux propriétés magiques. Ces cases, selon leur nombre sont disposées soit à l‘intérieur de l‘habitation, soit à l‘extérieur, à sa proximité immédiate, et, dans ce cas, protégées contre le vol, ou les maléfices par la présence d‘arbustes, de plantes ou d‘objets fétiches. Cela dit, les vestiges archéologiques n'étaient pas conservés pour des raisons historiques, mais par supertistion et leur patrimonialisation par des administrateurs coloniaux, des réligieux et chercheurs (archéologues, géologues et ethnologues) n'était qu'une attitude assez étrange.

Cette sensibilité culturelle transposée au Cameroun par les occidentaux et qui a été le moteur d‘une patrimonialité dominante en relation avec la culture matérielle du passé, n‘était et ne demeure qu'une chimère pour les Camerounais. De ce fait, bien qu‘étant dominante, ladite patrimonialité ne pouvait que se revéler éphémère puisque ceux qui la véhiculent ne sont pas ceux à qui incombe administrativement et juridiquement la gestion à long terme. Ils devraient, d‘un moment à un autre, se départir des collections entréposées dans les institutions mentionnées ci-dessus et confier la gestion aux Camerounais dont la patrimonialité envers les vestiges archéologiques n‘était qu‘à ses balbutiements.

Les conséquences négatives de la transposition de cette politique patrimoniale au Cameroun faisant croire que les artefacts archéologiques sont des biens patrimoniaux sont évidentes. Toutes les collections qui avaient été constituées par des administrateurs coloniaux et des chercherus étrangers ont été abandonnées à la merci de différents facteurs de destruction. Ceci montre à suffisance que le Cameroun manque d'enthousiasme à vouloir

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patrimonialiser la plupart des vestiges archéologiques. Sinon pourquoi une importante collection d‘objets lithiques se trouve-t-elle abandonnée dans un vieux local de l‘Institut Nation de Cartographie (INC) ? Le manque de rapport symbolique a été plus manifeste à travers la destruction des collections qui avaient été entreposées dans le défunt ISH41 de Garoua après la fermeture de ce dernier en 1991. Il en est de même des pétroglyphes de Bidzar42 qui ont souffert de vandalisme de toutes sortes alors que ce fut le tout premier site archéologique à bénéficier de la protection de l‘État camerounais. De ce fait, la patrimonialisation des DGB est un argument assez persuasif dans la remise en cause de la tendance rangeant de facto les artefacts archéologiques dans la catégorie de biens patrimoniaux. Cette induction bien qu'étant faite à l'échelle du Cameroun, pourrait s'étendre à l'ensemble de l'Afrique subsaharienne, voire à toute l'Afrique. Par conséquent, on gagnerait à relativiser et à ne pas vouloir universaliser les considérations patrimoniales ; car ce qui est perçu comme élément patrimonial sous certains cieux, peut faire l‘objet d‘appréciation contraire sous d'autres.

CONCLUSION

Pour couronner ce chapitre, nous nous permettons de dire qu‘il ressort de la patrimonialisation et de la patrimonialité des sites DGB qui viennent d‘être mises en exergue que ces éléments archéologiques constituent un patrimoine ambivalent. Cette ambivalence s‘exprime à la fois dans les sens vertical et horizontal. Sur le plan diachronique, les DGB répondent aussi bien aux critères d‘éléments du passé qu‘à ceux du présent.

Leur valeur historique tient du fait qu‘ils existent au-delà de leur contexte socioculturel d‘origine. Quant à ce qui est de leur aspect relevant du présent, ils ne sont plus du domaine de l‘oubli, mais sont plutôt dotés d‘une nouvelle vie qui leur est donnée par les populations actuelles.

41 Institut de Sciences humaines 42 Mais les rapports aux pétroglyphes se sont ravivés à travers leur inscription sur la liste indicative soumise à l'UNESCO.

275 Pour ce qui est de leur ambivalence ethnologique, elle réside dans leurs valeurs matérielles et immatérielles. En effet, en tant que structures architecturales, les DGB sont de l‘ordre du patrimoine culturel entouré d‘enjeux patrimoniaux leur conférant des attentions particulières d‘une partie de la base et du sommet de la société camerounaise. Mais avec les pouvoirs qui leur sont reconnu et les considérations symboliques, rituelles et cultuelles dont ils sont l‘objet, ils renferment une certaine immatérialité patrimoniale, du moins pour les locaux, puisque ces valeurs sont reconnues, conservées et transmises de génération en génération.

Toutefois, il faut reconnaitre que les formes de patrimonialisations et les catégories de patrimonialités qui sont en performance sur les sites donnent lieux à deux types patrimoniaux.

Dans l‘analyse du schéma de la patrimonialisation dominante et la patrimonialité y afférente, l‘on est en droit de ranger les DGB dans le domaine du patrimoine culturel dont la matérialité constitue l‘essence. En fait, une lecture des raisons d‘être des affinités des scientifiques et des institutions culturelles à l‘endroit des sites permet de faire l‘hypothèse que c‘est l‘architecture DGB qui est l‘élément essentiel de leur mise en patrimoine. L‘attrait sensoriel qu‘elle laisse appréhender lui procure la considération de pouvoir contribuer à l‘enrichissement du méta-patrimoine culturel du Cameroun.

Mais au travers de la patrimonialisation locale avec la patrimonialité sous-jacente, il convient de dire que les DGB constituent un patrimoine religieux. Tous les rapports que les riverains ont aux sites sont des rapports fondés sur des croyances aux esprits et aux divinités pensés habiter les lieux qui sont sacralisés. Ce registre religieux de performativité charrie une implicite dose d‘« ‘intimité culturelle » dont la portée constructive du patrimoine dépasse souvent les dimensions administrative, scientifique et professionnelle, parfois emphatique, de la patrimonialisation.

Néanmoins, que ce soit dans l‘une ou l‘autre acception patrimoniale des DGB, ils se placent sous l‘angle de patrimoine culturel tant au niveau local qu'au niveau national. Ils

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sont, si l‘on peut se permettre de paraphraser DAVALLON (2006)43, par le biais de la patrimonialisation, des structures à statut social. Ce dernier vient du fait qu‘elles aient été passées du registre de vestiges archéologiques hérités par contingence historique à celui d‘éléments patrimoniaux auxquels on accorde des attentions particulières, faisant d‘eux des hétérotopies patrimoniales (FOUCAULT, 1984)44. En fait, la patrimonialisation des ces lieux dépourvus de statut particulier au départ, par les camerounais d‘aujourd‘hui, renferme une exclusion implicite, l‘un des principes hétérotopiques. Les services publics du Cameroun et les riverains se sentent tous propriétaires incontestés ; même si les uns admettent les autres, l‘on n‘est jamais entièrement admis parce que chaque sphère de patrimonialité voudra faire prévaloir implicitement sa position.

Par ailleurs, l'analyse du contexte patrimonial des DGB et la présentation des rapports des Camerounais aux artefacts archéologiques permettent de dire que ces derniers sont des éléments culturels du Cameroun et non des biens patrimoniaux dans leur ensemble. Le fait que le Cameroun ait pris des mesures de protection évidentes pour les pétroglyphes de Bidzar et les DGB montre fort bien le mécanisme de patrimonialisation. Ce mécanisme laisse apparaître en filigrane le jeu de sélection qui installe la différence entre les biens culturels et patrimoniaux.

43 DAVALLON dit que la patrimonialisation est une « production du statut social de l‘objet patrimonial » (2006 : 99). Cependant, nous nous déprenons de la reprise de l‘expression de DAVALLON ; car nous pensons que la patrimonialisation ne produit pas le statut social de l‘objet patrimonial, mais plutôt celui de l‘objet culturel. Si la patrimonialisation peut être considérée comme le processus de mutation statutaire, elle ne saurait donner un statut social à l‘objet patrimonial à moins que ce ne soit dans le sens d‘une dé- patrimonialisation. 44 La notion de Hétérotopie a été utilisée par FOUCAULT en 1967, au cours d‘une conférence donnée en Tunisie au Cercle d‘Études Architecturales, pour faire un distinguo entre les utopies (« emplacement sans lieux réels» ou des espaces irréels et des « lieux qui sont absolument autres que les autres emplacements [c‘est dire des emplacements dotés de considérations particulières]. Cette communication n‘a été publiée qu‘en 1984 dans Architecture, Mouvement, Continuité № 5, sous le titre «Michel Foucault, dits et écrits, 1984, des espaces autres (conférence au cercle d‘Études Architecturales, 14 mars 1967)) pp. 46-9, [en ligne] consulté le 20-5-2011 ; http://foucault.info/documents/heteroTopia/foucault.heteroTopia.fr.html

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CONCLUSION GÉNÉRALE Au terme de ce travail portant sur la question de patrimoine et de patrimonialisation au Cameroun, il serait à propos de ressortir la quitessence de cette thèse afin de souligner ce qu‘elle apporte à la communauté scientifique.

Rappelons que l‘objectif principal de notre thèse était d‘enrichir l‘état des connaissances sur la politique patrimoniale au Cameroun à travers une étude de cas réposant sur les Diy- gid-biy, ruines architecturales patrimonialisées à l‘échelle locale et nationale.

Pour réaliser ce dessein, nous avions procédé par une méthode recherche qualitative avec une orientation multi-site. Celle-ci a consisté à une approche n'allant pas dans le sens de quantifier ou mesurer ce qui touche la question du patrimoine, mais de recueillir des données permettant une démarche interprétative ouvrant sur des inductions et des hypothèses.

Les principales interrogations ayant orienté cette recherche sont le comment et le pourquoi du patrimoine et de la patrimonialisation. Répondre à ces questions a nécessité un ensemble de données orales et écrites. Parmi ces dernières, des émotions, des attitudes, des expériences associatives, communautaires, institutionnelles, personnelles en rapport aux pratiques patrimoniales au Cameroun ont été engrangées.

Par le canal de la théorie enracinée, ces langages patrimoniaux de la réalité camerounaise ont été déchiffrés. Ce déchiffrage a induit la compréhension de la construction abstraite et pratique du patrimoine. Suite à cette compréhension, nous avons émis l'hypothèse selon laquelle la politique patrimoniale est un terrain de performativité discursive mettant en branle divers considérations et mobiles de mise en patrimoine. Partant de cette hypothèse, nous avons procédé à l'établissement d'un discours émancipateur sur la réalité patrimoniale camerounaise. Mais ce nouveau discours a été nourri par une mise en parallèle des textes et des interactions sociales dont l'importance est la reconnaissance des mécanismes de dominance, de contrôle, des forces sociales et des pouvoirs organisés qui sont en performance.

Par le biais du principe de l'emergent-fit (GLASER, 2002; LAPERRIÈRE, 1997), tenant de la grounded theory (GUILLEMETTE, 2006), notre travail laisse apparaître 279 l'opérationnalisation de l‘orientation inductive à travers une mise en évidence du développement d'une sensibilité théorique, c‘est-à-dire des outils de lecture nous ayant permis d‘aller aux tréfonds des données et faire ressortir l'implicite de l'empirique.

Mais la conduite de notre construction argumentative s‘est faite suivant une considération pour laquelle le patrimoine ne doit son existence que grâce à celle des acteurs sociaux qui lui donnent un sens. Ainsi, qu‘il soit de nature archéologique, ethnologique, historique ou naturelle, le patrimoine culturel ne peut être saisi en déhors de ceux qui le modèlent selon les circonstances spatio-temporelles qui leur imposent certains besoins. Cet axiome veut dire implicitement que ce sont les rapports des acteurs du présent, à un quelconque élément, qui confèrent la caractéristique de bien patrimonial. Cependant, il ne s'agit pas des rapports relevant du juridique, mais de la symbolique affective. Cette symbolique étant appelée patrimonialité, nous voudrions faire assoir que c'est cette dernière qui fait ce qui rentre dans le patrimoine culturel. Autrement dit, sans indice de patrimonialité qui entretien le statut patrimonial, il serait scientifiquement peu loisible de parler de patrimoine culturel étant donné qu'il n'est pas du ressort des sciences du patrimoine d'attribuer des éléments patrimoniaux, mais de les étudier en rapport avec ceux qui les possèdent.

