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Perspective Actualité en histoire de l’art

2 | 2006 La Suisse/Période moderne /Early modern

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/perspective/95 DOI : 10.4000/perspective.95 ISSN : 2269-7721

Éditeur Institut national d'histoire de l'art

Édition imprimée Date de publication : 30 juillet 2006 ISSN : 1777-7852

Référence électronique Perspective, 2 | 2006, « La Suisse/Période moderne » [En ligne], mis en ligne le 20 décembre 2012, consulté le 11 octobre 2020. URL : http://journals.openedition.org/perspective/95 ; DOI : https:// doi.org/10.4000/perspective.95

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SOMMAIRE

L’INHA, un foyer vivant pour la recherche Antoinette Le Normand-Romain

L’histoire de l’art dans un pays Jean-Pierre Cuzin et Olivier Bonfait

L'histoire de l'art en Suisse

Débat

Jean Starobinski et les arts : une relation critique Entretien avec Jean Starobinski par Pascal Griener et Stéphanie Cudré-Mauroux Jean Starobinski, Pascal Griener et Stéphanie Cudré-Mauroux

« Fantasmes » et réflexions autour d’un lac. Aperçu d’histoire de l’histoire de l’art en Suisse romande. Dario Gamboni

Des fantasmes d’une Suisse insulaire : le mythe de la « civilisation lacustre » Marc-Antoine Kaeser

Image des Alpes : image de la recherche en Suisse ? Pascal Ruedin

Pourquoi l’histoire de l’art suisse intéresse-t-elle ? Entretien avec Enrico Castelnuovo par Antonio Pinelli Enrico Castelnuovo et Antonio Pinelli

Travaux

L’art « suisse » et son histoire (1755-1983) Oskar Bätschmann et Marcel Baumgartner

Géographie artistique et identités collectives : les arts dans les cantons helvétiques à la fin du Moyen Âge Frédéric Elsig

Art nouveau et Symbolisme en Suisse : état de la recherche sur la peinture, 1890-1914 Laurent Langer

Actualité

« Les Helvètes à ». Les artistes suisses formés à l’école des Beaux-Arts, Paris,1793-1863 Pascal Griener

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De l’in-octavo au simple clic. L’Institut suisse pour l’étude de l’art (ISEA) et les publications scientifiques sur l’art en Suisse Matthias Oberli

Enseignement et diffusion du design contemporain en Suisse : un aperçu des nouveautés au tournant du millénaire Sibylle Omlin

Topographie architecturale suisse : inventaires et guides du patrimoine Dave Lüthi

Les revues suisses d’histoire de l’art Nott Caviezel Nott Caviezel

La Bibliothèque Werner Oechslin à Einsiedeln Robin Middleton

Les colloques de la relève suisse en histoire de l’art : une initiative du corps intermédiaire universitaire Julia Gelshorn

Sélection internet Olivier Bonfait

Période moderne

Débat

Architecture européenne : un « gothique de la » autour de 1500 ? Débat entre Monique Chatenet, Krista de Jonge, Ethan Matt Kavaler, et Norbert Nussbaum Monique Chatenet, Krista de Jonge, Ethan Matt Kavaler et Norbert Nussbaum

Travaux

Pourquoi la n’est plus ennuyeuse. Recherches sur la sculpture française des jardins de Versailles aux panthéons de la révolution Malcolm Baker

Choix de publications par les membres du comité de rédaction

Actualité

Masolino et Masaccio : technique et style Neville Rowley

Isabelle d’Este collectionneuse et commanditaire Jérémie Koering

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Artistes italiens à Fontainebleau. Expositions récentes Carmelo Occhipinti

Pratiques spirituelles et images au tournant des XVIe et XVIIe siècles Frédéric Cousinié

La peinture d’architecture et de perspective dans la Hollande du XVIIe siècle Jan Blanc

Les images de Boucher Éric Pagliano

Paris, cartes sur table Claude Mignot

Collectionneurs et marchands : littérature récente sur le collectionnisme français du XVIIIe siècle Christoph Martin Vogtherr

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L’INHA, un foyer vivant pour la recherche

Antoinette Le Normand-Romain

1 C’est un lieu commun que d’opposer différents types de recherches, celle qu’on pratique dans les musées, qui s’appuierait exclusivement sur les collections et serait dominée par l’actualité des expositions, et la recherche universitaire, réputée plus indépendante des contingences et plus portée aux spéculations intellectuelles et esthétiques.

2 Mais le métier de conservateur comme celui de chercheur au CNRS ou à l’université amène souvent à recourir à l’une et l’autre, qui tantôt s’emboîtent, tantôt se renforcent. toute carrière de conservateur débute par des recherches académiques (et je souhaite renforcer la collaboration avec l’institut national du Patrimoine sur ce point) mais par la suite, un emploi du temps de plus en plus administratif empêche bien souvent le jeune fonctionnaire de continuer ce type de travaux, malgré le désir qu’il en a. ainsi ce n’est qu’en 2005 que j’ai enfin pu mener à bien, en collaborant d’ailleurs avec des universitaires, l’édition de la correspondance de Pierre Guérin, un but que je m’étais fixé trente ans auparavant, alors que je préparais une thèse sur les sculpteurs à l’Académie de France à dans le deuxième quart du XIXe siècle, travail universitaire qui a décidé de l’orientation de ma carrière dans les musées… Je fais cependant partie de ceux qui ont eu la chance de pouvoir consacrer beaucoup de temps à la recherche, presque toujours abordée par le biais des objets dont j’avais la garde, qu’il s’agisse de mener à bien des catalogues de collection permanente, conçus comme des outils de référence, tel celui qui devrait sortir prochainement sur les bronzes de Rodin, ou d’organiser des expositions, d’en éditer les catalogues afin de faire redécouvrir des pans méconnus de l’histoire de la création (La sculpture en France au XIXe siècle, Paris, Grand Palais, 1986) ou de mieux comprendre la genèse d’une œuvre et sa réception par le public (1898. Le Balzac de Rodin, Paris, musée Rodin, 1998). Les objets ne livrent leur message qu’au sein d’une réflexion plus vaste dans laquelle l’expérience internationale que j’ai pu acquérir auprès du musée d’Orsay puis du musée Rodin et les nombreuses relations que j’ai toujours gardées avec le monde universitaire m’ont été précieuses.

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3 C’est là, je crois, la chance de l’INHA : un lieu unique qui rassemble les différents acteurs de l’histoire de l’art ; un institut qui, fort de la présence d’une bibliothèque spécialisée et du voisinage des départements patrimoniaux de la BnF, de la vie scientifique apportée par les universités, les laboratoires du CNRS et les autres centres, ainsi que de la proximité des grands musées (le , Orsay, Beaubourg ne sont qu’à dix minutes à pied), doit être un foyer intellectuel aussi ouvert méthodologiquement qu’exigeant scientifiquement1. Ce lieu est à construire par l’ensemble de la communauté, dans le respect des différentes institutions, et je compte bien approfondir les collaborations déjà mises en place et en créer de nouvelles pour rendre encore plus vivante cette maison.

4 L’INHA bénéficie en effet de trois atouts, sans préjuger des programmes futurs. C’est un institut de recherche qui peut être à l’initiative de chantiers à long terme.

5 Il a la possibilité de constituer des outils de références nouveaux dans leurs objets, même si parfois classiques dans leurs réalisations, qui demandent une réflexion préalable et une longue période de collecte et de mise en forme des données, alors que les musées doivent souvent travailler dans l’urgence pour une exposition et que les centres de recherche sont de plus en plus soumis à des programmes à temps limité. Quelle autre institution en France pouvait mettre en œuvre le répertoire des peintures italiennes conservées dans les édifices publics (plus de 15 000 œuvres tant dans les musées que les églises…), le dictionnaire des historiens de l’art du XIXe siècle (avec une base de données prosopographiques qui sera mise à jour constamment) ou coordonner plusieurs organismes pour dresser un dictionnaire des architectes qui peinait à voir le jour ?

6 C’est ensuite un centre qui, mettant à profit ses liens organiques avec les institutions des ministères de l’Éducation, de la Recherche et de la Culture, est à même de créer des synergies entre des disciplines proches mais souvent séparées et d’ouvrir des chantiers nouveaux, comme le programme AREA, le répertoire des manuscrits médiévaux conservés dans les musées, la base Musica ou encore la base GAAEL, qui recense plus de 600 fonds d’archives d’artistes, de critiques et de marchands contemporains, aussi bien dans les musées que les bibliothèques, et les met en ligne à la disposition de la communauté scientifique.

7 C’est enfin un laboratoire ouvert sur l’actualité scientifique internationale et qui lance des programmes inédits, crée des outils de recherche ou des instruments documentaires nouveaux. J’en veux pour preuve le grand chantier « art dans la mondialisation » ou la base documentaire multimédia qui, dans un proche avenir, devrait permettre à tous de profiter des ressources de l’INHA et des résultats des travaux scientifiques qui y sont menés.

8 Michel Laclotte et Alain Schnapp avaient résolument orienté l’INHA vers une mission de service public pour la recherche. C’est le sens de la grande bibliothèque du quadrilatère Richelieu, dont le ministre vient de confirmer la programmation de rénovation, et sur les ambitions de laquelle je reviendrai dans une autre tribune. Mais ce sont aussi, outre de multiples actions de soutien à différentes manifestations et publications, l’édition de thèses de jeunes chercheurs, l’organisation de nombreux colloques avec différents partenaires ou les Rencontres du mercredi, qui ont déjà permis à la Galerie Colbert, inaugurée il y a juste un peu plus d’un an, de devenir un terrain fertile pour les chercheurs.

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9 En plein cœur de Paris, l’INHA a donc réussi à constituer un réseau national qui regroupe, d’Aix à Lille, nombre de partenaires scientifiques. Mais il a aussi pour but de favoriser les échanges internationaux, ce qu’il fait en accueillant des chercheurs d’autres pays, en soutenant les missions à l’étranger de jeunes historiens d’art français et en développant de nombreux liens avec des instituts de recherche en Europe et outre- atlantique. Les Nouvelles de l’INHA, largement distribuée de par le monde, la revue Perspective, qui associe des chercheurs de tous horizons pour une actualité critique de la discipline, sont un écho de cette multiplicité d’actions, réflexions, contacts, ressources, que je compte bien développer, en collaboration avec tous. Puisse Perspective, au moment où l’INHA entre dans ses années d’adolescence, être fidèle aux idées de ses fondateurs et fournir aux historiens d’art d’aujourd’hui et de demain le lieu de débat ouvert auquel ils aspirent.

NOTES

1. Les projets de recherche en cours sont présentés dans les Nouvelles de l’INHA, n°24, mars 2006, p. 5-9.

INDEX

Index géographique : France Mots-clés : musée, collection, exposition, recherche, conservateur, université, objets, histoire de l'art, bibliothèque, institution, Institut national d'histoire de l'art Keywords : museum, collection, exhibition, research, curator, university, objects, art history, library, institution, national institute of art history Index chronologique : 2000

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L’histoire de l’art dans un pays

Jean-Pierre Cuzin et Olivier Bonfait

1 Comme les autres numéros de la revue, ce fascicule comporte deux dossiers. Dans ce cas, l’un consacré à une période, l’autre, plus original, à l’histoire de l’art dans un pays. Pourquoi une telle démarche ? La réponse pourrait presque se trouver dans le débat ouvrant le dossier sur la Période moderne, qui porte sur le « gothique de la renaissance », une idée qui renouvelle notre appréhension du passage du Moyen âge à la renaissance et de la culture artistique de l’Europe autour de 1500.

2 Cette idée, cette expression, est née au Canada, dans une géographie autre que celle du vieux continent européen, traditionnellement partagé par un clivage fort entre le Nord et le Sud, entre la lumière antique méditerranéenne et les formes « aigües » des anciennes régions « barbares ». L’histoire de l’art se fait en effet différemment, et c’est heureux, non seulement selon les lieux d’où l’on parle et où on la pratique, du musée à l’université, selon les méthodes et les approches que l’on met en œuvre, du connoisseurship à la sémiologie et à la gender history, mais aussi selon la région où on l’a apprise, où on la met en œuvre. Dans cet état des lieux dynamique de l’histoire de l’art que souhaite élaborer la revue de l’INHA, il a paru naturel que Perspective prenne en compte cette dimension géographique de l’histoire culturelle.

3 L’histoire de l’art dans un pays… L’on pense tout de suite à la riche tradition philologique italienne, de Vasari à Longhi, encore continuée aujourd’hui, aux tendances interprétatives de l’histoire de l’art américaine, telle qu’elle se pratique sur les campus, à la Zeitgeschichte allemande, aux questions stylistiques et formelles, qui ont tant structuré l’historiographie de l’Europe centrale. Mais, pour commencer, Perspective a souhaité traiter d’un « petit » pays, la Suisse, et montrer par différentes contributions le dynamisme de l’histoire de l’art qui anime les milieux intellectuels helvétiques.

4 Par un juste retour des choses, la géographie est au centre de ce dossier. La géographie physique d’abord, avec les deux éléments qui caractérisent le paysage suisse, les montagnes et les lacs, et qui, depuis l’histoire de Guillaume tell, ont forgé l’identité de la Confédération et ses mythes, ont travaillé ses fantasmes artistiques et l’écriture de son histoire de l’art. La dynamique historique d’une géographie artistique ensuite, analysée dans ses tensions, avec les notions de centre et périphérie, mais aussi de « double périphérie » ou de densité artistique, qui permettent de dessiner l’histoire

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d’un « paysage artistique ». Enfin, la recherche d’une identité artistique caractérisant un territoire ou une expression politique, tant dans son historiographie que dans ses échanges avec les autres pays. Par son attention aux problèmes de géographie artistique, l’histoire de l’art suisse est devenue ainsi, depuis plusieurs années, passionnante, et participe plus qu’activement aux tendances actuelles de la recherche. Elle y contribue également pour d’autres raisons, liées à l’histoire du pays : les études sur l’iconoclasme, la proximité entre grand art, art populaire ou design, ont induit une réflexion fondamentale sur le culte des images, leur pouvoir, alors qu’au même moment la Collection d’art Brut à Lausanne mettait en cause fondamentalement la notion d’artiste et insistait sur la réception des œuvres. Ces thématiques n’apparaissent qu’incidemment dans ce numéro, mais elles avaient été bien mises en valeur dans la remarquable collection Ars Helvetica, un grand chantier collectif des années 1980, parallèle à la Storia dell’Arte Einaudi en Italie, une expérience qui a cruellement manqué en France.

5 Comment expliquer le développement et la qualité de l’histoire de l’art en Suisse ? Les raisons conjoncturelles évoquées, des conditions matérielles favorables (facilité de moyens, mobilité humaine) qui privilégient sans doute plus le monde universitaire que celui des musées, ne doivent pas faire oublier les causes structurelles. il faut bien reconnaître que la position de la Suisse comme carrefour géographique et linguistique permet à la Confédération d’accueillir de brillants historiens de l’art venant des quatre coins de l’Europe, partageant l’expérience de formations variées et avec des centres d’intérêt différents. La richesse des connexions entre différents pôles, grâce aux multiples réseaux (de celui des chemins de fer à celui des universités), qui relient le pays au- delà des clivages linguistiques permet de briser les compartimentages institutionnels (entre musées et universités) les cloisonnements de disciplines et de pensées, comme le montre la naturelle participation du médecin Jean Starobinski à ce dossier. Cette intensité des échanges, telle celle des vecteurs dans un champ magnétique, a pour effet une activation et une innovation de la réflexion, qu’une certaine distance préserve des effets de modes et des bruits du monde.

6 Dans le dossier présenté, certains aspects manquent à l’appel, soit parce qu’elles ont été très bien traitées récemment, comme les collectionneurs (L’art de collectionner. Collections d’art en Suisse depuis 1848, Zurich, ISEA, 1991), soit parce que, par manque de temps ou de personnes, elles n’ont pu être traitées, comme l’architecture, le Moyen Âge ou l’art vivant. Mais certaines rubriques, comme celles sur les guides patrimoniaux, les revues ou les sites Internet, sont appelées à devenir des constantes de ces dossiers sur l’histoire de l’art dans un pays. Puissent ces derniers remplir leur rôle : inciter à découvrir d’autres traditions, d’autres méthodes, d’autres objets. L’Institut National d’Histoire de l’Art, par ses capacités d’accueil, est un foyer qui attire des chercheurs de tous les pays ; Perspective voudrait être aussi le reflet de cet échange, une invitation au voyage, une incitation à butiner ailleurs.

7 Créer ce dossier en quelques mois a été rendu possible grâce à l’amicale complicité de nombreux amis helvétiques, mais aussi grâce au soutien de l’institut Suisse pour l’étude de l’art, le vieux frère de l’INHA, basé à la fois à Zurich et à Lausanne (imagine-t-on un INHA à Paris et à Toulouse ?), et à l’aide efficace d’un comité consultatif, composé de Oskar Bätschmann, Enrico Castelnuovo, Dario Gamboni, Pascal Griener, Hans-Jörg Heusser, Pascal Ruedin, Dieter Schwarz, qui n’a pas ménagé sa peine pour nous guider à

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travers le superbe paysage intellectuel que forme actuellement l’histoire de l’art en Suisse.

INDEX

Index géographique : Suisse, France Keywords : practice, method, historiography, country, geography, artistic identity, area, exchanges Mots-clés : pratique, méthode, historiographie, pays, géographie, identité artistique, territoire, échanges Index chronologique : 1900, 2000

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L'histoire de l'art en Suisse

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L'histoire de l'art en Suisse

Débat

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Jean Starobinski et les arts : une relation critique Entretien avec Jean Starobinski par Pascal Griener et Stéphanie Cudré- Mauroux

Jean Starobinski, Pascal Griener et Stéphanie Cudré-Mauroux

1 Jean Starobinski, historien d’art ? Pour ceux qui le connaissent, la question trouve une réponse aisée. Ses premières écoles incluaient le piano dans les classes supérieures du Conservatoire de musique. Diplômé de l’Université de Genève en lettres classiques puis en médecine, il s’est voué à l’histoire des idées dans le domaine de la médecine et surtout de la littérature. L’art occupe une place capitale dans son œuvre. Le visiteur qu’il accueille dans son appartement genevois remarque immédiatement la présence d’œuvres d’art soigneusement encadrées : gravures de Goya ou de Manet, aquarelles exécutées par des amis tels que Gérard de Palézieux, Garache ou Sima, et même des dessins anciens. Sur un mur, une gravure originale de Mantegna, une pièce des Trionfi, témoigne de l’œil du savant - elle fut trouvée au hasard d’une brocante à Genève ; en effet, historien complet de la culture, Jean Starobinski est également un amoureux et grand connaisseur de l’objet concret. Il aime chiner en compagnie de son épouse Jacqueline, ophtalmologue réputée. Dans leur demeure, les œuvres semblent posséder une dimension allégorique bien définie. Une lithographie de Delacroix orne l’accès du cabinet de travail : elle illustre la scène de Faust, Faust et Méphistophélès dans les montagnes du Hartz, et comporte cette réplique de Méphisto à Faust : « Nous sommes encore loin du terme de notre course… ».

2 L’entretien transcrit ici a eu lieu à Genève, le 23 février 2006, chez Jacqueline et Jean Starobinski, avec l’aide bienveillante de Stéphanie Cudré-Mauroux, conservatrice aux Archives Littéraires de la Bibliothèque Nationale Suisse auxquelles, dans un geste de grande générosité, Jean Starobinski a décidé de confier l’ensemble de ses archives littéraires1. Pascal Griener. La première fois que vous m’avez reçu avec votre épouse – il y a maintenant vingt-cinq ans –, j’avais déjà été très frappé par la présence centrale de l’art dans le décor où vous vivez. Même chez certains de nos collègues, cette présence n’est pas toujours si évidente. L’intérieur de Jakob Burckhardt était très ascétique, orné de rares

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photographies. Puis-je vous demander comment, dans votre jeunesse, vous vous êtes initié à l’art visuel de manière si approfondie ? Jean Starobinski. Ce fut d’abord par le biais de la littérature. Ma famille recevait la N.R.F. et les Nouvelles littéraires (dont je me souviens que les livraisons m’avaient apporté un roman de Ramuz). Aux récréations du collège, à dix-sept ans, je me glissais en face, à la bibliothèque du Musée d’Art et d’Histoire. Préparé par d’excellents maîtres du collège, François Bouchardy et Walter Müller, je goûtais une petite escapade. Je demandais à la bibliothécaire, Madame Weiglé, les fascicules de la revue Minotaure éditée à Paris par Skira. Je lisais entre deux sonneries de la cloche du collège, actionnée par Tisane (le seul nom que nous connaissions de l’aimable concierge), « La nuit du tournesol » d’André Breton, ou ses pages sur l’atelier de Picasso ; et j’étais fasciné, bien sûr, par les photographies de Man Ray et de Brassaï qui ponctuaient les livraisons. J’y découvrais aussi Bellange. L’art s’offrait sous l’aspect de la plus mystérieuse nouveauté. L’événement, durant l’été de 1939 si chargé d’angoisses, fut l’exposition des chefs- d’œuvre du Prado, mis à l’abri à Genève lors de la guerre civile espagnole. Muni de la carte permanente, je ne me suis pas privé d’y pénétrer à toute heure, entre juin et septembre. Je me souviens qu’au début, entre midi et trois heures, les salles restaient parfois désertes. Quelle émotion de se trouver seul face aux grandes œuvres de Titien, la Bacchanale des Andriens, la Vénus au musicien ! Je me souviens de leur accrochage, au fond du parcours. Je revois à gauche un sublime paysage de Patinir, Charon franchissant le Styx, puis, un seuil une fois franchi, on entrait dans le territoire de Goya, où se trouvait aussi le Cardinal de Raphaël. Ai-je su reconnaître l’extraordinaire profondeur de sens des Fileuses de Velázquez ? Je préférais au terrestre Ésope de ce peintre les visages du Greco, illuminés par le surnaturel. Mon choix serait tout différent aujourd’hui. À l’Université de Genève, au début de mes études, le maître qui comptait le plus pour moi a été . Il avait récemment publié De Baudelaire au surréalisme, après avoir étudié les successeurs de Ronsard. Dans son enseignement, l’art était partout présent : la part de l’image dans l’expérience surréaliste, la notion du « baroque » dans les arts des alentours de 1600 n’étaient pas séparées de la lecture des textes. Marcel Raymond avait été lecteur à Halle durant les années 1920 et avait été très attiré par les idées des esthéticiens allemands sur le baroque. Avec son épouse, Claire, il est devenu le traducteur des Principes fondamentaux de l’histoire de l’art de Heinrich Wölfflin. Jean Rousset, qui succéda à Marcel Raymond, travailla dans le même esprit. La période de la guerre, où notre inquiétude était grande, fut à Genève un moment de grande animation intellectuelle. Le poète Pierre Jean Jouve, arrivé en 1941, venait d’achever son livre sur le Don Juan de Mozart. Il allait consacrer un autre ouvrage au Wozzeck d’Alban Berg, et il ne voulait pas séparer la grande figure de Baudelaire de celles de Delacroix, de Courbet, de Méryon. Son livre Défense et Illustration, paru en 1943, a été écrit au moment où je faisais partie du groupe de ses amis. Je fis par Jouve la connaissance de Balthus, dont il avait salué la première exposition parisienne dix ans auparavant. Mon premier « papier », en 1942, fut une note sur un recueil de poèmes de Jouve. Une exposition consacrée à Balthus en 1944 par la galerie Moos de Genève fut l’occasion d’écrire mon premier article sur un peintre. J’ai pris plaisir par la suite à écrire des notes, et parfois davantage, sur divers artistes, à la de- mande de

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mes amis galeristes ou éditeurs de Genève (Benador, Krugier, Engelberts, Blanco, Cramer). Je ne devais pas tarder à entrer en contact avec Albert Skira, replié à Genève, comme avec , venu rejoindre la famille de sa sœur. Je dois beaucoup à Albert Skira, dont j’ai fréquenté les bureaux de la place du Molard pendant plusieurs années, lorsqu’il publiait le journal Labyrinthe, qui par son titre même se voulait la suite du Minotaure. Dans ma contribution au numéro consacré au dix-septième siècle français, j’avais choisi d’évoquer un style de vie : la préciosité. Dès le moment où j’avais remis à Marcel Raymond un mémoire d’étudiant sur la connaissance de soi chez Stendhal, je m’étais intéressé à un grand lieu commun et à ses diverses expressions : l’opposition de l’être et du paraître, du masque et du visage. Cela allait m’amener à Montaigne, à La Rochefoucauld, à , à Rousseau. En 1958, l’achèvement de mon livre sur Rousseau, puis les essais concernant la rhétorique de l’être et du paraître (L’Œil vivant) ont marqué le début des années exclusivement consacrées à l’enseignement. Durant toute ma carrière, la discipline que j’ai enseignée a été l’histoire des idées. L’histoire de la littérature française ne l’a complétée qu’en 1965. L’histoire des idées, je l’ai conçue comme un très large comparatisme, incluant les témoignages venus de l’art. C’est alors que de nouveaux rapports se sont établis avec Albert Skira. Il éprouvait le désir de lancer une nouvelle collection, où les auteurs ne se limiteraient pas aux domaines traditionnels de l’histoire de l’art européen. Baptisée Art Idées Histoire, elle devait inclure la littérature, les idées philosophiques, les attitudes inspirées par les philosophies de l’époque, c’est-à-dire les styles de vie adoptés par les catégories sociales au service desquelles travaillaient les artistes. Ce fut une réelle aventure. J’ai vu Skira au travail, prenant conseil, décidant, agissant. Sa rapidité m’a frappé. Je me rappelle qu’il me lança cette question : à qui demanderons-nous le volume sur le Moyen Âge ? Prudent, je demandai conseil à Gaëtan Picon, qui suggéra le nom de Georges Duby – qui alors enseignait à Aix. Sitôt l’information reçue, Skira décrocha le téléphone, et lui proposa de venir à Genève à la fin de la semaine. Le contrat de L’Europe des cathédrales, 1140-1280 fut immédiatement établi. De même avec André Chastel, qui se vit commander sur le champ ce qui devint, en deux admirables volumes, son Mythe de la Renaissance, 1420-1520. Giulio Carlo Argan assumait la charge de son Europe des capitales 1600-1700. Comme mon champ de recherche concernait le siècle de Rousseau – ma thèse venait de paraître –, le volume consacré au dix-huitième siècle m’incombait. Je l’ai organisé selon quelques caractéristiques un peu schématisées. D’abord, le goût du sensible, de l’instant heureux, du plaisir, puis le désir d’inscrire l’ordre capricieux dans un ordre général, les diverses figures données au regret et à l’espoir de progrès, qui devient à la fin du siècle un style de la volonté. En intitulant ce livre L’invention de la Liberté, je n’avais pas en vue le seul domaine social et politique. Ce n’est pas un précis des rapports de l’art, des idées et de la société, mais une analyse stylistique, une lecture en contexte de quelques grandes productions du siècle des Lumières, entre Locke et Kant, en passant par le « rococo ».

P. G. Est-ce à cette occasion que vous avez publié 1789. Les emblèmes de la Raison ? J. S. D’une certaine façon, oui, mais neuf ans séparent les deux publications. Les emblèmes de la Raison doivent beaucoup aux liens d’amitié noués à cette époque. J’avais souvent rencontré Yves Bonnefoy chez Gaëtan Picon, alors directeur des Arts et Lettres auprès d’André Malraux au Ministère de la Culture. Gaëtan Picon avait

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aussi assumé la direction de la revue du Mercure de France en 1963-1964. Yves Bonnefoy et moi-même y avons collaboré, ma contribution concernant « Les anagrammes » de . Picon, à ce même moment, était devenu chez Skira le directeur de la nouvelle collection « Les sentiers de la création ». Bonnefoy y publia L’Arrière-Pays, et moi le Portrait de l’artiste en saltimbanque, version documentée d’un chapitre de mon livre en perpétuelle préparation sur la mélancolie. Nous avions, Picon, Bonnefoy et moi, presque pris l’habitude du travail et des projets communs. Une nouvelle entreprise était proposée par Yves Bonnefoy : consacrer une étude approfondie à une année importante de l’histoire de l’art européen. La collection devait s’intituler « Sur les balances du temps ». Trois livres en résultèrent, qui tous trois portent une date dans leur titre. D’abord, chez Flammarion, le Rome 1630 d’Yves Bonnefoy, et mon 1789. Les emblèmes de la Raison. Pour des raisons éditoriales, le troisième essai de cette triade, celui de Picon, 1863. Naissance de la peinture moderne, parut séparément chez Skira en 1974. Il faut penser à l’amitié qui rend solidaires ces trois ouvrages. C’est un « triptyque », qui permet de constater qu’il y a bien des manières de lire une date de l’histoire de l’art.

Stéphanie Cudré-Mauroux. Avez-vous entretenu des contacts avec les personnes proches de la revue Esprit, tels Albert Béguin, son directeur, ou l’historien de l’art Pierre Courthion ? J. S. Je n’ai pas été un lecteur régulier d’Esprit, tout en éprouvant beaucoup de sympathie, dans mes jeunes années, pour Emmanuel Mounier et le personnalisme, comme pour les premiers écrits de Rougemont. Après 1945, des « groupes Esprit » se sont formés parmi les étudiants de notre université. Je n’y ai pas participé. Entre les études de médecine et des fonctions d’assistant à la Faculté des Lettres, mon temps était saturé ! J’avais assisté à la soutenance de thèse d’Albert Béguin sur l’âme romantique et le rêve, puis je l’avais assez souvent revu lorsqu’il dirigeait les Cahiers du Rhône, où paraissaient tant d’ouvrages importants de poésie et de réflexion sur la France et l’Europe durant les années de guerre. Je ne l’ai revu qu’une ou deux fois à Paris, dans son bureau de la direction d’Esprit aux éditions du Seuil. En revanche je fus très tôt, dans le domaine de l’histoire et de la pensée médicale, un collaborateur de Critique, la revue fondée par Georges Bataille et Éric Weil. Quant au critique d’art Pierre Courthion, il a été un très proche ami, au milieu des années quarante, lorsqu’il est revenu à Genève avec sa femme Pierrette. Pierre, un être ouvert et chaleureux, fut le directeur d’une collection consacrée aux grands écrivains français (« Le cri de la France »), publiée à la LUF à Fribourg. Il y accueillit en 1943 mon premier livre, un Stendhal, bref essai sur l’écrivain, suivi d’un choix de textes. Ce sont Pierre et Pierrette Courthion qui ont fondé à Genève, en 1942, la revue Lettres. J’ai été un membre du comité de rédaction et un collaborateur assez régulier de cette courageuse publication, qui prit fin en 1947. Jouve a joué un rôle central pour les premiers numéros, puis une brouille est survenue. Dans les sommaires des numéros suivants figurent deux de mes essais sur Kafka. Je pense que les contacts de Pierre Courthion avec Esprit allaient de pair avec l’amitié qui le liait à Severini et à Bazaine. Je l’ai revu à Paris, beaucoup plus tard, toujours attentif à la peinture récente, en particulier à celle d’Olivier Debré, dont il avait de belles toiles dans son appartement de la rue des Marronniers. Ce fut notre dernier sujet de conversation.

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P. G. Dans 1789..., vous proposez une confrontation magnifique entre ce que vous appelez le style de l’événement révolutionnaire et le style pictural du temps… J. S. L’événement révolutionnaire fut d’emblée spectaculaire et rhétorique, parce que la réunion des États généraux comportait elle-même une mise en scène spectaculaire qui donnait le ton de la circonstance. Le cérémonial monarchique comportait une forte charge allégorique et pouvait induire une lecture allégorique des événements météorologiques eux-mêmes : l’orage de l’été 1788, le gel de l’hiver suivant se prêtaient à une lecture emblématique. Tout au long du siècle, l’enseignement des collèges et un grand nombre d’œuvres théâtrales avaient exalté les modèles de la vertu antique, et surtout ceux de la liberté républicaine. lui-même ne faisait pas exception. Un répertoire de situations, de gestes, d’identités prototypiques était constitué. C’était là tout un langage déployé dans le registre de l’idéalité, qui pouvait coexister avec l’approche de l’individu dans le portrait, ou la polémique par le moyen de la caricature. Le néoclassique a été un phénomène européen. D’où les développements que j’ai consacrés à Füssli et à Canova. Le néo-classique qui aimait tant le trait sur la surface blanche s’est exposé au retour de l’ombre. D’où le chapitre final sur Goya.

P. G. Il est un autre pan de votre œuvre qui concerne de très près les historiens d’art, c’est votre contribution majeure à l’histoire de la mélancolie. Puis-je vous demander si vous avez entretenu des relations avec le cercle de l’institut Warburg ? J. S. Je n’ai pas eu de contact avec l’Institut Warburg dans ses locaux londoniens, sinon assez tard. Invité par Ernst Gombrich, j’y ai présenté quelques aspects de ma recherche sur les moments du jour. Mais j’ai eu très tôt sous les yeux les publications de l’époque hambourgeoise, et notamment l’étude de Saxl et Panofsky, Saturne et la Mélancolie. Et les travaux de Warburg lui-même sur l’astrologie. Un autre « Hambourgeois », Ernst Cassirer, a beaucoup compté pour moi pour ses travaux sur la Renaissance et sur le dix-huitième siècle. Éric Weil, que j’ai déjà mentionné à propos de Critique, avait suivi son enseignement, et fut pour moi une sorte de médiateur.

P. G. La figure de la Mélancolie vous a tout naturellement mené à l’examen de l’image de l’artiste, melancholicus par excellence... J. S. J’y ai effectivement consacré beaucoup d’attention. J’ai donné sur ce sujet un cours de huit leçons au Collège de France dans l’hiver 1987-1988. Le point de départ était évidemment la médecine antique et sa systématisation à la Renaissance par Ficin et tant d’autres. Quelques-uns des résultats de mon enquête ont déjà trouvé leur place dans certains de mes livres, d’abord dans Portrait de l’artiste en saltimbanque (1970), puis dans Trois fureurs (1974), où chacun des trois essais est consacré à une image de l’égarement (Ajax, la Dormeuse de Füssli, le possédé de Gerasa). La Mélancolie au miroir (1989) concerne la poésie de Baudelaire et les images du spleen. Dans Action et réaction (1999), il est vrai sans me référer à l’art, j’ai suivi l’histoire des divers emplois du mot « réaction » : j’ai constaté que la notion du « réactionnel » n’a fait son entrée en psychiatrie qu’à partir du milieu du dix-neuvième siècle. Dans bien des cas la « dépression réactionnelle » fut un autre nom pour une maladie qui auparavant avait été dénommée « nostalgie ». Il m’arrive de partir sur une piste collatérale, et souvent dans le domaine de l’art. Le fou mélancolique, dans un récit de Baudelaire, courtise une statue de Vénus dont le regard se perd au lointain. Et voici que s’éveille la tentation d’une recherche sur le regard des statues, qui me fait parcourir une série de tableaux, de Titien à Watteau et

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Fragonard, en passant par Rubens, sans oublier Nerval, Thomas Mann, et tout un kitsch lié à l’évocation de Versailles.

P. G. Dans la récente exposition de Zurich consacrée à Füssli, on admire un tableau qui a été gravé pour le frontispice des Lectures on Painting (1801) : une allégorie du silence, le visage baissé, couvert d’une longue chevelure. Cette figure du silence, au seuil d’un discours théorique sur l’art, est très impressionnante. Mais Füssli documente également la force imageante qui donne une forme prégnante à ses contemporains anglais ; or l’exercice de cette force dans l’histoire de la culture vous a retenu au long de plusieurs essais, en particulier dans L’œil vivant. J. S. C’est ainsi que l’image du silence fait paradoxalement parler le silence, – pour le regard. C’est autre chose que les Harpocrate posant un doigt sur leur bouche, dans les livres d’emblèmes. Je m’arrête, parce que je me surprends ici en flagrant délit de comparatisme. J’aime à percevoir une donnée, dans le domaine de l’art, en la questionnant à la fois sur ce qu’elle est et sur ce qui la fait différer, c’est-à-dire ce qui la rend différente d’une autre qui la précède ou la suit. Lorsque j’ai enseigné à Johns Hopkins (Baltimore) entre 1953 et 1956, j’ai beaucoup appris en fréquentant et en écoutant les historiens des idées : Arthur O. Lovejoy, George Boas, Ludwig Edelstein, Alexandre Koyré. Les plus proches étaient et Leo Spitzer, ce grand maître de la stylistique dont les travaux m’ont révélé ce qu’on pouvait attendre d’une histoire sémantique, prenant pour objet la transformation du sens des mots dans leur contexte socioculturel. Les questions posées dans ce groupe du History of ideas club de Baltimore étaient très proches de celles qui orientent les travaux d’Erwin Panofsky et de Meyer Schapiro, dont l’étude sur les pommes de Cézanne reste pour moi un grand modèle. Une similitude m’est apparue parfois, plus tard, lors des réunions du groupe allemand Poetik und Hermeneutik, où les représentants de l’École de Constance (H.-R. Jauss, K. Stierle) exploraient la vie des œuvres telle qu’elle se présente au regard d’une esthétique de la réception. L’intérêt se portait alors massivement sur la théorie et la méthodologie de l’interprétation. Dans cette œuvre, la filiation, un certain thématisme devient le révélateur des milieux successifs où il apparaît.

P. G. Ces références que vous citez n’étonnent pas l’historien du Warburg Institute. Gombrich nourrissait une très grande admiration pour Boas comme pour Lovejoy, et les a très bien connus tous deux. J.S. En effet, Gombrich, lors de la mort de George Boas, en 1980, lui a rendu un bel hommage dans le Journal of the History of Ideas. La façon dont George Boas suivait les étapes de quelques grands thèmes de la pensée et de la poésie occidentales (le bonheur primitif de l’humanité, le bonheur de la bête, le culte de l’enfance) pouvait faire penser à l’iconologie dont Panofsky a établi les principes. Leur exemple reste vivant pour moi.

P. G. Vos travaux sur Diderot rencontrent ceux de l’histoire de l’art récente, qui a consacré beaucoup d’études à l’histoire de la critique d’art au XVIIIe siècle. Cependant, au terme de ces travaux, la critique de Diderot semble – parfois, de manière excessive – dénoncée comme une grandiose exception, peu représentative de la littérature critique au siècle des Lumières. J. S. Mon propos, dans le livre sur Diderot que j’espère publier bientôt, n’est pourtant pas de parler de la critique d’art comme telle, mais de caractériser Diderot dans les divers aspects de son rapport au monde. Sans oublier les autres critiques – tel La Font de Saint-Yenne – ni les ouvrages consacrés aux principes des arts – tels ceux du père

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André ou de l’abbé Dubos – j’ai cherché à percevoir les gestes particuliers de ce curieux acteur que fut Diderot sur la scène culturelle de son époque. D’abord c’est un acteur qui se cache, car la Correspondance littéraire de son ami Grimm n’était destinée qu’à un cercle très étroit de lecteurs. Ayant pris ces précautions, Diderot mettait en scène, animait par sa parole les œuvres qu’il jugeait dignes d’être décrites. J’ai tâché de mettre en évidence sa manière de procéder quand il l’applique au tableau de réception de Fragonard, Corésus et Callirhoé.

P. G. Diderot dans l’espace des peintres, publié à l’occasion de la grande exposition au palais de la Monnaie (1984), vous donne l’occasion d’étudier le goût de l’expérience perceptive, liée à une grande expérimentation littéraire chez Diderot, plus que chez ses contemporains. J. S. Plus Diderot perçoit, et plus il est enclin à converser. Il a besoin d’un interlocuteur, il décrit, il raconte, il fait lui-même les questions et les réponses. Et on le voit en perpétuel apprentissage, presque jusqu’à la fin. Il n’aime guère le repos dans la peinture. Il exige une histoire, une action. Un bon tableau, pour lui, induit tout un travail d’imagination. S’il admire Chardin, c’est parce que ses fruits sont prêts à être mangés. S’il regarde un paysage où figurent des ruines, il s’y met lui-même en scène, solitaire ou en douce compagnie. S’il regarde une cascade, c’est pour imaginer le rivage où se jettera le cours d’eau devenu fleuve, puis le port de mer où il est prêt à s’embarquer pour faire en imagination le tour du monde. Il y a toute une mobilisation de la mémoire historique et des appétits personnels dans cette manière dramatique de percevoir. Notre rapport à l’art a beaucoup changé depuis lors. De quelle façon ? Pour aboutir à quelles attitudes ? La question doit se poser. Il est salutaire de confronter les différents moments historiques de la perception et de l’évaluation de ce que nous persistons à nommer « l’art ». NB Les archives littéraires de Jean Starobinski viennent d’être déposées aux Archives littéraires, Bibliothèque Nationale Suisse, à Berne. Leur catalogage sera terminé dans un délai d’environ deux ans. Leur consultation sera accordée sur autorisation préalable de Jean Starobinski.

BIBLIOGRAPHIE

Bibliographie : Jean Starobinski et l’art

La bibliographie sommaire qui suit propose la liste des publications principales de Jean Starobinski, qui touchent de près ou de loin à l’art.

Livres d’art

Louis Soutter, Gravures, avec un texte de Jean Starobinski, Genève, 1962.

Joseph Sima, Sima : œuvres récentes, (cat. expo., Paris, Le Point cardinal, 1971–1972), introduction de Jean Starobinski, Paris, 1971.

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Joseph Sima, Sima : œuvres de 1921 à 1970, (cat. expo., Genève, Galerie Engelberts, 1977), hommages de Jean Starobinski et Jean Leymarie, Genève, 1977.

Claude Garache, Garache : peintures récentes, préface de Jean Starobinski, poème de Philipe Jaccottet, Paris, 1984.

Claude Garache, Garache, texte de Jean Starobinski, Paris, 1988.

Jean Starobinski, Largesse (cat. expo., Paris, Musée du Louvre, 1994). Republié en 2006.

Jean Starobinski, La caresse et le fouet, André Chénier, Genève, 1999.

Jean Starobinski, Si cette figure porte un nom, Genève, 2003.

Monographies / essais critiques

Jean Starobinski, Trois fureurs, Paris, 1974.

Jean Starobinski, Diderot dans l’espace des peintres, suivi de Jean Starobinski, Le sacrifice en rêve, Paris, 1991 (le premier est un texte paru dans Diderot et l’art de Boucher à David : les Salons : 1759-1781, Paris, 1984, p. 21-40).

Jean Starobinski, avec Michel Saudan, D’artifices en édifices, ou le parcours sensible à travers les artifices des édifices renaissants, maniéristes, baroques et rococo, Genève, 1985.

Jean Starobinski, Le remède dans le mal : critique et légitimation de l’artifice à l’âge des Lumières, Paris, 1989.

Charles de Montesquieu, Essai sur le goût, suivi d’un texte de Jean Starobinski, Paris, 1993.

Jean Starobinski, « Le regard des statues (sur la généalogie des fêtes galantes) », dans Murielle Gagnebin, Christine Savinel éd., L’image récalcitrante, Paris, 2001, p. 43-73.

Pierre Courthion, D’une palette à l’autre : mémoires d’un critique d’art. Pierre Courthion, préface de Jean Starobinski, Genève, 2004.

Histoire de l’art et de la culture

Jean Starobinski, Histoire du traitement de la mélancolie des origines à 1900, Bâle, 1960 (thèse de Médecine, Lausanne, 1960).

Jean Starobinski, « L’encre de la mélancolie », dans NRF, 1er mars 1963, p. 410-423. Republié dans Mélancolie : génie et folie en Occident : en hommage à Raymond Klibansky (1905-2005), (cat. expo., Paris, Galeries nationales du Grand Palais/Berlin, Neue Nationalgalerie, 2005-2006), Paris, 2005, p. 24-33.

Jean Starobinski, L’invention de la liberté : 1700- 1789, Genève, 1964. Republié en 2006.

Jean Starobinski, « Jalons pour une histoire du concept d’imagination », dans Actes du IVe Congrès de l’AILC, 1966, p. 952-963.

Jean Starobinski, L’œil vivant II. La relation critique, Paris, 1970.

Jean Starobinski, 1789. Les emblèmes de la Raison, Paris, 1973. Republié en 2006.

Jean Starobinski, « Le mythe au XVIIIe siècle », dans Critique, 366, 1977, p. 975-997. Republié sous le titre « Fable et mythologie aux XVIIe et XVIIe siècles », dans Jean Starobinski, Le remède dans le mal. Critique et légitimation de l’artifice à l’âge des Lumières, Paris, 1989, p. 233-262.

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Jean Starobinski, « L’immortalité mélancolique », dans Le Temps de la Réflexion 3, 1982, p. 231-251.

Jean Starobinski, « Le mot ‘civilisation’ », dans Le temps de la réflexion, 4, 1983, p. 13-51. Republié dans Jean Starobinski, Le remède dans le mal…, Paris, 1989, p. 11-60.

Hans Prinzhorn, Expressions de la folie : dessins, peintures, d’asile, Marielène Weber éd., trad. de l’allemand par Alain Brousse et Marielène Weber, préface de Jean Starobinski, Paris, 1984.

Saturne en Europe : Joseph Beuys, Christian Boltanski, Marcel Broodthaers..., Roland Recht, Françoise Ducros éd., avec des contributions de Remo Guidieri, Adalgisa Lugli, Jean Starobinski Strasbourg, 1988.

Jean Starobinski, « Mélancolie moderne : portrait du Docteur Gachet », dans Médecine et Hygiène n° 1882, 10 avril 1991. Republié dans Mélancolie : génie et folie en Occident..., p. 412-433.

Robert Burton, Anatomie de la mélancolie, trad. de l’anglais par Bernard Hoepffner et Catherine Goffaux, préface de Jean Starobinski, Paris, 2000.

Charles Méla, Légendes des siècles : parcours d’une collection mythique : Fondation Martin Bodmer, préface de Jean Starobinski, Paris, 2004.

Yves Bonnefoy, Goya, Baudelaire et la poésie. Entretien avec Jean Starobinski, suivi d’études de John E. Jackson et de Pascal Griener, Genève, 2004.

Sur Jean starobinski

« Jean Starobinski », Cahiers pour un temps, Paris, 1985.

Murielle Gagnebin, Christine Savinel éd., Starobinski en mouvement, suivi de La perfection, le chemin, l’origine, par Jean Starobinski, Seyssel, 2001 (ouvrage issu d’un colloque consacré, en mai 2000, à Jean Starobinski et organisé par le Centre de recherche sur les images et leurs relations [C.R.I.R.] de l’Université Paris III Sorbonne Nouvelle).

Françoise Balibar et al., « Jean Starobinski », dans Critique, 687-688, août-septembre 2004, p. 600- 753, avec un texte inédit de Jean Starobinski, « Mémoire de Troie ».

Colangelo Carmelo, Jean Starobinski : l’apprentissage du regard, Carouge-Genève, 2004.

NOTES

1. Ce fonds remarquable, en cours de classement, comporte de nombreux manuscrits d’ouvrages, mais aussi une vaste correspondance savante. Pour l’historien de l’histoire de l’art, cet ensemble documentaire revêtira une importance tout à fait exceptionnelle.

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INDEX

Index géographique : Genève Keywords : visual art, collection, litterature, writing, criticism, poetry, history of ideas, history of melancholia Mots-clés : art visuel, collection, littérature, écriture, poésie, critique, discipline, histoire des idées, histoire de la mélancolie Index chronologique : 1900

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« Fantasmes » et réflexions autour d’un lac. Aperçu d’histoire de l’histoire de l’art en Suisse romande.

Dario Gamboni

Paysages de l’histoire de l’art

1 La « géographie artistique » de langue allemande a créé le concept de Kunstlandschaft, de « paysage artistique » au sens d’unité spatio-stylistique1. Si l’on envisage une « géohistoire » de l’histoire de l’art – comme Thomas DaCosta Kaufmann a récemment proposé une geohistory of art –, peut-être faut-il vérifier l’existence et interroger les conditions d’apparition et de développement des « paysages de l’histoire de l’art ». Le « style », dans ce cas, ce seront les objets et les questions abordés, les modèles et les références, les modes d’approche, voire la manière d’écrire des historiens et historiennes de l’art, en un lieu donné et pendant une période déterminée. Pour l’histoire de notre discipline comme pour l’histoire de l’art, la Suisse semble se prêter à la fois bien et mal à un tel exercice. Mal, si l’on est à la recherche d’une unité forte et durable ; bien, si, à la suite d’Enrico Castelnuovo et Carlo Ginzburg, on adopte une conception dynamique de la géographie, dans laquelle centres et périphéries se déterminent mutuellement, voire se relaient, où la diffusion des modèles rencontre des résistances et suscite des alternatives2. Dans une telle perspective, l’histoire complexe de la Suisse, sa position de carrefour, sa participation à plusieurs espaces linguistiques et culturels concurrents peuvent en faire un laboratoire d’analyse privilégié. C’est ce qu’a montré la série Ars helvetica – arts et cultures visuels en Suisse, imaginée et dirigée par Florens Deuchler, alors professeur d’histoire de l’art médiéval à l’Université de Genève, à l’occasion des préparatifs de la célébration du « 700e anniversaire » de la Confédération en 19913. À la suite de cette entreprise collective, j’avais proposé, il y a bientôt vingt ans, une « esquisse pour une géographie de l’histoire de l’art en Suisse », qui, en raison de ce contexte et des sources disponibles, portait principalement sur l’histoire de l’art

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universitaire et sur le développement d’une historiographie nationale4. J’en résume ici brièvement quelques points. Les universités suisses, à l’exception de celle de Bâle, fondée en 1460, trouvent leur origine dans les « académies » – écoles supérieures destinées à la formation des pasteurs – créées dans les villes réformées au cours du XVIe et du XVIIe siècle. Leur transformation en universités eut lieu des années 1830 au tout début du XXe siècle. De confédération d’États, la Suisse devint en 1848 un État confédéré, mais les projets centralisateurs se heurtèrent à la résistance des cantons et n’aboutirent dans le domaine de l’enseignement supérieur qu’à la création, en 1854, de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ/ETH) ; un statut analogue fut accordé beaucoup plus tard, en 1969, à l’École d’ingénieurs devenue École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). La Suisse catholique s’était dotée en 1889 d’une université bilingue à Fribourg. Les efforts du Tessin ont abouti il y a dix ans seulement à la création de l’Université de la Suisse italienne (sciences économiques, informatique et communication à Lugano, architecture à mendrisio). À ce jour, les universités suisses continuent à dépendre des cantons où elles sont situées, au contraire de l’EPFZ et de l’EPFL et en dépit d’efforts croissants de coordination nationale5. La priorité des pays germaniques dans le développement de l’histoire de l’art comme discipline académique se vérifie en Suisse, où un écart considérable sépare la création de chaires spécifiques dans la partie germanophone et dans la partie francophone du pays. Jacob Burckhardt a enseigné à l’EPFZ dès la fondation de l’École puis occupé à l’Université de Bâle la chaire d’histoire de l’art créée en 1874. En Suisse romande, l’enseignement de la discipline s’introduit de manière très progressive. À Genève, des sujets d’histoire de l’art sont abordés dans le cadre de la chaire d’archéologie, d’épigraphie et de paléographie créée en 1888, avant la création d’une charge de cours en 1929 et, en 1941, d’un poste de professeur extraordinaire (c’est-à-dire de rang inférieur à un professeur titulaire dit « ordinaire », selon une terminologie d’origine germanique), attribué à Louis Gielly ; les enseignements complets d’histoire de l’art ne seront mis en place que dans les années 1960 et leur histoire comme leur préhistoire sont encore très lacunaires6.

Vous avez dit « fantasmes » ?

2 Le titre énigmatique du présent article m’a été suggéré par le rédacteur en chef de Perspective et dérive de celui d’un livre de Michel Thévoz, L’académisme et ses fantasmes, paru en 19807. L’auteur dispensait alors à l’Université de Lausanne un enseignement consacré à l’histoire de l’art contemporain et à la muséologie, tout en étant responsable de la Collection de l’art brut que la ville de Lausanne, en partie grâce à son entremise, avait reçue de Jean Dubuffet8. Afin d’interpréter l’œuvre et la carrière de Charles Gleyre (1806-1874), peintre vaudois actif à Paris, Thévoz y convoquait des modèles théoriques qui ont nom Freud, Sartre, Merleau-Ponty, Marcuse, Foucault, Deleuze et Guattari, Derrida. De la part d’un professeur d’histoire de l’art d’une université francophone, ces références ont de quoi surprendre. Elles semblent notamment contredire l’une des explications avancées dans un entretien récent par Roland Recht pour rendre compte du manque de reconnaissance dont l’histoire de l’art souffre en France :

3 « À la différence de l’Allemagne, l’histoire de l’art en France a manqué la crise épistémologique des années 1960-1970 qui a gagné les sciences humaines. Au lieu de s’ouvrir, elle s’est crispée sur elle-même, sur ses acquis, refusant de s’enrichir au

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contact d’autres disciplines comme la philosophie de l’art, la critique littéraire, la sémiologie, l’anthropologie. Elle s’est braquée contre les freudiens, les foucaldiens […], les bourdieusiens, les lévystraussiens, et même les braudéliens… Cette réaction systématique contre la nouveauté ou contre ceux, rares, qui la pratiquaient avec succès, a été très néfaste »9. Cette observation, à laquelle je souscris, ne s’applique en effet pas à la Suisse romande, même si la position de Michel Thévoz y était singulière. Ce fait me paraît mériter réflexion. Une comparaison avec la situation française, outre qu’elle concerne beaucoup de lecteurs de Perspective et m’est facilitée par des années d’enseignement à l’Université de Lyon II, a l’intérêt de pouvoir mettre en évidence les facteurs structurels qui contribuent à déterminer la physionomie des « paysages » d’une discipline au niveau national, régional et même local. Certains de ces facteurs touchent l’ensemble des disciplines académiques. La liberté intellectuelle et la variété des approches qui caractérisent l’histoire de l’art pratiquée en Suisse au cours des dernières décennies tiennent clairement au polycentrisme de sa structure universitaire. Entre les universités, les deux hautes écoles (EPFZ et EPFL), les hautes écoles spécialisées (HES) récemment admises dans le système d’enseignement supérieur, et l’institut suisse pour l’étude de l’art (ASEA/ SIK), il n’existe en outre pas de concurrence et de hiérarchie comparables à celles dont pâtissent en France les universités face aux « grandes écoles » et au CNRS. Il n’y a pas non plus de « corps » distincts, si bien que les enseignants-chercheurs, les conservateurs de musées – institutions particulièrement nombreuses, indépendantes et actives en Suisse – et les responsables des services d’inventaire et de conservation du patrimoine proviennent tous des universités et conservent généralement entre eux des rapports de collaboration plus ou moins étroite. Dans les universités, les professeurs sont à peu près seuls titulaires, tandis que le « corps intermédiaire » est engagé pour cinq à six ans ; tout en posant des problèmes de gestion des carrières sur lesquels je reviendrai, cette organisation a l’avantage de provoquer un rajeunissement régulier de l’encadrement des étudiants et de contribuer au renouvellement des méthodes et des problématiques. Une autre différence tient au statut de la discipline. on ne saurait certes conclure du fait que la Suisse consacre depuis 1995 à Jacob Burckhardt l’iconographie de son billet de banque à la valeur la plus élevée que l’histoire de l’art y jouit d’une reconnaissance exceptionnelle. Mais elle n’y souffre pas non plus du manque de légitimité qui, en France, lui impose la domination de l’archéologie ou de l’histoire et lui a fait dès ses débuts renchérir sur leurs exigences de faits positifs et d’objectivité10. Cela est vrai soit qu’elle bénéficie, comme en Suisse alémanique (et en Allemagne), de son ancienneté et de ses liens avec la philologie et la philosophie, soit qu’au contraire, comme en Suisse romande, sa relative jeunesse lui donne une plus grande liberté11. À ce statut plus assuré s’ajoute le bénéfice intellectuel des confrontations et échanges entre systèmes de concepts et de références que génèrent la polyglossie encouragée par l’État multilingue, les séjours à l’étranger exigés des universitaires suisses et la présence de nombreux professeurs étrangers, attirés par une tradition de libre-échange, un niveau de vie élevé et de bonnes conditions de travail. On peut songer ici aux avantages de la « zone frontière » et de la « périphérie » au sens où l’entendent Enrico Castelnuovo et Jan bialostocki12, ceux de ne pas dépendre d’un seul centre, contrairement à la « province », et d’être libre de choisir, rejeter et combiner – à ceci près que la création même de modèles ne paraît pas ici exclue. Au titre des conditions de travail, il faut mentionner enfin des bibliothèques bien fournies et d’accès facile, qui permettent aux étudiants comme aux enseignants de mener des recherches sur les sujets de leur choix

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et de se tenir au fait de l’actualité de la discipline dans les principales langues européennes.

Réflexivité

4 Parmi les résultats qui, me semble-t-il, peuvent être attribués (entre autres) à ces facteurs figure un intérêt pour l’apport d’autres disciplines à la compréhension des arts visuels qui s’est révélé infiniment plus fécond et plus efficace pour l’avance- ment de la recherche et le rayonnement de l’histoire de l’art que la défense corporatiste d’un droit et d’un territoire revendiqués une fois pour toutes. on peut d’ailleurs interpréter comme élargissement de ce territoire une autre ouverture relativement précoce, celle à l’art moderne et contemporain, enseigné dès 1972 à l’Université de Genève par Maurice Besset13. Un troisième phénomène, qui se trouve avec les deux précédents dans un rapport complexe de soutien mutuel, consiste en un degré élevé de conscience méthodologique et historiographique, alors peu cultivé en France hors des grandes écoles, comme le montre le travail de rattrapage heureusement entrepris par Édouard Pommier à l’École du Louvre, par Roland Recht au Collège de France et par l’INHA. il me paraît caractéristique que contribuent aujourd’hui à cet effort plusieurs historiens de l’art suisses dont Pascal Griener, professeur à l’Université de Neuchâtel, élève de Francis Haskell à oxford et longtemps collaborateur d’Oskar Bätschmann (auteur entre autres d’une « introduction à l’herméneutique en histoire de l’art ») à Berne14. On peut parler à cet égard de réflexivité, au sens d’un mouvement de l’histoire de l’art revenant sur ses présupposés, ses questions et ses méthodes afin de les soumettre à l’examen critique et de prendre subitement pleinement conscience de soi. il est sans doute aussi significatif que la démonstration de cette qualité dans l’art lui-même ait trouvé une de ses formulations classiques dans un livre de Victor Stoichita, nommé professeur à l’Université de Fribourg après des études à Bucarest, une thèse à rome et à la Sorbonne, un enseignement en Allemagne et des contacts étroits avec l’EHESS15. La réflexivité caractérise aussi L’académisme et ses fantasmes, dans lequel Thévoz s’inspire notamment de L’idiot de la famille de Sartre pour analyser, à travers le cas de Gleyre, la « névrose objective » dont la peinture académique serait un symptôme. Le goût du peintre pour les scènes d’humiliation exprimerait ainsi la « loi de l’économie psychique qui veut que la libido refoulée se mette au service de l’instance inhibitrice elle-même »16, par exemple dans Les Romains passant sous le joug, évocation d’une victoire helvète que Gleyre, en accord avec l’historiographie de son temps, a située au bord du lac Léman. Dans la longue introduction à son étude, Thévoz se montre conscient du danger qu’il y a, en troquant pour « une attitude anticléricale » la valorisation habituelle de ses héros par l’histoire de l’art, à appliquer des « schémas déterministes » : « S’il est vrai qu’une œuvre d’art introduit un certain ‘ bougé ’ dans le réel, fût-il restreint à la sphère subjective, la tendance à rendre compte de cette œuvre par une cause antécédente – qu’elle soit psychologique, sociologique ou transcendante – répond au désir de retrouver à tout prix le sol d’une positivité »17. Plus loin, reprenant la comparaison freudienne entre souvenir d’enfance, fantasme et création artistique, il propose d’inverser l’approche habituelle de la causalité et commente son propre rapport à la psychanalyse :

5 « De sorte que, si l’on tient à un enchaînement causal ou chronologique, il faudrait plutôt l’envisager dans l’autre sens, c’est-à-dire partir de l’œuvre comme d’une

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détermination productrice qui peuplerait rétroactivement la petite enfance et qui s’antidaterait dans sa préhistoire psychique, comme si celle-ci, jusqu’ici lacunaire, irréalisée, suspensive, avait attendu de l’œuvre son intégration symbolique. Cette assimilation de l’œuvre d’art à un fantasme rétroactif nous met à l’aise, nous les psychanalystes amateurs (qui ne l’est pas aujourd’hui !), et n’en déplaise aux psychanalystes autorisés, pour avancer hardiment toutes sortes d’hypothèses psychobiographiques, puisque c’est l’artiste lui-même qui anticipe de telles hypothèses en structurant rétrospectivement sa préhistoire infantile par cette espèce de roman analytique que représente en l’occurrence son œuvre. Celle-ci n’exprime pas le passé psychique, elle le génère »18. Les objections que l’on peut faire à ce livre, qui est fondamentalement un essai, ne manquent pas. Il est permis de se demander si Gleyre, menant une carrière à bien des égards atypique, doit être jugé représentatif de « l’académisme », et si ce concept lui-même est vraiment opératoire. S’agissant des Romains passant sous le joug, on peut aussi observer que quels que fussent les sentiments de l’artiste, il invitait ses commanditaires et spectateurs vaudois à s’identifier aux vainqueurs, non aux vaincus19. Mais dans tous les cas, il faut saluer la hardiesse de l’auteur, son ambition et sa hauteur de vues, qui doivent à une étude datant d’un quart de siècle de conserver une valeur de réflexion et même de provocation peu courante. Ces qualités témoignent aussi d’une effervescence intellectuelle qui animait les rives du lac dépeint par Gleyre, en dépit de la réputation qu’a sa beauté d’induire à une certaine torpeur. Le modèle plus prudent d’une réflexion méthodologique appuyée sur une ample enquête historiographique avait été fourni quelques années auparavant par la thèse de Philippe Junod, Transparence et opacité20. Nommé professeur à l’Université de Lausanne, l’auteur en a transmis les principes au cours d’une longue carrière d’enseignant et d’organisateur, comme le montre le volume de mélanges en son honneur récemment paru21. Les directeurs de cette publication, Danielle Chaperon et Philippe Kaenel, justifient le choix de son titre, Points de vue, par une citation de Transparence et opacité : « Le vrai devoir de la critique, celui qui engage sa raison d’être, est de ‘ situer ’ le spectateur en un point de vue qui soit à la fois pleinement celui de son temps et le plus favorable à une projection conforme à ce que l’on peut restituer de la ‘situation’ de l’artiste »22. Ce principe, qui figure dans sa conclusion, ne distingue pas critique et histoire, puisque Junod y affirme aussi qu’« une histoire de l’art qui vise une saisie spécifique de son objet » se transmue « en critique d’art, au meilleur sens du terme »23. D. Chaperon et Ph. Kaenel proposent de reconnaître Ph. Junod dans le portrait qu’il a dressé récemment de Fiedler, « pionnier de la recherche interdisciplinaire […], premier à effectuer un rapprochement promis à un bel avenir, celui de l’esthétique et de la théorie de la connaissance »24. Ils soulignent que Transparence et opacité « livre un plaidoyer en faveur de la connaissance critique […] tout en repoussant les tentations de l’ontologie, de l’illusion de la transparence, de la traductibilité des expressions artistiques et de l’idée d’objectivité scientifique […] »25. L’« idée d’objectivité » visée ici est d’obédience positiviste et son rejet ne livre pas l’historien au subjectivisme ou à une autre tentation, la « tentation de l’arbitraire », mais bien à une « objectivité active » qui tire les leçons de « l’action rétrospective du présent sur le passé »26. Le fait d’assumer son « point de vue » en connaissance de cause a aussi des conséquences stylistiques, visibles dans les passages que j’ai cités de Thévoz. Il est à cet égard révélateur que l’auteur d’un compte rendu critique récent de l’inventaire architectural de Genève pour les années 1850-1920 (INSA), publié en 1982 par Gilles Barbey, Armand Brulhart, Georg

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Germann et Jacques Gubler, y mette en évidence la main du dernier cité, formé à Lausanne, et la commente en termes ambivalents mais admiratifs : « Enfin, si nous sommes aujourd’hui davantage portés sur la mise à jour et l’accumulation méticuleuse d’informations précises, il y a, à l’inverse, une chose que nous ne savons ou n’osons plus faire. En fait, si les auteurs de l’inventaire semblent avoir été relativement peu enclins à faire parler les archives, c’est sans doute qu’à leurs yeux, ce qui comptait davantage était de caractériser les bâtiments à partir de ce qu’ils voyaient : le sens de l’architecture pouvait émaner du langage des formes, autant et peut-être davantage que du fond d’une liasse d’archives. Autrement dit, le bâtiment pouvait être son propre document. On ne s’étonnera donc pas que les descriptions d’édifices dépassent souvent la simple caractérisation pour rejoindre le domaine de l’interprétation. Lorsqu’il est dit d’un immeuble que ‘l’expression du cadre porteur [est] sublimée par un ordre colossal de pilastres’, d’un autre, qu’il y a ‘superstition de la symétrie et hiatus de l’entrée’, qu’ailleurs enfin, l’on assiste à un ‘triomphalisme architectural à des fins publicitaires’ ou encore à une ‘emphase de la façade rocheuse’, il y a incontestablement invention, fabrication inédite d’une formule imagée »27. Il ne s’agit pas ici d’évoquer une « école de Lausanne » dont la construction rétrospective ne rendrait compte ni de la diversité des approches pratiquées pendant quelques décennies à l’Université de Lausanne et à partir d’elle, ni de la diversité des sources et de l’étendue réelle des préoccupations qui s’y sont manifestées. André Corboz par exemple, grand historien genevois de l’architecture et de l’urbanisme, autodidacte dans cette discipline et professeur à l’Université de Montréal puis à l’EPFZ, a défendu et pratiqué une conception analogue qui lui a valu d’être compté par martin Warnke parmi les « historiens de l’art qui ont toujours considéré et ressuscité le passé avec une conscience réflexive du présent »28. Corboz a ainsi démontré que les vedute de Canaletto n’étaient pas de « simples » photographies à l’huile mais des manipulations de Venise et des modèles projetés sur son image29 – sinon des « fantasmes ». On lui doit aussi, entre autres réflexions méthodologiques, une défense de la serendipity, cette manière de trouver autre chose que ce qu’on cherche dont la désignation anglaise dérive de l’apologue des trois princes de Sérendip : « Le travail de l’hypothèse, le pas à pas dans le labyrinthe, les doutes, les détours, les retours, l’erreur positive, la bifurcation, l’impasse même, par quoi le cheminement est tout sauf rectiligne, imposent un tracé non déterminé et rendent le sujet actif. Si ce sujet possède d’emblée une représentation de ce qu’il doit trouver et qu’il veuille s’y tenir, il risque de se perdre. En effet, si les trois princes découvrent, ce n’est pas parce qu’ils s’obstinent à appliquer une stratégie contre vents et marées, mais parce qu’ils s’ouvrent à ce qui contrecarre leur propos initial »30. La valeur épistémologique de ces observations dépasse le champ des sciences humaines, comme le montrent les travaux de l’historien des sciences de la vie Hans-Jörg Rheinberger31. La mise en évidence du caractère actif et interprétatif de la perception elle-même a conduit récemment Corboz à montrer, photographies à l’appui, que les parcs nationaux des États-Unis apparaissent à un œil informé par le XXe siècle comme des musées de l’art moderne et contemporain, « au point que le regard modélisé transforme la totalité du Southwest américain, ou peu s’en faut, en une généralisation du Land art »32.

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Histoire sociale

6 On doit souligner aussi le rôle des individus dans la constitution des « paysages » scientifiques. Leur présence et leur influence dépendent de causes à la fois personnelles, apparemment contingentes, et de causes collectives ou structurelles. Le développement de l’histoire de l’art sur la rive nord du lac Léman a ainsi été profondément et durablement marqué par l’action d’Enrico Castelnuovo, médiéviste piémontais qui a occupé dès 1964 la première chaire d’histoire de l’art de l’Université de Lausanne et y a appelé entre autres Philippe Junod et le fondateur d’une véritable école d’histoire de « l’art monumental régional », Marcel Grandjean33. Castelnuovo, qui a quitté en 1983 Lausanne pour l’École normale supérieure de Pise, était un « allumeur de cervelles » doué d’une curiosité sans bornes– et l’est resté34. L’interrogation historiographique et méthodologique s’est exprimée chez lui dans l’extension de son champ d’investigation à la fin du XVIIIe et au XIXe siècle, période médiatisant inévitablement notre relation au Moyen Âge, dans un renouvellement de la géographie artistique sans lequel n’existerait pas le présent essai, et surtout dans un engagement multiforme pour l’histoire sociale de l’art35. Cette direction de recherche a rencontré un écho particulier auprès d’étudiants qui, dans leur très grande majorité, n’avaient pas été introduits à l’histoire de l’art par une tradition familiale, et pour qui les présupposés sociaux de la discipline n’allaient pas de soi. La découverte de la sociologie de la culture et la rencontre de Pierre Bourdieu, organisée par un groupe genevois, a ainsi trouvé autour du Léman un terrain fertile ; les « bourdieusiens » ostracisés en France se sont au contraire multipliés et la perspective sociologique est devenue partie intégrante de l’histoire de l’art.

7 Un facteur historique a évidemment joué ici un rôle, d’ailleurs lié aux transformations sociales dont le profil et les attentes des étudiants étaient un signe : il s’agit de la « crise épistémologique des années 1960-1970 » dont parle Roland Recht, symbolisée par les événements de mai 1968 et qui s’est surtout déroulée au cours de la décennie suivante. Il est juste de dire qu’en Allemagne, cette crise a profondément transformé l’histoire de l’art, notamment grâce à l’activité de l’« Ulmer Verein » fondé en 1968 et aux grandes carrières d’anciens « jeunes gens en colère » comme Martin Warnke, Klaus Herding et Horst Bredekamp, tandis qu’en France, les révolutionnaires d’Histoire et critique des arts, par exemple, n’ont jamais pu ébranler ni même pénétrer l’establishment académique. La situation suisse se rapproche davantage de l’allemande, et on se souvient qu’en Suisse romande c’est précisément au cours des années 1960 que les départements d’histoire de l’art ont vu le jour dans les universités. Mais il faut ajouter que la limitation du statut de titulaire aux seuls professeurs et le nombre relativement limité de chaires, en encourageant le pourvoi de celles-ci par des étrangers déjà professeurs ou par des Suisses ayant enseigné dans d’autres pays, ont fragilisé le processus de relève et relativisé la continuité des directions de pensée et de recherche. il faudrait, pour rendre justice à l’impact des idées rappelées ici, étendre l’enquête au- delà des universités pour inclure l’activité des musées, des collections et centres d’art, des auteurs d’inventaires et des conservateurs des monuments historiques, des historiens de l’art indépendants, des critiques d’art, voire des experts et des marchands.

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Et maintenant ?

8 Le bref éclairage qui précède, inévitablement partiel et partial, ne saurait faire croire que les rives du lac Léman, ou plus généralement la Suisse romande et la Suisse tout entière, représentent un paradis pour l’histoire de l’art. Pour s’en tenir à nouveau aux universités, elles se trouvent aujourd’hui confrontées à une autre crise, liée cette fois aux transformations du système d’enseignement supérieur aux niveaux national et international, et s’aperçoivent qu’à certains égards, elles sont mal préparées à une situation de concurrence accrue et à des exigences nouvelles de transparence et d’efficacité. La polyglossie, spécialement dans le cas qui nous occupe l’accès facilité à l’allemand, « langue maternelle de l’histoire de l’art », souffre comme ailleurs de la tendance au monopole de l’anglais. L’organisation encore embryonnaire des études doctorales et le financement des doctorants, qui dépend principalement de leur engagement comme assistants, sont inadéquats à assurer la relève scientifique. Celle-ci, comme je l’ai déjà suggéré, est encore grevée par l’absence, jusqu’à récemment, de postes équivalant à l’assistant professor américain et d’un processus de titularisation permettant à la fois de planifier les carrières et de faire jouer la concurrence.

9 La circulation des étudiants, des enseignants-chercheurs et peut-être surtout du « corps intermédiaire » au sein des universités suisses est d’ailleurs insuffisante, ce qui accentue la pression à laquelle sont soumises les commissions de nomination locales, sur qui repose entièrement l’enjeu crucial des recrutements, avec les risques de clientélisme et de provincialisation qu’un tel système comporte. L’importance de la recherche et des publications pour le dynamisme et le rayonnement des établissements est loin de trouver la reconnaissance qu’elle mérite au niveau de la gestion des moyens en temps, en personnel et en argent, fait d’autant plus regrettable que les tâches administratives, jusqu’ici comparativement limitées, ne cessent de s’accroître. En tant que science humaine dont la contribution au bien public, quoiqu’importante et multiple, n’est pas souvent immédiatement perceptible, l’histoire de l’art ne figure enfin pas parmi les priorités de ceux, administrateurs ou politiques, qui veulent soumettre la logique des investissements scientifiques à celle de la rentabilité immédiate36.

10 Cela dit, ces problèmes ou des problèmes analogues seront familiers à la plupart des lecteurs de Perspective. Ils sont aussi, comme toute chose, relatifs, et les universités suisses sont de ce point de vue assez bien placées pour les affronter. De nombreuses mesures ont été envisagées et dans certains cas déjà prises pour y remédier, à la fois par les intéressés, par les universités et par des instances supérieures ou indépendantes comme le Fonds national de la recherche scientifique (FNS) : mise sur pied par le corps intermédiaire d’une « association suisse pour la relève en histoire de l’art », création de postes temporaires de « professeurs boursiers », adoption de processus de titularisation de type tenure-track, lancement de « programmes doctoraux » thématiques inspirés des Graduiertenkollege allemands37. La circulation accrue des étudiants, que le processus de Bologne (système du LMD) également mis en place en Suisse doit faciliter, contribuera encore à diffuser et confronter idées, méthodes et « styles » de la discipline. Ce sont bien les étudiants, in fine, qui décomposeront et recomposeront les « paysages de l’histoire de l’art », auxquels la topographie ne saurait fournir qu’un modeste substrat.

