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Adolphe Joseph Reinach

Noé Sangariou: Étude sur le déluge en Phrygie et le syncrétisme judéo-phrygien, Paris : A. Durlacher, 1913, 95 p.

Ce document fait partie des collections numériques des Archives Paul Perdrizet, le projet de recherche et de valorisation des archives scientifiques de ce savant conservées à l’Université de Lorraine. Il est diffusé sous la licence libre « Licence Ouverte / Open Licence ».

http://perdrizet.hiscant.univ-lorraine.fr NOÉ SANGARIOTJ tTUDE SUR LE D~LUGE EN PHRYGIE

ET

LE SYNCRÉTISME JUDÉO·PHRYGIEN

PAR

Adolphe REINACH

PARIS LIBRAIRIE A. DURLACHER 83 bis, RUE LAFAYETTE

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LE SYNCRÉTISME JUDÉO·PHRYGIEN

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PARIS LIBRAIRIE A. DURLACHER 83 bis, RUE LAFAYETTE

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1 NOÉ SAN<;ARIOU

ÉTUDE SUR LE DÉLUGE EN PHRYGIE

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LE SYNCHÉTISME JUDÉO-PHRYGIEN VERSAILLES. - IMP. CERF, !)9, RUE DUPLESSIS. NOÉ SANGARIOU

~TUDE SUR LE D~LUGE EN PHRYGIE

ET

LE SYNCRÉTISME JUD~O·PHRYGIEN

PAR

Adolphe REINACH

PARIS LIBRAIRIE A. DURLACHER

83 bis, RUE LAFAYETTE

1913

NOÉ SANGARIOU

ÉTUDE SOR LE DÉLUGE EN PHRYGIE ET LE SYNCRÉTISME JUDÉO-PHRYGIEN

L'idée du présent mémoit·e est due à une découverte qui en explique le tit l'e. Le nom de Noé Sangariou, lu sur une épitaphe trouvée clans les fouilles de Tllasos, m'a aussitôt suggéré que, si l'on pouvait prouver que Noé fut un des noms portés par l'hypostase de la Grande Déesse J:?lu·ygienne connue généralement sons le nom de , fille elu Sangarios, le fleuve de Cybèle, on pourrait clé­ duire de ce fait, pour la localisation à Apamée en Phrygie de l'Mche de Noé, une explication meilleure que celles qui ont été jus­ qu'ici proposées. 2 NOÉ SANGARJOU Des recherches ultérieures m'ont permis de réunit· une abon­ dante série de faits qui ne justifient pas seulement cette hypothèse. On verra que le syncrétisme judéo-grec a créé un personnage de Noé1·ia, où se confondent la Sibylle judéo-chaldéenne, fille de Noé, et la Sibylle phrygienne, en qui s'incame, dans le cortège de la Magna Mater phrygienne, le génie des eaux prophétiques ; bien plus, jusqu'en ses moindt·es détails, s'est éclairée celte localisation de la montagne de l'arche à Apamée Kibôtos, qui était restée pleine de mystère. Apamée n'est pas seulement devenue la ville de l'Arche parce qu'on pouvait voir dans Ribdtos le nom grec de l'Arche, mais parce que la ville s'était appelée jadis Nôrikon et qu'elle avait eu une légende diluvienne dont le héros pouvait être assimilé à Noé. Les faits rassemblés se sont laissés ordonner en quatre cha­ pitres dont on peut résumer ainsi la teneur:

I. Existence d'une divinité phrygienne des eaux, correspondant à la Naïs grecque, et dont le nom se pr~sente sous une série de variantes: Na-Nana-Naé-Noé. Fille de Nannakos­ Annakos, héros du déluge phrygien, qui sera confondu avec Hénoch-Noah, elle deviendra, dans la légende judéo­ phrygienne, Noéra, fille de Noé. IL L'arc.he de Noé à Apamée : les monnaies, les textes. La légende doit s'être fOI'mée dès la fio du m• siècle avant J.-C.; on la peut suivre jusqu'au milieu du m• siècle après J.-C. III. Les vestiges d'une légende phrygienne du déluge et les rap­ ports primitifs des Phrygiens avec l'Arménie et avec la Syl'ie. Comment la montage de l'arche - Ararat ou Baris­ a été transférée en Phrygie, au-dessus d'Apamée. IV. Juifs et judaïsants en Phrygie. La Sibyll e et la fill e de Noé.. Comment s'est opérée la fusion entre la tradition phrygienne et la tradition biblique du déluge.

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Une épitaphe, recueillie en 1911 dans la néct·opole de Thasos, pot·te, en caractères du rue ou du n• siècle avant nott·e ère : NOT-I ~Arr APIOY rTNH 1 . Noé, f emme de Sangm·ios. Ces deux noms sufûsentà nous reporter en plein monde pht·ygien , dans le cycle du culte de Cybèle Pour eu ex:pliquef' la présence à Thasos, on n 'est pas réduit à rappeler le

L Petite stèle de marbre. H. 0.33. L. 0.2i. Ep. 0,055. Elle 'scra reJJroduitc en cul de lampe. NOÈ SANGARIOU 3 voisinage de Samothrace, dont les cultes présentent tant d'analo­ gies avec les culles phrygiens. Les recherches poursuivies en i9i i à Thasos ont mis hors de doute l'existence d'un temple de la Mégalé-Méter, appelée sans doute plutôt MqocÀ'T} 8ëoç, ou ~ 8ëoç tout court. On possédait déjà la dédicace qu'une femme peintre lui fait du tableau où elle l'a représentée 1; un bas-relief où la Mère des Dieux trône entre des lions a été trouvé muni d'une· inscription qui 2 permet de croire qu'il supportait une autre image peinte de la déesse • D'ailleurs, il suffirait de rappeler la parenté originelle entre Thraces et Phrygiens que l'antiquité avait déjà reconnue, que l'onomastique rend de plus en plus évidente et que les progrès de nos connaissances dans les domaines de l'histoire et de la religion confirment chaque jour. Le nom de Sangarios, comme nom d'homme, se retrouve en face de Thasos, dans le Pangée, dès le 1v• siècle 3. Il rentre dans une série qu'il n'est pas seul à représen­ ter : les noms de cours d'eau, généralement divinisés, qui deviennent noms d' bommes. La forme la plus répandue de cette variété de noms théophores est celle dont Hermoddros ou Skamandroddros sont des exemples bien connus ; parfois le nom propr·e n'est que l'adjectif tiré du nom du cours d'eau, comme Skamandrios ou Hermias ; parfois, enfin, l'homme prend simplement le nom du cours d'eau divin : c'est ainsi que l'on trouve, à Thasos et sur la côte en face où se jette le Mestos, Mestos, Mesté ou Mestouzelmos ". Noé rentre aussi dans cette catégorie des noms de cours d'eau divinisés. Énumérant les affluents méridionaux de l'lstros, Hérodote nomme, comme rivières traversant le pays des Thraces Krobyzes, "AOpuç xal No'Tlç xal 'Ap-rocv'Ylç 5 • Le premier de ces noms se retrouve à Thasos dans celui du médecin Athryïlatès, ami de Plutarque, tandis que le troisième est aussi celui d'un fleuve de Bithynie; il est d'au­ tant moins singulier de retrouver le second à Thasos et en Phrygie.

i. 1 G, XII, 8, 378. 2. Il sera publié incessamment par Ch. Picard dans les Monuments Piat, ainsi qu'un de ces petits naoi de pierre où la Mère des Dieux est assise, voilée, qui étaient l'ex­ voto accoutumé dans ses sanctuaires. 3 . Cf. l'épitaphe de 'Excmxf't} :Eccyya.p[ov, citée par Perdrizet, Cultes et My Lites du Pangee (1 910}, p. 86. On sait que les Grecs ont donné le nom d'Hécate à une divinité thraco-phrygienne qui portail un wand flambeau dans chaque main, Bendis en , Nemésis en Carie, etc. Dans le Montanisme, h é ré ~ie pénétrée de rites phrygiens, un p-rand rôle était joué par· sept vierges vêtues de blanc portant des torches : Hélcataié, comme Noé, appartient donc au cycle de la Magna Mate1· phrygienne. 1., Cf. IG, Xl!, 8, 471, 621, 630, etc. 5. Hér., IV, 49. Procédant en sens contraire, Pline énumère, lU, !.49: Utus, Asamus, Ieterus. L'Iele1·us ou Ielros était évidemment identique à J'Athrys, Iantra ·mod•!rne, J'A1·tanès à J' Utus (Vit moderne) ; donc l'A.samus-Noès est l'Osem. 4 NOÉ SANGARIOU

Cependant, cette association de Noé et d'un Sangarios ne saurait passer pour une rencontre fortuite, d'autant plus que le nom de Noé peut se donner à des cours d'eau. Valerius Flaccus pal'le encore 1 du dos glacé du Noa • Le Noès-Noa doit être évidemment rap­ proché du Noaros, fleuve danubien qui a donné son nom au Norique : on verra que Nô1·ikon est un ancien nom d'Apamée Ki­ bôtos. Puisque, l'existence d'un culte de la Mère des Dieux est attestée à Thasos, ne doit-on pas voir en Noé le nom d'une de ses . prêtresses, nom qui, comme celui de son époux, serait emprunté au cycle des personnages divins figurant dans la légende de la divinité principale ? Il suffit de rappelet· ces grands prêtres de Pessinon te qui s'appellent Atlis ou Baltakès, ceux d'Olbia en Cilicie, oü 1111 Aias a lterne avec un Teukros. Nous sommes donc amenés à rechercher quell es sont les fi gures divines de la légende phrygienne dont Noé e l Sangarios ont pu emprunter le nom. Le rôlequ'y joue le grand neuve de la Phrygie est bi en connu. Arrosant Pessinonte, le Sangarios ne pouvait manquer d'être introduit dans la légende de Cybèle. On en fit un roi, père de Nanas qui conçoit du fmit du grenadier né du sang d'Agdislis. Après avoir enfermé sa fille, Sangarios fait exposer son pe ti L-flls. Dans 2 celte tradition, conservée par Alexa11dre Polybistor , le nom de ·sangarios paraît avoir é té expliqué par le thème de l'exposition sur un fleuve d'un Attis-Sangas et il suffit de rappeler Moïse sauvé des eaux pout· qu'on admette que ce thème légendaire grec n'a pas Jù sembler étrange aux Juifs. D'aillems, les versions ont dù vari er 3 suivant les lieux de culte : comme tels, à côté de P essinonle, les

1. Al'g., vt, 100: tel'ga Noœ. 2. Tirnolhéos r.lans Amobe, Adv. Nat.,l,6 (extrait ù'uu 1tEpl 11:ota~.wv 11 0 11 releve ùaus les F II G, IV , 522) d'après Steph. Byz, s. v. r puy io;; r.le Polyllistor. On ve r..a que c'est it cet ouVI'agc qu'ont surluut puise les aJTangcurs it qui l'on doit le syncrétisme judéo-phrygicu. Patisanias, VIIT , 11, H, puise chez Polyllistor ou directement it la tradition pessinou­ tine. 3. Cf. H. Hepding, Attis (t\J03), ll. 1.07, el J. Toutain, Rev. de l'Ilist. des Rel., 1. 909. Dans sa thèse sur l'Ordalie en Grèce (1\JO->), G Glotz a montré que le saut dans la mer ou d ans un fleuve ressorta it au rllème ordre d e rites que l'exposition sur la mer ou sur un fl euve. Un~ version attribuait Je nom de Sangarios a ce que Sagaris ou Saggas fils de Mygdon (Plutarr1ue) ou d e Midas (Etym. Magn. ), rendu furieux par la Mère des Di eux, riant il avait vilipendé les mystères, se j eta dans le fl euve d e l'cssinoute (Ps.­ Plut, de Pluv., 12,1. ; Etym. Magn., s. v.; · Schol. Apoll. Rhod., n , 722, extrait ri es Phygiaca d 'Hennogéuès, P H 0, m, 521;,1. ) ; c'est en vain que I'Etym. Mu.gn. veut disting uer un fl euve I:

1 monnaies attestent Nikaia et Juliopolis en Bithynie , dont le San­ garios arrosait le territoire , il paraît y avoir été plutôt désigné sous le nom de Sagal'is, ce qui explique que Nana, mère ou amante 2 d'Attis, soit appelée Sagaritis • Sagaris est donné comme fils de Midas ou de Mygdon, rleux noms qui sont sans don te cla ns le même rapport qu'Attis avec . Comment expliquer ce nom de Sangarios ou Sagaris ? Deux hypothèses sont ,possibles. On peut le rapprocher de Sangar, le nom que des documents égyptiens donnent à la Dahyl.onie, nom qui s'est conservé dans la ville de Singara ; ce nom vient peut-être du Sangoura ou Sagoura, affluent de l'Oronte qui arrose le Khat­ tina, un e des pl'incipautés hétéennes de la Syrie du Nord, ou du Sagour, qui se jette dans l'Euphrate un peu au sud de Karkhémish ; un roi de celte ville s'appelle San gara. Si l'on admet ces rapproche­ ments, Sagarios serait un nom hétéen que les co nquét·ants phrygiens auraient déjà trouvé donné au fl euve comme ils trouvèrent sans doute l'Halys, l'autre grand fl euve du plateau anatolien, portant déjà son nom, qui entre dans la composition de noms royaux hétéens - Doudhalia - comme de noms royaux lydiens - 11 Alyattès • On peut y voir une simple personnification de mfyo:ptç, ce terme par leqnr-1 Héi·odote et Xénophon désignent une sorte de hache-pic dont se servaient les et les Scythes, cette hach e qui se tet·· mine d'un cô té par un tranchant, de l'autre par une pointe, qui est bien connue comme arme des Amawnes. On conçoit aisément que cette al'me ait donné son nom à des peuplades iraniennes comme les SagaTtioi ou les Sagaraioi, peut-ê tre même aux Sakai et

1. Voir pour ces monnaies Babelon-Reinach, Recueil des monnaies g1·ecques d'Asie-M·ineu1·e, I, s. v. On sait que Juliopolis et Nikaia remplaçaient deux villes très anciennes: Gordioukômé et Ankoré. 2. Ovide, Fast. , IV, 229. 3. Sur Singar-Sangara, cf. Imbert, Oriental Records, Y, n . 9; Dhorme , Revue bibli­ qtle, 1910, 59-68. On pourrait voir l'indice d 'un élément phrygien à Singar dans le fait que le fleuve qui l'arrose est. nommé Mygdonios et la rét>iOn Mygdouie. En pu­ bliant l'épitaphe d 'un Awyiv"IJÇ l:otyotpiov de Pessinonte, A. Koerte, Ath. Mill., 1900, .!J,!, a donné tles références sur Sagarios co mme nom de personne, en remarquant q uï l est écrit avec un y en Phrygie ; on a vu qu'il l'est avec d eux eu Thrace. Depu_F la liste s'est enrichie : ainsi un !:

1. Voir mon article Secut·is dans le Dict. des Antiquités avec les compléments Rev. Ilist. Rel. , 1912, u, 269. Il faudrait penser à la même racine sek-sa!c qui a donné secu1·is, secespita, sacena. 2 . C'est l'hypothèse deR. Eisler, Philologus, 1909, p . 126. On verra plus loin, à propos de Baris. l'explication anciennement admise- Bérékyntlws rapproché du Berezat du Zendavesta, l'Elbourz des Persans modernes - et l'hypothèse qui me paralt pré­ férable où Berekynthia est rapprochée du nom des Berekyntes, tribu des Phrygiens de Macédoine. 3. La fille de Sangarios est appelée Eùv611 dans le Schol. Hom. Il., xvr, 718. 4. Phérécyde l'àurait nommée Eùay6pa ou Eùpv6611 selon Schol. Ew·, Hec ., 3 . Peut-ètre faut-il lire plutôt Eupvv611. En effet, un extra it d'Alexandre Polyhistor paralt associer une Gor·&ia et une l!:u rynoé à la fondation de Chytroi en Chypre (Steph. Byz., s. v. Xv-r ,o oi). L'existence d'un doublet Eurythoé·Eurynoé peut s'appuyer sur· les doublets semblables Alkinoé·Aikitlwé, Leukonoé-Leukoth oé, etc. NOÉ SANGARIOU 7 avec des suffixes diminutifs, Nrxvv:fpwv, Nrxvv7JÀlç; au lieu de la racine na on a la variante no dans Ndvvoç, Novvrx , Ndvwv; la variante nou dans Nouviiç, Noûvrx, Noûv7J, Noûvvoç, Nvûvoç la variante ni dans Nivvtç, N!vvtov, Nlvo:tç; N!vtxrx; la variante ne dans N -~vtç, No:vlipwç, No:v7JV1Jv -~; avec un pl'éfixe augmentatif 'Evrxç, "Avvrx, ''Avvwv, "Avvrxxoç, 'Ivcî.tç; en combinaison avec un autre nom, ou placé ap!'ès, Ncl.vvrxxoç , N7.vvetp.drxç, Nrx\1 t'tO!X. Nrxvo~rxÀcl.p.u poç, No:vtdp.tç ; 1 ou placé avant, 'App.ou-vrxvk, TEot-v7Jvlç, Iloo7tô-v7Jv{ç • Ainsi, quand les auteurs gl'ecs parlent d'Eunoé ou de Naïs comme nom de la fille de Sangarios, on peut penser que leurs sou1·ces ph1·ygiennes la désignaient sous une des formes du même 2 nom divin qui vont de Na à Noé • De ces formes, Noé ou Noa paraît celle qui est particulière à la Phl'ygie du sud, la région phrygienne qui s'étend des ft'ontières de la Carle à celles de la Cappadoce, comprenant Isaurie, Lycaonie et Pisidie et dont Apamée est le centre. Ce n'est pas seulement la ré­ partition des noms de ce type qui l'atteste, c'est aussi le nom indi­ gène d'une des grandes villes de cette région: Ninoé. Bien qu'Aphro­ disias, dont le nom indigène serait Ntvd-~ d'après Etienne de Byzance, rasse officiellement parti e de la Carie 3 , elle appat'Lient à cette partie 1 . Ce tableau des formes est celui de Kretschmer, Einteitung in die Geschicltte d. [!Tiech. Sprache, p . 340-5, autrement classé et .enrichi. Ainsi Nouvo~ est connu par Calder, Klio, 1910, Inscr. of Lycuoaia, n. 15 ; Novvot par .Tourn. HeU. Slud., 1911, p. 171; Nivt~ par Am. J. ATch., 19 10 , p. 4 15 ; NEVVYJVYJ '~ par· Ke il-Pr·èmerstein, Reise in Lydien, l, n. 178 ; 'Iva'i; par Wiegand, SechsleT vol'liiufiger· Berichl über lllilel, 1908, p. 23. Nin ika est une ville de Cilicie. Je verrais un dérivé g?'éco·r·omanisé de Noé tLllls le nom de Julius N6YJ~Oç, !J ymni>de à Pergame a u temps de Traja n (Fraenkel, Insch1·. von P., 374 A. 26). Un autre Non?io:;. Ne pouvant con­ server un nom aussi é vocateur du paganisme, Aplrrodisias reçut cel ui de L

N.-E. de la Carie qui, elhnograpbiquement, se rattache ü la vallr'e du Méandre, dont elle n'est séparée que par la chaîne elu Kaclmos c t: du Salhakos dominant au nord les hautes plaines de Ta bai et d'A phro­ disias. Bien entendu, Ninoé ne saurait êtl'e mis en rapport aver. <

s. v. X1ovŒatopk, FHG, IV, 31!, 8), attestaient seulement que Ta.uropolis était .uue ville voisine de P larasa et de Chrysaoris, dite aussi Hydrias.ll incline it rapproclt er son uorn du Tauru> .. ll me semhle que le nom (à rapprocher de illaslaura ;\propos d e laquell e Stéphane de Byzance note qu'on sact·ifiait. un taureau à Mil, a llusiuu Jll·o!JaiJie au t(lu ­ r obolel, doit èlt'C p lutôt en ritpport nec le .culte du taureau hien cuunu en Cat·i e, et que, pour explique,· qu'Aphrodisias soit devenue Staut·opolis, il faut admctlro que 1\ w­ ropoli s était une localite toute voisiue (cc que fait Ra msay, Cilies and Bishoprics, l , p. 188. Un nouveau métropolite de Stauropolis dans Rev. arch. 1912 J, p. o:H). 1. Cut'lius, Hist. grecque, I, pp. 89 ct 149, mpprod 1e encore Ninué de Niuive en s'appuy:lllt sur la conquête de la Phryg ie prètée ;, Ni nos l'Assyrien (Diod., n, 2; Plat., Leg., p. 685). 2. Rappelons qu' une autt·~ •ille de la région porte peut-èlrc '"' uurn de mèmc type , la AuowoYJ d e Polybe et de Tite Live, entre Sagalassos et Cormasa. 3 . Hollcaux_, Bull. Corr. flell, IX, p. 80; Th. Reina h, op . cil., p. 92. 1._ Cf. p. ex. da ns Reinach, op . cil., les iuscr. 71, 88 et 126. Mithridate avait étendu son droit d'asile que César et. Til.lèt·e confirmùrcnt Tac., Ann., lll, 62; Cig., 2375. 5 . Reinach, op. cit., p. 243. 6 . Un extrait du II;pl K

Diodore (H, 2). Mais tout ce qu'on mettait nag- uère (c'est encore le système de Hadet dans sa L!Jdie ait lemps· des Jlfermnades) en Lydie au compte d'un élément sémitique repré>e nte petr les Leuko-Sy ri uus tic Siuope et les Assyrious ùu Si))ylc, est allri i1U é aujourd'hui à un é l é m ~ ut hétéen. Ninos ost prob s que porle 1' 1-l er·cu le ln r,al tles G; trusques de Curtone (Cf. P. Ducati, R. C. Act: Lincei, 1910, p. '175). On a vu que Nanos est une des variilntes ùu nom phrygien Nas (ainsi à Pessinonte, Ath. Mitlh., '18\•1 , p. t,B ). 1 . Ou pourrait invoquer que. Ni noé pi.Lssait pour foutlér. par- des p,·:l asges et habitée par des L ·:tcges, pr·èùecesseurs des Cari ens, tl'oü le nom dt' Lele0ùnpoli s qu'ell e aurait !JOrté. D'antr·e part, le Naoas-Nanos de Co r-tone P"-Ssait l-'our· s'y ètrc établi a la tète des Pélasges chassés de Larissa, ct Oll à en ri.Lpp:·ucl•er Zeus Naos, le ùieu pélasgique de . 2. C. lluresch, Aus Lyçlien, 1898, p. 118 . 3. Callimaque, 11. Jov . iO, 16, 19, 39 . 4. Voir· les ar·ticles Anâltila-Anaitis de Cumont d ans le Pauly-Wissowa et dans l'Encyclopœdia ·of Relig·ion. L'existence de la ville d'AnaiŒ près d'Éphèse permet de croire qu·nne dées.ie anatnli <: nne a été aussi adorée à J'o ri gine à l~ ph tise sous une forme iulerm.;diaire entre Noé et Anâhita et JH'ètant à la fusion i.lvec toutes deux. fO NOÉ SANGARIOU Eunoé, Eurynoé, Glaukonoé, Hipponoé, Iphinoé, Kléonoé, Leuko ­ noé, Méllnoé, Oinoé, Peisinoé, Phémonoé, Philonoé, Pronoé, Po­ lynoé, Protonoé, Thelxinoé, Théonoé, etc. Quel que soit le sort particulier que la mythologie ait fait à ces personnages - faisant d'Autonoé la fille de Kadmos, d'Alkinoé la sœur de Kalchas, ou d'lphinoé, tantôt l'une des Proitides et tantôt la mère de Dédale -, tontes semblent pouvoir· se rattacher à des :;ources. S1!-ns doute, vd·'l a bientôt pris pour les Grecs un sens voisin de vovç, et on a fait de Dinonoé une des Ménades, parce que la liqueur de Bacchus « tourne la tète ))' de Peisinoé une Sirène chez Apollodot·e et Aphrodite chez Nonnos. parce qu'elle « séduit les esprits», de Thelxinoé, qui << char·me l'esprit,, une des Muses primitives ou une des compagnes de Sémélé, de Pronoé la « Prévoyance >> ; mais ce sont là autant de combinaisons posté- rieures, variées par l'ingéniosité hellénique. A l'origine, ce sont toutes des Nymphes ou Naïades. Pour cer­ taines, leur nom nous est connu comme celui de sources réputées, telle Arsinoé, source à Messène, Alkino ~ et Leukonoé, som·ces et nymphes à Tégée 1 ; Théo no é et Anchinoé passent pour filles du Nil 2 ou de Protée, son frère, Iso noé est une des Danaïdes • L'ancienneté de ce car·actèr·e de di vi ni té des eaux ressort déjà des textes, puisque At1tonoé, Polynoé, Pronoé et Hipponoé sont filles de Néreus et de Dôeis dans la Théogonie 3 et que c'est aussi à Hésiode que remonte la légende cie cette déesse de la mer dont le nom est surtout connu sous la forme Inô-Lenkothéa, mais pour laquelle on a tracée des dou­ blets lphinoé-lnô et Leukothéa-Leukonoé. Même sans ces doublets, il suffit de se reporter à notre liste de variantes de Na-Noé pour se convaincre qu' '' Iv on E1v peut y rentret· et qu'elle est à Inachos, fleuve argien dont on üt le roi sous qui se serait produit le déluge, r,e que l'on verm que Noé est sans doute à Nannakos. Inô a pu rem­ placer Noé sur les monnaies de Kibyra où elle ügure. De même, cer­ tains noms divins en naé ressortent à la même série, tels Danaé, «la donneuse d'eau "• dont la légende reconHe un rite pour· l'obten-

1. Paus., VIU, 47, 2 et 1. D'après Hé>yclt ius, voa. signilie sou·tce en crétois. L'Oivo'l} d'Argolide serait appelé aussi Oivwa. (Wilanowitz, Hem/des, Il, p. 91). 2. Scl10l. Apoll. Rhotl., 1, 230. 3. Voit· la li ste des Néréides dans l'art. Ne>·eirlen du Lexikon de Roscher. Aux indices qu'on y trouvera pour mettre N'l}-~1\erme qu'on trouve sous sa forme simple dans le nom des divinités des eaux, ND-\a.aEç ou N7j "tciasç 3 • Les anciens déjà ont vu dans les Naïades la personnification des eaux courantes"· Et il n'est pas

1. Sur ces rain-chai·ms, cf. Frazer, The Golden Boug ft: The Magic Art, I ; p . 250 et suiv., notam., p. 21 3. Pour l'autre partie d e la légende de Danaé, la femme nue coupable exposée dans un tonneau, d'autt·es contes valaques sont indiq ués pat· llsener, Die Sint(lutsage, p. 108 . Cf. aussi A. Wirth, Danae in clt?·istticlten Legenclen (Vi enne, 1892). La légende bien connue du tonneau des Danaïdes doit avoir également été influencée par un ntin-chw·m consistant a verser de l'eau dans un récipient sans fond. On sait qu'on leur attribuait, ainsi qu'a leur père Da naos, l'invention de tous les travaux de canalisation et d'irl'igation. On connait les rappor ts étroits qui unissent Persée ainsi que Proitos avec la Lycie et la Phrygie ; pour Akt·isios, le père de Danaé, il faut relever la glose d'Hésychius: 'Axpt criaç, Kpà•,oç. n:ar;èt puÇiv. Quant au nom même de ll anaé, je le rapproclt erais de la série de noms de fl euve thraco-scythes, Danaïs-Tanaïs, Danapris (Dniepr), Danastris (Duiestr), Da nube. Le premier a de Danaé est bref ; il etl est de même dans M voç, datar, dal.rix. Le nom de Dan<\ a été J10rté par des femmes en Thessalie, 'E

naé, Oest. Jah>·eshefte, 1.908, p. 23 , Ath. M·itt., 1910, p. 334. Le rapport entre vŒv;, le navire, et v«Ô;, le temple, est toujours mystérieux, bieu que nous parlions aussi du vaisseau ou de la nef d'une église. On a supposé récemment que le nô; primitif devrait son nom à ce qu'il était une grotte à source sacrée. (H. ~!n chau , Pfahlhaus­ bau und G1'iechenlempel, Jena , 1 909). 1 . A propos d'une monnaie de Dodone a u type de Zeus Naos, Th. Rein ach a ri:uni les textes r elatifs à ce vocable ci e Zeus, dont Niio; parait la forme plus ancienne. d Nci:o; la forme dérivée, [{ ev. Arch., 1905, u , p. 91-102. Ces textes mèmes attestent que Zeus Naos est hien " p rimitivement ·le numen d 'une source b ruissant sous les chènes "• et nnn, comme l'auteur de rarticle le propose, un Zeus " arche», en prenant 'l:t

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Ceci acquis, nous pouvo11s poser su1· nn te1Tain solide la ques tiou qui est l'objet essentiel ci e ce mémoire : Ile sera il-ce pas le culte de cette déesse Noé ù .ipauJée-Kibôtns qui r•xpliqueriat l'àdoption de la légende du Noé üiblicp1e que les n10nnaies de celle ville attestent pour le me siècle de notre è re ? On sait que le revers de gr·ands bronzes frappés sous Septime Sévère (194-211), Macrin (2H-8) et Philippe l'Ancien (244 9), montre un cofl're ouvel't sur lequel est écrit NQE et d'oü SO I'lent les bustes d'un homme e t d'une femme; le col-J're est porté Sltl'les nots ; tlll oiseau est posé au sommet ; vers lui vo le un autre oiseau . UJI rameau entre les pattes; à côté de l'arche, les deux personnages sont roprésentés debout, marchant, la main dmite levée, dans un 3 geste d'adoration ou d'acclamation •