À cet effet, au regard de tout ce qui a été développé dans les différents chapitres, les objectifs de la thèse annoncés à la suite de la problématique semblent atteints, et ce, sans prétention d‘avoir épuisé le sujet au Cameroun.

Ainsi, notre thèse aura montré que les buts visés les plus perceptibles dans les constructions des patrimoines, dans le contexte camerounais, sont ceux liés à la reconnaissance identitaire et l'atteinte des objectifs idéologique et politique. Raison pour laquelle l'intérêt pour le patrimoine culturel retient de plus en plus l'attention de différentes couches sociales. C'est pour cette raison aussi que nous partageons le point de vue de POULOT (1997) selon lequel le patrimoine transcende désormais le ressort des érudits, de la réflexion savante pour embrasser le champ politique et l‘opinion publique, attestant le sens commun qu‘il revêt.

On a pu noter la coexistence d'un patrimoine savant construit selon les canons du discours patrimonial dominant, tenu par l'État et d'un patrimoine émancipateur entretenu par des

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volontés associatives, ethniques, familiales et individuelles. Ces constructions patrimoniales constituent des codes de communication véhiculant des messages à portée socioculturelle et sociopolitique, charges que notre thèse s'est éployée à mettre en évidence dans le cadre géographique de la recherche.

En fait, les chapitres trois et quatre de la thèse montrent que les différentes formes de patrimonialisation existant au Cameroun véhiculent un certain nombre d'enjeux dans les deux catégories de patrimoines qualifiées par notre étude.

Selon la lecture du discours patrimonial dominant en branle au Cameroun, la patrimonialité se développant vis-à-vis d'un élément culturel relève davantage des considérations politique, idéologique, historique, identitaire, voire économique.

La subdivision du culturel camerounais en quatre aires culturelles témoigne ainsi d'une politique entendant marquer, en filigrane, les grandes tendances identitaires du pays. Pour ce qui est de la manœuvre idéologique dans la mise en patrimoine à l'échelle étatique, le Monument de la Réunification et le Musée National en constituent des exemples frappants. Sur le plan historique, la kyrielle de monuments rappelant certains faits sociaux ayant marqué le cours de l'histoire du Cameroun et dont des exemples sont cités au chapitre 3 met en évidence le caractère mémoriel de ces biens patrimoniaux. Il se manifeste également un enjeu économique dans la logique de mise en patrimoine au Cameroun. Ce dernier a été exprimé dans le cadre des DGB par l'implication de l'administration du tourisme lors des réunions des parties prenantes comme nous l'avons souligné au chapitre 4. Cette implication ne se justifie pas seulement par la volonté de publiciser l'image culturelle du Cameroun ; mais également par espérance au potentiel contributif de l'activité touristique à la santé économique tant aux niveaux local, régional que national.

Cette politique de mise en patrimoine motivée par des raisons identitaires, mémorielles et de positionnement est aussi vivant dans le contexte du patrimoine que nous avons qualifié de dominé. Les actes de patrimonialisation des mouvements socioculturels, des dignitaires locaux, des groupes ethniques, etc. reposent, le plus souvent, sur des enjeux mentionnés ci- dessus. Les différents festivals organisés au Cameroun véhiculent des charges d'exhibitionnisme culturel veillant à se faire remarquer comme une entité culturelle à part

281 entière qui a ses valeurs et conceptions identitaires. C'est une forme de remise en question de la structuration du multiculturalisme camerounais en quatre aires culturelles imaginaires. Il s'agit d'une véritable dissonance patrimoniale, comme l'a si bien souligné SMITH (2004), envers la politique culturelle étatique à tendance homogénéisatrice, quoi que cette dernière semble n'en pas prêter attention.

Dans ce contexte de mise en scène pour des positionnements de toutes sortes, tous les éléments culturels susceptibles de contribuer à la réalisation des désirs sont mis à contribution. On se retrouve ici dans la nouvelle vision de mise en patrimoine développée au chapitre portant sur le cadre théorique. En effet, même si le package du patrimoine dominant du contexte camerounais se trouve englué dans l'ancienne conception pour laquelle la référence aux antiquités, curiosités et monuments est le prédicat, le patrimoine dominé s'arrime davantage à la nouvelle donne patrimoniale. Cette dernière est caractérisée par l‘extension du continu de la notion de patrimoine et les connotations y afférentes. C'est ce que nous appelons la postmodernité patrimoniale. Cette dernière se vit au Cameroun où la patrimonialisation de ce qui relève de l'immatériel tel que le Labana chez Massa, le Ngondo chez les Sawa, le Ngouon chez les Bamum qui se trouvaient dans l'oubli transcendent les mécanismes traditionnels pour une mise en performance à l'échelle nationale.

Cependant, l'analyse des récits collectés auprès des riverains des DGB et de certains sites patrimoniaux a révélé un pan très peu connu des attitudes et mobiles de mise en patrimoine dans le paysage culturel du Cameroun. Il s'agit des mécanismes de patrimonialisation fondés sur l'esprit de lieux et des ancêtres. En fait, les DGB dont les marqueurs d'appropriation, de conservation et de transmission aux jeunes générations les plus anciens sont ceux qu'on lit chez les locaux (riverains), ont été conservés sur plusieurs siècles grâce à la croyance aux esprits que les ruines incarnent depuis les origines, mais aussi à ceux des aïeux de ceux qui les desservent de nos jours. C'est l'ordre religieux endogène qui établit la relation entre le monde des vivants et celui des esprits, sorte de disciples capables d'intercéder auprès de Dieu pour les causes de ceux qui négocient leur bonne grâce. Pour les locaux (vision emic), les DGB ne sont pas de simples ruines d'une ancienne architecture comme les considèrent les scientifiques et les acteurs de la patrimonialisation dominante

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(vision etic), mais de véritables temples et autels votifs où ils se connectent au monde invisible. Suivant ce type de considération, les DGB mentionnés comme éléments patrimoniaux occupent une place prépondérante dans la vie socioculturelle des utilisateurs actuels. Ils sont l'objet de protection physique et spirituelle à des échelles variables.

À travers les DGB, les résultats de notre recherche permettent de faire un distinguo entre les éléments culturels et patrimoniaux en mettant en lumière le cheminement menant au statut patrimonial et la patrimonialité entretenant ce statut. Cette étude de cas a prouvé que pour dire d'un élément culturel qu'il a un statut patrimonial, il faut être en mesure de souligner les marqueurs de sa patrimonialisation et les indices de patrimonialité exprimant le rapport qu'ont les utilisateurs envers lui. Pour y arriver, nous avions mis les DGB dans le contexte archéologique de la Région de l'Extrême-Nord du Cameroun où ils se trouvent afin de démontrer le principe de la patrimonialisation qui présuppose une démarche de sélection et de classement, préalable au statut patrimonial.

Cette mise en contexte permet aujourd‘hui de savoir que les DGB ne constituent pas les premières évidences archéologiques mises au jour au Cameroun, en général, et dans l'Extrême-Nord et ses environs, en particulier. Des sites arcchéologiques tels que l'abri sous roche de Shum Laka dans les Grassfields du pays, les pétroglyphes de Bidzar dans le Nord, les buttes Sao que nous préférons appeler mines anthropiques de l'Extrême-Nord, sont quelques uns des sites d'importance du pays. Mais ces évidences qui avaient été répertoriées avant les DGB n'ont pas connu l'effervescence de mise en patrimoine qui se déploie autour des ruines de l'ancienne civilisation architecturale des monts Mandara septentrionaux. Aucun site archéologique camerounais n'avait été l'objet de mobilisation linstitutionnel d'envergure internationale pour une mise en valeur.

Ce penchant pour les DGB traduit l'expression d'un choix opéré pour la rétention d'un élément culturel, parmi tant d'autres, afin de lui conférer un statut particulier. Et l'établissement de ce statut des DGB a été réalisé par une mise en action des mécanismes d'appropriation que notre recherche a permis de décrypter tant au niveau de la patrimonialisation nationalisante qu'à celui de la patrimonialisation locale. Le chapitre 5 en rend bien compte à travers le bilan rétrospectif qui indique les marqueurs de la mise en patrimoine nationale et les différentes formes d'appropriations décelées chez les riverains

283 des DGB. On aura retenu que l'inscription des sites à la liste indicative soumise à l'UNESCO par le Cameroun consacre leur insertion au patrimoine dominant dont l'État est le garant de la protection et que la sacralisation est le principal mécanisme de patrimonialisation utilisé par les riverains. Cette dernière forme d'appropriation est la plus ancienne qui a accordé une valeur sociale vivante aux DGB et par ricochet, permis leur protection et leur conservation au fil des siècles. Mais en termes de rapport de force législative, elle est dominée par la première dont les acteurs peuvent décider, en vertu du pouvoir qui leur est conféré, de ne plus partager la propriété avec ceux grâce à qui les ruines sont parvenues aux Camerounais d'aujourd'hui.

L'ensemble d'indicateurs élucidant la patrimonialisation des DGB et la patrimonialité corrélative prouvent à suffisance le statut de biens patrimoniaux desdits sites. Cette conclusion à laquelle nous sommes parvenu remet bien en cause la tendance classant, de facto, tous les biens archéologiques dans le registre d'éléments patrimoniaux, au sens d'objets auxquels une sensibilité particulière se dégage. Il nous semble que ce statut attribué sans explicitation ne relève que de l'amalgame sémantique dont nous avions parlé au chapitre 2. Certes, les biens archéologiques du territoire camerounais appartiennent au pays, mais, à quelques exceptions près, les faits prouvent que cette culture matérielle est loin de faire l'objet d'une appropriation symbolique. Sinon comment comprendrions-nous la disparition des collections qui existaient dans certains musées et centres de recherche et le manque d'intérêt envers celles qui ont été constituées ces dernières années dans le cadre de l'archéologie préventive et de sauvetage ? Alors, présenter les biens archéologiques, dans leur généralité, comme patrimoine culturel du Cameroun, serait une transposition de considérations culturelles faisant de ces artefacts des éléments patrimoniaux.

On n‘est pas sans savoir que les artefacts archéologiques sont de plus en plus considérés comme ressources fragiles et irremplaçables qui méritent des égards de protection, voire de mise en valeur. Cette attention assez prononcée envers la culture matérielle du passé pour si forte qu'elle soit, dans certains pays, ne saurait être généralisée pour tous les pays et encore moins, pour tous les peuples. Il est vrai que nous sommes à l'heure de la mondialisation culturelle et donc, patrimoniale, mais cet emballement politique ne devrait pas entrainer le

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questionnement scientifique. Le cas du Cameroun le prouve ; car dans ce pays, les objets archéologiques sont davantage des éléments culturels.

Outre cette distinction entre les éléments patrimonial et culturel, la recherche souligne la polyvalence dont est l'objet la notion de patrimoine au Cameroun. Cette polyvalence semble s'enliser dans un amalgame lexical où l'héritage culturel et patrimoine culturel renvoient pratiquement à la même réalité dans les discours patrimoniaux du Cameroun. Cette synonymie confusionnelle serait en grande partie la résultante d'un ajustement conceptuel croyant arrimer le discours patrimonial camerounais à celui des organisations internationales telles que l'UNESCO, l'ICRROM, véhicules de diffusion de cette notion (de patrimoine) de la modernité occidentale. Elle serait aussi la manifestation d'une dérivation discursive liée au parallélisme entre les expressions françaises et anglaises dont le Cameroun fait usage dans son bilinguisme officiel. C'est par exemple le cas de la correspondance entre cultural heritage et patrimoine culturel.

De ce fait, notre travail remet en cause cette synonymie. Pour nous, le fait de prendre le patrimoine culturel pour l'héritage proviendrait d'une erreur définitionnelle entretenue par le discours patrimonial dominant. Cette erreur est celle qui confine la notion de patrimoine dans l‘approche épistémologique renvoyant à un bien reçu du père. Pourtant, comme souligné au chapitre 3, cette définition devient de plus en plus obsolète puisque l‘héritage n‘est pas seulement reçu du père. Dépendamment des sociétés et comme le prouvent les exemples se trouvant au Cameroun, l'héritage peut provenir des réalités filiales aussi bien patrilinéaire, matrilinéaire que bilinéaire. Le travail d'analyse et d'interprétation que nous avons effectué a induit à l'identification de la coexistence du patrimoine, du matrimoine et du patri-matrimoine au Cameroun. Pour ce faire, l‘on se doit de ne pas laisser le fort caractère agnatique des héritages dû à la patrilinéarité dominante subsumer la réalité de la présence des legs matrimoniaux et patri-matrimoniaux au sein de certains groupes ethniques du Cameroun.

