Cécile Moffroid M2 « Management des médias » Sciencescom’
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Réflexivité des médias ; quête de sens et légitimité.
L’exemple de l’émission produite et animée par Colombe Schneck sur France Inter :
2007-2008
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Avant propos
Le concept de réflexivité est répandu dans les milieux universitaires pour qualifier les procédés mis en place par les médias pour parler d’eux mêmes. Partant du constat que les dispositifs de mise en abyme sont nombreux, nous nous intéresserons plus spécifiquement aux émissions de critique des médias. Nous nous inspirerons de la littérature télévisuelle, principal sujet d’étude pour la recherche sur la réflexivité médiatique. La radio n’a pour l’instant fait l’objet d’aucun écrit officiel.
Deux phases bien distinctes sont identifiables dans l’histoire de ces émissions d’autocritique, une première au moment de la multiplication des chaînes télévisées, dans les années soixante. Une seconde phase, beaucoup plus retentissante, apparaît avec l’émission « Arrêt sur images », au milieu des années 90. Chacune de ses étapes sera déclenchée par des évènements politiques et sociaux capitaux. A la suite de divers incidents dans le traitement de l’information, il apparut essentiel que les médias fassent l’objet d’une plus grande vigilance citoyenne. C’est l’une des raisons de l’évolution de ces émissions de mise en abyme, qui prennent alors l’allure d’enquêtes journalistiques sur les manquements des médias. A l’origine, les maîtres mots de ces émissions étaient surtout : divertissement, autocélébration et confidences en coulisses. Avec Schneidermann, une nouvelle ère voit le jour, et la profession, collègues et supérieurs hiérarchiques, ne sont pas épargnés. Les dents grincent, c’est la première fois que les journalistes sont eux mêmes sujets d’enquête. Malgré cette volonté de transparence, pour de nombreux individus, citoyens et chercheurs, ces émissions correspondraient à la volonté des chaînes de proposer un alibi à cette absence de contrôle de la corporation journalistique. D’autres raisons sont avancées pour expliquer la présence, et la multiplication de ces émissions, nous en dressons la liste.
Pour pallier à cette crise de confiance, des observatoires, constitués de chercheurs, de citoyens et de professionnels des médias, s’organisent en parallèle. Trois grands spécialistes de la question expliquent la nécessaire existence de ces instances observatrices, « vigies plutôt que juges ». Mais l’on constate que les recherches menées par ces observatoires ne sont quasiment jamais relayées par les médias, objets de toutes ces réflexions. Le fossé se creuse. Une incompréhension grandit. Journalistes et chercheurs s’accusent tour à tour d’être porteurs d’une pensée trop idéologique.
Les émissions de réflexivité dans paysage audiovisuel français se sont multipliées. Chaque grand média propose désormais sa propre émission sur ce thème. Mais les méthodes d’analyse et sujets traités diffèrent grandement. Nous nous focaliserons sur l’émission « J’ai mes sources » sur France Inter, dont la journaliste productrice qui l’anime, Colombe Schneck, propose régulièrement une mise en présence de sociologues, journalistes, producteurs, patrons de presse, ou chercheurs. Nous établissons, grâce aux avis de ses pairs, une analyse d’image de cette émission, et pointons ses originalités autant que ses probables écueils.
Pour aller plus loin, nous ferons en dernier lieu diverses propositions qui permettraient de trouver un sain consensus entre chercheurs et journalistes : qu’hommes de terrain et penseurs se nourrissent, se fassent mûrir les uns les autres…
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Présentation des personnes citées et interviewées
Interviewés (par ordre alphabétique) :
CharlyBishop : blogueur journaliste de presse écrite, issu d’un « grand groupe » (a souhaité rester anonyme)
Béatrice Donzelle : doctorante et chercheur en histoire des médias et du journalisme, vice présidente du groupe « Jeunes chercheurs radio »
Laurent Larcher : chef de rubrique du service culture et médias du journal La Croix
André Offner : pigiste de Nice Matin
Guy Pineau : sociologue, ancien responsable de recherche à l’INA (Institut national de l’audiovisuel) et chargé d’enseignement à Paris III
Enguérand Renault : rédacteur en chef du service « Technologies de l’information communication » et « High Tech, informatique et télécoms » au Figaro
Grégory Rzepski : Ingénieur, co animateur, chercheur et militant d’Acrimed , vient de publier aux Editions Syllepse « Tous les médias sont-ils de droite ? »
Augustin Scalbert : chroniqueur de l’émission « J’ai mes sources » sur France Inter et journaliste en charge de la rubrique « Médias » du site Rue89
Personnes citées (par ordre alphabétique) :
Nabil Aliouane : enseignant de l’université Paul Verlaine, Metz
Fabrice Almeida : historien spécialiste des médias
Paul Amar : journaliste présentateur de « Revu et corrigé » sur France 5
Pierre Beylot : professeur de cinéma et d'audiovisuel de l’université Nancy II, co auteur de l’ouvrage « La télévision au miroir », collection Champs Visuels de l’Harmattan, mars 1998)
Stéphane Bern : journaliste, écrivain et présentateur du « Fou du Roi » sur France Inter
Elsa Boublil : journaliste médias de France Inter
Jonathan Bouchet-Petersen : journaliste au Journal du Dimanche
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Pierre Bourdieu : sociologue des médias
Pierre Carles : journaliste, réalisateur et membre fondateur du journal Pour Lire Pas Lu (PLPL )
Mathias Chaillot : journaliste imédias
Patrick Champagne : sociologue du Centre de sociologie européenne et membre d’ Acrimed (association Action Critique Médias)
Jean-Marie Charon : sociologue au CMVS (Centre d'Etudes des Mouvements Sociaux) et spécialiste de la presse