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NOTES

1. L’étude historiographique la plus complète de la géographie artistique se trouve dans Thomas DaCosta Kaufmann, Toward a Geography of Art, Chicago et Londres, 2004. Voir aussi, sous la direction du même auteur, le recueil d’essais Time and Space: The Geohistory of Art, Williston, 2005. 2. Enrico Castelnuovo, Carlo Ginzburg, « Centro e periferia », dans Giovanni Previtali, éd., Storia dell’arte italiana,I.Questioni e metodi,Turin, 1979, p. 285-352 ; traduction française partielle sous le titre « Domination symbolique et géographie artistique dans l’histoire de l’art italien », dans Actes de la recherche en sciences sociales, 40, nov. 1981, p. 51-72. 3. Voir Florens Deuchler éd., Ars helvetica – Arts et cultures visuels en Suisse, 13 vol., Disentis, 1987- 1993, et notamment le volume I, D. Gamboni, La géographie artistique, 1987. Soutenu par la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia, cet ensemble de douze volumes augmentés d’un index a paru dans les quatre langues officielles. Confiés chacun à un auteur, ces livres abordaient « l’art en Suisse » non pas chronologiquement mais par art ou technique, ou thématiquement dans le cas de la géographie artistique, de l’économie de l’art, de l’iconographie nationale, de l’esthétique industrielle et de la « scène artistique » du présent. 4. D. Gamboni, « Esquisse pour une géographie de l’histoire de l’art en Suisse », dans Nos monuments d’art et d’histoire, vol. 38, 1987, p. 399-413. Les sources principales de cette étude ont été publiées par l’institut suisse pour l’étude de l’art dans sa série « beiträge zur Geschichte der Kunstwissenschaft in der Schweiz », spécialement dans le volume Kunst-wissenschaft an Schweizer Hochschulen 1. Die Lehrstühle der Universitäten in , , Freiburg und Zürich von den Anfängen bis 1940 (Annuaire 1972-1973), Zurich, 1976. Le projet d’une étude analogue de l’enseignement de l’histoire de l’art aux Écoles polytechniques de Zurich et de Lausanne, aux universités de Genève, Lausanne et Neuchâtel, ainsi que dans l’ensemble des hautes écoles suisses après la Seconde Guerre mondiale n’a pas été réalisé à ce jour, d’où le caractère incomplet et provisoire des éléments historiques avancés à ce sujet dans le présent article. 5. Voir Juan-Francisco Perellon, La qualité dans l’enseignement supérieur. Reconnaissance des filières d’études en Suisse et en Europe : analyse d’une révolution, Lausanne, 2003. 6. Voir « Le séminaire d’histoire de l’art », dans Uni Lausanne. Bulletin d’information de l’Université de Lausanne, 1981, n° 32, p. 9-23 ; Beat Wyss, « Die institutionalisierung der Kunstgeschichte in der schweiz », dans Nos monuments d’art et d’histoire, 38, 1987, p. 382-398 (396) ; David Ripoll, « À l’épreuve du faux. Notes sur le savoir et les pratiques d’histoire de l’art à Genève, 1914-1938 », dans L’art d’imiter. Images de la Renaissance italienne au Musée d’art et d’histoire, Mauro Natale et Claude Ritschard éd., (cat. expo., Genève, musée d’art et d’histoire, 1997), p. 22-39 ; Jean Wirth, « L’histoire de l’art à Genève », dans Cahiers de la Faculté des Lettres [de l’Université de Genève], 1998, p. 3-5. 7. Michel Thévoz, L’académisme et ses fantasmes. Le réalisme imaginaire de Charles Gleyre, Paris, 1980. 8. Voir M. Thévoz, L’art brut, Genève, 1975 ; Lucienne Peiry, L’art brut. De la clandestinité à la consécration, Paris, 1997. 9. Roland Recht, « Pour l’exercice et la maîtrise du regard », propos recueillis par Daphné Bétard et Sophie Flouquet, dans Le Journal des Arts, n° 225 (dossier « La recherche en histoire de l’art »), 18 nov.-1er déc. 2005, p. 18. 10. Voir Lyne Therrien, L’histoire de l’art en France. Genèse d’une discipline universitaire, Paris, 1998, par exemple p. 202-204. 11. Voir B. Wyss, « Die institutionalisierung der Kunstgeschichte in der Schweiz », cité n. 6, p. 396. Sur le plan historique, cette observation demande peut-être à être nuancée à partir d’une connaissance plus approfondie. David Ripoll signale ainsi qu’en 1930, Waldemar Deonna a écarté la proposition du département de l’instruction publique de renommer sa « chaire d’archéologie

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classique » de l’Université de Genève « chaire d’histoire de l’art », ce qui aurait permis ensuite de la scinder en deux chaires d’histoire de l’art antique et d’histoire de l’art moderne ; il relie ce refus au conflit théorique et chronologique qui opposait Deonna à l’historien de l’art Louis Gielly (D. Ripoll, « À l’épreuve du faux », cité n. 6, p. 25). 12. E. Castelnuovo, « La frontiera nella storia dell’arte » [1987], dans La cattedrale tascabile. Scritti di storia dell’arte, Livourne, 2000, p. 15-34 ; Janbialostocki, « Some Values of artistic Periphery », dans Irving Lavin éd., World Art. Themes of Unity in Diversity. Acts of the XXVIth International Congress of the History of Art, Londres, 1989, I, p. 49-58. 13. Communication orale de J. Wirth, 1er mai 2006 ; B. Wyss note que cette chaire, qu’il date de 1975, a précédé celle de Zurich, réclamée par les étudiants en 1971, demandée par la Faculté en 1976, et attribuée en 1982 à Stanislaus von Moos (« Die institutionalisierung... », cité n. 6, p. 396). À Berne, une chaire consacrée à l’art contemporain (Kunstgeschichte der Gegenwart, « histoire de l’art du présent », la mise au concours précisant qu’il s’agissait de « l’art des derniers 25 année ») a été créée en 2000 avec l’aide de fonds privés, et attribuée à Peter J. Schneemann (voir 1905-2005. 100 Jahre Institut für Kunstgeschichte Universität Bern, Emsdetten/Berlin, 2005, p. 55). 14. Voir entre autres Pascal Griener, L’esthétique de la traduction : Winckelmann, les langues et l’histoire de l’art, 1755-1784, Genève, 1998 ; Oskar Bätschmann, Einführung in die kunstgeschichtliche Hermeneutik, Darmstadt, 1984. 15. Victor Stoichita, L’instauration du tableau. Métapeinture à l’aube des Temps modernes, Paris, 1993. 16. M. Thévoz, L’académisme..., cité n. 7, p. 72. 17. Ibid., p. 26. 18. Ibid., p. 32 ; sur l’interaction entre création artistique et mémoire enfantine, voir depuis D. Gamboni, « Fiction et vérité : un souvenir d’enfance d’Odilon Redon partagé par d’autres artistes », dans Genesis, n° 24, 2004, p. 70-88. 19. Voir William Hauptman, Charles Gleyre 1806- 1874, II. Catalogue raisonné, Zurich/Princeton, 1996, p. 380-398. 20. Philippe Junod, Transparence et opacité. Réflexions autour de l’esthétique de Konrad Fiedler, Lausanne, 1976. Pour une discussion croisée de cette thèse et de celle d’Oskar Bätschmann (Bild- Diskurs. Die Schwierigkeit des parler peinture, berne, 1977) par les deux auteurs, voir « Histoire de l’art et herméneutique », dans Revue de théologie et philosophie, n° 111, 1979, p. 57-62. 21. Danielle Chaperon, Philippe Kaenel éd., Points de vue. Pour Philippe Junod, Paris, 2003. Voir aussi Études de lettres [Université de Lausanne], série IV, t. 3, 1980, n° 2, avril-juin 1980, livraison consacrée à l’histoire de l’art et qui contient entre autres le texte de la leçon inaugurale de Ph. Junod, « Voir et savoir ou de l’ambiguïté de la critique », p. 1-42. 22. Ph. Junod, Transparence..., cité n. 20, p. 345. 23. Ibid., p. 325 ; voir aussi Ph. Junod, « Critique, science et histoire de l’art : questions de terminologie », dans Revue suisse d’art et d’archéologie, 39, 1982, n° 2, p. 96-98. 24. Ph. Junod, Présentation de Konrad Fiedler, Essais sur l’art, Besançon, 2002, p. 13. 25. D. Chaperon, Ph. Kaenel éd., Points de vue, cité n° 21, p. 13. 26. Ph. Junod, Transparence et opacité, cité n. 20, p. 340, 344 ; voir D. Gamboni, « Polonius réhabilité ? La projection partagée de à Thinkblot », dans D. Chaperon, Ph. Kaenel éd., Points de vue, cité n. 21, p. 91-105. 27. D. Ripoll, « L’INSA-Genève : retour sur une œuvre pionnière », dans Art + architecture en Suisse, 2005, n° 3 (dossier « INSA – bilan au terme d’un projet de 30 ans »), p. 48-50. Les passages cités se trouvent dans Gilles barbey, Armand Brulhart, Georg Germann, Jacques Gubler, « Genève », dans Inventaire Suisse d’Architecture, 1850-1924, vol. 4 : Délémont, Frauenfeld, Fribourg, Genève, Glarus, Berne, 1982. Voir aussi tout récemment Andreas Hauser éd., Ressource Baukultur. Mit Hanspeter Rebsamen durch Zürich, Zurich, 2006, p. 338 et 364.

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28. Martin Warnke, Avant-propos à André Corboz, Die Kunst, Stadt und Land zum Sprechen zu bringen, bâle/berlin, 2001, p. 10 (« Corboz gehört zu dem Typus von Kunsthistorikern, welche die Vergangenheit immer mit einem reflektierten Gegenwartsbewußt- sein angesehen und zum Leben erweckt haben. »). 29. A. Corboz, Canaletto. Una Venezia immaginaria, 2 vol., milan, 1985. 30. A. Corboz, « La recherche : trois apologues » [1997], dans Le territoire comme palimpseste et autres essais, Besançon, 2001, p. 21-30, 259. 31. Voir par exemple Hans-Jörg Rheinberger, « Historische beispiele experimenteller Kreativität in den Wissenschaften », dans Walter Berka et al., Woher kommt das Neue ? Kreativität in Wissenschaft und Kunst, Vienne/Cologne/Weimar, 2003, p. 29-49. 32. André Corboz, « L’érosion sculptrice et la ‘réception sans œuvre’ », Artibus et historiae, XXIII-45, 2002, p. 223-233, citation p. 231. Il faut sans doute attribuer au positivisme, au sens où A. Corboz n’a cessé de le dénoncer, le fait que cet article, prévu pour un dossier de la Revue de l’art sur les images cachées et ambiguës (n° 137, 2002-2003), en ait été exclu par la rédaction. 33. Voir entre autres Marcel Grandjean, Les temples vaudois. L’architecture réformée dans le Pays de Vaud (1536-1798), Lausanne, 1988 ; Paul Bissegger, Monique Fontanaz éd., Des pierres et des hommes. Hommage à Marcel Grandjean. Matériaux pour une histoire de l’art monumental, Lausanne, 1995. 34. Voir par exemple ses recueils d’articles : E. Castelnuovo, Arte, industria, rivoluzioni. Temi di storia sociale dell’arte, Turin, 1985 ; La cattedrale tascabile, cité n. 12. 35. Voir E. Castelnuovo, « L’histoire sociale de l’art. Un bilan provisoire », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 6, 1976, p. 63-75 ; republié dans E. Castelnuovo, Arte, industria, rivoluzioni, cité n. 34, p. 3-84. 36. Voir le second volume à paraître pour le centenaire de l’Institut d’histoire de l’art de l’Université de Berne (1905-2005. 100 Jahre Institut für Kunstgeschichte Universität Bern), qui sera consacré aux actes du colloque organisé en mai 2005 sous le titre Dienstleistung Kunstgeschichte ? Wissen und Gewis- sen, Anspruch und Auftrag. 37. Voir entre autres le site internet de l’association suisse des historiens et historiennes de l’art, fondée en 1976 à Genève (http://www.vkks.ch/), celui de l’association articulations (http:// www.articulations.ch/html/fr/index.htm), et celui du Fonds national de la recherche scientifique (http://www.snf.ch/default_fr.asp).

INDEX

Index géographique : Lausanne, Genève Mots-clés : paysage, carrefour, espace, frontière, université, académisme, recherche, historiographie, discipline, périphérie, méthode, territoire, critique, école Keywords : landscape, intersection, area, boarder, university, academicism, research, historiography, discipline, outskirts, method, territory, critic, school Index chronologique : 1900

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Des fantasmes d’une Suisse insulaire : le mythe de la « civilisation lacustre »

Marc-Antoine Kaeser

1 Célébrée déjà par les Préromantiques, l’Alpe a joué un rôle essentiel dans l’affirmation d’une conscience nationale helvétique. Mais au milieu du XIXe siècle, peu après la fondation de l’état fédéral suisse, d’autres figures mythiques s’imposent à l’imaginaire national : les Lacustres. L’irruption de ces nouveaux ancêtres procède d’une interaction subtile entre le développement de la science archéologique, le hasard des découvertes et l’émergence de nouvelles représentations de la spécificité helvétique. Au lendemain des révolutions de 1848, les caractéristiques proprement mythiques de l’imaginaire lacustre exprimaient en fait les tensions constitutives de l’idée d’une Nation helvétique1. Depuis le milieu du XXe siècle, la recherche préhistorique a infligé un désaveu sans appel aux reconstitutions erronées et aux raccourcis savants qui avaient autorisé l’invention de ce peuple imaginaire. Mais dans l’esprit du public comme parmi les archéologues, le mythe lacustre paraît ne pas être vraiment mort.

La découverte d’une préhistoire à visage humain

2 Janvier 1854 :d’étranges découvertes focalisent l’attention de l’Europe savante. Dans les eaux des lacs suisses, on met au jour des vestiges en bois, en terre cuite, en pierre et en os, que les spécialistes rapportent à des âges extrêmement anciens et méconnus : les temps « anté-historiques » Ces découvertes étaient exceptionnelles à plusieurs égards. À cette époque, les archéologues n’avaient coutume d’explorer que des tombes, des monuments cultuels et des sites qu’ils considéraient comme des forteresses militaires. Or les vestiges mis au jour sur les rivages des lacs suisses se rapportaient à une réalité différente, presque totalement inédite : il s’agissait d’habitats – des villages identifiés par centaines, tant les découvertes se succédaient à un rythme effréné. Après le monde des morts, l’archéologie préhistorique naissante avait enfin accès au monde des

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vivants : du fond des eaux, on pouvait en quelque sorte ressusciter une civilisation engloutie ! Cette résurrection était d’autant plus suggestive que les sites lacustres offraient des conditions de conservation extrêmement favorables : grâce à l’humidité et à la plasticité des sédiments, les restes organiques les plus vulnérables avaient défié les millénaires. Aux côtés de pièces prestigieuses, de bijoux en or finement ciselés ou d’élégants couteaux en bronze, on mettait au jour les témoins les plus touchants de la vie quotidienne, comme des noisettes, du pain, des pommes séchées, des ustensiles de cuisine, des tissus, des filets de pêche, des pelotes de fil, ou même les jouets des enfants de ce passé immémorial. Au plan scientifique, ces opportunités favorisèrent la mise au point d’approches pionnières sur l’économie et la technologie préhistoriques. Les travaux lacustres jouèrent même un rôle décisif dans l’intégration des démarches des sciences naturelles dans la recherche archéologique. Unanimement reconnus à l’échelle internationale, ces mérites ont assuré une caution scientifique considérable aux travaux et aux interprétations des premiers chercheurs.

L’invention de la « civilisation lacustre »

3 Avant d’envisager les reconstitutions qui ont entraîné la formation du mythe lacustre au XIXe siècle, il importe de poser au préalable le verdict de l’archéologie moderne, qui nous enseigne que le concept même de « Lacustres » est erroné et trompeur. Parlant plus volontiers de « sites palafittiques », les préhistoriens s’accordent depuis plusieurs décennies sur une lecture différenciée de ces réalités archéologiques. Implantés en milieu humide, dans des écosystèmes présentant certains inconvénients pratiques, mais également des ressources variées, un accès aisé aux voies de communication fluvio-lacustres, ainsi que quelques avantages du point de vue de la sécurité, ces habitats ont connu des formes très variables. Qu’ils aient été établis dans des marais et des tourbières, sur les berges d’un petit plan d’eau ou sur les rives d’un grand lac à fort régime, ils devaient en effet s’adapter chacun à des conditions topographiques particulières. Les villages étaient érigés sur la terre ferme, dans des zones gorgées d’eau et parfois soumises à des inondations récurrentes. Certaines maisons se dressaient directement sur le sol ; mais en règle générale, elles étaient dotées d’un plancher isolant, souvent considérablement rehaussé, afin de protéger leurs occupants contre les crues. Formellement, l’habitat en milieu humide n’est pas caractéristique d’une région ou d’une époque particulière. il n’est pas non plus le fait exclusif d’une « civilisation », ou même de quelques cultures archéologiques : pour les nombreux groupes humains qui l’ont pratiqué, il a toujours coexisté avec d’autres formes d’habitat. Pour la préhistoire européenne, on reconnaît néanmoins une forte concentration de sites palafittiques sur le pourtour alpin (de la Savoie à la Slovénie et de l’Allemagne du sud à la plaine du Pô), entre le néolithique moyen et la fin de l’âge du bronze (env. 4300 à 800 av. J.-C.). Au-delà de l’aspect des reconstitutions, ces réalités diffèrent sensiblement des interprétations de nos prédécesseurs qui, compte tenu de l’état de la recherche, y voyaient une spécificité presque exclusive du plateau suisse, et qu’ils dataient de manière beaucoup plus généreuse. Jusqu’au début du XXe siècle, on croyait en effet que cet habitat couvrait, sans discontinuité, l’ensemble des âges de la « pierre polie » (le

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néolithique), du bronze et du fer. Selon les concepts alors usuels, il s’étendait donc des origines de la société humaine jusqu’à l’aube de l’histoire, avec la conquête romaine. Considérant ce phénomène comme homogène et géographiquement circonscrit, les archéologues étaient dès lors autorisés à l’attribuer à une « civilisation lacustre » qui se serait distinguée par un mode d’habitat « amphibie ». Dès la première publication, l’habitat lacustre a en effet été reconstitué de manière extrêmement originale, ce qui rendait d’autant plus crédible l’attribution de tous les sites découverts à un seul et même peuple. Dans son premier « rapport lacustre »2, Ferdinand Keller (président de la Société des antiquaires de Zurich et principale autorité de l’archéologie suisse) affirmait que les villages avaient été érigés au large, au-dessus des eaux des lacs, sur une vaste plate-forme collective soutenant toutes les maisons. Cette interprétation surprenante n’avait pas été lancée à la légère. Elle concluait une étude approfondie de la question, et s’appuyait sur une solide argumentation géologique, de sorte que durant trois quarts de siècle, elle ne rencontrera aucune opposition au sein de la communauté savante.

La « fièvre lacustre »

4 Les étranges villages amphibies de Keller allaient fasciner ses contemporains. De fait, l’intérêt pour la préhistoire lacustre a très vite débordé le cercle étroit des spécialistes. Partout en Suisse, des notables convertis à l’archéologie prospectent les rives à la recherche de nouveaux gisements ; des pêcheurs abandonnent leurs filets pour se recycler dans la chasse aux antiquités ; un marché hautement spéculatif se développe, qui exporte le produit des explorations dans les musées et les collections privées du monde entier3. Cette popularité dépassera même clairement le domaine scientifique. Grâce à certains épisodes largement médiatisés, la « fièvre lacustre » s’empare bientôt du public, pour devenir en quelque sorte un phénomène de société. Des poètes, des auteurs de théâtre, des publicistes s’approprient ce passé ; on compose des chants, des poèmes, des pièces lacustres. Et lors des cortèges historiques organisés à l’occasion des fêtes populaires, des citoyens défilent dans les rues pavoisées, déguisés en Lacustres. Avec l’appui des commandes publiques, les Lacustres entrent dans le monde de l’art. De fait, ces sujets préhistoriques offraient aux artistes des libertés bienvenues : le souci de vraisemblance propre à la peinture d’histoire leur permettait de s’affranchir de certaines contraintes académiques. Fonctionnant de plus sur une temporalité d’un autre ordre, la préhistoire invitait les peintres à s’affranchir de l’événementiel : ils pouvaient ainsi conférer à des scènes qui appartenaient en somme à la peinture de genre la respectabilité enviée de la peinture d’histoire. La faveur de cette thématique tenait donc pour partie à des enjeux propres au champ artistique4. Mais la représentation lacustre n’était pas réservée aux beaux-arts : elle s’est exprimée dans tous les domaines de l’iconographie. Les illustrateurs se saisissent du village sur plate- forme, support de fantasmes très divers, qui colorait d’un exotisme insolite les paysages régionaux les plus familiers. Dans les médias populaires, les journaux à grand tirage, les almanachs, les calendriers illustrés et les livres d’école, on reproduit des gravures lacustres qui prennent toujours plus de libertés avec les cadres posés par les restitutions savantes, pour devenir bientôt une véritable image d’Épinal, un imaginaire de carte postale.

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Une fascination compréhensible

5 Le succès de la thématique lacustre pourrait aisément s’expliquer par la fascination « naturelle » de cet univers. Alors même que la notion de préhistoire ne s’était pas encore imposée fermement dans les esprits, il était assez facile de s’identifier avec ces Lacustres qui avaient laissé, à quelques pieds sous l’eau, les restes émouvants de leurs activités quotidiennes. Les conditions des découvertes répondaient du reste à un archétype selon lequel le passé se cache au fond des eaux ou des grottes – des métaphores du ventre maternel. Mais contrairement au mythe de l’Atlantide ou aux récits de Jules Verne, c’était ici la science qui ressuscitait le passé. Car la « fièvre lacustre » tirait avantage de la validation scientifique internationale des recherches palafittiques. Avec Keller, c’était une civilisation engloutie, complètement oubliée de la mémoire humaine, qui émergeait du fond des eaux. Et pas n’importe quelle civilisation. Car jusqu’à la fin du XIXe siècle, les habitats néolithiques des lacs suisses formaient les plus anciens témoignages d’une société organisée et sédentaire. En somme, ces découvertes montraient que c’était au bord des lacs suisses qu’avait débuté la civilisation humaine ! Ce dernier point témoigne de la dimension nationaliste de la thématique. Le succès de la recherche et des premières interprétations lacustres tenait en effet également à des motifs politiques et identitaires. Tel que l’archéologie les révélait, les Lacustres présentaient des caractéristiques qui en faisaient des ancêtres rêvés pour la nouvelle Suisse alors en construction.

Les causes politiques et identitaires du succès de la théorie lacustre

6 Lors de l’« invention » de la civilisation lacustre en 1854, la Suisse sort tout juste de la Guerre du Sonderbund (1847), une guerre civile dont l’issue avait précisément permis l’unification du pays. Sanctionné par la victoire des cantons progressistes et protestants, ce conflit avait entraîné l’instauration d’un état fédéral, qui remplaçait une confédération d’états assez lâche. Le nouveau régime démocratique de 1848 avait donc été imposé par la force à une minorité sécessionniste conservatrice et catholique affaiblie et désorganisée. Très fragile au plan intérieur, ce nouvel état se trouvait par ailleurs singulièrement isolé à l’échelle internationale. À l’ombre menaçante de l’impérialisme français, confrontée surtout à l’émergence des nationalismes allemand et italien, la Confédération suisse constituait alors la seule démocratie sur le continent européen. Pour panser les plaies encore vives de la guerre civile et assurer sa cohésion face aux menaces extérieures, la Suisse devait donc de toute urgence affirmer son identité nationale. Or, dans ce pays traversé par de profonds clivages, aux plans confessionnel, linguistique, culturel et « ethnique », une telle identité fédératrice pouvait uniquement se fonder sur l’affirmation d’un passé et d’un paysage communs — sur l’histoire et la géographie. Mais en 1848, l’exploitation des anciennes références s’avérait problématique. Le développement de la critique historique venait en effet de démontrer le caractère légendaire des récits fondateurs médiévaux5. De plus, un recours trop appuyé au paysage alpin s’avérait désormais malvenu, puisque c’était

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justement dans les vallées montagnardes de la Suisse primitive que résidait l’opposition à l’unification du pays. Dans ces circonstances, la découverte d’un nouveau passé, d’un passé proprement « anté-historique », antérieur donc à toutes les références historiques alors connues et disponibles, constituait une opportunité tout à fait bienvenue : les Lacustres comblaient en quelque sorte une lacune identitaire, non pas du fait de la plasticité des interprétations archéologiques, mais parce que ces Lacustres présentaient réellement un certain nombre de caractéristiques qui se conformaient à une telle récupération6. En premier lieu, les Lacustres étaient des habitants des plaines ; face aux références montagnardes de la Confédération médiévale, ils représentaient mieux la Suisse moderne, protestante et progressiste du Plateau industrialisé. Tels qu’ils étaient fouillés, les sites ne livraient par ailleurs aucun indice de différences de rang, de statut ou de richesse au sein des villages ; ils donnaient par conséquent l’image d’une société égalitaire et démocratique. De plus, contrairement aux butins archéologiques usuels au XIXe siècle (armes, instruments de culte et biens de prestige), les sites palafittiques livraient en abondance des vestiges de l’artisanat et de l’agriculture. Par effet de contraste, les Lacustres apparaissaient ainsi comme un peuple pacifique et travailleur – conformes, donc, ici encore, aux idéaux de la Suisse progressiste d’alors, qui ne s’était pas encore dotée d’une armée nationale. Quelques aspects marginaux enflammaient encore la ferveur filiale des Suisses modernes : les sites ayant livré des restes de réserves alimentaires, on en déduisait le caractère prévoyant et économe des Lacustres préhistoriques. Dans la même veine, le choix de l’habitat amphibie était rapporté, en partie, au souci d’hygiène de ces ancêtres avisés… En tous points, les Lacustres semblaient ainsi avoir partagé le tempérament, les vertus et les qualités que leurs descendants s’attribuaient si volontiers. Du point de vue symbolique, enfin, la plate-forme lacustre constituait une métaphore limpide de l’image que les Suisses se font de leur propre pays : un Son-derfall, un cas particulier, un îlot de paix et de neutralité dans un monde violent et déchiré. Au prix d’efforts considérables et avec des moyens techniques limités, les Lacustres avaient érigé cette formidable structure afin de se retrancher de l’agitation et des vices du monde extérieur et préserver leur indépendance. Simultanément, elle manifestait la solidarité des habitants de ces villages : avant de bâtir chacun leur maison, ils avaient d’abord dû unir leurs forces pour construire la plate-forme commune, cette charpente solide et résistante qui formait la condition sine qua non de la liberté individuelle. Bref, depuis les origines de la civilisation, les gens qui occupaient le pays paraissaient présenter toutes les caractéristiques des Suisses modernes : ils étaient des Suisses avant la lettre. Autrement dit, la nation suisse connaissait, depuis la nuit des temps, un destin particulier. Au regard de ces millénaires d’unité et de spécificité nationales, les facteurs modernes de division se trouvaient par conséquent relégués au rang de détail négligeable. Véhiculé dans les organes les plus divers, le message identitaire du passé lacustre jouera effectivement un rôle capital dans l’affirmation de l’identité nationale suisse. Initié par les idéologues progressistes radicaux, il trouvait naturellement des relais au sein de l’état fédéral. Ainsi, aux Expositions universelles, notamment à Paris en 1867, les autorités nationales miseront très explicitement sur l’archéologie lacustre. Afin de représenter dignement le pays, on mobilise les principales collections lacustres. Alors que les autres pays exposent leurs productions industrielles les plus modernes, la Suisse s’affiche à la face du monde par l’étalage de son lointain passé ! Quelques années

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plus tard, l’achat par la Confédération d’une gigantesque collection lacustre constituera même le prétexte initial pour la fondation du Musée national suisse. « L’honneur de la Nation » exigeait en effet des mesures de conservation adéquates, pour les vestiges de ces ancêtres qui constituaient, selon les termes du gouvernement, « la chair de notre chair, et le sang de notre sang »7.

La civilisation lacustre : un mythe historique à valeur universelle

7 Les archéologues qualifient aujourd’hui volontiers de « mythique » la représentation traditionnelle du village lacustre sur sa plate-forme dominant les eaux. Par ce terme, ils entendent dénoncer le caractère fautif, voire fantaisiste, des interprétations de leurs prédécesseurs, dont ils cherchent à se distancier. Or, à notre sens, ce terme doit être employé dans toute la force de son acception anthropologique. Car l’imaginaire lacustre répond aux définitions savantes du « mythe historique », telles qu’elles ont été proposées notamment par Claude Lévi-Strauss8 : un récit sur le passé exprimant une vérité intérieure, entre conscient et inconscient, et dont les ambiguïtés permettent de ménager des significations qui, selon la logique rationnelle, devraient s’opposer. Il apparaît en effet que les fonctions politiques et identitaires exposées ci-dessus n’expriment qu’une partie des leçons puisées dans l’univers lacustre : il s’y ajoutait une dimension supplémentaire, proprement idéologique. D’un côté, le passé lacustre était invoqué pour apporter la caution de la science aux idéaux progressistes du XIXe siècle. Témoignant du progrès des civilisations préhistoriques, l’archéologie désavouait la résistance des forces conservatrices contre ce qui apparaissait comme une évolution inéluctable : la « Loi du progrès » était la force active de l’histoire. De manière radicalement opposée, d’autres voyaient pourtant, dans ce même passé, un âge d’or9. Frappés de nostalgie passéiste, ils estimaient que le village lacustre incarnait le « bon vieux temps », une époque d’harmonie et de certitudes, avant la perte des valeurs morales et l’éclatement des structures sociales consécutifs aux révolutions politique et industrielle.

8 Or, conformément à ses propriétés, le mythe lacustre permettait de concilier ces deux visions fondamentalement antagonistes. Dans sa lecture « œcuménique », l’expérience de l’évolution préhistorique confirmait l’optimisme du radicalisme progressiste. Mais les ancêtres figuraient aussi un exemple à suivre. En substance, les deux partis admettaient que l’évolution du monde était porteuse de dangers moraux ; et pour s’en défendre, il fallait demeurer fidèle à l’héritage des anciens Lacustres, en entretenant leurs vertus ancestrales. En un mot, c’était seulement en respectant cet héritage que l’on pouvait progresser vers un âge d’or placé, non plus dans le passé, mais dans un avenir prometteur. Face aux défis de la modernité, dans un contexte de restructurations industrielles, l’utopie du village lacustre exerçait ainsi une fonction unificatrice et apaisante.

9 Quelles étaient ces vertus ? La simplicité, la modestie et la neutralité. Mais surtout l’ardeur au travail. Vanté avec insistance par les analystes, le zèle laborieux des anciens Lacustres transparaissait déjà dans le travail titanesque qu’avait exigé l’érection des plates-formes ; il s’exprimait de manière encore plus éclatante dans l’inventaire du mobilier archéologique. Peu prodigues en objets de culte, en offrandes funéraires, en

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armes et en parures (des trophées de la vanité humaine…), les stations palafittiques livraient des quantités ahurissantes d’ustensiles et d’outils, ou d’outils destinés à fabriquer d’autres outils. Le terrain désignait ainsi le Lacustre comme un homo faber, un artisan, un travailleur. Selon la lecture « œcuménique », c’était cette ardeur au travail qui expliquait pourquoi c’était en Suisse, parmi les Lacustres, qu’avait débuté la civilisation. Elle expliquait aussi comment ils avaient pu ensuite porter la civilisation sur les rails du Progrès, passant de l’âge de la pierre à celui du bronze, puis à celui du fer. Alors que leurs voisins épuisaient leur énergie dans des conflits militaires et dans la production de biens de prestige, les Lacustres avaient en effet consacré toutes leurs forces et leurs talents au perfectionnement de leur culture et à l’amélioration de leur bien-être. De ce point de vue, les « primitifs » modernes, dont on soulignait complaisamment la paresse et la vanité, constituaient le repoussoir idéal. Selon la loi du progrès, ces peuples étaient des « fossiles vivants ». Or, s’ils étaient demeurés stationnaires, c’était précisément parce qu’ils n’avaient pas les vertus morales des anciens Lacustres. En bref, la leçon du mythe lacustre était la suivante : si l’on voulait continuer à alimenter le progrès, il fallait travailler dur, toujours et encore, dédaigner les plaisirs faciles et ne pas se mêler aux conflits étrangers. À cet égard, le mythe lacustre était doté d’une signification universelle : ses enseignements ne s’adressaient pas qu’aux Suisses. Comme leurs ancêtres préhistoriques, les Confédérés modernes devaient assumer un rôle émancipateur pour l’humanité entière. Comme en ces temps lointains, la Suisse devait être le phare de la liberté, de la paix et du progrès, pour toutes les nations du monde10. Dans les cercles progressistes étrangers, ce message était répercuté avec enthousiasme – de manière d’ailleurs beaucoup plus explicite qu’en Suisse. Ainsi, dans un ouvrage de vulgarisation de la « Bibliothèque scientifique populaire » de Camille Flammarion, Henri du Cleuziou concluait sa présentation de la civilisation lacustre par ces paroles prophétiques : « C’est [ainsi] que sont nées les cités si nombreuses en ce coin solitaire, qui semble créé pour l’union, la grande union humaine, et qu’on nomme encore aujourd’hui la Confédération des cantons libres. La Suisse moderne a gardé de nos jours, de cette occupation primitive, le cachet personnel qui la distingue et la marque au milieu de toutes les nations européennes. Elle est encore, en plein XIXe siècle, la vieille patrie des Lacustres. [...] Dès l’origine, elle fonda la république, ce gouvernement essentiellement de droit humain, sa force et sa gloire, qui a résisté à tous les chocs et prouvé par sa stabilité même qu’il est l’idéal, auquel reviendront nécessairement quand ils seront débarrassés de toutes les superfétations royales implantées de force dans leurs mœurs, les peuples affranchis »11.

En guise de conclusion : l’héritage du mythe

10 Au cours du XXe siècle, le développement de la recherche archéologique a entraîné, comme on l’a vu, l’effondrement de la plateforme et de la théorie lacustres, ainsi que l’invalidation de la notion d’une « civilisation lacustre ». Afin d’éradiquer les reconstitutions périmées, profondément ancrées encore dans les esprits, les archéologues se sont dès lors évertués à imposer leurs nouvelles interprétations contre ce qu’ils qualifiaient de « mythe » lacustre. Mésestimant le caractère formellement mythique et les propriétés de ces représentations imaginaires, il ne leur était pourtant pas possible d’en saisir toutes les conséquences. Car la science ne peut abattre le

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mythe : tous deux fonctionnent dans des registres distincts. Alors que l’archéologie sert à comprendre le passé, le mythe ne sert qu’à donner du sens au présent. Absolutisant le passé, le mythe est irréductible à la connaissance12. D’ailleurs, comme l’a montré Lévi- Strauss, il s’agit d’un bricolage : le mythe est le produit de l’assemblage de concepts préexistants. En tant que tel, il ne disparaît donc jamais non plus entièrement : tout au plus s’adapte-t-il, afin de se conformer aux exigences changeantes du présent13. Dans ces circonstances, le mythe lacustre nous semble avoir été enterré trop vite. Certes, après des décennies d’efforts didactiques, nos contemporains se sont largement dégagés de la représentation fautive de la plate-forme lacustre. Mais on peut se demander si ce sacrifice ne s’est pas imposé à la faveur, simplement, de l’évolution du présent auquel le passé lacustre devait donner du sens. Avec la fin de la Guerre froide, la Suisse s’est trouvée libérée de la position incommode, entre les deux blocs antagonistes, qui rendait si séduisant ce refuge imaginaire sur l’îlot de neutralité lacustre. En d’autres termes, une Suisse toujours plus étroitement associée à l’Union européenne n’avait plus besoin de se retrancher sur sa plate- forme lacustre. Or, si l’on considère les préoccupations sociales actuelles, à l’aube du troisième millénaire, le village lacustre n’a manifestement pas perdu son efficacité idéologique. Comme nous avons pu le constater en 2004 avec les échos médiatiques du jubilé des 150 ans de la découverte des stations palafittiques, le village lacustre des représentations tant savantes que collectives semble s’être parfaitement adapté aux nouveaux besoins identitaires. Avec ou sans plate-forme, il est en effet perçu avant tout comme l’incarnation atemporelle d’une petite communauté autarcique, paisible et proche de la nature. De toute évidence, ces caractéristiques répondent aux préoccupations écologiques d’aujourd’hui, ainsi qu’aux angoisses générées par la globalisation. Ainsi, les « Lacustres » de l’imaginaire postmoderne mènent certes une existence rude et peu confortable ; mais ils vivent en harmonie avec la nature et sont confrontés à des problèmes simples, qu’ils maîtrisent parfaitement, avec un horizon clairement délimité : le lac devant, la forêt derrière. Bref, le mythe lacustre est toujours bien vivant. Et s’il nous est moins perceptible, c’est simplement parce qu’il s’est conformé aux questionnements implicites de nos propres représentations du monde.

NOTES

1. Pour la thématique d’ensemble, voir Marc-Antoine Kaeser, Les Lacustres. Archéologie et mythe national, (Le Savoir suisse, 14), Lausanne, 2004. Pour une bibliographie commentée des nombreuses publications parues à l’occasion du jubilé des 150 ans des premières découvertes, voir Marc- Antoine Kaeser, « Bookmarks to the Celebration of the 150th Anniversary of the Discovery of the Lake-Dwellings », dans Bulletin of the History of Archaeology 15/1, 2005, p. 11-15. Sur les traces des palafittes [n° spécial d’Archéologie suisse] 27/2, 2004, offre notamment un utile état des lieux de la recherche archéologique récente. 2. Ferdinand Keller, « Die keltischen Pfahlbauten in den Schweizerseen », dans Mitteilungen der Antiquarischen Gesellschaft in Zürich 9/3, 1854, p. 65-100.

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3. Voir Martin Trachsel et al., Pfahlbaufieber. Von Antiquaren, Pfahlbaufischern, Altertümerhändlern und Pfahlbaumythen. Beiträge zu ‘ 150 Jahre Pfahlbauforschung in der Schweiz ’, Mitteilungen der Antiquarischen Gesellschaft in Zürich, 71, Zurich, 2004. 4. Voir Hélène Lafont-Couturier éd., Vénus et Caïn. Figures de la préhistoire, 1830-1930, (cat. expo., Bordeaux, Musée d’Aquitaine, 2003), Paris, 2003. Pour les représentations lacustres, voir Marc- Antoine Kaeser, Visions lacustres. La représentation des villages préhistoriques littoraux de 1854 à nos jours, Zurich, à paraître. 5. Voir François de Capitani, « Die Suche nach dem gemeinsamen Nenner. Der Beitrag der Geschichts- schreiber », dans François de Capitani, Georg Germann éd., Auf dem Weg zu einer schweizerischen Identität. 1848-1914. Probleme – Errungenschaften - Misserfolge, Fribourg, 1987, p. 25-38. 6. Voir Marc-Antoine Kaeser, « L’archéologie, les représentations collectives et la construction identitaire face aux contraintes matérielles », dans Nouvelles de l’archéologie 90, 2002, p. 12-17. 7. Conseil fédéral suisse, Botschaft an die Bundesversammlung betr. die Betheiligung des Bundes and den Bestrebungen zur Erhaltung und Erwerbung vaterländischer Alterthümer, Berne, 14 juin 1886, p. 2 ; Conseil fédéral suisse, Bericht an die Bundesversammlung über die Erwerbung der Pfahlbauten- Sammlung von Dr. Gross und das Postulat vom 9. Juli 1883 betr. Gründung eines schweiz. Nationalmuseums, Berne, 25 novembre 1884, p. 3. À ce propos, voir Karl Zimmermann, « Pfahlbauromantik im Bundesrathaus. Der Ankauf der ‘Pfahlbausammlung’ von Dr. Victor Gross durch die Eidgenossenschaft im Jahre 1884 und die Frage der Gründung eines schweizerischen National- oder Landesmuseums », dans Berner Zeitschrift für Geschichte und Heimatkunde 49, 1987, p. 117-151 ; Hanspeter Draeyer, « Die ‘besten Schädel arischer rasse’ als Katalysator für die Grün- dung des Schweizerischen Landesmuseums », dans Die Erfindung der Schweiz 1848-1998. Bildentwürfe einer Nation (cat. expo., Zurich, Musée national suisse, 1998), Zurich, 1998, p. 158-169. 8. Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, 1962 (1985). 9. Tel qu’il est représenté au XIXe siècle, l’âge d’or lacustre présente des caractéristiques qui témoignent d’une évidente inspiration rousseauiste. Le fait n’est pas innocent, dans la mesure où rousseau définit ce concept de manière détaillée. Chez lui, l’âge d’or se distingue à la fois de l’état de nature et de l’état social, pour fonctionner comme une sorte d’étape charnière entre nature et société : les hommes profitent déjà des plaisirs et des avantages de la vie sociale, mais demeurent préservés, par leur innocence, de ses conséquences néfastes. Or rousseau situe l’âge d’or au bord de l’eau, sur les îles : c’est là que se sont formés les premiers peuples ! Pour un exposé plus détaillé, voir Marc-Antoine Kaeser « Le fantasme lacustre. Un mythe et ses implications idéologiques dans la Suisse du XIXe siècle », dans Albert et Jaqueline Ducros éd., L’homme préhistorique : images et imaginaire, Paris, 2000, p. 81-107. 10. Voir Madeleine Herren, « Internationalismus als Aussenpolitik. Zur internationalen Vernetzung des schweizerischen Bundesstaates 1848-1914 », dans Brigitte Studer éd., Etappen des Bundesstaates. Staats- und Nationsbildung der Schweiz, 1848-1998, Zurich, 1998, p. 127-143. 11. Henri du Cleuziou, La création de l’homme et les premiers âges de l’humanité, Paris, 1887, p. 306-307. L’auteur conciliait habilement les acquis de la recherche préhistorique avec ses propres attendus rousseauistes. Dans son récit, les hordes du paléolithique, poursuivant le renne, se seraient regroupées sur les rives des lacs suisses, pour y fonder les premières sociétés organisées : les cités lacustres. 12. Frantisek Graus, « Die Ohnmacht der Wissenschaft gegenüber Geschichtsmythen », dans Wissenschaft in der Oeffentlichkeit. Vorträge im Winterse- mester 1982/83, Heidelberg, 1984, p. 30-42. 13. Ce processus d’adaptation s’observe dès la fin des années 1870 : à la faveur du tournant militariste et conservateur de la Confédération helvétique, les Lacustres pacifiques de la Suisse de 1848 ont fait l’objet d’un réarmement belliciste significatif ; voir Marc-Antoine Kaeser, « Le pacifisme des Lacustres. Considérations sur les fondements idéologiques du ‘ Sonderfall ’ suisse », dans Revue historique neuchâteloise, 1997, p. 297-306.

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INDEX

Keywords : vestige, lake, forest, Lacruste, civilisation, preservation, archaeology, myth, science, utopia, housing Index chronologique : Préhistoire Mots-clés : vestige, lac, forêt, Lacruste, civilisation, conservation, archéologie, mythe, science, utopie, habitat Index géographique : Suisse

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Image des Alpes : image de la recherche en Suisse ?

Pascal Ruedin

1 Qu’une revue scientifique française consacrant une livraison à la suisse sollicite d’emblée un état de la recherche sur l’image de la montagne témoigne à la fois de la prégnance d’un topos national – ce qui est d’une banalité aussi affligeante qu’incontournable1 – et de l’intimité réelle entre les représentations culturelles de la montagne et de la suisse. Mais cette demande souligne aussi et surtout l’actualité de la question. au cours des quinze dernières années, la montagne a en effet accouché en suisse d’une pléthore d’expositions et de publications d’art : panoramas diachroniques2, monographies d’iconographie régionale3, examens thématiques et problématiques4, rétrospectives d’artistes ayant œuvré dans les alpes5, catalogues de collections6 et pointages de l’art contemporain7 traduisent un vaste phénomène d’engouement qui touche les medias, les institutions et les artistes les plus divers : des éditions populaires Mondo au Kunsthaus de Zurich, des périphériques Musées du Valais à la très officielle représentation suisse à l’exposition universelle d’Aichi, du pionnier de la peinture alpestre Caspar Wolf aux créateurs contemporains présentés cet hiver dans le cadre prestigieux de la Galerie Beyeler à Bâle... Les résultats de toutes ces voies de recherche répondent-ils pour autant aux attentes légitimes qu’induit un tel sujet placé nolens volens au cœur de l’identité sociale et culturelle helvétique ? La réponse doit être nuancée. Elle jette en tout cas un éclairage latéral sur la structure et les conditions de la recherche en suisse.

2 La mise en valeur et l’étude de l’image de la montagne sont davantage liées aux musées qu’aux universités, ce qui signale déjà le caractère un peu opportuniste, presque touristique, du phénomène. Si cet opportunisme de bon aloi s’avère parfois un peu superficiel et répétitif, il met désormais à portée de main du chercheur un important corpus d’images et d’objets. Il permet aussi de dresser un premier bilan et de suggérer de nouvelles voies de recherche. c’est ce que nous nous proposons de faire ici, sur un ton délibérément provocateur, dans une perspective (auto)critique et sur un mode proactif, porté davantage à stimuler la curiosité et l’investigation qu’à adresser des satisfecit. Même bornées à la situation helvétique, ces réflexions pourront peut-être

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trouver des applications dans d’autres situations nationales, voire dans d’autres espaces de recherche.

La montagne construite

3 Imagine-t-on une telle profusion d’expositions et de publications sur l’image de Paris ou sur l’image de la mer à travers les siècles ? On n’y verrait que vulgarisation et démagogie, alors qu’une telle vision de la montagne paraît aller de soi : on pourrait en saisir et en résumer l’image en cent peintures, estampes et photographies. s’il semble effectivement que d’aucuns en soient capables, c’est précisément parce que la construction culturelle de la montagne a ordonné son image en une série limitée de types où, du XVIIIe siècle à nos jours, le sublime le dispute au pittoresque ou au kitsch. Mais une typologie suffit-elle à rendre compte d’un sujet comme la montagne, qui n’est guère moins qu’une portion d’histoire, de société, d’économie, de politique et de culture européennes ? La constitution même de la montagne en image artistique est problématique en ce qu’elle isole et réduit à l’une de ses dimensions une réalité autrement ramifiée et complexe.

4 La montagne favorise en outre une saisie anhistorique de son image, non seulement parce qu’elle semble imposer une permanence physique, mais aussi parce qu’elle a souvent été liée à la perception de sociétés alpines prétendument enracinées « de toute éternité » dans la ruralité et parce qu’elle a été assimilée à des marges réputées peu ouvertes au changement. En constituant les alpes comme un objet résistant à l’histoire, les expositions et les publications redoublent l’effet de permanence de la montagne. Ce faisant, elles reconduisent le poncif de la Schwerkraft der Berge, construction culturelle s’il en est, massivement véhiculée par les arts visuels. Face à la puissance de la montagne, l’artiste mineur serait écrasé, tandis que le grand artiste – moderne si possible – serait raffermi ; le langage de ce dernier épouserait pour ainsi dire la puissance tectonique des alpes (Hodler, Kirchner, Federle). Or le discours de type formaliste ou psychologique qui consiste à établir une communication immédiate entre le créateur et la montagne passe à côté des médiatisations et représentations de toutes sortes qui s’interposent entre l’artiste et son sujet.

5 Pour faire simple, l’histoire de l’image des alpes est celle de la construction culturelle de la montagne par et pour la ville. Aucun artiste ne donne des alpes une image « endogène », car lui-même y est souvent « étranger » ; et lorsqu’il est né en Valais ou dans les Grisons ( Ritz, les Giacometti), il se forme dans les centres urbains (Düsseldorf, , Paris), il y modèle son regard, et sa production pour- voit ensuite aux attentes d’un public citadin. La diffusion de l’image stéréotypée des alpes est d’ailleurs telle que même les populations de la montagne s’en imprègnent et s’en servent à leur tour pour capter le regard de la ville. La « retraite » de Kirchner dans les Grisons est impensable sans la vision rousseauiste de la paysannerie de montagne ou sans le développement d’un tourisme cosmopolite à Davos. Une appréhension contextuelle de la production artistique serait donc prometteuse. une telle entreprise imposerait la prise en compte non seulement de l’acuité et de la nouveauté d’un regard, mais elle conduirait aussi à l’examen des stratégies de carrière, des impératifs commerciaux, de la réception par la critique et les collectionneurs, de la circulation des clichés sous quelque forme que ce soit (peinture romantique, réclame touristique, reportage ethnographique, film sportif, photographie de vacances), de l’idéologie du

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corps et du sport, des politiques nationales et, bien sûr, du tourisme de masse. Prenons un exemple bien connu : Le bûcheron de , récemment acquis à prix d’or par le Musée d’Orsay. Peut-on imaginer réduire une telle image identitaire à la recombinaison des catégories esthétiques et au triomphe d’une peinture moderne en suisse au début du XXe siècle (genre versus histoire ; symbolisme et expressionnisme) ?

6 Les reproductions de tableaux de montagne dans des publications extérieures au champ de l’histoire de l’art (économie touristique, histoire, ethnologie) traduisent déjà d’autres regards sur ces œuvres, même si elles sont en général utilisées de façon non critique et purement illustrative. Quant à la recherche historique et anthropologique récente, elle souligne la porosité permanente de la montagne, à travers émigration, immigration et passage. Elle propose de la sorte une représentation nouvelle, qui contraste avec la construction culturelle d’une spécificité alpestre, sans cesse mythifiée mais jamais démontrée dans les faits. L’image de la montagne ne peut donc pas être dissociée d’une histoire de la montagne et du regard porté sur elle par la ville. Autant dire que les arts visuels ne suffisent pas, à eux seuls, à rendre compte de la complexité et de l’évolution d’une telle perception culturelle. On touche ici aux limites – et aux prétentions – de l’histoire de l’art et de ses institutions.

La clôture de l’histoire de l’art

7 L’image peinte des alpes est souvent confinée dans une interprétation réductrice, au pire formaliste et moderniste, au mieux superficiellement historique. La peinture de , père d’Alberto, est exemplaire d’un langage moderniste intégrant des enjeux sociaux et culturels plus larges, mais souvent passés sous silence, comme l’ethnographie, la place de la femme, le tourisme, l’exode rural, l’hygiénisme, etc. Quant au rapport avec une histoire culturelle au sens large, rien n’est plus superficiel qu’une exposition sur la peinture de montagne, où quelques objets scientifiques et traités géologiques accompagnent de-ci de-là les toiles des maîtres, comme autant d’alibis historiques, le catalogue comprenant bien sûr la contribution d’un historien des sciences sur le développement de la géologie à l’époque de cas- par Wolf…. Au total, la recherche se contente de reconduire à l’envi des modèles d’interprétation historique généraux et par trop simplistes, évoluant grosso modo, au XVIIIe siècle par exemple, de Scheuchzer à Saussure, en passant par Haller et Rousseau. Malgré ses dénégations, l’histoire de l’art reste tentée par la voie solitaire et distinctive que lui imposeraient les objets spécifiques qu’elle étudie : les œuvres d’art, concrétions supérieures de l’esprit. On sait ce que cette logique hiérarchique et élitaire entraîne comme exclusions, masquant la complexité, les contradictions et les embrouillaminis de l’histoire au nom d’une problématique progressivité et d’une hypothétique qualité esthétique. Les musées d’art suisses souffrent forcément de cette vision qu’ils doublent d’un complexe profond envers l’art international. de l’intériorisation du regard – supposé méprisant – de l’étranger sur les artistes suisses au regard sur les alpes formaté par les grands centres, il n’y a qu’une différence d’objet, mais un même principe est à l’œuvre : celui de l’acculturation. L’image des alpes rejoint l’image que la suisse a d’elle-même. Les musées d’art et la recherche en histoire de l’art sont en outre souvent marqués par le caractère intouchable de tout engagement social ou politique national, qui relèverait du provincial, de l’impur ou du médiocre. en 2000, le gouvernement helvétique mettait

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au concours les contributions scientifiques à un programme national de recherche (PnR 48) portant sur les « Paysages et habitats de l’arc alpin ». doté d’un crédit de 15 millions de francs suisses réparti entre quelque 200 chercheurs provenant de diverses disciplines, 35 projets ont été mis en route en 2002 et devraient se terminer en 2007 au plus tard, soit pendant un laps de temps qui a vu les musées d’art suisses organiser de nombreuses expositions sur le sujet. Or aucun historien de l’art, qu’il représente une université, un institut de recherche ou un musée, ne collabore à ce projet ! L’auto- exclusion des historiens de l’art suisses d’un projet de recherche national et transdisciplinaire n’est pas une question de compétence ; elle confirme plutôt la clôture du champ de l’histoire de l’art sur lui-même.

8 Deux des cinq points forts assignés à ce programme de recherche ont directement partie liée à l’image et ne donneraient pourtant pas matière à la moins intéressante des expositions, medium de vulgarisation privilégié s’il en est : Processus de perception et Représentation virtuelle des paysages. À travers le premier, c’est l’histoire de la médiation culturelle du paysage qui est interrogée (« de quelle façon des valeurs et des normes transmises par la culture déterminent-elles la perception et l’évaluation des paysages et des habitats ? Comment de telles normes de valeurs prennent-elles naissance et se modifient-elles ? »8). Dans le second, c’est la place même de l’image dans la société contemporaine qui est envisagée (« Quelles fonctions de remplacement les paysages virtuels peuvent-ils assumer ? Jusqu’où, par exemple, la qualité visuelle des paysages deviendra-t-elle, de cette façon, un critère dominant de l’évaluation du paysage et quelles nouvelles normes et stéréotypes sont-ils établis par la diffusion accélérée de « paysages virtuels « ? »).

Le salut par l’art contemporain ?

9 La seconde question du programme correspond aux recherches de quelques artistes contemporains. Le duo d’artistes bâlois Monica Studer et Christoph Van den Berg, par exemple, interroge directement les stéréotypes alpins par la construction informatique de paysages virtuels qui jouent sur les préjugés, les attentes et les projections identitaires du public9. Le regard porté sur les alpes est également thématisé par des artistes originaires des montagnes, comme Not Vital, Josef Loretan ou Valentin Carron. Comme leurs prédécesseurs, ils ne travaillent guère pour un public périphérique, mais bien dans la perspective de leur adoubement par les centres légitimes investis d’un pouvoir de consécration économique et culturel.

10 La pratique des créateurs contemporains déborde le champ artistique pour se nourrir de références sociologiques, anthropologiques et politiques, qui indiquent sans doute un modèle à suivre pour les historiens de l’art ; ceux-ci sont désormais invités par les artistes eux-mêmes à dépasser une vision purement formaliste de leur discipline et une perception élitaire de la production. Ils pourraient aussi y être encouragés par les écoles d’art qui, sommées depuis peu de « faire de la recherche » pour accéder au statut de hautes écoles spécialisées (et subventionnées), interrogent également l’image de la montagne, avec des compétences scientifiques qu’il s’agira toutefois encore de démontrer. L’École d’art du Valais, par exemple, mène l’enquête sur les données du paysage de montagne, ainsi que sur le concept de périphérie, étendu des alpes aux sociétés extra-européennes.

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11 Laissons-nous donc inspirer par les artistes et finissons-en avec la clôture sur elle- même de la grande histoire de l’art. Somme toute, les innombrables « croûtes » des peintres-alpinistes et clubistes n’en disent-elles pas autant sur l’image culturelle de la montagne qu’un Niesen peint par Ferdinand Hodler ?... Pour prendre un exemple moins provocateur, les représentations de la montagne véhiculées par l’art populaire des poyas, des ex-voto, de la publicité et de la photographie amateur ne mériteraient-elles pas de bénéficier aussi des instruments de lecture des images qu’a développés l’histoire de l’art ? En contrepartie, celle-ci s’enrichirait certainement des apports et des approches novateurs d’autres disciplines. La liste des publications relatives aux alpes, établie par la Commission interacadémique Recherche alpine, donne bien la mesure des enjeux, des directions et des tentations possibles10.

À la recherche de la recherche

12 Mais une telle (ré)orientation inter- voire transdisciplinaire suppose l’existence d’une recherche déjà bien établie dans le milieu de l’histoire de l’art, ce qui est loin d’être le cas. La discipline ne comporte en effet, dans ce domaine d’investigation, ni réseau, ni programme, ni objectifs. Et l’on touche là à la structure de la recherche. Cette dernière est totalement atomisée, peu ou pas coordonnée, peu orientée et non prescriptive. Ce qui a longtemps relevé d’une sympathique liberté « académique » et politique, et qui a d’ailleurs produit parfois des résultats individuels remarquables, se révèle, dans un contexte d’émulation internationale, un facteur de faiblesse collective et de déni identitaire. La recherche est en outre privée d’une institution supra-régionale ou même d’un organe de coordination qui, non seulement lui donnerait des orientations précises, mais stimulerait également les collaborations. Les projets généraux naissent actuellement des circonstances et des opportunités (épistémologiques, mais surtout psychologiques, politiques et économiques). Universités et musées fonctionnent souvent de façon autarcique, les seconds valorisant peu le travail des premières, et les premières se réservant plutôt le domaine international que le patrimoine régional ou national11. Le tout dans un climat de saturation de l’offre, de surenchère, de concurrence et de menaces sur les budgets de la formation, de la recherche et de la culture.

13 En dehors du patrimoine monumental et médiéval, les universités maintiennent et favorisent une vision hiérarchisée et centralisée de la production artistique, dans laquelle l’art suisse occupe bien sûr une place dévalorisée. Rares sont les enseignements, les mémoires et les thèses sur des sujets touchant à la montagne, voire à la suisse. les sujets ne manquent pourtant pas : à commencer par la production peinte et gravée à destination touristique, dite des petits maîtres, de la fin du XVIIIe siècle ; la prétendue école genevoise de peinture alpestre (François Diday, Alexandre calame) dont les enjeux, dans le deuxième tiers du XIXe siècle, ne sont pourtant pas négligeables : diffusion internationale, relation au tourisme naissant, italianisation du voyage dans les alpes, contribution à la formation du stéréotype identitaire helvétique, ennoblissement du genre paysager ; la colonisation ethno-picturale des Alpes serait un autre sujet, réunissant Segantini, Giovanni Giacometti, Biéler, Vallet, Buri, et plaçant cette orientation dans le grand phénomène européen des colonies d’artistes à la campagne au cap du XXe siècle (Pont aven, Worpswede) ; la longue éclipse des alpes qui suit le second conflit mondial mériterait aussi d’être sondée et rapportée à

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l’instrumentalisation politique et à la folklorisation du motif alpestre, autant qu’aux modernités artistiques d’après-guerre ; la résurgence de la montagne dans les années 1990 devrait, elle, être mise en rapport avec le phénomène de néo-colonisation sportive et économique fit and fun sans précédent que connaissent actuellement les Alpes.

14 Par leur ancrage local, ce sont bien les musées qui jouent un rôle d’entraînement capital pour la recherche sur la production artistique liée à la suisse et, a fortiori, aux alpes. Mais leurs orientations sont parfois imprévisibles, dictées par la mode, par les intérêts particuliers des responsables ou par le modèle contaminant des Kunsthallen et autres centres de création contemporaine. La montagne profite actuellement d’un trend positif, tant chez les responsables culturels qu’auprès du public ; mais la pression politique (financière et stratégique) et publique (touristique et vulgarisatrice) qui s’exerce sur les institutions ne garantit aucunement la qualité, l’originalité et surtout la continuité de la recherche. L’événementiel prend le pas sur le fond, le connu l’emporte sur la découverte. L’étude et la publication des collections pâtissent souvent de l’expomania actuelle, qui est souvent devenue le seul espace de « recherche » des musées. De fait, on peut remarquer que les musées périphériques de l’aire alpine, naturellement renvoyés au thème de la montagne, ne peuvent le traiter de façon adéquate, du fait de leur petite taille. Leurs efforts, et l’on me pardonnera ce prêche pro domo, me semblent toutefois exemplaires, compte tenu de la modestie de leurs moyens ; en privilégiant des approches novatrices et interdisciplinaires de la question, et en se fondant sur l’étude et la mise en valeur de leurs propres collections, ces musées se substituent régionalement aux universités, toutes regroupées sur le Plateau suisse12. Les grandes institutions muséales s’efforcent d’internationaliser le propos, mais l’apport est proportionnellement faible et l’appréhension presque toujours étroitement artistique. Le prestigieux Kunsthaus de Zurich présentera toutefois cet automne une importante exposition sur l’image polymorphe des Alpes. La manifestation jouira sans doute d’une grande visibilité et nous comptons sur elle pour orienter la recherche vers une approche transdisciplinaire.

15 Incontournables dans l’étude de l’identité et de l’image de la Suisse, les Alpes se situent aussi, bien sûr, au cœur de l’histoire culturelle du continent. La régionalisation qui réagit à la construction européenne et à la globalisation pourrait d’ailleurs être une chance pour la recherche sur la montagne, pour autant que l’on parvienne à dépasser les cadres nationaux, prévalents aujourd’hui, pour se modeler sur l’objet de recherche lui-même, c’est-à-dire les Alpes dans leur ensemble. Jusqu’à ce jour, le programme d’initiative communautaire transnational Interreg IIIB, spécifiquement dévolu à l’espace alpin et couvrant la période 2000-2006, n’a pas été orienté sur des questions culturelles13. En suisse, le Fonds national de la recherche scientifique et l’institut suisse pour l’étude de l’art seraient aptes à porter de telles ambitions et à les inscrire dans la durée nécessaire à la recherche ; c’est à ce titre qu’ils pourraient se présenter en partenaires privilégiés d’une collaboration internationale souhaitable et nécessaire. Objet complexe et protéiforme par excellence, les Alpes méritent assurément mieux que l’obsolescence programmée des expositions.

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NOTES

1. Que l’on pense à la campagne anglaise ou au sublime du paysage américain. Voir par exemple : Stephen Daniels, Fields of Vision. Landscape Imagery and National Identity in England and the United States, Cambridge, 1993 ; Timothy Barringer, « national Myths and the Historiography of nineteenth-century American landscape Painting: a european Perspective », dans Peter J. Schneemann, Thomas Schmutz éd., Masterplan. Konstruktion und Dokumentation amerikanischer Kunstgeschichten, Berne, 2003, p. 127-154. 2. Par exemple : La Suisse sublime vue par les peintres voyageurs, 1770-1914, (cat. expo., Lugano, Fondation Thyssen-Bornemisza, Villa Favorita / Genève, Musée d’art et d’histoire, 1991-1992), Milan, 1998 ; À chacun sa montagne, (cat. expo., Vevey, Musée Jenisch, 1995), Vevey, 1995 ; Viaggio verso le Alpi/ Le voyage vers les Alpes/Die Reise zu den Alpen, (cat. expo., Bellinzone, Villa dei cedri, 1997), Bellinzone, 1997 ; Christophe Flubacher, Peintures alpestres, lausanne, 2003 ; Françoise Jaunin, Les Alpes suisses. 500 ans de peinture, Vevey, 2004 ; Montagne, je te hais - Montagne, je t’adore. Voyage au cœur des Alpes, du xvie siècle à nos jours/ Berg, ich hasse dich – Berg, ich liebe dich. Eine Reise mitten durch die Alpen, vom 16. Jahrhundert bis heute, Pascal Ruedin, Marie claude Morand, éd., (cat. expo., Sion), Paris, 2005 ; Beat Wismer éd., Höhenluft. Der Berg in der Schweizer Kunst/Alpine Air. Swiss artists, inspired by Mountains, (cat. expo., Matsue city, Matsumoto city Museum of art, shimane art Museum/ Tokyo, Bunkamura Museum of art, 2005-2006). le phénomène s’étend largement au-delà de la suisse, par exemple : Alpi di Sogno/ Alpes de rêve, (cat. expo., Fort de Bard, 2006), Aoste, 2005 ; Montagna : arte, scienza, mito. Da Dürer a Warhol, (cat. expo., Trente, Museo di arte moderna e contemporanea di Trento e Rovereto, 2003-2004), Genève, 2003 ; Der Berg, (cat. expo., Heidelberg, Heidelberger Kunstverein, 2002-2003), Heidelberg, 2002 ; Le cattedrali della terra : la rappresentazione delle Alpi in Italia e in Europa, 1848-1918, (cat. expo., Milan, Museo della Permanente, 2000), Milan, 2000 ; Le sentiment de la montagne, (cat. expo., Grenoble, Musée des beaux-arts / Turin, Fondazione Palazza Bricherasio, 1998), Grenoble, 1998 ; Alpenblick. Die zeitgenössiche Kunst und das Alpine, (cat. expo.,Vienne, Kunsthalle, 1997), Vienne, 1997. 3. Par exemple : Leza Dosch, Kunst und Landschaft in Graubünden : Bilder und Bauten sein 1780, Zurich, 2001 ; Anton Gattlen, L’estampe topographique du Valais, 1548-1899, Martigny/Brig, 1987-1992 ; Das Engadin Ferdinand Hodlers und anderer Künstler des 19. und 20. Jahrhunderts, (cat. expo., Chur, Bündner Kunstmuseum/st. Moritz, segantini Museum, 1990), Chur, 1990. 4. Par exemple : Annäherung an die Natur. Schweizer Kleinmeister in Bern 1750-1800, Berne, 1990 ; Philippe Junod, Philippe Kaenel, Critiques d’art de Suisse romande, de Töpffer à Budry, Lausanne, 1993 ; Daniel Maggetti éd., Töpffer, Genève, 1996 ; Die Schwerkraft der Berge, 1774-1997, (cat. expo., aarau, aargauer Kunsthaus/Krems, Kunsthalle, 1997), Bâle/Francfort-sur-le-Main, 1997 ; Itinerari sublimi. Viaggi d’artisti tra il 1750 e il 1850, (cat. expo., lugano, Museo cantonale d’arte, 1998), Milan, 1998 ; Beat stutzer éd., Der romantische Blick : das Bild der Alpen im 18. und 19. Jahrhundert, (cat. expo., chur, Bündner Kunstmuseum, 2001), chur, 2001 ; D’Edmond Bille à Kirchner. Ruralité et modernité artistique en Suisse (1900-1930)/ Von Edmond Bille zu Kirchner. Ländlichkeit und moderne Kunst in der Schweiz (1900-1930), (cat. expo., Sion, Musée cantonal des beaux-arts, 2003-2004), Moudon, 2003. 5. Par exemple : Pierre-Louis De la Rive ou la belle nature : vie et œuvre peint (1753-1817), (cat. expo., Genève, Musée Rath, 2002) ; Valentina Anker, Alexandre Calame : vie et œuvre. Catalogue raisonné de l’œuvre peint, Fribourg, 1987 ; Valentina Anker, Alexandre Calame (1810-1864) : dessins. Catalogue raisonné, Berne, 2000 ; Raphael Ritz 1829-1894, (cat. expo., Visp, Kulturzentrum la Poste), 1999 ; Giovanni Segantini, 1858-1899, (cat. expo., Zurich, Kunsthaus, 1990-1991), Zurich, 1990 ; Claudia Villa, Charles Giron. À la recherche d’une Arcadie alpestre : scènes de genre et paysages, mémoire de licence dactylographié, université de Genève, 1997 ; Ferdinand Hodler. Aufstieg und Absturz, (cat.

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expo., Berne, schweizerisches alpines Museum, 1999), Berne, 1999 ; Ferdinand Hodler : le paysage, (cat. expo., Genève, musée d’art et d’histoire/Zurich, Kunsthaus, 2003-2004), Paris, 2003 ; Ernest Biéler 1863-1948. Du réalisme à l’Art nouveau, (cat. expo., Lausanne, Musée cantonal des beaux-arts / Solothurn, Kunstmuseum, 1999-2000), Genève, 2000 ; Albert Trachsel, 1863-1929, (cat. expo., 1984-1985), Genève, 1984 ; Alexandre Perrier, 1862- 1936, (cat. expo., Genève, Musée d’art et d’histoire, 1986-1987), Genève/Solothurn, 1986 ; Giovanni Giacometti, 1868-1933 [Catalogue raisonné des peintures], Zurich, 1996-1997 ; Max Buri und seine Zeitgenossen, (cat. expo., Studen, Fondation Saner, 2002), Berne, 2002. 6. Par exemple, les catalogues des collections des musées des beaux-arts de Chur et de Sion. 7. Par exemple : Hoch hinaus, (cat. expo., Kunstmuseum Thun, 2005), Thun, 2005. 8. www.pnr48.ch/programme/pointfort/html [sic]. 9. Somewhere else is the same place : Monica Studer, Christoph Van den Berg, (cat. expo., Solothurn, Kunstmuseum, 2005-2006), Zurich, 2005. 10. www.alpinestudies.ch/f/publikationen.html ; quelques exemples stimulants : Gilles Boëtsch éd., Le corps de l’alpin. Perceptions, représentations, modifications, Gap, 2005 ; Jon Mathieu, Simona Boscani leoni éd., Die Alpen ! Zur europäischen Wahrnemungsgeschichte seit der Renaissance/ Les Alpes ! Pour une histoire de la perception européenne depuis la Renaissance, Berne, 2005 ; Claude Reichler éd., Le bon air des Alpes, Grenoble, 2005 ; Thomas Busset, Luigi Lorenzetti, Jon Mathieu, Zurich éd., Tourisme et changements culturels/ Tourismus und kultureller Wandel, chronos, 2004 ; Elisabeth Simons, Kopfwehberge : eine Geschichte der Höhenmedizin, Zurich, 2001 ; Claude Reichler, La découverte des Alpes et la question du paysage, chêne-Bourg, 2002 ; Premiers hommes dans les Alpes : de 50000 à 5000 avant Jésus-Christ, (cat. expo., Musée cantonal d’archéologie, lausanne, 2002) ; Jean- claude Pont, Jan Lacki éd., Une cordée originale. Histoire des relations entre science et montagne, chêne- Bourg, 2000 ; Thomas Antonietti, Bauern, Bergführer, Hoteliers : Fremdenverkehr und Bauernkultur. Zermatt und Aletsch 1850-1950, Baden, 2000 ; Claude Thomasset, danièle James-Raoul éd., La montagne dans le texte médiéval : entre mythe et réalité, Paris, 2000 ; Projet Reichler Vaticalp ; Werner Bellwald, Zur Konstruktion von Heimat. Die Entde- ckung lokaler « Volkskultur » und ihr Aufstieg in die nationale Symbolkultur. Die Beispiele Hérens und Lötschen (Wallis), sion, 1997. 11. Quant à la recherche indépendante, on lui doit des initiatives fondamentales quoique inégales, notamment dans la constitution de corpus – monographies et catalogues raisonnés d’artistes –, nécessaires à la fondation de synthèses. Mais ici encore, les liens avec les universités et les musées sont lâches et rarement coordonnés. 12. Voir par exemple : Weisse wunderware Schnee, (cat. expo., Chur, Bündner Kunstmuseum, Rätisches Museum, Bündnernaturmuseum, 2004), Baden, 2004; Pascal Ruedin, Marie Claude Morand éd., Montagne, je te hais…, cité n. 2. 13. Voir www.interreg.ch

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INDEX

Mots-clés : image, montagne, représentation, tourisme, musée, vulgarisation, construction culturelle, stéréotype, acculturation, recherche Keywords : image, mountain, representation, tourism, museum, popularisation, cultural construction, stereotype, acculturation, research Index géographique : Suisse Index chronologique : 1900

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Pourquoi l’histoire de l’art suisse intéresse-t-elle ? Entretien avec Enrico Castelnuovo par Antonio Pinelli

Enrico Castelnuovo et Antonio Pinelli

Antonio Pinelli. Tu as enseigné pendant quinze ans à l’Université de Lausanne dans les années 1960-1970, ce qui te procure un regard à la fois intérieur et extérieur, impliqué et détaché, et fait de toi un interlocuteur privilégié en matière d’art et d’histoire de l’art suisse. En outre, un des thèmes les plus stimulants de ta recherche s’articule autour des Alpes non plus vues comme une barrière infranchissable mais comme une frontière perméable et un carrefour culturel dans lequel la Suisse jouait un rôle central. Qu’on se souvienne simplement de ta leçon inaugurale de 1966 à l’Université de Lausanne (« Les alpes, carrefour et point de rencontre des tendances artistiques au XVe siècle »), point de départ idéal de tellement de recherches et d’expositions sur le gothique international dont tu as été l’initiateur et le commissaire à Turin, Trente et ailleurs. Ma première question est néanmoins générale : la Suisse est une réalité complexe et multilingue, et dans ce contexte, parler d’histoire de l’art suisse a-t-il du sens ? Ou bien, paraphrasant un célèbre titre de Nikolaus Pevsner : est-il possible de parler d’une ’Swissness of the Swiss art’ ? Et si oui, dans quel sens ? Enrico Castelnuovo. À propos d’une « helvéticité de l’art suisse », la première question qui se pose pourrait être la suivante : à partir de quel moment peut-on en parler ? Il serait fort difficile de l’évoquer avant le XIXe siècle et la mise en place d’institutions nationales dans le champ artistique : la naissance des associations d’artistes et architectes, des expositions qui tour à tour se déroulaient dans des cantons différents, la création du Musée national (Schweizerische Landesmuseum, 1892) à Zurich etc. Pour la période précédente, on devrait plutôt essayer de lire les différents paysages artistiques (Kunstlandschaften) : le Rhin supérieur (l’aire autour du lac de constance à laquelle Albert Knoepfli a dédié un gros ouvrage, Kunstgeschichte des Bodenseeraumes, 1962-69), la vallée du Rhône et le lac Léman (régions d’où provenaient des artistes qui se sont côtoyés et quelquefois rencontrés au cours des siècles). Car la Suisse est un rassemblement de différentes situations politiques, linguistiques, culturelles, religieuses, et la confédération actuelle n’a pris forme qu’après la guerre du

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Sonderbund (1848) qui a opposé deux projets politiques différents et un certain nombre de cantons catholiques aux cantons protestants. Pendant longtemps la culture suisse a été soumise à un clivage dû à la frontière naturelle que constituait la Sarine (Saane), la rivière qui sépare la suisse germanophone de la suisse francophone, et la chose a eu des conséquences y compris sur l’histoire de l’art et sur l’image qu’on s’est faite de l’art suisse. Si la Suisse germanophone a eu de très grands historiens de l’art, de véritables géants comme Jakob Burckhardt ou Heinrich Wölfflin, cela a eu relativement peu de conséquences en Suisse romande qui regardait plutôt du côté de la France voisine. D’ailleurs il serait difficile d’affirmer que Burckhardt ou Wölfflin ont été sensibles à la situation particulière de l’art en Suisse. Il est d’autre part significatif que la Geschichte der bildenden Künste in der Schweiz, von den ältesten Zeiten bis zum Schlusse des Mittelalters [Histoire des arts figurés de la suisse, des temps les plus anciens au Moyen Âge] publiée en 1876 par le Zurichois Rudolf Rahn, le véritable fondateur de l’histoire de l’art suisse, n’ait jamais été traduite en français. En revanche la traduction française du premier volume de la Kunstgeschichte der Schweiz [Histoire de l’art suisse] de Joseph Gantner (1936) a paru à Neuchâtel en 1941. L’année de parution est significative, car il est clair que la guerre aux frontières ne pouvait que renforcer l’idée d’une identité, d’une appartenance et d’une culture. Il est aussi significatif que le deuxième volume ait paru en français en 1956, dix ans après l’édition originale et que le troisième et le quatrième volume n’aient jamais été traduits. En 1934 était édité le Kunstführer der Schweiz [Guide artistique de la suisse], un inventaire rapide et précieux des monuments suisses réalisés sur le modèle des volumes de Georg Dehio (Handbücher der deutschen Kunstdenkmäler [Manuel des peintres allemands]) grâce à un travail d’une quinzaine d’années de Hans Jenny, un amateur passionné, fils d’un industriel. Le volume comprenait dans ses cent chapitres les monuments de la Suisse alémanique aussi bien que ceux de la Suisse romande et du Tessin. Ses quatre éditions publiées entre 1934 et 1945 ont connu un grand succès mais l’ouvrage n’a pas été traduit en français. Une nouvelle édition (la sixième) est en cours de publication sous l’égide de la Société d’Histoire de l’art en Suisse et cette fois on prévoit sa traduction dans les différentes langues nationales. D’ailleurs la série Ars Helvetica publiée à partir de 1987 sous la direction de Florens Deuchler, consacrée, comme l’indique le sous-titre, aux arts et à la culture visuels en Suisse, a été conçue dès le début pour être publiée dans les différentes langues du pays. Cela pour dire que l’image de la suisse en tant que « Kunstlandschaft » a mis du temps à s’affirmer dans l’ensemble du pays et je renvoie sur cette question à l’article de Georg Germann, « Kunstlandschaft und schweizer Kunst » [dans Zeitschrift für Schweizerische Archäologie und Kunstgeschichte, XlI, 1984, p. 76-80] ainsi qu’au très beau livre de Dario Gamboni, La géographie artistique, 1987, premier volume de la série Ars Helvetica.