Par ailleurs, ce que l‘on reçoit en héritage n‘est toujours patrimonial que dans le sens juridique de la possession. À contrario, si l‘on essaie de le positionner à l‘échelle des considérations fondées sur les rapports symboliques, les biens hérités ne sont pas toujours des éléments patrimoniaux. Pour qu‘ils soient placés à cette sphère, il faudrait que les

285 attitudes des possesseurs présents, vis-à-vis d‘eux, expriment un certain degré d'attachement symbolique. Ce rapport, qu‘il soit sous-tendu par des raisons idéologiques, politiques, religieux ou économiques, révèlent la patrimonialité, critère très fondamental permettant de décliner le statut patrimonial de tout bien de quelque nature que ce soit.

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310

ANNEXE : RÉCITS DE PRATIQUES SUR LES DGB ET LES ILLUSTRATIONS

DGB-1 DGB-2

De nos jours, pour la réalisation du sacrifice, c‘est le CS qui offre tous les éléments (02 calebasses à bière (Zom), deux pots de zom et une chèvre) du sacrifice. Cependant, pour le rituel, il y a trois actants, mais tous du lignage Damvalda. Le sacrifice est fait suivant un certain ordre respectant la hiérarchie des officiants.

Le CS porte les deux calebasses et se place devant en marche vers l‘autel. Il est suivi du porteur de la jarre de bière. Ce dernier est suivi de celui qui tient la chèvre et appelé enfant dans le langage sacrificiel. Une fois sur les lieux du sacrifice, commence donc les activités liées à l‘exercice du jour.

Le rituel sacrificiel se déroule en plusieurs phases. Il faut d‘abord faire la propreté autour de l‘autel, Pot encadré et caché et pierre dressée (fig. A.1). Ensuite, les officiants prennent place. Il revient au CS de s‘assoir le premier et celui qui tient la chèvre et le porteur du pot de bière vont prendre respectivement place.

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© DATOUANG DJOUSSOU (2010)

Figure A.1: Autel érigé à DGB-1 (1-pierre dressée; 2-pot sacrificiel) Après avoir pris leur position, le chef fait sortir le pot sacrificiel pour le rituel du zom. Le porteur du pot de zom le remet à celui qui tient la chèvre et ce dernier le tend à son tour au CS. Le chef transvase le zom dans le pot sacrificiel (PS). Le pot de zom et son contenu restant est remis directement, par le chef, au porteur du pot. Le CS déverse une quantité de zom du PS dans la calebasse, monologue et fait la libation sur le PS, légèrement incliné (fig.A.1). Il dépose la calebasse sur celui-ci afin d‘en évaluer ou tester l‘acceptation du sacrifice par les destinataires (fig.A.2). Le CS reprend la calebasse boit de son contenu, la remet à celui qui tient la chèvre et qui goûte le zom et doit remettre le reste au porteur du pot de zom pour qu‘il en boive à son tour. Ce rituel une fois accompli, on peut maintenant distribuer le reste du zom à l‘assistance.

© DATOUANG DJOUSSOU (2010)

Figure A.2: Démonstration du rituel du Zom vérifiant l’acceptation du sacrifice

DGB-6

La phase qui suit est celle du sacrifice de la chèvre. Celui qui tient la bête la remet au CS. Ce dernier la renverse et son second immobilise la bête, en tenant les pattes, afin de permettre au CS de lui transpercer le larynx. Le CS asperge la bête immolée de son propre sang. Pour dépouiller l‘animal, deux personnes sont désignées au sein de l‘assistance pour faire la besogne et le dépeçage. S‘en suit la répartition ou le partage de la viande

312

sacrificielle. Le CS prend la tête, les pattes, les gigots arrière, les abats. Le reste de la viande est grillée surplace. Après la cuisson à feu vif, le CS prend un morceau, le dépose sur le PS, en goûte, puis en donne aux deux autres officiants suivant l‘ordre de passage du zom. Le reste est distribué à l‘assistance comme ce fut le cas avec la bière. Une partie de ce morceau doit être réservée afin de la faire manger aux enfants du CS à domicile.

Le lieu sacré, Ngaliyé, est la partie du DGB qui est encastrée dans les arbres et entre les rochers. C‘est un endroit où on ne se rend qu‘en cas de nécessité sacrificielle. Trois personnes vont sur le site pour faire le sacrifice : le CS, un adulte jouant le rôle d‘enfant- guide et un autre qui joue le rôle de la femme. Les assistants du CS sont nommés par des assises familiales.

La chèvre, le Zom, la calebasse et le pot constituent les éléments du sacrifice. La chèvre est fournie, à tour de rôle, par les familles nucléaires des officiants. Cependant, pour la réjouissance d‘après sacrifice, la bière est produite dans toutes les familles. Elles en apportent chez le CS pour la consommation en commun et conviviale.

Pour aller effectuer le sacrifice et les rituels, les officiants se rendent sur le site au rythme du tam-tam tout en chantant. L‘enfant-guide traine la chèvre jusque sur le site. L‘autel est une pierre dressée et un pot. Les officiants immolent la chèvre et le CS répand les rumens et le sang de celle-ci sur l‘autel. La viande est cuisinée et consommée surplace par les officiants. Les déchets de consommation sont déposés dans une cupule. Le CS retourne chez lui accompagné du son de tam-tam. À leur approche du domicile, un homme verse de l‘eau dans une calebasse et la place sur le chemin. Arrivé à cet endroit, le CS s‘y lave les mains avant d‘entrer chez lui. C‘est un sacrifice interdit au reste de la communauté et qui est fait une fois l‘an pour la protection du quartier Ouzi et ses habitants. S‘il advenait à ce que quelqu‘un transgresse les lois, il paierait un lourd tribut au CS pour que ce dernier intercède auprès des esprits pour l‘expiation de son acte. Si le sacrifice n‘est pas réalisé, les jeunes éprouveront de la difficulté à ses marier, la production agricole va connaitre une baisse et en cas de conflit armé, le quartier perd la bataille.

Mais dans le cadre des sacrifices restrictifs à la famille nucléaire du CS, celui-ci ne manque jamais d‘évoquer le grand autel. Ce sacrifice est fait à domicile et une immense pierre

313 dressée (fig.A.3) en constitue l‘autel. Cette pierre est entretenue parle CS. Elle joue la couroi de transmission des éléments sacrificiels entre le domicile et le site.

1

2 3

© DATOUANG DJOUSSOU (2010)

Figure A.3: Pierre-gardienne de la famille et offrande rituelle

(1-lieu de dépôt des offrandes; 2-pierre-gardienne; 3-aliment offert)

DGB-7

Il y a des pierres dressées (fig.A.4) qui représentent l‘esprit des lieux. Le sacrifice qu‘il fait est adressé à ces pierres qui jouent le rôle de gardien de la famille. Le contenu du sacrifice dépend de la révélation faite par le devin. Il est le plus souvent constitué de zom, chèvre ou poule. La bête est égorgée chez lui en prononçant les maux pour lesquels il voudrait être libéré ou épargné. Il prend une partie du rumen et un peu de zom et s‘en va les répandre sur les pierres. Cependant, le nombre de sacrifices à adresser au site n‘est pas préalablement déterminé. La nécessité est toujours révélée par le devin. Par ailleurs, pour tout sacrifice effectué pour d‘autres impératifs, il va toujours verser une partie sur le site. Ceci est fait de peur que l‘esprit DGB ne dise qu‘il a « mangé » sans se soucier de lui. Les sacrifices qu‘il fait pour le DGB n‘a aucun rapport avec ceux qui sont faits sur les autres sites DGB. Il ne concerne pas tout son clan d‘appartenance. C‘est un rituel propre à la famille.

314

1 2

© DATOUANG DJOUSSOU (2010)

Figure A.4: L’autel sur DGB-7

(1 et 2 sont des pierres-gardiennes de la famille)

DGB-8

Pour faire le sacrifice, il faut du zoum, une chèvre et/ou une poule. Il est effectué par le responsable du sacrifice et ses enfants. Il égorge la chèvre et les déchets de l‘estomac de la bête sont répandus sur la pierre dressée. La viande est cuisinée par son épouse. Après la cuisson, la famille a la primeur de la consommation du repas. Le responsable fait la libation de la bière, en goute puis donne à son épouse et à ses enfants. Les membres de la famille large qui ne participent pas au sacrifice viennent pour la réjouissance populaire qui accompagne le rituel du jour. Ils consomment les éléments offerts en sacrifice.

Le sacrifice est fait deux fois l‘an : l‘un pour la récolte et l‘autre pour le culte aux ancêtres. Pendant les rituels, les membres des autres familles doivent être absents.

315 DGB-9

Aucun de ces démembrements n‘a le monopole du CS. C‘est le plus âge de trois branches qui succède à la responsabilité du sacrifice. Le contenu et la nature des offrandes sont déterminés par le méslégéd. Ce dernier doit indique aussi le lieu du sacrifice. Il peut être fait à domicile ou sur le site. Dans la première alternative, une partie des déchets des éléments du sacrifice est jetée sur le site.

Pour accomplir le rituel, en plus du CS, les deux autres branches doivent être représentées. Il y a donc présence de Wéslém, Ndirwa et Kər bay. Chaque représentant ne s‘assoit que sur la place réservée à son groupe (fig.A.5). C‘est le CS qui apporte les éléments du Sacrifice. C‘est lui qui égorge la bête offerte en sacrifice. Le sang et le contenu de l‘estomac sont répandus sur la principale pierre dressée, considérée comme force protectrice du village. Cette dernière en donnera aux autres qui l‘entourent et représentant les trois groupes. La viande est cuisinée surplace.

Pour le partage, on donne la tête et les pattes aux Zharwa qui sont interdits de s‘approcher du site. Le Mijiklé (la partie contenant l‘œsophage) et une partie des boyaux reviennent au Wéslém, l‘aîné. Le reste est équitablement partagé entre les Ndirwa et les Kər bay. Après le partage, chaque représentant quitte son siège sacrificiel et rejoint son groupe d‘appartenance afin de se partager le repas de la séance.

Pour la consommation du zom, le droit d‘ainesse est reconnu au Wéslém. Le Kər bay, assumant son rôle de «cadet», verse de la bière dans la calebasse et la remet au Wehslem. Il en boit et donne le reste au Ndirwa, le «militaire» (Biy gwala). Après avoir vidé le contenu ce dernier remet la calebasse au Kər bay.

En dehors de ce type de sacrifice, le CS est soumis à une certaine obligeance vis-à-vis du site. Tous les sacrifices qu‘il fait pour sa famille nucléaire doivent faire allégeance au site

DGB. Il se doit d‘aller y répandre les déchets stomacaux et du sang sur le site, de peur qu‘il ne se fâche et que quelque chose de fâcheux n‘arrive à la famille. Par ailleurs, si une portion

316

du site tombe, il se rend chez le mésléged qui va lui révéler les causes de cet événement. S‘il est dit qu‘un sacrifice doit être préalable à toute réparation, il s‘en remet. Mais pour ce dernier, il n‘appelle pas les Wéslémm et les Ndirwa.

1 2 3

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© DATOUANG DJOUSSOU (2010)

Figure A.5: Sièges des officiants et pierres dresses

(1-siège du Wéslémme; 2- Kər bay sur son siège; 3-principale pierre dresse; 4-siège Ndirwa)

DGB-10

Il n‘y a pas d‘autel sur le site. Tous les sacrifices sont faits au domicile du RS.

Le type de sacrifice est révélé par le devin. Le rituel est réalisé par le RS. Il dépose une partie des éléments du sacrifice sur une pierre dressée (fig.A.6) et l‘esprit DGB vient la prendre. Pour le rituel du zom, il le fait avec deux autres dont l‘un est l‘«enfant» et l‘autre est «garde du corps». Mais la désignation de ces deux est faite par la révélation religieuse du devin.