Lucien Dällenbach : professeur honoraire de l’université de Genève, département de langue et de littérature françaises modernes
Guy Debord : écrivain et cinéaste français, auteur de « La Société du spectacle » 1967)
Régis Debray : écrivain et médiologue
Nicolas Demorand : producteur, journaliste et animateur à France Inter
Olivier Duhamel : politicien, professeur et chroniqueur sur France Culture et Europe 1 (« Médiapolis »)
Umberto Eco : auteur de nombreux essais universitaires sur la sémiotique, l'esthétique médiévale, la communication de masse, la linguistique et la philosophie
Michel Field journaliste, propose avec Olivier Duhamel sur Europe 1 l’émission Médiapolis
Patrick Fournier : journaliste de Télé Obs
Erika Gélinard : journaliste de La Croix
Serge Guérin : sociologue et co fondateur de la revue Médias
Serge Halimi : journaliste, auteur des « Nouveaux chiens de garde », 1997, actualisé en 2005
Yves Harté : rédacteur en chef de Sud Ouest Dimanche
Geneviève Jacquinot-Delaunay : professeur à l’Université Paris VIII, et rédactrice en chef de la revue Médiamorphoses
Laurent Joffrin : directeur de Libération
Edouard Launet : journaliste de Libération
Bernard Leconte : docteur en esthétique et directeur éditorial de « Images abymées : Essais sur la réflexivité iconique » collection Champs Visuels – 2000
Elisabeth Lévy : en charge de la défunte émission « 1e pouvoir » sur France Culture
Henri Maler : maître de conférences à l’Université de Paris VIII, co animateur d’Acrimed
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Julien Mielcarek : journaliste d’ iMédias
Denis Olivennes : président du directoire du Nouvel Observateur
Robert E. Park : journaliste américain devenu sociologue du journalisme, décédé en 1944
Patrick Pépin : journaliste, précédent médiateur de Radio France
Bernard Pivot : journaliste et critique littéraire français, animateur d'émissions culturelles à la télévision comme feu « Apostrophes »
Alain Rémond : journaliste à Télérama, puis a participé pendant six ans à l'émission « Arrêt sur images » et actuellement, il rédige toutes les semaines une chronique à Marianne (revue) et un billet chaque jour à La Croix
Jean-Marc Roberts : directeur éditorial chez Stock
Frédéric Schlesinger : directeur délégué de France Inter
Daniel Schneidermann : journaliste, animateur de l'émission de décryptage des médias « Arrêt sur Images »
Yoanna Sultan-R’Bibo : journaliste du magazine Stratégies
Edouard de Rothschild : 1er actionnaire du journal Libération
Philippe Viallon : professeur de communication de l’université de Lyon II
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Sommaire
Réflexivité : derrière le concept, des propositions multiples de sens
I. QU’APPELLE-T-ON REFLEXIVITE DES MEDIAS ? II. L’AVENEMENT DES EMISSIONS DE REFLEXIVITE A/ Un premier visage à la réflexivité des médias B/ Un autre versant à cette réflexivité : les revues de presse C/ Une tierce physionomie à la réflexivité des médias
III. A QUELLES PROBLEMATIQUES REPONDENT CES EMISSIONS ? a. « ELLES CORRESPONDENT A LA MISE EN PLACE D’UN MARKETING DE L’EXCELLENCE PROFESSIONNELLE » b. « C’EST UN POUVOIR A MEDIATISER COMME LES AUTRES » c. « ELLES PERMETTENT NARCISSISME ET CORPORATISME » d. « ELLES NOUS DEMARQUENT DE LA CONCURRENCE » e. « ELLES SONT ESSENTIELLES POUR DENONCER LA DOMINATION DE LA COMMUNICATION SUR LES MEDIAS » f. « LEUR COUT DE PRODUCTION EST FAIBLE » g. « ELLES SONT VECTEURS D’INFORMATION/D’EDUCATION » h. « ELLES PROPOSENT UNE PRISE DE DISTANCE »
I. LES OBSERVATOIRES II. LES EMISSIONS ACTUELLES
Analyses de l’émission : « J’ai mes sources », animée par Colombe Schneck I. FRANCE INTER ET LES EMISSIONS CONSACREES AUX MEDIAS II. L’EMISSION « J’AI MES SOURCES » DE COLOMBE SCHNECK
A/ Parcours de la journaliste productrice de l’émission B / Elément déclencheur à l’origine de l’émission C/ Objectifs de l’émission D/ Analyses personnelles de Colombe Schneck E/ L’équipe de « J’ai mes sources » : F/ Thématiques traitées dans les émissions G/ Les émissions préalablement annoncées dans la presse écrite/web H/ Les polémiques nées après l’émission dans la presse I/ « J’ai mes sources » : les avis de ses pairs
Vers un compromis entre spécialistes et professionnels…
Proposition 1 : Un sociologue aux commandes d’une émission ? Proposition 2 : une alliance entre universitaires et journalistes ? Proposition 3 : plus de distance et d’humour pour des analyses plus mûres ? Proposition 4 : au cœur du problème : la responsabilité de chacun
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Réflexivité : derrière un concept, des propositions multiples de sens
Les recherches et écrits sur la thématique dont il est question dans ce dossier sont inégales selon qu’il s’agisse du média télévisé ou radiophonique. Les chercheurs en radio s’accordent tous sur ce point : il existe certes nombre d’émissions consacrées aux médias en radio, mais l’on constate une absence totale de littérature sur la question. Les recherches universitaires ne semblent pas encore été entreprises sur la radio spécifiquement.
C’est d’abord par la voie de la télévision qu’il nous est donné de comprendre cette notion de réflexivité des médias, quelques revues spécialisées ayant été éditées sur le sujet.
Il faut préciser avant tout que les dispositifs de mise en abyme en télévision sont nombreux, et nous nous intéresserons plus spécifiquement aux émissions de critique des médias. Les procédés d’ostentation technique (exhibition du matériel nécessaire au bon fonctionnement du média), d’électronicité (traitement électronique des informations iconiques), de rediffusions, les émissions nostalgiques ou encore de zapping ne seront pas l’objet de ce dossier, malgré leur appartenance à ce que l’on appelle communément (et hâtivement) « réflexivité » des médias.