A. P. Le Tessin comme creuset de lapicides, de sculpteurs et d’architectes dans un éventail diachronique d’une ampleur stupéfiante, la culture des Alpes et le gothique de cour, la fête patriotique du village suisse comme modèle rousseauiste adapté aux célébrations jacobines de la période révolutionnaire, et la Suisse merveilleuse (titre d’une exposition mémorable du début des années 1990 à Lugano) du poème des Alpes d’Albrecht von Haller et des aquarellistes anglais : quatre thèmes parmi tant d’autres sur lesquels se sont

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majoritairement focalisés les intérêts de la recherche dans les dernières décennies et qui coïncident avec des questions d’actualité comme le primitivisme, le rapport entre centre et périphérie, la naissance du tourisme et la perméabilité des frontières. Que peux-tu en dire ? E. C. Je crois qu’il y a encore à faire autour du gothique international, tant sur le plan de la sculpture que sur celui de la peinture. L’exposition Corti e Città. Arte del Quattrocento nelle Alpi Occidentali, qui s’est déroulée tout récemment à Turin, a eu le grand mérite d’ouvrir les frontières, d’explorer la production artistique des deux côtés des alpes, d’illustrer et d’évoquer la richesse et la complexité artistique du duché de Savoie au temps d’Amédée VIII et de son fils Louis. Je crois que là il y a encore bien des choses à découvrir dans des endroits qui n’ont pas souffert de tempêtes iconoclastes comme le valais. D’ailleurs l’évêché de Sion a été un véritable point de rencontre entre sculpteurs bourguignons, peintres et enlumineurs du Rhin supérieur et artistes sensibles aux modèles italiens comme Peter Maggenberg. D’autre part, le peu qui reste à Genève fait ressortir l’importance artistique de cette ville au XVe siècle, et la présence dans l’église de Saint-Gervais d’une fresque toscane à côté des peintures proches de maîtres « alpins » tels que Jaquerio et Jean Bapteur est un indice révélateur qui devrait nous mettre sur la voie. Quant au Fribourgeois Jean Bapteur, peintre à la cour de Savoie pendant des décennies, ses enluminures de l’ Apocalypse de Savoie (aujourd’hui à la bibliothèque de l’Escorial) en font l’un des peintres les plus extraordinaires du deuxième quart du XVe siècle en Europe et je pense qu’il faudrait chercher les traces que son œuvre a laissées en suisse. Enfin, dans le canton de Vaud, un bon nombre de peintures murales couvertes par le badigeon bernois au XVIe sont réapparues, quoique souvent fort maltraitées par les restaurateurs du début du XXe siècle. Il est aussi clair que la deuxième moitié du XVIIIe est un grand moment pour l’art en suisse, il suffit de penser à deux peintres très différents comme Liotard et Caspar Wolf. Je considère ces deux artistes parmi les plus grands de leur temps.

A. P. Quels sont à ton avis les autres thèmes émergents ou qui mériteraient d’être davantage exploités dans l’histoire de l’art suisse ? E. C. En réfléchissant sur les grands ensembles conventuels de Rheinau, Sankt Urban et surtout d’Einsiedeln, je me demande s’il ne faudrait pas étudier encore davantage le rôle de l’architecture dans l’opposition entre catholiques et protestants et dans les luttes entre les deux partis pour la domination symbolique. Il me semble que la suisse se prêterait bien à une telle étude. Autre thème : l’éclosion subite de la peinture visionnaire de Hans Fries, Urs Graf, Niklaus Manuel, Hans Leu. On a abordé le problème à travers des études et des expositions, mais je crois qu’il y a encore à faire pour éclairer ce moment extraordinaire. On pourrait aussi travailler sur des thèmes très significatifs pour la Suisse comme l’iconoclasme, ses causes et ses conséquences. Une grande exposition avait été consacrée en 2001 à Berne (et à Strasbourg) à l’iconoclasme, mais il y a là encore un terrain prometteur à fouiller car de Genève à Berne, de Zurich à Bâle et à Lausanne, l’iconoclastie a connu des formes différentes et une attitude à la fois singulière s’est manifestée à l’égard des diverses typologies d’objets : si les grands autels, les sculptures et les peintures qui les composaient en ont particulièrement souffert, les stalles sculptées ont en général été épargnées tandis que les vitraux se situent, pour ainsi dire, à mi-chemin. Il s’agit là d’un problème « négatif » mais fort intéressant et révélateur des réactions à l’égard de l’art. Dans cette même perspective, mais vu sous un autre angle, il me semble qu’il serait important de réussir à dresser un « registre des absences ». En effet des villes

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comme Genève au XVe siècle, au cœur des États de Savoie, ont vu détruire la plus grand partie de leur patrimoine artistique. on pourrait aussi étudier les dispersions survenues au XIXe siècle lors de la naissance du canton de Bâle-Campagne (Basel- Landschaft) suite aux ventes à l’étranger d’une partie du trésor de la cathédrale de Bâle (ce même trésor que les citoyens de Bâle en 1799 avaient refusé de fondre pour faire face au prêt que le général Masséna leur avait imposé) et d’ objets – manuscrits enluminés, orfèvrerie – appartenant à des églises du Valais ou du Jura.

A. P. Burckhardt, Wölfflin, Wackernagel : trois piliers de l’histoire de l’art entre le XIXe et le XXe siècle, tous trois suisses. Qu’en est-il aujourd’hui ? Peux-tu tracer les contours d’une carte de l’historiographie suisse récente pour l’art ? E. C. Les trois noms évoqués ne sont pas seulement suisses, ils sont bâlois (même si Wölfflin était né à Winterthur, il avait été élève de Burckhardt à Bâle) et Bâle est Bâle ! Une ville européenne avant d’être une ville suisse. Wölfflin avait enseigné longtemps en Allemagne à Munich et à Berlin et Martin Wackernagel avait enseigné toute sa vie à Münster en Westphalie. Tandis que les deux premiers ont laissé une trace profonde chez les historiens de l’art en suisse, le troisième est probablement plus connu en Allemagne, en Italie et aux Etats-Unis qu’en Suisse (un petit nombre de ses livres a été donné par sa veuve à la bibliothèque du séminaire d’histoire de l’art de l’université de Lausanne à l’époque où j’y enseignais). Actuellement je dirais que, alors que l’intérêt pour Burckhardt et la réflexion sur ses œuvres sont toujours présents et qu’on s’aperçoit de plus en plus de l’actualité de ses propos, Wölfflin est ressenti comme plus éloigné et dans un certain sens désormais livré à l’histoire. Il est donc difficile de dresser des arbres généalogiques qui arrivent jusqu’à nos jours puisque beaucoup de nouveaux éléments ont fait irruption dans l’histoire de l’art en suisse. Si on voulait dessiner une carte des points d’excellence de l’histoire de l’art en suisse aujourd’hui, on pourrait choisir des terrains spécifiques et dire qu’une grande tradition suisse, qui descend plus ou moins directement de Johann Rudolf Rahn, est la « Kunsttopographie » : en témoignent plus de cent volumes de l’inventaire des monuments d’art et d’histoire de la suisse réalisés grâce à la Société d’Histoire de l’art en Suisse, tout comme les travaux de Linus Birchler, Alfred A. Schmid et Marcel Grandjean. Les études médiévales ont d’autre part tenu un grand rôle dans l’histoire de l’art en suisse, il suffit de rappeler des noms comme ceux de Hans R. Hahnloser, qui a réalisé l’édition critique du célèbre « cahier » de Villard de Honnecourt, de l’archéologue médiéval Hans Sennhauser, de Florens Deuchler ou de Beat Brenk. Par ailleurs l’histoire de l’architecture dans ses différents aspects représente un autre de ces points d’excellence et on pourrait citer à ce propos bien des noms, de Joseph Gantner à Adolf Reinle, de Sigfried Giedion à Adolf Max Vogt et à Werner Oechslin, de Stanis von Moos à Jacques Gubler. En outre, même si elle n’est pas aujourd’hui conduite sous le signe de H. Wölfflin, une réflexion théorique sur l’histoire de l’art, ses méthodes et ses objets est toujours bien vivante en Suisse comme le montrent les écrits de Philippe Junod et Oskar Bätschmann. Quant aux rapports avec l’Italie, il faut rappeler tout d’abord le nom d’un critique et historien de l’art d’une grande intelligence et élégance comme Eduard Hüttinger qui n’a pas seulement travaillé sur l’art italien et spécialement sur la peinture vénitienne mais a été un lecteur très attentif de la Letteratura artistica italienne et a tracé des portraits très fins de ses maîtres de Longhi à Argan.

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A. P. Jean Starobinski, Michel Thévoz, Philippe Junod, mais aussi Oskar Bätschmann : autant de personnes qui ont pensé l’histoire de l’art, en s’appuyant sur les découvertes en sciences humaines tout en sachant garder une certaine distance par rapport aux effets de modes. Il y aurait-il alors une approche « helvétique » de l’histoire de l’art, dont tu as évoqué des aspects plus concrets, comme la géographie artistique ou l’iconoclasme ? E. C. On pourrait ajouter bien d’autres noms, parmi les historiens de l’architecture, ceux de Jacques Gubler ou de Werner Oechslin par exemple, mais parler d’un « helvétisme » de l’histoire de l’art en suisse aujourd’hui risquerait d’être assez générique pour ne pas dire tautologique. On ne s’étonne pas de trouver chez un écrivain comme Dürrenmatt de traits « helvétiques » et on ne voit pas pourquoi la chose devrait être différente quand on parle d’historiens de l’art. On pourrait plutôt se demander où et à quel niveau se situe cet « helvétisme » car il ne s’agit pas de la grande tradition des Burckhardt et des Wölfflin vécue, comme on a vu, assez différemment dans l’ensemble du pays, mais plutôt de quelque chose de plus vague et de presque inatteignable. La réponse réside probablement dans la « certaine distance » évoquée, bien à propos, dans la question. Tout en étant fort renseignés, très sensibles et dans bien des cas profondément impliqués dans ce qui se passe à Paris ou à Francfort, on peut remarquer chez certains intellectuels suisses une attitude un peu détachée et indépendante par rapport aux modes dominantes, une capacité à entrevoir et suivre des routes assez particulières. Cela me fait penser à un épisode évoqué, dans un volume de ses Stravaganze, par le grand philologue classique Giorgio Pasquali. On était en août 1914 à la veille du conflit mondial, en Allemagne ; les étrangers qui voulaient quitter le pays se pressaient dans les bureaux de la police. Or à la question d’un fonctionnaire qui se renseignait sur l’État dont il était sujet, un savant suisse aurait répondu fièrement : « Ich bin Schweizer Bürger » [je suis un citoyen suisse], en soulignant la différence entre « Untertaner » (sujet), mot utilisé par le fonctionnaire impérial, et « Bürger » (citoyen). Je ne veux pas dire par là que l’indépendance de jugement soit une conséquence de l’indépendance politique et du long exercice de la démocratie directe : toutefois il pourrait y avoir aussi un peu de ça, tout en sachant que ces mêmes intellectuels ne sont pas dupes – bien au contraire – du « mythe suisse ». L’absence d’un centre dont on reconnaîtrait généralement l’hégémonie culturelle, le particularisme des petites patries coexistant avec l’internationalisme de villes telles que Genève, Zurich ou Bâle, le croisement de cultures, l’apport des présences étrangères, les particularités et les singularités des héritages littéraires et artistiques, de Liotard à Caspar Wolf, de Sulzer à Rudolf Toepffer, dont la fréquentation peut encore réserver bien de surprises, tout cela devrait, à mon avis, être pris en considération.

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INDEX

Keywords : Alps, barrier, boarder, cultural crossroads, language, sculpture, painting, swiss art history, architecture, iconoclasm, historiography Mots-clés : Alpes, barrière, frontière, carrefour culturel, langue, sculpture, peinture, histoire de l'art suisse, architecture, iconoclasme, historiographie Index géographique : Suisse Index chronologique : 1400, 1500, 1700, 1800, 1900

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L'histoire de l'art en Suisse

Travaux

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L’art « suisse » et son histoire (1755-1983) Oskar Bätschmann and Marcel Baumgartner, The history and historiography of Swiss art (1755-1983) Oskar Bätschmann und Marcel Baumgartner, Historiographie des Kunst in der Schweiz (1755-1983) Oskar Bätschmann et Marcel Baumgartner, L’arte svizzera e la sua storia (1755-1983) Oskar Bätschmann y Marcel Baumgartner, El arte suizo y su historia (1755-1983)

Oskar Bätschmann et Marcel Baumgartner

NOTE DE L’ÉDITEUR

[Traduction de l’article « Historiographie der Kunst in der Schweiz », publié dans la revue Unsere Kunstdenkmäler, XXXVIII/3, 1987, p. 347-366. Ce numéro, intitulé « De Füssli à Ars helvetica - l’histoire de l’art en Suisse », était consacré à l’historiographie helvétique (NDLR).]

Nous remercions Andrea Edel pour son aide lors des recherches et de la rédaction du manuscrit.

1 Nous nous proposons d’analyser dans les pages qui suivent quelques-uns des problèmes de l’historiographie de l’art en Suisse. On sait que la première question qui s’est posée à tous ceux qui ont voulu écrire une histoire de l’art suisse a été celle de son objet. En 1984, Adolf Max Vogt énonçait ce problème crucial en ces termes : « Est-ce que cela existe, l’art suisse, ou n’y a-t-il en somme que des artistes suisses ? 1 » De la réponse apportée à cette question résulteront, pour l’historiographie, des conséquences diverses : si l’on admet qu’il existe un « art suisse », il devrait également être possible d’en écrire l’histoire ; si l’on soutient en revanche qu’il n’y a que des artistes suisses et en Suisse, la forme de présentation la plus indiquée serait alors un dictionnaire des artistes. Le problème est d’autant plus embarrassant que la réponse qu’on peut y

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apporter dépend de la conception qu’on se fait de l’histoire (de l’art). On sera conduit en effet à une hypothèse positive ou négative concernant « l’art suisse » et « les artistes de nationalité suisse ». Reconnaissons-le : la question soulève deux problèmes : 1/ Y a-t- il un art propre à la Suisse ou n’y a-t-il que production et réception artistiques en Suisse et par des ressortissants et des habitants de cet État ? 2/ Pour quelle conception spécifique de l’art et de son histoire chacune des hypothèses – et leur alternative – est- elle valide ?

2 En 1942, dans son article « La structure de la peinture suisse au XIXe siècle », Fritz Schmalenbach avançait une réponse déterminante à la première question : « En gros – et en cette matière, il n’y a qu’une vision en gros qui soit appropriée –, la peinture suisse récente consiste en une série de rapports isolés, sans connexion (que ce soit horizontalement ou selon leur ligne de développement), et en un grand nombre de figures individuelles opposées2 ». Suivant la vision sceptique de Schmalenbach, le concept de « peinture suisse » n’a pas de pertinence historique réelle pour le XIXe siècle. Autrement dit, ce concept est une fiction. Il est évident que cette affirmation rend toute historiographie impossible, si l’on ad- met que l’histoire doit avoir un sujet, c’est-à-dire une constante dont on peut suivre l’évolution. Il ne serait pas difficile d’étendre l’analyse structurelle de Schmalenbach aux siècles antérieurs et d’en conclure que, tout compte fait, « l’art suisse » est une fiction. Le second problème nous impose cependant une certaine réserve : pour quelle sorte d’historiographie l’art suisse serait-il une fiction ?

3 « L’art suisse » est un problème politique, la thèse de Schmalenbach était une réponse à une question politique. Le conseiller fédéral Giuseppe Motta l’avait exposée dans son discours d’ouverture au XIVe Congrès international d’histoire de l’art à Bâle, en 1936 : « Y a-t-il un art spécifiquement suisse ? Cette demande nous préoccupe depuis toujours, car, s’il y avait un art spécifiquement suisse, il y aurait en lui un élément de cohésion nationale qui s’ajouterait aux autres éléments constitutifs de notre force et de notre unité morale. Or, il m’a toujours paru que ces éléments constitutifs sont avant tout d’ordre politique »3. Se pourrait-il, demandait Motta, que les particularités politiques et morales de la Suisse soient restées sans conséquences sur les arts ? Les organisateurs et les participants au Congrès se sont efforcés de trouver une réponse à cette interrogation. La question de l’art suisse y fut prédominante : près d’un tiers des communications et l’ensemble des conférences plénières ont traité de la situation artistique de la Suisse, de ses artistes et de ses monuments4. Dans son discours de clôture, Waldemar Deonna exposa que le Congrès avait eu l’intention de réfuter, par ses conférences et ses excursions, la mauvaise blague colportant que « la Suisse trait ses vaches et vit en liberté ». La présentation des productions régionales, la discussion sur la place de la Suisse dans l’histoire générale de l’art et la déclaration de « l’autonomie relative de l’art suisse » – selon la formulation prudente de Deonna – poursuivaient le but parfaitement politique d’opposer la culture indigène à la nouvelle barbarie qui se faisait jour au-delà des frontières helvétiques5. Le discours d’ouverture de Paul Ganz traitait du début de « notre art national suisse » après les Guerres de Bourgogne et se concluait par une déclaration politique : « Comme ses grands prédécesseurs Manuel, Stimmer et Füssli, c’est du sol coriace de sa patrie que Hodler a tiré la force opiniâtre de son art. Depuis des millénaires, un peuple qui parle différentes langues y cultive et protège ses idéaux primitifs, son indépendance politique et sa liberté démocratique »6.

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4 Si « l’art suisse » est ou était certes un problème politique, les entreprises des historiens d’art répondaient-elles à une nécessité politique ? En 1936, on ne pouvait que prétendre – et non démontrer – que l’art en Suisse n’était pas un simple reflet de l’art allemand, français et italien, mais qu’il était nourri des « fortes sèves indigènes de notre sol » et qu’il revêtait, par-delà toutes les spécificités régionales, une réelle unité7. Mais quelle était cette histoire de l’art qui présentait « l’art suisse » comme une nécessité politique et, à rebours de ses propres objectifs, comme une fiction ? Au Congrès de 1936, il n’y avait que deux histoires de l’art : la première, préoccupée de questions de style, aboutissait, concernant l’art suisse, à l’idée de « retard de style » ; la seconde, soucieuse des influences, concluait à la prédominance de l’étranger. Pour l’une et l’autre, « l’art suisse » devait rester une construction politique, c’est-à-dire, quoi qu’on veuille, une fiction historique. Avant de se déterminer à tenir « l’art suisse » pour une fiction historique, on doit se demander si l’approche méthodologique n’avait pas été mal choisie. Car la même année, en 1936, Joseph Gantner empruntait une autre voie dans les quatre volumes de sa Kunstgeschichte der Schweiz [Histoire de l’art de la Suisse] élaborée avec Adolf Reinle. Le but apparemment simple de cette entreprise est décrit en ces termes dans l’avant-propos de l’ouvrage : « Nous entendons donner un rapport aussi régulier que possible de la manière dont l’évolution de l’art s’est déroulée à l’intérieur des frontières de notre pays »8. Si l’ouvrage est certes subdivisé en époques stylistiques, ce sont les différents genres artistiques – c’est-à-dire les disciplines de la production artistique – qui sont présentés au sein de chaque époque particulière. Sans trop s’embarrasser, les auteurs combinaient ainsi une répartition suivant l’histoire des styles avec une autre conception de l’histoire de l’art que Jacob Burckhardt avait esquissée en 1863, celle de l’étude des disciplines artistiques, c’est-à-dire des genres9. En réalité, Burckhardt avait vu, dans une histoire de l’art selon les disciplines, une antithèse et un complément à l’histoire des artistes, et non à celle des styles.

L’histoire des artistes comme histoire de l’art de l’Helvétie

5 C’est en 1755 et 1757 qu’ont paru les deux parties de Geschichte und Abbildung der besten Künstler in der Schweiz [Histoire et portrait des meilleurs peintres de la Suisse] de Johann Caspar Füssli10, père de J. Heinrich Füssli. Cette première histoire des artistes suisses était dédiée au bourgmestre zurichois Johannes Friess, « Sa très noble et honorée altesse », en remerciement pour « sa connaissance et son soutien exceptionnels à la réception des arts et des sciences ». Considérablement augmentée, la seconde édition en cinq volumes qui parut entre 1769 et 1779 ne comportait plus, au commencement de l’ouvrage, cette très humble formule de gratitude. Voici ce que nous lisons dans l’avant- propos au premier volume de 1769 : « C’est uniquement le désir sincère et ardent de contribuer un peu à la gloire et à l’utilité de ma patrie qui a su m’inciter à esquisser l’histoire des meilleurs peintres y ayant œuvré et de la faire connaître au public ; et je m’estimerai heureux si mes efforts n’ont pas manqué ce but qui m’est si cher »11. La gloire devait consister à réfuter l’idée de l’infériorité culturelle de la Suisse, l’utilité à y encourager l’activité artistique.

6 Dans les deux éditions, ce sont les biographies des artistes qui travaillent à faire grandir la renommée du pays ou, du moins, à diminuer le mépris à son endroit. L’utilité, dans le sens d’une promotion de l’activité artistique, est essentiellement perceptible, dans la

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première édition, à travers les illustrations. Outre les portraits des artistes, chaque titre était en effet accompagné d’un en-tête démontrant les pratiques et savoir-faire artistiques. La seconde édition ne comporte plus que les portraits des artistes – dans le quatrième et cinquième volume, ils sont dessinés de manière terriblement négligée par Johann Rudolf Schellenberg et d’autres. Dans la seconde édition, la volonté d’être utile est à nouveau exprimée dans les introductions aux volumes 3, 4 et 5. Le troisième volume contient la fameuse lettre de Salomon Gessner sur la peinture de paysage, qui entend explicitement inciter à l’imitation. Le quatrième volume présente, après une analyse critique de la situation culturelle de la Suisse, « l’école de dessin » fondée en 1751 à Genève, sous la forme d’un exposé de son premier directeur, Pierre Soubeyran, et le donne comme un exemple à suivre dans les autres villes12. Pour finir, le cinquième volume examine le concept de « génie » et l’apparition de génies en Suisse. C’est ici qu’on trouve cette étonnante affirmation de Füssli : « Si les artistes suisses n’égalent pas en grandeur et en renommée ceux d’autres nations, il y a peut-être parmi eux plus de génies que chez ces derniers »13. Pour Füssli, le génie, c’est celui qui est capable de produire de l’art sans instruction ni imitation. De toute évidence, Füssli oubliait ici son propre engagement en faveur des écoles de dessin et succombait à l’idée fataliste et provinciale qu’il avait exprimée dans le premier volume de ses deux éditions : c’est la nature et elle seule qui crée un grand artiste, aucune mesure, aucune institution ne peut gouverner ce hasard.

7 En associant, à travers articles et illustrations, histoire des artistes et pédagogie artistique, Füssli emboîtait le pas à l’Academia Todesca de Joachim von Sandrart, publiée en deux volumes en 1675-167914. On peut mesurer combien le modèle de Sandrart fut déterminant pour Füssli, jusque sur le plan du choix de ses entrées et de l’information, en constatant que parmi les vingt-sept artistes qui sont traités dans la première édition de sa Geschichte, dix-huit sont également cités dans l’Academia Todesca. Füssli s’est certes efforcé de vérifier et de compléter les indications de Sandrart, par exemple dans le cas d’Albrecht Altdorfer. En suivant l’autorité de Sandrart, Füssli indique que ce « premier peintre connu en Suisse » est originaire d’Altdorf, dans le canton d’Uri, tout en déclarant qu’il n’a pas réussi à découvrir son année de naissance. Cette double méconnaissance – Altdorfer ne vient pas d’Uri et, circonstance sans doute plus grave, Konrad Witz, parmi d’autres, est un inconnu pour Füssli – s’explique par les insuffisances de Sandrart15. En plus des neuf biographies de la première édition, Füssli a dû élaborer les volumes 3 à 5 de la seconde édition. C’est avec beaucoup de peine, écrit- il, qu’il a pu pallier, dans le quatrième volume, une lacune sensible de son œuvre, à savoir la présentation des artistes de « la Suisse romande ou des districts dits italiens ». En dépit de cette exception involontaire, Füssli ne tente pas de regrouper les artistes par régions ni de les répartir en écoles.

8 Pas plus qu’il n’a pu établir de connexions régionales, Füssli n’a pas réussi à détacher une « école suisse » qui existerait comme un tout. En conséquence, le Allgemeines Künstler-Lexicon [Dictionnaire général des artistes] publié en 1763 par Johann Rudolph Füssli [fils de Johann Caspar, ndlr] ne pouvait élargir le nombre traditionnel des « écoles de peintres ». aucune école suisse ne vient en effet s’ajouter dans cet ouvrage à celles qu’on connaissait jusque-là (les écoles florentine, romaine, lombarde, vénitienne, allemande, « flamande » et française), même si l’auteur assure que J. C. Füssli a « sauvé l’affaire des Suisses, dont on croyait qu’ils ne pouvaient attester aucun génie heureux » – ce qui ne tenait donc pas compte de l’idée de Dézallier d’Argenville, qui fut peut-être

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le premier à considérer les peintres d’Allemagne et de Suisse comme une section particulière de l’école néerlandaise16.

9 Dans l’ouvrage de Johann Caspar Füssli, « histoire » veut uniquement dire biographies d’artiste et leur classement chronologique. En revanche, l’inventaire des artistes de Johann Rudolph Füssli n’était pas une histoire, mais un dictionnaire, car il suivait un ordre alphabétique, conformément au modèle honni de l’Abecedario pittorico établi en 1704 par Antonio Pellegrino Orlandi17. Exactement entre les deux genres de l’histoire chronologique et du dictionnaire alphabétique des artistes, on trouve un curieux ouvrage d’Anton Friedrich Harms, dans lequel les Füssli avaient manifestement puisé leur liste d’artistes et leurs sources bibliographiques. Dans ses Tables historiques et chronologiques des plus fameux peintres anciens et modernes de 1742, Harms avaient rangé chronologiquement sur quarante et une tables plus de mille deux-cents artistes suivant leur date de naissance, en y ajoutant des informations biographiques18.

10 Entre l’ouvrage de Füssli et l’Entwurf einer Kunst Geschichte Helvetiens [Esquisse d’une histoire de l’art de l’Helvétie], publiée en 1791 par Christian von Mechel, il n’y a apparemment que peu de différences. Tout comme Füssli, von Mechel a conçu son histoire de l’art comme une histoire des artistes. Signalons toutefois que dans un exemple au moins, l’auteur remonte plus haut qu’Altdorfer, Holbein et Manuel, jusqu’à l’enfance anonyme de la peinture au XVe siècle, et qu’il commence à considérer les artistes d’origine suisse comme une sorte de propriété nationale : de retour dans leurs pays après s’être formés à l’étranger, ils améliorent la situation culturelle de la Suisse ou ils contribuent à la gloire de la patrie quand ils accèdent à la célébrité hors des frontières nationales. Pour von Mechel, ce sont Holbein le Jeune et, en qualité de peintre de cour, Josef Heintz l’ancien qui ont fait le plus à cet égard. S’il ne pouvait jamais songer « sans fierté et sans joie à cet éminent trésor de notre patrie », von Mechel ne sut pourtant tirer de son essai des conséquences de politique culturelle19. Il faut attendre la politique culturelle de Philipp-Anton Stapfer, le ministre des arts et des sciences de la république helvétique, pour qu’on tente de prémunir les artistes suisses de l’obligation d’émigrer et qu’on s’emploie à mettre leurs talents au profit de la patrie. L’appel lancé aux artistes suisses de toutes les disciplines par Stapfer en 1799 constitue peut-être le premier essai de créer un « art suisse » par un soutien institutionnalisé et non à travers l’historiographie20. Les activités culturelles et politiques des diverses associations d’artistes et autres sociétés des beaux-arts au XIXe siècle (manifestations, publications, expositions) ont également poursuivi ce but que Füssli avait implicitement établi dans son Histoire des artistes21.

11 Dans ses Neuen Allerley über Kunst, Kunst-Sinn, Geschmack, Industrie und Sitten [Nouveautés de toutes sortes sur l’art, le sens artistique, le goût, l’industrie et les mœurs], publiées en dix livraisons en 1810, Sigmund Wagner associait ainsi une visite de l’Exposition d’art et d’industrie de Berne avec un résumé succinct de l’histoire de l’art depuis l’époque de Périclès. Concernant la Suisse, Wagner indiquait que ce qu’on ne pouvait trouver dans « l’histoire », « le présent » et ce qui était montré dans l’exposition en fournissaient tout au moins des amorces – au dire, précisément, des visiteurs étrangers : « Quelques-uns [des étrangers et des voyageurs] ont même avoué que par les multiples sortes d’œuvres présentées, par la diversité de style des travaux, par l’originalité du choix et surtout par un certain caractère de nationalité, cette exposition leur paraissait surpasser les expositions des grandes villes, même celles de Paris et de Londres, où [...] la plupart des choses sont pour ainsi dire coulées dans le même moule,

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sans originalité ni diversité suffisante »22. Et parce qu’en étudiant l’histoire, il pensait reconnaître qu’un apogée artistique – que ce soit dans l’Athènes de Périclès, la Florence des Médicis ou dans les Pays-Bas du XVIIe siècle (avec Rubens [!] comme sommet insurpassable) – est toujours lié à « l’amour de la liberté », Wagner concluait, pour l’avenir, à un espoir certes inexprimé, mais toujours persistant d’un art national.

12 La « prédilection légitime du public pour quelques peintures de paysage » l’incitait par ailleurs, dans sa visite guidée de l’exposition, à passer directement de la peinture d’histoire au paysage, « en laissant provisoirement de côté le portrait », à rebours de la hiérarchie traditionnelle des genres – en considérant en effet que « le paysage est le genre par excellence et le plus important de l’art suisse23 ».

Histoire stylistique de l’art national

13 Les tentatives (pas toujours dénuées de contradictions) de créer un « art suisse » national ont fini par avoir des retombées sur les recherches en histoire de l’art en Suisse. Quelques-uns des problèmes qui en ont résulté se font jour dans la Geschichte der bildenden Künste in der Schweiz von den ältesten Zeiten bis zum Schlusse des Mittelalters [Histoire des arts plastiques en Suisse, depuis les temps les plus anciens jusqu’à la fin du Moyen Âge], publiée en 1876 par Johann Rudolf Rahn24.

14 On pourrait mettre en exergue à cet ouvrage une phrase tirée de la Geschichte der bildenden Kunst [Histoire des arts plastiques] (1866) de Carl Schnaase : « Elle [une parfaite histoire de l’art] montrerait l’essence d’un peuple en résumé, comme dans un miroir rapetissant, de sorte qu’à partir des reflets et des ombres, un regard pénétrant en pourrait aussi induire les zones cachées25» Pour Rahn, il va de soi de considérer qu’il y a coïncidence entre le développement de l’État et celui des beaux-arts : « Comme partout, les créations artistiques sont ici aussi étroitement liées aux destins auxquels l’État doit sa naissance et son développement26

15 D’où il résulte qu’on ne saurait parler, pour l’époque médiévale, d’un art suisse. Selon Rahn, un tel art ne s’est formé que bien plus tard, et assez précisément à une époque où, avec l’aisance matérielle, se sont éveillés les premiers élans d’une conscience nationale, donc à la fin du XVe et au début du XVIe siècle27. Puisqu’on peut « seulement faire remonter la formation de l’État actuel aux grands bouleversements du siècle passé » et qu’on peut certes parler « de confédérés et de citoyens d’un État suisse, mais non d’une nationalité suisse », Rahn estime que la Suisse est aussi « un cas particulier » pour ce qui touche aux beaux-arts. « De même qu’elle occupe, à bien des égards, une position insolite, c’est aussi du point de vue de l’histoire de l’art qu’il faut juger la Suisse à un étalon particulier28 ». Si elle est certes « pauvre en œuvres éminentes », comme il le constate dans sa fameuse phrase d’ouverture, la Suisse n’est aucunement pauvre en témoignages artistiques qui permettent de « suivre l’histoire et le développement ininterrompus des arts plastiques29 ». C’est dans la place de choix qui revient, non aux « grandes entreprises monumentales », mais aux « créations de moindre envergure, plus artisanales », que Rahn voit « le trait différentiel spécifiquement suisse ». Pour une appréciation correcte de ces productions, Rahn se prononce en faveur d’une « méthode assez récente [...] en histoire de l’art, qui, à l’inverse de l’abord esthétique et philosophique tel qu’il régnait encore au siècle passé, s’est tournée vers une orientation essentiellement historique et critique30 ». Celui qui opte pour cette approche « ne refusera pas son intérêt à ces monuments modestes et y

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reconnaîtra la valeur qu’ils possèdent, comme tout document, en tant que bornes jalonnant l’évolution culturelle du passé31. »

16 Malgré ces amorces théoriques, il ne semble pas que Rahn ait saisi l’opportunité de for- mer un concept de culture qui aurait su réunir sous son aile la production continue artistico-artisanale aussi bien que les grandes œuvres et les monuments. Parce qu’il s’en est tenu à une histoire de l’art procédant par époques stylistiques, l’opposition entre la création artisanale et les hautes prouesses artistiques isolées est demeurée inconciliable et, avec elle, la coupure entre « l’intérieur » et « l’extérieur » : au sein des frontières nationales, on voit apparaître en permanence des produits sans prétention ; en fixant son regard au-delà, on constate l’influence de l’étranger sur les quelques « œuvres plus ou moins éminentes des beaux-arts » – une influence qu’on juge avec hésitation et qu’on estime tantôt négative (on la taxe alors de domination), tantôt positive (on l’apprécie dans ce cas comme une valeur d’ouverture)32.

17 Extrêmement contestable en raison du contraste d’originalité et de manque d’indépendance qui la caractérise, l’histoire des styles et des influences artistiques33 soulève – pas seulement dans le cas de la Suisse – des questions comme celles du « retard stylistique » ou du « mélange des styles », d’où résultent, une fois de plus, des difficultés d’évaluation pratiquement insurmontables. En gros, la présentation d’une suite d’époques stylistiques fondée sur la découverte de phénomènes de survivance et de reprise aboutit à une image de l’histoire qui ressemble aux orbites planétaires dans le système de Ptolémée : on y observe des mouvements de récession et des boucles. Il est déjà étonnant en soi que la simple constellation de caractéristiques formelles (qui sont censées former un style) ait pu suffire, pendant long- temps, à produire des conséquences aussi déterminantes que la division en époques, les suc- cessions chronologiques et les jugements de valeur. Dans son article intitulé « Le no man’s land des styles » (1980), Emil Maurer a démontré l’insuffisance de cette conception de l’histoire et des évaluations qui en résultent pour la Suisse du XVIe siècle, en pointant la nécessité d’analyser la forme d’une œuvre à travers sa fonction et les exigences du commanditaire : « Dans un pays ne disposant pas de théorie artistique ni de société normative, le choix stylistique dépend, plus que nulle part ailleurs, de la volonté du commanditaire et de la fonction de l’œuvre34. »

Histoires de l’art populaire

18 À quoi pourrait ressembler une histoire de l’art en Suisse qui serait débarrassée des implications de l’histoire des styles et de la séparation entre art « supérieur » et art « inférieur » ? Selon l’idée de Rahn, la spécificité et la continuité d’une histoire de l’art suisse se trouveraient-elles dans « les activités artistiques de petite envergure et dans l’artisanat » ? Or, tant que la hiérarchie de valeurs et la succession des époques étaient définies par l’histoire des styles artistiques, un tel programme ne pouvait s’effectuer, en tant qu’histoire de la civilisation ou de la culture, que de manière non scientifique, c’est-à-dire uniquement à travers la littérature populaire.

19 Une double page de La Suisse à travers les âges, l’ouvrage d’histoire de la civilisation publiée en 1902 par H. Vulliéty, offre un parfait exemple de la juxtaposition candide de certaines productions de l’artisanat d’art et d’œuvres artistiques : trois sceaux, la marque d’une maison de commerce, une copie d’une fresque de Hans Holbein le Jeune35. L’assemblage de Vulliéty correspond à la collection d’objets des Musées historiques ou

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du Musée national suisse. Comme ces musées, son livre peut effectivement attester, à travers la production d’œuvres et d’objets, une continuité de l’activité artistique et artisanale. Mais Vulliéty allait plus loin, en tentant d’adjoindre à cette activité un sujet, en tant qu’élément de continuité. Au début de son livre, il reprend la reconstruction de la race élaborée par le professeur Kollmann, qui avait modelé un visage type sur un crâne de femme découvert à Auvernier. Vulliéty soutient qu’on en trouve encore des exemples sur les rives du lac de Neuchâtel. Ce visage type anticipe en effet les héros et héroïnes du style patriotique international qui sera en vogue dans les années 1920 et 1930 et qu’un opuscule populaire de Peter Meyer présentera comme exemple d’un art suisse sain, c’est-à-dire non atteint par le syndrome de l’abstraction36. En donnant à voir le continuum qui s’établit de l’artisanat jusqu’à l’art, le livre de Vulliéty fait écho aux diverses tentatives menées en Europe pour reconnecter les domaines de l’art, de l’artisanat, de la technique et de l’industrie à travers la promotion des arts appliqués. On observe cette même manière d’envisager la production dans les histoires culturelles régionales, tout comme on retrouve, dans Die Entwichlung der Kunst in der Schweiz [Le développement de l’art en Suisse], quelque chose de cette vision impartiale et ouverte et de cette foi dans la continuité de la création. Ce premier panorama de la création artistique en Suisse, depuis les temps préhistoriques jusqu’à l’époque moderne, a été publié en 1914, à l’initiative de la Société suisse des professeurs de dessin et sous la direction d’Oskar Pupikofer37. Conçu sans prétention, présenté comme un « guide » régional, l’ouvrage considère la construction métallique et en béton armé, ainsi que les lustres produits industriellement, comme des éléments participant eux aussi au « développement de l’art » – près de trente ans avant Schweizerische Stilkunde [Le Style suisse], le livre de Peter Meyer (1942 ; fig. 8), et presque cinquante ans avant le volume consacré par Adolf Reinle à l’art du XIXe siècle en Suisse38.

20 Le rapport problématique de l’art et de l’industrie, la discussion de ces problèmes – depuis Wissenschaft, Industrie und Kunst [Science, industrie et art] de Gottfried Semper (1852) jusqu’à Volkskunst, Hausfleiss und Hausindustrie [art populaire, zèle et industrie domestiques] d’Alois Riegl (1894) – ne sont pas abordés dans les publications de genre populaire, lesquelles expriment au contraire le vœu d’une continuité entre art d’élite et art populaire, artisanat et industrie, ainsi que l’idée d’une unité sociale, soutenue par les activités non séparées de l’art, de l’artisanat et de l’industrie. Il faudrait des analyses précises pour déterminer quelles sont ces relations et vérifier s’il existe une réalité historique correspondant à ce vœu. Quelques-uns de ces problèmes ont été discutés lors du deuxième colloque de l’union des historiens d’art suisses de 1979 (« art savant - art populaire »)39.

Histoire de l’art de la Suisse

21 « L’histoire de l’art populaire » constitue une réponse possible à la problématique qui résultait de la situation propre à la Suisse. Plutôt que de vouloir traiter d’un tout qui n’a pas d’existence réelle, une autre initiative tend à n’aborder que des domaines partiels qui peuvent être appréhendés comme des unités cohérentes. On voit une fois de plus resurgir ici les problèmes des délimitations géographiques et historicogéographiques : vallées, évêchés ou cantons ? Dans son livre Die Pflege der Kunst im Kanton Aargau [Le culte de l’art dans le canton d’Argovie], publié en 1903 à l’occasion du centième anniversaire de sa fondation, Jakob Stammler décrivait – au regard des difficultés qu’il

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y a à définir un « art suisse » et « l’art en Suisse », le naturel de cette entreprise mérite qu’on la mentionne – la production artistique sur le territoire d’Argovie depuis la fondation du canton40 . En revanche, dans son ouvrage en deux volumes intitulés Les Arts dans le Jura bernois (1937 et 1941), Gustave Amweg s’était donné pour tâche de présenter la culture de l’ancien évêché de Bâle, donc d’un territoire historique défini par la géographie culturelle41. En comparaison avec une histoire de l’art étroitement réduite à ses prérogatives (qu’il s’agisse des jugements de valeur ou des a priori méthodologiques), on est frappé, ici encore, par la relative absence de prévention d’Amweg à l’endroit de son sujet d’étude, qui s’étend naturellement et à juste titre aux prouesses hors pair des « méchaniciens » du XVIIe siècle et à la production horlogère moderne. L’abondante littérature genevoise sur les arts est exemplaire elle aussi de cette ouverture, abordant des domaines que les catégories traditionnelles de l’histoire de l’art se refusent d’arpenter42.

22 Malgré les difficultés et les controverses, « l’art suisse » était tout de même devenu, dans les décennies après 1900, une réalité bien diffusée43. Beaucoup considéraient l’œuvre de Ferdinand Hodler comme l’incarnation d’une peinture nationale et la formule « de Holbein à Hodler » que l’Exposition de l’Art Suisse du XVe au XIXe siècle de 1924, à Paris, utilisa pour attirer le public constituait plus que la simple indication de la période couverte par la manifestation44. Elle suggérait une unité de contenu. C’est ce même but qu’entendait également poursuivre une série de monographies sur l’art suisse, un projet conçu par la Commission de l’Exposition de l’art suisse à Paris, sous la direction de Paul Ganz. Les dix volumes projetés devaient à leur tour servir de base à un ouvrage général sur l’ensemble du champ artistique45. Aucune de ces deux entreprises ne fut conduite à son terme46. Cette tentative de dépasser les apories de l’histoire des styles et des influences artistiques par le biais d’études particulières dont chacune était consacrée à une « manifestation significative du domaine artistique », pour parvenir ainsi à une vision globale dépassant le simple cadre de l’art suisse, n’en reste pas moins remarquable : « Dans l’ensemble, elles [les monographies] abordent les mœurs et coutumes du peuple suisse et les témoignages artistiques qui en sont l’expression. Notre patrimoine culturel, au cours des siècles, ne fut pas créé uniquement sous l’influence de nos voisins, mais est né aussi de notre situation politique et géographique au cœur de l’Europe. L’histoire de la confédération servit de cadre à un art d’essence populaire, dont le caractère s’affirma tant à la campagne qu’à la ville. Ces dix monographies ne cherchent pas à résumer toute notre histoire de l’art : elles étudient certains thèmes qui rendent plus évidents les rapports existant entre l’art et la culture »47.

23 C’est dans ces mêmes années que Joseph Gantner a commencé, de son propre chef, malgré les « réserves souvent avancées à l’encontre d’une représentation générale de l’art sur le territoire suisse » et malgré les « problèmes scientifiques qui résultent de la situation particulière du pays jusque dans le domaine de l’art », ce que les monographies ne voulaient justement pas : un panorama uniforme du développement de l’art à l’intérieur des frontières actuelles de la Suisse. Face à l’affirmation, sans cesse assénée, réitérée à satiété, qu’il existe certes de l’art en Suisse, mais qu’il n’y a pas d’art suisse, le mérite insigne de la Kunstgeschichte der Schweiz von der Anfängen bis zum Beginn des 20. Jahrhunderts [Histoire de l’art de la Suisse des origines jusqu’au début du XXe siècle], entamée par Joseph Gantner et poursuivie par Adolf Reinle, est d’avoir osé une présentation d’ensemble d’une matière essentiellement disparate.

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24 En incorporant l’architecture industrielle et les ouvrages du génie civil et en traitant de vastes portions de la peinture qui, placées sous le signe de « l’histoire du développement de l’art moderne », étaient tombées en dehors du domaine de recherche de l’histoire de l’art (et avaient échoué dans les réserves des musées), le quatrième volume présentait tout spécialement une dimension pointant vers l’avenir48. On peut notamment tenir la remarque qui introduit à l’étude de la sculpture pour emblématique de la posture consistant à lutter pied à pied contre un esprit du temps exactement antagonique (mais était-ce le cas en Suisse ?) :

25 « Comparé à l’architecture, à la peinture et à la littérature, l’art de la sculpture des cent années que nous embrassons dans le présent volume est assurément la branche de loin la plus faible de la création artistique suisse. Nous ne saurions pourtant faire l’économie de son étude, parce qu’il fait partie, avec ses lumières et ses ombres, du tableau général de l’époque »49. Mais cette analyse tient sans doute aussi sa force du fait qu’il n’existait guère de matériaux convaincants dans les siècles antérieurs (et le siècle suivant en pourra seulement attester des exemples dans certains domaines particuliers). Adolf Reinle : « [...] de manière encore plus marquée que leurs collègues des siècles précédents, les artistes du XIXe siècle suivent une voie suisse de la création. Cela doit se rattacher, quoique inconsciemment, au renforcement d’un sentiment national et confédéral uni. Si un art « Suisse » a jamais existé, c’est certainement dans la période que décrit le présent volume »50.

26 Le « Gantner/Reinle » est la première – et jusqu’ici la seule – représentation scientifique globale de l’histoire de l’art de la Suisse. Les entreprises ultérieures se limitent à des genres particuliers51 et à des époques circonscrites 52. À travers la considération de nouveaux aspects (l’importance des institutions et du mécénat) et des questionnements inédits (le rapport entre le sentiment national qui s’affermit de plus en plus et la production artistique du XIXe siècle est-il réellement aussi inconscient ?), mais aussi par la confrontation avec les préalables à une historiographie de l’art en Suisse53, on y voit cependant se faire jour – surtout en ce qui concerne la fin du XIXe siècle et le XXe siècle – de nouvelles perspectives dont toute future histoire de l’art en Suisse devra tenir compte.

NOTES

1. Adolf Max Vogt, « Schweizer Kunst und Avantgarde », dans Schweizer Monatshefte, 64, 1984, p. 637-641. Cet article est un compte rendu critique de l’ouvrage de Hans A. Lüthi, Hans-Jörg Heusser, Kunst in der Schweiz 1890-1980, Zurich, 1983. 2. Fritz Schmalenbach, « Die Struktur der Schweizer Malerei im 19. Jahrhundert » (1942, repris dans Fritz Schmalenbach, Neue Studien über die Malerei des 19. und 20. Jahrhunderts, Berne, 1955, p. 70-77). 3. Actes du XIVe Congrès international d’histoire de l’art 1936, vol. 2, Bâle, 1938, p. 23-26.

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4. Gerhard Schmidt, « Die Internationalen Kongresse für Kunstgeschichte », dans Wiener Jahrbuch für Kunstgeschichte, 36, 1983, p. 48-54. Voir aussi la bibliographie des études sur l’art suisse qui ont été publiées à l’occasion de ce congrès dans Actes, cité n. 3, p. 35-40. 5. Waldemar Deonna, Discours de clôture dans Actes, cité n. 3, vol. 2, p. 107-113 ; p. 112 : « Mais l’histoire se répète, et les hommes ne profitent jamais de ses leçons. Sous nos yeux, tout près de nous, elle recommence les mêmes ravages que jadis. Non seulement les hommes s’entretuent avec la même férocité qu’aux temps les plus barbares, mais ils détruisent systématiquement les monuments d’un passé qui n’est pas seulement national, mais celui de toute l’humanité artistique, soit que leur fanatisme perçoive l’expression d’idées politiques et religieuses qui leur sont odieuses, soit par le simple désir brutal de ruine et de pillage. » Sur la résolution du Congrès contre les actes de destruction commis lors de la Guerre civile espagnole, voir Actes, cité n. 3, vol. 2, p. 106. 6. Paul Ganz, « Internationale Einflüsse und Wesensart der Kunst der Schweiz », dans Actes, cité n. 3, vol. 2, p. 50-67, les citations figurent p. 64 et 67. 7. « Manuel du XIVe Congrès international d’histoire de l’art 1936 », dans Actes, cité n. 3, vol. 3, avant-propos de Waldemar Deonna, Paul Ganz et Hans robert Hahnloser, p. 5-6. 8. Joseph Gantner, Adolf Reinle, Kunstgeschichte der Schweiz, 4 vol., Frauenfeld, 1936-1962. Le premier volume a été révisé par Adolf Reinle à l’occasion de sa réédition en 1968. 9. Jacob Burckhardt, Die Kunst der Renaissance in Italien, édition des œuvres complètes, Heinrich Wölfflin éd., vol. 6, Stuttgart / Berlin / Leipzig, 1932. Sur sa conception de l’histoire de l’art par disciplines, voir les contributions de Burckhardt à l’histoire de l’art de l’Italie, vol. 12 de ses œuvres complètes, Heinrich Wölfflin éd., Stuttgart / Berlin / Leipzig, 1930. 10. Johann Caspar Füssli, Geschichte und Abbildung der besten Mahler in der Schweiz, première partie, Zurich, 1755, deuxième partie, Zurich, 1757. Pour une élucidation de l’Histoire de Füssli, voir Yvonne Bœrlin-Brodbeck, « Johann Caspar Füssli und sein Briefwechsel mit Jean-Georges Wille. Marginalien zu Kunstliteratur und Kunstpolitik in der zweiten Hälfte des 18. Jahrhunderts », dans Kunst des 17. und 18. Jahrhunderts in Zürich. Jahrbuch des Schweizerischen Instituts für Kunstwissenschaft 1974-1977 (1978), p. 77-178. 11. [Johann Caspar Füssli], Joh. Caspar Fuesslins Geschichte der besten Künstler in der Schweiz. Nebst ihren Bildnissen, 5 vol., Zurich, 1769-1779. 12. Füssli, 1755, cité n. 11, vol. 4, p. XVI- LIV. Sur l’école de dessin de Genève, voir Anne de Herdt, Dessins genevois de Liotard à Hodler, (cat. d’expo., Genève/ Dijon, 1984). Le manuscrit de Pierre Soubeyran se trouve à la Bibliothèque publique et universitaire de Genève, Jalabert 77/3, p. 8. Sur l’école de dessin fondée en 1784 à par Johann , voir REINLE, 1936-1962, cité n. 8, vol. 3, p. 308-309. Sur les écoles de dessin, voir Johann Georg Sulzer, « Academie » dans Allgemeine Theorie der schönen Künste, 2 vol., Leipzig / Berlin, 1771-1774, deuxième édition augmentée, 5 vol., Leipzig, 1792-1799, vol. 1, p. 11-16. 13. Füssli, 1769-1779, cité n. 11, vol. 5, p. X-XI. Par ses thèses sur le génie, Füssli répondait explicitement à la théorie du climat que Bodmer avait formulée dans ses Discours. Voir Johann Jakob Bodmer, Die Discourse der Mahlern, 4 vol., Zurich, 1721-1723. Dans le premier volume, p. 3, nous lisons ceci : « S’il était vrai que nous peignons avec noirceur et insensibilité, nous penserions en rejeter alors la faute à notre climat. On dit en tous lieux que l’air de la Suisse n’inspire guère la vigueur et le feu de l’imagination. » Bodmer parle cependant de la poésie, et non de la peinture. Voir à ce sujet Boerlin-Brodbeck, 1978, cité n. 10, p. 107. Sur la théorie du climat, voir Mauro Natale, « Du climat de la Suisse et des mœurs de ses habitants : ambivalenze meteorologiche in Svizzera romanza », dans Zeitschrift für Schweizerische Archäologie und Kunstgeschichte, 41, 1984, p. 81-84. 14. Joachim von Sandrart, Teutsche Academie der Edlen Bau-, Bild- und Mahlerey- Künste, 2 vol., Nuremberg / Francfort, 1675. Dans la deuxième édition de son Histoire (cité n. 11), Füssli traite les neuf artistes suivants, que Sandart n’avait pas mentionnés : Heinrich Wägmann, Daniel

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Lintmeyer, Joseph Heinz, Joh. Jacob thorneyser, Joh. Conrad Geyger, Maria Sibylla Merianin, Felix Meyer, Balthasar Keller et Jacob Frey. 15. Füssli, 1755, cité n. 10, vol. 1, p. 3-4. Sandrart, 1675, cité n. 14, vol. 1, p. 231. Cela est vrai indépendamment du fait que ce n’est qu’en 1896, grâce aux recherches de Daniel Burckhardt, qu’on a commencé à appréhender la personne de Konrad Witz. 16. Johann Rudolph Füssli, Allgemeines Künstler Lexicon, oder : Kurze Nachricht von dem Leben und den Werken der Mahler, Bildhauer, Baumeister, Kupferstecher, Kunst- giesser, Stahlschneider, ec. ec., Zurich, 1763, suppléments 1-3, 1767 / 1777 (contenant en annexe un index des portraits des artistes contenus dans ce dictionnaire, par ordre alphabétique). Quoi qu’il en soit, Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville avait consacré le troisième volume de la seconde édition de son Abrégé de la vie des plus fameux peintres (Paris, 3 volumes, 1745-1752 ; deuxième édition en 4 volumes, Paris, 1762 ; édition allemande, 4 vol., Leipzig, 1767-1768) à « l’école néerlandaise », en présentant les peintres allemands et suisses dans une section spéciale ; pour la collection non publiée des vies des artistes par Johann Georg Sulzer, voir Boerlin-Brodbeck, 1978, cité n. 10, p. 162. 17. Antonio Orlandi Pellegrino, Abecedario pittorico, Bologne, 1704 ; deuxième édition, Bologne, 1719. 18. Antoine Frédéric Harms, Tables historiques et chronologiques des plus fameux peintres anciens et modernes par Antoine Frederic Harms. A Bronsvic imprimées par Frederic Guillaume Meyer aux depens de l’auteur, 1742. L’exemplaire conservé à la Zentralbibliothek de Zurich (Sig. 00.12) contient les annotations et corrections manuscrites de Johann R udolph Füssli. Dans sa Vie des peintres, publiée en 4 volumes de 1753 à 1763, Jean-Baptiste Descamps a établi un rigoureux classement chronologique, en indiquant à chaque page le millésime courant – et, chose étonnante, sans qu’il n’y ait jamais de retour en arrière dans le décompte ; Jean-Baptiste Descamps, La vie des peintres flamands, allemands et hollandais, avec des portraits gravés en Taille-douce, une indication de leurs principaux ouvrages, et des réflexions sur leurs différentes manières. 4 vol, Paris, 1753-1763. Il se peut que Füssli se soit appuyé, pour les illustrations de sa première édition, sur Descamps, qui avait indiqué à ce propos : « Près de deux cents Portraits, gravés par les meilleurs Artistes de Paris et placés à la tête de la vie des plus grands Peintres, sont les plus beaux ornements de cet Ouvrage. Ces Portraits se caractérisent par les Vignettes qui les entourent, les talents particuliers de chaque Maître, en sorte qu’il suffit de voir ces attributs, pour juger quel étoit le genre du Peintre. » (vol. 1, « Avertissement », p. XIII). – Dictionnaires suisses des artistes après Füssli : Schweizerisches Künstler-Lexikon, publié avec le soutien de la Confédération et de personnes privées amies des arts par la Société suisse des beaux-arts, rédigé avec la collaboration de spécialistes par Carl Brun, 4 vol. Frauenfeld, 1905-1917; réimpression 1967. – Eduard Plüss, Hans Christoph von Tavel, Künstler-Lexicon der Schweiz XX. Jahrhundert, 2 vol., Frauenfeld, 1958-1967. – Hans-Jörg Heusser, Lexikon der zeitgenössischen Schweizer Künstler, Frauenfeld, 1981. – Sur l’histoire des dictionnaires suisses des artistes et sur les perspectives d’avenir, voir Karl Jost, « From the ‘Anecdotal’ to the ‘Factual’. The Lexicon of Swiss Artists : Its History Data and Documents”, dans Laura Corti éd., Papers, n° 34, vol. 2, (actes, École normale supérieure de Pise, 24-27 septembre 1984), Pise, 1984, p. 155-170. 19. Christian von Mechel, Entwurf einer Kunst-Geschichte Helvetiens (Conférences de la Société helvétique à Olten), Bâle, 1791. Voir à ce sujet Lukas Heinrich Wüthrich, Das Œuvre des Kupferstechers Christian von Mechel, vol. 75, Bâle/Stuttgart, 1959. 20. Sur la politique culturelle de la République helvétique, voir Pierre Chessex, « Documents pour servir à l’histoire des arts sous la République Helvétique », dans Études de lettres, série 4, tome 3, 1980, p. 93-121. La promotion des arts par les cantons avant 1798, notamment à travers l’attribution de bourses de formation pour les artistes, mériterait d’être étudiée.

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21. Sur la promotion des arts par les diverses sociétés artistiques, voir Hans Ulrich Jost, « Künstlergesellschaften und Kunstvereine in der Zeit der Restauration », dans Gesellschaft und Gesellschaften, Nicolai Bernard, Quirinius Reichen éd., Berne 1982, p. 341-368, ouvrage publié à l’occasion du 65e anniversaire d’Ulrich Im Hof – Lisbeth Marfurt-Elminger, Der Schweizerische Kunstverein 1806-1981, Bettingen, 1981. Sur les expositions, voir Paul-André Jaccard, « L’art suisse s’expose », dans Paul-André Jaccard éd., Zeitschrift für Schweizerische Archäologie und Kunstgeschichte, 43, 1986, p. 341-459. Sur les publications, voir essentiellement les « Neujahrsstücke » de la Société des artistes et de la Société des beaux-arts de Zurich, qui ont été publiés sans interruption de 1805 à 1943. 22. Neues Allerley über Kunst, Kunst-Sinn, Geschmack, Industrie und Sitten, édition spéciale l’occasion de l’Exposition d’art et d’industrie de Berne, juin et juillet 1810, où l’on trouvera, outre la description et l’appréciation de la plupart des œuvres d’art et autres objets de cette exposition, une courte histoire et théorie de l’art, par Sigmund Wagner, directeur de l’exposition, p. 7-8, (deuxième livraison), Berne 1810. 23. Neues Allerley…, cité n. 22, p. 22 (sixième livraison) et p. 43 (onzième livraison). 24. Johann Rudolf Rahn, Geschichte der bildenden Künste in der Schweiz von den ältesten Zeiten bis zum Schlusse des Mittelalters, Zurich, 1876. Sur Rahn, voir Ursula Isler-Hungerbühler, Rudolf Rahn. Begründer der schweizerischen Kunstgeschichte, Zurich, 1956. – Adolf Reinle, « Der Lehrstuhl für Kunstgeschichte an der Universität Zürich bis 1939 », dans Kunstwissenschaft an Schweizer Hochschulen 1, Jahrbuch des Schweizerischen Instituts für Kunstwissenschaft 1972/73, 1976, p. 71-88. – Dorothee Eggenberger, Georg Germann, « Geschichte der Schweizer Kunsttopographie », dans Beiträge zur Geschichte der Kunstwissenschaft in der Schweiz II, Zurich, 1975. 25. Carl Schnaase, Geschichte der bildenden Künste, 8 vol., deuxième édition augmentée : vol. 1-7, Düsseldorf, 1866-1876 ; vol. 8, Stuttgart, 1879. Pour la seconde édition de l’ouvrage, c’est Rahn qui en a remanié dans le troisième volume, en collaboration avec l’auteur (Düsseldorf, 1869). 26. RAHN, 1876, cité n. 24, p. VI-VII. 27. RAHN, 1876, cité n. 24, p. 8. 28. RAHN, 1876, cité n. 24, p. 4. 29. RAHN, 1876, cité n. 24, p. V et p. 2. Dans un autre passage (p. V I), on lit cependant ceci : « On ne saurait toutefois parler ici d’un développement uniforme, comme on peut l’observer dans d’autres pays sur une étendue territoriale équivalente. » 30. RAHN, 1876, cité n. 24, p. 1. 31. RAHN, 1876, cité n. 24, p. VII. 32. Comme exemple de jugement négatif : « À ce titre, la Suisse romande présente un ensemble de bâtiments qui ont un caractère parfaitement étranger. Ils ont d’ailleurs été construits par des étrangers ou sous l’influence de modèles venus de l’extérieur. » « [...] est en retrait par rapport aux créations des autres écoles, ce qui prouve qu’en matière artistique aussi, la Suisse a reçu ses règles de l’étranger », dans Kunst-und Wanderstudien aus der Schweiz, Vienne, 1883, p. 1-17, citations p. 2 et p. 7-8. – Pour une appréciation positive : « L’ensemble des monuments suisses offre une image pleine de contradictions, d’où n’émerge que difficilement et lentement la vision d’orientations plus ou moins solides et d’influences multiples qui se sont heurtées de tous bords et qui ont marqué l’art de notre pays, depuis l’époque romane, d’une empreinte complètement cosmopolite. / En revanche, on ne saurait méconnaître que c’est justement cette diversité qui rend particulièrement stimulante et instructive l’étude de l’héritage médiéval [...] », Geschichte, cité n. 24, p. V I. Il convient cependant de signaler que dans cette distinction opérée entre l’étranger et le territoire national, ce sont les frontières du nouvel État fédéral qu’on a fait valoir rétroactivement. 33. Dans ce contexte, il nous faut mentionner un des livres les plus affligeants sur l’histoire de l’art suisse : Berthold Haendcke, Die Schweizerische Malerei im XVI. Jahrhundert diesseits der Alpen und unter Berücksichtigung der Glasmalerei, des Formschnittes und des Kupferstiches, Aarau, 1893. Dans

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le premier chapitre de son ouvrage, le privat-docent bernois Haendcke, qui « entame son livre là où s’arrête l’histoire de Rahn », examine « la peinture suisse sous influence principalement allemande » et, dans son deuxième chapitre, « la peinture suisse sous influence principalement néerlandoitalienne. » 34. Peter Meyer, Schweizerische Stilkunde von der Vorzeit bis sur Gegenwart, 3e édition, Zurich, 1942, surtout p. 14-19. – J. A. Schmoll, dit Eisenwerth, « Stilpluralismus statt Einheitszwang – Zur Kritik der Stilepochen-Kunstgeschichte », dans Argo, en l’honneur de Kurt Badt, Cologne, 1970, p. 77-95. Pour un état récent de la question, voir The Concept of Style (1979), Berel Lang éd., Ithaca / Londres, 1987 ; – Emil Maurer, « Im Niemandsland der Stile. Bermerkungen zur Schweizer Architektur zwischen Gothik und Barock », dans Unsere Kunstdenkmäler, XXX I/4, 1980, p. 296-316. 35. Henri Alexandre Vulliéty, La Suisse à travers les âges. Histoire de la civilisation depuis les temps préhistoriques jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, Bâle/Genève, 1902. 36. Peter Meyer, Kunst in der Schweiz von den Anfängen bis zur Gegenwart, édité par l’Office central suisse pour la promotion du tourisme, Zurich, sans date [1944]. 37. Die Entwicklung der Kunst in der Schweiz, publié à l’initiative de la Société suisse des professeurs de dessin sous la direction d’Oskar Pupikofer, Jacob Heierli, A lfred Nägeli, Conrad Schläpfer, Heinrich Pfenninger et A dolf Streber, Saint-Gall, 1914. 38. MEYER, 1942, cité n. 34 ; REINLE, 1968, cité n. 8, vol. 4. 39. Gottfried Semper, Wissenschaft, Industrie und Kunst, Brunswick, 1852. Alois Riegl, Volkskunst, Hausfleiss und Hausindustrie, Berlin, 1894, (Mittenwald, 1978). Les actes du deuxième colloque de l’Union des historiens d’art suisses n’ont pas été publiés. 40. Jakob Stammler, Die Pflege der Kunst im Kanton Aargau, mit besonderer Berücksichtigung der älteren Zeit, dans Argovia revue annuelle de la Société historique du canton d’Argovie, vol. XXX, Aarau, 1903. 41. Gustave Amweg, Les Arts dans le Jura bernois et à Bienne, 2 vol., Porrentruy, 1937-1941. 42. Sur l’architecture genevoise, voir l’ouvrage de Jean-Daniel Blavignac, Histoire de l’architecture sacrée du quatrième au dixième siècle dans les anciens évêchés de Genève, Lausanne et Sion, 2 vol., Paris/Londres/Leipzig, 1853. – Concernant l’école genevoise de peinture, il faut mentionner les nombreuses publications de Daniel Baud-Bovy, notamment Peintres genevois. 1702-1849, 2 vol., Genève, 1903-1904, et L’ancienne école genevoise de peinture, Genève, 1924. Voir aussi Louis Gielly, L’École genevoise de peinture, Genève, 1935. – Waldemar Deonna, Les Arts à Genève. Des origines à la fin du XVIIIe siècle , Genève, Musée d’Art et d’Histoire, 1942. Pour une bibliographie, on consultera le catalogue Dessins genevois de Liotard à Hodler, cité n. 12. – Dirigée par un groupe d’artistes pour les volumes 1 à 6, par Jules Crosnier pour les volumes 7 à 17 et par Jules Bovy pour les volumes 18 à 20, la publication Nos Anciens et leurs œuvres. Recueil genevois d’Art, Genève, 1901-1920, présente un aperçu assez général de la question. 43. Voir à ce sujet Marcel Baumgartner, « ‘Schweizer Kunst’ und ‘deutsche Natur’. Wilhelm Schäfer, der ‘Verband der Kunstfreunde in den Ländern am Rhein’ und die neue Kunst in der Schweiz zu Beginn des 20. Jahrhunderts », dans Auf dem Weg zu einer schweizerischen Identität 1849-1919. Probleme – Errung-schaften – Misserfloge, (8e colloque de l’Académie suisse des sciences humaines, 1985), François de Capitani/Georg Germann éd., Fribourg, 1987, p. 291-308. Dans ce contexte, on peut aussi mentionner Albert Trachsel, Réflexions à propos de l’Art suisse à l’exposition nationale de 1896, Genève, 1896. 44. L’art Suisse du XVe au XIXe siècle (de Holbein à Hodler), (cat. expo., Paris, Musée du Jeu de Paume, juin-juillet 1924). Voir Philippe Kaenel, « Quelques expositions d’art suisse à Paris dans l’entre- deux guerres : images d’une identité artistique et nationale », dans L’Art suisse s’expose, cité n. 21, p. 403-410, en particulier p. 403-404 et 408-409. 45. Le projet comportait les titres suivants : 1. Waldermar Deonna, La Sculpture en Suisse des origines à la fin du 16e siècle ; 2. Peter Meyer, Das Schweizer Bürger- und Bauernhaus ; 3. Hans Reinhardt, Die kirchliche Baukunst in der Schweiz ; 4. Adrien Bovy, La peinture depuis le XVIIe siècle

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jusqu’à nos jours ; 5. Daniel Baud-Bovy, La montagne dans l’art suisse ; 6. Paul Ganz, Die Glasmalerei und ihre nationale Bedeutung ; 7. Wilhelm Warmann, Die plastische Kunst der Gegenwart ; 8. Conrad de Mandach, La peinture du moyen âge jusqu’à la fin du XVIe siècle ; 9. Rudolf Bernoulli, Graphische Künste und Buchillustration ; 10. Fritz Gysin, Goldschmiedekunst, Tepichwirkerei und Keramik. 46. Les monographies suivantes ont été publiées (toutes aux éditions Birkhäuser, à Bâle) : vol. 1, Waldemar Deonna, La sculpture suisse des origines à la fin du xvie siècle (1946) ; vol. 2, Peter Meyer, Bürgerhaus und Bauernhaus (1946) ; vol. 3, Hans Reinhardt, Die kirchliche Baukunst in der Schweiz (1947) ; vol. 4, Adrien Bovy, La peinture de 1600 à 1900 (1948) ; vol. 5, Paul Leonhard Ganz, Die Malerei des Mittelalters und des XVI. Jahrhunderts in der Schweiz (1950) ; vol. 6, Paul Boesch, Die Schweizer Glasmalerei (1955). – Le manuscript de l’« illustrierte, für gebildete Laien bestimme Geschichte der schweizerischen Kunst » (« Histoire illustrée de l’art suisse, destinée aux amateurs érudits »), rédigé par Paul Ganz à la demande de Pro Helvetia, est resté inachevé. À la mort de l’auteur, au printemps 1954, l’œuvre n’avait pas pu être conduite plus loin que l’architecture de la Renaissance. Elle fut publiée à titre posthume par son fils Paul Leonhard Ganz (Geschichte der Kunst in der Schweiz von des Anfängen bis zur Mitte des 17. Jahrhunderts, Bâle/Stuttgart, 1960). 47. « Préface » de Paul Ganz dans Waldemar Deonna, La sculpture suisse, cité n. 46. 48. Adolf Reinle, Die Kunst des 19. Jahrhunderts. Architektur/Malerei/Plastik, Frauenfeld, 1962. 49. REINLE, 1962, cité n. 48, p. 327. 50. REINLE, 1962, cité n. 48, p. 1. 51. Florens Deuchler, Marcel Roethlisberger, Hans A . Lüthy, La Peinture suisse du Moyen Âge à l’aube du XXe siècle, Genève, 1975. 52. Hans Christoph von Tavel, Ein Jahrhundert Schweizer Kunst. Malerei und Plastik. Von Böcklin bis Alberto Giacometti, Genève, 1969 : Hans A . Lüthy, Hans-Jörg Heusser, Kunst in der Schweiz 1890-1980, Zurich, 1983. 53. Sur l’historiographie de l’art en Suisse, voir aussi Georg Germann, « Kunstlandschaft und Schweizer Kunst », dans Zeitschrift für Schweizerische Archäologie und Kunstgeschichte, 41, 1984, p. 76-80, plus particulièrement la troisième section : « Schweizer Kunst in der Kunstwissenschaft der Schweiz ».

RÉSUMÉS

La question de savoir s’il existe véritablement « un art suisse » ou s’il n’y a, au contraire, que « des artistes suisses » revient comme un leitmotiv dans l’historiographie de l’art en Suisse. Cependant, il faut aussi prendre en considération les interactions qui existent entre les efforts fournis pour créer un art suisse national et les recherches des historiens d’art. Des problèmes particuliers résultent des implications de l’histoire des styles et de celle des influences (« retard stylistique », « mélange des styles », « provincialisme »), ainsi que de la distinction faite entre art « supérieur » et art « inférieur » dans un pays qui « est pauvre en œuvres éminentes » (Rahn). Il apparaît que la littérature populaire (ouvrages sur la civilisation et la culture) et les histoires régionales de l’art sont susceptibles d’aborder cette situation particulière d’une manière souvent plus impartiale que l’histoire de l’art proprement dite.

The question of whether there exists such a thing as “Swiss art”, or merely “Swiss-born artists” is a recurrent leitmotiv in the historiography of art in Switzerland. Any such exploration must also take account of the interface between explicit efforts to create a national “school” of Swiss art,

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and the fin- dings of art historians carrying out research in this area. the study of Swiss art and its history poses particular problems in the context of the history of style and stylistic influence: questions of “stylistic tardiness” mixed styles and provincialism are especially relevant, as is the distinction between “high art” and “inferior art” in a country often regarded as “lacking in distinguished works” (in the words of the 19th-century Swiss art historiographer J. R. Rahn). Popular literature (works on Swiss civilisation and culture) and regional art-historical studies have emerged as a significant forum for the exploration of the unique character of Swiss art, often providing more impartial accounts than those emanating from the world of academic art history as such.

Die Frage, ob es so etwas wie "Schweitzer Kunst" oder lediglich "Schweizer Künstler" gebe, durchzieht als leitthema die Historio- graphie der Kunst in der Schweiz. Dabei sind auch die echselwi- rkungen zu beachten, die bestehen zwischen den Bemühungen um die Schaffung einer nationalen Schweizer Kunst und der Kunstgeschichtssreibung. Besondere Probleme ergeben sich aus den implikationen der Stil- und Einfluffkunstgeschichte [“Stilverspätung”, “Stilmischung”, “Provinzialismus”] und aus des trennung zwischen “hoher” und “niedrieger” Kunst in einem land, das “arm ist an höheren Werken der bildenden Kunst” (Rahn). Es zeigt sich, dass das populäre Schriftung (Zivilisations- und Kultugeschichten) sowie regionale Geschichten der Kunst dieser besonderen Situation oft mit einem unbefangeneren Blick zu begegne vermochten als die zünftige Kuns- tgeschichtschreibung.

La questione intesa ad accertare se esiste veramente « un’arte svizzera » o se ci sono, al contrario, soltanto « degli artisti svizzeri » ritorna come un tema ricorrente nella storiografia dell’arte in Svizzera. tuttavia, occorre anche prendere in consi- derazione le interazioni che esistono tra gli sforzi effettuati per creare un’arte svizzera nazionale e le ricerche degli storici dell’arte. Problemi particolari derivano dalle implicazioni della storia degli stili e di quella delle influenze (« ritardo stilistico », « miscuglio degli stili », « provincialismo »), come pure dalla distinzione fatta tra arte « maggiore » ed arte « minore » in un paese che « è povero in opere eminenti » (Rahn). Sembra che la letteratura popolare (libri sulla civilizzazione e la cultura) e le storie regionali dell’arte sono suscettibili di affrontare questa situazione particolare in un modo spesso più imparziale che non lo faccia la storia dell’arte stessa.

El saber si existe verdaderamente « un arte suizo » o si por el contrario, solo hay « artistas suizos » vuelve como un leitmotiv en la historiografía del arte Suizo. Sin embargo, también hay que tomar en cuenta las interacciones que existen entre los esfuerzos realizados para crear un arte suizo nacional y las investigaciones de los historiadores de arte. unos problemas particulares resultan de las implicaciones de la historia de los estilos y de la de las influencias (« retraso estilístico », « mezcla de estilos », « provincialismo »), así como de la distinción esta- blecida entre arte « superior » y arte « inferior » en un país que « es pobre en obras insignes » (Rahn). Resulta que la literatura popular (obras sobre la civilización y la cultura) y las historias regionales del arte son susceptibles de abarcar esta situación particular de una manera a menudo más imparcial que la historia del arte en sí.

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INDEX

Mots-clés : histoire de l'art suisse, historiographie, géographie, histoire, politique, fiction, méthode, histoire des styles, pratique, savoir-faire, pédagogie, école suisse, biographie, artiste, hiérarchie, genre, style, conscience nationale Palabras claves : Schmalenbach (Fritz), Gantner (Joseph), Rahn (Johann Rudolf), Stammler (Jakob), Füssli (Johann Rudolph), Vulliéty (Henri Alexandre) Index géographique : Suisse Keywords : swiss art history, historiography, geography, history, politic, fiction, method, style history, practice, savoir-faire, instruction, swiss school, biography, artist, hierarchy, genre, style, national conscience Index chronologique : 1700, 1800, 1900

AUTEURS

OSKAR BÄTSCHMANN Professeur à l’université de Berne, a écrit de nombreux articles sur l’histoire de l’histoire de l’art et la méthodologie de la discipline. Il a publié plusieurs travaux importants sur les artistes suisses (Hans Holbein le jeune, Ferdinand Hodler, Paul Klee, entre autres) qui ont permis de renouveler l’approche de leurs œuvres, ainsi que Poussin, dialectique de la peinture.