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© DATOUANG DJOUSSOU (2010)

Figure A.6: Le RS assis au pied de pierre qui transmet le sacrifice au DGB-10

Le chef tient deux calebasses. Il remet celle de la main droite à l‘enfant pour qu‘il puise le zoom du vase et le lui donne. Le RS déverse le contenu dans la calebasse se trouvant dans la main gauche et rend la même calebasse à l‘enfant qui la remplit à nouveau et la lui remet. Il met un peu du contenu de la calebasse de la main gauche dans celle de la main droite et vis-versa. Il fait des conjurations puis, de la libation avec la bière de la main droite, en goûte et donne la calebasse à l‘enfant. Enfin, tend la calebasse de la main gauche au garde du corps qui doit boire du contenu de cet ustensile et remettre le contenant au RS. L‘enfant garde la calebasse qui lui a été remise et sert la bière au RS pour qu‘il fasse le même rituel et en donne le reste à l‘assistance. Après cet acte, le chef remplit la calebasse de la main gauche et la donne à son épouse, restée dans la case. La lie décantée du zom est versée au sol pour que le DGB s‘en serve. Ce n‘est que la famille du RS qui fait des offrandes au site.

318

La transmission du savoir est faite par observation. C‘est le plus âge de la famille large qui succède au RS. Pour préparer cette succession, il va, à un moment de sa vie, appeler ses frères et son fils aîné toutes les fois qu‘il y a un sacrifice à faire. Ces derniers suivent religieusement ce qui est fait par le RS. Après le décès de celui-ci, la famille large consulte le devin pour que l‘identité de la personne qui doit assurer la succession soit déclinée.

DGB-12

Le sacrifice est fait de deux manières : au domicile ou sur le site. Mais dans les deux cas, les besoins sont révélés par le devin. Le sacrifice au domicile n‘est fait que pour le bien-être de la famille nucléaire. Il peut s‘agir de l‘immolation d‘une chèvre. Le RS prend un peu de sang, du poumon, du contenu de l‘estomac et pose le tout sur la pierre (fig.A.7) se trouvant entre son domicile et le site DGB. Cette pierre va transmettre les offrandes au DGB. Le repas sacrificiel n‘est consommé que par les membres de la famille nucléaire.

Mais si le méslégéd révèle qu‘il faut faire le sacrifice sur le DGB, cela demande l‘implication des autres Yaba. Le rituel est réalisé sous un arbre, à proximité du site. Trois personnes, du même lignage, s‘y rendent pour faire le sacrifice : le responsable du sacrifice, l‘« enfant-Guide » ou Kirbiy gwala et le Garde (gadbiy ou biy gwala) du corps du biy. Les représentants sont désignés par leur démembrement d‘appartenance. Pour immoler la bête, le Kirbiygwala tient les pattes, la maintenant renversé, et le RS l‘égorge. Elle est dépouillée et dépecée par le Gadbiy. La cuisine est faite par le Kirbiy gwala. Une seule marmite sert à la cuisson de la viande et de la préparation de la boule de sorgho. C‘est un ustensile qui n‘a été jamais remplacé. Il est gardé dans une cachette au lieu du sacrifice. C‘est une marmite dans laquelle les eaux, même les averses du mois d‘août, n‘entrent jamais. Mais le couteau qui a été utilisé est ramené à la maison.

Pour la consommation du repas sacrificiel, les officiants prennent une partie et la consomme surplace. Le reste est partagé entre les trois pour que chacun rentre dans son démembrement d‘appartenance et le fasse manger aux siens.

Quant à ce qui est du Zom, sa consommation sur le site est faite suivant un certain ordre rituel. Le Kirbiygwala verse le zom dans la calebasse et la remet au RS. Celui-ci boit de

319 cette bière puis la donne au Gadbiy. Quand ce dernier en aura bu, il remet le reste au Kirbiygwala pour qu‘il en prenne à son tour.

Comme chez la plupart des CS et les RS, le RS entretient des rapports particuliers avec le site. Lors des sacrifices effectués pour la satisfaction des esprits et la divinité propre à sa famille nucléaire, il prend une partie des offrandes et les jette en direction du site.

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© DATOUANG DJOUSSOU (2010)

Figure A.7: Lieux de rituels liés au DGB-12

(1-pierre qui assure la transmission; 2-DGB-12)

DGB-15

Il n‘y a pas de sacrifice qui est fait directement sur le site. En cas par exemple de manque d‘eau dans les puits, les Gelwé (officiants) se rendent auprès de la grande montagne surplombant le site pour y faire le sacrifice. Le sacrifice peut aussi être fait au domicile de CS. Ce dernier est assisté par le porteur des calebasses, celui qui tient la chèvre et son fils aîné (du chef).

Le CS égorge la chèvre dont les pattes sont immobilisées par celui qui la tenait. Le chargé des calebasses les remet au CS qui y met du Zom pour la libation. Celui qui tenait les pattes de la bête la dépouille. Le fils du CS ne joue aucun rôle ; il est simple observateur (préparation de la succession ?). Après le dépeçage, le chef prend les excréments de la bête pour les divers rituels. Il pose une partie sur le pot sacrificiel. Le reste, il sort de sa cour, le laisse à quelques mètres en direction du DGB, de l‘entrée de son domicile. Pour la viande

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du sacrifice, elle est préparée chez le CS. Après la cuisson, il prend une partie du foie et des poumons et la jette en direction du DGB. Ce dernier joue un rôle très important. L‘acceptation du sacrifice par l‘esprit des ancêtres, des montagnes, des eaux et Zhigilé ne se vérifie que sur le site. Selon les intervenants, une partie des excréments déposés la veille en direction du DGB se retrouve sur celui-ci le lendemain si le sacrifice a été approuvé. Lorsque la vérification est affirmative, la population est rassurée de la satisfaction du besoin pour lequel le sacrifice a été fait. Dans le cas contraire, le CS se doit d‘aller consulter le méslégéd pour qu‘il détermine les causes du refus du sacrifice par les esprits auxquels il a été adressé. Dans ce cas, on doit procéder à un nouveau sacrifice selon les directives données par le méslégéd.

Dans le cadre du pouvoir traditionnel sacrificiel, le DGB est le lieu qui confère de la puissance au chef. À la mort du chef, aucun sacrifice n‘est fait. Mais pour que le nouveau chef Gelwé « prenne fonction», le sacrifice est obligatoire. Celui-ci devra être approuvé par les esprits par l‘entremise du DGB.

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LES APPENDICES

APPENDICE 1: LA N° 91/008 DU 30 JUILLET 1991 PORTANT PROTECTION DU

PATRIMOINE CULTUREL ET NATUREL NATIONAL

CHAPITRE I: DISPOSITIONS GÉNÉRALES Article1er. - (1) La protection du patrimoine culturel et naturel national est assurée par l'État. (2) Les collectivités publiques locales, associations et tiers intéressés participent, le cas échéant, à la mise en œuvre des actions y afférentes. Article 2.- Pour l'application de la présente loi, les définitions ci-après sont adoptées. (1) Le patrimoine culturel et naturel national est l'ensemble des biens culturels meubles et immeubles qui, à titre religieux ou profane, revêtent une importance notamment pour l'histoire, l'art, la pensée, la science, la technique et le tourisme. (2) les biens meubles sont ceux qui peuvent être déplacés sans dommage pour eux-mêmes et pour leur environnement. Entrent dans cette catégorie notamment les bien archéologiques, les biens historiques, les œuvres d'arts, les collections et spécimens rares de zoologie, de botanique, de minéralogie et les objets présentant un intérêt paléontologique. (3) Les biens immeubles sont ceux qui soit par leur nature, soit par destination, ne peuvent être déplacés sans dommage pour eux-mêmes ni pour leur environnement. Il en est ainsi notamment des monuments, des immeubles architecturaux. (4) La protection vise à défendre les biens culturels contre la dégradation, la destruction, la transformation, les fouilleurs, l'aliénation, l'exploitation, la pollution, l'exportation illicites et toutes autres formes de dévalorisation. (5) L'inscription à l'inventaire consiste en l'enregistrement des biens meubles ou immeubles appartenant à la Nation, à l'État, aux collectivités publiques locales, ou à des personnes physiques ou morales, et présentant, au point de vue de l'histoire, de l'art, de la pensée, de la science ou de la technique et du tourisme, un intérêt suffisant pour rendre nécessaire la préservation. (6) Le classement est l'acte par lequel l'État impose au propriétaire détenteur ou occupant d'un bien culturel ou naturel inscrit à l'inventaire, des servitudes en grevant l'utilisation ou la libre disposition. (7) Le déclassement consiste à soustraire aux effets du classement un bien culturel ou naturel de la nation. Article 3.- L'État jouit d'un droit de préemption sur tout bien susceptible d'enrichir le patrimoine culturel ou naturel de la nation.

323 CHAPITRE II: PROTECTION Articles 4.- La protection du patrimoine culturel et naturel national est réalisée par l'inscription à l'Inventaire et le classement de l'ensemble de ses éléments constitutifs. Article 5.- (1) L'inscription à l'inventaire entraine, pour le propriétaire, le détenteur ou l'occupant, l'obligation d'informer l'autorité compétente ; un mois avant le début d'ecécution, de toute action de destruction, de transformation, de réparation, de restauration, d'aliénation ou de transfert affectant le bien. (2) L'autorité compétente ne peut s'opposer à ladite action qu'en engageant la procédure de classement. (3) Les modalités d'inscription à l'inventaire sont fixées par voie réglementaire. Article 6.- (1) Le classement comporte deux phases : -la proposition au classement; -le classement proprement dit. (2) Les modalités de proposition au classement et de déclassement sont fixées par voie réglementaire. Article 7.- Le déplacement, le transfert de propriété des biens proposés au classement et tous travaux autres que ceux d'entretien normal ou d'exploitation courante doivent faire l'objet d'un préavis de trois (3) mois. Le cas échéant, l;'autorité compétente peut s'y opposer. Article 8.- Un bien classé ne peut ni être détruit, ni faire l'objet de travaux de restauration ou de modification sans le consentement de l'autorité compétente qui assure, dans ce cas, le contrôle de l'exécution desdits travaux. Article 9.- Les biens classés appartenant à la Nation, à l'État et aux collectivités publiques locales et aux autres personnes morales publiques sont inaliénables. Toutefois, leur jouissance peut être transférée à un établissement public pou d'utilité publique dans les conditions fixées par voie réglementaire. Article 10. -(1) Tout acte portant aliénation d'un bien classé à titre gratuit ou onéreux doit, sous peine de nullité, faire mention du statut dudit bien. Les propriétaires sont tenus dans les quinze jours de l'acte, d'adresser une expédition à l'autorité compétente. (2) L'autorité compétente dispose d'un droit de suite sur tout bien classé illégalement aliéné. Article 11.- (1) L'aliénation de matériaux ou de fragments illégalement détachés d'un bien culturel ou naturel classé, de même que tout acte ayant pour effet de transférer à des tiers la possession ou la détention de tels matériaux ou fragments sont nuls et de nul effet. (2) Les tiers détenteurs sont solidairement responsables avec les propriétaires de la remise en place desdits matériaux et fragments et ne peuvent prétendre à aucune indemnisation.