:! . Voir les références à l'article Fluss.gottu, d'O. Wascr, dans la Real-Ency­ lclopaedie de Pauly-Wissowa. ~. Auj . [ne, cf. l'Inô en qui se serait muée la Noé de Kibyra (p. iO ). :3. On trouve1·a toute la bibliogr~phi e de ces pièces, fJIIi remonte à 1668, dans J'art. de F.-W. Madden, Nu mismatie Chrouicle, vr, 1866, pp. :! 73 - 220 (elle est reproùuite, disposée en OI'di'C alphabétique et mise à jour, par H. Leclcrcq dans l'art. Apamée du Diclionnaù·e d'Archéologie chrétienne). Je ne donne ici que les indications essen­ tielJes : i• Avers : AfT· K· A· CEDT· CEOfHPOC llEPTI. Buste de Septime Sévère, à dr., lauré, avec paludamentum et cuirasse. NOÉ SANGARIOU Il y a longtemps qu'on a reconnu ici la légende juive de Noé. Voici comment M. Babelon a résumé l'opinion que l'autorité de Lenormant a fait généralement adopter' : En Phrygie, la tradition diluvienne était nationale comme en Grèce. La ville d'Apamée en tirait son surnom de Kibôtos ou "arche», préten­ dant être le lieu OLl l'arche s'était arrêtée. lconion, de son côté, avait la même prétention. C'est ainsi que les gens du pays de Mi lyas, en Arménie, montraient, sur le sommet de la montagne appelée Baris, les débris de l'arche, que l'on faisait aussi voir aux pélerins de l'Ararat, dans les pre­ miers siècles du christianisme, comme Bérose raconte que sur les monts Gordyéens on visitait de son temps les restes du vaisseau de Hasisatra (le Noé chaldéen). Dans le ne et le m• siècle de l'ère chrétienne, par suite de l'infiltration syncrétique de traditions juives et chrétiennes qui pénétt·ait jusque dans les esprits encore attachés au paganisme, les autorités sacerdotales d' Apamée de Phrygie firent frapper des monnaies qui ont pour type l'arche ouverte, dans laquelle sont le palria1·che sauvé du déluge et sa femme, recevant la colombe qui apporte le rameau d'olivier, puis, à côté, les deux mêmes personnages sortis du coffre pour reprendre possession de la terre. St: l' l'arche est écrit le nom de Nw•, c'est-à-dire la forme même que revêt l'appellation de Nôa'h dans la ve1·sion grecque de la Bible, dite des Septante. Ainsi, à cette époque, le sacerdoce païen de la

R.: EIII AfQN00ETOY APTEMA f ( = -rô -rpt-rov ). En exergue AIIAMEON; sur J'arche : NOE. Le couvercle de J'arche est oblique par rapport au cofJre. Acquise il Rome pour le Cabinet des Médailles de Louis XIV: Mionnet, IV, p . 231, 201; Head, Il. N., fig. 313 ; Mad den, op. cit., pl. vr; Babelon, op. cil., p. 171 ; Die!; d'A1·ch. clu·élienne, art. Apamée, f. 825 ; Th. Reinach, Jewish Coins (1903). pl. xr. Pilcher, P1·oc. Soc. Bibl. A1·ch., 1903, pl. à la p . 224, n• r ; Ramsay, Cilies and Rishop,ics, pl. n, i. Ici n• 1. ·- Le n• 3 est une seconde pièce, inédite, de la coll. Waddington. 2• A. : AIT· M· OnEA· CEOI· MAKPEINOC CEllA. Buste de Macrin, idem. R. En exm·gue : AIIAMEON, sur l'arch e NOE. Couvercle comme le précédent. Cabinet des Jésuites, puis Cabinet impérial à Vienne; lmhoof-Biumer, G>'Ùlch. Münzen, p. 206; Madùen, pl. vr; Die!. A1·ch., f. 826. Notre n• 2 vient de la coll. Waddington. 3" A. : AYT K· IOYA- IAH! nOC Arr. Buste de Philippe, idem. H. : EII· M· AYP· AAE:::ANI!t.POY B APXI AllAMEQN. Sur l'arche l\OE llolognc ct NO (FlOI'ence). Un exemplaire du cabinet de F lorence est rl écrit par Ottavio Falconi èri en 1668, qui dit en con naître rieux autres dans les coll. Ch igi ct Ottoboni. Un de ceux-ci est sans doute l'ex. de Bologne, l'autre l'ex. du Bril.ish Museum, entré en 1849. L'ex. du British Museum est reproduit par Madden, pl. vr; Ramsay, Cilies, pl. rr, 2; Die!. d'arch. f. 827. · t,• A.: K· IOYA· IA Buste de Philippe, idem. R.: EII· M· AIP AAE:::ANI!t.POr· B· APXI· AfiAMFDN. British Mmenm: acquis d e la coll. Whittall, en i885; Hearl, BMC, T'hrygia, p.101, 82, 1. E. Bab elon, La tmdit_ion ph>·ygienne du Déluge dans Rev. llist. Rel,, XXI!l, 1891, p. 114-83 (réimprimé dans Mélanges de Numismatique, I, p. 165-74). NOÉ SANGARIOU 15 cité phrygienne avait adopté le 1· écit biblique avec ses noms mê mes, et l'avait greffé sur l'ancienne tradition indigène. Ainsi, d'après cette thèse, il y aurait eu chez les Phrygiens, peuple que l'on dit d'origine japhétique, une tradition spéciale et nationale du déluge, laquelle se serait fusionnée avec la tradition biblique après que cette der­ nière eut pénétré jusqu'en Phrygie avec les idées judéo-chrétiennes. La doctrine du déluge phrygien est admise, non seulement par les exégètes et les t:ommr.ntateurs des livres bibliques, mais par les historiens pro­ fanes eux-mêmes . .Après avoir signalé le type des monnaies d'Apamée, Droysen ajoute: <

L'argumentation de M. Ba belon peut se résumer ainsi: ni le nom de Kibôtos. ni la légende de l'arche ne sont connnes avant l'époque hellénistique, même avant le r•' siècle av. J.-C.; Ki.bôtos n'est pas at­ testé avant Strabon, la légende avant les Oracula Sibyllina. Or, on sait qu'Antiochos III ordonna de transplanter en Phrygie deux mille fam illes juives de la Mésopotamie et de la Babylonie et Aparn:ée t'enfermait au temps de Cicéron une population juive si prospère 2 qu'elle pouvait envoyer 100 livres d'or a Jémsalem • Ce serait elle

i. Th. Reinach, Les Monnaies juives, p . 7:1 -2. 2. Pro Flacco, 28. f6 NOÉ SANGA!l!OU qui aurait transporté de toutes pièces la légende du déluge en Pht·ygie. Cette légende n'aurait compris aucun élément indigène. C'est contt·e cette thèse 1 que je voudrais r eprendre ici l'opinion traditionnelle, mais en lui donnant les bases qui lui faisaient défaut · au temps où M. Babelon en a eu facilement raison. Nous avons déjà vu que Noé avait pu être un des noms de la grande déesse pluygienne des eaux ; nous allons r echercher maintenant les traces d' une trÇt dition elu déluge, indépendante de celle de la Bible, qui pe LlV etlt exister en P b.rygie; nous espé1·ons qu'on concluera avec nous de ce double exa men qu'Apamée a é té le siège, à la fois, d'une lége nde in digène d'eaux: engouffrées sons terre e t du cult e de leur cl éesse.

Il fa ut d'abord grouper a utour des monnaies les textes qui se rapportent à la mème tmdition. On verra que la localisation de l'arch e de Noé à Apamée ne r ésulte pas de la fantaisie de q uelque monéta i1·e judaisant ; elle appa rtient à une tradition bi en attestée. Le texte esser1tiel à J'app1·o cher de ces monnaies est un passage du r écit q ue le premi er chant sibyllin donne du déluge. Voici ce que p1·o piJ éthise la Sibylle 2 : Au milieu des violences de l'âge des géants, un seul , Noé, restait homme de jus ti ce etcle vé f"il é. Dleuluiprescdt d'avertirles hommes de revenir a u bien ; s'ils n'écoutent pas ses avertissements, il les exter.nineradans un déluge. Que Noé construise alors une arche de bois dont Dieu lui donnera lui-même le plan. Noé exhorte les h ommes par deux fois. A la fin du deuxième discours q u'il lui prête, l'auteu1· dénonce sa patrie pa r cette prédiction (v. 189-198)3 :

Alors l'Il ni vers entier et les hommes mortels Pé ri1·ont. Et moi, quelll'S lamentations pousserai-j e, qu els pleurs ve rsenü-je Dans ma maison de bois! Combien de larmes mêlerai-je aux tlols! Car lo1·sque surviend1·a cette eau sur l'o1·dre de Dieu . Lors fl ottera la terre, fl otteront les montagnes, tl o lleeal'éluer.

1. Qui a reçu l'approbati on de Schuerer, Gesclt. a. Jüdisclten Vol/ces im Zeilalie1' C!tt·isti, lll (4• éd., 1909), p. 19. 2. La partie qui concerne le déluge va du v. 125 à 283. Le nom du patriarche est écrit N c:O~; comme sur les monnaies et co mme da ns la Bihle ainsi que chez la plU part des auteurs grecs et latins. Les versions la tines d'Eu ·èbe varient entre Noachus et Noemu s, et l'emploi d'une forme ,Voaclws chez les Judéo-grecs résulte du nom de Noachites donné à UIHl secte gnostique. 3. Je traduis vers p

Tout sera eau et tont sera détruit pa1· les eaux. Quand s'anêleront les vents, ce sera le deuxième Age. 0 Phrygie. la première tu surgiras à la surface de l'eau: La première tu nourriras une nouvelle race d'hommes Hecommençant à nouveau : pour tout, Ln seras la nourrice 1 !

Les exhorta tions de Noé restant vain es, Dieu lui apparaît de nou­ veau et lui précise ses instructions Noé les exécute et l'àlxoç ooup

Il y a sur le continent de la noire Ph1·ygie, Une montagne élevée qni se d 1·esse haut da n ~ le ciel : on l'appelle Ararat Pareil que tous devaient être sauvés sur· elle; En elle un grand désir entra dans les cœurs'. De là prennent leur COLll'Se les veines du g 1·and fleuve Marsyas, La, l'arche aborda sur le sommet élevé, Les eau x. s'étant anêtées. C'est là qu'alors, du fond du ciel, A nouveau la voix merveillRuse du grand Dieu fit retentir Cette parole: <• Noé sauvé, loyal et juste, Sors courageusement avec tes fils et ton épouse Et leurs trois jeunes femmes, et remplissez la terre entière, Croissant, multipliant, vous rendant la justice

1. Les vers 193- 6 se retrouvent au livrA VII, v. 9-12. Mais ils sont suivis de ceux-ci, qui montl'ent une tendance toute différente: JJpW't"t) .), dç à.aé~E~o:v &.r.a:p·Jf}a~ 0Eàv o:\rr-1] , 'AHo1; d0wÀo•; x<;.:ctptcrfLÉV'IJ , ilcrcrct cr<, ô"lci}, 'E!;o).Écr<:, 7tol.l.wv 7tsp•·ronop.Évwv i vtctvtwv. Cette idée q ue la P hrygie a été la première a renier le vrai Dieu pour em­ brasser le culte des iJolcs, qui devait la p erdre, revient dans trois passages. Dans lll, 105, on p~rle J e Zeus nourri en P hryg·ie 1e n dehors de la confusion entre l'Ida de Crète et celui Je Troade, ou peut songer aux monnaies d'Aparnée moutraut Zeus nourri par uue chè­ vre et au sommet du Tmole qui s'appelait "Gonai D·ios "). Dans V, 129, (partie com­ vosée pa r uu Juif vers ~0 a près), la Phrygie doit ètre (JUn ie parce que H.héa, la m èr e de Zeus, eu a fait sa ré:;idence. Dans IV, 40 1-9, il est question de la terre p lll·ygiennc, qui, indignée de porter les souillures de Rhéa, a ruiné Antandros, peut-être aussi Dorylaiun. Dans Ill, 5H, la P h rygie est menacée de maux sans nombre. La Sibylle vient de montrer· l'Hellade dévastée par les

Noé et les siens descendent à terre. C'est l'âge d'or qui com­ mence et où, issue de Noé, naît la Sibylle elle-même. Dans d'autres vers elle paraît se donner comme la fille de Noé, enfermée avec lui dans l'arc,he : on verra que c'est la tradition à laquelle se réfèrent les monnaies d'Apamée. Cette tradition se trouvait déjà dans la version chaldéenne du déluge, rapportée par Bérose, à en croire le résumé de Polyhistot· clans Eusèbe. C'est une première indication que le récit sibyllin ne clépnnd pas exclusivement du r écit biblique. Le rapport où la Sibylle se trouve avec les autres vet·sions du déluge chalcléo-hébmïque, ressortira de ce tableau comparatif qui porte sue l'épisode de l'envoi des oiseaux.

Versions chaldéennes Ve1·sions hébmïques Version judéo-grccque tPOPÉE BÉROSE BIBLE JOSÈPHE

CHALDÉENNE DE FoLYJHSTOR AnYDÉNOs GEN., VIII, 8 GILGAMES . SIBYLLE F. B . G. If, 50! P. IJ. G. IV,281 so*t /,.01'';,f/J; ANT. Jun , r, 3 WEDER, Bab. Lit. d't.l]H"ês i e d'ap1·i:s le pour J)OW;oi·r être p. 73 Syncelleel Eusèbe Syn cellcçtEusébe d ist~1:Yti1t~de~vcc

L "al"l:hn aborde L'arche aborde Après que la Après les mê- au Ï " jour au au 3e jour en J~~~li3at~~~!oJ~':~\?s~ ~~~e~pé;~~~~~~?~: Mont Ni~:ir. A ~·ménie. el qu'cHe cuL t·.'cst l e 7 (17 ou baissé pendant 27J du ; e mois Outnapishtim Xisoulltros en- ~i siLhros en- !~lêL~:~s{cl~;~r~~~ i~t~ ~~~~~.ct~ c~·~~\r~ lfLche une co- voie quelques oi­ vo te quelques 2i) du 7e mois d'une montannc lombe; elle re- seaux. lls rcvien- oiseaux. Ils re- sur les monta- en ArmCnic. 0 vicnt. neut. vienneut. gnes d'Ararat. 'Le ter du fOc 1t làche une Quclquesjours .Troi~ jours ~- ~e~ism~~lsts ~\~~~i~~ hirondelle ; elle après il renvoie pt ès, tl reuvote r aissent. revient. les mêmes oi­ les mèmes oi- Quarantcjours Quelquesjours seaux. Ils revien­ seaux:. Jl s revien- après, Noé en- après Noé lâche nent les pieds nent les pieds voie le corbeau. le corbeau ; il engluës de Ji­ en..,l ués de li- Il ne reviçntpas, revient vers lui. o voletant JUSqu'a mon. mon. ce que la terre fut à sec. Noé JI lâche un cor- Une troisième en voie alors la beau ; il ne re- fois, il les en· colombe; elle re- A.u JOur r é\'0- vient pas. voie. Ils ne re­ vient. 7 JOurs :tprès lu. Noé lache la viennent pas. 7 jours après tl en vo te une co- colombe. Elle 1 c- il renvoie la t:o- Ia mbe. vient. Iambe; elle re- Elle revient 7 Jours apres L'arche abo1·de Il débarque. vient le soir avec souillée de bouc, 11 la lctdlC de à un mont d'Ar· un rameau d'ali- rapportant un ra- nouveau. Elle re- ménie. Xisou­ vier. meau d'olivier. vient avec un Le t er du Jer 7 jours après r ameau d'olivier. thros en descend mois f\oé ouvre Noé sort a l'en- Noé aborde Je avec sa femme, l'Arche; le i!ï du droit que les Ar- 41 '- jour à l'Ar- sa fille et son 2r mois il en sort méniens appel-,rat de Phrygie pilote. avec sa femme, lent apobathra. avec sa femme, ses fils et ses ses fils et ses brus. brus.

L I, 261-74 D'après I, 28i, la Sibylle descendrait de Noé à la sixième génération, comme l'a compris Eusèbe, ViLa Conslantini, V, 18. D'après Ill, 827, Epiphane fait de la .Sibylle la fille de Noé (Adv. HeT., VI, 26, 1: la Sibylle y est représentée comme enfermée dans l'arche avec Noé). L'auteur du Prologue de notre recueil précise que la Sibylle, qui est de la race de Noé, est Sambéthé, la Sibylle chaldéenne. Eusèbe parle NOÉ SANGARIOU 19 Le chant Sibyllin dont on place la composition au 1•• siècle av. J.-C .. parait s'être inspiré de la version biblique simplifiée; tandis que Josèphe y a ajouté !élément chaldéen du limon, tandis qu'il connait la tradition arménienne et qu'il a supprimé quelques unes des indications chronologiques évidemment fondées sur un cycle de fêtes anniversaires tombées en désuétude, la Sibylle, elle, a réduit les envois d'oiseau à celui des deux colombes qui revien­ nent toutes deux : c'est ce qui semble figuré sur la monnaie d'Apamée. Une autre différence qu'il importe de noter dès mainte­ nant, c'est que le déluge de la Genèse est produit par des pluies torrentielles, celui de la Sibylle par l'ou ver ture des abîmes de la terre. On verra que ce dernier trait est d'origine phrygienne. Quoi qu il en soit, la Sibylle place l'Ararat en Phrygie; si elle ne nomme pas Kélainai,ellela vise clairement en faisant sortir le Marsyas de cet Ararat et, peut-être aussi par un jeu de mols entre noire Ptu·ygie et la signification de Rélainé (sombre) i. Il faut descendre jusqu'au savant médecin Sextus Julius Africanus (v. 190-21>0) pour trouver Kélainai mentionnée expressément: "Hv oè. hwv i:Ç(Xxocrfwv o Nwe 8"t:ë 0 X(X't:(XY.Àucrp.oç ÈyÉvë't:O . ' Qç oè. H ·tjÇê 't:O "uowp, -~ Xl bW"t:OÇ \opûO·Ij btl 't:~ op·'l ,A p(X ph' &'t:LV(X rcrp.ev Èv II(X?Ofc( 't:LVÉç oè. Èv Kû(XLVÛÇ "t:'rjç puy[(XÇ 2 dv(X[ cpzcrLv· ëloov oè. "t:ov "t:oJtov Èx:hepov . Jules l'Africain a donc vu les deux monts de· l'Arche, l'At·arat ù.At·ménie et celui de Phrygie; je crois qu'on peut même donner pour son voyage une date ante quem. Après 227, où le Sassanide Ardashir renversa le dernier Ars acide, on ne pouvait plus guère appelerl'Annénie Parthia, et l'Arménie était de nouveau fermée aux Romains, à qui l'a vait ouvert la campagne de Sèvère en 19ï. ensuite de la Sibylle Érythréenne. M. Mras me parait avoir soutenu avec raison (W iene1' Studien, 1901, p. 2~-49 ) que le nom de la Sibylle d'Érythrée fut parfois donné à la Sibylle chaldéenne par confusion avec le nom de Mer Érythrée donné au golfe persique. J'ajoute que, lorsque la Sibylle Chaldéenne ou Hébraïque est désignée comme pel'sigue, ce n·est pas à la Perse de Persépolis qu'il faut songer , mais à la province ou au royaume ùe Perside sur le golfe persique. l'olyhistur montre Noé accompag né ùe l'architecte ùc so n navire, ùc sa femme et de sa lille unique. li n'est pas douteux qu'il suivait la trad·ition où la Sibylle chaluéenne Sambétbé était la fille Je Noé. Les huit personnages du Chant sibyllin sont conformes au récit biblique: Noé et sa femme, ses trois !ils et leurs femmes. Toute cette question de la Sibylle sera reprise dans notre chap . IV. 1. Vers 261 : "EaTt ô:i n ?vy(1J; l1rl f,nEI ~ o·o fLE Àaiv1Jç 'HlieotTov Tctvvp.·~ xE ç ·o ~ o , , on a proposé de corriger J.l.Û;;vy(1); Jto)v ôo >.~ ~T o t o

YE)OI \ Yj~. 2. Julii A{1·icani quae supersunl ex quinque li bris Chronograpltiae, dans la 20 NOÉ SANGARIOU

Jules l'Africain a donc pu passer à Apamée, entre 215 et 227, à l'époque même où l'on y frappait nos monnaies. Médecin chrétien, ami d'Origène, il a dû prêter une attention particulière aux traditions qui pouvaient intéresser la Bible en cette Chronographie où« il harmonisait, dans une suite synchronique, les données de l'histoire profane et celles de l'histoire sainte, pour relever l'antiquité de Moïse et de la préhistoire patriarcale : la chronographie était pour lui une forme de l'apologétique 1 ». Son témoignage es t d'autant plus important que c'est sans doute à travers lui qu'Eusèbe et le Syncelle ont connu les résumés qu'Abydénos sous les Antonins et 2 Alexandre Polyhistor au temps de Sylla avaient donnés de Bérose • Or, un fragment de Polyhistor nous montre qu'il connaissait le chant sibyllin où se trouve la description du déluge, et Bérose a dû se faire l'écho ou l'interprète de récits sibyllins, puisqu'il passait, dès le Il" siècle de notre ère 3 , pour le père de Sambéthé, la Sibylle Chaldéo-Judéenne. Ainsi s'établit la chaîne des témoignages qui per­ mettent de croire que, dès la fin du me siècle avant J.-C. 4, la légende de l'Arche tendait à se localiset' à Apamée de Phrygie.

Pu/?·ologie gTecque de ~ligue, t. X. (Extrait du Syucelle p. 21, éd. d e Paris; p . 11 éd. de Venise, 1-38 éd. Diudorf; p. 66 Je l:Africanus do Golzer). Le ltj; 'ApfJ.EViot; dvdtt ortvÈ.; ÔÈ ~ototv iv K~Àott • ott; •>i; pvyicxç. Il observe ensuite que NwE Zio-ovOpo~ 7totpèr. X'llÀÔotiotç 'ûiyE-ro, ce que devait dire aussi Africanus puisqu'on le trouve chez Abydenus, et une note de Xylandcr rappor-te que le [{atlwlilws arménien Jacob Mousponoé (remarquez ce nom) voulut monter au sommet de l'Ararat, dit Massis en ari,Ilénien, pour y voir les restes de l'arche. }!ais une force secrète le repoussa du sommet; il tomba alors à genoux et Dieu accorda à ses prières un morceau de l'arche; cette relique, déposée in oppido Aquiri ad montis ;·aclices, attire les pèlerins en foule. Moïse de Khorène (r, 6) sait encore que c'est XiSimtlHos qui a abordé en Arménie et identifie Xisouthros à Noé. i. Batifl'ol, Anciennes litlémtu?"es chrétiennes (190 1), p. 186. 2. Ap. Eusèbe, Citron., éd. Schoene, 1, 23. Cf. Donsset, Zt. (. neutest. Wissen­ scha(t, 1902, p. 126. 3. Pausanias, X, 12,9; l's. Justin, Coho1·t. ad. Graecos, 37: la tradition était peut­ être déjà connue de Pline, If. N., VII, 37, 123. 4. Cette date résulte de trois faits : 1 • Bérose a écrit dans la première moitié du m• siècle, Polyhistor Jans la première moitié du premier siècle av. 2• Le récit sibyl­ lin du déluge, qui témoigne d'une véritable sympathie pour la Phrygie, doit être im­ térieur à la révolte des Macchabées, qui mit fiu pour un siècle à toute sympathie errtre Juifs et Grecs. 3• C'est, on le verra, précisément vers 210 que des Juifs de Babylone out dû être initallés à Apamée. NOÉ SANGARIOU

III

Quelles sont les raisons qui ont pu amener à placet· à Apamée de Phrygie la montagne de l'Arche? Par eux-mêmes, les vers de la Sibyllè n'en suggèrent qu'une : l'antiquité de la Phrygie, présentée comme la première nomrice de l'humanité. C'est là une opinion fort ancienne. Il suffit de rap­ peler l'anecdote qu'Hérodote a probablement entendu raconter en Phrygie : les enfants élevés par Psammétique dans une cabane isolée font entendre pour premier cri: bec, bec, son dans lequel on reconnut le mot phrygien békos, « du pain "· On en conclut que les Phrygiens étaient le plus ancien peuple du monde 1 • A côté ne cette anecdote, l'expression proverbiale, -rŒ No:vvrhou « le temps de Nannakos », parait avoir été prise au sens où nous disons « temps antédiluviens '' · Cette expression nous amène ainsi à rechercher les vestiges d'une tradition phrygienne du Déluge. Nous verrons que, si les Phrygiens ne semblent pas partager l'idée sémitiq11e d'un déluge général par la chute des eaux du ciel, ils paraissent avoir eu, dans la. plupart des régions volcaniques de leur pays, des traditions d'un cataclysme ca11sé par les eaux souterraines. On a dé.ià vu que ces traditions paraissent avoir influé sur le récit biL)lique dans l'arrangement qu'en donne la Sibylle: à côté des eaux du ciel et plus que par elles, le déluge est causé par l'envahis­ sement des eaux souterraines jaillissant en trombes dévastatrices. De bonne heure, la légende de la ville engloutie semble s'être mêlée à ce thème en Phrygie, légende qui devait prêter singuliè­ rement à des contaminations avec l'histoire de Sodome et de Gomorrhe. En tout cas, Apamée-Kélainai a été le théâtre d'une des plus vivaces d'entre ces traditions. · On renco ntre d'abord quelques traces d'un mythe du déluge attachées à tt·ois noms importants dans la tradition phrygienne : Dardanos, Ogygès et Nannakos. Dardanos, l'éponyme de la tt·ibu thraco-phrygienne des Darda­ niens, paraît avoir été le héros d'une légende diluvienne. Il

1. Hérodote, II. 2. Cf. Atistoph., Nuées, 398 et scot. On sait pourtant qu'Hérodote lui·mème et Xanthos le Lydien (Strabon, Vll, 3, 8; XIV, 3, 29) ne font passer les Phrygieus en Asie l!U'après la g uerre de Troie, à l'époque de l'invasion cimmérieune J 'après Arrien (ap. Eust., ad Dion. 322). On ne peut faire remonter leur invasion au xm• siècle !]ue si l'on voit rl es Phrygiens dans les ~Iouski , dont le roi Mita entre en lutte avec Tiglat-Phalazar L 22 NOÉ SANGARIOU aurait été roi de Samothrace quand le déluge sürvint. Il se sauva en fabriquant avec des peaux une sorte d'outre, qu'il se passa autoue du corps comme une ceinture de sauvetage '· Elle lui 2 permit de sumager el d'aborder dans l'Ida, oü il fonda Dardania • Une autre version grecque du déluge, celle du déluge d'Ogygès, n 'est pas non plus sans rapport avec la Phrygie. Du moins, les légendes mettent-elles Ogygès en relation avec l'Asie du Sud­ Ouest. U sct'ait fils de Termém ou de Terméros, éponyme de la ville carienne connue sous ces deux noms ; Ogygia, sa fille, aurait eu quatre fils de Trémilès, éponyme des 'l'rémi! es (ce nom indigène des Lyciens qui n'est probablement pas sans relation avec Terméros) ; et ces fils portent le nom d'autant de toponymes lyciens : Kragos, Pinaros, 'l'los et Xanthos; cette Ogygia passait, déjà chez Hellanikos, pour fille de Niobé 3 • Enfin, et surtout, à côté du rapprochement avec Okéanos-Ogé­ nos, celui avec Gygès n'est pas moins séduisant. Gygès - Gougou en assyrien - a été classé par KreLschmee parmi les Lallnamen: ce serait le redoublement d'un simple gu ou gou, et le sens que les lexicographes attribuent à ce mot (yu1or:l = -rpmcl:ro po:ç) 1 convient à cette division du mot; ce seraiL la répétition d'une racine in di­ quant la paternité. On peut trouver une confit'mation de cette inter­ prétation dans la glose 'Aocxyuoûç-O dç -rtç Ticxpà puÇrv, Èpp.cxcppol:h-roç 5 •

1. Lycophron, 72-8~, avec les scholies de Tzetzès aux vers 29 et 73. Ne peut-on pas se demander si cette légende n'a pas pour origine une image de Dardanos portant l'outre à la façon du Marsyas de Rome (statue originaire d'Apamée, comme je l'ai montré dans ](lia, 1913) ? On sait que les monuments assyriens représentent et qu'Hérodote décrit (1, 194) des outres gonflées d,'ait· employées comme moyen de navig-ation sur l'Euphrate. r.r. H. de Villefosse, Bull. arch., 1.913, p . 116. 2 . Denys d'Halicarnasse substitue à cette légende celle d'une migration de Dardanos, fuyant l'Aqcadie inondée, à Samothrace, puis en Troade (Ant., 1, 61); Non nos place un déluge de Dardanos après ceux ùe Deukalion et d'Ogygés (Dion, Ill, 204-19). 3. Hellanikos, ap. Schol. Eur. Phoen., 159. Les autres textes sont indiqués rians l'art. Ogvgos du Lea;ikon de Roscher, col. 683 et 688. A cet article ajoutez li. Ehrlich, Rhein. Museum, ·1908, ·p. 636: wyvytov üowp aurait désigné d'abord l'eau soute1'1'aine. 4. Cf. Hésychius, Suidas, s. v., et Et?Jm• llfagn. p. 768. 5. Hésycltius, s. v.; cf. 'Aôcx!J.v E\v· t o qn).<:\v. Kcxl pvyEç -rov cpD.ov àM.!J.vcx ).éyouatv. Dans le gréco -cappadocien actuel, bien aimee se dit encore (O::ôcx!J.cxahacx (doit-on penser au latiu adamare •). li serait d'autant moins étonnant qu'Aria (la princesse caricune bi en con nue) ait pot·té un nom divin, qu'il en est de mèmc de son frère ~lau so l e - exactement Ma-ussôlos (Oso dans Osogôa doit li tre sans doute rapproché de Osas, Ossas, Ussos) - et de sa sœur Artémis ia ; Hékatomnos ct lurieus, les J eux ault·es noms qu'on t·encuntrc dans celle dynastie, pa raissent t\g·;demenl tirés de noms

i . Platon , R ep., n, p. 350 ; Cicéron, De Off., III, 9, 38 ; P!Jilostrate, Heroica, p. 659· 2. Hérodote, I, 93. L'Artémis de Koloé au sud-est du lac était dite par certains Gy . Le nom de fur,ç ou fuy'IJ ; était également resté attaché a un géant, fils d'Ouranos el de G ~ . Près du lac se trouve la région des A1·imoi, qu'on disait brûlée par la foudre, Strabon, Xlii, 626. 3. Sur Hydé, cf. Radet, La Lydie des Mennnades, p . 68. 4. S. Reinach a montré que Tantale avait dû ètre représenté englouti par le même cataclysme : il s'enfonça it dans le lac cherchant en vain à se raccrocher à des branches d'arbre, tandis qu'un rocher - menaçait de l'écraser; telle serait l'origine des trois supplices prêtés à Tanta! ~, cf. Cnlles, Mythes et Religions, li. p 1. 80. Le thème de la ville eng·loutie par un lac avait rlù être amené de Thrace pa1· les Phrygiens, puisqu'on Je relrouve au lac Bi stonis près d'Abdère, aux lacs Aphnitis et Askania ~;ur la P ropon­ tide. On peut aussi rappeler celte notice de Stéphane de Byzance: A ti xo ~oç · 7tOÀtç p1.1yi"'ç ~ v wx.ovv 0 p

1 ~

i. Sur les textes concemant ces deux lacs (Strabon, p. 58, i 7; 57'1, 2; P !i11 e, 11, 205, et V, H 7; Pausanias, Il, 22, 3; V, '13 , 7; VII, :v,, 13,; Vlll, 17, 3), voir Weber, Le Sipylos, p. 9-19 ; Thracmer, Per,qamos, p. 85-95. 2. Voir. l'article Niobe par l~nmann, dans le Le:â kon de Roscher. Rappelons que Lewy (Die Semitischen fi'•·emdwœ1'Le1' im G1·iechischen, p. 197) a voulu voir en Niobé, avec ses dix enfan ts tués d'un seul coup, une transposition de Job (ljjob, vulgo Hioh), qui perd en une seule foi s sept fil s et tmis fill es. 3. Le miracle de la "pierre qui pleure "est expliqué par une scholie à Soph., El., 151 : le sculpteur avait amené du fond rie chaque œil un filet d'eau dérivé d'une source No tons, pour montrer l'etroite paretll1\ de to utes ces légendes, qu'une des till es de Niobé est généralement apperée Ogygie, une autre Néaria (cf. Noé-Noéria) . •>. Déjil dans I'Iliade, xxrv, 610. 3. Hésychius : ,,illet.' ztovJ. M.i xp-i}v·~v . Quintus de Smym e parle du !:tlt1JÀ~J vt

modelé la nouvelle race d'hommes dans de l'argile humide, à qui les venls inspirèrent une âme: de ces ikdnes viendrait le nom d'Jko­ nion. Sans doute, Lenormant et Babelon ont eu raison de remar­ quer la ressemblance de cet Annakos et du Hanoch biblique avec ses trois cents [soixante-cinq] ans de vie dans les voies du Sei­ gneur. Mais la découverte des Mimes d'Herôdas a montré que la forme authentique du nom était Nannakos et que 1 le proverbe'~ No:vva.xou xÀo:ucrm ~,-pour lequel Zénobios allègue, d'ailleurs, Hérô• das, - était déjà populaire au m• siècle av. J.-C. "Nannakos, dit le pam:Jmiographe, était un roi des Phrygiens avant les temps de Denkalion. Prévoyant le cataclysme menaçant, il rassembla tout son peuple dans les sanctuaires et se prit à implorer les dieux en 3 versant des torrents de larmes "· Stéphane de Byzance ajoute les trois cents ans qu'aurait régn és Nannakos avec l'oracle qui révèle que le déluge suivrait la mort du roi et localise la légende à Ikonion; une autre tradition parle de Pessinonte \ où le bain rituel de l'idole de la lJ!a,qna Mater dans le Sangarios peut être interprété comme destiné à attirer la pluie. L'oracle était, saus doute, attribué à la déesse ou, comme on le verra, à la Sibylle, sa p mp h étesse.

