Le jour avant

'avais 13 ans lors de la fameuse de nous dissocier des grandes catas- de paix si admirable de novembre, est crise des missiles cubains, crise trophes, comme si nous n'y étions pour impardonnable aussi. Comme l'est l'in- Jque je traversai en toute insou- rien, comme si ce n'était jamais de notre sensibilité ignorante de Ronald Reagan ciance et parfaite ignorance. Je n'étais faute, comme si la distance impliquait la sur la question nucléaire. «Le plus gros pas au courant. Je ne savais pas que le «déresponsabilisation». Du moment de son information est inexact», de dire monde risquait de sauter à tout moment qu'il s'agit d'eux -ennemis ou victimes- Helen Caldicott à qui le président amé- et que nous fûmes sauvé-e-s, comme et de là-bas. Pourtant, «nous ferions ricain accordait récemment une entre- par miracle, lorsque les navires sovié- erreur de croire, écrivait récemment un vue, «il a même dû demander à son aide tiques s'immobilisèrent à quelques journaliste américain, que ceux dont de camp de lui situer certains pays en kilomètres de leur but. l'idéologie diffère de la nôtre ou dont les Amérique centrale.»2 Depuis la crise de Cuba, 20 ans ont actes nous déplaisent ne s'affligent pas Pourtant, nous pardonnons à Ronald, passé. Aujourd'hui, qu'ils aient vu ou devant la mort, n'aspirent pas à la paix Youri, Pierre Elliott, Margaret, Menahem non The Day After, des enfants de 13 ou n'essaient pas de bien faire autant et les autres. Plus tard, nous retiendrons ans et moins parlent de la menace extra- que nous».' d'eux ce qui nous aura le moins dérangé- ordinaire de la bombe atomique, et de Cette déshumanisation des autres, en- e-s : le beau sourire, les beaux enfants, leur avenir- qui n'est plus ce qu'il était. tretenue par le système, ne fait que les belles paroles de John F. Kennedy Il y a quelque chose de stupéfiant, et en servir la guerre. Dans Shikasta. Doris plutôt que sa partie de roulette russe même temps de réconfortant, à les Lessing identifie aussi la destruction du avec Nikita Khrouchtchev. Notre irres- entendre évoquer si lucidement le sort monde à un manque d'empathie, à une ponsabilité va plus loin encore. Malgré qui nous attend. objectivation des autres : en se croyant le fait que Reagan soit certainement un «à part», il devient possible de faire aux personnage au pouvoir terrifiant, sa omment se fait-il que la grande autres ce qu'on ne ferait jamais à soi- façon de «négocier» reçoit l'aval de majorité des quatre milliards même. beaucoup de gens - et c'est tout aussi C d'habitant-e-s de cette planète Les femmes connaissent bien cette inquiétant. À Miami en novembre, des soient contre la guerre et que nous mentalité qui consiste à faire de ceux et étudiants manifestaient leur appui à poursuivions de plus belle ce parcours celles qui ne nous ressemblent pas, des l'invasion de la Grenade. Dans un son- suicidaire? Pourquoi acceptons-nous «Autres». C'est la base du racisme, de dage du New York Times, le 11 décem- de nous faire répondre absurdement: l'exploitation, du sexisme. Et c'est l'ins- bre, plus de 60% des Américains disaient «Si tu veux la paix, prépare la guerre.» piration de toutes les guerres, en même préférer le risque d'anéantissement L'argument est aussi fallacieux que si temps qu'une raison du recours auto- nucléaire à la domination soviétique, nous disions aux femmes: "Si vous vou- matique à la violence. Suffirait-il alors, approuvant ainsi plus ou moins les stra- lez l'égalité, achevez vos oppresseurs.» comme le suggère un auteur américain tégies de Reagan, les femmes et les Pourquoi cette fatalité de la guerre de science-fiction, que «toute personne Noir-e-s venant cependant loin derrière existe-t-elle et, surtout, comment pour- portant atteinte à une autre sente le les mâles blancs. C'est dire que, collec- rons-nous jamais en sortir? coup, l'injure, le meurtre dans son propre tivement, l'envie de «se réaliser» par la Le caractère inévitable de la guerre corps» ? En commençant par les chefs force est toujours très forte, même chez tient sans doute à une certaine schizo- d'État eux-mêmes. ceux et celles qu'on pourrait croire plus phrénie. D'abord à celle, déjà identifiée évolué-s ou sensibles. Même chez une par Machiavel, des «princes» gouver- ar la responsabilité de la guerre petite fille de ma connaissance, à qui on nants, capables d'envisager sereine- revient d'abord, bien sûr, aux expliquait que la guerre était une possi- ment l'anéantissement de millions C hommes - et aux quelques bilité à envisager, et qui rétorqua : «S'ils d'enfants et, par ailleurs, excellents femmes - qui ont le pouvoir. Les déci- viennent faire la guerre ici, j'vais les pères de famille. Et puis à notre propre sions d'envahir la Pologne en 1939 ou tuer!» Même chez ce petit gars qui schizophrénie collective, à ce dédou- la Grenade en 1983 sont tout aussi l'autre jour me souriait derrière la vitre blement qui fait que nous pouvons impardonnables. La décision de Trudeau de l'autobus : quand je lui fis un salut de rester calmement assis-e-s devant toute de permettre les essais des missiles la main, il me mit en joue et fit le geste l'information qui annonce notre con- Cruise, après ses beaux discours pro- de tirer, toujours souriant. désarmement à l'ONU, avant sa mission damnation, à cette façon bien apprise (... suite à la page 69) l'actualité, fiction, bande dessi- joies intimes et politiques ! ! ! née, chroniques régulières, Voilà qui en dit long sur la pages culturelles, etc. À notre récupération... connaissance, LVR est la S'il vous plaît, La Vie en ro- seule publication du genre se, ne parlez plus des les- faite par des femmes au Qué- biennes et tenez-vous-en à bec. Contrairement aux re- votre «actualité féministe» vues - comme la vôtre - dont puisqu'elle est moins déran- les caractéristiques principa- geante. les demeurent l'analyse, le LVR seul compte-rendu, l'essai. magazine DANIÈLE TESSIER. féministe SYLVIE DESBIENS FRANCINE MAYER d'actualité?

A la lecture de votre édito- rial du numéro 14, nous avons été indignées de voir que Michigan : vous continuez à vous pro- Réponse : clamer «le seul magazine féministes chez lesbiennes et d'information féministe et au- les lesbiennes féministes tonome produit au Québec.» La revue du R.A.I.F. (Ré- seau d'action et d'informa- AVIS : La Vie en rose ne s'a- Oui, bien sûr, cet article au- tion pour les femmes), revue dresse pas à toutes ; les les- rait pu être une démonstra- d'actualité féministe, existe biennes y sont exclues, car tion de l'importance politique pourtant depuis 1973, pu- leur réalité est déformée. Pire, et culturelle du Festival du bliant régulièrement des dos- on prend un événement réa- Michigan pour nous toutes, siers spécialisés augmentés lisé grâce à l'existence et à la lesbiennes. Il est moins sûr d'analyses politiques et d'au- participation des lesbiennes que j'aurais moi-même réussi tres documents pertinents. et on le transforme en un à l'écrire ainsi. Notre revue est disponible en événement féministe taxé Mon texte illustre bien ce kiosque et sur abonnement de capitaliste! (voir l'article qui arrive lorsqu'une non- (Casier postal 5, Sillery, Qué- sur le Festival de musique de journaliste tente de remplir bec, G1T 2P7). À la différence femmes du Michigan, «Quel- une «commande» sans la mo- de La Vie en rose, qui se dit ques arpents sans neige», tivation nécessaire. En l'écri- pourtant «autonome», nous LVR novembre.) vant, je me suis bien aperçue ne recevons aucune subven- Le silence de La Vie en que j'étais peu portée à user tion, préférant nous autofi- rose sur notre réalité lesbien- de mes talents «d'interprète» nancer afin de garder une ne est chose connue, mais en tant que lesbienne fémi- entière liberté d'expression. jamais nous nous résoudrons niste. J'étais plutôt préoccu- Comment pouvez-vous être au silence complice en voy- pée par certains détails - d'une telle mauvaise foi, puis- ant l'utilisation de notre réa- moi-même, le festival, «nous» que vous parlez de votre re- lité, bafouée encore une fois - trop provisoires selon moi vue à la page 59 du même dans un but récupérateur. pour mériter publication et, numéro ? Un peu de cohé- Par récupération nous en- de plus, non représentatifs rence serait donc de mise. tendons que l'article ne tient de l'atmosphère générale du Votre obstination à vous dé- pas compte que ce festival festival. Bref, en l'absence clarer «les seules» est d'au- annuel n'aurait tout simple- d'une approche enthousi- tant plus choquante que ment pas lieu sans les les- aste et «lesbian-identified», je vous réclamez, dans votre biennes ! ! ! Si La Vie en rose n'ai pu fournir que le texte pu- éditorial, un mouvement plu- *se donne comme objectif de blié - sans la moindre ingé- raliste, souple, ouvert. Auriez- définir et d'analyser la réalité rence de la part de LVR, soit vous oublié la solidarité? des femmes (syndiquées, dit en passant. LORI SAINT-MARTIN, mères, prisonnières, etc.) L'allusion au capitalisme pour le R.A.I.F. pourquoi alors évacuer celle était une façon de dire ma des lesbiennes? préoccupation quant à la N.D.L.R. Il est clair que cette revue constante ambiguïté qui rè- est visiblement soutenue par gne dans nos rapports entre l'idée utopique qu'il est pos- lesbiennes ainsi que dans la Nous sommes évidemment sible de plaire à tout le monde société nord-américaine en conscientes -et heureuses- en taisant, bien sûr, ce qui dé- général. C'était voulu comme qu'il existe de nombreuses range le grand public. Quand l'identification d'un déchire- autres publications périodi- on veut plaire à tout le monde, ment (que je partage) et non ques faites par des femmes on ne peut éviter la confusion. comme une critique des ef- au Québec. La confusion Pour alimenter cette confu- forts déployés par d'autres vient du terme utilisé pour sion, l'article utilise de l'infor- lesbiennes féministes. Puis- qualifier la nôtre. En effet, mation privilégiée apparte- que personne n'échappe au nous définissons LVR comme nant aux lesbiennes et on a rapport à l'argent. un magazine c'est-à-dire une même l'audace indécente de publication à moyen tirage publier des photos (posses- JOYCE ROCK «généralement illustrée» (Petit sion des lesbiennes) pour Robert) où se côtoient repor- offrir aux regards pornogra- tages, commentaires sur phiques nos moments de m'a tellement dit que j'étais Réponse à folle et que je devrais voir un psychiatre, pas une psychia- Jacques tre. Desmarais DIANE PROULX Montréal Tant qu'à donner une défi- Ni héros nition, aussi bien la donner en son entier. Collaborateur/ ni collaborateur trice : 1. Personne qui travaille Quels regards avec une ou plusieurs autres pornogra- N.D.L.R. Décidément, vous avez personnes à une oeuvre com- réussi à en faire une belle. mune. V. Adjoint, aide, asso- phiques? cié, collègue, second, etc. 2. Vous avez raison . le Festi- Oui, je suis en furie et dégoûté. Dans votre dernier numéro, Au cours de l'occupation alle- val de musique du Michigan mande en France (1940-44), aurait dû être présenté com- vous avez publié sous le titre de Héros ou collaborateurs ? Français partisan d'une colla- Si la position pro-lesbienne me la manifestation la plus boration totale avec l'envahis- de la revue La vie en rose spectaculaire et significative une liste de noms de person- nes qui, à un moment ou seur allemand. vous paraît confuse, je dois de toute la culture lesbienne Que M. Desmarais identifie dire que la vôtre m'apparaît nord-américaine - ce qu'il est l'autre de leur vie, ont occupé une fonction syndicale dans le PQ au nazisme, nous n'au- l'être encore plus ! Vous l'ac- Parce qu'elle nous force à rions jamais osé aller jusque- cusez de ne pas suffisam- préciser notre position pro- le secteur public et parapublic et qui ont ensuite travaillé au là, quoique lors de l'adoption ment parler de la réalité les- lesbienne, que nous réaffir- de la loi 111, plusieurs en bienne et lorsqu'elle en parle, mons, cette «critique» nous gouvernement. Étant donné que je ne me aient évoqué le spectre. Dans comme dans le présent arti- sera utile. Ce n'est pas le cas sa lettre, M. Desmarais admet cle, vous l'accusez encore, du procès d'intention politi- sens aucune qualité de héros (je doute de toute façon que une collaboration partielle mais cette fois «d'utiliser de que qui la sous-tend. avec le PQ. C'est bien suffi- l'information privilégiée ap- les auteures qui ont coura- geusement signé «deux syn- sant. Dans un contexte où partenant aux lesbiennes...» l'on ne sait plus qui travaille Pour ma part, j'ai demandé diquées anonymes» aient À propos des employé ce terme autrement pour qui, l'anonymat relève à toutes les femmes l'autori- d'une prudence élémentaire, sation de les photographier femmes que pour camoufler leurs sinistres intentions), le titre doublement lorsqu'on est et je les ai informées du fait piégées... féministe et travailleuse que ces photos seraient pu- de collaborateur a évidem- ment attiré mon attention. Au d'une organisation syndicale. bliées dans une revue fémi- TOUJOURS ANONYME niste montréalaise. Mon in- cas où vous ne le sauriez pas, J'ai particulièrement aimé le terme collaborateur a une P.S. : Si VOUS aviez été élu en tention était de montrer le cli- le commentaire de Line-Sylvie 79, auriez-vous voté en faveur mat de liberté et de plaisir qui signification historique pré- Perron à propos des femmes cise. Le Petit Robert, à la por- des lois 68, 70, 72, 105 et régnait au festival et à ma piégées. Je me suis recon- 111 ? connaissance, la plupart des tée de toute journaliste con- nue à 100%... sciencieuse, le définit ainsi femmes l'ont perçu ainsi. Au début du mois, j'ai quitté Quant à «l'audace indé- «Au cours de l'occupation Montréal et mon «tchum» allemande en France, Fran- cente de publier des photos après sept ans de vie com- (...) pour offrir aux regards çais partisan d'une collabo- N.D.L.R. mune (17 à 24 ans), avec ration totale avec l'envahis- pornographiques...» Qui lit sous le bras seulement mes majoritairement la revue, si- seur allemand». Ni plus ni vêtements et... mes enfants moins. non des femmes que nous (quatre mois et deux ans et L'anonymat nous déplaît tentons justement d'informer demi). Je savais que je de- Oui, j'ai été coordonnateur- CSN lors du Front commun autant qu'à vous. Nous l'avons de toutes les réalités, y com- vais partir loin pour ne plus accepte de nos collaboratri- pris celle des lesbiennes? être sous son influence. Oui. de 1975-76. Oui, de 1976 à 1979, j'ai été directeur du ces parce qu'il nous semblait Présumez-vous qu'elles ont avec cette distance je peux justifié. Cela dit, et bien que un regard pornographique? en effet constater «l'immense cabinet politique de Madame . Vos braves au- votre biographie nous ait im- Ou vous adressez-vous en- pouvoir qu'un homme acqui- pressionnées, n'est-il pas core une fois aux quelques ert sur une femme à partir du teures ont sans doute oublié que j'ai été le candidat défait toujours risqué d'associer hommes qui, de toute façon, moment où il semble l'en- son nom au parti politique au «pornographiquement par- courager et l'approuver dans du PQ à l'élection partielle de 1979 dans Maisonneuve. pouvoir? Vous ne pouvez lant», ont amplement le choix ses façons de vivre et de nier que le PQ ait pris des de se rincer l'oeil ailleurs, tous penser»... Dès que je le re- Et oui, depuis 1980, je suis directeur de l'Institut de décisions impopulaires au- les kiosques de |ournaux en vois, je sais que |e suis enco- près des travailleuses-eurs témoignent ? re sous son influence. Ça recherche appliquée sur le travail. gue vous représentiez jadis. Et, entre nous, pour une s'estompe avec le temps Êtes-vous vraiment surpris fois qu'on illustre clairement mais ça prend du temps, S'il y a là quoi que ce soit de de leurs réactions actuelles ? que nous ne sommes pas de beaucoup de temps. collaboration avec le nazisme «vieilles frustrées» qui con- et ses rejetons, et si vous êtes LVR damnent en bloc la nudité DOMINIQUE ROUSSELLE conscientes du sens des des femmes, vous n'avez pas Sherbrooke mots, j'ai bien hâte d'enten- raté l'occasion de ramener dre vos explications (...). Cela ce vieux discours qui nous me permettra de chasser de associe constamment à droi- mon esprit l'impression te! «Paulo» m'a dit... déconcertante que la lutte féministe a besoin d'un tel procédé pour progresser, ANNE DE GUISE Bravo. Continuez votre bon JACQUES DESMARAIS travail. Votre radicalisme me permet d'être plus en con- fiance et de ne pas me sentir seule dans ma lutte. «Paulo» La santé mentale Echanges sur vidéo entre femmes L'émission Côte-à-côte de Auto-psy (autonomie-psy- d'assurer notre stabilité finan- C'est le nom d'un nouveau Radio Centre-Ville (1 02,3 MF chiatrisé-e-s), organisme cière. Depuis plus d'un an, centre de femmes à Ville Saint- à Montréal) est diffusée pour provincial de défense des nous essayons de dévelop- Laurent dont le but est l'amé- la communauté gaie. Des in- droits des psychiatrisé-e-s, per nos propres moyens lioration des conditions vé- formations pour hommes et s'apprête à réaliser trois vi- d'assurer cette stabilité. Par- cues par les femmes de tous femmes, tous les lundis, de déos : un premier fera le por- ticipez activement à notre âges. Services : ateliers de 15h30 à 16h30. trait de personnes vivant ou travail en envoyant vos dons travail sur le logement, le re- ayant vécu dans le circuit à : venu, la santé physique et psychiatrique, un autre traite- Mouvement contre le viol mentale, etc. ; conférences ; New Society Publishers ra de leur réinsertion dans le C.P. 391, Succ. De Lorimier cours de formation, rencon- annonce la parution de No milieu du travail et le troisiè- Montréal, H2H 2N7 tres récréatives et culturelles. Turning Back : Lesbian and me fera témoigner des victi- (514) 526-2460, et indiquez Endroit: 7475, rue Filion, au 1 Gay Liberation For The '80's, mes de harcèlement sexuel si vous désirez recevoir un sous-sol de l'Église St-Hippo- de Gerry Goodman, George (ou d'assaut) de la part de reçu pour fins d'impôts. lyte, Ville Saint-Laurent. 10h Lakey, Judy Lashof et Erika leur thérapeute, psychiatre, à 16h, lundi, mardi et mer- Thorne. 152 pages, 7,95$ psychologue et psychothé- Enfants credi. (U.S.), format de poche. Com- rapeute. demandés Responsables : Janine Sé- mander à : Toute femme touchée par guin, présidente: 744-0157 New Society Publishers ce dernier sujet et intéressée Rita Labrèche, secrétaire : 4722 Baltimore Ave. à témoigner est invitée à À la garderie St-Louis, votre • 744-5457. Philadelphia, PA 19143, communiquer avec Marie- enfant trouvera des ami-e-s USA. Helene Rouleau: (418) 525- de différentes cultures, des Pour lesbiennes 5727 ou 529-1978 Ou à con- activités qui développeront tacter La Vie en rose: (514) sa motricité, son habileté ma- Le Women's Press (maison Global Lesbianism No 2 est 843-8366. nuelle et mentale. Il - Elle ap- d'édition féministe de Toron- le deuxième numéro de la Aidez le prendra à s'amuser, à parta- to) annonce la mise sur pied revue féministe américaine ger et à vivre avec d'autres du Lesbian Manuscript Group. CONNEXIONS sur le lesbia- mouvement enfants de son âge. En plus, Nous cherchons des propo- nisme à travers le monde. contre le viol la garderie lui offre un déjeu- sitions de textes et des tra- Abonnement d'un an: 12$ ner, un repas chaud, deux ductions, par des femmes (U.S.) pour 4 numéros. Global collations et une sieste de lesbiennes sur le lesbianis- Lesbianism No 1 et No 2 : 6$ En tant qu'organisme of- deux heures tous les jours. me. 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Orga- pratique différente, féminis- tage des responsabilités ce. Vous y trouverez réguliè- rement des chroniques sur la nisé par l'Institut canadien te, de la santé, le Centre vous contraceptives a été entière- d'éducation des adultes, offre : ment réalisé par des femmes santé de la mère et de l'en- fant, les droits des femmes, (ICEA), Ies 21 et 22 janvier 84, En tout temps : service de du quartier Centre-sud à Polyvalente Jeanne-Mance. consultation médicale, prati- Montréal, en collaboration les sages-femmes, l'aspect médical, ainsi que des infor- 4240 Bordeaux, Montréal. que d'avortement, pratique avec le CLSC Centre-sud et Pour plus d'informations: d'auto-santé. le Centre St-Pierre-Apôtre. mations sur Naissance- Renaissance. (574) 842-2766. Cet hiver : des ateliers d'au- Devis technique : vidéo to-examen (du vagin, du col 3/4" cassette, couleurs, 28 Disponible par abonne- ment (15$ par année, groupe La lutte contre de l'utérus et des seins), des min., Tarif de location : Insti- soirées d'information sur la tutions : 25$ plus frais de ou individue) ou chez Nais- sance-renaissance, C.P. 249, la porno et la loi contraception douce, un ate- manutention. Groupes popu- lier s'adressant aux femmes laires : 1 5$ plus frais de ma- Station E, Montréal, H2T3A7, sur l'obscénité (514)845-3368. vivant des difficultés d'ordre nutention. Information: psychologique. Gisèle Lafrance ou Diane Le Regroupement féminis- Pour plus d'informations : Achim: (514) 527-2361. Revenir sur le te contre la pornographie in- Centre de santé des femmes Le CLSC Métro annonce sa marché du travail cite les groupes de femmes à du quartier Clinique des femmes au 3465 discuter son document con- 16, boul. St-Joseph est rue Peel à Montréal. Services cernant la réforme de la loi fé- Montréal, (514) 842-8903 offerts : médecine générale, L'Enjeu, centre d'emploi dérale sur l'obscénité et à lui conseils sur la contraception, pour femmes, offre les servi- faire connaître leurs com- Où es-tu gynécologie, programme de ces suivants : rajeunir un mentaires. Si VOUS n'avez pas Marcelle ? périnatalité, méthodes d'auto- curriculum vitae, choisir des dé|à reçu ce document de santé, dépistage du cancer, cours de recyclage, préparer travail ou êtes intéressées à aide aux victimes d'agres- une entrevue... Pour plus l'avoir, écrivez le plus tôt pos- Marie Denis (de Belgique) sion sexuelle, conseils et ré- d'information : sible au Regroupement fé- aimerait retrouver son amie férences pour avortement, Ginette Lamarre-Cyr ministe contre la pornogra- Marcelle Desjardins (du Qué- aide et information sur la mé- 850 boul. Laurentien phie, C.P. 308, Succ. La Cité, bec). Contacter La Vie en nopause. Information: (514) Ville St-Laurent Montréal, H2W 2N8 ou appel- rose (514) 843-8366 ou 843- 845-8576. 331-1925 ou 331-1779. lez: (514) 274-9991. 7226.

l est 11 heures, le 11 monument aux soldats morts. novembre, et la cérémo- Encadrée de ses deux Inie du souvenir se pour- complices (Pascale Noizet et Les commandos suit mollement au Carré Joanne Pilon) Dana Zwonok, Dominion, à Montréal. Quel- tout en noir, s'avance entre ques centaines de militaires, les rangées de vétérans et du souvenir de légionnaires canadiens, vient déposer une 21e et de veuves de guerre et de dernière gerbe, vraie celle- badauds attendent qu'une là, auprès des autres. Sauf poignée de dignitaires dépo- que la banderole dit claire- sent leurs couronnes de ment : «Pour toute femme fleurs plastifiées au pied du violée en guerre/For every

woman raped in war». précipite et arrache la bande- Aussitôt, un responsable role: «C'est dégueulasse!», de la Légion canadienne s'a- appuyée par certains : «C'est vance, outré, saisit la gerbe effrayant de profiter d'une sacrilège et la jette au loin. occasion comme ça pour fai- Où Dana va la reprendre. re du scandale et de la publi- S'ensuit un brouhaha, un cité!" Imperturbable, Dana attroupement de specta- répond : «Madame, vous teurs-trices scandalisé-e-s n'avez pas le droit de faire et de photographes. Une ça : ces fleurs sont pour tou- femme de vétéran à tuque tes les femmes victimes des couleur de coquelicot se guerres, et vous en êtes une aussi. S'il y a un scandale,

c'est à cause de vous. Nous voulions déposer cette gerbe dans le respect et la dignité.» Aux photographes de pres- se, elle précise : «C'est une déclaration en faveur de la paix et contre la violence. C'est un plaidoyer pour tou- tes ces victimes, dont les femmes violées, qu'on oublie toujours durant et après les posé en 1 982 par les Toron- méfiera. Il faudra être 400 fémi- guerres.» toises du WAV (Womyn nistes avec autant de fleurs La couronne enfin déposée Against Violence), est réus- et de banderoles. derrière le monument, les sie. Une manifestation dé- trois commandos féministes nuée, après des années, de (PS. Pour toutes les femmes reviennent ravies, toujours sens réel et complètement intéressées : Dana Zwonok, photographiées par Martine de mauvais goût, a donné 934 rue Pratt, Outremont, Fourcand. L'action, improvi- l'occasion de rappeler le sort H2V 2V1, 739-2886) sée 24 heures plus tôt et ins- des femmes. L'an prochain, pirée d'un geste semblable la Légion canadienne se Progression Viol: des changements l'affaire technologiques

Courtenay ue l'on pense en termes de C'est à cette conclusion qu'en arri- micro-ordinateurs ou de logi- vaient les quelque 600 participant-e-s Q ciels pour l'école ou la maison ; au premier colloque populaire sur la que l'on parle de robotisation pour télématique, Négocier le virage techno- ans une lettre adressée au moderniser nos vieilles usines de bois, logique, organisé en février 83 par l'Ins- ministre des Affaires sociales, de textile ou d'automobiles ; que l'on titut canadien d'éducation aux adultes. D Pierre-Marc Johnson, le Re- écoute des émissions de télé repro- Les actes de ce colloque, publiés con- groupement des Centres d'aide et de duites en direct ou par satellite, on ne jointement par l'ICEA et la CEQ, sont lutte contre les agressions à caractère peut que constater la progression des maintenant disponibles. Parce qu'il fait sexuel (CALACS) dénonce le jugement changements technologiques dans tous état de toutes les pistes de revendi- O'BRIEN, condamnant récemment une les secteurs de la production et de la cation ébauchées par divers groupes jeune femme à sept jours de prison pour consommation. Mais, à l'exception d'une aux prises avec les changements tech- avoir refusé de témoigner contre ses élite technocratique ou d'affaires, qui nologiques, en plus de décrire la situa- violeurs. parmi nous a eu son mot à dire sur nos tion économique et politique actuelle «Une fois de plus, nous sommes indi- besoins réels en termes de culture, de nos sociétés industrialisées, cet gnées de constater que notre système d'organisation du travail, etc., et surtout ouvrage est un document de référence judiciaire n'accorde aucune considé- sur la manière d'opérer le virage tech- essentiel. (Inf. : ICEA, 506, rue Sainte- ration à la femme agressée... On se fout nologique? Catherine est, Montréal, tél. : (514) 842- de son vécu, de ses peurs, de ses tirail- 2766.) lements et. une fois de plus, on la prend De son côté-et dans le même esprit - par la force !.. Quand on sait qu'un viol le Conseil confédéral de la CSN adop- sur dix est rapporté, il ne faudra pas se tait, les 28, 29 et 30 novembre dernier, surprendre si, éventuellement, cette une plate-forme de revendications sur statistique accuse une baisse plus con- les changements technologiques (à sidérable encore.» intégrer dans la négociation des con- Et le Regroupement profite de l'occa- ventions collectives de ses syndicats sion pour réitérer sa demande au gou- affiliés) ainsi qu'une proposition de loi- vernement provincial d'abolir la clause cadre, dont l'objectif serait de protéger dans le protocole médico-légal autori- l'ensemble des travailleuses-eurs contre sant le médecin traitant «à aviser un les effets nocifs du virage. agent de paix afin d'enclencher le pro- Cette plate-forme comprend des cessus de plainte». Bien que la clause prévoie la «révocation de la plainte, en tout ou en partie, en tout temps», l'affaire Courtenay montre bien l'aspect aléatoire d'un tel «protocole»

Recul du retrait préventif

a santé des femmes coûterait-elle pouvait les affecter à une autre tâche, Parce qu'elles encourent des risques trop cher à l'État? À peine deux c'est la commission de santé-sécurité réels dus à leurs conditions de travail - L ans après l'entrée en vigueur de au travail du Québec (CSST) qui leur a station debout prolongée, souvent avec la loi (17) sur la santé et sécurité au assuré 90% de leur salaire jusqu'à la fin effort, risques d'infections et de radia- travail, le retrait préventif des travail- de la grossesse. tions, etc. - les 9 000 infirmières de la leuses enceintes perd du terrain : on le Or, depuis mars 1983, les médecins refuse à de plus en plus de travailleu- responsables de certifier l'état des ris- Fédération québécoise des infirmières ses. Pourtant, 5 174 femmes en ont ques ont reçu des directives visant à et infirmiers (FQII) ont été parmi les fait la demande depuis janvier 1981 et bloquer systématiquement toute premières à dénoncer fin novembre ces 4 446 d'entre elles l'ont obtenu. Elles demande avant la 20e semaine de nouvel les directives contraires à l'esprit craignaient toutes que leurs conditions grossesse. Alors qu'on sait que la et aux termes mêmes de la loi 17. En de travail comportent des dangers phy- période la plus critique pour le dévelop- leur nom et en celui de toutes les tra- siques pour le foetus ou pour elles- pement du foetus se situe entre la 2e et mêmes. Dans les cas où l'employeur ne e vailleuses. la 8 semaine de la vie utérine. LVR, d'après la FQII Ne pas se laisser marcher mesures comme le droit de négocier tes changements technologiques, le droit à sur les pieds l'information, aucune mise à pied et la protection du volume d'emploi, la réduc- tion des formes de travail précaire, le n mai dernier, vous souvenez- certains, trop contents de s'absoudre droit au recyclage et à la formation vous?... La Grande Marche quit- ainsi de leurs péchés sexistes. Mais générale et professionnelle, etc. Pour tait Québec pour arriver 1 6 jours pour la plupart des femmes, il était les femmes spécifiquement, la CSN E plus tard à Montréal : cortège hétéro- difficile de considérer cette expulsion recommande «des dispositions spé- clite de chômeurs et chômeuses, d'as- comme l'arrêt miraculeux du sexisme ciales, afin de privilégier l'accès des sisté-e-s sociales, de syndicalistes, de ambiant. D'autant plus que nous cons- femmes à la formation générale et pro- jeunes et moins jeunes, uni-e-s par les tituions le groupe le plus nombreux, fessionnelle et aux emplois qualifiés», mêmes revendications pour l'emploi et comme dans tant d'actions de ce genre, et réitère la nécessité du «retrait pré- pour de meilleures conditions de vie... sans qu'y ait été incluse une seule ventif, dès qu'il y a présomption de risque Mais dans tout ce concert de revendi- revendication des femmes. N'est-ce pour la femme enceinte ou qui allaite». cations, une lutte semblait avoir été pas là une preuve flagrante de récupé- La loi-cadre revendique sensiblement étrangement oubliée : celle des femmes ration ? les mêmes mesures, élargissant les pour leurs droits. Il est temps que nous fassions de nos recours aux non-syndiqués. La CSN La présence d'un homme particuliè- luttes une priorité ainsi que la condition propose enfin une caisse de stabilisa- rement peu discret quant à ses posi- tion de l'emploi, susceptible d'interve- préalable de notre participation à toute tions envers les femmes, et harceleur autre «juste cause». Moi j'marche plus nir dans tous les cas de mises à pied notoire, déclencha une remise en ques- provoquées par les changements tech- tion globale du comportement des sans ça! nologiques. hommes dans la marche. L'expulsion du gêneur, décidée en assemblée LYNE ET CÉCILE. JEAN-ANNE BOUCHARD générale, suffit à clore le chapitre pour marcheuses «Y a-t-il un président dans la salle ?» Histoires d'oeufs Peut-on faire une guerre sans casser les oeufs ? Eh bien oui La preuve : cette conversation surprise dans une porte de réfrigérateur un soir de dégivrage. La lune était pleine. De guerre lasse, j'avais rangé le marteau, l'arrache- clous et le couteau à boucherie qui me servent normalement à casser les deux pieds de glace qui m'empêchent à tous les deux mois d'ouvrir la porte du congélateur. J'avais les bras morts et les mains gelées. C'était la défaite. Le désir de vivre m'ayant momentanément abandonnée, je décidai d'opérer une retraite stratégique vers mon lit. La porte du réfrigérateur était entrouverte. Les chats, très angoissés à cause de la lune et de ma mauvaise humeur, rôdaient autour de mon lit, incertains, comme s'ils avaient marché sur un terrain miné. J'essayais courageusement de faire redescendre la moutarde qui m'était montée au nez quand, tout à coup, j'entendis des murmures. Saisie, je glissai sur la pointe des pieds jusqu'au réfrigérateur haï. Je tendis l'oreille, et je pris note de ce qui suit