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Article 12.- (1) Aucun bien classé ou proposé au classement ne peut être compris dans une enquête aux fins d'expropriation pour une cause d'utilité publique ou dans une zone d'aménagement foncier, s'il n'est préalablement déclassé ou si la proposition au classement n'est pas rapportée. (2) Dans ce cas, les autorités chargées de l'opération foncière sont tenues, avant toute action, de procéder aux études archéologiques et historiques de la concernée. Article 13.- (1) Aucune construction ne peut être édifiée sur un terrain classé et aune servitude conventionnelle ne peut être établie à la charge d'un immeuble classé sans autorisation de l'autorité compétente. (2) Les servitudes légales de nature à dégrader les immeubles ne sont pas applicables aux immeubles proposés au classement ou classés. (3) L'apposition d'affiches ou l'installation de dispositifs de publicité est interdite sur les monuments classés et éventuellement dans une zone de protection déterminée par voie réglementaire dans chaque cas d'espèce. Article 14.- L'exportation de tout bien classé ou proposé au classement est interdite. Cependant dans certaines circonstances, l'autorité compétente peut accorder une autorisation spéciale d'exportation temporaire. Il en est ainsi notamment dans le cadre des expositions organisées par les pouvoirs publics, des foires ou pour des besoins scientifiques. Article 15- (1) Le classement entraine pour le propriétaire, le détenteur et l'occupant, l'obligation d'en assurer la protection et la conservation. (2) Il entraine, en outre, pour les collectivités publiques locales, les autres personnes morales publiques et l'État, l'obligation de participer aux travaux de restauration, de réparation ou d'entretien du bien dans les conditions fixées par voie réglementaire. Article 16.- L'État peut exproprier, dans les formes prévues par la législation en vigueur, les biens proposés au classement ou classés ainsi que ceux des biens dont l'acquisition est nécessaire pour isoler, dégager ou assainir les biens classés. Article 17.- L'exploitation et la reproduction à but lucratif d'un bien classé sont soumises à l'autorisation dans des conditions fixées par voie réglementaire. Article 18. (1) La proposition au classement ou le classement d'un bien peut donner lieu au paiement d'une indemnité de réparation de préjudice pouvant en résulter. (2) En cas d'un arrangement à l'amiable, l'action peut être introduite devant le juge civil dans un délai de six (6) mois suivant la notification de la décision de classement. Article 19.- Les effets du classement suivent le bien en quelque main qu'il passe. Article 20.- Les fouilles et prospections archéologiques de sites classés ou proposés au classement sont soumises à autorisation dans des conditions fixées par voie réglementaire.

325 Article 21.- L'exportation des biens culturels non classés notamment les antiquités, est soumise à autorisation dans les conditions fixées par voie réglementaire. CHAPITRE III : DISPOSITIONS PÉNALES ET DIVERSES Article 22.- Est puni d'emprisonnement de six mois à deux ans et d'une amende de 100.000 à 300.000 CFA sans préjudice de l'action en dommages et intérêts celui qui contrevient aux dispositions de la présente loi. Article 23.- Sont abrogées, toutes dispositions antérieures contraires à la présente loi, notamment l'article 187 du code pénal et la loi n° 68/22 du 19 juin 1963 organisant la protection des monuments, objets, sites de caractère historique ou artistique. Article 24.- La présente loi sera enregistré, publiée selon la procédure d'urgence, puis insérée au journal Officiel en français et en anglais. Yaoundé, le 30 juillet 1991 LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE, PAUL BIYA

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APPENDICE 2: LOI N°2013/003 DU 18 AVRIL 2013 RÉGISSANT LE PATRIMOINE

CULTUREL AU CAMEROUN

L‘assemblée nationale a délibéré et adopté, le président de la République promulgue la loi dont la teneur suit: CHAPITRE I: DISPOSITIONS GÉNÉRALES Article 1er. (1) La présente loi régit le Patrimoine culturel au Cameroun. (2) Elle a pour objet de favoriser la connaissance, la conservation, la protection, la valorisation, la promotion et la transmission du patrimoine culturel, dans l‘intérêt public et dans la perspective du développement durable. Article 2. Au sens de la présente loi, les définitions ci-après sont admises: << bâtiment patrimonial >> : construction prise isolément ou en groupe qui, en raison de son architecture, de son unité ou de son intégration dans le paysage, présente une valeur patrimoniale; <>: bien meuble ou immeuble témoignant de l‘occupation humaine et historique; <>: document objet, monument, bâtiment, ruine, site, paysage, évènement, représentation, style, expression ou pratique ayant une valeur patrimoniale; <>: objet meuble (mobile) ou immeuble fixe (fixe); <>: bien culturel que l‘on peut voir ou toucher, déplacer ou transporter, sans dommage pour lui-même et pour son environnement. Il peut s‘agir d‘un document patrimonial ou d‘un objet patrimonial; <>: bien culturel que l‘on peut voir ou toucher sans pouvoir déplacer ou transporter (fixe). Il peut s‘agir notamment d‘un monument, d‘un bâtiment, d‘une ruine d‘un gisement, d‘un site ou d‘un paysage culturel à caractère patrimonial; <> : tout évènement, représentation, style, expression et pratique, ainsi que les instruments, objets, artefacts, personnages et/ou espaces culturels qui leur sont associés, fondé sur les croyances, les connaissances, et les savoir -faire de communautés, de groupes ou d‘individus ; <>: processus juridique par lequel l‘État accorde une valeur patrimoniale à un bien culturel; <>: action visant à catégoriser un bien culturel; <>: opération qui vise essentiellement à créer des conditions optimales pour la préservation des biens culturels, de telle sorte qu‘ils soient à l‘abri des altérations dues, soit à la nature, soit à l‘action humaine; <>: processus juridique par lequel l‘État retire à un bien classé sa valeur nationale 327 <>: support sur lequel est portée une information intelligible sous la forme de mots, de sons ou d‘images, délimitée et structurée de façon tangible ou logique, ou cette information elle- même, qui présente une valeur patrimoniale; <>: gisement paléontologique ou minéralogique rare et spécial ; qui présente une valeur patrimoniale; <>: opération permanente de souveraineté qui recense, étudie et fait connaitre les éléments du patrimoine culturel; <>: œuvre architecturale fixe, grotte (y compris les inscriptions), sculpture ou peinture commémorative qui présente une valeur patrimoniale; <> institution permanente, à but non lucratif, au service de la société et de son développement ouverte au public et qui fait des recherches concernant les témoins matériels de l‘homme et de son environnement, acquiert ceux- la, les conserves, les communiqués et notamment les exposés à des fins d‘études, d‘éducation et de délectation; <> : bien meuble autre qu‘un document patrimonial, y compris les biens archéologiques meubles, qui présente une valeur patrimoniale, notamment une œuvre, d‘art, un instrument, un démembrement, de l‘ameublement ou un artefact; <>: ensemble de biens culturels matériels ou immatériels, ayant une valeur patrimoniale; <> ou <>: ensemble des biens culturels visible et palpable, précisément les biens culturels meuble ou mobiliers et les biens culturels immeubles ou immobiliers; << Patrimoine culturel immatériel >> ou << patrimoine culturel intangible>>: ensemble des produits culturels invisible et impalpable; <>: territoire possédant des caractéristiques paysagères remarquables résultant de l‘interrelation de facteurs naturels et humains qui méritent d‘être conservées et, le cas échéant, mises en valeur en raison de leur intérêt historique, emblématique ou identitaire; <>: action qui consiste à maintenir la matière d‘un bien ou d‘un lieu en l‘état et à freiner sa dégradation afin d‘en prolonger la vie; <>: objet inspiré d‘un élément du patrimoine culturel fabriqué en exploitant, soit le savoir- faire artisanal, soit les nouvelles technologies; <>: ensemble de mesures juridiques et techniques destinées à défendre le patrimoine culturel contre toute dégradation pollution, vol, dévalorisation ou autre forme de nuisance liées aux activités de fouilles, de prélèvements, d‘aliénation, d‘exploitation, de transformation, de construction, ou de démolition, de transport et d‘exportation; <>: acceptation, d‘un point de vue juridique, de l‘existence d‘un bien culturel; << Restauration ou conservation curative>>: opération qui vise à éliminer les additions ultérieures ou ajouts et à les remplacer par de meilleurs matériaux en vue de la reconstitution de l‘état initial de l‘objet, tout en garantissant l‘intégrité du bien;

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<>: construction ou groupe de construction totalement ou presque totalement détérioré qui présente une valeur patrimoniale; <>: site témoignant de l‘occupation humaine et historique; <>: lieu territoire ou zone constituant un bien culturel ou abritant un ensemble de biens culturels, y compris les sites archéologiques présentant une valeur patrimoniale; <>: ensemble de qualité d‘ordre historique ou anthropologique, archéologique, technologique, artistique, ou esthétique, spirituelle(ou religieuse), emblématique, politique, sociale, économique, touristique, éducative, ludique ou d‘usage, qui confère à un bien ou un héritage une mémorabilité culturelle pour une communauté, une région ou un pays; <>: ensemble de processus et de mesure visant à accroître la valeur patrimoniale des biens culturels sans générer des dommages pour eux et pour l‘environnement. Article 3. Le patrimoine culturel est constitué de biens culturels matériels et immatériels classifies: 1. Suivant l‘ancienneté, les biens culturels peuvent être identifiés comme appurtenant: 2. Au patrimoine archéologique et paléontologique, c‘est-à-dire issus des découvertes fortuites ainsi que des sondages, prospections et fouilles terrestres ou subaquatiques; Au patrimoine historique dont l‘attribution chronologique est estimée à plus de cinquante ans; Au patrimoine ethnographique dont les biens culturels y affectés sont, entre autres, réputés pour leur sécularité ainsi que leur appartenance à des personnes partageant des liens génétiques et culturels. 3. Suivant le régime de propriété et l‘intérêt revêtu à l‘échelle locale ou nationale, on distingue: Le <> constitué de biens culturel pour une famille, un groupe de personnes ou une personne physique ressortissants camerounais, ressortissants étrangers ou apatrides résidant sur le territoire camerounais; Le <> est constitué de l‘ensemble des biens culturels d‘une commune camerounaise; Le <> est constitué de l‘ensemble des biens culturels d‘une région camerounais; Le <> est constitué de l‘ensemble des biens culturels pour l‘ensemble de la nation camerounaise; Le <> est constitué de l‘ensemble des biens culturels de valeur universelle reconnus par les instances internationales compétentes. 4. suivant leur nature meuble ou immeuble: a) Sont considérés comme biens culturels meubles ou mobiliers:

329 Les collections et spécimen rares de zoologie, de botanique, de minéralogie et d‘anatomie; Les collections paléontologiques d‘origine animale et végétale; Les produits de prospection et de fouilles archéologiques tant régulières que clandestines, ainsi que de découvertes fortuites, les objets provenant du démembrement de monuments historiques ou artistiques de sites archéologiques, des sites isolés ou en collection, y compris de l‘histoire des sciences et des techniques, de l‘histoire militaire, de l‘histoire politique et sociale de la vie des personnages historiques et emblématiques nationaux. Il s‘agit notamment des inscriptions et estampes originales, des poids de mesure, monnaie et sceaux gravés, des timbres et vignettes publiques, incurables, des livres et publications, des archives (photographiques, phonographique, cinématographiques, informatiques et multimédias) , des tableaux, dessins, peintures, statues et sculptures faits ou décorés à la main, des tapisseries, tissages, assemblages ou montages textiles originaux, des outillages techniques et ustensiles divers ainsi que des engins, des armes, des munitions et des ensembles ou éléments vestimentaires militaires anciens d‘au moins cinquante (50) ans d‘âge; Les produits ethnographiques tels que les ornements, les parures et tenues vestimentaires, les objets de culte, les instruments de musique locale, les systèmes d‘écritures, les produits de la pharmacopée, de la médecine et de la psychothérapie, ainsi que les intrants et les mets culinaires locaux. b) Sont considérés comme biens culturels immeubles ou fixes: Grottes, cavités rocheuses naturelles ou anthropiques, culturelles ou d‘architecture exceptionnelle; Les sites archéologiques bâtis et les sites rupestres; Les gisements paléontologiques et minéralogiques rares ou spéciaux; Les sites forêts sacrés; Les effigies et monuments fixes ainsi que les tombes de certaines grandes figures de l‘histoire; Les bâtiments historiques isolés et les édifices ou ensembles anciens; Les sites ou monuments naturels terrestres ou marins; Les paysages culturels terrestres ou marins; 5. Suivant leur caractère immatériel, les biens du patrimoine peuvent être: Les représentations ou expressions littéraires de tout genre et de toute catégorie orale ou écrite, conte, légende, proverbes, épopées, mythes devinettes; Les styles et représentations artistiques, notamment les danses, les créations musicales de toutes sortes, les représentations dramatiques, musicales, chorégraphiques ou