1. Pour le suffixe, cf. Dipsakos, héros bil11yui en, Lampsakos , éponyme de la ville du mème nom. Des noms semitiques à suffixe semblable, comme Thapsakos, devai ent faciliter Je travail tl'aos imilat.iun de Nanuakos à Hénoch . '2. Hérôdas, Mime m , 10. Ou counait précisément à Kos, vers l'époque où y écrivit Herodas. des personna g-es nommés Nannakos, Pa ton-Hicks, Insc1·. of Cos, 10, 51 et 160 (d'autres, à Délos, sont des artisans phrygiens, IG., Xl, 2, 144 et 21.9; cf. un Nannakos à Athèues au u• siècle, Nacbmanson, Att. li'ist. Insch1·. n• 9) et il est bon de rappeler que Bérose a travaillé à Kas. 3. Zéoohios , vr, 10, d'après Hermogénès (FIl G, III, p . 524) . L'expression ,.,x Na.vvp•Jy[a.ç dans l'art. qu'il lui consacre dans le Pauly-Wissowa. Il vaut mieux penser au médecin Hermogénès de Smyrne, qui vécut au n• s. ct qui peut ètre identique au médecin d'Hadrien. La lisle de ses œuvres, fournie par une inscrip­ tion métri11u e (CIG, 33H; Kaibel, 305;, compreuù notamment des 'Acr[a.ç XTLO'Etç et des .\cr[a.ç u'<flOl, dont un livre peut avoir été un Hepl <'l>pvy[a.ç. Des trois fragments réuni s pat· C. Muller à celui qui concerne ~a u nakos (2) , un (4) se rapporte à une planle aphrodisiaque, deux aux étymologies des noms de Sangarios (d'un l:

Maintenant que l'existence d'une tradition phrygienne du Déluge est hors de doute, nous pouvons passee aux versions localisées dans la région qui nous intéresse particulièrement ici: celle de la haute vallée du Méandre et de son affluent, le Lykos. Là, wmme au Sipyle, le caractère volcanique qui a valu à une partie de la région le nom de Bnllée, -Phrygia Katakékauméné ou Combusta, -paraît avoir amené la localisation d'une légende d'inondation et d'engouffrement des eaux. Nous en trouvons des

Valère Maxime (vm, 13 ext. 1) parle d'un 1·ex Latmiorwn qui aurait régné 800 ans, sur la foi du Périple d'un Xénophon. Ne s'agirait-il pas d'une légende du Latmos en Phrygie rapportée par ce Xénophon qui écrivit sur la Syrie un livre dont Alexandre Polyhistor s'est servi? (F. H. G., III, 228-32) . 1. Si certains morceaux du li vre d'Hénoch remontent aux environs de HO et de 40 av. J.-C., la traduction grecque n'est pas nécessairement antérieure au début du u• s. ap. Les citations les plus anciennes qui en sont faites se trouvent dans les épîtres de Jude et de Barnabé el dans irénée, soit vers le milieu du Il" s. ap. Cette traduction peut donc ètre contemporaine d'Hennogéuès de Smyme, qui aurait enrichi son N

traces à Hiérapolis~. Elle doit d'avoir été la « ville sainte • de la tribu phrygienne des Hyd1·éleitai - dont le centre politique était Hydréla ou Kydrara, où Xerxès s'an·êta avant de passer le Méandre, - à deux phénomènes naturels qu'explique la nature volcanique du sol : les eaux chaudes chargées de calcaire qui naissent sur le plateau où elles ont enseveli à mi-hauteur les ruines de la ville et d'où elles se précipitent, par une grandiose cascade, dans la vallée du Lykos, - une faille par où s'échappaient des vapeurs méphi­ tiques. Le temple é tait établi sut· ce ploutdnion: tandis que tout ce qu'on y plongeait périssait, des prêtres eunuques, seuls, pouvaient, encore au temps de Strabon et de Pline, s'y engager impunément. Dans l'espèce d'adyton où s'ouveait ce soupirail des enfers, on paraît avoir adoré un grand serpent femelle que les textes grecs appellent et qui avait même valu à la ville le surnom d'Ophiorwné « force des serpents "· A l'époque classique, ce ser­ pent, premier objet ùu culte, maintenant relégué au fond de la grotte, avait cédé le temple à la Déesse-mère, adorée sous le nom de Létô avec tous les attributs ordinaires de Cybèle. Le dieu à la bipenne, qui lui avait été associé de longue date, probablement Mên Lait·bènos pour les indigènes, était devenu Apollon; il était vénéré sous le vocable d'ATchégétès - comme maitre et ancêtre de la cité, ~ et sous celui de Pytlwktonos, par application sans doute de la légend e delphienne où l'Apollon, qui avait remplacé comme ici le culte de la Terre adorée sous forme de serpent, 2 passait pour avoir tu é ce python • Le Ploutônion avait disparu au temps d'Ammien Marcellin. On doit sans doute attribuer sa disparition au grand tremblement de terre de 64-5, qui détruisit Hiérapolis de fond en comble et dont 3 l'écho se retrouve dans les Livres Sibyllins . Des légendes ont dû bientôt se développer dans le peuple autout· de la fermeture de cette bouche du monde souterrain. La version des païens a dis-

i. Je résume ici les faits dispersés dans le chap. III des Cilies and Bishop1·ics of PI!I"!JrJia de Ramsay et dans le volume de Cichorius-J udeich-Humann, Hie1·apolis (Er;:;anzu ngsheft du Jahrbuch) et dans deux arti cles de Leo Weber , Philologus, 1910, p. 178-252 , et Journal Intern. d'Archéologie numismatique, XIV (1912), p. 65- 11 8. Sur l'aspect d 'Hiérapolis, voir les pages évocatrices de F. Sarliaux, Villes m01·tes d'Asie Mineure, 1911. Je parle égalen,cnt de visu pour taule cette région. 2. La fusion peut avoir été anci enne. li suffit de rapveler un fait qui montre la popularité de l'Apollon Pythien da1i s le royaume de ce Crésus qui lui avait envoyé de si riches présents: le richissime Lydien qui donne, a Kélaiuai, l'hospitalité à Xerxès s'appelle Pyth ios, fil s d'Atys. Cf. Pythios, fils de Crôsus. C'est donc dès cette epoque que Mèn-A llis commence a se fondre avec Apollon, et sa mère Léto avec Cybèle. :1. Eusèbe, !l-ist. eccl., lU, 31, 4; Orose, VU, 7 ; Syncelle, p. 636. 28 NOE SANGARIOU

paru; mais, à travers celle des chrétiens, on croit pouvoir en retrouver quelques traits. Cette version nous est conservée dans les Actes apocryphes de Philippe~. On remarquera que· cet apôtre de la Phrygie, dont on faisait un disciple de saint Jean, passait pour né à Hiérapolis, où l'on vénérait sa tombe et celle de son père du temps d'Eusèbe. La façon dont est rapportée la destmction du temple de l'Échidna montre une exacte connaissance des lieux et des coutumes locales: ainsi, avant que la malédiction de l'apôtre suppli cié ne précipite le temple dans le gouffre qui se referme au-dessus, on voit les prêtres se plaindee de ce que la seule présence de l'apôtre dans le temple a fait périr l'Échidna et les petits serpents, ses fils. Que devien­ dront-ils, maintenant qu'est vide l'autel sur lequel on posait le :v-in sacré qui assoupissait l'Échidna ? Joignez à cette plainte si précise l'existence d'un vin r enommé à Hiérapolis 2 et mettez en regard que l'hôte de Philippe s'appelle Stachys- l'épi ou la grappe - et que de son sang naît une vigne dont tous les nouveaux convertis doivent boire le vin, - et n'entrevoit-on pas un second élément païen venir s'associer à celui qu'indique le nom même du saint ? Comme le nom de Philippos a pu recouvrir le culte de Lairbênos, le héros cavalier, la légende de la vigne née de son sang fait penser à l'amandiet· qui naît du sang d'Attis. En tout cas, une légende locale d'inondation, liée. à des mouvemen Ls sismiques 3 , paraît attestée pour Hiérapolis comme pour sa voisine Laodicée : « Malheureuse Laodicée, s'écrie la Sibylle, un tremblement de terre te ruinera 4 • ,, La légende des eaux dévastatrices s'est pépétuée dans cette région. Ainsi, elle a contribué au culte de saint Michel de Khônai, si florissant au IX" siècle que Khônai devint at·chevêché et métro­ pole, bien que la ville fût réduite à une place forte qui, d'un épe­ ron du Kadmos, dominait l'entrée de la gorge du Lykos et les ruines de Kolossai et de Laodicée 5 • L'église de Saint-Michel se

1. Publiés dans les Acta Apostolo1·um Apoc1·ypha de A. Li psi us et M. Bonnet, II, 2, p . 41. 2. Vitruve, Vlll, ~. et les nombreuses monnaies d' Hi érapolis an type de Dionysos. Comme saint Philippe a dû se substituer à une divinité aux sources chaudes d'Hiéra­ polis, l'évêque Aberkios d'Hi érapoli s y est devenu le saint g uérisseur des sources chaudes locales (Ramsay, CiLies, p. 113). 3. Pour les tre.i1blements -de ten e el) As ie, les théori es savantes et les croyances J>Opul aires qui s'y ra ttachent, voir W. Capelle, Neue Jalwbüche1', 1908, 603-33. 4. Cf. Renan, L'Antec!wist, p. 328. 5. Cf. Bonnet, Nai'J'alio de Mù·aculo Chanis patrato (Paris, 1890). Je ne counais cette publication que par \V. Ramsay, The church in the l'oman Empù·e be(o1·e 170 (6' éd. i900, ch. xrx). NOÉ SANGARIOU 29 trouvait sur la rive Nord de la rivièr~, au-dessus de la gorg~. On 1 racontait qu'en ce lieu, dit Kérétapa , les a pôtres Jean et Philippe , venant d'Hiérapolis, avaient fait somdre une fon taine guérisseuse; les païens essayent de détruire l'ayasma en y jetant les eaux elu 2 Chrysès ; mais la ri vière, pour évitRt' le sacrilège, se divise en de ux bras; alors les [laïens canalisent vers la fontaine sainte le Lykokapros et le Kouphos; l'ayasmn allait être atteint et tout le pays inondé qu~ ncl saint Mi c hr~ l, du lranchant de son épée, lui ouvrit son passage actuel aver un bt' ttit de tremblement de terre. On comprenr1 la légende qua nd nn a traversé la gorge, qui s'al­ longe sur environ i kilomètres, clolllin é t~ par des roches à pic de 50 à 60 pieds qui, parfois, 11 e laissent aux trois cours d'eauqni y unissent leurs flots qu'un lit de trois pi eds de large. L'un de ces cours d'eau, l'Ak-Sou, a des eaux calcifiantes cornme celles d'Hiérapolis; elles forment des stalagmites, et, à un endroit, le Lykos passe ainsi sous une arche naturr-lle. Ce phénomène, ajouté aux tremble­ ments de terre, a pu fort bien menacer une fois de bouchet' la gorge et d'inonder la vallée de Kolossai. D'aille urs, la légende, que nous ne possédons que sous sa forme chrétienne, peut être très ancienne : Hérodote 3 montre le Lykos, après Kolossai, s'engouf­ frant dans une faille pour reparaître cinq stades plus loin ; Strabon parle de son cours cc à plusieurs reprises souterrain qui prouve à quel point le terrain y est pe1·foré et propice aux tremblements de terre~ », et Khonai semble précisément signifier les tun-

t. Les formes varient : K . Les mines de l'église de S ai ut-~1 ic h e l seraient effective­ ment entourées par ùeux bras d 'un cours d 'eau, dont l'un artificiel. 3. Hérodote, V 11. 30. ' 4. Stra bon , XII, 8, 16. Weber a contesté le témoignage d' Hérodote (Ath. Mill., 1891, p. "19 5) et Ramsay, Cilies and Bislwprics, p. 210, eu se ralliant à son opinion, a pt·oposé d'interpréter le texte de Strabon de façon à ce qu'il s'ap plique, non à la gorge du Lykos, mais a sa r é> ur·gence. Une croyance encore géncmlc dans la région voudrait que le Lykos naquit du lac Hadji-Tuz-Gueul (remarquer cc nom qui sig nilic : saint lac salé et voir p . 33), le Lac us Sanatl S de Pline. Son nom lui vient de l'',\vo: va: d' Hér·oùote, Sanaos d es listes épiscopales (La forme correcte est sans cl oute Anava, composé ùe l'Ana cl 'Anaïa-Anaïtis et dtt digamma phrygien ; son évêque se dit, en effet, parfois Sanabensis). Le Lykos ·disparaitr;tit au sortir du lac pour· reparaitre, de 10 à 15 km . plus luin, da ns un lagon (le duden de Kodja-Bash ). Mais un pareil phénomène, qui, a u reste, semble .se reproduire p our les sources du Méandre (on sait d 'ailleurs que le Lykos fut appelé, p lus tard. Petit-Méandre), n'est g uère de nature à frapper assez l'imag ination pour qu'il soit venu aux oreilles d'Hérodote et q u'uue légende en soit n ée; 30 NOÉ SA!';GARIOU

1 nels • L'idée d'une gorge ouverte par l'arme d'un dieu pour laisser s'écouler les eaux d'un déluge menaçant est connue dans la ver­ sion thessalienne du déluge de Deukalion. Poséidon aurait frayé un chemin aux eaux en perçant la vallée de Tempé d'un coup de son trident; nous retrouverons, en Arménie, Jason ouvrant de même la voie à l'Araxe.

De toutes les villes de la région, aucune n'était mieux prédes­ tinée par la nature que Kélainai à voir se former une légende dilu­ vienne. Dans sa plaine cinq rivières prennent leur source: le Méandre et ses quatre premiers affluents, Mllrsyas, Obrimas, Orgas et Therma. Le Méandre et le Marsyas paraissent tenir leurs eaux du lac Aulokrène ou Aurokrène; elles y disparaissent dans deux duden que les anciens semblent avoir appelés le PleuTeuT et le Rieur, pour reparaître, le Méandre dans un étang du plateau où s'étendait le « Paradis » des rois de Perse, le Marsyas au pied de l'Acropole, d'où il se précipite avec une force telle qu'elle lui a valu le nom de l{atmThaktès; le Méandr·e est rejoint, avant le Marsyas, par l'Orgas, dont le cours paisible s'oppose à l'impé­ tuosité du Marsyas, et par l'Obrimas, plus torrentueux ; après le Marsyas, par les eaux chaudes qui ont donné leur nom au Thenna. Autour de ces cours d'eau, on entrevoit que légendes et culles se pressaient: sacrifices faits au Méandre et au Marsyas en jetant des offrandes dans le gouffre commun où ils s'enfoncent à la sortie de l'Aulokr·ène; ce lac même, dont le nom indigène d'AurokTa devint AùÀoxp-'lv~ pour en faire le théâtre du concours d'Apollon et de Marsyas et dont les roseaux émettaient un son mélodieux; le platane où Marsyas avait été écorché ; la peau de Ma rsyas con­ servée dans la grotte d'où s'élançait le torrent de ce nom et fré­ missant au son de la double flûte; les légendes d'Olympos, fils de Marsyas, et des deux fils de Midas, Lityersès et Anchouros; les

il fallait aussi que cette "perte» du Lykos eùt atteint une véritable célébrité pour que Pline, li, 225, le cite comme l'un des trois flemes connus par ce phénomène ; il cite égalemeut la rivière pétrifiante de Kolossai , XXXI, 20 . 1. Hamilton ( Minor, I, t842, p. 512) a relevé une ex pression de l'historien byzantin Curopalatès (p. 652) : parlant de la gorge elu Ly lws, il ajoute "' t;>rrop o! 7tOl, dieu· donnée i. Tous ces cours d'eau étaient ai réputés que Dion Chrysostome, parlant à Apamé~, félicite ses habitants de ce que« les plus grands et les plus abondants des fleuves y ont leurs sources 2 ». Le caractère particulier de ces fleuves, les grottes d'où ils sour­ dent, les pertes où ils s'enfoncent sous terre, la chaleur de cer­ tains, la fraîcheur des autres,- tout cela était de natu1·e à les faire mettre en communication avec le monde souterrain. S'il n'y a pas eu à Apamée de Cl1arônion tel que celui qu'on a vu à Hiérapolis et comme les anciens en montraient d'autres clans la même région, près de Nysa du Méandre et à Karoura près de Laodicée, il est pro­ bable que Kélainai a en aussi sa faille profonde qui passait pour une bouche des enfers. La nature volcanique de la région, qui a amené les Grecs à interpréter Kélainai par sombTe et à placer à tort la ville dans la Phrygie noire - on a retrouvé cette confusion dans les vers de la Sibylle -, cette nature ne s'était que trop violemment manifestée à eux pour ne pas devenir objet de légendes ct de cultes. C'est le tremblement de terre du temps d'Alexandre qui ruina assez la ville pour qu'Antiochos J•r pût la reconstruire sous le nom d'Apamée; c'est encore celui pour lequel Mithridate avait donné cent talents à la ville 3 • Combien ce dernier cataclysme avait frappé les imaginations, c'est ce qu'on voit par la description qu'en donne Nicolas de Damas: « Des lacs appamrent là où il n'y eu avait jamais eu, des fleuves et des sout·ces furent ouverts par l'ébranlement, d'autres, en nombre, disparurent et tant d'eau, si salée et amère, inonda le pays, qu'il fut tout couvert d'huîtres et de tous les poissons qui sont propres à la mer'· » Puisque, à quarante ans de distance à peine, la légende s'est déjà emparée de l'histoire - car on reconnaît ici le thème de la

i. Pour tons ces faits, voit· Ramsay, op. cit., p . 391-41.5 et 450-53. Je signale un texte oublié par Ramsay, où la chute du Marsyas dans le Méandre est comparée à une des cataractes du Nil : P.hilostr., Vi ta Apoll., vr, 26. 2. Dion Clu·ys., Or. 35 (U, p. 68 Reiske) : -rwv 'ltOTO:iJ.WV al iJ.IiytoTot xo:l 'ltoÀVWt>E• )io"to:-rot T-i}v

d'Hiérapolis j - à plus forte raison la légende a-t-elle pu s'emparer rles inondations anciennes pour en faire un déluge. Dans les nombreux passages où les Livres Sibyllins décrivent <

'l. Stu· la légende de la vag ue d'eau infernale, cr. Gruppe, Al'chiv (ii1· Religions­ geschichte, 1911. Pour Mylasa, cf. plus haut, p. 22; pour Hiérapolis de Syrie, plus bas, p. 55. 2. Peut-être s'agit-il de la famine que Galien (VII, 739 K. ) décrit au t.léiJ ut du regne de Marc Aurèle. Cf. Keil-Premerste,in, Reise in Lydien, 11, p. 16. 3. Ce r écit est emprunté au livre II des Métamo1·phoses de Kallisthénès (sans doute Kallisthénès de Sybaris, auteur de Galalika, dont un fr. r ela tif a la bataille livrée a Booskt\phales entre Attalos Il et Prusias II fix e l'époq ue et porte it croire qu'il a tra­ vaillé iL Pergame; il fut une des sources de Timagene). Il est donné comme tel par Plutarque, Pm·all. Min., 5, p. 317 Didot, et par StolJec, Floril., Vll, 69 (ce passage es t reproduit comme fr. 45 de Katlisthénès dans les Scriplores Alexancb·i Magni de Didot). 4. C'est le dieu d e l'Ida phrygien, figurant ici comme parèdre de la llfale1· ldœct. On sait qu'on fa isait d e celle-ci la mère de Midas (Plut., Caes , 1); cf. la n. 3. 5. 'A-yxoüpo;, nom très important a releve1· qui fournit la transition entre les deux noms dont j'ai signalé a illeurs la similitude (!lev. w·clt., 19·10, 1, 41) : d' une IJart, le roi des Philistins de Cath, "Ax•;, ou mieux 'Arxoùç (les Philistins sont, on le sait p arents et voisins des Tchakara-Teukrieus), qui se retrouve dans une liste de noms keftiou sur un ~ tablette de la XIX' dynasti t~ sous la forme : A-ka-sou (on peut rapproch er aussi Akiamos, nom d'un roi lydien); d 'autre p art, 'Ayxicr'lJ;, Anchises, le père d 'Enée, le h éros des Teukriens et Dardaniens, vi eille divinité locale de J'Lda, où il appa­ rait comme le parèdre de la Magna Mate1·.- 'Anovpo;, fils de Miclas,-en vérité, on le v10it, nom du héros cavalier de Kélainai, - ne fournit pas seulement le lien entre ces deux formes du m êm e nom ; il suggère la véritable raison de l'attribution à NOÉ SANGA.RIOU 33 compris l'oracle : nul bien plus précieux pour l'homme que la vie. Aussi, après avoir embrassé son père et sa femme Timothéa ~, il se jeta à cheval, d'un bond, dans l'abîme. La terre, aussitôt, se referma. Midas fit dresser au-dessus un autel à Zeus, autel qui, tou­ ché de sa main, se transforma en or. - Toute mutilée que la tradition nous soit parvenue dans ce récit, on peut y reconnaître plusieurs éléments. Deux éléments légendaires: 1° La légende du déluge sous le type approprié aux pays volca­ niques : la faille qni s'onne et d'où les eaux destl'Uctrices sortent poul' y rentrer quand la divinité a été pt·opitiée. 2• Une autre légende, probablement en paelie iconologique :le hél'os cavaliel', fils de dien, se sacrifiant pour sauver les siens. On sait que le héros cavalier est souvent appelé Théos Sozôn « dieu sauveur "• en Phrygie, et on pense d'une part au sacrifice de Cur­ tius, d'autt·e part à l'engloutissement d'Amphiaraos. On pourrait voir un indice du culte elu héros cavalier à Kélainai dans les nom­ breuses monnaies de la ville qu'ornent des pilei sul'montés de l'étoile des Dioscures et dans les monnaies, plus rares, qui mon­ trent Mên cavalier 2 • Deux éléments cultuels : 3• Un rite consistant à jeter des objets preeteux, et même des victimes humafnes, dans un gouffre pour apaiser la divinité des eaux qui y bouillonnent. 4° Un autel de pierre dressé au bot·d du gouffre- ou au-dessus quand celui-ci est censé refermé, - comme on le voit aux deux Hiérapolis de Phrygie et de Syrie. S'il se transforme en or, c'est que telle est la propriété caractéristique de Midas: c'est précisément à Kélainai que, pour sauver son armée de la soif, il aurait fait sourdre une fontaine d'or, que Dionysos, invoqué par lui, changea 3 en cette eau impétueuse qui fut depuis le Marsyas •

~lid:.ts de l'inventio ancone ainsi qu0 du nom des deux Ancyre de Phrygie et de Galatie, que les anciens cherchaient il expliquer pat· des ancres trouvées ou conquises (Stéph. Byz., s. v.) : un des t'Ois divinisés des Phrygiens a dû s'appeler Anchw· (cf. l'Anxur étrusquP représenté en Jupiter imberbe) et donner son nom à ces villes (Voir plus bas, p. 4 6. 1.. Le nom d ~ Tt~.oOio: donne a l'epouse du heros Anchouros ne saurait l'avoir été sans motif. Il ne serait pas étOllll

Eustathe à Denys le Périégète, v. 32i. La lég-ende d'Anchouros donne l'impression d 'une contamination entre deux versions: dans l'une, l'autel se tmnsformait de pierre en at· au seul contact de la ma in de iliidas; dans une autre, l'autel, en pietTe à l'éta t ordi­ na ire, pa ntit servit· comme de pierre de touch e pour les mouvements sismiques: il se transmuait en or à l'approche d es tremblements de terre. 1. Le surnom de J(élaineus se trouve donné iL Zeus {1. G. B. M., 652 a et monnaies), à Dionysos (monnaies), à Attis (Martial, v , 42, 2), à Marsyas (ibid., vm, 62, 9). Si le grand dieLt de Kélainai - ilién ou Attis sans doute raut· les Phrygiens, - est d evenu Zeus, il est possible que le culte de l'aigle attaché au sien y ait cont ribué. Les m onnaies d'Apamée montrent souvem J'aigle, ~oit isolé, soit volant entre les pilei que sépare un méandre ; a u-dessus des pilei et de l'aigle, une étoile. Le méattdre étant u.1e allusion ma nifeste au neuve de ce nom, je croirais volontiers que l'a igle entre les pilei se rapporte au culte d 'un dieu du ciel, père de un ou deux h éros cavaliers: uotre Anch ouros aurait été assimilé par les Grecs a un Dioscure. D'ailleurs, l'aigle divin- qui joue un rôle dans les légendes de Tantale, Ga nymède ct Gordios, - a pu t\tre trouvé par les Phrygiens dans l'h éritage des Hétéens. 2. Pour ces monnaies, vo ir B1·it. Mus. Gat. : Pltrygia (1906), s. v. Apamea. La chèvre occupe seule les revers dans certaines pièces, B. M. C: Ph?'!J.'lia, p . 300. P our Zeus Aséis et le bouc, voir plus bas. Peut-être la nymphe nourricière était-elle plutôt nommée en Phrygie , ce nom y étant uu vocable, -puis une hyp ostase - de la Grande d éesse (Elle parait aussi avoir été v énérée à Apaméc sous le vocable d"Avyô(,;n;). J 'ai essayé d'établir l'existence d'uu dieu bouc en Phryg ie da ns la Rev. d. E t. G1·ecques, 1913, n• 3. Rappelons ici que, sur d es monna ies de Laodicée, est fi guré un dieu barbu, portant dans. le bras gauche un dieu enfant; il tend la dt·oite vers une chèvre; sur d'autres pièces, les Kut·ètes dansent a utour d e Zeus, porté dans les bras Li'Amalthée ; sut· une monnaie de ce type, à Tra lles, la légende est â

1. La difl'é1· ence des noms parait due autant à des divergences régionales qu'à celles que les chants pouvaient présenter entre eux: ainsi, si Marsyas et Lityersès sont propre­ ment Phrygiens, Olympos paraît être Mysi en et Mariandyuos Bithynien, comme Hylas et Bormos. Le caractère ag1·aire de ces chants a été établi pa1· Mann hardt et par Frazer. Ils n'ont pas noté que les Lydiens connaissaient encore cl' autres chants dits To1'1'hébia, dont le caractère devait ètre semblable (fr. 22 de Nicolas de Damas). On a proposé de rapprocher élegos de mots arméniens qui désignent la fl ûte de roseau (elegn), Perrot, Histoù·e de l'A1·t, V, p. 29. Sur les influences phrygiennes en Arménie, voir plus ba~, p. 54. 2. 1larbre de Paros, 1, 19 : "fo:y.t; ô pù~ -iv),oùç rcpw-roç i)vpEv èy Iüh.vo:r; -rij~ <]>~vy(o:;. Sur cette restitution et tout ce qui concerne Hyagnis, cf. Felix Jacoby, Das Mw·mor· Pw·ittm (1904), p. 47-54. 1. La pluie diluvienne envoyée par Zeus est dite us-ro; ehez Apollodore, I, 7, 2, 1. 2. Tous les textes son~ cités par Stoll, art. liyes, Hyetios du Lexilwn dn RoscheL La !:orme Hyamos est probablement anatolienne (cf. sur ces noms en "amos" comme Mên Tiarnou,G. Meyer, J(arier dans Beitr. z. Kunde d. indoge1'1JL Spmche, X, p.182). Je tl·ouve que Klausen a déjà écrit: « Hyagnis ist vermutlich vom Regcn genannl, wic im J-Iyakinlhus di e~e Bedeulung von Welcker nachgewiesen ist" (Aeneas und C•L

