La dramaturgie des débats télévisés des élections présidentielles françaises

Il est maintenant établi que la visibilité politique passe prioritairement par la médiation télévisuelle. Cette rencontre entre le principal média de masse et les acteurs politiques en quête du public le plus large n’a rien de surprenant en démocratie où l’élection est pragmatiquement une lutte pour obtenir la majorité des voix. Etre présent à la télévision constitue la première étape nécessaire dans l’itinéraire canonique de l’homme politique contemporain. Pour autant, l’effet vitrine n’est pas suffisant, il ne traduit que le droit d’entrée dans la sphère du débat public et de la compétition pour gravir les postes à responsabilité. A la furtivité de l’apparition doit répondre son inscription dans les séquences du temps politique national. La seconde étape de ce parcours initiatique a pour objectif la figuration durable dans l’agenda médiatique. D’où la lutte âpre pour être invité ou être cité au journal télévisé, devenu le dispositif majeur pour sélectionner les acteurs, faire émerger les thèmes de campagne et scander les temps forts des échanges. De ces formes obligées de l’examen de passage à la télévision, seuls quelques « ténors » émergent. Forts de leur notoriété, ils sont tôt mobilisés en vue de la compétition ultime que représente l’élection présidentielle au suffrage universel. Dernière étape de cette séquence politique à la télévision, le débat d’avant-deuxième tour apparaît depuis un quart de siècle en comme le point d’orgue de la campagne : à grand événement, grande dramaturgie. La généalogie du débat « à la française » Comme genre, le débat politique est né aux Etats-Unis avec l’affrontement célèbre entre Nixon et Kennedy. L’histoire le fixe comme forme dramatique intense et à portée décisive sur le choix final des électeurs : moins bon dans le débat, Nixon aurait été battu dans le scrutin. Toujours latente dans la classe politique, la crainte des effets tout puissants des médias ne peut empêcher la montée en puissance du genre et sa systématisation. Après son abandon provisoire, sa reprise aux Etats-Unis en fait un modèle exportable. 1974 : en France, les présidentielles seront l’occasion de son intronisation sur proposition de Alain Duhamel. Nouveau genre dans l’arène française, ses règles commencent à être formulées. Les traditions nationales fixent leur empreinte : deux gros chronomètres visibles assurent le contrôle de l’égalité des temps de parole, et par là sa crédibilité dans un pays qui ne connaît plus l’alternance politique. L’arbitrage est assuré par deux journalistes (Jacqueline Baudrier et Alain Duhamel) qui distribuent la parole et veillent à la répartition équilibrée des thèmes. Tenu au studio 101 de la Maison de la radio, le débat met en présence les deux candidats les mieux placés du premier tour. La position assise et le face à face, de part et d’autre d’une table, donnent au débat français sa particularité : comme à

2 l’école, on ne pense bien qu’assis sagement devant son bureau. Ce premier débat apparaît comme une pièce rapportée dans un système marqué encore par le poids considérable de l’écrit. Deux indices, cependant, se révèlent prémonitoires pour l’avenir du genre. Valéry Giscard d’Estaing assoit d’emblée sa stratégie sur un choix scénique où François Mitterrand est dans la position de l’élève qui doit faire ses preuves (en économie). Ainsi défini, le débat devient un jeu de rôles, physique et mental. Le questionneur se montre tour à tour hautain (la main au menton dans l’attente d’une réponse), sensible (la fameuse répartie : « Monsieur Mitterrand, vous n’avez pas le monopole du cœur » ou sévère dans son jugement (« vous êtes un homme du passé »). Grand moment de dramaturgie, le débat-duel rejoint les grands combats d’homme à homme de l’anthologie télévisuelle, au même titre que les affrontements sportifs avec Anquetil et Poulidor dans le cyclisme ou Borg et Mac Enroe au tennis. La similitude de situation se traduit logiquement dans la manière de filmer : le réalisateur du premier débat- Lucien Gavinet- vient du sport et, plus tard en 1995, la caméra qui suit Jacques Chirac dans sa voiture est celle du tour de France. 1981 : le débat est inéluctable tant la montée dramatique atteint son pic avec ce nouvel affrontement des deux candidats déjà présents en 1974. L’occasion de revanche est là. Mis sous pression, François Mitterrand fait sienne la logique propre à la

3 communication audiovisuelle. Sous l’autorité (morale) de Robert Badinter, une commission remodèle le protocole existant et donne des règles pérennes au genre, puisque reprises telles quelles en 1988 et en 1995. Deux d’entre elles sont à retenir, symboles d’une évolution majeure par rapport au débat de 1974: l’énoncé des arguments doit être intégré à une stratégie énonciative. La manière de filmer l’illustre concrètement. Si chaque candidat est assisté du réalisateur de son choix- Ph.Herzog pour VGE, S.Moatti pour F.Mitterrand, les options retenues dans les deux camps diffèrent : d’un côté l’indifférence au type de plan, de l’autre le choix pour l’alternance du plan rapproché et du plan moyen. Serge Moatti s’expliquera peu après dans « les Cahiers du cinéma » (octobre 1981) : « lorsqu’on voit FM en plan moyen, il a un côté ramassé, un peu vieux monsieur enfin monsieur âgé. Il fallait le montrer tel qu’il était…homme de passion et de foi, en gros plan ». Affaire de confiance, l’adhésion passe par l’exhibition des signes de « l’être vrai ». On le voit la syntaxe de l’image détermine le sens, il en est de même avec la gestion de l’espace. La forme frontale du face à face de 1974, qui imprime un tempo rapide et donc risqué pour le débatteur, est remplacée par la figure triangulaire (VGE , FM et les journalistes). Le candidat Mitterrand peut ainsi jouer de l’alternance des adresses, tantôt à son adversaire, tantôt aux journalistes (M.Cotta et J.Boissonnat). Il en use en maître stratège se permettant

4 de réfuter le cadre d’analyse de son adversaire sans le regarder (son regard est tourné vers les journalistes pris en témoin) et en parlant de lui à la troisième personne (« M.VGE, il…). La stratégie de disqualification se fonde sur le pari gagnant d’une combinatoire interactionnelle. 1988 : la situation de cohabitation renouvelle l’intérêt du débat. La manière de filmer s’appuie sur le protocole de 1981 et aucun des deux candidats ne remet en cause l’abandon du plan cut. Le principe du « on ne voit que celui qui parle et pas celui qui écoute » (rappelé par les journalistes M.Cotta et E.Vannier)frustre le téléspectateur tout autant qu’il rassure les débatteurs ! L’écart entre la parole et l’image n’a jamais été aussi grand que lors de la passe d’armes autour de l’affaire Gordji (diplomate iranien soupçonné de collusion terroriste et expulsé de France): J.Chirac reste seul à l’écran au moment où il demande à son adversaire de soutenir ce qu’il vient de dire « yeux dans les yeux ». Quelques (longues) secondes passent et F.Mitterrand , à son tour seul à l’image, réplique avec malice « yeux dans les yeux, je peux dire… ». L’absurdité est totale pour un échange en face à face. La récurrence de marques formelles fait donc sens. Au niveau verbal, ce jeu autour de la répétition des signes est repris par François Mitterrand qui désigne obstinément son adversaire « Monsieur le premier Ministre ». Le ressort dramatique du débat se nourrit de l’incertitude de statut de Jacques Chirac.

5 Restera-t-il le premier Ministre ou parviendra-t-il à se hisser au niveau de sa prétention présidentielle ? La rouerie de son adversaire ne lui laisse guère de chance de s’en tirer. Un malencontreux « Monsieur le Président » finit par lui échapper et le fixe tel qu’en lui- même dans sa fonction de second. De la maîtrise de l’image montrée à la subtilité langagière, le débat intronise le plus habile au jeu des signes. 1995 : au terme d’une campagne au départ sans suspense (tant le succès de Edouard Balladur était donné comme probable), le deuxième tour met en présence Jacques Chirac et Lionel Jospin. Finalistes de haute lutte, ils se mesureront dans un débat formellement identique aux précédents (à l’exception du renouvellement des deux journalistes-arbitres : Alain Duhamel et Guillaume Durand) mais à l’intensité dramatique réduite. Comme le titre Libération le lendemain (3 mai 1995) : « Plus modeste que moi, tu meurs ». Après les grands duels et l’éclat des passes d’armes, semble venue l’heure du profil bas : la politique, entre temps, a cessé de faire rêver. 2002 : le temps de l’écriture de ce texte précédant le temps de l’élection, le lecteur est sollicité pour continuer le récit de cette saga contemporaine… De la mise en scène à la mise en sens La relation entre la télévision et la politique est l’objet de nombreux commentaires, aux thèses tranchées et aux résultats contradictoires (Mouchon, 1995 in la bibliographie générale présentée à la fin du dossier).

6 Certains, écrits en forme de diatribes ou de dithyrambes, ne proposent qu’une lecture de superficie. La focalisation des commentateurs sur les formules- chocs (celles de VGE en 1974: « vous n’avez pas le monopole du cœur » ou « l’homme du passé» et les retours de compliment de François Mitterrand en 1981: « l’homme du passif» et « le petit télégraphiste de Monsieur Brejnev ») sert malheureusement trop souvent de base de classement pour l’archivage ou de motif pour dénoncer le misérabilisme de la télévision en matière d’argumentation politique. Le détour par la réflexion théorique n’est donc pas inutile. L’analyse comparée du dispositif des quatre débats français montre, par exemple, une différence essentielle dès la première image montrée. La présentation des deux premiers sous la manchette : « La campagne présidentielle » et des deux autres sous l’intitulé : « Le débat » traduit le double déplacement du politique, en terme spatial d’abord, le studio de télévision est consacré comme la principale arène des confrontations, mais aussi et, conséquemment, par la redistribution des éléments signifiants. Le sens, avec le filtre de l’écran de télévision, est désormais construit sur des propriétés sensorielles : pas d’interprétation sans décryptage des images. L’iconique se substitue à la forme écrite, forme antérieure et première des registres sémantiques du politique. « La médiatisation de la politique » (Veron in Hermès 17-18, 1995), a pour conséquence la mise en place de démarches stratégiques propres à la

7 communication politique à la télévision. La combinatoire des éléments proxémiques- le dispositif triangulaire choisi par F.Mitterrand en 1981, par exemple- devient redoutablement efficace quand elle est associée, en soutien de l’argumentation, au jeu de filmage alterné en plan moyen et en gros plan. La négation de l’adversaire s’opère par le déploiement conjugué de signes marqués négativement (détournement du regard vers les journalistes, adoption du plan moyen, rythme de parole accéléré) alors que la valorisation des arguments du locuteur se traduit par le choix des signes contraires (tenue du regard frontal vers l’adversaire, adoption du gros plan, rythme de parole ralenti). Ces éléments de la partition télévisuelle montrent le déploiement professionnel de la « stratégie du geste et de l’image ( Mouchon in Cahiers du CRELEF, 1983) et traduisent le bouleversement opéré entre 1974 et 1981 dans le registre sémantique. L’époque paraît loin où le sens semblait dépendre principalement du décompte des temps de parole…D’autant que la sémantique de la politique à la télévision ne se résume pas à une combinatoire d’éléments formels. La présentation de soi de l’homme politique a pour visée la séduction du public. Dans ce cadre interactionnel, l’ensemble des indices qu’il égrène dans sa prestation (sourires, mimiques, gestes qui font son style) renvoie à l’ordre signifiant sans doute le plus profond: le lien relationnel. On peut donc voir la marque de la télévision sur la politique comme

8 une redéfinition partielle de ses registres de signification. Pour autant, si l’on rapporte la politique à sa dimension légiférante, le langagier n’en garde pas moins un statut essentiel.

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Démocratie et usages des TIC : les leçons des dernières campagnes électorales en France

Jean Mouchon

Préambule

Les technologies de communication émergentes ont souvent contribué aux reconfigurations de l’espace public et de la vie démocratique. Le vingtième siècle qui voit se mettre en place puis s’imposer la communication de masse avec la radio et la télévision traduit l’accélération et la systématisation d’un processus de changement structurel. Désormais prépondérante dans les interactions entre l’acteur politique et les citoyens, cette nouvelle forme de communication au public exponentiel a pu sembler un temps indépassable. Pourtant, aussi forte que soit la tendance, on ne saurait oublier les autres formes de relation au sein de l’espace public politique. Le préau d’école où subsiste l’échange direct garde toute sa place au même titre que les rituels de proximité qui confortent la reconnaissance de l’élu local au sein de sa circonscription. Constantes également sont les revendications en faveur d’une expression moins

10 formalisée et moins asymétrique que celle de la télévision de masse qui impose ses formats et privilégie l’offre à la demande. Les radios et les télévisions communautaires ou les formes renouvelées de l’action militante traduisent, parmi d’autres, la permanence de cette aspiration sous-jacente au sein de l’espace politique. Mais, souvent fragilisés par leur difficulté à trouver des financements conséquents et durables, les acteurs de la contestation s’en remettent à une communication limitée à des accroches visuelles, dans l’espoir que leur action soit montrée à la télévision (les tentes des SDF regroupées le long du Canal Saint-Martin par l’association « les enfants de Don Quichotte » en donnent un exemple récent). Impuissants dans cette configuration, leur espoir se porte sur le renouveau technologique. Lui-même décisif pour l’expansion économique mondiale, il est l’objet d’accélérations sans précédents qui aiguisent l’intérêt de l’ensemble des acteurs au sein de la société. Très tôt porteur d’attentes, Internet est d’abord freiné par le nombre limité de ses utilisateurs. Mais, très vite, la baisse des prix des produits informatiques conjuguée à la quasi systématisation de l’offre en haut débit précipitent son mouvement d’implantation dans les foyers (cf. les données fournies par le site www.journaldunet.com ) La question des usages des technologies de l’information et de la communication resurgit alors avec une ampleur à la mesure de la mutation qui s’esquisse en ce début de siècle…

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De quelques pré-requis pour suivre la trajectoire des TIC dans la société…

Comme les historiens de la communication l’ont bien mis en évidence, la compréhension de l’implantation d’une nouvelle technologie et les pratiques qu’elle engendre nécessitent de la part du chercheur une posture de prudence (cf. les auteurs cités dans la bibliographie). Pour ne pas tomber dans le travers de l’essai, son travail doit être à l’abri des positions tranchées à caractère souvent idéologique : la technique ne mérite ni les éloges de ses thuriféraires ni la méfiance de ses détracteurs. Seule l’observation fine de son fonctionnement dans la société à un moment donné permet, dans un premier temps, de suivre le processus de construction d’une réalité nouvelle. Confronté la plupart du temps à des pratiques tâtonnantes, parfois vite abandonnées, parfois stabilisées, il ne peut souvent que pointer des tendances sans savoir si elles seront pérennisées ou rapidement oubliées. Le choix du corpus d’étude devient pour cette raison essentiel. Face à la nécessité de prendre en compte la dimension diachronique, une procédure de recherche comparative entre périodes significatives semble opératoire. Dans cette perspective, les campagnes électorales par leur enjeu et par l’implication de nombreux acteurs représentatifs de la diversité de la société offrent un champ d’études

12 pertinent. La campagne référendaire de 2005 relative au Traité de Constitution européenne et celle des Présidentielles de 2007 en France seront ainsi retenues comme points de repères pour mener la réflexion. Proches dans le temps, elles renvoient à des élections de nature différente : la campagne référendaire repose sur la confrontation argumentative, on est pour ou on est contre le texte ; la campagne présidentielle privilégie de plus en plus les traits de personnalité des candidats, on aime ou on n’aime pas tel(le) ou tel(le) candidat(e). De fait, la gamme des pratiques s’élargit quand leur finalité est calquée sur la spécificité de l’élection. La maîtrise de données plus nombreuses et plus variées a des conséquences sur la manière de conduire la recherche. Afin d’éviter autant que possible les choix restreints et aléatoires, le chercheur se voit contraint de penser en termes d’exhaustivité. La mise au point d’une méthode de collecte des données devient nécessaire. L’observation à vocation systématique suppose des relais et un système de veille. Par exemple, les portails de référencement peuvent apporter une aide précieuse par leur capacité de stockage en continu. Mais on ne peut ignorer aussi que le volume croissant des données leur donne un statut souvent éphémère qui pose au chercheur la question de leur mise en mémoire. Dans le cas retenu, il est à craindre que l’élection passée, elles risquent de disparaître très vite.

13 Comme on le voit, la compréhension des usages des TIC commence à l’aube de la recherche, le chercheur est soumis à la réflexivité de ses propres pratiques avant de porter le regard sur le champ élargi de l’espace social.

2005 : le réseau des réseaux entre dans la compétition électorale

Dans la tradition de ses origines, Internet a été utilisé par des militants de tous les pays pour mener des actions politiques au niveau international. L’exemple le plus connu est celui du mouvement ATTAC. Lancé en France en 1998, il affiche sa vocation mondiale (55 pays sont concernés en 2007). Dès sa création, le réseau lui a servi d’assise et lui a permis ainsi d’alerter, de former et de réunir des militants de tous les continents pour participer aux contre-sommets organisés en parallèle aux rencontres du G8. La preuve de l’efficacité du Net a d’ailleurs déjà été montrée par l’action militante contre l’Accord multilatéral sur l’investissement, l’AMI, considérée souvent comme déterminante dans l’échec des négociations. De tradition libertaire et défenseurs d’un alter mondialisme, les militants trouvent ainsi un espace d’expression autonome. Ils peuvent faire connaître un point de vue différent à un moment où les grands médias traditionnels célèbrent à l’unisson les

14 bienfaits du libéralisme, parfois même dans ses formes les plus extrêmes. Ces premiers résultats non négligeables restent toutefois circonscrits dans un espace élargi et hétérogène. Peuvent-ils se reproduire à l’échelle concentrée d’un pays où le maillage de l’information la rend plus univoque et où le rôle d’éclaireur des élites est inscrit dans la tradition ? La réponse, positive, est apportée à l’occasion du référendum de 2005 sur le Traité de Constitution européenne. Dans le cadre d’un véritable fac-similé de la campagne du référendum organisé par François Mitterrand en 1993 pour l’introduction de l’euro, les partisans de la Constitution -la majeure partie des élites politique, intellectuelle et médiatique- ferment l’espace public au débat. Cette manière attentatoire aux principes élémentaires de l’expression démocratique joue un rôle d’accélérateur de l’insatisfaction et provoque le mécontentement d’une grande partie de l’opinion, encore plus déterminée à se faire entendre. Le site d’un inconnu, Etienne Chouard, professeur dans un lycée marseillais, connaît alors un succès phénoménal en ouvrant l’espace au débat public (http://etienne.chouard.free.fr ). Ce citoyen « ordinaire » donne une leçon de méthode pour conduire la réflexion la plus objective possible et permettre un échange ouvert qui tranche avec les certitudes et le mépris affiché par les élites dans les grands médias. Sans a priori, il discute point par point les articles du Traité, tire des conclusions provisoires

15 et, surtout, recueille une pluralité d’opinions sur son forum. Le succès remporté au fur et à mesure du déroulement de la campagne, pour inattendu qu’il soit, mérite d’être analysé. Pour la première fois, Internet joue un rôle de réel contre-pouvoir aux grands médias. L’architecture horizontale du réseau permet à moindre coup d’ouvrir un espace alternatif pour la discussion publique. La forte implication des citoyens signalée par tous les observateurs lors de la campagne montre la part de liberté qu’ils entendent garder en mettant en place des pratiques innovantes jugées nécessaires pour conduire une réflexion autonome. L’exemple risque d’avoir valeur emblématique pour l’évolution du débat démocratique. Plus souple, moins cher, plus adapté à l’interactivité, le réseau des réseaux affirme avec panache ses qualités de média en phase avec l’affirmation de l’individu dans la société contemporaine et sa revendication au libre choix de ses opinions.

