Bill Clinton, Le Président Acquitté
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LeMonde Job: WMQ1202--0001-0 WAS LMQ1202-1 Op.: XX Rev.: 11-02-99 T.: 11:06 S.: 111,06-Cmp.:11,11, Base : LMQPAG 20Fap:100 No:0251 Lcp: 700 CMYK LE MONDE DES LIVRES LITTERATURES ESSAIS VENDREDI 12 FÉVRIER 1999 DIOGÈNE SAINTS ET PROPHÈTES LAËRCE AU MOYEN ÂGE La Chronique L’historien André Vauchez démontre de Roger-Pol comment la « sainteté » EDITH WHARTON Droit a été utilisée à des fins politiques Le Feuilleton page VI par la papauté et les Etats naissants page IX de Pierre Lepape LESLEY GLAISTER JUAN GOYTISOLO NADINE FRESCO page II page III page IV page VII bbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbbb a Au sommaire : La trace, les identités floues, la mémoire «Je» trouée... Trois jeunes filles anonymes se racontent à la première personne dans le nouveau livre est une de Patrick Modiano, qui porte le jeu avec ses obsessions à un inconnue point de perfection l’oubli (1996), il s’agit d’emmener le Il n’y a évidemment pas de lecteur à la recherche d’un moment morale de l’histoire. Dans aucun de jeunesse. Comme dans Dora des récits. Ce n’est pas dans la Modiano, Wharton, Bruder (1997), Modiano pourrait manière de Modiano, qui s’est affirmer ici : « Si je n’étais pas là toujours gardé de la démagogie. pour l’écrire, il n’y aurait plus En revanche, les propos déran- aucune trace de cette inconnue. »Ce geants, provocants, non rois récits composent ce n’est pas la première fois qu’il s’en conformes, ne lui sont pas étran- curieux livre, ni roman ni recueil de va du côté des jeunes filles perdues. gers, même s’ils ne sont jamais Tnouvelles. Trois personnes – dont Mais qu’il le fasse avec des narra- assénés. Il faut les lire, non pas on ignore où elles sont et ce trices change tout. Quand un entre les lignes, mais dans les qu’elles font – se remémorent la fin homme prend le risque d’écrire au détails. Ici, le « je » de ses de leur adolescence – entre seize et féminin, à la première personne, il inconnues lui permet d’exprimer vingt ans –, quand elles ne savaient en dit beaucoup plus long sur la une radicale hostilité aux attitudes pas vraiment d’où elles venaient et manière dont il voit les femmes que de certains hommes, à cette encore moins où elles allaient. Ce lorsqu’il les fait décrire par un nar- complicité, cette grande « frater- sont trois personnages embléma- rateur. Et il en dit plus encore sur ce nité », cette homosexualité ina- tiques de l’univers singulier de qu’il pense des hommes. JEANNE HILARY/RAPHO boutie qui dictent les comporte- Modiano, anonymes et inou- La première inconnue, venue de la Saône ou de la Seine, on dit un ami du père, qui confie à de René, avec lequel elle vivait à ments de quantité de soi-disant bliables, entre deux dérives, entre Lyon à Paris, à dix-huit ans, après souvent qu’elles étaient inconnues ou l’inconnue quelques objets ayant Londres, qui lui a « parlé de ce hétérosexuels. Dans ce livre, révolte et consentement, lointains avoir raté un entretien d’em- non identifiées. Moi j’espère bien le appartenu à celui-ci. Parmi ces sou- genre d’hommes pour qui les femmes Modiano va le plus loin possible et attentifs à la fois, étonnés et bauche, alors qu’il lui faut absolu- rester pour toujours. »C’est bien un venirs de rien du tout, un revolver. n’existent pas ». Elle est celle des dans l’observation des relations pourtant presque résignés, imprévi- ment trouver du travail pour roman de la noyade que Modiano Un soir où elle croyait aller faire du trois jeunes filles qui exprime le humaines biaisées, dans la sugges- sibles ou trop prévisibles, porteurs gagner son autonomie, rencontre construit, en trois chapitres sans baby-sitting dans une famille pour plus constamment son angoisse. tion des dépossessions, des men- de sourdes angoisses nées des atro- un homme mystérieux, qui se fait autre lien entre eux que la sensa- laquelle elle avait déjà travaillé, elle Dans l’appartement, dans le métro songes, des dévastations. Avec, cités de l’Histoire du XXe siècle, de appeler Guy Vincent. On est à la fin tion de l’inconnu. Que faire quand se retrouve aux prises avec deux vide. La peur devient panique dans plus que jamais, la délicate alliance lourds secrets de famille, d’événe- on a le sentiment de se hommes bien décidés à s’amuser le métro bondé, dans la foule des de la violence et de l’élégance. ments indicibles, d’un passé inex- J osyane Savigneau noyer ? Chercher à se sau- avec elle, à l’humilier, à la violer. couloirs. Elle se sent en sécurité, pliqué et qui « ne passe pas ». ver ? Trouver quelque Alors, elle saura s’en servir, du fugitivement, dans un café du ૽ Signalons la sortie de Pages pour Juan Goytisolo, Mais cette fois, le « je », la narra- des années 50 ou au tout début des chose faisant office de bouée ? Ou revolver. 