I. QU’APPELLE-T-ON REFLEXIVITE DES MEDIAS ?
Comme le constate Nabil Aliouane, de l’université Paul Verlaine de Metz, dans son article « Du miroir au prisme » ( Médiamorphoses n°20, juin 2007) « c’est très facile à écrire, mais beaucoup moins à analyser . »
Le mot « réflexivité » comporte de nombreux sens, il renvoie en premier lieu à l’action physique de réfléchir, l’exemple le plus parlant étant celui du miroir qui réfléchit (renvoie) la lumière. « Réflexif est également un terme employé en mathématiques, il désigne alors la relation qu’un élément peut avoir avec lui-même. » La notion de réflexivité, telle qu’on la conçoit actuellement, est surtout liée à l’action de réfléchir qui concerne « la conscience se connaissant elle-même ». Ces multiples définitions ont donné lieu à des jeux sur les mots et les sens, on a ainsi « accusé les miroirs de ne pas réfléchir. » (Nabil Aliouane)
Théâtre, littérature, cinéma ou peinture ; le concept de réflexivité est peu utilisé. Lui sont préférées des notions comme « récit spéculaire » ou « mise en abyme » que Lucien Dällenbach (Médiamorphoses n°20, juin 2007) définit de la sorte : « [est mise en abyme] toute enclave entretenant une relation de similitude avec l’œuvre qui la contient. » Il précise : « [la réflexivité étant] entendue comme « retour de l’esprit » (du récit) sur ses états et sur ses actes ».
La réflexivité en peinture, parfois appelée mise en abyme, a été proposée par des peintres comme Velasquez ou Memling (…). Le miroir permet effectivement d’offrir un point de vue différent, et certains auteurs ont même affirmé qu’« ainsi, Velasquez a assumé sa mission impossible : celle de peindre la
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peinture… » Nous passions donc d’une réflexion « physique » par le miroir à la métaphore d’une réflexion sur la peinture.
Aux origines de la notion de réflexivité télévisuelle, est l’article d’Umberto Eco, qui affirme : « La caractéristique principale de la néo-télévision c’est le fait quelle parle de moins en moins du monde extérieur. Elle parle d’elle-même et du contact qu’elle est en train d’établir avec son public ».
En fait, la réflexivité est loin d’être un phénomène spécifique à la néo télévision, la télévision s’étant toujours prise pour thème, et ce depuis les origines.
A propos de la télévision, les travaux sur la réflexivité l’ont présenté comme un « « tout homogène », lui ont attribué la capacité de parler, ainsi on est passé d’une « technologie à un sujet » qui tient un discours. Enfin ce « sujet » aurait la capacité de tenir un discours sur ces propres pratiques. Mais la télévision n’est pas un sujet qui tient un discours sur elle-même, car elle n’est pas un sujet uni et unique, elle est un objet. La télévision ne prononce aucun discours, elle n’est que le lieu d’énonciation du discours ». (Nabil Aliouane)
II. L’AVENEMENT DES EMISSIONS DE REFLEXIVITE
« L’apparition d’émissions réflexives date de l’époque pionnière de la télévision. Dominée par le souci de célébrer le travail des professionnels de l’audiovisuel, la télévision des années 60 aime aussi évoquer de manière plus conviviale les coulisses et les vedettes du petit écran sans dédaigner de donner du temps à autre la parole aux téléspectateurs. A partir de la fin des années 70, la concurrence accrue entre les chaînes provoque le développement d’un discours auto-promotionnel toujours très présent aujourd’hui, tandis qu’un certain nombre d’émissions jettent un regard nostalgique sur le passé de la télévision. Les années 80-90 sont marquées par une nouvelle logique de questionnement sur la culture télévisuelle : on s’intéresse aux usages sociaux de la télévision et surtout on s’applique à démonter les mécanismes du langage télévisuel sur le mode tantôt sérieux, tantôt ludique ou satirique. » (Pierre Beylot, professeur de cinéma et d'audiovisuel de l’université Nancy II dans Champs Visuels n°8, février 1998, « La Télévision au miroir »)
A/ Un premier visage à la réflexivité des médias :
En 1988, Umberto Eco déclarait qu’une des particularités de la télévision des années quatre vingt était sa tendance égocentrique, à parler d’elle même plus que de la réalité dont elle était censée rendre compte : « la particularité de la néo-TV c’est le fait qu’elle parle de moins en moins du monde extérieur. Elle parle d’elle-même et du contact qu’elle est en train d’établir avec son public .» Ce n’est donc pas novateur ; Pierre Beylot : « Loin d’être un phénomène récent, cette première forme du regard réflexif apparaît dès l’époque pionnière avec des émissions comme « Au-delà de l’écran », ou « Micros et caméras », qui témoignent de ce souci, fort ancien, de montrer au téléspectateur l’envers du décor. »
Principales émissions réflexives télévisées (période 1960 1990) :
- « En direct de », Les Buttes Chaumont , Claude Dagues et Jean Thévenot, 15 mai 1958
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- « Faire face », La télévision , d’Igor Barrère et Etienne Lalou, 13 avril 1961 (enquête) et 21 avril (débat avec des téléspectateurs)
- « Au-delà de l’écran », de Jean Nohain, André Leclerc et Pierre Sainderichin, émission hebdomadaire de 1960 à 1968
- « Micros et caméras », de Jacques Locquin, émission hebdomadaire de septembre 1965 à décembre 1972
- « Face au public », de Jacques Locquin, 13 émissions de février 1971 à juin 1972
- « TF1/TF1 », de Maurice Bruzek et Sophie Rack, de septembre 1978 à janvier 1982
- « Télé à la une », de Jean Bertho, 4 émissions d’avril à juin 1983 (TF1)
- « Touche pas à mon poste », A2, avril 1986 : « Privés de télé », de Patrick Volson, 07.04.86 « Il était une fois la télé », de Maurice Claude Treilhou, 14.04.86 « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la télé sans jamais oser le demander ou presque », de Jean Marie Perthuis, 21.04.86
- « Trente ans de télévision », 6 émissions en septembre octobre 1987, A2 (le couple, les vacances, la politique, racontés à la télévision)
- « Télé-connexion » de Bernard Montiel, décembre 1987 à mars 1988, TF1. Continue sous le titre « Télé-zip-zap » à partir d’avril 1988
- « Bonjour la télé », de Pierre Tchernia et Frédéric Mitterand, d’octobre à décembre 1988 et juillet août 1989, A2
- « Télé pour/télé contre », de Caroline Tresca et Joseph Poli, 7 émissions de novembre 1989 à janvier 1990, FR3
- « My télé is rich », de Bernard Rapp, 9 émissions, de janvier à juin 1990, A2
- « Télés-dimanche », de Michel Denisot, hebdomadaire du 6 septembre 1992 à juin 1996, Canal+
- « Télé-Vision », de Béatrice Shönberg, hebdomadaire à partir du 8 avril 1993 puis mensuel à partir de septembre 1993, TF1
(sources : Champs Visuels n°8, février 1998, « La Télévision au miroir »)
La plupart de ces émissions relevaient du divertissement.