L Pour toutes ces monnai es voir Barclay Head, C. B. M. Ph1·ygia, s. Apameia 2. Strabon, Xll, ~ . 19. 3. S. Reinach, Rev. Numism., 1888, p. 222. NOE SANGA RIOU 37 mère, bien qu'en choisissant une Danaïde ou une Pléïade ou Hyade, symbole elle-même des eaux pluvieuses et connue surtout pour ses amours avec Poséidon, on ait sans doute eu conscience de l'importance des divinités des eaux dans les cultes de la ville. Parmi les enfants qu'on donnait àKélainô, trois, Lykos, Chimajreus et Tt·agasia, - celle-ci mère, par Milètos, de Kaunos et de Byblis, - la rattachaient à l'Asie. Deux traits sont à noter ici: Chimaireus et Tragasia sont ,les éponymes de deux localités lyciennes, toutes deux célèbres par des phénomènes neptuniens, Tragasai par ses sources salines, Chimaira par les solfatares et fumerolles qui y ont donné naissance à la légende de la Chimère; quant à Byblis, éponyme de Byblos, elle se rattache à la tradition que nous retrou­ verons avec Mopsos à Hiérapolis, · l'antique contamination des 1 légendes phrygiennes avec les légendes syriennes • Plus intéressante encore pour nous est la tradition que rapporte 2 Pausanias , qui connaissait personnellement la Phrygie. Il appelle Kélainô la fille de Hyamos que d'autres sources nomment Mélanis; le nom de Hyamos paraît rentrer dans la même série qu'Hyagnis. On faisait de lui l'époux de Mélantheia, la fille de Deukalion, et, après le déluge de Deukalion, il aurait fondé Hya, ]Jlus tard Hyam­ polis. Un autre éponyme de cette ville, Hyas, passait pout· avoir rétabli alors les hommes sut· la tert'e 3 • Mélanis-Mélanthcia sont des doublets- mi-tl'aduction, mi-transcription - de Kélainô, qui insistent SUt' Je cat'actère sombre - parce que volcanique -de la région; Hyas-Hyamos paraît donc bien avoir été un dieu phrygien des eaux devenu à Apamée héros du déluge. Ainsi, non seulement Apa!llée passait pour avoir subi les ravages d'Lme inondation sur­ natul'elle, mais c'est là aussi que l'humanité aurait reparu. On commence à voir à quel point les légendes locales étaient faites pour y 11xet· la tradition biblique du déluge. Quoi qu'il en soit, l'étymologie véritable de Kélainai n'est pas nécessairement grecque 4 • Ramsay pense que la racine est kelen

L Voir les textes aux articles visés du Lexcion de Roselier. 2. Paus., X, 6, 2. On expliquait aussi par Hyamos ou pa1· ses doublets Hyas et Hyapos, les villes de Hyampolis et Hyanteia en Locride, de Hyapcia en Phocide, la roche Hyampeia à Delphes. Sur ces noms et le peuple des Hyantes, les « pluvieu~ "• cf. Wilamowitz, , 1883, p. 430. 3. Schol. Hom. Il., I, 250. Je me demande si cette mise en rapport de Hyas-Hay­ pos avec le déluge n'avait pa;; pour but de permettre de l'assimiler avec Jnpetos-Japb.et. On sait qu'une version faisait de Japetos et d'Asia les parents de Prométhée, père de Deukalion. Ce sont manifestement là des combinaison de Grecs juduïsants de Phryg-ie. 4. La forme plurale de Kélainai inrl ique peut-ètre une agglomération de villages. Pour conclure, il faudrait examiner toute cette série de toponymes lydo-phrygiens : P eltai, Gdméno et Téméuothyrai, Kadoi et Aizanoi, Sardeis ct Hyrgaleis etc. Le nom 38 NOÉ SANGARIOU

1 et compare Klannouda en Lydie • Kélendéris en Cilicie offre 2 un rapprochement plus satisfaisant , et, si l'on s'étend aux topo­ nymes anatoliens en kal (Kalynda, Kalanda, Kalykadnos) et en kol, (Koloé, Kolossai), la série des noms semble indique•· une racine asianique dont le sens reste incertain. Il en est de même, je crois, du surnom de Kibôtos que Kélainai reçut pour la distinguer des autres Apamée, lorsqu'elle fut refondée par Antio.chos Ier en l'honneur de sa mère Apama. On a générale­ ment voulu voir dans ce Kibôtos une allusion à l'arche qui, d'ap•·ès les monnaies et les oracles Sibyllins, se serait arrêtée à Apamée. Mais il est invraisemblable que la légende biblique ait pu se fixer à Apamée dès l'époque d'Antiochos I•r. On a vu que not1·e plus ancien témoignage, les vers de la Sibylle, ne remontent probablement pas au-delà du début du ne siècle avant. Plus récemment, Barclay Head 3 a proposé de reconnaître dans ce surnom une conséquence des nombreux emballages qu'on devait fail'e dans ce grand centl'e de commerce. On croirait à une plaisanterie, si le savant numismate ne s'était appuyé sur des mon­ nair,s de l'époque d'Hadrien qui montrent Marsyas étendu dans sa grotte au-dessus de laquelle sont placés deux, trois ou cinq cof­ frets- monnaies dont ce1·taines portent en exel'gne 'A7to:f1-Éw v Mo:p­ cruo:ç K;gw .. ol. Mais, si même cc sont bien là des xcgt,nol- ce dont 1 je doute pour ma part -, il est évident que le symbole moné­ taire n 'a été inventé que pout· fournit' à la curiosité grecque une explication du nom de Kibôtos. Les piècos en question ayant été frappées sous Hadrien, on pourrait en conclu!'e que l'explication pat' l'arche n'avait pas encore été adoptée à cette date. Une expli­ cation semblable paraît avoi r été en vogue pour le nom de Kibyra, si l'on en croit le panier ou la corbeille en osier qui est placé sut' la plupart de ces monnaies comme une armoirie parlante. En réalité, Fibôtos doit rentrer dans la même série de noms indigènes que Kibyra et que Kibyza en Bithynie, dont Kibôtos paraît une forme hellénisée, que Kybistra, en Cappadoce, et que

de Kélainai resta en usage il côté de la désig nation officielle d'Apameia et parait être redevenue en vogue au u• Riècle. Dion Chrysostome parle de Kücavo:t Tij; pvy[o:ç (O>·at., XXXV) ainsi que Ma xime de Tyr et Pausanias. Peut-ètre la Miicm

i. La racine de Kibôtos ne s'explique pas par le g rec. On peut en rapproch er xfl'lllca: xillvatç, xulltat;, termes asianiqnes hellénisés q ui signifient sac ou besace; la célèbre Kybis·is, passée pai· Hermès il Persée, est donnée par Hésychius comme nue g lo•e cby­ pr·iote ; Hésychius fait aussi connaitre Y. vil"' au sens . de coll'r·e funé ra ire, sarcophage. On a voulu expliquer ces mots par l'hébr·eu tèbah, dont on avait rapproché égale­ ment Thèbes et Tabai, ou par l'assyrien lcuppa, qui sig nifierait boite, récipient. Pour ma part, si la racin e est indo-eumpéeune, tous ces noms géographiques me semble­ raient s'expliquer aisément comme des creux, des co ncavités ou des e.utonnoirs, en les rapproclr ant de cupa, de xvn cnov, de >

Si la communauté chrétienne, qu'on verra florissante à Apamée dès le n• siècle, a pu, vers la fin du m e, faire élever cette église, et si cette montagne de l'arche est bien, comme le veut la Sibylle, celle au pied de laquelle sourd le Marsyas, j'ai cependant peine a croire que ce soit à ce sommet, qui domine à peine de 250 mètres

1. Op. cil., p. 390. 2. La description la plus co mplète de ces ruines se trouve dans G. Weber, Dinaù·, Cétènes, Apamée Cibotos (Besançon, 1892). 3. H. Leclercq, Dictionnai1'e d' A1'chéologie clu·étienne, p. 2907. NOÉ SANGARH'IU la plaine avoisinante, qu'on ait transft~ré le nom glorieux d'Ararat. Pour arrêter l'arche, ne fallait-il pas une cîme assez élevée pour qu'on pût croir·e qu'elle avait émergé la première des flots? Or·, le Samsoun-Dagh, «Mont du Soleil)) ~,qui s'allonge a l'est d'Apamée, culmine au sud a 1.765 mètres avec l'Aï-Dogmush-Dagh, « Mont de la Lune n et, au nord, a 2.500 mètres, dans l'Ak-Dagh, « Mont

Blanc •1 • Ce dernier sommet, couronné de neiges, dominant toute la Phrygie centt;ale du Salbakos au Dindymos et smplombant les plaines fluviales qui se succèdent d'Apamée à Euméneia, ne serait-il pas l'Ararat phr·ygien? Il n'est séparé que par les ravins cl u Glaukos du haut plateau où les Montanistes plaçaient la Jérusalem céleste. Pour le caractère sacré des montagnes qui dominent Apamée, il existe un texte important qui semble ne pas avoir été mis en lumière. C'est, dans le chapitre du De Fluviis consacré au Marsyas, le paragraphe 2 4 : « Il y a un e montagne là auprès appelée Berecynthe, lequel nom lui est demeuré à cause de Berecynthus, qui avoit esté le premier prebstre de la Mère des

Dieux 11 (Amyot). Il semble avoir été admis par les anciens que Cybèle devait son surnom de Be1·ecynthia à un Mont Berecyn­ the 3, tandis qu'aujourd'hui on y voit plutôt un vocable tiré de la tribu phrygienne des Be1·ekyntes, dont le t1·actus Berecyn­ tius conserverait le nom •. Or, cette .région semble placée par·

1. C'est le sens que le nom évoque aujourd'hui pour les Turco-:u·abes ; en réalité, il dérive sans doute du nom de Samsadon que porte une localité du voisinage d'Apamée. Je ne crois pas qu'on puisse tir·er parti du texte de Pline dans son chapitr·e sur les tremblements de terre : le1'·t a devotavit Cybolum allissimum monlem, cwn oppido Cw·ite (ll, 93); sans doute il faut corriger Bw·ile et penser à la fameuse catas­ trophe de lloura en Achaie ; en ce cas, il faudrait apparerumeut é~ rire Sybulum. 2. C'est le seul paragraphe où aucune source ne soit indiquée. Il faut sans doute l'attribuer, ainsi que le suivant, aux Ph1·ygiaka d'Agatarchide; ce § 5 parle de la pierre nommée ?·a qu'on recueille dans le Marsyas, srmblable à du fer; il suffit de la trouver au cours des mystères de la déesse pour être possédé (et, devait ajouter l'histoire, pour se couper les genitalia dans la fureur sacrée) . Ces mystères de Cybèle on t du avoir le Bérékynthos pour théâtre. -Ce fr. est attribué parC. Muller il Agatarchide de Samos, parce que c'est cet auteur que le de Fluvi'is cite à propos d'une autre pierre consacrée à Cybèle qu'on trouve dans le Méanùre (FIJG, Ill, 198). Mai s il y a lieu de rapporter plutôt ces fr. à Agatarchide de Cnide, qui a écrit dans la deuxième moitié du n• siècle av. J.-C. 3. Outre l'opo; Bspexvv8wv cité (Ps.-Plutarque, De Fluvi'is, X, 4, et Ps.-Arist., De mil·. A use. 173), un mons Be1·ecynllms est nommé par Vibius Seq., De mont., p. 155 Ri esc, des juga Betecy·ntia par Claudien, In Eut?·., li, 300. Une autre localité de Be1'e­ cyntus est citée sur le Sangarios, Serv. ad Aen., VI, 785; Acr. in Hor., Ill, 19, 15; Vib Seq., De flum., p. 151 R. 2. P:u·l'int.ermP.di;tire de Phorkys on vo udrait même fa ire de Berekys = Brekys une forme de Phrygios ; on sait que les Bpîyeç sont les Phrygiens restés en Macédoine, où 42 NOÉ SANGARIOU Pline 1 à la fwntière de la Phrygie et de la Pisidie; c'est prectse­ ment celle d'Apamée. D'autre part, Feslus puise chez Agathoklès de Cyzique, qui écrivait vers 200 av., la tradition qu'il résume ainsi : 2 Aeneam sepultum in 1.l1'be Re1·ecynthia proxime {lumen Nolon • Ne pourrait-on pas tirer parti de ce renseignement, inutilisable sous cette forme évidemment corrompue? Il suffirait de corriger: in monte Be1·ecynthio proxime {lumen (ou urbem) Noricon. On s'appuie­ rait sur cet extrait des Phrygiaka d'Euéméridas de Cnide, que l'on trouve encore dans le De Fluviis, pour expliquer le nom du Mat·­ syas : c< La peau de Marsyas consumée par le temps et tombée par terre fut poussée en la fontaine de Midas, et peu à peu fut trans­ portée auprès d'un pêcheur; et, suivant le commandement de l'oracle, Pisistratus Lacedaemonien bastit une ville auprès du monument du Satyre, pour cet accident et rencontre, et la nomma Noricum, duquel nom les Phrygiens en leur langage commun 3 appell ent une outre "· La même notice se trouve dans les commentaires d'Eustathe au 4 vers de Denys le Périégète où le Norique est mentionné • Ce n'est pas le lieu d'expliquer le rôle prêté au Lacédémonien Pisistratos 5 ; mais il impMte de comprendre comment on a pu localiser près d'Apamée le tombeau d'Enée. Nous avons vu que le lac Askania était proche de la ville et qu'on y montt·ait l'endroit où le héros Anchomos s'était jeté dans le gouffre. Qu'on se rap­ pelle l'importance de la colonie romaine à Apamée dès le milieu du ue siècle 6 ; n'est-il pas vraisemblable que la flatterie intéressée la B·tygia primitive (littoral de l'.Émathie) est connue par les jardins de roses de Midas et la légende du Silène surpris par lui. 1. Pline, V, 108 ; cette contrée était pleine de buis, XVI, 1L Stésimbrote dans Strabon, X, 412, pal'le d'un mont Kabeiros iv -r'iJ BEpexvv-r[q: (FHG, Il, 58, 1.1•) ; mais son texte ne permet aucune identification ; le passage se trouve dans sa discussion sur la proveuance des Koryhantes et les deux Ida de Phrygie et de Crète. Il y a aussi un mont Berekynthos en Crête : Diod., V, 64, 5. Il ne paraît pas douteux que le secoue! élément elu nom est un terme préhellénique désignant une hautem; cf. pour la fonnt! simple : 1\ynthos, le Cynthe de Délos, comme composés : Zakynthos, Arakynthos, etc. 2. Festus, p. 269 éd. 1\luller; F II G, lV, 290, 8. 3. De Fluv., X, 2 ; 1<' H G, Ill, 40~ . Le texte ne parle pas d e monum ent du Satyre 7t1Xpèr. ).d,Y<>.vtx -roù Ltx-rvpov se rapporte à l'endroit où la peau de Marsyas s'arrêta. 4. Eust. ad Dion. l'cr., v. 38'1 (Geog1' . gr. llfin., II, p . 214). La source n'est pas citée, mais les termes employés sont si semblables à ceux du De Fluviis que la somce doit ètre la même. On ne possède que ce fr. d"E\rr, [Ls p[otx; K•,io.oç; p mllablement n'était-il connu qu'à travers son concitoyen Agatharchide de Cnide. Cf. p. 21, n. 3. 5. On pourrait y voir un indice que la première colonie gTecque d'Apamée est ve nue des villes doriennes de Carie ou de Pamphyli e, dont beaucoup se vantaient d'œkistes Lacécl émouiem;. 6. Cf. Ramsay, op. cil., p. 424-6. NOE SANGA RIOU 43 des Grecs aura voulu lui montree Ascagne à l'Askania, Anchise dans Anchoueos, et la tombe d'Enée dans le Bérécynthe? Le Bérécynthe serait notre Ak-Dagh, et l'A'i-Dogmush qui lui fait pen­ dant à l'extrémité Sud du Samsoun-Dagh, le « Mont de la Lune 1>, devrait son nom au culte du dieu qui, poue les Phrygiens, person­ nifiait cette planète: Mên. En raison de la proximité du lac Askania, on peut supposer que ce Mên avait pour vocable Askaénos ; il aurait été un frère ainé du Mên Askaénos dont on visitait le temple avec tant de ferveur a u-dessus d'Antioche de Pisidie. Ascagne, aimé d'Aphrodite et père d'Énée, n'est -ce pas la transpo­ sition grecque d' une trinité phrygienne : Mên Askaénos et Rhéa­ Cybèle, parents d'Aineias-Attis 1 ? Que vw ptxov ait voulu dire 7.axdç en phrygien, non se ulement cela nous explique l'outre que portait Mat·syas 2 sm· la fameuse statue du Forum et cela permet de se demande t· si cette statue n'est pas venue à Rome d'Apamée en même temps que la légende d'Anchou­ ros qui y aurait été nationalisée sous les traits de Mettus CUJ·tius; mais nôrikon doit manifestement son sens d'outre à ce que -la racine nd désigne l'eau, - on a vu toute la chaîne des formes qui relient Noé à Norique. N'est-ce pas une raison de plus de ceoire qu'un nom comme Noé a pu êtee porté par la grande déesse d'Apamée, et la colonie judéo-cheéticnne n'a-t-elle pas dû y trou­ ver un nouvel argument pour placel'l'Araeat de Noé au Bérécynthe qui dominait Apamée-Nôrikon 3 ?

On connaît maintenant les quatre éléments locaux qu' Apamée put offrit· pour la fixation de la légende de Noé : 1° l"llis toire d'un déluge dont les eaux avaient disparu dans le gouiTre qui s'ouvrait sous le tianctuaire du grand dieu de la cité, histoire à laquelle la

1. .l'ai repris toute cette question d'Ascagne et d'Enée à Apamée et du transfert de la statue de Marsyas, que j'attribue à Manlius Vnlso en 189, dans mon mémoire : L'o1·i,qine du Marsyas du l?ol'!lm qui est sous presse dans Klio. 2. On a rappelé que S. Reinach, dans son étude sur Marsyas (Cultes et My thes, t. IV), a voulu expliquer son nom et l'outre qu'il porte par f1.<1 ?

beau de Silène au pays des Hébreux et un autre au pays des Pergaméniens », Paus., VI, 24, 8. Cf. la tombe de la nourrice de Dionysos à Scythopolis, Plin., V, 14. Mais nous ne saurions rouvrir ici la question de · l'à ne de Balaam et du culte d e 1':\ne en Palestine. 1. Sur les coffres fl ottants, Usener a completé son travail, Die Sintflulsagen (très insuffisant de toutes façon s), dans le Rhein. Museum de 1901 ; mais il n'a fait que toucher iL la question qui nous occupe ici. Pour le coff'r·e, le bateau et le sac comme moyens d'exposition ou de remise à la justice divine, voir.le chap. co nsacré ù cette question par G. Glotz dans 1'01'dalie dans la G1·èce p1'imitive. (1904). Sa remarque (p. 25) sut· l'influ­ ence de la ciste ;nystique transformant en cm·heille le primitif coffre quadmngulaire est bonne à ra ppeler pour expliquer la forme que prennent les T(ib(Jtoi sur les monnaies de Kibyra (cf. p. 20). A11 pays des cistophores, r.ette tra nsformation devait ètre plus naturelle q u'ailleurs: il est d'auta nt plus ca ractéristique que la J(ibOtos de Noé y ait résisté il Apamée. NOÉ SANGARIOU

1 à Ikonion, Hiérocésarée, Daldeis, Sébasté • Sans doute, chacune de ces villes avait sa légende propl'e; il ne nous est resté de ces t1·aditions que de raees fl'agments épal's qui mettent P ersée en connexion avec Pl'oitos de Lycie, lui font combattre les Got'gones en Lycaonie, laisset· l'empreinte de son pied à Tat·se et la tête de Méduse à Ikonion; le k étos 2 qu'il tue a été mis en rapport avec les Kétéens de Cilicie et sa harpé, qu'on retl'ouve comme attribut d'Attis, est une arme nationale en Lycie et en Isaurie. Dans ces conditioi1 s, on peut se demander si une légende n'a pas expliqué par l'arrivée du coffret contenant Persée et sa mère le nom de Pa tara en Lycie : Alexandre Polyhistor 3 voyait dans ce nom un équivalent de xicrn1 (cf. pateTa) et le montrait dû à un coffre que les flots y avaient poussé. Sans rechercher ici les autres traces de la légende d'un Persée-Deukalion en Lycie", rappelons que le IV• chant Sibyllin mentionne le cataclysme, une sorte de raz-de­ marée qui aurait détruit «le peuple impie de Patara 5 » . Nous avons vu la légende de l'exposition sur les eaux en rapport avec un hél'os indigène en Phrygie. Il s'y agissait du fils de Nanas­ Noé, Attis, dont Pel'sée semble avoir souvent usul'pé la harpé en Asie. Attis-Agditis ou sa mère Kyba-Cybèle paraissent avoir été souvent adorés sons la forme d'une pierre: la pierre noire de Pessi­ nonte est célèbre. Or, ces pierres sact·ées furent mises en rapport, elles aussi, avec la légende diluvienne. Ce serait sut· le Mont Agdos, an-dessus de Pessinonte, que Deukalion et Pyrrha auraient jeté les

1. Voir pour les références aux teü es J'article Pe1·seus du Lexicon de Roseli er ; pour les monnaies dans le C. B. M. aux villes citées ; pour Persée dans les royaumes gréco·rnacéctonieus d'Asie, mon mémoit·e du Jou·mal inle1·n. d'al'ch. nwn., 1913. 2. Génüralementlocalisé à Joppé, ville plus a ncienne que le déluge, dit Pline, V, 69. Il n'aurait sans doute pas caractérisé ainsi la ville si elle n'avait joué un rôle clans une tradition diluvienne de Syrie. 3. Fr. conservé par Stéphane de Byzance, s. v., FHG, Ill, 235. li explique autrement l'origine du cofl't·et, mais la présence a Patara d'une T'I!).Écpou Xpi)V'II (Stéph. Byz.) peut ètre un indice en faveur de notre h y poth è~e , Téléphos passant, comme l,'ersée, pour avoir été jeté à l'eau dans un coffret. Il en était de mème de Hémithéa, qui avait un temple célèbre sut· la même cùte, clans la Pérée t'hodienne (cf. p·. 13, n. 3. 4. Happelons seulement que Persée jJassait pom ètre parti, comme Deukalion, elu mont Apésas (du départ) près d'At·gos (fr. d'Arrien, dans FElG, Ill, 59i ). On pourrait voir l'indice d'une confusion entt·e Persée et Deukalion clans le fait que Stéphane de Byzance donne Kandybos, nts de Deukalion, comme éponyme à Kandyba en Lycie (notice que Meineke reporte à Hécatée) ; on s'attendrait à voir intervenir plutôt Persée comme œkiste légendait·e sur celle Gôte . 5. Patara est impie à cause du fameux oracle d'Apollon qu'on estimait opibus el omculi fille Delphico s·imilis (Mela, I, 1.5) et peut-être à cause du rite signalé par Hérodote, I, 181. 46 NOÉ SANGARIO U

1 pi eri'es dont serait sor lie la race nouvelle des hommes • C'est donc qu'une légende faisait a!Joi·der Deukalion SUI' cette montagne. Il nous est paevenu une trace plus nette d'une légende de l'arche dans celte région. Nous avons rappelé déjà, à PI'opos de Mên­ Anchouros, le fils du dieu Midas, que son nom permettait de mieux s'expliquer l'inventio anco?'c13 atteibuée à Midas. Cette ancre était encoee conservée du temps de Pausanias dans le temple de 2 Zeus, à j\.ncyre • Or, qui a vu Ancyre sait combien, sue son épeeon rocheux, elle domine le vaste cirque de vallées où coulent paeesseusement les eaux qui vont rejoindre celles de Pessinonte dans la plaine de Gordion, pour y former le Sangarios. Aussi, l'endroit où l'on conservait l'ancre é tait-il probablement celui où elle passait pour avoir été trouvée, et c'est à cette hauteur détachée des gmndes montagnes de la Galatie pontique que s'applique le vers d'Ovide :

Et vetus inventa est in montibus anco1'a summis 3 • Une ancre suppose un bateau. Un bateau qui laisse une ancre « au plus haut des monts » ne peut guère êti'e que l'arche qui sauve l'humanité pendant le déluge. On ne saueait croiee que des influences juives se soient exercées SUI' Ovide"· Au temps du credat-Judaeus ApeLLa, elles n'étaient pas encore assez en vogue à Rome. Le passage où se trouve le vers cité est un gmnd di sCOUI'S de Pythagore sut· les révolutions 'du globe et les destinées du monde. Pythagore a subi l'influence de l'Orphisme, qui, lui-même, paraît avoir de profondes attaches dans les mystèr es de Sabazios et

1.. Pans., l , 4, 5. Ou pGurrait peut-être justifier par cette légende le texte de Strabon (lX, 431) qui appelle Asv><

Un souvenir de cette légende peut se retrouve!' dans une autre ville toute proche d' Apamée, dont le nom même paraît avoir été interprété comme signifiant: la barque. " Il y a, an-dessus de la Minyade, une grande montagne en contt'e-bas de l'Arménie, appelée Baris. C'est là, dit la tradition, que se réfugièrent et furent sauvés ceux qui purent échapper au déluge et qu'un homme aborda à son sommet avec une arche; on a longtemps conservé les restes de ses bois. Cet homme semble avoir été celui dont a écrit Moïse, le légis­ lateut' des J nifs 1 • ,, Secrétaire du roi Hérode, Nicolas de Damas, dont Josèphe nous a conservé ce fragment, ne pouvait ignorer la tradition biblique où l'arc,be s'arrêtait aux monts d'Ararat; il connaissait, sans doute, également la tradition chaldéenne telle que Bérose l'avait consignée à l'usage des Grecs; il la connaissait au moins à travers l'abrégé d'Alexandre Polyhistor. La façon dont Nicolas s'exprime inc.line à croire que ce fragment est extrait d'un passage où il comparaît le déluge chaldéen au déluge hébraïque et en concluait, - par une anticipation sur l'exégèse moderne qui suppose une source grecque - que le Noé de la Genèse était copié sur le Xisouthros chaldéen. En tous cas, il n'y a pas de raison valable de corriger son texte comme le voulait Vossius : il changeait Mtvu

i. Fr. 16 des PilG, chez Josèphe, Ant.jud., 1, 3, 6, § 95: "Ea·m vnsp ~-!)v !11tvvcio"' p.éy"' opoç ""''"' ~·~v 'App.év(o.v, Bciptç ÀéyO!kéVOV ' étÇ à 7tOl.Àoù, CJV~-'f' VYOVTG<Ç È1tt ~ov xo.~o.xl.va~. o\i l.oyoç iiz" .néptawO;jvo.t, l~· es Eust., cul Il. vr, i 8'•, les Solymes semicnt ideutiques a ux MtÀVIJ(t qui sont des l\1wuiJ(t omb J){wuoç ou Mivwo; . Cf. Treuber, .Gesch. de1· Lykier, p. 24. NOÉ SANGARIOU

1 Adalia, port du golfe de Pamphylie. La Milyas dépendait ci'Apamée • Si J'on acceptait celle correction, «il faudrait voir dans le texte de Nicolas une nouvelle allusion à la tradition « apaméenne » du déluge, dont la fusion avec les traditions bibliques est attestée par 2 les monnaies au type de l'arche el à la légende NO~ » • Mais on 3 va voir que le texte ne doit subir aucune correction • La teadition biblique faisait arrêter l'arche aux « montagnes d'Ararat ,,·. Il ne s'agit pas du sommet arménien qu'on appelle aujourd'hui l'Ararat~ ; il s'agit des montagnes de l'A1·ménie en général, ou plutôt de cette partie centrale de l'Ar·ménie qui va du lac Van à l'Araxe et qu'on connaissait dans l'Orient sémitique sous Je nom d'Ourartou \d'où Ararat). Remarquons que la mention de l'A1·arat se trouve dans un passage de la Genèse dû à l'Elohiste ou au Code sacerdotal: il a donc été rédigé entre 650 et 450, à une époque où les Hébreux connaissaient bien l'Arménie. Ce n'est guère qu'en Babylonie qu'ils ont pu adopter une pareille locali­ sation, et en Babylonie même, on n'a guère dû y songer avant que la conquête assyrienne n'ait fait rentrer l'Arménie dans l'horizon babylonien (vers 1200). En effet, le déluge chaldéen ne parait pas avoir mentionné l'Ararat. On s.ait que la légende chaldéenne du déluge nous est parvenue sous deux formes : 1) L'une est con tenue dans la onzième des douze tablettes racon­ tant l'épopée de Gilgamès qu'on a retrouvées dans la Bibliothèque d'Assourbanipal (668-26) à Ninive 5 : le héws du déluge y est

1. Stmbon, Xli, p. 539. Da ns la paix de 18S, la ~Iilyas fut donnée au royaume de Pergame, cf. Cardiuali, Il 1·egno di l'eJ·gwno, p. 76; Klio, X, p. 251. Une autre loCillité dite -/j B>, pour le rapprocher de l'assyrien Ourartou, Oura-Ourtou, " les hauts pays ». 5. Ce rameux texte, découvert par George Smith en 1812, a été fnjrJucmmcnt tra­ duit ou analysé. Je ne cite ici que les publications très accessibles de Muss-Arnolt, NOÉ SANGARiOu' appelé Oum-napishtim 1, et le dieu qui le protège, Ea, le dieu­ poisson; le point de départ de l'arche est Shourippak en Chaldée, le point d'arrivée, le mont Nisir. Nisir, en assyrien, veut dire salut; comme cette montagne parait 2 être !"éperon que Je Zagros projette vers Arbèle et Ninive , c'est probablement dans la légende ninivite qu'il sera devenu le Mont de l'Arche. 2) Dans cette m,ême Bibliothèque d'Assourbanipal, on a recueilli plusieurs fragments d'un récit semblable où le dieu est Ea, mais le héros Atrachasis, « le très sage » 3 ; à la même version appartient le fragment dit (( fragment Scheil », de mille ans au moins plus ancien' : il a été trouvé à Sippar. Ce récit mutilé devait être semblable au récit conservé dans les versions grecques (l'abrégé du Syncelle) et arménienne d'Eusèbe, empruntées, l'une à Alexandre Polyhistor, contemporain de Cicéron, l'autre à Abydénos, contemporain des Au touins ", auteurs qui puisent tous deux chez Bérose, qui rédigea sous Antiochos 1•··, une histoire de 6 la Chaldée à l'usage des Grecs • Dans cette rédaction grecque, Ea est traduit par Kronos, et Atra-Chasis, ou Cbasis-atra, est assimilé en Xisouthros ou Sisythrès. L'arche part de Sippar et s'arrête sur les montagnes des Gordyens, où on recherchait encore, du temps de Bërose, comme amulette ou talisman, le bitume raclé · sur ses débris 7 •

Ass!Jrian and Babylonian Literature (New- York, 1902), p. 350, de O. Weber, Die Litemtu·r der Babylonier und Assy1·er (Leipzig, -1901), p. 82, et de C. Bezold, :icltOp(ung und Sintflut (1911). 1. Un a écrit aussi son nom Shamash - Napishtim (Maspero), Nub-napishtim (Hom­ mel) etc. La dernière ler. ture proposée est, je crois, Uta-napishtim, « le soleil est ma vi e » (Thureau- Dangin, Lett1·es et contmts de la 1•• dyn. babylonienne, 19-10). 2. Sur le Nisir, cf. Muss-Arnolt, Concise Dict. of tite Assyrian, p. HO. 3. Notamment la pièce 26 dans O. Weber, op. cil. i . La pièce (21 de Weber) a été publiée par Scheil, Rec. de Tmv., XX, p . 55-59'. Elle est datée du règne d'Arnmizadouga, un des derniers rois de la vremière dynastie babylonienne (v. 1800}. Scheil lit: Pi-ir-napishtim, le nom du heros du déluge sur la tablette 1, Atrakh;~ s i s sur la tablette 8. G. Voir llaus l'~usè b e de Schoeue, 1, p . 19-24 ; pour la ve1·siou de Polyhistor (texte tlu Syncelle et texte arméllieu traduit en latin), F H G. II, 501, p . 31-2 ; pour celle d'AI>ydénos (arménien traduit en latin), F 11 G, IV, p. 281. - Eusèbe, Prœp. ev., IX, 19, lionne un l'r. d'Apollonos Molon conservé par Polyhistor (F H G, 111, 2, 13): il y est t[uestiou de l'dwmme qui ~vait wrvécu au déluge partant d'Arméuie avec ses fils pour se rendre en Syrie ". 6. Josèphe n'hésite pas à dire que Bérose parlait de Noé sauvé sur les montagnes J 'Arménie, C. Ap., 1, 19, § 130. i . Le Talmud montrait Sauhérib, le roi d'Assyrie, trouvant une planche de l'arche J e Noé en Arménie; l'empereur Héraclius aurait cherché à en voir les restes. !iO NOÉ SANGARIO U Cette dernière indication 1 pourrait permettre de ramener autour de la même région le point d'abordage de l'arche dans les deux versions. En effet, on a soutenu que le nom d'Ourartou-Ararat s'était appliqué d'abord au Kurdistan et le Mont Nisir semble, on l'a vu, être ce contrefort du Zagros, qu'on appelle aussi le Mont des Gordyens (Kurdes), qui s'avance entre le Grand Zab et le Tigre 2 et qu'on· rencontre en allant de Ninive en Médie • Or, c'est dans cette région que Strabon et Quinte-Curee 3 placent les plus fameuses fontaines de bitume, et il est probable que ce qu'on montrait aux dévots comme des planches poissées de l'arche, n'était que des bois enduits de bitume. Quinte-Curee nomme dans le voisinage la ville de Mennis, aujout·d'hui Kerkoull. On pourrait y chercher la Minyas, si on id en ti fiait la Baris au Nisir. Mais, une fois que l'on garde Mivuctç dans notre texte, il faut aussi tenir compte du xct-rQ: -r ·~v 'App.•victv. Or, d'une part, le Nisir est beaucoup trop éloigné de l'Arménie pour qu'une pareille désignation ait jamais pu lui être appliquée ; d'autn=J part, l'Ararat, ni au sens large, où il désigne le district montagneux entr·e le Van et l'Araxe, ni au sens r estreint, où il désigne le sommet dominant du massif, ne saurait être dit " en contre-bas de l'Arménie >>, puisqu'il eu forme le cœur même •. Il faut chercher la Baris au sud de l'Arménie proprement dite.