Note de la traductrice : J'ai bien envie de l'aider à réaliser son rêve. J'ai une casserole et un excellent tire-roches... HÉLÈNE PEDNEAULT ERRATUM Contrairement à ce que certain-e-s ont cru, H.P. ne faisait aucunement allusion à madame Rosette Côté de la CEQ, en signant sa chronique de novembre du nom de Rosette Charette. C'était le choix fortuit d'une chroniqueuse délinquante tout à fait ignorante des dossiers syndicaux. LVR. Le syndicalisme... et la tolérance

I est intéressant de noter que votre féministe et ses revendications en res- traditionnelle des rôles sociaux et Iéditorial du numéro sur le syndicalis- pectant le cheminement de chaque par une polarisation des sexes qui affec- me appelle au pluralisme et à la mou- femme, les milieux dans lesquels cha- te et commande tous les domaines et vance du mouvement des femmes et re- cune évolue et les stratégies d'action et aspects de la vie syndicale. connaît la multiplicité des fronts de d'intervention qu'elles initient. Nous Lorsqu'on milite dans une organisa- lutte à l'intérieur desquels... «toutes et n'avons pas le droit, collectivement, de tion de masse, nous faisons face à une chacune peuvent se reconnaître.» Or, il tomber dans le sectarisme en classant pluralité d'opinions, de convictions poli- me semble que les différents articles les féministes en deux ; celles qui ont la tiques et de pratiques individuelles. présentent le mouvement syndical com- vérité et les bons moyens de lutte et les D'ailleurs, la lutte des femmes renvoie me s'il constituait un bloc monolithique, autres. Nous ne ferions ainsi que répé- chaque personne à son vécu, à ses atti- ce qui n'est pas le cas. D'où l'obligation, ter ce que les ténors de l'idéologie tradi- tudes et à ses pratiques individuelles d'une part, lorsque l'on veut questionner tionnelle ont fait de nous et contre nous. contrairement à d'autres luttes qui peu- le féminisme dans le syndicalisme, de Loin de nous l'idée de blanchir le syn- vent s'articuler autour de grands princi- prêter oreille aux différentes composan- dicalisme. Il nous faut le questionner pes mais qui nous touchent moins dans tes du mouvement syndical, ce que vous non pour qu'il subisse plus d'attaques - notre quotidienneté, notre regard sur avez peu fait, du moins en ce qui concer- c'est présentement une cible par excel- soi, nos attitudes envers les autres, d'où ne la C.E.Q. D'autre part, toute analyse lence - et s'affaiblisse, mais pour qu'il se une plus grande résistance. critique de ce genre doit tenir compte de renforce en se transformant dans le sens Sachant cela et malgré la lenteur des plusieurs variables dont les réalités con- des intérêts des femmes. Tout en sa- changements, faut-il abandonner? crètes organisationnelles ou structurel- chant que certains droits des femmes Sommes-nous assez naïves pour croire les; les terrains et lieux de lutte; la ont été consignés grâce aux luttes syn- que le nouveau type de société qu'on composition du membership, ses atten- dicales (Ex. : droits parentaux), le monde entrevoit pourrait s'élaborer sans la mili- tes et son vécu; les orientations politi- syndical a été et est encore un lieu qui tance des femmes du mouvement syn- ques globales eu égard à la question des véhicule, par-delà son discours, une dical ? femmes; les multiples degrés de cons- idéologie sexiste et patriarcale où, là Malgré les difficultés et obstacles que cience et de politisation des femmes ; la comme ailleurs, certains mécanismes nous connaissons, malgré que l'espace force des réseaux d'influence formels ou renforcent les inégalités, les rapports de réservé aux femmes ne soit pas toujours informels; le modèle traditionnel de la pouvoir et le conditionnement subis par celui qui nous revient ou convient, on ne socialisation et des mentalités ; les obs- les femmes. Malgré certains progrès, le peut passer sous silence que le milieu tacles engendrés par divers freins struc- syndicalisme fonctionne encore sur la syndical a contribué à gagner des acquis turels ou individuels. Tous ces éléments, base de la différenciation des sexes. tangibles pour le mouvement des fem- n'ayant pas le même poids d'un groupe Nos militantes savent cela, quand elles mes et ce, plus tôt et plus efficacement syndical à l'autre, interagissent. Ils sont ne le vivent pas. On ne change pas une que bien d'autres lieux. Une critique du indivisibles mais n'interviennent pas tou- société en un coup de baguette, ne syndicalisme qui se concentrerait sur jours en même temps, au même moment serait-ce que quand on regarde la diver- ses lacunes sans tenir compte des ac- ou avec la même intensité. sité des champs sociaux que le mouve- quis et des réalités de lutte pourrait se Une réalité reste claire: les femmes ment des femmes investit. révéler beaucoup plus démobilisante doivent porter la lutte là où elles sont. Dans le champ syndical, les femmes que stimulante pour le mouvement fémi- Elles n'ont pas le choix de ne pas lutter vivent des problèmes importants. Elles niste global et les luttes à venir. sur le terrain syndical pas plus que le constatent une sous-représentation mouvement des femmes ne peut négli- réelle aux différents lieux d'influence et ger cette force de femmes. Il n'y a pas de de décision, un partage inégal des res- lieu de lutte privilégié. C'est l'ensemble ponsabilités, dossiers, décisions, outils ROSETTE CÔTE, qui crée un contre-pouvoir réel. Multi- de formation et d'apprentissage syn- Responsable du dossier de la condition plier les intervenantes et les lieux d'inter- dical où la parole et le discours des des femmes - CEQ vention devrait résumer notre devise col- femmes sont sous-estimés ou faibles. lective. Partout où il y a des femmes, Elles vivent des rapports femmes-hom- dans le mouvement syndical comme mes difficiles parce que ces rapports ailleurs, on doit faire pénétrer le discours demeurent baignés par une conception Le risque d'un cul-de-sac

uestionner le syndicalisme dans Des pratiques que l'on utilisées pour diminuer, attaquer, ridiculi- Q ses discours et ses pratiques ser les femmes. Nous nous sommes constitue dans la situation actuelle un dénonce liguées pour dénoncer de telles prati- geste courageux, parce que la récupé- On ne peut d'une part dénoncer les ques et nous avions raison. Comment ration à droite et la dénonciation à «gau- pratiques «mâles» et d'autre part les pourrions-nous les tolérer désormais, che» sont monnaie courante. Je dis utiliser à ses propres fins. Le petit ques- même si elles viennent de «camarades bravo à toutes celles qui ont ce coura- tionnaire pour Tester votre Q.I. syndical syndiquées» ? ge. Heureusement, de plus en plus de relève de ce type de fonctionnement. militantes et aussi de militants remet- Premièrement il est tendancieux, diffa- Stratégies «mâles»? tent en cause le discours impuissant et matoire et réductionniste. Deuxième- Les femmes ont raison de question- culpabilisant du syndicalisme, dénon- ment, les auteures, non identifiées par ner les stratégies syndicales qui ne cent le corporatisme croissant, interro- surcroît, mettent dans le même sac les tiennent pas compte des intérêts des gent les conditions du militantisme, ministres qui ont voté des lois répres- usagèr-e-s, comme les grèves dans le questionnent l'exercice du droit de grè- sives contre les travailleuses-eurs, et transport en commun ou la santé. Mê- ve dans les transports en commun et la les chefs syndicaux, qui ont été élus par me si elles sont souvent les premières à santé. Peut-être la défaite du dernier leurs congrès et sont les porte-parole oser le faire, il serait erronné de croire front commun aura-t-elle créé les condi- des décisions votées par leurs instan- que les divergences d'analyses et de tions propices à cette réflexion. Nous ces. Comment accepter que l'on pré- choix reposent uniquement sur une n'aurons pas tout perdu ' tende que les instances représentati- base sexuelle. C'est un secret de poli- Dans le précédent numéro de LVR, le ves de la base sont des espèces de chinelle que la grève du transport en dossier Renégocier le syndicalisme «clubs sociaux» plus préoccupés de commun à l'automne '82 était mise en soulève des questions fort pertinentes consommer de la bière que de défen- question pour ne pas dire désapprou- sur le fond et sur la forme de notre syn- dre les droits des syndiqué-e-s? Peut- vée par le bureau confédéral de la CSN, dicalisme. Certaines choses m'ont être n'ai-je pas le sens de l'humour! composé à 70% de mâles. Il s'agit bien questionnée, d'autres m'ont choquée, Mais longtemps, trop longtemps, des plus, dans ce cas, de choix sur une base je les livre en vrac. techniques semblables ont été idéologique. Dans leurs «visées» stratégiques, les tenants de la grève étaient soutenir la candidature d'un homme bien plus préoccupés par l'affronte- dont une des responsabilités est le ment avec le gouvernement péquiste dossier de la condition féminine. que par les conséquences désastreu- Ce geste étant en complète contra- ses de leur grève sur les usagèr-e-s. diction avec le discours sur l'accès à Dans les centrales, il y a des hommes l'égalité, force nous est de conclure que mais aussi des femmes pour tenir ce d'autres dimensions (ex. : l'analyse de discours ; par contre, il y a des femmes classes) interviennent quand les fem- mais aussi des hommes pour remettre mes choisissent celles (?) qui les repré- en cause ce type de choix. senteront. Ces dimensions politiques et idéologiques qui traversent autant le mouvement des femmes que le syndi- Les femmes, oui mais... calisme ne sont jamais clairement nom- L'absence des femmes dans les mées. Pourtant, les nier volontairement structures syndicales ne tient pas à leur ou involontairement ne peut que mener manque d'intérêt. Nous le savons tou- l'action des femmes dans les centrales tes. Elle relève plutôt d'une forme de syndicales à la paralysie complète. travail qui ne tient pas compte à la fois de nos réalités de femmes, de mères, de ménagères, de travailleuses. Nous Sans conclure avons raison de dénoncer des prati- Les femmes doivent affirmer leur ques qui nous excluent et de revendi- spécificité et exiger une plus grande quer des mécanismes qui priorisent place à l'intérieur du mouvement syndi- l'embauche des femmes (la «compé- cal. Par ailleurs, se définir uniquement tence» n'étant plus le critère détermi- en opposition aux structures et aux nant) pour assurer la parité avec les stratégies mâles constitue un piège et hommes dans l'ensemble des milieux un cul-de-sac qu'il nous faut à tout prix de travail. éviter. Ces revendications devraient donc se matérialiser quand il s'agit de la SHIRLEY ROY. représentation des femmes dans les Vice-présidente de la structures syndicales. Or, comment FNEEQ-CSN de 1979 a 1982. expliquer par exemple qu'au congrès de la CSN de '82, au moment où la vice- présidente en poste depuis deux ans se 1/ Cette femme était Gisèle Cartier, vice-pré- représente à l'exécutif de la CSN et sidente de 1978 à 1982, et ce candidat élu qu'elle est la seule femme en lice, le était Gérald Larose, maintenant président de comité de la condition féminine préfère la CSN.

DEMAIN LA GUERRE? «La fission de l'atome aura tout changé, sauf la mentalité des hommes. Ainsi, nous glissons vers une catastrophe sans précédent.» Einstein

lors que se poursuivent dans le monde des Angleterre, sur pied depuis deux ans et demi. A dizaines de «petites» guerres convention- Ailleurs également, en Europe comme aux États- nelles, que les décombres du Boeing sud-coréen Unis, des femmes se sont installées sans moyens hantent encore les nouvelles internationales, que techniques ou financiers, munies seulement d'ima- les marines américains se promènent du Liban à la gination et de persévérance, à proximité des bases Grenade, que l'URSS claque la porte aux négocia- militaires. Elles protestent contre le stationnement tions de Genève sur la limitation des armes de des missiles Cruise mais aussi contre la mentalité moyenne portée, et que les hommes politiques guerrière qui alimente la surenchère: se montrer occidentaux se vantent paradoxalement de défen- fort, invincible, dur à tout prix. dre le «free world» mais de ne pas écouter les S'il y a encore un moyen de changer le cours pacifistes parce que «les décisions ne se prennent toujours plus cruel de l'histoire, c'est sûrement à pas dans les rues », des millions de gens en partir de ces refus exemplaires que nous le Europe, en Amérique du Nord, en Australie et trouverons. Car il y a là un autre message, un autre même derrière le Rideau de fer, s'insurgent contre sens politique. le déploiement des armes et la surenchère nucléai- C'est pourquoi ce dossier se concentre sur les re. Ont-ils déjà été aussi nombreux? efforts des pacifistes, des femmes en particulier, Entre le discours des politiciens qui utilisent la plutôt que sur le nombre de SS-20 et de Cruise. les paix pour soigner leur (fin de) carrière et l'image relations Reagan-Andropov. les problèmes de d'enfants aux masques de mort riant dans les l'OTAN ou les pérégrinations de Pierre Elliott manifs, ce qui s'exprime là c'est l'angoisse réelle Trudeau. Si les textes suivants n'offrent pas de de millions de femmes et d'hommes pour qui la solution miracle à l'apocalypse, ils illustrent bien le menace d'une guerre atomique est cruciale et grand potentiel de changement que ce vieux terrible. monde recèle encore. Saurons-nous nous en À enjeu démesuré, nouvelles formes de protesta- servir? tion. Aux manifs traditionnelles ont succédé les LVR chaînes humaines, les encerclements d'édifices et surtout les camps pour la paix montés par des femmes. Le plus connu: Greenham Common, en QUÉBEC, AUTOMNE 83 Commerce de guerre et stratégies de paix

n homme d'une cinquantaine d'années, habillé un peu freak, une De gauche à droite Upetite pancarte ridicule à la main, circule entre les bébés en En effet, les militant-e-s sont plutôt d'âge carosses, les ballons, les déguisements et la bonne humeur générale en mûr, de tous les milieux et classes sociales et répétant avec conviction: «J'suis sauté, c'est pas d'ma faute, c'est la d'idéologies parfois très différentes. Il y a d'abord les chrétiens, incroyablement nom- bombe!» Boulevard Dorchester, samedi 22 octobre: il fait soleil, les breux, qui veulent redonner un sens aux «feelings» sont bons, et les manifestants, 20 000, selon les organi- valeurs de l'Évangile et qui sont assez souvent sateurs-trices de la marche pour la paix. Bref, c'est la manif comme on en indissociables des groupes «progressistes» puisqu'ils mettent l'accent sur une distribution rêve. A croire que les gens ne se font pas prier pour descendre dans la rue plus égalitaire des richesses, sur l'écologie et quand il s'agit de paix et de désarmement. Pourtant, le Québec s'était sur le refus des abus de pouvoir. Il y a ensuite tenu à l'écart jusqu'à maintenant des préoccupations pacifistes. Que les pro-soviétiques, qui s'inspirent un peu trop s'est-il passé? Un reportage de Francine Pelletier. des déclarations pompeuses du gouvernement soviétique et ne reconnaissent pas les grou- pes non alignés. Directement opposés à eux, Les cinq femmes interrogées ici sont l'opinion d'experts militaires qui nous donnent se retrouvent les anarchistes, anti-autoritai- toutes militantes pacifistes depuis un certain à peine dix ans avant un cataclysme nu- res, parfois fidèles à Gandhi, parfois à ses temps. Selon elles, c'est la manifestation cléaire. antipodes, allergiques surtout à la gauche monstre de New York, le 12 juin 1982', qui a Ces motivations sont fragiles, selon la traditionnelle. Et, au bout de la ligne, se débat donné le coup d'envoi à l'intérêt à ce mouve- conférencière Solanges Vincent, auteure de La une pincée de féministes qui ponctuellement ment québécois spectaculairement à la hausse. fiction nucléaire et présentement à Action- (et courageusement) défendent leur point de Qui n'a pas remarqué toute l'information travail des femmes: «On ne bâtit pas un vue, en appellent au patriarcat, tentent de faire circulant actuellement, entre les films et mouvement crédible, une contre-force, sur la les liens entre le sexisme et le militarisme. vidéos qui font salle comble, les documentai- peur ou sur une manif, même si elles ont une Brassez le tout et vous avez un amalgame res qui volent la vedette le dimanche soir à la raison d'être». assez confus, surtout disparate, et pas tou- télé, et Trudeau qui se prend pour le pape? De Il est évident que les milliers de Québé- jours très politique. C'est un problème. plus, nous avons maintenant nos Artistes..., cois-e-s venu-e-s au rendez-vous de la Jour- «Ici, on consomme des mouvements comme Médecins..., Scientifiques... et Enfants pour la née internationale de la paix en octobre, ne on consomme du café instantané, explique paix. Et, ce qui fait grand bruit depuis peu, La sont à l'heure actuelle ni très informé-e-s ni Solanges Vincent. Il n'y a pas de base d'ana- Carte explosive du Québec, un travail démon- très impliqué-e-s. Et ceux et celles qui le sont, lyse. Je ne veux pas dire: pas d'idéologie, je trant que plus de 50% de la production qui militent et qui réfléchissent, le font pour veux dire qu'on ne sait pas qui fait quoi, qui militaire canadienne se fait au Québec, autour des raisons très diverses. «Le mouvement se possède quoi, qui détient le pouvoir. Nous de Montréal. diversifie, ajoute Mme Vincent, il n'est plus sommes «décroché-e-s» des rapports de force l'apanage des jeunes, des universitaires et des et par conséquent, nous ne savons pas à qui femmes de bonne volonté comme dans les nous avons affaire. Nous, les femmes, avons La peur d'abord années 60. Et c'est une force.» appris dans le feu de l'action à mieux identifier nos adversaires mais le contexte socio- A notre tour, donc, de compter les bombes politique global semble encore absent de nos (ex: il y a plus d'ogives disponibles que de préoccupations, comme si nous ne savions villes dans le monde) et d'en trembler; de pas que l'analyse doit être globale même si savoir que si guerre il y a entre l'URSS et les l'action est partielle. Bien sûr, la gauche en États-Unis, le Québec serait «le jambon dans général n'a pas fait mieux. Elle a été pares- le sandwich» et Montréal une cible particuliè- seuse en allant chercher des idéologies toutes rement invitante; de calculer les coûts militai- faites. Il faut se donner la peine d'aller voir ce res mondiaux (750 milliards de dollars en qui se passe vraiment, il ne faut pas croire 19822 ) et d'avoir mal à son chômage. . Radio-Canada comme le fait encore la gau- Comme partout ailleurs, la motivation che, sauf quand cela concerne «ses» luttes - première est la peur, suivie d'un sentiment et cela m'étonne toujours. Au Québec, on ne d'urgence alimenté par les propos de la peut pas savoir ce qui se passe sans lire les désormais célèbre Helen Caldicott, qui ne journaux américains: c'est aux États-Unis nous laisse «qu'un an et demi pour agir, après que se prennent les décisions. quoi l'armement sera trop avancé» ou par

Croyez-vous à l'imminence d'un conflit nucléaire? Si oui, que ferez-vous pour l'éviter? Qui est l'adversaire? si nous désarmons, ne serons-nous pas vulné- Et c'est bien l'ironie de la chose: on parle Pour Christine Burt, membre de la Coalition rables devant l'adversaire?» Comme si le sur- de «guerre» mais en fait il s'agit de «com- canadienne pour la surveillance nucléaire et armement n'était pas mille fois plus dange- merce». actuellement employée au Social Committee à reux! Et puis il faut se rendre compte que les Sait-on que certaines compagnies nord- Montréal, les groupes pour la paix ne posent États-Unis ne visent pas que l'URSS, ils américaines, dont «notre» Pratt et Whitney. pas toujours les bonnes questions. «Il ne s'agit visent aussi tout ce qu'il y a de progressiste à ont armé Hitler? Et que leurs succursales pas de savoir si nous allons tester le missile l'intérieur même de leurs frontières. Il suffit de européennes ont été soigneusement épar- Cruise ou non. La question serait plutôt: regarder comment l'administration Reagan gnées lors des bombardements. Et, poursuit sommes-nous prêt-e-s à redéfinir rapidement traite les femmes, les pauvres, les mouve- Solanges Vincent, «les profiteurs de guerre nos valeurs? Parce que à quoi ça sert de ments populaires, les sans-pouvoir. Ils visent voudraient maintenant retourner aux armes s'opposer au nucléaire et, en même temps, de aussi le Tiers monde. Du temps qu'il était conventionnelles parce que c'est plus renta- ne voir aucun mal à une guerre conventionnelle? Secrétaire d'État, poursuit Solanges Vincent, ble, on risque moins de tuer ses clients.» C'est courant dans le mouvement. Alors qu'il Alexander Haig a dit quelque chose comme: Dans cette optique, tous les pays indus- faut vouloir la paix pour tout le monde, «Les États-Unis doivent établir, non pas la trialisés, ainsi que certains pays du Tiers retrouver le sens du partage plutôt que de la parité des armes, mais l'hégémonie sur le monde, sont responsables de la sur-militari- compétition, prôner l'importance des vies monde pour maintenir leur accès aux ressour- sation de la planète. Avec le Cruise, par exem- humaines, se débarrasser du «disposeable ces de la planète, c'est-à-dire aux matières ple, nous avons pris le Canada «les mentality». Pour cela, il faut commencer par premières du Tiers monde, au pétrole du culottes baissées», la logique tortueuse des revoir nos habitudes de consommation: on ne Moyen-Orient, etc.». leaders politiques ne démontrant pas tant peut s'extasier devant les (eux vidéo ou les notre «solidarité à nos alliés» que notre fidélité appareils ménagers supersophistiqués en Le commerce de la guerre a nos partenaires économiques. Quelle est la sachant que toute haute technologie a son Tant qu'on entretiendra, à l'intérieur du responsabilité du Québec là-dedans? pendant militaire.» mouvement pour la paix, l'idée du «Us and «Le Québec n'a jamais été preneur de On s'accorde pour dire que le mouvement - Them», le concept de l'Autre, de l'ennemi dont décisions en ce qui concerne le développement ou plutôt les mouvements, m'a-t-on répété - il faut se méfier, quand ce n'est pas le haïr, et industriel militaire. La preuve de son impuis- gobe autant que la population en général la finalement le concept du nationalisme («ana- sance, c'est qu'il n'a pas pu maîtriser les propagande anti-communiste diffusée plus ou chronique», selon Helen Caldicott), on ne verra retombées des F-18», répond Solanges moins subtilement par nos médias. «Je dois pas que toute cette propagande sert dans Vincent. De plus, le gouvernement québécois continuellement répondre à la question: «Mais l'immédiat à camoufler des intérêts économiques. est le seul gouvernement provincial, à l'heure

Croyez-vous aux négociations diplomatiques? Sinon, croyez-vous à la non-violence? Croyez- vous à des actuelle, à avoir appuyé Opération Dismantle qui propose un référendum mondial sur la question du désarmement. «Mais, ajoute Mme Vincent, je me méfie des prises de position qui n'impliquent pas une action; c'est trop facile. Et puis ça n'empêche pas le gouvernement québécois de subventionner un tant soit peu la production militaire au Québec, sous couvert d'encourager les nouvelles technologies.» Vers l'opinion publique Dans les circonstances, il n'est peut-être pas très habile de faire du lobbying auprès du gouvernement québécois. Aurions-nous plus de chance auprès des députés fédéraux québécois? Comme le fait remarquer Dorothy Rosenberg, membre du projet Ploughshares, animatrice en matière de paix et de désarme- ment, rattachée au Studio D de l'ONF, «le Québec a un rôle important là-bas, avec tous d'autres raisons: le manque d'analyses, de les libéraux, (et bientôt les conservateurs ou La Voix des femmes À l'exception d'une, toutes les femmes perspectives féministes et l'autoritarisme de même les nationalistes?) que nous élisons à interrogées font ou ont fait partie de La Voix certains. «Un homme m'a reproché d'avoir Ottawa.» Solanges Vincent est plus dubita- des femmes, cette organisation internationale parlé de sexisme pendant une conférence, tive: «Nous pouvons nous servir des campa- dont l'instance locale, créée en 1960, a comme si ça allait nuire au mouvement», gnes électorales pour faire connaître le pro- constitué le premier groupe pour la paix au raconte Mme Vincent. blème mais il ne faut pas penser que nous Québec. Née pour protester contre les essais allons influencer un député, encore moins un nucléaires et leurs retombées radioactives, La Et alors? parti. Ce qu'il faut, c'est informer et sensibi- Voix des femmes a mené le fameux «Baby liser toute l'opinion publique car nous ne On pourrait croire que les Québécoises Tooth Campaign», organisant la collecte de sommes pas encore prêt-e-s à faire face au impliquées dans le mouvement pacifiste revi- milliers de dents de lait et prouvant par la suite problème collectivement. Or, le plus grand vent aujourd'hui ce que les Américaines ont que les enfants étaient bel et bien affectés. Au danger pour le mouvement est que nous vécu dans les années 60, c'est-à-dire une plus fort de la guerre du Viêt-nam, cet organis- restions entre nous, que nous ne sachions pas certaine marginalisation et la non-reconnais- me a été l'un des premiers à informer les parler à la population en général. Ce fut le cas sance de leur analyse qui incita «nos voisines» Canadien-ne-s des atrocités commises là- pour La Voix des femmes, d'ailleurs: anglo- à quitter le mouvement pour la paix, pour n'y bas, comme l'utilisation de napalm, de défo- phones unilingues pour la plupart, de classe revenir que dernièrement. liants, de «l'Agent orange», au moyen de moyenne et de bonne volonté totale, ces Avons-nous manqué de temps, manquons- témoignages publics de Vietnamiennes invi- femmes se sont coupées de la population en ne nous encore d'effectifs pour créer au Québec tées au Canada et au Québec. comprenant pas ce qui se passait au Québec, un mouvement de femmes pour la paix comme même si elles pouvaient comprendre les luttes J'ignore si c'est parce que mes interlocu- il en existe aux États-Unis et même au de libération ailleurs, en ne voyant pas non trices sont aussi impliquées ailleurs (on dirait Canada? Ou l'impact du féminisme est-il plus qu'il n'était pas suffisant de demander le que faire partie de plusieurs groupes est une moins grand ici que là? Actuellement, deux respect des droits et libertés.» caractéristique des membres du mouvement militantes, deux étudiantes et deux «ménagè- pour la paix), mais il est clair que La Voix des res» tentent de créer un groupe féministe sur femmes, même si elle est beaucoup plus la question. Faut-il y voir le début de ce féministe qu'à ses débuts, prend peu de place mouvement? Je l'espère. Sinon, le mouvement dans l'ensemble du mouvement. Cela est peu pour la paix et le désarmement risque de surprenant étant donné un leadership toujours devenir statique, d'être un service aux con- blanc, mâle et anglophone, qui montre un sommateurs-trices ayant soudainement envie talent fou pour calculer le nombre de bombes de paix, sans entraîner la compréhension des ou évaluer les stratégies militaires à l'Est véritables enjeux: le mépris des riches pour les comme à l'Ouest mais qui semble autrement pauvres, des Blancs pour les Noir-e-s, des manquer d'imagination! hommes pour les femmes et, surtout, l'éton- nante facilité qu'ils ont tous de recourir à la A ce type de leadership, on réagit différem- violence pour prouver leur «supériorité». ment. C'est le désir de voir un groupe franco- phone travailler à partir des réalités d'ici qui a poussé Mado Bachant a fonder avec d'autres FRANCINE PELLETIER le Réseau québécois pour le désarmement. Les autres femmes rencontrées, Solanges 1/ Voir «Les cavalières de l'Apocalypse», Vincent, Christine Burt, Dorothy Rosenberg et LVR septembre 1983. 2/ Ce qui suffirait à nourrir, loger, habiller, Dihanne Ampleman (du Service d'information éduquer tous les habitant-e-s de cette planète sur le désarmement) sont mal à l'aise pour pendant un an. Selon le Groupe de travail sur les usines d'armements au Québec, Montréal

stratégies pour les femmes pacifistes? S.V.P., répondez à La Vie en rose. Croyez-vous à l'imminence Elles ont choisi leur camp

I y a plusieurs façons de lutter. Partout dans le monde, les femmes Ipacifistes le montrent bien quand elles décident d'ajouter à l'effet ponctuel et spectaculaire des grands défilés de protestation la pression plus lente et tenace de leurs camps pour la paix. Plus qu'un simple remake des sit-in soixante-huitards américains, il y a là une stratégie nouvelle de la non-violence, une formule ouverte laissant cours à l'invention. Les Anglaises ont ouvert le pas, suivies par les Allemandes, les Italiennes et même les Australiennes! À première vue semblables, leurs expériences, quand on les compare, révèlent cependant, derrière l'objectif commun, des différences de motivations politiques et de positions féministes intéressantes.