MARCEL BAUMGARTNER Après avoir étudié l’histoire de l’art à Berne et travaillé à l’Institut suisse pour l’étude de l’art, est depuis 1993 professeur à l’Université de Giessen (Hesse). Spécialiste de l’histoire de l’histoire de l’art, il a publié sur Hodler et travaille actuellement sur Piranèse, Winckelmann et le milieu des antiquaires à Rome à la fin du XVIIIe siècle

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Géographie artistique et identités collectives : les arts dans les cantons helvétiques à la fin du Moyen Âge Frédéric Elsig, The geography of art and collective identities: the arts in the Swiss cantons, in the late Middle Ages Frédéric Elsig, Kunstlandschaft und kollektive identität: die Künste in den Schweizer Kantone am Ende des Mittelalters Frédéric Elsig, Le arti nei cantoni elvetici alla fine del Medioevo : geografia artistica ed identità collettive Frédéric Elsig, Geografía artística e identidades colectivas : el arte de los cantones helvéticos a finales de la Edad Media.

Frédéric Elsig

1 Induite par une prise de conscience tardive du patrimoine national, l’étude des arts produits sur le territoire actuel de la Suisse entre la fin du Moyen Âge et la renaissance est amorcée au lendemain de la Constitution de 1848 par les repérages minutieux de l’architecte genevois Jean-Daniel Blavignac, puis de l’historien de l’art zurichois Johann Rudolf Ranh, qui fait paraître les Statistiques des monuments d’art et d’histoire en Suisse à partir de 1872 et son Histoire des beaux-arts en Suisse en 1876 avant de contribuer, quatre ans plus tard, à la fondation de l’association pour la conservation des monuments artistiques de la patrie (RAHN, 1876). Parallèlement, le développement timide d’un marché suisse de l’art ancien génère durant la première moitié du XXe siècle une génération de connaisseurs qui se focalisent chacun sur une technique particulière : ainsi Hans Lehmann sur le vitrail (LEHMANN, 1906-1912), Berthold Haendke (HAENDKE, 1893), Paul Ganz (GANZ, 1924) et Walter Hugelshofer sur la peinture et le dessin (HUGELSHOFER, 1925-1927, 1928) ; Annie Hagenbach sur la sculpture (HAGENBACH, 1938). Ces derniers définissent peu à peu les caractéristiques d’un art suisse qui s’affirme sur le plan international à travers des expositions comme celle du Musée du Jeu de Paume à Paris en 1924 et dont Joseph Gantner entreprend dès 1936 une

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importante synthèse (MANDACH, 1924 ; REYNOLD, 1924 ; GANTNER, REINLE, 1936-1961).

2 Depuis la Seconde Guerre mondiale, la recherche conserve le plus souvent une division par techniques, correspondant non seulement à une répartition des compétences professionnelles, mais aussi à des niches éditoriales bien établies. Aussi se concentre-t- elle toujours sur la peinture, tout en s’intéressant à des domaines moins étudiés, comme le vitrail et la sculpture. Elle tend néanmoins vers un décloisonnement qui, conditionné par un relativisme croissant, fait converger diverses approches de manière à construire une histoire sociale des arts. Cette évolution, étendue à toutes les disciplines des sciences humaines, est perceptible dans les deux principales revues nationales : la Revue suisse d’art et d’archéologie, éditée par le Musée national suisse depuis 1939, et la revue Nos monuments d’art et d’histoire, publiée par la SHAS depuis 1950 et rebaptisée Art + Architecture en Suisse depuis 1994. Elle se manifeste aussi dans la série Ars Helvetica, dirigée de 1987 à 1992 par Florens Deuchler et dans laquelle Dario Gamboni jette les bases d’une géographie artistique (GAMBONI, 1987). Cette approche, inspirée par l’article fondamental d’Enrico Castelnuovo et Carlo Ginzburg (CASTELNUOVO, GINZBURG, 1979), cherche non plus à définir les caractéristiques d’une identité helvétique mais à comprendre toute la dynamique des échanges artistiques1. Elle nous fournira un cadre idéal pour rendre compte des problématiques principales et des enjeux méthodologiques de la recherche durant ces dernières années.

Centre et périphérie : la notion d’« Oberrhein »

3 Entrées respectivement en 1351 et en 1353 dans la Confédération helvétique, les villes de Zurich et de Berne jouèrent rapidement un rôle moteur sur le plan économique, en créant un milieu favorable aux commandes artistiques. Mais raréfiée par l’iconoclasme protestant, leur production demeure encore difficile à reconstituer. Elle fut mise en évidence dans les années 1920 par des connaisseurs comme Walter Hugelshofer, qui fondaient leurs jugements critiques sur la notion d’« Oberrhein » (HUGELSHOFER, 1928-1929). Celle-ci apparaît conjointement au concept de « Kunstlandschaft » (« paysage artistique ») qui, mis en place au lendemain de la Première Guerre mondiale, consiste à définir des aires culturelles résistant aux fluctuations des frontières politiques. Cette notion correspond en l’occurrence à une vaste région dont les limites, extensibles, comprennent les villes situées de part et d’autre du Rhin, de Constance à Karlsruhe, et soumises à des conditions matérielles analogues. Développée durant les années 1930 par des historiens de l’art tels que Hans Rott (ROTT, 1936-1938) et Alfred Stange (STANGE, 1955), elle est idéologiquement connotée et s’efface durant une brève période avant de renaître dans les années 1960, débarrassée de ses implications racistes, notamment dans les travaux d’Albert Knoepfli (KNOEPFLI, 1969). Consolidée par les importantes expositions de Karlsruhe en 1970 (Spätgotik am Oberrhein..., 1970) et en 2001-2002 (Spätmittelalter…, 2001-2002), la notion d’« Oberrhein » offre un cadre géographique dans lequel la recherche peut favorablement se développer et dont les enjeux historiographiques ont fait l’objet d’un colloque organisé sur l’île de la Reichenau en 2004 (KURMANN, ZOTZ, 2004). Toutefois, si elle met généralement l’accent sur la mobilité des échanges et sur l’homogénéité culturelle, elle ne saurait masquer les différences locales et l’existence de réseaux qui relient, transversalement à

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l’axe du Rhin, d’importantes villes à des cités plus petites et véhiculent ainsi différents courants artistiques.

4 La notion de « courant artistique » est au style collectif ce que celle d’« influence » est au style individuel. Elle désigne le rayonnement d’un foyer de production sur une région qui en dépend, autrement dit d’un centre sur sa périphérie. Induite par l’interprétation d’un ensemble de cas souvent contradictoires, elle ne peut donner qu’une règle générale qui diffère selon les techniques et les phases chronologiques. Elle est néanmoins nécessaire à l’établissement d’une géographie artistique. Ainsi, en se fondant essentiellement sur la sculpture et la peinture, nous proposons de distinguer, au sein de l’« Oberrhein », deux courants artistiques qui, sous-tendus par deux réseaux urbains, se contaminent l’un l’autre. Le premier, que nous pourrions appeler le « courant souabe », fait dépendre la production zurichoise de Constance, dont l’impact se manifeste au début du XIVe siècle dans les peintures murales de la maison Zum Langen Keller, conservées aujourd’hui au Musée national suisse, ou dans le célèbre Codex Manesse (Heidelberg, Universitätsbibliothek : WÜTHRICH, 1980). Le second, que nous pourrions baptiser par commodité le « courant rhénan », est issu de Strasbourg et relayé par Bâle avant de poursuivre plus au sud. Il est notamment perceptible dans l’onde de choc provoquée par le portail occidental de la cathédrale de Strasbourg, dont l’impact se perçoit successivement dans le portail occidental de la cathédrale de Bâle, dans le portail méridional de la cathédrale Saint-Nicolas de Fribourg puis, de manière atténuée, dans le tombeau des comtes de La Sarraz (vers 1360-1370) et dans le cénotaphe des comtes de Neuchâtel, réalisé vers 1372 par un certain Maître Clawer de Bâle (ROUILLER, 1997 ; Totam machinam…, 1997)2.

5 Si elles dépendent toutes deux du foyer bâlois, les villes de Neuchâtel et de Berne réagis- sent en fonction de leur « densité artistique » pour reprendre la notion développée par Jean Wirth3. La première, de faible densité, est contrainte d’importer des artistes et des œuvres. La seconde acquiert peu à peu une densité suffisante pour assimiler les modèles bâlois dans un langage propre, continuellement mis à jour et formant une relative continuité, une « école ». Elle peut ainsi devenir à son tour un foyer, servant de relais au courant rhénan dans les régions environnantes, comme l’ont mis en évidence deux beaux ouvrages consacrés à la culture bernoise (BEER et al., 1999 (2003) ; SCHWINGES, 2003). Les peintres regroupés sous le nom de commodité de « Maîtres à l’œillet » fournissent un exemple significatif de ce foyer artistique et de son rayonnement (GUTSCHER, VILLIGER, 1999). Le Maître de la Messe de saint Grégoire, dont le langage est parallèle à celui du peintre bâlois Bartolomäus Ruthenzweig (documenté de 1470 à 1493), collabore dans les années 1470 au moins à deux retables destinés au diocèse de Sion et sculptés par Erhart Küng, le maître d’œuvre de la collégiale Saint-Vincent de Berne (SLADECZEK, 1990 et 1999). Il pourrait dès lors, à titre d’hypothèse de travail, correspondre à un peintre attaché à cet important chantier, Heinrich Büchler (documenté de 1466 à 1484). Dès les années 1490, son langage est interprété dans un registre plus rustique par le Maître de saint Béat dont la production, répartie dans l’Oberland et les Waldstätten, met en évidence l’aire de diffusion de la culture bernoise. Le style de ce peintre est poursuivi, dans un ton plus raffiné, par le Maître à l’œillet de Berne. Ce dernier, auquel on doit vers 1490 les volets du retable de saint Jean-Baptiste, peut être identifié avec Paul Löwensprung qui, sans doute originaire de Strasbourg et actif à Bâle vers 1480, s’établit dans le milieu moins concurrentiel de Berne jusqu’à sa mort en 1499. Il exerce à son tour un impact, durant

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la première décennie du XVIe siècle, sur le Maître du retable Fricker, dont le langage évoque, dans un rythme plus calme, celui de Hans Fries et auquel Bernt Konrad attribue les volets de saint Rémi et saint Guy du Metropolitan Museum of art de New York et les volets de saint Fridolin (collections privées ; KONRAD, 1989)4. Nous proposons de voir les revers de ces derniers dans deux panneaux récemment mis en vente à Paris5.

6 Ces quelques cas attestent l’existence, à Berne, de peintres en interaction au sein d’une organisation corporative de métiers. Ils démontrent la nécessité de reconstruire de manière concrète et dynamique le parcours stylistique de chaque personnalité, dont la trajectoire paraît parfois singulière, comme dans le cas du Maître de Glis. Ce dernier est l’auteur d’une demi-douzaine d’ensembles peints qui, échelonnés de 1475 à 1512 environ et enchaînés les uns aux autres, forment une séquence cohérente. Il révèle toutefois un langage qui, initialement véhément et presque caricatural, s’adoucit à la fin de manière radicale, au point qu’aux extrémités de la chaîne stylistique les volets de Dijon et la Vierge à l’Enfant de Genève seraient difficilement attribuables à la même main sans les œuvres qui font transition : la Déploration du Christ de Sarnen, les volets de Glis, le triptyque de Lötschen et les volets de Findelen (FUTTERER, 1927 ; MORAND, HERMANÈS, 1983 ; ELSIG, 2000a). Ce parcours met ainsi en évidence ce que nous pourrions appeler le principe du maillon intermédiaire, qui permet de restituer la cohérence de séquences perdues tant au niveau du style individuel qu’à celui du style collectif, en posant la question des limites propres à la notion de personnalité. En l’occurrence, ce corpus semble correspondre davantage à un seul et même peintre en évolution constante plutôt qu’à la succession d’un maître et d’un disciple fidèle. Si tel est le cas, il ne saurait être identifié, comme Otto Fischer le proposait naguère, avec Heinrich Büchler, mort dès avant 1484 et que nous avons proposé plus haut de reconnaître dans le Maître de la Messe de saint Grégoire (FISCHER, 1939 ; GUTSCHER, 2001).

7 Loin d’être secondaire, la question de l’identité individuelle fait partie intégrante de l’équation, en articulant la géographie artistique sur la réalité documentaire. Sa solution dépend en principe d’une œuvre signée ou documentée, ce qui de- meure rare. Elle peut être néanmoins approchée par la seule analyse stylistique. C’est alors la singularité même d’un itinéraire artistique qui rend possible l’identification d’un peintre, pour autant que son origine culturelle se définisse clairement dans un mi- lieu étranger et de faible densité. Implanté dans le diocèse de Sion depuis le début des années 1480 à en juger par ses quatre dernières œuvres, le Maître de Glis manifeste un langage qui, inscrit dans le courant rhénan, évoque aussi bien le diptyque peint à Bâle en 1487 pour Hieronymus Tschekkenbürlin (Bâle, Kunstmuseum) que le vitrail exécuté peu avant 1491 par Hans Noll pour le comte de Valangin dans la collégiale Saint- Vincent de Berne (KURMANN-SCHWARTZ, 1998). Correspond-il dès lors à un peintre bâlois établi en valais depuis l’installation du triptyque de Glis, dont le buffet est dû précisément à un sculpteur de Bâle, Heinrich Isenhut ? Ou doit-on le considérer comme un peintre bernois qui, tel un saisonnier, ferait des incursions répétées dans le diocèse de Sion ? Il serait alors tentant, à titre d’hypothèse de travail, de lui attribuer le carton du vitrail de Berne et de l’identifier avec le peintre bernois Matthäus Mösch (documenté de 1474 à 1507) qui, apparemment présent à Sion en 14976 pour assister au mariage du peintre bavarois Hans Zinngel, est en rapport avant même 1506 avec le comte de Valangin7. À moins qu’il ne faille l’identifier avec ce mystérieux peintre bavarois et, par exclusion, reconnaître Matthäus Mösch dans une personnalité telle que le Maître de saint Béat. Quoi qu’il en soit, ces quelques exemples démontrent la

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nécessité méthodologique, non seulement pour résoudre la question des identités individuelles mais pour reconstruire toute la dynamique des réseaux urbains dévastés par l’iconoclasme protestant, d’accorder une attention particulière à l’espace alpin.

Double périphérie et transpériphérie : la notion d’« espace alpin »

8 Épargnée par l’iconoclasme protestant, la production des régions de montagnes, restées catholiques et plus conservatrices, nous est parvenue dans un état relativement satisfaisant malgré les modernisations liturgiques qui, en particulier à l’époque baroque, l’ont sensiblement raréfiée ou reléguée dans des chapelles d’alpages. Amorcée par les repérages de Johann Rudolf Rahn et conditionnée par les frontières cantonales, son étude se développe durant la première moitié du XXe siècle dans les travaux de connaisseurs tels que Wilhelm Suida sur le Tessin, Rudolf Riggenbach sur le Valais, Erwin Poeschel sur les Grisons ou encore Heribert reiners sur Fribourg, ville qui, sans appartenir à une zone montagneuse, partage les mêmes caractéristiques (SUIDA, 1912 ; RIGGENBACH, 1924 ; POESCHEL, 1929 ; REINERS, 1930). Depuis la Seconde Guerre mondiale, ce repérage se poursuit selon un découpage par canton, adopté par les Monuments d’art et d’histoire, mais tend progressivement à se décloisonner, en adoptant le concept d’« espace alpin ». Celui-ci procède d’une réaction aux nationalismes exacerbés de l’entre-deux-guerres et désigne (à l’instar de la notion d’« Oberrhein » et de celle d’« espace méditerranéen » mise en évidence par les travaux de Fernand Braudel ; BRAUDEL, 1949 ; BRAUDEL, 1985), une unité géographique permanente qui, dans l’ensemble de l’arc compris entre Nice et la Slovénie, présuppose une homogénéité culturelle, résultant des conditions matérielles et économiques. Elle est développée à partir des années 1960, notamment par Enrico Castelnuovo qui insiste sur les alpes comme lieu de rencontre privilégié de courants artistiques, en particulier au moment où fleurit le gothique international, comme l’illustre la mémorable exposition Il Gotico nelle Alpi, organisée à trente en 20028.

9 L’exploitation du concept d’« espace alpin » fédère nombre d’institutions et de chercheurs, soucieux d’interdisciplinarité et de mise en commun d’informations ponctuelles. Elle sous-tend ainsi la création de plusieurs projets internationaux. Lancé en 1992 avec le soutien du CNRS et dirigé par Dominique Rigaux, le programme « PREALP » (Peintures des régions alpines) se concentre sur des objets ancrés dans le territoire, les peintures murales, dont les thèmes iconographiques, systématiquement recensés dans une base de données, servent de cadre à une réflexion sur la migration des formes et le contexte liturgique. Il a permis la publication de plusieurs comptes rendus de journées d’étude ou de colloques et, depuis 2005, de la collection ALPimago, un inventaire photographique du patrimoine conservé dans les vallées alpines9. De son côté, l’association internationale pour l’Histoire des Alpes, fondée en 1995 et présidée par Jean-François Bergier, publie depuis 1996 la revue annuelle Histoire des Alpes, à laquelle collaborent des historiens menant depuis plusieurs années des recherches archivistiques sur des régions particulières. Récemment, une attention soutenue à la portion occidentale de l’arc alpin, centrée sur l’ancien duché de Savoie, s’est manifestée notamment dans l’exposition La Renaissance en Savoie, organisée au Musée d’art et d’histoire de Genève en 2002 et accompagnée du colloque « De l’empire à la mer » (La Renaissance en Savoie..., 2002 ; NATALE, ROMANO). Elle est également développée par

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une série d’expositions qui, inaugurées par le Museo civico de Turin dès 2001, se focalisent sur le domaine moins étudié de la sculpture, en visant là aussi à constituer une base de données, conditionnée cette fois par l’analyse stylistique et intitulée Sculpture médiévale dans les Alpes (Tra Gotico e Rinascimento…, 2001 ; Sculpture gothique, 2003-2004 ; La scultura dipinta…, 2004). Dans la même perspective, elle a généré des recherches dans d’autres domaines techniques et trouvé un aboutissement dans l’exposition Corti e Città, organisée par le Museo civico de turin en 2006, qui propose une admirable synthèse (Corti e Città. 2006).

10 S’il favorise la mobilité d’un réseau économique transfrontalier, l’espace alpin présente, malgré le caractère trompeur du patrimoine conservé, une très faible densité artistique qui lui impose l’importation d’artistes et d’œuvres. Paradoxalement, il constitue lui- même, de ce fait, une zone de frontière, où viennent se rencontrer et terminer leur course différents courants artistiques. Autrement dit, il correspond à ce qu’Enrico Castelnuovo et Carlo Ginzburg appellent une « double périphérie ». Dans la portion située sur le territoire actuel de la Suisse, il se subdivise en deux zones bien distinctes. La partie orientale, qui correspond au noyau primitif de la Confédération (Uri, Schwytz, Unterwald, Lucerne, Zoug), aux Grisons et à la Léventine (vallée au débouché sud du col du passage du Saint-Gothard), est le réceptacle naturel du réseau souabe qui y rencontre un réseau lombard, issu des foyers de Milan et Côme. Dans les Grisons, le Maître de Waltensburg et le Maître de Rhäzuns, originaires probablement de Constance, remontent le Rhin jusqu’à Coire avant de réaliser plusieurs peintures murales dans les vallées alpines, en détenant chacun une sorte de monopole sur plusieurs années, l’un vers 1330-1350, l’autre vers 1400. Leur activité alterne avec celle de peintres lombards comme le Maître de Campione vers 1360 ou les Seregnesi au milieu du siècle suivant (RAIMANN, 1983). À Zoug, Nicolao da Seregno peint en 1466 une Vierge à l’Enfant dans l’église Sankt Michael, où un peintre de culture zurichoise réalise l’année précédente une Crucifixion et, probablement au même moment, des scènes typologiques sur un tissu conservé aujourd’hui, comme les deux peintures murales, au Musée national suisse de Zurich (WÜTHRICH, RUOSS, 1996).

11 Quant à la partie occidentale, elle correspond essentiellement à Fribourg et au diocèse de Sion (le Valais), où le réseau rhénan succède au courant savoyard autour de 1450. Celui-ci demeure toutefois difficile à définir en raison même de son caractère composite, mais il peut être notamment représenté par Pierre Maggenberg qui, documenté à Fribourg de 1404 à 1463, travaille régulièrement à Sion entre 1434 et 1437 avant d’être remplacé par un artiste rhénan, le Maître de Guillaume de Rarogne. Ce dernier, formé probablement à Bâle par un peintre tel que l’auteur du décor de la chapelle Eberler dans l’église Saint-Pierre, est recruté par l’évêque de Sion qui, présent au concile de Bâle en 1439 et guidé par un goût conservateur, l’emmène aussitôt dans son diocèse (FONTANNAZ-FUMEAUX, 1993 ; SCHÄTTI, 2002). Il y est actif jusqu’au milieu du XVe siècle, comme l’attestent les points d’ancrage que constituent les peintures murales dans l’église de Sankt German et dans la chapelle de tourbillon à Sion. Attiré sans doute par une position avantageuse dans le milieu peu concurrentiel d’une cour alpine, il détient un monopole absolu qui en conditionne non seulement la polyvalence, mais aussi l’absence de mise à jour sur les modèles du foyer bâlois. Son langage, qui apparaît encore plein de vie dans le missel de l’évêque (1439) et dans l’ Adoration des Mages destinée au maître-autel de l’église Notre-Dame de Valère (vers 1440), tend ainsi à se figer dans la fin des années 1440, ce qui ne saurait être interprété

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ni comme un « retard stylistique » imputé à la périphérie, ni comme l’intervention d’un collaborateur moins doué.

12 Le cas du Maître de Guillaume de Rarogne démontre la nécessité de prendre en compte le contexte de la commande, non seulement pour comprendre les problématiques liées à la fonction de l’œuvre, mais aussi pour définir les canaux de diffusion d’un courant particulier. En l’occurrence, il met en évidence un phénomène qui, généré par le rayonnement exceptionnel d’un foyer à l’occasion d’événements diplomatiques d’envergure internationale (conciles, traités, etc.), induit l’exportation d’artistes et d’œuvres dans des régions parfois éloignées. récemment forgée par Peter Cornelius Claussen, la notion de « transpériphérie » apporte ainsi une nuance à celle de « périphérie » en ce qu’elle désigne un éloignement plus grand par rapport à un « centre » déterminé (CLAUSSEN, 1994). Elle ne présente qu’un intérêt relatif dans le cas d’un peintre bâlois qui, s’il ne passe pas par le relais bernois, travaille néanmoins dans un réceptacle naturel du réseau rhénan, le diocèse de Sion. Elle acquiert une plus grande pertinence lorsqu’elle rend compte d’un parachutage inattendu. De ce fait, le concile de Bâle, dont l’impact, capital pour l’histoire de l’art occidental, reste à étudier de manière globale en recensant patiemment les traces parfois infimes de son rayonnement, en fournit quelques exemples. Convoqué dès 1431, il est arbitré par le duc de Savoie Amédée VIII qui conditionne la présence à Bâle de son enlumineur Péronet Lamy et, de manière plus globale, la germanisation du gothique international dans ses propres terres, comme en témoignent l’évolution de Giacomo Jaquerio ou celle de Jean Bapteur, auquel pourrait revenir la conception (et non l’exécution) d’un Portement de croix fortement endommagé dans l’église Saint-Jean de Fribourg vers 145510. Mais il explique aussi le parachutage dans le duché de Savoie d’artistes recrutés à Bâle, comme l’architecte et sculpteur Matthäus Ensinger, présent à ripaille en 1435, le peintre Konrad Witz, qui réalise peut-être avec ce dernier le maître-autel de la cathédrale de Genève en 1444, véritable manifeste de l’ars nova dans la région, ou encore le peintre Hans Witz.

13 Originaire d’Eichstätt en Bavière et recruté à Bâle par Amédée VIII (devenu pape en 1439 sous le nom de Félix V), Hans Witz travaille à Chambéry en 1440 puis à Genève de 1452 à 1475 avant de terminer sa carrière à la cour de Milan en 1478. On lui attribue un groupe cohérent d’une demi-douzaine d’œuvres qui, organisées autour de la peinture murale représentant le tombeau de Philibert de Monthouz dans l’église Saint-Maurice d’Annecy (1458), révèlent une acclimatation progressive au milieu savoyard et permettent par là même d’évaluer la densité artistique de ce dernier (STERLING, 1986)11. Par ailleurs, l’itinéraire du peintre bavarois atteste la grande mobilité des artistes, dont le parcours individuel n’est pas toujours superposable à un mouvement migratoire plus vaste : le Maître de Georges de Challant, un enlumineur peut-être dijonnais, est ainsi importé dans les cantons helvétiques avec le butin des guerres de Bourgogne et est actif successivement à Fribourg, à Berne, dans le diocèse de Sion et dans celui d’Aoste (VALLET, 1999 ; JÖRGER, 2001). Il met ainsi en évidence deux versants d’un même phénomène : celui de l’artiste, conditionné par le marché du travail, spécifique à une technique ; celui du commanditaire, déterminé par un choix culturel et posant la question des identités collectives.

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La question des identités collectives

14 Les notions d’« Oberrhein » et d’« espace alpin » désignent, comme on l’a vu, des unités géographiques qui, indifférentes aux fluctuations des frontières nationales, présupposent des identités culturelles spécifiques et permanentes. Si elles ne se traduisent en aucun cas dans une homogénéité stylistique de la production, elles permettent au moins de découper le territoire actuel de la Suisse en deux zones distinctes, rattachées à des espaces plus vastes et caractérisées chacune par ses propres conditions économiques et matérielles. Elles fournissent ainsi des cadres suffisamment larges pour analyser les échanges artistiques, nécessairement transfrontaliers. Cependant, si elles procèdent d’une réaction aux nationalismes, elles n’en demeurent pas moins sous-tendues, depuis les années 1960, par l’idée croissante d’une communauté européenne et ne sauraient donc gommer les identités politiques qui existent ou se développent précisément dans la période considérée. On peut évoquer d’une part les frontières des diocèses de Bâle et de Constance, qui conditionnent en partie l’aire de diffusion des réseaux rhénan et souabe, d’autre part et surtout la constitution progressive de la Confédération helvétique. Celle-ci, dont on situe symboliquement la naissance dans le pacte de 1291 entre les cantons d’Uri, Schwytz et Unterwald, compte en 1513 dix autres cantons qui se sont greffés les uns après les autres sur le noyau primitif afin de garantir leur autonomie par une alliance militaire. Elle s’accompagne dès le dernier quart du XVe siècle d’un « sentiment national » qui, consolidé par les guerres menées contre l’oppresseur habsbourgeois, se traduit dans la création d’une histoire commune, nourrie de mythes tels que le serment du Grütli ou le personnage héroïque de Guillaume Tell, et dont l’étude connaît une nouvelle impulsion depuis les manifestations liées au cinq centième anniversaire de la guerre de Souabe (1499), événement scellant symbolique- ment l’autonomie des cantons helvétiques (NIEDERHÄUSER, FISCHER, 2000).

15 Comment s’exprime ce « sentiment national » dans les arts ? Comme l’a mis en évidence Hans-Christoph Von Tavel, il se manifeste notamment dans l’illustration enluminée puis gravée des chroniques ainsi que dans le décor des hôtels de villes, qui comporte régulièrement des vitraux aux armes des différents cantons et parfois des représentations de batailles remportées par les Confédérés, tel le tableau de la bataille de Morat peint en 1480 par Heinrich Büchler pour l’hôtel de ville de Fribourg et aujourd’hui perdu (VON TAVEL, 1992). Mais il doit également s’articuler sur la géographie artistique. Dans cette perspective, il s’agit d’interpréter les choix culturels opérés dans les « doubles périphéries », dans les zones de frontière, là où les identités s’affirment avec force. L’importation du courant rhénan dans le diocèse de Sion semble ainsi motivée par l’alliance de celui-ci avec les cantons helvétiques. En revanche, celle du courant souabe en Léventine au début du XVIe siècle s’apparente à une véritable colonisation artistique qui accompagne l’invasion militaire de la région par les habitants du canton d’Uri (ELSIG, 2000b). Au même moment, l’expansion de la renaissance danubienne, qui touche des artistes tels que Hans Leu le Jeune à Zurich, Urs Graf à Bâle et Niklaus Manuel Deutsch à Berne, reste plus difficile à interpréter. Amorcée à la cour des Habsbourg, elle relève d’une domination symbolique de l’empire, qui semble subordonner l’identité politique de la Confédération à une identité culturelle plus vaste, la Germania telle que la conçoit l’humaniste Conrad Celtis12. La réforme vient encore compliquer la problématique. Introduite dès les années 1520 dans

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les trois plus grands foyers artistiques (Zurich, Bâle et Berne), elle provoque non seulement une vague d’iconoclasme, mais aussi un arrêt brutal de la production qui modifie substantiellement la géographie artistique, en contraignant notamment les zones alpines restées catholiques à importer des objets liturgiques de diverses régions, souvent plus éloignées (Iconoclasme…, 2001). Elle génère ainsi une division confessionnelle qui, au sein de la Confédération, conduit à une stratification des identités collectives.

16 Ce rapide aperçu des problématiques abordées par la recherche récente suffit à démontrer l’intérêt que présente le territoire actuel de la Suisse pour mettre en évidence les enjeux méthodologiques de la géographie artistique. Celle-ci doit tenir compte de la disparité propre à un « territoire culturel », résultant des destructions, dispersions, migrations et autres transformations au cours du temps (GAMBONI, 1993, p. 10-17 ; DACOSTA KAUFMANN, 2004 ; DACOSTA KAUFMANN, PILLIOD, 2005). Elle articule dès lors deux niveaux qui interagissent généralement de manière implicite et simultanée dans le jugement critique d’un connaisseur. Le premier, celui du style individuel, consiste à envisager empiriquement l’unité irréductible de l’œuvre et à la replacer dans le parcours d’une personnalité lorsque cela est possible. Le deuxième, celui du style collectif, en déduit la logique des courants artistiques, dont le cadrage géographique doit être débarrassé de ses scories idéologiques par un examen historiographique puis interprété à la lumière des identités collectives propres à la période considérée. En retour, il lui fournit les présupposés qui rendent possibles de nouvelles hypothèses de travail, conditionnant ainsi la dynamique même de la recherche.

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NOTES

1. Voir aussi les actes du colloque tenu à Lugano sur le thème « La Suisse dans le paysage artistique… », 1984, p. 65-136 ; Elsig, 2003. 2. Pour une contextualisation, voir aussi ABALEA, 2003. 3. Wirth, 2004, p. 125-133. Le livre de Gutscher, Villiger, 1999, est paru parallèlement à l’exposition organisée au Musée des beaux-arts de Dijon, 17 décembre 1999-28 février 2000. 4. Pour Hans Fries, voir VILLIGER, SCHMID, 2001 (livre accompagnant l’exposition du Musée d’art et d’histoire de Fribourg). Notons la réapparition récente sur le marché (Paris, Christie’s, 24.06.2004, n° 39) d’une petite Sainte Famille, dont la trace était perdue depuis la fin du XIXe siècle. 5. Les revers sont mis en vente à Drouot, l’un le 25.06.1999 (n° 18), l’autre le 25.06.2003 (n° 17). Les avers sont reproduits par B. Konrad dans Himmel…, 1994, p. 249-250. 6. « Magister Mathey pictor de Berno » ; Sion, Archives du Chapitre, B 68 I/573-74. 7. Neuchâtel, Archives d’État, Y13, n. 6. 8. Die Alpen…, 1965. Parmi les textes fondamentaux d’Enrico Castelnuovo, voir CASTELNUOVO, 1967a ; CASTELNUOVO, 1967b ; CASTELNUOVO, 1979 ; CASTELNUOVO, 1987 ; voir également Il Gotico…, 2002. 9. Parmi les publications dirigées par Dominique Rigaux, voir RIGAUX, 1994 ; RIGAUX, 1997 ; RIGAUX, 2002. Le premier numéro de la collection ALPimago vient de paraître : Val Sermenza…, 2005. 10. Sur le gothique international dans le duché de Savoie, voir ROMANO, 1996 ; SARONI, 2004. Pour la période antérieure, voir CASTRONOVO, 2002. 11. Voir aussi les notices que nous consacrons au peintre dans El Renacimiento…, 2001. 12. Sur l’ambivalence des rapports entre les Confédérés et les Habsbourg, voir l’art des Habsbourg, numéro coordonné par Jezler, 1996.

RÉSUMÉS

L’article se donne deux objectifs, l’un historiographique, l’autre méthodologique. D’une part, il vise à rendre compte de la recherche menée jusqu’à aujourd’hui dans le domaine des arts produits sur le territoire actuel de la Suisse à la fin du Moyen Âge, en se focalisant

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principalement sur la peinture. D’autre part, il met en évidence, à partir de quelques dossiers en chantier, divers aspects de la géographie artistique. il propose ainsi de subdiviser le territoire en deux zones culturelles (l’« Oberrhein » et l’« espace alpin ») qui, essentiellement définies au cours du XXe siècle, fournissent un cadre idéal pour analyser les courants stylistiques reliant un centre à une périphérie ou à une transpériphérie, puis les interpréter à la lumière des identités collectives propres à la période considérée, en l’occurrence la constitution progressive de la confédération des XIII cantons entre 1291 et 1513. Ce faisant, il cherche à démontrer que le niveau empirique du connoisseurship nourrit le niveau théorique de la géographie artistique, lequel en détermine à son tour les présupposés et conditionne ainsi toute la dynamique de la recherche.

The present article has two main historiographical and methodological objectives. First, it aims to present an overview of past and current research on the arts of the late Middle ages, as practised within the geographical area of present-day Switzerland, with a particular focus on painting. Second, it highlights certain aspects of “the geography of art” on the basis of a number of ongoing studies. The article divides the territory into two culturally distinct re- gions, the Oberrhein and the alpine area. Essentially a 20th- century distinction, these regions provide an ideal framework for the analysis of the stylistic currents linking a cultural cen- tre with peripheral or transperipheral zones, and their subse- quent interpretation in light of the specific collective identities of the period – namely the progressive constitution of the 13 cantons of the Swiss confederation, from 1291 to 1513. In this way, the article aims to demonstrate that the empirical approach of connoisseurship can confirm and reinforce the theoretical approach of the “geography of art” which itself determines the article’s pre-suppositions, and the research dynamic as a whole. laurent langer, Art Nouveau and Symbolism in Swiss painting: an overview of current research International awareness of Swiss art c.1900 is often limited to a few notable figures such as arnold Böcklin or Ferdinand Hodler. and yet many other artists active in Switzerland at the time were influenced by art Nouveau and the Symbolist movement, and produced work of great quality. Over the past several years, numerous stimulating studies have explored Swiss painting around the year 1900: monographs and catalogues raisonnés, as well as thematic studies and overviews. The author proposes a cross-disciplinary overview of recent research on Swiss painting around 1900, with a historiographical summary that highlights the central role of the city of Zurich, and the major retrospective exhibitions held there in the 1950s and 1960s. International studies of leading figures such as Böcklin, Hodler and Félix Vallotton have also shed new light on the great stylistic diversity of modern art in Switzerland. the article goes on to explore a range of themes specific to the region, and the period, namely the concept of a “national school of art” the role of large decorative murals, and rural primitivism. Finally, the article stresses the recent research focus on regional artistic phenomena, in light of our improved understanding of the involvement of Swiss artists in international movements.

Der artikel verfolgt eine historiografische und eine methodolo- gische Herangehensweise. auf der einen Seite wird versucht, die Forschungsentwicklung bis heute auf dem Gebiet der Schwei- zer Kunstproduktion, vor allem der Malerei, des Mittelalters darzustellen. auf der anderen Seite werden anhand von aktuel- len Forschungsprojekten verschiedene aspekte der Schweizer Kunstlandschaft herausgestellt. So wird vorgeschlagen, das Gebiet in zwei Kulturzonen zu unterteilen (Oberrhein und alpin- gebiet), die seit ihrer Definition im 20. Jahrhundert einen idealen Rahmen für die Stilanalyse bilden. Die Stilentwicklungen schaffen Verbindungen zwischen Zentrum und Peripherie oder transperipherie und werden als kollektive identität einer bestimmten Epoche interpretiert, wie zum Beispiel die allmähliche Gründung des Zusammenschlusses der dreizehn Kantone zwischen 1291 und 1513. So wird aufgezeigt, dass der empirische ansatz der Kunstkenntnis den theoretischen ansatz zur Kunstlandschaft bereichert.

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Die theorie wiederum vermag es, die Grundlagen festzulegen und somit die Dynamik der Forschung zu bedingen.

L’articolo ha due obiettivi : l’uno storiografico e l‘altro metodologico. Da un lato, mira a spiegare la ricerca condotta fino ad oggi nel settore delle arti prodotte nel territorio della Svizzera odierna alla fine del Medioevo, focalizzandosi soprattutto sulla pittura. D‘altra parte, evidenzia, a partire da alcuni esempi in cantiere, diversi aspetti della geografia artistica. così si propone di dividere il territorio in due zone culturali (« Oberrhein » e l’« ambito alpino ») che, principalmente definite nel corso del XX secolo, forniscono un quadro ideale per analizzare le correnti stilistiche che collegano un centro ad una periferia o ad una transperiferia, e quindi d’interpretarle alla luce delle identità collettive proprie del periodo considerato : in questo caso la costituzione progressiva della confederazione dei tredici cantoni tra 1291 e 1513. così facendo, si cerca di dimostrare che il livello empirico del connoisseurship alimenta il livello teorico della geografia artistica, che ne determina, a sua volta, i presupposti e condiziona così l’intera dinamica della ricerca.

El artículo tiene dos objetivos, uno historiográfico, el otro metodológico. Por una parte, aspira a testimoniar sobre la investigación llevada a cabo hasta hoy en día en el campo del arte producido sobre el territorio actual de Suiza a finales de la Edad Media, enfocalizando principalmente sobre la pintura. Por otra parte, pone en evidencia, a partir de unos archivos pendientes, varios aspectos de la geografía artística. así es como propone subdividir el territorio en dos zonas culturales (el « Oberrhein » y el « espacio alpino »), esencialmente definidas durante el siglo XX, las que proporcionan un marco ideal para analizar las corrientes estilísticas que unen un centro con una periferia o con una transperiferia, y luego interpretarles a la lumbre de las identidades colectivas propias del período considerado, en este caso la constitución progresiva de la confederación de los Xiii cantones entre 1291 y 1513. trata por lo mismo de demostrar que el nivel empírico del connoisseurship alimenta el nivel teórico de la geografía artística, que determina a su vez los presupuestos y acondiciona así toda la dinámica de la investigación de ello.

INDEX

Palabras claves : Castelnuovo (Enrico) Index géographique : Suisse Keywords : manifesto, modernity, Art Nouveau, symbolism, exhibition, historiography, research Mots-clés : manifeste, modernité, Art nouveau, symbolisme, exposition, historiographie, recherche Index chronologique : 1800, 1900

AUTEUR

FRÉDÉRIC ELSIG Maître-assistant en histoire de l’art médiéval et moderne à l’Université de Genève, a participé notamment à l’élaboration des expositions El Renacimiento Mediterraneo (Madrid, 2001), Hieronymus Bosch (Rotterdam, 2002) et Corti e Città (Turin, 2006) et codirigé l’exposition La Renaissance en Savoie (Genève, 2002). Il est l’auteur de Hieronymus Bosch : la question de la chronologie (Genève, 2004), La peinture en France au XVe siècle (Milan, 2004) et La naissance des genres (Paris,

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2005). Il prépare actuellement le catalogue des peintures flamandes et hollandaises des XVIIe-XVIIIe siècles du Musée d’art et d’histoire de Genève.

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Art nouveau et Symbolisme en Suisse : état de la recherche sur la peinture, 1890-1914 Laurent Langer, Art Nouveau and Symbolism in Swiss painting : an overview of current research Laurent Langer, Jugendstil und Symbolismus in der Schweizer Malerei. Der aktuelle Forschungsstand. Laurent Langer, La pittura « Art nouveau » e simbolista in Svizzera : stato della ricerca Laurent Langer, La pintura « Arte nuevo » y la pintura simbolista en Suiza. Estado de la investigación

Laurent Langer

L’auteur tient à remercier chaleureusement Paul-André Jaccard pour la relecture de ce texte et ses conseils avisés, ainsi que Paul Müller.

1 La date retenue pour le début de cette chronique, 1890, se justifie aisément : 1890 est en effet l’année du premier chef d’œuvre symboliste de Ferdinand Hodler, La nuit, et celle de la première Exposition nationale suisse des beaux-arts à Berne. La peinture de Hodler, marquée par l’art de Puvis de Chavannes, a valeur de manifeste : refusée à l’exposition municipale de Genève de la même année, elle vaut une médaille à son auteur lors du Salon du Champ de Mars de 1891 à Paris. Par son thème, ses références, et aussi grâce au scandale et au succès parisien qu’elle provoque, cette peinture fait entrer son auteur et par là même la Suisse de plein pied dans la modernité. Au printemps de cette même année, le public suisse assiste à la première manifestation artistique officielle de l’État fédéral : organisée par la toute récente Commission fédérale des beaux-arts (1888), l’Exposition nationale suisse des beaux-arts, qui devait révéler au grand jour la qualité de l’art national, échoue en exposant une école peu unifiée et des œuvres de qualité médiocre1.

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2 La date finale de 1914, réputée pour porter le coup de grâce aux mouvances de l’art nouveau et du symbolisme, ne représente pas une coupure aussi claire pour le domaine suisse. Les artistes de la génération 1850-1860, comme Ferdinand Hodler, Ernest Biéler ou Max Buri, restent en fait fidèles aux préceptes de l’art nouveau après le début de la Première Guerre mondiale, tandis que les artistes nés au cours des décennies suivantes, tels René Auberjonois, Augusto Giacometti ou Paul Klee, un temps marqués par les thèmes symbolistes ou les couleurs exacerbées de l’art nouveau, se tournent rapidement vers d’autres formes d’expressions avant même 1914.

3 Entre 1890 et 1914, le champ artistique suisse change radicalement : l’apparition de nouveaux acteurs politiques, de nouveaux financements et de nouvelles possibilités d’expositions modifient profondément les conditions du marché, la place des artistes dans l’État et les conditions de la création. Parallèlement, la scène artistique se scinde en deux, composée d’une part des mouvements modernistes antinaturalistes dont Hodler est le champion, et d’autre part des peintres et sculpteurs de la même génération, restés fidèles au naturalisme, et qui finiront par être des laissés-pour- compte de la modernité, ainsi que de la critique pour un temps.

4 Après quelques publications au cours des années 1950 et 1960, l’historiographie de cette période débute véritablement, comme ailleurs, dans les années 1970 et 1980 avec la remise en valeur de plusieurs figures, dont celle, majeure, de Hodler. Plus récemment, de nouvelles histoires de l’art suisse, ainsi que des études consacrées aux institutions artistiques du pays, apportent de nouveaux éléments permettant une meilleure compréhension de ces années cruciales pour les beaux-arts helvétiques.

De 1940 à l’an 2000, une redécouverte progressive de l’art suisse autour de 1900

Mouvement dans les manuels généraux

5 Avant que des recherches ne soient exclusivement consacrées à l’art nouveau suisse, les histoires de l’art helvétique forment les premiers ouvrages qui tentent de donner une image d’ensemble de la période de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Dans les années 1940 déjà, deux ouvrages historiques traitent de l’époque 1900.

6 En 1945, François Fosca, qui a abandonné les pinceaux pour l’écriture et l’enseignement, offre un discours nuancé et un panorama de la peinture 1900 très complet, et s’arrête sur la personnalité incontournable de Hodler, puis longuement sur celle de Félix Vallotton, dont il loue la démarche jugée indépendante (FOSCA, 1945). Trois ans plus tard, Adrien Bovy, professeur d’histoire de l’art à l’université et conservateur de musée, reconnaît certes dans La peinture suisse de 1600 à 1900 qu’il existe un « style » de l’époque 1900, mais le considère comme « le plus démodé qui soit » (BOVY, 1948, p. 173).

Zurich en tête des études sur la période 1900 ; Hodler ; le mouvement symboliste

7 Au cours des années 1950 et 1960, une série d’expositions autour de l’art nouveau a lieu à Zurich, l’une des villes suisses qui a connu une forte expansion démographique

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autour de 1900, et donne l’occasion de redécouvrir l’art suisse de la fin du XIXe et du début du XXe siècle (REBSAMEN, 1979). Hans Curjel et Werner M. Moser, fils du grand duo d’architectes allemands Curjel & Moser2, mettent sur pied en 1952 une rétrospective sur l’art décoratif autour de 1900 pour le premier (Um 1900, 1952) et une présentation de l’œuvre de Frank Lloyd Wright au Kunsthaus pour le second (Wright, 1952). Six ans après, l’association d’artistes « L’œuvre » commémore les 90 ans de Henri Van de Velde, qui était établi dans la région zurichoise (Van de Velde, 1958). Quinze ans plus tard, l’exposition Neue Kunst in der Schweiz zu Beginn unseres Jahrhunderts [Nouvelles formes artistiques en Suisse au début de notre siècle] remet pour la première fois à l’honneur les œuvres de , Ernest Biéler, ou encore Max Buri, figures aujourd’hui bien connues, mais qui avaient été pour la plupart oubliées du grand public (Neue Kunst..., 1967).

8 Suite à l’ouvrage d’Adolf Reinle de 1962 qui se limite à la figure de Hodler pour la période 1900 (REINLE, 1962), Hans Christoph Von Tavel livre sept ans plus tard, avec Un siècle d’art suisse. Peinture et sculpture de Böcklin à Giacometti, une première somme sur l’art helvétique du XIXe et de la première moitié du XXe siècle (VON TAVEL, 1969). La partition chronologique originale de la période, qu’il établit par générations, rapproche des artistes par-dessus les frontières linguistiques nationales, les techniques et parfois même les styles. Cette partition prend tout son sens lorsqu’il lie Cuno Amiet, Giovanni Giacometti et Max Buri, tous trois nés en 1868, amis proches qui partagent de nombreux points communs, mais est moins opérante pour les artistes de la génération précédente, ainsi que pour la figure majeure de Hodler qui pousse l’auteur à mettre à mal son cadre générationnel en lui consacrant un long chapitre à part.

9 Florens Deuchler, Marcel Roethlisberger et Hans A. Lüthy, dans leur synthèse sur la peinture suisse du Moyen Âge à l’aube du XXe siècle publiée en 1975, traitent isolément Hodler mais aussi Böcklin. Le souci d’insérer l’art suisse dans un contexte plus international marque un chapitre consacré au Symbolisme, où ils se penchent sur quelques peintres dont Carlos Schwabe, un allemand de Hambourg qui s’est formé à Genève, redécouvert ici pour la première fois (DEUCHLER, ROETHLISBERGER, LÜTHY, 1975). Huit ans plus tard, H. A. Lüthy revient sur le rapport entre art suisse et symbolisme à travers la participation d’un groupe d’artistes suisses au premier Salon de la Rose+Croix (LÜTHY, HEUSSER, 1983).

10 La rétrospective consacrée à Hodler en 1983 à Paris, Berlin et Zurich (Hodler..., 1983), constitue sans aucun doute un autre fait marquant de l’historiographie de l’art suisse autour de 1900. La reconnaissance internationale du plus important peintre symboliste suisse qu’a apportée cette manifestation a certainement contribué à remettre en lumière les membres de ce qu’on appellera la « clique » de Hodler, tel qu’a été nommé le groupe d’artistes modernistes proches du maître lors de la polémique des fresques au Musée national et qui se trouvait dans son ombre jusqu’à cette date. Ainsi, la première monographie sur Cuno Amiet, grand ami de Hodler, voit le jour en 1984 ; le musée de Genève organise trois expositions successives sur des peintres symbolistes, souhaitant visiblement mettre en valeur les épigones et contemporains de Hodler présents dans ses collections : le peintre et architecte symboliste Albert Trachsel, proche de Hodler (Trachsel…, 1984), ainsi que les peintres symbolistes genevois Alexandre Perrier (Perrier…, 1986) et Carlos Schwabe (Schwabe…, 1987).

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Le rôle des expositions commémoratives

11 La synthèse de ces différentes publications, mais aussi des nombreuses recherches qui paraissent depuis les années 1970, a lieu en l’an 2000. En Suisse comme dans d’autres pays, le jubilé de l’an 2000 a été l’occasion de faire le point sur les connaissances portant sur l’art nouveau et le symbolisme au travers d’expositions et d’ouvrages ambitieux (Amiet…, 2000 ; Berta..., 2000 ; Die Familie Giacometti, 2000 ; MÜLLER, 2000 ; SENTISCHMIDLIN, 2000 ; Symbolisme et Art nouveau…, 2000). La manifestation helvétique intitulée Symbolisme et Art nouveau dans la peinture suisse se déroulait parallèlement à d’autres expositions à Londres (Art nouveau 1890-1914, 2000), New York (1900. La belle époque…, 2000), ou Paris (1900, 2000) et insérait par cette coïncidence chronologique l’art suisse dans un contexte international.

12 Un des partis pris de l’exposition consistait à ne présenter que des œuvres marquées par les mouvances de l’Art nouveau et du Symbolisme, ce qui a permis la (re)découverte de nombreux artistes et œuvres méconnus, voire inconnus dans certaines parties du pays, ainsi que la mise en évidence de questionnements formels et thématiques, mais aussi existentiels, qui préoccupaient les artistes suisses du temps. Ce refus d’illustrer la concurrence des styles donnait une image avant tout « avant-gardiste » de la production suisse.

13 Pourtant, vingt ans auparavant, l’exposition Kunstszene Schweiz 1890 [La scène artistique suisse en 1890] du Musée des beaux-arts de Berne (Kunstszene Schweiz…, 1980), qui visait à reconstituer la première Exposition nationale suisse des beaux-arts, avait offert un très intéressant « instantané » de la création à la fin du XIXe siècle et permettait de prendre la mesure de la diversité stylistique d’une période, mais en en proposant plus une photographie qu’une interprétation. En 1998, cette même diversité a pu être relue à travers des thèmes transversaux et originaux lors de l’exposition consacrée à la peinture suisse de 1848 à 1900 commémorant les 150 ans de la Constitution fédérale, texte fondateur de la Suisse moderne (Von Anker bis Zünd…, 1998)3.

14 Le renouveau de ces études a permis de mettre en avant trois grandes thématiques dans l’art en Suisse autour de 1900 : de grandes figures qui développent différentes expressions de la modernité au sein de l’art nouveau et du Symbolisme ; des problématiques prégnantes pour la période, liées à l’histoire nationale ; l’individuation de groupes ou d’écoles, partagées entre les centres étrangers et un contexte local helvétique.

Consécration internationale d’artistes suisses par les monographies et les expositions

Arnold Böcklin, symboliste de la première heure

15 Arnold Böcklin naît en 1827, soit particulièrement tôt par rapport aux autres peintres actifs autour de 1900, qui voient le jour au cours des décennies 1850, 1860 et 1870 principalement. Le Bâlois, qui décède en 1901, réalise au cours de ses dix dernières années certaines de ses toiles les plus importantes comme La guerre ou La peste (1898, Bâle, Kunstmuseum) et marque de nombreux d’artistes germaniques comme le

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Munichois Franz von Stuck, le natif de Leipzig Max Klinger, ou encore les Suisses Hans Sandreuter (Fin de Siècle…, 2001) et Albert Welti (GLOOR, 1987 ; Albert Welti…, 1991).

16 L’année 1977, qui coïncide avec le 150e anniversaire de la naissance du peintre, a été l’occasion d’ériger plusieurs monuments à Böcklin : d’une part une monographie avec le catalogue raisonné de ses peintures par Rolf Andree (ANDREE, 1977 (1998)), d’autre part les expositions importantes de Bâle (Böcklin..., 1977a) et Darmstadt (Böcklin…, 1977b)4. Outre l’ensemble de l’œuvre peint, qui permet notamment de saisir le phénomène des répétitions comme acte créateur, la monographie contient plusieurs essais dus à des spécialistes des différentes questions abordées. Parallèlement à des investigations de nature technologique (KÜHN, 1977) ou statistique (HOHLENWEG, 1977), Winfried Ranke, dans sa contribution consacrée aux « Böcklinmythen » (mythes Böckliniens, RANKE, 1977), considère le premier les tableaux du peintre d’un point de vue historique et en rapport avec l’histoire des mentalités et rompt avec les idées reçues de l’historiographie du XIXe siècle. Quant au catalogue de Darmstadt, il aborde la personnalité du peintre sous des angles multiples, tant sur l’historiographie, l’iconographie que sur des problèmes plastiques (sur la lumière notamment).

17 Depuis cette date, les études sur le peintre de Bâle ont été relativement moins nombreuses. Néanmoins, l’ouvrage sur les liens entre Böcklin et l’antique se penche principalement sur l’artiste en tant qu’illustrateur de la littérature romantique allemande (LINNEBACH, 1991). Dernièrement, l’anniversaire du centenaire de la mort du peintre a été l’occasion d’une importante exposition (Bâle, Paris, Munich) et a permis de revenir sur les dernières recherches comme l’inachevé, l’œuvre dessiné, ou encore les liens de Böcklin avec l’Allemagne ou avec la France (Böcklin…, 2002).

Ferdinand Hodler, peintre national suisse

18 Sans aucun doute, Hodler, reconnu comme peintre national de son vivant, constitue la personnalité artistique emblématique pour le passage du XIXe au XXe siècle en Suisse. Dès les années 1960 et 1970, son œuvre attire l’attention des chercheurs5 et depuis une vingtaine d’années a fait l’objet d’une réflexion plus poussée par période, thème ou genre. Les problématiques principales en sont les liens entre le peintre et une région helvétique (Hodler et Fribourg…, 1981 ; Das Engadin Ferdinand Hodlers…, 1990 ; Hodler und der Oberaargau, 1992 ; Hodler et Genève…, 2005) ou un pays étranger (Hodler und Wien, 1992 ; BRÜSCHWEILER, 1999 ; VERSPOHL, 1999), les différents styles éprouvés, entre réalisme et naturalisme durant sa jeunesse (1870-1890 : Der Frühe Hodler…, 1981), ou les thèmes symbolistes de sa maturité (HIRSH, 1983), ses peintures d’histoire (GRISEBACH, 1983 ; Hodler…, 1991), ses paysages (Hodler…, 1983 ; Hodler…, 1987 ; STÜCKELBERGER, 1990 ; Hodler. Le paysage…, 2003), ses portraits (BRÜSCHWEILER, 1976 ; AFFENTRANGER- KIRCHRATH, 1994 ; BÄTSCHMANN, 1994 ; Amiet..., 1994 ; KOELLA, 1999a ; POIATTI, 2005), ou encore ses décorations murales6.

19 Parmi les études innovantes, Oskar Bätschmann, dans un article sur la combinatoire compositionnelle de Hodler, pose un regard original sur les toiles du peintre (BÄTSCHMANN, 1986). Il révèle d’une part les lignes de composition et les rythmes auxquels Hodler recourt dans différentes peintures et qui trahissent le parallélisme, principe de construction de ses toiles symbolistes (Hodler et Fribourg…, 1981 ; BRÜSCHWEILER, 1985 ; VIGNAU-WILBERG, 1994) et d’autre part identifie dans l’œuvre graphique des schèmes compositionnels qui, décomposés ou recomposés, reparaissent

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dans d’autres œuvres. Il démontre ainsi qu’un seul dessin de 1893 contient en lui le germe des compositions majeures que sont L’élu7, Le jour8 et La vérité9 et de plusieurs aquarelles et affiches.

20 Cette approche formaliste se retrouve dans une exposition de l’Aargauer Kunsthaus de 1998 qui présentait côte à côte Hodler et Piet Mondrian, montrant non seulement leur intérêt commun pour le symbolisme et la théosophie mais aussi combien l’œuvre du Hollandais semble à bien des égards prolonger celle du Suisse, poussant l’abstraction là où Hodler n’a pas franchi le pas (Holder-Mondrian…, 1998). D’autres ouvrages ont mis Hodler en parallèle avec d’autres grands peintres de la même période, comme Paul Cézanne, Henri Matisse ou Edvard Munch (BÄTSCHMANN, 1986 ; AFFENTRANGER- KIRCHRATH, 1994 ; ROSENBLUM, 1996 (1978)).

Vallotton et Steinlen, deux anti-symbolistes dans le Paris 1900

21 Bien qu’il participe au premier Salon de la Rose+Croix en 1892, le vaudois Félix Vallotton, né en 1865, ne s’intéresse guère aux sujets idéaux, ésotériques et mystérieux privilégiés par le Sâr Péladan. Dès l’année suivante, il se lie au groupe des nabis et peint, à l’encontre du règlement rosicrucien, des scènes de genre de la vie moderne (vues de rues parisiennes, de grands commerces bondés, couples surpris dans l’exiguïté de leur relation), d’imposants nus féminins selon la grande tradition de l’histoire de l’art, ou des paysages recomposés à la manière des grands peintres classiques du XVIIe siècle selon un modèle poussinesque.

22 Dès la monographie de 1985, avec des articles axés notamment autour du Bain au soir d’été (BUSCH, 1985b ; DORIVAL, 1985) jusqu’aux études plus récentes d’Adams (ADAMS, 1992) et de Brodskaja (BRODSKAJA, 1996), la recherche internationale catégorise surtout Vallotton comme le « nabi étranger », surnom donné à Vallotton par les autres membres de la pseudo-confrérie. En revanche, Marina Ducrey, auteur du tout récent et monumental catalogue raisonné de l’œuvre peint (DUCREY, 2005), insiste dans ses différentes publications pour mettre au même plan tant les différentes périodes artistiques que les différents genres dans lequel s’est exprimé le peintre (DUCREY, 1989 ; DUCREY, 2001 ; DUCREY, 2005). L’intégralité de l’œuvre peint permet de saisir dans toute leur ampleur les différents genres que Vallotton a pratiqués, puisque l’auteur les traite isolément, et définit, à l’aide de graphiques, les périodes entières consacrées à des thèmes spécifiques.

23 Après sa période nabie, Vallotton traite, entre autres, le paysage et le nu, qu’il avait déjà abordés précédemment, mais de manière peu suivie. Rudolf Koella dévoile le procédé hérité du Grand Siècle que Vallotton adopte dans ses paysages composés : sur la base de croquis dessinés sur le motif, le peintre recompose son sujet en atelier, éliminant ainsi les détails superflus, simplifiant les formes et exacerbant les couleurs (KOELLA, 1992). Quant aux nus, ils sont traités isolément dans la littérature sur Vallotton dès la monographie de 1985 (GRAINVILLE, 1985 ; NEWMANN, 1992). Mais la première exposition limitée à ce genre date de 1997 seulement (Vallotton..., 1997).

24 Théophile Alexandre Steinlen, né en 1859, n’a pas davantage été tenté par les sujets symbolistes que son compatriote Vallotton, dont il est d’ailleurs fréquemment rapproché. Bien au contraire même, puisque l’œuvre graphique et peint de Steinlen est essentiellement consacré au petit peuple et à l’ouvrier parisiens et fréquemment associé aux événements révolutionnaires et aux mouvements sociaux qui ébranlent la

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capitale. Malgré la thématique commune aux dessins et aux peintures, la littérature consacrée à Steinlen insiste avant tout sur son activité d’illustrateur (PIANZOLA, 1971 ; DITMAR, 1984 ; Steinlen et l’époque 1900, 1999 ; Steinlen…, 2004). La prévalence du dessinateur sur le peintre semble provenir de l’artiste lui-même qui « ne semble pas s’être vu en premier lieu comme un peintre […] dans les expositions organisées de son temps, il a plutôt mis l’accent sur les dessins et les gravures » (PIANZOLA, 1971, p. 93). Néanmoins, de nombreuses recherches sur Steinlen restent à effectuer10 .

Giovanni Giacometti et Cuno Amiet, la couleur post-impressionniste

25 Face à Hodler, Vallotton et Steinlen, Giovanni Giacometti et Cuno Amiet, tous deux nés en 1868, s’orientent vers d’autres sujets et formes artistiques comme vecteurs de la modernité. S’ils n’échappent pas à l’emprise de l’art de Hodler, qui leur sert tant de modèle que de repoussoir, ils développent un grand intérêt pour la couleur à travers divers procédés hérités de l’impressionnisme. Ces deux peintres, qui ont été de grands amis, sont fréquemment rapprochés dans la littérature actuelle, ce qui était déjà le cas de leur vivant. S’ils partagent une partie de leurs études à Munich ainsi qu’un séjour subséquent à Paris, ils poussent leur formation ultérieure séparément : Giacometti rentre dans ses Grisons natals où il étudie auprès du peintre divisionniste italien Giovanni Segantini, établi à Savognin, tandis qu’Amiet, resté en France, se rend à Pont- aven où il découvre le cloisonnisme de Gauguin et de ses émules. Par la suite, les deux amis vont développer des formes artistiques essentiellement fondées sur ce type de modèles et construire leurs œuvres par la couleur.

26 Le catalogue de l’exposition consacrée à Giovanni Giacometti en 1996-1997 à Winterthour et Lausanne (Giacometti…, 1996) constitue la première publication consacrée au peintre de Stampa depuis 1969 (KÖHLER, 1969) et ouvre la série du catalogue raisonné de son œuvre peint (MÜLLER, RADLACH, SCHWARZ, 1996-1997). Cette remise en valeur faisant suite à l’oubli dû à la très grande notoriété de son fils Alberto rend sa place à Giovanni Giacometti, figure centrale du paysage artistique suisse autour de 1900 (MAUNER, 1984). Dans la biographie du peintre, Dieter Schwarz souligne le rôle fondamental de la couleur : le divisionnisme de Segantini qui donne à voir l’irradiation du quotidien par la lumière divine (1897-1901) ; vers 1902 le pointillisme à la facture libre ; puis, dans les années 1903-1908, un style post- impressionniste marqué par van Gogh, proche du fauvisme et caractérisé par la juxtaposition de larges bandes de couleur antinaturalistes. Ces différents styles, Giacometti les développe en Suisse, sans contact direct avec Paris où il se rend en 1907 pour la première fois depuis la fin de son séjour de formation dans la capitale française en mai 1891.

27 Contrairement à Giacometti, son ami Cuno Amiet fait l’objet de nombreuses recherches. Le regain d’intérêt pour Amiet est dû au chercheur américain George Mauner, qui publie en 1984 une monographie qui vaut comme première réhabilitation du peintre11. L’ancien professeur émérite de la Pennsylvania State University décèle clairement la très grande capacité d’imprégnation que possède le natif de Soleure, qui s’inspire tant du synthétisme de Gauguin, de l’expressionisme allemand que du symbolisme de Hodler et de son parallélisme (nom donné par le peintre à son principe de composition fondé sur la symétrie et la répétition. Soulignons enfin que cette monographie n’aborde que brièvement son œuvre de maturité, lui aussi marqué par l’expérimentation

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stylistique. C’est en effet la période entre 1890 et 1914 qui intéresse avant tout les spécialistes de Cuno Amiet12, celle qui connaît les styles antinaturalistes issus de Pont- Aven (1892-1896), le symbolisme marqué par Hodler (1893-1903), un retour aux solutions synthétiques ou post-impressionnistes aux tonalités exacerbées (1903-1908), puis une monumentalisation des figures avec la série des Obsternten ([La cueillette]). George Mauner a ainsi étudié attentivement deux ensembles d’œuvres des jeunes années du peintre, d’une part les panneaux du triptyque intitulé Die Hoffnung [L’espoir] (1902, Olten, Kunstmuseum)13 qui condense le très grand désarroi du peintre face à son enfant mort-né (Amiet…, 1991), et d’autre part la série des Obsternten de 1908-1912, dont le thème idyllique de femmes cueillant des pommes remonte au séjour breton et que Mauner rapproche de la série classicisante des Baigneuses de Paul Cézanne, ou encore de La danse d’Henri Matisse (MAUNER, 2002). Enfin, le récent catalogue d’exposition de l’an 2000 se concentre lui aussi sur la première période de l’artiste, « De Pont-Aven à ‘Die Brücke’ » (AMIET, 2000). Parmi les publications récentes, seul l’ouvrage consacré à l’impressionnante série d’autoportraits prend l’ensemble de la production du peintre en considération (Amiet…, 1994). À ces deux peintres qui présentent un intérêt marqué pour la couleur doit être ajoutée la figure de Sigismund Righini (RIGHINI, 1989 ; Koella, 1993) qui, marqué par Hodler pour ses paysages et ses figures dès les années 1900, trouve en Amiet une autre source d’inspiration pour ses rapprochements de couleurs exacerbées et complémentaires. Mais contrairement au Soleurois, Righini reste généralement naturaliste dans ses toiles et n’en vient jamais à décomposer la couleur. D’autres artistes mériteraient de figurer comme des représentants de la couleur autour de 1900, tels Abraham Hermanjat (CHINET, JOTTERAND, KUENZI, 1962) ou Edmond Bille (RUEDIN, 2003) qui, respectivement dans les années 1900 et 1910, font des incursions du côté du fauvisme, mais tous n’ont pas encore été redécouverts.

Helvétisme 1900

En quête d’un art national

28 Parallèlement aux artistes qui autour de 1900 se confrontent à divers modèles afin de trouver une expression de la modernité, un débat au niveau du pays porte sur l’art national, question omniprésente dans la littérature artistique. Tant les critiques, les amateurs que les artistes eux-mêmes appellent de leurs vœux une expression artistique patriotique. L’État fédéral accède aux réclamations du monde de l’art en devenant un véritable acteur de la scène artistique : la Confédération se dote d’un arrêté sur l’encouragement aux beaux-arts en 1887 et organise un Salon bisannuel dès 1890, la Fondation Gottfried Keller, destinée à acquérir des œuvres d’art helvétique menacées de quitter le pays, voit le jour la même année, et le Musée national suisse, assigné à la conservation du patrimoine helvétique, sort de terre en 1898, après quinze ans de polémique (JOST, 1988). Les différentes structures mises en place par la Confédération transforment le domaine artistique par la multiplication des expositions, des concours, ainsi que des achats d’œuvres. De loin en loin, elles permettent la naissance d’une forme artistique identitaire fondée avant tout sur trois grands registres iconographiques, l’histoire nationale, le paysage alpestre et le primitivisme rural, comme le souligne Pascal Ruedin (RUEDIN, 2000). Et c’est Ferdinand Hodler qui incarne le peintre national non seulement en raison des thèmes tout helvétiques de ses toiles,

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qui ressortissent aux trois principaux thèmes helvétiques, mais également pour la synthèse du pays qu’il représente : Bernois installé à Genève, il rassemble les différentes parties linguistiques de la Suisse (GRIENER, 1996 ; LOCHER, 1996 ; BÄTSCHMANN, 2000).

29 Dans son ouvrage consacré à l’iconographie nationale (VON TAVEL, 1992), Hans Christoph Von Tavel ne revient pas uniquement sur les genres patriotiques de la peinture d’histoire (ROALD, 1984) et du paysage, mais souligne la position centrale qu’occupe Hodler pour l’imagerie patriotique autour de 1900. Au-delà de cet artiste précis, l’auteur examine les nombreux symboles helvétiques présents au sein des monuments et des musées nationaux qui émaillent le territoire suisse, s’intéressant notamment à la question de la peinture murale patriotique, qui connaît une floraison particulière autour de 190014.

30 Mais le regard étranger de Sharon L. Hirsh, dans un article sur l’identité nationale suisse autour de 1900, souligne la fracture claire entre le milieu artistique, partisan de la modernité artistique qu’incarne le peintre de La nuit, et le public, plus enclin au pittoresque (HIRSCH, 2003). Cette rupture, qui se construit selon elle dans les lieux de représentation nationale et internationale que sont les Expositions nationales suisses de 1883 à Zurich et de 1896 à Genève, trouve son expression paroxystique dans la participation helvétique à l’Exposition universelle de 1900 à Paris. Là, les visiteurs trouvaient dans l’Exposition des beaux-arts des toiles tant naturalistes que modernistes comme celles de Hodler, tandis que non loin du Champ de Mars se dressait le village suisse, condensé d’architectures helvétiques pittoresques avec force chalets en bois ouvragé, fermes typiques à toits en berceau et tours aux faîtages pointus.

Le grand décor, une expression officielle autour de 1900

31 La personnalité saillante de Hodler marque profondément le domaine du grand décor autour de 1900. Non seulement ce sont ses cartons pour la fresque du Musée national suisse qui se trouvent au cœur de la première polémique artistique touchant le pays, mais ses toiles aux figures bidimensionnelles et au rythme ample puisent au style des peintures murales de Puvis de Chavannes.

32 Pierre Vaisse démontre clairement l’ascendant du peintre du Panthéon sur Hodler, montrant que ce dernier s’inspire tant de motifs, de thèmes, que de schémas de composition de Puvis pour son art monumental et décoratif (VAISSE, 1983). Des trois fresques que le peintre a été amené à réaliser, La retraite de Marignan est la plus présente dans la littérature de par son rôle fondateur et polémiste (BRÜSCHWEILER, 1991a ; Un scandale artistique, 1998 ; MÜLLER, 2000). Dans son ouvrage sur Hodler peintre d’histoire, Jura Brüschweiler met en rapport étroit la genèse de l’œuvre et le débat national impliquant les amateurs, les artistes, la critique, le public, les autorités, jusqu’au Conseil fédéral, acteurs de la polémique qui étaient auparavant fréquemment séparés dans la littérature, et précise différentes étapes d’élaboration des quatre cartons réalisés pour la fresque (BRÜSCHWEILER, 1991a). Le catalogue du Musée national intitulé Die Erfindung der Schweiz [L’invention de la Suisse], quant à lui, replace l’œuvre au cœur de la production du peintre au cours des années 1896-1900 et tisse de nouveaux liens entre la fresque de Marignan et le projet pour une peinture murale destinée au Kunsthaus de Zurich, Regard dans l’infini, qui ne verra jamais le jour (Un scandale artistique, 1998). Enfin, dernièrement, les cartons successifs exigés par la

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Commission fédérale des beaux-arts, commanditaire de l’œuvre, ont fait l’objet d’analyses académiques et techniques poussées qui ont révélé de nombreux remaniements (jusqu’à quatre états) de la part du peintre (MÜLLER, 2000). Par son rôle capital pour l’histoire de l’art suisse, la fresque de Marignan a certainement occulté les autres œuvres murales de Hodler, tout comme celles de ses contemporains qui ont également donné dans le genre monumental. Des recherches récentes ont ainsi été menées sur les lansquenets que Hodler peint pour l’Exposition nationale suisse de 1896, dispersés entre de nombreuses collections publiques et privées (BRÜSCHWEI- LER, 1991b ; BÄTSCHMANN, 2002), qui provoquent alors un débat annonciateur de la « querelle des fresques » de Zurich, et la peinture murale Le départ des étudiants de l’université d’Iéna en 1813 (1908–09, université d’Iéna ; VON WALD- KIRCH, 1994b ; BÁLINT, 1999).

33 Mais la fresque du Musée national a certainement favorisé les recherches sur les autres œuvres monumentales officielles de la même période, même si celles-ci sont moins novatrices stylistiquement. Ainsi le décor du Palais fédéral à Berne composé de vitraux, mosaïques et sculptures se révèle être un ensemble hautement symbolique pour le pays ; STÜCKELBERGER, 1985a), tout comme les peintures murales de Charles Giron (Le berceau de la Confédération, 1901, salle du Conseil national : STÜCKEL-BERGER, 1985b ; VILLA, 1998), d’Albert Welti et de Wilhelm Balmer (La Landsgemeinde, 1908-1914, salle du Conseil des États : STÜCKELBERGER, 1991) dans le même bâtiment. En revanche, le tribunal fédéral, qui constitue le troisième édifice à dimension nationale du pays, reçoit un décor réalisé par Paul Robert (La Justice enseigne les juges et L’avènement de la Paix, 1899-1906) qui se distancie du message nationaliste pour privilégier le discours religieux et moralisant de son auteur (LANGER, 2002).

Le primitivisme rural, une thématique nationale

34 La dimension patriotique se révèle également dans un primitivisme rural qui, avec la peinture d’histoire et le paysage, constitue une iconographie nationale suisse autour de 1900. En 1994, P. Ruedin met en avant le lien étroit existant entre mélancolie et ruralité et identifie cette problématique (RUEDIN, 1994). En réaction à la disparition du monde rural, les artistes expriment alors leur nostalgie de la société paysanne au travers de peintures idéalisées représentant des paysans à leur tâche quotidienne, mais exempte de souffrance, de maladie, de misère, de mort. Cette même année, P. Ruedin propose avec Catherine Dubuis un cas d’application avec la figure de Marguerite Burnat-Provins (DUBUIS, RUEDIN, 1994), peintre et écrivain française qui a un rôle déterminant dans ce que l’on nomme l’« école de Savièse ». En soulignant ce thème essentiel pour l’histoire de l’art suisse autour de 1900, il offre quelques nouvelles lectures d’œuvres d’artistes, notamment de Gustave Jeanneret (Gustave Jeanneret…, 1998 ; LANGER, 2003), mais aussi plus récemment une nouvelle vision de la modernité artistique suisse à travers le thème de la ruralité (RUEDIN, 2003).

35 L’« école de Savièse », appellation due au critique d’art Paul Seippel, désigne un groupe d’artistes vaudois et genevois établis dans ce village au cœur du Valais (L’École de Savièse, 1974 ; LEHNER, 1982 ; WYDER, 1991) autour d’Ernest Biéler (Biéler…, 1999), Marguerite Burnat-Provins (DUBOIS, RUEDIN, 1994 ; Burnat..., 2003), Edouard Vallet (Vallet..., 1976 ; Vallet…, 1995)15 et Raphy Dallèves (ELSIG, 1998 ; DALLÈVES, 1999). Elle constitue moins une école qu’une communauté artistique centrée autour de

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l’iconographie commune de la figure rurale et du paysage valaisan. A l’instar des artistes réunis autour de Gauguin à Pont-Aven, ce groupe de peintres participe d’un mouvement européen de primitivisme rural particulièrement bien représenté en Suisse.

Vers une « helvétisation » de l’historiographie : de la Rose+Croix au style sapin

Des symbolistes suisses au premier Salon de la Rose+Croix

36 Autour de 1900, le domaine artistique suisse est encore en grande partie tributaire des centres internationaux que sont Paris, Munich, vienne ou Berlin pour la formation et la reconnaissance des artistes suisses, les carrières de certains d’entre eux, à l’instar de Vallotton ou de Welti, ou encore les contacts avec les avant-gardes. À cet égard, le Salon de la Rose+Croix à Paris constitue l’un de ces lieux de rencontre essentiel pour le domaine suisse.

37 En 1977, H. A. Lüthy met en avant le groupe d’artistes suisses qui, en 1892, participe à Paris au premier Salon de la rose+Croix esthétique, appellation officielle de ce creuset du symbolisme français et européen fondé par Joséphin Péladan (LÜTHY, 1977)16. Eugène Grasset, Carlos Schwabe, Albert Trachsel, Félix Vallotton et Auguste de Niederhäusern, dit Rodo, qui séjournent alors à Paris depuis plusieurs années, développent un intérêt pour l’ésotérisme dans le centre parisien, tandis que Hodler, qui vit alors en Suisse, tend vers un symbolisme personnel profondément empreint de pessimisme. Ces différents artistes redécouverts par l’intérêt pour le Salon de la Rose+Croix dans les ouvrages généraux sur le symbolisme autour de 1980, bénéficient aujourd’hui d’études monographiques qui insistent davantage sur la singularité de leurs parcours que sur leur attachement au mouvement rosicrucien.