1. Ce détail est donné par Polyhistor, dont le texte grec parle de ~.Époç ·n Èv ~o <ç Kop­ ôu

f. Si la tradition arménienne, qui hésite entre Masios et Ararat, s'est décidée à l'époque moderne pour l'Ararat, c'est probablement par l'action de l'importante colonie juive qu'on sait avoir été établie au IV' s. a Nakhidchevan, la Naxuana de Ptolémée, au pied de l'Ararat, sur la rive N. de l'Araxe; les Arméniens interpréteraient le nom de cette place par " première descente », et le district voisin d'Arhnoïodon comme « auprès du pied de Noé » (cf. St. Martin, op. cit., 1, p. 266) . Persans et Turcs ont adopté cette identification, les Persans appelant J'Ararat Koh-i-Nouh (Mont de Noé),. les Turcs ayaut fait de leur premier nom Ag1·i-dagh (mont escarpé) A1·ghi- daglt (Mont de l'arche) . Ces faits aident à comprendre l'action qu'a pu avoir la colonie juive d'Apamée. Il faut ajouter que le fait que l'Ararat est la cîm e la plus haute de l'Arménie (5.i00 m.) et la plus saisissante par ses escarpements volcaniques (dernière grande éruption en i 840), a dù contribuer à en faire la montagne de l'arche. Des écoulements de bitume ont pu s'y trouver ; en tout cas, dés le temps de J'empereur Héraclius, on cherchait sur l'Ararat des vestiges de l'arche. 2. Jos., Ant. Jud., loc. cit.: èmo6a:djpwv (passage auquel se réfère Zonaras). 3. Neubauer, Géogmphie du Talmud, p. 319, à compléter par l'article Flood de la Jewis/1 Encyclopœdia. 4. Épiphane, Adv. Her. XVlll, 3 (coL 259 t. XLI de Migne) : "t'ct ÀE (.jlœva: Tjjç Tov Nwe À

1. Cette conjecture très simp le n'a pas été formulée, à ma co nnaissance. On s'est genéralement contenté de reprendre l'idée de St. Martin (op. cit., I, p . 49 et 265), qui pense au pays des Manavazéans, qui serait au sud d Lt Pakrevant (Bagra ndavène). 2. Adv. Her., l , 4 (c. 181, Migne) : 1:'/jç Àov 'Apf!Evtwv Y.a.l Ka.pôvéwv f. v '~''Ï> Aovllà.p iipEt xa.),ovf!Évq> . Il indique ensuite q ue le Loubar dominait la plaine de Sinéar. Si ce n'est pas là une simple inférence tirée du texte biblique (les fils de Noé d escendus de l'arch e se répandent dans les pays de Sinéar) , il faut placer la montagne a u-dessus d e l'Assyrie, généralement iden- . tifiée au Sinéar. Bien entendu, il ne sau•·ait être q uestion de l'Elbrouz, comme certains auteurs l 'écriv~nt. sans do ute par lapsus. Si cette cime est !a plus haute d e l'Arménie russe (5.640 m ), il n'a jamais pu venir à l'idée d ' un ancien de dire qu'elle se trou­ vait entre l'Arménie et la Go rdyène ; il faudra it corriger sans motif Ka.?0vÉwv en Ka.o ­ m Éwv. Je rappelle qu'Épiplune a écrit ce passage en Palestine, vers 375. :1 . Stl abon, XI, 14, 14: 6 'Ailoç Èyyùç Èu'rt 't'ijç oèeil -ri'j' E'Ç E xllo:'t'Erovr,'l); rca.pà. -rèv rijç B.Xptôoç vEwv. Cf. XI, 12, 3, etc. NOÉ SANGAIUOU 53 il passe ensuite aux Sarapares, Gouraniens et Mèdes; cette roule d'Ecbatane est donc bien celle qui s'allonge entre la Caspienne et le lac d'Ourmiah. Mais, plus haut, Strabon fait de l'Abos et du Nibat·os (ou lmbaros) des parties du Taurus. On sait que les anciens prolon­ geaient le Taurus jusqu'an Masios, chaîne de Gordyène transversale 4 au Zagros ; le prolongement de l'Antitaurus devenait alors le Niphatès (Nibaros ?), et l'Abos venait s'allonger entre les deux branches supér'eures de l'Euphrate et l'Araxe, qui, tous deux, y prenaient leur source au Nord-Ouest du lac de Van. Cette localisation de l'Abos se prêterait à l'identification de Baris avec Varaz; mais on ne saurait hésiter à sacrifier ces combinaisons incertaines au renseignement si précis que fournit le texte de Stmbon : le temple de la Baris se trouve sur la route d'Ecbatane. On a cru en tenir compte en proposant d'identifier la Baris comme le Loubar avec l'Elbrouz, et en rappelant que le nom iranien de cette chaîne était Haraberezaïti, ou, plus brièvement, 2 Berezat ou Berekat . Mais il suffit de lire le texte de Strabon pour voir qu'il s'agit d'une localité précise et non de cette vaste chaîne qui, d'ailleurs, reste fort à l'Est de la route d'Ecbatane; il faut ajouter que Beres signifiant haut en iranien, les montagnes de ce nom- ou dans le nom desquelles cet élément reutrait - n'e devaient pas être rares, Une identification bien 3 préférable nous est, je crois, fournie par Strabon • En décri­ vant la Médie Atropatène, il signale que sa capitale d'hiver est OlîE piX h 'f'fOu?!'-\' ÉputJ-vi]i ; Antoine l'assiégea dans sa campagne contre les Parthes où il était guidé par le roi d'Arménie Arta­ vasde. D'après Dellius, lieutenant d'Antoine et historiographe de l'expédition, Ouera • se trouve à 2.400 stades de l'Araxe qui séparait l'Atropatène de l'Arménie. Ce renseignement et les autres textes qui nous foüt connaître la campagne d'Antoine rendent hautement vraisemblable que Ouera devait dominer ~e

i. JI faut rappeler que Nasios est sans doute la forme grecque de Mâshou, la montague, porte ùu Couchant, pa r oll Gilgamès passe pour aller consulter Outna­ pi shtim sur la mer ocddt!ntale. La montagne jouait donc déjà un rôle dans la légende .:!J aldéenne du Déluge ; d 'après A. T. Clay (AmUI'J'U, the home of tl!e nm·them Semites, 1.909), Mash serait le nom du dieu amorite du Soleil. 2. Notamment par F. Lenormant, qui rapproche Berezat de Bérécynthe. 3. Strabon, XI, 1.3, 3. 4. J e transcris provisojremen ainsi ; mais on verra que, identifiant cette ville à llaris, je préconiserai d'écrire Véra ou Béra. Si ce nom ne se rencontre plus après Stra­ bon, e'est que la ville a reçu celui de P!Jraaspa Oll Phraala, d'un de ses souve1·ains, peut-ètre le grand roi des Parthes, contemporain d'Antoine et d 'Au g nste, Phraatès IV. Plutarque et Dion C<~ssius auraient, par anachronisme, appelé Phraata la ville qui, appartenant encore au roi de :Médie-Atropatène, s'appelait Véra. NOÉ SANGA RIOU croisement de la route de Ninive-Arbèles aux Portes Gaspiennes' avec la route de Suse en Arménie par Ecbatane. Ce n'est pas le moindre avantage de cette lo calisation de la Baris que de permettre une identification de la Minyas conforme à ce que l'on sait de la géographie de cette région à l'époque assy­ rienne, qui est celle où les Juifs ont constitué leur tradition du Déluge. Les Manna des Annales assyriennes, les Mana des ins­ criptions vanniques forment, du début du vn· siècle au milieu du vr•, un des états de montagne que les rois d'Assyrie s'efforcent de soumettre en même temps que le Biaina (pays de Van), les Mèdes, les Mouski, Tou bal, Gimirri et Ashkouz. A la veille de la chute de Babylone (v. 550), Jérémie 2 exhorte« les rois d'Ararat, Minni et Ashkenaz >> à se joindre contre elle au roi des Mèdes. Quelle que soit la provenance exacte des Ashkenaz - ou Ashkouz, comme la Bible en fait des fils de Gomer, éponyme des Cimmé­ riens, on y voit généralement des bandes scythes-, les Minniens, eux, se trouvent bien localisés entre le lac d'Om·miah et la Caspienne, formant une partie de l'Azerbeidjan (Atropatène). Quand les écrivains hellénistiques eurent développé la légende de Médée, éponyme des Mèdes, et qu'ils furent allés jusqu'à appeler Jasonion la partie de l'Elbrouz qui domine les pot·tes Cas piennes 3 , il n'y a rien que de naturel à ce qu'ils aient transformé le pays de Jvlinni en pays des Minyens. No us pouvons maintenant nous demander ce qu'est le 'I El~ç 'tijç Bocpt ooç. Car je ne vois aucune raison de corriger le texte en 'Afîocptooç comme on ra proposé~; jamais le magicien h yperboréen Abat·is n'a eu de temple en Atropatène. Ce nom n'a, d'ailleurs, rien d'étonnant en pays iranien, puisqu'on a vu que bm·es signi­ fiait élevé dans sa langue. Nous l'avons rencontré dans le nom antique de l'Elbourz, Berezat, et il faut sans doute aussi le voit· dans l'Imbaros. De plus, on doit aussi rappeler que vâri désigne l'eau en sanscrit.

L Strabon compte 80.000 stades de Zeugm~ sur l'Euphrate aux: frontières de l'Atro patène, XI, 13, 4. Il y avait donc également la une route publique. 2. Jérémie, u, 27-8; cf. A. Sayce, The Cuneifo1'1n Insu iplions of Van (J. of royal Asialie Soc., 1882), p. 310, 391 ; The Highm· C1•iticism and the Monuments, p. 131. On pourrait admettre que le pays des Manni s'étendait jusqu'a Mennis, c'est-à-dire dans la' partie du Zagros comprise entre le Grand Zab et le lac d'Ourmiah. D'antre part, il faut temarquer que les traductions chaldaïque et syriaque rendent le Minni de Jérémie par Hounnini ou A1·menia. 3. Strabon, XI, 13, iO. / 4: On a aussi proposé Z

1 Je ne crois pas qu'on puisse, comme on l'a fait , conclure de re seul texte à l'existence d'nne rl éesse Baris. Ce temple était évi­ demment un des plus importants de l'Atropatène, refuge du pur Mazdéisme. On sait l'importance que lé culte des eaux courantes y avait revêtu. Il suffit de rappeler les chevaux jetés à l'Euphrate par les Arméniens, qui interprétaient l'avenir àans ses vagues ou 2 son écume , et la source puissante adorée au pied d'une mon­ tagne de Kbora5mie dont le sommet était occupé par un temple d'Ahoura-Mazda et d'Anaïtis 3 . Ce culte des eaux, indépendamment des yazatas spéciaux,- comme Apâm Napât, dont le nom doit sans doute se retrouver dans le Niphatès, « montagne des neiges », où Strabon place la source du Tigre,- ce cnlte paraît avoir été rattaché à celui d'Anaïtis. Quelle que soit la mesure où ont pu se fondre en elle l'Anabîta de l'Avesta, la Nané élamite, la Nana babylo­ nienne, peut-être l'Anaia dont on a vu Strabon mentionner le temple 1 aux fon tain es cl e bitume de Mennis , elle est essentiellement la déesse des eaux fécondantes et purifiantes. L'Avesta 5 en fait la personnification d'une fontaine céleste où tous les fleuves pren­ draient leur somce 6 ; une inscription d'un temple · d'Artémis Persique dans la Lydie romaine célèbre encore « Anaïtis qui vient de l'eau sainte' >>. Dans la ré.gion qui nous in Léresse, outre le temple de Mennis et le temple d'Ectabane s, celui d'Arta,xata et celui de Yashtishat 9 en Tauranitis , on . sail que l'Akilisène en possédait un si impor­ tant dans son chef-lieu d'Eriza 10 que toute la région était dite Anaetica regio H. L'armée d'An toi ne avait dû piller un grand temple de la déesse : cela résulte de l'anecdote bien connue du

1. Aux a rt. lJm·is du Lexikon de Roscher et du Pauly- Wissowa. 2. Tac., Ann., VI, 37. 3. C'est ce qui semble résulter du récit hagiographique « Venue des Vierges Rhipsi· méennes >> attribué à Moïse de Chorène. Sur l'eau et le feu considérés comme frère et sœur, cf. Encyclopedia of Religions, art. A1·menia, p. 196. 4. Strabon, XI, 12, 4 ; H, 8. 5. Darmesteter, Zend-Avesta, II, p. 365. 6. K. Buresch, Aus Lydien, p. H8: 'Avcxeh"l} -ri}v ci1to où lepàv vocx-ro;. Il faut toute­ l'ois également penser à Nina ; la déesse de la ville chaléenne de ce nom est devenue celle de Ninive, d·)ct le nom signifie " maison du poisson », cf. Pilcher, Proc. of Bibl. Soc., 1905, p. 69. 7. Plutarque, A1·tax., 21; Polybe, X, 27, 12. 8. Sur ces deux temples, cf. Agatliangelos, p. 584, et p. 606 (éd. de Venise, 1862). 9. Strabon, XJ, 1.4, 'l6 (p. 533).· 10. Pline, V, 83; cf. Dion Cassius, XXXVI, 88; Moïse d e Chor~ne , II, 20. iL Pline, XXXIII, 21• . On a conclu a tort du renvoi que Pline fait au passage où il parle de I'Akilisène qu'il s'agil du temple d' Anaïtis qui s'y trouve ; I'Akilisène faisait partie de la petite Arménie, royaume dont Antoine était l' allié. NOE SANGA RIOU vétér·an faisant dîner Auguste de la jambe d'une statue en or d'Anaïtis, morceau qu'il aurait eu pour part de son butin dans 1 l'expédition d'Antoine contre l.es Parthes • Or, ce qu'on sait de l'itinéraiee d'Antoine ne per·met pas de le faire passer en ennemi 2 par aucun des temples mentionnés • Puisque le siège de Véra­ Phraata fut, au contmire, le principal épisode de l'expédition, ne peut-on pas admettre que le temple de Strabon que nous y avons placé étajt celui de l'Anaïtis surnommée Baris 3 ? La déesse devrait son nom à la montagne de l'ancien pays des Minni, maintenant centre religieux de l'Atropatène.

Reste à ex pliquer comment on avait fait de cette hauteur la montagne de l'arche. Je crois que deux facteurs y ont contribué : une étymologie savante et une légende indigène. L étymolo gie savante consisterait en une sorte de jeu de mot entre Bads, la montagne, et ~~pt ç, le terme qui désigne les barques sacrées en É~ypte et qu'Hérodote a déjà si bien précisé que c'est ce mot qui, passé du geec au latin, paraît avoir donné, par bârica• barca, notre bm·que. Les· Gr·ecs devaient-ils s'étonner de retr·ouvcr ce terme en Arménie, même s'ils avaient encore conscience de son origine égyptienne? Les tr·aditions qui faisaient des Colques, en raison de la ci r·concision et d'au tees particularités,. des colons des Égyptiens et qui faisaient conquéeir par Sésostris la Colchide, où il aurait laisse des monuments inscrits à son nom, ces tr·aditions ne seraient­ elles pas venues à point pour calmet· leurs scrupules ?

1. Le récit dt\taillé de Plutarque montre qu'Antoine, après avoir hivem é chez son allié, Artavasde, le roi de la Petite Arménie, a occnpé la Médie au début du prin­ temps, puis, laissant la Grande Arménie à droite, envahi et pillé l'Atropatène. Il entre­ prit d'assiéger les femmes et les enfants du roi de Médie dans une grande ville, Phraata (Ani. 39 ; cf. Dion, XLIX, 25). Repoussé à Phraata - notre Véra-, il bat en retraite vers le !tant Araxe. 2. Le point essentiel, à mes yeux, est de voir dans ce temple celui de l'Anaïtis d'Atropatène. Quant au passage de Strabou, à cùté de la couj er,ture développée dans Je texte, deux autres combinaisons au moins me paraissent possibles. L'une consisterait à supposer simplement que THE BAPI~OE résulte d'une mauvaise lecture d'ANAEI­ TUO:E ; le nombre des lettres est le même, mais la co nfusion s'explique difficilement an point de vn.e paléographique (remarquez que le mème nom a été déformé en Tavctt­ /Joç dans XI, 14, 16); l'antre se bomerait à corriger BAPBOE en :EAPI~O:E , Sayce ayant lu Sal'is le nom de la seule déesse qne mentionnent les insr,riptions vanniques (elle ·estsurtnut connue parles r·ois dont le nom est Sar-douris); lui-mème croit le nom tir de "elui d'Ishtar. Si la lecture était certaine, ce serait la correction la plus séduisante. 3. Hérodote, Ll , 10~; Oiodor·e, l 53-9 ; Ensthathe, ad Dion Pe1·., 588 ; Scholies à NOÉ SAI'iGARIOU 57

01·, l'un des deux auteurs que Josèphe cite avant de reproduire l'extrait de Nicolas de Damas est" Hiéronymos l'Égyptien, L'auteur de l'Archéologie phénicienne ". On a proposé de l'identifier à l'auteur qui remania, vers, la fin du m• siècle, la théogonie 1 orphique • Est-il déraisonnable de lui prêter une étymologie qui est autant dans le goût alexandrin? L'autre auteur que cite Josèphe, Mnaséas, est certainement Mnaséas de Patras, disciple d'Eratoshène qui a sans doute composé à Alexandrie sa Pé1·iégèse, à la fin du m• siècle. Le livre de cet ouvrage consacré à l'Asie peut avoil' été un des premiers à m8langer les traditions gréco­ phrygiennes avec les traditions judéo-syriennes, à en juger par certains des extraits qui nous en sont pat·venus. Mnaséas y racontait la légende de Dardanos et des autres rois phrygiens ; il se plaisait aux: syncrétismes, identifiant Dionysos, Osiris, Sérapis et Epaphos; enfin, il racontait, d'après Xanthos le Lydien, la légende qui faisait venir Atargatis de Lydie: fuyant Mopsos, le roi Phrygien, elle se serait jetée avec son fil~ Ichthys dans le lac près d'Askalon, où s'élève son t emp le~. Ce fmgment permet de croire que c'est chez Mnaséas que puisait Nicolas de Damas dans le liv re IV de ses Histoires, où il paraît a voi ,. confronté l'histoire de l'établissement des Hébreux: en Palestint ~ avec celui des Doriens en Grèce et des Lydo-Phrygiens en Asie. Il y mcontait précisément l'histoire de Mopsos. dont Mopsoueste et la Mopsoukréné attestent le culte en Cilicie, poursuivant Derkéto el noyant les habitants de Nérabos 3 en Syrie pour leur impiété, --

Apollonios de Rhodes, rv, 212 et 211; Amm. Marc., XXII, 8, 24. - Peut-être faudrait­ il corriger en Varis le nom du devin qui, quittant les bois sacrés de I'Hyn:anie, annonce aux Scythes le navire Argo et l'armée des Minyens. Les manuscrits de Valerius Flaccus, IV, 113, portent Varus, nom qui n'est g uère possible pour un Scythe : Varis serait, an contraire, l'éponyme de notre Véra-Baris. 1. Cf. Susemihl, Gesch. d. alexandrinischen Litteratw·, I, p. 316. 2. F. H. G. , li!, p. 1.49-58. Le fr. 32, touchant Atargatis, est conservé par· Athénée, V!II, p. 346 D. On sait que Xanthos avait écrit l'histoire de sa patrie aù temps d'Arta­ xerxès I (465-25) ; Nicolas de Damas n'en a cu peut-être entre les mains que l'adapta­ tion faite par le compilateur Mitylénien du u ' s. ~xil. Dès le temps de Josèphe (Ant., XVIll, 9, 1.), les Juifs avaient une colonie importante à Nisibe et elle a possé<)é une grande école talmudique (Neubauer, GéogTaphie du Talmud, p. 332 et 310). Sise sur le Myg·donios, affluent du Chabora.s , qui se jette dans l'Euphrate et au pied du Masios (Strabon, Xl, 12, 4), elle a très prohahlernenl eu un culte ' d'lshtar-Nana-Anaïtis, comme Ninive, sa voisine. D'autre part, si la région dont elle est la capitale a reçu le nom de Mygdonie, qui appartieut à un district ùe la Thrilce et à un-district de la Phrygie, c'est apparemment qu'elle a reçu ùes colons grecs venus de 58 NOÉ SANGARIOU ce qui remémore à la fois Tantalis et Sodome; il rappr. lait aussi la 1 fondation d'Askalon par Askalos, frère ou général de Tan tale • Cela ne permet-il pas de faire remonter pareillement à Mnasé::~s la légende diluvienne que le traité De Dea Syria rapporte pour le temple de Derkéto à Hiérapolis? Mnaséas nous a précisément paru un des initiateurs de ce mouvement de fusion entre les deux éléments, hell~nique et sémitique, qui se manifeste déjà dans le nom donné au héros,, Deukalion, fils de Sisythès, ce dernier nom étant certai­ nement une déformation de Xisouthros ou Sisouthros, le Noé chaldéen. « Voici comment il se sauva: il s'introduisit dans une grande arche (ÀcXpval;) qu'il possédait avec ses enfants et ses femmes; au moment où il y montait vinrent à lui des porcs, des chevaux, des lions, des serpents et toutes les autres bêtes qui habitent la terre, et toutes par paire. Il les reçut toutes et elles ne lui firent aucun mal ; mais la plus grande concorde régna entre eux. Et ils naviguèrent tous dans la même arche aussi longtemps que l'eau prévalut. Voilà ce que les Hellènes racontent de Deuka­ lion 2 ». Les gens d'Hiérapolis affirmaient que chez eux s'ouvrait la grande faille par où les eaux du déluge s'étaient englouties : après leur disparition, Deukalion avait élevé des autelsetédifiéun temple sur la faille (hel -r?J X&crp.&n) . C'était le temple de Derkéto, la déesse­ poiss·on 3 . On y montrait une fente s'enfonçant en ten·e qui aurait

l'une ou de l'autre de ces régions (on ne peut guère penser aux Phrygiens de Midas comme le fait Koerte, Gordion, p. 10). Quant à Syrie pour Assyrie, la confusion est trop fréquente pour qu'on s'y arrète. Mais il faut remarquer qu'on s'expliquerait ainsi pourquoi, dans les textes cités, le héros phrygo-cilicien Mopsos est appelè M6!;o;. Les Juifs paraissent avoir étendu la Bahylonie ou Assyrie de façon à y comprendre la Moexène (ou Moxoène, sans doute « pays des Mosques » ), province -qui s'étend entre la Mygdonie et l'Arménie (cf. Neubauer, op. cil., p. 33); on l'étendait même jusqu'à la Bagrandavène, évidemment dans Je but de faire renh'er le mont de l'Arche au pays de Sinéar. On aurait adopté la forme .Moxos pour en faire. l'éponyme de la Moexène: ce serait une nouvelle trace de syncrétisme judéo-phrygien. - Si la Kalachène Pst citée parmi les provinces arméniennes colonisées par les Thessaliens d'Arménos, c'est peut-être à cause de Kalchas, compagnon de Mopsos. Il convient de remarquer encore ce fait : il existe en Phrygie un district des Moxeanoi qui paraît dépendre d'Hiérapolis (cf. Moxoupolis en Kabalis, Bull. CoTI". Ilell., 1891, 556). Or, dans sa fameuse épitaphe, Aberkios, l'évêq ue de cette ville, se vante d'avoir visité toutes les villes de la Syl'ie et Nisibe. 2. F. II. G., Ill, p. 371. Sur cette fondation d'Askalon p>r un Phrygien, Askanios ou Askalos, voir encore F ll G, 1, p. 42 et Stéph. Byz. et Ely. Magn., s. v. 'A