«Tout commença par une belle journée d'été, le 27 août 81 Quarante femmes, quatre hommes et quelques entants quittent Cardiff. dans le pays de Galles et. après dix jours de marche, arrivent à Greenham Common. base militaire anglo-américaine, dans le Berkshire en Angleterre. Elles et ils s'installent devant l'entrée principale de la base. Les femmes réclament un débat à la télévision avec le ministre de la Défense nationale sur l'installa- tion des 96 missiles Cruise. On leur refuse et elles décident alors de rester sur place: «Nous resterons ici aussi longtemps qu'il le faudra pour empêcher l'installation des missiles». proclament-elles! Six mois plus tard, elles décident d'ouvrir le camp aux «femmes seule- ment» afin «d'augmenter l'efficacité de leur opposition non violente». Deux ans et demi plus tard, elles sont toujours la: une quarantaine en permanence et des milliers lors des manifestations et des actions organisées, et ce maigre l'arrivée des fameux missiles, malgré le harcèlement de la police et des autorités municipales, maigre de nombreuses arrestations (près de 500 fem- mes ont fait de la prison), et maigre la menace de tirer sur elles à bout portant si elles s'introduisaient dans la base à nouveau. Ensemble, elles ont mobilisé l'opinion GREENHAM COMMON, ANGLETERRE publique a tel point que Margaret Thatcher a cru nécessaire de lancer une campagne de Le siège le plus long propagande en faveur de sa politique de défen- se. Pour réussir un tel coup de force, ces femmes ont été obligées de s'exprimer, dans epuis deux ans et demi, accrochées aux grilles de la base militaire une grande mesure, à travers des médias qui de Greenham Common, elles défient Margaret Thatcher et la police tantôt vantent leur persévérance et leur abné- D gation — l'image des mères qui se sacrifient britannique. Leur action n'a pas empêché l'arrivée des missiles Cruise en pacifiquement pour sauver leurs enfants — Angleterre, mais elle a attiré l'attention du monde. Qui sont ces femmes? tantôt les traitent de tous les noms pour les Par qui sont-elles appuyées? Sally Burch et Catherine Germain ont marginaliser. rencontré là-bas, au printemps dernier, trois de ces manifestantes pas comme les autres. d'un conflit nucléaire? Si oui, que ferez-vous pour l'éviter? Croyez-vous aux négociations Mais les groupes féministes, pour la plu- part, restent distants face à l'action de Greenham Common, préoccupés par d'autres priorités ou simplement réticents face à l'idéologie qui s'en dégage. Est-ce par manque de souplesse? Les femmes de Greenham Common seraient-elles trop pragmatiques? Ce sont quelques-unes des question que nous voulions approfondir. MARY C'est par sa foi religieuse - elle est quaker - que Mary, 32 ans, a été sensibilisée à la lutte anti-nucléaire. Elle a milité par la suite au CND (Campagne pour le désarmement nucléaire, organisation nationale de grande envergure) avant de s'installer à Greenham Common. La Vie en rose: Peut-on comparer l'action de Greenham Common à celle du CND? Mary: Je n'oserais pas dire que nous sommes groupes de femmes qui développent une plus efficaces; je ne crois pas que les comparai- pratique en auto-santé avant de venir au camp Connie sons soient toujours utiles. Mais nous avons de Greenham Common. Connie est membre de WONT (Femmes ICI une façon de procéder bien à nous. Quand il LVR: Comment vois-tu ton action féministe contre la menace nucléaire) à Islington. Elle se s'agit d'actions, la créativité est à l'ordre du par rapport a l'action pacifiste? définit comme lesbienne féministe radicale et jour et chaque action a son thème. Par Zoufi: L'expérience que tu as en tant que participe activement à un groupe de soutien exemple, le 12 décembre (82), c'était femme ici... Le 12 décembre 82, par exemple, pour Greenham Common. «Embrase the Base». Des milliers de femmes parmi les 35 000 femmes qui sont venues, LVR: A quel point le mouvement féministe est- ont entouré la base militaire, laissant sur la beaucoup n'étaient pas féministes et avaient il implique dans le mouvement pour la paix et à clôture les symboles de ce qu'elles chéris- encore en tête l'image que les médias donnent Greenham Common en particulier? saient le plus au monde, toutes des choses qui des féministes - des femmes macho qui Connie: II faut identifier trois niveaux d'impli- ont rapport à la vie et à la façon dont nous la détestent les hommes, et que sais-je encore cation, au départ. D'abord les femmes qui se préservons. Or, elles se retrouvent entre femmes pour la disent féministes mais qui ne font pas néces- Bien sûr, il y en a qui disent qu'il est sexiste première fois de leur vie. Elles passent un, sairement partie d'un groupe, et elles étaient d'exclure les hommes du camp. Je leur réponds deux jours, à chanter ensemble, à se toucher, à fort nombreuses le 12 décembre 1982. Ensui- que les hommes non violents, surtout dans une s'embrasser. Elles découvrent leur force en te, parmi les groupes féministes, une majorité situation de confrontation, sont assez rares, tant que femmes et elles n'ont plus peur. qui ne croit pas tellement à Greenham Common, Pour plusieurs raisons beaucoup se souvien- merci. Et puis, ils ont cette manie de tout Notre force n'est pas de donner un coup de nent des années 60 et de ce qui se passa dans organiser de façon quasi militaire. poing dans le nez, c'est de durer, de reprendre le mouvement pour la paix à ce moment-là. LVR: Tu n'es pas personnellement impliquée tout ce qui a été méprisé par le patriarcat, c'est Elles ne croient pas que les armes nucléaires dans un groupe féministe. Comment ces notre intuition, nos émotions. Et à travers ça, soient une bonne piste de départ, en ce qui groupes pourraient-ils aider Greenham nous rejoignons énormément de femmes en concerne la lutte des femmes; elles pensent Common? Angleterre. Nous voulons que les femmes se qu'il vaudrait mieux faire du travail à la base, Mary: Bien sûr que je suis féministe, j'habite débarrassent de l'idée qu'elles n'ont pas de s'attaquer à des questions spécifiques comme ici! C'est ici que j'ai fait connaissance avec le pouvoir, et sachent qu'on peut faire quelque la santé. Ces femmes ne sont pas du tout féminisme pour la première fois. Je ne connais chose. Et notre point commun c'est la non- impliquées à Greenham. Enfin, il y a des rien des autres groupes mais je sais qu'ici violence. C'est notre engagement et c'est une féministes de longue date, comme moi, qui nous n'avons pas de leaders, tout le monde a la forme d'action. Nous ne vaincrons pas la sont actives ici mais nous sommes assez même importance. Bien sûr, à vivre ensemble violence par la violence... comme on le fait, les conflits sont assez rares. nombreux. Le spiritualisme (le contact avec la LVR: Jusqu'à quel point l'action de Greenham nature, les déesses, tout ça...) de certaines, par Common représente-t-elle une bonne straté- exemple, a déplu à d'autres. gie face à la menace nucléaire? Mais nous avons ici des femmes qui Connie: Elle est essentielle. Si on regarde les viennent de partout en Europe. Je pense sondages, on voit que l'opinion publique a qu'une majorité de femmes prennent cons- changé complètement depuis le 12 décembre cience que ça ne tourne pas rond dans le 82: 66% des gens se disent maintenant monde et qu'elles peuvent y faire quelque opposé-e-s au Cruise en Angleterre et 2/3 des chose. C'est vraiment très excitant... opposants sont des femmes... Je crois que le succès de ce camp n'est pas étranger au fait Zoufi que nous ne sommes que des femmes. Nous Zoufi est une Française vivant depuis travaillons mieux entre nous et nous retour- nons les difficultés qui surviennent de façon plusieurs années en Angleterre. Féministe Greenham Common : le camp principal positive. De plus, nous savons fournir l'effort engagée de longue date, elle a fait partie de et, avec la tuque, Mary.

diplomatiques? Sinon, croyez-vous à la non-violence? Croyez-vous à d'autres stratégies pour les femmes émotif nécessaire pour maintenir la commu- HASTELBACH, ALLEMAGNE DE L'OUEST nauté à travers des conditions très difficiles Maintenant, l'image publique qu'on nous ren- voie de nous-mêmes est souvent tout autre, Au cœur de la cible mise à part la diffamation pure et simple. Les porte-parole de Greenham tentent de soigner une image qui sait plaire à la presse. Mais dire 'est en Allemagne de l'Ouest qu'ont eu lieu depuis un an les que nous sommes ici pour nos enfants, comme manifestations pacifistes européennes les plus impressionnantes. certaines le font, c'est aussi minimiser notre C importance a nous et laisser intact tout le Ce qui n'a pas empêché la «décision historique» du Bundestag, votant le sacro-saint rapport mère/enfant. 22 novembre le déploiement des Pershing sur son sol. Allemande LVR: N'est-ce pas difficile pour toi, en tant que d'origine et résidant au Québec depuis quelques années, Adriane- féministe, d'être impliquée dans un mouve- ment qui projette une image traditionnelle des Bettina Kobusch a passé en RFA «l'automne chaud» précédant ce vote. femmes? Elle raconte ici ce qu'elle y trouva. Connie: Je pense surtout qu'il est de toute D'abord, l'atmosphère, terriblement tendue. première importance de communiquer avec Il n'est pas surprenant que les Allemand-e-s d'autres femmes. Et puis, le fait que nous ne aient peur: tous les jours, programmes de partons pas toutes du même point de vue ne télévision et journaux ramènent la question de veut pas dire qu'elles n'ont pas des choses à l'armement. Qu'on soit pour ou contre, tout le m'apprendre et qu'elles n'écouteront pas ce monde se sent concerné-e. Les discussions que j'ai à dire. sont d'ailleurs nombreuses, passionnées et LVR: Est-ce que tu crois que le féminisme sera très chargées d'émotivité. influence par le mouvement des femmes pour Ma visite coïncidait avec la période des la paix? grandes manœuvres militaires; les soldats et Connie: Je crois que c'est inévitable même si toute leur artillerie étaient omniprésents. En je ne saurais dire exactement comment. plein cœur de la Forêt Noire, les avions de L'hostilité des féministes envers Greenham, combat américains nous passaient régu- en fait, m'inquiète beaucoup. Je crois qu'elles lièrement au-dessus de la tête, situation si d'Allemagne, qui n'a aucun pouvoir décisionnel se sentent menacées par ce nouveau phéno- angoissante et si absurde que nous en avions sur l'emploi des armes entreposées sur son sol mène. Après tout, ça fait dix ans qu'elles se les larmes aux yeux. (ce pouvoir repose entièrement dans les mains battent, qu'elles vivent de rien, énormément des Américains) disparaîtrait complètement. préoccupées par leurs luttes- l'avortement, la Pour les Allemands, la menace nucléaire violence faite aux femmes, etc. - et voilà que Une cible de choix équivaut ni plus ni moins au suicide collectif, des femmes sans aucune expérience politique Les «Alliés» de la dernière grande guerre ce qui explique l'ampleur du mouvement s'amènent et attirent toute l'attention. Je crois maintiennent tous des bases militaires en pacifiste chez nous: choisir entre la paix et qu'il faut sérieusement songer à se défaire de Allemagne. C'est ce qui explique pourquoi les l'extermination. ce ressentiment. La réalité est que Greenham Américains, se basant sur la soi-disant néces- Common a permis a des milliers de femmes de sité de «rétablir l'équilibre des forces nu- devenir actives politiquement et c'est là son cléaires», ont décidé d'y installer 96 missiles Une force considérable importance. Cruise et 108 missiles Pershing II. Pourtant, Le mouvement englobe toutes les couches de nombreux experts pensent ici que la parité de la population. On y trouve aussi bien des entre les deux super-puissances existe déjà, personnes engagées individuellement que des SALLY BURCH les Soviétiques ayant l'avantage au niveau CATHERINE GERMAIN groupes représentant diverses tendances quantitatif et les Américains l'ayant au niveau idéologiques, l'urgence de la lutte étant telle qualitatif. Ce qui signifie concrètement que les 1/ Edith Rubinstein, in Chronique, la revue qu'on surmonte ses divergences. Se côtoient de l'Université des femmes de Bruxelles, juin Américains peuvent tuer 40 fois chaque donc la gauche, les féministes, les verts, le 1983. Soviétique, et les Soviétiques 20 fois chaque cierge protestant et même les conservateurs. Américain-e... Ceci ne veut pas dire que les groupes perdent L'implantation de ces nouvelles fusées ne leurs caractéristiques ou négligent leur propre fait qu'accroître le danger. Avec le Pershing II, démarche mais les grands événements sont par exemple, le temps d'alerte passe de 7 à 4 organises ensemble, comme la semaine d'action minutes. L'«ennemi» n'a donc plus le temps de intensive qui a culminé, le 22 octobre dernier, vérifier l'authenticité du danger, et au risque avec la plus grande manifestation en faveur de d'être lui-même détruit, doit immédiatement la paix jamais vue en RFA. Plus d'un million de contre-attaquer Sachant que les fausses personnes, une chaîne humaine s'étendant sur alertes sont fréquentes, même sur les sys- 113 kilomètres, de l'aéroport militaire où tèmes supersophistiques des Américains, la allaient arriver les missiles jusqu'au site de situation devient alors extrêmement explosive. leur déploiement, et plus de 500 000 personnes Une simple erreur d'ordinateur pourrait être à à Bonn. Plusieurs personnes prirent la parole: l'origine d'un holocauste nucléaire. l'ancien chancelier Willy Brandt. Petra Kelly Nous sommes la cible première d'une telle du Parti vert, un curé et même un général de contre-attaque. La République fédérale l'armée américaine. Une vieille femme juive et

pacifistes? S.V.P., répondez à La Vie en rose. Croyez-vous à l'imminence d'un conflit nucléaire? communiste incita son auditoire à ne pas «habitantes des 80 tentes» semblent venir commettre l'erreur du temps de la montée du Remous dans la population d'un autre monde, par leurs façons de s'habil- nazisme. «Cette fois, vous ne pourrez pas dire Parmi la population environnante, on sent ler, de communiquer, de se nourrir, de se que vous n'avez rien su». Et ma mère me dit: un mélange de réserve et de curiosité. Un des comporter. Deux femmes qui s'embrassent «Je ne veux plus faire semblant de ne rien voir. problèmes pour les villageois, c'est que l'armée sur la place du marché peuvent provoquer J'espère seulement que nos voix atteindront américaine représente pour eux de nombreux certains remous. l'Amérique ...mais il faut continuer le travail et emplois, dont 600 à l'aéroport militaire de Même si la possibilité d'empêcher réellement ne pas nous laisser décourager par le déploie- Hahn seulement Pour une région dont le taux le déploiement des armes en Allemagne était ment des missiles car nous représentons une de chômage atteint presque 60%, c'est bien minime, cette grande mobilisation des gens force considérable». sûr un critère important. Et puis, on entend représente une chance de conscientisation aussi ce genre de remarque: «Qu'est-ce que 7 générale. Nombreux sont ceux et celles qui vous voulez Nous avons perdu la guerre, nous procèdent à une profonde remise en question Les femmes de Hastelbach sommes maintenant un pays occupé. Il n'y a de notre système politique basé sur la loi du L'engagement pour la paix ne se limite pas rien à faire». Cet argument fait croire que les plus fort. A mon avis, les féministes, qui ont aux intellectuel-le-s. Par exemple, beaucoup hommes de cette génération attendent encore toujours lutté contre la répression et pour de villageois-es résidant près des sites de le châtiment de leurs actes de guerre sous la l'auto-détermination, ont le devoir de s'impli- déploiement s'organisent. Il s'agit de fermiers forme d'un holocauste nucléaire. quer activement dans cette lutte même si elle qui ont toujours été très conservateurs. Dans De plus, face aux femmes du camp, les semble parfois sans espoir. un de ces villages, les citoyens se rencontrent villageois découvrent un mode de vie qui ne régulièrement pour discuter de la paix. Pendant ressemble en rien au leur. Pour eux et elles, les ADRIANE-BETTINA KOBUSCH que les hommes se disputent sur le nombre d'armes possédées de chaque côté, les femmes, assises à une autre table, s'accordent pour CAMISO, ITALIE dire que ce genre de calcul ne fait que mener à la guerre. Et puis, après quelques bières, les hommes commencent à vanter les aventures Sans le consentement du Pape et la camaraderie de la dernière guerre, et les femmes de secouer la tête. Finalement, elles qui connaissent à peine le mot «féminisme», a décision de l'OTAN, en décembre 79, de répondre à la menace des prennent toute l'organisation en main. Ainsi, L SS-20 soviétiques (voir tableau) par un déploiement massif on voit bien que les réactions des hommes et des femmes face à la guerre ne sont pas les d'euromissiles, incluait le stationnement de 112 missiles Cruise à mêmes. Les hommes se fient beaucoup plus Camiso en Sicile, au printemps 84. C'est ainsi que l'Italie, assez loin du sur «la politique de la force» puisque là sont débat nucléaire jusqu'à maintenant, est entrée dans le bal. Les leur pouvoir et leur identité depuis toujours. Italiennes réussiront-elles ce que leurs consœurs anglaises, allemandes, Le désir des femmes de s'impliquer dans la lutte pacifiste à leur façon, souvent seules, a hollandaises n'ont pu encore faire? Lucia Malvisi est passée l'été dernier donné naissance à un camp féministe à au camp des femmes de Camiso. proximité de la base militaire de Hastelbach. C'est ici que les missiles de croisière, chacun Août 1983. Il fait très chaud à Camiso, où elles organisent des activités destinées à 10 fois plus puissant que la bombe d'Hiroshima, cette petite ville sicilienne à peu près inconnue ramasser l'argent nécessaire à l'achat du vont être installés. D'ailleurs, nous savons, à jusqu'à ce qu'on décide d'y installer des terrain. de nombreux signes d'avertissement, que missiles Cruise. Et il n'y a pas beaucoup de Mais aujourd'hui, à Camiso, j'en vois cette région est occupée par des militaires: femmes à La Ragnatela (la toile d'araignée), le quelques-unes: des féministes, des écologistes, des villages entiers ont disparu... camp des femmes pour la paix monté près de des catholiques... un mélange hors de l'ordinaire Les femmes du camp ont déjà mené la base de l'OTAN où seront entreposés les Toutes sont ICI pour demander le désarmement plusieurs actions, comme par exemple em- missiles. et la paix. Le soir, on se retrouve autour de la pêcher l'essai d'un missile Lancet. Elles ont Le camp existe depuis deux ans La plupart cuisine pour discuter. également occupé la base militaire voisine de des femmes sont des étrangères: Hollandaises, Cristiana a 30 ans. Elle a milité dans Hastelbach. Et c'était une première en RFA. Américaines, Allemandes. Peu d'Italiennes: l'extrême-gauche puis dans le mouvement Mais étant donné qu'elles ont des vécus très elles sont restées dans leurs villes respectives féministe romain, une histoire commune a tant différents, il ne leur est pas toujours facile de se mettre d'accord sur les plans d'action. C'est pourquoi, à l'intérieur du campement, elles se sont divisées en petits groupes autonomes, vivant ensemble, prenant leurs propres dé- cisions face aux actions a entreprendre. Chaque soir, les représentantes se rencontrent pour communiquer les désirs de leur groupe, coordonner les activités et, finalement, rap- porter à leur unité le résultat de la discussion. Ce type d'organisation permet un fonctionne- ment efficace sans toutefois exiger la soumission à la majorité.

Si oui, que ferez-vous pour l'éviter? Croyez-vous aux négociations diplomatiques? Sinon, croyez- d'autres: «J'ai choisi de passer mes vacances femmes sont ici, ensemble. II y a souvent des politiquement Ici, en Italie, on est en retard par disputes mais on arrive à trouver des accords. rapport à d'autres pays en ce qui concerne le Tout le monde sait que les missiles seront désarmement. Quand la décision d'installer déployés mais les femmes veulent faire sentir les missiles a été prise, nous étions ébranlées leur présence à elles. par la grave question du terrorisme. C'était en 1979: la crise économique menaçait les 22 octobre 1983 un million de personnes femmes d'être renvoyées à la maison ou de défilent dans les rues de Rome. La moitié sont n'avoir plus que du travail à temps partiel. II des femmes. Des centaines d'autobus les ont fallait s'occuper aussi de la gestion de la loi sur amenées de partout assister à la manifesta- l'avortement. tion nationale contre le déploiement des Le mouvement a connu une période de missiles Cruise. L'UDI et le mouvement crise mais en ce moment nous sommes en féministe (autonome) ont décidé de participer train de nous retrouver, après avoir passé à la manif en tant que femmes. Bien qu'il y ait Et maintenant des milliers de femmes quelque temps a nous chercher comme person- toujours eu des désaccords entre les deux marchent dans les rues romaines. Il y a même nes, en dehors du mouvement. Les discussions groupes, ils ont toujours fait front pour les là des couvents de sœurs au grand complet, ont recommencé autour de la question du «grandes occasions»: la loi sur l'avortement, sans le consentement du pape, évidemment!!! pacifisme; la décision de participer à un la loi contre la violence sexuelle, le 8 mars, mouvement mixte provoquait beaucoup d'in- etc. LUCIA MALVISI terrogations. Plusieurs se demandaient si nous n'allions pas retourner à la double militance du début des années 70. Mais je pense qu'après dix ans de sépara- tisme, nous sommes capables de garder notre spécificité même dans un mouvement mixte. C'est notre vie qui est en jeu, avec tout ce que SENECA, ÉTATS-UNIS nous avons réussi à réaliser comme femmes et comme mouvement. Notre présence est néces- saire dans un mouvement qui ne se limite pas Les louves de Romulus à être pacifiste mais qui conteste aussi un gouvernement qui voudrait bien nous confiner au privé.» e 4 juillet 1983, environ 700 femmes se rassemblèrent sur un L terrain avoisinant le dépôt militaire de Seneca,1 dans le nord de Le retour des Américains l'État de New York. Elles inauguraient le «Camp des femmes pour un Claudia, 50 ans, est militante de l'UDI (l'Unione delle donne, l'organisation des femmes avenir de paix et de justice». Depuis, des milliers de femmes originaires du Parti communiste italien): «Je suis née d'un peu partout aux États-Unis et dans le monde sont venues camper pendant le fascisme et j'ai vécu les horreurs de sur ce terrain de 51 acres, à Romulus, pour protester contre la politique la dernière guerre. C'est-à-dire des années de peur avec les fascistes et les Allemands, et américaine de réarmement et contre la course aux armes nucléaires. ensuite l'armée américaine venue nous «Nous voulons un monde où l'on respecte et l'on valorise les êtres «libérer»... pour avoir le droit aujourd'hui de humains, les animaux, les plantes et la planète elle-même.»2 Eileen nous imposer ses missiles. Bolonsky était à Romulus en août. Elle décrit ici l'atmosphère et les Il n'y avait pas beaucoup de différences entre les soldats allemands et américains. Je préoccupations du camp. veux dire par rapport aux femmes: ils nous regardaient de la même façon. Nous étions des Les protestations organisées de femmes bannières éclatantes, des banderoles et des objets qui leur appartenaient par «droit de ne sont pas chose nouvelle à Seneca. En effet, slogans de toutes les couleurs. Les 51 acres guerre»: ou nous étions perdantes ou nous en 1590, les femmes de la Confédération de terre ont été achetés spécialement pour étions libérées. Je n'ai pas envie de vivre une iroquoise s'y sont réunies pour demander la fournir aux participantes un espace autorisé. autre guerre encore plus horrible. paix parmi les nations indiennes. Au milieu du Une vieille maison sur le bord de la route sert Fabrizia, 25 ans, est à Camiso avec son XIXe siècle, Harriet Tubman y aidait les de bureau d'accueil (le seul endroit où les enfant de trois ans: «Je suis venue ici avec un esclaves noir-e-s à se libérer grâce à hommes sont admis). Derrière la maison, on a groupe de mères de Torino, avec nos enfants. l'«Underground Railroad». La première transforme une grange en salle de projection Comme femme j'ai donné la vie et il est naturel Convention de femmes à demander le droit de et en dispensaire médical. Les terrains de que je sois ici. La mort fait partie du monde des vote eut lieu à Seneca Falls. tout près de là. camping occupent deux champs plus éloignés, hommes. II faudrait que des enfants naissent Les femmes ont toujours joué un grand rôle invisibles de la route principale. Seuls 15 ici où il y a des instruments de mort, je pense dans la lutte contre la violence et l'oppression, acres de boisé séparent le camp des palis- que le slogan «Peace and love» est encore et Seneca est un lieu on ne peut plus approprié sades entourant le dépôt militaire. valide.» pour perpétuer cette tradition. Durant cette fin de semaine de la mi-août, Trois témoignages différents, qui n'ont Quand on entre dans le Camp des femmes le sentiment général dans le camp est à apparemment rien en commun: mais ces pour la paix, on se fait accueillir par des l'ouverture et à l'échange. Loin de la route, les

vous à la non-violence? Croyez-vous à d'autres stratégies pour les femmes pacifistes? S.V.P., violentes contre le dépôt militaire, certaines basées sur la désobéissance civile, d'autres légales. Un soir, quelques femmes ont escaladé la clôture du dépôt et sont allées planter des fleurs sur la pelouse devant l'entrée. Une demi-heure plus tard, la police militaire leur est tombée dessus et les a arrêtées. Chacune des manifestantes eut droit à un ordre de «garder la paix» avec menace de poursuites en cas de nouvelle infraction. À une autre occasion, des femmes ont grimpé sur le réservoir d'eau de la base où s'étalait en grosses lettres la devise de l'armée: «Le devoir d'abord, le peuple toujours». Elles camouflèrent la première partie du slogan pour ne laisser visible que «Le peuple toujours». Les militaires ne s'en sont rendu compte que le matin suivant. Le 1er août, 2 000 femmes se rassemblèrent à Samson State Park, de l'autre côté du dépôt, et marchèrent en cortège autorisé jusqu'aux portes de l'entrepôt aux explosifs. Elles se heurtèrent à 150 contre-manifestants venus des villes voisines qui les conspuèrent avec des banderoles et des insultes du style «Irradiez ces chiennes» ou «Hors d'ici les traîtres à l'Amérique et à la féminité». Cette fin de semaine-là vit l'opposition des gens de la région gagner du terrain. En effet, deux jours plus tôt, 300 résidents en colère avaient bloqué une manifestation autorisée de 75 femmes entre Seneca Falls et le camp (marche commémorant la Convention des femmes de 1848). Le shérif avait alors suggéré aux manifestantes de changer d'itinéraire, mais celles-ci s'étaient assises sur la route en lui demandant de les laisser continuer et d'empê- cher tout acte de violence. Résultat: 54 femmes furent arrêtées. C'est à cette occasion que le gouverneur de femmes se promènent torse nu; on entend de l'État de New York, Mario Cuomo, décida la musique et il règne entre les femmes, quel Débats politiques d'instituer l'état d'urgence pour protéger les que soit leur âge ou leur race, un climat de et désobéissance civile femmes du camp. D'après lui, le public avait le grande réciprocité. Cette ambiance peut se droit de savoir si on entreposait des armes Durant cette fin de semaine, les débats comparer à celle des festivals de musique pour nucléaires sur le sol de l'État. Des centaines portèrent surtout sur les femmes de couleur et femmes, à une grande différence près cepen- de policiers d'État et de policiers militaires le racisme aux États-Unis. On organisa dans dant: ici, le sentiment de l'urgence politique furent dépêchés à Seneca pour surveiller la la nuit une marche symbolique le long de er est très fort, et même si l'éventail d'opinions et manifestation du 1 août. l'Underground Railroad. On projeta des films de philosophies est large, on ressent un désir Ce jour-là, les femmes organisèrent à la politiques suivis de discussions sur les femmes profondément partagé de combattre les struc- porte du dépôt une cérémonie rituelle de deuil africaines. On parla beaucoup de l'absence tures qui perpétuent la folie nucléaire. et de colère; elles se retirèrent ensuite pour des femmes de couleur au camp. Il semble que les femmes soient venues à permettre à plus de 200 femmes de poser un «Les femmes d'ici sont majoritairement Seneca pour une multitude de raisons. «C'est geste de désobéissance civile en escaladant blanches et issues de la classe moyenne, mon souci de l'existence et mon désir de finir la clôture. La police les arrêta et elles furent expliquait Barbara Hendrie, de Boston. Leur mes jours sans craindre de me faire volatiliser accusées d'atteinte a la propriété. Beaucoup vision des choses provient d'une expérience avec la planète qui m'ont emmenée ici», parmi elles refusèrent d'obtempérer et de commune. Or nous devons construire une base explique Thelma B. Moore, une femme noire de s'identifier, montrant qu'elles étaient con- de solidarité large et travailler avec les 77 ans résidant à New York. Vïveka Enlander, vaincues de la justice de leur lutte. Celles qui femmes de couleur si nous voulons que le elle, est venue de Suède avec 100 autres n'avaient pas déjà été arrêtées reçurent ordre mouvement pour la paix aboutisse quelque compagnes: «Nous, en Europe, nous voulons de garder la paix tandis que 12 femmes qui part.» dire aux Américains que nous ne voulons pas avaient commis des «infractions» semblables Depuis l'ouverture du camp, les femmes être les victimes de leurs bombes». auparavant furent gardées toute la nuit et on ont organisé une série d'actions directes non leur signifia les dates de leurs procès.

répondez à La Vie en rose. Croyez-vous à l'imminence d'un conflit nucléaire? Si oui, que ferez-vous Lèse-drapeau et chasse COLE BAY, CANADA aux sorcières Les contre-manifestations des gens de la Avec les femmes autochtones région n'étaient pas les premiers signes de conflit. En effet, la ville de Romulus avait manifesté plus tôt son opposition, durant les u Canada, la lutte pacifiste s'est cristallisée autour de l'essai premiers jours du camp. Les femmes, après un prévu, contesté puis déclenché, des missiles Cruise dans le nord débat difficile, avaient fini par refuser de A hisser un drapeau américain qu'un homme de de l'Alberta . À la fin d'août, une centaine de Canadiennes décidaient la région leur avait donné. Beaucoup parmi d'ajouter un maillon à la chaîne des camps créés autour du missile de elles voyaient dans ce drapeau le symbole du patriarcat qu'elles combattaient. Les gens de croisière. Après Puget Sound (lieu de production du Cruise sur la côte du la ville, eux, virent dans ce refus une profession Pacifique), Seneca Falls (lieu d'entreposage) et bien sûr Greenham de foi communiste. Des centaines de drapeaux Common (lieu de déploiement), c'est à Cole Bay en Saskatchewan américains se mirent à fleurir les pelouses des maisons. qu'elles établissaient leur camp. Juste à l'une des extrémités du terrain Des rumeurs de lesbianisme et de sorcelle- d'essai des Cruise. rie ont alimenté bien des idées fausses chez les gens du coin. Meredith Smith raconte: «Ils En août dernier, 80 femmes quittent enlevé aux Autochtones il y a à peine 30 ans voyaient arriver des centaines de femmes très Vancouver à bord d'un autobus en direction de par le ministère de la Défense nationale, différentes de celles qu'ils connaissaient. Ce Cole Bay. Saskatchewan, pour participer à un privant ainsi les Cree, Métis et Déné de la sont leurs peurs qui ont en grande partie dicté «Peace Camp/Ritual/Action» de deux jours région de leur droit de chasse et de pêche, sauf ce qu'ils ont raconté». sans trop savoir a quoi s'attendre: ni du lieu, ni deux fois par année lorsque le personnel Les femmes du camp ont tenté de dissiper du rituel, ni d'elles-mêmes. Elles sont pour la militaire est en vacances. Pour les Amérindiens, ces craintes et ces malentendus, en organisant plupart de Colombie Britannique et d'Alberta, la venue du Testing Range (qu'ils ont re- des rencontres pour expliquer pourquoi elles excepté deux Ouest-Allemandes et trois baptisé «le champ à bombardements») a donc protestaient. «Quand ils ont commencé à nous Québécoises. Leur âge s'échelonne de six signifié la perte de leur territoire et de leur voir comme des individues et à nous parler mois à 50 ans et plusieurs participent à une gagne-pain ainsi que le trafic incessant de personnellement, leur attitude s'est mise à action féministe pour la première fois. F-16 au-dessus d'eux. «Ce que je déteste le changer. Ils ont fini par se rendre compte que Cole Bay est en périphérie du Primrose plus», dit une femme métis, «c'est quand ils se nous étions du monde comme eux, du monde Lake Testing Range, site choisi par le gou- mettent à voler si bas qu'on sent l'essence». avec des sentiments, qui connaissaient aussi vernement canadien pour les essais du missile De plus, on parle d'un défoliant, I'«Agent la peur.» Par exemple, deux femmes d'abord Cruise. Ce territoire de 1,5 million d'acres a été White», qui aurait été utilisé dans la région: très hostiles aux manifestantes sont venues s'excuser quelques semaines plus tard et ont même organisé des discussions entre les habitant-e-s de Romulus et les femmes du camp. Depuis la fermeture du camp, en septembre, le comté de Seneca a retrouvé son calme, mais le travail pour la paix continue. Un grand rassemblement était prévu pour la fin octobre, et certaines femmes vont demeurer sur la terre durant l'hiver. En attendant, des milliers de femmes sont retournées chez elles, plus fortes et plus motivées pour continuer la lutte contre la menace nucléaire.

EILEEN BOLONSKY Boston, septembre 1983

1 / Principal entrepôt de missiles Pershing II et de bombes a neutrons de la Côte Est. 2/ Prise de position du Camp des femmes pour un avenir de paix et de justice.

pour l'éviter? Croyez-vous aux négociations diplomatiques? Sinon, croyez-vous à la non-violence? avons mis temporairement nos divergences et nos réticences de côté pour mieux créer «une nouvelle forme d'expression politique». Le rituel comprenait trois parties et sym- bolisait la traversée de l'état d'impuissance et de peur, pour arriver à une «reprise de pouvoir» (empowerment) et à nos visions d'un monde meilleur. Ainsi, nous avons commencé par mettre «au feu» tous les symboles de la violence et de l'impuissance, parfois un manuel d'entraînement militaire, parfois un journal intime. Ensuite, nous avons nommé ce qui nous rendait plus fortes: l'amitié, la connaissance, le travail, le rire, l'action militante... Finalement, nous devions contribuer à la courtepointe du Nouveau Monde, une longue pièce de tissu où s'ajoutaient boucles d'oreille, plumes, fleurs, cocottes, poésie et, de la part des femmes indiennes, une ceinture perlée et le nom du territoire que nous oc- cupions: Kipichisichakanisik. Enfin, nous avons planté un Spiderwort, la plante du mouvement anti-nucléaire internationale (ses fleurs changent du bleu au rose lorsqu'il y a de la radiation dans l'air), en chantant: «We are the flow/We are the ebb/We are the weavers/We certains Autochtones auraient commencé à are the web»1 Une chanson que nous avons mourir de cancer; en outre, la population souvent entonnée, par exemple lors de la visite PINE GAP, AUSTRALIE amérindienne doit subir les attitudes racistes de la GRC, venue nous demander (en vain) nos des pilotes militaires. D'une façon générale, le noms et adresses. «Au cas où il faudrait aviser Un pas à la fois Testing Range, c'est pour elle la pauvreté et le vos familles», ont-ils dit. chômage, à moins de travailler dans les mines d'uranium avoisinantes. Pour nous toutes, Cole Bay fut une expé- rience marquante. Six femmes y sont restées Nous avons choisi cet endroit, dit l'une des 'inspirant de Greenham Common et pour assurer une présence permanente, pro- «campeuses», parce que nous pensions y solidaires des femmes qui luttent à testant ainsi contre le Cruise et contre toutes trouver plus de sympathie qu'à Cold Lake en travers le monde pour la paix et pour le les autres manifestations militaires. Toutes S Alberta (extrémité sud du Testing Range), où droit de vivre sans menaces de violence, un celles qui voudraient visiter le camp ou s'y vivent les militaires. Et, en (ait, l'appui des groupe de femmes australiennes créait, au joindre sont les bienvenues. Autochtones a été incroyable. D'abord, notre début de l'année dernière à Sydney, WOMEN'S terrain de camping nous a été prêté par l'un PATTY GIBSON ACTION AGAINST GLOBAL VIOLENCE. Peu d'entre eux; ensuite, beaucoup de femmes EMMA KIVISILD. de temps auparavant, la Coalition politique sont venues camper avec nous, elles nous ont Extrait d'un article paru des femmes avaient dénoncé le fait que les expliqué l'histoire de la région, nous ont dans K1NESIS, journal féministe deux partis politiques majeurs ignoraient montré comment faire le bannock (leur pain), de Vancouver, sept. 83. systématiquement les questions de paix et de fumer le poisson, cueillir les baies comestibles, désarmement. faire des mocassins. On nous a même donné 1 / «Nous sommes le flux, nous sommes le Le WAAGV allait plus loin le 11 novembre une roulotte pour nous aider à nous préparer reflux. dernier. Croyant qu'il est urgent pour les pour l'hiver... Nous sommes les tisserandes. nous som- mes le tissu » femmes de s'unir contre toutes formes de violence, en utilisant des moyens nouveaux, Traverser l'impuissance créateurs et non violents, le WAAGV mettait alors sur pied un camp de femmes pour la paix, Et le tout fut magique. En partie à cause du à proximité d'une base militaire à Pine Gap, en paysage mais surtout à cause du fait d'être Australie centrale. Et WAAGV affirme: « Women ensemble, là, à discuter, manger, dormir, moving together one step at a time, with each chanter et rire dans un espace créé par des step will grow stronger». femmes, au bord d'un champ à bombardements. À cause aussi du fait de prendre des mesures F.P. pour combattre le désespoir personnel et Tire de WOMANSPEAK, périodique politique qui fait partie de l'ère nucléaire. féministe australien, Pendant deux jours, il a été question de nos août-septembre 1983. peurs, de nos idéologies, de nos visions, du militarisme en passant par l'Amérique centrale 1/ «En avançant ensemble un pas a la fois, les et l'action non violente. Quand est venue femmes seront à chaque pas de plus en plus l'heure du rituel, nous étions prêtes; nous fortes»

Croyez-vous à d'autres stratégies pour les femmes pacifistes? S.V.P., répondez à La Vie en rose. FRANCE Un cas particulier

lors qu'à travers l'Europe de l'Ouest des milliers de Hollandais-es, A d'Allemand-e-s, de Britanniques et de Belges descendent dans la rue pour condamner la course aux armements et en particulier les euromissiles, la France socialiste demeure étrangement à part.