2007 : Internet, passage obligé de la communication pour les acteurs politiques

La campagne des Présidentielles de 2007 voit la reconnaissance du réseau des réseaux comme vecteur de communication désormais incontournable. A la différence de 2005 où une seule catégorie d’acteurs s’en prévaut pour se faire entendre et rendre publiques ses opinions, la campagne de 2007 traduit

16 l’appropriation d’Internet par la quasi-totalité des acteurs impliqués dans le débat public. Pour mesurer le chemin parcouru en peu de temps, un retour sur la précédente campagne présidentielle, en 2002, est parlant. Il montre l’indifférence ou l’incompréhension des politiques et des journalistes à l’égard d’une technique considérée comme simple appendice des autres médias : les sites politiques sont rébarbatifs, sans réelle architecture et les sites des journaux (surtout français, d’ailleurs !) ne présentent qu’une copie indigeste de l’édition papier. Le budget reste évidemment bas, à la mesure du peu de considération accordée. En 2007, un changement majeur s’opère comme le montrent objectivement plusieurs indicateurs. Les budgets explosent, le chiffre du million d’euros consacré au site de campagne est ainsi franchi par Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. Et, surtout, la mise en place d’une architecture de duplication à l’échelle régionale et locale contribue à mailler le territoire national. Le site d’analyse www.Netpolitique.net le résume ainsi dès le 21 mars: « Au PS comme à l’UMP et à l’UDF, la net campagne s’est ainsi progressivement enracinée dans chaque département, chaque canton, au sein duquel chaque blog peut jouer un rôle d’antenne-relais, pour décentraliser et démultiplier la campagne de terrain ». La mise en place d’un nouvel espace se traduit vite par la création de néologismes : on parle, par exemple, couramment de « Ségoland » et on suit l’évolution de

17 sa cartographie. Tout porte ainsi à penser à un investissement nouveau de la part des acteurs qui incluent désormais leur présence sur Internet en termes très professionnels. La preuve en est donnée par l’arrimage aux états-majors de campagne de chaque camp de jeunes férus d’informatique : Loïc Le Meur, un des blogeurs les plus reconnus rejoint l’équipe de Nicolas Sarkozy et un ancien de Sciences Po, Benoît Thieulin, prend la direction de la délicate campagne participative de Ségolène Royal sur le Net. François Bayrou, qui ne peut prétendre aux mêmes ressources que ses adversaires, confirme la tendance puisqu’une grande partie de sa campagne sera partagée entre ses prestations télévisuelles et l’animation dynamique de son site par une équipe de quinze membres. L’application mise à construire une architecture de site lisible et significative est sensible dans chaque camp. Plus, même, elle donne l’image résumée et fidèle du projet politique du candidat : 2007 traduit bien à cet égard un tournant capital dans les pratiques des acteurs politiques.

La symbolique des sites des candidats

Le site de Nicolas Sarkozy résume à lui seul la posture du candidat : tout part de lui et tout y revient comme dans un one man show. La part de l’interactivité reste faible en proportion de sa place réduite dans la stratégie de campagne. Sans retenue, la

18 focale est constamment centrée sur le candidat, avec la tonalité entraînante du slogan « Ensemble, tout devient possible ». Le 9 avril, Libération en donne cette description : « La terre virtuelle de Nicolas Sarkozy (Sarkozy.fr) est bleue, avec une colombe qui vole vers un compteur optimiste qui décompte le temps jusqu’au 6 mai, millisecondes comprises ». La reprise d’éléments de la sémiologie télévisuelle est claire, au point que la copie de la scénographie du Téléthon opère un mélange des genres troublant. Le candidat- vedette est un acteur politique mais, comme il le fera avec l’appropriation des personnalités mythiques de gauche (Jaurès et Blum), il brouille de manière transgressive les limites des territoires. L’imagerie télévisuelle lui permet de toucher le public populaire sur un mode simple. Par ce truchement, sa communication est portée comme un emblème pour le définir en homme d’action, dynamique et défenseur de la bonne cause. Qui pourrait trouver à redire à cette imagerie qui flatte la bonne conscience collective au sein de nos sociétés nanties? La création d’une télévision ad hoc que l’on peut regarder sur le site accentue le mélange des genres (le nom donnée à la chaîne est NSTV : la télévision de Nicolas Sarkozy !). Les messages vidéo, montés par une équipe aguerrie de publicitaires, donnent l’illusion d’une présence permanente, reflétant bien l’hyper activité du candidat et sa capacité à trouver réponse à tout. Libération s’en amuse : « Dans la rubrique « questions », une dame

19 demande en live : « qu’est-ce qu’il pense de la polygamie ? ». Sarkozy et la polygamie, réponse en une poignée de secondes, allure décontractée sur fond de bibliothèque ». La clarté mise à proposer une palette de signes univoques autour des mérites du candidat est en phase avec une conception de la politique souvent déclinée à droite. Le candidat s’affiche comme le chef incontesté de son camp (même si la lutte pour y parvenir a été rude et le résultat récent). Animé par la certitude de ses positions, il écarte tout ce qui pourrait faire question. L’affirmation haut et fort, volontiers interpellatrice, est son registre. Mais, ne pouvant s’en remettre à des qualités légendaires inscrites dans l’histoire du pays à la manière du Général de Gaulle, il construit son image sur la proximité apparente avec les gens. Les reprises de la symbolique télévisuelle lui permettent de se placer dans la galaxie des stars populaires consacrées par la télévision. Homme d’une époque nouvelle, il rompt avec la tradition française qui faisait de la maîtrise d’un domaine culturel un facteur distinctif pour accéder à la plus haute fonction politique (l’art moderne pour Pompidou, la littérature pour le Général de Gaulle ou Mitterrand). Son univers de référence est autre : c’est celui des publicitaires, des vedettes de la télévision, des capitaines d’industrie et des stars de la chanson populaire. Le modèle bascule du côté presse « people ». Déjà pratiqué par Silvio Berlusconi, ce mélange d’univers donne la tendance pour l’évolution

20 de la gouvernance dans les sociétés de l’information et de la communication.

Le site de Ségolène Royal, ouvert tôt dès l’automne 2006, a surpris tout le monde par son caractère novateur. Desirsdavenir.org est lancé comme pilote d’une pré campagne menée au sein du parti socialiste, il est conçu à partir de deux axes significatifs : la personnalisation autour de la prétendante à la candidature et l’existence en parallèle au site officiel du parti. L’effet de surprise ainsi obtenu permet à Ségolène Royal d’occuper le centre de l’espace médiatique et de mettre en avant la procédure participative qu’elle propose pour rénover la vie politique en France. L’opération, habilement conduite, aboutit au résultat escompté avec son élection par les militants comme candidate du Parti socialiste. Dès lors, la notion de « démocratie participative » est l’objet de tous les commentaires de la presse qui montre à l’occasion un troublant vide de connaissances. On peut en effet s’étonner de cette découverte tardive alors que l’actualité a déjà attiré l’attention des observateurs sur les expériences de politique participative au Brésil, dans la gestion municipale de Porto Alegre par exemple. Cette notion a, par ailleurs, fait l’objet de nombreuses analyses dans les revues de sciences humaines et sociales françaises, ce qui montre à l’évidence la perte de place de ses disciplines dans le champ de référence des « intellectuels de médias ».

21 L’architecture du site parle d’elle-même. Reprenant la posture d’écoute de la candidate, elle donne une place importante à la parole ordinaire. Dans le même numéro du 9 avril, Libération en propose la description suivante : « Sur le vaisseau amiral de Ségolène Royal qui bat campagne depuis plus de huit mois déjà sur un mode ouvertement participatif, on a opté pour un magnifique camaïeu de carrés. Cent petits carrés de toutes les couleurs pour les cent propositions du pacte présidentiel. Cliquez sur un carré, le 41 par exemple, qui dit : « Réaffirmez le droit à la CMU et sanctionner les refus de soins ». Ce descriptif nécessite cependant de préciser les limites données à la position d’écoute. Le cadrage du débat est prédéfini et s’opère en plusieurs phases. La première s’établit en amont au cours de réunions publiques où la parole ordinaire a libre cours pour s’exprimer. Hormis quelques envolées lyriques de la candidate, passage obligé du rituel politique, le temps est bien consacré à l’écoute et au recueil de ce qui est dit par les participants. La seconde phase est plus traditionnelle puisqu’elle consiste à proposer une synthèse de propositions faites par la candidate, résultat d’un mixage de la parole ordinaire et des lignes directrices de son projet personnel. La notion de démocratie participative est ainsi accommodée à la mode « Royal » tant son emprise reste déterminante. L’analyse infirme les reproches qui lui sont faits de construire un programme de bric et de broc à partir des idées qu’elle recueille dans les

22 réunions publiques ou sur son site. La faille de stratégie qui la dessert au fur et à mesure du déroulement de la campagne réside plutôt dans les erreurs de tempo de sa campagne. Ainsi, sa visibilité dans l’espace médiatique se réduit courant janvier après l’annonce de candidature réussie de Nicolas Sarkozy. En retour, le silence orgueilleux et l’affichage d’une programmation encore centrée sur « l’écoute » par Ségolène Royal constituent un faux pas délicat à réparer. Le retour qu’elle opère, suite à des incitations de plus en plus pressantes de la part de ses amis politiques, est trop tardif et se fait sous le feu nourri des « snipers » de la droite qui contribuent à mettre en doute son image et sa compétence dans le domaine international, tout particulièrement. Si Internet constitue un support adéquat pour mener une campagne plus ouverte sur la parole citoyenne (Benoît Thieulin, le directeur de sa net campagne en donne bien la clé : « Internet est une autre manière de faire campagne, plus à la carte »), il convient d’en assurer l’usage sans erreur de stratégie et de programmation. Tel ne fut pas le cas en la circonstance.

Les sites Internet des journaux et des médias

2007 marque aussi un tournant majeur dans les usages que les médias font d’Internet. Une distinction s’établit nettement entre le support papier et le support

23 électronique ne laissant plus place à la pratique de duplication du contenu du premier sur le second. Les sites bénéficient d’un budget significatif et d’une équipe spécifique, compétente et à majorité jeune qui les développent et les rendent attractifs par une politique éditoriale bien pensée. Avec le recul, quelques éléments tirés de ces pratiques ayant connu le succès auprès des internautes sont à signaler. Le plus significatif est sans doute l’ouverture faite aux carnets de campagne d’intellectuels que l’on retrouve quotidiennement sur leurs blogs. Le Nouvel Obs, avec son entrée « Elysée 2007 » sur blogs.nouvelobs.com, renoue avec la pratique de ses origines, époque où le magazine jouait un rôle central pour le débat politique. Le Monde du 29 mars résume bien cette volonté éditoriale : « pour l’hebdomadaire, il s’agit de perpétuer la tradition toujours vivace de l’engagement d’intellectuels et chercheurs dans une campagne, sollicités pour expliquer les thèmes et enjeux électoraux mais aussi pour formuler des opinions ou prises de positions argumentées ». Le choix des contributeurs, sur la base de la qualité de leurs travaux et non de leur célébrité médiatique, fait rupture avec les pratiques de l’ère télévisuelle. La place réservée à Thierry Pech, directeur de la République des idées mais peu connu du grand public, illustre bien cet objectif. La collection, soutenue par Pierre Rosanvallon, ausculte les mutations de la démocratie avec la publication de travaux novateurs de jeunes

24 chercheurs en économie, en sociologie et en politologie. Cet espace ouvert sur un média caractérisé par sa souplesse et sa réactivité leur permet « de s’exprimer de manière moins convenue que dans des contributions classiques sur papier » (Guillaume Malauric, directeur de la rédaction). Le choix exigeant des contributeurs associé à la possibilité d’une écriture informelle sur le blog fait figure d’expérimentation dans le champ du débat public. Cette voie est suivie par les rédacteurs en chef de plusieurs sites de journaux. La page d’accueil de www.liberation.fr indique le blog d’un jeune professeur de Sciences Po qui décrypte le sens des mots en politique ou encore celui de quatre observateurs européens intitulé « Nos voisins nous ont à l’œil ». Dans la même lignée mais en plus systématique, on trouve sur www.lemonde.fr une rubrique quotidienne d’analyse sociologique de la campagne qui fera date. L’auteur, l’universitaire Cyril Lemieux, propose une interprétation fouillée des faits d’actualité à partir de concepts développés en sociologie politique et en sociologie des médias. Très clair dans l’exercice, il propose en regard de ses analyses un lexique de mots-clés tous resitués dans leur contexte théorique. Cette méthode très pédagogique facilite la lecture pour les internautes béotiens en sciences sociales. Le succès remporté par cette rubrique confirme à l’évidence l’attente du public pour des mises en perspective éclairantes de l’information. Il autorise aussi à douter de l’implicite des journalistes

25 dans leur représentation du public, jugé d’après eux peu porté à faire effort pour comprendre la complexité de l’actualité. La diversité et l’originalité des rubriques proposées ne s’arrêtent cependant pas à cette seule dimension langagière. « Un monde de sons », des journalistes Mathilde Serrell et Antoine Blin, rend compte de l’univers sonore de la campagne et le blog du photographe Ludovic Maillard de l’univers visuel. N’est-ce pas là une manière très adaptée de rejoindre le public sur la base de ses pratiques culturelles où le son et l’image occupent une place grandissante? Les résultats des travaux en sciences sociales sur les pratiques de réception restent ignorés des journalistes alors qu’ils sont édifiants. Non seulement ils infirment les a priori courants dans la profession mais ils éclairent de manière claire la complexité de la dynamique de réception. Leur utilité pour les professionnels de l’information relève donc de l’évidence. Les pratiques plus ouvertes que permet le réseau pourraient progressivement servir d’aiguillon pour repenser les formes du débat public au-delà du mimétisme simplificateur imposé par les mass media à vocation commerciale.

Un espace politique élargi et multiforme

Le site http://www.arhv.ilhic.org (« Actualité de la recherche en histoire visuelle ») publie dès le 10 avril, sous la plume de André Gunthert, une analyse

26 résumant bien l’évolution qui s’est produite depuis 2005 : « l’utilisation des plate-formes de diffusion gratuites de vidéo en ligne (« You Tube », « Dailymotion » sont créées en 2005) a été un choix opéré spontanément par les usagers. Ce choix a créé un nouveau canal d’information, parallèle aux médias existants. Un canal hétéroclite et foisonnant, sur lequel n’ont pesé que de faibles contraintes…Pour cette raison, celui-ci est rapidement devenu un miroir des attentes et des demandes des internautes. Un passionnant laboratoire des nouvelles formes de notre relation au politique et au média. » Trois catégories de contenus sont répertoriées par André Gunthert et font sens à des degrés divers dans le débat public. La première, constituée de copies de programmes déjà diffusés par la télévision ou le cinéma, se révèle rare et suscite peu de réactions (ex. « Bourdieu : Royal est de droite » ou le « Débat Sarkozy Le Pen »). La deuxième, qui regroupe ce qu’il appelle les « documents organisés », est au cœur de l’expression militante. Le montage très critique de dix prises de position de personnalités pour montrer « Le vrai Sarkozy » connaît le succès. Enfin, les captations d’événements présentées sous forme éditoriale circulent abondamment. Nicolas Sarkozy est ciblé avec « Création d’émeutes à la gare du Nord », en rappel préventif contre la dramatisation de 2002 où les sujets sur la violence à la télévision rythment la fin de

27 campagne et, indirectement, avec « La bonne blague de Rachida Dati », plaisantant sur la politique menée au karcher ! Ségolène Royal sera toutefois la plus atteinte par les effets d’une vidéo (pourtant filmée avant le début de la campagne) où elle évoque la possibilité d’augmenter les heures de service des enseignants. Même s’il faut relativiser encore l’ampleur du nombre de consultants et tenir compte de la manière dont ils accèdent aux contenus de ces plate-forme -il semble qu’ils le font après avoir été alertés par un site de presse ou par un contact-, cette pratique émergente traduit un net désir de varier les points de vue sur l’information et, en tout cas, le refus de s’en remettre exclusivement au média télévisuel. La forme satirique, expression populaire française par excellence, essaie aussi de se faire une place entre la tradition écrite manière Canard Enchaîné ou celle d’une télévision créative comme aux débuts inspirés des Guignols de l’info. Enfin, pour clore ce panorama rapide, il convient de citer l’émergence de médias « citoyens » engagés dans la lutte pour la rénovation des systèmes d’information (ex. AGORA VOX). Face à ce renouveau, il est instructif de noter les réactions des professionnels jusque-là bien installés dans leur pré carré. Dans un article du Monde paru le 4 janvier 2007 et repris dans le monde.fr, Jean-Pierre Elkabbach se pose en ardent défenseur du métier de journaliste : « L’information, elle, ne souffre pas l’à- peu- près. Le journalisme est un métier : il ne consiste

28 pas à ramasser les contenus que d’autres ont bien voulu produire. A quoi servent des journaux qui n’apportent pas de valeur, n’en disent ni plus ni mieux que ce qu’on peut trouver ailleurs avec un bon moteur de recherche ? … C’est à sa source qu’il faut aller chercher l’actualité, pas dans la copie de l’existant… ». Ces arguments fondés sur l’exigence de rigueur et d’indépendance pour défendre le métier de journaliste prêtent à sourire si l’on met en relation l’allégeance constante de l’auteur aux détenteurs de pouvoirs en politique et en économie et sa longévité dans des fonctions cumulées (rappelons la consultation qu’il accorde à Nicolas Sarkozy pour l’aider à choisir une journaliste il y a peu, ainsi que son cumul de charges de directeur au sein d’Europe 1, propriété d’Arnaud Lagardère en plus de la Chaîne parlementaire du Sénat !). Un autre regard peut être porté dès lors qu’on prête une attention moins autocentrée sur la réalité. La position du journaliste Francis Pisani développée au cours du débat : « Quels défis pour les médias ? », organisé par le monde.fr le 11 janvier 2007, est celle de l’observateur sans a priori. A la question : « voyez-vous un rapport entre médias en ligne et citoyenneté ? », il répond : « J’espère que les médias et l’accès aux informations jouent un rôle essentiel dans la vie du citoyen… (Mais), le média en ligne permet la participation directe, immédiate, constante, pointue, c’est-à-dire qu’on ne reçoit plus

29 l’information, on peut la donner, on peut la commenter, on peut la faire circuler ». L’hypothèse d’une transformation radicale de la posture de réception face au flux informatif mérite attention. L’expérience courante atteste les possibilités nouvelles pour accéder aux données informatives, pour exprimer des commentaires et pour participer au débat collectif qui s’instaure sur les sites à partir des réactions d’internautes.