On entrevoit que, dès le m" siècle avant notre ère, les érudits alexandrins ont dû chercher à fondre les légendes ol'ientales dans une couleur hellénique co mmune. Comme la légende syrienne du Déluge, la légende juivP. a pu êtt·e dès lors combinée avec les tradi­ tions gréco-phrygiennes. Je crois qu'on peut reconnaître un antre exemple de ce procérl é syncrétique dans la légende qui achèvera de nous expliquer pour­ quoi la Baris d'Atropatène est devenue le li eu d'abordage de l'arche. La parenté des Arméniens et des Phrygiens était déjà admise par Héeodote 3 et la science moderne reconnaît, avec le père de l'histoire, que ces tribus, étl'Oitement apparentées aux Masques et Tibarènes. ont occupé l'Arménie au milieu du vn• siècle, dans un dernier touche au poisson sacré en Phryg ie comme en Syrie, tout ayant été d it a ce sujet dans les me moires récents de Doelger (Roem. Quartalsch,·i(t 1910) et de Scheftelowitz (A1·chiv. of . Religionswiss., 1911). 1. Un autre rite institué par Deukalion à Hiérapolis serait celui de monter une fois l'an au haut des colonnes (ashems ou phalloi) dressées dans le sanctuaire ; on aurait voulu rappeler par là que, lors du d élug-e, les hommes avaient dù se réfugier au sommet des monts et des arb1·es (De Dea Syria, 28). r:r. J. Tou tain, Rev. Hist. Relig., 1912, 1, p . 171 , et., par une cérémonie semblable à celle d'Hiérapolis pratiquée en Béotie en l'honneur de Deukalion, Gruppe, Griech Myth., 1, p . 94. 2. Une très vieille route de commerce parait avoir relié Apamée a la Syrie du Nord. Cf. Ormerod, Class. Rewiew, 1912, p . 177. 3. Hérod., VII, 73 : pvywv '<ï1totxol. Cf. Eudoxe dans Stéph. Byz. 'Ap!J.evl<ï et dans Eustathe, ad Dion. Pe>·. 694. Stéphane rapporte a ussi une tradition rhodienne d'après laquelle Arménos serait Rhodien ; cette tradition ressort aux infiuences poli tiques qui ont. agi sur les Argonatttiques d'Apollonios de Rhodes. Les linguistes ont confirmé la parenté de l'arménien avec le p hrygien, cf. Kretschmer, Einleitung, p. 209 ; ~l e ill e t, Leh1·buch des A1·menischen (1913). - On retrouve aussi au Caucase la légende phl·y­ gienne des hommes naissant des pierres et c'est là que la traùition talmudique paraît l'avoir connue, cf. A. von Lawis of Menar, No1·d-Kaukasische Steingebw·t­ sagen dans A1·chiv f. Religwiss., XTU, p. ;,os-84. 60 NOE SANGARIOU remous du flot th1·aco-phrygien. Au temps d'Alexandre, les Grecs, conquérants de l'Arménie, voulurent les rattacher pl us étroitement au passé légendaire de la Grèce. Ce sont deux officiers thessaliens de l'armée d'Alexandre, Kyrsilos de Pharsale et Médios de Larissa, qui semblent avoir inventé ou perfectionné le système qui fit 1 fortune • La Thessalie possédait une ville d'Orménion, entre Phères et Larissa; un léger coup de pouce en fit Arménion, et Arménos son éponyme, devint un compagnon du Thessalien 2 Jason • Soit seul, à la suite du premier voyage de l'Argô, soit dans un deuxième voyage avec Thessalos et Médos, - · ce fils de Médée dont on fit l'éponyme des Mèdes, - Arménos aurait colonisé l'Akilisène, la Syspiritis, la Kalachane et l'Adiabène - soit les pmvinces qu'arrose le haut Tigre - et en aurait 3 fait l'Arménie • Strabon, à qui l'on doit de connaître cette combinaison et qui semble l'accepter, ne cite pas l'Atropatèen ; pourtant, non seulement elle était la province mère de ces Mèdes issus de Médios 4, fils de Jason et de Médée, mais il résulte de deux faits précis que Strabon allègue qu'elle devait être comprise dans cette colonisation : immédiatement avant de pader de Baris, il mentionne le pays d'Ouitia, dont il prête la colonisa1ion aux Ainianes, à cause de la similitude du nom avec l'Oita, la chaîne qu'ils habitent au sud de la Thessalie 5 ; un peu plus haut, en

i. Ces deux historiens sont cités par Strabon, XI, 14, 12, de façon à indiquer qu'ils sont bien la source de l'histoire d'Arménos. Peut-être Théophane de Mitylène. l'histo­ riographe de l'expédition de Pompée en Arménie, avait-il également touché à la ques­ tion. Je crois qu'il était la source de Trogne Pompée, qui, même Jans l'abrégé de Justin (XLII, 2-3), donne l'impressien de s'inspirer d'un poème où Pompée, conquérant du Caucase, aurait été comparé à Jason. D'ailleurs, 'ApJuvoç se rencontre com me nom d'homme en Thessalie. Voir par ex. Rev. épig1·., I, 1913, p. 73 et 205. 2. On a propo>é de voi r des etapes intermédiaires dans I"Aprdvwv oopoç, où I'Halys prend sa source, et dans 'App.Év1J , port de Sinope. Mais il faut remarquer que Hésychius donne 'Ap[LÉV"IJ comme un des noms d'Éphèse, sans doute celui que Pline écrit lfaemonion. -Le Ttwrmodon près de Sinope s'appelait aussi 'ApciÇ"IJ; , comme le fleuve arménien d'après la scholie à Apollonios de Rhodes, XX, 912. 3. Justin , XLII, 2-3 ; Pline, VI, 38; Tacite, Ann., Vf, 38; Timônax, Skythika, dans Schol.. A poil. Rhod., lV, 1217 (F JI G, III, 522). 4 . Selon Justin, XLII, 3, Médias aurait fondé une ville de Médéa. 5. Strabon, XI, 4, 8 et 13, :1. 3. En vérité, l'Où·d"' ou '0TI'}v1) doit être la région d' Ouli ou de Gouli déjà connue au Sud de l'Arménie par les Assyriens. Il invoque aussi à l'appui ce fait que les Arméniens portent la même tunique et le même manteau que les Thessaliens; mais il diminue la valeur de son rapprochement en observant que ce sont des vêtements partout adaptés à des pays froi o: • ou de -rà 'Io:cr6vto: qui, dans l'intériem de l'Arménie, et jusqu'aux portes Caspiennes, atteste raient les exploits de Jason. D'après Justin, Parménion les aurait fait abattt·e ,, pour qu'aucun nom ne fût, en Orient, plus révéré que celui d'Alexandre " 3 . Deux faits ont pu concout·it· à ces confnsions: l'Araxe a été souvent confondu, depuis Xénophon jusqu'aux histot'iens byzantins, avec le Phase, ·1 e flenve de Colchide, aux bouches duquel on mon­ 4 trait l'ancre de l'At•gô • Le nom du fleuve en al'ménien, arag, a1·ags pouvait rappeler l'Argô à des ol'eilles grecques. En réalité, Jason a dû être substitué à un héros indigène dont le nom lui ressemblait ; •

i. CL E. B. Lynch , A1·menia (1901), 1, p. 311 ; Il, p. 404. 2. Strabon , Xl, 13, 10; cf. le ft· . de Tirnonax cité p. prée., n . 4; on y voit que le Jasonion ù'Aia en Colchide consistait en jardins (pent-ètre jardins snspendus). 3. Strabon, Xl, 14, 12 et I, 3, 39. 3. Justin, XLIL, 3. Ge texte permettrait de justifier la leçon des ms. XClTÉcrxClécrtoç . Peut-être est-ce l'eifel d 'un jeu de mots: m ·g1J-a1·ca? A Cyzique un temple •l'Athéna Jasonia sc serait élevé il l'endroit où les Argonautes auraieut laissé leur ancre (Schol. Apoll. Rhod., I, 933). 62 NOl!: SANGARIOU les Jasonia ont dû être les temples d'un des grands yazatas armé­ niens, peut-être de Vahagn, l'Héraklès Mazdéen. Quel que soit son nom, ce qui nous est dit de l'Araxe implique qu'il y a eu un héros arménien du déluge. Que cette légende ait été influencée par celle de Deukalion ou par celle de Xisouthros, ou mème, on l'a vu, par la légende phrygienne, elle a pu comporter une arche. Ne serait-ce pas ses débris qu'on aurait montrés à Baris-Véra comme à l'apoba­ térion de l',Ararat? Les Juifs, qui ont été de bonne heure nombreux en Arménie', et dont la religion a été embrassée par la famille royale voisine d'Adiabène, n'ont-ils pu exercer quelque influence sur la légende de Jason? Le nom même devait être rapproché par eux de celui de Josué, rapprochement dont on a de nombreux exemples 2 ; or, Josué, dans la tradition populaire, sinon dans l'histoire officielle 3 , paraît avoir été une sorte de dieu-poisson à la façon du Dagon syrien ou de l'Ea babylonien • ; une légende montrait Jason avalé par le dragon, comme Jonas l'était par la baleine :; . Ainsi, des Juifs alexandrins ont pu se sentir en pays de connaissance auprès des Jasonia et de la Baris. L'identification du mont de l'Arche avec l'Ararat ne s'était pas encore imposée; d'autres conservaient lems partisans ; si le Nisir élait sans doute oublié, en dehors des monts de Gordyène, qui ralliaient apparemment la majorité, certains cherchaient encore au temps de Josèphe les débris de

L Sur les Juifs en Arménie, cf. Ritter, Erdlwnde, X., p. 386. Rappelons que Jus­ • tin cite en même temps que la Sibylle un écrit nommé Hystaspes, où l'on a reconnu un arrangement des doctrines mazdéennes conformément aux espérances juives. Cf. Schue~·er, op. cil., Hl (1909), p. 594. 2. En dehors du Jason de Cyrène et du gran.d-prètre Jason, je rappelle le Nll

2 l'arche en Osrhoène, près de Harran • Quand la diaspm·a les a amenés en Phrygie, ces Juifs de Babylonie ont pu tout naturelle­ ment chercher à localiser le mont de l'Arche au milieu de leur nouvelle patrie. On a vu combien, par ses légendes et par ses cultes, par son surnom de Kibôtos, par la haute cîme du Béré­ cynthe qui la dominait et, peut-être aussi, par sa voisine, Baris de Milyas, Apamée se prêtait à devenir la ville de Nué.

lV

On a vu comment Apamée se trouvait être en possession d'une légende phrygienne du déluge qui, par de nombreuses analogies, devait, en quelque sorte, appeler la légende juive à s'unir à elle. Cependant, on ne saurait se flatter d'avoir complètement expliqué ainsi comment Apamée fut amenée à s'appropriet· officiellement la légende juive de Noé, en la commémorant sur ses monnaies. On ne peut le comprendre qu'en jetant un coup d'œil sur l'ensemble du syncrétisme judéo-phrygien dou t les bronzes d'Apamée mar­ quent l'apogée. Tout en cherchantà mettre en lumière celles des manifestations ·de ce syncrétisme qui intéressent notee étude, on essaiera d:élucider les points encore obscurs de la question qui en a été le point de départ.

Nous avons vu que le mélange des tradilions lydo-phrygiennes avec les traditions chaldéo-syriennes a pu commencer à la fin du m" siècle, avec Mnaséas de Patras et Hiéronymos d'Alexandrie, pour se développer au début du I"' siècle chez Alexandt·e Poly­ histor; c'est probablement dans les premières années du ne siècle qu'un Juif a composé le Chant Sibyllin où l'Ararat est placé en Phrygie; peut-être Apam 3e passai t-elle, dès lors, pour voisine de cet Ararat phrygien. Pour que cette légende ait pu se former, il a fallu que les Juifs fussent nombreux en Phrygie; pour qu'elle ait duré jusqu'au m• siècle de notre ère, il faut que leur situation n'ait fait que s'y atl'ermir durant ce laps de quatre siècles.

1. Jos. Ani., XX, 24, 2. 64 NOÊ SANGARIOU Un rapide coup d'œil sut· la diaspora en Phrygie va nous monti'er que les conditions qu'il nous faul supposer ont été rem­ 1 plies • C'est entre 212 et 205 que deux mille familles juives de Mésopo­ tamie et de Babylonie furent envoyées par Antiochos III en Phry­ 2 gie et en Lydie pour y recevoir des terres • En établissant ces familles juives de Babylonie en Asie Mineure, Antiochos III ne faisait peut-être que se conformer à une tradi­ tion de sa maison ; à en croire Josèphe, son fondateur, Séleukos Nikalot·, " dans les villes qu'il fonda en Asie et en Syrie et mème dans sa <.;apitale d'Antioche, concéda aux Juifs le droit de cité et leur conféra les mêmes privilèges qu'aux habitants MacMoniens ou

1.. Sur la diaspora en Asie, il suffit de renvoyer maintenant à Schuercr, op. C'it., III (1909), p. 13- 23. Je n'ai pu voir le travail de Sir Ramsay, The Jews in the Gmeco­ Asiatic cilies (Expositor, 1902, p. 19-33 ct 92-109); celui de J . Pilcher, The Jews in Galatia (Proc. of. Bibl. Arch. Soc., 1903, p. 225-37) est sans valeur. Le seul docu­ ment nouveau important à ajouter à Schuerer est la dédicace de la synagogue de Sidé en Pamphylie (Th. Reinach, R. È ..1. , 1910, 131; la restitution Elcr. mouvements séditieux dont il est question, ils se comprennent fort bien vers 21 2, quand Antiochos Ill vient de réprimer la révolte d'Achaios. La région d'Apamée et de Laodicée a pu être particulièrement attachée à Ach aius; c'est à Laodicée qu'il prit la couronne royale; c'est cette région qui lui servit de base pour ses opérations contre les Pisidiens, opérations où nous savons qu'il soumit la Milyas. C'est alors que la route d'Apamée à Adalia par Baris a pu être ouverte définitivement. Il y a peut-être eu dans cette région des confiscations wr· lesiJuelles auraient été prélevées lr. s terres données aux Juifs. NOÉ SANGARIOU

Hellènes, régime qui est encore en vigueur maintenant 1 ». Ainsi, il a pu y avoir des Juifs à Apamée dès sa fondation par Antio­ chos fer. Ceux d'Éphèse peuvent avoir reçu le droit de cité d'Antio­ 2 chos Il • En tout cas, il faut donner au moins un siècle à la Diaspora pour expliquer que, dans un vers qu'on place vers -140, la Sibylle puisse s'écrier que " la terre entière et la mer entière sont pleines » de Juifs 3 • Dans un autre 4, elle parle de l'ohoç :EoÀo• p.wvtoç qui aurait régné en Phrygie comme dans toute l'Asie, pré­ tention que le nombre des Juifs explique moins, sans doute, que la tradition dès lors répandue de l'abordage de l'arche en Pi11·ygie. En 139/8, par les destinataires de la circulaire en faveur des Juifs attribuée au Sénat, on voit que ceux-ci formaient des colonies importantes dans les royaumes de Pergame et de Cappadoce qui se divisaient alors l'Anatolie; elles y existaient certainement au temps de César ainsi qu'à Tralles et à Milet et dans les ports de Cnide, Halicarnasse et Myndos en Carie, de Phasélis en Lycie, et de Sidé en Pamphylie 5 • Par le P1·o Placco, on sait qu'il existait en 62/1 des communautés importantes à Pergame, Adramyttion, Laodicée et Apamée ; par Josèphe, qu'il en était de même à Sardes en 50 6 • Saint Paul, natif de Tarse, rencontre des communautés juives en Lycaonie, à Ikonion, à Antioche de Pisidie, à Kolossai, à Thyateira, à Sardes, à Éphèse. Les inscriptions nous font connaître des Juifs dans la région qui nous intéresse aux. trois premiers siècles de notre ère, aux villes suivantes : en Phrygie, en dehors d'Apamée, à Nysa, Hiérapolis, Akmonia et Dorylée (et, sur des monnaies, à 7 Sala) ; en Galatie, à Germé et à Ancyre ; en Lydie, à Thyateira,

I. Jos., Ant., XII, 31, § 119. 2. Jos., C. Apion, II, 4. Cf. Schuerer, op. cit., Hl, p. 15. 3. Omc. Sib., III, 271. Peut-être faut-il faire descendre l'Jv 'ItÔ ki El

Magnésie du Si pyle, Hypaipa; en Cappadoce, à Césarée et à Tyane ; en Pisidie, à Antioche et à Termessos; en Lycie, à Phasélis, Tlôs, 1 Limyra et Korykos; en Pamphylie, à Si dé; en Ci licie, à Tarse • Que les Juifs dont on rencontre la trace dans ces cités ne s'y trouvent pas comme étrangers de passage, mais comme membres de colonies fixes, il suffit poul' l'établir de rappelet' quelques faits qui résultent des inscriptions mêmes qui révèlent leur présence. Elles nous font entrevoir des communautés considérables, portant les noms de katoikia (Hiérapolis), de laos (Hiérapolis), ou d'ethnos (!::lmyrne, Éphèse); les Juifs ont un statut particulier (Apamée), leur juridiction propre (Sardes), leurs archives (Hiérapolis) et leurs tombes collectives (Tlôs), enfin et surtout leurs synagogues (Phocée, Myndos, Akmonia, Sidé, Antioche de Pisidie) ; ils se divisent en presbyteroi (Smyrne, Korykos) et en neôte1·oi (Hypaipa) ; ils ont même pu avoir part à l'administration de la cité, puisqu'on les l'en­ contre comme magistt·ats monétaires. A Sala, à la frontière de la Phrygie et de la Lydie, on trouve sous Trajan, Antonin et Marc Aurèle, trois monnaies frappées, la première hl MEÀi't"wvoç :Ecû (

i. Pour la force oumérique que pouvaient attr.iudre c~s communautés, on peut rap­ peler que, d·ap•·ès Josèphe (Ant., XV/ll, 9, 9), 50.000 Juifs furent massacrés iL Séle ucie sous Claude, et que, d'après le Talmud, Sapor aUJ·ait tué '12 .000 Juifs su• 40.000 h a bi­ tants à Césa,:ée Mazaka, Neubauer, op. cil., p. 31.9. 2. Head, Cal. B1·it. Mus. ; Lydia, p. 221, 232, et llev . Num., 1.898, Coli. Wad­ dington, n• 6453. 3. Head, Gat. Bl'it. Mus. : pf,·ygia, p. xxu. Su1· le judaïsme d e Severa, Ramsay, Cilies and Bishop1·ics, l, p. 631-40, 613-5. NOÈ SANGARlOU 6Î

Le nombre et l'importance de ces communautés juives ne pou­ vaient manquer d'amener une certaine fusion entre leurs croyances et celles des Phrygiens. Ce tte fusion a dû commencer par les légendes. Il nous en reste des traces de deux ordres : d'une part, chacun des deux peuples semble avoir revendiqué respectivement le privilège d'être antérieur à l'autr·e et de l'avoir conquis ou civilisé. On a vu le rôle prêté à Mopsos et à Deuk;;r.lion en Syrie, rôle qui a pu sembler fondé par les traces qu'ont laissées en Syrie les peuplades asiatiques qui l'ont envahie, à la suite des Philistins et des Teukrieos, au xn• siècle av. J .-C La mise en rapport des Solymes de Lycie avec Hiérosolyma ~, celle du Jardanos et du Marnas, rivières de Lydie, avec le Jourdain e t le Zeus Marnas de Gaza, ce sont là quelques-uns des faits que les au leurs de Plu·ygiaca et de Lydiaca ont dû invoquer. Les Juifs n'ont pas manqué de retoumer l'argumentation, et la présence d'éléments sémitiques, qu'on a cru relever en Lydie 2 , a pu prêter quelque vraisemblance à leurs dires. Commentant le dénom­ brement de la Genèse, Josèphe 3 fait de Gomar,- éponyme des

1. On s'appuyait sur Homère (Od., V, 383) et sur un passage du poète Choirilos ùécrivaut J'armée de Xenès (Jos., C. Ap., 1, 22, § na. Cf. Ant., Vll, 3, 2, § 61, et Tac., Jiist., V, 2). Peut-èh·e cette étymologie d e Jérusalem se trouvait-elle dans l'ou­ VI"age où Ménaud•·e d 'Éphèse oc a raconté pour chaque règne les événements accomplis tant chez les Grecs que chez les Barbares ,, C. A p., 1, 18, § 11. Il s'est trouvé des savants modernes pour considérer les Solymes comme Sémites en les rapprochant des Î>•y mes de Sicile et d'Éiymaïde. Cf. Treuber, Gesch. der LykieT, p. 26 (1887). La Sibylle appelle plusieurs fois les Juifs " les Solymes "· On a trouvé au Hauran des t.lérlicaces a un Zen,; Solmos (Littmann, P1·inceton exped·ition, Ill, A, 3, n. 239). 2. ::\ur Lud !ils de Sem dans la Genèse, et les Sémites en Lydie, cf. Radet, La f.yrlie au temps des Me1·mnades (1893), p. 54. On s'acco•·dc aujourd'hui à voir dans les Leukosyrien s des Hétéens, et non plus

Cimmériens ou Gaulois -, le père d'Aschanaz, Riphath et Thor­ garn; a As chan agos fonda les Aschanagiens que les Grecs appellent aujourd'hui Bithyniens ~ ; Riphatès, les Riphathéens, aujourd'twi Paphlagoniens; Thorgamès 2 , les Thorgaméens qu'il plut aux Grecs d'appeler Phrygiens ». La littérature talmudique fait de 3 Togarmah l'Arménie et d'Aschkenaz l'Asie ; sans doute ce nom évoquait ille souvenir du lac Askania en Bithynie. C'est en Phry­ gie que le Talmud place les dix tribus généralement localisées en Arménie:" le vin pheygien et les bains, dit-iL ont sépai'é les dix tribus de leurs frères » 4 • Ainsi, si les Phrygiens ont oublié le vrai dieu, c'est à cause de leu1· vin et de leurs thermes. Le grief est caractéristique. On se trouve ainsi amené de l'histoire aux légendes. Sur ce ter-: rain, mème sur celui des t1·aditions bibliques, le syncrétisme paraît avoir pris I'acine. L'arche de Noé à Apamée n'est pas un fait isolé. Si l'ou fait vivre t rois cents ans Nannakos, c'est certaine­ ment par l'influence des trois cent soixante-cinq ans d'Hénoch dont on sait quelle fortune eut alors le livre apocryphe 5 • É-noch, le seul des patriarches qui fut transféré au ciel, est peut-être un doublet de Noah. Comme lui, Oum-.Napishtim, le Noé babylo­ nien, devient immortel. Connaissant ainsi les secrets des des ti­ nées, il peut les révéler aux mortels. A la fin du Il• Chant Sibyllin,

1. Le texte pol'te 'P-Ijy.vEç, qui n'a aucun sens. Je pt'oposel'ai de COI'I' iger en une fo 1·me comme Bi8.vEç. Le Talmud appelle la Bithynie Vilhinia (Neuhauer, op. cit., p. 422). 2. Neubauer, op. cil., p. 311.. Josèphe écrit 0uypci[L'IJÇ. N'est-ce pas dans le dessein de t'app1·ocher ce nom de celui du roi d'Arménie bien cou nu Tigranès? Lagarde ( Gesam­ melle Abhandl., p. 256) suppose que la forme originelle serait TEvyp oc~. oç qui serait à Tëvxpoç ce que ·rfL6pocfLoç est à ·r[Lôpoç. D'autre part, le Rig-veda connaît une Jlfer des Tugm qui parait être la Caspienne (cf. H. Brunnhofer, A1·ische UTZeit, p. 21). 3. Neubauer, op. cil., p . 310. On parait avoir pensé aux deux lacs Askania de Bithynie et de Phrygie, indices de la migration d' une tribu d'Askaniens qui a peut­ ètre gagné l'Arménie avec l'avant-gal'de d es Moscho- Plnygiens. Ce seraient les Ashgouz-Ashkenaz qu'on y a vus en g uerre avec les Assyriens. A cette identification admise par Ed. ~Ieyer (Gesch. des Altertums, l , § 1,73) j'ajouterai que Mèn-Askaimos, le grand Dieu d'Antioche de Pisidie, doit sans doute son vocable au passage des Askaieus uu Askauieus dans la région : c'est précisémeut là qu'ils out laiss ë leur nom ü l't<:gerdir Geul, l'antique Askania, le grand lac qui sépare la Phrygie de la P isid ie. Poul' Askalon fondée par Askan ios ou Askalos, cf. 2e art , p. 38. 4. Neubauel', op. cil., p. 315 et 312. Notons qu'Homère parle déjil. de la Phl'ygie ampéloessa _et Apamée était célèb1·e po-ur son vin (Pline, XlV, 2, 2; Strabon, Xlii, 4, 1-l ). 5. On sait que toute une série de passages du Livre d'Enoch ont pu êlre isolés com me faisant partie d'une su1te d'Apocalyp>e de Noé, pi'Ophéties mises au comple de ce patl'iarche qui passait pour l'al'l'ièl'e-petit-fils d'Enoch et pour avoir symbolisé l'âge qui Ruivait celui d'Enoch. D'ai lleurs, Noé pa1·ait n'avoir été qu'un doublet d'Enoch . Des deux cal'actères que les Chaldéens attribuaient a leur Atrachasis, le déluge fut donué NOÉ SANGARIOU &9 la Sibylle se dit fille ou belle-fille de Noé et se vante de tenir ses oracles du patt·iarche "à qui tous les événements suprêmes ont été dévoi l és ~ , . L' influence juive peut également s'être marquée dans celte légende née sans doute a ux sources du Méandre 2 : « Maiandros, fils de Kerkaphos et d' Anaxibia, fa isant la guerre con t1·e les Pessi­ nontins, promit à la Mère des Dieux, s'il remportailla victoire, rl e lui sacrifier le premier qui viendrait le féliciter de ses ùauts faits. portant des t1·opbées. Victorieux, le premier qu'il 1·enconlra à son retour fut son fils Archélaos avec sa mère et sa sœur; par respect pour la parole engagée aux dieux, il se vit contraint de tmi.n e1· ses proches aux autels. Désespéré, il se jeta dans le fl euve, qui fut 3 appelé depuis Méandre • » Cette légende peut-ell e n'avoir pas été influencée par celle de la fill e de Jephté? Et Jephté et Japhet n'ont-ils pas influencé le Japetos grec~'? a Noé, le transfert au ci el laissé a Enoch. L'invention de l'écritme attribuée à Enoch fait penser au:( li vres sacrés cachés par le Noé babylonien. Cf. la traduction du Livre d'Énoch par Fr. Martin [1906), Schueret·, op. cit., III, p. 265-95, et Lagrange, Le i'rl es­ sianisme cheo les Juifs, 1909, p. 60-131. I. Voir plus haut, p. 166, n. . 2. Je traduis ce texte de Plutarque, De Fluviis, Ix (d'après Tt~. 6Àa.o, l.v ci pvyta.>.wv xa.l 'Ayo:~oxl.'ijç o :Ei~.w; i.v ' ij fl E '1GL•I ov v~(,.,v 7toÀm;['l.', F. 11. G., lV, 521 ). C. Muller hésite entre Timolaos de Cyzique, disciple de Plat0n, et Timolaos de Larissa, disciple d'Anaximène, mais aucune · des deux identificatious ne s'impose. Agathok lès est inconnu. Ne serait-ce pas Agathoklès de C)"Z ique ? De toute faç.on ce n'est pas avant que Pessinonte ait été annexée au royaume de Pergame (milieu du n' siècle av. ) qu'on a dù publier eu Grèce une Constitution de Pessinonte. 3. Il faut remarquer que quelques histoires semblables nous sont connues : f • un oracle ordonne a Araxès, roi d'Arménie, de sacrifier, pour obtenir la victoire, les deux plus nobles vierges du pays, ses lilles (Ps. Plut., De Fluv., xxm, 1); 2• f:rechtltée sacrifi e sa fill e a Perséphone (Ciém. Alex. , P1·ob·., III, p. '12, d'après Démaratos. F . H. G., lll, 3ï~, 4; cf. Agamemnon sacrifiant Iphigénie) ; 3• Id oménée sacrifie son fHs à Poséidon, lui ayant promis, s'il lui accordait un heureux retour en Crète, de lui immoler le premier qu'il rencontrerait eu abordant daus sa patrie (Serv. ad Aen., Jli, 121 ; XI, 264; cas semblable dans Pausanias, IX, 33, 4) ; 4' Marius sacrifiant sa fille ~olç &.7to~po7to:iotç (idem, d'après Dôrolhéos d'Askalon; cf. Gabriels>on, Ueber die Quellen Clem . Alex ., p. 53). Ce sacrilioe n'a certainement pas eu lieu; mais des Syriens de l'entourage de Marius, - la prophétesse Martha peut-ètre juive? - out pu répandre le bruit que Marius ne sauverait Rome qu'en agissant comme Jephté, sacri­ fiaut sa fill e à Jahvé, ou Mésa, immolant son fils a Karnos. 4. Je pense il. des légend es comme celles qui font de Prométhée le fils de Japetos et d'A si;t, le père de DeukàJion. Ie:;endcs où Japetos symbolise évidemment l'Europe (cf. Tümpel, art. Deukalion du Pa. ul y-Wissnwa, col. 264). Dans la conception gnos­ tique du Premier Homme eo m111 e rédempteur de l'humani té les idées judeo-chré­ tienn es sc so11t. mt\lées a cell es qui avaieul <:uurs sur Gayomart, sur Altis, sur Pro­ méthée (cf. W. Bousset, 11auplp1'obleme de?' Gnosis, 190ï , p. ·l8o). Énoch semble 70 NOÉ SANGARIOU La tradition, dont Tacite est l 'écho, qui ve ut que Judéens soit uue déformation d'ldéens n'a-t-elle pas dû être inventée au pays de l'Ida phrygien 1 ? Et faut-il rappeler que, dès le n" siècle av. J.-C. , le Juif Artapanos nommait Moïse Mwucroç pour l'identifier avec le Mousaios des Grecs, Musée, maître d'Orphée et. prophète des orphiques 2 ? Que ce syncré tisme judéo-phrygien a fini pa r atteindre les divi­ nités elles-mêmes, on n'en doute plus aujourd'hui. Non seulement Jahvé Sal>aoth a été identifié, dès le ne siècle av., à Zeus Sabazios ­ et, grâce à cette id entifica tion , Jahvé parait une sorte de Diouysos aux Grecs éclair·és du temps de Plutarque -, mais le redoutable dieu des Juifs s'est laissé adorer par· les Ge ntils sous le nom de 3 Théos Hypsistos ; le mystérieux Tétragramme lui même a peut-

avoir été présenté aux Grecs dès le milieu du II' siècle av. comme une sorte d' ou de Prométhée, in venteur de J'astrologie (cf. Bousset, Die Religion des Judenlums im neutestame11l. ZeitalLeJ·, 1906, p. 22; il fait remonter cette tradition à Eupolémos, qui composa vers 150 so n Histoire des Juifs utilisée par Polyhistor). On peut se demander si ce n'est pas avant qu'il y. vînt par Je christianisme que les .ludéo-phrygiens ont transporté a Rome le personnage de Noé. Dans les légendes du haut moyen-àge, le patriarche passait pour ètrc ven u à Rome cent huit ans après le déluge ; il aurait fondé Nocea près de Rome après avoir abordé au Vatican et on a urait trouvé SJ tombe au Jani­ cule ; il avait été identifié, en effet, à Janus devenu fils de Japhet. On sait que c'est au Vaticanum que se trouvait la maison-mère pour l'Occident des cultes phrygiens ; peut-ètre la lég-ende de Noé l'ait-elle partie des traditions que Je Yat i ~a n chrétien a héritées du Vatican phrygien co mme la mitre pontificale Jlarait bien avoir succédé au ph?'ygium avec huméral (Cf. B. Graf, Roma n ella memoria del Media Eva, I, p. 89). 1. Tacite, Hist., V, 2. Cf. les Daktyles Idéens qualifiés de 'Iouàa.(ot par Eusèbe, Pnep . Ev., X, 1475; cf. d'autres textes dans Lobeck, Aglaophamus, p. 1156. lls doivent dériver du syncrétisme sibyllin. 2. Eusèbe, P1·œp. ev., IX, 27 . 3. J e n'insiste pas sur cette question où tout a été dît par Franz Cumont clans son étude sur· Les mystères de Saba:ius et le judaïsm e, publiée Jans les C. R. A. I., 1906, p. 63-73; de mème pour Hyj1Sistos et Sabazios, voit· son mémoire dans le .suppl. à la Revue de l'Inst·r. publ. en Belgique, 1897, el. ses articles Musée Belge, 1010, ct Bull. Acad. de /;i elgique, 1912, avec son commentaire à l'iuscr. d'Amisos Xv~o-~à; !: a.t

êi. t·e li ni par être IJ e ll é lliSl~ sous la forme d1uos, los, Ja6, 16\ et id entifié à Dionysos don!. certains vocables - Iaccbos, Euios­ prêtaient à la confusion~. Si. l.es Juifs de Phrygie consentent à laisse t· s'helléniser leur Dieu, si .ialoux: naguère, il n'est pas surprenant de les voit· prendre eux­ mêmes, à côté de noms grecs dont la signification n'avait rien qui pût offenser leurs croyances, le nom d'une divinité phrygienne : le ~. pœ'twv Tup!Y.vvo,u 'Iouoœïoç de Magnésie de Sipyle 3, ainsi que les 4 Tuppwvwç d'Akmoneia , ne sauraient manquer d'être rapprochés de Mên Tyran nos, le grand dieu phrygien, et les noms les plus caractéristiques du judaïsme, Shalaman 5 , Mou sa, prennent l'aspect de noms indigènes sous leur forme de Salam6n, Môusès, Mous­ sios 6 •

Nulle part la fusion entre traditions gréco-phrygiennes et tradi­ tions juives n'est plus sensible que pour la Sibylle elle-même'·