Il faut dire que la France n'est pas membre Europe), derniers-nés du mouvement pacifiste nos missiles nous les avons déjà. Ils ne sont de l'OTAN. La décision de déployer des européen. De passage à Paris l'été dernier. pas américains, ils sont français.» missiles américains de moyenne portée Carole Beaulieu y rencontrait Sylvie Montrant, Selon Sylvie Montrant, l'absence de mobi- (Cruise et Pershing II) ne la touche donc pas secrétaire du Conseil national du CODENE. lisation contre les euromissiles tiendrait aussi directement. Mais il faut dire aussi que la «Pour les Français, la capacité de défendre à un certain attentisme face aux élections France a ses propres armes nucléaires aux- leur intégrité territoriale est une question présidentielles. «Maintenant, de plus en plus quelles elle tient comme a la prunelle de ses d'identité nationale. Un sondage a encore de groupes sont forcés de constater que yeux, le Président François Mitterrand ayant montré récemment que la force de frappe l'arrivée en France d'un gouvernement so- avoue récemment: «La dissuasion c'est moi». française était une source de fierté pour les cialiste n'a pas conduit a des modifications Et puis, même la gauche a acclamé comme un Français. Dans ces conditions ce n'est pas sensibles de la politique de défense.» «acte de courage» la décision du Bundestag facile de mobiliser les gens sur une question (Parlement ouest-allemand), le 22 novembre de désarmement. Mauvaise presse dernier, de déployer les missiles Pershing. «A Camiso en Sicile, comme à Greenham Actuellement, une trentaine de groupes, C'est donc avec soulagement que les Common, ou comme en Belgique, en Hollande féministes, écologiques, étudiants, gauchistes, pacifistes français ont vu naître au cours de la et en Allemagne de l'Ouest, les gens se sont forment le CODENE, qui se veut un organisme dernière année une trentaine de CODENE rendu compte que c'était dans leurs villages de coordination et d'information «Les groupes (Comités pour le désarmement nucléaire en que les missiles allaient être installés. Nous, qui forment le CODENE sont très diversifiés

Croyez-vous à l'imminence d'un conflit nucléaire? Si oui, que ferez-vous pour l'éviter? mais nous sommes d'accord sur trois objectifs: un soutien aux mouvements pacifistes indé- pendants en Europe, la lutte contre le déploiement des Pershing et des Cruise de même que le démantèlement des missiles SS-20 soviétiques et la non-modernisation de la force de frappe française.» Le mouvement français, s'il n'a encore rien de la force du mouvement hollandais ou de cette véritable contestation d'un mode de vie qu'est devenu le mouvement ouest-allemand, a toutefois, selon Sylvie Montrant, un rôle important à jouer sur l'échiquier européen, particulièrement en cette année charnière avec le début du déploiement des missiles Cruise. «Parce que ses forces ne sont pas intégrées à celles de l'OTAN, parce qu'elle se dit indépendante de la politique des blocs, même si elle elle ne l'est pas, la France pourrait puer un rôle crucial dans l'établissement d'une Europe denucléarisée.» Mais la tâche n'est pas facile pour les CODENE, inlassablement accusés par la presse d'être à la solde des Soviétiques et parfois de la CIA. «Pourtant, nous condamnons aussi bien le déploiement des SS-20 que celui des missiles américains», de renchérir Sylvie Montrant. Et d'ajouter: «Dans ce sens, la réponse du Canada est très importante. Un refus serait une première victoire pour le mouvement. Il reste si peu de temps». Quelques mois plus tard, la décision canadienne est rendue et positive, les manifestations déferlent en Europe et la France est toujours un pays majoritairement favorable à la politique de dissuasion armée de ses dirigeants. C'était basé sur un concept appelé «guerre CAROLE BEAULIEU nucléaire limitée». On dirait qu'ils n'ont pas réussi à limiter pendant plus de 45 minutes! HOLLANDE Les soeurs amies

ays petit mais très peuplé (40 millions) hollandaise depuis son mariage avec un prince radical faisant valoir, justement, que «la bonne d'habitant-e-s, la Hollande est un espagnol. Ainsi, elle est devenue porte-parole volonté des femmes a jadis très bien su servir P maillon important du mouvement paci- non seulement du mouvement pour la paix le fascisme». fiste européen. II y avait un demi-million de hollandais mais des féministes pour la paix(!). Ainsi, les pacifistes hollandais-es ont de personnes dans les rues de La Haye pour Cela a pour effet de renforcer le mou- quoi s'encourager: outre la force du mouvement protester, le 22 octobre dernier, contre le vement des femmes pour la paix, déjà fort des femmes, il y a une probabilité que le déploiement des Pershing II en Hollande, important et autonome, et qui œuvre indépen- gouvernement actuel soit bientôt défait par un promis par l'actuel gouvernement (plutôt de damment du IKV (lnterchurch Peace Committe: des partis d'opposition (de gauche) qui, tous, droite). Et puis, il y a la reine Béatrice et sa regroupement oecuménique à l'origine du sont contre le déploiement des armes. sœur, la princesse Irène, depuis longtemps mouvement pacifiste hollandais). On y engagées pour la paix. Si Béatrice ne peut trop distingue un courant plus traditionnel, datant F.P. en dire ou en faire, a cause de son statut, Irène, de la Première guerre mondiale, «des femmes d'après une conversation téléphonique elle, a les coudées franches puisqu'elle ne fait qui se croient encore responsables du monde avec Marijke Rawie, plus officiellement partie de la monarchie entier», face a un courant féministe plus journaliste a Amsterdam

Croyez-vous aux négociations diplomatiques? Sinon, croyez-vous à la non-violence? Croyez-vous à ALLEMAGNE DE L'EST Le côté du Mur à l'ombre

n nombre croissant d'Allemands de l'Est s'opposent au déploie- U ment de missiles soviétiques à moyenne portée dans leur pays», révélait, en novembre dernier, Le Devoir. Manifestation à Leipzig, refus des ouvrier-e-s de faire circuler les pétitions du Parti en faveur du déploiement, appels au gouvernement de la part de groupes laïcs et religieux. Sabine Gruen1 a quitté récemment l'Allemagne de l'Est. Elle fait ici le point sur le rôle des femmes et la montée d'un mouvement pacifiste dans son pays.

Le 1er mai 1982, les autorités de la L'égalité socialiste effectuant, comme en Union Soviétique, des République Démocratique Allemande, la R.D.A., travaux de terrassement «L'Homme et la Femme sont égaux et ont rendent publique une nouvelle loi; à partir de dans tous les secteurs de la vie publique, Pourtant, même si tous les métiers leur maintenant, au cas où la situation l'exigerait, politique et privée les mêmes droits». C'est sont théoriquement ouverts et qu'un très les femmes sont susceptibles d'être rappelées écrit noir sur blanc dans la Constitution du grand nombre de femmes fréquentent l'uni- sous les drapeaux pour servir dans la N.V.A., pays. En R.D.A., 87% des femmes âgées entre versité et les écoles techniques, beaucoup l'Armée nationale populaire. Six semaines 16 et 60 ans ont un emploi, ce qui signifie la opteront pour les soi-disant métiers typique- plus tard, Les femmes pour la paix font leur moitié de la population. Toutes les adolescentes ment féminins de coiffeuses, vendeuses, apparition. En automne de la même année, le sont tenues d'apprendre un métier. Le principe jardinières d'enfants, professeures. Au cours groupe expédie au chef d'Etat, Erich Honecker, «à travail égal salaire égal» est judicieusement des premières années de la vie scolaire, une lettre concernant cette nouvelle loi, souli- appliqué, dixit une analyse faite par les l'enfant vit dans un monde exclusivement gnant la nécessité de procéder à un référendum Allemands de l'Ouest. féminin. Par la suite, les femmes continueront populaire sur la question. Les signatures De fait, une promenade dans les rues de à former la majorité du personnel enseignant. proviennent de Berlin-Est, de Dresde, de Halle. Berlin-Est suffit à convaincre quiconque de Responsables de la formation des généra- Ce sont en majorité des femmes appartenant l'omniprésence des femmes dans le monde du tions montantes, les femmes s'acquitteront de aux cercles de l'Église ou au milieu artistique. travail Personne ne s'étonne de retrouver une leur tâche sans grand enthousiasme et en femme au volant d'un autobus ou d'un tramway. maugréant; les élèves, comme partout, sont L'Allemagne de l'Est, on l'aura deviné, c'est Au lendemain de la guerre, alors que le pays souvent d'approche difficile. Outre leur travail, autrement plus complexe que les larges était en ruines et les hommes retenus à et en dépit du fait que pouponnières et jardins épaules des nageuses olympiques, qu'un mur l'étranger, les Allemandes ont entrepris seules d'enfants font partie depuis longtemps du surgi soudainement en 1961, que les récits la reconstruction du pays. L'une de mes amies, quotidien, elles ont le plus souvent la charge pathétiques d'évasion dignes de tous les menue et jolie, la vingtaine, travaille comme... des tâches ménagères et sont familières, n'en Steve McQueen d'Hollywood. Le mur a plus de mécano de locomotive! Cette infiltration a tout déplaise a la propagande, avec les errements vingt ans, toute une génération a grandi dans de même une limite. Ici, pas de femmes du système, files d'attentes, produits son ombre et le Parti socialiste unifié, «les chaussettes rouges» dans le langage populaire, a eu tout le loisir d'agir à sa guise sur la population, «pour la plus grande gloire du socialisme».

Les plans quinquennaux ont défilé, les crises et les slogans aussi; certains parlent de miracle économique est-allemand, et du plus haut niveau de vie de tout le bloc de l'Est. Il y a eu un rapprochement certain avec l'Allemagne de l'Ouest, l'expulsion en 1976 de Wolf Biermann, suivie d'une épuration de la scène artistique et culturelle. Il y a maintenant les retrouvailles avec le passé, la rénovation du centre de Berlin-est, la méfiance vis-à-vis la Pologne, la naissance du plus important mouvement pacifiste autonome d'Europe de l'Est, la militarisation accrue, certaines difficultés économiques. Et les femmes7

autres stratégies pour les femmes pacifistes? S.V.P., répondez à La Vie en rose. Croyez-vous à s'éclipsant périodiquement et sans avertissement du marché et augmentation des prix. La mort héroïque Pourtant, elles se contenteront d'acquies- cer aux réunions, réfugiées derrière leur second visage- l'officiel- bien en place, et transmet- tront avec zèle et stupidité les instructions venues d'en haut, même si celles-ci sont en complète contradiction avec les idéaux de ceux qui, il y a 100 ans, rêvèrent le socia- lisme. Ainsi l'enfant peut apprendre à l'école que «le combat pour la mainmise sur le cerveau de l'homme est le champ de bataille déterminant pour le futur», «qu'une guerre pour la protection de la patrie socialiste peut être belle», de même que «la mort héroïque au front». Au primaire, les classes parrainent un soldat, lui envoient lettres et cadeaux. Par la suite, visites aux troupes en manœuvres, venue de Punks ou pacifistes La brique angulaire soldats à l'école, cours de formation militaire Monika Maron, écrivaine de Berlin-Est, Aux prises avec certaines contradictions obligatoires pour tous à l'âge de 15 et 16 ans compare, dans un livre à thème écologique internes- la R.D.A. soigne toujours son image et affiliation à des mouvements de |eunesse paru à l'Ouest, la psyché du citoyen est- d'alliée à la Paix, socialisme oblige-le régime para-militaires forment la trame d'un scénario allemand devant se plier quotidiennement aux a de la difficulté à réprimer les pacifistes qui conduira au service militaire obligatoire exigences du régime à une voiture qui roulerait récalcitrants. Ce qui ne l'empêche pas de faire (18 mois) pour les garçons. Un continuum avec le frein à main constamment appliqué. Au sentir parfois brutalement sa présence menant du jeu à la réalité, imaginé par les cours des dernières années, plusieurs, surtout A travers tout le pays, les signataires de la hommes et supervisé par les femmes. des jeunes, n'en pouvant plus, se sont mis à lettre à Honecker furent convoquées à des En R.D.A., deux choses étonnent. La pre- desserrer le frein. Ce qui donne aujourd'hui à la entrevues avec la Sécurité d'État. On y alla par mière est que le peuple ne se soulève pas fois une jeunesse tentée par l'alternative, l'intimidation et la menace pour pousser les contre la chape de plomb du système, gobe la sombrant parfois dans la mentalité «NO femmes à reprendre leurs signatures. «Ce que propagande, se laisser diriger, censurer, pro- FUTURE» (il y a des punks dans les centre- vous tentez de faire n'a pas de sens. Des grammer, surveiller, isoler et enrégimenter par villes grisâtres de Berlin-Est ou de Leipzig) et femmes comme vous, on n'en veut ni à l'Est ni le pouvoir bureaucratique. La seconde, une le mouvement autonome pour la paix. à l'Ouest». Et la peintre Baerbel Bohley, fois admis l'immense attrait pour la majorité, Comment ce mouvement a-t-il pu se directrice de l'Association des artistes-peintres, assurée du minimum, de se plier et de vivre développer dans un pays où le militarisme fait perdra son poste. tranquillement, hypnotisée par le «confort et figure d'évangile? L'exemple des pacifistes Derrière cette démonstration de force, se l'indifférence» est le fait qu'il puisse exister un ouest-allemands y a certainement été pour cache la réalité; les bonzes du Parti ont une mouvement contestataire important dans un beaucoup. Mais c'est le mépris des jeunes peur bleue de toute action autonome des pays peu enclin à la tolérance des «déviants». pour la vie petite-bourgeoise et arriviste de citoyens qui pourraient rogner une part de leur leurs parents (plusieurs punks est-allemands absolutisme, et desceller la brique qui entraî- sont fils ou filles de membres haut placés du nerait tout l'édifice. Parti), l'opposition de l'Église évangélique à la Pour ce qui est de l'égalité des sexes en militarisation (elle fournira le refuge ou les R.D.A., il est intéressant de noter qu'au cours jeunes pourront se regrouper et s'exprimer) et de leur guerre psychologique contre les l'engagement de certain-e-s écrivain-e-s et Femmes pour la paix, les membres de la chanteur-euse-s qui auront permis au Sécurité d'État se permirent d'aller rencontrer, mouvement de naître et de croître. Même si d'homme à homme, les maris des signataires: elles étaient déjà présentes a tous ces niveaux, «Dites, vous ne pourriez pas faire un peu plus ce n'est qu'en 1982, avec Les femmes pour la attention a votre femme?». paix, que les femmes firent leur apparition en tant que groupe sur la scène du pacifisme SABINE GRUEN est-allemand.

l'imminence d'un conflit nucléaire? Si oui, que ferez-vous pour l'éviter? Croyez-vous aux A PRAGUE ET AILLEURS L'Internationale pacifiste des femmes

es dernières années, plusieurs rencontres internationales eurent C lieu à l'Est comme à l'Ouest, quelques-unes essentiellement entre femmes. Quels que soient les enjeux politiques immédiats de semblables manifestations - et la récupération qu'en font les dirigeants politiques nationaux - il reste qu'une volonté commune s'exprimait là, de la part de femmes militant souvent aux premiers rangs des mouvements pour la paix. Malgré le fait que toutes ces femmes appartiennent à des systèmes sociaux diffé- Rencontres des femmes dans le monde en catastrophe nucléaire. Elles ont aussi déploré rents, elles ont compris qu'elles avaient plus faveur de la paix l'escalade de la course aux armements qui les d'intérêts en commun que de divergences et - Conférence internationale des organisations prive ainsi des services sociaux - condition qu'elles avaient tout à gagner en agissant non gouvernementales sur le désarmement indispensable à leur égalité sociale - du droit ensemble. et contre la bombe à neutrons (Genève, au travail et même du droit à se nourrir Suivant l'exemple de la marche des fem- février 78) convenablement. mes Scandinaves de Stockholm à Moscou - Séminaire international «Les femmes pour Plusieurs intervenantes ont mentionné le pendant l'été 82, on proposa une marche des le désarmement» (Vienne, avril 78) rôle néfaste de nos médias d'information qui femmes d'Oslo à Washington (accomplie le -Table ronde de Copenhague «Lutte des d'une part prônent la violence et qui d'autre 27 août 83). femmes pour la paix, le désarmement et la part taisent et même souvent biaisent les Le YWCA International offrit une «cham- détente, contre la bombe à neutrons, pour informations sur l'histoire de la course aux bre de paix» dans chacun de ses centres. l'interdiction de l'arme nucléaire et autres armements, la parité des forces, les enjeux Finalement, les participantes proposèrent types d'armes d'extermination massive». des guerres, la mobilisation des peuples pour que l'on continue de célébrer le 25 octobre (Copenhague, mai 79) la paix, etc. comme «Journée internationale des femmes - Conférence mondiale de la Décennie des Les femmes ont surtout souligné la néces- pour la paix», marquant ainsi notre contribution Nations-Unies pour la femme et du Forum sité d'une éducation à la paix, basée sur la à la Semaine mondiale sur le désarmement des organisations non gouvernementales solidarité entre les peuples et non sur le qui a lieu à la fin de tous les mois d'octobre. (Copenhague, juillet 80) racisme, sur le dialogue et non sur la violence LORRAINE JOBIN, -Table ronde des femmes au Parlement pour régler les conflits. de la Ligue des femmes mondial des peuples pour la paix (Sofia, septembre 80) - Congrès mondial des femmes «Égalité, indépendance nationale et paix» (Prague, LA RECONVERSION NUCLEAIRE octobre 81) -Assemblée générale de l'ONU «Déclaration Ces emplois qui sautent sur la participation des femmes à la promo- tion de la paix et de la coopération interna- tionale» (décembre 83) - Atelier des femmes à l'Assemblée mondiale epuis 1960, des études de plus en comprenant 17 usines et 18 000 employé-e-s. pour la paix et la vie, contre la guerre plus nombreuses démontrent que la Affrontant de 1970 à 1974 des mises à pied nucléaire (Prague, juin 83). D production militaire n'est pas la meil- massives, les travailleurs et travailleuses ont leure façon de combattre le chômage. Ainsi, propose à la direction jusqu'à 150 produits Compte-rendu de l'atelier des femmes de chaque milliard de dollars dépensé dans le alternatifs: recherches océanographiques, ma- l'assemblée mondiale pour la paix et la vie. secteur militaire entraînerait la création de chines de télécommande, systèmes de trans- contre la guerre nuclaire (Prague). 9 000 emplois, s'il était investi dans le secteur port, dispositifs de freinage, sources d'énergie 200 à 300 femmes de plus d'une centaine privé, et de 35 000 emplois si l'investissement alternative, équipement médical, etc. de pays ont proclamé leur soutien au gel et au était fait dans le secteur public. Bien que la compagnie n'ait pas voulu non-déploiement des missiles de moyenne C'est pourquoi un mouvement pour la appliquer ce plan, elle a dû tenir compte de la portée en Europe ainsi que de toutes nouvel- «reconversion» de la production militaire - grande combativité des ouvrier-e-s et limiter les armes. Elles ont surtout exprimé leur peur impliquant le transfert d'expertise, de produc- les mises à pied. De plus, l'impact de cette face au danger que présente la course aux tion, de machinerie et de ressources militaires démarche a rapidement inspiré d'autres syn- armements. à des fins socialement utiles - est en train de dicats en Angleterre et ailleurs dans le monde, se créer un peu partout en Occident. Le Les femmes du Moyen-Orient, de l'Améri- comme la SAAB en Suède. meilleur exemple est sans doute celui du que latine et d'Afrique ont dénoncé les foyers Tiré de «Les usines d'armements complexe aérospatial Lucas en Angleterre, de tension comme pouvant être le cœur d'une au Québec ou des emplois pour la paix?»

négociations diplomatiques? Sinon, croyez-vous à la non-violence?l Croyez-vous à d'autres stratégies pour

... GAGA Le guépard pour sa part portait une guêpière Sa guenon guérisseuse grommelait dans sa gamelle en guerre contre une guêpe Dans sa guérite elle l'avait attirée Et la guêpe gueulait guerrière, et son aiguillon la guidait vers un guéridon, vers un verre de gueuze où elle se noya à l'abandon

Guerre glaucomateuse sur la glissante Guerre de glacier dans sa gaine serrée. Il fait la guerre à une guérilla de guérilleros et guérilleras passant à gué en guenilles et atteignant d'autres guérets délaissés par des guépards et des guenons guère mieux guéris que les guêpes qui font le guet et les conduiront demain dans un nouveau guet-apens Grande gueule de guerre. La gueulante n'est guère guerroyante La peur la guêtre. Dans la guérite, sur un guéridon au dessus de grès, un verre de mer glauque. La guerrière pousse un gueulement génétique et géant Les gueules-de-loup sont mortes de la guerre De la guerre d'ogives En croisée d'ogives comme à l'église quand on croyait encore qu'elle pouvait guider nos yeux gueux vers le gui aguichant. Le guide-âme était mensonger. La guichetière, elle, avait été guérie Ses guiches formaient un guibre qui I'éloignait vers des espaces sans guerre Ni gladiateur ni guerrier Gueule de bois De cette guerre sans pardon Sans guérite ni guidon. J'ai laissé mon vélo au métro un soir de guerre De guerre amoureuse glaucomateuse et glissante Evasive et glapissante. Sans raffinement Comme des guenons dégainées que des guêpes guerroient et grippent infatigablement. Le lendemain, le vélo volé tel une flèche sans poisson ailé, s'enfonçait en d'autre espace de guerre mené par des gladiateurs guerriers Petite guerre Grande guerre. Le guide-âme était mensonger, guerroyant guerrier. Et je n'ai pas guéri le guéridon bancal II boite encore Je le regarde Guette le guêpier guetteur qui ouvrira sa grande gueule et gobera l'enfant mort de n'être pas né d'une guerre trop guerrière

Guère de moment sans guerre De guerre d'homme De mémoire de femme LES PLUIES ACIDES UN PROBLEME CORROSIF ussi étrange que cela puisse paraître, les pluies acides n'affectent pas seulement l'environne- Le public Ament. Cette pollution transfrontalière causée par détient la clé les émissions de dioxydes de soufre (SO2) et d'oxy- Depuis mars 83, le public attend de des d'azote (NO ) qui se mêlent aux nuages pour connaître la suite de l'histoire. Le (petit) X ministre de l'Environnement du Qué- retomber en acides dilués à des milliers de kilo- bec, Adrien Ouellette, se laissera-t-il mètres de leurs points d'émission, a aussi un effet intimider par la (grosse) vilaine multi- corrosif sur les relations canado-américaines. nationale polluante ? Les gouverne- ments fédéral et provincial mettront-ils Des études de plus en plus nom- et économiquement de contrôler les en commun les gros sous (environ $80 breuses démontrent que la plupart des émissions de centaines de petites cen- millions) pour payer l'usine d'acide sul- espèces très recherchées de poissons trales thermiques, toutes actionnées au furique dont Mines Canada refuse d'as- (particulièrement les salmonidés) sont charbon riche en soufre dont sent si ri- sumer les frais, mettant ainsi au rancart extrêmement sensibles à l'acidification ches les États du Mid-West. Le lobby des le principe du pollueur-payeur dont graduelle de leurs milieux: les lacs et compagnies charbonnières ne passe Environnement Canada s'était fait le les rivières. On est de plus en plus pas pour une bande de ballerines : il s'a- chantre? certain-e-s que la croissance des arbres git pour eux de diminuer la dépendance Aussi bizarre que cela puisse paraître, est affectée par l'acidification des sols. des Etats-Unis envers le pétrole du c'est le public qui détient la clé de De plus, il est clair que les précipita- Moyen-Orient. Ainsi pris en sandwich cette énigme. En effet, la population a tions acides grugent les bâtiments. entre Trudeau et l'ayatollah Khomeiny, un rôle à jouer dans cette pièce maca- Sans aucun sens de l'histoire avec un les Américains ne se montrent pas bre et ce rôle n'est pas mince. C'est le grand H, elles s'attaquent aussi allègre- pressés de donner satisfaction au rôle du ténor. Notre seule chance de ment au parlement d'Ottawa qu'à la Canada. sortir de l'impasse autant au niveau des statue de Frontenac à Québec ou au Comparativement, il serait plus facile négociations avec les Américains Lincoln Mémorial à Washington. Bref, pour le Québec, par exemple, de faire qu'au niveau de nos propres responsa- c'est un fléau qui n'épargne personne sa part du 5( 6 de réduction des émis- bilités, c'est d'exercer des pressions et surtout pas le Québec. sions canadiennes de SO2, tel que le sur nos gouvernements, de parler haut ministre fédéral de l'Environnement, M. et fort. Le Québec Caccia, le propose. Il suffirait au Qué- Pour commencer, je propose que bec d'obliger son principal pollueur, la chaque lectrice de La Vie en rose écri- en première ligne compagnie Mines Noranda à Rouyn, à ve une lettre à Adrien Ouellette, pour lui Trois études réalisées par Pêches et réduire ses émissions de 40%. Une proposer sa recette favorite de remon- Océans Canada1 révèlent que la moitié ordonnance émise par le gouverne- tant. Le pauvre va en avoir besoin pour des lacs du Québec sont en voie d'acidi- ment du Québec en février 1982 «obli- continuer à faire face aux négociateurs fication. Les régions les plus touchées geait» la compagnie Mines Noranda à récalcitrants de la compagnie Mines sont : l'Outaouais, la Côte Nord et le remettre des plans et devis d'une usine Noranda, car ces derniers fonctionnent territoire qui s'étend de l'Abitibi à la sulfurique ou à utiliser un procédé mis au super-carburant : la soif du profit. Baie James. Toujours selon ces études, au point par la Société nationale d'ami- Écrire à Adrien : 30% des lacs inventoriés étaient jugés ante (SNA) pour réduire ses émissions M. Adrien Ouellette «peu affectés mais en période de perte de 40% d'ici 1985! La compagnie Ministre de l'Environnement du Québec de pouvoir tampon», ce qui signifie que s'empressa de choisir l'expérimenta- 2360, chemin Sainte-Foy leur capacité de contrebalancer l'aci- tion du procédé SNA, expérimentation Sainte-Foy, Québec dité des précipitations est en baisse. La qui lui laissait une porte de sortie facile, G1V 4H2 perte du pouvoir tampon est le chemin car une expérience peut toujours échouer, n'est-ce pas? Comme par qui mène à l'acidification, lentement MAGALI MARC mais sûrement. hasard, c'est bel et bien ce qui arriva. C'est ainsi que l'on apprit en mars 83 Cependant, quoiqu'on puisse prévoir que Mines Noranda rejetait le procédé 1 / Louis-Gilles Francoeur, «Les pluies acides que les revenus engendrés par l'indus- SNA jugé peu rentable. au Québec», in Le Devoir, 22 et 23 juin 1983. trie de la pêche sportive et l'industrie touristique seront sévèrement touchés au Québec (en 1980, les sportifs qué- bécois dépensaient plus de 300 mil- lions à la pêche) comme au Canada, nous sommes loin d'être les victimes innocentes que nous aimerions paraî- tre. En effet, les émissions de dioxydes de soufre (SO2) de l'INCO à Sudbury (Ontario) représentent à elles seules 1% de toutes les émissions en Améri- que du Nord. Quant à Mines Noranda à Rouyn (Québec), ses 566 000 tonnes de SO2 rejetées annuellement repré- sentent plus de 50% de toutes les émissions de SO2 au Québec. Il est notoire que per capita, le Canada pro- duit plus d'émissions polluantes que les États-Unis. De plus, pour nos voisins du Sud, il est plus difficile politiquement journal intime et politique