L’expression du besoin de régulation

Le flux de paroles en continu et de toute provenance oblige le récepteur à être en constante vigilance. L’usage du Net ne met pas à l’abri des déformations volontaires de l’information que l’on retrouve de tout temps dans les collectivités humaines. La rumeur d’Orléans, étudiée il y maintenant plusieurs décennies par les sociologues, reste un syndrome contemporain. La campagne présidentielle en fut elle-même affectée, comme l’atteste « le truc gros, très gros qui court sur Nicolas dans les rédactions parisiennes le 4 avril et serait capable de faire bouger les lignes » (cf. www.versac.net ). Il n’en faut pas plus pour exciter l’imaginaire collectif et donner lieu aux suppositions et aux échanges les plus délirants. En voici quelques extraits, les premiers(1) s’attardant sur l’homme politique, les suivants(2) sur les difficultés de sa vie conjugale :

30 - (1) « un attentat contre Nicolas Sarkozy, voire son assassinat, est-il un événement « de nature à faire bouger les lignes ? » - (1) « si c’était vrai, ça n’aurait rien de surprenant. Si c’est un canular, c’est banal. Ce ne serait pas inconcevable non plus que ce soit monté par la com’ de Sarko » - (2) « (d’après Minute), Cécilia, l’épouse (ancien) modèle de Nicolas aurait déposé à la police une main courante contre son époux pour « violences conjugales » - (2) « Battre les femmes, est-ce bien raisonnable quand on veut se présenter à l’Elysée ? ». La lecture de cet échantillon abracadabrantesque justifie le débat autour de la labellisation des sites pendant la campagne. Les acteurs politiques, bien conscients du danger encouru, manifestent un accord unanime pour des mesures en faveur de la protection des mineurs contre les contenus dangereux. Ils partagent aussi la volonté d’identifier des « ressources en ligne répondant à certains critères clairement définis, en réponse à une demande récurrente de nombreuses catégories d’internautes ». Les différences dans la manière d’y parvenir deviennent clivantes quand il s’agit de l’information. Pour la droite, il semble « préférable que cette démarche de labellisation soit d’abord gérée au niveau des acteurs eux-mêmes par une démarche d’autorégulation » comme l’affirme Eric Walter. Pour la gauche, l’accent

31 est plutôt mis sur l’ouverture d’un débat public sans pression de l’Etat comme le préconise Maurice Ronai : « Toutes ces questions qui tournent autour de la tension entre liberté d’expression et responsabilité devraient faire l’objet de débats publics, ouverts à l’ensemble des parties prenantes » (débat sur Netpolitique, 8 mai 2007). Rendue plus vive en période électorale, la discussion ne cesse dans le milieu des journalistes inquiets de la perte de confiance qui frappe l’information mondiale. Dans son éditorial du 20 août de Libération, Laurent Joffrin dresse avec mesure le bilan provisoire de la situation : « L’écriture de l’information, petite ou grande, demande discipline, savoir-faire et longues journées. Tout citoyen est capable de le faire : il doit toutefois s’y consacrer entièrement, à l’image d’un professionnel. Faute de quoi la rumeur et la fausse nouvelle viennent infester la « contre-information » bien plus vite qu’elles ne se manifestent dans le « journalisme officiel ».Ainsi, la première complètera la seconde ».

Le développement d’une complémentarité vigilante semble s’affirmer comme une condition indispensable pour réguler le processus de collecte et de diffusion de l’information et tenir compte du fait que dorénavant « ceux qui émettent l’information ne sont plus en surplomb par rapport à ceux qui la reçoivent ».

32

Petits repères bibliographiques

Cahiers français, « Information, médias et Internet », La Documentation Française n° 338, , mai-juin 2007. FLICHY P., 1997, Une histoire de la communication moderne, Paris, La Découverte. FLICHY P., 2001, L’imaginaire d’Internet, Paris, La Découverte. JOUET J., « Usages et pratiques des nouveaux outils de communication » dans Sfez (ed), Dictionnaire de la communication, Paris, PUF, vol.1 : 371-376. JOUET J., 2000, « Retour critique sur la sociologie des usages », Réseaux n° 100, Hermès : 489-515. MASSIT-FOLLEA F et MEADEL C (dir)., Paroles publiques. Communiquer dans la cité, Paris, Hermès n° 47, juin 2007, 246p. PROULX S., 2001, « Usages des TIC : reconsidérer le champ d’étude ? » dans Emergences et continuité dans les recherches en information et communication, Actes du XII° Congrès de la SFSIC : 55-66.

Biographie de l’auteur Jean Mouchon, professeur en sciences de l’information et de la communication Université Paris X, département SIC 200 avenue de la République 92001 Nanterre cedex1 [email protected]

33 Président d’Honneur de la Société française d’information et de communication (SFSIC) Equipe de recherche, EA 1738 CRIS Chercheur associé laboratoire CNRS Communication et politique Ouvrages récents : MOUCHON Jean,MARLETTI Carlo (dir), La costruzione mediatica dell’Europea, Angeli, Milan, 2005. MOUCHON Jean (dir), « Les mutations de l’espace public », éditions L’esprit du livre, Paris, 2005. MOUCHON Jean, « Les nouvelles formes du débat public, prémices d’une reconfiguration de l’espace public démocratique ? » in « Les mutations de l’espace public », MOUCHON Jean, éditions L’Esprit du livre, Paris, 2005.

Index des noms de personnes (ordre de citation) François Mitterrand, Etienne Chouard, Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal, Loïc Le Meur, Benoît Thieulin, François Bayrou, Jean Jaurès, Léon Blum, Georges Pompidou, Charles de Gaulle, Silvio Berlusconi, Thierry Puech, Pierre Rosanvallon, Guillaume Malauric, Cyril Lemieux, Mathilde Serrell, Antoine Blin, Ludovic Maillard, André Gunthert, Pierre Bourdieu, Rachida Dati, Jean-Pierre Elkabbach, Arnaud Lagardère, Francis Pisani, Eric Walter, Maurice Ronai, Laurent Joffrin.

Index thématique Démocratie, élections, Internet, usages, sites, blogs, régulation.

Résumé en français Les élections de 2005 et de 2007 constituent deux moments décisifs pour le développement des SIC au sein de l’espace politique français. La campagne du référendum relative au Traité de Constitution européenne consacre le réseau des réseaux comme espace alternatif aux médias audiovisuels. La

34 forte mobilisation des citoyens sur Internet montre la part de liberté qu’ils entendent garder pour conduire une réflexion autonome. La campagne présidentielle de 2007 consacre Internet comme passage obligé de la communication politique. Les pratiques des acteurs- les politiques, les médiateurs, les intellectuels- deviennent systématiques et plus professionnelles. L’architecture des sites des candidats se fait plus lisible et en harmonie avec une posture politique. Les sites des journaux et des médias audiovisuels s’autonomisent et expérimentent des formes nouvelles d’expression. Parallèlement à cette ouverture nouvelle et au flux d’informations qu’elle entraîne, un besoin de régulation s’exprime pour éviter les dérives préjudiciables au débat démocratique.

La communication politique

35 La communication a toujours tenu une place centrale dans la sphère d’expression politique. Le préau d’école, le « café du commerce, le marché portent témoignage dans la mythologie de notre pays de lieux traditionnellement consacrés à des formes d’échange politique. Certaines dates symboliques offrent aussi au gré des années la recherche répétée du contact entre les dirigeants politiques et la population, la Fête nationale le 14 juillet ou le dernier jour de l’année sont l’occasion pour le Président de la République de faire le point sur les événements récents et de présenter les objectifs de son action à venir. Au niveau populaire, la rue constitue la mémoire vivante des convulsions et des enthousiasmes de la société. L’emblématique place de la Bastille fait encore écho à la liesse populaire consécutive au succès de François Mitterrand en 1981 et à la première alternance de l’histoire de la Cinquième République tandis que les Champs Elysées, investis par les contre-manifestants de droite en 1968, représentent la pérennité républicaine à l’heure des débordements sociaux.. Le discours d’accompagnement actuel sur la communication politique, souvent teinté de l’auto-satisfaction si particulière à la rhétorique publicitaire, mérite d’être mis en perspective à la lumière du passé et d’être réfléchi dans le cadre des logiques qui la structurent.

1. L’éclairage d’une mutation

A l’aube du nouveau millénaire, il serait intéressant d’ouvrir le dialogue des générations et de constater par les témoignages des plus anciens l’évolution rapide et décisive de la pratique politique en France. Leurs récits montreraient la place importante du militantisme dans le cadre direct ou dans la mouvance idéologique des partis. La relation citoyenne à la politique se traduisait par le marquage à gauche ou à droite dans le sillage des « forces progressistes » ou des « forces réactionnaires ». Plusieurs générations reproduisaient au sein des familles ces appartenances premières, véritables étendards personnels au sein de la vie sociale. L’adhésion par héritage spirituel s’est longtemps prolongée dans des actions militantes où la lecture d’auteurs de référence au sein de la communauté de pensée, la distribution de tracts dans les lieux de vie quotidienne et la participation aux réunions ou aux meetings de fin de campagne électorale constituaient des moments forts de l’engagement personnel et de la ferveur communautaire. En prolongement au militantisme politique et en dépit d’une représentativité moindre que dans beaucoup d’autres pays européens, la vie syndicale constituait une part non négligeable de la participation des individus à la vie collective. Dans les grandes occasions qui resteront des dates gravées dans l’histoire de la France contemporaine le corps social s’est partagé autour de croyances et de valeurs, à leur tour fédératrices pour créer des communautés d’appartenance prêtes à l’action. Au moment de la guerre d’Algérie, par exemple, les forces de gauche ont manifesté par divers moyens leur opposition à la violence et au colonialisme. Se trouvaient ainsi rassemblés des hommes et des femmes d’origines sociale et culturelle diverses, dirigeants politiques, intellectuels, journalistes et ouvriers unis dans une même conviction et engagés dans des actes militants parfois dangereux. Si certains médias ont joué un rôle décisif, on pense évidemment à « l’Express » de Jean-Jacques Servan-Shreiber, en parallèle à l’engagement d’intellectuels comme Jean-Paul Sartre, il reste de cette page de notre histoire une très forte rencontre collective qui dépasse les différences de l’origine sociale ou de la référence au clivage des professions. Le mouvement de mai 1968 constitue un autre cas de figure montrant que cette rencontre pouvait être désirée sans pour autant se réaliser. Ce second exemple est néanmoins riche d’enseignement dans la mesure où il initie une nouvelle manière d’informer. En un temps de glaciation pour l’expression plurielle des opinions avec une télévision au statut d’abord implicite puis officiellement proclamé « voix de la France », les radios « périphériques » comme Europe 1 font souffler en direct l’air frais de la révolte estudiantine.

36 Le suivi des événements au plus près et en continu marque une révolution dans la manière d'informer et ouvre un espace de liberté nouveau qu’il faudra de nombreuses années encore pour établir comme un « allant de soi » dans une démocratie moderne. Il reste que cette première brèche laissera des traces à la mesure du succès populaire des radios « périphériques » relativement autonomes par rapport au pouvoir politique. Ces deux cas de figure font ressortir quelques-uns des traits constitutifs de l’expression politique qui permettent de réfléchir à sa nature et à son évolution. Traditionnellement , la politique était synonyme de participation et d’engagement collectif. Les manifestations et leur long cortège ritualisé de la Bastille à la République ou de Denfert-Rochereau à l’Assemblée Nationale et au périmètre des Ministères l’attestent encore. La communauté d’idées s’accompagnait invariablement de grands rassemblements et de ferveur partagée pour crier des slogans dénonciateurs et, sans doute aussi, pour se retrouver dans un « entre soi » sécurisant. L’habitude de ces grand messes laïques s’est peu à peu éteinte. A la société de classes caractérisée par la lutte de masse s’est substituée progressivement une « société individualiste de masse ». Les défilés du 1° mai n’attirent plus les foules, les syndicats et les partis politiques sont en quasi déshérence ( les faux inscrits ou les figurants professionnels dans les partis en donnent régulièrement l’image dérisoire). Après l’expérience de plusieurs alternances politiques et avec la montée en force hégémonique du pouvoir économique à l’échelle mondiale, l’idée du « Grand Soir » ne semble plus crédible. La politique est ainsi atteinte au cœur de ce qui pérennisait sa définition. Moins apte à insuffler la dynamique nécessaire à la constitution de collectifs, elle se nourrit d’une relation plus personnalisée avec le citoyen dont le comportement s’inspire de plus en plus de la logique de la consommation. Foin des a priori idéologiques, des croyances établies et du rêve d’une société « meilleure » ! le pragmatisme prévaut et donne la mesure de la versalité électorale devenue désormais la ligne de pente de la démocratie contemporaine. On comprendra alors la place nouvelle et renforcée des médias dans ce nouveau mode de relation. L’engagement direct d’autrefois, parfois même au sens de l’engagement physique, se voit substituer le rapport indirect, au gré de la médiation journalistique. Le rôle d’Europe 1 pendant les événements de mai 1968 a valeur emblématique. La politique se vit au rythme des événements suivis au plus près : au « grand Récit » succède la narration des faits en flux continu. L’espace politique se redéfinit autour d’une figure triangulaire dans laquelle le journaliste-médiateur sert d’interface entre l’acteur politique et le citoyen. Si l’on considère à ce niveau du raisonnement la place prépondérante prise par la télévision généraliste au cours du dernier quart de siècle, on comprend la nécessité de penser aussi la politique dans sa relation à la télévision ou, plus exactement pour reprendre le concept de Bourdieu, dans la manière dont elle est affectée par les effets des logiques à l’œuvre dans le champ médiatique contemporain.

2. Le marketing politique

Devenue terrain d’accueil privilégié, la télévision modélise la politique selon les principes de sa propre évolution. Le passage de la télévision publique à la télévision concurrentielle et, rapidement à la prééminence de la logique privée constitue un des facteurs principaux de la mutation observée dans la sphère

37 politique dans le dernier quart du vingtième siècle. L’élection présidentielle de 1981 marque un tournant décisif avec la conversion du candidat Mitterrand à l’approche marketing pour mener sa campagne. Sa rencontre avec Jacques Séguéla, le publicitaire tonitruant, initie une nouvelle manière d'aborder la communication en politique : à la communication traditionnelle, relativement intuitive, se substitue la « communication politique ». Le slogan « La force tranquille » associé à la photo emblématique d’un village paisible avec son église en arrière-plan traduit le passage à une persuasion plus proche du mode publicitaire que de l’argumentation raisonnée. Jacques Séguéla retrace les étapes de la mise au point de la stratégie retenue : « Tout a commencé en septembre 1980, six mois avant le vote. En apparence, la partie était perdue. Dans les sondages, Mitterrand plafonnait à 36, VGE à 64. Mais tout cela n’était qu’apparence. Je me mis au travail avec Jacques Pilhan qui fut l’âme marketing (et quelle âme) de ce success story… Dès lors, le jeu était simple : pousser Giscard sur ses fautes, tout en faisant des faiblesses apparentes de Mitterrand des forces potentielles. Première qualité cotée par les français pour le président sortant : il est intelligent. A nous de faire que son excès d’habileté tourne à la manipulation. Il est séducteur , bien mais au détriment de la tenue de ses promesses. Il est racé, il sera hautain, donc coupé du peuple… (Face à lui), ce fut la force tranquille qui , tout de suite, s’imposa. la presse s’empara du slogan qui devint le leitmotiv de la campagne. VGE tombera lui-même dans le piège en interpellant Mitterrand dans son dernier débat télévisé et en reprochant à son adversaire de perdre sa force tranquille. En fait il le cautionnait, d’autant plus que Mitterrand se reconnut dans cette formule, l’épousa totalement. ». Pensée comme une transaction inspirée de la transaction commerciale, la communication politique vise à optimiser l’adéquation entre le produit proposé (une image d’homme public et accessoirement des propositions d’action minimalistes) et l’ensemble des destinataires potentiels (les électeurs). Inscrites dans ce mouvement de rationalisation, les techniques sélectionnées visent d’abord à accumuler le maximum de connaissances sur les électeurs. De la finesse de leur appréhension dépend la définition de la stratégie d’action et finalement de son efficacité. Cette démarche oblige à abandonner une vision globalisante des destinataires pour lui préférer un regard ciblé sur leurs différences dans l’espoir d’identifier des groupes d’appartenance. La segmentation de l’électorat en fonction des paramètres qui concourent à former les opinions apparaît comme la pierre angulaire de la démarche marketing. Le recours aux sondages et la consignation de leurs résultats en banques de données forment la base de ce système de pilotage à vue. En période électorale, s’il peut sembler légitime d’en voir se multiplier l’usage (plusieurs par jour en fin de campagne), le processus devient contestable quand il transforme le débat démocratique en confrontation calquée sur le modèle sportif voire, pour une certaine presse avide de sensations fortes, en une « course de chevaux ». Il l’est