38 Dans ses publications sur Eugène Grasset, Anne Murray-Robertson-Bovard, qui a exhumé cette figure majeure de l’art nouveau, traite peu de sa peinture ou de son lien avec le Sâr Péladan. Grasset, en effet avant tout connu pour sa production dans le domaine de l’illustration, des arts décoratifs, ou encore de l’enseignement (MURRAY- ROBERTSON[-BOVARD], 1981 ; Grasset …, 1998 ; CELIO-SCHEURER, 2002 ; CELIO- SCHEURER, 2004), délaisse rapidement le milieu de la Rose+Croix pour fréquenter d’autres cercles ésotériques. Sa participation aux Salons de la Rose+Croix, du Champ de Mars (1892, 1894), des Cent (exposition personnelle en 1894) et de la Libre Esthétique à Bruxelles (1894) démontre la multiplicité, ainsi que la complexité des liens entretenus par l’artiste. La base solide que constitue la monographie de 1981 a rendu possible l’étude de la figure féminine chez Grasset (Grasset …, 1998), qui révèle sa position centrale dans son œuvre à travers l’iconographie de la femme-fleur notamment.

39 La personnalité étrange de Carlos Schwabe, un allemand de Hambourg émigré à Genève, qui obtient la nationalité suisse et s’établit à Paris en 1884, a fasciné plusieurs chercheurs, dont Jean-David Jumeau-Lafond. La monographie qu’il consacre au peintre et illustrateur remet l’artiste en lumière, principalement à travers ses œuvres graphiques (JUMEAU-LAFOND, 1994). Il est vrai que Schwabe abandonne les pinceaux en 1894 et ne les reprend avec parcimonie qu’autour de 1900 pour se consacrer essentiellement à l’illustration d’ouvrages. Comme dans le cas de Grasset, Schwabe s’éloigne rapidement du milieu de la Rose+Croix. L’impressionnante toile de Schwabe

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intitulée La vague a particulièrement attiré l’attention des érudits. Suite à un article passant en revue les sources iconographiques possibles de l’œuvre, sans distinguer de modèles précis (KULLING, 1987), l’auteur de la monographie se penche à nouveau sur l’artiste genevois dans un article où il rapproche les expressions outrées des figures féminines incarnant la vague de faciès tordus de folles et d’hystériques photographiées par le docteur Charcot notamment, ainsi que des traits des interprètes musicales de personnages du Parsifal de Wagner ou de l’Elektra de Strauss (JUMEAU-LAFOND, 1996).

Un mouvement Art nouveau régional : le style sapin

40 Depuis les années 1970, les chercheurs tendent à relier les expressions d’artistes suisses à des mouvements internationaux, comme c’est le cas pour la Rose+Croix. Avec le nombre croissant d’études consacrées aux artistes suisses, il n’est guère étonnant de voir apparaître un intérêt pour des mouvements locaux typiquement helvétiques. C’est le cas d’une expérience Art nouveau développée à La Chaux-de-Fonds qui mérite sans aucun doute d’être mentionnée dans ces lignes (Autour de L’Eplattenier, 1987 ; GFELLER, 1992 ; JEANNERET, 1998 ; SCHEURER, 1998 ; HELLMANN, 2003 ; NESSI, 2003). En effet, l’actualité de la recherche sur l’art nouveau suisse est marquée depuis l’année précédente par les célébrations autour du courant né dans le canton de Neuchâtel en 1905. À cette date, Charles L’Eplattenier, professeur à l’École d’art de La Chaux-de- Fonds, inaugure le Cours supérieur, destiné aux meilleurs élèves parmi lesquels se trouve Charles-Édouard Jeanneret, futur Le Corbusier (BIERI THOMSON, 2006 ; CHARRIÈRE, 2006). L’Eplattenier y enseigne des préceptes de l’art nouveau pour la création d’objets d’art appliqué, principalement, qui invitent à prendre la flore locale comme source d’inspiration primordiale, devenant ainsi le promoteur du « style sapin », d’après l’essence la plus répandue sur les hauts du Jura suisse. Le crématoire de La Chaux-de-Fonds, œuvre d’art total réalisée sous la direction du professeur, constitue la création la plus importante du cours.

41 La recherche sur la peinture suisse autour de 1900, qui bénéficie aujourd’hui d’excellents outils de référence, est particulièrement active dans le domaine des catalogues raisonnés, puisque ceux consacrés à Ferdinand Hodler17, Cuno Amiet18, Édouard Vallet19 et Ernest Biéler20 entre autres viendront bientôt compléter la série que composent déjà ceux d’Arnold Böcklin (ANDREE, 1977 (1998)), Giovanni Segantini (QUINSAC, 1982), Hans Brühlmann (KEMPTER, DIGGELMANN, SIMMEN, 1985), Giovanni Giacometti (MÜLLER, RADLACH, SCHWARZ, 1996-1997) et Félix Vallotton (DUCREY, 2005). Ces références monographiques, qui permettent une redécouverte intellectuelle d’artistes souvent réduits à une période ou à un style, sont complétées par la diffusion visuelle des toiles qu’offrent les expositions, notamment internationales. Au-delà du domaine suisse, Hodler figure en effet de plus en plus au sommet de l’affiche de musées étrangers comme le montrent les expositions aux Etats-Unis et au Canada (Hodler. Views & visions, 1994), à La Haye (Hodler, 1999a), à Munich (Hodler, 1999b), ou encore à Barcelone et à Palma (Hodler, 2001). Récemment, les peintures de Böcklin ont été présentées à Bâle, Paris et Munich (SCHMIDT, LENZ, 2002). Étonnamment, cet intérêt international pour les peintres suisses de la période 1900 ne trouve pour l’instant un écho qu’en France21.

42 Enfin, suite à un sensible effort de l’historiographie suisse pour donner de nouvelles lectures de la création artistique des années 1890-1914, cette production bénéficierait

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certainement du regard de chercheurs étrangers, afin de la mettre en confrontation avec la réalité (rappelons que c’est une américaine qui a rappelé le succès du pittoresque), ou les insérer dans des problématiques plus internationales.

BIBLIOGRAPHIE

Avec quelques exceptions, cette bibliographie se compose d’ouvrages parus depuis 1980 et portant sur la peinture « Art nouveau » et symboliste suisse, sans prendre en compte les autres formes artistiques. Les artistes qui comme Albert Anker ou Ernst Stückelberg, nés tous deux en 1831, peignent toujours autour de 1900 et n’inscrivent pas leurs productions dans la mouvance symboliste ou « art nouveau », ne sont pas pris en compte. Plusieurs types de publications ont dû être écartés, comme les contributions consacrées à une seule œuvre d’un artiste déjà bien connu par ailleurs, les études de collections, qui pourraient faire l’objet en soi d’un article, ou encore les recherches non publiées. Conçue comme un outil, cette bibliographie est classée par ordre chronologique pour montrer le développement historiographique du sujet traité et comprend certains titres non cités dans l’article.

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ANKER, 2005 : Valentina Anker, Otto Vautier 1863-1919. Peintures, Genève, 2005. André Evard…, 2005 : André Evard, 1876-1972. De l’Art nouveau à l’abstraction, Edmond Charrière éd., (cat. expo., La Chaux- de-Fonds, Musée des beaux- arts, 2005), La Chaux-de-Fonds, 2005.

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Perspective, 2 | 2006 117

Hodler et Genève…, 2005 : Ferdinand Hodler et Genève. Collection du Musée d’art et d’histoire Genève, Claude Ritschard, Myriam Poiatti, Isabelle Payot Wunderli éd., (cat. expo., Genève, musée Rath, 2005), Genève/Neuchâtel, 2005.

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2006

BIERI THOMSON, 2006 : Helen Bieri Thomson éd., Une expérience art nouveau. Le style sapin à La Chaux-de-Fonds, La Chaux-de-Fonds/Paris, 2006.

CHARRIÈRE, 2006 : Edmond Charrière, « Entre nature et géométrie, le style sapin », dans BIERI THOMSON, 2006, p. 97-113.

NOTES

1. Sur l’importance de l’année 1890 pour la scène artistique suisse, voir Kunstszene Schweiz, 1980 ; KUTHY, 1986. 2. Robert Curjel (1859-1925) et Karl Moser (1860-1936) ont notamment construit le Kunsthaus de Zurich. 3. Version française remaniée : La peinture suisse, 1998. 4. Pour un état de la recherche récente sur Böcklin et notamment sa production graphique, voir VON WINTERFELD, 1999, p. 9-13. 5. Pour un état de la recherche sur Hodler au début des années 1980, voir HÜTTINGER, 1992. 6. Voir plus loin. 7. 1893, Berne, Musée des beaux-arts. 8. Il existe trois versions de la composition intitulée Le jour : première version, 1899, Berne, Musée des beaux-arts ; deuxième version, 1904-1906, Zurich, Kunsthaus ; troisième version, 1909-1910, Lucerne, Kunstmuseum. 9. Il existe deux versions de La vérité, 1902 et 1903, conservées à Zurich, Kunsthaus Zürich. 10. MARIAUX, 1993, aborde une question iconographique intéressante autour de la figure de la libératrice chez Steinlen. 11. MAUNER, 1984. 12. Voir le seul ouvrage consacré à l’œuvre de maturité d’Amiet : Der späte Amiet…, 1986. L’Institut suisse pour l’étude de l’art (ISEA/SIK) annonce le catalogue raisonné des peintures de jeunesse de Cuno Amiet. À ce sujet, voir Institut suisse pour l’étude de l’art, Rapport annuel 2005, Zurich/ Lausanne, 2005, p. 30. 13. Deux autres versions du panneau central intitulé Die Hoffnung (L’espoir) qui datent de 1901 se trouvent à Aarau, Aargauer Kunsthaus, et dans une collection privée suisse. 14. La peinture murale autour de 1900 est traitée plus loin dans cet état de la recherche. 15. Bien que Vallet s’installe dans le village de Vercorin, il est fréquemment lié à l’« école de Savièse ». 16. L’auteur reprend et développe ce sujet dans LÜTHY, HEUSSER, 1983. 17. En préparation à l’Institut suisse pour l’étude de l’art. Voir Institut suisse pour l’étude de l’art, Rapport annuel 2005, Zurich/Lausanne, 2005, p. 19-22. 18. En préparation à l’Institut suisse pour l’étude de l’art. Voir Institut suisse pour l’étude de l’art, Rapport annuel 2005, Zurich/Lausanne, 2005, p. 30. 19. L’ouvrage, dû à Bernard Wyder et Jacques D. Roullier, est à paraître en 2006. 20. Ethel Mathier prépare le catalogue de ce peintre de Savièse.

Perspective, 2 | 2006 118

21. Depuis quelques années, le Musée d’Orsay mène une politique d’acquisition d’œuvres suisses de la période 1900. Au portrait de Hodler représentant Valentine Godé-Darel malade acquis en 1935 sont venus s’ajouter en 1997 une Vue de Capolago (Tessin) post-impressionniste de Giovanni Giacometti, un paysage de neige de Cuno A Miet en 1999 (Schneelandschaft, dit aussi Grosse Winter [Le grand hiver]), et en 2005 une toile majeure de Hodler, une version du Holzfäller (Le Bûcheron) de 1910. Les œuvres de Grasset, Steinlen et Vallotton, qui ont obtenu la nationalité française, ne sont pas prises en compte ici.

RÉSUMÉS

En dehors du territoire helvétique, la peinture suisse autour de 1900 se résume souvent à quelques figures marquantes comme celles d’Arnold Böcklin et de Ferdinand Hodler. Pourtant, nombreux sont les artistes suisses marqués par les mouvances de l’art nouveau et du Symbolisme qui réalisent des œuvres de grande qualité. Depuis plusieurs années, de nombreuses études stimulantes ont été consacrées à la peinture 1900 en Suisse : monographies et catalogues raisonnés, mais aussi essais sur de thèmes transversaux et ouvrages bilan. À travers différentes approches, l’auteur propose une lecture de la recherche récente sur la peinture suisse autour de 1900. Cette synthèse historiographique permet de saisir le rôle central de la ville de Zurich et des expositions commémoratives dans les années 1950 et 1960, puis l’importance des études internationales sur des figures majeures comme Böcklin, Hodler et Félix Vallotton qui ont permis de révéler la grande diversité stylistique de la modernité helvétique. Ensuite sont abordés divers thèmes spécifiques à la période et au domaine suisse comme l’art national, le grand décor et le primitivisme rural. Enfin, l’article souligne le recentrement des recherches sur des phénomènes artistiques régionaux, une fois mieux connue la participation des artistes suisses à des courants internationaux.

International awareness of Swiss art c.1900 is often limited to a few notable figures such as Arnold Böcklin or Ferdinand Hodler. And yet many other artists active in Switzerland at the time were influenced by Art Nouveau and the Symbolist movement, and produced work of great quality. Over the past several years, numerous stimulating studies have explored Swiss painting around the year 1900: monographs and catalogues raisonnés, as well as thematic studies and overviews. The author proposes a cross-disciplinary overview of recent research on Swiss painting around 1900, with a historiographical summary that highlights the central role of the city of Zurich, and the major retrospective exhibitions held there in the 1950s and 1960s. International studies of leading figures such as Böcklin, Hodler and Félix Vallotton have also shed new light on the great stylistic diversity of modern art in Switzerland. The article goes on to explore a range of themes specific to the region, and the period, namely the concept of a "national school of art," the role of large decorative murals, and rural primitivism. Finally, the article stresses the recent research focus on regional artistic phenomena, in light of our improved understanding of the involvement of Swiss artists in international movements.

Jenseits der helvetischen Grenzen wird die Schweizer Malerei um 1900 oft nur auf wenige bedeutende Figuren, wie arnold Böcklin und Ferdinand Hodler, reduziert. Zahlreich sind jedoch die Schweizer Künstler, die Werke von hoher Qualität im Stil des Symbolismus und des Jugendstils geschaffen haben. Seit einigen Jahren widmen sich daher eine große anzahl

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anregender Studien der Schweizer Malerei um 1900: darunter vor allem Monografien und Werkkataloge, aber auch Essais zu übergreifenden themen sowie Überblicksveröffentlichungen. Der autor versucht, von verschiedenen Blickwinkeln aus die neuere Forschung im Bereich der Schweizer Malerei der Jahrhundertwende zu betrachten. Diese historiografische Zusammenfassung betont zunächst die zentrale Rolle der Stadt Zürich und der Gedenkausstellungen der 1950er und 1960er Jahre, bevor sie auf die Bedeutung der internationalen Forschungsbeiträge zu den Hauptfiguren wie Böcklin, Hodler und Félix Vallotton eingeht. Diese Beiträge haben es erst ermöglicht, die große stilistische Vielfalt der Schweizer Moderne freizulegen. Nachfolgend bespricht der artikel geografische und epochenspezifische themen, wie zum Beispiel den Forschungsstand im Bereich der Nationalkunst, der dekorativen Künste und der Bauern- und Volkskunst. abschließend stellt der autor eine erneute Zentrie- rung der Forschung auf regionale künstlerische Phänomene in aussicht, sobald das thema der Beteiligung der Schweizer Künstler an den internationalen Strömungen besser bekannt ist.

Al di fuori dell’ ambito elvetico, la pittura svizzera attorno al 1900 si riassume spesso in alcune figure significative come quelle di Arnold Böcklin e di Ferdinand Hodler. tuttavia, numerosi sono gli artisti svizzeri segnati dalle dipendenze dell’art nouveau e del Simbolismo che realizzano opere di grande qualità. Da molti anni, diversi studi stimolanti sono stati dedicati alla pittura 1900 in Svizzera : monografie e cataloghi ragionati, ma anche studi su temi trasversali e lavori di sintesi. Attraverso vari approcci, l’autore propone una lettura della ricerca recente sulla pittura svizzera attorno a 1900. Questa sintesi storiografica permette di osservare il ruolo centrale della città di Zurigo e delle mostre commemorative negli anni 1950 e 1960, quindi l‘importanza degli studi internazionali su figure principali come Böcklin, Hodler e Félix Vallotton che hanno permesso di rivelare la grande diversità stilistica della modernità elvetica. In seguito, sono affrontati diversi temi specifici per il periodo e per l’ambito svizzero come l’arte nazionale, la grande decorazione ed il primitivismo rurale. Infine, l’articolo sottolinea la concentrazione delle ricerche su fenomeni artistici regionali, quando la partecipazione degli artisti svizzeri a correnti internazionali è meglio conosciuta.

Fuera del campo helvético, la pintura suiza alrededor de 1900 se resume a menudo a unas cuantas figuras memorables tales como las de arnold Böcklin y de Ferdinand Hodler. Sin embargo, muchos artistas suizos marcados por la influencia del arte nuevo y del Simbolismo crean obras de una gran calidad. Desde hace muchos años, numerosos estudios estimulantes han sido dedicados a la pintura 1900 en Suiza : monografías y catálogos razonados, pero también unos ensayos sobre temas transversa- les y obras que hacen un balance de la situación. A traves de varios enfoques, el autor propone una lectura de la investigación reciente sobre la pintura suiza alrededor de 1900. Esta síntesis historiográfica permite comprender el papel central de la ciudad de Zúrich y de las exposiciones conmemorativas en los años 1950 y 1960, luego la importancia de los estudios inter- nacionales sobre unas figuras principales como las de Böcklin, Hodler y Félix Vallotton que han permitido revelar la gran diversidad estilística de la modernidad helvética. luego se abarca diversos temas específicos del período y del campo suizo como el arte nacional, el gran decorado y el primitivismo rural. Por último, el artículo subraya el reajuste de la investigación sobre unos fenómenos artísticos regionales, ahora que se conoce mejor la participación de los artistas suizos a unas corrientes internacionales.

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INDEX

Keywords : manifesto, modernity, Art Nouveau, symbolism, exhibition, historiography, research Mots-clés : manifeste, modernité, Art nouveau, symbolisme, exposition, historiographie, recherche Index géographique : Suisse Index chronologique : 1800, 1900

AUTEUR

LAURENT LANGER Laurent Langer après des études à l’université de Lausanne où il effectue un mémoire de licence relatif à la politique culturelle fédérale suisse autour de 1900 (2002), Laurent Langer collabore au catalogue raisonné des peintures de Félix Vallotton (2002-2003) et est engagé à l’Institut suisse pour l’étude de l’art sur un projet consacré à la formation des artistes suisses à l’école des beaux- arts de Paris, de 1793 à 1863 (2002-2006). Parallèlement, il est inscrit en thèse auprès de Pascal Griener (université de Neuchâtel) sur la collection de peintures de James-Alexandre de Pourtalès- Gorgier.

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L'histoire de l'art en Suisse

Actualité

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« Les Helvètes à Paris ». Les artistes suisses formés à l’école des Beaux- Arts, Paris,1793-1863

Pascal Griener

1 Le projet esquissé ici s’inscrit dans un vaste ensemble d’investigations portant sur la formation des artistes étrangers dans les grands centres européens du XIXe siècle1. Par son ampleur, ce mouvement général dessine une vaste carte européenne parcourue par des flux internationaux ; il fait éclater les cadres nationaux de l’histoire de l’art traditionnelle et met au jour des transferts culturels capitaux. De nombreux chercheurs – à l’Accademia di Brera à Milan (Prof. Francesca Valli), à l’université de Berlin (Prof. Benedicte Savoy), à Paris au Centre André Chastel2, aux USA même3, ont entrepris de rénover l’étude de ce qu’on nomme trop rapidement l’« académisme ». De fait, le terme désigne de manière cursive un vaste réseau d’acteurs artistiques, en général très structuré, qui assura la transmission d’un savoir socialement reconnu par des biais très divers, et en fit varier les modes d’appropriation. À plusieurs titres, une institution telle que l’École des Beaux-Arts de Paris fut instrumentalisée selon des modalités très distinctes, qui vont de l’assimilation canonique au rejet franc et massif. Tel artiste accomplit fidèlement tout son cursus honorum à l’EBA, et finit sa carrière à Paris couvert d’honneurs. Un autre, parvenu dans la capitale, y resta à peine un mois avant de rentrer, déçu ou indifférent. Parmi ceux qui restèrent quelques années, certains délaissèrent les grands ateliers, ratant même concours et médailles, mais se montrèrent plus assidus dans l’exercice de la copie au musée du Louvre – cette académie muette, à leur yeux, valait bien l’académie vivante de la rue Bonaparte4. Enfin, ces peintres, ces graveurs, ces sculpteurs ne constituèrent nullement des entités isolées. Les académies du XIXe siècle attirèrent un nombre considérable d’élèves internationaux dans les grands centres urbains de l’époque ; ils y formaient des communautés plus bigarrées que les communautés universitaires, les fameuses « nations » réunies en collèges autour de la Sorbonne.

2 Ces groupes, soudés par une même identité culturelle, firent naître des amitiés que le retour au pays mit rarement en péril. Tels d’entre ces artistes s’acculturaient et

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demeuraient à Paris, pour ne plus jamais retourner dans leur patrie ; tels autres durent rentrer, leur éducation terminée. Certains happy few devinrent de grands artistes, mais bien d’autres, fantassins de cette grande armée, se contentèrent d’un rôle plus modeste. On les retrouvait dans leur pays, professeurs de dessin, « passeurs » de savoir académique, sélectionneurs de talents, photographes à la pige ou décorateurs itinérants. Les magnifiques colloques organisés par Olivier Bonfait5 ou Marie-Claude Chaudonneret6 ont permis à nombre de chercheurs de partager leurs analyses de ces grandes transhumances, qui permettent de saisir des faits artistiques dans toute leur épaisseur sociale.

3 Grâce à Otto Kurz7, Antoine Pevsner8, Cynthia et Harrison White9, Oskar Bätschmann10, Martin Warnke11, Albert Boime12 ou Nathalie Heinich13, on connaît les cursus proposés par les académies et écoles des beaux-arts, comme les attentes par- fois excessives de ceux qui les fréquentent, mais la fonctionnalité réelle des écoles des beaux-arts reste encore bien obscure. L’École des beaux-arts de Paris, heureusement, a produit un ensemble magnifique d’études systématiques, qui comblent les chercheurs14. Longtemps, la prosopographie a cependant dominé les études d’artistes « académiques », alors que nombre d’écoles des beaux- arts, au premier rang celle de Paris, possèdent des archives très complètes, propres à initier des enquêtes statistiques15. Cette abondance permet justement de reconstruire des comportements par le biais d’un traitement de masse, selon des modèles que l’histoire des mentalités, au premier rang l’École des Annales, avait initiés il y a plus de cent ans16. En particulier, le traitement systématique des archives de l’École des beaux-arts nous a permis de comprendre la nature, comme la dynamique du réseau des peintres et sculpteurs suisses qui effectuèrent leurs études artistiques à Paris, principalement à l’École des beaux-arts, de 1793, année de la réouverture de l’école après les troubles révolutionnaires à 1863, date de la grande réforme de l’École nationale des beaux- arts. Durant cette période, le nombre d’artistes ayant transité entre la Suisse et la France avoisine les quatre cents, et ce nombre ne comprend même pas les architectes. Ce flux a laissé une marque profonde sur la pratique artistique des artistes suisses, tout au long de leur carrière. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, Paris reste un centre d’attraction prioritaire. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, cette hégémonie commencera à faiblir : l’Allemagne en particulier (Munich, Berlin, Düsseldorf), mais aussi Milan et Londres, offriront une alternative plus populaire au centre parisien.

4 Le cas de la Suisse est, à bien des égards, un cas extrême, et donc un test-case capital à l’échelle européenne. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la France offre dans sa capitale un enseignement officiel dont la souplesse est relative, selon les époques, et selon les ateliers ; sa puissance de légitimation, elle, ne cesse de faiblir. Paradoxalement, aux yeux des étrangers, et en particulier des Helvètes, cette puissance de légitimation demeure très forte. La Suisse, d’ailleurs, ne possède aucun centre d’enseignement comparable à celui de la France. Pays aux communautés multilingues, multiconfessionnelles, divisé en cantons urbains et agricoles également affaiblis par un fédéralisme lâche, la Suisse reste impuissante à développer un système éducatif organisé en matière de beaux-arts. Quelques villes – Genève, Neuchâtel, Lausanne, etc. – offrent des enseignements plus ou moins sophistiqués. Enfin, le milieu artistique – collectionneurs, marchands, lieux d’exposition – reste rudimentaire jusqu’à la fin du siècle. Beaucoup d’artistes suisses doivent donc se résoudre à quitter leur pays pour acquérir une formation supérieure reconnue, source d’une reconnaissance bienvenue ;

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un grand centre artistique comme Paris les attire, mais il leur offre un modèle artistique incompatible avec les réalités helvétiques de leur temps. Certains, comme le Vaudois Charles Gleyre, s’en sortent en restant à Paris ; ils y mèneront une carrière fulgurante, devenant à leur tour les piliers du système académique français – Gleyre assure, comme on le sait, la direction du plus grand atelier du XIXe siècle : celui légué par David, par Gros et par Delaroche17.

5 Les mécanismes complexes qui règlent la venue, le séjour, puis le départ des artistes suisses résidant à Paris n’ont pas encore fait l’objet d’investigation d’une manière structurelle ; ils réclament, pour être mis en évidence dans toute leur clarté, une méthodologie unifiée. Le concept de réseau, à cet égard, joue un rôle capital. L’enquête présentée ici a tout d’abord débouché sur la constitution d’un grand fichier, réunissant les noms de tous les artistes suisses dont nous possédons une trace à Paris. Pour chaque artiste, le fichier liste son origine, le mode de sa présentation à l’EBA – soit selon une procédure directe, soit par l’entremise d’un professeur de dessin helvétique –, son mode de fréquentation de l’EBA (rang au concours, prix obtenus, médailles, fréquentation du Louvre lorsqu’elle est documentée par l’administration du musée, les œuvres copiées au Louvre), ses œuvres exposées aux salons de Paris, enfin les conditions de son acculturation sur place, ou de son retour en Suisse s’il a eu lieu. Dans plusieurs cas, il a été possible d’identifier les mécènes helvétiques qui ont œuvré efficacement, à Paris comme en Suisse, en faveur de ces artistes. Ce sont des politiciens cultivés, ou les comtes de Pourtalès18, les Perregaux, les Delessert, banquiers suisses richissimes installés à Paris et qui mettent leur carnet d’adresses au service de peintres aimés ; certains mécènes français, comme les Rothschild, aident également quelques artistes suisses. Dans un deuxième temps, cette riche documentation, soigneusement ordonnée, est analysée dans une perspective globale : elle sert à dégager des modèles de comportements collectifs (modes d’habitat, fréquentation d’enseignements, sociabilités d’atelier et stratégies présidant à la mise en œuvre des productions picturales).

6 Chaque fois que cela a été possible, une étude serrée de la production picturale des artistes suisses formés à Paris permet de saisir comment tels peintres assimilent des modèles, les transforment, les approprient ou les rejettent, et selon quelles lignes de force – sociales, politiques, formelles, commerciales, stratégiques ou tactiques. Les artistes suisses sont tout particulièrement séduits par des schèmes narratifs ou formels qui ont prouvé leur succès aux salons, que ce soient ceux de leurs grands maîtres français, ou ceux qui rendirent célèbres leurs compatriotes mêmes. Une telle analyse opère un lien dialectique entre l’analyse prosopographique et l’analyse de masse19. Les biographies individuelles nourrissent l’étude des schèmes qui semblent en gouverner la structure ; ces schèmes, en retour, sont affinés par leur confrontation à des récits de vies particulières.

7 Le projet est en voie d’achèvement. La publication sera mise en œuvre par l’ISEA, dans le courant de l’année 2006. L’ouvrage présentera un répertoire complet des artistes suisses repérés à Paris entre 1793 et 1863, avec toutes les références cotées des documents qui les concernent. Ce vaste ensemble documentaire sera préludé par un long essai, qui tentera de dessiner les pistes d’investigation, les voies méthodologiques majeures, propres à tirer le meilleur parti de la documentation en grande partie inédite ainsi offerte aux chercheurs20.

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NOTES

1. Ce projet est financé par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique (2002-2006), et coordonné par l’Institut Suisse pour l’Étude de l’Art, Lausanne et Zurich, ainsi que par l’Institut d’Histoire de l’Art et de Muséologie, Université de Neuchâtel. L’équipe est constituée de Virginie Babey, Valentine von Fellenberg, Pascal Griener (dir., Université de Neuchâtel), Paul-André Jaccard (dir., Institut suisse pour l’étude de l’art), Laurent Langer, Camilla Murgia. 2. En particulier, l’équipe de recherche très dynamique menée par le prof. Marie-Claude Chaudonneret. 3. Barbara Weinberg (« Nineteenth-century American painters at the École des beaux-arts », dans American-Art-Journal XIII/4, automne 1981, p. 66-84), couvre les années 1807 à 1894 ;Richard Chafee, The teaching of architecture at the École des beaux-arts and its influence in Britain and America, 1983. 4. Jonah Siegel, Desire and Excess : The Nineteenth-Century Culture of Art, Princeton, 2000 ; Copier/ Créer : De Turner à Picasso. 300 œuvres inspirées par les Maîtres du Louvre, Jean-Pierre Cuzin éd., (cat. expo., Paris, Musée du Louvre, 1993) Paris, 1993. 5. Accademie e accademismo 1770-1870, Rome, Académie de France à Rome/Accademia di San Luca/ Galleria Nazionale d’Arte Moderna, 9-11 juin 2003. 6. Les artistes étrangers à Paris de la fin du Moyen Âge aux années 1920, Paris, Centre André Chastel, 15-16 décembre 2005. 7. Ernst Kris, Otto Kurz, Die Legende vom Künstler : ein geschichtlicher Versuch, Vienne, 1934 [L‘Image de l‘artiste, Paris, 1987] ; Pascal Griener, Peter J. Schneemann éd., L‘image de l‘artiste, (colloque, Lausanne, 1994), Berne, 1994-1999. 8. Nikolaus Pevsner, Academies of art, past and present, Cambridge, 1940 [Les Académies d‘art, Paris, 1999] ; voir aussi Academies. Leids Kunsthistorisch Jaarboek, 1986-87 ; Peter Bruce Bradley, The École des beaux-arts. An academic training, Nottingham, 1982 ; Marcia Pointon, Paul Binski éd., National Art Academies in Europe 1860-1906. Educating, Training, Exhibiting, dans Art History, 20, mars 1997 ; Carl Goldstein, Teaching Art. Academies and Schools from Vasari to Albers, Cambridge, 1996. 9. Cynthia A., Harrison C. White, Canvases and careers. Institutional change in the French Painting World, New York, 1965 [La carrière des peintres au XIXe siècle, Paris, 1989]. 10. Oskar Bätschmann, Ausstellungskünstler. Kult und Karriere im modernen Kunstsystem. Cologne, 1997. 11. Martin Warnke, Hofkünstler : zur Vorgeschichte des modernen Künstlers, Cologne, 1996 ; [L‘artiste et 12. Albert Boime, The Academy and French Painting in the nineteenth century, Londres, 1971 ; Monique Segre, L’École des beaux-arts XIXe-XXe siècles, Paris, 1998. 13. Nathalie Heinich, L’élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Paris, 2005. 14. Les magnifiques travaux de Philippe Grunchec, d’Annie Jacques et d‘Emmanuel Schwartz sont de précieux instruments de travail. Pour ce qui nous concerne ici, Philippe Grunchec, Les Concours des Prix de Rome de peinture, 1797-1863, Paris, 1986 ; Philippe Grunchec, Les Concours d’esquisses peintes 1816-1863, Paris, 1986 ; Emmanuel Schwartz, Annie Jacques, Les beaux-arts, de l’Academie aux Quat’z’arts : anthologie historique et littéraire, Paris, 2001 ; Emmanuel Schwartz, La chapelle de l’École des beaux-arts de Paris : présentation historique, artistique et littéraire, Paris, 2002 ; Emmanuel Schwartz, Les sculptures de l’École des beaux-arts de Paris : histoire, doctrines, catalogue, Paris, 2003. 15. L’inventaire le plus récent des ressources est celui de Brigitte Labat-Poussin, Caroline Obert, Inventaire des archives de l’École nationale supérieure des beaux-arts, Paris, 1998 (avec table des dossiers d’élèves jusqu’en 1920).

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16. François Simiand, « Méthode historique et science sociale », dans Revue de synthèse historique, 1903, repris dans les Annales ESC, janvier-février 1960, p. 83-119 ; François Furet, « L’histoire quantitative et la construction du fait historique », dans Annales ESC, XXVI, 1971, p. 63-75 ; « Pour une histoire de la recherche collective en sciences sociales », numéro thématique Cahiers du CRH, octobre 2005. 17. William Hauptman, Charles Gleyre, 1806-1874 : Life and Works and Catalogue Raisonné. Lausanne/ Princeton, 1997. 18. La collection du comte James Alexandre de Pourtalès-Gorgier, l’un des plus riches Helvètes à Paris dans la première moitié du XIXe siècle, est étudiée par Laurent Langer, ISEA, Lausanne, et Université de Neuchâtel (thèse de doctorat, université de Neuchâtel). 19. Valentine Von Fellenberg (ISEA, Lausanne) étudie par exemple les artistes zurichois de l’école des Beaux-Arts, en particulier Hans Jakob Oeri (thèse de doctorat, université de Neuchâtel). 20. Sur ce projet, voir aussi l’article de Laurent Langer, Valentine Von Fellenberg, « Centre et périphérie. La formation des artistes suisses à l’école des beaux-arts de Paris, 1793- 1863 », dans Institut suisse pour l’étude de l’art, rapport annuel 2005, p. 70-97.

INDEX

Keywords : school of fine arts, academy, archive, network, patron Mots-clés : école des beaux-arts, académie, archive, réseau, mécène Index géographique : Paris Index chronologique : 1700, 1800

AUTEUR

PASCAL GRIENER Université de Neuchâtel, [email protected]

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De l’in-octavo au simple clic. L’Institut suisse pour l’étude de l’art (ISEA) et les publications scientifiques sur l’art en Suisse

Matthias Oberli

1 La première publication scientifique sur l’art suisse, Geschichte und Abbildung der besten Mahler in der Schweitz [Histoire et illustration des meilleurs peintres en Suisse] est sortie de presse à Zurich en plusieurs livraisons, de 1754 à 1757. Éditée par Johann Kaspar Füssli (1706–1782), portraitiste issu d’une célèbre famille d’artistes zurichois, elle retrace brièvement, en deux volumes au format in-octavo, la vie et l’œuvre de quelque trois douzaines de peintres nés ou actifs sur le territoire de la Suisse actuelle. Chaque biographie est ornée – comme déjà dans l’ouvrage fondateur Le Vite, de – d’un portrait réel ou imaginaire de chaque artiste. Dans les années 1769–1779, cette première histoire est complétée jusqu’à atteindre cinq volumes. Sous le nouveau titre Geschichte der besten Künstler in der Schweitz : nebst ihren Bildnissen [Histoire des meilleurs artistes en Suisse : avec leurs portraits], Füssli présente dès lors sur 1500 pages les biographies de quelque 240 artistes peintres, sculpteurs et architectes, et répertorie leurs noms à la fin dans un index.

2 À Zurich toujours, mais 250 ans plus tard, le 14 février 2006, l’ISEA présente officiellement sa toute dernière publication scientifique, SIKART Dictionnaire et base de données sur l’art en Suisse et dans la Principauté du Liechtenstein, accessible en ligne par un simple clic sur www.sikart.ch. Les données de quelque 14000 artistes suisses et liechtensteinois sont ainsi disponibles gratuitement sur Internet, en tout temps et dans le monde entier. On y trouve 4000 œuvres d’art numérisées en haute définition, et près de 1200 articles avec biographie détaillée et commentaire de l’œuvre. La base de données fournit des informations sur la vie des artistes, leurs œuvres, leurs expositions et les distinctions qu’ils ont obtenues, et donne les références bibliographiques les plus importantes. La navigation en quatre langues permet de lancer sans problème des recherches selon des critères chronologiques et géographiques, par catégories

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artistiques, techniques, et même par genre. Des liens hypertexte renvoient aux sites internet des musées, des galeries, des bibliothèques et des artistes. Conçue comme une base de données dynamique, SIKART continue de se développer : des mises à jour sont effectuées quotidiennement par la saisie de données factuelles récentes, l’introduction de nouvelles biographies d’artistes et l’accroissement du matériel iconographique.

3 Cette confrontation entre le dictionnaire d’artistes le plus ancien et le plus récent illustre de manière impressionnante la courbe ascendante qu’a prise en Suisse le nombre des publications scientifiques sur l’art : au début l’édition in-octavo imprimée à grands frais sur plusieurs années par un seul et unique auteur, Füssli, aujourd’hui le clic de souris gratuit qui ouvre en 0,04 secondes une base de données constituée par une centaine d’auteurs, gérée par tout un institut, avec des historiens de l’art et des spécialistes formés dans les domaines de la rédaction, de l’inventaire, de la documentation, du lay-out, de la photographie et de l’informatique.

L’ISEA – Moteur et plaque tournante pour transmettre la connaissance

4 L’exemple de SIKART révèle non seulement la croissance époustouflante d’informations pertinentes disponibles dans le secteur de l’histoire de l’art, mais également l’immensité des capacités scientifiques, techniques et notamment financières, nécessaires pour saisir effectivement toutes ces données, les gérer, les exploiter et les rendre accessibles à un large public. En Suisse, l’Institut suisse pour l’étude de l’art, fondation d’utilité publique créée en 1951, est maintenant suffisamment développé pour réaliser un projet d’une telle envergure. Sa mission est de promouvoir l’histoire de l’art suisse et de diffuser la connaissance de la création artistique suisse au niveau national et inter- national, et de mener la recherche, la documentation et la sauvegarde du patrimoine artistique des objets mobiliers. Les multiples résultats de ses recherches, menées souvent en étroite collaboration avec les musées, les universités, les chercheurs et les collectionneurs, sont régulièrement publiés sous la forme de catalogues raisonnés, de catalogues de musées et de collections, de catalogues d’expositions, de dictionnaires, de publications isolées, d’actes de colloques et de périodiques. Dans cette tâche et par le biais de son propre « Forum scientifique », il fonctionne comme un moteur et une plaque tournante pour relayer les connaissances à l’échelon national et international ; il génère aussi beaucoup d’autres projets scientifiques et les publications qui en découlent.

5 Pour celles-ci, l’Institut assure presque toujours la fonction d’éditeur, puisqu’il en assure l’ensemble de la prépresse en régie propre. Grâce à la profonde révolution en matière de desktop-publishing, l’ISEA est en effet devenu une entreprise générale de publication, qui bénéficie d’une accumulation unique de ses compétences scientifiques et techniques en histoire de l’art. Sa rédaction se compose d’une équipe d’historiens de l’art qui procèdent à la lecture et à la rédaction des manuscrits, conçoivent des livres et des séries de publications, et qui sont aussi souvent les auteurs des textes et des articles qui y paraissent ; ils planifient les campagnes photographiques, effectuent eux-mêmes en PAO le graphisme et la mise en page jusqu’à la sortie pour reproduction, puis contrôlent la qua- lité de l’impression.

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Des anciennes valeurs sûres aux nouvelles découvertes

6 Les premières publications du jeune institut, à la fin des années 1950 et au début des années 1960, désignent déjà clairement l’éventail de ses objectifs, allant des sujets et des maîtres suisses classiques jusqu’aux artistes nouveaux ou redécouverts, aux époques de style et aux disciplines récentes. Cela se traduit par la collaboration aux catalogues d’expositions sur Giovanni Segantini (1956), Johann Heinrich Füssli (1959) et Edouard Vallet (1962), la parution en facsimilé d’un carnet d’esquisses du peintre Albert Anker (1958), l’édition d’une monographie du peintre et pédagogue Barthélemy Menn (1960), la nouvelle édition d’études thématiques sur Johann Heinrich Füssli (1959–1963), la publication de deux collections privées (1957, 1961) et un recueil thématique réunissant des contributions sur la conservation des peintures et des sculptures (1963).

7 Les travaux pour les premières publications lourdes, réalisées tout d’abord en collaboration avec de grandes mai- sons d’éditions nationales et internationales comme Orell Füssli, Verlag Neue Zürcher Zeitung, Prestel, Hirmer ou Princeton University Press, débutent dans les années 1970. On y trouve les « Catalogues raisonnés » très appréciés consacrés à des artistes suisses célèbres, tel Johann Heinrich Füssli (1973), Joseph Werner (1974), Walter Kurt Wiemken (1979), Arnold Böcklin (1977) et Max Von Moos (1981), ou à des maîtres alors moins connus et redécouverts, comme le peintre des Alpes Caspar Wolf (1980) ou le cubiste Otto Morach (1983).

8 En même temps, une nouvelle série, « Catalogues de musées et de collections suisses », est créée, fondé sur des partenariats scientifiques et rédactionnels avec plusieurs musées en Suisse alémanique. Grâce à cette collaboration, la réalisation de volumineux catalogues de collections devient effectivement possible, sur la base d’inventaires partiels ou de fonds entiers effectués dans les musées à Schaffhouse (1972, 1985, 1989), Soleure (1973, 1981, 1982), Winterthour (1977, 1981, 1984), Aarau (1979, 1983), Olten (1983) et Coire (1989).

L’implication des mécènes

9 Dès la fin des années 1970, l’Institut s’intéresse de plus en plus à la création artistique contemporaine et édite tout d’abord des ouvrages généraux d’ordre lexicographique, comme le Dictionnaire des artistes suisses contemporains en 1981 et le Répertoire des artistes suisses 1980–1990 en 1991. Puis il commence à documenter des collections où l’art contemporain occupe une place prépondérante, en particulier celles des banques suisses et des compagnies d’assurances. Par son rôle de conseiller scientifique, il contribue également pour une part à la constitution de ces collections. Cette collaboration aboutit à des publications communes et fait désormais partie intégrante de ses activités éditoriales. Cependant l’Institut, qui occupe actuellement 55 collaborateurs, bien que bénéficiant de subventions de la Confédération, des cantons et des communes, doit subvenir à plus de 50% de ses frais de fonctionnement par le fundraising, le sponsoring d’entreprises, le mécénat privé et les contributions de fondations, ainsi que par ses propres prestations comme les expertises, la restauration ou, précisément, par le biais des mandats d’inventaire et d’édition. C’est pourquoi les livres et les catalogues à fort tirage, réalisés intégralement en interne, de la conception

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à l’édition, pour ces partenaires du secteur économique, représentent un pilier financier indispensable. Il s’agit d’ouvrages sur les collections de la Banca del Gottardo (1978, 1988), d’UBS (2003), de la Banque cantonale de Zurich (2001, 2006), de la Mobilière (2001) et de la Nationale Suisse Assurances (2005) ou encore la publication à paraître en 2006 à l’occasion des 150 ans du Crédit Suisse Group sur la création artistique en Suisse de 1848 à 2005.

10 La série « Musées suisses », commencée en 1991 par la banque BNP Paribas (Suisse) (aujourd’hui Fondation BNP Paribas Suisse), prolonge dans la Confédération l’effort de divulgation scientifique menée pour les musées français. Cette série, riche à ce jour de 18 volumes, dévoile le riche paysage muséal suisse, avec les grands musées comme les collections moins connues.

Projets éditoriaux d’envergure

11 Bien entendu, d’étroites relations ont toujours existé entre le siège de l’Institut à Zurich (germanophone), la Suisse romande (francophone) et la Suisse italienne (Tessin). Cette coopération fédéra- liste se concrétise en 1988 par la création d’une antenne romande à l’Université de Lausanne. Parmi les quelque cinquante catalogues publiés jusqu’ici, quelques-uns accompagnent des expositions itinérantes en Suisse romande et au Tessin, avec la participation des institutions et des musées locaux. D’autre part, des catalogues raisonnés d’artistes suisses romands célèbres comme René Auberjonois (1987), Charles Gleyre (1996), Auguste de Niederhäusern-Rodo (2001) et Félix Vallotton (2005) focalisent l’attention sur la création artistique en Suisse romande et ses liens avec la France.

12 Des événements historiques sont aussi une source d’inspiration pour la conception et l’édition de publications. Pour marquer les 700 ans de la Confédération helvétique, en 1991, Pro Helvetia, la plus importante fondation culturelle suisse, a publié à raison d’un volume par année une série de douze volumes et un index général, Ars Helvetica. La culture visuelle de la Suisse. Pour commémorer les 150 ans de l’Etat fédéral, en 1998, la Société suisse des beaux-arts a organisé une campagne d’expositions présentant plusieurs collections privées ou institutionnelles dans divers musées du pays, et confié à l’ISEA la coordination et la publication d’un ouvrage collectif, L’art de collectionner. Collections d’art en Suisse depuis 1848, qui réunit les recherches inédites de cinquante- cinq auteurs, chacun dans sa langue maternelle.

13 La même année, en 1998, paraît le Dictionnaire biographique de l’art suisse, Principauté du Liechtenstein incluse, tiré à 5000 exemplaires, entre-temps épuisé. Cet ouvrage de référence, fondamental pour la base de données électronique SIKART évoquée en introduction, présente 12000 artistes dans la langue de chacun selon le principe de territorialité linguistique. Un CD-ROM est annexé aux deux volumes imprimés pour faciliter les recherches. Par la suite d’autres publications, comme le catalogue raisonné en deux volumes du peintre zurichois Varlin (2000), sont aussi accompagnées d’un CD- ROM. Enfin, c’est exclusivement au format électronique de documentation web que l’ISEA publie en 2004 l’œuvre du néo-expressionniste suisse Martin Disler : www.martin-disler.ch.

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Nouvelles formes, nouveaux projets

14 La production de publications innovatrices et parfois aussi à l’avant-garde par leur forme et par leur fond contribue activement à la renommée et à l’image de marque de l’ISEA. On aura compris que seul un institut de recherche actif dans plusieurs domaines et ancré de toutes parts dans les secteurs économique, culturel et scientifique puisse se permettre de s’exposer à de tels risques. Des éditeurs ou des auteurs isolés qui doivent s’affirmer financièrement, surtout sur le marché très limité du livre suisse, ne peuvent que rarement relever de tels défis.

15 L’ISEA est encouragé dans son positionnement éditorial par la reconnaissance dont bénéficient ses ouvrages en Suisse et dans d’autres pays, comme les catalogues raisonnés Giovanni Giacometti (1996–97), André Thomkins (1999) et Bernhard Luginbühl (2003), ou encore la publication de la correspondance de Giovanni Giacometti (2000, 2003) ainsi que le catalogue raisonné Félix Vallotton. L’œuvre peint (2005) a même reçu le « Prix SNA du livre d’art » décerné à Paris par le Syndicat national des antiquaires, récompensant la plus belle publication scientifique d’art en 2005. En outre, les statistiques de consultation du site internet de « SIKART Dictionnaire et base de données » (www.sikart.ch) dépassent toutes les attentes.

16 À l’avenir également, l’ISEA va concentrer ses travaux de recherche et d’édition au niveau national, et de plus en plus aussi au niveau international, en fonction de ses pôles d’excellence, « Collections et documentation », « Technologie de l’art » et « Art et société ». Ainsi va paraître ces prochaines années en trois volumes le catalogue raisonné de l’œuvre peint de Ferdinand Hodler, le projet de recherche le plus important jamais réalisé à l’Institut. Parallèlement, la section Technologie de l’art va publier dans une nouvelle série, « KUNSTmaterial », les résultats spectaculaires de la recherche technologique menée sur des œuvres de ce même peintre. Suivront également d’autres numéros de la série scientifique internationale « Outlines », lancée en 2004 avec Klassizismen und Kosmopolitismus ou Art & Branding (2006). En plus des nouveaux volumes dans la série « Musées suisses », d’autres sont prévus, dont les catalogues raisonnés du sculpteur néo-classique James Pradier, né à Genève, ou de l’œuvre de jeunesse de Cuno Amiet. De même, le projet de recherche supporté conjointement par l’ISEA sur la conservation des œuvres d’art électroniques (« AktiveArchive » : www.aktivearchive.ch) va donner lieu à des publications passionnantes.

17 La forme éditoriale de ces multiples publications à venir n’est pas toujours définie à l’avance et dans le détail. Mais, comme précédemment, elle se situera quelque part entre le format in-octavo et le clic de souris.

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INDEX

Keywords : scholarly publication, biography, database, Internet, edition, diffusion, research, documentation, conservation, heritage, patron Mots-clés : publication scientifique, biographie, base de données, Internet, édition, diffusion, recherche, documentation, sauvegarde, patrimoine, mécène Index géographique : Suisse Index chronologique : 1700, 1900, 2000

AUTEUR

MATTHIAS OBERLI ISEA (Institut suisse pour l’histoire de l’art), [email protected].

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Enseignement et diffusion du design contemporain en Suisse : un aperçu des nouveautés au tournant du millénaire

Sibylle Omlin

1 Le design s’étend aujourd’hui à tous les champs de la vie, professionnelle et personnelle. Le terme « design » ne concerne plus seulement la réalisation de meubles ou de vêtements mais recouvre également la sphère de la communication et de la vie de tous les jours. Le sac en bandoulière des frères zurichois Freitag, réalisé à partir de bâches usagées de camion, est plus qu’un simple sac, c’est un mode de vie au message clair : j’achète des produits à la ligne simple, gage d’individualité. Pratique et large, il se laisse facilement transporter à vélo à travers la ville. En outre, en recyclant de vieilles bâches, il rejoint aussi les aspirations écologiques du moment.

2 Le design naît aujourd’hui d’une demande de formes applicables aux produits de consommation et il en va de la consommation comme des autres domaines de l’industrie des produits manufacturés. Par conséquent le design n’est pas seulement une forme soumise ou fonctionnelle mais interagit également par son positionne- ment dans la vie quotidienne et la mise en place de composants socio-économiques comme le système des marques. Il révèle le quotidien dans les différents systèmes politiques et sociétaux, met en lumière les mutations dans les modes de vie et les styles, et atteste d’un rapport évolutif au temps ou concurrence les idéaux sociaux.

3 Le contexte de l’enseignement du design en Suisse évolue lui aussi ces dernières années, ce qui explique l’ouverture d’écoles supérieures (Hochschule für Gestaltung und Kunst, HGK) à la fin des années 1990. Mais cette évolution concerne directement tous les domaines de la discipline, particulièrement dans les filières les plus traditionnelles des anciennes grandes écoles d’arts graphiques : design d’objet, de meuble ou mode, celle-ci étant encore considérée comme une discipline majeure. Des designers toujours plus nombreux collaborent désormais de façon interdisciplinaire dans des domaines qui se recoupent.

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4 Cette conjoncture pose de nouvelles exigences en matière de recherche, de médiation et de formation. L’attente de débats sur la discipline et son implication culturelle et historique en Suisse, tout comme dans d’autres pays européens, s’est significativement accrue depuis 1980. Cela s’observe particulièrement dans l’ouverture de nouvelles filières comme « Lifestyle », « Scénographie » ou « Corporate Design », mais aussi à travers de nouvelles collections, de nouveaux départements dans les musées et d’un nouveau système d’encouragement au design suisse mis en place par l’Office Fédéral de la Culture.

L’histoire

5 Autrefois, les musées historiques collectionnaient avant tout des objets « designés » de la vie de tous les jours. Le musée de Berne s’était progressivement constitué, depuis le début des années 1980, une collection d’objets du quotidien. De même, le Landesmuseum de Zurich rassemble depuis quinze ans des objets d’usage courant de l’habitat, du travail et des loisirs, qui illustrent l’histoire sociale suisse et permettent de transmettre une culture compréhensible et visible en termes de médiation historique. Au premier plan se trouvent les objets appelés « Schwellenprodukt »1 [produits « de seuil »], représentatifs des importantes mutations techniques et qui rappellent les écarts entre secteurs secondaire et tertiaire dans l’histoire économique suisse du XXe siècle. On trouve à ce propos des collections hétéroclites de produits techniques et industriels, plus particulièrement au Musée d’horlogerie de La-Chaux-de-Fonds, au Musée Bellerive de Zurich et au Textilmuseum de la Fondation Abegg au Mont Righi.

6 La collection du Musée du design de Zurich (à l’instar de son pendant en Suisse Romande, le MUDAC, Musée de design et d’arts appliqués contemporains de Lausanne) réussit à offrir un aperçu des influences importantes dans l’histoire du design suisse. Elle réunit avant tout des produits manufacturés d’origine suisse de haute qualité. En effet, l’Office Fédéral de la Culture sélectionne depuis 1922 des objets qui, sous la forme de dépôts temporaires, constituent depuis 1989 les fonds du musée du design de Zurich et du MUDAC de Lausanne.

7 Pour rendre l’histoire du design plus populaire, la Suisse a créé le musée frontalier Vitra, développé en 1986 par Rolf Fehlbaum et construit à Weilam-Rhein par Frank Gehry. Aujourd’hui, ce musée est une institution dynamique de niveau international qui à travers ses expositions monographiques a fait avancer la recherche en matière de design contemporain. L’entrepreneur suisse Vitra, lui-même actif dans le design de meubles d’avant-garde, a amassé une collection considérable d’objets de tous pays rendue publique en 1989 grâce à ce musée.

8 En dehors du Landesmuseum de Zurich, qui abrite également un important fond d’affiches, on trouve des objets répartis dans différentes institutions, ce qui ne rend pas toujours simples leur étude et leur diffusion. Mais n’a pas encore eu lieu en Suisse l’important travail de valorisation des collections développé ces cinq dernières années dans des musées comme le Centre Pompidou à Paris ou la Pinakothek der Moderne à Munich, où l’appréhension des thèmes majeurs de l’histoire de l’art (pop art, minimalisme) se fait non plus seulement par la présentation traditionnelle des œuvres d’art mais aussi par une scénographie du design et une architecture parlante.

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La recherche

9 D’une manière générale, en Suisse, la politique de répartition des collections dans les musées et la structure fédérale du pays, avec ses trois langues officielles, rendent encore plus difficile une vue d’ensemble de l’étude de l’histoire du design à l’échelle nationale.

10 Grâce à l’ouverture en 1983 d’un département pour le XXe siècle à l’université de Zurich, l’histoire de l’art suisse a pu aborder de nouveaux thèmes. Le premier titulaire de cette chaire, le professeur Stanislas von Moos, a ainsi toujours accepté de prendre en compte les nouveaux aspects de l’histoire et de la production du design du XXe siècle, fondamentaux dans le contexte actuel du Bauhaus Moderne. L’importante série « Ars Helvetica », consacrée à la culture visuelle en Suisse, dessine pour la première fois au moment du jubilé de 1991 un panorama du design dans différents volumes dédiés à la culture industrielle et à l’artisanat d’art2. Les nouvelles interrogations soulevées par la production en série ne trouvent pourtant qu’un écho ponctuel dans les départements d’histoire de l’art contemporain. Ceux-ci restent fortement attachés à l’existence, dans les écoles supérieures, d’un enseignement théorique qui analyse le design dans ses relations au « Swiss Design Network » (à la fois centre national d’aptitude, communauté scientifique et plate-forme de recherche dont les réunions annuelles étudient d’importants projets qui pourront faire l’objet d’aides financières de la CTI, Commission pour la technologie et l’innovation3).

11 La recherche dans le domaine du design s’oriente selon deux axes principaux : l’analyse des effets esthétiques des objets et la recherche pratique et appliquée. Au-delà de cette distinction, c’est un renouvellement des connaissances en matière d’innovation technologique qui est visé, ainsi qu’une meilleure prise en compte des performances du design à l’étranger4.

L’enseignement

12 Ce changement dans que la situation de l’enseignement et des concepts témoigne également des nouveautés dans le champ du design suisse, conformément aux tendances actuelles. L’Office fédéral de la culture, qui depuis 1917 encourage la discipline par le biais de concours, entend depuis 2002 le promouvoir, dans un environnement international dynamique, par des mesures de soutien aux jeunes designers de moins de quarante ans. Les lauréats peuvent soit bénéficier de subventions soit effectuer une formation dans un atelier de design réputé, en Suisse ou à l’étranger. Les anciennes catégories utilisées jusqu’à présent (arts graphiques, mode, textile, céramique, joaillerie, photographie, décors de théâtre, art du verre et design industriel) sont abolies. Dans ce concours, on attend des candidats qu’ils définissent les conditions de production de leur objet : s’il s’agit d’un prototype, d’un projet destiné à être produit en petite série ou développé sur le marché. Ce rapport de proximité avec l’industrie se retrouve également dans les activités du centre du design suisse de Lagenthal5 qui attribue un prix depuis 1991 et organise une rencontre entre designers et entreprises à travers le « samedi des designers » depuis 1995.

13 Un tel modèle d’encouragement des jeunes talents et des débouchés suppose que les écoles supérieures de design repensent radicalement leurs formations et présentent la

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discipline comme un travail global, avec différentes voies d’approfondissement. Au niveau du bachelor on n’observe rien de semblable. Seule l’école supérieure de design et d’art de Zurich a développé en 2004/ 2005 une telle filière, pluridisciplinaire et très attractive. Les autres écoles préfèrent proposer un large éventail de filières avec une possibilité de choix ou de modules transversaux vers d’autres domaines d’étude6.

14 Sortant du concept de base de la « gute Form », les cursus des designers visuels, designers de mobiliers et designers industriels sont orientés dès le niveau du bachelor en fonction des caractéristiques techniques des produits. Par conséquent, les frontières disciplinaires dans la formation initiale ne sont jusque-là que rarement franchies. Les filières « master » encore absentes en Suisse (elles seront introduites pour la première fois en 2007) bénéficieront donc d’importantes impulsions avec une offre d’enseignements transdisciplinaires. Les formations seront alors complétées par la possibilité d’effectuer une recherche au sein de studios spécialisés dans les concepts que développent des bureaux d’architectes renommés (MOMA/AMO de Rem Kohlhaas, Herzog & DeMeuron).

15 Les premières filières « Executive Master » dans le domaine du Corporate Design ou de la conception en design parviennent à proposer des cursus dont le but est de préparer les designers à des missions importantes : planifier, formuler, organiser, coordonner et mettre en œuvre le passage de la création de produits au Corporate Design et de la conception-production à la mise sur le marché.

NOTES

1. Christof Kübler, Christina Sonderegger, « Sammeln, Forschen und Bewahren. Die Gegenwart im visier – Sam- meln im Schweizerischen Landesmuseum unter besonderer Berücksichtigung des 20./21. Jahrhunderts », dans www.preview-ausstellung.ch/pdf/medien/d/05b_sammeln-fors- chen-bewahren.pdf ; Christof Kübler, Maria Weiss, « Die Sammlung zur Zeitgeschichte im Überblicke », dans Die Sammlung. Geschenke, Erwerbungen, Konservierungen 2002/2003, Zurich, 2005, p. 78-81. 2. Eva-Maria Preiswerk-Lies, Kunsthandwerk/Arts précieux, arts appliqués ; Stanislaus von Moos, Industrieästhetik/Esthetique industrielle, dans Ars Helvetica. Die visuelle Kultur der Schweiz [La culture visuelle de la Suisse], Florens Deuchler éd., Disentis, vol. 8 et 11, 1991-1992. 3. Le Swiss Design Network rassemble sous la direction de l’école des beaux-arts et du design de Zurich les départe- ments des écoles de design du Nord-Ouest de la Suisse (Bâle et Aarau), de Berne, Genève, Lausanne, La-Chaux-de-Fonds, Lugano/Cannobbio et Lucerne. Il propose une offre de formations et de sujets de recherche dans les domaines de la communication visuelle, du design industriel, de la mode, de la scénographie, du Corporate Design et du Media Design. 4. Design als Wissenschaft und Forschung. Grundlagenpapier Swiss Design Network, Zurich, 2005 (www.swiss-design.org/uploads/publikationen/files/Research_Def_d.pdf). 5. Le Centre du design de Langenthal est un centre privé. Il s’intéresse avant tout au mobilier et au design d’objets et se veut un lieu de rencontres, de formation et de conseil en design. 6. Différentes disciplines et spécialisations en design sont enseignées aujourd’hui en Suisse, dans sept Hautes écoles d’arts.

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INDEX

Keywords : design, design history, teaching, museum, collection, institution, school, formation, subject Index géographique : Suisse Mots-clés : design, histoire du design, enseignement, musée, collection, institution, école, formation, discipline Index chronologique : 1900, 2000

AUTEUR

SIBYLLE OMLIN École supérieure d’art et de design (HGK) de la Suisse du Nord-Ouest, [email protected]

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Topographie architecturale suisse : inventaires et guides du patrimoine

Dave Lüthi

1 Les publications sur l’histoire de l’architecture suisse sont particulièrement difficiles à circonscrire, car elles dépendent d’acteurs nombreux et variés. La structure politique donne peu de responsabilités aux autorités fédérales en matière d’inventaire architecturaux ; depuis la loi de 1966 sur la protection de la nature, des monuments et des sites (LPNMS), la protection des monuments dépend en effet en grande partie des vingt-six cantons, parfois relayés par les communes.

Inventaires fédéraux

2 Seuls quelques grands programmes nationaux ont été mis en place suite à cette loi ; ils concer-nent surtout le recensement des paysages (Inventaire fédéral des paysages, sites et monuments naturels – IFP ; Inventaire des sites construits à protéger – ISOS) et visent, par des recommandations intégrées aux règlements d’aménagement du territoire, à la préservation des sites naturels ; de par leur caractère essentiellement descriptif, ces travaux intéressent hélas peu l’historien. Un troisième inventaire national, récemment achevé, concerne les voies de communication historiques (inventaire soutenu par l’Office fédéral des routes). Ses résultats ont été publiés dans le Bulletin IVS (1985-1999), devenu Les chemins et l’histoire ; à l’issue du mandat (2003), une association soutenue par l’Université de Berne, Via Storia, a pris le relais de manière à poursuivre le travail auprès des cantons (routes historiques d’importance régionale et locale) ainsi que la diffusion des informations auprès du public par des guides (par exemple : Les Chemins de St-Jacques à travers la Suisse. Étapes du pèlerinage de Saint-Jacques- de-Compostelle, 1999) et des cartes (Archéologie et patrimoine routier fribourgeois, 7 cartes publiées ; etc.).

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Inventaires cantonaux

3 La Confédération ne s’occupe en revanche qu’indirectement de patrimoine bâti. Au mieux intervient-elle par le biais de la Commission fédérale des monuments historiques, dont le rôle est consultatif, ainsi que par l’octroi de subventions lors de restaurations. Mais c’est aux cantons que revient, selon la LPNMS, le soin des recensements architecturaux. Commencés durant les années 1970, ces inventaires ont parfois abouti récemment. Actuellement se pose la question de leur mise à jour, exercice particulièrement complexe au vu du nombre de bâtiments retenus et de l’évolution des sensibilités durant ces trois décennies : la passion pour le patrimoine rural a cédé le pas à la redécouverte de la Belle-époque, puis du modernisme des années 1930, avant que ne se profilent les signes de remise en valeur des années d’après- guerre. Cette évolution des intérêts conjuguée au recul des moyens financiers ainsi qu’au manque d’enthousiasme des politiciens en faveur de la publication de ces inventaires retardent hélas la diffusion de sommes de connaissances considérables, qui permettraient notamment d’envisager une conservation raisonnée des édifices représentatifs (notamment des périodes récentes) et d’éviter des pertes honteuses (ainsi la démolition en 1975, année européenne du patrimoine, de la villa bâtie par Viollet-le-Duc à Lausanne). Dans les rares cas où ces inventaires sont publiés, ne serait- ce que de façon succincte, les effets sur la (re)connaissance et l’appropriation du patrimoine, même modeste, par le public est sensible, et sa conservation – en connaissance de cause – s’en voit facilitée.

Le rôle de la Société d’histoire de l’art en Suisse

4 Depuis plus de 125 ans, c’est à une société de droit privé que l’on doit le travail d’inventaire scientifique du patrimoine construit en Suisse. Subventionnée par la Confédération (notamment par le biais du Fonds national de la recherche scientifique - FNS), par les cantons, mais aussi par des donateurs privés, la Société d’histoire de l’art en Suisse (SHAS) se charge en effet de la série des Monuments d’art et d’histoire de la Suisse (MAH), les fameux « livres noirs », initiée en 1927 et qui compte 106 volumes à ce jour. Le découpage des volumes varie selon l’époque de la publication, les moyens à disposition ainsi que la matière étudiée ; il peut ainsi s’agir (rarement) d’une monographie d’édifice (l’abbaye d’Einsielden), de l’étude d’une ville (les chefs-lieux cantonaux sont souvent décrits dans plusieurs tomes successifs : il est en est ainsi pour Bâle, Berne, Genève, Lausanne, Zurich, etc.), ou d’étendues plus vastes (districts). L’intérêt s’y porte sur les bâtiments de la période antérieure au milieu du XIXe siècle puis, selon des critères plus récents, antérieurs à 1930. Ces volumes se distinguent par leur approche archivistique et descriptive ; souvent indépassables (ou indépassés), ils sont les bases essentielles des organes compétents agissant à la préservation du patrimoine construit dans le pays. Mais ils intéressent aussi un plus large public : le cas du volume publié en 1998 sur Morges (une bourgade de moins de 14 000 habitants), déjà épuisé, l’atteste clairement.

5 La SHAS a aussi produit trois volumes d’inventaire patrimoniaux, les Kunstführer durch die Schweiz (1971, 1976, 1982) – ou « volumes rouges » –, rédigés en langue allemande et qui couvrent l’entier du territoire national. Une réédition en quatre volumes est en cours (deux volumes parus en 2005), plus séduisante par son graphisme et par une

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abondante iconographie ; en revanche, une perte d’information, consécutive au nouveau format, est à constater : la nouvelle édition complète l’ancienne, plutôt qu’elle ne la remplace. Tout récemment, après trente ans d’un travail remarquable, la SHAS a terminé un projet tout autant essentiel : l’Inventaire suisse d’architecture 1850-1920 (INSA – Inventar der neueren Schweizer Architektur). Initié par l’historien de l’art Georg Germann en 1973, ce recensement visait à compléter les MAH pour les périodes qu’ils ne couvraient pas et, surtout, tentait d’appréhender une architecture qui subissait alors de plein fouet les foudres conjuguées des promoteurs immobiliers et des architectes (dé)formés à la pensée pro-moderniste. D’abord prévu comme un recensement rapide de l’entier du territoire national, l’INSA a dû se résoudre, pour des questions financières, à se pencher sur quarante villes, chefs-lieux cantonaux et agglomérations de plus de 10 000 habitants en 1930. Un volume d’INSA consacré aux campagnes, prévu à l’origine, a été abandonné en raison de l’ampleur démesurée de la tâche et, aussi, par la mise en cause par les auteurs-mêmes de la pertinence méthodologique de l’inventaire rapide employé en milieu urbain pour un patrimoine très différent. Cette sélection a l’avantage de faire se côtoyer des agglomérations dissemblables (des bourgades encore traditionnelles et des sites très urbanisés), des pratiques architecturales variées (selon que l’on se trouve sous l’influence du Polytechnicum de Zurich ou de l’école des beaux-arts de Paris) et des typologies souvent ignorées des études générales d’architecture (habitat ouvrier, manufactures, infrastructures urbaines, ponts, etc.). Son désavantage est l’absence de quelques sites majeurs de cette période, notamment des stations touristiques (, Leysin, Sankt-Moritz ; la qualité des chapitres sur Davos et Montreux fait d’autant plus regretter cette lacune) ou d’importants centres industriels (Balstahl, Choindez, Yverdon, etc.). Parfois, cette absence est palliée par des publications monographiques, notamment celles issues de la série des Guides de monuments suisses, publiés par la SHAS et forte de près de huit cents titres (par exemple : Sylvie Bärtschi-Baumann, Heinz W. Weiss, Das Industrieensemble Neuthal, 1991 ; Stefan Blank, Der Industrielehrpfad Emmenkanal, 2002). Le mode d’inventaire a passablement évolué durant ces trente années : les premiers volumes de l’INSA devenant des références pour les protecteurs du patrimoine, la SHAS a soutenu la recherche historique dans certains fonds d’archives, donnant plus d’assise aux introductions sur le développement des villes ainsi qu’aux notices décrivant chaque édifice retenu. Ces notices s’allongeant, il a fallu faire des choix et ne s’intéresser, pour certaines grandes villes, qu’à certaines zones, faute de pages supplémentaires ; l’absence de secteurs entiers fait alors le malheur des services cantonaux des Monuments historiques, qui ne peuvent guère arguer des prudentes considérations méthodologiques des auteurs de l’INSA justifiant ces manques pour sauver des édifices en péril…

6 L’INSA a aussi inauguré une nouvelle approche descriptive, lancée par les plumes agiles et érudites de Othmar Birkner, Jacques Gubler, Andreas Hauser et Hans-Peter Rebsamen, à qui l’on doit la rédaction des premiers volumes de cet inventaire (1980, 1982). En langue française, on lira avec profit (et plaisir !) J. Gubler qui, en quelques mots, parvient à caractériser des façades pour lesquelles, dans un autre cadre, une page entière ne suffirait pas à rendre le détail. Se jouant des restrictions de place, l’historien de l’art transcende la prose habituelle pour se diriger vers d’autres moyens littéraires. L’inventaire se voit ainsi émaillé de petits « événements » quasi poétiques, qui ont modifiés l’approche descriptive de toute une génération de chercheurs.

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7 Les onze volumes et les quatre mille pages de l’INSA sont depuis peu rendus très accessibles par un index nominatif qui couronne ce travail considérable et remarquable (2004). Enfin, un colloque organisé par la SHAS à Berne en septembre 2004 (actes publiés dans la revue Art + Architecture en Suisse, 2005) a fait le bilan critique de cet inventaire à l’orée d’un programme d’INSA du patrimoine du XXe siècle (qui, au vu du climat politique et budgétaire actuel, tient surtout de l’utopie).

Publications thématiques, monographies, typologies

8 L’INSA sert de base à de nombreuses études de l’architecture des XIXe et XXe siècles. Celles-ci sont en général issues des principales académies suisses, universités et écoles polytechniques (EPF), sous la forme de travaux de licence (équivalents des anciens mémoires de maîtrise) ou de thèse publiées. Il s’agit souvent de monographies d’architectes, liées à l’étude d’un fonds d’archives, monographies dont les Archives de la Construction moderne (EPF-Lausanne) sont l’un des fréquents éditeurs (citons, aux Presses polytechniques et universitaires romandes de Lausanne : Pierre Frey éd., Alphonse Laverrière, 1872-1954 : Parcours dans les archives d’un architecte, 1999 ;Antoine Baudin éd., Photographie et architecture moderne : la collection Alberto Sartoris, 2003).

9 D’autres grandes séries méritent ici une mention. Le patrimoine vernaculaire est analysé par La maison rurale en Suisse, publiée depuis 1965 par la Société suisse des traditions populaires et soutenu par le FNS. Forte de plus de trente tomes à ce jour, la collection se particularise par sa perspective d’approche ethnologique plutôt qu’historique. Pour l’histoire de l’art plus générale, les volumes d’Ars Helvetica (1987-1993), demeurent toujours incontournables. À côté d’opus thématiques rédigés par des spécialistes du domaine (citons par exemple L’architecture religieuse, par Heinz Horat, ou L’architecture profane d’André Meyer), les sujets transversaux traités par Dario Gamboni (La géographie artistique) et Florens Deuchler (L’économie artistique) ont tracé des pistes de recherche stimulantes, remettant en question les catégories habituelles de la discipline et ouvrant des champs de recherche particulièrement pertinents pour l’histoire de l’art et de l’architecture suisse (symboles nationaux, circulation des artistes, écoles, identité régionales, etc.).

10 La récente synthèse sur l’architecture régionaliste réalisée – cela n’est sans doute pas un hasard ! – par une historienne de l’art d’origine allemande, Élisabeth Crettaz Stürzel, s’inscrit en continuité avec ces questionnements sur l’architecture « nationale », esquissés dès 1975 par Jacques Gubler (notamment dans sa thèse Nationalisme et internationalisme dans l’architecture moderne de la Suisse). Le premier volume de Heimatstil. Reformarchitektur in der Schweiz, 1896-1914 (2005) s’attache à retracer la lente émergence de ce mouvement dans la foulée des expositions nationales et de la recherche d’une culture helvétique qui cimente la jeune Confédération (instituée en 1848). Le second tome présente en revanche un choix de bâtiments régionalistes dans chacun des vingt- six cantons, sélectionnés et commentés par des historiennes et historiens des différentes parties de la Suisse, ainsi que des articles thématiques s’attachant aussi bien à la diffusion du style et à son idéologie qu’à des questions formelles, à la fortune critique du mouvement, voire à la monographie d’architectes.

11 À côté de ces inventaires d’envergure nationale, on constate depuis les années 1990 une recrudescence de publications menées dans le sillage des inventaires d’architecture cantonaux. Le phénomène est particulièrement sensible en Suisse alémanique, comme

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en témoignent plusieurs guides à Winterthur (Gilbert Brossard, Daniel Oederlin, Ein Führer zur Baukunst in Winterthur von 1830 bis 1930, Zurich, 1997) mais surtout à Zurich dont le Service des bâtiments a entrepris en 2002 la sé- rie Baukultur in Zürich : schutzwürdige Bauten und gute Architektur der letzten Jahre (Zurich, Verlag Neue Zürcher Zeitung), présentant à la fois les édifices anciens (notamment de la Belle-époque) du « grand Zurich » et des édifices récents considérés comme exemplaires. À ce jour, cinq volumes sont déjà parus.

12 Les études d’objets mobiliers ou immobiliers liés à l’architecture ne sont pas rares ; elles émanent souvent de travaux académiques mais sont aussi parfois issues de recherches personnelles. Citons les études transfrontalières sur les stalles (Claude Lapaire, Sylvie Aballéa éd., Stalles de la Savoie, Genève, 1991 ; Corinne Charles, Stalles sculptées du XVe siècle. Genève et le duché de Savoie, Paris, 1999) et celle plus spécifique au cadre régional de Catherine Kulling (Poêles en catelles du Pays de Vaud, confort et prestige. Les principaux centres de fabrication au XVIIIe siècle, Lausanne, 2001). On notera au passage que le domaine savoyard médiéval, qui concerne la Suisse, la France et l’Italie, a été bien étudié par des collectifs de chercheurs dès les années 1970, notamment sous l’impulsion d’Enrico Castelnuovo et de ses études sur l’art dans le domaine alpin.

13 Il faut enfin citer les très nombreux inventaires d’architecture contemporaine édités notamment par les associations d’architectes. L’historien les utilisera avec discernement, le choix des objets étant fondé sur des critères très différents de ceux dont il a l’habitude ; des pans entiers d’architecture sont ainsi passées sous silence, car ils ne correspondent pas au goût prédominant, toujours sous l’influence de la modernité, au sens corbuséen du terme. Toutefois, ils ont l’avantage de défricher un champ immense et constituent autant de futures bases de recherches – des sources en devenir, si l’on préfère, à considérer avec les précautions d’usage.