Conte de fée à la Grenade

Aujourd'hui, 25 octobre, il fait très Reagan a décide qu'il fallait enva- allait permettre de refaire l'image de force beau. C'est l'automne, bien sûr, hir la Grenade pour éviter que des hommes de Reagan et de l'armée américaine aux mais le bel automne. L'enfant ne soient tués ailleurs ou pour se venger yeux de la nation du même nom. Cet n'est pas encore né. J'accompagne sa d'avoir perdu des hommes a Beyrouth. «analyste politique» semblait tellement mère qui doit sortir. Et comme elle a la On ne sait pas très bien. fier et excité de nous faire part de sa bril- fâcheuse habitude de débouler les esca- lante analyse qu'il aura probablement liers, vaut mieux être là, tout près. Elle ne oublié de dire que tout cela était bien voit plus ou elle met les pieds. Elle horrible. n'arrive pas non plus a se pencher et on 26 octobre «Le monde n'a pas tardé à réagir». doit lui attacher ses «running shoes». Tout le monde a sa petite idée sur cette Dans ces occasions, il faut trouver quel- C'est ce qu'elle porte depuis la dernière intervention des Américains à la Grenade. que chose à dire. Le pape a exprimé son fois qu'elle a déboule l'escalier au lieu de L'univers de l'information s'agite. L'heure angoisse, l'Allemagne de l'Ouest, son le descendre. Elle dit qu'elle risque moins est à l'analyse. Des «observateurs de la regret, le Danemark, son scepticisme et de glisser. Elle est prudente. Elle a bien scène internationale» pensent qu'elle se la Turquie, son inquiétude. Pendant que raison. L'enfant est attendu depuis une préparait depuis un certain temps. D'au- l'Egypte approuvait l'intervention, que le semaine. Sa «médecine», qu'elle consulte tres de la même espèce croient plutôt Japon en comprenait les motifs et que la aujourd'hui, dit que ce sera pour très bien- qu'elle a été provoquée par l'attentat de Corée du Sud la jugeait inévitable, le tôt. Elle est contente, riante, de bonne Beyrouth. Ce serait une sorte de vengean- gouvernement britannique, lui, la regret- humeur. Moi, j'ai un peu peur. C'est ainsi, ce, de démonstration de pouvoir et de tait mais souhaitait qu'elle réussisse. toujours, quand une femme attend un puissance. Reagan aurait voulu montrer Mieux vaut une histoire qui finit bien. enfant. qu'il était capable de réagir et qu'on ne lui Certains représentants du «monde libre», Elle a bien pensé une fois ou deux déjà marchait pas sur les pieds impunément. je ne me souviens plus lesquels, ont qu'il se déciderait a naître. Mais il hésite. Les analystes semblent trouver cela nor- regrette l'intervention mais souhaitaient Il faut croire que le contexte ne lui semble mal. Ça fait partie du jeu. plus d'informations «de la part des États- pas favorable. La terre a tremble il n'y a J'entendais quelqu'un à la radio au- Unis» (sic) avant d'adopter une position pas très longtemps, on a tue des hommes jourd'hui expliquer que l'intervention a la ferme. On ne réagit pas a tort et à travers. dimanche a Beyrouth et encore aujourd'hui Grenade arrivait juste a point parce qu'elle C'est rassurant. 27 octobre pires ennemis de l'humanité). L'île est en mais pas de Cubains. voie de devenir une sorte de pays produc- Il y a bien eu aussi quelques tirs «mal Tu t'es enfin décidé. Voyant que le teur-exportateur de terreur. Puis, un jour, dirigés» qui sont tombés sur un hôpital contexte favorable n'allait jamais venir, Bishop tente de se rapprocher des États- psychiatrique. Reagan s'en est excuse. Des tu es né cette nuit. Ça ne s'est pas fait sans Unis. Peut-être pour partager avec eux un morts, bien sûr. Je ne sais pas combien. Des douleur, sans une certaine violence. C'est peu de son soleil ? On ne sait pas. On ne blesses, des prisonniers, des révélations. Et normal. On n'a pas encore invente l'ac- saura jamais parce qu'un «groupe de toujours des analyses. couchement sans douleur. Tout comme voyous gauchistes et brutaux» l'ont Pendant ce temps, le Congrès se pré- on n'a pas encore invente la paix. La assassiné. Ils ne voulaient pas, eux, que le occupait de la durée de la présence des guerre et la naissance sont des phénomè- soleil réchauffe les Américains. Heureu- troupes américaines a la Grenade. Il y a un nes naturels, comme les tremblements de sement. Reagan veillait. Il décide d'enva- règlement là-dessus : pas plus de soixante terre. Certains disent qu'il faut faire la hir l'île pour empêcher que ne se répande jours. Alors on a suggéré de former une guerre pour prévenir la guerre. On dit davantage la terreur et qu'elle n'atteigne «force multinationale du Commonwealth aussi qu'il faut souffrir pour être beau (on son beau pays (une sorte de paradis aussi, pour le maintien de la paix» à la Grenade. dit plus couramment «pour être belle», mais beaucoup plus gros). Ce n'est qu'ainsi Thatcher ne semble pas intéressée. Ses mais ça, c'est une autre histoire. On te la que les habitants de l'île pourront enfin hommes sont trop occupes aux Malouines. racontera sûrement). retrouver la paix et le bonheur. en Irlande du Nord et au Liban. Alors on ne Mais tu es là maintenant, avec tous tes On dit que la nation a été bien contente sait plus très bien de quelle nature sera la morceaux. Ta mère aussi. Et je n'ai plus d'entendre cette histoire. Moi. elle ne me force, mais elle y sera et peut-être pour peur. Ou plutôt si. J'ai encore peur. De plaît pas. Pour tout te dire, elle me fait peur longtemps. On a cessé d'en parler. Et Reagan. Aujourd'hui, il s'est «adressé a la et je ne vois pas pourquoi je te la raconte. l'attention s'est tournée de nouveau vers le nation». Il lui a raconté une histoire triste, Les contes de fées, c'est bon pour les Liban, là ou la guerre s'éternise. une sorte de conte de fées où il est nations, pas pour les enfants. 4 novembre question d'une île charmante, un genre de paradis terrestre. Toutes et tous y vivaient Les jours suivants Ce n'est plus le bel automne. Il fait froid. paisiblement en toute indépendance, en II y a des guerres qui durent. D'autres Quelque chose tombe du ciel. Ça hésite toute liberté, sous un merveilleux soleil pas. Tout est «rentré dans l'ordre» à la entre la neige et l'eau. Ça gelé, dégèle, qui les réchauffait. Mais voilà qu'un jour, Grenade. Au début de l'intervention, l'en- regèle. Le vent s'en mêle violemment et ça un groupe de «barbudos» (sorte d'hom- vahisseur a parlé de centaines de soldats n'arrange rien. Il est tard. Je rends visite à mes, Reagan n'en est pas sûr. ainsi nom- cubains qui résistaient farouchement Quel- l'enfant. Je voudrais le prévenir, le rassurer, més parce qu'ils portaient la barbe à la ques jours plus tard, ces «soldats» se sont devancer les contes de fées. Peut-être lui cubaine) renversent le gouvernement et révélés être des travailleurs de la construc- raconter quelque chose. Je ne sais pas. Il s'emparent du pouvoir. Leur chef, Maurice tion. On se sera mépris. Peut-être portaient- repose, bien au chaud. Il hésite entre la faim Bishop, est un protégé de Fidel Castro ils la barbe... Toujours est-il qu'on les a et le sommeil. Sa tète est douce. J'y glisse (autre barbu qui a déjà installe la terreur renvoyés chez eux. Puis, les Américains mes lèvres, douces aussi. Il dort. Je ne dis dans un autre paradis ). C'est le début d'un ont fait un saut à Carriacou toujours en rien. Je ferme les yeux. Nos douceurs se affreux cauchemar pour les habitants de quête de Cubains. Ils y ont trouvé des armes confondent. II n'y aura pas d'histoire. l'île. Les «barbudos» ouvrent toute grande et des dollars US qui «devaient servir à des la porte aux Cubains et aux Russes (les opérations de sabotage et de propagande». MARIE SABOURIN

e te cherche Rock. devant cet homme fou de douleur, devant cet homme à Je te cherche parce que j'ai égaré ma précieuse petite jamais ridiculisé, je me suis mise à lui expliquer, au travers Jperle bleue du Japon quelque part sur la rue Napoléon hurlements et larmes, que je faisais de l'équitation depuis ou Mentana, je ne me souviens même pas. l'âge de douze ans, que c'était un sport violent pour les jeunes Et tout d'un coup je me surprends à dire : filles en pleine croissance et que, peut-être en galopant ou en Rock qui ? Rock quoi ? Qui Rock ? trottant j'avais à jamais égaré sous un chêne ou sous une Rock is a name- is a boy- is a man - is a punk - is a rock-is épinette le précieux mobile de sa grandiose colère. a tough - is a rock - is a rose. Rien n'y fit. Mais maintenant je ne fais pratiquement pas de bruit en Alors ce qui s'est passé ensuite, ça Rock, je ne l'ai jamais empruntant le long corridor recouvert d'une épaisse moquet- oublié. te couleur de jade. Mon sari-fuseau m'empaillette solidement Tout les deux nus comme des vers, dans ce décor de métal et la longueur de cette robe qui me bat les chevilles me force et de nourriture à chèvre, le monsieur m'a alors pincé violem- à avancer à foulées avares comme le font les geishas. En face ment le sein droit et m'a dit : des portes de l'ascenseur j'aperçois mon pâle reflet jauni par «Écoute tite vache pis tite menteuse... j'vais te la faire payer le miroitement du zinc. Quand j'appuie sur le bouton pour cher ta farce platte... Envoyé! Envoyé!... Récite-moi appeler l'élévateur je regarde toujours au-dessus du linteau l'alphabet! de la porte pour voir débouler les chiffres et habituellement, Je ne me suis pas vue à ce moment-là, mais je suis certaine quand j'ai d'ordinaire la tête dans cette position, je ne pense à que je devais être pâle comme l'ivoire ! L'odieux personnage ! rien. Mais aujourd'hui je sers fortement le pli que je tiens entre Quel monstre et quel goujat ! Venir chercher en moi toute mes mains et je me dis que tu seras heureux de pouvoir me lire cette pudeur dissimulée et me forcer à la lui cracher au en différé et moi doublement contente parce que je pourrai visage ! Je n'entendais plus rien, hormis une cascade de t'expliquer longuement ce que je pense de toi quand tu me dis jurons qu'il me déclamait à l'oreille. Moi je ne voulais pas que je suis vulgaire. réciter l'alphabet. Puis pourtant au travers cette réquisition À l'intérieur de la cage métallique de l'ascenseur qui de haine c'était comme la voix du Bon Dieu qui disait : m'emmène au rez-de-chaussée, quand les portes foncent «Allons, allons ma petite chouette, fais pas la folle comme lentement l'une vers l'autre, j'imagine alors le très beau sainte Thérèse, faut pas mourir pour avoir dit non !» spectacle d'une confrontation de boucs de zinc au sommet Alors je le lui ai lancé au visage son alphabet, en hésitant d'une montagne. bien un peu entre le P et le R, mais je le lui ai récité quand Moi vulgaire ?.. même, à plusieurs reprises, pour qu'il me laisse tranquille. e vais d'emblée te dire une chose. Ledit monsieur m'inondait de sa semence à toutes les fois que Quand j'étais petite je bégayais terriblement, j'ai passé je criais haut cette lettre sale. Enfin. Chacun ses fantasmes. Jdes mois dans des bureaux de spécialistes qui essayaient Chez certains hommes c'est le fouet et chez d'autres, le bas de en grand désespoir de cause de me faire dire «pa-ta-te» rien soie ou de résille, mais chez lui c'était l'alphabet... la lettre que d'un coup et quand je suis entrée à la petite école et qu'on maudite... m'a forcée à réciter l'alphabet j'ai alors mis sur le compte du Je me suis enfuie en courant, sachant fort bien que quelque bégaiement mon impossibilité à dire à haute voix la lettre qui chose de précieux venait de se briser en moi, à jamais. se trouve entre le P et le R. Alors moi vulgaire... Bon sang Rock, toi qui oses me dire que je suis vulgaire... J'étais morte de timidité rien qu'à l'idée de dire cette lettre maudite. Je me mettais à hoqueter de manière alarmante, je algré cette mémorable aventure, j'ai découvert par la devenais rouge rouge et plutôt que de me voir éclater comme suite que j'étais une femme foncièrement passion- une grenouille que l'on force à fumer, parents et titulaires Mnée. Passionnée. n'ont plus jamais insisté pour me faire dire cette lettre sale. J'ai Mon cher Rock, j'adore les mots, les mots couverts, vieilli comme ça, en mentant, par simple pudeur. l'écriture matraquante et coulante, la rose et la bleue, les Le premier homme de ma vie à deviner que j'étais beaux mots noirs rares comme des perles, les mots qui menteuse fut, je ne sais par quel mystérieux hasard, mon s'étiolent et prennent d'assaut la page blanche, le biais de premier amant. Nos premières étreintes furent d'une violence l'écriture qui sert aux explications et aux discours latents. passionnée et historique. A seize ans j'allais devenir la «Prima Je suis franche et j'ai aussi une sainte horreur des parades Donna» du grand Montréal en m'offrant à cet homme beau et grotesques. Alors Rock, ta vulgarité, je me la mets là où les fort. Lui, éperdument amoureux de mon beau grand corps, poules ont l'oeuf. avait demandé la cruciale question que les hommes posent Est-ce que tu continues de me lire ? souvent à une jeune fille candide. Lui, heureux de s'entendre C'est une lettre zen, tu sais bien ce que c'est qu'une lettre dire qu'il allait pouvoir s'ébattre en terrain vierge, et moi nous zen ? Ce sont des mots qui coulent, c'est une lettre avec des nous sommes allongés au milieu de ce champ que j'aurais ratures et des fautes d'orthographe, des mots dans l'immé- voulu voir tapissé de blé et d'anémones plutôt que de caps de diateté. roues rouillés et de chardons hyper-piquants qui me dévo- Je ne voudrais surtout pas te blesser en te disant que je n'ai raient la colonne. Mais tu sais bien comme on peut s'imaginer pas vraiment été séduite par ton regard magnifique, ni non un décor de rêve quand on est amoureux ! Or donc, je plus par ton torse superbe. Ce n'est qu'un tout petit détail décidai royalement de faire fi de cette couche peu romanes- chez toi qui m'a attirée, la petite griffe que tu portes au repli du que et très inconfortable. Enfin. bras, ta merveilleuse empreinte yin/yang. c'est cela qui m'a Ledit monsieur, recouvrant tout entier ma jeune personne, séduite, plus encore que ta remarquable personne. (il était grand et fort, le rêve californien quoi, ahhhhhhhhh !...) Il faut être fou pour s'obstiner à ne pas vouloir comprendre me tenant solidement les flancs, m'enfonçait lentement l'immense fascination que j'ai eue pour l'homme tatoué. espérant entendre le son de ma juvénile résistance. Mais il n'entendit rien. 'été dernier je suis devenue la femme yin dans l'air Il est alors devenu fou de colère. Ouvrant les yeux qu'il avait lourd de la ville. Mon jumeau m'avait abandonnée et jusqu'alors gardés résolument clos, son regard est passé du L il ne devenait plus mon homme permis. J'étais disper- bleu au vert, du rouge veineux à l'écarlate absolu et avant de sée, égarée au centre d'une aura beaucoup trop grande pour m'administrer une gifle mémorable il a hurlé à mon tympan moi. Mon éparpillement semblait s'étendre à la grandeur de la un très sonore «menteuse !» Ne pensant qu'à ma survie (... suite à la page 67) FORUM ÉCONOMIQUE DU CSF 1 200 économistes au Forum

I est plus de 17 heures. Pourtant, 1 200 femmes qui correspondait le plus à leurs atten- de tous les coins du Québec venues au forum Les tes, souvent plus personnelles que col- I lectives ou sociales. Il n'en demeure femmes, une force économique insoupçonnée, pas moins que les ateliers et les plé- organisé sous l'égide du Conseil du statut de la nières ont permis de reformuler cer- 1 tains de nos problèmes collectifs. Par femme, sont encore là, debout après deux jours de exemple le fait que 86% d'entre nous se discussions,, à ovationner longuement et chaleu- retrouveront seules à un moment don- reusement Evelyne Tardy, celle qui a défié avec un né en vieillissant, comme nous l'a appris Francine Harel-Giasson. Un fo- humour cinglant notre «Grand Argentier»... «Mais rum, si important soit-il, ne brise pas ce qu'on veut, M. Parizeau, c'est être Premier mi- d'un coup l'isolement chronique des nistre... Les femmes ont de l'imagination, ça vous femmes malgré le mouvement de soli- manque à vous, les hommes...» darité spontanée qu'il peut susciter. Solidarité spontanée, oui, quant aux constats, mais l'unification des straté- gies reste pour le moment au stade des Pourtant, ce n'est pas elle qui fera la première canadienne, a-t-elle réellement balbutiements. Car notre isolement, en manchette des quotidiens du matin, jeté des bases de calcul nouvelles pour termes de cheminements, de préoccu- mais le mari d'Alice Polanska. À peine a- évaluer, par le concept de production pations, d'occupations et de discours a t-on relevé que ce dernier avait perdu sociale, l'apport économique des fem- été mis en relief à travers les 25 ate- sa contenance habituelle. Rouge «com- mes dans la société? N'a-t-elle pas en liers. S'affirmer, oui, mais de là à déter- me une tomate», il a dû faire face à une même temps démontré l'ampleur du miner collectivement l'action à entre- salle pleine à craquer qui est restée fossé qui nous sépare des détenteurs prendre pour arriver aux solutions, il y a froide et sceptique devant la personni- du pouvoir? une marge. fication (ou l'illusion ?) du pouvoir éco- L'apport nouveau des femmes cadres nomique qui nous gouverne. Non, M. et professionnelles a permis des échan- Parizeau n'a pas fait le poids, et ses Solidarité spontanée ges intéressants. Toutefois, il a fait res- tentatives pour rendre les femmes sortir des différences fondamentales «plus réalistes» sont restées vaines. Ceci dit, celles qui s'attendaient à de de motivation, comme en témoigne ce Moi qui, après un séjour de deux ans à spectaculaires consensus ont dû être commentaire d'une ingénieure d'Hydro- l'extérieur du Québec, croyais que ce déçues. Ce n'était d'ailleurs pas le but Québec. Elle est venue au forum pour forum serait empreint de morosité et af- du CSF, conscient de la diversité, voire échanger avec d'autres professionnel- fecté par la crise de démobilisation soi- des divergences d'intérêt des partici- les sur la technologie «de production». disant généralisée, me voilà rassurée. pantes. Cette hétérogénéité m'a per- Elle admet se sentir bien loin des reven- Est-ce l'effet d'un dépaysement béné- sonnellement étonnée : travailleuses dications exprimées dans son atelier fique? À ce moment précis du forum, j'ai des secteurs public et para-public et constate de ce fait sa marginalité à ce senti dans la foule une détermination et (28%) et du secteur privé (14%), travail- forum. D'autant plus qu'elle se sent une énergie puisées à même ce res- leuses oeuvrant au sein de groupes de «...à l'aise dans un milieu d'hommes. sourcement collectif. C'est avec une femmes ou de groupes populaires Féministe? oui, si ça veut dire faire grande satisfaction que j'ai compris à (39%), enseignantes, cadres, profes- avancer la cause des femmes. Non, si quel point 1 975, cette époque où nous sionnelles, etc. À l'inscription, 98% des c'est selon l'étiquette du passé». Ainsi, affirmions fièrement nos corps, s'était participantes s'identifiaient aussi l'hétérogénéité et son pendant, le plu- éclipsée de nos mémoires pour céder la comme des «productrices domesti- ralisme, peuvent constituer des fac- place à une force politique et économi- ques», dont 10% de «ménagères» à teurs de santé pour le mouvement fémi- que, collective de surcroît. C'est sans plein temps; 40% d'entre elles avaient niste au Québec. Mais l'unité reste à doute ce qu'on appelle la maturité. Mais plus de 40 ans, et 50% de 25 à 40 ans. faire, comme le démontrent certaines cette manifestation, qu'on a qualifiée Autre effet de cette diversité : les fem- divergences qui, selon moi, se sont de «vrai sommet économique», une mes choisirent spontanément l'atelier dégagées de ce forum. forcer les gouvernements à changer? Quelles solutions originales pourraient mettre un terme à la dépendance? On s'en remet encore à la charité gouver- nementale. Je reconnais que ces différences, ces dichotomies sont inévitables. Ce qui m'inquiète surtout, c'est qu'à vouloir les taire et éviter la confrontation, on ait accepté des énormités. Une profes- sionnelle m'a candidement confessé que pour elle, les projets subvention- nés «c'est pour les pas bons», sans même se rendre compte qu'elle poin- tait ainsi du doigt des dizaines de grou- pes de femmes. Une autre ne s'est pas conditions qui en découlent ont influencé gênée pour déblatérer sur les grèves et les perspectives d'action dans plu- les syndicats, sans même susciter, du sieurs ateliers. Dans l'atelier Apprivoi- moins en apparence, de malaise. Ou Et stratégies ser l'argent, par exemple, on venait encore cette entrepreneure en coun- divergentes d'une part chercher des trucs pour join- seling, dont l'histoire est pour le moins dre les deux bouts; d'autre part, les ambiguë: un magasin d'une chaîne Les représentantes de syndicats, de plus privilégiées voulaient rentrer chez d'alimentation, après avoir remplacé mouvements politiques et de groupes elles armées de recettes efficaces pour son personnel masculin par une main- de femmes ont énormément influencé payer le moins d'impôts possible. Deux d'oeuvre à meilleur marché (féminine le déroulement du sommet. Consciem- préoccupations, deux mondes quo- bien sûr) et sans fournir la formation ment ou non, et quel que soit leur dis- tidiens. nécessaire, s'est retrouvé avec un cours, elles ont malheureusement con- L'atelier Investir les milieux d'influen- taux d'accidents fort élevé. La compa- tribué à écarter les interventions sou- ce, composé essentiellement de fem- gnie engagea donc l'entreprise de vent plus terre à terre des femmes iso- mes cadres et professionnelles travail- counseling pour montrer aux em- lées et plus discrètes. On sait que dans lant dans une structure hiérarchique, ployées comment éviter les accidents les organisations politiques et syndi- gouvernementale ou autre, s'est aussi ...Je vous laisse tirer vous-mêmes les cales, on se soucie plus de solutions révélé significatif. Les participantes se conclusions. sociales et collectives, et il y avait là sont penchées sur la mise sur pied ou Il faut dire que notre ministre à la autant de discours que de groupes : des d'un véritable Parti féministe, selon cer- Condition féminine. , anti-militaristes omniprésentes aux taines «inévitable», ou plutôt de «col- prêche par l'exemple. Absente du forum marxistes-léninistes toujours insis- lectifs», pour les partisanes d'une so- pour des raisons personnelles, elle a tantes, des femmes du Mouvement ciété pratiquement parallèle où le tra- envoyé une subalterne nous lire son socialiste aux syndicalistes des sec- vail serait réorganisé. Ailleurs, par con- message qui commençait par "VOUS teurs public et para-public, dont le dis- tre, on a préféré miser sur les femmes les femmes» et se poursuivait ainsi : cours parfois monotone parce que qui réussissent (mais à quel prix?) à «M. Parizeau suivra de près votre monocorde reflétait néanmoins la gravir les échelons du pouvoir tel qu'il démarche...» Est-ce à dire que les fem- situation aiguë qui prévaut en éduca- est. Le choix d'une stratégie est donc mes «boss» ne font que prendre la place tion et en santé. Habituées à véhiculer loin d'être clair. des hommes décideurs? À nous d'en un certain type de vocabulaire, celles- décider, d'ici le prochain forum. ci ne favorisaient guère l'intégration des femmes «non regroupées» ou oeu- Le nerf de la guerre vrant dans des organismes moins «radi- caux»(comme l'AFEAS). Souvent moins D'autres ateliers sont venus confir- SYLVIE BÉLANGER bien articulée, l'approche de ces der- mer cette contradiction, entre autres nières tranche souvent par une sainte ceux consacrés au financement des frousse de se définir comme féministes, projets de femmes. Les participantes de peur d'en porter l'étiquette à tout se sont mises d'accord sur un mani- jamais, comme une tare héréditaire. 1/ Au Palais des congrès de Montréal, les 29 feste dénonçant «l'arbitraire des cri- et 30 octobre Personne ne visait évidemment à divi- tères de subvention» et exigeant «un ser les femmes entre «regroupées» et changement dans les modes d'attribu- 2/ «Promue» le 25 novembre à la fonction de «non-regroupées». pas plus qu'entre tion, dans la volonté politique et la men- ministre de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu, suite à la démission de Pierre Marois. riches et pauvres... Mais la situation talité des gouvernements», sinon... Madame Marois a été remplacée à la Condition économique, le statut social et les Sinon quoi, justement? Comment féminine par Madame Denise Leblanc-Bantey. CLAIRE BONENFANT Au milieu des Jésuites

vec le départ imminent de Claire Bonenfant, A c'est d'abord une stratège féministe qui quitte le Conseil du statut de la femme québécois. Suc- cesseure de Laurette Champigny-Robillard, elle laisse après cinq ans de présidence un organisme dont le budget a décru mais dont l'influence politi- que a sans aucun doute augmenté. Grâce surtout aux prises de positions du CSF et à ses initiatives pour informer et mieux outiller les femmes, depuis les nombreuses recherches sur la santé ou le travail des femmes jusqu'au forum économique d'octobre dernier.

C'est sans acrimonie et avec un cer- le gouvernement actuel n'est pas con- en position de pouvoir soit vraiment tain ménagement que Claire Bonenfant vaincu de l'intérêt d'investir chez les crédible, il faudrait que le gouverne- nous a parlé, au lendemain du Forum, femmes ! Les exemples sont nombreux : ment consente à ouvrir les postes à des du pouvoir politique auquel elle s'est au moment de concevoir la réforme du femmes provenant de l'extérieur de la mesurée pendant son mandat et surtout Code civil ou la Charte des droits, les fonction publique. Sinon, c'est le cul- du pouvoir politique des femmes, encore législateurs n'ont pas été sexistes, et de-sac. à inventer. même plutôt généreux dans les princi- Personnellement, je regrette telle- LVR : Plusieurs femmes ont été dé- pes. Mais la générosité s'est arrêtée là. ment que les femmes n'aient pas encore rangées par la présence du ministre A cause de l'éternel discours : les nou- pris conscience de leur véritable force Parizeau au Forum. L'avait-on imposée velles mesures ne doivent pas coûter politique ! Nous formons 52% de la aux organisatrices? d'argent ! population et, en principe, nous pour- C. B. : Vous savez, après avoir évalué rions mettre et démettre les gouverne- la gamme des ministres que l'on me ments. Est-ce que nous pourrons nous proposait pour clore l'événement, j'ai organiser politiquement d'ici 1985, trouvé important d'impliquer le ministre alors que nous avons déjà perdu énor- des Finances. Il fallait éviter la récupé- mément de pouvoir à l'intérieur des ration de l'événement par un ministre partis politiques? Les femmes avaient trop gentil, réputé pro-féministe. Et je investi comme nul autre le Parti québé- ne voulais pas non plus inviter une cois et avaient réussi à y gagner une influence certaine. Mais le gouverne- femme (comme Denise Leblanc, alors ment a coupé l'herbe sous le pied du ministre de la Fonction publique et res- Parti québécois et de ses militantes. Et ponsable des décrets) pour qu'elle se à toutes fins pratiques, au congrès à la fasse huer. chefferie libérale d'octobre dernier, les LVR : Comment réagissez-vous à femmes étaient invisibles dans les l'intervention de monsieur Parizeau, qui instances décisionnelles du Parti libé- a semblé terriblement éloignée de la ral québécois. Les groupes de femmes réalité des femmes? n'opposent toujours pas des positions C.B. : C'est assez décourageant et, fermes et des exigences précises aux effectivement, voilà un des penseurs de différents candidats, au moment des ce gouvernement. Nous sommes gou- élections à la chefferie, aux générales, verné-e-s par des hommes imprégnés aux partielles ou ailleurs. Peut-être que d'une formation acquise chez les Jésui- la réforme du scrutin tant attendue, en tes ou au Séminaire de Québec. Ils sont favorisant par la proportionnelle les Autre exemple concret : le programme d'une autre époque. La réflexion fémi- candidat-e-s indépendant-e-s, favori- d'égalité des chances dans la fonction sera du même coup l'accès au pouvoir niste est la réflexion importante de publique. En principe, il ouvre la voie l'heure. Eux sont à contre-courant et pour les femmes. Imaginez que des aux femmes. Mais parce que les hom- collectifs féministes s'organisent pour s'entêtent encore à conserver leurs mes n'aiment pas être gouvernés par vieux schémas et leurs vieilles valeurs, appuyer des candidates indépendan- des femmes, ils évitent de les placer en tes! J'en rêve. qu'ils veulent constamment remettre position d'autorité. De plus, toute l'em- en selle. Alors que nous, nous voulons bauche est stoppée au gouvernement. changer de cheval. Il y a très peu de femmes dans les Entrevue : LVR : Avec le recul, quelle a été la couches intermédiaires capables d'ac- ARIANE ÉMOND valeur de ce fameux préjugé favorable céder par mutation aux postes de direc- LISE MOISAN du PO à l'égard des femmes? tion. Et avec tous les beaux gars de 25 C.B.: Quand on est au pouvoir, il est ans en place actuellement, la fonction normal qu'on travaille pour son groupe publique a du «stock» masculin pour les social. Eh bien ! ce n'est pas le groupe 40 prochaines années! Pour que sa social des femmes qui est au pouvoir et «volonté politique» d'amener les femmes PHILIPPINES Dictature dans les îles

'assassinat spectaculaire de Benigno Aquino, le 21 août dernier, a brusquement ramené L les Iles Philippines sur la scène interna- tionale. Aquino, ancien sénateur exilé aux Etats- Unis depuis trois ans, emprisonné dans son pays pendant les huit années précédentes, croyait l'heu- re venue de rallier l'opposition au régime Marcos en vue des élections qui doivent se tenir aux Philip- pines en 1984. À peine descendu de l'avion qui le ramenait à Manille, il fut abattu d'un coup de fusil.

Avec ce scandale, l'image des îles verdoyantes sous le soleil, où «jouent des enfants demi-nus et rient de jolies femmes au sourire exotique»1 s'es- tompe peut-être à tout jamais. Parce que la réalité, bien sûr, est tout autre aux Philippines. On y vit plus mal qu'au Bangla Desh : une population a sous- alimentée à 80% ; un salaire moyen qui reste le plus bas de toute l'Asie du sud- est (3$ par jour pour un homme, 1,30$ pour une femme) malgré la richesse des ressources naturelles (cuivre, zinc, or, argent, pétrole) et malgré un poten- tiel agricole supérieur à celui des autres pays du Sud-Est asiatique. La loi mar- tiale imposée par le président Marcos en 1972 perdure, accompagnée d'une répression systématique: 70 000 per- sonnes arrêtées, 400 000 personnes déplacées de leurs terres et déportées dans des espèces de camps de concen- tration, 100 000 Moros (musulmans du Sud) assassiné-e-s, un million de réfu- gié-e-s, tout à l'allure d'un génocide... Seul pays latin d'Asie, les Philippines ont d'étranges ressemblances avec l'Amérique centrale. Le dictateur Fer- dinand Marcos, d'abord, un des hommes les plus riches du monde, qui s'appuie sur les militaires (huit fois plus nombreux aujourd'hui qu'en 72) pour tout mener à sa guise, allant jusqu'à déposséder d'autres familles richissimes du pays. L'Église catholique, ensuite, la qua- trième du monde en nombre, jusqu'ici plutôt conservatrice mais qui vient de se dissocier du régime. Mais surtout les Philippines correspondent parfaitement au modèle «Tiers monde»: une main- d'oeuvre abondante et bon marché, exploitée au profit des investisseurs étrangers, multinationales américaines très souvent mais aussi canadiennes: Ford-Ensite, Jade International. Sunlife. Inco, Banque de Montréal, Huskey Oil... THE EAST ASIAN CONNECTION Usines de pièces électroniques affiliées à des compagnies de Santa Clara, Californie.

Vendues aux intérêts économiques de militant-e-s ; celle de la Nouvelle et militaires étrangers, les Philippines armée du peuple organisée en fronts de n'ont plus que deux «industries» à leur guérilla (plus de 10 000 combattant-e-s) actif : l'envoi de main-d'oeuvre à l'étran- et agissant surtout dans les zones rura- ger, qui est une façon de faire entrer les, et enfin celle du Mouvement natio- des devises étrangères puisque la loi nal de libération du peuple Moro (plus stipule que 50 à 70% des salaires ga- de 30 000 combattant-e-s). Et les fem- gnés à l'extérieur du pays doivent y mes là-dedans? revenir et, surtout, le «tourisme-prosti- «Elles prennent conscience de leur Electronics assembly plants with parent tution». L'image des «plus belles fem- double exploitation ; du fait qu'on nous companies in Santa Clara County. Calif. mes du monde» ayant depuis longtemps soumet à une plus grande misère, aux été exploitée aux Philippines, le phéno- jobs les plus répétitives, monotones; «Vous savez que nous sommes arri- mène des «hospitality girls» fait pres- du fait qu'on nous embauche massive- vés à octroyer aux multinationales un que figure d'institution dans les grandes ment dans les usines de vêtements et quasi monopole sur la production d'au- villes. À Manille (la capitale), elles sont d'électricité5 moins pour nos «doigts de tos, les produits pharmaceutiques et la plus de 100 000, des femmes de la fée» que parce que «girls are easier to transformation de caoutchouc. Chez campagne pour la plupart ou tout sim- control» ; du fait qu'on nous harcèle nous, les multinationales contrôlent les plement des femmes pauvres et sans sexuellement et que tous ces concours industries alimentaire, chimique et pé- ressources qui, ne pouvant se trouver de beauté si populaires chez nous6 ne trolière ; elles contrôlent les zones uti- de l'emploi, se tournent vers la prosti- sont qu'une autre manière d'exploiter le lisées pour l'exploitation minière et tution. marché de la chair». Mon interlocutrice, forestière, la culture des fruits et de la Cette «industrie», comprenant aussi pour sa part, est membre de l'AWARE canne à sucre. Nous leur réservons les mannequins «érotiques», les «mail (Association of Women Against Repres- même un droit spécial sur la mer... order brides»,3 les femmes de «divertis- sion and Exploitation) qui tente de re- «Des mesures très avantageuses sement» et la prostitution d'enfants, a grouper les femmes chrétiennes, tra- vous sont offertes, vous exemptant de toujours été très présente aux Philip- vailleuses d'usine, paysannes, profes- toutes formes de permis, d'impôts, de pines, où il y a une grande concentra- sionnelles etc., et d'ainsi former une taxes ou de charges locales... Et notre tion d'étrangers. Aujourd'hui, à cause organisation nationale de femmes phi- législation assure un contrôle social des politiques économiques de Marcos lippines ayant leur plate-forme et leur rigoureux et permet un climat de travail d'une part, et des bases américaines de programme. Mais ces projets restent productif».2 l'autre, les étrangers sont plus nombreux embryonnaires et la lutte s'annonce à C'est en ces termes qu'on vend l'idée que jamais et la prostitution est devenue long terme. Pour l'instant, Marcos re- d'investir aux Philippines, le régime la «règle générale». Outre les soldats présente la cible à abattre d'une façon Marcos ayant de plus ouvert des zones américains qui sont évidemment de fer- ou d'une autre. Par la lutte armée ou par d'exportation libre, des sortes de «pays vents clients, «il est très courant de voir, des moyens plus «légaux»? Qui saura dans un pays», bénéficiant de leurs lois à Manille, des autobus remplis de Japo- le dire? propres (barbelés à l'appui) pour ac- nais s'arrêter devant un club, et tous commoder les entreprises des pays ces hommes descendre et rentrer se industrialisés qui veulent organiser choisir une partenaire pour la nuit».4 Ils dans le Tiers monde des bases de pro- paieront environ 60$, dont 15$ au pro- FRANCINE PELLETIER duction pour le marché mondial. priétaire du club, 1 5$ à l'agent du tour, 10$ au guide local et 10$ au guide japo- nais. Les femmes. elles, recevront peut- Manille la prostituée être 4 à 5$ du propriétaire, et encore... 1/ Promotion touristique, citée dans «Philip- «Nous finissons par croire, de dire pines un peuple victime du développement», une Philippine de passage à Montréal DÉVELOPPEMENT ET PAIX, septembre82 et désirant garder l'anonymat, que tout L'après Aquino 2/ Rapport sur les Philippines, «Clenched Fists ce qui nous arrive de l'Occident est of Struggle», Hong Kong, 1981, cité dans supérieur à notre propre culture». De Mais quand existent dans un pays DÉVELOPPEMENT ET PAIX, op cit. plus, les Philippines sont une ancienne une telle exploitation et une telle ré- 3/ «Épouses» qu'on «commande» par la poste colonie américaine, les États-Unis les pression, on retrouve presque toujours 4/ «Changing Role of S/E/ Asian Women». ayant achetées aux Espagnols en 1 898 des luttes de résistance, et les Philip- SOUTHEAST ASIA CHRONICLE, janv-fév malgré une guerre d'indépendance vic- pines n'échappent pas à cette règle. 79 torieuse. Ils concédèrent l'indépendan- L'assassinat de Benigno Aquino aura 5/ Elles font partie des multinationales qui ce en 1 946. mais conservèrent cepen- d'ailleurs marqué un point tournant ont envahi les côtes asiatiques. dant leurs droits de propriété, de com- dans la lutte contre la dictature. Cette 6/ Marrainé par Ismelda Marcos, l'épouse du merce et surtout, leurs prérogatives lutte englobe maintenant l'opposition Président, le concours MISS UNIVERS qui militaires. Existent toujours aux Philip- «légale» (plutôt libérale, plutôt pro-amé- eut lieu aux Philippines en 70 entraîna des pines 23 bases militaires américaines, ricaine, comme l'était Aquino), celle de dépenses supérieures au budget national celles-là mêmes qui ont servi à ravitailler l'Église, celle beaucoup plus clandestine l'armée au Viêt-nam, les bases les plus du Front national-démocrate regrou- importantes en dehors des États-Unis pant des «organisations de tous les et des Caraïbes. secteurs» et comptant plus d'un million

Souper avec Benoîte

Non, les féministes ne pensent pas toutes la même chose. Ainsi, nous qui avions tellement aimé Ainsi soit-elle, ce «roman de la condition féminine» paru en 1975 où Benoîte Groulx dénonçait violem- ment les mutilations sexuelles encore subies par 80 millions d'Africaines, nous allions souvent nous retrouver en désaccord avec ses opinions sur la porno, le travail ménager, Christiane Olivier... Pourtant, cette jeune femme de 63 ans nous a toutes impres- sionnées par sa passion tranquille, une sorte de timidité chaleureuse, et beaucoup d'humour. De passage à Montréal fin octobre pour y lancer son dernier roman, Les trois quarts du temps, elle accepta l'invitation à souper de La Vie en rose. Voici quelques extraits d'une longue conversation.