38 encore plus quand il se développe en période hors élection. La manière dont les journalistes politiques « couvrent » la cohabitation en focalisant leur attention exclusivement sur la rivalité des deux chefs de l’exécutif contribue un peu plus à discréditer la sphère politique. L’usage des sondages par les journalistes est à questionner dès lors qu’il s’inscrit dans une logique qui abandonne son objectif informatif au profit de la seule recherche d’audience. Le transfert de la logique commerciale à l’univers politique n’est donc pas sans risque. L’homme politique se trouve ainsi confronté à un dilemme. Le recours au marketing qui a fait la preuve de son efficacité est évidemment tentant pour essayer de rejoindre le maximum d’électeurs mais la question est de savoir quel usage en faire pour ne pas dénaturer la finalité de la rencontre politique, impossible à réduire à une tentative de séduction par l’apparence. L’histoire des débuts de la communication politique donne des exemples limites dans la confusion des genres entre l’expression politique et la communication inspirée par la publicité. On se souvient encore des émissions sur « mesure » dans lesquelles le Président Mitterrand s’efforçait de corriger les aspects négatifs de son personnage révélés par les études d’opinion. Annoncé avant même le commencement de l’émission intitulée sans ambages : ça nous intéresse M. le Président, le « coup » mis au point par Yves Mourousi est attendu. Tout est prêt pour focaliser l’attention au moment où le journaliste vedette de TF1 (en 1985) demande à son interlocuteur : « M. le Président êtes-vous chébran ? ». L’introduction de cet artifice et le détour par le verlan que François Mitterrand retournera à son avantage en disant au journaliste qu’il était déjà en retard et qu’il aurait dû dire « bléca » auraient valeur de signe tangible de la proximité du Président avec les jeunes en général et, plus particulièrement les jeunes de banlieue. La difficulté politique à traiter les problèmes vécus dans les cités périurbaines suffit à montrer la dérision de pratiques semblables. Cependant, il serait erroné de croire qu’il s’agit de l’effet momentané de « la maladie infantile de la communication politique » comme a pu le dire Alain Duhamel. L’actualité la plus récente pousse cette logique à son comble dans l’usage qui en est fait par les candidats présumés à l’élection présidentielle de 2002. La presse, une fois encore, s’en nourrit abondamment. Considérées comme une « accroche » efficace, « les révélations » autour du travail d’image de Jacques Chirac et de Lionel Jospin sont distillées dans une parfaite symétrie. La une du journal le Monde daté 7-8 mai 2000 est ainsi rédigée : « Comment Chirac fabrique un nouveau Chirac. –Cinq ans après son élection, le président prépare sa prochaine campagne et veut modifier son image -Pour incarner « l’air du temps », il remanie son équipe et s’entoure de spécialistes de communication, marketing et « coaching ». Quelques jours après, les secrets de la stratégie de communication de Lionel Jospin sont à leur tour dévoilés. La naturalisation de la démarche et le peu de cas qui est fait au contenu politique semblent dépasser même les principes enseignés

39 par les spécialistes du marketing politique. Denis Lindon, professeur à HEC, en présente ainsi l’esprit et la méthode (Lindon, 1986). Personnage public qui veut gagner l’adhésion de l’électeur, l’homme politique doit travailler à la définition de son image avant de faire le choix de son positionnement sur le terrain électoral. Pour optimiser ses ressources, il lui est conseillé de mettre en avant « une combinatoire de traits » qui allie la simplicité, l’attrait, la crédibilité et l’originalité. La simplicité marque l’empathie avec le public, la crédibilité résulte de la reconnaissance de la pérennité du discours et de l’image, l’attrait et l’originalité attirent la sympathie du public : autant de conditions pour exister dans un monde saturé de signes. S’il est vraisemblable que les critères de simplicité, d’attrait et d’originalité semblent satisfaits, on peut se demander si la crédibilité demeure avec des pratiques calculées de manière aussi ostentatoire.

L’élaboration du « plan médias » constitue l’autre tâche essentielle à accomplir par l’équipe des conseillers en communication. Le passage à la télévision, à la radio ou l’entretien accordé dans un journal est maintenant savamment orchestré. François Mitterrand a sans doute très tôt compris l’intérêt à user des ressources du multimédia. L’histoire retiendra quelques uns de ses choix comme des cas d’école. Se méfiant de l’image télévisuelle dans les situations délicates, il préfèrera répondre à la radio quand le scandale du Rainbow Warrior commence à éclabousser le pouvoir en place : une manière efficace pour gommer les effets possibles d’une mimique ou d’un regard malencontreux ! Jouant de l’effet de surprise le plus total, il s’invite en dernière minute au journal télévisé d’Antenne 2 présenté par Paul Amar et annonce sa deuxième candidature à la présidence de la République. Il inaugure ainsi l’adresse « de proximité », loin des dorures des palais officiels. Jacques Chirac s’en souviendra après son expérience malheureuse de 1988 où il se déclare dans la solennité de son bureau de Matignon. En 1995, il ne renouvellera pas l’erreur et privilégiera la dépêche portée à l’Agence France Presse et sa reprise le matin dans la Voix du Nord , journal de la presse quotidienne régionale. Sûr de lui et aveuglé par les sondages favorables et les prises de position en sa faveur de nombreux éditorialistes politiques, Edouard Balladur n’a pas le même flair et reproduit la situation de 1988, à son désavantage. Le choix du média s’inscrit donc dans la stratégie du candidat et fait partie des gammes de l’apprentissage politique contemporain. Mais l’efficacité du savoir- faire issu des méthodes du marketing risque d’être invalidée si elle est au seul service d’une conception instrumentale de l’échange politique. La vision réductrice de la politique, dominante des années quatre-vingt, ne résiste pas à une réflexion distancée des pratiques au cas par cas. La logique marketing est à

40 situer, en tout état de cause, dans son contexte d’origine qui est celui de l’univers de la consommation. Le message publicitaire s’inscrit dans une perspective de courte durée où le produit présenté est appelé à être remplacé à un rythme rapide au gré des réactions du consommateur et/ou des évolutions technologiques. La parole politique renvoie à une autre échelle temporelle où la mémoire individuelle mais aussi la mémoire collective jouent un rôle déterminant. Le processus d’interprétation est fait de ces rencontres insoupçonnées entre des référents apparemment disjoints où les strates du passé font écho au discours du présent. Définie dans sa dimension symbolique, la politique ne peut pas non plus se réduire à un échange asymétrique où la logique de l’offre prévaut comme c’est le cas dans la transaction commerciale. Dès lors que sa principale finalité est de régir la vie collective, elle ne peut que reposer sur une légitimité qui, au terme d’un processus, prend en compte les attentes de la société. L’interactivité entre le pôle émetteur et le pôle récepteur est une nécessité. Le discrédit actuel des acteurs politiques résulte pour partie d’une insuffisante attention portée aux attentes du public. Face à cette situation, le marketing appliqué à la lettre dans le champ politique risque d’accentuer le processus de sectorisation de l’opinion et de contribuer à distendre encore plus le lien social. En manière de morale, comme dans la fable, on pourrait proposer aux acteurs connivents du « spectacle politique » de méditer ce commentaire ironique de après une émission de communication politique avec le président Chirac : « Pouvez-vous reprocher au Président de vouloir donner une image proche des jeunes ? demandait le lendemain, sur , Arlette Chabot à un Jospin réticent. Pour Arlette Chabot, il était dans l’ordre des choses qu’un homme s’appliquât, avec la complicité de la télévision, à « donner une image » de lui- même. Par inadvertance, elle venait d’énoncer l’article premier de la Constitution virtuelle de la République des bulles ».

3. La médiatisation du politique

Souvent réduite à une conception instrumentalisée des échanges au sein de la sphère publique, la communication politique est présentée comme un ensemble de techniques incontournables pour tout prétendant moderne à un mandat électif. Justifiée sans doute en termes de stratégie immédiate, cette manière de faire a aussi des incidences plus profondes. La focalisation répétée sur « l’image » des candidats ou des dirigeants transforme la grille de lecture de la politique. La médiatisation de la société bouleverse l’ordre du sens et de l’interprétation dès lors que le signe écrit perd de son importance traditionnelle. A une période encore récente où primait le texte rédigé et la référence à un programme politique a succédé depuis une vingtaine d’années l’échange direct à la télévision. Un changement de registre sémantique majeur s’opère à cette occasion. La dimension indicielle devient la dimension de référence, le sens se

41 construit autour d’une rencontre individualisée entre l’émetteur et son récepteur. La scène télévisuelle impose ses règles à l’acteur politique dont la reconnaissance dépend en grande partie de la perception de sa prestation. La présentation de soi régit désormais les registres de l’adhésion et de la croyance. La partie du public la moins politisée porte un jugement sur le style des personnes autant que sur les contenus d’action proposés. Dégagée le plus souvent des références idéologiques dures qui accompagnaient les programmes politiques, elle se fait son opinion personnelle en évaluant la crédibilité des signes exhibés. Un nouveau mode de relation s'instaure entre l'acteur politique et le citoyen. La mutation prend un relief d’autant plus fort que la place centrale de la télévision dans la société contemporaine l’institue en passage obligé du parcours de l’homme public pour se faire légitimer. Mais, contrairement aux pratiques en cours dans les systèmes autoritaires le régime des relations, par télévision interposée, entre le politique et le citoyen se décline sur un mode contenu. Eliséo Veron l’a bien montré à propos de la communication présidentielle : « En dehors des périodes électorales, seul à l’occupant suprême est reconnu le droit d’un contact direct, sans médiations, droit dont l’exercice reste exceptionnel, la plupart des présidents s’en servant avec beaucoup de précautions. Les précautions des corps politiques à l’égard du contact, et le contrôle de ce dernier par les corps informatifs, traduisent peut-être la conscience confuse, chez les uns et les autres, du fait que l’audiovisuel contient, en puissance, la fascination secrète du désir d’occuper le lieu vide de la Loi, comme si cette rencontre du regard du Président et de celui de chacun des citoyens était un point incandescent renfermant le vertige d’une unification de la vérité qui pourrait se faire dans la convergence entre une loi soudain devenue voix et geste , et le désir abstrait d’une volonté générale brusquement condensée dans le contact. » (Veron, 1989). La rencontre entre la politique et la médiatisation de la société peut être envisagée selon d’autres perspectives. Pour tout un courant critique, porté à la connaissance du public non spécialistes par l’ouvrage de Murray Edelman : « Constructing the political spectacle » (Edelman, 1988), elle marque un recul important par rapport à la période précédant l’ère du « tout télévision ». Elle génère un cadre énonciatif particulier et appauvrissant. Loin d’être un facteur positif, la personnalisation télévisuelle engendre un rétrécissement de l’expression politique par la répétition avec les mêmes acteurs d’une rhétorique limitée. De plus, la recherche systématique d’effets dramatiques, la fragmentation des échanges, le schématisme des questions et des réponses et la banalisation des émissions politiques dans des grilles de programme caractérisée par le mélange des genres définissent un mode de traitement du politique peu propice à susciter l’intérêt et à nourrir le débat public. D’autant que, raison aggravante pour d’autres auteurs, la parole ad minima de l’homme politique est par ailleurs « filtrée » à travers la grille de présentation des quelques

42 commentateurs patentés du cercle journalistique parisien. Selon le principe que « le médiateur sait mieux que l’homme politique ce qu’il veut vraiment dire », on aboutit à une perversion de l’exercice nécessaire de la médiation en démocratie à travers « l’opposition artificielle entre la transparence de la médiatisation et l’opacité du politique » : « un effet de l’idéologie de la communication est que les médiateurs tentent de capturer à leur profit les fonctions de médiation que d’autres professionnels occupent, dans le cadre de leur propre activité. C’est ainsi que la dimension représentative de l’homme politique sera systématiquement attaquée pour pouvoir être « déligitimée » et transférée plus facilement dans l’univers des médias, qui s’en chargeront à leur manière » (Breton,1995). L’application systématique depuis quelques années de cette idéologie professionnelle entre en contradiction avec la possibilité de développement des conditions d’exercice de l’argumentation dans la sphère publique. La mise en avant de la crainte du discours étayé et du raisonnement à partir des faits ou, pour reprendre les termes en vogue dans le milieu des journalistes, la crainte du « tunnel » et des « chiffres » aboutit à une parole mutilée et, en compensation, à la recherche de dispositifs attrayants. Ce pouvoir d’intervention des médiateurs sur la définition du projet et de l’action politiques peut pour certains devenir grisant au point de leur faire revisiter la théorie politique et de questionner le principe de la représentativité populaire. Partant des nouvelles pratiques politiques dans la société médiatisée, ils revendiquent la paternité d’une forme rénovée de la démocratie : la démocratie audiovisuelle. Pour eux, la légitimité élective accordée pour la durée d’un mandat ne correspond plus au temps réel de la vie politique à l’époque de la télévision et des sondages. Faite d’ajustements incessants pour tenir compte des réactions instantanées de l’opinion, la politique contemporaine se définit en appui sur l’interactivité télévisuelle. En corollaire à la démocratie audiovisuelle, les tenants de cette position extrême avancent la notion de démocratie directe et de démocratie d’opinion. Leur formulation, véritable exercice de style façon « nouveau riche », ne manque pas d’étonner comme dans ses propos de François-Henri de Virieu à la gloire de « l’Heure de vérité », son émission-phare des années quatre-vingt: « Plus encore que le talent inquisiteur d’Alain Duhamel, de Jean-Marie Colombani et d’Albert du Roy, plus encore que la scénographie de Jean-Luc Léridon ou les décors de Michel Millecamps, bien plus que la musique de Paul MacCartney qui sert de générique, c’est le sondage à chaud de la Sofrès qui a fait de « l ’Heure de vérité » une émission complètement à part, une émission de son temps. Nous avons été précurseurs. Nous avons poussé jusqu’au bout la logique de la médiacratie, cette nouvelle forme de démocratie où le peuple souverain s’exprime de moins en moins par ses bulletins de vote et de plus en plus par la pression de son jugement, de sa pensée, de son opinion ».

43 Cette conception est heureusement contestée par un grand nombre de politistes qui rappellent la nécessité d’inscrire la politique dans une durée et dans une continuité…

4. La mise en perspective anthropologique de la communication politique

A n’écouter ou à ne lire que le discours dominant des publicitaires ayant investi le champ politique, on risque de ne pas s’interroger sur les conditions d’existence de la communication politique dans une société donnée. Contrairement à l’idée propagée par ses laudateurs (intéressés comme acteurs rétribués), son développement n’est pas généralisé à l’ensemble des pays dans le monde. Souvent liée à des dépenses extravagantes (on pense bien sûr au coût exponentiel des campagnes électorales aux Etats-Unis), elle pourrait laisser penser que son existence est consubstantielle à l’avancement économique et à la richesse du pays. S’il est vrai que cette condition doit nécessairement être satisfaite, elle n’est pas suffisante en elle-même. La Confédération helvétique, pourtant connue pour son confort cossu, montre avec éclat que l’implantation de la communication politique ne s’opère qu’à certaines conditions relevant des mécanismes de régulation démocratique inscrits dans la Constitution et effectifs dans la pratique courante des élections. La non personnalisation voulue des dirigeants au sein du Conseil fédéral et le système de responsabilité tournante des Conseillers n’est en effet guère propice au développement de méthodes qui peuvent vite être assimilées au culte de la personnalité. De plus, la pratique de la démocratie directe donne priorité à l’initiative populaire et accentue l’effet d’ombre porté sur les dirigeants politiques. On voit donc que la mise en contexte de l’apparition de la communication politique renvoie à la définition du système démocratique envisagé. Si l’état du développement économique reste déterminant dans d’autres situations, il ne constitue pas le seul facteur explicatif de la non adoption de la logique publicitaire en politique. L’exemple de la Réunion est intéressant à retenir pour montrer l’imbrication de plusieurs phénomènes faisant résistance. Le statut ambigu de l’île au travers des multiples représentations possibles- département et région français, relevant à ce titre de l’Union Européenne, territoire insulaire formant une entité autonome ou constitutif d’une entité plurielle au sein de l’Océan Indien- est indicateur de différences et de contradictions latentes par rapport à ces unités de référence. Si l’on ajoute à cette dimension politique et institutionnelle des données historiques avec le rappel de l’esclavage et de la diversité des origines de la population (indiens, chinois, africains, européens), on mesure la difficulté à vouloir raisonner avec les principes issus du siècle des Lumières et de leur évolution sur plusieurs siècles en Europe puis sur le continent nord-américain en parallèle avec le développement industriel et post industriel de cet ensemble de sociétés. La

44 communication politique ne peut se développer qu’à partir d’un socle commun de valeurs et de la valorisation d’un espace public reconnu comme tel. Jacky Simonin propose un résumé éclairant de la situation particulière à la Réunion : par une mise en perspective historique d’abord : « La matrice socio-politique de la Réunion, fondamentalement structurée par la référence à la métropole fonctionne sur deux horizons politiques, l’ensemble national français et l’espace insulaire… Ces deux modalités du politique qui coexistent à la Réunion s’expliquent en partie par le fait que le respect des libertés publiques, l’accès aux droits civils, civiques, sociaux et économiques se développent simultanément. Alors qu’en Europe occidentale, ils sont apparus successivement sur une période de plusieurs siècles. » puis dans la période contemporaine : « Malgré la motivation politique jacobine du gouvernement central, et à l’heure d’un effacement relatif de l’Etat-Nation au profit de l’Europe et du processus en cours de mondialisation, on n’assiste pas à une simple substitution de la modernité à la tradition, à un effacement d’une périphérie soumise au régime du « communautaire » au profit d’un centre « sociétaire ». Ce qui émerge c’est la coexistence tendue de ces deux modèles de référence. » (Simonin, 2000). Si la réflexion sur la communication politique ne peut pas se priver des données relatives au contexte institutionnel, à l’économie et à l’histoire du pays pris en référence, elle doit également permettre l’ouverture d’un questionnement sur le sens et sur la symbolique de l’échange en politique. On peut aisément suivre Georges Balandier lorsqu’il écrit : « Le pouvoir ne parvient à se maintenir, ni par la domination brutale, ni par la seule justification rationnelle. Il ne se fait et ne se conserve que par la transposition, par la production d’images, par la manipulation de symboles et leur organisation dans un cadre cérémoniel » (Balandier, 1992). Dans le cadre d’une société traditionnelle, avec l’exemple des berbères du Haut Atlas marocain lors de la campagne pour les élections législatives, ces principes s’appliquent de manière ritualisée comme le montre Meriem Hamimaz : « C’est à l’occasion des festins que se joue la mise en scène dont l’épilogue est fatalement la consécration, la promesse du vote. Les artifices de cette mise en scène sont innombrables : le thé et le repas pantagruélique qui ouvre l’appétit (acte 1), les éloges réciproques (acte 2), puis la tension alimentée par les discussions où l’on désigne un ennemi commun (acte 3) , le moment du dénouement du drame où l’on jette l’opprobre, l’âar (acte 4) et le thé qui fait ensuite tomber la tension (acte 5). » (Hamimaz, 2000). Au slogan claironnant de la « publicité qui lave plus blanc » on préfère sans hésiter la simplicité et la pertinence du propos anthropologique. Question de valeurs…

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Références bibliographiques

Balandier, G, 1992, Le pouvoir sur scènes, Paris, Balland. Breton, Ph., 1985, « Médias, médiation, démocratie : pour une épistémologie critique des sciences de la communication politique », in Communication et politique, co-dir Gauthier, G, Gosselin, A, Mouchon, J, Hermès n° 17-18, Paris, CNRS. De Virieu, F-H, 1990, La médiacratie, Paris, Flammarion. Edelman, M, 1988, Constructing the political spectacle, Chicago, University of Chicago Press. Gerstlé, J, 1992, La communication politique, Paris, Que sais-je, PUF. Hamimaz, M, 2000, thèse de doctorat sous la direction de J.Mouchon, Communication et partis politiques au Maroc, Université Paris X. Lindon, D, 1985, Le marketing politique, Dalloz, Paris Mouchon, J, 1998, La politique sous l’influence des médias, Paris, L’Harmattan. Simonin, J, 2000, « Médias locaux et citoyenneté. L’espace public réunionnais entre communauté et société » in Hermès 26, Paris, CNRS. Veron, E, 1989, « Télévision et démocratie : à propos du statut de la mise en scène »in « La télévision politique », Mots n°20, Paris, FNSP

Cette conception est heureusement critiquée par la majorité des politistes qui rappellent la nécessité d’inscrire la politique dans une durée et dans une continuité.