B/ Un autre versant à cette réflexivité : les revues de presse
Un second procédé réflexif est inventé à la même époque (sources : « Brève histoire de la méta- télévision », 1998, par Philippe Viallon, professeur de communication de l’université de Lyon II) : 9
« Lorsqu’en 1830, Charles Auguste Havas fonde son agence, son activité première consiste à faire lire et traduire des journaux étrangers. Les infos qu’ils contiennent sont reprises par l’agence, puis par des journaux abonnés, sans que leur origine soit mentionnée. C’est le premier cas d’un média dit d’information reprenant des informations d’un autre support. Les autres agences, Wolf et Reuter, crées par d’anciens employés d’Havas, commenceront à travailler selon le même principe. On ne peut concevoir l’industrialisation de la presse du 19 e siècle sans cette dimension de reprise d’information. Pour les autres formes de citation type « revue de presse », il faudra attendre le tournant du siècle pour que le genre s’institutionnalise. Si la presse s’auto-informe volontiers, il n’est pas question que d’autres profitent de la prima materia. En effet, pendant longtemps la presse a refusé que la radio ne diffuse « ses » informations, notamment pendant les années 30. De nombreuses tentatives de conciliation infructueuse débouchent finalement sur des accords en 1937 avec les radios privées et en 1938 avec les « postes » d’Etat, qui prévoient, entre autres, la suppression de la revue de presse le matin sur les radios publiques. Les évènements empêcheront la mise en place de ces accords et après la guerre, la presse ne verra pas tant dans l’autre média un concurrent qu’un moyen de soigner son image de marque. »
La revue de presse est aujourd’hui un procédé courant, et les radios du service public se voient même dans « l’obligation de diffuser « chaque jour et de manière régulière des revues de presse » (décret du 13 novembre 1987, article 26) » (Béatrice Donzelle, doctorante et chercheur en histoire des médias et du journalisme, vice présidente du groupe « Jeunes chercheurs radio », Médiamorphoses n°20, juin 2007)
C’est ce que le sociologue Pierre Bourdieu appellera la « circularité circulaire de l’information » (« Sur la télévision », Editions Raisons d'agir , Paris, 1996). La répétition ici remplace la démonstration.
C/ Une tierce physionomie à la réflexivité des médias :
Une autre époque de réflexivité a vu le jour courant 1996 1997. Et c’est sur celle-ci que nous nous focaliserons plus particulièrement.
Si cette nouvelle ère voit le jour, ses conditions d’apparition sont bien moins réjouissantes que précédemment. On est ici bien loin des émissions d’auto célébration… Dans les années 1980 1990, on constate une multiplication d’erreurs dans le traitement de l’information par les médias (Guerre du Golfe, affaire d’Outreau, charniers de Timi oara (décembre 1989, lors de la chute du régime Ceau escu), affaire Grégory (et la violation du secret de l’instruction), minimisations du nombre de grévistes aux mouvements sociaux de 1995, …). En parallèle, la médiatisation de plus en plus importante de la société française déclenche chez les citoyens une évidente demande de transparence vis à vis des médias qui sont de plus en plus analysés.
Patrick Pépin (journaliste, ex médiateur de Radio France, Médiamorphoses n°18, octobre 2006, « Les médias observés ») : « dans les sociétés développées, l’hypermédiatisation de toute l’activité humaine, la multiplication des supports matériels ou virtuels qui transmettent de l’information, le considérable marché économique et financier qui s’est constitué autour des médias, a généré un regard critique du public à l’endroit de la production éditoriale et, à fortiori, à l’endroit de celle qui est porteuse des valeurs de citoyenneté. ».
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A Patrick Champagne (sociologue du Centre de sociologie européenne et membre d’ Acrimed) , dans le même article, de confirmer : « aujourd’hui, les citoyens ont décidé de s’inviter durablement dans tout le processus d’élaboration de la représentation du monde que proposent les médias. (…) Deux raisons principales expliquent cette nouvelle donne : une meilleure connaissance collective des médias (…) et le développement de la toile qui permet à un nombre accru de citoyens de se constituer par bribes et parfois en profondeur, une lecture plus personnelle d’un phénomène d’actualité, quand elle ne lui permet pas d’intervenir directement chez le producteur lui-même. »
Dans la deuxième moitié des années 90, vers 1996, 1997, une critique radicale des médias se met en place : citoyens, critiques, chercheurs et professionnels commencent à réfléchir à la manière dont le corps journalistique, resté jusqu’ici « inexaminé » malgré ses graves manquements, pourrait avoir à répondre de ses actions. Contrairement à de nombreux autres corps de métiers, il n’existe pas d’instance apte à émettre un jugement pouvant être suivi de sanctions dans cette corporation journalistique, il n’était donc pas inutile en ces temps de doutes d’initier une réflexion.
Deux ouvrages seront considérés comme « coups de tonnerre » dans le ciel médiatique français : « Sur la télévision » (Editions Raisons d’Agir – 1996) de Pierre Bourdieu et « Les nouveaux chiens de garde » de Serge Halimi (Editions Raisons d’Agir – 1997) ; le succès de leurs ventes s’imposera de lui même, avec ou sans promotion médiatique. Dans cette atmosphère tendue, c’est le lancement d’une des premières émissions de décryptage du PAF : « Arrêt sur images ». Plusieurs interprétations sont énonciables, et il ne nous appartient pas de trancher normativement.