15 e arrondissement qui a ses habi- Modiano, d’Olivier Barrot, un bref tion à la première personne chère à années 60, pendant la guerre bien laisser s’accomplir la dispari- L’abandon, la violence... il fallait tués. Proie idéale pour ceux qui texte d’hommage (Ed. du Rocher, Patrick Modiano, est au féminin. d’Algérie. « Guy », enfant de la tion ? bien que la troisième inconnue offrent du réconfort à coups de 46 p., 69 F [10,52 ¤]). En librairie le « Je » est une inconnue, à tous les Shoah qui a changé d’identité, est La deuxième inconnue n’est pas s’invente, elle, un refuge. Pour « travail sur soi », elle va se laisser 23 février. sens du mot. Et tout ce qui ferait probablement « porteur de blonde, mais tout aussi « non iden- échapper à l’angoisse des chevaux attirer dans une secte, car «pour l’histoire, l’anecdote, l’intrigue, valises » pour le FLN. Il a des ren- tifiée ». Elle est née à Annecy. Son qu’on mène aux abattoirs de Vaugi- rompre sa solitude », pour apaiser DES INCONNUES dans un autre roman, est ici en dez-vous clandestins, parfois en père est mort quand elle avait trois rard, près desquels on lui a prêté un sa terreur devivre, « on est prête à de Patrick Modiano. creux : la Shoah, la guerre d’Algé- Suisse. L’inconnue l’accompagne, ans et sa mère est« partie vivre avec appartement. Pour oublier l’image accepter n’importe quoi »... Gallimard, 156 p., 95 F (14,48 ¤). rie, l’exil, le meurtre, le sexe, le viol, mais n’est tenue au courant de rien. un boucher des environs ». Elle n’est les sectes. Le bizarre, l’incertain, la Un jour seulement elle entend son pas restée « en bons termes »avec perdition, le renoncement : voilà ce véritable patronyme, quand elle. Sa vie se passe dans un pen- que traque Modiano depuis trente Modiano fait surgir dans le récit un sionnat à la discipline particulière- ans et près de trente livres, solitaire, Chardonne improbable qui dédica- ment rigoureuse. Pendant les étrange promeneur dans un Paris cerait, dans un hall d’hôtel,Vivre à vacances, elle va chez sa tante, à perdu, secret et bavard à la fois, Madère. Elle se laisse aller à cette Veyrier-du-Lac, et l’aide à faire le beaucoup plus complexe que ne drôle de vie avec Guy : «La nuit, ménage dans les villas des environs. l’imaginent ceux qui célèbrent dans la chambre de l’hôtel, il me Un avocat parisien en villégiature indéfiniment la« petite musique » posait des questions sur mon enfance lui trouve « la beauté du diable »: de son style en croyant qu’il et ma famille. Mais, comme lui, je « Je ne savais pas ce que cela voulait compose de jolies sonates décora- brouillais les pistes. Je me disais dire et ça m’a fait peur. La même tives. Subversif, Modiano ? Certai- qu’une fille aussi simple que moi, qui peur que lorsque j’avais entendu dire nement, si on accepte de poser les n’avait qu’un seul nom et qu’un seul que mon père était une “tête brû- questions qu’il laisse en suspens. prénom, et qui venait de Lyon, ne lée”. » Un jour, un fils de famille, Pourquoi les Français de cette pouvait pas vraiment l’intéresser. » militaire en permission (il faisait seconde moitié du siècle, qui sont Un lundi de novembre, lors- son service en Algérie), bourgeois nés, comme lui, vers 1945, ne qu’elle arrive au rendez-vous, rue dédaigneux vouant un amour Diogène Laërce peuvent-ils pas se regarder ? Qui Frédéric-Bastiat, Guy n’est plus là. excessif à sa mère, entraîne la jeune sont leurs pères et qu’ont-ils fait ? « Il n’y a plus personne », seulement fille dans sa chambre, l’étreint avec De quoi est-on comptable pour plusieurs voitures noires devant maladresse, puis lui lit un passage toujours ? Peut-on comprendre et l’hôtel et un groupe d’hommes sur du livre qu’elle avait déjà remarqué revivre ? Peut-on oublier et sur- le trottoir d’en face. Un Algérien sur sa table de nuit,Comme le temps vivre ? Peut-on s’enfuir et«vivre en qu’elle a déjà vu à Genève lui passe : la pompeuse description, fraude » ? Qu’est-ce que « se sou- enjoint de partir :« Pour le moment, par Brasillach, d’une nuit d’amour, venir » ? vous n’êtes qu’une jeune fille blonde « fraternelle bataille». Elle éclate de La trace, les identités floues, la NON IDENTIFIÉE. »Cette inconnue rire.