46 Les déclarations de candidature

La singularité du système français est frappante si l’on met en regard la manière de sélectionner les candidats à l’élection présidentielle et l’élection du Président au suffrage universel. A une phase préliminaire sans règles et ouverte à la compétition désordonnée répond la procédure élective la plus directe avec l’appel à la souveraineté populaire. Pour expliquer ce hiatus peu compréhensible hors des frontières françaises, il convient de remonter aux fondements de la Cinquième République. L’arrivée au pouvoir du Général de Gaulle s’effectue après l’échec des partis dans la gestion du pays. Au régime parlementaire marqué par l’instabilité succède un régime où le pouvoir est largement dévolu à l’exécutif. Désormais figure centrale de la vie politique du pays, le Président de la République se doit d’être investi avec la plus grande légitimité possible. L’élection au suffrage universel, acquise par procédure référendaire, répond à cette nécessité. En assurant la relation directe entre le gouvernant et les gouvernés, elle participe d’un mouvement nouveau de mise en transparence de la relation politique. Pourtant, l’ambiguïté subsiste dans la phase préliminaire de sélection des candidats. Eloigné des modèles en cours dans d’autres démocraties où le vote préalable au sein des partis garantit la représentativité du candidat investi, le système français paraît bien opaque. Invisible dans le cas où une forte personnalité s’impose sans conteste comme du temps du Général de Gaulle, le brouillage des procédures d’investissement des candidats se révèle dès lors que la compétition devient ouverte. De multiples combinaisons, souvent peu attendues, ont été explorées depuis la fin de la prépondérance du parti gaulliste. En l’absence d’un cadre de référence institutionnel, les appétits individuels se donnent libre cours. Au monolithisme antérieur succède la pluralité des candidatures au sein d’un même parti, à la fidélité de parti répond parfois le soutien à des candidats externes et enfin, à la déclaration engagée et identifiable dans le paysage politique, se substitue dans certains cas l’appel d’un candidat se proclamant hors des partis. Laissée en grande partie à l’initiative individuelle, la déclaration de candidature est devenue un des genres de l’expression politique contemporaine. Connue du public par le relais des médias, et spécialement de la télévision, elle relève de choix stratégiques préalables. Il n’est pas simple en effet de se dire candidat devant une caméra. Le prétendant accomplit un acte qui postule au préalable une forme de certitude de soi. Etre candidat c’est affirmer soi- même ses capacités, c’est sortir déjà virtuellement de son statut antérieur . Par conséquent, la difficulté consiste d’abord à choisir un style énonciatif adéquat. La mise en scène de soi doit être à la mesure de ce qui est postulé au cours de l’annonce. Dans l’entre-deux d’un statut qui s’écarte de la condition ordinaire antérieure mais qui n’est encore accessible que par la fiction des mots, l’homme politique candidat à la plus haute fonction de l’Etat a obligation de trouver le ton juste. Il ne s’agit pas que d’un jeu d’apparence. Cette opération de figuration est le premier pas de la rencontre toujours incertaine qui assure la réussite politique. Le positionnement par rapport à l’image télévisuelle et la tentative de la maîtriser sont à la base des choix stratégiques de tout candidat. L’évolution des campagnes depuis les années quatre- vingt montre une combinatoire intéressante entre des manières différentes d’apparaître pour se déclarer. L’échec pour certains de la prestation directe, sur le mode yeux dans les yeux , a poussé au développement de dispositifs moins pressants. L’invitation à répondre à un journaliste permet de rendre le moment moins intense et évite le risque de confusion et de trouble propre au monologue, à l’exemple de François Mitterrand interrogé par Paul Amar lors des présidentielles de 1988. Le relâchement de la pression peut s’opérer de manière plus catégorique si l’homme politique est déjà suffisamment connu. N’ayant pas obligation d’apparaître pour exister, il peut comme Jacques Chirac pour ces dernières présidentielles, décider de privilégier le support écrit et éviter une prestation incertaine à la télévision.

47 Propre aux démocraties libérales, la variété des choix résulte d’un travail de positionnement préalable par l’homme politique et par ses conseillers en communication. Comme moment inaugural de la campagne, la déclaration de candidature ouvre une période de « surchauffe symbolique » où tout signe exhibé fait sens. Elle se doit donc, à l’instar des campagnes publicitaires, de marquer la singularité du candidat par rapport à ses concurrents. L’originalité de l’entrée en scène est attendue comme une manière « d’accrocher » le public et les médias pour qui l’effet de surprise détermine en partie l’ampleur de la couverture de l ‘événement. Cette exigence n’est pas satisfaite uniquement de manière ponctuelle, elle s’inscrit dans un projet de scénarisation global. Le temps de la campagne, l’homme politique se transforme en acteur de composition. Le plan média retenu par ses conseillers lui permet d’assurer une maîtrise contrôlée de ses apparitions. Souvent remarquée, l’attention portée au calendrier des prestations et au choix du support (écrit, radio, télévision ou usage des nouvelles technologies) participe de cette volonté de garder une relative liberté d’action, indispensable pour décliner les traits d’une image savamment mise au point. Connaissant l’importance de l’impression produite par les signes non verbaux de ses prestations (ton de la voix, mimiques, gestualité et regards), le candidat se montre naturellement pointilleux sur la manière de mettre en scène ses apparitions. Les questions de forme prennent ainsi une place importante. Pour autant, elles ne suffisent pas à elles seules à dégager un style dans un univers défini par la logique politique. Dès la déclaration de candidature, des indices clairs du positionnement du candidat dans le paysage politique doivent être mis en avant. La référence à une famille de pensée et à ses valeurs, l’insistance à marquer le renouvellement de la démarche suivie et la présentation de sa signification symbolique ou la référence confiante aux indications des sondages constituent les bases pour élaborer une stratégie. A une époque où la vie politique est décriée et ses acteurs déconsidérés, la variété de ces positionnements reflète la tentative pour renouveler la manière de s’adresser à un public souvent sceptique et parfois même indifférent. Les élections présidentielles de 1995 constituent sans doute un moment important dans cette tentative de redéfinition : telle sera l’hypothèse avancée dans les pages suivantes pour rendre compte des déclarations des trois candidats majeurs de la compétition et de leur « couverture » médiatique.

1° La déclaration de candidature de Jacques Chirac : réalité de terrain et tradition gaulliste

Chef de l’opposition et vainqueur des législatives de 1993, Jacques Chirac se refuse à devenir une nouvelle fois Premier Ministre en situation de cohabitation. Cédant sa place à Edouard Balladur, il entend se dégager du piège de l’exercice d’un pouvoir sous contrôle et générateur de conflits. Campé sur ses positions fortes de Maire de Paris et de député de la Corrèze, il se prépare à

48 l’épreuve des présidentielles dans la position du candidat naturellement désigné de la droite. Instruit par l’expérience malheureuse de l’élection de 1988 et les risques d’aveuglement de l’exercice du pouvoir, il tente de connaître au plus près les préoccupations des français en multipliant les voyages sur l’ensemble du territoire. Ce capital de connaissances tiré du terrain devient décisif lorsqu’il s’avère qu’Edouard Balladur fera vraisemblablement acte de candidature. A un premier ministre sûr de lui et soutenu par de nombreux cercles d’influence, Jacques Chirac se doit de répondre vite et sur la base d’une stratégie lisible s’il ne veut pas se retrouver marginalisé. La primauté du terrain sera le premier signe ostensiblement affiché. Véritable cas d’école pour l’analyse sémiologique, la déclaration du 4 novembre 1994 multiplie les indices signifiants. Un communiqué à l’Agence France Presse et un entretien surprise avec un journaliste de la Voix du Nord sont les voies choisies pour transmettre la décision. Le message est clair : une ville de province plutôt que Paris, un support écrit de la presse régionale plutôt que la télévision, le jour de la Saint- Charles préféré à tout autre assurent la dimension symbolique de la candidature de Jacques Chirac. Habile sur un plan énonciatif puisque la forme choisie évite les risques encourus lors d’une apparition à la télévision, la procédure vaut surtout par l’implicite du positionnement. Peu remarqué sur le moment, il opère un renversement des rôles. Traditionnellement, le candidat est largement soumis aux exigences des médias et des journalistes. En donnant cette forme à sa déclaration, Jacques Chirac veut retrouver la marge de liberté nécessaire pour se faire l’écho direct de ce qu’il sait sur l’état d’esprit du pays. Choisir un journal de province c’est exprimer sa défiance par rapport à la suprématie de la presse parisienne et à sa vision de la société. C’est aussi se ranger derrière un support de proximité reconnu pour refléter les intérêts quotidiens de la population. Le choix formel a valeur politique. Il est en cohérence avec la veine populaire du gaullisme que Jacques Chirac pense le mieux représenter. Le message se précise par le rappel que, seul des partis de droite, le RPR est un parti de militants. L’enjeu des élections est ainsi circonscrit. La prise en compte de la réalité vécue sur le terrain sera déterminante. La déclaration à l’Agence France Presse se présente sous la forme d’un texte écrit. S’il décline les éléments d’inquiétude perceptibles dans les réactions de la population, il ne se présente pas comme un constat objectif. La dramatisation appuyée de la situation reprend le modèle de l’Appel du 18 juin par le Général de Gaulle. Pour affirmer la primauté du politique et la puissance du chef, ce modèle joue des effets émotifs provoqués par le choc de deux mouvements contraires. L’ampleur du pessimisme relatif à la situation présente ouvre sur l’espoir dès lors qu’une volonté s’affirme pour galvaniser les énergies. Loin d’être comparable objectivement à l’Appel du 18 juin puisque le pays vit en paix, la déclaration du 4 novembre lui emprunte ses éléments de rhétorique. La tonalité catastrophique est donnée d’emblée par un vocabulaire volontairement fort et recherché :

49 « dans un climat aussi délétère, le désarroi tourne vite à l’aigreur, puis au ressentiment :les pires démagogies risquent d’y prospérer » ou « le confort d’une tiédeur qui enliserait notre pays dans un déclin léthargique ». Dans la tradition gaulliste, la maîtrise de la langue et l’emploi de mots rares distinguent le chef politique. Sa puissance se mesure d’une certaine manière à l’aulne de sa créativité linguistique. La singularité dont il fait preuve dans l’usage des mots donne la marque de son pouvoir sur le réel. Cette fonction mythique ne signifie évidemment pas automatiquement la réussite de l’action. Le verbe est nécessaire pour induire des effets de croyance et faire adhérer à un projet. Jacques Chirac emploie le procédé rhétorique pour dramatiser le présent à l’excès et pour justifier ses propositions. Après avoir rappelé objectivement les mutations auxquelles la société française doit faire face : « les échanges de biens, de capitaux et d’informations se sont mondialisés, les pôles de puissance se sont déplacés, l’innovation technologique frappe de désuétude les modes de raisonnement et d’action hérités du passé » il énonce un plan d’action volontariste dans la deuxième période de sa déclaration marquée par l’espoir. Là encore, les procédés rhétoriques sont sollicités pour gagner la conviction. Comme les propos du chef militaire qui expose son plan de bataille, l’énoncé annonce par sa vigueur la réussite attendue : « le changement doit intervenir en deux phases à des rythmes différents. D’abord, la bataille contre le chômage et pour l’insertion des jeunes, la lutte contre l’exclusion…appellent des réformes dans un délai de six mois. Ensuite, l’adaptation des structures aux mutations profondes que connaissent l’Europe et le monde fera l’objet de réformes programmées et concertées… ». Trop simples sans doute pour être objectivement plausibles, ces propositions sont à lire sur le moment comme un marquage de territoire. La magie du verbe a pour fonction de les crédibiliser. La déclaration de Jacques Chirac joue pleinement son rôle fondateur. Elle exalte l’action proposée par une rhétorique en décalque sur l’Appel historique du Père spirituel du gaullisme. Les difficultés du présent ne sont que bataille perdue, croire en l’avenir est possible. La réalité n’est que ce que les hommes en font :la vision lucide et raisonnée doit toujours être sublimée par une croyance collective. La tradition spirituelle et l’écoute du terrain se retrouvent dans une même vocation mobilisatrice avant toute proposition précise sur le programme politique.

2° La déclaration de candidature d’Edouard Balladur : sondages et confiance en soi Quand il est nommé Premier Ministre à la place de Jacques Chirac, Edouard Balladur ne nourrit apparemment pas l’ambition de se présenter aux élections présidentielles. Mais sa position sur le devant de la scène politique

50 modifie insensiblement la situation. Au fil des mois qui passent, il devient clair que le Premier Ministre agit déjà en « Président de la République bis ». La maladie de François Mitterrand de plus en plus handicapante et l’absence de fait de Jacques Chirac lui donnent l’occasion d’assumer un rôle qui dépasse les bornes de sa fonction. Installé dans le personnage avec assurance, il impose l’idée de sa future candidature comme une évidence qu’il n’a même pas besoin d’énoncer. Dès lors la machinerie médiatique s’empare de cette nouvelle donne qui devient vite l’unique objet d’attention des commentateurs. La saga des « amis de trente ans », leur rivalité haineuse dans la pure tradition des feuilletons populaires américains, nourrissent la chronique quotidienne de la campagne. Des deux personnages, Edouard Balladur fait figure d’étoile montante alors que Jacques Chirac semble peiner à se maintenir présent malgré l’annonce anticipée de sa candidature. Jusqu’au mois de janvier il apparaît en effet que le Premier Ministre est largement favori. Les sondages qui valident cette impression jouent un rôle décisif. La plupart des éditorialistes s’appuient sur leurs résultats pour penser que l’élection d’Edouard Balladur est déjà quasiment assurée. Fait rare, le Monde du 12 janvier en fait un titre de page : « Pour l’opinion, l’élection est déjà jouée ». Signée par Jérôme Jaffré, directeur des études politiques de la SOFRES, cette page est particulièrement symptomatique. Elle montre comment dans cette période quelques cercles d’influence parisiens mettent en avant une candidature avec l’apparence de la plus grande objectivité. Ce crédit d’estime largement reconnu par la majorité des éditorialistes dans les journaux et sur les chaînes des télévision crée un climat d’euphorie qui aveugle et joue pour certains hommes politiques proches d’Edouard Balladur une fonction auto- suggestive. Il est surprenant d’entendre Nicolas Sarkozy à l’Heure de Vérité du 8 janvier 1995 dire que pour la première fois dans l’histoire de la Cinquième République « un candidat a des chances d’être élu dès le premier tour ». Seul le contexte permet de comprendre l’affichage d’un optimisme aussi débordant, au mépris de la traditionnelle prudence politique avant une élection. Il reste que, comme rarement lors d’une campagne électorale, le candidat est quasiment intronisé avant d’avoir concouru : le virtuel pour un temps semble prendre le dessus sur le réel. Après l’avoir longuement différée, Edouard Balladur fait sa déclaration le 18 janvier dans des conditions qui ne manquent pas de surprendre. Ne tenant pas compte des critiques qui avaient accompagné la déclaration de Jacques Chirac dans son bureau de Matignon en 1988, il reprend la même mise en scène. Premier Ministre, il s’appuie sur le faste et la solennité du lieu pour matérialiser et figurer le changement de fonction auquel il aspire. S’il est vrai, comme l’a bien montré Eliséo Veron, qu’en démocratie audiovisuelle « le corps du Président est un corps au deuxième degré, un méta-corps ; non pas dignité, sûreté, sérénité mais mise en scène de la dignité, la sûreté, la sérénité », le choix en l’occasion est inadéquat. Postulant à la Présidence de la République et non Président élu, le candidat se devait de garder un profil plus modeste. A une

51 époque où l’homme politique a intérêt à adopter une attitude simple et marquant la proximité, la mise en scène retenue porte à amplifier les poses et les gestes du personnage haut placé, de l’officiel qui arrête un instant un travail important. Ce positionnement énonciatif crée une distance entre l’orateur et son auditoire et accentue l’expression d’une confiance en soi proche de l’auto-satisfaction. La réception se trouve immédiatement orientée et remet en mémoire le dessin de Plantu montrant l’arrivée d’Edouard Balladur à Matignon en chaise à porteurs. Inadéquat au vu du discrédit qui affecte la classe politique, ce choix s’explique si l’on considère l’argumentaire développé. Classique, la déclaration commence par la justification de la décision annoncée. Elle se réfère à la « confiance maintenue par les français depuis vingt mois », telle que les sondages le montre régulièrement. Pour le fond, elle transpose par un raisonnement homologique le crédit du premier Ministre en gage de réussite pour l’avenir au cas où il serait élu. Ce transfert est au cœur de tout l’argumentaire proposé. Conscient que la « difficulté de la tâche entreprise » laisse penser à « l’ampleur de celle qui reste à accomplir », Edouard Balladur donne pour seul projet la continuité de l’action conduite jusque-là. Il est normal alors qu’il se présente dans toute sa supériorité de vainqueur programmé. Convaincu qu’il a plus que tout autre la « capacité à rassembler le plus grand nombre de français », il peut s’appuyer sur le fait « qu’il n’est pas le candidat d’un parti ». Il peut également sans emphase, sans lyrisme indiquer les directions à suivre pour poursuivre la bonne gestion du pays. Une énumération tranquille y suffit : « il s’agit de retrouver l’unité du pouvoir » « il s’agit de restaurer la morale civique »etc. Avec sa déclaration de candidature, Edouard Balladur définit sa conception de l’interaction politique . Campé dans la position du haut dirigeant, il propose une analyse et une méthode. Le ton n’est pas celui de l’adhésion et de la passion mais plutôt celui de la mesure et du raisonnable. L’action politique s’évalue par bilans progressifs comme il est d’usage dans l’entreprise. Assumant l’image du grand gestionnaire, il en appelle au respect des principes, garants de cohésion sociale et de confort de vie. La politique est définie comme un mode de gestion.