III. A QUELLES PROBLEMATIQUES OBEISSENT CES EMISSIONS ?
a. « ELLES CORRESPONDENT A LA MISE EN PLACE D’UN MARKETING DE L’EXCELLENCE PROFESSIONNELLE » : face à cette crise de confiance de la part des citoyens, une communication de crise se devait d’être mise en place par les divers médias. Il fallait au plus vite proposer un lieu d’analyse de ces erreurs journalistiques au sein même des médias, pour ne pas perdre le contrôle de ces débats. « L’idée pour les médias dominants est d’intégrer la critique pour la digérer, et ensuite la reformater dans une version plus acceptable. » (Grégory Rzepski, ingénieur, co animateur, chercheur et militant d’ Acrimed , vient de publier aux Editions Syllepse « Tous les médias sont-ils de droite ? »).
L’objectif évident des chaînes était alors de mettre en place un « marketing de l’excellence professionnelle » (concept développé par le sociologue Patrick Champagne) dont l’objectif était de regagner la confiance des consommateurs, des téléspectateurs donc. Assez rapidement, la légitimation de cette récupération de la critique par le corps journalistique lui même fut permise par la présence de spécialistes, tels Pierre Bourdieu, éminent sociologue de la question. Mais derrière cette invitation se serait caché un autre objectif pour Daniel Schneidermann : construire sa propre identité. Grégory Rzepski (Acrimed ) : « au début, Schneidermann répond à Pierre Bourdieu et se sert des oppositions qui naissent de leurs échanges pour construire son personnage de « journaliste-critique-des-médias ». Il veut se
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distinguer en lui reprochant ses excès, sa posture de savant extérieur aux médias. C’est une critique surplombante. Pour lui il n’est pas légitime ; pour bien critiquer les médias il faudrait selon lui les pratiquer de l’intérieur. C’est de la critique interne. Selon Schneidermann : « Acrimed ou Bourdieu ne se colletinent pas la réalité des médias ! » ».
Dans Libération , du 22 avril 2008, le journaliste Edouard Launet évoquait lui aussi cette éternelle querelle chercheurs/journalistes : « Muhlmann [journaliste en charge de la matinale du WE sur France Inter ] et Demorand [journaliste en charge de la matinale de la semaine sur France Inter ] n’entendent pas remettre en cause le système, seulement exploiter les marges de manœuvre existantes pour l’améliorer. Cette ambition circonscrite est dénoncée par la critique Bourdieusienne des médias, d’Acrimed, à PLPL, Henri Maler [Maître de conférences à l’Université de Paris VIII co animateur d’ Acrimed ], à Pierre Carles [journaliste, réalisateur et membre fondateur du journal Pour Lire Pas Lu (PLPL) ], lesquels n’y voient – en substance – qu’un nouveau conformisme de jeunes gens bien élevés aux convictions floues, gens de petites réseaux aux grandes ambitions personnelles. Ces attaques exaspèrent Demorand « Moi, j’ai les mains dans le cambouis tous les jours, j’analyse les pratiques de l’intérieur. Eux font de l’idéologie. Où sont leurs grandes enquêtes, qui nous laisseraient scotchés ? » » b. « C’EST UN POUVOIR A MEDIATISER COMME LES AUTRES » : Un des protagonistes du débat, Daniel Schneidermann, propose quant à lui une toute autre analyse : pour lui ce quatrième pouvoir mérite tout autant que les trois premiers d’être observé, analysé : « on ne voit pas bien pourquoi le pouvoir exécutif, le législatif, le judiciaire, le pouvoir économique seraient justiciables d’un traitement médiatique, et pourquoi le pouvoir médiatique seul ne le serait pas . [Il faut] considérer le pouvoir médiatique comme objet de journalisme. » Il s’agit donc de faire preuve de la même rigueur journalistique pour ce domaine que pour un autre : « le journaliste qui s’occupe de médias fait le même travail que celui qui est chargé de la rubrique justice, économie ou politique de son journal . », affirme la journaliste de France Inter et iTélé Colombe Schneck (et ancienne chroniqueuse d’ « Arrêt sur images »). c. « ELLES PERMETTENT NARCISSISME ET CORPORATISME » : Enguérand Renault (Le Figaro ) : « Pourquoi ce genre d’émissions se multiplient-elles ? Parce que les narcissiques adorent parler d’eux-mêmes ! » Voici un autre argument qui permet de trouver un sens à la multiplication de ces émissions ; c’est cette une fascination des journalistes pour eux mêmes ; à Grégory Rzepski (Acrimed ) d’ajouter : « Il y a une fascination des journalistes pour les médias et le journalisme en tant que tel ; c’est sociologiquement leur univers. Ils retrouvent leurs propres préoccupations dans le travail qu’ils font sur les médias. Il se dégage clairement une sympathie pour les journalistes concernés par leurs sujets d’enquête ». Concernant par exemple la manière de traiter les grèves déclenchées par la crise du quotidien « Le Monde », il ajoute : « Comparez le Monde et n’importe quelle autre grève, c’est hallucinant. Le nombre de journalistes qui se mobilisent est impressionnant et dans le traitement de l’information, on ne retrouve pas les poncifs actuels qui sont véhiculés sur les grèves dans les autres secteurs. Il y a un grave problème de distorsion quantitative et qualitative et une stigmatisation des grévistes. La sympathie des journalistes entre eux fait ressortir la morgue et le mépris dont ils font preuve envers les autres grévistes. ».