14 Cet examen met en évidence une caractéristique helvétique courante dans le domaine des sciences historiques : abondance rime avec désordre. Le fédéralisme n’est en effet pas toujours un allié ; s’il profite à la micro-histoire – dans ce qu’elle a de plus stimulant souvent –, il ne favorise hélas guère les projets d’envergure, sauf s’ils sont d’ambition nationale. La Suisse se composant d’aires culturelles historiques qui ne correspondent pas souvent à la géographie politique actuelle, on peut regretter que l’échelon intermédiaire, le régional (et pas le régionaliste…), soit si rarement retenu comme critère de définition territorial, car il est apte à renouveler les approches et les questionnements.

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INDEX

Keywords : architecture history, preservation, monument, inventory, built heritage, vernacular heritage Index géographique : Suisse Mots-clés : histoire de l'architecture, préservation, monument, inventaire, patrimoine construit, patrimoine vernaculaire Index chronologique : 1900

AUTEUR

DAVE LÜTHI Université de Lausanne, section d’histoire de l’art, [email protected]

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Les revues suisses d’histoire de l’art Nott Caviezel

Nott Caviezel

1 « La Suisse manque d’œuvres d’art majeures. » Voici la première phrase de la préface à l’ouvrage Geschichte der bildenden Künste in der Schweiz que publia Johann Rudolf Rahn, un des pionniers de l’histoire de l’art suisse, en 18761. Dans le même paragraphe, les monuments suisses sont caractérisés par une « certaine médiocrité » et, pour la plupart, par un « niveau qui ne tient pas la comparaison » avec la production artistique des pays voisins. Ces monuments représentent, selon l’auteur, « une image pleine de contradictions » où se mêlent des influences étrangères diverses qui collent « à l’art de notre pays une marque cosmopolite ». Par ce regard à la fois critique et patriotique, le chercheur évoque ici l’hétérogénéité culturelle due à l’histoire, qui se traduit non seulement par l’existence de quatre langues (allemand, français, italien, rhéto- romanche), mais surtout dans les expressions artistiques du pays.

2 Depuis longtemps en Suisse, cette situation initiale a marqué la recherche en histoire de l’art et l’évolution de la discipline dans des contextes différents2, dont le domaine des publications spécialisées.

3 Orientant le système éducatif et la politique culturelle au niveau cantonal et communal, le système fédéral suisse ainsi que le régionalisme – qui constitue en grande partie l’identité culturelle et linguistique du pays – sont clairement perceptibles dans de nombreux domaines. Ces différences jouent de façon de plus en plus évidente dans un paysage médiatique ancien et actuel fractionné, encore aujourd’hui, par des raisons linguistiques, mais aussi par des conditions culturelles plus profondes.

4 Le monde de l’édition, la presse quotidienne et les revues de tous genres s’inscrivent dans cette image culturellement et géographiquement régionalisée de la Suisse. Le pays, si peu centralisé, témoigne, au travers des institutions et des projets nationaux et polyglottes, de ses efforts pour sur- monter des susceptibilités nombreuses (et parfois justifiées). La cohésion politique de la Suisse pluriculturelle suppose de franchir les barrières linguistiques existantes. Celui qui veut se faire entendre au-delà des frontières régionales, voire nationales, a tout intérêt à publier ses déclarations en

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plusieurs langues. Cela vaut également pour les revues spécialisées. Même dans le secteur universitaire, on peut finalement constater des différences régionales qui ne sont pas seulement régies par des particularités linguistiques, mais principalement par des particularités dues à la géographie artistique du pays. C’est ainsi que la Romandie francophone se trouve dans une situation doublement périphérique. Face au pouvoir démographique et économique de la Suisse allemande et au centralisme de la France, elle occupe une position difficile, surtout lorsqu’il s’agit de susciter un intérêt national, voire international sur le marché des revues tant disputé au niveau économique. Pour la Suisse italophone minoritaire, ce problème se pose encore davantage.

5 Initiés au XIXe siècle par des associations et sociétés privées 3 exclusivement, l’« encouragement des beaux-arts » (Kunstpflege) se reflète également dans le domaine de la recherche en histoire de l’art et dans sa diffusion médiatique. Si ce n’est pas ici le sujet central de cet article, il semble important de se rappeler ce contexte historique particulier car les prestigieuses revues d’histoire de l’art d’aujourd’hui et leurs antécédents se sont tous fondés sur des initiatives privées de sociétés savantes. Il n’est pas rare de trouver dans leurs comités d’édition des noms de personnalités issues du champ académique, patrimonial et muséologique, qui se portaient garant de la qualité des publications. La liste de ces représentants du monde scientifique qui ont activement défendu les revues d’histoire de l’art est trop longue pour être donnée en détail ici.

6 En cherchant à se faire une idée des revues suisses actuelles spécialisées en histoire de l’art, on se heurte rapidement à des problèmes de délimitation. Quelles revues faut-il nommer ou ne pas nommer ?

7 En français, on se contente du terme d’« histoire de l’art » pour désigner notre discipline. Dans l’aire germanophone s’est implanté aussi, au côté de l’appellation « histoire de l’art » (« Kunstgeschichte »), le terme de « science d’art » (« Kunstwissenschaft »). Ces deux appellations reflètent le fait que la discipline est à la fois historique et systématique. De nos jours, la discipline s’occupe de sujets plus larges que la seule « histoire » de l’art et ses objets d’études se sont ouverts au-delà des genres artistiques traditionnels. Outre les revues consacrées aux champs traditionnels de l’histoire de l’art, d’autres se situent davantage à proximité de la critique d’art et de l’information sur la production artistique contemporaine. Enfin, l’immense mise en réseau électronique à l’échelle mondiale a ouvert des possibilités infinies à l’exploration et à la diffusion de toutes sortes de contenus. Cependant, les médias imprimés, notamment les périodiques spécialisés, n’ont pratiquement rien perdu de leur importance.

Un bref aperçu

8 Le cadre limité de cet article ne permet malheureusement qu’une présentation fragmentaire et peu systématique des grandes lignes des revues suisses d’histoire de l’art. Les contenus et objectifs très divers des publications résistent à un classement net. La même difficulté existe pour la distinction par genres artistiques. Un classement par importance nationale ou internationale serait lui aussi insuffisant. Reste enfin le paramètre purement quantitatif du tirage qui, indépendamment d’un jugement qualitatif, n’est pas très pertinent. C’est pourquoi les éléments suivants s’entendent

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plutôt comme des aspects utiles, subjectifs, et donc contestables, qui cherchent à caractériser, de manière succincte, quelques publications importantes. • Zeitschrift für Schweizerische Archäologie und Kunstgeschichte (ZAK) / Revue suisse d’Art et d’Archéologie (RAA)/ Rivista svizzera d’Arte e d’Archeologia (RAA)4.

9 En tenant compte de ses prédécesseurs, le Anzeiger für schweizerische Geschichte und Altertumskunde et le Anzeiger für schweizerische Altertumskunde (ASA), la RAA est la plus ancienne revue spécialisée suisse avec un rayonnement international5. Depuis 1939, la revue paraît sous son nom actuel qui indique déjà la portée large du contenu, allant de l’archéologie de la pré- et protohistoire jusqu’à la « Kunstwissenschaft » contemporaine. Ses précurseurs ainsi que les premiers numéros de la RAA représentent aujourd’hui des sources incontournables pour la recherche sur l’histoire de l’art suisse et reflètent en même temps l’évolution des disciplines.

10 Avec la « Statistik schweizerischer Kunst-den- kmäler » de Johann Rudolf Rahn, l’ASA établi dès 1872 (sous formes de publications consécutives) la base d’un futur inventaire national du patrimoine. Des germes de cette statistique est née la grande topographie nationale d’art qui, depuis 1927, est publiée sous l’égide de la Société d’histoire de l’art en Suisse (voir ci-dessous Kunst + Architektur in der Schweiz).

11 La RAA aborde toujours une large variété de sujets sous forme d’articles scientifiques sur l’archéologie, l’art et l’architecture en rapport avec la Suisse. Des numéros thématiques paraissent de façon irrégulière et se consacrent pour la plupart aux actes de colloques et conférences. Du fait de son orientation nationale, elle est plurilingue et présente les résumés des principaux textes dans les trois langues officielles du pays (allemand, français, italien) ainsi qu’en anglais. La deuxième partie de la revue est consacrée aux comptes rendus critiques des nouvelles parutions. Au niveau international, la RAA est certainement la revue scientifique la plus importante sur l’histoire de l’art suisse. • Kunst + Architektur in der Schweiz / Art + Architecture en Suisse / Arte + Architettura in Svizzera (K+A)6.

12 K+A est peut-être la plus suisse de toutes les revues spécialisées en histoire de l’art. Non seulement parce qu’elle ne s’intéresse qu’à des sujets suisses, mais aussi parce que son éditeur, la Société d’histoire de l’art en Suisse (SHAS), a toujours le statut d’une association privée qui compte plusieurs milliers de membres. Fondée en 1880 sous le nom d’« Association pour la préservation de monuments artistiques de la patrie » (Verein zur Erhaltung vaterländischer Kunstdenkmäler), elle fut un organe important pour la conservation et la protection du patrimoine bien avant la fondation du Musée national suisse en 1898 et l’institutionnalisation de la conservation du patrimoine avec la création de la Commission fédérale des monuments historiques au début du XXe siècle.

13 Dès le début, l’association publia beaucoup sans pour autant disposer d’une propre revue. La publication depuis bientôt huit décennies de la topographie nationale de l’art Die Kunstdenkmäler der Schweiz / Les Monuments d’art et d’histoire de la Suisse / I monumenti d’arte e di storia della Svizzera représente la tâche principale de l’activité éditoriale de la SHAS. Pour cette raison, son bulletin Unsere Kunstdenkmäler / Nos monuments d’art et d’histoire / I nostri monumenti storici, se focalisa pendant longtemps, comme son nom l’indique, sur les monuments, leur équipement et leur conservation. Avec le temps, elle est devenue, au côté de la RAA, la revue la plus importante de l’histoire de l’art suisse et

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propose également des résumés plurilingues. Depuis les années 1980, outre certains numéros portant sur des sujets variés, paraissent de plus en plus souvent des numéros thématiques qui abordent aussi d’autres domaines de l’histoire de l’art, ce qui a sans aucun doute conduit en 1994 au changement du titre et de la mise en page de la revue. Outre la partie maintenant uniquement thématique, K+A publie des critiques détaillées de nouvelles parutions ainsi que des résumés de travaux universitaires, pour la plupart inédits. Des rubriques traitant de l’actualité en histoire de l’art complètent la revue. K + A jouit d’une renommée internationale. • Kunst-Bulletin7.

14 Le Kunst-Bulletin est également financé par une association privée : la Société Suisse des Beaux-Arts (Schweizerischer Kunstverein ; http://www.kunstverein.ch) regroupe aujourd’hui trente-deux sections et recense plus de quarante mille membres. Ce n’est pas l’histoire de l’art, mais « la promotion et la diffusion de l’art » qui font l’objet de cette revue tirée à environ quinze mille exemplaires. Le Kunst-Bulletin tient surtout compte de l’évolution récente de la discipline qui témoigne d’un intérêt croissant pour l’art contemporain. Il publie des articles allemands et français sur l’art contemporain, des critiques d’expositions ainsi que des actualités diverses et propose une rubrique de services très abondante, dont notamment un agenda des expositions nationales et internationales par lieu et artiste. La position particulière de la revue réside dans sa mise en ligne sur Internet. Le site donne accès à une banque de données qui recense en ce moment 21698 artistes et renvoie aux articles antérieurs de la revue (http:// www.kunstbulletin.ch). • Parkett8.

15 Il y a vingt ans, la décision éditoriale de publier une revue d’art intercontinentale, à Zurich et à New York, en anglais et en allemand, était pour ainsi dire visionnaire. Parkett est la revue sur l’avant-garde et l’art contemporain et sans aucun doute la plus « internationale » des revues d’art suisses. Dès son début, les éditeurs, faisant montre de beaucoup d’intuition pour la qualité artistique, ont favorisé une étroite collaboration avec des artistes, pour la plupart encore inconnus, qui sont devenus par la suite des vedettes de la scène artistique. En publiant des numéros monographiques, Parkett participa au processus du « marchandising », comme en témoignent ce qu’on a appelé les « numéros spéciaux » (Editionen) créés directement par les artistes, et qui dans leur ensemble peuvent s’entendre aujourd’hui comme un petit musée d’art contemporain. Une grande partie de la revue est consacrée aux expositions internationales. La version anglaise consultable sur Internet offre un choix d’articles au format multimédia. La revue fêta ses vingt ans d’existence avec une exposition qui eut lieu au MoMA New York et au Kunsthaus Zurich. L’exposition était accompagnée d’un catalogue richement documenté9. Dans le contexte de l’art contemporain international, on peut considérer Parkett à bon droit comme un leader d’opinion ( http:// www.parkettart.com).

Les revues d’architecture

16 Les revues brièvement indiquées ci-dessous se situent aujourd’hui à la périphérie des revues d’histoire de l’art proprement dites. Mais leur évocation ici semble importante car d’une part elles se sont fait un nom, parfois déjà depuis un siècle, grâce à des articles consacrés à l’histoire de l’architecture, et d’autre part elles tiennent compte de

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la scène de l’architecture contemporaine. Ces revues représentent donc des sources incontournables pour l’étude de l’architecture du XXe siècle. • werk, bauen + wohnen (wbw)10.

17 S’intéressant avant tout à l’urbanisme et à l’architecture contemporaine suisse et internationale, wbw est le périodique le plus riche de tradition et le plus important de son genre en Suisse. La revue porte un regard critique sur l’environnement construit et poursuit des débats sur l’architecture et l’urbanisme. Elle se consacre principalement à l’actualité de la construction, analyse son contexte, cherchant à identifier des liens entre l’architecture et les disciplines voisines (histoire, art, politique, philosophie et sociologie). Chaque numéro contient un riche forum de critiques de concours d’architecture, d’expositions et de nouvelles parutions, des articles sur l’architecture d’intérieur et sur le design ainsi qu’un agenda des manifestations. La revue paraît en allemand et contient des résumés en français et en anglais ; les textes sont publiés dans leur langue originale sur le site http://www.wbw.ch. • Archithese11.

18 Au niveau du contenu, cette revue qui n’existe que depuis environ vingt-cinq ans se situe à proximité de la précédente. Son propos est également analogue à celui de wbw : donner un aperçu « des mouvements théoriques en matière d’architecture, et des débats sur l’urbanisme », établir des liens interdisciplinaires et aborder des sujets historiques. Le lecteur jugera lui-même de la pertinence de cette comparaison et de la qualité de cette publication, l’auteur de cet article, à cause de sa partialité, ne pouvant se prononcer... Le premier numéro de chaque année, sous le titre de « Swiss Performance », jette un regard rétrospectif sur les réalisations architecturales en Suisse de l’année précédente (http://www.archithese.ch). • Faces12.

19 Cette jeune revue illustre de manière pertinente la situation particulière de la Suisse évoquée au début de cet article : elle est l’une des publications générées par le régionalisme et par certaines barrières linguistiques. Dans des livraisons de très grand format, Faces présente des dossiers thématiques sur l’architecture contemporaine, le paysage et l’urbanisme, l’architecture d’intérieur, l’art et la photographie. Se composant de rubriques comme « archives », « tribune » et « lectures », elle aborde les constructions récentes sous un angle critique. Comme l’institution dont elle est l’émanation, l’Institut d’architecture de l’Université de Genève, subit en ce moment de grosses perturbations, la revue se trouve actuellement dans une phase difficile (http// www.unige.ch/ia/faces). • Archi13.

20 La présentation du champ des périodiques suisses serait plus qu’incomplète si elle ne retenait pas la Suisse italophone. Archi paraît en italien, mais contient aussi des résumés en anglais – un fait qui souligne sa volonté de s’inscrire, en tant que revue d’architecture, de sciences de l’ingénieur et d’urbanisme, dans un cadre international, alors même que dans les débats sur l’architecture du Tessin, la notion de « territorio » joue un rôle important. L’approche adoptée cherche à franchir les frontières linguistiques et territoriales (http://www.casagrande-online.ch/archi/index.html).

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Pour finir

21 Le cadre restreint de cet article nous oblige à nous limiter aux périodiques les plus importants, reconnus au niveau international ou du moins national. Comme il a été mentionné, l’édition suisse est en grande partie stimulée par la recherche locale. Un très grand nombre d’articles consacrés à l’histoire de l’art suisse paraissent ainsi dans des revues et annales de sociétés savantes cantonales qui témoignent, comme ses associations faîtières respectives, d’une longue tradition. Sans nommer toutes ces publications en détail, il faudrait tout de même évoquer les Annales Georges Bloch (Georges Bloch-Jahrbuch), les seules annales suisses d’histoire de l’art, publiées par l’Université de Zurich14.

22 Lorsqu’on poursuit des recherches sur l’art et la culture suisses, la consultation de publications régionales moins connues semble inévitable. Publiée par l’Institut du patrimoine de l’ETH Zurich, la Bibliographie zur Schweizer Kunst / Bibliographie zur Denkmalpflege15, disponible en versions papier et électronique, donne facilement accès à toutes ces parutions. Par des raisons difficilement compréhensibles, l’Institut envisage de suspendre cette bibliographie si importante et utile pour la Suisse et l’étranger. C’est le seul endroit qui, depuis vingt-sept ans, indexe méticuleusement presque tous les articles disséminés sur l’histoire de l’art et le patrimoine suisses. Les grandes bibliographies internationales d’histoire de l’art (RAA, RILA, BHA) ne peuvent compenser cette perte probable pour les personnes intéressées à l’histoire de l’art suisse. Seules cinquante des revues et annales de notre pays sur plusieurs centaines sont indexées dans la BHA. La plupart de ces entrées concernent des publications de la Romandie (un héritage du RAA ?). Des revues d’un intérêt moindre et très local devraient céder leur place à d’autres plus importantes. Une révision des revues suisses indexées dans la BHA serait souhaitable comme le prouve la « richesse » de revues en Suisse mise en évidence dans ce panorama. Il manque cependant une revue d’histoire de l’art de pointe et de vraie envergure internationale du genre de la Zeitschrift für Kunstgeschichte qui ne se limiterait pas aux seuls sujets suisses. Ce serait en tous cas un projet auquel on devrait réfléchir et qui pourrait être édité en commun par les instituts d’histoire de l’art de toutes les universités suisses.

NOTES

1. Johann Rudolf Rahn, Geschichte der bildenden Künste in der Schweiz, von den ältesten Zeiten bis zum Schlusse des Mittelalters, Zurich, 1876, pag. Vs. 2. Notamment en histoire de l’histoire de l’art, dans l’enseignement supérieur et la recherche, dans le domaine des musées, des associations d’art, des inventaires et de la conservation du patrimoine. 3. Fondée en 1776, la Société des Arts et son école de dessin représente la plus ancienne organisation pour l’encourage- ment de l’art en Suisse. D’autres fondations d’associations locales suivirent, en 1812 à Bâle, 1813 à Berne et 1819 à Lu- cerne. La Société suisse des artistes (Schweizerische Künstlergesellschaft) de 1806 est devenue en 1839 l’organisation faîtière de

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toutes les associations d’art (Schweizerischer Kunstverein SKV) qui était pendant des décennies le seul organe actif au niveau national. Quelques membres du SKV fondèrent en 1880 le Verein zur Erhaltung vaterländischer Kunstdenkmäler qui en 1939 est devenue la Gesellschaft für schweizerische Kunstgeschichte. 4. Publiée depuis 1939 par le Musée national Suisse (et jusqu’en 1949 aussi par la Société d’histoire de l’art en Suisse), depuis 1950 exclusivement par la direction du Musée national Suisse à Zurich, trimestriel, ISSN : 0044-3476 (http ://www.musee-suisse.com). 5. Fondée en 1855 par la Allgemeine Geschichtsforschende Gesellschaft et publiée sous le nom de Anzeiger für schweizerische Geschichte und Alterthumskunde/ Indicateur d’histoire et d’antiquités suisses. Depuis 1868, divisée en Anzeiger für schweizerische Geschichte / Indicateur d’histoire suisse / Indicatore di storia svizzera, et Anzeiger für schweizerische Altertumskunde/ Indicateur d’antiquités suisses, publiée par le Verlag der Antiquarischen Gesellschaft Zürich, trimestriel ; depuis 1899, nouvelle suite : Neue Folge (N.F.) auprès du Musée national Suisse à Zurich, en tant qu’organe du Verband der schweizerischen Altertums-Museen et de la Gesellschaft für Erhaltung historischer Kunstdenkmäler. Répartition : ancienne suite-Alte Folge (A.F., 1968/71-1896/1898), nouvelle suite-Neue Folge (N.F., 1899-1938). 6. Éditée depuis 1950 par la Société d’histoire de l’art en Suisse ; ISSN : 1421-086X ; jusqu’en 1993 intitulée Unsere Kunstdenkmäler/ Nos monuments d’art et d’histoire/ I nostri monumenti storici ; trimestriel, ISSN : 0566-263X (http ://www. gsk.ch). 7. Publié depuis 1968 par le Schweizerischer Kunstverein / Société Suisse des Beaux-Arts / Società Svizzera di Belle Arti, dix numéros par an, ISSN : 1013-6940. 8. Publiée depuis 1984, pendant les premières années sous forme trimestrielle, aujourd’hui trois fois par an à Zurich, ISSN : 0256-0917. 9. 20 Years of Artists’ Collaborations, Mirjam Varadinis éd., à l’occasion de l’exposition du même nom au Kunsthaus Zurich (25.11.2004 – 13.2.2005), Zurich 2004, ISBN : 3-907582-24-1. 10. Publiée depuis 1914 – à l’époque, sous le nom de Das Werk, elle était l’organe commun du Bund Schweizer Architekten (BSA) / Fédération des Architectes Suisses (FAS) / Federazione degli Architetti Svizzeri (FAS) et du Schweizerischer Werkbund (SWB). Aujourd’hui uniquement l’organe officiel du BSA. 1977-1979, fusion temporaire avec la revue archithese sous le nom de werk-archithese. En 1980, fusion avec la revue internationale Bauen und Wohnen. Depuis, dix numéros par an sous le titre werk, bauen+wohnen, ISSN : 0257-9332. 11. Publié depuis 1971 par le Verband freierwerbender Schweizer Architekten (FSAI) / Fédération Suisse des Architectes Indépendants (FSAI), jusqu’en 1976 trimestriel, puis 1977-1979 fusion avec Werk ; depuis 1980 à nouveau indépendant, six numéros par an, ISSN : 1010-4089 ; en 2002 archithese absorbe la revue Docu-Bulletin. 12. Paraît depuis 1985 en français, avec quatre numéros par an, sous la direction de l’Institut d’architecture de l’Université de Genève ; ISSN : 0258-6800. 13. Publiée depuis 1998, six numéros par an, archi est un organe officiel de la Società svizzera Ingegneri e Architetti, Sezione Ticino (SIA), du Ordine Ticinese degli Ingegneri e degli Architetti (OTIA) et de la Associazione ticinese di economia delle acque, édité par le Canton Tessin ; ISSN : 1422-5417. 14. Parution annuelle depuis 1994, sous la direction du Séminaire d’histoire de l’art de l’Université de Zurich, ISSN : 1022-5471. 15. Parution sous forme imprimée depuis 1987, sous la direction du Institut für Denkmalpflege der ETH Zürich, ISSN : 0252-9556. Depuis 1994, gratuitement consultable en ligne (http :// www.demap-ethbib.ethz.ch).

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INDEX

Mots-clés : régionalisme, revue, périodique, diffusion, archéologie, monuments Keywords : regionalism, journal, periodic, diffusion, archeology, monuments Index géographique : Suisse Index chronologique : 1900, 2000

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La Bibliothèque Werner Oechslin à Einsiedeln

Robin Middleton

Une bibliothèque des Lumières…

1 Dans les années 70 déjà, lorsque Werner Oechslin revint de Rome où il était allé faire ses études, les livres qu’il avait achetés et fait envoyer à Zurich compromettaient l’installation de l’appartement familial. Des piles de volumes s’entassaient un peu partout et débordaient des étagères et des bibliothèques qui n’étaient pas loin de s’effondrer. Les gestes courants de la vie quotidienne allaient vite en devenir délicats. Après avoir occupé différents postes aux États-Unis et en Allemagne, Werner Oechslin prit la direction du gta (Institut für Geschichte und Theorie der Architektur) à la Eidgenössische Technische Hochschule de Zurich et s’installa en 1986 dans la vieille maison de famille d’Einsiedeln. À l’époque, l’essentiel de la bibliothèque avait déjà trouvé sa place dans ces lieux et le nombre de livres n’avait cessé de croître. Mais même si la demeure était spacieuse, la moindre pièce, de la cave au grenier, était encombrée de livres. Leur nombre devait avoisiner les 50 000, sans compter les épreuves d’ouvrages à paraître et les manuscrits.

2 La bibliothèque est comparable, quantitativement, à l’une des plus importantes bibliothèques privées du dix-huitième siècle à Paris, celle de Camille Falconet, médecin du Roi. Mais à l’inverse, si celle de Werner Oechslin s’est spécialisée en architecture, elle fut conçue de manière à s’ouvrir sur les sciences humaines et les sciences naturelles en ce qu’elles pouvaient favoriser l’approche de ce domaine de recherche. Les classiques de l’Antiquité, dans des éditions variées, les textes philosophiques et théoriques majeurs, les ouvrages d’histoire naturelle et de sciences, de géométrie et de mathématiques, toutes sortes de traités sur la structure y côtoient les textes théoriques et critiques sur l’architecture, sans compter les ouvrages de peinture, sculpture, littérature et poésie. C’est une bibliothèque des Lumières. Tous les domaines de la recherche et de la création y trouvent leur place. Et le hasard (mais est-ce vraiment le hasard ?) a fait qu’elle fut construite tout près du grand monastère d’Einsieldeln (on le

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voit de ses fenêtres), qui est situé au carrefour des chemins empruntés par les pèlerins du nord et de l’est de l’Allemagne ainsi que de Bohème en route pour Saint-Jacques de Compostelle. Einsiedeln est à l’intersection des mondes germanique et latin.

3 On ne trouvera évidemment pas dans la Bibliothèque tout ce que l’Europe intellectuelle produit en matière de publications. Les lacunes sont nombreuses. Mais pour autant la richesse du fonds est exceptionnelle, avec un accent mis non seulement sur les travaux italiens anciens mais aussi sur les recherches allemandes les plus actuelles. Il y existe pas moins de cinquante éditions de Vitruve, dans toutes les langues. Il y a décidément quelque chose d’exaltant à trouver sur un même rayonnage le Traité théorique et pratique de l’art de bâtir de Jean Rondelet, en français, italien et allemand – si l’ouvrage est peut-être de moindre importance, tous ces volumes sont indispensables à une approche comparative. Il est rare que les bibliothèques, même les mieux achalandées, soient ainsi pourvues.

…dans une villa moderne accueillant un centre de recherche

4 Le Léviathan n’a pas été dompté, mais du moins ses assauts ont-ils été maîtrisés. En 1996, Mario Botta a esquissé l’ébauche d’une extension de la villa pour qu’elle serve de bibliothèque. La première phase (niveau inférieur) fut achevée dans les deux années qui suivirent. En 1998 la Stiftung Bibliothek Werner Oechslin fut constituée pour administrer la bibliothèque et l’année suivante une convention fut signée avec l’EHT de Zurich (Eldgenïssische Technische Hochschule Zürich), ce qui permit de faire aboutir la restructuration du bâtiment et de mettre en place un centre pour les étudiants de l’école. Le bâtiment fut officiellement inauguré le 9 janvier 2006.

5 Bien que rattachée au gta de l’EHT, la bibliothèque est ouverte à tous les chercheurs. Ils sont déjà une centaine à s’y être rendus en pèlerinage. Des séminaires et des conférences internationaux s’y sont déroulés, toujours stimulants : sur le Songe de Polyphile (1999), sur John Ruskin (août 2000), sur les écrits de Piero della Francesca (sept. 2000), sur Viollet-le-Duc août 2001, et de nouveau sur Piero en 2003. Les actes du colloque sur Ruskin ont déjà fait l’objet d’une publication (John Ruskin, Werk und Wirkung), ceux sur Viollet-le-Duc sont en cours d’édition. Les échanges qui ont eu lieu lors des rencontres autour du baroque sont sans doute encore plus pointus et stimulants pour l’esprit (il s’agit des Barocksommerkurse, qui se sont tenus chaque année depuis 2001 sous le patronage de l’Unesco). Là encore, l’édition des actes paraîtra bientôt.

6 Des informations sur ces manifestations, ainsi que sur les acquisitions de la bibliothèque, sont données dans la belle revue Scholion dont le premier numéro remonte à 2001 et dont le propos principal est d’offrir à ses lecteurs des articles d’érudition portant sur les ouvrages imprimés du fonds. Mais Scholion publie aussi des notes sur les projets du gta en cours, sur la bibliothèque dans son ensemble, sur le catalogage et le dépouillement de tous les ouvrages récents de théorie de l’architecture publiés en Allemagne. Aucune entreprise de ce genre n’avait jusque là existé dans ce pays.

7 L’ordre des livres sur les étagères devant mettre en évidence autant que faire se peut les croisements entre idées et théories, époques et domaines géographiques, l’ambition,

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démesurée, a dû être limitée dans la pratique. Mais les ouvrages sont en accès libre et le catalogue, organisé autour du système Aleph et inclus dans le NEBIS (catalogue des universités suisses), et de consultation gratuite, permet ces multiples croisements.

8 La bibliothèque est ouverte aux chercheurs, comme on l’a dit, mais aussi aux étudiants, sur lettre de recommandation. Einsiedeln est à quarante kilomètres de Zurich environ, facilement accessible en voiture ou en train (un train toutes les demies heures). La ville, lieu de pèlerinage, offre de nombreuses petites pensions et endroits pour se restaurer.

9 BiBliothek Werner oechslin, Liegete II, Einsieldeln, CH 884 ; téléphone : (41) 55 412 1007 ; fax : (41) 55 422 2077 ; email ; [email protected] ; site internet : http :// www.bibliothek-oechslin.ch

INDEX

Keywords : book, library, collection, bibliophile, architecture, historiography Index géographique : Suisse Mots-clés : livre, bibliothèque, collection, bibliophile, architecture, historiographie Index chronologique : 1900, 2000

AUTEUR

ROBIN MIDDLETON Columbia University, New York

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Les colloques de la relève suisse en histoire de l’art : une initiative du corps intermédiaire universitaire

Julia Gelshorn

1 Sous le titre La soupe et les nuages, les membres du corps intermédiaire du département d’histoire de l’art de l’Université de Lausanne ont lancé en 1997 un colloque qui ne s’adressait qu’aux jeunes chercheurs afin de leur donner l’occasion de présenter leurs projets de recherche à la communauté scientifique, de nouer des contacts et de discuter de leur situation en Suisse. Le titre La soupe et les nuages fait référence au poème en prose de , dans lequel un artiste est brusquement arraché à sa contemplation des nuages, ces « merveilleuses constructions de l’impalpable », pour revenir à la réalité. Ce poème a servi aux organisateurs du colloque juste pour illustrer les deux pôles extrêmes qui déterminent souvent la situation des jeunes historiens de l’art en Suisse : « d’un côté les idéaux de la recherche, de l’autre les contingences quotidiennes et les difficultés toujours plus grandes à trouver le soutien nécessaire pour continuer »1.

2 Dans les trois langues officielles de la Suisse (l’allemand, le français et l’italien), vingt- quatre jeunes historiens de l’art ont présenté leurs projets. Brassant l’art occidental du Moyen Âge au XXe siècle, ils ont témoigné d’une grande diversité thématique et méthodologique. Le colloque, d’une durée de trois jours, s’est terminé par une table ronde qui était l’occasion de discuter aussi bien de la formation en histoire de l’art et des perspectives professionnelles que du potentiel et des problèmes de la discipline.

3 Le succès a été tel que, les années suivantes, les autres départements universitaires suisses d’histoire de l’art ont repris cette initiative en organisant des colloques annuels pour jeunes chercheurs – initiative qui se poursuit toujours. À Lausanne a succédé Berne, puis Zurich, Bâle, Fribourg, Genève et Neuchâtel, jusqu’à ce qu’en 2004-2005 Lausanne recommence ce cycle, suivi en 2005 par Berne et en 2006 par Zurich. Les colloques se limitent désormais à deux jours, financés d’un côté par l’université d’accueil et de l’autre par l’Académie suisse des sciences humaines et sociales (ASSH) et

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par l’Association suisse des historiens et Historiennes de l’Art (ASHHA) qui ont reconnu l’importance de ces rencontres2.

4 Pourquoi, voudrait-on demander, le modèle de ce colloque pour jeunes chercheurs a-t- il eu tellement de succès ? Quel avait été à l’origine le besoin urgent qui a été apparemment satisfait par cette initiative ?

5 Dès 1997, la nécessité de créer des réseaux et de professionnaliser la discipline a fait l’objet d’une première table ronde, et cette nécessité reste toujours valable. En vue des réformes universitaires après la Déclaration de Bologne (qui met en place le système du LMD), les résolutions du premier colloque de 1997 ont même gagné en actualité3.

6 En 1997, la discussion a porté, entre autres, sur la préparation de la relève grâce à un enseignement d’histoire de l’art au lycée, le manque de compatibilité des études entre la Suisse et les autres pays d’Europe, les différences entre les systèmes romand et allemand au niveau de la thèse de doctorat et de l’habilitation, les aides financières sous forme d’allocations et de bourses et les possibilités d’un échange national en histoire de l’art. En 2004, à la fin du premier cycle des colloques pour jeunes chercheurs, la table ronde « À propos de la relève » organisée à Neuchâtel a réévalué ces intentions de façon rétrospective et prospective4. D’où il est apparu que, même sept ans plus tard, les résolutions de Lausanne n’ont rien perdu de leur actualité. Comme l’histoire de l’art est très peu enseignée au lycée et que la formation des professeurs pour l’enseignement secondaire n’a que rarement lieu à l’université, la relève en histoire de l’art fait défaut. Au plus haut niveau, ce manque se reflète dans le petit nombre de doctorants inscrits en Suisse et la faible répartition des postes universitaires germanophones attribués aux Suisses qui reste nettement en-dessous de 50%. De même, explicite dans la Déclaration de Bologne, l’unification des études en licence/ master pour faciliter la mobilité des étudiants a déjà échoué au niveau national car les programmes des universités sont très différents les uns des autres. Cela est aussi valable pour le troisième cycle et la carrière de chercheur puisque le doctorat romand et l’habilitation de la Suisse allemande sont toujours incompatibles, tandis que l’Allemagne supprime l’habilitation et la France la réinstaure. Enfin, le soutien de la jeune génération suisse se limite surtout au Fonds national suisse de la recherche scientifique (SNF)5.

7 Ainsi, les colloques de la relève suisse ne sont-ils pas uniquement un lieu de rencontre scientifique, mais aussi un lieu qui, dans les forums de discussion, fait montre d’une conscience accrue pour des questions professionnelles et politiques. Parmi les maîtres de conférence et les chargés de cours, la parité des sexes est pratiquement atteinte. Au niveau des professeurs titulaires d’une chaire, cela reste encore à faire. Contrairement au manque d’encadrement des doctorants et post-doctorants encore déploré en 1997, on peut constater que, depuis, certaines universités suisses ont créé des programmes de recherche qui s’adressent directement aux jeunes chercheurs. Le Fonds national suisse subventionne sous le titre de Pro*Doc des programmes interuniversitaires pour les doctorants en sciences humaines6.

8 Sans doute, dans le cadre des colloques, les dé- bats répétés (dont le plus récent en 2004-05 à Lausanne sous le titre L’historien de l’art et ses partenaires) avec les représentants des fondations, des institutions culturelles nationales et des universités ont- ils joué un rôle pour l’avancement de ce processus positif. Dans ce contexte, une autre revendication formulée dans le colloque finira peut-être aussi par être exaucée à l’avenir : celle de créer plus de stages rémunérés et d’emplois-jeunes dans les musées.

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Concernant la relation entre université et musée, on peut noter que la moitié des diplômés en histoire de l’art est embauchée par les soixante-dix musées de la Suisse7. Cette tendance perdure et se reflète également dans les nombreux cursus de muséologie et de conservation proposés par les universités, et les différents centres de formation au niveau des deuxième et troisième cycles. De même, les présentations thématiques des colloques annuels témoignent de cet intérêt en favorisant des sujets relatifs au musée (institutions, marché de l’art, expositions8. Le colloque est aussi l’occasion de familiariser les jeunes historiens de l’art avec des domaines professionnels moins connus et de leur conférer plus de popularité. Des participants issus de différents champs de recherche s’y retrouvent, forment des réseaux et créent ainsi des synergies au niveau scientifique. Afin d’intensifier ces processus et de donner aussi aux étudiants et aux petits groupes de travail l’accès aux informations et aux discussions, trois représentants du corps intermédiaire des départements d’histoire de l’art des universités de Berne et de Fribourg ont fondé en 2003 l’Association suisse pour la relève en histoire de l’art sous le nom d’articulations9. Financée par des sources privées, l’association s’occupe d’une liste de diffusion proposant des informations spécialement conçues pour la relève. Elle organise une à deux réunions de travail par an et gère actuellement, à travers de petits groupes de travail, la mise en réseau international de la relève d’une part, et la réalisation d’un Guide en ligne de l’étudiant suisse en histoire de l’art d’autre part. Ce guide publie des adresses utiles et des modèles de CV et donne des renseignements sur des bourses, des cours d’été, des programmes d’échange et des cursus universitaires.

9 Le besoin de favoriser l’échange et la circulation des informations dans un petit pays comme la Suisse est dû à la diversité et à la décentralisation dont le pays témoigne par ses frontières cantonales et linguistiques, ses différents systèmes et traditions universitaires. Cette situation particulière nécessite donc des vecteurs d’unification. Dans le même temps, cette diversité explique le succès des colloques pour jeunes chercheurs. Malgré leur déroulement à peu près standardisé, les rencontres bénéficient d’année en année de nouvelles initiatives, d’enthousiasme et de professionnalisme. On fait appel à des chercheurs invités et organise des débats sur des questions politiques ou scientifiques d’actualité.

10 L’échange scientifique révèle la part active de la Suisse dans l’évolution internationale de la discipline et des problématiques méthodologiques entre théorie et pratique. Le colloque permet de constater une tendance qui reflète la situation internationale : les questions relatives aux médias et à la sociologie dominent les discussions, tandis que les approches théoriques et pratiques des nouveaux médias et des sujets d’art contemporain sont de plus en plus favorisés au détriment des études médiévales et Renaissance et Baroque. Ces changements sont justifiés aussi bien par la médiatisation de l’art que par les données actuelles du marché du travail et par la nécessité scientifique et politique de légitimer la recherche. Dans cette même lignée, les colloques, au lieu de rassembler des projets de recherche très hétérogènes, s’inscrivent davantage dans une volonté de donner des directions thématiques claires, afin d’augmenter le niveau des discussions (comme notamment la table ronde sur « le rôle des nouveaux médias en histoire de l’art » en 1998 à Berne, les problématiques interdisciplinaires évoquées dans Canons : œuvres, processus, discours en 2005 à Berne et Image/ Espace en novembre 2006 à Zurich). Contrairement au vaste panorama initial, cette orientation vers une conception thématique (aussi large soit-elle) des colloques répond également à la demande faite par les organismes d’aide financière, même si cela

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risque de limiter les approches individuelles de la recherche au lieu de les soutenir. Reste à espérer que les colloques de la relève préservent leur diversité sans céder à la pression générale de se restreindre à des sujets à la mode, porté par des intérêts économiques. Ce sont les futures générations de chercheurs qui seront certainement préoccupées par l’actualité et la discussion critique de ces sujets.

NOTES

1. Dominique Radrizzani, Sylvie Wuhrmann, La soupe et les nuages, (colloque, Lausanne, 10-12 avril 1997), Lausanne 1999, p. 5. 2. Une présentation de tous les colloques et de leurs travaux se trouve sur http:// articulations.ch/index.php?page=fr/colloques_fr.php. 3. Philippe Lüscher, Véronique Mauron, Dominique Radrizzani, Catherine Raemy-Berthod, Sylvie Wuhrmann, « Résolutions du premier colloque de la relève suisse en histoire de l’art. Université de Lausanne, 10-12 avril 1997 », dans D. Radrizzani, S. Wuhrmann, cité n. 1, p. 305–308 ; voir aussi http://www.articulations.ch/pdf/Resolution.pdf. 4. Virginie Babey, Julia Gelshorn, Claude-Alain Kuenzi, Thomas Schmutz, Tristan Weddigen, « Theorie der Praxis – Praxis der Theorie. Historische Problemfelder und aktuelle Strategien im Museums- und Ausstellungsbetrieb », dans Thésis. Cahier d’histoire des collections et de muséologie, 4, 2004, p. 7–10. 5. De tels résultats ont déjà fait partie d’un rapport publié en 1996 par le conseil scientifique suisse et d’autres institutions. Il a été confirmé par une prise de position critique de l’ASHHA : Claude Lapaire, Marc-Joachim Wasmer, Evaluation der geisteswissenschaftlichen Forschung in der Schweiz. Grundlagenbericht für die Kunstgeschichte (Forschungspolitik, 33), Berne, 1996. Voir aussi Oskar Bätschmann, « Selbstkritik der Geisteswissenschaften », dans Die Geisteswissenschaften heute und morgen, Berne, 2002, p. 43–56, et Pascal Griener, « La science et les sciences humaines aujourd’hui – une futilité indispensable », dans ibid., p. 57–66. 6. http://www.fns.ch. 7. Monika Stucky-Schürer, « Berufschancen der Kunsthistoriker. Auswertung einer Umfrage der Vereinigung der Kunsthistoriker in der Schweiz », dans Unsere Kunstdenkmäler, 32, 1981, p. 511– 518. 8. Voir dans ce contexte surtout la publication des contributions du colloque à Neuchâtel : V. Babey et al., cité n. 4 ; voir également Stefanie Christ, Regula Crottet, « Theorie und Praxis in Neuenburg – Ein Bericht über das VII. Nachwuchskolloquium für Kunstgeschichte in der Schweiz », dans Kunst + Architektur in der Schweiz, LV, 2004, p. 66–67. 9. http://www.articulations.ch.

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INDEX

Keywords : research, study, university, museum Mots-clés : recherche, étude, université, musée Index géographique : Suisse Index chronologique : 2000

AUTEUR

JULIA GELSHORN Centre allemand d’histoire de l’art/Université de Zurich, [email protected]

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Sélection internet

Olivier Bonfait

1 Cette liste permet de présenter des sites ou des rubriques internet importants par les institutions qu’ils représentent, utiles par les liens qu’ils affichent ou les services documentaires qu’ils peuvent fournir. Dans le cas des musées, la sélection est sans doute plus subjective et intègre aussi des sites intéressants par leur présentation.

Sites généraux

La Société d’histoire de l’art en Suisse (SHAS)

2 Gesell-schaft für Schweizerische Kunstgeschichte GSK)/ Società di storia dell’arte in Svizzera (SSAS) www.gsk.ch/index.htm Site remarquable en particulier pour les liens offerts, à la fois suisses et internationaux, classés selon sept grandes catégories : - services officiels suisses (archéologie suisse, Pro Helvetia…) et internationaux (Icom, English Heritage, …) ; - universités, hautes écoles, écoles spécialisées (instituts d’histoire de l’art des universités, écoles polytechniques fédérales, académie d’architecture de Mendrisio...) ; - les portails en histoire de l’art (ArtHist…) ; les musées et expositions (Swissartnetwork…) ; - inventaires et recensements (des sites construits à protéger en Suisse, ou de la liste du patrimoine mondial de l’Unesco ; - archives, bibliothèques, dictionnaires (archives de la construction moderne à Lausanne, des archives photographiques de Marburg, …) ; - formations permanentes et voyages culturels (Volkhochschule,…).

3 Une grande partie des sites qui suivent peuvent se retrouver sur le site de la SHAS.

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L’institut suisse pour l’étude de l’art (ISEA)

4 Schweizerisches Institut für Kunstwissenchaft (SIK)/ Istituto svizzero di studi d‘arte http://www.sik-isea.ch

5 Site simple et efficace, permettant de connaître rapidement les activités de l’ISEA, ses publications et ses projets, et d’entrer en contact rapidement avec les différents personnes qui y travaillent (adresses courriel, téléphone, télécopie). Différents liens sont proposés, notamment avec les centres culturels suisses à l’étranger, les instituts de recherche en histoire de l‘art à l‘étranger, avec le SIKART (dictionnaire et base de données sur l‘art en Suisse, produit par l’ISEA) ou aussi avec un « document web » sur l’artiste suisse contemporain Martin Disler.

Association Suisse des Historiens et Historiennes de l’art (ASHHA)

6 Vereinigung der Kunsthistorikerinnen und Kunsthistoriker in der Schweiz (VKKS)/ Aassociazione svizzera degli storici e delle storiche dell’arte (ASSSA) www.vkks.ch

7 Le site présente les activités de cette association scientifique et professionnelle qui regroupe 750 membres attachés aussi bien à l’université qu’aux musées ou autres institutions officielles et privées liées à l’histoire de l’art, organise chaque année un colloque scientifique annuel (publié dans la Revue suisse d’art et d’archéologie), et soutient, de différentes façons, l’histoire de l’art en Suisse : prix d’encouragements, diffusion des offres d’emploi, modèles de contrats types… Le site de l’ASHHA publie un répertoire des mémoires de licence et de thèses en histoire de l’art inscrits et soutenus depuis 2000, présentés par université (malheureusement, la liste s’arrête en 2003).

Office fédéral de la culture (OFC)

8 Bundesamt für Kultur (BaK) www.bak.admin.ch/bak

9 Site de l’équivalent suisse du ministère de la culture. Différents rapports et textes de lois sont disponibles sous forme de documents pdf : la revue du ministère, ainsi que des informations sur les différents services de l’Office (archives fédérales des monuments historiques…), comme sur les activités actuelles de l’Office ou soutenues par celui-ci (la contribution suisse à la biennale de Venise, 10e biennale internationale d’architecture, œuvre de l’architecte Bernard Tschumi).

Dictionnaires

SIKART, dictionnaire et base de données sur les artistes suisses

10 Publication de l’institut suisse pour l’étude de l’art (SIK/ISEA) www.sikart.ch

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11 Succédant au Dictionnaire biographique de l’art suisse (2 vol., 1998), le SIKART, base de données sur les artistes suisses mis en ligne en février 2006 et régulièrement mis à jour, peut être utilisé comme un dictionnaire électronique ou une base de données nominative ou iconographique. Les informations sont classées selon quatre grandes rubriques : artistes (14157 cités), œuvres (5414), expositions (22065), distinctions (6702). D’utiles aides à la recherche sont proposées par des formulaires (type d’œuvres, genres iconographiques, périodes chronologiques) et, pour les musées et expositions, des liens sont actifs. Chaque notice biographique (téléchargeable par document pdf) comprend une biographie, une bibliographie, les institutions contenant des œuvres de l’artiste recherché, les localisations des principales sources, les ouvrages de référence utilisés. Mais le dictionnaire en ligne comprend aussi sous la rubrique « artiste » un court profil biographique, les mêmes ressources bibliographiques et documentaires, et parfois un choix d’œuvres reproduites. Voir l’impressum pour les principes méthodologiques.

Dictionnaire historique suisse

12 DHS (Historisches lexikon der Schweiz/HLS) http://www.hls-dhs-dss.ch/index.php?lg=f

13 Grand projet visant à couvrir la totalité de l’histoire suisse par 36 000 notices réparties selon 4 types d’entrée (géographique, thématique, biographique, familiale), le DHS a tout de suite prévu, à côté d’une sortie papier bénéficiant d’illustrations couleurs, une consultation en ligne (sans illustrations, premières notices en 1998). L’ouvrage, avec 13 volumes, doit être achevé en 2014 (les 4 premiers volumes, jusqu’à Fintan, sont parus), mais toutes les notices rédigées, soit la moitié, sont consultables. Chaque notice comporte une bibliographie, la date de rédaction et le nom de l’auteur. Les possibilités d’interrogation portent sur le titre de la notice ou l’ensemble des textes, avec des possibilités de sélection. Dans les notices, des liens internes pallient partiellement l’absence de thésaurus (exemple : pour l’entrée « design », on obtient un renvoi direct à « art nouveau », « art décoratif », « historicisme »). Pour l’histoire de l’art, les notices sont moins riches que les entrées biographiques du SIKART (François Bocion a droit à 2145 signes dans le DHS, contre 7200 dans le SIKART), mais les notices sont plus diversifiées (peinture, peinture d’histoire, paysage …) et la recherche sur le texte intégral est un précieux atout.

Bibliographie

Bibliothèque nationale suisse

14 www.snl.admin.ch/slb

15 Le site présente les différents fonds de la Bibliothèque nationale suisse. En plus des livres et des différents médias, la bibliothèque possède un riche fonds de publications musicales. La collection graphique comprend estampes, photographies, cartes postales, affiches, livres avec estampes et deux collections spéciales : la collection Gugelmann (spécialisée dans les estampes de « petits maitres suisses » et les archives de l’artiste suisse Daniel Spoerri, 1930- ). Les archives littéraires suisses, créées en 1989 après le

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legs des archives de l’écrivain et peintre Friedrich Durrenmatt, possèdent une centaine de fonds complets et environ 120 fonds partiels dont certaines fiches descriptives, réalisées selon les normes EAD, sont disponibles en ligne.

Catalogue de la Bibliothèque nationale suisse

16 www.helveticat.ch

17 Catalogue en ligne de la Bibliothèque nationale suisse, sise à Berne, qui a pour vocation de recueillir tout ce qui est publié en Suisse ou toutes les publications qui concernent la Suisse. Différentes possibilités de recherche (par mots clés, recherche experte …). Ce site renvoie à d’autres sites de ressources en lignes, dont certains sont répertoriés ici.

Répertoire des fonds manuscrits conservés dans les bibliothèques et archives de Suisse, publication de la Bibliothèque nationale suisse

18 www.snl.admin.ch/slb/slb_professionnel/erschliessen/0672/00685/index.html?lang=fr

19 Page offrant la possibilité d’interroger par institution ou par personne (« auteur ») du fonds. Un champ mot-clé ou activité professionnelle permet de repérer plus facilement les artistes. Les fonds sont conservés aussi bien dans les bibliothèques, dans les archives communales, cantonales ou fédérales, que dans d’autres types d’institutions (du gta de Zurich, par exemple, pour le Corbusier). Ainsi, pour les peintres, 49 entrées, qui indiquent les possibilités de consultation, la nature du fonds (correspondances, journaux privés…), la cote, l’importance du fonds (en mètres linéaires), les publications effectuées à partir de celui-ci.

20 Cette ressource correspond plus à une mise en ligne d’une série de fiches qu’à un document internet, mais il est très utile pour une première recherche.

The Swiss Educational and Research Network. Répertoire des catalogues informatisés des bibliothèques suisses

21 www.switch.ch/libraries

22 Rubrique qui renvoie aux différents catalogues informatisés des bibliothèques suisses, du catalogue des bibliothèques de l’administration fédérale à celle de la bibliothèque de l’école d’art de la chaux-de-Fonds, avec à chaque fois un renvoi aussi direct à la page bibliothèque de l’institution (le Kunsthaus de Zurich, par exemple).

Portail suisse des périodiques

23 www.swiss-serials.ch

24 Portail pour les périodiques recherchant dans différents catalogues collectifs (NEBiS, RERO, …) ou catalogues en ligne (Helveticat) sur le modèle du KVK (Karlsruhe Virtueller Katalog).

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Catalogue Virtuel Suisse (CHVK)

25 www.chvk.ch/vk_schweiz_fr.html

26 Ce catalogue en ligne permet de faire une interrogation simultanée dans 16 grandes bibliothèques.

NEBIS

27 www.nebis.ch/

28 Catalogue collectif de plus de 80 bibliothèques de hautes écoles suisses avec 3 millions de titre, différents formulaires de recherches assez élaborés, intégration de sommaires, d’information sur les auteurs par le lien « abstract/index », pour 60 000 ouvrages, et possibilité de commandes en ligne pour certaines bibliothèques ou de savoir si l’ouvrage est disponible dans telle ou telle bibliothèque.

29 Pour l’histoire de l’art, la plupart des bibliothèques de ce réseau sont situées en suisse alémanique.

Informationsverbund DeutschSchweiz (IDS)

30 www.zb3.unizh.ch/ids

31 Catalogue de 300 bibliothèques universitaires de Suisse alémanique, entièrement en allemand.

RERO, catalogue commun des bibliothèques de Suisse romande

32 sarasvati.rero.ch

33 Catalogue collectif de 200 bibliothèques de Suisse occidentale, avec un répertoire utile de ces bibliothèques (lien vers le site internet, localisation, email …), et différents manuels de catalogages. Un certain nombre de thèses de doctorat, de rapports de recherches faisant partie de la bibliothèque numérique de ce site concerne l’histoire de l’art et plus particulièrement l’histoire de l’architecture.

Bibliographie de l’art suisse, publication de l’école polytechnique fédérale de Zurich (EtH/EPFZ)

34 www.demap-ethbib.ethz.ch

35 La bibliographie de l’art suisse et la bibliographie de la conservation des biens culturels, publiée régulièrement depuis 1978, connaît depuis 1994 une version informatique, en ligne. Chaque année, en indexant les recherches sur l’art suisse parues dans des publications suisses ou étrangères, elle s’enrichit d’environ 6500 notices (aucune notice ne semble antérieure à 1994, il y a peu de notices postérieure à 2004). Les possibilités de recherche sont par auteur, mots clés, index matière (nom de personne ou de lieu, sujets, …) et par mots libres. Les possibilités d’interrogation sont moins riches que dans la BHA, mais le nombre de revues suisses dépouillées est sans comparaison. De plus, les catalogues d’exposition sont dépouillés (on trouvera ainsi les mentions de Jaques Sablet

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et Léopold Robert pour l’exposition Light of ). Curieusement, pour les publications collectives, les auteurs sont indexés dans le champ « index ». Très utile, ce site mériterait d’être continué et mis à jour.

Archéologie

36 www.archaeologieschweiz.ch

37 Site qui présente les activités de cette association, qui édite archéologie suisse (qui a remplacé L’annuaire d’archéologie suisse ; les résumés des articles sont disponibles en ligne) et les différents groupes de travail, et des possibilités de forums.

Neuchâtel, Latenium, Hauterive

38 www.latenium.ch

39 Le site de cet ensemble, inauguré en 2001, qui abrite à la fois un parc et un musée consacré à la préhistoire, un centre de recherches, un enseignement universitaire et populaire, offre à la fois une visite virtuelle du musée et du parc, des informations sur les multiples activités du centre, de la restauration à l’accueil du jeune public, mais aussi de l’institut de préhistoire et des sciences de l’antiquité de l’université de Neuchâtel), et des liens (en particulier avec les autres musées d’archéologie).

Musées

ICOM Suisse

40 www.icom-suisse.ch

41 Site renseignant sur les activités de l’ICOM (International Council of Museums) en Suisse.

Association des musées suisses (aMS)/ Verband der Schweizer Museen (VMS)

42 ww.vms-ams.ch

43 Site qui offre de nombreux renseignements sur les musées suisses et sur les débats muséographiques actuels. l’AMS y publie une bibliographie sur les musées et les collections (période couverte : 1/10/2002- 6/5/2003) un répertoire des musées suisses (avec possibilité de recherche par lieu, nom, thème) avec renvoi aux sites internet des musées. À noter également les groupes de travail (dont un sur les collections d’objets des XXe et XXIe siècles), des forums et une liste des différentes formations en muséographie sur le territoire helvétique (avec là aussi des innovations dues à l’AMS). Mais le site semble être moins tenu à jour depuis 2004 ; une partie est uniquement en langue allemande.

Bâle, Kunstmuseum

44 www.kunstmuseumbasel.ch

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45 Site bien fourni sur le musée, avec notamment une collection virtuelle (par artiste et par période) et une visite virtuelle, des informations sur l’histoire du musée et de sa collection …

Berne, centre Paul Klee

46 www.paulkleezentrum.ch

47 Le nouveau centre consacré à Paul Klee, inauguré en juin 2005 dans une architecture de Renzo Piano, a promu un site internet très utile, avec une banque de données sur les œuvres, une riche information sur les archives scientifiques, des liens nombreux (sur tous les musées, suisses et mondiaux, conservant des œuvres de Paul Klee) et des pages vivantes sur les différentes activités du musée, dont le Kindermuseum creativa.

Collection de la ville de Bienne

48 www.biel-bienne.ch/ww/fr/pub/loisirs/culture/collectiondesarts.cfm

49 Cette rubrique du site de la ville de Bienne a la particularité d’offrir en ligne le catalogue entièrement de la ville (mais il n’est pas toujours évident de savoir de quel musée ou quelle collection il relève…). Le mode de recherche porte sur le nom de l’artiste, le titre de l’œuvre, l’année de création ou d’acquisition, et les principales catégories (photographies, dessins, estampes, environ 1700 œuvres pour chaque catégorie, 948 peintures…). Chaque œuvre est reproduite en couleurs et bénéficie d’une notice technique.

Genève, musées

50 www.ville-ge.ch/musinfo/mahg

51 Site portant sur les différents musées de Genève (qui inclut aussi la Bibliothèque d’art et d’archéologie, le centre d’iconographie genevoise), avec à chaque fois le programme des activités, de nombreuses informations, et les contacts nécessaires.

Lausanne, collection de l’Art Brut

52 www.artbrut.ch/

53 Le site, en plus de présenter les activités de la collection, offre un important apparat documentaire sur le mouvement de l’art brut (définition, historique, auteurs, œuvres, textes de référence).

Riggisberg, Fondation Abegg

54 www.abegg-stiftung.ch

55 La Fondation Abegg, créée en 1961, est spécialisée dans l’histoire des arts textiles de l’antiquité jusqu’à 1800 environ. Le site présente de manière sommaire la Villa et sa collection, offre plus de détail sur les cycles de licence et de Master organisés avec l’université des arts de Berne et propose le catalogue en ligne des 60 000 ouvrages et 200 périodiques courants de la bibliothèque.

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Vevey, Musée Jenisch

56 http://www.museejenisch.ch

57 Site bien complet sur le musée, offrant une sélection d’œuvres, une description des fonds les plus importants (Fondation Oskar Kokoschka, cabinet cantonal des estampes, Fonds Jean et Suzanne Planque pour les arts graphiques…).

Vitra, Design Museum

58 http://www.design-museum.de

59 Ouvert en 1989 dans le premier bâtiment européen de Franck Gehry, le Vitra Design Museum, institution créée par la Société de Design Vitra mais indépendante de celle-ci, joue, par ses expositions internationales, un rôle important dans la diffusion des actuels courants de l’architecture contemporaine et du design. Le site présente de manière moderne ses différentes activités (collection, exposition, workshop, atelier de restauration, archives et documentation sur l’histoire du design depuis 1950…).

Zurich, cabinet des estampes de l’école polytechnique fédérale (ETH/EPFZ)

60 www.graphischesammlung.ch

61 Site qui présente la collection et son histoire, les publications, un dictionnaire (en PDF) des termes techniques de la gravure, les publications scientifiques et les expositions passées ou en cours. Offre des facilités de contact avec le personnel scientifique du musée.

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Période moderne

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Période moderne

Débat

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Architecture européenne : un « gothique de la renaissance » autour de 1500 ? Débat entre Monique Chatenet, Krista de Jonge, Ethan Matt Kavaler, et Norbert Nussbaum

Monique Chatenet, Krista de Jonge, Ethan Matt Kavaler et Norbert Nussbaum

NOTE DE L’ÉDITEUR

[Ce débat a été organisé de la manière suivante : les questions ont été posées séparément aux différents participants par courrier électronique. Ceux-ci ont ensuite pu relire l’ensemble du texte avec les réponses de chacun (NDLR).]

1 Lancée en 2000 à propos de l’usage de l’ornement dans l’architecture gothique des Pays-Bas autour de 1500, la formule « renaissance Gothic » (moins provoquante et plus officielle sous la forme française « gothique de la renaissance ») est devenue une expression opératoire pour désigner, si ce n’est caractériser, une certaine tendance de l’architecture européenne autour de 1500, au point que les prochaines Rencontres d’architecture européenne (Maisons-Laffitte, 12-16 juin 2007) sont intitulées « Le gothique de la renaissance ». Aussi a-t-il semblé utile d’interroger les « inventeurs » de cette notion (qui, on le verra, refusent d’en faire un courant stylistique) pour mieux en comprendre la genèse et les enjeux. Monique Chatenet, organisatrice du colloque avec Claude Mignot, a bien voulu participer à ce débat qui permet de souligner l’horizon européen de cette « réaction » du gothique à la renaissance.

Perspective. « Renaissance gothic », « gothique de la Renaissance », l’expression est nouvelle (elle remonte, croyons-nous, à l’an 2000) et singulière par l’association de deux notions stylistiques que l’on a souvent foncièrement opposées et de deux périodes chronologiques entre lesquelles l’historiographie avait créé un fossé, même si Panofsky avait bien montré que la Renaissance n’était pas seulement italienne… Il existe pourtant

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d’autres précédents : Wittkower avait parlé d’un baroque classique pour un certain courant de l’art en Italie au XVIIe siècle, et Jacques Le Goff avait essayé de lancer l’idée d’un « gothique flamboyant », couvrant la période 1300-1550, qui correspondait un peu à l’automne du Moyen Âge de Huizinga. Comment avez-vous été amenés à vous intéresser à cette « phase chronologique » et à la transformer en un mouvement stylistique autonome, en lui donnant un nom ? Ethan Matt Kavaler. Lorsque, en 2000, j’ai donné dans un article1 1 le nom de « Renaissance gothic » à cette période qu’on venait de caractériser, l’expression se voulait à la fois ironique et descriptive. En anglais, la juxtaposition soudaine de deux étiquettes stylistiques posées sur des époques aussi inconciliables prenait une consonance absurde. mais elle se justifie lorsque l’on prend conscience qu’il n’existe aucune désignation qui rende compte de façon adéquate des arts en Europe du nord à partir des alentours de 1470 jusqu’à 1540 ; avec cette appellation, j’ai voulu attirer l’attention sur cette période incertaine, comprise entre celle que nous appelons le bas moyen Âge et la renaissance, dans le nord de l’Europe, et, en effet, soulever la question même de périodisation. Pourtant, « Renaissance Gothic » semble avoir été récemment accepté pour désigner une nouvelle période, même si elle est de courte durée. Cela est en partie dû au fait que l’expression française « gothique de la renaissance » est moins polémique que son équivalent anglais, et plus acceptable pour nommer une époque. Avec cette expression, je voulais également attirer l’attention sur le fait que le gothique était resté le principe architectural prédominant en Europe du nord jusqu’au deuxième tiers du XVIe siècle. Les historiens de l’art ont eu tendance à ignorer ce gothique très tardif, qui anticipe la renaissance à venir, et à le réduire à la phase décadente et moribonde d’un style qui avait dominé pendant un demi- millénaire. Et pourtant, les artistes les plus talentueux et les commanditaires les plus prestigieux continuaient d’enrichir le langage « gothique ». À la différence de l’expression « gothique flamboyant », qui appartient essentiellement à une évolution française, ou de « Sondergotik », qui se réfère principalement aux monuments allemands, le « Renaissance gothic » concerne toute l’Europe du nord, y compris la péninsule ibérique. En outre, il se distingue de l’expression courante « gothique tardif » dans plusieurs sens. D’abord, il ne se réfère qu’à la toute dernière partie du gothique tardif, dont les débuts sont généralement reconnus à partir du milieu du XIVe siècle. Ensuite, il a été conçu des alentours de 1470 jusqu’en 1540, à une époque où la connaissance des monuments italiens et de ceux de l’Antiquité s’était propagée dans les villes de l’Europe du nord. Même si le gothique restait le style architectural dominant, l’existence d’une manière italianisante mettait en cause sa capacité à représenter le monde dans sa totalité ; un tel style était alors devenu un choix, un acte délibéré, voire une obligation. Il est utile de noter que plusieurs maîtres gothiques de cette époque pratiquaient simultanément un style italianisant : Benedikt Ried à Prague, Jean Gossaert aux Pays-Bas, Martin Chambiges en région parisienne, Erhard Heydenreich en Bavière, parmi d’autres. Krista De Jonge. Matt Kavaler met en évidence, à juste titre, la contradiction inhérente à l’expression qu’il a inventée, « Renaissance Gothic », absurde et en même temps très parlante. La traduction française par « gothique de la renaissance » n’a pas tout à fait le même sens : elle met au contraire l’accent sur la validité du gothique comme un phénomène pleinement XVIe siècle. Soulignons que même aujourd’hui, les deux termes – gothique d’une part, renaissance de l’autre – n’ont pas la même valeur

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pour un historien de l’architecture du XVIe siècle. Le premier a une connotation négative que le second n’a pas. Ce qui est encore gothique appartient à l’automne du moyen Âge, condamné à la disparition ; ce qui est déjà renaissance relève par définition de l’avant-garde. Dans son livre sur la Joyeuse Entrée de la Renaissance dans les anciens Pays-Bas2, C. L. van Balen compare les œuvres des débuts de la renaissance à un enfant qui apprend à marcher en se tenant à la table et aux chaises, mais qui retombe au sol, à quatre pattes, quand la distance est trop grande : ce sol est le gothique, fort de ses traditions et de sa pratique… image amusante, mais qui traduit bien la persistance de cette valorisation différente des deux phénomènes.

Or l’architecture européenne du XVIe siècle ne peut être réduite à la renaissance, si l’on me permet cette boutade. Il est en effet trop réducteur de la considérer uniquement dans une perspective normative qui remonte à Vasari. En paraphrasant Jean Guillaume, l’architecture française du XVIe siècle, par exemple, a son expression renaissance, comme elle a son expression gothique. Les deux modes d’expression coexistent pendant une époque somme toute assez longue et partagent, en outre, un certain nombre de caractéristiques communes. Le pluralisme des styles fait partie intégrante de la pratique architecturale partout en Europe, même en Italie, chez un Michelozzo par exemple – dont l’œuvre aurait été mieux appréciée, ou prise en considération plus rapidement, je crois, s’il n’y avait pas eu ce trait absolument gênant pour l’historien de la renaissance ! La propagande vasarienne nous a égale- ment fait oublier qu’à l’époque, cette flexibilité dont fait preuve, par exemple, Jean Gossaert, était particulièrement prisée par les commanditaires. Même si l’expression « baroque classique » exprime, au premier regard, une contradiction analogue, il me semble moins polarisant, en premier lieu parce que dans la pratique, la coexistence du baroque et du classicisme à une même époque est généralement acceptée. Par analogie, l’architecture française du XVIIe siècle peut être qualifiée de baroque – si l’on pense aux triomphes de Versailles – comme elle peut être appelée classique – dans sa recherche de la pureté. En somme, deux attitudes qui ne s’excluent pas nécessairement, comme le démontrent par exemple les nouvelles recherches sur Borromini et les ordres. Les étiquettes stylistiques traditionnelles s’avèrent somme toute assez peu adaptées pour couvrir l’ensemble de la production architecturale du XVIe siècle : ce qui a encore été relevé récemment, lors du colloque organisé par Norbert Nussbaum et Stephan Hoppe à Cologne à l’automne 20043. C’est sur ce manque méthodologique que nous voulons attirer l’attention, plutôt que d’inventer un nouveau « mouvement stylistique autonome ». La contradictio in terminis consciemment ironique « Renaissance gothic » traduit l’impossibilité de l’histoire des styles traditionnelle à rendre pleinement justice à ce phénomène. L’expression « gothique de la renaissance » souligne que ce gothique a coexisté avec la renaissance, et que, comme l’indique votre deuxième question, tous les phénomènes d’échange et d’assimilation doivent être pris en considération. Cela dit, le terme de « gothico-renaissant » a cours depuis un certain temps dans l’historiographie belge de langue française : Ignace Vandevivere4 4 entendait par là en effet un nouveau style, relevant à la fois du gothique et de la renaissance, et caractérisé en premier lieu par sa grande complexité formelle et par la richesse de son ornement.

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Norbert Nussbaum. L’expression « Renaissance gothic » comme marque de fabrique de l’architecture gothique autour de 1500-1540 ne remporte pas ma totale adhésion, parce que je ne vois aucune raison de définir ce phénomène comme un « mouvement stylistique autonome » de l’architecture du XVIe siècle, comme il est dit dans la première question. De mon point de vue, dans ces décennies, l’architecture gothique suit principalement la voie tracée dans le dernier tiers du XVe siècle, malgré la grande variété de réalisations formelles et de projets dans des phases ultérieures. L’expression « Renaissance gothic » comme un mélange de deux notations stylistiques opposées n’est pas du tout singulière. Par exemple, le « gothique tardif » a longtemps été considéré comme un phénomène baroque ou maniériste, particulièrement dans l’histoire de l’art allemande. L’expression française « gothique de la renaissance » est plus due au fait que nous prenons en compte une attitude stylistique, observée au cours d’une époque que nous avons l’habitude de circonscrire par le terme renaissance. Toutefois, l’« autonomie » affirmée de ce mouvement stylistique, telle qu’elle est formulée dans la question, me semble une hypothèse douteuse. En travaillant sur un modèle d’ensemble pour la compréhension de l’architecture de la renaissance, nous devrions plutôt nous concentrer sur une possible intégration de cette partie gothique de l’architecture du XVIe siècle dans le contexte d’une approche pluri-stylistique de la renaissance, en tant que conception d’une époque. Le « gothique de la renaissance » pourrait être l’un des éléments d’un tel modèle descriptif. La tentative de définition d’une « renaissance nordique » avec une tendance gothique avait été faite auparavant par Dehio, Niemeyer, Schmarsow et d’autres chercheurs autour de 1900, même si elle était fondée sur une historiographie nationale et sur un choix d’indices qui semble beaucoup trop mince pour nos critères actuels. Monique Chatenet. En France les historiens de l’architecture qui s’intéressent aux débuts des Temps modernes restent en effet confrontés à un extravagant « partage mérovingien » universitaire. Les « modernistes » sont censés parler du Quattrocento italien, tandis qu’aux « médiévistes » revient le XVe siècle hors d’Italie. Pour le XVIe siècle, c’est encore plus absurde puisque l’architecture religieuse française revient théoriquement aux uns et l’architecture civile aux autres. Finalement, chacun voit ce qui lui plaît en oubliant le reste. Les uns regardent avec mélancolie un monde en voie de disparition, « l’automne du moyen Âge » ; les autres y déplorent implicitement une attitude réactionnaire face au « progrès de l’humanité » : c’est le « gothique tardif ». Il est temps d’évacuer les a priori et de considérer enfin cette période pour ce qu’elle est dans toute sa diversité. D’où, dans le programme du colloque, un équilibre à assurer le mieux possible entre les points de vue.

Perspective. Il peut y avoir différentes valeurs pour le gothique de la Renaissance : la simple prolongation du style gothique dans la période moderne de la Renaissance, une réaction du gothique face aux idéaux de la Renaissance qui cristalliserait l’art gothique sur ses propres caractéristiques ; une adaptation du gothique à l’art de la Renaissance, ou une appropriation dans le langage gothique de certaines valeurs formelles de la Renaissance, comme le principe de ratio ou d’imitation de la nature. Dans ce champ de différentes possibilités (non limitatives, probablement…), comment situeriez-vous le gothique de la Renaissance ? E. M. K. Presque toutes les possibilités mentionnées représentent des aspects du « Renaissance gothic ». Il n’y a pas eu, toutefois, une simple prolongation d’un gothique

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antérieur dans une nouvelle ère. La plupart des projets prestigieux intégraient de nouvelles techniques dans les structures ainsi que de nouvelles approches ornementales. Nul doute que les maçons gothiques auraient rénové leur art d’eux- mêmes, mais la connaissance qu’il existait, en Italie, un art nouveau qui suscitait beaucoup d’admiration les a forcément incités à revisiter leur propre architecture, afin de regagner les faveurs d’un public religieux et séculier et de satisfaire leurs désirs. Les moyens employés sont strictement gothiques – linéaires et non représentatifs – jusqu’aux premières années du XVIe siècle. À ce moment-là, des principes abstraits et même des motifs formels tirés des créations italianisantes sont occasionnellement appliqués aux structures gothiques. Certains hôtels de ville, aux Pays-Bas et en France, deviennent rigoureusement symétriques, tandis que des éléments gothiques et antiques se côtoient dans la chapelle de la Vierge à l’abbaye de Valmont ou sur le tombeau de Raoul de Lannoy à Folleville. Nous observons un phénomène similaire dans les premières œuvres italianisantes : les volutes y sont suspendues comme le réseau des retombées gothiques ; l’étalage de l’abondance d’ornements de la renaissance, sa syntaxe, et non sa sémantique, rappelle la magnificence du gothique tardif. K. De J. Le fossé que vous avez évoqué dans votre première question n’a évidemment jamais existé dans la pratique : ainsi tous les phénomènes d’échange doivent être examinés dans une perspective différente de celle en vigueur, c’est-à-dire non- normative. Malheureusement, la plupart des termes que nous utilisons à cette fin sont chargés de connotations qui nous poussent d’emblée dans une certaine direction : « Sondergotik », « Nachgotik », « gothic survival » ne sont point neutres dans le fond. L’image de Huizinga, celle de l’arbre aux fruits trop mûrs, dans la dernière saison de sa vie, a profondément influencé les experts du gothique dans leur évaluation de l’architecture contemporaine. Fruit de la décadence, ce gothique n’est pas vu comme un phénomène capable de réagir aux impulsions venues d’Italie, donc au style à l’antique. Dans l’historiographie classique des anciens Pays-Bas, par exemple chez Stan Leurs5, le dernier gothique est vu comme « Verstard », rigide, solidifié. Or les exemples cités par Matt Kavaler ci-dessus indiquent que cette réaction a bien existé, et qu’elle mérite une nouvelle évaluation. N. N. Si nous considérons le « gothique de la renaissance » non pas simplement comme un style caractéristique des pays nordiques qui n’auraient pas été affectés par le retour au monde antique pendant assez longtemps, mais plutôt comme une préférence à l’alternative italianisante, alors le gothique du XVIe siècle devrait être considéré comme un mode plutôt qu’un style. La question est de savoir si ceci concerne les années 1500 ou seulement les décennies suivantes du siècle, quand les formes italianisantes étaient devenues accessibles grâce à l’imprimerie ; ce point devra être soigneusement examiné dans les prochaines études. Pour l’instant, on peut accepter toutes les possibilités d’interactions stylistiques énumérées dans la deuxième question comme des modèles descriptifs, correspondant plus ou moins à une multiplicité d’habitudes culturelles qui peuvent être observées pendant les décennies en question. Je pense que nous n’arriverons pas à une interprétation unique tant que nous garderons légitimement à l’esprit une évaluation différenciée du phénomène historique.