3° La déclaration de candidature de Lionel Jospin :recherche de légitimité et procédure démocratique

Les élections présidentielles de 1995 marquent un tournant pour le parti socialiste après les deux septennats de François Mitterrand. Le retrait du Président ouvre une période pleine d’incertitudes.. Les traces des luttes internes au sein de l’appareil restent visibles et aucun dirigeant ne peut prendre l’initiative de présenter sa candidature au nom du parti . Face à cette situation inextricable et au vide qu’elle crée, les observateurs détournent le regard à la recherche d’une personnalité moins marquée par les conflits d’intérêt. Jacques

52 Delors focalise leur attention. Son expérience internationale à la Présidence de la Commission Européenne, ses compétences reconnues en économie et sa liberté d’esprit par rapport à l’appareil politique constituent le capital nécessaire pour être intronisé dans le cercle des postulants possibles à l’élection présidentielle. Arrivant par ailleurs en fin de mandat dans sa fonction à Bruxelles, il devient disponible. Bien qu’aucune déclaration de sa part ne valide l’hypothèse de sa candidature, l’ensemble des médias la présente comme effective. La parution de son livre : « L’unité d’un homme » le 8 novembre, soit quatre jours après la déclaration de Jacques Chirac, apparaît pour beaucoup comme un élément de preuve irréfutable de sa détermination. Dès lors commence le premier scénario médiatique de la campagne. Sur la foi des sondages, les commentateurs donnent unanimement Jacques Delors vainqueur des élections face au seul candidat de droite crédible, Edouard Balladur. La situation est proche de l’absurde, la compétition mettrait aux prises deux candidats non déclarés, l’un laissant entendre qu’il allait s’engager mais le plus tard possible, l’autre ne dévoilant rien de ses intentions. Le déroulement du scénario s’interrompt brutalement le 11 décembre avec la déclaration de non candidature de Jacques Delors à l’émission 7 sur 7. La deuxième phase de l’imbroglio semble devoir renvoyer à la situation initiale avec la difficulté à trouver un candidat fédérateur. L’élection se fera entre candidats de droite… L’engagement de Lionel Jospin intervient par surprise au moment où la gauche est en plein travail de deuil. Non encore légitimé comme chef incontesté du parti ou par une cote de popularité significative, il fait un choix habile et à forte portée politique. Au lieu d’essayer de passer en force en s’auto-déclarant candidat il s’en remet à la décision du parti. Sa déclaration du 4 janvier : « j’ai simplement dit aux responsables socialistes que j’étais prêt à mener la campagne au nom des socialistes si le PS le décidait » prend de court ses rivaux possibles. Elle a l’avantage de définir une méthode pour sortir de l’impasse et de proposer une procédure qui privilégie l’expression démocratique. Elle s’inscrit en faux contre l’habitude des milieux politiques français à chercher l’homme providentiel. Le handicap aide à innover et à poser les jalons d’une nouvelle manière de concevoir la représentativité politique. Sa position est comprise au sein du parti. Avec l’engagement d’Henri Emmanuelli, une véritable compétition s’engage et ouvre à l’expression des militants. Elu à une forte majorité, Lionel Jospin conquiert sa légitimité sans contestation possible. Un des thèmes centraux de sa campagne est mis en avant lorsqu’il résume la situation à la télévision avant de se lancer dans l’épreuve au nom de tous les socialistes : « Il n’y avait pas de candidat, un homme ou une femme auquel on pouvait s’identifier et qui présente des propositions. Il y avait au contraire un débat, ce débat s’est terminé de façon très démocratique. Il a, je crois beaucoup touché et intéressé les français parce qu’ils ont vu des hommes et des femmes qui leur

53 ressemblent prendre des décisions dans les urnes : c’est un exercice de citoyenneté vivante » (JT TF1, 5 février 1995). A la place de la déclaration de candidature habituelle, souvent convenue et rhétorique, le candidat du parti socialiste substitue une leçon sur la nécessaire rénovation des pratiques dans les milieux politiques. Peu commentés sur le moment, ses propos serviront plus tard de référence à l’ensemble des dirigeants des autres partis. Ils sonnent comme une réponse appropriée au désintérêt des français pour les jeux d’appareil en leur redonnant la possibilité de s’exprimer et de choisir dans les phases cruciales de la vie politique. Contraint de compenser son handicap de départ, Lionel Jospin doit parcourir un chemin initiatique pour s’imposer dans sa famille politique et devenir son candidat incontesté. Sa situation lui interdit de reproduire le jeu habituel du candidat à une élection présidentielle au suffrage universel largement centré sur les effets énonciatifs. Elle l’oblige à analyser au plus près la demande de la population et à donner en retour les signes de son écoute. La forme inhabituelle de sa déclaration privilégie le message politique qui s’adresse au militant et au citoyen en leur proposant une démarche participative.

Les élections présidentielles de 1995 apparaissent donc bien comme un moment important dans la redéfinition de l’échange politique en France. Les déclarations de candidature en témoignent. Elles ne sont pas seulement l’annonce d’une décision qui tient en haleine les commentateurs. Elles constituent un acte fort et signifiant où s’énoncent les références symboliques en même temps que sont posées les bases d’une vision modernisée de la politique. Loin de se limiter à l’exercice formel d’un passage obligé, elles ont été l’occasion de confronter des options différentes pour définir la relation entre les dirigeants et les citoyens ou pour discuter la place à accorder à l’expertise dans la politique contemporaine. Si le résultat de l’élection indique la manière dont les messages ont été reçus par la population, on peut se demander comment les médias les ont relayés au cours de la campagne.

4° La couverture médiatique : l’exemple de la télévision

Même si son audience tend à s’éroder, le journal télévisé de vingt heures demeure encore en France un espace fondamental pour l’expression politique. En situation de crise, comme pendant le mouvement social de décembre 1995, son rôle devient même déterminant. Les images quotidiennes des grandes manifestations ou les interventions impromptues du Premier Ministre n’avaient pas seulement vocation informative, elles influaient sur l’évolution du conflit. Miroir de la réalité extérieure, le journal télévisé a souvent une fonction de catalyseur pour les interactions au sein de la société. Liée à une transparence plus affirmée de l’espace public, cette fonction essentielle est consubstantielle à

54 un organisme d’information en régime démocratique. Elle ne peut cependant pas laisser penser à une stricte neutralité du médium. Au-delà même de l’éventualité d’une présentation partisane ou d’un choix sélectif des acteurs sociaux appelés à s’exprimer, le journal télévisé s’appuie sur un dispositif qui modèle les formes et les contenus de l’actualité. La déclaration de candidature de l’homme politique est traitée selon un rituel bien établi. Annoncée dans le titre du journal, elle donne lieu pour les candidats considérés les plus importants à un développement conventionnel où alternent la forme narrative, le portrait et le commentaire. Personnage-pivot de la distribution, le présentateur introduit les reportages et gère les prises de parole sur le plateau. Monsieur Loyal du dispositif, il a un rôle fonctionnel qui permet d’assurer la pérennité du dispositif, d’une chaîne à l’autre et pour chaque déclaration de candidature. Il n’occupe cependant pas la place la plus déterminante. La présentation des faits et les points de vue des principaux acteurs politiques pendant la campagne des présidentielles de 1995 n’a représenté qu’un aspect de la couverture médiatique proposée au grand public. Le découplage de l’information selon deux niveaux distincts a constitué la règle. A une première strate composée de l’énoncé des faits par le présentateur en est adjointe une seconde qui prend la forme d’un éclairage généralement fourni par le directeur de l’information ou par le rédacteur en chef (Gérard Careyrou sur TF1 et Arlette Chabot à France 2). Ce discours d’accompagnement, sous couvert explicatif, paraît proche à première vue des discours d’expertise en vogue dans les sociétés à haute technologie. Mais les commentaires sur les candidats et sur l’évolution de la campagne s’inscrivent dans le contexte d’un débat collectif à forte incidence pour l’avenir. Comme pour toute parole publique en situation électorale, ils participent à la constitution des opinions. Répétés au quotidien et à l’adresse du plus grand nombre, le JT de vingt heures demeurant l’émission la plus regardée, ils constituent un facteur d’influence considérable. Leur contenu, pris pour un modèle interprétatif, contribue à définir la vie politique et à délimiter son espace. Caricatural, le commentaire de Gérard Careyrou au soir de l’annonce de la pré-candidature de Lionel Jospin en exprime l’étroitesse de conception : « Nous allons donc suivre deux matchs, le match Balladur-Chirac pour savoir qui est le mieux placé pour gagner la présidentielle et le match Jospin- Lang pour savoir celui qui a la meilleure chance de perdre, du moins si l’on en croit les sondages » (4 janvier 1995). La métaphore sportive a valeur emblématique. Systématiquement reprise par les commentateurs, elle montre la manière courante de penser le fait politique dans les médias. Selon une logique malheureusement peu compatible avec une pratique citoyenne du journalisme, la politique est réduite à un genre proche du divertissement ou du grand guignol. La scénarisation qui est faite de l’information, calquée sur les modèles du feuilleton et de la compétition sportive est efficace à court terme pour retenir l’attention. Les pratiques interpellatives,

55 les effets d’accroche, la personnalisation et la dramatisation régulièrement entretenue sont les ressorts bien connus en marketing pour tenir un public en haleine. Mais dans une période de profonde mutation, ils incitent au désengagement des individus pour l’action collective et participent au discrédit de tout ce qui touche à la vie politique. Le citoyen n’a rien à gagner à la confusion des genres. La neutralité de la parole explicative dans les médias est souvent revendiquée au nom de la prise en compte par les experts d’indicateurs fiables. La place abondante des sondages dans les campagnes électorales serait justifiée à ce titre. Il n’est pas besoin évidemment d’insister sur les limites de leur fiabilité au vu du résultat de l’élection. Le fait nouveau et significatif tient à ce que les sondages ont vu leur usage s’élargir de manière inquiétante. Pour la première fois, ils ont servi à légitimer ou à disqualifier les candidats et à récuser le débat au nom d’un choix déjà validé par l’opinion. Il n’est donc pas anachronique de rappeler que la vitalité de la démocratie se mesure à l’exigence conceptuelle de l’information et à l’éclairage qu’elle permet pour la délibération collective.

J.Mouchon Université Paris X, CRIS

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Les nouvelles formes du débat public, prémices d’une reconfiguration de l’espace public démocratique?

L’observation du débat public à la télévision en dit souvent long sur la « santé » démocratique d’un pays. Il n’est donc pas étonnant qu’un pan important des recherches sur les médias de masse soit mené dans cette perspective. Mais, souvent sensibles aux manifestations les plus voyantes, beaucoup d’entre elles traduisent la fascination pour les ruses des candidats lors des campagnes électorales ou pour la mise en forme de la communication institutionnelle des gouvernements. Dégagées des a priori qui ont longtemps justifié les querelles d’écoles entre les tenants de l’approche des effets, souvent considérés comme négatifs pour la régulation démocratique et ceux, porteurs d’une vision plus enchantée, célébrant les espaces de liberté des récepteurs, elles restent soumises à l’apparence immédiate des formes à visibilité établie sans les situer au sein de la combinatoire complexe de l’espace public contemporain. En prenant comme objet d’étude prioritaire les manifestations dominantes du moment, elles cèdent au mirage des communicants qui croient possible de dépasser le débat social nourri par les contradictions d’intérêts nécessairement prégnantes dans la sphère politique. Mais, malgré la professionnalisation croissante de la communication dans la stricte logique du marketing, une grande partie de la population manifeste sa méfiance par rapport à cette définition réduite du politique. La baisse répétée de la participation électorale ou les changements brutaux de majorité politique de ces dernières années traduisent le trouble de l’électorat. Le constat relève de l’évidence, mais son interprétation reste problématique. S’il est tentant, d’y voir dans un premier temps une marque de dépolitisation commune à toutes les démocraties libérales, cette vision apparaît vite comme trop réductrice. L’épuisement de certaines formes traditionnelles de la représentation politique va de concert avec l’émergence de nouveaux modes d’échange dans la sphère publique. L’évolution des dispositifs dans les émissions de débat télévisé marquée par la redistribution du rôle des acteurs et la redéfinition des thèmes abordés l’atteste quotidiennement. L’étiolement du débat entre acteurs politiques, figures emblématiques de l’espace public en démocratie représentative s’accompagne d’une poussée débordante de la parole ordinaire dans les talk shows. Facile à constater sur la plupart des chaînes généralistes, ce phénomène n’est pas limitée à la sphère télévisuelle. Il se traduit sous d’autres formes et dans d’autres espaces. Le domaine médical, par exemple, montre un redéploiement similaire. Refusant d’être confinés dans la position soumise du patient, les malades s’organisent en associations et se font entendre comme acteurs à part entière au côté du personnel soignant et des décideurs de la politique de santé. Le Sida a joué un rôle pionnier dans ce déblocage du légendaire verrou médical. Sans doute instruit par cette dynamique, le pouvoir politique a ouvert à son tour de nouveaux espaces de débat dans l’espoir d’obtenir des propositions consensuelles de la part des membres de la société civile. Pour traiter de certaines questions sensibles qui divisent la société (nationalité, intégration, laïcité…) ou pour prendre position face aux incertitudes engendrées par le développement de certaines technologies ( technologies du vivant, en particulier), il met en place des comités de réflexion autour de personnalités reconnues à la fois pour leur compétence et pour la « hauteur » de leur positionnement à l’écart des a priori et des préjugés (Haut Comité à l’intégration, Comité national consultatif d’éthique…). On constate donc un mouvement de retrait partiel de l’acteur politique en amont de la prise de décision. Cette manière de faire instaure un nouveau mode de gestion des problèmes difficiles et valorise une nouvelle forme du débat public. Elle

57 marque le retour dans la collectivité de la prise en charge des étapes obligées d’un processus qui va de la consultation politique à la décision finale. La complexité des procédures infirme l’idéologie de la transparence véhiculée par les professionnels du marketing, sans doute aveuglés par les sollicitations dont ils sont l’objet de la part d’acteurs politiques toujours en quête de sécurisation. L’évolution de la société contemporaine semble marquée au contraire par une complexification des relations entre les différents acteurs sociaux selon de nouveaux modèles qui s’élaborent au quotidien. Cette contribution interrogera ces formes émergentes de délibération publique. Au- delà de l’hétérogénéité des arènes où se déploie la parole sociale, des tendances « lourdes » sont-elles perceptibles tant dans les dispositifs de la télévision populaire que dans ceux, a priori plus élitistes, des cercles politiques ou des cénacles scientifiques. Traité successivement, le rappel des études menées dans chacun de ces deux domaines visera à repérer les modalités récurrentes de ces nouvelles pratiques et à les situer dans la perspective élargie d’une reconfiguration possible de l’espace public. Une troisième partie, consacrée à la réflexion sur les nouvelles formes d’engagement collectif, complétera le questionnement sur les évolutions du modèle et de ses composantes. Il n’est pas invraisemblable de supposer en effet que les signes de mutation constatés empiriquement traduisent un mouvement de fond qui oblige à repenser tout à la fois les critères de légitimité des acteurs, de construction des arènes de confrontation, de définition des thématiques du débat public et de reconnaissance des registres de parole. Le symptôme télévisuel

L’évolution de la programmation de la télévision depuis l’arrivée des chaînes privées sur le hertzien et du péage sur les chaînes câblées ou sur le satellite mérite d’être réexaminée avec le recul devenu maintenant suffisant. De nombreux auteurs ont suivi à la trace et au quotidien les évolutions des émissions de débat à la télévision, ils ont ainsi mis en évidence des périodes où les dispositifs se remplacent les uns les autres et où la place symbolique des acteurs se redéfinit (Coulomb-Gully, 2001 ; Mouchon, 1998 et 1999 ; Neveu, 1995 ; Veron, 1995). L’époque de « l’Heure de Vérité » dans les années quatre-vingt où la politique fait de l’audience en première partie de soirée autour de la relation duelle entre l’acteur politique et le cercle restreint des journalistes parisiens marque l’apogée d’un genre qui peu à peu se délite. La déprogrammation le dimanche matin ou plus tard dans la soirée (« Mots croisés »), l’habillage spectaculaire (« Les absents ont toujours tort » sur la Cinq) ou l’ouverture à la vie privée des protagonistes (« Questions à domicile ») ne suffisent pas à endiguer le désintérêt croissant des téléspectateurs pour des prestations redondantes, figées dans leur formalisme et dont les acteurs mis en vedette sont l’objet du désamour populaire. Quelques tentatives d’introduction de dispositifs plus interactifs sur les chaînes publiques ( « La France en direct », « Direct ») ne parviennent pas à redonner de l’intérêt à la forme télévisuelle du débat public. La mise hors jeu du magazine politique à la télévision n’est pas sans susciter des réactions et des demandes de réintroduction dans la programmation, au moins des chaînes publiques. Mais, emportés par la logique de la concurrence et de la recherche maximale d’audience, les responsables de programme répondent sans ambages « que ce sont des sujets trop élitistes, sans émotion et qui ne font pas d’audience » ( Perrine Fontaine, le Monde 28/10/03). Ce verdict brutal, traduction d’un réalisme professionnel marqué du sceau exclusif de la rentabilité économique, oblige à réfléchir plus en amont dès lors qu’il est considéré sous l’angle de l’intérêt collectif. L’évacuation du débat politique de la tribune télévisuelle est porteuse d’interrogations non tant sur la télévision que sur la politique et sa perception par le spectateur/citoyen. Comme phénomène structurel, il oblige à faire le point sur la dégradation d’image dont cette sphère traditionnelle de la société est victime. Toutes les enquêtes