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En ce cas, ces émissions peuvent être justification à parler de soi… Métaphoriquement, on peut relier ce phénomène à une « mise en miroir », concept longuement analysé par Nabil Aliouane (enseignant de l’université Paul Verlaine, Metz). Pierre Beylot (professeur de cinéma et d'audiovisuel de l’université Nancy II) renforce cette idée en ajoutant : « on est face au narcissisme d’une télévision qui aime à s’autocélébrer » d. « ELLES NOUS DEMARQUENT DE LA CONCURRENCE » : Pour se différencier des autres médias, il faut créer sa propre auto promotion. Le risque de ces émissions de réflexivité est de voir celles ci se faire piéger dans les luttes concurrentielles entre médias, lorsqu’elles ne sombrent pas dans le pur nombrilisme professionnel. « Plus profondément ces émissions répondent au souci de valoriser l’image de la chaîne qui les diffuse » selon Pierre Beylot (professeur de cinéma et d'audiovisuel de l’université Nancy II). Il ajoute : « A partir de la fin des années 70, la concurrence accrue entre les chaînes provoque le développement d’un discours auto-promotionnel toujours très présent aujourd’hui ». e. « ELLES SONT ESSENTIELLES POUR DENONCER LA DOMINATION DE LA COMMUNICATION SUR LES MEDIAS » : L’introduction généralisée de la Communication dans la relation journalistes/information pourrait également démystifier l’avènement de ces émissions qui se veulent aussi dénonciatrice (dans une certaine mesure) de la perte de transparence dans la fabrication de l’information. Manière de ne pas baisser les bras, face à la généralisation d’un journalisme « médiocre » de réécriture de communiqués de presse. Les émissions média auraient pour mission de dénoncer cette main mise de la Com’ sur l’Info. Mais devant la multiplication de grands groupes industrialo médiatiques, on peut se questionner sur l’avenir de l’indépendance de la presse… « Comment le professionnel de l’information a-t-il pu imaginer qu’un industriel allait acheter un moyen d’influence tout en s’interdisant de peser sur son orientation ? » concluait Serge Halimi (journaliste, auteur des « Nouveaux chiens de garde », 1997, actualisé en 2005) f. « LEUR COUT DE PRODUCTION EST FAIBLE » : Comme le confirme Fabrice Almeida (historien spécialiste des médias) au magazine Stratégies le 20/12/07 « Elles ne coûtent pas cher à produire ». Pourquoi ? Selon Emmanuel Maubert (rédacteur en chef de Jean Marc Morandini à Europe 1 ) « les chroniqueurs ne sont pas payés ». Ce qui n’est pas une généralité… g. « ELLES SONT VECTEURS D’INFORMATION/D’EDUCATION » : il s’agirait également d’informer le citoyen des révolutions que les instances médiatiques traversent. Pour Fabrice Almeida (historien spécialiste des médias), « même si c’est illusoire, le public aimerait se sentir autonome vis-à-vis des médias ». Il faut sans cesse expliquer, révéler, aider les citoyens à mieux comprendre le monde des médias, qui est de plus en plus présent dans la sphère privée. « Le grand public est plus informé, moins dupe, et veut savoir ce qui se passe dans les cuisines ». (Emmanuel Maubert, rédacteur en chef de Jean Marc Morandini à Europe 1 ). Il poursuit : « on essaye juste de donner des clés au public ». Daniel Schneidermann, concernant son émission « Arrêt sur images », désormais diffusée sur Internet, déclarait dans un entretien à Pierre Beylot (dans Champs visuels n°9 de mars 1998): « A la base de l’émission, il
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y a la conviction que l’image est un formidable gisement de pédagogie, comme l’écriture. Lire des images de télé, cela s’apprend. L’œil s’éduque. C’est cela que nous voulons montrer sans entrer nous-mêmes dans l’exercice. Notre but est de tirer le début du bout de ficelle… »
h. « ELLES PROPOSENT UNE PRISE DE DISTANCE » : Pour André Offner (pigiste de Nice Matin ), « dans une chronique sur les médias, il est plus aisé de prendre du recul. C’est plus facile que de traiter un évènement à chaud, car on a beaucoup plus de temps qu’un journaliste terrain, qu’un journaliste d’information. » Les bouleversements récents liés au cataclysme « Internet » ont accéléré le processus de publication des journalistes. Une des conséquences principales est le rapprochement des sources et des journalistes : le journalisme collaboratif, appelé aussi web citoyen est probablement l’avenir du journalisme. Une autre répercussion à cela est la rapidité avec laquelle les informations sont relayées en quelques secondes à travers le monde. Le temps de l’introspection, de la prise de recul n’est plus toujours possible pour les journalistes. Et c’est un malaise exprimé par nombre de professionnels. Colombe Schneck (France Inter / iTélé ) dans Médiamorphoses n°: « Je rêverais d’un New Yorker français. Un magazine qui laisse les journalistes préparer leurs articles pendant des mois ». Paul Amar (journaliste, présente Revu et corrigé sur France 5 ) confirme : c’est « l’occasion de porter un regard distancié sur des images ou des informations ingurgitées parfois sans recul. Cela nous permet aussi de réfléchir à voix haute sur notre métier de journaliste ». Pour Geneviève Jacquinot Delaunay (professeure de l'Université Paris VIII et chercheuse au CNRS ) : cela donne le prétexte à « revenir sur ce qui questionne le métier [de journaliste], à savoir leur responsabilité de producteur de l’information (…). Dans ce regard réflexif se lit beaucoup la fragilité d’une profession – fragilité identitaire (…) mais actuellement accentuée – face (…) aux métamorphoses des médias et aux modifications que cela entraîne dans la relation tant aux sources d’information qu’aux publics et aux conditions de travail des journalistes. »
C’est peut être la volonté de proposer « un regard critique de la télévision sur elle-même qui témoigne d’un effort des acteurs de la télévision pour penser leur propre pratique et inciterait le téléspectateur à adopter lui-même une distance critique par rapport aux programmes qui lui sont proposés ? Autrement dit, lorsque la télévision multiplie ces effets réflexifs, s’agit-il de se réfléchir elle-même ou de réfléchir sur elle-même ? » (Pierre Beylot, professeur de cinéma et d'audiovisuel de l’université Nancy II dans Champs visuels n°9 de mars 1998)
IV. LES OBSERVATOIRES
Le journaliste Laurent Larcher (chef de rubrique du service culture et médias du journal La Croix ), constate cette absence de contrôle dans la profession : « Il n’y a pas de lieu ou l’on réfléchit sur notre pratique. Il n’y a pas de conseil de l’ordre. Effectivement nous faisons des erreurs, quelquefois certains d’entre nous truquent, parfois de fausses informations sont véhiculées, ou alors pas vérifiées. Il y a la tentation de vouloir être les gardiens du temple d’un journalisme idéal… ».