LA VIE EN ROSE: Alors que les fem- mes et les féministes se défendent tel- lement d'avoir l'air enragé, vous avez déjà dit (à Radio-Canada) que Ainsi soit-elle vous avait fait devenir une «féministe enragée»... BENOÎTE GROULT: Quand j'ai commencé ce livre, j'avais des idées. Mais quand je l'ai terminé, c'était la révolte. Je trouve qu'on a tellement été longtemps sans réaction devant tout femmes... mort tuberculeux. Mais la suite n'est ça. En entendant parler des mutilations pas vraie : je ne suis pas restée 20 ans sexuelles, j'avais été complètement at- Combien de femmes ont avec le macho d'Arnaud, j'ai divorcé au terrée et je m'étais mise à chercher bout de quatre ans avec deux enfants et dans les revues médicales et ailleurs. Et coupé les organes sexuels j'ai épousé Paul Guimard qui est écri- j'ai vu que 80 millions de femmes étaient des hommes ? vain aussi. J'ai eu une troisième fille concernées, que ça impliquait 26 pays, avec lui et je suis encore mariée main- toutes les religions, que ce soit l'Islam, BG: Qu'est-ce qu'on a été gentilles!!! tenant. Donc ce n'est pas la même la religion copte d'Égypte ou les animis- Je suis stupéfaite qu'il n'y ait jamais eu histoire même si tous les faits dedans tes noirs, puisque ce n'est pas lié à une de mouvement contre eux, alors qu'ils sont vrais. religion précise. Et à mesure que j'étu- sont si vulnérables physiquement. Ce La tuberculose, par exemple, ça m'in- diais la condition féminine dans le sont les hommes qui continuent à violer téressait de raconter ce que c'était jus- monde, je voyais que c'était pareil par- les femmes, à les battre. Combien de qu'en 47-48. C'était une maladie mythi- tout. Freud, par exemple, a fait aux femmes ont coupé les organes sexuels que, on ne prononçait pas le nom. On femmes une excision psychique, finale- des hommes? Connaissez-vous l'his- disait : il a quelque chose aux poumons, ment : la vertu, l'amour conjugal, le plai- toire de cette femme vétérinaire violée une faiblesse... Il y a toujours une mala- sir passif, pas de libido véritable, etc. par deux hommes dans la rue? Elle leur die qui cristallise les terreurs d'une Mais qu'est-ce qui m'a poussée à a dit: «Venez donc prendre un verre époque. À ce moment-là, c'était la tu- écrire plus tard? J'avais trois filles qui chez moi. Au fond, ce n'était pas si désa- berculose. Mais il y avait une vie extra- avaient 20 ans, et à voir leur jeunesse je gréable que ça...» Et elle les a châtrés. ordinaire dans ces sanatoriums. Les me suis dit : «Moi, qu'est-ce que j'ai fait Elle a fait trois ans de prison, d'accord malades étaient obligés de mener une de ma jeunesse? Je me suis laissée ... mais c'est le genre de choses que les vie sublimée ; l'amour, c'était par let- coincer par l'éducation, j'ai mis 20 ans à femmes ne font jamais. Il n'y a jamais eu tres. La poésie, la littérature étaient oser publier...» de groupes de femmes folles de rage. tout ce qui leur restait. Et ça leur don- Et puis j'ai aussi découvert à cette C'est resté au niveau des mots. Alors nait une espèce de qualité de réflexion époque - je ne m'en étais jamais aper- qu'il y a tellement d'hommes qui ont sur la vie. C'était des endroits où l'on çue - l'horrible misogynie de presque battu leurs femmes, leur ont mis du pensait beaucoup- et où l'on mourait toute la littérature. Quand je pense que vitriol dans le vagin, et d'autres «faits beaucoup. Deux ans après c'était fini, j'ai étudié Rousseau sans jamais me divers» comme ça. c'était une maladie qu'on guérissait. dire : «Mais c'est complètement immon- LVR: Parmi les commentaires néga- de de parler comme ça de l'éducation LVR: Selon une entrevue accordée à la journaliste Denise Bombardier (Châte- tifs, certains ont reproché à Louise, d'Émile et de Sophie. Il fabrique une l'héroïne, d'avoir toléré trop longtemps petite esclave...» Je n'étais pourtant laine), vous semblez avoir une haine terrible de l'Église. sa situation, en disant: «Comment Be- pas plus imbécile que la moyenne mais noîte Groult a-t-elle pu endurer ça pen- j'ai gobé tout ça. Comme je le raconte BG: Ah si. Toutes les religions sont dant 20 ans, moi je n'aurais pas pu et dans Les trois quarts du temps, on lisait misogynes, elles l'ont prouvé d'ailleurs. elle est féministe...» Montherlant et on se disait : ou on est Elles sont fabriquées par des hommes. ravissante et idiote, ou si on fait des Un père, un fils et un Saint-esprit, c'est BG: Mais justement! Je voulais mon- études, on est laide. Je faisais des étu- monstrueux. Si j'avais une religion, ce trer à quel point une femme née avant la des, donc j'étais laide. On ne pouvait serait plutôt la religion grecque où il y a guerre, même privilégiée, ayant fait des pas être tout à la fois. On admettait tout au moins une Déesse Mère. Dans la études, peut être tellement condition- ce qu'avaient écrit les hommes. Quand religion catholique, qu'on ait inventé née par la bonne éducation, par ce on relit toute la littérature avec des une Vierge Marie, c'est diabolique. La qu'on attend d'elle. Les enfants qui lunettes féministes, c'est monstrueux. mère est exclue de la trinité. disparue, vous tombent dessus juste au moment vierge, sans droit aux rapports sexuels. où l'on va prendre une décision d'indé- J'aurais fait de la politi- C'est renversant. Et que les femmes pendance... C'était avant la contracep- n'aient toujours pas le droit de donner tion, avant l'avortement libre. Il y avait que si j'avais osé parler. les sacrements, c'est continuer de dire beaucoup d'avortements, bien sûr, que nous ne sommes pas de la même mais cachés, dans des conditions péni- LVR: En 1975, vous étiez enragée, essence divine. C'est le mépris de la bles. Louise avorte son amie Agnès, avez-vous l'impression de vous être créature femelle. Et l'Islam, n'en par- moi c'est ma soeur que j'ai avortée. Bon, assagie depuis? lons pas! en ce sens-là, tout est autobiographi- que, mais tous les livres sont tirés d'ex- BG: Non. Mais j'ai malheureusement LVR: Qu'est-ce qui vous a fait revenir à périences privées et personnelles. une bonne éducation qui me colle à la la fiction avec Les trois quarts du temps? peau. J'arrive à être violente en écriture mais pas oralement. Je le regrette. J'au- BG: On ne peut pas faire du pamphlet Je suis solide, formida- rais fait de la politique si j'avais osé toute sa vie! Je pensais pouvoir dire parler. À l'émission Apostrophe, Michel exactement la même chose avec d'au- blement. J'ai l'impres- Tournier a explosé en disant : «Votre tres moyens. sion de pouvoir survivre livre, Les trois quarts du temps, est LVR: L'éditeur précisait que «contrai- d'une misandrie épouvantable!» Et je rement à ce que certains journalistes à n'importe quoi. n'ai pas su quoi lui répondre, je n'ai pas ont dit, ce n'est pas une autobiogra- le sens de la répartie. phie»... LVR: Très important dans le livre, le personnage d'Hermine, la mère de LVR: Généralement, on dit des fémi- BG: Mais pourquoi a-t-il dit ça? C'est Louise. Et votre mère à vous, comment nistes qu'elles haïssent les hommes, vrai que ce n'est pas exactement une était-elle? mais quand on fait remarquer toute la autobiographie. Bien sûr, j'ai été la mê- haine que les hommes ont envers les me jeune fille, mon premier mari est BG: Ma santé me vient d'elle. Je ne l'ai jamais vue malade ou couchée. C'est tombe amoureux de la fille de son an- on l'a bousculée». C'était traité avec une femme qui a toujours travaillé, qui a cienne maîtresse, qui a 20 ans. Et per- dérision. Maintenant, on n'ose plus. On eu une maison de couture. Elle a gagné sonne n'a dit : "Épargnez-nous le spec- parle du viol comme d'un crime. Ça, l'argent de la famille, elle a gardé tacle de ce nabot qui se tape une fille c'est complètement changé. l'amour de son mari en le trompant ravissante !» Je crois aussi qu'il y a moins besoin toute sa vie. Comme Hermine dans Les maintenant de mouvements féministes trois quarts du temps, oui, elle m'a beau- On voudrait croire que le organisés. Il faut que chaque femme ait coup inspirée pour ce personnage. le courage de féminiser elle-même son féminisme est mort, mais nom, d'être dans les instances déci- LVR: Les lettres d'amour que vous c'est faux. Il continue au sionnelles, etc. Je crois que les mou- citez- entre Hermine et son amie Lou - vements ont fait leur temps, et Dieu sait sont-elles de vraies lettres? niveau individuel. qu'ils ont fait des choses importantes ! BG: Je les ai changées parce que LVR: Depuis quelques années, on ré- LVR: La pornographie en France sem- «Lou» était une peintre célèbre et, par pète souvent que le féminisme est mort. ble encore très répandue. Au Québec, testament, elle avait interdit qu'on les Qu'en pensez-vous? les femmes se sont mobilisées très publie. Mais les lettres appartiennent à rapidement contre la porno, unanimes... celle qui les reçoit et pas à l'expéditrice. BG: Pendant deux ou trois ans, le fé- Et je tenais beaucoup à les publier, minisme a marché très fort. Tous les BG: Mais pour demander quoi ? Si on elles sont tellement belles, n'est-ce éditeurs avaient leur collection fémi- défile devant les cinémas porno, tout le pas? Alors j'ai changé des choses, j'ai niste, il suffisait qu'une femme raconte monde rigole. Quoi faire? Interdire fait de «Lou» une fille mariée, etc. Mais son accouchement pour que ça passe. n'est jamais la bonne solution. Je sais tout ce qu'il y a de plus beau n'est pas Il y en a eu beaucoup, c'est certain. Une qu'il y a ici un grand débat là-dessus de moi. C'est de cette femme. C'était un explosion. Mais il y avait si longtemps mais je ne vois pas sur quoi ça peut amour extraordinaire, je trouve, entre qu'on était réduites au silence, c'était déboucher. Sur une censure ? On ne va ces deux femmes. Je ne m'en suis aper- normal. Maintenant, l'équilibre n'est pas changer les fantasmes érotiques çue que longtemps après, que ma mère même pas rétabli mais il y a vraiment un des hommes tout de suite, et c'est ça avait vécu ça. mouvement inverse, d'anti-féminisme, qu'il faudrait changer en réalité. La por- entretenu avec soin et satisfaction par no est toujours masculine : cette violen- LVR: Dans Les trois quarts du temps. les uns : le changement du F Magazine, ce, cette humiliation... L'érotisme des Louise décide de finir sa vie avec l'Amé- par exemple. Mais le féminisme n'est femmes est différent et elles le mon- ricain Werner, avec qui elle retrouve à pas mort, c'est complètement faux. trent : il y a des livres écrits par des 60 ans la même passion physique qu'à On voudrait croire qu'il est mort alors femmes qui sont bien plus joyeux, plus 20 ans. Il est rare, dans un roman, de qu'il continue, à mon avis, mais au ni- gourmands, plus sensuels, pas basés parler de passion physique chez une veau individuel. Il continue par exem- sur l'humiliation et la souffrance de femme de plus de 60 ans... ple dans la vie solitaire des filles qui ne l'autre. trouvent pas d'hommes assez évolués BG: Ça m'a plu de finir le roman com- LVR: Alors quelles seraient les nouvel- me ça pour des tas de raisons. Je trou- et qui acceptent leur liberté; dans le nombre de filles qui vivent seules main- les revendications des femmes, après vais tellement tristes tous ces livres de toutes les batailles féministes? femmes de 45, 50 ans qui acceptent tenant sans se considérer comme des d'être jetées à la trappe, d'être perdues, malheureuses ou des vieilles filles. Je BG: À mon avis, des revendications de ne plus et reconsidérées comme des crois qu'il y a tellement plus de femmes très terre à terre : avoir des garderies, femmes qui font l'amour. Même Colette qui ont évolué, qui ont des exigences, de l'aide pour élever leurs enfants et et Simone de Beauvoir ont eu de ces qui ne supportent pas n'importe quoi. que le travail soit vraiment partagé par- propos. Alors que dans la vie ça conti- Donc, le féminisme, il est vécu tous les ce qu'elles continuent de faire des dou- nue, dans la littérature, au cinéma, on jours. bles journées et c'est pas viable, ça. Ça les rend indisponibles pour le syndica- n'ose pas montrer des choses comme LVR: Beaucoup plus intégré qu'avant ? ça. En France, il y a eu un très beau film lisme, pour la politique. qui s'appelait Corps à coeur. BG: Par les femmes, en tout cas ! Mais comme il y a encore des femmes de LVR: Croyez-vous qu'un salaire au tra- Ça racontait la passion d'un mécani- vail ménager pourrait remédier à ça ? cien pour une femme plus âgée. Ça se l'ancien modèle, les hommes s'y raccro- passe au bord de la mer, il y a de très chent... Surtout chez les plus jeunes. À BG: Ah non ! Je trouve ça monstrueux. belles scènes, très érotiques. Et les cri- 18 ans, elles arrivent, elles trouvent ça D'abord ce serait un montant minable. tiques ont fait les dégoûtés parce que le drôle, elles ne savent pas encore à quoi Qui le paierait ? L'État ? Alors c'est rava- réalisateur a montré une femme qui elles vont se heurter. Il n'y à qu'à voir la ler le salaire ménager au rang de l'assis- avait du plaisir en faisant l'amour à 50 mode qui revient : les talons aiguille, les tance publique. Et puis le mari en ren- ans. Ils ont été immondes : «Qu'on nous mini-jupes, elles se promènent comme trant dirait : «T'es payée pour le faire» et épargne le strip-tease de cette grosse des objets sexuels. ce serait fini, il ne lèverait plus le petit dame», etc. alors qu'elle avait un très Par contre, je me rappelle la façon doigt. Je trouve qu'il ne faut pas faire du beau corps. Et on nous montre sans dont la presse traitait du viol il y a 15 travail ménager un métier de femme, arrêt des hommes horribles comme ans, comment les hommes disaient tou- mais complètement partager les trucs à Jean Carmet. Dans un film récent, il jours : «On a simplement cherché à rigoler, la maison. Là-dessus, la psychanalyse, encore troisième, oui, ça l'embêtait sûrement. Il été une saignée, tous ces jeunes qui beaucoup tenue par les hommes, fait faut dire qu'elle a toujours été l'enfant à sont morts... Je ne sais pas quoi dire. un sale travail : on est en train de redire problèmes. Elle n'a jamais travaillé, elle Je suis complètement dans le cirage, qu'il n'y a que la mère d'importante s'est fait renvoyer de toutes les écoles, je ne sais pas ce qu'il faut faire, mais je auprès de l'enfant, que c'est sa faute si elle perdait son cartable partout. Elle ne défile pas avec les pacifistes... l'enfant est dyslexique ou drogué. était toujours dans le fond de la classe à dessiner des chevaux. Alors les psy- LVR: Pourquoi ? Vous ne croyez pas à LVR: C'est ce que plusieurs, ici, ont chiatres nous disaient : «II faut lui offrir leurs stratégies? reproché à Christiane Olivier : de met- un cheval». On habitait un septième BG: Non, je n'y crois pas. Le pacifisme tre encore la responsabilité sur le dos étage à Paris ! Pas question ! Alors on en face de l'URSS, qu'est-ce que ça des mères. lui a offert un hamster. Ça ne l'arran- veut dire ? L'Est est comme un bloc, qui geait pas ! Le hamster est mort dans sa ne bouge pas. Il y a déjà deux généra- BG: Oh non ! Ah non ! Les enfants de pisse. Je n'allais pas devenir fermière tions qui y sont restées... Jocaste, c'est au contraire le livre qui pour ça ! On est des intellectuels, c'est Une amie a un ami polonais. C'était libère vraiment, c'est enfin Freud refait. très triste, mais c'est comme ça. D'ail- son amant, elle l'a rencontré deux ou Selon moi, ce sont les pères qui sont leurs, elle avait déjà dit à l'école que son trois fois là-bas. Il lui écrivait par l'inter- interpellés par ce qu'elle dit. En tout père était gendarme. Vers 13, 14 ans médiaire d'un professeur japonais qui cas, ce livre a été une révélation pour elle s'est lancée dans le cheval, et là, donnait des cours à Vienne et à Varso- moi. Rétrospectivement, j'ai compris des après dix ans de crottin et sans gagner vie. Il vient de lui écrire : «C'est ma der- tas de comportements de mes filles. Par sa vie comme palefrenière, elle vient de nière lettre parce que notre professeur exemple, ma deuxième fille, toute peti- partir en Turquie avec un type. Bon, elle retourne au Japon, c'est fini. Tu me te, se déguisait tout le temps en putain : est loin de nous, on ne va plus l'enqui- parles de tes vacances, vous buvez du des vêtements très serrés, des talons quiner avec notre intellectualisme. Muscadet, vous voyagez sans deman- hauts, des maquillages épouvantables. C'est peut-être très bien au fond. Elle der d'autorisation. J'ai l'impression Je me disais : d'où elle sort ça ? J'avais nous faisait opposition complètement. d'être un enfant derrière une vitrine, divorcé d'avec son père et mon mari Jeune, elle lisait Delly en cachette ; elle regardant des jouets qu'il ne pourra actuel, tout en étant d'une générosité les savait tous par coeur, elle avait jamais s'offrir. Pour nous, la vie est un parfaite, n'aime pas les enfants. Il ne les besoin d'orphelines, c'était son refuge. tunnel sans lumière...» C'est un gars de a donc jamais câlinées, jamais tou- On se foutait d'elle, c'était cruel, horri- 40 ans, dessinateur et illustrateur de chées... Et bien |e suis sûre que Lison ble... Au fond, ma fille a eu beaucoup livres. Il lui dit : «Ne viens pas ici, je ne avait besoin d'être reconnue dans sa de courage parce qu'elle s'est opposée pourrais aller dans aucun restaurant ou féminité par un homme. Tout ce que je à plein de monde en même temps alors aucun hôtel avec toi parce que tu es pouvais faire ne servait à rien, il fallait que moi, je ne m'opposais pas, je me occidentale.» Un gars de 40 ans incapa- que ce soit un homme qui la touche. suis laissée écraser. ble de sortir de son pays, incapable de Tous les hommes devraient lire Chris- recevoir une femme pour faire l'amour. tiane Olivier pour voir à quel point ils LVR: Croyez-vous à l'imminence d'une Enfin! C'est rien, faire l'amour n'est pas sont fautifs, et c'est pour cela que je guerre? une activité politique... Combien de trouve si important de voir des hommes BG: Imminence, non. Mais je crois que gens sont dans cette situation dans aujourd'hui assister à l'accouchement, ça arrivera fatalement avant la fin du toute l'Europe de l'Est ? langer leurs fils, et surtout leurs filles... siècle Vous ne croyez pas ? On est toujours sur le bord: La Grenade, LVR: Est-ce que vous vous projetez LVR: Vous avez donc élevé trois filles. dans l'avenir? Vous imaginez-vous Vous n'avez pas eu de garçon, est-ce Israël... dans 10 ans, dans telle ou telle situa- que ça vous a manqué? tion? BG: Quand je les ai faites, oui. Parce Je ne crois pas aux stra- BG: Non, je vis dans le présent. Quand qu'à chaque fois mon précédent mari tégies pacifistes. Il y aura on a 63 ans... J'aime mieux ne pas y disait: «Ah! c'est une fille!» d'un air penser. J'ai déjà de la chance de pou- «Bon, on verra la prochaine fois». Et toujours des fous, en Afri- voir vivre mon présent comme je le c'était reparti. Et maintenant, qu'est-ce que ou ailleurs, qui au- veux, d'avoir de l'argent, d'avoir encore que je suis contente que ce soit trois du goût pour le sport... Je dois dire que filles! C'est plus passionnant les filles ront la bombe atomique je suis heureuse. aujourd'hui : ce sont elles qui sont en et qui s'en serviront. Je ne suis pas heureuse de la marche train de changer les structures de la vie. du monde, ni de la presse en France Alors que les garçons ont tendance à se autour de l'expérience socialiste. Il y a raccrocher au passé. LVR: Vous avez connu la guerre 39- 45 ; est-ce que ça vous rend plus an- des tas de choses désolantes. Mais LVR: Est-ce que vos filles vous ont déjà xieuse ou plus vigilante devant ce qu'on moi, personnellement, je suis heureu- reproché d'être une femme connue, vit actuellement ? se. Je trouve que c'est un peu tard, d'écrire ? j'aurais préféré l'être à 30 ans, mais BG: Je ne sais pas. La France s'est bon, c'est déjà bien. BG: Les deux aînées, non. D'ailleurs, déjà à moitié couchée pendant la guer- (... suite à la page 69) chacune a déjà écrit un livre... La re, en 40. La guerre de 14 aussi avait 3e FESTIVAL AU TEF Une longue bouffée de création

Par contre, les performances du ven- dredi soir m'ont beaucoup déçue. Je sentais toujours cette présence mais aussi un goût d'être à la mode, de «faire performance», sans que le genre soit maîtrisé. Sauf peut-être ce qu'ont fait Odette Gagnon et Marthe Mercure dans «La mappe». A. Ronfard : Mais ces performan- ces de 1 0 minutes, c'est la LNI du Théâ- tre expérimental des femmes ! Elles en feraient tous les mardis soirs et elles rempliraient la salle à tout coup. M.H. Falcon : Moi, je pense qu'on abuse du terme «performance». Je préférais l'expression du Festival de l'année dernière : des «bouffées de cré- ation de 10 minutes ou moins». Car c'est de ça qu'il s'agit : «Liaisons mal ta propos» est un extrait d'un spectacle de 90 minutes ; «Pacing» est un numéro de mime; Louise Cartier a fait un mono- logue et non une performance ; «La mappe» est un essai, mis en perfor- mance grâce à une trampoline ; Marie- Hélène Robert a fait un excellent mono- logue, mais comme Clémence le fait u 30 octobre au 5 novembre avait lieu à Mon- depuis 30 ans; Lorraine Desmarais a tréal le 3e Festival de créations de femmes fait un numéro de trapèze. Où sont les Dorganisé par le Théâtre expérimental des femmes performances ? De quoi parle-t-on ? Ça aurait pu être des pièces en un acte. Il (TEF) autour du thème de l'écriture dramatique. Au faut dire que cette année le thème était programme, entre autres: six ateliers-rencontres, «l'écriture dramatique»... six spectacles issus de «workshops» et une soirée de performances de dix minutes ou moins. Com- Les mots pour en rire A. Ronfard : Je voudrais parler ment ce Festival a-t-il évolué depuis 1980? C'est de l'humour qu'il y avait au Festival, il y une des questions posées par Hélène Pedneault en avait beaucoup. Lise Vaillancourt, le à Marie-Hélène Falcon, organisatrice d'événe- jeudi soir, c'était magnifique. Un humour un peu britannique, qui vient de l'assu- ments théâtraux, dont le futur Festival de théâtre rance d'être sur une scène et d'être des Amériques, Lorraine Hébert, professeure et cri- capable de prendre la place. tique de théâtre, et Alice Ronfard, comédienne et M.H. Falcon: J'ai l'impression que cet humour vient aussi d'une cer- auteure. Toutes trois ont été mêlées de près aux taine volonté de rompre avec la tradition expériences théâtrales des dernières années. Leurs théâtrale. Les femmes ont envie de traiter autrement les problèmes qu'on premières impressions ont-elles été les meilleures ? traite depuis toujours. Le texte de Joan- et nous sommes 300 au maximum ne Beaudry, par exemple, était extrê- M.H. Falcon : Ce qui m'a d'abord mement tragique mais en même temps frappée, c'est l'audace extrême de la à l'avoir vu. Sur le plan de la vente de cet événement-là, il semble y avoir une plein d'humour. L'humour sert de dis- manifestation. Il faut du culot pour ne tance. présenter que des choses neuves, iné- timidité en disproportion avec l'impor- dites et même pas finies, certaines oeu- tance de ce qui est présenté. A. Ronfard : Ce qui m'a étonnée vres ayant été travaillées en «workshop». L. Hébert : Moi, ce qui m'a frap- aussi, c'est que les femmes se réappro- Tout le travail de création s'est fait prati- pée, c'est l'assurance des femmes sur prient l'histoire. Dans «La mappe» par quement dans le mois qui a précédé scène et une rigueur dans la structure exemple, on avait Karl Marx et Bertold l'événement. Et on a eu de l'assurance dramatique que je n'avais pas vues lors Brecht comme personnages. Moi j'étais et du professionnalisme quand même. des deux premiers festivals. Je sentais ravie de voir qu'on jouait avec toute Je pense que, depuis quelques années, qu'elles n'avaient plus à prouver quoi cette culture, qu'on s'amusait avec. il y a des femmes qui émergent et qui que ce soit, elles taisaient. Mais rien de L.Hébert: Cet humour, c'est vrai- commencent à avoir des moyens de nouveau dans la thématique : je pense ment notre sens du dérisoire. Et puis, je création très sérieux. Je pense à Pol qu'on n'a rien de nouveau à dire, on a à crois que les femmes voient rarement Pelletier, à Louise Laprade, à Anne- dire. Ce n'est ni nouveau ni ancien. les choses de façon unidimensionnelle. Marie Provencher, à Odette Gagnon. Toute la dimension scénographique En même temps qu'on fait une chose, Ce que je déplore, par ailleurs, c'est le était aussi très intéressante. Bref, on a on est ailleurs. Et je pense qu'on com- peu d'impact que ça soulève. C'était vu des «professionnelles», selon un ter- mence à admettre notre propre manière quelque chose d'absolument extraordinaire,me qui nous a trop longtemps fait peur. de voir les choses et qu'on commence à l'imposer. C'est ce qui est arrivé pen- fois pour toutes ou comme si elles peut pas être pleine d'énergie en pas- dant ce troisième Festival : nous com- avaient décidé qu'elles ne pleureraient sant par-dessus la souffrance. mençons à croire en ce que nous fai- plus. sons. A. Ronfard : Moi j'ai 27 ans, le Et puisqu'il A. Ronfard : Mais j'aurais été tragique est quelque chose qui est à intriguée de voir un spectacle lesbien. Il l'intérieur de moi et que je transporte. faut conclure... y a eu une grosse polémique parce que Ce n'est pas tellement une question de A. Ronfard : Je ne pense pas que des hommes jouaient au TEF cette ce Festival soit vraiment représentatif année, pour la première fois dans l'his- Lise Vaillancourt de la création dramatique des femmes toire des Festivals. Moi, j'ai trouvé ça aujourd'hui. Je pense qu'il y a eu un correct mais j'aurais bien aimé voir un choix artistique derrière tout ça. Les show de quelqu'une qui dise : voilà, organisatrices sont des femmes qui ont c'est une mise en scène lesbienne ! développé une certaine recherche au niveau du théâtre et elles ont privilégié des textes qui allaient dans ce sens. Et Le «faussé» c'est très correct. Mais ça s'adressait peut-être plus à celles et ceux qui sont des générations intéressé-e-s par l'expérimentation L. Hébert : Avez-vous remarqué théâtrale qu'au public en général. la différence entre les propos des fem- mes de 20 ans et ceux des femmes de M.H. Falcon : Où étaient les au- 40 ? J'ai de la misère avec les plus teures dramatiques plus expérimentées jeunes. Elles ne me rejoignent pas, ce comme Marie Laberge, Élizabeth Bour- qu'elles font m'apparaît léger et sans get, Maryse Pelletier, Suzanne Aubry... ? ' consistance. Ou bien c'est normal qu'il L. Hébert : Le Festival avait des en soit ainsi, ou c'est une manière de objectifs précis : amener de nouvelles dire les choses qui ne me touche pas, propositions en termes de contenu, de ou encore je suis rendue «straight». contenant, de pratique théâtrale, de recherche. Et, jusqu'à un certain point, M.H. Falcon : Moi j'ai très envie la direction artistique a rejoint ces ob- d'entendre - ce que je n'ai pas beaucoup jectifs. Une chose cependant : j'ai mal- entendu au Festival - des femmes de heureusement encore senti, à l'intérieur mon âge, de 40 ans. Mise à part «La du Théâtre expérimental des femmes ou mappe», je ne me suis pas sentie re- de l'organisation du Festival, une direc- présentée et ça me manque. tion qui manque ouverture. Person- L. Hébert : II y a une censure sur génération mais une question d'ouver- nellement, je souhaiterais une ouver- le tragique, la mort, de la part des plus ture. Mais pleurer sur une scène, pour ture tellement grande qu'elle rendrait jeunes. Je le regrette, je pense qu'on une femme, c'est devenu un maudit toute expression possible... problème. peut encore voir des femmes déchirées Entrevue et montage : par l'amour, des femmes victimes aussi. L.Hébert: En même temps c'est Les femmes de 20-30 ans ne semblent courageux. On a envie de voir sur scène HÉLÈNE PEDNEAULT 1/ Dans les coulisses, Elizabeth Bourget et pas avoir le même rapport à la douleur, des femmes qui prennent leur vie en Suzanne Aubry ayant fait partie du comité de comme si elles l'avaient liquidée une main, pleines d'énergie. Mais on ne sélection