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pantomimiques, les styles et représentations d‘art plastique et décoratif de tout procédé, les styles architecturaux; Les évènements historiques, notamment les fêtes commémoratives des mouvements sociopolitiques et militaires qui ont marqué l‘histoire du Cameroun, y compris les objets, dates, lieux, et personnages associés; Les évènements liés aux croyances, notamment les rites, rituels et initiations y compris les objets, vêtements et lieux associés; Les représentations et évènements éducatifs dont les sports, les jeux patrimoniaux, les codes de bonnes manières et du savoir-vivre; Les pratiques et produits de la pharmacopée, médecine et psychothérapie traditionnelles; Les pratiques et les intrants culinaires locaux; Les acquisitions théoriques et pratiques dans les domaines des sciences naturelles, physiques, mathématiques et astronomiques; Les connaissances et produits de technologie, textiles, les techniques agricoles, de chasse et de pêche. Article 4. Nonobstant les critères définis à l‘article 3 ci-dessus, le patrimoine culturel est constitué de biens culturels matériels et immatériels classifiés: 1-Suivant le caractère conflictuel ou litigieux arboré, il s‘agit: Des biens volés ou acquis illicitement; Des biens situés en zone de conflits armés; Des biens situés en zone transfrontière. 2- Suivant leur vulnérabilité ou leur rareté, les biens culturels tant matériels qu‘immatériels peuvent être répartis en trois Classes de protection A, B et C, sous réserve des dispositions régissant le déclassement de biens culturels de la présente loi; Les biens culturels de la classe A sont intégralement protégés et ne peuvent, en aucun cas, être l‘objet de reproduction ou de photographie, de vente ou d‘exportation. Toutefois, leur exploration ou consultation à but historique, scientifique ou technique, de même que leur reproduction ou photographie partielles, à des fins lucratives ou non, est subordonnée à l‘obtention d‘une autorisation spéciale délivrée par le Ministre chargé du patrimoine culturel; Les biens culturels de la classe B sont protégés et peuvent être exposés, explorés, consultés ou faire l‘objet d‘exportation temporaire à des fins scientifiques, techniques, touristiques ou ludiques et partiellement ou intégralement reproduits après obtention d‘une autorisation délivrée par le Ministre en charge du patrimoine culturel;

331 Les biens culturels de la classe C sont partiellement protégés. Leur exposition, exploration ou consultation, reproduction partielle ou intégrale, vente ou exportation sont réglementés suivant les modalités prévues par la réglementation en vigueur. CHAPITRE II: DE LA PROPRIÉTÉ DU PATRIMOINE CULTUREL Article 5. Le régime de la propriété des biens du patrimoine culturel est, sous réserve des dispositions spécifiques prévues par la présente loi, celui défini par les législations applicables aux biens de même nature. Article 6. (1) Les biens culturels appartiennent soit à l‘État et autres collectivités publiques, soit aux particuliers. (2) les biens culturels appartenant à l‘État et aux collectivités publiques sont ceux: Créés ou produits sous l‘initiative d‘une administration ou d‘une institution publique; Découverts sur le sol, dans le sous-sol ou dans les eaux intérieures ou territoriales, lors de fouilles et missions ethnologiques, archéologiques, subaquatiques, de sciences naturelles ou autres activités similaires réalisées; Reçus à titre gratuit; Provenant d‘échanges librement consentis ou achetés légalement avec le consentement des autorités compétentes du pays d‘origine de ces biens. (3) Les biens culturels appartenant à des particuliers sont ceux: Issus de leur génie individuel ou collectif, produits de manifestations sociales et de creations individuelles et collectives; Reçus à titre gratuit; Provenant d‘échanges librement consentis; Achetés légalement avec le consentement des autorités compétentes du pays d‘origine de ces productions. (4) Les particuliers visés à l‘alinéa 1 ci- dessus sont constitués des personnes physiques ou morales de droit privé ressortissants camerounais, ressortissants étrangers ou apatrides résidant sur le territoire camerounais. Article 7. L‘État réserve le droit, dans l‘intérêt public, d‘établir des servitudes telles quel le droit de visite et d‘investigation des autorités et le droit de visite éventuel du public des biens culturels appartenant aux particuliers. Article 8. Le régime de propriété du bien culturel est régi par la réglementation en vigueur, sous réserve des dispositions de la présente loi. CHAPITRE III: DE LA GESTION DES BIENS DU PATIMOINE CULTUREL Article 9. (1) L‘État assure la gestion du patrimoine culturel avec le concours des collectivités du secteur privé et de la société civile.

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(2) Tous les biens du patrimoine culturel font l‘objet d‘un inventaire, d‘une reconnaissance et / ou d‘un classement. Article 10. (1) Il est tenu au ministère en charge du patrimoine culturel, un fichier dans lequel doivent être inscrits tous les éléments du patrimoine culturel inventoriés, reconnus ou classés conformément à la présente loi. (2) Les modalités de gestion et de tenue du fichier prévu à l‘alinéa 1 ci-dessus sont fixés par des textes particuliers. CHAPITRE IV: DE L‘INVENTAIRE DES BIENS DU PATRIMOINE CULTUREL Article 11. (1) Il est établi par Le ministère en charge du patrimoine culturel des inventaires des biens du patrimoine culturel proposés à la reconnaissance, reconnus ou classés. (2) La liste générale de ces biens culturels inventoriés fournit sur chacun d‘eux une description suffisante et fait l‘objet d‘une mise à jour permanente au fur et à mesure de l‘inscription à la reconnaissance et au classement des biens ainsi que d‘une publication tous les cinq (05) ans. (3) Les types d‘inventaires et les modalités d‘application de la présente disposition sont fixés par des textes particuliers. CHAPITRE V: DE LA RECONNAISSANCE DES BIENS DU PATRIMOINE CULTUREL Article 12. La reconnaissance d‘un bien comme appartenant au patrimoine culturel s‘effectue suivant les modalités fixée par voie règlementaire. Article 13. Est éligible à la reconnaissance, tout bien culturel matériel ou immatériel rentrant dans l‘une des catégories définies à l‘article 3 de la présente loi. Article 14. L‘initiative d‘inscription à la reconnaissance appartient: au ministre chargé du patrimoine culturel; Aux chefs des exécutifs des collectivités territoriales décentralisées; Au propriétaire du bien. Article 15. Toute documentation afférente à un bien culturel matériel ou immatériel reconnu peut être diffusé sans que le propriétaire puisse se prévaloir d‘aucun droit. Article 16. Les propriétaires des biens matériels et immatériels reconnus sont tenus d‘en faciliter l‘accès aux chercheurs et visiteurs détenteurs d‘une autorisation délivrée par l‘administration en charge du patrimoine culturel. Article 17. Les biens culturels matériels reconnus appartenant à des particuliers peuvent être cédés, l‘État bénéficie à leur égard d‘un droit de préemption. CHAPITRE VI: DU CLASSEMENT DES BIENS DU PATRIMOINE CULTUREL

333 Article 18. Le classement d‘un bien au patrimoine culturel s‘effectue suivant les modalités fixées par voie règlementaire. Article 19. Est éligible au classement, tout bien matériel ou immatériel ayant au préalable été reconnu conformément à la présente loi. Article 20. L‘initiative d‘inscription au classement appartient: Au ministre chargé du patrimoine culturel; Aux chefs des exécutifs des collectivités territoriales décentralisées; Au propriétaire du bien Article 21. (1) Les biens culturels meubles du patrimoine culturel local, régional ou national classés sont inaliénables et imprescriptibles. (2) ceux appartenant à des particuliers peuvent être cédés. Toutefois, cette cession est soumise aux conditions prévues par les dispositions de la présente loi relative au droit de préemption de l‘État. Article 22. Un bien culturel meuble classé ne peut être modifié ou exporté. Toutefois, des autorisations d‘exportation temporaire peuvent être accordées par le ministre chargé du patrimoine culturel, notamment à l‘occasion des expositions ou aux fins d‘études à l‘étranger. Article 23. Le classement es biens culturels immeubles comporte, s‘il y a lieu, l‘établissement de servitudes qui sont définies par l‘acte de classement et, éventuellement, soit du style de construction particulier à une région ou une localité déterminée, soit du caractère de la végétation ou du sol. Article 24. Les plans d‘aménagement, de développement et autres documents d‘urbanisme ou d‘aménagement du territoire, peuvent modifier les servitudes imposées en application de l‘article 23 ci-dessus, dans les conditions fixées par voie réglementaire. Article 25. (1) N‘ouvre éventuellement droit à indemnité au bénéfice du tiers lésé que l‘établissement de servitudes qui changent l‘usage et l‘état des lieux à la date de publication de l‘acte de classement lorsque le dommage est direct, matériel, certain et actuel. (2) La demande d‘indemnisation doit être formulée, sous peine de forclusion, dans un délai de six (06) mois à compter de la publication au journal officiel de l‘acte de classement du bien culturel concerné. (3) L‘introduction de la demande d‘indemnisation et toute action ultérieurement intentée ne suspend pas l‘exécution de l‘acte de classement. Article 26. (1) Le montant de l‘indemnité est fixé d‘accord parties. A défaut d‘un tel accord, la demande est portée devant les juridictions compétentes. (2) L‘acte administratif prononçant le classement est inscrit dans le livre foncier, si le bien culturel immobilier est immatriculé ou s‘il fait ultérieurement l‘objet d‘une immatriculation.

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(3) L‘inscription prévue à l‘alinéa 2 ci-dessus est effectuée soit d‘office, soit à la demande de l‘administration ou à celle du propriétaire de l‘immeuble. Elle est exempte de tous droits. Article 27. (1) Un bien culturel immeuble classé ne peut être dénaturé, même partiellement, démoli, ou déboisé, même partiellement, sans avoir été préalablement déclassé. (2) Toutefois, il peut être aménagé, restauré ou modifié après autorisation du ministre chargé du patrimoine culturel, en collaboration avec les administrations concernées. Article 28. (1) Aucune inscription ou construction nouvelle ainsi qu‘aucun aménagement paysager ne peut être entrepris sur un bien culturel immeuble classé, sauf autorisation accordée par le ministre chargé du patrimoine culturel et les ministres de tutelle technique concernés. (2) Dans les sites, aires de protection ou zones grevés de servitudes non édifiées, les constructions ou paysages existant antérieurement au classement peuvent seulement faire l‘objet de travaux d‘entretien, après autorisation. Il ne peut être élevé de nouvelles constructions ou des travaux sylvicoles ou forestiers en lieu et place de celles qui sont démolies ou déboisées. (3) La délivrance, par l‘autorité compétente, du permis de Construire sur les sites visés à l‘alinéa 2 ci-dessus, est subordonnée à l‘élaboration d‘un plan de conservation du bien culturel concerné, approuvé par le ministre chargé du patrimoine culturel et les ministres de tutelle technique concernés. Article 29. (1) Aucune modification ne peut être apportée à l‘aspect des lieux compris à l‘intérieur du périmètre de classement, sans autorisation du ministre chargé du patrimoine culturel. (2) La délivrance de l‘autorisation de bâtir, de lotir ou de morceler est subordonnée à l‘autorisation visée à l‘alinéa 1 ci-dessus. Article 30. Sont également soumis à l‘autorisation préalable du Ministre chargé du patrimoine culturel les travaux destinés à la protection du bien culturel immeuble classé ou proposé au classement, notamment: Les travaux d‘infrastructures tels que l‘installation des réseaux électriques et téléphoniques, aériens ou souterrains, des conduites de gaz, d‘eau potable et d‘assainissement, ainsi que tous travaux susceptibles de constituer une agression visuelle portant atteinte à l‘aspect architectural du bien culturel immeuble concerné; Les travaux de déboisement ainsi que de reboisement, lorsque ceux-ci sont de nature à affecter l‘aspect extérieur du bien culturel immeuble concerné. Article 31. L‘apposition de toutes affiches ou enseignes, quels qu‘en soient la nature et le caractère, imprimées, peintes ou constituées au moyen de tout autre procédé, est interdite sur les biens culturels immeubles classés. Article 32. (1) Le propriétaire, tous travaux qu‘elle juge utiles à la conservation ou à la sauvegarde du bien culturel immeuble classé.