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De nombreux professionnels font écho de ce constat, et en parallèle de ces stratégies de mise en place d’émissions de mise en abyme, s’organisent petit à petit des associations et observatoires des médias, cette autocritique interne aux médias faisant de nombreux sceptiques.
Dorénavant, la puissance de diffusion d’Internet met en péril celle de la presse écrite. Les associations de critique des médias (entre autres) se sont emparées de ce nouveau médium qui permet, avec peu de moyens économiques, tout en utilisant les compétences de salariés ou bénévoles militants, de briser le monopole de diffusion des journalistes.
• ACRIMED = Action Critique Médias. Cette association de critique radicale des médias est née du mouvement social de 1995, suite à l’Appel à la solidarité avec les grévistes. Depuis 1996, cette structure, pour remplir les prérogatives d’observatoire des médias, se considère comme une association carrefour. Elle rassemble chercheurs et universitaires, journalistes et salariés des médias, acteurs du mouvement social et « usagers » des médias. Elle a pour objectif de mettre en lien savoirs professionnels, savoirs théoriques et savoirs militants au service d’une critique indépendante, radicale et intransigeante. Leur critique est très informée : leur réseau d’information est important et de qualité.
• L’observatoire des médias , créé le 24 septembre 2003 à Paris, est affilié à l’Observatoire international des médias , lancé au Forum social de Porto Alegre en janvier 2002. L’Observatoire international des médias a été crée selon l’idée que les médias n’assuraient plus leur rôle de contre pouvoir : le système médiatique étant à la fois acteur (par la concentration croissante qui le caractérise) et vecteur de la mondialisation néo libérale. Plusieurs observatoires nationaux des médias sont en cours de constitution aujourd’hui. L’Observatoire français entend protéger la société, à l’instar de ses congénères des autres pays, manipulations, « contre les abus, bidonnages, mensonges et campagnes d’intoxication des grands médias - qui cumulent puissance économique et hégémonie idéologique -, défendre l’information comme bien public et revendiquer le droit de savoir des citoyens » (source : site de l’observatoire français des médias : http://www.observatoire medias.info))
• Les Entretiens de l'information : apparaissent en août 2001. Ces rendez vous proposent de mettre en lien des journalistes, des syndicalistes, des médiateurs, des éditeurs, des représentants d'entreprises de médias, des responsables d'école de journalisme, des représentants d'associations ou de mouvements, des avocats, des magistrats, des chercheurs et des universitaires. Leur objectif est de faire que s'organise dans la société un débat public régulier concernant les modalités du traitement de l'information et les moyens pour l'améliorer . Ils constituent une sorte de vigie, de plaque sensible, qui va exprimer les principales difficultés apparues durant l'année. Leur contenu fait désormais l'objet d'une publication (source : site des Entretiens de l’information : http://entretiens.zeblog.com/). Désormais le fruit de ces débats est publié au sein des « Cahiers du journalisme ».
En 2006, sous l’impulsion de la revue Médiamorphoses , trois spécialistes du champ médiatique, vont déchiffrer l’importance de ces observatoires. En voici les principaux extraits :
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Médiamorphoses : Les médias ont-ils besoin d’être observés et si oui, par qui ? (…) Où, quand et comment procéder à ces observations ? Peut-on observer sans juger ?
Patrick Pépin : « Les observatoires des médias, qui allient chercheurs et militants concernés, font partie de cette catégorie et sont perçus bien souvent comme des « intrus » dans l’univers de ceux qui ont délivré, sans contrôle social jusqu’à ce jour, une parole verticale et peu contestée. Et si l’on considère que l’information est avant toute chose une « denrée » qui doit produire plus de citoyenneté, plus de maturité démocratique, il n’y a aucune raison, qu’au prétexte de son absolue liberté (…) elle ne soit pas soumise à une observation critique de ses pratiques (…). Partant de là, les observatoires des médias sont non seulement nécessaires, mais indispensables à une bonne pratique démocratique et à une progression de l’offre éditoriale sur ce que l’on pourrait appeler la « grande information », celle qui participe du politique. (…) Un observatoire des médias utile et crédible ne peut tirer sa légitimité que d’une participation croisée de ces trois composantes : le journalisme, le citoyen et l’expert. (…) « Légitimité et Légalité ». (…) A l’égal de la fonction de médiateur de presse, les observatoires des médias doivent être une instance de veille, d’alerte, de dénonciation – non pas des hommes mais des dérives – sans pouvoir de sanction ni de coercition. Ni juge ni surveillant mais plutôt vigie. (…) L’objet est de (…) renforcer le rôle des citoyens dans les prises de décision politique. (…) Seul le travail social est capable de trouver les méthodes et les outils pour combattre efficacement les dérives capitalistiques des médias et l’impuissance historique des journalistes à accepter la critique sur leur propre travail.(…) Il semble bien qu’il ne faille pas un observatoire central (…) mais des observatoires qui multiplient les regards, qui soient eux aussi, à leur tour, facteurs de pluralité de point de vue (…). Les observatoires sont là pour constater, arguments élaborés en main, pour émettre des avis, pour organiser dans l’espace public, aux côtés des journalistes, le débat nécessaire sur l’accomplissement des seules tâches réelles des journalistes : faire avancer la démocratie et rendre des services. »
Patrick Champagne : « Publier est un acte objectivement politique et, à ce titre, suscite un légitime débat : publier, c’est mettre en circulation une certaine représentation du monde, et par là, vouloir contribuer à l’imposer. Cette lutte porte sur différents aspects et niveaux. Elle concerne bien sûr l’exactitude proprement factuelle des informations publiées (…) mais aussi la sélection des informations (…) et plus fondamentalement encore la hiérarchisation des informations. (…) Donc l’information se construit de manière contradictoire dans une lutte plus ou moins ouverte, entre conceptions et représentations de la « bonne » information. »
Jean-Marie Charon : « Dans un tel contexte, il n’est d’autre réponse aux questions posées par le traitement de l’information que de revenir sur les conditions d’une restauration et d’un renforcement de la responsabilité journalistique (…). Celle-ci est la seule garantie possible pour une activité qui expose par nature à l’urgence et au caractère inattendu ou inusité des situations à traiter ».