58 convergent en effet pour indiquer que la perte de considération enregistrée ces dernières années aboutit maintenant à une véritable déconsidération. La conjonction de plusieurs motifs expliquent la lourdeur de cette tendance. Le premier touche à la crédibilité morale de ses acteurs. Le monde des hommes politiques dans les pays démocratiques a été discrédité par la condamnation de certains d’entre eux dans ce qu’il est convenu d’appeler les « affaires ». Avec l’opération « Mains propres », menée sans concession dans les milieux dirigeants, les juges italiens ont dressé un état des lieux peu reluisant dont les effets déstabilisants persistent. D’autant que loin d’être la caractéristique d’un seul pays comme on a d’abord voulu le penser pour se rassurer, ces malversations affectent la plupart des démocraties et impliquent parfois des dirigeants au plus haut niveau. La révélation publique de l’énormité des intérêts en jeu conjuguée aux entraves mises au fonctionnement de la justice par ceux qui devraient lui garantir son indépendance nourrissent un phénomène de rejet désormais massif. Ce discrédit moral a des effets connexes dans la mesure où il sape la relation de confiance entre le politique et les citoyens. Le doute sur la moralité entraîne le doute sur la valeur de la parole. Un véritable lexique pour qualifier la parole politique s’est mis en place ces dernières années. Expert dans l’art d’esquiver les questions difficiles, l’homme politique semble prêt à utiliser tous les artifices pour garder la maîtrise de ce qu’il veut dire ou ne pas dire. Les « tunnels », manière d’embourber la parole pour esquiver une réponse difficile, sont particulièrement redoutés par les interviewers. En réaction, ces derniers n’hésitent pas à demander à leurs interlocuteurs de pratiquer le « parler vrai ». La parole ainsi mise en doute perd sa valeur d’engagement pourtant nécessaire à l’homme politique pour coupler le verbe à l’action. Limitée à une rhétorique de l’esquive, elle est perçue comme le parler verbeux et hautain d’une caste formée selon le même moule de Sciences Po ou de l’ENA. La sociologie des métiers- hommes politiques de premier rang, journalistes éditorialistes- confirme en tout point la réalité de cette perception qui réunit en un même monde fermé les participants à l’interaction politique à la télévision. Sur ce fond négatif, les émissions de caricature ont trouvé matière à expression. Le succès des « Guignols de l’info » a ainsi accompagné la progression inexorable du discrédit de l’univers politique traditionnel. Les codes de langage, la duplicité des comportements, les appétits de pouvoir et la brutalité des rivalités ont nourri quotidiennement la satire du politique réduit à un spectacle de marionnettes. Mais, progressivement, par-delà le rire au gré des épisodes, c’est le statut même de cet univers qui s’est trouvé dévalorisé. Le rôle coagulant de la caricature permet de dresser une véritable symptomatologie de la crise de la politique traditionnelle. Les quelques tentatives sur les chaînes publiques, comme dans le magazine « La France en direct », pour redonner souffle à l’interaction politique ont échoué. Misant à juste titre sur la réintroduction de la parole ordinaire dans les échanges, ses concepteurs ont buté sur l’organisation du système politique à la française. Le dispositif proposé reproduit à l’identique l’architecture à la française, géométrique, centralisée et appliquée à tous les domaines de la société. La plateau, tête de pont de la centralité, réunit toutes les paroles autorisées, essentiellement issues du cercle parisien, tandis que les duplex mettent en image la parole ordinaire confinée à un rôle périphérique. Ainsi, et sans doute involontairement, se trouvent montrées comme dans un miroir les différences de statut et les hiérarchies sociales. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les gens à la marge, pourtant majoritaires, ne s‘y reconnaissant pas se détournent de la scénographie proposée. Figure symbolique de l’inégalité, l’effet négatif produit par ce dispositif ajoute au discrédit de l’univers politique déconsidéré par le comportement de ses acteurs et par la fermeture de ses structures. La demande pour d’autres dispositifs plus en phase avec les attentes des gens se fait sentir et comme souvent, la télévision commerciale anticipe le mouvement : parallèlement à la quasi disparition des magazines politiques, la montée des émissions de talk show devient inexorable. Les analystes du monde académique ne semblent pourtant pas prendre la mesure

59 du phénomène. Certains, tenus par leur regard enchanté sur tout ce qui nourrit les conversations en ville, se complaisent à commenter savamment les dispositifs dans un mouvement de suivisme, d’autres, toujours défiants, n’y voient qu’une preuve de plus de la perversion de la télévision commerciale. Dans les deux cas, la dimension socio-politique de cette nouvelle expression populaire à grande échelle n’est pas pointée. Seuls quelques travaux de sociologie dégagés de tout a priori normatif portent un regard neuf sur ce nouveau type d’interaction propre à la télévision de masse (Mehl, 1996, 2003 ; Pasquier, …). Considéré comme la forme émergente de la « télévision de l’intimité », le genre bouleverse un certain nombre de credos relatifs à la hiérarchie de la parole dans l’espace public. Il représente la première manifestation à grande échelle du déplacement des frontières entre la sphère privée et la sphère publique. La redistribution de la parole est totale, dans un mouvement qui donne une visibilité publique à la parole ordinaire, expression traditionnellement limitée à l’espace resserré du lieu de vie quotidien. La place centrale tenue jusqu’à peu par l’expert est remise en cause. Les effets sont considérables tant au plan des thèmes abordés que de la mise en forme du discours. Désormais, l’expression individuelle des troubles divers du quotidien (sexualité, conflits dans la famille ou au travail) rencontre une écoute collective dans une sorte de catharsis sociale à grande échelle. Les émois des uns trouvent écho dans l’expérience des autres. La parole perd la complexité savante, les formes intellectualisées et la tendance à l’abstraction propre au discours jusque-là tenu pour seul légitime. La mise à nu du vécu se dit en termes simples, compréhensibles de tous et surtout dégagés des effets discriminants de la rhétorique académique. Le nouveau parler est jugé à l’aune de l’authenticité expériencielle : il s’affirme dans le témoignage. Ce grand chambardement traduit des modifications notables de la configuration traditionnelle de l’espace public depuis sa définition par Habermas. Il l’ouvre à la dimension du sensible jusque-là réfrénée car perturbant le libre exercice de la raison. Ouvertement exprimées, les émotions ne sont plus l’objet de réprobation, elles sont reçues sur le mode empathique. Le récit de vie participe à sa manière à conformer une forme du lien social contemporain dans les démocraties de masse. Les fragments de réalité restitués par le discours sont parlants pour tous, de manière infiniment plus accessible que dans leur formulation savante. Une coupure nette se fait jour entre le tout venant qui se retrouve par mimétisme dans le vécu de ses semblables et le décideur ou l’administrateur dont le rôle dans la société le porte à classer, à formaliser et à constituer des dossiers. La mise en fiche de la réalité est finalement perçue comme sa vision réifiée et devient de plus en plus objet de méfiance. La mutation qui s’opère dans le flux quotidien de la télévision affecte l’architecture des circuits de la parole dans la société. Elle traduit un mouvement tendanciel de redistribution de la légitimité affectée aux différents acteurs sociaux. De ce point de vue, elle participe d’une poussée forte d’aspiration à plus d’égalité entamée depuis le début des années quatre-vingt-dix et perceptibles alors dans l’évolution des dispositifs des magazines politiques (Mouchon, 1998). Cependant, la limitation des thèmes abordés lors de ces échanges à des « Confessions sur petit écran » (Mehl, 2003) semblerait prouver un abandon de la dimension politique dans l’interaction sociale. Il est indéniable que la dimension psychologique prime mais, pour autant, elle n’est pas dénuée d’une dimension à portée plus collective. Le fait de préférer des structures d’échange où règne le partage plutôt que le modèle calqué sur la transmission du modèle pédagogique traditionnel ouvre la voie à de nouvelles formes de définition et d’appropriation des normes. Le développement des thèmes dits « de société » dans le discours politique en montre bien l’importance. Loin donc de la doxa imposée, les normes de la vie quotidienne se définissent au quotidien par l’observation de l’expérience des autres et par la libération de la parole hors de tous les a priori moraux. L’exemple de la famille recomposée est significatif de cette redistribution ouverte à une combinatoire jusque- là impensable (de la famille monoparentale devenue courante aux couples homosexuels désormais engagés dans la lutte pour la reconnaissance du droit parental). Signe d’une prise

60 d’indépendance de l’individu par rapport aux codes imposés par les anciens collectifs, la famille, la religion ou l’école, ce comportement assumé à grande échelle constitue bien un changement majeur dans la manière de fixer les principes de régulation de la relation entre l’individu et la société. Définis collectivement sur le mode pragmatique, non seulement ils renouvellent le rapport entre le domaine public et le domaine privé mais, de proche en proche, ils participent à constituer progressivement une nouvelle arène de débat public avec ses dispositifs et ses règles. Comme le montrent les sociologues précédemment évoqués, ce qui n’apparaît à première vue que comme une immense vague introspective relève en fait d’un mouvement de fond significatif de la quête contemporaine de l’identité. Le processus s’opère de manière inventive, en appui sur de nouveaux modes de discussion et en créant de nouvelles formes d’évaluation. La parole pour soi a valeur de parole pour l’autre, la recomposition s’effectue dans un mouvement de brassage collectif. La narration du vécu est finalisée dans le sens d’une délibération avec soi-même et avec l’autre et vise en dernier ressort à fixer l’acceptable. Cette façon de construire son identité se caractérise par une navigation erratique entre plusieurs sources possibles de références. Elle procède par emprunts partiels et ponctuels à des sources hétérogènes. Certains des repères institutionnels peuvent être mêlés à des références individuelles considérées comme plus en phase avec les attentes et le désir individuel. Le recours systématique au raisonnement fondé sur une rationalité contrôlée est abandonné au profit d’un cheminement plus proche des plaisirs procurés par l’école buissonnière que de la rigueur académique. Le mouvement concomitant de délitement de l’échange politique à la télévision et de montée des formes variées de talk show populaire n’est pas une forme dégénérée d’expression dans un média en proie à une lutte forcenée pour faire rentrer la manne financière de la publicité. Les signes qu’il renvoie à travers la création d’un nouveau genre télévisuel ont une dimension socio-politique indéniable. Considéré par rapport à notre interrogation centrale sur la mutation de l’espace public et sur sa signification, on peut dire que son degré informatif est au maximum du possible. En effet, toutes les catégories d’analyse communément validées par les chercheurs travaillant sur ces questions sont concernées : une nouvelle arène s’est peu à peu instituée, l’éventail des acteurs est élargi quand il n’est pas tout simplement remplacé par un autre, les thèmes débattus diffèrent sensiblement de ceux reconnus jusqu’alors comme pertinents pour la délibération publique, la rhétorique employée renvoie plus au modèle narratif qu’à celui de l’argumentation. En plus de sa large palette d’application, ce mouvement opère une avancée décisive dans la définition de la démocratie contemporaine. Les individus revendiquant plus d’égalité, l’homme ordinaire est préféré à l’expert. Le tableau suivant montre les différentes facettes de cette évolution rapide dont la télévision joue le rôle de révélateur : Télévision et mutation de l’espace public Du magazine politique au talk show de grande écoute : Magazine politique : arène : dispositif centralisé reproduisant la hiérarchie sociale acteurs : institutionnels, principe de célébrité hommes politiques nationaux, éditorialistes parisiens principalement masculins timide ouverture à l’homme ordinaire limité dans sa parole autorisée thèmes : politique institutionnelle, calque des attributions ministérielles, rivalités des chefs rhétorique : formalisme, abstraction, raisonnement à portée générale, parole construite sur le modèle de l’écrit

61 Talk show de grande écoute arène : dispositif simplifié, présence égalitaire acteurs : les gens ordinaires effacement des différences hiérarchiques reconnaissance de la parité rôle restreint de l’expert thèmes : famille, éducation, sexualité, morale et tabous… exclusion des domaines sociaux, économiques et politiques rhétorique : simplicité de la parole, oralisation, récit de vie Toutefois, du fait qu’elle ne met en jeu que la construction identitaire individuelle, cette forme d’interaction soulève la question de la place du social et des valeurs collectives. Pour voir s’il s’agit d’un trait constitutif de la nouvelle configuration de l’espace public, il est nécessaire de sortir du cadre fictionnel et d’ouvrir l’analyse à des situations d’engagement dans l’action publique.

La valeur emblématique des forums hybrides

Le domaine scientifique constitue un deuxième ensemble intéressant pour notre perspective. Domaine soumis de plus en plus à l’imprévisibilité des découvertes, il tend à devenir un domaine à responsabilité partagée. L’exemple des technologies du vivant est parlant. Elles ne relèvent plus de la seule compétence scientifique tant leurs effets à long terme ouvrent des questions d’acceptabilité éthique qui interpellent l’ensemble du corps social. Comme l’a dit récemment le professeur Sicard, Président du Comité consultatif national d’éthique, « l’embryon n’est pas un problème médical, c’est un problème de société ». La mise en cause du mode de décision réduit à la communauté des experts traduit le refus plus général du système de la délégation, fondement jusqu’ici de la démocratie représentative. Certains travaux de sociologie vont jusqu’à parler d’un double refus en comparant le refus de la délégation dans la sphère du savoir avec celui observable dans la sphère du pouvoir (Callon, Lascoumes, Barthe, 2001). Dans un mouvement concomitant déjà repéré dans les analyses précédentes, l’expert fort de son savoir et le politique de son pouvoir cèdent une partie de leur puissance au profit du profane et du citoyen ordinaire. Face à la complexité croissante des problèmes rencontrés par la société contemporaine, de nombreuses voix s’élèvent régulièrement pour en appeler à la co-responsabilité et à la pluralité des acteurs engagés dans les processus décisionnels. La récente crise qui a opposé les chercheurs au gouvernement Raffarin au cours de l’hiver 2003 ne peut pas être interprétée par les seules restrictions financières publiques du budget de la recherche ou par la crainte de la privatisation de leurs ressources. Au nom de la fondation « Sciences citoyennes », de grands scientifiques (dont le professeur Testard auréolé de son succès avec le premier bébé- éprouvette) n’hésitent pas à publier une tribune détonnante dans Libération (22 janvier 2004 où ils pointent une des failles du système : « si la marchandisation des savoirs est une menace, ne pas écouter la société civile l’est tout autant ». Pour y remédier, ils en appellent à l’invention de nouveaux dispositifs de concertation le plus ouverts possibles sur la société : « L’enjeu est donc d’inventer d’autres dispositifs, comme les conférences de citoyens qui, suivies d’un débat parlementaire, constituent des dispositifs crédibles de programmation et d’évaluation des choix scientifiques et techniques ». Ils rejoignent ainsi un courant initié dans les années quatre-vingt par les dirigeants politiques pour ouvrir les procédures de choix avant de prendre une décision sur des questions difficiles . Pourtant peu enclins par culture à partager l’exercice du pouvoir, ces derniers ont conscience

62 que certaines questions vitales pour l’équilibre présent ou à venir de la société les obligent à consulter au-delà du cercle restreint des décideurs traditionnels. Ils le font avec le souci de dépasser les positions partisanes et pour prendre les décisions les plus consensuelles possibles. Dans un premier temps, les instances mises en place sont constituées de personnalités morales. Véritables comités de sages, elles sont appelées à se prononcer sur les problèmes d’éthique liés aux progrès de la médecine (Comité consultatif national d’éthique, 1983) ou à proposer des solutions pour résoudre certains blocages de la société, par exemple l’incapacité durable à intégrer les immigrés originaires d’Afrique du Nord (Commission nationale de nationalité, 1987 suivie du Haut comité à l’intégration en 1990). Peu à peu, elles ouvrent la voie à d’autres dispositifs à la composition élargie aux citoyens ordinaires. Lesquels, d’abord de portée nationale comme la Commission nationale du débat public (1995), les Conférences de citoyens (1988) ou les Etats Généraux de la Santé (1988), s’inscrivent ensuite dans les structures régionales et locales (Conseils de la jeunesse dans les régions ou dans les municipalités ou enfin les Conseils de quartier créés en 1998 dans les grandes agglomérations). La banalisation de ces instances acte un double changement qui s’opère dans la sphère politique contemporaine. Elle fait écho à la pression de la population pour être associée à la réflexion et à la décision publique en même temps qu’elle traduit la prise de conscience par les hommes politiques des limites de leur champ d’exercice et des risques encourus à vouloir les ignorer. Les expériences menées en région attestent un réel intérêt de la part de la population. Elles peuvent à leur tour générer des procédures nouvelles comme l’atteste l’initiative prise par le maire de Saint-Rémy de Provence d’organiser récemment le premier référendum d’initiative populaire en France. Pour résoudre le différend qui oppose la majorité municipale à son opposition à propos du transfert d’une école primaire, la signature de 20% des électeurs inscrits sur les listes électorales aura permis d’ouvrir la procédure démocratique qui a fait ses preuves en Suisse ou dans certains Etats américains. Concernant des problèmes de vie quotidienne qui touchent toute la population, ces dispositifs doivent assurer l’écoute réciproque et créer un climat de confiance quand les conflits d’intérêt sont interprétables à plusieurs niveaux. L’exemple de l’agrandissement du port de Marseille proposé par ses dirigeants est évidemment intéressant au plan économique dans une région à fort taux de chômage mais il n’est pas sans risques pour l’environnement dans un périmètre régulièrement soumis à des pics d’ozone en raison de la forte concentration industrielle autour de l’étang de Berre. Les informations sur le projet et sur ses conséquences dans ces deux domaines sont donc indispensables et doivent nourrir un échange d’arguments ouvert et propositionnel. La Commission particulière du débat public (dérivée ponctuelle du CNDP) a été maîtresse d’œuvre de la procédure. Soucieux de réussir leur mission, ses responsables ont suivi un protocole strict rapporté dans le journal d’information distribué dans la zone géographique concernée : « Cette commission organise le débat et en assure le bon déroulement. Ce dernier doit porter sur l’opportunité, les objectifs et les caractéristiques principales du projet. Pour créer le débat, la CPDP décide des moyens nécessaires : diffusion de dossiers, lettres d’information, mobilisation des médias, organisation de réunions publiques, réalisation d’un site Internet, etc. L’objectif de la CPDP consiste à favoriser les échanges d’arguments entre les parties concernées, du maître d’ouvrage (qui supporte tous les frais du débat public) aux habitants en passant par les pouvoirs publics, les experts et les associations. » Cette phase ne constitue que la première étape de la procédure qui se conclut par une prise de décision publique par le maître d’ouvrage. Après avoir reçu un compte-rendu accompagné d’un bilan dressé par le Président de la Commission nationale du débat public, ce dernier « disposera de trois mois pour faire connaître les suites qu’il réservera à son projet, au vu des enseignements qu’il aura retirés de ces deux mois de débat ». La France, pays traditionnel de la décision non concertée voire imposée, semble bien s’engager sur la voie de la co-