L ydien, t. ll (·191'1 ), n " 108, 188, 2H , 218, 224 (très important ex-voto au dieu I:o:llo:­ O,xo;); a u cul.le de Hyps istos, ibid ., n. 28-9, 189 (Thyateira). '1. ~ ur· <:es furrnes, cf. Deissrn a nu , Bibel·Studien, p. 327. Je signale seulement la curieuse coutume d'Antioclr e où , un jou r· de l'annqe , on a llai t répéta nt d e porte en por·te le souhait 'F uz+, 'loùç uw ~i o-Ow [Malalas, p. 29) et je rappelle qu'on a lla jusqu'à consulter J'oracle d'Apollon Klarios s ur le dieu 'I; près de Laodicée Co mbusta on ti'Ouve 'fo'i! ' Opovêii: . J<.u tout cas, il est téméraire de voir en luos ot\'ec Calder un Jélr ovah-Diouysos. Par contre, il parait certain que Ja hvé a été identifié it Triptolème d'apre:; certaines monnaies de Gaza et d'Askalon, dès le début du u• siècle (cL 1\. W eil , Z. f'. Nwn., 1910). 3. H. É. J., X, 1884, p. 16. 4. Harnsay, Cilies and Bislwprics, p. 649; liev. Èt. anciennes, 190jç; Termessos, A ne. insc1'. B1·itish Museum, Ill, 2, tL 6ï6 : Mèt.p l\1ouo-Œiou 'l cd poo;, rabbin à Éphèse. Sous cette forme , ces uums rr e devaient pas sembler ùtra.n t;es au pays des Malissôllos et des Môas. ï . Comme on peul le conclul'e de cc p assage du P?'oœmium: 7tpwnJ oùv '/) X àvo!L161J h TOÙ yÉvouç oùao: TOV [.LaLXap•o:- '72 NOÉ SANGARIOU

Qu'il remonte ou non à Nikanor 1 , l'un des officiers et bistorio­ gt·aphes d'Alexandre, au temps duquel elle aumit prophétisé, son nom de Sabbé on de Sambéthé pat·aît avoir été connu au ue siècle avant J.-C. des sources d'Alexandre Polyhistor 2 • Le choix de ce nom, celui de Bérôssos donné à son père quand il n'est pas Noé, le fait qu'elle passait pour chaldéenne ou persique aussi bien que pout· judaïque, ce sont là autant d'indices qu'elle a été d'abord imagin é~ par les Juifs de Babylone. Sabîtou est le nom que porte, dans le Gilgamès, la déesse des eaux, parèdre d'Éa 3 ; peut­ être une légende la mettait-elle en rapport avec les livres mysté­ rieux du destin qu'Éa fait enterrer par Xisouthros à Sippara. Cette

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1. Bérose, fr. 5, dans Lenormant, FT. cosmogoniques de /J él-ose, p. 402. 2. Déjà chez Alcman, ft·. 14 (Athen., XVIII, 624b). 3. Les noms de cette série ont été étudiés par W . Schulze, Zeitsch1·. f . ve1·gl. Sprachforschung, XXXVUI, 318. Aux exemples qu'il a réunis on peut ajouter : au Fayoum, un :Ecx1%niwv (Archiv f. Pap., 1909, p. 165), et une :Ecxp.gcxeiwv (certainement égyptienne, Edgar, G1·aeco-1·oman Coffins, n• 33126 du Ca/al. du Cai1·e); un :Ecxei:Ot­ TOttoç :!:Otp.ou~ i. ou d'Onion (S. de Ricci, C. R. A. 1., 1909, p. il>4), que Crônert co nsi­ dère corp.me thrace (Oest. Jah1·cslwfte, 1909, Beibl., p. 206); eu Asie, un Eùacx~.6 ci·n oç a Korykos (R. È. J., X, p. 76), un :!:Otggàç à 13rousse (Mendel, B. C. FI., 1.909, n. 432; cf. un Sambatis Bithynien, R. È. J ., 1893, 161); dans la Grèce du Nord, un :!:Otoocx-riov à Chalcis (épitaphe chrétienne : Véis, 'Er- &.~x_., 1911, p. 105), un :!:OtoocxTio; en Phtiotide (Byz. Zt., 1912, p . 160), un ~Otov-r10tç en Thessalie (Arvatlitopoullos, R. de Phil:, 1912, p. 290), un ~àp.oOt6 iwv en Macédoine (Annual british sclwol, XVIII, p. -185), un ~o:vÔOtTiwv a Odessa (E. votl Stem, Zapiski d'Odessa, 1910, p. 60). Il n'est pas indifférent de ~emarquer que, des quatre saints Sabas dont l'Ég·!ise a conservé la mémoire, deux sont originaires de Thrace et deux de Syrie; saint Sabbatius est un martyr d'Antioch e. -- Pour la trilnsition entre les formes eu bb et en mb (le b ou le m 74 NO!t SANGA RIOU crétisme avec nne déesse Sambêthé. En tout cas, il me par-att invraisemblable que la confr-érie cilicien ne qui appelait ses membres :Ea.bbo:ncrTO'l ou :Eaf1-b

peuvent tomber aussi), voir J'article de E. Nestle sur le nom qui perpétue l'impor­ tance du Sabbat dans notre semaine, Samstag -Samedi (Z. f. ve1·g . Sprachfo?·schung, i 895, p. 366-86). - li faut rappeler qu'une a utre explication d e ce nom d e Sabbé paratt avoir eu cours chez les Juifs : ce serait la reiue de Saba parce qu'elle pro­ pose des énigmes à Salomon : Jho-O,tcrcra :!:ail&, -)\nç i.).É-yc•o :!:[l'luna. TCa.p ' "E),):1Jatv (Cedrenus). La forme BamiJétllé s'explitjuerait comme Saba ~:::110 plus la désine nce féminine n ; le fL est une addition euphonique qu'on retrou ve dans crotp.6ux'1 de ~::::>::10 , l'espèce de lyre orientale que la Sibylle passait pout· a vo it· inventée (Atilen., XIV, 631 b). 1. Pour Saba thikos, voir Keil-Premerstein, Reise, U, 224; pour Sabbatistès le décret des :!:cx66omcr•cxi où leur dieu est nommé ô Ocàç 6 :l;ry;IJIJa.ncr• -iJ; (Dittenberf>e r, 01·. _qr., 573, près d'Eiaiousa), et un fragment ù'un autre érnanauL de -~ é:rcxtpicx • wv :!:cxfLilcxncr•wv (Joum. Hell. Stucl., 1891. , p. 236). Oehler, loc. cil., p. 300, admet avec Ziebarth ( G1·. Vereins•vesen, p. 55 ; de même Pola nd, Gesclt. d . g1·iech. Ve1·einswesen, p. 217j que le culte d' une déesse Sambéthé est prouvé par la auvooo; :l:cxfL6cx6[x'1 de Naukratis ; mais on a précisément proposé d e restituer en a uv( cxywyôç le nom du membre de cette confrérie dont c'est l'épitaphe (S. de Ricci, C. R. A. I. , 1909, p. 1.45, et ajoutez les nouveaux noms qu'il a publiés dans la Revue Épigra­ phique, 1913, p. 146, n. l :!:7.1lllcx0c, et p. 148, n. 12 ' I-~croü; !:a.fJ.6cxiou) ; ù'aulre part, tttt des quatre Juifs co nnus à Korykos est 1"- 7rpEa6uTÉpo; Eùcra;fLil

i. Otac. Si b., Ill, 809-H. 2. Varro, ap. LacL, I, 6, 9. Il faut sans doute associer cette Sibylle d'Aucyre, qui n'est connue que par cc texte, a la source d'Ancyre, où une tradition plaçait la capture du Silè11 e pat· MiLlas (Paus., l, !•, 5) ; j 'im,tginerais volontiers qttC la lé10euùe hell énistique de la routai ne de vin où s'cuivre le Satyre s'est g rell'ée sut· la présence de sources sacrées dont les eaux, réservées aux mys tes de Cybèle, passaient pour les rem­ plir ùe fure nt· sacrée. Quant au Silène, il a pt·ubablement remplaco) cLtns ces légendes Agdistis, l'homme· sauva'Oe des hauteurs boisées (agdos, ida), forme primitive d'Attis; Aruobe (V, 6) nous a trans mi s l' histoire d'Agdislis CHpturé par DiOJnysos. La m èm e histoire avait cu urs pour Sil ène et Miola s (cf. Wallers, Journ. Hell. Slucl., 19i l , p. 15) ; c'est it cause de cette source qui eni vre que la Sibylle est sans doute appelée 1'amxan­ dra ou Kassandra (Suidas, :!:i<;uno!. L'autre uorn indiqué par Suiolas pout· h Sibylle phrygienne :!: ,:riptiuu placée sur son Nymphaion lors du séjour en Asie de Lucius Verus, " le nouvel Ery- 76 NOÉ SANGARIOU

Nous ne saurions alléguer ici les autres textes 1 • Mais, si on en examine l'ensemble, on ne pourra se dérober aux eonclusions qu'on résumera ainsi : Marpessos était une bourgade de l'Ida au-dessus de Gergis. sur le contin des territoires de Skepsis et de Lampsaque; comme l'indiquent et le nom du lieu (nom en -ssos) et le nom du peuple (Gergithes) a qui il appartient, ce culte remonte a la plus ancienne couche de population que l'histoire 2 connaisse, en Troade ; il appartient, d'ailleurs. a ces cultes chthoniens que les anciens attribuaient avec raison a la popula­ tion préhellénique. Près de Marpessos, dans un paysage infernal de roches volcaniques, arides et rougeoyantes, un torrent des­ cendu de l'Ida dispar·aissait pour reparaître plus bas. Cette perte passait pour une entrée de l'Hadès; le torrent en reçut le nom d'Aïdoneus et un oracle se développa a cette bouche des enfers, dans les mêmes conditions qu'a Delphes ou à Cumes. Si on a nommé Sibylles les femmes · qui y interprétaient la volonté des dieux, c'est que les Grecs d'Éolide appelèrent Sibylla (en éolien :

' l'humidité " . La légende de J' e nl è~e ment de Marpessa par Jdas, puis par Apollon, que cannait déjà l'llliade, doit exprimer le fait que, du temple de l'Ida, elle a été transférée dans celui d'Apollon : c'est à titre de légende éolienne qu'Homère a dti la co nnaitre. Le fait que Marpessa- Marmessù se trouve sous le nom de Me1·mis, sur un miroir étrusque entre ile et Apulu, et la présence d'une Jlfmpe ou d'une Mm·pessa, varmi les Amazones, sont autant d'indices qui rattach ent Marpessa à l'Anatolie. 1. La Sibylle a dû ètre adoptée par· les Éoliens dès le x• siècle, quand ils achevèrent de se rendre maîtres de la Troade. Qu'elle était antérieure à la colonisation grecque., c'est ce ùont parait avo ir eu conscience la tradition que lui attribue des proph éties rela ti ves à la guerre de Troie et fait de Cassandre (enfermée, selon certains, dans une grulte de l'Ida) une façon de Sibylle troyenne. L'adoption du culte fut rapide, puisque la Sibylle de Cumes a dù être empor·tée avec leurs autres divinités par les colons partis de Kymé d'Éolide au VIl" siècle. La première mention de chants Sibyllins est donn ée comme contemporaine de Crésus, Cyrus et Salau ; la chronographie chrétienne var·ie entre la sixième génération après le Déluge, le juge Églom qui serait contempo­ rain de Tros et de Tant~los, le roi Hosée ou Manassé, etc. 2. Dans l' Hymne cité par Pausanias, loc. cit. 78 NOE SANGARIOU

étrangère, c'est ce que suffit à prouver la Pythonisse d'Endor, et, dans les origines du concept judéo-chrétien de la Vierge-Mère qui conçoit a u souille de l'esprit saint, on ne saurait manquet· de faire sa place à la ~Jby lle qui, bien q u'elle n e prophétise que lorsque l'esprit apollinien la possède, n'en eeste pas moins étemellement vierge, 7to:p6Évo.; .xùôrlEcrcro:.

Ainsi, de l'I,Ja à Ancyre, les Phrygiens connaissaient, dans le cortège de la Magna Mater, une Naïade prophétique qui, peut-être, se confondit par endroits avec cette arrtre figure de leur religion, hypostase de la Grande Déesse et attachée au culte des earrx, Nana-Noé. Ne conçoit-on pas que les Phrygiens n'aient pas eu de peine à admet Lre son identité avec ~ambétb.é, fille de Noé?~ Il parait mArne s'être fait un pas de plus dans la voie de la fusion. Voici ce qu'on lit dans le Traité contre les Jlb·és·ies de saint Épiphane, tlaus un chapitee cousacré aux Nikolaïtes :

ÜI' donc ces sectateUI's de Nikolaos qui sont nés de lui comme les ~ c ot·­ pions naissent de l'œ uf d'un serpent ou d'aspics, nous opposent des n c1 ms qui ne sont que des mots vides de sens ainsi. que les livres qu'ils com­ posent à l'appui. Dans l'un d'eux, qu'ils appellent Nô1·ia, ils mêlent à la vérité le mensougt! , pu isant aux inventions et aux fables forgées par la superstition gt·ccque. Cette Nô t·i a, ils disent qu'elle était la femme de Nàé. Ils l'appellent Nôria, afin que, dissimulant sons des noms bat·bat·es les in ven tions des Gt· ecs, ils abusent plus aisémen t de leurs dupes : s'ils l'ont appelée Nô ria, c'est pat: traduction du nom de Pyrrha. En ett'et, 1101.t1'a signifie feu en héi)t•en, non dans la lan_gue pure, mais dans le dialecte syl'iaque; cat· dans le pur hébt·eu f'eu se dit esauth . C'est ainsi qu'ils ont pu, profitant de l'ignorance et de l'incompétence, s'approprie t· ce nom. En vé rité, ce n'est ni la Pyrrha dont les Grecs co ntent la l égende, ni leur Nôria, mais Ba1·thenôs qui fut la femme üe Noé. Les Grecs disent q ue la femme de Deukalion s'appelait Pyrrha. Il en est qui nous objectent les mimes de Philistion : d'après eux, elle voulut à plusieurs reprises être dans l'arche avec Noé; mais le Seigneut·, créate11r du monde, ne le lui permit pas, vouhnt qu'elle fut détruite avec tons les antres dans le cata­ clysme. Ils disent qn'elle s'assit dans larche, et y mit le feu ni à une ni a deux reprises ;nais sollvent, et llne première el une de nxième et nne

L Ajoutez qu'uttJ l'hl:mouoti, dej 1 00 11nuc par Anli;llleuils de K.h odes (l" moitié du 1I' s. av.), passait po!ll' avoir composé. un recueil de predictions sm· le vol des oiseaux en h examètres. E lle; ·y donnait co mme fill e d 'Apollon et première pythoni~ s e d e Del­ phes (Susemihl, t}esch. d . alex. LiU., 1, p. 300). NOÉ SANGARIOU 7Y

troisième fois. C'est à cause de cela que la Construction de l'arche par Noé fut différée de tant d'années, pa1·ce que main tes fois elle fnt incendiée pa 1· elle. En cela, disent-ils, Noé o.):lé it au Seigneur ; mais Nô ria s urprit et dévoilà lés sec1·ets des puissances du ciel ainsi que la Barbélô, souverain e des puissances contraires dn SeigneLn, et, pa1· son œuvre, ce qui avait été dérobé à la Mè1·e Suprême p:ll' le Seigneur Créateur du Monde et par les autres dieux qui sont avec lui, anges et démons, fut (1·ecueilli pour êt1·e communiqué aux humains?) par l'effet de la puissance qui 1·éside clans les co1· ps, pe1',mW"ium ac feminarum pm(luvia '.

Nous ne saurions donner ici une exégèse complète de ce texte si obscur. Ell e exig-e rait, d'ailleu ,·s, des rec!Jerches sur les doc­ 2 trines gnostiques qui sont à peiue amorcées • Rappelons seule­ ment l'essentiel. On a identifié le Niko laos de qui les Nikola'ites tenaient leur nom à Nikolaos, prosélyte de saint Paul à Antioche:J; ce serait à l11i que la p. '109 de l'éd. Oehler (Corpus haeresiot., I, '1, Berli n, '1 859). li n'y a pas de pro­ grès sensible entre ces Mitions et le texte est si obseur par endroits que la traduclio n qu'on en a donnée ne peut ètre qu'approximative. -Pour permettre de s'en rendre compte je reproduis ici le texte d'Oehler : Tu.vn)'' y'lp cpcxcn ~1)·1 Nw ~ (cxv Elvcxc -rou NwE yvvcûxo: . Ko:ioücn ôà Nwpia.v, éhrw; tà. i),Ï:flvtxW; 1t ~ p ti -ro t; "E ÀÀ"IJGt flo:o/tp0î16iv-ro: &v-ro i ~a. pbrxp~x otç àvÔt.J.O:.'It fJ.E.'t::.t'TCa~·~ŒO:.'ITEÇ 'tot; -i)itetT"f)!J.É'JCH<, 1ta.p · r.nhWv qnx.'rta.a tav èpy«vwv-ro: t lva. ô-1) xJ.ù' Épf11JVE L- 'flûavO yèt.p -rà rcup rcet.pèt. 'Et;pc,(otç xcxlû-rcxc x.cx~èt. -r"i;v ~a8 e [cxv yÀwo-Œe>.v. ToUtou x~ptv cx.ù-rat:;, OV(J.béùrpu: xcn·èt. fiyvot"J.'I Y.CÛ à.rCE tpi?'.'J 'C ~ àvép.a-rt 'tOUtou XËxp'fia6a.t. Oü-re yèt.p flvp pcx -!) rcet.p' "E)).1Jot·,, ou-rE Nto>p(u. -~ rcJ.pà. -routot; f1V6o vO f1E v·~, tinèt. Btxp6Evw; ~c;; Nw€ yiyovs yuv>\. Ktxt o\ "Ei.) :~'"" )'<Î.(l 'f'"t)Mr-rtwvoç Y!~J.iv tXÔ6tç r.povrpzp 6jJ.EVOt, On 7to)J,tix.t·; r:iov), OIJ.É·r~ jJ.E7 Cl 't"(JÙ NWE €v 't"~ XtÔw-rct> yeviu6cr.~ où G"\J'IEX.W ~J Et't"0 1 't"O\i ".\p:(Q'I'tO; (<<.€v·~ ôc!tç Gbw Ôv•l.v 7tE7tOt"')x.à-roç x.cx.t 't"Wv <ÏÀÀwv TW·• rrùv aù-rij> 6Ewv -r€ xcx< 'cxyyÉÀwv xtxl Ô

1. Cf. p. 224, n. 2. 2. Je note que Marcion et son disciple Apella ont dtî s'occuper du déluge puis­ qu'ils critiquaient les dimensions attribuées par la Bible à l'arche. .NOÈ SANGARIOU

1 Barbélô semble avoir suscité une autre puissance féminine , aussi terrestre qu'elle est elle-même céleste : c'est elle qu'on donne ailleurs pour personnifiée dans Eve 2 , qui est appelée ici Nôria et qui joue le rôle d'un Prométhée ou d'une Pandore. C'est pour la châtier en même temps que la race impie des hommes que le Créa· teur veut déchaîner le déluge 3 • Comme Eve, qui perdit Adam pour avoir appris les secrets de l'arbre de science, était sa femme, on 4 fit de Nôria, la, femme de Noé • La similitude des noms a dû contribuer a ce rapprochement et peut-être aussi l'influence de croyances phrygiennes. On a vu, en eil'et, que, l'hérésie Nicolaïte s'étant formée en Phry­ gie, il était naturel d'y trouver l'écho des spéculations qui s'agitaient alors autour des cultes extatiques de la Mêter phrygienne 5 • Cette dyade que forment la Nlère suprême et son agent terrestre peut rappeler celle que Rlléa-Cybèle constitue avec une de ses hypos­ tases, Nana ou Noé, Agdisti~ ou la Sibylle ; l'homme qui, chez les Gnostiques, repousse l'amour éthéré de la Nlère divine pour suivre l'amour charnel de la Nymphe, doit certains de ses traits à Attis ou à Daphnis. Par tout ce qu'ils avaient de scabreux, les mythes phry­ giens prêtaient particulièrement à être exploités par les boufl'ons. On sait que le mime caricaturant les dieux fut la forme de théâtre la pl us golitée sous l'Empire, depuis que Pbilistiun l'avait portée à sa perfection sous Angus te et sous Tibère, Tandis que les païens exal­ taient ce mimographe, le traitant en satiriste profond et poète philo­ sophe à la Jaçon de Ménandre - des " Comparaisons de Ménandre etclePbilistion ,, et des Florilèges communs nous sont parvenus en fragments-, les écrivains chrétiens ne poursuivaient rien avec 6 plus d'âpreté que les mimes, ces daemonum inventa • Épiphane

1. D'après Irénée, Adv. He'!'., I, 30, 9-10. Prounikos l'ait naitre d'abord Caïn et Seth, p~is N01·eia et les hommes; Noreia aurait épousé Seth, qui joue le rôle d'un Prométhée. 2. Un des écrits gnostiques, une sorte d'Apocalypse nicolaïte, s'appelait : Évangile J'Ève. 3. Selon d'autres gnostiques, c'est la Mère, et non le Père, qni envoie le Délnge . .J,, Ce fait ne résulte que du passage cité. Philaster, Adv. I1ae1·., 33, dit seulemeut des Nikolaïtes : isti Bw·belo veneranltt1' et No1·iam. Sur la cosmogonie des Niko­ laïtes, cL Bousset, op. cit., p. 103-5; elle contient beaucoup d'éléments syro-phé­ niciens. 5: Sur ces spéculations et l'adaptation du mythe d'Attis, notamment par les Naas­

sènes (Philosoph., V, 1, p. '138 , 51), cf. Bousset, op. cil., p . 184-94, et Reitzenstein1 Poimand1·es, p. 93. 6, Cyprien, ·De Spect., rv. Cf. H. Reich , De1· Mimus (1903), ch. n, 3: Beu1·teilung und Ve1'U1'leilung des M.imus durch die Kù·chenvtile?'. On a des traces d'un mime parodiant Cybèle et Attis, Al'llobe, V, 42; Vll, ~3. Porphyre de Gaza dit que les Mani- 6 82 NOÉ SANGARIOU s'en prend encore à Philistion dans trois autres passages 1, accu­ sant les gnostiques de déshonorer les traditions bibliques en les mélangeant à ses inventions ~ bnl'lesques ou licencieuses. Il en est notamment ainsi du mélange des traits empruntés à son mime de << Deukalion et Pyl'rha " avec l'histoire de Noé. Si je com­ prends bien notre texte, l'idée grotesque de s'asseoir sur l'arche pout· l'empêcher de partir, puis d'y mettre le feu à plusieurs 2 rept·ises, yiendrait du mime • Né en Asie - que ce fut à Pt'usa, à Sardes ou à Magnésie, selon les traditions diverses - · Pllilistion avait dû. m êler des légendes phrygiennes à la version grecque du déluge, renouvelant ainsi un sujet déjà vieux, puisqu'Épicharme, au milieu du v• siècle, avait éet·it un ,, Pyrrha et Prométhée )). Il est tout aussi probable qu'un de ses successeurs, à l'époque où il devint à la mode de s'attaque t· aux croyances jucléo-chrétiennes, aura fait quelques emprunts à la tt·adition biblique du déluge. Certains gnostiques qui tirèrent leur nom de Noé, les Noachites, ont dû. se prêter par­ ticulièrement à ses contaminations. Peut-êtl'e est-ce ainsi que le personnage de Nôria a été créé. Une tradition, répandue par les chants qui lui étaient attribués, voulait que la Sibylle, femme, fille ou belle-fille de Noé, ait survécu avec lui au déluge el appris le secret des destinées. La Bible ne lui donnant pas de nom, on était libre de l'inventer. On a vu pourquoi certains ont préconisé Sabbé ou Sambéthé. D'autres ont pu préfére t· Nôl'ia. Ce nom qui équivalait sans doute à l'origine à Pat·thénos (bébr. :-r;y~ = vierge ) présentait, en effet, un triple avantage : il pouvait sembler une traduction de Pynha, - nour désignant en syriaque le feu dont on voulait voir 3 en Pyrrha le nom grec, 7tv p ; Nô ria ne ferait donc que se conformer à sa nature en mettant le feu à l'arche; son nom même se présente comme une sorte de féminin de No'ah ; enfin, si l'on admet que le grand centre du syncrétisme judéo-phrygien que fut Apamée n'est pas resté étranger à ces combinaisons, on a pu y voir en Nôria comme une forme de transition reliant Noé, la déesse des eaux hypostase de la Mère des Dieux, à Nôrikon, ce nom porté par la ville de Marsyas ou par un de ses quartiers. *** chéens et Docètes ont pris leuJ'S opinions dans "les· pièces de Philistion » : Marius Diac., Vita P011Jh. Gaz., 86 (Teuhner). L Adv. Hae1·., I, 21 , 3; I, 33, 8; Il, 66, 22. 2. Rappelons que l'idée de mettre le t'eu à l'Argo est attribuée à Médée dans les A1·goniJ.Uliques d'Apollonios de Rhodes, IV, v. 390. 3. Il est n~ére ssant de rappeler que, dans le système de Bardesane, d'Édesse l'éon Ju fou s ' app~l a it Nouro. ~OÊ SANGARiOÜ 83 On peut entrevoir maintenant comment s'est produit le syncré­ tisme j udéo-phrygien dont la· localisation à Apamée de l'arche de Noé marque l'apogée. Mais les éléments indiqués ne furent pas les seuls à agir dans le creuset fécond qui a produit cette légende; il faut au moins rappeler que, depuis la fin du premier siècle, cette fusion s'activa en Phrygie, grâce à l'ardeur de prosélytisme que montrait la nouvelle secte judaïsante, le Christianisme. Avant de se retourner contre le paganisme, on sait à quel point le Christia­ nisme a eu avec lui des accommodements auxquels l'ombrageux Judaïsme se refusait~ ; dans la mesure même où les Chrétiens se détachaient des Juifs, ils se rapprochaient des Gentils; à l'ortho­ doxie pharisienne, ils opposaient un esprit plus large qui ne repoussait pas ce qui pouvait s'adapter des croyances indigènes. De là leur prodigieux succès. Aussi bien, cette masse flottante des judaïsants et des cmignant Dieu, qui s'était instituée autour des communautés juives, passa­ t-elle bientôt à ce qui devait lui apparaître à la façon d'un « Judaïsme libéral ') : ce sont ses membre qui ont formé le noyau des églises chrétiennes. Le cas que les Actes (xvr, 1) nous font connaître pour Lystra - la Juive Euniké épouse un Grec et leur fils Timotbéos est judaïsant, mais non circoncis - parait par les inscriptions avoir été fréquent. Pour marquer la rapidité de l'expansi.on chrétienne en Phrygie, il suffit de rappeler que, dès la fin du premier siècle, par les lettres de saint Paul e t par l'Apocalypse, on connaît des églises dans la région qui nous intéresse, à Kolossai, Laodicée et Hiérapolis, à Lystra et à Derbé, à Ikonion et à Antioche, à Sardes e t à Thyateira. Grâce à l'œuvre des apôtres phrygiens, Épaphras de Kolossai, Philippe d'Hiérapolis, on peut, un siècle après les voyages de Paul, ajouter Philomélium, Hiérapolis, enfin Apamée; au milieu du n• siècle, Papias et Apollinaire d'Hiérapolis, Mélito n de Sardes, Sagaris de Laodicée, Thraséas d'Eumèneia, sainl Irénée enfin, attestent l'éclat de l'épiscopat phrygien. Les épitaphes font voir à quel point le Christianisme s'était diffusé dans les classes popu-