Le corps journalistique marque, de manière générale, une opposition féroce à la critique extérieure. Ils préfèreraient à celle ci l’auto analyse…
Ce que semble confirmer Jean-Marie Charon : « notre histoire de la réflexion déontologique est marquée par la prétention des journalistes à être les seuls analystes et juges de leur propre pratique (charte de 1918 : « un journaliste… ne reconnaît que la juridiction de ses pairs souveraine… »). (…)
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Aujourd’hui, le nombre de journalistes (…) et certains syndicats continuent de penser que l’éthique et la déontologie sont de leur seul ressort. ».
Patrick Pépin : « le journalisme est une des rares professions à ne pas produire de pensée sur leur pratique. (…) ils ont abandonné, aux autres, cette fonction depuis des lustres. (…) Seules les sociétés de journalistes intègrent, pour partie, cette activité critique dans leur pratique professionnelle. (…) lorsqu’elles font, elles se limitent, le plus souvent, à leur propre support . »
Patrick Champagne : « Bien des lecteurs savent la difficulté qu’il y a à faire publier un rectificatif dans leur journal ; de même, nombre de personnes mises à cause en tort dans un article ont pu constater les réticences des journaux à publier un droit de réponse. Cette attitude est en fait très générale, les journalistes ne souhaitant pas mettre en évidence leurs manquements (…). Et, chaque fois qu’un « dérapage » important des médias a conduit à poser la question de leur contrôle (Guerre du Golfe, faux charnier de Timisoara, affaire Grégory, violation du secret de l’instruction, affaire d’Outreau, etc.) ceux-ci ont manifesté, avec une belle unanimité, une forte hostilité à la mise en place de toute instance déontologique émanant de la profession elle-même, sur le modèle par exemple des « ordres professionnels » (comme c’est le cas pour les médecins ou les avocats). On sait également leurs réserves à l’égard d’une émission de télé comme « Arrêt sur images » qui pratique pourtant une critique purement journalistique du journalisme, une critique sans doute utile mais qui reste interne au journalisme en ce sens qu’elle s’interroge seulement sur les manquements à la déontologie. Les médias sont encore plus hostiles à une critique des médias extérieure à la profession comme on le voit dans les réactions plus ou moins virulentes que suscite la mise en place d’observatoire des médias. »
V. LES EMISSIONS ACTUELLES
En réponse à cette légitime crise de confiance des français envers les médias, toujours très prégnante (si on se réfère aux réguliers baromètres édités dans la presse) il était nécessaire, pour le corps journalistique, de poursuivre cette démarche d’apparente « œuvre critique ». En conséquence se sont multipliées depuis quelques années les émissions de réflexivité :
Les émissions de réflexivité en radio/télévision à forte visibilité , entre septembre 1992 et juillet 2007 :
TELEVISION :
Canal + : « +Clair » présenté par Florence Dauchez, chaque samedi à 12h35 jusqu’en juillet 2007
Canal + : depuis 1992 : « Télés dimanche » présenté par Michel Denisot, puis par Marc Olivier Fogiel en septembre 1996 avec « TV+ » puis remplacé par « +Clair » présenté par Daphné Roulier et remplacée par Florence Dauchez en 2005.
Direct 8 : « Morandini » présenté par Jean Marc Morandini, 19h 20h, du lundi au vendredi, lancé en avril 2006.
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France 5 : « Arrêt sur images » présenté par Daniel Schneidermann, chaque dimanche à 12h30 (50min), lancé en septembre 1995 i TF1/LCI : « La vie des médias » présenté par Philippe Laroque, hebdomadaire, le week end sur LCI : samedi 14h10 / dimanche soir 1h15 sur TF1, lancé en septembre 1999, et en avril 2005, Emmanuel Schwartzenberg est remplacé par Philippe Laroque. TPS Star : « Telle est ma télé », le dimanche en clair à 13h30 présenté par Julie Raynaud, lancé en janvier 2004. RADIO BFM : septembre 2001 à mars 2003 : « Hypermédia », animé par Michel Picot. Europe 1 : diverses interventions de Jean Marc Morandini : chronique quotidienne à 7h25, 9h dans l’édition du journal pour donner audiences télé Médiamétrie, 10h30 à 12h : journal quotidien de la télévision (lancé à la rentrée 2003) France Culture : « Le premier pouvoir » présenté par Elisabeth Lévy, le samedi 8h10 à 9h, lancé en septembre 2005, supprimé en juillet 2006. France Inter : « J’ai mes sources » présenté par Colombe Schneck, du lundi au vendredi de 10h à 10h30, depuis septembre 2006. Auparavant le thème des médias était traité par Ivan Levaï et Sophie Loubière chaque samedi pendant une saison (2005 2006) dans l’émission « Intermedia », et précédemment « Vous écoutez la télé » par Marc Olivier Fogiel chaque samedi à 11h. RMC : Morandini « JT du petit écran » en 2003, et « On l’a vu à la télé » 2003 2004 par Evelyne Thomas tous les jours de 10h à 12h. RTL : « On refait la télé » présenté par Isabelle Morini Bosc, lancé en septembre 2003 et supprimé en juin 2006, pendant deux ans à 9h puis à 14h. Les grilles des émissions à forte visibilité de la saison 2007-2008 (hors rediffusions) : TELEVISION Telle est ma TPS Star Mathias Gurtler En clair, dimanche, télé 13h30 +Clair Canal + Charlotte Le Gris de En clair, samedi, 12h35 la Salle Le JT des Canal + Christophe Chaque jour dans la médias Beaugrand matinale, 7 minutes Morandini Direct 8 Jean Marc TLJ à 18h50 Morandini 18 Pif Paf Paris Première Philippe Vandel Samedi, 18h Revu et Corrigé France 5 Paul Amar Samedi, 19h /rediffusé dimanche 13h15 La vie des TF1/LCI Philippe Laroque LCI : samedi, 14h10 médias TF1 : dimanche 1h15 i