63 responsabilisation et du partage des choix par une palette élargie d’acteurs sociaux. Dans le domaine du nucléaire, on se souvient encore des fausses concertations organisées par les ingénieurs d’EDF passant en force malgré l’opposition des populations où les centrales s’installaient. Fers de lance du décideur politique soucieux d’assurer l’indépendance énergétique du pays après le premier choc pétrolier, ils ne pouvaient concevoir alors une discussion ou encore pire une remise en cause de leur expertise. Cette ouverture relative à la décision sur des sujets particuliers est maintenant revendiquée à propos de questions plus générales . Ce fut le cas récemment à l’occasion de la réforme de la santé publique. Initiée par des responsables écologiques, la demande va jusqu’à évoquer une « deuxième révolution de la santé publique ». Les signataires de cet appel fondent leur analyse sur le constat que si la « révolution hygiéniste du XIX° siècle était centralisée et parfois autoritaire. La prochaine doit être régionalisée et citoyenne » (Libération, 15 juillet 2004). Les principes sur lesquels s’appuie l’argumentaire émanent, comme dans les cas précédents, de l’aspiration émergente à la responsabilité collective et à l’engagement partagé : « Une véritable citoyenneté de la santé est à construire. Cette citoyenneté ne peut exister que si les assurés sociaux élisent à échéance régulière leurs représentants dans les organismes de la sécurité sociale. Les associations de malades, d’usagers et de victimes du travail doivent trouver toute leur place dans l’élaboration du système de santé et l’évaluation des soins ». Avec un champ d’application désormais élargi à des questions nationales concernant la définition des politiques sectorielles et participant par là aux équilibres futurs de la société, cette nouvelle manière de procéder dans le champ de l’action publique ne peut faire ses preuves que si elle repose sur des protocoles bien établis. Il n’est pas surprenant que les modèles soient souvent importés des pays d’Europe du Nord où la recherche du consensus est traditionnelle. C’est le cas des « Conférences de consensus » initiées au Danemark et rebaptisées différemment selon les pays où elles sont organisées. Il y a beaucoup à dire en termes d’implicites culturels dans ces différences de désignation . Les « Conférences de citoyens » retenues par la France traduisent une forme d’emphase verbale traditionnelle tandis que les « Publiforums » suisses révélent une plus grande attention portée à l’organisation du bon fonctionnement démocratique qu’à sa mise en mots. Pourtant le protocole de déroulement est semblable dans chacun de ces cas. Il réunit à partir d’un choix aléatoire un panel de quinze citoyens, profanes dans le domaine où ils sont sollicités. Après une session de formation, ils peuvent poser des questions à des experts du domaine concerné. Au final, ils rédigent un rapport écrit pour présenter leur position. La procédure privilégie donc l’avis des citoyens ordinaires. Ce déplacement est évidemment fondamental dans l’évolution de l’histoire démocratique. Longtemps clivée entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas et entre ceux qui détiennent le pouvoir et ceux qui en sont éloignés, la démocratie a fonctionné jusqu’à il y a peu au rythme des à-coups électifs, laissant en béance les plages de temps hors période des élections et permettant aux décideurs de prendre des décisions sans avoir obligation de les motiver. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette évolution majeure dont on ne commence qu’à peine à mesurer les conséquences. Elle traduit l’élévation du niveau culturel d’une large partie de la population (même si les « poches » d’analphabétisme restent impressionnantes dans nos sociétés). Elle répond au désir de plus en plus marqué des individus d’être acteur de leur vie en procédant eux-mêmes aux choix importants (pour leur cadre de vie, par exemple) et, sur un autre plan, elle constitue une tentative de réponse pragmatique aux défis des progrès scientifiques et techniques susceptibles de mettre en jeu les grands équilibres de la planète. A cet égard, les inquiétudes du public face au changement climatique deviennent de plus en plus grandes, on peut penser qu’elles seront déterminantes dans nombre des choix économiques à venir. La même tendance se retrouve dans la sphère du marketing et du sondage d’opinion. Avant-gardiste pour justifier l’élaboration de nouvelles méthodes d’investigation des réactions du public et, initiatrice de l’emploi systématique des panels d’opinion pour accompagner les

64 changements de comportement dans le domaine de la consommation, la logique du marketing complète maintenant le calcul statistique dans la prévision du vote politique. Marqué de la même veine, le sondage délibératif est ainsi mis à l’ordre du jour du champ de la recherche politique aux Etats-Unis avec les travaux de Fischkin et de Luskin. Ce transfert de méthode résulte du constat de la plus grande volatilité des opinions et, par contre-coup, de leur imprévisibilité. L’imprévision, l’inattendu, l’aléatoire semblent être désormais des caractéristiques majeures du monde contemporain. Leur effet déstabilisant ébranle les certitudes, mêmes celles jusque-là fondées sur la rationalité et la modélisation logique. L’univers scientifique constitue évidemment le cas de figure privilégié pour l’observation du phénomène et la tentative de réponse qui lui est apportée. C’est dans ce contexte que des chercheurs en sciences sociales (sociologues, juristes) ont réfléchi à la mise en place de nouveaux processus de co-participation et de co-responsabilité (Callon, Lascoumes, Barthe, 2001). Prônant le rejet de la recherche limitée à la seule communauté des chercheurs (ils vont jusqu’à l’appeler « recherche confinée »), ils défendent l’idée de son ouverture à de multiples acteurs sociaux. Le dispositif qu’ils proposent tourne autour du concept de « forums hybrides ». Ces derniers ouverts aussi bien aux experts, aux hommes politiques, aux techniciens qu’aux profanes sont calqués sur le modèle des Conférences de citoyens : ils placent le profane au centre des dispositifs. Les conditions de leur fonctionnement : modalités de sélection des participants, manière de travailler et demande finale sont à peu près semblables. Mais leur projet est plus ambitieux, il vise l’instauration de la « démocratie technique », modèle exploratoire pour refonder tout l’édifice de la démocratie contemporaine. Le temps des certitudes étant aboli, il reste aux acteurs sociaux à rechercher des mondes possibles. L’hypothèse sous-jacente est que la pluralité des participants entraîne automatiquement une pluralité d’approches et permet d’explorer des options diversifiées. Justifiés ainsi, les forums hybrides constituent de précieux laboratoires. Par leur dispositif novateur, ils suggèrent en creux la critique des limites de la démocratie délégative : « Comment imaginer des formes de consultation qui rendent justice à la diversité des points de vue et des aspirations ? Elles sont inventées, éprouvées par les acteurs eux-mêmes ». Il s’agit pour les auteurs d’une véritable transformation de la procédure de consultation des citoyens, au plus près des problèmes engendrés par la rapidité des changements issus de la révolution scientifique et technique. Loin cependant d’être limités à l’ingéniosité de leur dispositifs, leur conception montre une des voies à prendre pour transformer l’espace public délibératif et l’adapter à la réalité contemporaine : « L’efficacité d’une procédure dépend in fine de son intégration plus ou moins forte dans le processus de décision politique. La fabrication progressive d’un monde commun et non la mise en place d’un espace de discussion, telle est la seule raison d’être des procédures dialogiques ». Cette conception du mérite de la procédure délibérative n’est pas sans faire l’objet de critiques de la part de certains chercheurs en sciences politiques. Un récent numéro de la revue Politix en propose une synthèse claire et utile pour l’avancée de la réflexion (Politix 57, dir. Loïc Blondiaux et Yves Sintomer, 2001). Leur première réserve concerne l’hétérogénéité des domaines où elle s’applique. Ces multiples « détours délibératifs » n’autorisent pas à penser qu’il s’agisse d’une troisième voie constituée face au « républicanisme » et au « libéralisme ». Pour autant, ils ne nient pas ses effets positifs. Ils reconnaissent qu’elle rend possible l’imagination de solutions nouvelles par l’intégration de nouveaux acteurs, qu’elle incite à la « montée en généralité » par le fait qu’elle prend en compte la pluralité des valeurs et des savoirs (savoir ordinaire et savoir savant) et, surtout, qu’elle fonde la légitimité à la fois sur le plan normatif et sur le plan factuel. Mais, plusieurs critiques de fond subsistent. La différence entre l’idéal d’inspiration et les situations réelles les incitent à s’interroger sur le lien effectif entre la délibération et la décision ainsi que sur les limites de la diffusion

65 publique accordée à ces dispositifs participatifs ou sur la réalité de l’égalité de parole des acteurs dans un contexte où l’autorité organisatrice fixe les règles. Si ces questions semblent pertinentes au stade encore expérimental du développement de ces procédures, il est abusif, à notre avis, d’aboutir à la conclusion qu’il ne pourrait s’agir que d’une des formes renouvelées « de techniques managériales de gestion des conflits sociaux ». Dans le vaste chambardement auquel sont soumis les démocraties, on peut plutôt y voir une des tentatives pour faire face à la déstabilisation de leurs fondements traditionnels. Pierre Rosanvallon en résume bien le mécanisme : « Nous passons peu à peu d’une démocratie « polarisée » à des formes de « démocratie civile » plus disséminées … c’est dans la perspective de ce cadre qu’il faut apprécier les mutations actuelles de la démocratie : si la démocratie d’élection s’est incontestablement érodée, les démocraties d’expression, d’implication et d’intervention se sont, quant à elles, incontestablement affermies » (le Monde, 20-21 juin 2004). Quelles sont les formes attestées de cet affermissement de l’implication et de l’intervention des individus dans une période où les statistiques relatives à la militance syndicale ou politique indiquent un mouvement inverse ?

Questions autour des nouvelles formes d’engagement collectif

Le constat de la désaffection des structures traditionnelles de l’engagement est unanime (2% d’adhérents à un parti politique et 8% à un syndicat actuellement en France) mais implique-t-il pour autant une désaffection généralisée de toute forme d’engagement collectif ? Plusieurs indices montrent qu’il n’en est rien. Les « mouvements sociaux » restent très actifs comme l’attestent les nombreuses manifestations organisées à l’occasion du débat parlementaire sur la réforme des retraites en 2003. Les forces vives traditionnelles de la militance politique et syndicale se retrouvent encore dans des actions de protestation de grande ampleur dès lors que le gouvernement ou le patronat engage la réforme et touche à des points sensibles de la protection sociale. Mais tendanciellement, les formes d’organisation qui tendent à s’imposer sont plus fragmentées. Leurs actions, plus sectorisées, concernent aussi bien la défense des sans-papiers que le droit au logement (DAL) ou la tentative de regroupement protestataire contre le chômage (AC). Par souci démocratique fortement revendiqué par la base, les personnalités émergentes n’ont plus le statut de dirigeant. La fonction de porte-parole, fonction de substitution, est néanmoins propice à être occupée par d’anciens cadres syndicaux à l’exemple de Christophe Aguiton ou de Claire Villiers. Limitées en nombre d’adhérents, ces organisations jouent de la visibilité donnée par les médias en organisant des actions à portée fortement symbolique, telle l’occupation de l’église Saint- Bernard par les sans-papiers restée dans la mémoire collective. De fortes personnalités occupent régulièrement le devant de la scène et deviennent ainsi des figures emblématiques pour les médias. Nouvel Astérix du monde contemporain, José Bové dans sa lutte contre les OGM est montré en train d’arracher des plantations expérimentales ou, image plus percutante, il démonte en direct le Mac Do de Rodez pour dénoncer la mal-bouffe. Sa condamnation et son emprisonnement qui s’ensuivent contribuent à augmenter son panache. Plusieurs points communs distinguent ces nouvelles formes de regroupement. Leurs militants partagent la même défiance par rapport à la rigidité et à la hiérarchie traditionnelle des partis politiques ou des syndicats. On retrouve là encore l’aspiration déjà repérée d’une refonte de l’architecture des structures d’engagement collectif. Tout ce qui procède de l’organisation verticale tend à être rejeté. La vie des associations l’atteste de manière particulièrement significative. Traditionnellement structurées en France à partir des échelons administratifs (local, départemental, national), elles vivent le grand écart entre leurs activités locales, toujours bien vivantes, et celles, désertées des instances supérieures. Les fédérations de parents d’élèves

66 connaissent ce problème de manière particulièrement aiguë. La vie associative, encore très forte, est motivée par l’engagement de proximité, elle vise à satisfaire l’éventail des désirs, des pulsions et de tout ce qui fait sens pour l’individu. Si on retrouve parmi elles, de nombreuses activités d’expression sportive ou culturelle, d’autres développent des actions caritatives et humanitaires. Dans ce sens, la vogue des ONG traduit la méfiance croissante et partagée par rapport à l’efficacité du politique. Une fois encore, la mutation observable mêle des niveaux de structuration et de projets très divers. Toutefois, cette hétérogénéité ne veut pas dire que le mouvement en cours est illisible. On y trouve des constantes appelées peut-être à devenir les caractéristiques futures et stabilisées de l’engagement collectif à l’ère de la mondialisation. De plus en plus ponctuel et circonstancié, il ne met pas trop haut la barre des attentes. Il vise à l’efficacité sur des objectifs précis, rapidement réalisables et souvent situés dans un rayon de proximité. De ce fait, les engagements se renouvellent, se croisent, s’additionnent dans une apparente instabilité. Ces formes erratiques montrent bien la désuétude dans laquelle est tombé l’engagement partisan. Autrefois justifié par les appartenances et les affiliations auxquelles se soumettaient les individus, avec les traditions familiales, religieuses ou l’adhésion à un parti politique, l’engagement contemporain tend à devenir essentiellement affaire individuelle. L’individu ne se définit plus dans des collectifs repérables et pérennisés, il procède plus par pulsion, souvent inspiré par ses réactions émotives. De nouveaux rituels se mettent ainsi en place. Au formalisme et à l’épreuve initiatique imposée de fait pour adhérer aux anciennes structures collectives succèdent maintenant une modalité de rassemblement plus spontanée au gré parfois de ce que propose le flux télévisuel. C’est le cas typiquement lors des retransmissions sportives qui exaltent la fibre nationale ou lors des « marches blanches », protestation silencieuse contre la violence faite à des enfants. L’affaire Dutroux, en Belgique, a initié le genre reproduit depuis dans presque toutes les affaires de mœurs portées à la une des journaux télévisés. Ce processus, d’ordre sociétal, prend la forme, pour certains sociologues, d’un processus de long terme (Ion, 2001) où le « pâtir se transforme en agir ». La volonté de s’assumer en toutes circonstances, même dans les cas difficiles de maladie grave, constitue un autre trait de la redéfinition de la grammaire de l’engagement social. Les mouvements de malades, Act up par exemple pour le Sida, ont contribué largement à renouveler le rapport entre les médecins et les malades et ont joué un rôle important dans la lutte contre la stigmatisation sociale. Derrière ces actions se manifeste un changement profond de la relation de l’individu au savoir. La crise de l’école avec son modèle encore largement impositif s’explique en partie par ce mouvement de fond. Désormais, le désir d’être associé à la production des connaissances, de voir reconnue la valeur de l’expérience devient une aspiration de plus en plus partagée, en particulier dans les classes les plus jeunes. L’idéal éducatif tel qu’il est hérité du modèle de l’école républicaine est en déclin dans son expression uniformisée à l’usage de tous. L’égalité n’est plus un principe abstrait, elle s’assume dans des situations concrètes où l’individu est seul pour décider s’il est concerné ou pas. L’ensemble de ces comportements traduit une rupture tellement conséquente et tellement rapide qu’il oblige à réfléchir au-delà des apparences pour comprendre leur généralisation. Alors que la génération des Trente Glorieuses arrive à l’âge adulte dans une société où « l’ascenseur social » fonctionne bien et où l’acquisition d’un diplôme équivaut à coup sûr à l’obtention d’un emploi, la génération actuelle est soumise à la rareté du travail, à sa précarité et, plus grave, à la dévaluation du diplôme qui n’assure plus automatiquement la promotion sociale. Tout commence donc par une perte de la croyance en un avenir assuré. Dès lors que demain risque d’être pire qu’aujourd’hui, la représentation du temps s’en trouve profondément modifié. Il s’agit « moins de se battre pour des lendemains meilleurs sous l’auspice du progrès que de conjurer de nouveaux risques envahissants (pauvreté, saccage de la planète, tensions internationales, terrorisme… » (Ion, 2001). Le

67 moteur de la mobilisation résulte de la prise de conscience du risque, multiforme et généralisé à l’échelle de la planète. Les traits caractéristiques des nouvelles formes de relation articulant les dimensions individuelles et collectives n’ont donc rien d’aléatoire. Leur récurrence permet d’en dresser un inventaire qui propose la matrice d’une possible grammaire de l’engagement dans la société contemporaine par opposition à celle en cours dans la période des Trente Glorieuses. Le tableau suivant dégage les principaux traits de l’évolution :

Les formes de l’engagement collectif

A. Lors des Trente Glorieuses

Structures : verticales, hiérarchisées partis politiques, syndicats, religions Modes d’appartenances : par tradition familiale ou de corps professionnel par affiliation partisane Durée : longévité et unicité Perspectives : globales, effets à long terme de combat avec la primauté de la lutte des classes autour d’un « Programme commun » pour changer la société Modes d’action : manifestations annoncées et contrôlées

B. Dans la période actuelle

Structures : horizontales, hors hiérarchie associations, mouvements sociaux, ONG Modes d’appartenances : au coup par coup par réaction émotive autant que par analyse politique Durée : ponctuelles et plurielles Perspectives : limitées au temps présent souci du résultat rapide Modes d’action : coups médiatiques, violence éventuelle pragmatisme.

Conclusions (forcément provisoires)

La méthode utilisée pour questionner les mutations de l’espace public s’apparente au « carotage » propre à la recherche pétrolière. Ayant repéré empiriquement des zones d’incertitude et de remous, nous avons décidé de les explorer de manière un peu plus systématique. A l’arrivée, des récurrences sont repérées dans des domaines apparemment éloignés les uns des autres. Elles ont permis de dégager des convergences a priori inattendues tant les comportements individuels et les matrices des recompositions collectives s’éloignent des modèles de référence classiques auxquels la société a été habituée pendant de nombreuses années, en particulier depuis la période de refondation issue de la Libération. Pourtant, s’il est possible d’affirmer que ce qui se passe sous nos yeux quotidiennement ne relève pas de mouvements incohérents, il reste que la refonte en cours n’est pas encore stabilisée et que ses effets à long terme sont difficiles à prévoir. Sans céder à la nostalgie d’un passé sublimé, on peut toutefois prendre en compte les questions posées par certains chercheurs quand ils se demandent si « l’intrusion de nouveaux acteurs, parfois intra-

68 étatiques, dans la délibération publique et si la dérégulation du croire et des Institutions avec la délégitimation du politique ne produisent pas une forme de néo institutionnel contraire à toutes les valeurs centrales de cohésion dans la société » (Etienne, 2001). A ce stade de la réflexion, seule l’identification de l’enjeu est clairement établi.

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Auteur

Jean MOUCHON Professeur des Universités Université Paris X Département des sciences de l’information et de la communication Directeur du CRIS

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