VIDEO 10 chandelles pour Vidéo Femmes

ne décennie, ça se fête; comme un chiffre mais vous, vous avez Vidéo Femmes...» Urond qui indique le franchissement d'un pre- Les filles des vues mier cap et permet de cingler vers de nouveaux Ce matin frisquet d'octobre, j'ai ren- rivages... Belle image, n'est-ce pas? C'est qu'il contré trois d'entre elles(lecollectif, qui sera justement question d'images dans les lignes n'a jamais été aussi important, réunit actuellement treize femmes), dans la qui vont suivre. Des images qu'une équipe de maison qu'elles occupent depuis cinq femmes, depuis dix ans, s'affaire à produire et à ans, 10 rue Mac-Manon à Québec, entre diffuser, pour témoigner, dénoncer et interroger. haute et basse ville. Un immeuble vieil- lot, plein de recoins et d'issues impré- vues, dont elles animent (et pour une Non, Alice, «c'est pas le pays des Le bilan en chiffres : une trentaine de fois le mot n'est pas trop fort) le deuxième merveilles», surtout quand on subit le vidéos ou films maison, une centaine de étage. harcèlement sexuel «tous les jours, vidéos-films distribués par leurs soins, «Mais comment avez-vous réussi à tous les jours», et que la folie des fem- un festival annuel qui a lieu depuis sept tenir le coup ?» En posant cette question, mes reste un volcan qui gronde derrière ans, des tournées régulières au Qué- je pensais à tous ces groupes de vidéo «les mots/maux du silence». Vous aurez bec, des contacts de plus en plus serrés et à ces collectifs divers nés dans l'eu- reconnu trois des vidéos ou films pro- avec l'Europe, les États-Unis et le Cana- phorie des années 70 et trop vite dis- duits par Vidéo Femmes, extraits d'un da anglais. Bref, une expérience unique parus. De ceux qui ont vu le jour en catalogue où l'on retrouve toutes les au Québec et qui plus est à Québec. Je 1 973 à la suite du Festival international grandes questions qui ont nourri l'espoir me souviens de Luce Guilbault, devant de film et de vidéo qui eut lieu dans et l'inquiétude des femmes depuis dix qui ont évoquait un jour l'inertie cultu- onze villes du Canada, il ne reste au- ans : la violence, la santé mentale, relle de Québec dans certains domaines jourd'hui que Vidéo Femmes et Women l'avortement, etc. (vieux problème) et qui répondit : «Oui, in Focus à Vancouver. Si ma question semblait évidente, la réponse, elle, ne Programme de la Une installation : Le Labyrin- l'était pas : pour Linda, Nicole, Johanne «Vidéo-fameuse fête» the, construit avec la collaboration de et les autres, il n'y a jamais eu de recette nombreuses artistes, illustrera sous une magique ni de «ligne à suivre», mais une forme inhabituelle (et bien sûr à l'aide expérience au jour le jour, qui les a peu du 22 au 26 février de vidéos) l'histoire de Vidéo Femmes. à peu soudées, au fil de leurs préoccu- à la nouvelle bibliothèque pations personnelles. Quelques hypo- centrale de Québec, Du théâtre, avec la présentation en thèses cependant : l'arrivée régulière 350, boul. Saint-Joseph est «première mondiale» du dernier spec- de sang neuf, de «nouvelles» qui d'année tacle des FOLLES ALLIÉES... en année sont venues s'ajouter au noyau Un forum autour de la conférence de fondateur(Hélène Roy, Nicole Giguère, Jovette Marchessault sur «Limage des Helen Doyle) ; la bonne entente du Cinq jours consacrés au vidéo-cinéma femmes dans le cinéma». groupe, qui s'explique, selon elles, par et aux femmes. Un événement multidis- le mode de fonctionnement collectif ciplinaire regroupant les diverses artis- Une exploration des derniers auquel elles sont restées fidèles. Mais tes qui ont collaboré, de façon directe ou raffinements technologiques indirecte, avec Vidéo Femmes au cours l'absence de hiérarchie ne signifie pas en matière de vidéo. que tout le monde fait la même chose. des ans. Des performances dont la choré- Le principe de non-spécialisation qui Une programmation de films était la marque distinctive de Vidéo graphie «Chacun pour elle» de la dan- Femmes à ses débuts et permettait à et vidéos : des nouveautés, les plus seuse Dena Davida, le 25 février. chacune de toucher à tout, a évolué et récents vidéos d'art, une rétrospective des principales productions audio- Et un grand spectacle de clô- laissé place à l'affirmation des compé- ture mettant en vedette des groupes tences particulières. visuelles faites par des femmes durant les dix dernières années et rarement ou de femmes (Pink Power, Blue Oil, Sylvie jamais présentées à Québec. Tremblay). Prendre l'image comme on prend la parole D'autant que le matériel utilisé, de sont également disponibles à Vancou- l'espoir à long terme du côté de Radio-Qué- plus en plus complexe, exige une maî- ver et à Paris, au Centre Simone-de- bec et la distribution de Tous les jours, trise technique grandissante. La vidéo Beauvoir Quant à la distribution des tous les jours par cette institution risque reste un médium accessible, mais on ne vidéos et des films des autres maisons de n'avoir été qu'une heureuse excep- manie pas sans précaution et sans une de production, elle n'est pas négligée, tion. Le temps n'est pas au décourage- formation poussée le 3/4" couleur. L'in- au contraire. Par exemple, c'est Vidéo ment pour autant. Vidéo Femmes a con- troduction de ce nouveau matériel, il y a Femmes qui distribue le dernier film de nu des moments beaucoup plus diffi- environ quatre ans, a constitué un tour- lolande Rossignol : Rencontre avec ciles. Aujourd'hui son existence ne peut nant : il coûte cher, il a fallu chercher à une femme remarquable : Laure plus être remise en cause. Le groupe a le rentabiliser, et de plus en plus, les Gaudreault. tissé sa toile dans un rayon de plus en «filles des vues» louent leur compétence plus large et su s'entourer de collabora- et leur matériel à d'autres maisons de Et l'argent? tions toujours plus nombreuses. production. Et surtout, les améliora- L'avenir financier est-il aussi souriant ? Aussi ne comptez pas sur «les filles tions techniques ont amené de plus «On passe le tiers de notre temps à faire des vues» pour alimenter votre éventuel grandes exigences sur le plan formel, des demandes de subvention», mais pessimisme ou partager votre mélan- avec un intérêt croissant pour la vidéo sans grand espoir puisque la vidéo n'est colie hivernale. Elle vous préparent un d'art. Le documentaire a lui aussi pris toujours pas reconnue par les organis- dixième anniversaire assaisonné d'en- des directions différentes, avec par mes gouvernementaux. Pour la première thousiasme, d'audace et de leur humour exemple l'introduction de la fiction (et fois, cependant, l'un d'entre eux a ins- légendaire. donc l'expérience, nouvelle, de travail- crit le mot «vidéo» dans son programme, Les dix bougies sur le gâteau seront ler avec des comédiens et des comé- ce qui a permis à Vidéo Femmes d'obte- diennes). soufflées avec allégresse... surtout si nir un peu d'argent. Encore moins vous êtes là !... Et pour les années à venir? De tous HÉLÈNE LAZAR côtés, les avenues sont largement ou- vertes et on ne saura où donner de la pellicule. Comme depuis le début, Vidéo Femmes répondra aux demandes des groupes de femmes et à leurs nouvelles préoccupations : le rapport des femmes à l'économie, au pouvoir, au travail. Le plus récent vidéo porte sur les femmes et le syndicalisme (Question de privi- lège, de André Gauthier et Nicole Pomerleau). Mais après avoir abordé pendant toutes ces années les grandes questions du féminisme et les problè- mes très généraux des femmes, on parle aujourd'hui de tenir un discours plus intimiste, de se rapprocher du vécu quotidien des femmes et de nos propres désirs, d'où l'éclectisme des produc- tions les plus récentes ou à venir, qui touchent des sujets susceptibles d'in- téresser des publics diversifiés : la sexualité des adolescents, les filles et le rock'n roll, les femmes en prison. Du côté de la distribution, les perspec- tives sont excellentes. C'est pas le pays des merveilles s'en va en Angle- terre. Les productions de Vidéo Femmes «Parmi les 1377 expositions indivi- duelles organisées dans les 50 musées canadiens entre 1970 et 1979, 313 seulement ont été consacrées à des femmes artistes. En outre, 60% des artistes dont le revenu annuel tiré des ventes directes (galeries, musées, col- lectionneurs privés et sociétés, banques d'oeuvres d'art, gouvernements etc.) est inférieur 5 000$ sont des femmes. Autres chiffres éloquents : la collection de la Banque des Arts est constituée à 87% d'oeuvres d'hommes, et le prix moyen d'une oeuvre d'art réalisée par un homme est de 2 985$ alors qu'il ne dépasse pas 434$ dans le cas des femmes. Enfin, sur 300 établissements officiels au Québec, une vingtaine seu- lement ont répondu qu'ils présentaient les oeuvres d'une femme artiste au cours de la meilleure saison (octobre et novembre)».1 Ces chiffres montrent clairement l'isolement de la production des fem- mes, le manque de crédit accordé à leur travail sur le marché de l'art. C'est pour toutes ces raisons qu'Actuelles I a voulu présenter une formule ouverte au public ARTS VISUELS et au monde des affaires, afin de «four- nir des encouragements permanents et variés»2 aux événements artistiques Des femmes produits par des femmes. Dans ce ca- dre. Actuelles M, III, IV etc. seront autant de véhicules de promotion dynamiques et des formes pour l'art des femmes. Mais il y a plus, selon l'historienne de l'art Rose-Marie Arbour: «Là où ces es expositions d'art visuel sont nombreuses expositions donnent à réfléchir sur des L dans une ville comme Montréal. Malgré le suc- rapports nouveaux et fructueux entre cès du Dinner Party de Judy Chicago, les présenta- l'art et la politique, entre l'art et des préoccupations d'ordre socio-culturel, tions de femmes artistes, elles, sont plus rares. c'est dans la mesure où s'y manifeste Christiane Poulin n'a donc manqué ni Actuelles I, la l'attitude d'ouverture et de dé-hiérar- réunion de 23 artistes québécoises professionnel- chisation par et entre les femmes. C'est les dans le hall de la Place Ville-Marie (du 21 à travers de tels regroupements que octobre au 1 2 novembre) ni Expression 7F, l'expo- peu à peu émergent et émergeront soit des affinités, soit des valeurs collec- sition à l'Atelier Transgression de sept jeunes artis- 3 er tives». tes (du 15 novembre au 1 décembre). CHRISTIANE POULIN Ce qui m'a frappée tout d'abord, en géométriques et installations d'élé- entrant à la Place Ville-Marie, ce sont ments inspirés de formes organiques, 1 / Chiffres tirés du catalogue de l'exposition les énormes cordes qui enlaçaient les le tout présenté sur des supports eux ACTUELLES I deux étages frontaux du hall d'entrée. aussi très diversifiés. Au collectif des 2/ Catalogue de l'exposition ACTUELLES I, Cette perception nouvelle de l'intérieur exposantes sont venues se joindre des page 2. d'un grand édifice augurait bien du reste poètes et des musiciennes qui nous ont 3/ Rose-Marie Arbour, catalogue de l'exposi- de l'exposition. Je n'ai pas été déçue. conviées à un vernissage où les mots et tion ACTUELLES I, Les expositions collec- Les 23 exposantes présentaient, cha- les sons se mêlaient au vocabulaire de tives : un bilan, page 45. cune à sa manière, des démarches l'expression plastique. créatrices allant de la mythologie à Au-delà de la recherche esthétique, Bibliographie l'écologie, en passant par l'intervention ces deux expositions nous ont proposé sociale et la biographie visuelle. Les une réflexion sur la place qu'occupe la * Kristeva Julia, «La femme, ce n'est médiums employés étaient tout aussi femme artiste dans l'histoire de l'art et jamais ça». Tel Quel, numéro 59, Au- variés : acrylique sur toile, bois, cordes, sur le marché de l'art. L'histoire ne nous tomne 1 974. laines, acier, aluminium, sable, crayons a légué que quelques artistes femmes de couleur, tempéra à l'oeuf (peinture représentant des courants artistiques * Robin Morgan, The anatomy of où les pigments sont liés avec de l'oeuf), reconnus: Sophie Tauber-Arp, Sonia freedom Garden City, New York, Anchor lichen, roches, mousses et j'en passe. Delaunay et plus près de nous, Marcelle Press/Double day. 1982. Comme leurs consoeurs d'Actuelles I, Ferron, Françoise Sullivan et Irène Witt- les artistes d'Expression 7F avaient home. L'art des femmes serait-il moins Revue Intervention, Spécial Femmes, choisi d'exposer ensemble sans thème professionnel que celui des hommes ? automne 1980, numéro 7. esthétique prédéterminé. Ces sept Pourtant, les femmes forment plus de la femmes nous ont montré leurs démar- moitié de la clientèle des écoles d'art. Catalogue de l'exposition ACTUEL- ches et leur imaginaire à travers des Voici, récoltées par Élaine Steinberg LE I, production d'Air Canada. Service expressions plastiques variées: sur- Kraut, administratrice de Actuelles I, des affaires publiques, 3 Place Alexis- réalisme, expressionnisme, formes quelques données intéressantes : Nihon, Mtl, 1983. THEATRE Un théâtre de nouveaux gais