335 (2) A cette fin, l‘Administration peut autoriser l‘occupation temporaire du bien culturel immeuble ou des biens immeubles voisins. L‘autorisation d‘occupation temporaire, qui ne peut excéder un (01) an est notifiée aux propriétaires intéressés. (3) L‘indemnité éventuellement due aux propriétaires est fixée soit par accord amiable, soit défaut, par les tribunaux compétents. Article 33. (1) Les biens culturels immeubles du patrimoine culturel municipal, région ou national classés sont inaliénables et imprescriptibles. (2) Les biens culturels immeubles classés appartenant à des particuliers peuvent être cédés. Toutefois, cette session est soumise aux conditions prévues par les dispositions de la présente loi relative au droit de préemption de l‘État. Article 34. (1) Aucune construction nouvelle ne peut être adossée à un bien culturel immeuble classé. (2) Les constructions existant avant le classement ne doivent plus, lorsqu‘elles font l‘objet de travaux autres que des travaux d‘entretien, s‘appuyer directement contre ledit bien culturel immeuble. Dans la partie adjacente à ce dernier, les propriétaires devront édifier, sur leur propre terrain, un contremur pour supporter les constructions. Article 35. (1) L‘administration peut faire exécuter d‘office, aux frais de l‘État et après en avoir avisé le propriétaire, tous travaux d‘entretien qu‘elle juge utiles à la conservation de l‘objet mobilier classé. (2) A cette fin, elle peut procéder, par décision notifiée au propriétaire, à la saisie temporaire de l‘objet pour une période qui ne peut excéder six (06) mois. (3) Lorsque des travaux sont effectués sur leurs biens immeubles, les propriétaires riverains sont tenus de prendre toutes mesures nécessaires pour préserver le bien culturel immeuble classé de toute dégradation pouvant résulter desdits travaux. Ces mesures peuvent, le cas échéant, leur être prescrites par l‘Administration. Article 36. Les biens du patrimoine culturel immatériel classés font l‘objet: De constitution de corpus et banques de données concernant le patrimoine culturel immatériel par l‘identification, la transcription et la classification, la collecte, l‘enregistrement par tous moyens appropriés et sur tous supports auprès de personnes, groupe de personnes ou de communautés détentrices du patrimoine culturel immatériel ; D‘étude des matériaux recueillis par des scientifiques et institutions spécialisées pour approfondir la connaissance; De diffusion par tous moyens, expositions, manifestations diverses, publications, toutes formes et tous procédés et moyens de communication; De sauvegarde de l‘intégrité et de la protection des traditions. Article 37. (1) Les personnages historiques ou emblématique décédés y compris les évènements, lieux ou sépultures y relatives classés peuvent faire l‘objet de communication.

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(2) Les modalités d‘application de cette disposition sont fixées par des textes particuliers. Article 38. (1) Les propriétaires des biens culturels immatériels du patrimoine culturel familial ou de particuliers peuvent jouir sur ceux-ci, du seul fait d‘en être auteur ou héritier, de droits moral et patrimonial, ceci en conformité avec la réglementation en vigueur relative au droit d‘auteur et aux droits voisins. (2) Les communautés dont le patrimoine culturel est classé bénéficient d‘une assistance en termes de sensibilisation, d‘information, d‘éducation, de formation et de valorisation de leur patrimoine, suivant des modalités fixées par des textes particuliers. CHAPITRE VII: DU CLASSEMENT DES BIENS DU PATRIMOINE CULTUREL Article 39. Le déclassement d‘un bien du patrimoine culturel se fait suivant les formes et les procédures qui ont présidé à son classement. Article 40. (1) Un bien culturel mobilier détruit ou mutilé de façon irréversible peut être déclassé. (2) Lorsqu‘un bien culturel immobilier classé constitue un danger pour la vie humaine, l‘environnement et /ou d‘autres biens, culturels ou non, ou est de nature à causer des dommages, le ministre en charge du patrimoine culturel procède, dans un délai approprié, à sa fermeture, son évacuation, son démembrement, sa destruction ou sa démolition suivant des modalités fixées par des textes particuliers. Article 41. (1) Nul ne peut être sanctionné pour fait de destruction d‘un bien culturel reconnu ou classé, commis dans les cas de force majeure ou de légitime défense. (2) Toute personne, auteur de destruction d‘un bien culturel reconnu ou classé, agissant dans le cas de légitime défense ou de cas de force majeure, est tenue d‘en faire déclaration dans les quarante-huit (48) heures auprès du ministère chargé du patrimoine culturel. Article 42. (1) Les biens déclassés sont remis au propriétaire qui recouvre les droits dont il était titulaire avant le classement. (2) Les biens déclassés appartenant à l‘État ou autre collectivité politique, sont remis au ministère chargé du patrimoine culturel qui procède à leur dévolution selon les modalités fixées par les lois et règlements en vigueur en matière de biens. CHAPITRE VIII: DES DISPOSITIONS SPECIFIQUES APPLICABLES AU PATRIMOINE ARCHEOLOGIQUE Article 43. Tous les travaux d‘aménagement, d‘extraction, d‘exploitation ou de construction dans le cadre de grands chantiers ou de projets structurants doivent préalablement faire l‘objet de diagnostics, prospection et de sondages archéologiques. Article 44. (1) Nul ne peut effectuer des sondages ou des fouilles terrestres ou subaquatiques, dans le but de mettre au jour des biens culturels intéressant la préhistoire, l‘archéologie, la paléontologie, ou d‘autres branches des sciences historiques, humaines ou

337 naturelles en général, sans en avoir obtenu préalablement l‘autorisation conjointe des ministres en charge de la recherche scientifique et du patrimoine culturel. (2) La délivrance d‘une autorisation de recherche archéologique aux institutions scientifiques et chercheurs étrangers est subordonnée à l‘épreuve de l‘association des institutions scientifiques et chercheurs nationaux aux travaux. (3) Seuls peuvent être autorisés à effectuer des recherches archéologiques, les institutions scientifiques ou des chercheurs agréés dont les compétences sont reconnues et qui disposent des (4) Les conditions d‘autorisation de recherche archéologique, ainsi que les droits ou obligations de l‘archéologue sont déterminés par arrêté conjoint des ministres chargés de la recherche scientifique et du patrimoine culturel. CHAPITRE IX: DE LA VALORISATION DE LA PROMOTION DES BIENS DU PATRIMOINE CUTUREL Article 45. (1) Sous réserve du respect des champs de compétences spécifiques, la valorisation des biens du patrimoine culturel est assurée par l‘État et les collectivités territoriales décentralisées, avec le concours éventuel du secteur privé et de la société civile. (2) Les modalités d‘application de l‘alinéa 1 ci-dessus sont fixées par des textes particuliers. Article 46. (1) La promotion des biens du patrimoine culturel est assurée par le biais: De la réhabilitation ou la restauration des biens culturels; de la création des musées, des collections de toutes sortes et des infrastructures culturelles dans le domaine du patrimoine culturel suivant des modalités fixées par voie réglementaire; de la fixation par l‘image et le son du patrimoine culturel immatériel; du développement des industries culturelles et du tourisme culturel; de la sensibilisation, de l‘information de l‘éducation et de la formation sous toutes leurs formes; de la mise en œuvre des conventions et chartes sur le plan régional et international; de la publication des études à caractère scientifique en collaboration avec les administrations concernées; de la contribution des opérateurs culturels privés et des associations à caractère culturel; de la célébration des journées nationales dédiées au patrimoine culturel. des mesures d‘encouragement spécifiques peuvent être prises, notamment au plan fiscal, dans le cadre de la loi de finances ou de loi particulières afin de promouvoir les investissements culturels et de rendre compétitifs les produits culturels nationaux.

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CHAPITRE X: DE LA CRÉATION DES PRODUITS DÉRIVES DES BIENS DU PATRIMOINE CULTUREL Article 47. (1) La liberté de créer les produits dérivés des biens culturels sur l‘étendue du territoire est reconnue à toute personne physique ou morale, sous réserve du respect des lois et règlements en vigueur. (2) La création des produits dérivés des biens culturels classés ses toutes formes, est soumise à l‘autorisation préalable du ministère chargé du patrimoine culturel, dans le strict respect des règles de la propriété intellectuelle. CHAPITRE XI: DE LA REPRODUCTION DES BIENS DU PATRIMOINE CULTUREL Article 48. (1) La reproduction d‘un bien culturel reconnu ou classé est la fabrication d‘un ou plusieurs exemplaires d‘une œuvre ou d‘une partie de celle –ci, dans une forme matérielle, quelle qu‘elle soit, y compris l‘enregistrement sonore et visuel. (2) Un bien culturel est dit copié lorsqu‘il résulte de la reproduction d‘une œuvre déclarée. Article 49. (1) La reproduction ou la copie, sous quelque forme que ce soit. D‘un bien culturel fabriqué sur le territoire national est soumise à l‘autorisation de l‘Administration en charge du patrimoine culturel. (2) Les conditions de reproduction ou copie sont définies par des textes particuliers. Article 50. Il est interdit de reproduire ou de copier, sous quelque forme que ce soit les biens culturels d‘origine étrangère. CHAPITRE XII: DE L‘ACQUISITION ET DE LA VENTE DES BIENS DU PATRIMOINE CULTUREL Article 51. (1) L‘acquisition de biens culturels se fait par achat, don ou legs. (2) Les conditions de réalisation de l‘achat, du don ou du legs sont définies par des textes particuliers. (3) Les biens culturels reconnus ou classés ne peuvent faire l‘objet de cadeaux officiels. Article 52. Toute vente de biens culturels inscrits à l‘inventaire, reconnus ou classés, doit préalablement être portée à la connaissance du Ministre chargé du patrimoine culturel. Article 53. (1) L‘État peut acquérir à l‘amiable un bien culturel mobilier. (2) Les biens culturels immobiliers, propriété privée, peuvent être intégrés dans le domaine public par voie d‘acquisition amiable, par voie d‘expropriation pour cause d‘utilité publique, par l‘exercice du droit de préemption de l‘État en cas de cession ou de vente. Article 54. La vente des biens culturels non-classés s‘exerce librement, sous réserve du respect de la législation sur l‘activité commerciale. CHAPITRE XIII: DE LA CIRCULATION DES BIENS DU PATRIMOINE CULTUREL

339 Article 55. (1) Les biens culturels reconnus ou classés ne peuvent faire l‘objet d‘exportation définitive. (2) L‘exportation d‘un bien culturel reconnu ou classé est soumise à l‘autorisation préalable du Ministre chargé du patrimoine du culturel. Article 56. (1) L‘exportation de copies des biens culturels reconnus ou classés est soumise à l‘autorisation préalable du ministère chargé du patrimoine culturel. (2) Un bien culturel réputé être la copie d‘un bien culturel. Reconnu ou classé peut faire l‘objet d‘une autorisation d‘exportation définitive. Article 57. Les biens culturels ci-après ne peuvent être exportés de manière temporaire, que sur autorisation du ministre chargé du patrimoine culturel: Les biens culturels exportés aux fins d‘exposition ou à d‘autres fins scientifiques; Des biens culturels faisant l‘objet de prêts ou d‘échanges avec des organisations ou institutions étrangères. Article 58. L‘État se réserve le droit d‘entreprendre toutes actions visant le rapatriement des biens culturels exportés illicitement, conformément aux dispositions du droit interne et international en vigueur. Article 59. (1) L‘importation de biens culturels en violation de la législation nationale du pays d‘origine est interdite. (2) Les biens culturels légalement importés doivent être déclarés en douane. Le récépissé délivré au détenteur par la douane fait foi et doit être produit en cas de réexportation. Ils ne sont soumis à aucun droit de douane si ces biens sont destinés au classement ou à une exposition officielle. CHAPITRE XIV: DU RÉGIME FISCAL ET DOUANIER APPLICABLE A LA PRODUCTION ET L‘EXPORTATION DES BIENS DU PATRIMOINE CULTUREL Article 60. (1) Les activités de promotion et de développement des biens du patrimoine culturel bénéficient des avantages fiscaux et douaniers relatifs aux projets structurants prévus par le code Général des Impôts. (2) Les autres règles fiscales applicables à la promotion des biens du patrimoine culturel obéissant aux dispositions afférentes à la fiscalité des activités artisanales prévues par le code Général des Impôts. Article 61. Sous réserve de l‘application des dispositions de droit commun en la matière, les avantages fiscaux ci-après sont accordés aux promoteurs des biens et services du patrimoine culturel qui exercent leurs activités en conformité avec les dispositions de la présente loi: gratuité de l‘inscription à l‘inventaire;