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En ce qui concerne les arts picturaux, la renaissance est souvent associée à une tendance à la représentation naturaliste et aux stratégies rationnelles de dessin, comme la perspective ou la justesse des proportions anatomiques, conjuguées à un bon nombre d’autres catégories. Au contraire, dans le domaine architectural, la simple réapparition des ordres antiques a été établie comme le critère explicite. Ce n’est certainement pas en suivant cette règle que nous pourrons approfondir une compréhension du gothique comme variante formelle d’une « ars nova ». Nous devrions plutôt considérer le retour de la théorie architecturale italienne aux modèles romains comme une stratégie spécifique, dans le but de poser des bases rationnelles, définies scientifiquement, pour une nouvelle architecture. Les évolutions stylistiques généralement circonscrites par l’expression « gothique tardif » – évolutions qui ne doivent pas être réduites aux décennies 1470-1540 – pourraient alors être considérées comme une autre stratégie faisant face à des ambitions similaires. Par conséquent, nous avons besoin de critères d’ensemble pour juger du courant moderniste des XVe et XVIe siècles, tels que :

L’intellectualisation des stratégies créatives (mettre en avant les valeurs d’invention et d’imagination qui sont au cœur de la pratique architecturale), l’instauration de l’architecture comme une discipline rationnelle, qui comprend des domaines d’expérimentation artistique et des études méthodiques (les ordres antiques, la projection de la voûte...), la mise en valeur de la complexité formelle obtenue par la multiplicité des codes et une articulation hybride des éléments, l’intensification des échanges entre l’architecture et les arts visuels pour construire des espaces artistiques cohérents, l’ébauche du rôle donné à la personnalité de l’artiste, créateur artistique, la recherche des prototypes d’une architecture nationale. Quand on compare ces données, on se rend compte que les modèles italianisants et gothiques du XVIe siècle ont beaucoup en commun. Ils s’expliquent par des modes de représentation différents, qui peuvent être choisis selon l’effet visuel, la fonction, le style recherché. M. C. J’espère qu’il y a toutes les possibilités listées dans la question, et bien d’autres choses encore. Le colloque qui sera organisé dans le cadre des Rencontres d’architecture européenne en juin 2007 ne veut pas fermer de portes. L’important au contraire est de veiller à ce que toutes les voies soient explorées, en particulier celles auxquelles on n’avait pas pensé au départ et qui se sont révélées lors de l’appel à communications qui a été diffusé.

Perspective. L’expression « Renaissance gothic » est née lors de l’étude de monuments du nord de l’Europe, et plus particulièrement dans un « grand bassin rhénan ». Dans les Rencontres de 2007, consacrées au gothique de la Renaissance, seront présentées des communications sur des monuments italiens ou ibériques, et une nouvelle définition géographique de ce mouvement stylistique semble se mettre en place, plus européenne en quelque sorte, que celle de la Renaissance classique, parfois trop comprise entre un centre (l’Italie) et la périphérie (le reste de l’Europe). Pourriez-vous nous dire quelques mots à ce sujet ? E. M. K. L’expression « Renaissance gothic » est en effet née d’une étude effectuée dans une grande variété de contextes en Europe du nord. Le bassin rhénan n’est pas le seul axe de développement. Sur ce chapitre de l’histoire de l’art, la recherche s’appuie sur un examen beaucoup plus vaste des centres européens : la Normandie, la région parisienne, le Brabant, la Bavière, l’Autriche et la Bohème, avec Prague, sa capitale,

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pour n’en citer que quelques-uns. Il faut aussi prendre en ligne de compte l’Espagne et le Portugal. Les traditions islamiques des monuments ibériques sont l’une des origines de ce nouveau gothique. Et, à la fin du XVe siècle, l’Espagne était un creuset de talents internationaux ; beaucoup de ses grands architectes et créateurs venaient des Pays-Bas, d’Allemagne et de France. Quant à l’Italie, elle fait office de repoussoir, de contraste, mais elle n’était pas non plus imperméable aux attraits de ce gothique très tardif. À ce jour, nous possédons les études de Hubertus Günther et d’Ernö Marosi sur la réaction italienne au gothique tardif6. K. De J. L’Italie ne se réduit pas à l’Italie centrale, à l’axe Florence-Rome. Les régions italiennes dites de la périphérie – telle la Sicile et Naples avec leurs liens aragonais – sont particulièrement intéressantes à cet égard comme le démontrent, par exemple, les recherches de Marco Rosario Nobile qui participera au colloque. En Italie du nord, il faut se rappeler que la cathédrale de milan représente un des plus grands chantiers du XVe siècle. Est-ce nécessairement un symptôme de traditionalisme que d’inclure sa complexe structure géométrique dans une édition de Vitruve, comme l’a fait Cesare Cesariano (Côme, 1521) ? De toute façon, des chantiers comme milan ou celui de San Petronio à Bologne confirment l’importance du gothique comme phénomène d’actualité même pour des héros de la Renaissance, tel un Peruzzi. N. N. Fondée sur le concept d’une définition « non-formelle » de l’architecture de la renaissance (en abandonnant l’appareil critique formel « classique » en tant que catégorie explicite, et en prenant en considération les modèles comparatifs que nous avons envisagés ci-dessus), cette question semble déjà avoir trouvé plus ou moins sa réponse. L’hypothèse d’un centre artistique (l’Italie) et d’une vaste périphérie (le reste de l’Europe), dont l’interférence avec l’architecture renaissante est évaluée sur le seul degré d’« antiquité » formelle atteint par son architecture, ne sera pas opératoire. Au contraire, nous devrons composer avec de nombreux concepts de « modernité » architecturale, concepts qui d’habitude se distinguent stylistiquement les uns des autres. Si l’on considère le témoignage artistique des pays « nordiques », et aussi bien de la péninsule ibérique, les modèles gothiques jouent le plus grand rôle. Puisqu’il est peu probable que l’ars nova des peintres flamands n’ait pas eu d’équivalent architectural, on pourrait chercher des sujets de « modernité » au moins à partir des années 1400. Ce qui signifie lire l’architecture dans le contexte des arts visuels et chercher des changements significatifs reliés aux catégories ci-dessus mentionnées (voir la réponse à la question 2). Déjà vers 1400, dans les pays d’Europe centrale ou en Angleterre, le gothique avait vu s’épanouir une grande variété de « langages » stylistiques, basés sur un fonds commun de plus en plus grand de concepts concurrents en matière de création et qui répondaient sur une large échelle aux désirs du commanditaire. Il semble que, depuis le début, l’infiltration de la manière italianisante ait été une aubaine pour intensifier cette compétition et enrichir la base stylistique du dessin architectural, avant que les tendances normatives du vitruvianisme ne viennent se superposer à ce discours pluraliste. En fait, la richesse de ce discours gothique ne fut jamais retrouvée dans la période qui connut la domination des modèles italiens, à la fin du XVIe siècle.

M. C. Le cadre européen est une donnée essentielle de nos Rencontres d’architecture. Effectivement, il faudra veiller à donner toute sa place à l’Europe du Sud : à la péninsule ibérique, mais aussi aux « Italies », en particulier au royaume de Sicile, au

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milanais ou à la Vénétie, pour peu que l’on trouve des chercheurs ayant déjà approfondi ces sujets…

Perspective. La dernière question voudrait plus porter sur la fabrique de l’histoire de l’art. Vous n’avez qu’exceptionnellement publié en commun, et un seul colloque à New York a déjà été consacré au thème du « gothique de la Renaissance ». Il y aura en juin 2007 celui de Maisons-Laffitte. Est-ce que vous vous considérez encore comme des chercheurs isolés sur ce sujet ou formez-vous maintenant un réseau ? Comment voyez-vous le développement des études sur ce mouvement artistique, et envisagez-vous la formation de lieux dans l’histoire de l’art pour le soutenir : une revue, un site internet, des rencontres régulières ou des grands colloques internationaux, ou plus simplement continuer individuellement au sein de vos institutions respectives ? M. C. Les Rencontres d’architecture européenne n’ont pas pour but de fabriquer une chapelle de plus. En revanche, elles se veulent, comme leur nom l’indique, un lieu d’exploration et de confrontation d’idées, de découvertes communes. Pour cela, il faut plusieurs conditions : un cadre privilégié, de larges temps de discussions entre chaque communication, des moments conviviaux pour les conversations, des visites de monuments pour éveiller l’enthousiasme. Le « microclimat » du château de mai- sons-Laffitte a produit un effet magique sur les deux premières Rencontres. Espérons que cela continuera. Il y aura aussi, et c’est le plus important, la publication des actes. Si elle parvient à se distinguer par sa qualité, par sa variété, par sa hauteur de vues, elle a toutes les chances de marquer les esprits et de susciter l’émulation. N. N. À mon avis, il serait superflu de créer une section de recherche entièrement nouvelle consacrée au « gothique de la renaissance » et de former un réseau de chercheurs spécialisés pour se consacrer à ce sujet. Ce thème devrait être considéré comme l’un des points principaux des études actuelles sur la renaissance, dans leur ensemble. Ce dont nous, spécialistes du gothique tardif et italianistes, avons besoin, c’est de nous associer dans un projet et un intérêt commun, pour faire la liaison entre deux domaines traditionnels de recherche qui ont déjà porté leurs fruits. Sous ces auspices, les plates-formes scientifiques bien établies des études médiévistes et renaissantes devraient servir de vecteur d’information efficace. E. M. K. Le colloque de 2004 qui s’est tenu à new York a été en effet organisé par Krista de Jonge et moi-même. C’était la première déclaration publique de la reconnaissance de cette phase de l’art gothique et de son choix comme sujet d’une étude commune. Nous attendons avec impatience le colloque de maisons, où nos collègues seront présents en bien plus grand nombre. Cependant, pour la plupart d’entre nous, nous nous considérons comme des chercheurs individuels qui partagent une vision de cette phase dynamique de l’architecture européenne. il est bien possible que j’organise une autre conférence sur le thème « Renaissance gothic » dans quelques années à Toronto. Mais, pour l’instant, nous sommes satisfaits de publier séparément, tout en correspondant entre nous. Je ne pense pas qu’une revue serait appropriée, car cela risquerait d’enfermer dans un carcan académique un sujet qui devrait rester relativement informel et fécond. Toutefois, un site internet apporterait une aide, en rendant publiques les dernières lignes de recherche et la profusion d’images qui, à ce jour, ne sont pas bien diffusées. K. De J. Mouvement artistique : c’est trop dire, en vérité. Nous avons voulu poser le problème de l’architecture européenne de la période 1470-1540 en d’autres termes, qui permettent une approche à la fois plus juste et plus variée. Il me semble évident que cette recherche doit se situer dans un contexte international, dans un dialogue

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entre les chercheurs intéressés, et qu’elle bénéficierait donc de tous les moyens qui sont à notre disposition. Le colloque de 2007 permettra, on l’espère, d’élargir la discussion et d’établir des échanges plus variés. Attendons les résultats pour voir quelle sera la forme la plus adaptée pour la troisième étape…

NOTES

1. « Renaissance gothic in the Netherlands : The Uses of Ornament », dans The Art Bulletin, LXXXII, juin 2000, p. 226-251. 2. De Blijde Inkomst der Renaissance in de Nederlanden, Leyden, 1930. 3. Stil als Bedeutung. Künstlerische Konzepte in Architektur und den Bildkünsten im Rheinland und den Nachbargebieten (1450-1650). 2. Sigurd Greven-Kolloquium zur Renaissanceforschung, Université de Cologne, 19-20 novembre 2004 (actes en préparation). 4. Ignace Vandevivere, Belgique renaissant : architecture, art monumental, Bruxelles, 1973. 5. Geschiedenis der bouwkunst in Vlaanderen, van de Xe tot het einde der XVIIIe eeuw, Anvers, 1946. 6. Hubertus Günther, « Die ersten Schritte in die Neuzeit. Gedanken zum Beginn der Renaissance nördlich der Alpen », dans Norbert Nussbaum et al., Wege zur Renaissance, Cologne, 2003, p. 31-87 ; Hubertus Günther, « Visions de l’architecture en Italie et dans l’Europe du Nord au début de la Renaissance », dans Jean Guillaume éd., L’invention de la Renaissance. La réception des formes « à l’antique » au début de la Renaissance, (De Architectura, 9), Paris, 2003, p. 9-26.

INDEX

Index géographique : Europe du Nord, Europe du Sud Keywords : gothic, architecture, Renaissance Gothic, decoration, study, method, style, discipline Mots-clés : gothique, architecture, Renaissance Gothic, ornement, étude, méthode, style, discipline Index chronologique : 1500

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Période moderne

Travaux

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Pourquoi la sculpture n’est plus ennuyeuse. Recherches sur la sculpture française des jardins de Versailles aux panthéons de la révolution

Malcolm Baker

À la mémoire de Dean Walker (1948-2005), conservateur et spécialiste de la sculpture française

1 Quand Baudelaire se demandait dans son célèbre essai de 1846 pourquoi la sculpture était si ennuyeuse, il lançait un défi aux historiens d’art de son époque et des siècles futurs, en particulier aux spécialistes de cet art. Malgré le nombre considérable de textes sur Rodin et la reconnaissance plus grande dont ont bénéficié des figures telles que celles de Carpeaux ou Dalou, l’étude de la sculpture, en France ou dans d’autres pays, occupe une place assez marginale dans le discours de l’histoire de l’art moderne. L’histoire de l’art français, comme celle de l’art britannique, est avant tout une histoire de la peinture, et l’enseignement de l’art français du XVIIIe siècle, en France en Grande- Bretagne et aux Etats-Unis, a accordé peu de place à la sculpture. Bien entendu, certains chercheurs, notamment François Souchal, ont continué une tradition assez ancienne déjà d’études de la sculpture du XVIIIe siècle par une série de monographies sur la famille Slodtz (1967) et les frères Coustou (1980, 1988), ou en approfondissant la documentation déjà disponible sur les sculpteurs de Louis XIV dans le dictionnaire des sculpteurs français (1977-1992). Dans l’université, malgré la position éminente qu’il occupait, Souchal était cependant une figure isolée. La plus grande part de la recherche dans ce domaine s’est faite non à l’université mais dans les musées, essentiellement au Département des sculptures du Louvre. Toutefois, les dix dernières années ont non seulement vu se développer l’activité des musées, en particulier à l’occasion de grandes expositions monographiques, mais aussi un intérêt nouveau pour la sculpture chez les

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historiens d’art de l’université, en France et ailleurs. De même que les nombreux visiteurs qui se rendent au Louvre par la rue de Rivoli contemplent deux vastes cours peuplées de sculptures françaises, de même il devrait être plus difficile à l’avenir pour un étudiant en l’histoire de l’art du XVIIIe siècle d’ignorer le domaine de la sculpture.

vies et œuvres de sculpteurs

Approches monographiques

2 L’une des caractéristiques de l’étude de la sculpture française du XVIIIe siècle, même minime, est l’importance accordée à la monographie. On dispose naturellement de quelques études. En 1993, les éditions Yale University Press, après avoir repris la collection « Histoire de l’art » publiée chez Pelican, ont édité par fascicules et actualisé les chapitres de Michael Levey sur la peinture et la sculpture, écrits en collaboration avec Kalnein (LEVEY, 1993). Les révisions, qui tiennent compte de la bibliographie récente, proposent un état complet de la production de sculpture de la période. Sensible et élégant, le texte réactualisé de M. Levey regorge de descriptions brillantes et résume souvent avec perspicacité, en quelques phrases percutantes, le style propre à un sculpteur, même si son appréciation de certains artistes reste très personnelle – l’importance de Bouchardon, par exemple, est vraiment minimisée. Mais cette étude traite essentiellement de la carrière et du style des sculpteurs, et moins des fonctions de la sculpture française au XVIIIe siècle. Tout en étant le seul ouvrage sur la sculpture de cette période, elle semble relativement éloignée des débats d’histoire de l’art portant, par exemple, sur l’idéologie, le statut du spectateur et la réception. Certaines de ces questions figurent dans l’ouvrage d’Alison West (West, 1998) sur le sublime en sculpture entre 1760 et 1840, ce qui correspond tant à l’évolution méthodologique qui a eu cours depuis la première édition du livre de M. Levey qu’à l’introduction de l’histoire sociale dans les recherches en histoire de l’art anglo-américaines. Mais sur la période antérieure à 1760, il n’existe aucune étude exhaustive, pas plus qu’il n’y a pour ce siècle d’équivalent de l’ouvrage de thomas Crow (CROW, 1965), qui a eu une très grande influence.

3 La recherche sur la sculpture française du XVIIIe siècle de loin la plus significative et certainement la plus accessible au public se trouve dans une série de catalogues d’exposition monographique, chacune portant sur un sculpteur de premier plan, un nombre considérable d’entre elles ayant eu lieu au Louvre, certaines dans le cadre d’une longue tradition de collaboration entre cette institution et les musées américains – et d’autres hors de Paris.

Puget and co.

4 Parmi ces dernières expositions, citons celle sur Pierre Puget (Pujet…, 1994) même si sa période d’activité relève de la fin du XVIIe plutôt que du XVIIIe siècle. Cette rétrospective est importante pour qui s’intéresse à la sculpture un peu postérieure, en partie par la place de Puget (quoique sujette à controverse) parmi les artistes protégés par Louis XIV, mais aussi par les questions concernant la façon dont la vie et l’œuvre d’un sculpteur peuvent être comprises à travers une exposition et son catalogue. L’exposition était impressionnante même si inévitablement elle ne pouvait être

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exhaustive. Bien qu’il ait été impossible d’y inclure des marbres de grand format tels que le Milon de Crotone du Louvre (sujet d’une intéressante étude de Geneviève Bresc- Bautier en 1996) et le Saint Sébastien de l’église Santa Maria de Carignano à Gênes, la présentation de l’exposition à Marseille puis à Gênes a permis de montrer deux aspects différents de la carrière de Puget, de manière équilibrée. En incluant des peintures, des dessins et quelques sculptures sur ivoire (deux bas-reliefs attribués semble-t-il avec raison à Puget), l’exposition et son catalogue nous ont permis de corriger la vision généralement répandue d’un

5 sculpteur à part dont les œuvres monumentales détonnaient par rapport au travail d’autres artistes employés par Louis XIV et sa cour. En 1970, la monographie de Klaus Herding s’était déjà bien sûr élevée contre une vision aussi réductrice (HERDING, 1970). Dans l’article subtil et incisif que ce même auteur propose dans le catalogue de l’exposition, la relation entre la sculpture caractéristique de Puget et celle de Versailles est vue comme une tentative de traduire un langage italien en un goût typiquement français tout en s’appropriant la puissance sculpturale de Michel-Ange et du Bernin. Pour K. Herding, « Puget n’est pas un révolutionnaire ou quel- qu’un qui n’est pas de son siècle… mais un artiste bourgeois chez qui se reflètent comme dans un miroir les différentes tentatives d’adaptation et de protestation, d’avances et de reculs, inévitables à l’époque »1, ce qui nous permet d’envisager une vision assez différente du sculpteur dans la prochaine monographie de cet auteur. Car à travers son article et le reste du catalogue, nous sommes effectivement tentés de revoir la façon dont la carrière d’un sculpteur peut être considérée et commentée – et cette question revient constamment dans les expositions mono- graphiques sur quelques-uns des sculpteurs les plus importants du XVIIIe siècle.

6 L’une des principales nouveautés pour notre compréhension de l’activité de Puget en tant que sculpteur concerne la complexité de son travail d’atelier et l’importance de sa collaboration avec d’autres artistes. L’utilisation par le sculpteur de matériaux spécifiques comme le marbre était bien mise en évidence dans la section du catalogue sous la responsabilité de Geneviève Bresc-Bautier qui traitait également du rôle des assistants du sculpteur et de ses suiveurs (BRESC-BAUTIER, 1994) – et Christophe Veyrier se distingue alors à la fois comme l’un des principaux collaborateurs de Puget et un artiste à part entière. Cette partie du catalogue est particulièrement remarquable par l’importance accordée à la collaboration entre artistes dans le domaine de la sculpture. Comme le catalogue et ses essais l’ont mis en évidence, traiter de Puget comme d’un sculpteur impliquait de s’intéresser à un atelier complexe et à une entreprise opérant à la fois à Toulon et à Gênes.

Houdon et les bustes des philosophes

7 Des questions sur l’atelier et la pratique collective, tellement centrales dans la production de la sculpture, sont également nées d’une autre exposition sur un sculpteur majeur de la fin du siècle, Houdon, exposition qui s’est tenue successivement à la of art de Washington, au J. Paul Getty Museum à Los Angeles et à Versailles. Le catalogue, établi entre autres par Anne Poulet, offre un panorama très utile d’œuvres de cet artiste et fournit de nombreuses informations inédites provenant des archives (Houdon…, 2003). Outre les notices soigneusement élaborées sur les œuvres exposées (avec une liste détaillée des autres versions et des références aux premiers

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catalogues de vente), ce catalogue a ouvert de nouvelles voies à la recherche en explorant le réseau complexe des clients de Houdon hors de France. Grâce au travail d’Ulrike Mathies (MATHIES, 2003, FRANK, 2003), la signification des plâtres de Schwerin se dessine très précisément. L’une des révélations les plus significatives des archives est une lettre de Houdon à « son altesse Monseigneur le Duc de Saxe Gotha » qui peut être lue comme un résumé des principes esthétiques de l’artiste ainsi que comme une description vivante des usages en matière de production et de livraison de la sculpture, avec ses informations détaillées sur la fabrication des plâtres et les méthodes d’emballage. De même qu’il publiait le résultat de cette nouvelle recherche sur les clients allemands de Houdon2, le catalogue mettait à profit les enquêtes en cours de Christophe Frank sur les relations artistiques franco-russes et le rôle de la Correspondance littéraire de Grimm ( FRANK, 2003). Houdon, présenté ainsi, avait véritablement une envergure internationale, et non simplement celle d’un sculpteur français du Siècle des Lumières. Bien que toute exposition de sculpture se doive de prévoir des œuvres transportables, l’accent mis par la scénographie et le catalogue sur les bustes, en ce qu’ils s’opposent aux figures isolées ou aux monuments, était dans ce cas non seulement inévitable mais justifié sur le plan historique. Comme l’attestent les tableaux de Boilly montrant le célèbre sculpteur dans son studio, la réputation de Houdon et sa pratique reposaient en premier lieu sur ses bustes. Aussi ressortait-il clairement de l’exposition le rôle de l’artiste dans la revalorisation du buste auquel il insuffle un sens nouveau et une intensité en rapport avec la conscience intellectuelle des philosophes. Mais nous touchons là un problème inhérent à ce genre d’exposition monographique. Centré sur les travaux individuels et leur format, le catalogue d’exposition, par de courts essais introduisant des notices d’œuvres individuelles, ne permet guère de développer un exposé soutenu. Le travail de Houdon en tant que sculpteur de portraits et sa place dans l’histoire de la sculpture française est brillamment souligné par Guilhem Scherf, mais les questions soulevées ne sont pas pleinement traitées par la suite (SCHERF, 2003). En dépit du sous-titre subtil de l’exposition, « Sculpteur des Lumières », la façon dont Houdon utilisait les possibilités offertes par les conventions de la sculpture – essentiellement le buste – pour illustrer et articuler les valeurs du Siècle des Lumières n’est pas vraiment interrogée. Il faut pour cela se tourner vers l’exceptionnel Ein Versuch über die Gesichter Houdons de Willibald Sauerländer, dont nous aurons l’occasion de parler plus loin (SAUERLÄNDER, 2002).

8 Le format strictement monographique de l’exposition Houdon signifie également que le sculpteur semble être une figure isolée. Sa stratégie de sculpteur consistait à rester à part, mais, comme le souligne G. Scherf, son travail doit être compris par rapport à des figures telles que celle de Caffieri. tandis que les portraits de Houdon sont réellement singuliers, leur intensité, de même que la façon dont ils conduisent le spectateur à s’intéresser à la subtilité du rendu de leur surface, offrent de nombreux points communs avec des bustes de Pigalle (plusieurs de ceux-ci avaient été précédemment présentés dans le catalogue de Jean-René Gaborit sur les œuvres de cet artiste conservés au musée du Louvre (Pigalle…, 1985), catalogue qui, même à une échelle modeste, reste un modèle quant à la manière d’étudier la carrière et le travail d’un sculpteur). Contrastant avec la diversité de la production de Pigalle, l’activité de Houdon semble extrêmement concentrée sur le buste, bien qu’il ait revendiqué son statut et sa notoriété d’artiste avec davantage de vigueur et d’efficacité. Mais le considérer comme un sculpteur à part contribue à perpétuer un modèle de collection et de connoisseurship (très encouragé par l’admiration compréhensible que lui portent les

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Etats-Unis) qui a eu pour conséquence de le dissocier d’un contexte plus large de la pratique de la sculpture. De même qu’au rapport entre les portraits de Houdon et ceux de Pigalle et Caffieri, on pourrait s’intéresser au développement du genre en Angleterre où de telles sculptures étaient également utilisées comme portraits afin d’illustrer les valeurs du Siècle des Lumières.

9 Une autre conséquence d’une approche strictement monographique est que l’aspect collectif de la production peut être marginalisé et même occulté. Tandis que les articles sur les travaux individuels, ainsi que le texte de la lettre de Saxe-Gotha, nous fournissent un ensemble riche et diversifié sur la production multiple des bustes en plâtre de Houdon et sur son engagement dans cette entreprise, l’aspect commercial de la sculpture apparaissait dans le catalogue comme une question très secondaire. Houdon y est présenté presque uniquement comme un grand artiste – ce qu’il était vraiment, comme l’exposition l’a brillamment démontré –, plutôt que comme un sculpteur extrêmement inventif et un entrepreneur tirant avantage d’une économie en pleine évolution s’agissant de la consommation de marchandises de luxe dont fait partie la sculpture3. Devant cette insistance, rien de surprenant au peu d’attention accordée au travail d’atelier et aux problèmes de matériau et de technique. Cela ne signifie pas pour autant que les différents auteurs ne soient pas au fait des questions techniques, mais souligne plutôt que, à la différence du catalogue de Puget, le choix d’un format strictement monographique traditionnellement employé dans les publications sur la sculpture française du XVIIIe siècle ne facilite pas l’abord de questions importantes pour comprendre comment les sculpteurs procédaient dans une économie de l’art où l’aspect esthétique et les contraintes matérielles étaient étroitement liés.

Trajectoires et pratiques

10 Deux autres grandes expositions consacrées à Pajou et Clodion ont transformé notre vision de deux des contemporains les plus représentatifs de Houdon. Leurs créations étaient surtout considérées à travers des publications remontant respectivement à 1909 et 1885. Ces deux expositions et leurs catalogues (coécrits par G. Scherf, le premier avec James David Draper, le second avec A. Poulet) ont contribué à élargir de manière conséquente le corpus des deux sculpteurs, et les notices, de par la richesse des informations sur les créations en rapport, les historiques à partir des catalogues de vente et la bibliographie fournissent pour la première fois la documentation permettant d’évaluer la carrière des artistes (Pajou…, 1997 ; Clodion, 1992). De surcroît, ces deux publications, de même que le catalogue consacré à Houdon, permettent conjointement de se pencher plus longuement sur la production vers la fin du siècle, de même que les études antérieures de Souchal ont donné les moyens de comprendre la commande et la fabrication de la sculpture dans les premières décades du siècle. Ce qui est surprenant, ce sont les différences d’exécution entre les divers sculpteurs. Dans un contexte de marché compétitif où les mécènes privés et les consommateurs jouaient un rôle de plus en plus important, davantage même que les Bâtiments du roi, deux au moins choisirent un type de production différent (Houdon avec les bustes, Clodion avec les terres cuites) afin de concilier nécessités et goûts divers. Chez Pajou, cet aspect est un peu moins net, de même que son style n’est pas aisé à classer, car son œuvre est plus varié (bustes, sculpture architecturale et petits modèles en terre cuite et en marbre). Le point sur lequel les trois sculpteurs se rejoignent cependant est l’importante

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commande passée par la Direction des Bâtiments du roi dirigée à l’époque par d’Angiviller, la série des Grands Hommes dont il est question dans tous les catalogues. La diversité de cette production sculpturale est indissociable des différentes trajectoires que suivaient ces trois sculpteurs. Un facteur commun consistait en un apprentissage avec une période à Rome (expérience formatrice peut-être même plus importante pour les sculpteurs que pour les peintres). Aussi dans chacune de ces publications, l’une des parties les plus riches en information est-elle la section consacrée à cette phase d’apprentissage. Le catalogue de Pajou, par exemple, place l’artiste dans un réseau qui incluait les architectes Charles De Wailly et William Chambers (nous pourrions également ajouter à ce groupe Joseph Wilton, très lié à Chambers et à l’Italie). L’analyse de deux carnets de croquis de Pajou, les relations qu’ils entretenaient avec Chambers, dans des publications de Janine Barrier et Michael Snodin, aussi bien que de G. Scherf et J. Draper, révèlent des détails assez précis sur le déroulement de cette expérience romaine partagée (BARRIER, 1998 ; SNODIN, 1996 ; Pajou …, 1997). Mais à leur retour en France, les sculpteurs suivirent des voies différentes. Dans le cas de Pajou, les relations qu’il tissa en Italie continuèrent à jouer un rôle important, plus particulièrement avec De Wailly. Un aspect extrêmement révélateur dans l’exposition était la prépondérance accordée à la sculpture architecturale de Pajou, souvent pour des bâtiments conçus par De Wailly, et dont nous avons dans un cas une trace par un dessin de Chambers. Clodion, pour sa part, préférait à la réalisation de monuments publics et de portraits, ainsi qu’à un rôle dans l’académie, une pratique exploitant la demande de sculptures de petite taille et le goût de ce qui semble inachevé et fraîchement modelé (même si en fait une bonne partie des terre cuites de Clodion sont moulées plus que modelées). La rétrospective Clodion abordait de nombreux problèmes d’attribution, incluant des œuvres qui imitent celles du sculpteur de sorte que, au lieu d’un Clodion vu à travers sa postérité au XIXe siècle, on voyait pour la première fois l’étendue de tout son travail sur terre cuite. Elle proposait aussi un ensemble conséquent de sculptures architecturales, dont il fut également question dans la communication de Bruno Pons lors du colloque organisé à l’occasion (PONS, 1993).

11 Toutes ces manifestations présentaient les œuvres selon le genre ou le sujet, avec toutefois des introductions portant sur la formation des artistes qui, en un sens, rendent compte de l’intérêt ancien de la biographie artistique pour les années de formation, les origines et la première reconnaissance du génie d’un artiste. Pour Houdon, par exemple, a. Poulet et ses collègues ont décidé à bon escient de ne pas procéder à une présentation strictement chronologique, disposant les travaux individuels selon leur sujet (« Les Figures du Siècle des Lumières », « Patriotes américains », et « Les Cours d’Europe », par exemple), ce qui offrait une présentation bien structurée de l’œuvre de l’artiste. L’ensemble de ces catalogues très substantiels nous donne la possibilité de comparer les pratiques de la sculpture chez quelques-uns des artistes les plus importants de la fin du XVIIIe siècle, de même que d’autres expositions sur Julien et Boizot permettent de repenser la place et l’évolution de la sculpture à cette époque. Dans les catalogues Clodion, Pajou et Julien, un thème commun, quoique de moindre importance, concerne la reproduction des Grands Hommes à petite échelle, en porcelaine. Les relations entre la sculpture et les arts décoratifs, et la question de la production multiple sont d’une importance centrale à cette date. Les deux sujets sont abordés plus directement dans le catalogue consacré à Boizot (Boizot…, 2001) et de façon encore plus exhaustive, dans l’impressionnant

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catalogue sur Falconet et Sèvres (Falconet à Sèvres…, 2001), ouvrages qui réunissent deux domaines d’érudition trop souvent séparés. La relation entre la sculpture et les arts décoratifs est un thème substantiel de l’excellente monographie de Gisela Gramaccini sur Jean-Guillaume Moitte (GRAMACCINI, 1993). Bien que cette étude soit importante par sa façon de montrer comment le sculpteur a géré sa carrière en créant des monuments publics à une époque de changements politiques capitaux, elle explore aussi le rôle des sculpteurs dans le domaine de l’orfèvrerie avec auguste. Détail intéressant, une partie de sa production était destinée au mécène britannique William Beckford, ce qui depuis la parution du livre de G. Gramaccini est devenu encore plus évident. Le rapprochement avec les arts décoratifs incite à reconsidérer les catégories familières et les divisions, mais cette évolution n’est pas aussi nette qu’on pourrait le croire.

12 Prenons le cas des bronzes français du XVIIIe siècle qu’étudie depuis des années un groupe de travail composé de conservateurs, collectionneurs et universitaires dirigé par robert Wenley (ancien conservateur à la Wallace Collection, actuellement aux Glasgow Museums) et Jonathan Marsden (de la en Grande-Bretagne). Ce groupe, qui s’est rencontré en plusieurs lieux (Londres, Paris, New York et Saint- Pétersbourg), s’est penché sur des bronzes de diverses collections, publiques et privée4. Étant donné les nombreuses questions concernant l’attribution et l’authenticité des œuvres – de nombreuses versions de ces bronzes ont été pro- duites au XIXe siècle – il n’est pas étonnant qu’une bonne partie de la discussion ait porté sur ces sujets, mais d’autres interrogations ont également surgi. L’une concerne le rapport avec la tradition des bronzes italiens et l’éventuelle relation entre les bronzes français du XVIIIe siècle et les bronzes florentins de Foggini et Soldani (entre autres) à la fin de la période baroque. À quel point les bronzes français sont-ils caractéristiques, en termes de technique, de composition, de perfection ou de qualités esthétiques ? Comment devrions-nous aborder le travail d’un sculpteur dont la carrière (comme celle de tant de sculpteurs du XVIIIe siècle) a dépassé les frontières de son pays ? Mais, point plus important, comment cette partie de la production était-elle vue par rapport aux autres marchandises de luxe ou genres artistiques ? Produites en plusieurs exemplaires, conçues à petite échelle, exposées dans un contexte domestique, devaient-elles être reliées à d’autres objets de luxe de cette sorte vendus par des marchands ? Ou devrions-nous les considérer comme différents dans l’idée qu’ils étaient décrits séparément dans les catalogues de vente du XVIIIe siècle ? La relation entre la sculpture et les arts décoratifs est certainement un sujet pour qui s’intéresse aux bronzes, mais elle doit être comprise en termes d’interconnexions complexes et probablement variables entre les responsables de leur conception, fabrication, reproduction et commercialisation. Et envisager ainsi le problème des attributions en sculpture oriente notre approche des carrières des sculpteurs. Ces interrogations seront sans doute aiguisées par l’exposition sur les bronzes français actuellement projetée par le Louvre, le Metropolitan Museum of art de New York et le J. Paul Getty Museum de Los Angeles.

13 Les diverses expositions dont nous venons de traiter ont joué un rôle pour la visibilité qu’elles ont donnée à certains des plus importants sculpteurs français de la fin du XVIIIe siècle et aussi parce qu’elles ont permis d’apprécier d’une manière nouvelle des œuvres individuelles. Mais en plus de ces catalogues d’exposition, de nombreuses autres publications ont étudié la vie et l’œuvre de sculpteurs. Hormis des monographies telles que celle sur Moitte, l’étude de Michèle Beaulieu sur Le Lorrain (BEAULIEU, 1982) et la

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chronique exclusive de Hedin sur les frères Marsy (HEDIN, 1983), des articles de G. Scherf (SCHERF, 1989) et Bézies sur Allegrain (BEZIES, 2000), de David sur d’Huez (DAVID, 1999), et de Ph. Bordes sur Dardel (BORDES, 1999) ainsi que le catalogue d’exposition sur Julien (Julien…, 2004) ont largement contribué à développer notre connaissance du travail de sculpteurs, qu’ils soient reconnus ou non. Signalons en outre qu’il semble s’être produit lors de ces dix dernières années un déplacement d’intérêt de sculpteurs vivant sous le règne de Louis XIV vers ceux de la fin du XVIIIe siècle. Toutes ces publications offrent la possibilité de reconsidérer comment la carrière et la pratique d’un sculpteur ont évolué et d’envisager autre- ment une biographie de sculpteur français – trajectoires de la vie des sculpteurs et construction de leur célébrité. Mais, de façon encore plus importante, elles proposent un grand nombre d’éléments nouveaux permettant d’apprécier l’évolution de la sculpture dans la France du XVIIIe siècle. Une bonne partie de cette question reste bien sûr implicite dans les catalogues monographiques, les sujets étant parfois plus explicitement traités dans des propos préliminaires tels que la contribution de G. Scherf, concise mais brillante, au catalogue de Houdon. Ce dont nous avons besoin maintenant, ce sont des études plus complètes qui analysent de façon plus synthétique les conditions dans lesquelles la sculpture était produite, commercialisée, décrite et considérée. Mais si les points de vue généraux font défaut (hormis l’étude de WEST, 1992), de nombreuses questions-clé ont été abordées dans des articles qui ouvrent la voie à de nouvelles possibilités d’interprétations, signe également d’un intérêt croissant pour des problèmes dépassant les questions d’attribution et de paternité qui constituent une préoccupation récurrente dans la plupart des textes sur la sculpture. Nous trouvons là une alternative aux publications monographiques dont j’ai parlé jusqu’à présent.

Genres et conventions de la représentation en sculpture

14 Un signe du dynamisme et du renouveau de ce domaine est que nombre d’articles sur le travail particulier d’un sculpteur discutent les œuvres en termes de genre et de conventions. De même qu’ils offrent de nouvelles interprétations et souvent de nouveaux arguments déterminants, ils s’intéressent principalement à la question de la représentation en sculpture dans la France du XVIIIe siècle.

Le monument royal

15 Caractéristiques de ce genre d’approche sont les différentes études de la statue équestre de Louis XV par Bouchardon, une œuvre-clé qui a longtemps retenu l’attention en particulier parce que la fonte du bronze était illustrée dans une série de superbes planches. Une grande partie de la documentation avait été rassemblée dans le catalogue de l’exposition de 1973 par Lise Duclaux, mais ces dernières années sont parues trois études significatives (ROMBOUTS, 1993-1994, RABREAU, 1998 et MCCLELLAN, 2000), chacune avec une approche différente. En étudiant les connotations politiques de la statue, Rombouts examine la façon dont cette image du roi concentrait l’attention lors des cérémonies commémorant la Paix de Paris en 1763 et était elle- même célébrée dans différents médias. Il interprète l’histoire de la conception, la fabrication et l’utilisation du monument comme un reflet du déclin français vers 1750,

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en contraste avec son utilisation dans la propagande française lors de la Guerre de Sept ans et son origine liée à un succès français en 1748. Les deux autres articles ont une vision assez différente. D. Rabreau considère les caractéristiques iconographiques originales de la sculpture comme la réélaboration d’une forme traditionnelle (la statue équestre d’un genre très courant utilisée par Louis XIV, comme en traite Peter Burke) en réponse à un contexte politique changeant (BURKE, 1992)5. A. McClellan s’intéresse à la signification de la statue comme représentation du roi de son vivant et comme image de la monarchie, signalant que sous la révolution, ce genre de sculpture, contrairement à de nombreuses statues, ne pouvait être conservé comme œuvre d’art parce que malgré sa valeur esthétique reconnue, elle représentait avant tout une image de la monarchie. Les trois études s’intéressent aux sens et aux associations qu’un genre particulier de sculpture peut véhiculer et les modalités selon lesquelles les conventions étaient adaptées par le sculpteur et le commanditaire et perçues par le spectateur. Elles posent une question centrale : comment les représentations sculpturales fonctionnent- elles en tant qu’œuvres publiques ?

16 Ces problématiques de la signification de la représentation sculpturale et des conventions sont abordées encore plus explicitement dans l’étude perspicace d’Étienne Jollet, à partir d’une autre image royale, moins intime, celle de Louis XVI érigée à Brest (JOLLET, 2000). Se fondant sur des travaux récents concernant l’aménagement urbain, l’auteur souligne qu’ériger une statue royale signifiait également créer une place royale. La sculpture a donc besoin d’être comprise en tenant compte du cadre architectural et de l’« élément intermédiaire qui appartient à la sculpture et à l’architecture, le piédestal ». Opposant la relation traditionnelle entre statue et piédestal et la proposition de Houdon de placer le monarque assis sur un trône qui ne soit soutenu par « aucun autre piédestal que les marches du trône », É. Jollet suggère que le « sculpteur questionne la représentation spatiale de la figure royale, en choisissant de repenser la relation entre les éléments de la terrasse, du piédestal et du sol sur lequel se tiennent les spectateurs ». L’étude d’un projet exceptionnel sert ici à explorer comment opère une composante majeure d’une grande partie de la sculpture publique du XVIIIe siècle.

17 Ces études de monuments individuels envisagent un genre particulier et ses conventions. Dans le cas présent, le monument équestre et la statue royale assise, avec ses paramètres connus et convenus : l’enjeu était de savoir les adapter ou les dépasser. Mais l’autorité qui émane de ce type d’œuvres provient en partie de leur nature répétitive, ce qui implique également un travail sur la variation6. Ce sont ces changements parfois subtils qui peuvent être relevés par le spectateur. Dans certains cas, ils peuvent infléchir le sens véhiculé par la forme traditionnelle des images (comme pour la figure du citoyen placé sous la statue de Louis XV à Reims sculptée par Pigalle) mais également être des procédés destinés à éveiller l’attention du spectateur attentif aux conventions de la sculpture. Ce public du milieu du XVIIIe siècle reconnaissait certainement comme signification de la statue l’image publique du monarque mais, évoluant dans une culture qui développait un langage esthétique afin de décrire l’engagement du spectateur vis-à-vis de la sculpture, il était également conscient de la concurrence entre les différents modes de représentation possibles. La répétition et la variation tiennent là un rôle important, tout comme dans les procédés et les pratiques de la sculpture. Identifier la façon dont le sculpteur peut, à partir d’un genre, jouer de la répétition et de la variation constitue l’un des plaisirs liés à

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l’observation de cet art. Ce que ces diverses études reconnaissent implicitement est un glissement vers la production et l’observation des œuvres qui continuaient à jouer leur rôle public mais revêtaient également un intérêt nouveau pour leurs qualités esthétiques et le problème de la représentation en sculpture.

La sculpture de jardin

18 Une autre catégorie d’œuvres où ces facteurs sont opérants est celle de la sculpture de jardin. Là, les modèles de répétition et de variation revêtent des formes variées ; l’une est l’utilisation de la figure individuelle ou du groupe d’un sujet mythologique (beaucoup faisant référence ou même reproduisant directement un modèle antique) ; une autre pourrait être l’utilisation et l’adaptation de modèles de fontaines ; une troisième forme de répétition, encore plus répandue, peut être trouvée dans la nature référentielle de ces jardins, chacun se référant à un ou plusieurs types et établissant donc un dialogue avec eux. Tout cela suppose encore d’observer les pratiques et les significations que les visiteurs de l’époque ont retirées de tels programmes de sculpture. La discussion est née non seulement parmi les historiens de la sculpture mais aussi dans des publications telles que le Journal of Garden History, où les composantes de la sculpture sont à bon droit considérées seulement comme l’un des éléments d’un ensemble complexe. Des publications telles que le Dictionnaire de F. Souchal, des monographies telles que l’étude du même sur les frères Coustou et celle de K. Hedin sur la famille Marsy ont largement contribué à approfondir notre connaissance des sculpteurs qui produisaient ces remarquables œuvres collectives (SOUCHAL, 1977-1992 ; SOUCHAL, 1980 ; HEDIN, 1983). D’autres ont étudié un corpus, comme G. Bresc-Bautier avec le catalogue sur les sculptures qui sont aujourd’hui aux tuileries, du moins avant que de nombreux originaux ne soient transférés au Louvre (BRESC-BAUTIER, PINGEOT, 1996). Mais un autre champ important de la littérature a exploré les formes, conventions, sens et usages de cette production.

19 L’ouvrage fondamental de Gerold Weber, Brunnen und Wasserkünste (WEBER, 1985) est impressionnant par son ampleur et la rigueur avec laquelle il assemble et analyse une vaste documentation allant de 1500 au début du XVIIIe siècle. Il propose une typologie de la fontaine qui donne à voir sous un éclairage nouveau non seulement les fontaines de Versailles et de Marly, mais aussi les fontaines urbaines comme la fontaine de Grenelle de Bouchardon. Tout en suivant l’évolution de la vasque (cet aspect dominait dans les fontaines sculptées à Versailles), Weber étudie de près la réutilisation de la sculpture antérieure et la manière dont les anciens programmes pouvaient être reconfigurés. Dans un compte rendu répondant à certains arguments-clé de Weber, Betsy Rosasco suggérait que de telles reprises à la fin de la vie de Louis XIV ont servi comme « mise à distance et consécration de ces ‘reliques’ d’une époque antérieure du règne de Louis le Grand » (ROSASCO, 1987). Si elle répond ici aux arguments de Weber, elle a elle-même fortement contribué à la compréhension du rôle joué par la sculpture dans le jardin français dans une série d’articles issus de sa thèse de doctorat sur Marly, où elle nous emmène souvent encore dans de nouvelles directions (ROSASCO, 1986).

20 Tandis que les programmes iconographiques et leurs significations, comme le passage d’un registre formel à Versailles vers un mode plus informel à Marly, constituent l’une des préoccupations de B. Rosasco, sa contribution la plus marquante a été de discuter de la vision de la sculpture et de la façon dont elle pouvait être perçue en référence à

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des modes d’expression analogues. Dans un article important sur les évolutions iconographiques de Marly, elle fait appel par exemple à la notion d’« admiration » de Descartes – une « soudaine surprise de l’esprit, qui lui fait considérer avec attention des objets qui lui semblent étranges et extraordinaires » – qui permettrait de comprendre les réponses qu’apporte à l’époque Coyzevox avec son œuvre La Renommée montée sur Pégase (ROSASCO, 1983). Mais son intervention la plus frappante, pour ne pas dire stimulante intellectuellement, est un court article sur la Fontaine de Latone. Prenant comme point de départ l’interprétation moderne selon laquelle le sujet de la mère d’apollon qui transforme les paysans en grenouilles se réfère à la mère de Louis XIV protégeant le jeune roi de la Fronde, l’auteur demande pourquoi aucune chronique de Versailles n’en fait état. Plutôt que de rejeter une telle interprétation pour cette raison, elle suggère que la fontaine était considérée comme une « énigme » ou une devinette visuelle dont la signification, comme l’a soutenu Jennifer Montagu, devait être décodée par le courtisan (MONTAGU, 1968 ; ROSASCO, 1989). Dans cette œuvre, l’image « était chargée de couches de sens, et fonctionnait d’une certaine façon comme un hiéroglyphe didactique que le courtisan devait interpréter ». Dans sa façon de privilégier l’ambiguïté et la polysémie, au-delà d’une lecture iconographique positiviste, une telle interprétation fait certainement appel à une sensibilité postmoderne. Mais, indépendamment de la pertinence éventuelle de l’argument, elle soulève des problèmes importants sur la façon dont la sculpture était regardée, et comment elle mettait en jeu les genres et les conventions culturels.

21 Si le monument royal et la sculpture de jardin sont deux genres qui ont suscité des études innovantes et ambitieuses, d’autres catégories de sculpture ont rencontré moins d’intérêt. Bien sûr des exemples de monuments funéraires sont bien documentés dans la littérature monographique, mais le monument en tant que genre est très peu étudié (une exception remarquable est l’essai de Dominique Poulot sur les monuments et panthéons évoqués ci- dessous, POULOT, 2004). Cette abondance documentaire est due en partie au fort taux de mortalité de l’époque, et ce n’est pas sans raison qu’il existe une littérature plus substantielle sur les grandes sculptures funéraires éphémères – les « pompes funèbres » – qui étaient illustrées par des gravures spectaculaires. La même constatation sur cette fréquence des décès pourrait être faite pour les monuments royaux, mais la destruction de ces œuvres relève en grande partie de l’histoire, elle- même devenue un sujet d’études toujours plus vaste, allant des discussions de richard Clay sur le vandalisme envers les statues à l’analyse approfondie de la démarche iconoclaste par Dario Gamboni (CLAY, 2000 ; GAMBONI, 1997). Un autre genre de sculpture négligé est celui des statues religieuses, qui pourrait utilement être réexaminé à la lumière des réflexions de Martin Schieder sur la peinture religieuse française au XVIIIe siècle (SCHEIDER, 1997). Une exception toutefois à cette négligence est l’étude d’Anne Betty Weinshenker, Idolatry and Sculpture in Ancien Régime France, qui explore les relations entre les images religieuses et les croyances du XVIIIe siècle sur l’idolâtrie et discute les différents points de vue des Huguenots, des Jansénistes et des philosophes sur la question (WEINSHENKER, 2005). Si les études sur les monuments et la sculpture religieuse ont souvent à voir avec des œuvres disparues connues seulement par le texte et l’image, le pourcentage élevé de disparitions ne peut expliquer à lui seul l’absence de tout essai de synthèse sur le buste. Malgré les nombreuses recherches et publications sur les artistes ayant pratiqué ce genre (Houdon n’en est qu’un exemple remarquable), il n’y a eu, pour autant que je sache, aucune synthèse sur les portraits français en tant que genre depuis l’étude de Rostrup publiée en danois en 1932

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(ROSTRUP, 1932)7. D’un autre côté, la France n’est pas l’unique exemple de la marginalisation de ce qui était un mode capital de représentation pour le XVIIIe siècle en Europe et ailleurs. On compte de nombreuses publications portant sur l’art du portrait peint, qui ont à juste raison reconnu la relation entre le portrait et la notion moderne de conscience de soi aussi bien que le rôle social des portraits, mais la place du portrait en sculpture a été peu abordée. Pour le début de la période moderne, le portrait en sculpture a commencé à faire l’objet de plus d’attention, comme en atteste une conférence sur les bustes entre 1400 et 1800, mais les travaux sur le buste au XVIIIe siècle sont d’abord restés monographiques8. La richesse d’un nouveau matériel rendu disponible à partir de catalogues d’exposition tels que ceux sur Pajou et Houdon, cependant, ouvre la possibilité d’une telle étude.

Fabrication, institutions et contextes

Matériau et pratique d’atelier

22 Une autre approche de la sculpture du XVIIIe siècle implique de prendre en compte les conditions de sa production. Une caractéristique frappante du travail effectué dans ce domaine a été l’attention consacrée aux matériaux et aux processus de fabrication, non seulement à travers la recherche sur les pratiques d’atelier et la relation entre dessins, modèles et travaux achevés, mais de plus en plus à travers les connotations et la signification des œuvres. Les observations sur les techniques et les matériaux étaient dans un premier temps descriptives et reléguées au rang d’annexes, tandis que l’étude de la conception et de l’exécution partait de sources documentaires portant sur un artiste particulier ou des données concernant la relation entre artiste et commanditaire. Aujourd’hui, toutefois, l’aspect matériel et la fabrication de la sculpture sont pris en compte et l’importance des matériaux et des procédés pour les commanditaires et les spectateurs aussi bien que des artistes donnent une idée plus riche et plus complexe de la production et de la reproduction de sculpture. Des études dans d’autres domaines et sur d’autres époques ont ouvert la voie – des ouvrages tels que les catalogues d’exposition de Volker Krahn sur les bronzes (Von allen Seiten schön), ceux de Jennifer Montagu (Roman Baroque Sculpture. The Industry of Art, 1989, et Gold, Silver and Bronze, 1996), Michael Baxandall (Limewood Sculptors of Renaissance , 1980) et de Susan Butters (The Triumph of the Vulcan: sculptor’s tools, porphyry, and the prince in ducal Florence, 1996). De récents colloques et des expositions ont toutefois adopté des approches similaires pour la sculpture du XVIIIe siècle. Parmi les premiers sont à citer le remarquable colloque de trois jours, Marbres de Roi, à Versailles (22-24 mai 2003) et celui de Bruxelles, Histoires Matérielles de la Sculpture (13-15 octobre 2005), organisé conjointement par l’université libre de Bruxelles et le Henry Moore Institute. À Versailles le doute subsistait quant à la signification de l’emploi du marbre, principalement à cause de l’usage récurrent qu’en faisait Louis XIV, mais la pratique des sculpteurs français était bien resituée dans le contexte du commerce international des différents types de marbres. Une conclusion importante des journées de Bruxelles était la diversité des pratiques de sculpture, la spécificité de processus d’atelier déterminés par une combinaison entre les multiples formations et les attentes différentes des sculpteurs et des clients selon les cultures. Ce qui ressortait de ces deux col- loques était le dynamisme de ce domaine de recherche et son articulation étroite

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avec les études sur la sculpture qui jusque-là avaient peut-être été trop dominées par l’exploitation des archives.

23 Des expositions ont également joué un rôle significatif dans ces développements récents. La plus remarquable était L’Esprit créateur de Pigalle à Canova (L’esprit créateur…, 2003), une judicieuse et révélatrice sélection de terres cuites de 1740 à 1840, dont les deux commissaires étaient G. Scherf et J. D. Draper, et qui eut lieu dans leurs institutions respectives, le Louvre et le Metropolitan (une variante passionnante, composée autour des terres cuites de Sergel, a été développée pour Stockholm par le troisième collaborateur, Magnus Olauson : Sergel…, 2004). C’était peut-être la première exposition à mettre en relief le rôle de la terre cuite. avaient toutefois ouvert la voie l’exposition de Peter Volk, en 1986, sur les modèles sculptés rococo bavarois (complétée par la suite par un ensemble d’articles intéressants sur les ateliers de sculpteurs du sud de l’Allemagne), la présentation par Ivan Gaskell des modelli du Bernin au Fogg art Museum en 1998 et l’exposition de Bruce Boucher Earth and Fire sur les terres cuites italiennes au Victoria and Albert Museum en 2001. L’exposition de 2003 était remarquable non seulement par le panorama européen présenté mais aussi par la façon dont elle explorait le rôle central mais souvent ambigu de la terre cuite à cette période. Utilisée pour des esquisses et des modèles qui remplissaient plusieurs fonctions recoupant parfois le processus de fabrication et les négociations avec les clients, la terre cuite était à cette date appréciée des collectionneurs qui y voyaient (d’après Lalive de Jully) « le feu et le véritable talent de l’artiste ». Le goût croissant pour la fraîcheur de ce medium encouragea Clodion à produire des terres cuites qui ressemblaient à des modèles (certaines parties étaient même moulées) comme une fin en soi. À travers une soigneuse sélection d’exemples révélateurs (reposant certainement sur une impressionnante diplomatie des commissaires) l’exposition jouait constamment sur cette ambiguïté, gardant à l’esprit la dimension de la variation dans la créativité et le statut du sculpteur, problématique centrale pour l’esthétique du XVIIIe siècle. La réussite impressionnante de l’exposition et de son catalogue était la façon dont il réinsérait la discussion sur le matériel et les procédés de production dans un contexte beaucoup plus vaste des débats en histoire de l’art. Certaines sections incluaient des développements nouveaux sur le rôle des modèles en terre cuite dans la fabrication des œuvres et sur la formation des sculpteurs ; d’autres exploraient d’importantes catégories de production de sculpture comme l’art religieux et la sculpture funéraire ; d’autres chapitres proposaient des groupements thématiques sur l’iconographie, tels que l’Arcadie et les amours des dieux, ou sur les typologies du monument et du bas-relief. On retrouvait une attention (souvent diffuse) aux relations entre d’une part, les matériaux et les pratiques d’atelier et d’autre part, la façon dont les conventions de la représentation en sculpture fonctionnaient pour les spectateurs du XVIIIe siècle. Au milieu de tout ce nouveau travail bienvenu sur la matérialité de l’objet sculptural au XVIIIe siècle, une question importante est, pour autant que je sache, restée absente ou du moins quelque peu marginale. L’orientation traditionnellement monographique des études sur la sculpture française, reflétée dans la plupart des expositions autres que celle dont il vient d’être question, a inévitablement présenté la production de la sculpture comme un acte de volonté individuelle plutôt que comme une activité essentiellement et nécessairement de collaboration. Cette minimisation de la nature collective du travail en faveur d’une célébration de la figure individuelle comme inventeur et exécutant est en un sens la continuation d’une tension qui existait au XVIIIe siècle. Une telle mise en avant de la figure du sculpteur témoigne du succès des

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fabricants de bustes et de figures et met à part les pratiques artisanales et commerciales qui étaient fondamentalement collectives. Mais tout en reconnaissant le nouveau statut d’une figure telle que celle de Houdon et l’importance d’un nouveau langage esthétique pour le sculpteur et les spectateurs de ses créations, nous avons en même temps besoin de prendre davantage en compte le fait que le commerce de la sculpture mettait toujours en jeu des pratiques collectives et même les développait pour répondre aux opportunités offertes par une économie de consommation croissante. Sur ce point, la duplication et la reproduction – longtemps essentielle à la conception et à la réalisation de sculpture – ont pris une signification nouvelle. Les notions de consommation et de domestification du luxe qui ont tenu une place si importante dans les débats sur d’autres aspects de la culture du XVIIIe siècle doivent intervenir plus explicitement dans les études sur la sculpture.

24 Un autre aspect apparenté à la sculpture du XVIIIe siècle et à ses conditions de production concerne les institutions où les sculpteurs étaient formés et à travers lesquelles leur travail était à la fois commandé et exposé. Le dictionnaire de Souchal fournit une masse de nouvelles données sur de grands projets collectifs incluant de nombreux sculpteurs travaillant pour les Bâtiments du roi. Mais nous manquons toujours d’une analyse ou d’une vue d’ensemble globales sur le rôle et l’organisation de ces sculpteurs dans l’institution, à l’exception de l’ouvrage de 1927 de Furcy-Raynaud, l’Inventaire des sculptures exécutées au XVIIIe siècle pour les Bâtiments du Roi (FURCY- RAYNAUD, 1927). Le compte-rendu le plus concis se trouve indubitablement dans le petit livre de Geneviève Bresc-Bautier publié par l’École du Louvre, qui expose également de manière succincte les structures institutionnelles pour la formation des sculpteurs (BRESC-BAUTIER, 1980). Les débuts de carrière des artistes font bien sûr traditionnellement partie des biographies artistiques et il n’est donc pas surprenant que la formation d’un sculpteur, et particulièrement les séjours romains, reçoive beaucoup d’attention dans les expositions monographiques discutées dans la première partie de l’essai. Elles ont grandement contribué à notre connaissance des carrières individuelles. Mais il n’y a pas pour l’instant de compte rendu synthétique ou d’approche globale du rôle de l’académie dans la formation de ces carrières ou des remarquables morceaux de réception grâce aux- quels les sculpteurs ont été admis à l’académie (une exposition de la série du Louvre est en préparation et comblera un vide important9). Quelque peu négligée également est la place des sculpteurs (il est vrai plutôt inconsistante) dans les Salons, institution qui était l’autre responsabilité principale de l’académie. D’un autre point de vue, la littérature critique que ces expositions suscitaient (beaucoup moins riche pour la sculpture que pour la peinture, en dépit des commentaires souvent cités de Diderot sur Falconet) a été examinée de façon intéressante dans un article de richard Wrigley (WRIGLEY, 1999). Dans une étude fondamentale sur l’émergence de la critique d’art d’après des commentaires au Salon, il recense les problèmes posés par l’absence relative de comptes rendus détaillés et d’évaluation de la sculpture présentée lors de cette manifestation.

L’histoire des collections

25 Un domaine d’étude peut-être plus prometteur dans lequel on pourrait trouver des éléments de réponse est le terrain relativement nouveau de l’histoire des collections. Des documents sur les collections et les œuvres d’art qu’elles complétaient ont été utilisés pour étayer les questions d’authenticité ou d’attribution d’une œuvre, mais ces

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dix dernières années s’est développé un regain d’intérêt pour les contextes dans lesquels les œuvres étaient présentées et regardées. Pour la sculpture du XVIIIe siècle, une telle enquête a été clairement élaborée par Guilhem Scherf dans un essai pour un volume inaugural édité par Thomas Gaehtgens et ses collègues du Centre allemand d’histoire de l’art de Paris qui situe la production d’art et sa consommation dans un environnement social plus vaste (SCHERF, 2001). En reconnaissant l’intérêt actuel pour l’histoire du collectionnisme, la chronique de G. Scherf commence par l’observation selon laquelle « le champ des amateurs des sculptures a été négligé au profit des collectionneurs de peintures et d’objets d’art ». Colin Bailey dans son étude sur l’abbé Terray comme collectionneur de sculptures, par exemple, attire notre attention sur le mécénat envers Caffieri, tandis que la sculpture est loin d’être négligée dans la méticuleuse édition, riche d’informations, d’Alden Gordon sur l’inventaire du marquis de Marigny (BAILEY, 1993 ; GORDON, 2003). La collection et le mode de présentation des sculptures étaient aussi l’un des thèmes d’une belle exposition sur les bronzes de la collection royale, qui articulait clairement la successive réinsertion de ces objets dans une variété de contextes. Mais la majeure partie des études sur l’histoire des collections en France au XVIIIe siècle traite peu de la sculpture. Afin d’y remédier, et de susciter davantage de recherche dans ce domaine, G. Scherf trace les grandes lignes (la première vue d’ensemble du genre) des différentes modalités de collectionner et présenter les œuvres. La plupart des marbres de grand format étant commandés par le roi, une analyse de la sculpture dans d’autres collections doit tout d’abord traiter des bronzes et des terres cuites. Marcher sur les traces de G. Scherf invite à se déplacer chez les collectionneurs de petits bronzes et de terre cuite. Mais le raffinement de ces œuvres à petite échelle (qualité appréciée des collectionneurs qui accordaient une attention de plus en plus soutenue à la sculpture) était également caractéristique d’un sous-genre nouveau (le petit marbre pouvait être posé sur un secrétaire et devenir une composante d’un intérieur domestique).

26 La décoration des intérieurs est elle-même au centre de l’attention des chercheurs depuis ces dix dernières années. Nous avons maintenant un panorama beaucoup plus complet des artistes intervenant dans la conception et la réalisation des intérieurs luxueux grâce aux publications de Bruno Pons, qui s’attachent à des vues d’ensemble (PONS, 1986) aussi bien qu’à des études de sculpteurs particuliers tels que François- Joseph Duret dont il publia le journal dans le B.S.H.A.F (PONS, 1986)10. L’analyse audacieuse de l’intérieur rococo et de ses fondements idéologiques par Katie Scott vient compléter et utilement reprendre le travail de B. Pons (SCOTT, 1995). Son étude sur la production de décoration intérieure dans un « marché où elle était réglée par une culture commerciale inévitablement locale » s’élève contre la perception d’un « domicile d’aristocrate » où la « noblesse … était catégoriquement imaginée à l’intérieur d’une forme matérielle ». Cette déconstruction de l’intérieur noble et de sa signification implique de démêler les tensions et conflits sous-jacents à l’unité de tels schémas. Considéré comme prêtant à controverse par certains aspects de sa discussion des schémas décoratifs en termes de changements sociaux, The Rococo Interior propose un modèle fort et subtil pour l’interprétation de l’imagination en rapport avec les espaces sociaux. Alors qu’il n’y a aucun débat sur le rôle de la sculpture dans ce cadre, une telle approche offre certainement la possibilité de considérer cet art et sa diffusion sous un nouvel angle. K. Scott a elle-même véritablement affronté ce défi en proposant une analyse du Cupidon de Bouchardon et de ses différents contextes. Nous alertant sur les « incertitudes et ambiguïtés de l’articulation formelle du travail », elle explore

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d’abord ces « narrations… motivées par une fantaisie de sa création » et poursuit en envisageant l’œuvre par rapport à ses différentes localisations : à Versailles (d’abord au Salon de la guerre puis au Salon d’Hercule), et plus tard à l’orangerie du château de Choisy. L’un des défauts de son interprétation (très brièvement résumée ici) est qu’elle minimise la façon dont les sculptures, insérées dans de complexes structures référentielles de répétition, peuvent être vues comme commentaires des compositions sculpturales antérieures et des remaniements de celles-ci. Ainsi dans quelle mesure la figure de Bouchardon pouvait-elle être considérée comme répondant au défi posé par le célèbre Cupidon brisant son arc de Duquesnoy ? Mais cette tentative de lecture de Cupidon en termes de « relations entre la statue et son sens temporel et syntactique » est importante car elle offre aux historiens de la sculpture une voie pour briser le cercle souvent fermé de leur discipline. Peut-être les dialogues fréquents établis au cours de cette période entre les sculptures de différents artistes – les diverses propositions de L’Amitié et l’Amour formulées par Pigalle et Caffieri pour Madame de Pompadour et Madame du Barry, par exemple – pourraient-ils être utilement examinés à l’intérieur de ce cadre d’interprétation11.

La sculpture dans les études sur le XVIIIe siècle

27 La sculpture n’était pas seulement un art central dans la France du XVIIIe siècle mais un art public au sein d’une culture où les œuvres, commanditées, créées puis regardées, véhiculaient des sens idéologiques complexes et souvent variables. De telles significations sont explorées dans certaines publications déjà mentionnées, mais l’une des caractéristiques des travaux les plus innovants dans ce domaine a été de se détourner des questions d’expert et d’attribution pour s’orienter vers ces préoccupations politiques et idéologiques, reflétant ce qui est parfois décrit dans l’histoire de l’art anglo-américaine comme « l’histoire sociale de l’art ». En d’autres termes, écrire sur la sculpture du XVIIIe siècle signifie aujourd’hui s’engager dans des débats en cours dans d’autres domaines de la même période, même si des articles sur la sculpture sont relativement rares dans des revues telles que Eighteenth Century Studies ou The Eighteenth Century. Prenons comme exemple l’article de Dena Goodman sur Voltaire nu (GOODMAN, 1986). L’auteur considère les commanditaires de cette œuvre remarquable et comment le projet s’inscrivait dans ce « gouvernement alternatif du XVIIIe siècle, même si sans succès, la république des Lettres ». Elle établit une distinction non seulement entre la république des Lettres et la monarchie, mais aussi entre la république des Lettres et le grand public, qui manifesta peu de réactions quand il dé- couvrit l’œuvre dans l’atelier de Pigalle en 1770. D. Goodman souligne la contradiction induite par « les nouvelles relations sociales et politiques de la république des Lettres » à l’œuvre dans la statue. « En fin de compte, c’était la critique suscitée par la tension entre les conditions de souscription et l’œuvre de Pigalle qui faisaient de la statue une parfaite représentation de la république des Lettres ». En orientant ainsi ce travail, D. Goodman invite les historiens d’art à réexaminer sous un nouvel angle les tensions présentes dans la société française des Lumières.

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Les panthéons

28 Un autre exemple d’une telle approche de la sculpture, ou plus précisément d’un contexte conceptuel et concret pour la sculpture, est l’article limpide de Dominique Poulot sur les panthéons dans la France du XVIIIe siècle ( POULOT, 2004)12. Faisant d’abord observer que sous l’ancien régime « la mémoire des morts était transmise par un ensemble de représentations à la fois religieuses et sociales », l’auteur aborde la naissance du culte des grands hommes et examine les différentes sortes de panthéons (temple, musée et pyramide) développées en leur souvenir. Tout en décrivant de façon particulièrement vivante les exemples retenus (ainsi le Musée des monuments français de Lenoir), il démontre comment les subtils glissements dans les prédominances entre les premiers pèlerinages laïcs sur la tombe des écrivains et la « création d’une nouvelle mémoire dynastique et nationale » liée à l’Empire ont besoin d’être compris en termes de « contraste des conceptions de la mort et de la mémoire ». Les panthéons ainsi créés « oscillaient entre un monument individuel et une construction collective, entre un musée éclectique et une crypte véritablement plus fonctionnelle, entre un temple dédié aux célébrités et un gigantesque mémorial ». Les panthéons et le culte des grands hommes ont beaucoup retenu l’attention ces dix dernières années. L’essai de D. Poulot doit vraiment être vu comme une réponse à des études telles que la Naissance du Panthéon, de Jean-Claude Bonnet (BONNET, 1998), l’essai d’Édouard Pommier dans Le Culte des grands hommes au XVIIIe siècle (POMMIER, 1998) et les importants articles du Panthéon, symbole des révolutions de Barry Bergdoll.

29 Un ensemble important pour tous ces auteurs est bien sûr la série des statues de grands hommes commandées par d’Angiviller. Vu le rôle explicite de ces sculptures destinées à jouer un rôle de commémoration patriotique plus propre à toucher l’opinion publique, il n’est pas surprenant de trouver dans les nombreuses publications concernant cette commande des tentatives de contextualisation qui relient ces sculptures à des éloges funèbres prononcés à l’époque. Depuis l’article classique de 1957 de Dowley qui développait la notion de « moment signifiant », A. McClellan a élargi la discussion en situant la commande au sein des différentes politiques de la période immédiatement prérévolutionnaire, montrant ainsi non seulement comment les œuvres doivent être lues idéologiquement mais aussi comment une telle série devrait être considérée en soi comme un témoignage fondamental par les historiens de la politique (DOWLEY, 1957 ; MCCLELLAN, 1993). Une approche relativement différente est celle d’Erika Naginski, dans un article qui ana- lyse assez en profondeur le Poussin de Julien, l’interprétant non en fonction de la politique contemporaine mais comme un état de la pensée du Siècle des Lumières. En partant des remarques d’Ernst Cassirer sur le caractère central de la polémique pour l’esthétique du Siècle des Lumières, E. Naginksi soutient que la figure de Julien représente « une certaine variété dans la sculpture commémorative des Lumières qui, retirant un pouvoir expressif en éprouvant polémiquement les limites de son propre moyen d’expression, fixe les conditions d’un projet esthétique en rapport avec l’inaccessibilité » (NAGINSKI, 2004). Attirant l’attention sur la composition fermée de la figure et sur la « fixité hermétique de la pose contemplative », elle suggère que le Poussin de Julien « établit une dialectique des contraires, où l’œuvre d’art se démarque par rapport au monde, prend son autonomie, avec une possibilité d’ouverture d’un domaine à l’autre (de la sculpture vers la peinture et vice-versa), tout en légitimant la sculpture comme une éloquence silencieuse, dans une interprétation de cette activité propre à l’homme que nous appelons la fabrication de l’art ». Comme l’article de D.

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Goodman sur Pigalle, l’essai d’E. Naginski est une étude minutieuse, mais avec des ambitions et des implications bien plus vastes. Il se fonde sur l’hypothèse qu’il existait, « un échange de bonne foi entre le débat philosophique et la production artistique », comme elle le dit dans ses commentaires sur E. Cassirer. Alors que cette relation a été explorée dans des textes sur la peinture (ainsi dans la discussion que propose Michael Baxandall sur Chardin dans Patterns of Intention), une telle ambition faisait défaut dans les écrits sur la sculpture. Cependant, ce souci d’explorer les relations entre la sculpture et le monde des idées est également remarquable dans l’une des contributions les plus fortes de cette dernière décennie, l’ouvrage bref mais brillant de Willibald Sauerländer sur les bustes de Houdon (SAUERLÄNDER, 2002). Structuré d’une façon faussement simple, avec une introduction sur la place des portraits sculptés de Houdon suivie par une série de sections traitant chacune d’un buste particulier, cet essai propose d’une réflexion ambitieuse et perspicace sur les qualités propres des portraits en buste à un moment crucial de l’histoire. Innovante, éloquente et très personnelle, l’étude pose des questions pertinentes pour une analyse des rôles et des caractéristiques du buste du XVIIIe siècle en tant que genre. Attirant l’attention sur la prépondérance du buste dans la pratique de Houdon, W. Sauerländer commence par situer la production de ces images dans une culture caractérisée non seulement par la formation et la domestification de la sphère publique mais aussi par un nouveau concept de célébrité. En développant un thème qu’il avait exploré précédemment dans une publication sur le Voltaire de Houdon, l’auteur analyse finement le rôle du sculpteur dans l’élaboration des identités des modèles non plus aristocrates mais philosophes. Dédaignant de nombreuses caractéristiques conventionnelles utilisées pour les bustes – perruques et voilages sophistiqués – Houdon se concentre sur le visage et combine le « portrait de conversation » des pastels contemporains avec un empirisme physionomique nouveau de manière à créer un genre de portrait sculpté inédit et plus intense, idéalement adapté aux aspirations et aux préoccupations de ses modèles. Houdon est vraiment interprété ici en termes de contexte social et intellectuel en pleine évolution.

Interconnexions géographiques

30 Si ce genre de contribution témoigne de l’utilisation de plus en plus fructueuse par les historiens de la sculpture du travail des chercheurs de cette période dans d’autres disciplines, une caractéristique regrettable des études concernant la sculpture du XVIIIe siècle reste la tendance à mettre l’accent sur le travail ou la culture d’une nationalité, mais à minimiser ainsi les interconnections entre différents pays. On relève cependant récemment de nets changements. Le Centre allemand d’histoire de l’art à Paris a lancé un programme de recherche sur les relations artistiques entre la France et l’Allemagne et la place des sculpteurs français à Berlin vient d’être soulignée par Rita Hofereiter (HOFEREITER, 1997-1998 (2001) ; HOFEREITER, à paraître). En outre, un intérêt nouveau pour les échanges franco-anglais se dessine.

31 Dans la ligne des études historiques comme Voltaire’s Coconuts qui explore « l’anglomanie » des historiens européens (BURUMA, 1999), des historiens de la sculpture, en Grande- Bretagne, ont été plus sensibles à la sculpture française tandis que, de façon peut-être plus surprenante, une partie de la sculpture britannique semble avoir été connue des Français. L’abbaye de Westminster et ses monuments ont apparemment eu une influence non seulement sur les personnes impliquées dans la

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mise en place des panthéons mais aussi sur des sculpteurs, au nombre desquels Slodtz, Pigalle et Pajou. Pour d’autres, tels Bouchardon, le mécénat britannique était manifestement d’une grande importance, particulièrement dans leurs premières années de formation à Rome13. Les études sur la place des sculpteurs français à Rome ont bien sûr depuis longtemps reconnu l’importance des échanges culturels internationaux, du moins implicitement, mais on recense quelques nouvelles contributions importantes dans ce domaine. L’une est le travail d’Anne-Lise Desmas sur Pierre de L’Estache, qui examine les défis relevés par un sculpteur français faisant une carrière à Rome au XVIIIe siècle (DESMAS, 2002a et b). Une autre est l’impressionnante et significative exposition consacrée à Rome au XVIIIe siècle, à Philadelphie et Houston. Avec une introduction de Christopher Johns, qui fait autorité, témoignant de la vitalité et de l’inventivité de l’art à Rome à cette période, ce catalogue devrait être indispensable à qui s’intéresse à la sculpture française (JOHNS, 2000). On ne le voit nulle part plus clairement que dans l’excellent essai du regretté Dean Walker qui prêche avec éloquence pour « l’importance de l’urbs comme centre de la sculpture » en traitant une série d’œuvres de niveau international. Cet internationalisme est également repérable dans un grand nombre d’autres projets en cours. Un colloque au Henry Moore Institute de Leeds (dont les actes sont à paraître) a pris en compte le phénomène du monument royal, et de là il est devenu clair, comme l’a signalé Christoph Frank, qu’il s’agissait d’une question beaucoup plus complexe qu’une simple imitation de modèles français14. Un autre aspect du travail de C. Frank concernant les relations artistiques entre la France et la Russie et le rôle de Melchior Grimm et de sa Correspondance littéraire a enrichi cette discussion, ainsi que l’étude de C. Johns sur Canova et ses mécènes français (JOHNS, 1998). Peu à peu se fait jour une perception de la sculpture française (et du mécénat français en faveur de cet art) comprise comme l’élément d’un ensemble plus vaste de dialogue culturel et d’échanges artistiques.