1. Aux intlices qu'on a dounés depuis· longtemps de ce fait, l'épig-raphie permet d'en ajouter un nouveau. Dans les inscriptions chrétiennes de Phrygie, je n'ai rencontré que deux noms sémitiques, Maria (Ramsaj, 365) et Martiné (368), tandis que, sur une trentaine de textes juifs, ~n rencontre une douzaine de fois des noms hébreux. : Esaü (Ooryiée), Jacoi.J (Germé, Cappadoce), Joseph (Chypre), !sakis (Tarse, Sidé), Mônsès (Éphèse, Termessos), Roubès (Euméneia), Salamon (Sala); comme femmes, Debora (Antioche), Isabel (Thyateira, cf. p. 224, n. 2), Esther (Germé). Au contraire, on ren­ contre. mème parmi les Chrétiens de marque, des uorns qui rappellent autant les cultes phrygiens que Ménophilos, Métrodôros, Sagaris. 84 NOÉ SANGARIOU laires. Quand, vers 160, éclata la crise montaniste, on a pu dire que la moitié de la Phrygie était chrétienne ~. Le Montanisme marque précisément J'apogée de ce christia­ nisme phrygien 2 ; avec lui, c'est la vieille religion anatolienne qui pénètre dans l'Église. Le haut plateau du Panasion, au·dessus de Pepouza 3 , centre de leur culte, où les Montanistes croyaient voir descendre la Jérusalem céleste, se rattachait au nord au Dindymos, a montagt?e sacrée dea Phrygieus; au sud, nous l'avons mont1·é, au Bérécyntbe, l'autre montagne sacrée; il voyait se former leurs grands fleuves divinisés, le Méandre, l'Hermos, le Rbyndakos, le Tembris, afiluent du Sangarios; le rôle des femmes dans leur cu lie, l'importance de l'extase et de la prophétie, la grande fête commen­ çant par un appareil de deuil pour finir en réjouissances véhé­ 4 mentes, la communion avec un pain particulier : autant de traits qui semblent empruntés à la vieille religion phrygienne. Même l'égli se orthodoxe qui combattit Je Montanisme n'avait pas résisté à cette péné t1·ation. Si Montan a commencé pa1· être prêtre de Cybèle, s'il se donnait comme l'époux de la Vi erge Marie comme Attis était le parèdre de la Mère des Dieux, son principal adversaire, l'évêque d'Hiéropolis Aberkios a eu l'étrange fortune de laisser une épitaphe dont le chl'istianisme est si fortement teinté par les croyances indigènes qu'on a pu l'attribuer à un prêtre d'Attis, et un de ses collègues ne croyait pas offenser la piété en portant le nom de Saga.l'is emprunté au cycle de Cybèle. Si les orthodoxes ont violemment attaqué les prophétesses qui

i. Voir, pour la dispersion géographique du Christianisme en Anatolie, Ramsay, The Chw ·ch in the Roman Empù·e be(o1·e 170 (6• éd., 1906) et llistcn·ical commen­ tm·y on Saint Pauls Gala tians (1 899) ; pour son histoire générale, ~fg r Du chesue, llisloù·e ancienne de l'Église, l, p . 262-9 (mais notez, lorsqu'il parle de " prêtres exaltés, Galles et Corybantes " que les Koryllantes sont seul ement le nom que se don­ naient des confréries bacchiques; à coté du texte de Lucien qni les m entionne, on ne les connait que par une inscription d'Érytl1rées). 2. Sur le ~1 o ntanism e , cl'. le chapitre de Unchesne, op. cil., et l'article de Bon­ wetsch dans l'Encyklopaedie de Hauck. On a récem ment [Jl'Opos é de vo ir dans les Odes de Salomon des hymnes montanistes (S. A. Fries, Z. (. neutes t. W iss., i 911, 85). Les mystères phrygiens paraissent avoir connu un rite de baptême, Ke ii-Premerstein, op. cit., ll, n. 183 ; Ramsay, l31·il'ish Sclwol A nnual, XVlll, p. GO. 3. Voir sur le Bauaz-Ova (Panasion) et P epouza le chap. xm des Cities and Bisho­ p1·ics de Ramsay. 4. Je crois avoir établi ce fait dans mon article sur le pain Galate (Revue celtique, 1901); j'y ai m·outn\ que le pain azyme etait seul permis aux pr·ètres ct mystes de Cybèle, anx Montanistes dits Artotyrites et it la co nfrérie anti- chréticone des Xénoi Tekmoreioi en Pisidie. Sur le dipy1·on des Tekmoreioi, Ramsay s'est rallié a ma manièi·e de voir, JouTn. lfell. Stud., 1012, et on a un témoignage épigraphique de l'observance par les Juifs d'Hiérapolis de la • fête des azymes» (Cichorius, Iliém polis, NOE SANGAR lOU 85 accompagnaient Montan, Philippe, le principal apôtt·e de cette partie de la Phrygie, ne manquait pas de se faire accompagner de ~es filles, qui passaient également pour avoir le don prophétique. Avec l'Égypte, c'est sans doute en Phrygie que la religion nationale a exercé sur le christianisme la plus durable influence: on peut la suivre depuis l'importance prise par la Vierge-Mère à côté du Fils de Dieu souffrant et ressuscitant, jusqu'à la fixation par certain es églises de la Pâqu'es au 2~ mars, jour où l'on fêtait la mort d'Attis; depuis le Cbl'ist conçu à l'image d'Attis sous les espèces du" bon pasteur» jusqu'à J'adoption du pain levé dans la communion par l'église d'Orient eomme protestation contt·e l'usage judéo-phry­ gien. De pareils faits, qui atlestent l'action des cultes phrygiens sur le Christianisme, n'autorisent-ils pas à supposer une action en retour du Cht·istianisme sur la r eligion indigène? En ces matiP-res suelout, il n'y a pas d'action sans réaction. Or, pour l'adoption de la légende de l'arche, les églises ont pu ajouter leur influence à • cell e des synagogues. Sur ce point, leurs croyances étaient com­ munes et on a remarqué, d'ailleurs, qu'en Phrygie, Juifs et Chré­ ti ens, animés d'un même libéralisme puisé sans doute au même fonds g r·éco-pht·ygien, ont vécu en meilleure entente. Les deux premiees Chants Sibyllins, qui ont pu, on l'a vu, être composés dès le début du n• siècle avaut Jésus-Christ par quelque Juif helléni­ sant de Phrygie, ces Chants où nous avons tl'ouvé le Déluge mis en rapport avec la Phrygie, ont é té l'objet de retouches de la part des Chrétiens au n• siècle après Jésus Christ; ces retouches toute­ fois n'y ont pas introduit, comme ailleurs, des violences contre les 1 Juifs ni les Gentils • Aussi bien . au lieu de se demanclflr, commr. on l'a fait, si les magistrats d'Apamée qui ont frappé les pièces au type de Noé n. 69) . Quant aux Montauistes dits Taskodr·ougg-ites, ce qui siguill e « pouce au nez" en phrygien, Mgr Du chesne a tort d'en écrire plaisamment : « Certains sectaires, parait-il, se mettaient. le doigt dans le nez pendant la prière >>,op. cil., p. 282; il s'agit pro­ bablement pour eux de retenir l·espr·it saint qui les remplit pendant l'extase, idée du même ordre que cell e qui fait asseoir la Sibylle su•· un trépied au-dessus d e la faille d'où montent en elle les vapeurs sacrées. i. On sait que robservance par les Chrétiens d 'Asie d e la Pàq ue juive au 14 de 'iisan taillit causer a la fin du II' siècle un schisme avec l'Égli se de Rome, où on blà• mait cette pratique comme j•1daïque et où l'on r·eportait la Pàque au dimanche suivant (Cf. Duchesne, op. cil., p. -290). Chrdi ns et Juirs polémiquaient courtoisement en Asie C•> mme l'atteste entre autres le Dialogue avec Tryphon (docteur juif d'Éph~s e) écri t par Justin vers -160. Voir aussi l'épitaphe métri4ue du Juif Rouben ('Povll·~ iJ.EyoD.ow 6Eoù 6Epcircov-rt) a Euméneia, remarquable pour son ton et ses sentiments helléniques (Ramsay, Cilies, n. 232). Un des martyrs de Synnada porte le nom juif de Sabbatios d es chrétiennes ceux de Maria (op. cil., n. 365), Marthiné (n . 368). 86 NOÉ SANGAR!OU étaient Juifs, on pourrait se demander à aussi juste titre s'ils étaient Chrétiens. 1 Il nous faut donc résumer ce que l'on peut :::avoir de ces deux communautés à Apamée. On a vu plus haut comment les Juifs sont arrivés à la ville de Marsyas. Mais, on pourrait inférer l'exis­ tence d'une colonie juive du seul fait que, environ de 200 avant à 200 après, Apamée fut la principale place de commerce de l'Asie intérieure .. << Apamée, '' dit Strabon, « est le grand emporion de l'Asie proprement dite, le deuxième après Ephèse 2 >>.Deux siècles plus tard, Dion Chrysostome dit encme aux Apaméens : << Vous êtes la première ville de la Phrygie, de la Lydie, et même de la Carie; d'autres nations vous entoment, Cappadociens et Pamphy­ liens et PisiJiens; et pour toutes, votre cité sert de lieu de réu­ 3 nion et de marché • '' Dans une ville aussi considérable, il ne pouvait manquer de se trouver une colonie juive. Nous n'en avons qu'une seule insc1·iption certaine, du milieu du ne siècle après; mais elle suffit à établir l'impot·ta?ce de la communauté. Il y est, en efJet. question d'un v6fLoç -riJ'>v E1ouoÉwv ', qui ne peut être qu'un 3 statut spécial concédé par la cité aux Juifs • L'Église, à Apamée, n'a pas dû tarder à sortir de la Synagogue. Ve1·s 180, on entend pal'ler de son évêque J ulianus comme adversaire des Mo.ntanistes. Une quinzaine d'épitaphes chrétiennes ont été recueillies, tlont une de la fin du n• siècle (Ramsay n. 387). deux datées de 259 (n. 388) et de 260 (n. 375); su1· une seule, le défunt se elit Xpccmavoç (n . 393); c'est dans cette épitaphe qu'on rencontre le seul nom qui soit peut-être judéo-chrétien MEÀ-r!v ·~ (forme hellé­ nisée de Marlhiné ?) ; le christianisme ne se décèle en général que par la formule qm termine la menace contre les violateurs de la

1. Pour des Chrétiens occupant en Phrygie des charges municipales, cf. Ramsay, Cilies and BishopTics, p. 520. - Gunkel, Genesis, p. 68, voit des Juifs dans les auteurs de nos monnaies. 2. Strabon, XII, 8, 15 ; cf. 13 : 'Ami[Lmt '/j K t6w ~à; ),eyo(LÉV1J x<>l A<>oil(xEtet., a.trcEp Ètcn fLÉyta~o.t ~wv Y. ~vy[o.v 7tÔ),Ewv . 3. Dio, 01·., XXXV, 14. 4. Ramsay, Cilies, p. 538, n• 399 bis : Aù p. 'PoV'f'OÇ 'Iov),w.voù ~· i 7tO t1J:r xÈ -r~ CJV!J.t:itq> ~ov AVp. TCl'ttctvij · tç i:i Ën:ro; oV 'tE61j, et Oi ·nç È'7tt"C1}ÔÉucrt, -ràv v6tJ.ov ol.ôtv TWv ~Lov ~Éctlv. 5. Ramsay propose de reconnaitre encore un Juif dans son inscription n• 385; c'est la dédicace d'un hérôon qu'élève en 253/4 AD.wç ll'1V)(<Îptoç 6 x<>i Zwnxàç (Zotikos est le nom de bapt.ême gréco-judaïque; Pancharios se retrouve donné à un Juif C. I. G., IJ9!l4i : elle s'achève par la fom1U ie judéo-chrél ieune Ëa~o.t à.vTij) 7tpà; -ràv 6Eov ; sa fe mme serait un e païenn e, à en croire son nom d'Aelia Atalanté. Ramsay soupçonr;e encore. de judaïsme les inscriptions 315 et 394 ; 394 à cause de la formule 7tpoç ~àv "'P'~~v 6Eov ct de l'expression ix Tou ct'ifLo:~àç fLOu, 315 seulement à cause de cette der­ nière expression. NOÉ SANGARIOU 87 tomhe: • qu'il ait à en rend1·e compte devant le dieu vivant"' ou "le dieu immortel ,, ou « le dieu justicier », ou « au jour elu 1 jugement » . Ces inscl'iptions appartiennent, pour la plupat·t, au me siècle. C'est alors que le Christianisme a dû arriver à son apogée à Apamée. Sa voisine, Euméneia, paraît avoir été entièrement 2 chrétienne au temps de la persécution de Dioclétien • C'est sous les Sévèt·e que le pl'osélytisme a dù connaître son plus beau succès à Apamée. Malg1·é les Apologies que lui pl'ésentèrent Méliton de Sardes et Apollinail'e d'Hiérapolis, Mal'c Aurèle avait prescrit ou autol'isé des poursuites où périrent, entre autres, les évêques Poly­ cal'pe de Smyrne, Sagaris de Laodicée, Hiérax d' lkonion, Thraséas d'Hiérapolis, poursui tes que le proconsul Al'rius Antoninus reprit en 184jn. Sévère, selon Spartien, interdit de faire des juifs et des chrétiens, mais on n'entend pas padet· persécution sous le règne d'aucun des Sévère. Il suffit de rappeler qu'Alexandre Sévère avait groupé claus son oratoire Abraham et Orphée, Jésus-Christ et Apol­ lonios de Tyane, et que Philippe l'A l'abe a passé pour chrétien ; on comprend ainsi que ce soit de Septime Sévère à Philippe qu'aient été frappées les pièces d'Apamée, dans l'époque de tolérance qui s'étend entre la persécution de Marc-Aul'èle et la persécution de Décius. . Nos pi èces à r arcl1e apparliennent bien au temps de~ S.évère oü les culles Syt' ieus dominaieut daus lil religiou olftcielle. Nulle part la liberté des cultes ne paraît avoir été plus gmmle alors qu'en Asie: les évêques pouvaient publiquement teni1· des conciles en Phl'y~i e, à Synnada et à lkonion 3 ; un évêque d'Ancyre, puis une pt'ophétesse cappadocienne pouvaient librement prêcher« le jour du Seigneul' " et, montl'ant dans des tl'emblements de terre 1111 avertissement divin, entraîner des populations fanatiques vers Jérusalem ·1•

L'agonothète et le gmnd-prêtre qui firent fmpper les monnaies au type de l'al'che auraient donc pu être chrétiens aussi bien que juifs. Mais il est probable qu'ils étaient simplement des païens tolérants, ouvel'ts aux idées nouvelles. Quand Artémas fut agono-

·J • . Ramsay, Cilies and Bishop1·ics, uoo 385-399. 2. Eusèbe, FI. E., V, 16. 3. Ramsay, op. cit., p. 506. 4. Duchesne,·op. cil., p . 437,442. Apamée n'a eu de martyr que sous Oécius : c'est saint Tryphou. Ce nom est connu pa1· des inscriptions et des monnaies comme appar­ tenant à une des grandes familles d'Apamée. 88 NOÉ SANGARIOU thète pour la troisième fois, il fit frapper en même temps que les monnaies au type de Noé, des bmnzes montt·ant Athéna au bord de l'Aulokrène (n. 163), Zeus tenant Niké à la main (n. Hi8), Athéna casquée appuyée sut· sa lance (n. 174-4), une geebe d'épis 1 (160), un aigle aux ailes éployées (172) • Alexandros, gt·and-prêtre de Rome et d'Auguste. a émis, sous Philippe l'Ancien, avec les pièces au type de l'arche, d'autt·es qui montrent le hét·os Kélainos faisant une libation (n. 185) et un lion s'avançan t vers un thyrse avec ciste mystique dans le champ (n. 183-4) 2 • Si Artémas et Alexandros étaient païens, il n'en est que plus frappant qu'ils n'aient pas hésité, probablement en 202 et en 204, à émettre des monnaies avec la légende de Noé en même temps que des pièces rappelant les fables païennes. Le fait est d'autant plus significatif que non seulement Alexandt·os é tait grand-prêtre, mais qu'il semble que tous ces grands bronzes, frappés par des grands-prêtt·es, des Asiarques, des agonottiètes ou des panégy­ riarques, étai ent moins des espèces courantes que des médailles destinées à commémoeer la réunion à Apamée du xotvov puyiœç . .Une monnaie d'Artémas pMte précisément en exer·gue: KOINOI\

1. Ba rclay Head, B. M. C., Plu:;,qia, Apameict, n• 163 (Septime Sévère) ; n•• 16R et 1i9, Caracall a , seul et avec Plautilla; n• 173-'• (Géta), 166 (Julia Domua). C'est sous Septime Sévère ~u e sont. frappées les pièces an type de Noé. La frappe de cette série de pi eees doit dune sc IJiacer entre i98, olt Car·ac;tlla fut. proclamé Auguste et Géta César, et2H, d;Lte de la mort de Sévère; leur année d'émission est peut-ètre 202, quand la famille impériale pa raît avoir traversé l'Asie. 2. Head, loc. cit., n•• i83-'• !Phili ppe l'Ancien: ; n• i85 (Otaci lia Severa). Puilippe et sa femme paraissent avoir traversé l'Asie en 244, revenant de Nisibe par Antioche a Rome. Ce pourrait ètre la date de nos monnaies. - Le nom d'Arté mas est porté par uu chrétien it A1Jamée (Ramsay, op. cil., p. 534, n• 388), aiusi que celui d'Aiexan­ dros (il• 386). 3. Cf. a ce sujet Ramsay, op. cil., p. 442. 4. Cf. Ramsay, op. cit., p. 432. NOR SANGAR!OU 89 dans sa grotte, sa rivalité avec Apollon ou avec Athéna. Artémis Anaïtis entre les quatre fl euves personnifiés, peut-être aussi Mên­ Anchouros à cheval, voilà, à en juget· pat· les monnaies, quelques­ uns des tableaux qui devaient avoisiner celui de l'arch e. Cette peinture pouvait remonter à la fin du 1••· siècle. C'est, en effet, alors que, dans la catacombe de Domitilla, se rencontre la plus ancienne représentation de Noé dans l'arche Sur deux fresques, le patriarche est peint, imberbe et vêtu d'une tunique sans manches, sortant à mi-co t·p s d'un co!JJ·et rectangulait·e dont le couvercle est levé ; un oiseau vole vers lui j . Cette curieuse figuration de l'arche sous forme de coffre n e résulte pas seulement de l'interprétation des noms sous lesquels on la désignait chez les Grecs et les Romains, xtbw'tàç, arca,· elle est un nouvel indice de la réaction de la mylhologie fi gurée des Grecs sur les légendes bibliques. C'est dans un coffre ou bahut, au co uv ercle levé, semblabl e à celui de nos monnaies, qu'on repré­ sentait Deukalion et Pyrrha, Persée et Danaé, Tennès et Hémithéa abordant au Parnasse, à Sériphos, à Ténédos. Certaines de ces repré­ 2 sentations fut·en t célébres ; telle l'arrivée de Danaé, peinte par Artémon au m• s. av. Ce tableau paraît avoir influencé les monnaies d'Eiée (le por~ de Pergame) montrant l'abordage en Mysie d'Augé et de Télépbo~ 3 • Les a rtistes prirent l'habitude de montrer dans l'arca 1 leurs personnages, hommes et femmes, en sortant à mi-corps •

l. Vo ir à l'article A1·che du Diclionnai?·e d'a·l'chéologie chl'élienne, col. 2112-3 et de Waal, Roem. Quartalsch,·i(l, 1909, pl. l. D. Ka.uffmann a proposé ici (R. E. J .. 1881, p. 45) de vuir dans ce que j'appelle le co ffre, le capot ou l'écoutille qui surna­ gerait comme dans un sons-marin, le reste de l'arche étant censé caché par les flots. 11 est certain qu'il a ex isté une Hgtll'ation de l'arche sous les traits d'uue maisou carrée il toiture plate dominée par une sorte de cheminée carrée (voir la miniature dans Hartel-Wickhof!', Die Wiener Genesis, 1895, pl. Iv); rriais la présence du couvercle suffit à prouver que telle n'est pas l'idée des artistes auxquels nos monnaies sont dues; la plus rapide comparaison avec les fi gurations dans l'antiquité classique de lama/ces ou de kib6loi flottant montrent que c' est bien celles-ci qui ont inspiz·é le graveur de la monnaie d'Apamée. Signalons que notre monnaie n" 4 est bien repro­ duite dans K.-M. Kaul'mann, Ilandbuch der ch1·istlichen A1·clweologie ( 1913) p. 306. 2. Pour les peintures représentant Danaé ct Persee, Raoul Rochette, Choix de peinlw·es de Pompéi, pl. XIV, p. 1Ri et 1,9 1 ; Museo 801·bonico, ll, pl. xxx, 4 (üg. 454 de l'art. Arca de Saglio), cf. Helbig, Wandgemaelde, n. H9-21 (figure dans Springbr-M ichadis, fi g. 570). Knatz, Quomodo Persei fabulam w·Lifices traclaverinl (Bonn, 1893), décrit deux peintures de vases (B., 1, 2) auxquelle,s Ha rtwig en ajoute uue troisième, Mon. Piol., X, pl. vm. Ajoutez, Engelmann, Oesl. Jahreshefte, Xli, 1909, p. 165. . 3. Cf. Marx, Alh. Milleilungen, 1886, p . 23; Wroth, B. M. C., Aeolis, p . 130. 4. On peut faire la contre-épreuve de ce qu ~ nous avançons sur l'origine grecque de ce type d'arch e en se reportant à ses représentations dans l'art copte; là on trouve la barq ue égyptienne, la bm·is. 90 NOÉ SANGARIOU Aussi bien, est-ce ce couple qu'on a représenté sur nos monnaies, alors que la tradition biblique ellt voulu qu'on y plaçât ou Noé seul, ou Noé accompagné, en dehors de sa femme, par ses trois fils et ses trois brus. La femme qui accompagne Noé est censée proba­ blement être, non l'épouse de Noé, même sous la forme gnostique de Noéria, mais sa fille, la Sibylle Sambéthé: on a vu qu'elle rap­ pelait elle-même qu'elle avait navigué dans l'arche, dans les vers sur lesqu~ls les gens d'Apamée devaient appuyer leur prétention à être la ville où Noé avait débarqué avec la Sibylle. La colombe, que ne connaît aucune des légendes grecques rle héros jetés à la mer dans un coffre, semble pomlant avoir, avant la frappe de nos monnaies, pris place dans le mythe de Deukalion i. En effet, on lit dans le traité de Plutarque: " Quels animaux sont les plus advisez "• ch. xxxvm: « Ceux qui ont inventé les fables disent que, durant le déluge, Deucalion laschoit la colombe quand il voulait sçavoir quel temps il faisoit, parce que, s'il faisoit encore tempeste et temps de pluies, elle s'6ll retournait en l'arche et, quand le beau temps fut revenu, elle s'envola du tout et ne retourna plus." N'est-ce pas l'écho fidèle de la légende biblique 2 ? Les Gentils ont dll l'accueillir d'autant plus facilement qu'une légende, que connaît déjà Aristote, montrait Deukalion s'établissant à Dodone sur le conseil rle la colombe sacrée et y fondant le culte de Zeus Naios. La légende épirote faisait succéder au déluge l'embrasement causé par la chute de Phaéton à Apollonia d'Epire. et un scholiaste de Lucien identifie cet embrasement à celui de Sodome et le déluge de Deukalion à celui de Noé 3 . Une autre particularité de notre monnaie apporte un nouvel indice de syncrétisme: Noé, figuré ba1·bu et sans coiffme sm~ les autres pièces, parait, sur celle d'Alexandros, plus court vêtu, imberbe et coiffé d'un béret qui rappelle nos bérets de matelots: on y reconnait la kausia caractéristique des Thessaliens et des Macédoniens, ce qui indique que l'artiste devait se conformer à un modèle c1·éé pom la légende thessalienne de Deukalion. Le geste même de Noé et de sa femme, la main droite levée, ce gt)Ste qui, pour le judéo-chrétien, était un geste d'invocation ou de

L Sur Deukalion à Dodone, cf. Tümpel, art. Deukalion dans le Pauly-Wissowa ; sur Zeus Naios, dieu des eaux, et sa parèdre, Diônaia, rapproches de Noé, cf. pins haut, au i •• article, p. i64. 2. Peut-ètre faudrait-il aussi tenir compte ici d'une curieuse série de lampes romaines où l'on voit un oiseau portant un rameau dans son bec ou ses pattes; mais, parfois il paraît perché sur la branche. 3. Schol. à Lucien, Timon, 3. Cf. Lucien, De Sallal., 39. NOÉ SANGARIOU 9i pl'ière, est celui que devaient fair·e Deukalion et Pyrrha jetant par dessus leur épaule les pierres qui allaient repeupler· la terre. C'est sans doute parce qu'on sentait si bien que tout Grec inslrnit qui vel'rait cette monnaie pensel'ait instinctivement à Deukalion qu'on prit le soin, pour que nul ne s'y trompât, d'écrire sur le coffre NOE'.

Nous voici au terme de notre démonstration. Le nombl'e et la complexité des questions soulevées en ont rendu l'exposé néces­ sair·ement discursif. Mais je ne cmis pas que, parce qu'il a fallu le constmire en matél'iaux disparates, notre édifice en soit moins solide. Chacun de ces matériaux a apporté un élément nouveau à la thèse que nous nous étions proposé d'établir sur une base solide, thèse que l'on peut formulee ainsi : si l'arche de Noé apparaît sm les monnaies d'Apamée .au début du m• siècle de notre ère, ce n'est pas la conséquence de la fantaisie d'un magistrat judaïsant, c'est qu'Apamée était le théâtre d'une très ancienne légende phry­ gienne du déluge et que, depuis la fin du m• siècle avant notre ère. le récit biblique avait commencé à s'unit· avec les tl'aditions indigènes. Résumons ce qui, des matériaux si diver·s qu'on a mis en œuvre, ressor·t en faveur· de ce qui est l'essentiel de cette thèse. Les Phrygiens avaient une légende peopre du délu ge :ce n'était pas un déluge causé par les eaux du ciel; c'était un cataclysme lié à des secousses sismiques qui déchaînaient à la surface du sol les eaux souterraines, inondaient les campagnes et engloutissaient les vi lles. Une pareille légende parait particulièrement à sa place dans un pays volcanique comme l'est la Phrygie centrale, entre Pessi­ nonte, Ancyre, Iconium, Hiéropolis, Laodicée et Apamée. Dans chacune de ces villes on retrouve des éléments de la

1. Comme il tst probable que la Noé phrygienne a été

,, NOÉ SANGARIOU 93 Si les Juifs placèrent de préférence à Apamée la légende de l'arche et l'Ararat, c'est d'abord qu'ils traduisirent par arche son surnom de_lcib6tos, qui désignait peut-être en réalité l'entonnoir où s'étaient engrouffrées les eaux diluviennes -, c'est ensuite que la ville était dominée pat· les deux plus hautes cimes de la Phrygie centrale. L'une, le Mont de la Lune d'aujourd'hui, était sans doute consacrée à Mên Askaénos, le dieu lunaire des Phrygiens (et Aslcaénos doit être en rapport avec aslcos, outre) ; l'autre, le Mont Blanc moderne, était apparemment ce Bérécynthe à qui la Mêter phrygienne doit son surnom de Berecynthia. Peut être les Juifs d'Apamée rappt·ochèrent-ils aussi Bérécynthe' de Baris. Ce nom était celui d'une ville de Milyas proche d'Apamée el d'un temple d'Arménie du pays de Minni, dont les Grecs avaient fait Minyas. Une légende du déluge, apparentée à la légende pluy­ gienne, paraît avoir existé en Arménie; elle se rattachait à un héros indigène que les Grecs identifièrent à Jason. Or, baris était un mot égyptien signilian t la barque des dieux, mot que les Grecs avaient adopté, et l'on montrait peut-être les débris d' une arche­ les Grecs y virent l'Argô - dans le temple d'Anaïtis à Baris et dans les Jasonia de son parèdre. Ces confusions, dont on a montré l'existence dès le m • siècle avant nott·c ère, ont pu d'autant mieux jouet· leut· rôle dans la localisation au-dessus d'Apamée du Mont de l'arche que, même au temps de Josèphe, celui-ci n'était pas encore définitivement iden­ tifié. S'il était notoit·e que l'Ararat biblique désignait l'Arménie, l'identification du Mont de l'arche avec le Mont Ararat actuel ne s'était pas encore imposée; on pensait surtout aux monts de Gor­ dyène dans le Kurdistan; mais d'autres soutenaient les prétentions du mont de Baris en Atropatène, d'une localité en Osrhoène près de Han·an, peut-êtl'e aussi celles du mont Nisir au-dessus de Ninive. Chacune de ces localisations a dû être défendue par les colonies juives du voisinage ; il n'y a donc rien de surprenant à ce que celle d'Apamée ait aussi soutenu la sienne. Ce sont des Juifs de Babylonie qui l'ont importée à Apamée dès la fln du mo siècle avant notre ère, et, la fusion une fois com­ mencée entre leurs légendes et celles des indigènes, le syncrétisme s'est bientôt développé comme de lui-même au milieu des commu­ nautés mixtes. La Sibylle gréco-judaïque fait sienne la localisation de l'Ararat à Apamée sans doute un siècle a va nt notre ère; cette Sibylle s'identifie elle-même à la femme ou à la fille de Noé en pro­ fitant de ce qu'une hypostase de la Grande Déesse phrygienne, déesse des eaux fécondantes devenue simple Naïade, portait aussi NOË SANGARlOU 1e nom de Noé ; dès le u• siècle après notre ère, le gnosticisme s'empare de cette Noéria et en fait l'une des héroïnes de ces com­ promissions entre le judéo-christianisme et le paganisme dont le Montanisme assure longtemps le succès au cœur de la Phrygie, dans la région même d'Apamée. Les communautés chrétiennes, si rapidement multipliées à travers la Phrygie, ont ajouté, dans ce synceétisme, leue action à celle des colonies juives. A la fin du m• siècle, Apamée aura une Montagne de l'at·che, avec église com­ mémorative, r.t les écl'ivains chrétiens répandeont la tradition apaméenne. Loin d'être un fait isolé ou fortuit, la localisation de Noé à Apamée dP. Phrygie est une des conséquences logiques du grand mouvement syncrétique judéo-phrygien sur lequel nous espét•ons que cette étude aura jeté quelque lumière.

ADOLPHE REINACH •

. 1. Nous donnons ici, comme cul- de-lampe, la stèle de Thasos qui a été le point de départ de cet article d'après un dessin fait devant l'original. La stèle est en marbre local : haut. 0,33 dont 0,045 pour le rebord mouluré; larg. 0,21 au bas, 0,20 au haut; ép. 0,055. NOÉ SANGARIOU

ADDE.VDA ET CORRIGENDA

P. 7. - Dans la série des noms du groupe de Noé, le lr.cteur aura col'rigé spontanément Nvuvoç en Nouvoç, Nwtxcc en Nfvtxcc. On trouve1·a d'autres noms de cette série signalés dans l'index de mon Bulletin d'épigraphie gr·ecque pow· 4910 12 (1913) et par Van Gelder, , 1913, p. 10. C'est évidemment la déesse Nana-Noé qui se cache dans Nanis, la fille de Crésus qui aurait livré Sardes à Cyrus (Parthénios, Nan·at. 22). Les Sémites ont pu y 1·econnaître le nom de la déesse arabe Na'na' (cf. Kell y Prenticc, Princeton Exped. to Syria, Inscriptions, n. 354 N&vlj, n. 431 NoEvoç.

P. 45. - Sur Persée à Ikonion dans les monuments antiques, voir G. Minervini, Per1eo ed Andromeda in lconium (dans ses Mem01·ie Aca­ demiche, Naples, 1862); sur les travaux de drainage que le peuple lui altribne encore dans la région, Hasluck, Annual of the british School, X Vlll, p. 267. P. 54. - Sur es traditions relatives au déluge en A1·ménie et Anà­ hita comme déesse des eaux en Arménie et son parèdre Verethragna, on trouvera encore des textes intéressants dans Spiegel, Emnische Aller­ tumsliuncle, et Là.ga1·de, Gesammelte Abhandlungen (i866J. Il n'y a rien à tire1· du mémoire où H. Schneider vient de reprendre la théorie de l'ori­ gine babylonienne de toutes les légendes diluviennes (ZuT Sintflutsage, Leipzig, Himichs, 1913). Je ne puis pa1·tager davantage l'idée de Dahnhardt (Natursagen, 1, p. 293), qui explique les barques à animaux tl·ouvées en Étrurie et en Sardaigne comme des « a rches de Noé ,. transmises d'Asie pa1· des Lydiens sémitisés! P. 62. - SLll' la coupe qui mont1·e Jason rejeté pa1· le dragon à la façon de Jonas, un mémoire de G. Loeschcke a été annoncé à l'Archaeo logische Gesellschaft de Be1·lin (séance du 4 févrie1· 1913).- Les Ibères ct u Caucase se se 1·aient également réclamés d'une origine thessalienne, Tacite, Ann., Vl, 34. P. 72. - Un lieu dit Sambana ou Sambata se trouvait près de Kélonai (Kalah) en Mésopotamie, Diodore, XVII, HO. Cf. D1·oysen, II, p. 69t.

P. 8L- On peut se demander si la fameuse peinture de Pompéi avec le Jugement de Salomon confondu avec Bocchoris et si la mosaïque de Malte avec un Samson-Hercule trahi par Dalila ne sont pas inspirés de ce5 mimes honnis par les Pèr es de l'Église. Cf. E. Becker, Malta sottermnea, :1913, p. 86, 88.