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exemption de la taxe foncière. Article 62. (1) L‘exportation des biens culturels dans le cadre d‘une activité commerciale régulière donne lieu au versement d‘une redevance dont le montant est fixé par un arrêté conjoint du ministre chargé des finances et du ministre chargé du patrimoine culturel. Il ne peut excéder dix pour cent (10%) de la valeur déclarée du bien culturel à exporter. (2) La redevance prévue à l‘alinéa 1 ci-dessus est affectée au financement de la protection et de la valorisation du patrimoine culturel. Article 63. (1) Est accordé à tout promoteur de bien du patrimoine culturel le bénéfice du régime de l‘admission temporaire le matériel et l‘équipement utilisés dans la promotion, la restauration et la conservation des biens du patrimoine culturel. En cas de cession ou de vente de ce matériel ou de cet équipement, les taxes et droits de douane seront perçus selon la réglementation en vigueur. (2) Les avantages susvisés sont également accordés aux sous- traitants et fournisseurs des promoteurs des biens du patrimoine culturel. CHAPITRE XV: DES DISPOSITIONS PÉNALES ET DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE DÉCOULANT DES ATTEINTES AU PATRIMOINE CULTUREL Article 64. Est puni des peines prévues à l‘article 184 du code pénal, celui qui vole, déplace, transfère ou exporte illicitement le bien culturel et naturel appartenant à l‘État, une Collectivité Territoriale Décentralisée ou à un établissement soumis à la tutelle administrative de l‘État. Article 65. (1) Est puni des peines prévues à l‘article 187 du code pénal, celui qui: détruit, dégrade, mutile, démolit ou procède à la pollution des biens culturels; édifie des constructions ou établit une servitude conventionnelle à la/charge d‘un immeuble classé, sans autorisation; procède à des prospections, exploitations et fouilles archéologies des sites classés ou proposés au classement. (2) Les peines prévues à l‘alinéa 1 ci-dessus sont doublées en cas de destruction d‘un site archéologique reconnu. Article 66. Est puni d‘un emprisonnement de trois (03) mois et un (01) an et d‘une amende de 25 000 à 200 000 FCFA, celui qui: refuse d‘inscrire au fichier ou d‘enregistrer des biens meubles et immeubles appartenant à l‘État, aux Collectivités Territoriales Décentralisées ou à des personnes physiques ou morales et présentant au point de vue de l‘histoire, de l‘art, de la pensée, de la science ou de la technique et du tourisme, un intérêt suffisant pour rendre nécessaire la préservation; refuse de classer ou déclasser un bien culturel et naturel de l‘État; appose des affiches ou installe des dispositifs de publicité sur les monuments classés. 341 Article 67. (1) Est puni des peines prévues à l‘article 66 alinéa 1 ci-dessus, celui qui, sans faire mention du statut d‘un bien classé, l‘aliène à titre gratuit ou onéreux. (2) Les peines de l‘article 184 du code pénal sont applicables au cas où le bien classé concerné appartient à l‘État, à une Collectivité Territoriale Décentralisée ou à un établissement public. Article 68. (1) Sans préjudice des dispositions pénales prévues aux articles 64 à 67 ci- dessus, toute personne coupable ou complice d‘exportation ou de transfert illicite de propriété du patrimoine culturel, est tenu de prendre en charge les frais inhérents aux procédures administratives, judiciaires de récupération et de transport en retour du bien illicitement soustrait. (2) Les tiers détenteurs des biens illicitement subtilisés du patrimoine culturel national, dont la mauvaise foi est établie, sont solidairement responsables avec les propriétaires de la remise en place desdits matériaux et fragments et ne peuvent prétendre à aucune indemnisation. (3) Toute personne coupable de destruction, de dégradation, de mutilation, d‘adjonction, de démolition, ou de modification d‘un bien du patrimoine culturel national sans l‘autorisation préalable du ministre chargé du patrimoine culturel, est tenue financièrement de la remise en l‘état du bien affecté à la demande dudit ministre. (4) Toute personne ayant entrepris sans l‘accord du Ministre chargé du patrimoine culturel, des constructions sur un terrain classé ou sur une zone de protection du patrimoine culturel national, est tenue de les démolir à ses frais après mise en demeure d‘un (01) mois. Passé ce délai, le ministre procède à la démolition des constructions aux frais de l‘intéressé. Article 69. (1) Le possesseur d‘un bien du patrimoine culturel volé doit le restituer. (2) En cas de restitution d‘un bien volé, le possesseur peut prétendre à une indemnité équitable, à condition de prouver qu‘il a agi de bonne foi lors de son acquisition. Article 70. Le possesseur d‘un bien culturel illicitement exporté peut prétendre, au moment de son retour, au paiement par l‘État d‘une indemnité équitable, sous réserve qu‘il n‘ait pas su ou dû raisonnablement savoir, au moment de l‘acquisition, que le bien concerné a été illicitement exporté. Article 71. Pour déterminer si le possesseur d‘un bien du patrimoine culturel volé ou illicitement exporté a agi de bonne foi, il sera tenu compte des circonstances de l‘acquisition, notamment de la qualité des parties du prix payé, de la consultation ou non par le possesseur des registres relatifs aux biens culturels volés ou illicitement exportés, ou des organismes susceptibles de le renseigner sur le statut des biens concernés. Article 72. Outre les Officiers et agents de police judiciaire à compétence générale, les personnels de l‘administration chargée de la protection du patrimoine culturel, sont également habilités à rechercher et à constater les infractions aux dispositions de la présente loi.

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CHAPITRE XVI: DU FONDS DE PROTECTION ET DE VALORISATION DU PATRIMOINE CULTUREL Article 73. (1) Il est institué par la présente loi, un fonds spécial chargé de financer les activités de protection et de valorisation du patrimoine culturel. (2) Les ressources du fonds spécial de protection et de valorisation du patrimoine culturel prévu à l‘alinéa 1 ci-dessus proviennent notamment: des contributions annuelles des opérateurs et exploitants exerçant dans le domaine de la production, à des fins commerciales, des biens du patrimoine culturel; des subventions de l‘État; de la redevance versée dans le cadre de l‘exploitation, de la commercialisation et de l‘exportation des biens du patrimoine culturel; des dons et legs. (3) Un décret du président de la République fixe les modalités de gestion du fonds spécial de protection et de valorisation du patrimoine. CHAPITRE XVII: DISPOSITIONS DIVERSES ET FINALES Article 74. Les modalités d‘application de la présente loi seront déterminées, en tant que de besoin par des textes particuliers. Article 75. Sont abrogées, toutes les dispositions antérieures contraires notamment la loi n°91/008 du 30 juillet 1991 portant protection du patrimoine culturel et naturel national. Article 76. La présente loi sera enregistrée et publiée suivant la procédure d‘urgence, puis insérée au journal officiel en français et en anglais. Yaoundé, le 18 avril 2013 Le président de la République, Paul BIYA

343 APPENDICES 3: MANAGEMENT PLAN OBJECTIVES AND KEY ACTIONS

This section identifies the objectives of the management plan and, where necessary recommends they key actions for addressing these objectives taking into account the resources and opportunities available. 5.1 Legal framework and protection measures Legal mechanism must be used to ensure protection of the DGB sites Action 1. In order to provide further legal protection DGB 1&2 will be proclaimed National Monument. 5.2 Administrative framework The Department of Culture must assume responsible for the effective administration of all DGB sites and in particular DGB1 & 2 Action 2. The Department of Cultural Heritage will designate an officer qualified in heritage conservation practice (conservator) to take responsibility for development programmes at the DGB sites and to maintain effective liaison with local communities. Action 3. The Department of Cultural Heritage will appoint a Traditional Custodian for the sites. The traditional Custodian, who will be a regular employee of the organisation, will be responsible for the day-to-day maintenance of the site. The traditional custodian will create a working environment conductive for performance of traditional ceremonies by local communities. Action 4. The Department of Culture must identify at least 2 persons suitable for training and employment as masons. These officers may be engaged as regular officer or as and when they are required to undertake wall restorations. Action 5. In order to provide more effective protection to the DGB sites, the Department of Cultural Heritage will acquire a minimum of 500 m x 500 m around the sites, and delineates. Appropriate barriers or fencing will be erected along the designated boundary. Cultivation on the sites must be stopped. 5.3 Conservation The DGB walls present a major conservation and immediate remedial intervention mus be taken. One the most important steps in conservation is documentation of the sites. Action 6. Once stonemasons have been identified and trained a comprehensive programme of stabilising the main wall at DGB-1 & 2 may be opened and stabilised. Technical assistance can be provided from Zimbabwe through Africa 2009. Action 7. An effective vegetation management programme must be implemented.

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Action 8. Conservation documentation of the walls (wall inventorying, mapping, photographing) started at DGB 1 must be continued and extended to DGB 2, in order to create reference data for future necessary intervention. Action 9. The Department of Culture must introduce a long-term programme of monitoring the behaviour of stonewalls and evaluating the effects of the conservation work proposed in the management plan and other works that will take placeat the sites. 5.4 Collection Management The management of collections from DGB sites and their interpretation will shed more light on the history of the DGB sites. Action 10.The Department of Culture with the assistance of the Mandara Archaeological Project must prepare an inventory of the objects found at the DGB sites. 5.5 Capacity building The Department must undertake a staff development programme to ensure staff acquires relevant professional expertise to manage DGB sites. Action 11. A trainee conservator must attend the Africa 2009-CRAterre-EAG Regional Courses on the conservation of immovable Heritage in Africa. Action 12. Trainee stonemasons must be sent on 4 weeks internship attachment to Zimbabwe? This Must be timed with annual International Youth Volunteer Restoration Programme at Khami (June). 5.6 Presentation Interpretation and promotion are more important in raising public awareness. Action 13. The Department of Arts and Archaeology of the University of Yaoundé I must seek the assistance from Mandara Archaeological Project to produce a popular guidebook to the sites. Action 14. The Department of Culture must introduce road signage to the DGB sites from Maroua through Mokolo to Koza. A signboard must be erected at the sites. 5.7. Research The management plan recognises the important role of research and excavation in unravelling the history of the DGB sites which presently is not well known. Action 15. The Department of Cultural Heritage will encourage and lend support to research programmes into the culture history of the DGB sites, in particular the initiatives of the Mandara Archaeological Project. To stimulate public interest on the DGB sites, it will ensure that the results of research done so far are published as popular literature. 5.8 Tourism and Marketing/Publicity

345 The Department of Culture realises the advantage of engaging other stakeholder on the promoting and creating public awareness about the sites. Action 16. Once Actions 2, 3 & 6 have been taken, the Department Of Culture will encourage tour operators to introduce a guide service to the DGB sites. Action 17. The Department will cooperate with the Ministry of Education and national universities to incorporate the history of DGB sites into mainstream curricula. 5.9 Community Participation The Department of Cultural Heritage recognises the important role played by local communities as traditional custodians of DGb sites. Action 18. The department of Cultural Heritage will encourage traditional rainmaking rites in order to retain the integrity of the sites. Action 19. The Department of Cultural Heritage will utilise traditional knowledge system to support conservation practices for both DGB and the terrace landscape around them. Action 20. The Department of Culture will assist local communities in establishing Co- management Committee. 5.10 Fundraising The Department of Culture recognises the need to raise funds locally to support conservation programmes at the DGB sites. Action 21. The Department of Cultural Heritage will seek funding from Government treasure to support conservation programmes at DGB sites. 5. 11 Accessibility The Management plan recognises the importance of improving the road network in the area to make the sites accessible. Action 22. The Department of cultural Heritage must lobby Government to open a road from Koza to the sites. The government must also upgrade the road linking Koza to Mokolo. 5.12 World Heritage Inscription DGB sites are worthy of inscription as World Heritage. Action 23. The Department of Cultural Heritage will consider sending an application to the UNESCO World Heritage Centre seeking World designation for DGB sites.

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