toutes «ces grandes folles», ces gais un près le théâtre des nouveaux hommes (voir peu trop gais, comme le fait cette A LVR, juillet-août 83) y aurait-il maintenant un pièce? théâtre des «nouveaux gais»? A Montréal derniè- Chrysippe Tanguay, c'est tout le rement, Macho Man de Jean-Pierre Bergeron,1 et contraire. Malgré ses apparences La contre-nature de Chrysippe Tanguay, écologiste «flyées,» l'histoire se tient debout ; deux 2 homosexuels s'affirment (à nous, tout de Michel-Marc Bouchard ont abordé la question au moins), vivent ensemble, veulent un de l'homosexualité mâle de façon inhabituelle, enfant mais la mythomanie de Louis alias Chrysippe Tanguay leur cause des puisque nous sommes encore peu habituées à voir problèmes. C'est qu'il se prend pour un le sujet traité franchement, malgré les déclarations noble grec, grand conférencier écolo- récentes d'un . Ceci dit, les deux giste capable de faire lever le soleil à 5 h 30 précises, par surcroît, et qu'il pièces sont comme le jour et la nuit. aime, aime le prince Laios, Jean Lapierre de son vrai nom. Mais celui-ci, mécani- cien de métier, un jeune tough qui a découvert la tendresse dans un dortoir Macho Man semble vouloir présenter d'école de réforme, n'aime pas du tout l'homme gai «dernière vague», pour qui ce tra-la-la. le cuir a remplacé les pastels, et le S et M3, les dandinements efféminés... Bref, Si l'histoire n'est pas ordinaire, les qui «niaise plus.» personnages, eux, sont réels. Ils ont de C'est le cas d'Alain, l'unique person- vrais problèmes, ça se sent, ça se re- nage de la pièce, remarquablement connaît : le doute, la honte, peut-être bien rendu par Germain Houde : à force surtout les fantaisies trop folles de de faire des poids et haltères, de cher- Chrysippe, cachant entre autres sa ter- cher des grimaces appropriées dans le reur des femmes (les vraies). Ainsi, tou- miroir, toujours en quête du «look au tes les femmes ayant marqué la vie de boutte», de l'image tough du maître, il «monsieur» défileront devant nous, finit par devenir de plus en plus ridicule mégères et autoritaires, effacées ou à puis violent, pour finalement «capoter» moitié mortes, pas sympathiques, des au point de ne plus sortir de son appar- «cadavres» dira la bonne-secrétaire- tement. gouvernante Diane alias Marie, tenue d'interpréter ces personnages pour son C'est une histoire qui ne tient pas employeur, jusqu'au moment où elle debout, ai-je pensé en sortant. D'abord, fera le procès de Chrysippe et avec lui, parce qu'un «macho man», ce n'est pas de cette fausse représentation des ça, c'est un homme «qui fait sentir sa femmes. supériorité de mâle» (Petit Robert). Supérieur à qui pensez-vous? Aux fem- Je ne vois qu'un accroc à toutes ces mes, bien sûr, et en tant que femme, je intrigues straights/pas straights, folles/ sais pertinemment que les machos ne pas si folles: le fait que Marie tombe s'embarrent pas chez eux (si oui, nous amoureuse de Jean alors que le déve- respirerions déjà beaucoup mieux), et loppement de la pièce n'en dépend que ce n'est pas leurs moues dédai- aucunement, donnant ainsi la vague gneuses ou leurs biceps» qui sont le plus impression que les femmes s'acharnent à craindre. Et même s'il y a, en effet, une à remettre les homosexuels sur le droit mode plus «tough» chez les gais en ce moment, le personnage d'Alain n'est chemin. Autrement, la pièce affirme, il guère plus qu'une caricature, une sorte me semble, ce qu'il faut affirmer : l'homo- de schizophrène qui passe d'une timidité sexualité comme orientation sexuelle désarmante à une agressivité comme il parfaitement «légitime» (j'ai d'ailleurs ne s'en fait plus. D'ailleurs, plus la pièce rarement vu deux hommes s'embrasser avance, plus on pense à L'Homme aussi bien sur scène), n'entraînant pas blessé, de Patrick Chéreau, qu'on a nécessairement un mode de vie «parti- acclamé comme le film sur l'homo- sexualité mâle mais que j'ai trouvé culier». Et elle dénonce ce qui est à insupportable : une histoire tirée par les craindre: le censure, la peur, la culpa- cheveux et, surtout, une violence sou- bilité. tenue et sans raison, comme ça... Un FRANCINE PELLETIER des films les plus laids que j'ai eu le malheur de voir. Et même si Macho Man, on veut bien le croire, tient à dénoncer cette violence plutôt qu'à l'affirmer, ce n'est pas con- 1/ En reprise au Théâtre de Quat'sous, en vaincant parce qu'y manque la con- novembre. science politique qui éclaircirait tout ça: 2/ Au Théâtre d'aujourd'hui. en novembre. par rapport aux femmes, mais surtout 3/ Se réfère à sadisme et masochisme, mais par rapport aux gais. Car peut-on se est couramment employé, du moins dans la dire gai et en même temps dédaigner pièce, comme "slave" et "master". Malheureusement, je re- actuel, réitérer son allégeance de la page couverture- est- proche à Lysiane Gagnon modérée, expliquer les luttes ce possible de manquer à ce d'avoir fait un livre où tout ris- menées pour l'égalité des point d'imagination? - ni le que d'une réflexion le moin- droits (vote, éducation supé- titre qui me semble préten- drement originale ou com- rieure, salaire égal), légitimer tieux et ambigu. D'ailleurs, le promettante a été soigneuse- en quelque sorte certaines titre original du manuscrit ment évité. Je lui pardonne revendications des femmes était Le Québec patriarcal mal, également, de contri- sur la maternité, le partage Mais il paraît que par les buer avec tout le poids de sa des tâches, l'indépendance temps qui courent le mot notoriété à enfoncer encore financière, l'infiltration des Québec n'a pas la cote d'a- dans la tête des gens cette lieux de pouvoir décision- mour auprès de l'éventuelle ségrégation de bien-pen- nels. lectrice ou lecteur, dixit les livres sant-e-s : il y a d'un côté les Mais elle ne rate pas une papes du marketing. bonnes féministes modérées occasion de se démarquer, Mais que cela ne vous arrê- et de l'autre, les méchantes de se désolidariser de toutes te pas car c'est un beau gros radicales qui détestent les celles qui, de plus en plus et grand livre et le plaisir de hommes. Ad nauseam. De nombreuses, réfléchissent lire un texte de cette qualité répéter encore que le dis- sur des questions plus impo- passe même par un certain cours lesbien est omnipré- pulaires comme le salaire au confort visuel car la typogra- sent (ah oui ?) dans la littéra- travail ménager, le pacifisme phie ne vous arrache pas les ture féministe où il répand un et la démilitarisation, la por- yeux et la mise en page est véritable terrorisme idéologi- nographie et tous ces petits bien aérée. que. Et c'est réparti, mon kiki ! attentats quotidiens, ordinai- Comme si elle éprouvait le res et répétitifs (violence fa- besoin de racheter sa crédi- miliale, inceste, harcèlement bilité au moment où elle dé- sexuel, viol) qui font partie La modération cide de prendre parti pour les des conditions de vie et de a-t-elle meilleur femmes. Sans le vouloir (?), travail de l'ensemble des goût ? Lysiane Gagnon a fait un livre femmes. Misérabilisme et at- polémique. Vivre avec les hommes, Lysiane titude victimisante de la lutte Gagnon, Éditions Québec/Amé- Mais qui veut-elle tant des femmes, dira-t-elle avant rique, Montréal, 1983. apaiser? Sans cesse, à la de rétorquer : «Pour une fem- Lysiane Gagnon ne voulait lecture, j'ai eu le sentiment me battue, il y en a bien neuf pas taire un livre polémique, que c'est aux hommes qu'elle qui ne le sont pas !» mais plutôt un ouvrage fémi- s'adressait. D'ailleurs, ils l'ont En féministe légaliste, mi- niste qui s'adresse à tout le bien senti. Les confrères jour- sant sur le changement des monde, femmes et hommes nalistes n'ont pas été longs à lois et des mentalités, en in- précise-t-elle lourdement. lui avouer que, pour une fois. tellectuelle libérale craignant J'aime ce livre pour plu- Vivre avec les hommes, paru un livre féministe ne les agres- sieurs raisons: parce qu'il tard cet automne, était dé|à sait pas. L'un d'eux s'excla- plus la censure que les effets est tantôt un essai, tantôt un un best-seller (près de mera même: «Enfin, un livre de la pornographie, Lysiane document et même très sou- 20 000 exemplaires vendus) féministe qui s'adresse à l'in- Gagnon n'a qu'un leitmotiv: vent les deux à la fois. Parce à la première tempête de telligence ! ! !» Ce sont deux envahir les lieux de travail ré- que le syndicat du crime qué- neige (le 16 novembre, rap- hommes qui ont ouvert les munéré, gravir les échelons bécois, international et pla- pelez-vous). yeux de Lysiane Gagnon sur et accepter de prendre du nétaire y est analysé, raconté Pourquoi un tel engoue- le féminisme autour des an- pouvoir. Comme s'il suffisait à travers, bien sûr, la pensée nées 70. Aujourd'hui, elle et la réflexion de l'auteure, ment alors qu'on se gausse qu'elle nous y invite, que tant à répéter que le féminis- congratule plusieurs d'entre mais aussi en référant à la me est dépassé, trépassé? eux - les «nouveaux» - qui nous en ayons envie, et que pensée radicale féministe, et Voilà une réflexion élémen- changent de mentalité, qui nous décidions de le faire. plus souvent qu'autrement taire sur le féminisme au acceptent le partage des tâ- L'égalité des droits, même lesbienne, de la dernière dé- Québec où, à travers des té- ches domestiques (seule- minimaux, elle devrait pour- cennie. La plus largement ci- moignages, des statistiques, ment six minutes par jour de tant le savoir, est encore tée : Adrienne Rich. Mais des références à l'actualité et plus qu'il y a dix ans, selon les l'apanage des mieux nanties. aussi Mary Daly, Phyllis Ches- à la vie quotidienne, la célè- chiffres du Forum économi- ARIANE EMOND ler, Andrea Dworkin, Merlin bre journaliste rend compte que du CSF), qui prennent le Stone, Françoise Colin, Luce avec conviction de l'itinéraire temps de mieux connaître et Irigaray. Et |e l'aime encore sinueux et souvent rocambo- aimer femme et enfants. Mais plus, ce livre, parce qu'Ar- lesque des principales re- c'est tous les hommes, dirait- Le Québec mande Saint-Jean a trouvé vendications des femmes on, qu'elle cherche à rassu- patriarcal source, élan dans la pensée d'ici. Bref, c'est un bon état de rer, à encourager (quitte à les des femmes d'ici, dans la cul- la question, encourageant de conseiller, dans un passage Pour en finir avec le patriarcat, ture des femmes d'ici. Entre surcroît. Accessible, ce tra- plutôt disgracieux, sur la Armande Saint-Jean, Editions autres : Louky Bersianik, De- meilleure façon de «flirter» les Primeur, coll. Opinions, Montréal nise Boucher, Francine Le- vail de synthèse journalisti- 1983. que fournira sûrement des nouvelles femmes...), à per- may, Michèle Jean, Thérèse arguments (statistiques et suader de moins s'agripper à Laliberté, Francine Pelletier historiques) a la majorité des leurs privilèges de sexe et à Le livre d'Armande Saint- et surtout Nicole Brossard femmes, même à celles qui leurs idées reçues. Tout cela Jean, je l'attendais depuis dont elle cite un texte remar- sont encore rébarbatives à au nom d'un nouvel humanis- longtemps. N'y travaillait- quable rédigé dans les bel- l'étiquette féministe, tout en me un peu mièvre. elle pas depuis 79?... Com- les années du collectif des ayant dé|à entrepris une ré- Et c'est aux hommes qu'elle mençons par le moins impor- Têtes de pioche (p. 173, cha- flexion d'autonomie. veut parler du féminisme tant : je n'aime ni la maquette pitre sur la violence). Les feintes de constante, un aller-retour de la l'escrimeuse lucidité (ou de la sincérité) qui fait que l'auteure se cache Georgie et Délira Notes de la salle de. rédaction, encore, prétendant se livrer. Nathalie Pétrowski, Éditions Al- Du moins se livrer au jeu de la beri Saint-Martin, Montréal. 1 983. vérité. Délira Cannelle, Jeanne-d'Arc Sans doute parce que je Jutras, Éditions Québec/Amérique, suis aussi journaliste (et non Montréal, 1983. critique) j'ai des problèmes à J'attendais ce deuxième commenter le recueil de Na- Synthèse de nos condi- roman de Jeanne-d'Arc Jutras thalie Pétrowski. D'abord j'ai- depuis longtemps. Après tout, tions d'existence dans tous me en général l'insolence de ces lieux de violence et de son premier roman, Georgie, son regard et le fait que son date de 78. Enfin la voici, pé- destruction de la conscience, style d'écriture tranche au- ce livre pose aussi les jalons Ce que le livre révèle de plus tante de santé mentale, d'hu- tant sur la grisaille ambiante. mour. Cette fois, dans le silla- d'une réflexion sur le futur Et Je connais aussi les affres de intéressant, ce sont les con- cette réflexion me paraît d'au- tradictions de Pétrowski elle- ge de Georgie, il y a Délira l'entrevue, la tyrannie du Cannelle, une petite native tant plus plausible et perti- deadline et les jugements hâ- même. Et l'enfant prodige du nente qu'Armande Saint-Jean journalisme québécois n'en de Saint-Prépusse qui a pris tifs qu'elle entraîne parfois, le fixe, «le coeur sur l'flat» travaille sur le terrain, parmi l'intimidation du pouvoir des manque pas. Elle en avoue celles «qu'on appelle encore, quelques-unes en passant, avec sa maladie des horos- autres et la satisfaction nar- copes, des bingos, pauvre hélas, les femmes ordinai- cissique de voir jouer son bien sûr, mais sans creuser. res»... «Mûrissement, appro- Il est amusant de voir, par comme de la pisse de chat propre pouvoir d'influence. dans la ruelle. Délira Cannelle fondissement, consolida- Cette entreprise de collecte exemple, à quel point le fémi- tion...» c'est l'étape actuelle nisme comme référence qui lutte à sa façon contre la de textes et d'auto-critique mort, le découragement, en- du féminisme québécois, m'a donc semblé intéressan- d'analyse politique et cultu- nous dit-elle. Et dans ce relle est constant dans ses tourée de ses pétunias en te. Mais mon intérêt «profes- plastique sur son balcon du sens, son livre est aussi une sionnel» a été déçu, juste- textes, très intégré et «natu- bouffée d'oxygène, un acte de rel» dès qu'elle dissèque un grand Montréal. Pis Rosette ment, par l'inégalité du travail Lanoix qui veille sur elle et reconnaissance. A lire sans d'auto-critique annoncé. On Gérard de Villiers ou un gogo faute. boy, à notre grand plaisir. qui a décidé de se recycler sent trop souvent la justifica- dans la vraie vie avec des tion, ce côté première-de- Qu'elle refuse l'étiquette fémi- niste comme la plupart des cours sur le divorce. Pis JOVETTE MARCHESSAULT. classe-qui-a-toujours-raison Georgie qui a l'air de penser et, surtout, un réserve «libres-penseuses» dont ce Étang aux Oies beau métier est truffé ou que «la politique c'est le top qu'elle l'accepte, elle a de des sacrements... Une toile bons réflexes, comme on dit. d'araignée coast to coast...» Ça se gâte quand elle parle et que nos rares femmes poli- du féminisme ou des féminis- tiques «sont bien trop polies tes ; le terrain est plus déra- avec les gars du gouverne- pant que la sous-culture des ment...» Georgie et son com- René Simard et Céline Dion, plice, son ami d'enfance, P'tit on sent l'escrimeuse mal à Maurice ; Georgie et sa mère l'aise. Comme si la critique qui mène une lutte à finir con- consistait à jouer constam- tre sa grosse laveuse Con- ment les choses les unes nor; Georgie et son premier contre les autres (ex: «des- amour, Irène, Irène dont le cendre» le côté granola de sourire lui passe à travers le Paul Piché pour ensuite re- ventre. procher aux autres artistes Toute une galerie de per- de ne pas s'impliquer socia- sonnages des deux sexes lement comme lui ; faire un drôles à pogner la crampe ou réquisitoire féministe contre tristes à pleurer. Et c'est tou- les gogo boys ou les nou- jours juste et percutant. Poi- veaux objets sexuels mâles gnant ! Décapant ! du cinéma américain et ac- Ce qui me frappe aussi, cuser ensuite les féministes c'est l'efficacité des dialo- de manquer de largesse gues, la force et la clarté des d'esprit, etc.) elle prend alors images. En terminant ce livre, le contre-pied de ses propres l'ai pensé qu'il tenait autant propos. Contre toute logique du scénario de film que du interne, à mon avis. roman et que Jeanne-d'Arc Je réagis d'abord en «mili- Jutras est une sacrée bonne tante»? C'est possible, mais dialoguiste. Pour faire parler cela n'exclut pas le désir de aussi vrai, aussi dans le ton, il cohérence. Peut-être était-il n'y a que Michel Tremblay. un peu tôt pour ce jeu de la vérité-là? JOVETTE MARCHESSAULT Etang aux Oies FRANÇOISE GUÉNETTE sereinement dans le jeu sans délit gravement anticonstitu- mais traité à la manière qui failles. Même les clichés font tionnel. Réalisé sans préten- pogne ces temps-ci, au théâ- peau neuve et quand elle écrit tions, tout le film repose sur la tre : en chantant, en dansant, «la vie en rose» on se doute performance de Julie Walters, en riant. Et l'avoue que tant qu'elle prenait un verre avec une Rita extraordinaire, bien qu'à parler des rapports de Piaf à Paris en 19... appuyée par un Michael force et de la toujours-pas- Les Coïncidences terres- Came très crédible. très - heureuse - condition - tres transcendent les temps Parce que le ton n'est ja- des - femmes, autant en rire et les époques. Qui avons- mais moralisateur, parce que de temps à autre. nous rencontré? Qui avons- Rita est tordante avec ses Il y a d'ailleurs dans Marie nous aimé à Giseh ou à Bang- talons aiguille sur les pavés brûle-t-elle quelque chose Alexandrie en 1930 kok ? Où et quand sommes- et sa franchise crue, parce qui fait penser à l'Enfin du- nous venues au monde ? Et que le rapport entre eux son- chesses ! des Folles Alliées, Les coïncidences terrestres, Yo- ne vrai, cette histoire qui au- avec moins de swing, moins lande Villemaire, Éditions de la qui est vraiment celle que l'on pleine lune. Montréal, 1983 nomme Yolande Villemaire rait pu être banale nous fait de talent pour la chanson, en 1983 à Montréal, Québec? rire sans arrêt et nous touche aussi, mais avec une scéno- profondément. graphie terriblement effica- J'ai toujours eu une préfé- ce. Et le fait d'engendrer le rence pour les textes en prose ANNE-MARIE ALONZO FRANCOISE GUÉNETTE tout par le biais de deux sor- de Yolande Villemaire, pen- cières - venues voir si nous sant que sa poésie n'avait avons «évolué», si elles ne pas ce petit mouvement, cette cinéma théâtre sont pas mortes au bûcher «grâce» de plus que l'on trou- pour rien - donne du souffle vait dans ses romans. Je me Enfin sorcières à la pièce, en plus de fournir suis dit la même chose en My Fair Rita une merveilleuse occasion lisant les deux ou trois pre- Marie brûle-t-elle. par le Théâtre de réhabiliter ces femmes Educating Rita. avec Julie Wal- du 1er Mai, à l'Atelier continu, nov. miers poèmes (ou textes poé- lers et Michael Caine. Angleterre, plus sages que méchantes, tiques) de son dernier recueil. 83 1983 Si ce n'était de la forme, préoccupation qu'on aurait Les Coïncidences terrestres. pu, à mon avis, pousser plus Et puis, par cette sorte de Heureusement, ils ne se certain-e-s diraient que la pièce est «dépassée», puis- loin. Car ce qu'on cherche magie qui habite l'écriture de marient pas à la fin et n'auront dans un bon show, c'est aus- Yolande Villemaire, je me jamais d'enfant. Ils s'embras- qu'il s'agit d'un thème sou- vent traité ces dernières si ce qu'on cherche en lisant, suis laissée prendre. Littéra- sent à peine et cela suffit. en écoutant, en voyageant... lement. 33 poèmes, à cause Educating Rita est bien mieux années : le problème des rapports hommes/femmes, découvrir ce que nous ne du «Chanel 33», à cause d'un qu'un film d'amour. C'est l'his- connaissons pas encore. chiffre et d'une secrète ap- toire intelligente d'une dou- des uns au «travail», des au- tres «à la maison»... Le B-A, partenance, 33 poèmes très ble libération. Entre la petite FRANCINE PELLETIER brefs et, parfois, une page coiffeuse irlandaise désireu- BA du féminisme, si on veut, pleine sans ponctuation ni se de s'éduquer et le vieil uni- paragraphes comme un arrêt, versitaire alcoolique et blasé, une halte qui essouffle sans s'établit une relation d'estime jamais reposer. Un livre s'écrit. extraordinaire. Par cette femme rose certai- On est loin de My fair lady. nement sage certainement Pygmalion est déchu, cocu, folle qui est certainement cel- bedonnant et il ne croit pas les dont elle parle, de Cléo- plus en la primauté de la con- pâtre à Sarah Bernhardt Si naissance qu'en son statut Yolande Villemaire me disait social. Mais Rita, elle, tient à que nous avons pris un thé à passer par là, à gagner ses la menthe à Alexandrie en jalons d'étudiante, à sortir de 1930, je la croirais, je crois la médiocrité de son milieu même que je m'en souvien- de la maternité automatique, drais. Je suis née en 1 951 à des samedis soirs de pub Alexandrie, Égypte. Et jamais local, quitte à changer de tête, Québécoise ne m'avait tant de mots, de mari... Tout, pour (et si bien) parlé de mon pays enfin avoir le choix. Cela l'o- natal. Jamais Québécoise blige à des ruptures: mari, n'avait écrit dans ses livres famille, quartier, tout y passe des mots arabes en français, Deux ans plus tard, Rita est n'avait «conté» l'arabe dans «éduquée», et toujours elle- sa langue à (Y)elle. Et par même. Et lui, qui craignait tel- cette magie certainement lement la transformation de sage et certainement folle. son élève, comprend enfin la Yolande Villemaire bascule nécessité désespérée de sa les langues et les cultures, démarche. Malgré l'affection, donne au sphynx le visage la séparation finale du maître immortel de Greta Garbo, ré- et de l'élève est sereine: ils cite les phrases incantatoires se sont «sauvés» l'un l'autre du bouddhisme, égrène les du naufrage. Mais qui était le chansons de Piaf avec un maître et qui l'élève? naturel inquiétant. Et tout Le film est tourné en Irlan- prend sa place, tout semble de, où la procréation est un entrer parfaitement et sacrement et l'avortement un avec tant de lucidité, le défi de vivre chaque jour un peu mieux, d'aimer, de s'aimer, d'être bien aimée, de s'ap- partenir, de se réussir - les grands thèmes, quoi !-ça fait du bien, ça émeut. Et Louise Rendez-vous pour l'éternité Forestier sait émouvoir jus- qu'aux frissons. Malgré le fait que l'aie trop senti par moments le soin maniaque apporté par «ses complices» (à l'éclairage et à la mise en scène) à tout pla- cer, à trop ordonner ce si petit lieu scénique qu'est le Quat- sous, le spectacle était gé- néreux, varié, drôle, le son splendide, parfois même duveteux. Je serais bien res- tée pendant l'éternité (plus un jour!) à l'entendre chan- ter, suspendue à sa voix, à ses traits mobiles et à ses bras - si beaux - qu'elle dé- ploie comme des ailes. Avec Forestier, l'appella- tion «chanteuse-interprète» se bonifie et prend des airs de grand art. Elle chante Avec le temps du vieux Ferré avec génie. Et désormais, elle offre de plus en plus de textes d'elle (Alerte, Du blues dans l'air, Junkie Lady et d'autres, dont le merveilleux Cantic du Titanic) et des tex- Louise Forestier, spectacle pré- senté au Théâtre du Quat-sous, tes de femmes ; Francine du 1 8 au 29 octobre, et au Théâ- Ruel a beaucoup écrit pour tre Félix-Leclerc, du 13 au 18 mars ce spectacle et très bien. prochain. Forestier a eu le pari mo- deste après cinq ans d'ab- Tous les superlatifs ont été sence. Le Quat'sous, quant à utilisés pour encenser la per- moi, arrivait mal à contenir formance de Forestier et son pareil talent ou, au contraire, retour sur scène. Elle les mé- le contraignait peut-être, trop. ritait tous, largement. Louise Le spectacle lui-même pé- Forestier possède tout ce chait parfois par trop de for- qu'il faut pour être portée aux malisme (les fausses sorties, nues : une voix incompara- les faux rappels, les trois cos- ble, un sens de la scène aigu, tumes de scène pas toujours une maîtrise bien dosée des très seyants) et semblait trop métiers de chanteuse et de tassé sur lui-même, tel un car- comédienne, ce qui n'est can rigide empêchant l'artis- déjà pas banal, une qualité te de donner toute sa mesure de présence magique, de - ou d'en déborder. l'humour, et-autre bonheur- Maintenant qu'elle sait un choix heureux de beaux qu'on ne l'a pas oubliée, j'ai textes intelligents. Ajoutez à hâte de voir Louise Forestier cela des musiques qui ont se payer un spectacle où elle pris du poil de la bête ; com- nous apportera davantage ment ne pas se sentir com- encore du nouveau - comme blée ? en deuxième partie - et où Le spectacle que j'ai vu fin elle prendra toute la place octobre rendait heureuse, si qu'il faut, tout l'espace qui lui |e peux m'exprimer ainsi. Non revient pour dire ce qu'elle a pas que Forestier y chante envie de dire. Je sais, on est tellement la joie de vivre! souvent trop exigeante avec Bien au contraire. Mais voir les gens qu'on aime. cette femme à la quarantaine avouée chanter si bien, et ARIANE ÉMOND effets sonores et visuels Mais il y a des bémols, et la semblée à peine plus signi- étaient parfois un peu confus, salle ne s'y trompe pas. Cette fiante que certaines ritour- à force d'en remettre. Leur façon de «sertir» les mots nelles des |eunes auteurs- musique, elle, ne pêche pas semble parfois mécanique et compositeurs tant décriés par excès d'imagination et donne au spectacle un petit par nos parents. Et puis la d'audace, louant à coup sûr air emprunté. Une spectatrice séduction... On parle à un sur les ramparts les plus expliquait ce malaise par le spectacle de Gréco, on expri- connus du rocket du funk. La cadre physique du concert, me à haute voix ses apprécia- recette, à mon sens, est un une salle selon elle trop gran- tions. Mais doit-on roucouler peu simple, naïve et elle n'est de pour cette «diseuse» de quand elle roucoule, ronron- Beau, bon, standard pas utilisée avec toutes les cabaret qu'est Gréco. Ce qui ner quand elle ronronne? nuances possibles. À la lon- reste convaincant dans un Cette manifestation de sé- Parachute Club, au Spectrum, gue, elle devient répétitive et café devient caricatural sur duction «animale» paraît un rue Ste-Catherine, Montréal, 27 novembre lassante. Quant aux textes, une grande scène. Pour ma peu usée, et d'ailleurs, le s'ils ne sont pas vraiment dif- part, |e pense que si Gréco public n'adhérait pas tout à Le Parachute Club est issu férents de ceux de Marna dépouillait ses gestes et sa fait au jeu. Les jeunes et même du groupe torontois Mama Quilla, proches des préoc- manière, les mots n'y per- les personnes plus âgées ne Quilla où performait déjà cupations féministes, en draient pas, bien au con- s'y reconnaissent plus. avec bonheur Lorraine Sega- moins militants, ils sont plus traire... Mais Gréco réussit encore to. Déjà à la fin des années légers, mieux adaptés au Les mots... ceux justement dans certains textes, notam- 70, Mama Quilla avait réussi goût du jour. que les |eunes sont venus ment ceux de Brel. de vérita- une percée appréciable pour Bref, Parachute Club c'est entendre. Ils sont venus voir bles tours de force. Dans J'ar- un groupe de musique dit une soirée chaleureuse... et un «monument» de la chan- rive, par exemple, qu'elle par- marginal c'est-à-dire com- un bel emballage cadeau son, leurs parents, leurs frères vient à transfigurer en un véri- posé exclusivement de fem- pour un cadeau standard. et soeurs aîné-e-s leur en ont table hymne à la vie dans mes musiciennes, féministes parlé, avec la mention inévi- toute sa complexité. Et c'est et lesbiennes de surcroît. DANIELLE LAPOINTE table : une chanteuse qui «dit» là, je crois, au delà des ans et Mais si la vie des groupes est quelque chose. Et c'est tou- des «tics», sa force perma- souvent précaire, la décision jours vrai, du moins pour les nente. Nous dire et nous re- de Lorraine Segato de passer chansons qui constituent dire ce quelle chante magni- la rampe et de s'imposer Sainte Juliette, son premier répertoire des fiquement au début du spec- comme musicienne et chan- caressez-nous années 50 et 60. Parce que tacle : «Non, Monsieur, je n'ai teuse était prise pour de bon. Juliette Gréco, en spectacle au pour moi, les nouveaux textes pas 20 ans, la vie, moi, je tire Elle nous revient donc avec Théâtre St-Denis, Montréal, Ies23 ne sont pas à la hauteur. Le dedans». son Parachute Club, une for- et 24 novembre Pull-over, par exemple, cette mation mixte de trois gars et Gréco nous est revenue, bleuette un peu moche, m'a quatre filles, formation inté- après 1 5 ans d'absence. À 56 MADELEINE CHAMPAGNE ressante et visuellement bel- ans. Toujours aussi mince, le à voir ! Les gars y louent un vibrante, «en voix», avec au rôle de base (batterie, guitare répertoire les bons vieux électrique, basse) discret classiques, Brel, Ferré, Pré- mais efficace. Les femmes vert, les poètes quoi ! prennent le devant de la scè- Et la magie |oue encore. ne avec une aisance heu- Vêtue de noir, sans bijoux, reuse. presqu'immobile, seules ses Le spectacle présenté au mains parlent. Des mains qui Spectrum fin novembre et in- s'envolent, qui soulignent et titulé Rise-up, comme leur caressent les mots, les faisant disque (sur étiquette RCA) renaître un à un. Cette techni- était solide et intelligent; un que d'interprétation très par- bon produit commercial, ryth- ticulière encadre bien des mé, chaleureux et généreux. chansons où le texte prime Mais, quoique réussis, les toujours sur la musique. ce Rapport Bertrand ? Les 1 000 répondantes sont tou- tes lesbiennes, ont entre 1 5 et 75 ans, proviennent de 1 32 localités québécoises, exer- cent 307 sortes de travail. 181 sont mariées, une vit en communauté religieuse, 42% sont en couple, 147 sont mères et 27 grand-mères. événements 15% d'entre elles se disent féministes radicales, 15% pas féministes. Et 85% jouis- 1 000 femmes sent! Aucune recherche n'a témoignent indiqué autant de satisfaction sexuelle chez les femmes en général. spectacles En novembre dernier, avait Cette enquête est une heu- lieu à Montréal le 4e Sympo- reuse initiative et un travail de sium québécois sur les homo- patience: des centaines de Un duo fascinant quelque chose de très beau. femmes invisibles et incon- À 52 ans. la carrure impres- sexualités. 200 personnes, Deborah Hay et Pauline Oliveros, dont 40% de femmes, ont nues sont apparues jaillis- «The Well, a work in process», sionnante, Pauline Oliveros assisté à 32 ateliers portant sant, cette fois, de l'enfer des Musée des beaux-arts de Mont- fait penser à Gertrude Stein sur la transsexualité, le SIDA, préjugés sociaux. Mais c'est réal, 8 décembre. ou à un bouddha magnéti- la pornographie, la pédophi- peut-être une copie trop con- En danse, Deborah Hay est sant. Sa musique est poi- lie, le lesbianisme, le fémi- forme du Rapport Hite et qui une sorte de monument. Dans gnante. Jamais je n'avais nisme... n'oppose que des chiffres ce courant savamment appelé entendu pareille sonorité Un de ces sujets a retenu aux préjugés: qu'auraient dit «le post-modernisme», sa provenir d'un simple accor- mon attention : il s'agit de la ces femmes si elles avaient démarche de chorégraphe et déon ! conférence de la psychologue pu parler en fonction d'elles, de danseuse a fait école et sa À 41 ans, le corps musclé Luce Bertrand intitulée Les- dans un autre cadre ? renommée est internationale. (sculpté), d'une élégance bianisme : 1 000 femmes té- Pour la première fois, elle peu commune - presque moignent, un avant-goût des MARIE-ANNE RAINVILLE était de passage à Montréal, sophistiquée- Deborah Hay résultats d'une recherche à en décembre, accompagnée a une présence envahissante. paraître en mai. Que révélera d'une autre cheffe de file, en Elle a souvent répété qu'elle musique actuelle cette fois: trouvait désagréable qu'on Pauline Oliveros. doive se creuser la tête pour Haya dansé, au Musée des découvrir le sens caché d'une beaux-arts, devant une salle oeuvre. Elle dit de ses cho- comble... et comblée, une de régraphies : «Ce que je danse, ses dernières chorégraphies c'est ce que vous voyez - The Well, a work in process, quoi que vous voyiez.» dont Pauline Oliveros signe Moi qui ne la connaissais et interprète à l'accordéon la que de réputation, j'y ai vu très belle trame musicale. Il y une danseuse a la technique a des précédents célèbres remarquable, minimaliste (per- de collaboration entre choré- sonnellement, j'en aurais pris graphe et musicien-ne : Sta- davantage) et extrêmement vinsky et Balanchine,Copland visuelle. Elle place et déplace et Martha Graham, John Cage minutieusement son corps et Merce Cunningham. dans l'espace, avec une belle D'ailleurs, son apprentis- imagination et un constant sage en danse «post- souci d'esthétique. Par mo- moderne», Deborah Hay l'a ment, cette préoccupation acquis au début des années esthétisante paraît gratuite, 60, au sein de la Judson un peu précieuse, et devient Memorial Church à New York. même lassante dans la der- Et Merce Cunningham était le nière partie de la chorégra- leader de ce groupe d'artistes phie, mais l'ensemble dégage d'avant-garde et multidisci- une telle sobriété et une telle plinaires qui devait boulever- «santé» qu'il rachète les mo- ser la danse aussi profondé- ments de formalisme pur Et ment qu'lsadora Duncan comme la chorégraphie elle- l'avait fait au tournant du siè- même, la musique, toute cle, en répudiant le ballet méditative, s'inspire d'un classique au profit d'un mou- lyrisme oriental mais trans- vement plus libre et plus per- posé «here and now». sonnel Sur scène, l'image de ces ARIANE ÉMOND deux femmes est saisissante et leur complicité retenue a planète. En marchant dans la rue, Montréal devenait étran- gement himalayenne. J'avais l'impression que seule ma robe très étroite qui me ficelait le corps, elle seule m'empê- chait de me disloquer et de chuter au milieu du magma de cambouis urbain qui s'étalait sur le bitume. pudeur. La même intensité. Et puis, Laura Laur, quel beau Si toi tu refuses de comprendre cette fascination, c'est que nom... tout simplement tu n'as pas vu ce que moi j'ai vu, la vision dépasse l'entendement et la description. ANNE-MARIE CLOUTIER J'avais poussé au hasard une porte de boutique semblable à mille autres, j'avais immédiatement besoin d'une climatisa- tion électrique pour faire cesser cette apnée qui me terrassait. Je me suis retrouvée à l'intérieur d'une boutique de tatoueur. Gratuit Au mur, il y avait une palette de couleurs permises à Faites marcher vos droits. Édi- l'homme tatoué qui se tenait devant moi. Les couleurs tions Bureau Unterberg, Labelle, Jeanneau, Dessureault et asso- miraient sous mes yeux dans un éclat spécifique ; des indigos, cié-e-s, Montréal, 1983. des blancs rosés, des rouges écarlates et des verts thé. des livres L'étude légale qui a publié mauves et des lilas qui s'étendaient sans fin jusqu'à l'extérieur ce vademecum du justicia- de la palette où trônait laconiquement la plus grande réussite ble s'est séparé la tâche en du tatoueur : le noir pur. Également au mur étaient accrochés divisant l'ouvrage en diffé- épars des calques japonais représentant des dragons affo- rents chapitres correspon- lants et tant d'autres reproductions toutes prêtes à être aiguil- dant à des sujets aussi arides lonnées à froid dans la chair des clients possibles. Je ne Laura qui? que les successions, l'insol- pensais à rien du tout. Je le fixais lui, cet homme qui se tenait vabilité ou la faillite ; mais elle devant moi avec toute une série de dessins qui lui serpen- Laura Laur, Suzanne Jacob, Édi- aborde des domaines plus tions Seuil, Paris, 1983. courants comme le droit de la taient la chair. famille, du logement et la pro- Tu refuses toujours de comprendre ? Tu n'as pas vu Rock, Qui est Laura Laur? Victi- tu n'as pas vu l'épaule ni l'avant-bras droit quand il pointait un me, instable, folle, libre? Le tection du consommateur. mystère plane... Sur ses deux De plus, voulant vulgariser, et calque dans l'espoir de me plaire, tu n'as pas vu non plus frères et ses deux amants, qui ce faisant, dédramatiser le l'amorce du lézard qu'il avait sur le ventre, le lézard castané- ne la comprennent pas, qui contexte juridique, les au- dien que je voyais quand la camisole se retroussait audacieu- l'aiment à la course : il faut teur-e-s ont consacré un cha- sement, la peau du tatoueur qui se gonflait en mille alvéoles bien la suivre. Chacun d'en- pitre à la procédure devant quand il se sentait observé, et surtout Rock, il faut que tu tre eux en tient, serrée entre les tribunaux, à mon avis le meilleur de tous. t'imagines l'alentour de la couleur, la ligne qui cercle étroite- ses doigts, une image parcel- ment le dessin, elle est de couleur noire, complètement noire, laire. Du sable. Gilles exige: Mais on peut regretter que cet ouvrage laisse de côté c'est le noir pur. Je sais, l'expression te semblera sonner «Je t'aime, dis-moi tout». Gil- faussement ridicule, pourtant vois-tu, ce ne sont pas mes les est le personnage le plus des notions de droit fonda- douloureux du roman. Mais mentales, celles dont parlent mots, ce sont ceux de l'homme tatoué. lui, on sait qui il est. les éditoriaux de la presse «Il y a seize couches ici» et son doigt suivait le labyrinthe Qui est Laura Laur? Quelle écrite, à grand renfort de phra- foncé, «simultanément seize couches apposées l'une sur importance. On l'aime, cette ses aussi pompeuses qui si- l'autre pour en arriver à obtenir le noir pur...» femme qui sent et pressent. byllines: qu'est-ce qu'une J'avais des mots, des pensées cachées, des idées maus- Dont la présence fait le cli- loi ? un règlement ? pourquoi sades tapies au fond de la tête et en superposition il y avait mat. Et les absences... Que une «première lecture»? qu'est-ce qu'une bataille de devant moi ce très bel homme qui déblatérait en adolescent fuit Laura Laur? La violence sur le concept du noir pur. J'avais les yeux résolument rivés à d'une question? Peut-être. juridiction? la constitution- La corrosion des senti- nalité d'une loi ? Je me rends son bras, j'étais hypnotisée. J'essayais de deviner le fond de la ments ? Sans doute. «Je suis compte en écrivant ces li- couleur, j'essayais de voir si sous cette kyrielle de tons il était le frère de Laur. Il y a une cho- gnes qu'il y aurait là assez de du genre d'homme qui fuyait inlassablement d'un sein et d'un se que j'ai apprise avec elle matière pour un autre ouvra- ventre à l'autre. c'est de ne pas savoir. Elle ge, destiné celui-là à celles «Donnant donnant montre-moi ton ventre, je te montre était contre. Elle était contre qui veulent «décoder» nos mes fesses » savoir une chose. Elle disait médias. Ceci dit, Faites mar- qu'une chose sue doit être cher vos droits demeure une perdue à jamais.» bonne initiative, et on peut se le procurer gratuitement en Une idée d'hystérique venait me traverser en éclair. Mais Impossible, cependant, de I | ma voix s'est étranglée complètement, la parole me «prendre» Laura Laur. Pas s'adressant aux endroits sui- plus que Flore Cocon. Elles vants : fuyait et j'étais incapable d'articuler ma réquisition. demeurent, imprègnent, fouet- Y.W.C.A. des Femmes, 1355 Alors tous mes sens ont éclaté avec fracas et pourtant Rock ce boul. Dorchester ouest, Montréal, n'est qu'à partir de cet instant que le scénario s'est vraiment tent, rattrapent. Des vagues (514)866-9941 sur un rocher. Même si elles Centre de référence et d'infor- articulé. se ressemblent peu. Même mation pour femmes, 3585 rue En allée quelqu'un d'autre s'avançait, j'entendais une voix St-Urbain, Montréal, (514) 842- si elles ne se comparent 4780 off qui surnageait à cette saga. Dans le champ de vision réduit pas. Librairie Aube-épine, 4050 rue qu'il y avait entre son épaule et la boucle de sa ceinture, un Avec quels mots écrit donc St-André, Montréal, (514) 524- 9 9890 bras nouveau et viril s'appuyait et donnait de la pression sur Suzanne Jacob Sûrement son ventre. Le bras dessinait pour moi au-dessus de la ceux d'un autre dictionnaire, sans définitions, sans caté- CHANTAL SAURIOL camisole la forme manquante, la partie invisible du dessin gories, dont elle nous livre, ICI camouflé par le blanc du tissu. Je savais que ce bras me et là, quelques pages, com- parlait, que chaque pore était une bouche qui psalmodiait me Flore cache sa révolte, une description, que la voix tentait vainement de m'attein- comme Laura retient sa ten- dre et de me capter au-delà de ma stase. C'était inutile, je dresse. Avec la même pu- n'entendais pas. J'étais la femme yin, peut-être bien une cliente possible pour le tatoueur, mais avant tout une grande C'est ce magnifique petit dessin qui me carbonisait le haut voyeuse, une complice unique, celle qui leur manquait tant en de la cuisse ; quinze autres rendez-vous pour le plaisir du cette journée suffocante de fin d'été. J'observais le rythme spectacle que m'offraient les hommes tatoués. En cette syncopé du bras qui orchestrait la description de ce dessin où torride fin d'été mon jumeau et mon siamois m'abandonnait primait la plus dense des couleurs. Alors j'ai levé les yeux. au profit d'une autre, il n'était plus mon homme permis, j'étais Je me suis arrachée un moment à cette image captivante la femme yin et possible. pour en arriver à regarder froidement le propriétaire auda- cieux et sans gêne qui enlaçait le torse à demi-nu de l'homme Rock. Les mots sont les mots et les réquisitions camou- tatoué. Les deux hommes me regardaient avec amusement. flées deviennent à mes yeux aussi puériles que des jeux Puis sans brusquerie aucune, comme si ce geste leur était A \ d'enfants. Ce que je n'ai jamais pu tolérer par la suite inné, avec une harmonieuse complicité, ces deux hommes c'est qu'on me dise à moi que je suis vulgaire. Je ne fais pas ont fixé lentement pour moi l'image de la Shiva, une Shiva partie vois-tu, je te le répète, de cette parade grotesque, de ces aux articulations mouvantes, quatre bras colorés qui piano- mots doublés, de ce jeu ridicule où il faut sans cesse arracher taient l'air de la pièce. le loup au visage de ses partenaires. Un unique tatoueur devant moi, un tatoueur à quatre bras Rock Larue. et à deux têtes. Tu connais Marcel Duchamp, ce fameux Marcel Duchamp Le plus jeune des deux et le premier à me fasciner me qui se travestissait en femme et qui écumait de plaisir à se faire dévisageait de ses deux grands yeux indigo. Bleu ! Mais bleu ! appeler Rrose Sélavy... Les temps changent, maintenant on Et sur son bras la même couleur siamoise qui s'agite à l'entrée dit Rock Larue. de son épaule. Le plus âgé des deux décrivait en suzerain Rock is a rose- is a name- is a punk- is a punk- is a game - privilégié sa propriété qu'il considérait comme la plus grande is a man - is a boy - is a rock -. des réussites. La vulgarité est dans un maquillage surchargé, la vulgarité «Là mademoiselle, il y a douze couches, ici dix, par contre là est dans la chirurgie plastique, c'est dans l'asphalte brûlant, ce n'est qu'une esquisse...» c'est quand on a froid et qu'on se fait dire effrontément qu'il À travers cette euphorie maquillée de roses saumonés et de fait chaud pourtant, la vulgarité c'est une fanfare avec une noirs foncés j'imagine que les deux hommes sont dénudés sous musique d'emprunt, c'est une Diva qui chante avec un micro la pluie, les deux hommes qui fondent, les couleurs qui se camouflé entre ses seins... mais ce n'est jamais dans les mots délavent et les deux tatoués qui redeviennent anodins, ou dans les demandes sans raccourcis. communs, sans plus rien d'hallucinant... Je ne voulais pas que Rock. Ça t'a plu ma lettre zen ? cette image disparaisse, il me fallait rapidement penser à Tout ça pour te dire que j'ai égaré quelque part dans ton lit, autre chose pour entretenir la magie. Alors j'ai imaginé tout dans ta chambre, sur la rue Mentana ou Napoléon, je ne me simplement qu'ils avaient chaud. Ils transpiraient. J'imaginais souviens même plus j'étais trop ivre, j'ai égaré ma précieuse la douleur commune et l'odeur âcre du sang mêlé à la peau, petite perle du Japon, une belle petite perle bleu pâle que les tons qui s'altéraient et réapparaissaient successivement. mon jumeau était allé cueillir expressément pour moi au fond Mais le noir était noir et restera toujours noir. d'une rizière orientale. Je voudrais que tu me la retrouves. Les tatoués avec les tatoués, l'amour avec le risque, la Rock. Au-delà de tous les «night cap» du monde entier il beauté de cet homme réservé au maître, mais noir c'est noir et reste que je serai toujours fascinée par ceux qui portent une invariablement on ne pourra jamais travestir ces choses-là. empreinte spéciale, ceux qui ont une griffe imprimée dans le Soudainement toutes les images se sont envolées sans repli du bras droit, ceux qui sont yin et qui sont yang. Les mots aucune promesse de retour et je me suis retrouvée seule au sont les mots, le noir est noir et comment dire encore, «rock milieu de la rue avec une goutte de sang qui perlait sur le haut with you was so nice»... de ma cuisse et une imagination qui finira sûrement par me Vas-tu me dire enfin si tu as retrouvé ma précieuse petite tuer. Pour l'homme tatoué j'étais devenue une cliente possi- perle, celle qui est minuscule comme le soufre d'une allu- ble et quand il m'a fait choisir au mur le calque qui me plaisait mette ? le plus, je n'ai eu aucune hésitation ; il n'y avait parmi tout cet Moi vulgaire ? étalage qu'un seul dessin comportant une unique couleur, Je t'embrasse, tu sais où... c'était une minuscule illustration représentant un insecte mortel, une veuve noire. LOUISE BOUCHARD es exemples, ces mots illustrent politiques ; ils s'imaginent que «si on les empêche d'être vainqueurs, il ne leur bien notre dilemme. La violence, 4 Je dois dire que je suis banalisée, est devenue un restera plus que le rôle de victimes». C Pour nous en sortir, il nous faut donc moyen de communiquer, et quand nous heureuse. J'aurais voulu nous sentons menacé-e-s, notre pre- trouver autre chose que des stéréo- l'être à 30 ans mais, bon, mière défense. Et c'est ça qui est types. absurde. Parce qu'il faut bien voir qu'en c'est déjà bien. temps de crise, toutes les stratégies algré toutes ses lacunes, la connues - gel des armes ou équilibre non-violence (terme hélas né- des forces - ne servent à rien : ultime- M gatif et ambigu) demeure la LVR: Vous avez été heureuse à partir ment, ce ne sont pas des armes qui font solution la plus intéressante. Mais il de quand ? faut la comprendre différemment, selon la guerre, ce sont des hommes et (de BG: À des tas de moments dans ma vie, plus en plus) des femmes, avec leur qu'on est un homme ou une femme, et savoir faire des nuances à partir de son c'est sûr. Mais, comme Simone de conditionnement à la violence. Beauvoir, en acceptant beaucoup de Alors, la réponse est-elle dans la non- expérience vécue. Les hommes de- vraient sans doute prendre la formule à choses. Peut-être trop. Mais après tout, violence? Des féministes le pensent, j'aurais peut-être cassé des choses en qui sont en train d'articuler une action la lettre, en plus d'apprendre le «nurtur- ing», c'est-à-dire à prendre soin des étant plus dure ou radicale ? C'est diffi- féministe et non violente en passe de cile à dire... devenir l'avant-garde du mouvement autres ; les femmes, elles, doivent pour la paix. D'après Elizabeth Dobson apprendre à être beaucoup plus agres- LVR: Vous faites partie d'EXIT, une Gray, théologienne féministe améri- sives, à tenir leur bout, à ne pas éviter le association qui aide les gens à se suici- caine, une des raisons pour lesquelles conflit à tout prix. Il ne faut pas confondre der. Pour vous, il est important de savoir nous nous retrouvons dans cette situa- la non-violence et la passivité. En fait, que cette solution - le suicide - existe ? tion déplorable de pollution, de déchets c'est une façon d'affronter le conflit radioactifs, de stockage de bombes, sans nécessairement perdre les péda- BG: Oui. Je suis en santé maintenant c'est que les hommes n'ont jamais appris les. Sa tactique préférée, par consé- mais je ne voudrais pas vivre diminuée, à «se ramasser» - puisqu'il y a toujours quent, est la non-coopération, ou et dépendre de quelqu'un. J'admire les eu une femme pour le faire. Même Gan- désobéissance civile : refuser de payer gens qui se suicident par «dégrada- dhi, sexiste à ses heures, reconnaissait des impôts dévolus à la production mili- tion» : Montherlant, devenant aveugle... que «si par force on entend force morale, taire, refuser la conscription, faire la LVR: Koestler et sa femme... alors la femme est infiniment supérieure grève, etc. Comme, pour les femmes, le à l'homme. Si la non-violence est la refus de se marier, de faire des enfants BG: Oui, mais il a entraîné sa femme ! règle de l'existence, alors le futur appar- sans envie de verser le café pour le Quel homme aurait suivi sa femme ma- tient aux femmes».3 boss, sont autant de moyens de ne pas lade ? Elle n'avait que 50 ans. Elle avait abdiquer son pouvoir face aux gens qui encore du temps à vivre et lui était fichu. Mais il y a un piège dans ce type en détiennent davantage. d'affirmations, qui posent comme natu- Je trouve ça malhonnête. Leur fils de 20 relle la non-violence des femmes sous «Apprendre à regarder son adversaire ans avait peut-être encore besoin que prétexte qu'elles portent la vie. Partiel- en face, sans broncher, sans sourire, sa mère soit là, elle avait peut-être en- lement vraies, elles présentent le dan- sentir sa colère et le droit à son corps et core des choses à vivre. Une autre fem- ger d'idéaliser un comportement en fait son espace, et puis pouvoir penser et me qui s'est laissée briser par l'amour. conditionné. Il ne faudrait pas l'oublier : respirer suffisamment pour réagir...» Une de plus. c'est en cultivant notre gentillesse, notre Voilà, revue et corrigée par des cours douceur, notre serviabilité, en faisant d'auto-défense, la conception que se Mais il est plus de 11 heures, la con- de nous des «faibles», que les hommes fait de la non-violence une féministe versation s'interrompt. En attendant le ont pu nous exclure du pouvoir. En américaine. C'est ici que le féminisme taxi, Benoîte Groult sort de son sac continuant de nous définir à l'encontre et la non-violence, tous deux convaincus quelques photos. Ses filles ? Son mari ? du pouvoir, de la violence, des hommes, de la nécessité de changer le monde, Mais non, ses maisons, en Bretagne, en nous risquons de tomber à notre tour se complètent, sans doute essentiels Irlande... Cette maniaque de pêche dans le déterminisme biologique, «l'idée l'un à l'autre à un moment aussi crucial nous a parlé plus tôt des oursins et des la plus dangereuse qui soit au monde», de notre histoire. homards qu'on trouve là-bas, à marée selon Andrea Dworkin, et de faire alors Alors que le féminisme est la base de basse. Nous nous extasions, en riant. «partie de la maladie qu'il faut guérir». mon refus et de ma colère, l'action non violente est une façon de ne pas être LVR: Où est-ce que vous logez? e plus, cette association d'idées paralysée par cette colère, de ne pas BG: Au Ritz ! C'est la première fois de - femme et non-violence - ne rester figée, d'imaginer une réponse. La ma vie que je loge au Ritz. Vous voyez D serait-elle pas une tentative de non-violence me permet aussi de croire où mène le féminisme! refouler nos propres sentiments violents - et il le faut - que d'autres trouveront face aux hommes et aux femmes qui les moyens de changer comme nous, les femmes, avons su le faire. Surtout HÉLÈNE PEDNEAULT, nous provoquent? Je me souviens FRANÇOISE GUÉNETTE, qu'enfant, je m'emportais facilement ; qu'ils et elles n'ont plus 13 ans. un coup de coude malencontreux suffi- ARIANE ÉMOND. sait parfois à me donner «envie de tuer». PHOTOS DE LOUISE DE GROSBOIS Vers l'âge de huit ans, on me fit sentir FRANCINE PELLETIER l'interdit, le «pas beau» de l'affaire - et j'arrêtai net. Malheureusement, peu 1 / Peter Martin, «Rerunning the War» in après, je tombai dans l'oeil d'un petit MOTHER JONES, É.U., novembre 83 dur qui, pour me prouver son attention, 2/ Dans «Caldicott». PEACE CALENDAR, me traînait littéralement sur le gravier Toronto, novembre 83 de la cour d'école. De «tueuse», j'étais 3/ Judy Costello. "Beyond Gandhi An Ameri- vite devenue une victime, je n'avais pas can Feminist's Approach fo Nonviolence" tellement le choix. Même si personne Reweaving the Web of Life : Feminism and ne veut être victime. Nonviolence. New Society Publishers, Phi- ladelphia, 1982 C'est d'ailleurs pourquoi, entre autres, 4 / Karen Malpede, "A Talk on Feminism and le pacifisme a si souvent mauvaise Militarisme" Reweaving the Web of Life, op presse, surtout auprès des hommes cit.