Sculpture/peinture

32 Un autre débat qui a retenu l’attention ces dernières années touche les rapports entre la sculpture et la peinture. En un sens, cette relation problématique et les différentes hypothèses qu’elle soulève affleurent dans de nombreux écrits sur la sculpture, et dans la plupart des publications citées plus haut. Dans la majorité des cas, cependant, elle reste implicite, et quiconque écrit sur la sculpture doit affronter la prééminence théorique de la peinture sur le statut de la sculpture, prééminence implicite également : il faut donc user de stratégies rhétoriques afin de persuader le lecteur et le spectateur de se tourner vers la sculpture. Tandis que la littérature consacrée à la sculpture pourrait souvent sembler isolée par rapport au discours dominant de l’histoire de l’art axé sur la peinture, son isolement peut précisément être considéré comme une affirmation du sens de la sculpture par rapport au discours qui considère que généralement l’art se résume à la peinture. Le statut secondaire de la sculpture vis- à-vis de la peinture n’est bien sûr pas la simple conséquence des hiérarchies des XIXe et XXe siècles de l’histoire de l’art. Fondé sur les débats de la renaissance sur le paragone, le discours esthétique du XVIIIe siècle est resté concerné par cette relation mais il l’a reconfigurée.

33 Le rapport entre ces deux arts est assumé, sinon directement questionné, dans les études sur Falconet et Diderot. Rien d’étonnant à ce que certains des textes les plus

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récents et les plus intéressants sur les idées énoncées au XVIIIe siècle et les descriptions de sculpture aient concerné ces deux figures et se soient en cours de route intéressés à cette relation entre les moyens d’expression. Un objet d’étude a été le bas-relief (cette forme de sculpture où la tridimensionnalité est moins présente et plus ambiguë) sur lequel Falconet écrivit dans l’Encyclopédie un texte détaillé décisif. Pour revenir sur une question déjà abordée par Seznec, G. Scherf reconsidère les idées du sculpteur (SEZNEC, 1964 ; SCHERF, 1994). En revenant sur les théories de la renaissance et en prenant des exemples qui vont jusqu’au début du XIXe siècle (David d’Angers), il offre l’état de la question le plus lucide et le plus complet, resituant des œuvres de la fin du XVIIIe siècle dans un débat théorique plus vaste en s’appuyant sur l’article de Falconet. Les discussions sur le statut de la sculpture aussi bien que sur la relation entre ces deux arts ont évidemment fait grand cas de la réaction de Diderot au groupe de Falconet, Pygmalion et Galatée, que ce soit dans le catalogue de l’exposition, le Pygmalions Werkstatt, ou dans l’importante étude de Mary Sheriff, Moved by Love où Pygmalion est vu comme « le modèle de l’artiste créatif dans la France du XVIIIe siècle » (Pygmalions Werkstatt, 2001 ; SHERIFF, 2004). L’étude de M. Sheriff ne concerne ni la sculpture ni la relation entre peinture et sculpture à proprement parler, mais elle regorge d’analyses fines et parfois amples d’œuvres qui utilisent les deux moyens d’expression (sans compter les textes littéraires), explorant de façon ambitieuse et subtile la notion d’enthousiasme comme « force motrice pour créer de l’art et comme passion suscitée par la contemplation de l’œuvre ». Pour l’auteur, en « faisant fusionner ces deux aspects de l’enthousiasme chez le mythique sculpteur, les images de Pygmalion au XVIIIe siècle établissaient aussi un lien entre la création et l’observation dans la satisfaction du désir ». Dans son analyse du groupe de Falconet qu’elle voit comme « une allégorie de la sculpture même de Falconet », elle attire l’attention sur l’expression des sensations et le caractère vivant de l’œuvre, caractéristiques-clé de cet art, et les relie de façon convaincante à cette notion contemporaine d’enthousiasme. Dans ce contexte, la sculpture acquiert une place centrale dans la théorie esthétique du XVIIIe siècle. Alors que cet aspect de la sculpture ne constitue qu’une partie de l’argument plus développé de M. Sheriff sur l’enthousiasme et le processus de création et d’observation, la place de la sculpture dans l’évolution de la théorie esthétique de la France du XVIIIe siècle est un thème tout à fait central du remarquable ouvrage de Jacqueline Lichtenstein, La tache aveugle (LICHTENSTEIN, 2003). Dans une discussion admirablement pertinente et éloquente sur la relation entre peinture et sculpture et sur celle entre toucher et vision, l’auteur montre comment les termes du paragone ont été reconfigurés au XVIIIe siècle. Alors que la peinture conservait la primauté, des écrivains tels que Diderot, malgré sa remarque « Si j’ai été long sur les peintres, en revanche je serai court sur les sculpteurs », écrivirent sur la sculpture d’une façon qui supposait une attention et une concentration nouvelles. En développant une esthétique où la nature n’était pas une « nature idéale » mais était caractérisée par « le mouvement même qui l’anime et qui constitue son principe », Diderot voyait l’imitation concernée avant tout par « le mouvement et le rythme de la nature ». Tandis que la sculpture est souvent « sévère, grave et chaste » (« le marbre ne rit pas »), certaines œuvres de sculpture moderne, dues essentiellement à Falconet et Houdon, possèdent ces qualités d’animation qui n’imitent pas tant la peinture que les effets de celle-ci. J. Lichtenstein ne se limite bien sûr pas à ces observations, mais l’analyse qu’elle propose de ces textes nous fait réfléchir sur la façon dont des sculpteurs tels que Pigalle et Houdon ont tenu compte d’un intérêt nouveau dans la perception, par le toucher ou par la vue, ont créé des

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effets qui ont stimulé le spectateur s’interroger sur le regard qu’il posait sur la statue. Ce questionnement sur le fonctionnement de la représentation sculpturale constituait l’un des plaisirs offert au spectateur. Si l’analyse subtile de W. Sauerländer sur Houdon fait brièvement référence à la relation entre les bustes de l’artiste et la fugacité des portraits contemporains au pastel, le livre de J. Lichtenstein offre matière à une vaste méditation sur la relation entre peinture et sculpture. Contribution majeure à la littérature sur la sculpture du XVIIIe siècle, il fournit un contexte intellectuel et théorique au sein duquel il convient de replacer les récentes monographies des catalogues d’exposition consacrés à Houdon, Pajou et autres.

34 Ces quinze dernières années ont donc vu un impressionnant regain d’intérêt pour la sculpture française du XVIIIe siècle. Longtemps considérée comme un domaine d’étude marginal auquel les chercheurs travaillant sur d’autres domaines de l’art français du XVIIIe siècle ne portaient qu’une attention limitée, elle est devenue aujourd’hui un champ sur lequel il est difficile de faire l’impasse. L’impressionnante succession d’expositions et les catalogues qui les accompagnaient (travaux d’une formidable érudition) ont largement contribué à la compréhension de la production, particulièrement pour ce qui est de la deuxième moitié du siècle, tandis que les ouvrages de F. Souchal, B. Rosasco et d’autres ont transformé notre vision de cet art et de son rôle vers 1700. Mais il reste (heureusement) beaucoup à faire. Des figures majeures comme Adam et Caffieri requièrent des études plus précises, et les infrastructures institutionnelles changeantes dans lesquelles les sculpteurs étaient formés et pratiquaient leur art doivent être étudiées de manière plus approfondie. Il reste également davantage à faire pour relier les résultats des études traditionnellement monographiques aux débats qui animent les recherches sur la production artistique et sa consommation et, de façon plus générale, aux études sur la France du XVIIIe siècle. Des mouvements significatifs en ce sens sont, comme j’ai tenté de le montrer, déjà perceptibles dans les revues mais le format apparemment naturel de la monographie prime encore dans les études sur la sculpture, si l’on excepte des interventions de premier plan comme celle de J. Lichtenstein. En établissant entre les deux discours un dialogue productif, l’histoire de l’art du XVIIIe siècle français pourra tenir compte de l’importance et de la position centrale dont la sculpture, malgré les débats sur son statut, jouissait dans la France de l’époque. Est-il trop optimiste d’attendre des historiens d’art un regain d’intérêt pour la sculpture au XVIIIe siècle proportionnel à l’attention dont jouit la sculpture moderne et contemporaine ? Peut- être, mais nous pouvons au moins affirmer sans mauvaise foi que la sculpture du XVIIIe siècle n’est plus ennuyeuse.

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NOTES

1. HERDING, 1994, p. 99. 2. Ces deux auteurs ont collaboré à la rédaction d’un autre article sur un monument funéraire à Gotha : FRANK, MATHIES, POULET, 2002. 3. Pour une tentative de contextualisation de cet aspect de l’œuvre de Houdon, voir BAKER, 2006a. 4. WENLEY, 2002. Des résumés des conclusions très provisoires ont circulé dans le groupe et seront, nous le souhaitons, accessibles à un plus grand nombre par le biais de publications. L’un des débouchés de ce travail a été le livre de Robert Wenley sur les bronzes de la Wallace Collection. 5. Pour le rôle d’un monument royal, voir également MERRICK, 1991. 6. Le rôle de la répétition et la question corollaire de la reproduction sont évoqués dans BAKER, 2006b. 7. Une sous-catégorie de ce genre consiste en des sculptures d’enfants, étudiées par Black, 1994. 8. « Integrität und Fragment : Kopf und Büste vom Mittelalter zum 18. Jahrhundert », au Kunstistorisches Institut, Florence, décembre 2004. Les actes, édités par Jeanette Kohl et Rebecca Müller, paraîtront en 2007. 9. Un rapide coup d’œil sur les textes concernant la sculpture de Jean-René Gaborit dans Diderot et l’Art…,1984, en donnera une idée. 10. Voir The Walpole Society pour l’art britannique ; cette revue a d’ailleurs continué à fournir une importante documentation sur la sculpture. 11. Sur les relations entre les deux, voir mon article sur Caffieri dans RADCLIFFE, 1992, p. 258-263. 12. Un cas semblable concerne la relation entre le monument de Wilton pour Wolfe et la figure du citoyen de Pigalle au pied de la statue de Louis XV à Reims. Pour un débat sur ce sujet, voir Baker, 2000. Sur les commanditaires de Bouchardon, voir BAKER, HARRISON, LAING, 2000. 13. 14. Les actes du colloque, édités par Charlotte Rousseau, paraîtront en 2007 avec une introduction de Christoph Frank.

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RÉSUMÉS

Cet article passe en revue les développements de la recherche des vingt dernières années sur la sculpture française du XVIIIe siècle. Pour la première moitié de la période, François Souchal, dans les années 1970-1980, a poursuivi et repris de fond en comble tout une tradition de travaux monographiques du XIXe siècle, qui, plus récemment, a été prolongée par une importante série de publications accompagnant des expositions sur des sculpteurs comme Houdon, Clodion et Pajou. Outre qu’ils attiraient l’attention d’un public plus vaste sur un aspect souvent négligé de cette production artistique, ces expositions et leurs catalogues ont énormément enrichi notre connaissance de ces sculpteurs et de leurs commanditaires. Mais l’orientation strictement monographique de ce genre de publications laissait entendre que les études sur la sculpture gardaient souvent leurs distances par rapport à d’autres approches dans la recherche en histoire de l’art du XVIIIe siècle. À partir d’une série d’articles portant sur des œuvres précises, le panorama proposé ici explore d’autres manières d’envisager ce qu’on pourrait appeler les « vie et œuvre » des sculpteurs. L’enquête nous conduit ainsi à aborder la question des genres et des conventions de la représentation en sculpture, la relation entre sculpture et arts décoratifs, les conditions de production des œuvres, le contexte institutionnel du point de vue du sculpteur et du spectateur, la constitution des collections et l’exposition des œuvres, ainsi que les relations entre sculpture et peinture. Bien qu’il reste encore beaucoup à faire pour donner à la sculpture une place plus centrale dans les recherches sur le XVIIIe siècle, le grand nombre et la variété des publications dans ce domaine depuis ces quinze dernières années laisse supposer que la sculpture bénéficie d’un regain d’attention. Contrairement à ce qu’énonçait Baudelaire, elle n’est plus aujourd’hui considérée comme ennuyeuse.

Malcom Baker, Why sculpture is no longer boring: new directions in eighteenth-century French sculpture studies This article surveys developments in scholarship about French eighteenth-century sculpture over the past fifteen years. The ground work for work on the earlier part of the century was laid in the 1970s by Francois Souchal who built on and radically revised a tradition of monographic studies established in the nineteenth century. This monographic tradition has more recently been continued in an impressive series of substantial publications associated with exhibitions about sculptors such as Houdon, Clodion, and Pajou, among others. Apart from the attention of a wider public to a neglected aspect of eighteenth-century artistic production, these exhibitions and their catalogues have greatly enriched our knowledge of these sculptors and their patrons. Yet the monographic emphasis of such publications has meant that the study of sculpture often remains disconnected from other developments in eighteenth-century art studies. Turning to a range of articles concerned with particular works, this survey uses these as an opportunity to explore alternatives to studies of sculptors’ “lives and works”. Topics for investigation here include the discussion of the genres and conventions of sculptural representation, the relationship between sculpture and the applied arts, the conditions of sculptural production, the institutional contexts for the making and viewing of sculpture, questions of collecting and display and the relationship between sculpture and painting. Although much remains to be done to give sculpture a more central place within eighteenth- century studies, the number and variety of publications in this field over the past fifteen years suggest that sculpture is attracting new attention. Despite Baudelaire’s remarks, sculpture is no longer seen as so boring.

Malcolm Baker, Warum Skulptur nicht mehr langweilig ist: Forschungen zur französischen Skulptur von den Gärten Versailles bis zu den Bandenkmätern der Revolution

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Dieser Artikel rekapituliert die Forschungsentwicklungen der letzten fünfzehn Jahre auf dem Gebiet der französischen Skulptur des achtzehnten Jahrhunderts. In Bezug auf die erste Hälfte des Jahrhunderts hat François Souchal in den siebziger Jahren die Tradition der monografischen Arbeiten, die bis ins neunzehnte Jahrhundert zurückreicht, wieder aufgegriffen und rundum neu bearbeitet. Dieser monografische Ansatz wurde in einer Reihe bedeutender ausstellungsbegleitender Veröffentlichungen über Houdon, Clodion und Pajou fortgesetzt. Diese haben nicht nur das Interesse für einen vernachlässigten Aspekt der Kunstproduktion des achtzehnten Jahrhunderts bei einem breiten Publikum geweckt, sondern auch unsere Kenntnisse über diese Bildhauer und ihre Auftraggeber erweitert. Allerdings ließ der monografische Ansatz vermuten, dass die Erforschung der Skulptur selten andere Ansätze für die Kunst dieser Epoche verfolgt. Eine Reihe an Artikeln, die bestimmte Werke untersuchen, beruht auf anderen Herangehensweisen. Die bearbeiteten Themen werden in diesen Fällen unter unterschiedlichen Blickwinkeln beleuchtet (Gattungsdiskussion und soziale Konventionen, Beziehung zwischen Plastik und Kunsthandwerk, Bedingungen der Kunstproduktion, Ausstellungsbedingungen, Geschichte der Sammlungen und Beziehung zwischen Plastik und Malerei). Allerdings bleibt noch Einiges zu tun, um der Skulptur einen zentraleren Raum innerhalb der Forschung zum achtzehnten Jahrhundert zu schaffen. Die Anzahl und Vielfalt der Veröffentlichungen der letzten fünfzehn Jahre auf diesem Gebiet lassen ein erneutes Interesse vermuten. Baudelaires Bemerkung kann nicht länger bestätigt werden: Skulptur wird nicht mehr als langweilig angesehen.

Malcom Baker, Perché la scultura non è più noiosa : ricerche sulla scultura francese dei giardini di Versailles ai monumenti della Rivoluzione Quest’articolo esamina gli sviluppi della ricerca degli ultimi quindici anni sulla scultura francese del XVIII secolo. Per la prima metà del periodo, François Souchal, negli anni 1970, ha proseguito e ripreso completamente tutta una tradizione di lavori monografici del XIX secolo, che, più recentemente, è stata prolungata da un’importante serie di pubblicazioni che accompagnano mostre su scultori come Houdon, Clodion e Pajou. Oltre al fatto che richiamavano l’attenzione di un pubblico più vasto su un aspetto spesso trascurato di questa produzione artistica, queste mostre ed i loro cataloghi hanno enormemente arricchito la nostra conoscenza di questi scultori e dei loro committenti. Ma l’orientamento strettamente monografico di questo tipo di pubblicazioni lasciava intendere che gli studi sulla scultura mantenevano spesso le loro distanze rispetto ad altri approcci nella ricerca in storia dell’arte del XVIII secolo. a partire da una serie di articoli riguardanti opere precise, il panorama proposto esplora altri modi di prevedere ciò che si potrebbe chiamare « vita ed opera » degli scultori. l’indagine porta ad affrontare la questione dei tipi e delle codificazione della rap- presentazione in scultura, la relazione tra scultura e le arti decorative, le condizioni di produzione delle opere, il contesto istituzionale dal punto di vista dello scultore e dello spettatore, la costituzione delle collezioni e l’esposizione delle opere, anziché le relazioni tra scultura e dipinto. Benché rimanga ancora molto da fare per dare alla scultura un posto più centrale nelle ricerche sul XVIII secolo, il grande numero e la varietà delle pubblicazio- ni in questo settore da questi ultimi quindici anni mostra che la scultura giova di una rinnovata attenzione. Contrariamente a ciò che enunciava Baudelaire : oggi, non è più considerata noiosa.

Malcom Baker, Porqué la escultura ya no es fastidiosa : la investigación sobre la escultura francesa de los jardines de Versalles a los panteones de la Revolución Este artículo pasa revista al desarrollo de la investigación de los últimos quince años sobre la escultura francesa del siglo XVIII. En lo que se refiere a la primera mitad de este período, en los años setenta, François Souchal siguió y retomó de arriba abajo toda una tradición de trabajos monográficos del siglo XIX, que fue prolongada más recientemente por una importante serie de

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publicaciones coincidiendo con exposiciones sobre unos escultores tales como Houdon, Clodion y Pajou. además de llamar la atención de un público más amplio sobre un aspecto a menudo olvidado de esta producción artística, aquellas exposiciones y sus catálogos han enriquecido muchísimo nues- tro conocimiento de dichos escultores y de sus comanditarios. Pero la orientación estrictamente monográfica de este tipo de publicación daba a entender que los estudios sobre la escultura solían guardar las distancias con respecto a otros enfoques sobre la investigación en la historia del arte del siglo XVIII. A lo largo de una serie de artículos dedicados a unas obras en concreto, el panorama propuesto aquí explora otras maneras de considerar lo que se podría llamar las « vida y obra » de los escultores. la investigación nos lleva a tratar el tema de los estilos y de los convencionalismos de la representación escultórica, la relación entre la escultura y las artes decorativas, las condiciones de producción de las obras, el contexto institucional del punto de vista del escultor y del espectador, la constitución de las colec- ciones y la exposición de las obras, así como las relaciones entre la escultura y la pintura. Si aun queda mucho por hacer para ofrecer a la escultura un lugar más central dentro de la investi- gación sobre el siglo XVIII, el gran número y la variedad de las publicaciones en este campo durante estos últimos quince años deja suponer que la escultura goza de un interés renovado. a pesar de lo que decía Baudelaire, ya no se la considera como aburrida hoy en día.

INDEX

Keywords : historiography, sculpture, monograph, exhibition, practice, production, royal monument, program, garden sculpture, iconography, material, workshop, collection, patronage Index géographique : Paris Mots-clés : historiographie, sculpture, monographie, exposition, pratique, production, monument royal, programme, sculpture de jardin, iconographie, matériau, atelier, collections, mécénat Index chronologique : 1700

AUTEURS

MALCOLM BAKER Malcolm Baker est professeur d’histoire de l’art à la University of Southern California et directeur des collections et des expositions au Getty Research Institute. Il a été responsable du projet des collections du Moyen âge et de la Renais- sance au Victoria and Albert Museum à Londres. Parmi ses publications on peut citer Figured in Marble: the Making and Viewing of Eighteenth-century Sculpture et (avec David Bindman) Roubiliac and the Eighteenth-century Monument: Sculpture as Theatre, ouvrage primé par le Mitchell Prize for the History of Art en 1996. Fr

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Choix de publications par les membres du comité de rédaction

1 Bernard AIKEMA, Rossella LAUBER, Max SEIDEL éd., Il collezionismo a Venezia e nel Veneto ai tempi della Serenissima, (colloque, Venise, 2003), Venise, 2005.

2 Artysci włoscy w polsce XVe-XVIIIe wiek , mélanges en l’honneur de Marius Karpowic, Varsovie, 2004.

3 Karlheinz BARCK et al., Ästhetische Grundbegriffe. Historisches Wörterbuch in sieben Bände, Stuttgart/ Weimar, 2000-2005.

4 Dictionnaire en sept gros volumes contenant 177 longs articles sur autant de concepts du discours esthétique. C’est un instrument précieux pour des renseignements ciblés ainsi qu’une nouvelle base pour approfondir l’analyse critique de l’histoire de la théorie et de l’histoire de l’art, malgré une certaine dominante littéraire. Issu d’un projet de l’Allemagne de l’Est d’avant 1989 (Zentralinstitut für Literaturgeschichte der Akademie der Wissenschaften der DDR), c’est le fruit de la collaboration de 160 auteurs engagés dans la lignée d’une histoire des concepts [R. R.].

5 Philippe BÉCHU, Christian TAILLARD, Les hôtels de Soubise et de Rohan-Strasbourg, Paris, 2004. Superbe et érudite monographie des deux hôtels parisiens, avec la publication in extenso des marchés de construction et de décor, et la couverture photographique complète des décors peints et sculptés. Une initiative exemplaire qui devrait encourager d’autres institutions à faire de même… [G. S.].

6 Pascal-François BERTRAND, Les tapisseries des Barberini et la décoration d’intérieur dans la Rome baroque, turnhout, 2005.

7 Achille BONITO OLIVA, L’idéologie du traître. Art, manière, maniérisme, Paris, 2006.

8 Marion BOUDON-MACHUEL, François du Quesnoy 1597- 1643, Paris, 2005.

9 Fernando BOUZA, Palabra e imagen en la corte. Culturta oral y visual de la nobleza en el Siglo de Oro, Madrid, 2003.

10 Geneviève BRESC-BAUTIER, François LE BŒUF, Terre et ciel. La sculpture en terre cuite du Maine (XVIe et XVIIe siècles), (Cahiers du Patrimoine, n°66), Paris, 2003. Important ouvrage étudiant les grands ateliers de sculptures dans l’ancienne province du Maine. Des

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artistes de talent (Dionise, Delebarre, Hoyau, Biardeau…) et de nombreuses œuvres méconnues conservées dans les églises de la Sarthe ou de la Mayenne réinvestissent avec éclat le champ de l’étude scientifique, permettant aux chercheurs de mettre en perspective la question, centrale dans ce contexte, des ateliers et des typologies [G. S.].

11 Fabienne BRUGÈRE, L’expérience de la beauté. Essai sur la banalisation du beau au XVIIIe siècle, Paris, 2006.

12 Caravaggio e l’Europa. Il movimento caravaggesco internazionale da Caravaggio a Mattia Preti, (cat. expo., Milan, Palazzo Reale, 2005-2006), Milan, 2005. Parmi les nombreuses expositions récemment consacrées au Caravage, celle-ci se distingue par la qualité et l’abondance des œuvres illustrant le rayonnement de son travail [S. l].

13 Giovanni CARERI, Gestes d’amour et de guerre. La Jérusalem délivrée, images et affects (XVIe- XVIIIe siècles), Paris, 2005.

14 Emmanuel COQUERY, Michel Corneille (Orléans, v. 1603-Paris, 1664), un peintre du roi au temps de Mazarin, (cat. expo., Orléans, Musée des beaux-arts d’Orléans, 2006), Paris, 2006.

15 Silvia DANESI SQUARZINA, La collezione Giustiniani, Turin, 2004.

16 De l’esprit des villes. Nancy et l’Europe urbaine au siècle des Lumières, 1720-1770, Alexandre GADY éd., (cat. expo., Nancy, Musée des beaux-arts, 2005), Versailles, 2005. Un panorama utile et bien documenté sur l’urbanisme au XVIIIe siècle, avec des approches par thèmes et par lieux. Une exposition qui complète remarquablement les deux précédentes sur l’architecture européenne à l’époque moderne (Architecture de la Renaissance italienne, 1995 ; Triomphe du Baroque, 1999) [O. B.].

17 Dorothea DIEMER, Hubert GERHARD, Carlo di CESARE DEL PALLAGO, Bronze plastiker der Spätrenaissance, Berlin, 2004, 2 vol.

18 ’Domus Speciosa‘, 400 anos del Colegio del Patriarca, (cat. d’expo., Valence/Espagne, 2006), Valence, 2006.

19 Charles-Alphonse DUFRESNOY, De arte graphica liber, (Paris 1668), Christopher ALLEN, Yasmin HASKELL, Fances MUECKE éd., (Travaux du Grand Siècle, 24), Genève, 2005. Edition critique avec traduction en anglais d’un texte essentiel pour le discours théorique sur la peinture, en France et en Europe au XVIIe siècle [S. l].

20 Fernando Quiles GARCIA, Por los caminos de Roma. Hacia una configuracion de la imagen sacra en el barroco sevillano, Madrid/Buenos aires, 2005.

21 Jean-Philippe GARRIC, Recueils d’Italie. Les modèles italiens dans les livres d’architecture française, liège, 2004.

22 Bénédicte GAULARD, Guilhem SCHERF, Claude-François ATTIRET, (cat. expo., Dole, Musée des beaux-arts, 2005), Dole, 2005. Fait partie d’une série de catalogues d’exposition publiés récemment par quelques musées courageux, Dôle et lons-le-Saunier honorant des sculpteurs d’origine franc- comtoise (Monnot, 2001, Rosset, 2001, attiret, 2005), Blois s’intéressant à l’œuvre du portraitiste Jean-Baptiste Nini (2001), ligérien d’adoption [G. S.].

23 Jean-François GOUBET, Gérard RAULET, Aux sources de l’esthétique. Les débuts de l’esthétique philosophique en Allemagne, Paris, 2005.

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24 Michèle Caroline Heck, Le rubénisme en Europe aux XVIIIe et XVIIe siècles, Turnhout, 2005. Des copies et imitations à la querelle du coloris et à diffusion de l’art de Rubens, un utile tour d’horizon, français pour la réception de l’artiste, européen pour la querelle du coloris [O. B.].

25 Holger HOOCK, The King’s Artists. The Royal Academy of Arts and the Politics of British Culture 1760-1840, Oxford, 2003. Passionnante étude du rôle de la Royal academy dans la société britannique [G. S.].

26 Paul JOANNIDES, Véronique GOARIN, Catherine SCHECK, Michel-Ange, élèves et copistes, (Musée du Louvre, Inventaire général des dessins italiens), Paris, 2003. Catalogue de 42 dessins attribués à Michel-Ange ainsi que quasiment 400 dessins d’élèves et copies. Discussion d’une précision exemplaire dans l’un des domaines les plus controversés de la Renaissance italienne [R. R.].

27 Roland KANZ, Hans KÖRNER, Pygmalions Aufklärung. Europäische Skulptur im 18. Jahrhundert, Munich/Berlin, 2006. Ce volume important présente les actes d’un colloque qui s’est déroulé au Musée Goethe à Düsseldorf en 2004. Des aspects très divers de la sculpture en Europe au XVIIIe siècle sont abordés par les chercheurs avec une grande et méritoire multiplicité de points de vue. Cet ouvrage élégant et très informé confirme l’intérêt porté à la sculpture, notamment française, par l’érudition allemande [G. S.].

28 Julian KLIEMANN, Michael ROHLMANN, Fresques italiennes du XVIe siècle : de Michel-Ange aux Carrache : 1510-1600, trad. de l’allemand, Paris 2004. Quatre volumes qui fournissent une vue assez complète de la peinture italienne en fresque depuis les prédécesseurs de Giotto jusqu’aux Carrache. Bonnes introductions, excellentes photos et des textes qui résument tous les renseignements essentiels et l’état de la recherche [R. R.].

29 Stéphane LOJKINE, Image et subversion, Paris, 2005.

30 Anna LO BIANCO, Angela NEGRO éd., Il Settecento a Roma (cat. expo., Rome, Palazzo Venezia, 2005-2006), Rome, 2005. Catalogue d’une importante exposition présentant un panorama complet de la création artistique à Rome au XVIIIe siècle [S. l].

31 Louis MARIN, Opacité de la peinture, Paris, 2006 (1989).

32 Jörg Martin MERZ, Pietro da Cortona und sein Kreis. Die Zeichnungen in Düsseldorf. Besandskatalog Museum Kunst Palast. Sammlung der Kunstakademie NRW, Munich, 2005. Cataloguant quelques deux cents dessins, cet ouvrage est une contribution majeure à l’étude du grand artiste du baroque romain et de son entourage [S. l].

33 Véronique MEYER, L’œuvre gravé de Gilles Rousselet graveur parisien du XVIIe siècle, Paris, 2004.

34 Nicolas MILOVANOVIC, Du Louvre à Versailles. Lecture des grands décors monarchiques, Paris, 2005.

35 Jerzy MIZIOŁEK, Mity, legendy, exempla, Włoskie malarstwo swiechie epoki Renesansu ze zbiorów Karola Lanckoronskiego / Miti, leggende, exempla, la pittura profana del Rinascimento italiano della collezione Lanckoronski, Warszawski, 2004. Ouvrage bilingue.

36 Clelia NAU, Le temps du Sublime. Longin et le paysage poussinien, Rennes, 2005.

37 Paula NUTTALL, From Flanders to Florence. The Impact of Netherlandish Painting 1400-1500, New Haven/ londres, 2004.

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38 Anna OTTANI CAVINA, Les paysages de la Raison. La ville néo-classique de David à Humbert de Superville, Arles, 2005.

39 Francesco PETRUCCI, Ferdinand Voet detto Ferdinando de’ ritratti, Rome, 2005.

40 Joachim POESCHKE, Fresques italiennes du temps de Giotto : 1280-1400, Paris, 2003.

41 Quaderni storici, 115, 2004/1, Consumi culturali nell’Italia moderna. Le dossier réuni par Renata Ago et Osvaldo Raggio constitue un apport important aux études sur les consommations artistiques, à travers des études de cas (Don Giovanni de’Medici, Alessandro Caponi), les analyses de bibliothèques romaines au XVIIe siècle ou des consommations culturelles de l’aristocratie génoise pendant les lumières, ou le statut du marché des biens de luxe chez Giovanni Pontano [O. B.].

42 Nicole DE REYNIÈS éd., Isaac Moillon (1614-1673), un peintre du roi à Abusson, (cat. expo., Aubusson, Musée départemental de la tapisserie, 2005), Paris, 2005.

43 Annalisa SCARPA, Sebastiano RICCI. Catalogue raisonné, Milan, 2005.

44 Ryszard SZMYDKI, « la tenture de l’Histoire de Josué de Vienne et les tapissiers bruxellois Dermoyen », dans Artibus et historiae, an art anthology, n°52, Vienne/Cracovie, 2005.

45 Ludovica TREZZANI éd., La pittura di paesaggio in Italia. Il Seicento, Milan, 2004 ; Anna OTTANI CAVINA éd., La pittura di paesaggio in Italia. Il Settecento, Milan, 2005. Comme le premier volume consacré au XIXe siècle (2003), ces deux ouvrages très abondamment illustrés comportent une suite d’essais consacrés aux différentes écoles régionales suivies de biographies des peintres paysagiste [S. L].

46 Jacek TYLICKI, Rysunek gdanski, ostatniej cwierci XVI i pierwszej potowy XVII wieku, Milan, 2005. [Résumé en anglais à la fin de l’ouvrage (« Drawing in Gdansk in the last quarter of 16th and first half of the 17th century »)], Torun, 2005.

47 Udolpho VAN DE SANDT éd., La Société des Amis des Arts (1789-1798). Un mécénat patriotique sous la Révolution, Paris, 2005. Cette publication de trois livrets d’exposition inédits de la Société des amis des arts (1790, 1791 et 1792), complétée par de nombreux documents d’archives et des commentaires lumineux d’Udolpho Van de Sandt, est un livre incontournable pour qui s’intéresse aux artistes, à l’histoire du goût et aux institutions sous la Révolution [G. S.].

48 Johann Joachim WINCKELMANN, De la description, é. Décultot éd., Paris, 2006.

49 Johann Joachim WINCKELMANN, Histoire de l’art dans l’antiquité, Daniela Gallo éd., Paris, 2005.

50 Richard WRIGLEY, Matthew CRASKE éd., Pantheons: Transformations of a Monumental Idea, Aldershot, 2004. Plusieurs contributions d’intérêt majeur traitant des panthéons (les grands hommes) et des nationalismes, à Rome (Edmund thomas et Susanna Pasquali), à Londres (Matthew Craske, Holger Hoock, Uta Kornmeier), en Grande-Bretagne (Alison Yarrington) et à Paris (Dominique Poulot). Cet ouvrage fait partie d’une collection intitulée « Subject/Object : New Studies in Sculpture », dirigée par Penelope Curtis au Henry Moore Institute de Leeds (une institution qui fait beaucoup pour la connaissance et le rayonnement de la sculpture) [G. S.].

51 www.zi.fotothek.org Le Zentralinstitut für Kunstgeschichte de Munich a mis en ligne le Farbdiarchiv, soit 39 000 images numérisées tirées de diapositives prises en 1943-1945, montrant des vues de cycles de fresques ou de décors muraux d’églises, de couvents, de châteaux, etc.

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(souvent détruits ou gravement endommagés), en Allemagne, Autriche, Pologne, Russie et République tchèque, allant du Xe à la fin du XIXe siècles. Cette documentation est particulièrement précieuse pour les chercheurs s’intéressant à l’âge baroque et à l’iconographie de la contre-réforme [Ph. S.].

52 Collection « Passages » et « Passerelles » : deux collections d’une institution parisienne d’envergure, le centre allemand d’histoire de l’art, qui se distingue par une ambitieuse politique de publications. Les (gros) ouvrages de la collection « Passages » sont constitués par un mélange de textes illustrant, chaque année, un thème. Signalons ainsi le volume 2, L’art et les normes sociales (2001), consacré au XVIIIe siècle.

53 Les livres publiés dans la collection « Passerelles », confiés à un seul auteur et de pagination plus réduite, n’ont pas ignoré la sculpture : Thomas W. GAEHTGENS, Nicole HOCHNER éd., 2006, L’image du roi de François Ier à Louis XIV : le numéro 10 de la collection, passionnant ; Willibald SAUERLÄNDER, Ein Versuch über die Gesichter Houdons (n° 1), Munich/Berlin, 2002 : un ouvrage déjà consacré par la critique comme un sommet de la littérature sur le sculpteur, et qui vient d’être heureusement traduit en français (Essai sur les visages des bustes de Houdon, Paris, 2005), ce qui laisse espérer une rapide traduction dans notre langue du brillant essai de Bernhard MAAZ consacré à David d’Angers, Vom Kult des Genies. David d’Angers’Bildnisse von Goethe bis Caspar David Friedrich (« Passerelles » n°6, Munich/ Berlin, 2004) [G. S.].

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Période moderne

Actualité

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Masolino et Masaccio : technique et style

Neville Rowley

RÉFÉRENCE

- BALDINOTTI, CECCHI, FARINELLA, 2002 : Andrea Baldinotti, Alessandro Cecchi, Vincenzo Farinella, Masaccio e Masolino. Il gioco delle parti, Milan, 5 Continents, 2002. 206 p., 57 ill. n. et b. et 81 pl. couleur. ISBN : 88-7439-019-X, 59 € (édition française : Masaccio et Masolino : l’art en partage, Milan, 2002, ISBN : 88-7439-020-3). - STREHLKE, FROSININI, 2002 : Carl Brandon Strehlke, Cecilia Frosinini éd., The Panel Paintings of Masolino and Masaccio. The Role of Technique, 5 Continents, Milan, 2002. 207 p., ill. n. et b. et couleurs. ISBN : 88-7439-000-9 ; 75 $. - PARENTI, 2003 : Daniela PARENTI, « Nuovi studi sulla tecnica di Masolino e Masaccio », dans Arte cristiana, XCI, n° 815, mars-avril 2003, p. 92-102. - FROSININI, 2004 : Cecilia FROSININI éd., Masaccio e Masolino, pittori e frescanti. Dalla tecnica allo stile, (colloque, Florence/San Giovanni Valdarno, 2002), Milan, Skira, 2004. 253 p., ill. n. et b. et couleurs. ISBN : 88-8491-289-X ; 28 €.

1 Comment un génie visionnaire comme Masaccio a-t-il bien pu collaborer durant toute sa courte carrière avec un peintre aussi passéiste que Masolino ? Cette question, aujourd’hui inavouable, a longtemps tourmenté les historiens de l’art, qui furent nombreux à délaisser la traditionnelle approche monographique pour une étude conjointe, des fondamentaux Fatti di Masolino e di Masaccio de Roberto Longhi à l’imposant ouvrage de Paul Joannides1. Ces dernières années, un important projet de recherche, supervisé par l’Opificio delle Pietre Dure de Florence, la National Gallery de Londres et le Museum of Art de Philadelphie, est resté fidèle à ce double point de vue. Son objectif était d’aborder depuis un angle résolument technique ce que Longhi considérait comme la vexata quaestio par excellence : il s’agissait de soumettre à des analyses approfondies la quasi-totalité des panneaux peints par les deux artistes afin d’éprouver les certitudes auxquels l’histoire de l’art était parvenue. Le résultat de ces

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recherches a été publié en 2002 (STREHLKE, FROSININI, 2002), année si riche en événements autour de Masaccio, six siècles après sa naissance, qu’un autre ouvrage consacré à son rapport avec Masolino a pu être publié chez le même éditeur (BALDINOTTI, CECCHI, FARINELLA, 2002). Un colloque fut également consacré à la technique des deux compères, ajoutant la question des fresques à celle des peintures de chevalet (FROSININI, 2004). Cette intense actualité éditoriale a donné lieu, depuis lors, à de nombreuses réactions critiques (notamment PARENTI, 2003). À quelques années de distance, ces recherches nous permettent de comprendre que le rapport artistique entre Masolino et Masaccio fut bien plus nuancé qu’on ne le pensait jusqu’alors.

2 Depuis les lamentations d’un Filippo Brunelleschi, qui déplorait la « grande perte » que constituait la mort prématurée du peintre à Rome, dans sa vingt-huitième année, les qualités révolutionnaires de Masaccio ont toujours été soulignées. Aussi l’opposition dialectique entre le jeune élève et son sage aîné Masolino, à peine esquissée en 1568 par Giorgio Vasari et reprise avec plus de force une quinzaine d’années plus tard par Raffaello Borghini dans son Riposo, devint-elle rapidement un topos de l’histoire de l’art. En 1550, dans la première édition de ses Vies, Vasari n’établissait pourtant pas de rapport direct entre deux peintres qu’il distinguait alors fort bien d’un point de vue stylistique. Le biographe faisait surtout de Masolino une sorte d’équivalent en peinture du sculpteur Nanni di Banco : un artiste qui, s’il avait vécu assez longtemps, aurait pu être l’égal des plus grands.

3 Dans un sens, Vasari n’avait pas tort. On savait, depuis la restauration de la Chapelle Brancacci achevée il y a une quinzaine d’années, que Masolino était un coloriste virtuose (Ornella Casazza, dans FROSININI, 2004, p. 77-85). Il est maintenant établi que les subtilités chromatiques de certains panneaux du Retable de Sainte Marie Majeure furent effectuées à l’aide d’une peinture à l’huile permettant plus de fluidité et de transparence – ce qui est visible en premier lieu dans les flocons qui envahissent la scène du Miracle de la Neige. Un tel usage, sans doute présent dès les premières œuvres de Masolino, relance l’hypothèse de sa formation nordique. Une autre avancée technique a pu être déduite de l’étude de deux Madones, aujourd’hui à Brême et à Munich, sur lesquelles le visage de la Vierge aurait été incisé à partir du même patron. Il s’agirait du premier cas d’une pratique encore mal connue, qui doit être différenciée de l’usage du spolvero dans les peintures murales. Loin d’être un procédé commercial permettant de peindre des Madones à la chaîne, cet usage permet à l’artiste de dessiner plus soigneusement une partie décisive de son œuvre – quitte ensuite à se départir de son modèle initial. En tout état de cause, ces recherches font de Masolino l’un des peintres les plus au fait des nouveautés techniques de son temps.

4 Masaccio, de ce point de vue, apparaît bien moins novateur que son partenaire. Sa peinture de chevalet est liée à la tradition florentine, de l’usage de la détrempe à la pratique conventionnelle de modeler les carnations avec de la terre verte, ce verdaccio que Masolino a abandonné pour utiliser le blanc de plomb. La restauration récente de la Trinité a également montré, dans sa partie gauche, une extrême application dans la construction de la perspective, témoignant peut-être des hésitations de Masaccio au cours de l’exécution de sa première peinture murale (Cristina Danti, dans FROSININI, 2004, p. 35-47). Moins maîtrisée que celle de Masolino, la technique de Masaccio est en fait entière- ment tournée vers l’obtention d’effets spatiaux et lumineux plus convaincants2. La compréhension univoque d’un Masaccio « absolument moderne » demande donc à être sérieusement tempérée.

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5 D’un point de vue général, le constat de ces nouveautés techniques incite à repenser le rapport entre les deux peintres. Dans une collaboration qui n’avait rien d’anormale à l’époque3, il est fort possible que chacun cherchait chez l’autre ce qu’il n’avait pas lui- même, qui un style direct et efficace, qui une technique plus subtile – ce que démontre l’influence que les deux peintres eurent l’un sur l’autre4. Plus que comme la querelle des Anciens et des Modernes, la collaboration de Masolino et de Masaccio doit donc plutôt être comprise comme l’alliance harmonieuse des contraires.

6 La vaste enquête entreprise sur les procédés techniques des deux maîtres constituait également une mise à l’épreuve de la cohérence du corpus de chaque artiste. L’œuvre dont l’attribution à Masaccio a été le plus contestée, le Triptyque de saint Juvénal, daté de 1422, a ainsi passé avec succès les épreuves techniques : le dessin sous-jacent possède une fermeté qui semble bien relever de la main du maître, hormis sans doute son volet gauche, tan- dis que certaines caractéristiques laissent même supposer, chez le jeune peintre, une connaissance des pratiques de l’enluminure5. En revanche, deux œuvres presque invariablement données à Masaccio, la Madone d’Humilité, très endommagée, de la National Gallery de Washington et, surtout, le plateau d’accouchée de la Gemäldegalerie de Berlin, ont montré certaines différences d’exécution par rapport aux autres panneaux de l’artiste. En conséquence, elles ont été exclues de son corpus, au même titre que la Vierge d’Humilité des Offices, attribuée jusqu’à présent à Masolino.

7 Face à ces propositions, qui ne sont rien moins que des remises en cause de décennies de connoisseurship, on pouvait s’attendre à une réaction pour le moins virulente6. La plus argumentée fut celle de Daniela Parenti, qui consacra un article entier à discuter des conclusions du volume dirigé par C. B. Strehlke et C. Frosinini (Parenti, 2003). Elle leur reproche principalement le dogmatisme inhérent à une lecture seulement technique des œuvres : car comment ne pas comprendre certains écarts de pratique par des circonstances de commande toujours empiriques et des méthodes d’exécution souvent expérimentales ? On reste en effet particulièrement perplexe quant à la possibilité qu’un membre de l’atelier de Masaccio ait pu peindre une œuvre aussi maîtrisée et aussi intimement liée à la poétique masaccesque que le desco da parto de Berlin (PARENTI, 2003, p. 93-94)7. Il faut ici réaffirmer avec conviction la paternité de Masaccio, ce qui montre toute l’ambiguïté du critère décisif, mais aussi le plus sujet à caution, de l’attribution, celui de la « qualité ». En tout état de cause, un tel critère ne peut être abandonné pour suivre sans réserve les résultats d’une étude de laboratoire8.

8 La controverse opposant les connaisseurs aux tenants des analyses techniques ne doit pourtant pas conduire à choisir un camp, mais bien à affiner notre jugement. Il est bon de se souvenir qu’aucune attribution n’est en soi définitive, et que le doute soulevé par certains résultats doit être considéré comme une nécessaire mise à l’épreuve des hypothèses formulées par l’histoire de l’art, pas seulement en matière d’attribution. Si la recherche autour des œuvres peintes conjointement par Masolino et Masaccio a pu avancer ces dernières années, c’est bien grâce aux approches multiples dont elles ont fait l’objet.

9 L’un des mystères de la collaboration entre les deux peintres réside précisément dans leur répartition du travail, souvent intimement liée. Dans le Triptyque Carnesecchi, qui fut probablement, vers 1423, leur première œuvre réalisée « à quatre mains », le problème est encore relativement simple : les analyses des deux panneaux restant ont montré que Masaccio avait peint la prédelle d’un retable de Masolino9. Les difficultés commencent avec la Sainte Anne « Metterza » des Offices, peinte peu après, et dont seul

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l’œil exceptionnel de Roberto Longhi avait clairement réussi à reconnaître la main de Masaccio dans la Vierge, l’Enfant et l’ange en haut à droite, qu’un éclairage violent fait ressortir sculpturalement du reste du panneau, dû au pinceau plus délicat de Masolino. Le jugement du connaisseur, dont la justesse semble aujourd’hui évidente, a pu être étayé par des certitudes techniques, qui laissent ouverte la question des circonstances d’une telle collaboration : était-elle, malgré le format étroit de l’œuvre, entièrement planifiée10 ou bien, au contraire, improvisée, Masaccio terminant la portion de son compagnon parti précipitamment pour la Hongrie11 ? La question reste ouverte. Celle du commanditaire de l’œuvre a en revanche été résolue grâce aux recherches documentaires d’Alessandro Cecchi (dans BALDINOTTI, CECCHI, FARINELLA, 2002, p. 24-32).

10 Nofri d’Agnolo Del Brutto Buonamici, tisserand dont la famille témoignait d’une dévotion particulière envers sainte Anne, a d’autant plus de chance d’avoir commandé ce retable qu’il se trouvait être l’ami et le créancier du patron de la chapelle du Carmine, Felice Brancacci. Une telle avancée démontre de manière éclatante que les analyses techniques ne constituent pas le seul biais pour sortir l’histoire de l’art de ses ornières12.

11 Dernière œuvre de collaboration entre les deux artistes, le triptyque à double face réalisé pour la basilique romaine Santa Maria Maggiore a également révélé certains de ses secrets. En 1964, Millard Meiss avait remarqué que les couples de saints de deux panneaux latéraux, aujourd’hui conservés au Museum of Art de Philadelphie, avaient été inversés en cours d’exécution13. Des radiographies ont déjà confirmé et précisé cette observation, incitant à penser que le panneau représentant les Saints Pierre et Paul a pu être commencé par Masaccio14. Les prélèvements récemment effectués ont bien décelé la technique vigoureuse à la détrempe du peintre de San Giovanni Valdarno, complétée par celle, à l’huile, de Masolino, sans doute après la mort de son confrère15. Il ne s’agit pas ici simplement d’une découverte fortuite, mais bien de la confirmation des soupçons éveillés par une connaissance formelle des œuvres. Carl Brandon Strehlke démontre par là même toute la complémentarité des différents domaines de recherche, d’autant que ses travaux l’ont également conduit à identifier le probable commanditaire du retable, le cardinal Antonio Casini, pour qui Masaccio peignit la petite Madonne « du chatouillis » aujourd’hui aux Offices16.

12 On reste en revanche plus dubitatif envers l’hypothèse remettant en cause la reconstitution traditionnelle du polyptyque peint par Masaccio en 1426 pour le Carmine de Pise. Le support du seul panneau resté dans sa ville d’origine, un Saint Paul, et celui d’un Saint André conservé au J. Paul Getty Museum de Los Angeles, ont montré des différences notables avec ceux des autres fragments associés au même retable ; en outre, les deux tableaux incriminés ne peuvent avoir été parcourus, sur leur revers, par la même traverse que celle qui soutenait la Crucifixion du de Naples, théoriquement contiguë. Aussi était-il possible pour Jill Dunkerton et Dillan Gordon, voire probable pour Carl Brandon Strehlke, que le Saint Paul et le Saint André aient en fait appartenu, non pas au polyptyque de Masaccio décrit par Vasari, mais à un autre retable de l’artiste réalisé pour la même église. En l’absence de connaissances suffisantes sur les techniques de l’époque, cette hypothèse, aussi hardie qu’ingénieuse, semblait la seule capable de justifier des résultats si surprenants de prime abord. Peu de temps après, Andrea De Marchi a pourtant pu apporter des arguments décisifs contre une telle proposition, en faisant valoir qu’il n’était pas rare, dans la tradition

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siennoise, que les panneaux du registre supérieur d’un retable soient soutenus par des traverses individuelles17. Au-delà même de ces données techniques, la preuve ultime d’une conception d’ensemble du retable réside dans la cohérence des raccourcis que Masaccio imprime à ses figures : tous prennent en compte le point de vue légèrement décalé du spectateur, ce qui confère à ce polyptyque une unité véritablement révolutionnaire18.

13 Ces quelques réserves ne doivent pas faire oublier ce que l’étude rapprochée des panneaux et des fresques de Masolino et de Masaccio a apporté dans la connaissance des deux maîtres. En premier lieu, cette entreprise a rendu disponible à tous les historiens de l’art des données matérielles, sinon nouvelles, du moins difficilement accessibles hors du cercle des restaurateurs19. Il a également pu être établi que la modernité technique de Masolino en faisait un interlocuteur tout sauf passif dans son dialogue avec Masaccio. Les hypothèses tirées des analyses techniques n’ont certes pas toutes été satisfaisantes, surtout en matière d’attributions. L’essentiel est bien plutôt qu’elles aient donné lieu à un débat critique constructif, mettant en évidence la nécessité d’un dialogue entre les méthodes de recherche20, tout en réaffirmant que « l’examen des supports ne pourra jamais primer sur la lecture du ’devant‘ des panneaux »21. Mais qui oserait affirmer le contraire ?

NOTES

1. Roberto Longhi, « Fatti di Masolino e di Masaccio », dans La Critica d’Arte, XXV-XXVI, n°3-4, juillet-décembre 1940, p. 145-191 [repris dans : idem, Opere complete. VIII/1. ‘Fatti di Masolino e di Masaccio’ e altri studi sul Quattrocento, 1910-1967, Florence, 1975, p. 3-65] ; Paul Johannides, Masaccio and Masolino: a Complete Catalogue, Londres, 1993. 2. L’un des arguments de Fabrizio Bandini, (dans FROSININI, 2004, p. 61-67) pour une datation précoce, soit vers 1424-1425, de la Trinité concerne justement le moyen de peindre les carnations, à l’aide de verdaccio dans la fresque de Santa Maria Novella, puis d’un blanc de chaux plus lumineux dans la Chapelle Brancacci. 3. Perri Lee Roberts l’a récemment rappelé dans « Collaboration in Early Renaissance Art: the Case of Masaccio and Masolino », dans Diane Cole Ahl éd., The Cambridge Companion to Masaccio, Cambridge, 2002, p. 87-104. 4. La reconnaissance d’une période « masaccesque » de Masolino est plus facile à saisir qu’une influence inverse, du fait du retour de Masolino à un style nettement plus gothicisant après la mort de Masaccio. Il est pourtant possible, me semble-t-il, que ce dernier ait été marqué, dans ses fresques de la Chapelle Brancacci, par les recherches chromatiques de son collègue. 5. Retrouvé au début des années 1960 dans un petit village des collines florentines, le triptyque avait été attribué à Masaccio dès 1961 par Luciano Berti, « Masaccio 1422 », dans Commentari, XII, n°2, 1961, p. 84-107. Longue à se convertir, la critique tend aujourd’hui à admettre une telle attribution. Héritiers des réticences de Roberto Longhi, Luciano Bellosi et Keith Christiansen le jugent plutôt digne du (faible) pinceau du petit frère du peintre, Scheggia (voir dernièrement Luciano Bellosi, « Da Brunelleschi a Masaccio: le origini del Rinascimento », dans Luciano Bellosi,

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Laura Cavazzini, Aldo Galli éd., Masaccio e le origini del Rinascimento, [cat. expo., San Giovanni Valdarno, Casa Masaccio, 2002], Genève/Milan, 2002, p. 35-38). 6. Dans des comptes rendus de Strehlke, Frosinini, 2002, ces « désattributions » ont été acceptées par Julia I. Miller (dans Renaissance Quarterly, LVII, n°2, été 2004, p. 590-591) et par Francis Ames- Lewis (dans The Burlington Magazine, CXLVII, n°1229, août 2005, p. 556). 7. Récemment, Miklós Boskovits a également réaffirmé l’attribution à Masaccio, due à Carlo Volpe, de la Vierge de Washington et appuyé dans l’ensemble les remarques de Daniela Parenti (dans Miklós Boskovits, David Alan Brown, Italian Paintings of the Fifteenth Century. National Gallery of Art, Washington, New York, 2003, p. 463, n. 17). 8. Une autre attribution à Masaccio qui pose un problème, celle de tout ou partie de la chapelle Sainte Catherine à San Clemente de Rome, a été réaffirmée par Vincenzo Farinella, DANS BALDINOTTI, CECCHI, FARINELLA, 2002, p. 137-186. Plus que d’y reconnaître le pinceau de Masaccio, l’auteur attribuait à « la mente prospettiva e profonda di Masaccio » la composition de la Crucifixion et celle des scènes du registre supérieur de cette « ‘Brancacci romana’ ». Malgré son caractère suggestif, cette hypothèse, longhienne au départ, ne peut être acceptée sans réserve. 9. Le panneau du Saint Julien de Masolino conservé à Florence, au Museo vescovile di Santo Stefano al Ponte, s’est avéré provenir du même arbre que celui de Masaccio représentant les épisodes de la vie du même saint conservé au Museo Horne de Florence (Strehlke, Frosinini, 2002, p. 149-155). En 1550, Vasari n’attribuait d’ailleurs à Masaccio que la prédelle du retable, avant de le lui donner en entier en 1568. Le panneau central du retable, une Vierge à l’Enfant que les photographies permettent d’attribuer à Masolino, a été dérobé en 1927 dans l’église Santa Maria de Novoli. L’élément de prédelle de Masolino conservée au Musée Ingres de Montauban, à la même iconographie que le panneau Horne, devait donc faire partie d’un autre polyptyque. 10. Roberto Bellucci, Cecilia Frosinini, dans STREHLKE, FROSININI, 2002, p. 43-48. 11. PARENTI, 2003, p. 95-96. 12. Dans le même essai, A. Cecchi propose également d’identifier le commanditaire de la Trinité à un « maestro di murare » bien connu de Brunelleschi, Berto di Bartolomeo Del Banderaio, ce qui ne précise malheureusement pas la datation de l’œuvre. 13. Millard Meiss, « The Altered Programme of the Santa Maria Maggiore Altarpiece », dans Studien zur toskanischen Kunst. Festschrift für Ludwig Heinrich Heydenreich zum 23. März 1963, Munich, 1964, p. 169-190. 14. Carl Brandon Strehlke, Mark Tucker, « The Santa Maria Maggiore Altarpiece: New Observations », dans Arte cristiana, LXXV, 1987, p. 117-118. 15. Idem, dans STREHLKE, FROSININI, 2002, p. 111-129 ; et dans FROSININI, 2004, p. 223-235. PARENTI, (2003, p. 98), reste pourtant « interdetta » devant une telle hypothèse. 16. Machtelt Israëls, Sassetta’s della Neve. An Image of Patronage, Leyde, 2003, p. 104-126 est parvenue indépendamment aux mêmes conclusions, ce qui les renforce un peu plus. 17. Andrea De Marchi, « Norma e varietà nella transizione dal polittico alla pala quadra », dans Gigetta Dalli Regoli éd., Storia delle arti in Toscana. 3. Il Quattrocento, Florence, 2002, p. 199-222, specim. p. 202-204. Le charpentier du Polyptyque de Pise était justement siennois. 18. Ibidem, p. 204. Sur le Polyptyque de Pise, voir l’excellente petite monographie d’Eliot W. Rowlands, Masaccio: Saint Andrew and the Pisa Altarpiece, Los Angeles, 2003. 19. C. B. Strehlke, dans STREHLKE, FROSININI, 2002, p. 26, n. 46. 20. L’étude iconographique et iconologique ne doit pas non plus être délaissée, même si la récente reconstitution du programme initial peint dans la Chapelle Brancacci apparaît dans l’ensemble peu convaincante (voir Andrea Baldinotti, dans BALDINOTTI, CECCHI, FARINELLA, 2002, p. 73-135). 21. DE MARCHI, 2002, cité n. 17, p. 202.

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INDEX

Index géographique : Italie Mots-clés : fresque, peinture, formation, pratique, collaboration, étude, attribution, méthode, technique Keywords : fresco, painting, formation, practice, collaboration, study, awarding, method, technic

AUTEURS

NEVILLE ROWLEY Université Paris IV-Sorbonne, [email protected] Fr

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Isabelle d’Este collectionneuse et commanditaire

Jérémie Koering

RÉFÉRENCE

- BROWN, 2002 : Clifford Malcolm Brown (avec la collaboration d’Anna Maria Lorenzoni et Sally Hickson), « Per dare qualche splendore a la gloriosa città di Mantua », Documents for the Antiquarian Collection of Isabella d’Este, (Europa delle Corti, Centro studi sulle società di antico regime. Biblioteca del Cinquecento, 106), Rome, Bulzoni, 2002. 480 p., 83 fig. coul. et n. et b. ISBN : 88-8319-754-2 ; 38 €. - BROWN, 2005 : Clifford Malcolm Brown, Isabella d’Este in the Ducal Palace in Mantua : an overview of her rooms in the Castello di San Giorgio and the Corte Vecchia, (« Europa delle Corti », Centro studi sulle società di antico regime. Biblioteca del Cinquecento 116), Rome, Bulzoni, 2005. 382 p., 202 fig. coul. et n. et b. ISBN : 88-8319-998-7 ; 40 €. - CAMPBELL, 2006 : Stephen J. Campbell, The Cabinet of Eros : Renaissance Mythological Painting and the Studiolo of Isabella d’Este, New Haven /Londres, Yale University Press, 2006. 403 p., 135 fig. coul. et n. et b. ISBN : 0-300-11753-1 ; 60 $.

1 Le Studiolo et la Grotta de la marquise de Mantoue Isabelle d’Este ont suscité l’une des plus abondantes littératures critiques de l’histoire de l’art de la Renaissance1. À cela trois raisons : d’abord, les peintures commandées pour le Studiolo ainsi que la collection d’objets d’art antiques et modernes placée dans la Grotta ont joui très tôt d’une grande renommée – ces deux ensembles se sont ainsi institués en témoignages incontournables de l’art et du collectionnisme de la Renaissance. Ensuite, les espaces aménagés à la demande d’Isabelle, parce qu’ils ont été conçus pour recevoir des peintures (Studiolo) et des objets de collections (Grotta), sont apparus, pour bon nombre d’historiens, déterminants dans la genèse du musée2. Enfin, les nombreux documents conservés aux archives de Mantoue relatifs aux peintures, à l’acquisition des objets et à l’aménagement des appartements ont offert aux chercheurs la possibilité d’apporter

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des informations sur des sujets d’étude aussi variés que les relations entre commanditaires et artistes3, le rapport à l’antique4 ou le mécénat féminin 5. Cette richesse documentaire explique également la profusion d’études sur le Studiolo et la Grotta alors même que ces deux pièces ont été profondément altérées par des aménagements ultérieurs et que les œuvres ont été dispersées, notamment lors de la vente de 1627-16286.

2 Au sein d’une bibliographie déjà pléthorique, quels peuvent être les apports des livres nouvellement parus de Clifford M. Brown et Stephen Campbell qui se réfèrent à la figure d’Isabelle d’Este comme promotrice de l’art moderne et antique ?

3 Les ouvrages de Clifford M. Brown, de l’aveu même de l’auteur7, forment les deux volumes d’une même étude consacrée au mécénat artistique d’Isabelle et reprennent pour partie les résultats de ses travaux antérieurs8. Le texte publié en 2005 retrace l’histoire des deux appartements d’Isabelle successivement aménagés dans le palais ducal de Mantoue : le premier, à l’étage noble du Castello San Giorgio (1490-1519), où la marquise habitait du vivant de son époux le marquis François II Gonzague ; le second, au rez-de-chaussée de la Corte Vecchia (1519-1539), où elle s’installa à l’avènement du règne de son fils Frédéric II. Outre les informations rassemblées sur la conduite des travaux (artistes engagés, répartition des tâches, programme de construction), l’auteur, particulièrement familier du labyrinthique palais ducal9, apporte de salutaires éclaircissements sur la fonction et la décoration des pièces les moins connues de ces appartements (Camera delle Sigle, Camera Imperiale, Cortile dei Quattro Platani). Le centre de l’étude de Clifford M. Brown demeure toutefois le Studiolo et la Grotta. Malgré le travail précurseur de Giuseppe Gerola10, l’histoire de ces deux espaces comportait encore de nombreuses zones d’ombre dues à la migration de ceux-ci11, aux travaux postérieurs qui en ont altéré l’apparence12 et aux reconstitutions modernes pour le moins approximatives13. En reprenant ce dossier, Clifford M. Brown apporte des réponses définitives aux interrogations qui persistaient sur la dimension des pièces, l’emplacement des ouvertures, la réalisation des boiseries et la disposition des peintures. Cette mise au point est d’autant plus éloquente qu’elle s’accompagne de nombreuses illustrations : photomontages, plans, vues isométriques, reconstitutions graphiques.

4 Bien qu’antérieur, l’ouvrage de Clifford M. Brown paru en 2002 constitue le deuxième volet de cette étude du mécénat isabellien. Parallèlement à l’archéologie des lieux et de ses aménagements (BROWN, 2005), l’auteur, avec l’aide des archivistes Anna Maria Lorenzoni et Sally Hickson, a entrepris de publier l’ensemble des documents se rapportant à la Grotta (dont de nombreux inédits 14) : les lettres échangées par la marquise et ses correspondants entre 1490 et 1538, l’édition critique des inventaires connus de la Grotta. La consultation de ces documents est rendue particulièrement aisée grâce à un astucieux système de présentation (les lettres sont regroupées par dossiers thématiques à l’intérieur de quatre sections chronologiques) et à divers outils (un dictionnaire biographique des correspondants d’Isabelle, une liste des dossiers comprenant une description des thèmes et des objets auxquels ils se rapportent)15. Il faut également saluer la clarté des différentes synthèses : le prologue, dans lequel Clifford M. Brown revient sur la place occupée par Isabelle dans l’histoire du collectionnisme ; le commentaire sur les visites de la Grotta entre 1512 et 1620 qui met en évidence l’importance de la collection pour la représentation d’Isabelle et, après sa mort, pour la renommée de la dynastie des Gonzague16. De plus, les différentes

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introductions aux lettres offrent l’opportunité de suivre l’évolution des acquisitions eu égard aux orientations et au goût changeant de la marquise.

5 Par rapport aux études essentiellement documentaires et archéologiques de Clifford M. Brown, le livre de Stephen Campbell prend la forme d’une enquête sur les œuvres et leur contexte de production. L’auteur s’attache plus spécifiquement aux sept peintures réalisées pour le Studiolo, à ce qu’elles nous apprennent sur l’espace pour lequel elles ont été créées et sur la cour de la marquise de Mantoue.

6 Stephen Campbell cherche d’abord à définir les spécificités du Studiolo en interrogeant la présence des peintures mythologiques en son sein. Rappelant le double usage de cet espace, à la fois privé (traditionnellement le Studiolo est un lieu de retraite destiné à l’étude17) et public (il s’agit également d’un espace consacré à la représentation, à l’expression de la culture et de la dignité du propriétaire18), il démontre que les peintures réconcilient ces deux aspects opposés du Studiolo. Les sept tableaux mythologiques jouent un rôle équivalent à celui des livres – à l’instar de la philosophie ou de la poésie, ils enseignent par le truchement de la fable – et participent parallèlement à la représentation de la culture humaniste et du statut social du commanditaire. Les œuvres servent ainsi de supports aux aspirations intellectuelles d’Isabelle d’Este tout en confirmant son appartenance à une aristocratie érudite.

7 Après avoir questionné le Studiolo dans son ensemble, Stephen Campbell procède à l’analyse de chaque tableau. Son approche repose avant tout sur un examen minutieux des images ce qui lui permet d’éviter l’écueil d’une lecture déterminée par la psychologie, souvent stéréotypée, du commanditaire. S’opposant aux lectures morales trop systématiquement dualistes des tableaux, il remarque, par exemple, que les présupposés relatifs aux implications idéologiques du mécénat d’Isabelle ont poussé certains historiens de l’art (Egon Verheyen, Wolfgang Liebenwein) à voir dans le tableau de Pérugin une Victoire de la Chasteté sur la Luxure – Isabelle, vertueuse, se trouvant nécessairement du côté de la chasteté19. Pourtant, aucun signe de victoire de la Chasteté n’est représenté : si d’un côté Minerve empoigne l’Amour aux yeux bandés annonçant pour certain sa victoire finale20, de l’autre Vénus brûle Diane (ou la Chasteté) de sa torche. Un équilibre s’installe dans l’opposition des forces. L’objet du tableau n’est donc pas la célébration d’une victoire mais la représentation d’un combat. Pérugin, suivant l’invention que lui a adressée Paride da Ceresara, prend d’ailleurs soin de n’apporter aucun indice quant à l’issue de la bataille. Le suspens induit par les mouvements figés des divinités figure alors, selon Stephen Campbell, les affres de la vie intérieure (psychomachia), le tiraillement de la pensée prise entre les sens et la raison, entre l’amour et la chasteté. Ce suspens invite le spectateur à rechercher, par lui- même, les moyens d’une résolution, à trouver, par sa propre expérience, une voie moyenne entre ces deux états émotionnels extrêmes.

8 Contrairement à la plupart de ses prédécesseurs (Edgar Wind, Egon Verheyen, Wolfgang Liebenwein), Stephen Campbell ne cherche pas à plier l’ensemble des éléments figuratifs à la vérité d’un programme ni chaque œuvre à la fixité d’une sentence ou d’un titre. Même lorsqu’une invention existe (dans le cas du Pérugin ou de Costa), les instructions écrites n’épuisent pas la richesse figurative de l’œuvre. Chaque peinture est composée de multiples actions et figures, fruits d’une réélaboration des sources, d’une réécriture des mythes, conjointement menées par l’artiste et les lettrés. Or, cette complexité impose la coexistence de plusieurs significations. Nier cette sédimentation du sens reviendrait, comme le souligne Stephen Campbell, à ignorer ce

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que représente la mythologie à la Renaissance : c’est en effet l’épaisseur sémantique du mythe, sa relativité, qui autorise l’utilisation de la fable à des fins pédagogiques.

9 En faisant valoir le caractère polysémique de ces nouvelles mythologies peintes, Stephen Campbell met également en évidence la place occupée par la peinture dans la culture aristocratique autour de 1500. Objet de réflexions, de commentaires poétiques ou de dialogues philosophiques, la peinture devient le support et le lieu d’une sociabilité courtisane.

10 Par ailleurs, dégagées d’une lecture univoque et programmatique, les œuvres ne sont pas simple- ment les artefacts pédants et strictement littéraires auxquels on a voulu les réduire21. Les peintures interrogent des thèmes variés touchant à la pratique artistique, à la place de la femme dans la société ou à l’actualité historique : la licence de l’artiste et le rapport art/nature dans les deux tableaux de Mantegna ; la lutte des femmes contre les violences physiques et morales qui leur sont infligées dans l’œuvre de Pérugin ; la promotion de la poésie lyrique incarnée par Sapho dans le Couronnement de Costa ; l’exercice de la philosophie (morale et naturelle) pour faire face aux calamités du temps (le sac de Rome notamment) dans les deux toiles de Corrège. Surtout, Stephen Campbell sort les peintures du registre sérieux dans lequel on les a systématiquement confinées pour révéler le ton tantôt ironique (Mantegna avec la représentation de l’adultère de Mars et Vénus), tantôt satyrique (Corrège questionnant le modèle antique), du traitement de certaines histoires.

11 En refusant une lecture dualiste et moralisante, Stephen Campbell parvient également à expliquer la présence récurrente de Vénus, Amour ou Bacchus sans passer par leur caractérisation négative. Ces figures, selon l’auteur, répondent à l’actualité d’un discours philosophique – notamment présent dans les écrits de Mario Equicola, Pietro Bembo, Niccolò da Correggio ou encore Paride da Ceresara22 – qui accorde au sensible, à l’amour et à la contemplation de la nature un rôle actif dans l’acquisition et la transmission du savoir. Dans le tableau de intitulé Le règne de Comus, Bacchus, Comus, Amour et Vénus sont ainsi rassemblés pour ériger métaphoriquement la courtoisie et la conversation amoureuse en principe vital pour la société de cour. Stephen Campbell parvient alors à la conclusion suivante : si les tableaux du Studiolo peuvent être réunis, c’est parce qu’ils questionnent tous, d’une manière ou d’une autre, la place de l’amour dans l’existence23. Par cette proposition, l’auteur bouleverse notre perception d’Isabelle d’Este et de son Studiolo. En effet, la représentation symbolique de la marquise de Mantoue ne peut plus coïncider avec l’image qui en est donnée traditionnellement : celle d’une femme attachée à ses devoirs domestiques, obnubilée par la chasteté et hermétique à l’expérience des sens. Désormais, Isabelle d’Este nous apparaît aussi sensible à la pensée stoïcienne qu’à certains courants philosophiques néo-platoniciens et néo-lucréciens.

12 Face à la pertinence de ces analyses, on regrettera que Stephen Campbell n’ait pas tiré davantage parti de certains aspects plastiques des œuvres. S’il souligne dans ses descriptions l’invention formelle de la danse des Muses dans le Mars et Vénus de Mantegna, ou encore les citations artistiques (Laocoon, Raphaël) opérées par Corrège – s’opposant de la sorte au jugement expéditif de Charles Hope sur l’importance relative de ces œuvres pour l’histoire des formes24 –, l’auteur n’exploite pas suffisamment l’étonnante répétition de certains dispositifs plastiques et les effets de sens qu’ils peuvent induire. On trouve dans la plupart des tableaux des espaces délimités par des compositions végétales ou minérales. Or, ces configurations spatiales, représentant un

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dehors et un dedans parcouru par des divinités, des héros ou des idées personnifiées, renvoient à la fois à l’espace physique dans lequel ces tableaux sont exposés, c’est-à- dire le Studiolo, et à l’espace abstrait de la pensée. L’examen de ces agencements aurait certainement permis à Stephen Campbell de faire valoir la richesse des solutions plastiques inventées par les artistes pour opérer cette double mise en abyme (du lieu et du commanditaire/spectateur).

13 Enfin, on peut déplorer que la remarquable qualité scientifique de l’ouvrage n’ait pas été servie par un meilleur travail éditorial, les coquilles et les erreurs de correspondance entre appels de figures et illustrations étant particulièrement nombreuses.

14 Les livres de Clifford M. Brown et Stephen Campbell apparaissent complémentaires. Mais force est de constater quelques inégalités dans l’achèvement de cette complémentarité. Ainsi, pour le Studiolo, l’enquête archéologique de Clifford M. Brown trouve opportunément une ré- solution dans les analyses contextualisées de Stephen Campbell – cette complémentarité se formalise d’ailleurs dans l’heureuse collaboration entre les deux chercheurs : Clifford M. Brown a réalisé en annexe du livre de Stephen Campbell un digest des documents se rapportant aux peintures25. En revanche, en ce qui concerne la Grotta, le texte de Clifford M. Brown consacré à la collection d’Isabelle (2002) semble incomplet. Il est vrai que l’auteur explique à plusieurs reprises que son ouvrage a pour fonction de devenir un outil pour d’autres chercheurs – la présentation exhaustive et astucieuse des documents répond effectivement à ce souhait –, mais cet opus devait également constituer l’un des deux volets d’une étude sur le mécénat d’Isabelle d’Este. Or, à l’exception des ré- flexions pertinentes sur la place des artistes dans la formation du goût d’Isabelle ou encore sur le rôle des intermédiaires dans le choix des objets achetés, le lecteur cherchera en vain une étude exhaustive de la question. La publication de l’inventaire de la Grotta à partir duquel Clifford M. Brown parvient à reconstituer l’apparence du lieu et la disposition des objets suscite le même constat. Hormis les remarques formulées dans la section Display and meaning26, Clifford M. Brown n’entreprend aucune véritable analyse de cette reconstitution. Il nous semble, pourtant, que la disposition proposée constitue une base sérieuse pour l’étude des principes esthétiques, scientifiques ou philosophiques qui ont gouverné la constitution et la présentation des collections27. Il est à espérer qu’une telle étude, plus analytique, soit prochainement entreprise car elle permettrait de comprendre en profondeur les motivations et les enjeux du collectionnisme à la Renaissance.

NOTES

1. Parmi les études marquantes, citons Egon Verheyen, The Paintings in the Studiolo of Isabella d’Este at Mantua, New York, 1971 ; Le Studiolo d’Isabelle d’Este, Sylvie Béguin éd., (cat. expo., Paris, musée du Louvre, 1975), Paris, 1975 ; Clifford M. Brown, Anna Maria Lorenzoni, « The Grotta of Isabella d’Este », dans Gazette des Beaux-Arts, 89, 1977, p. 155-171, 91, 1978, p. 72-82.

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2. Notamment dans Julius von Schlosser, Die Kunst- und Wunderkammern der Spätrenaissance : ein Beitrag zur Geschichte des Sammelwesens, Leipzig, 1908 et Adalgisa Lugli, Naturalia et Mirabilia. Les cabinets de curiosités en Europe, Paris, 1998, (Milan, 1983). 3. David S. Chambers, Patrons and Artists in the Italian Renaissance, Londres, 1971 ; Charles Hope, « Artists, patrons, and advisers in the italian Renaissance », dans Guy Fitch Lytle, Stephen Orgel éd., Patronage in the Renaissance, Princeton, 1981, p. 293-343. 4. Wendy Sheard, Antiquity and the Renaissance, Northampton, 1979 ; Phyllis Pray Bober, Ruth Rubinstein, Renaissance Artists and Antique Sculpture : A Handbook of Sources, Londres, 1986. 5. « Prima donna del mondo » : Isabella d’Este, Fürstin und Mäzenatin der Renaissance, Sylvia Ferino- Pagden éd. (cat. expo., Vienne, Kunsthistorisches Museum, 1994), Vienne, 1994 ; Lawrence Cynthia Miller éd., Women and art in early modern Europe patrons, collectors, and connoisseurs, University Park, 1997 ; Sheryl E. Reiss, David G. Wilkins éd., Beyond Isabella : Secular Women Patrons of Art in Renaissance Italy, (Sixteenth century essays & studies, 54), Kirkville, 2001. 6. Sur la vente de 1627, voir Alessandro Luzio, La Galleria dei Gonzaga venduta all’Inghilterra nel 1627-1628, Milan, 1913 ; Raffaella Morselli, Le collezioni Gonzaga. L’Elenco dei beni del 1626-1627, (Fonti, Repertori e Studi per la Storia di Mantova), Milan, 2000. 7. BROWN, 2002, p. 9. 8. Sur l’appartement du Castello, voir Clifford M. Brown, Vincenzo Cantarelli, « La torretta di San Nicolò del castello di San Giorgio a Mantova (circa 1395-1530). Fra ipotesi e certezze », dans Quaderni di Palazzo Te, n.s. 10, 2002, p. 78-91. Sur celui de la Corte Vecchia, voir Clifford M. Brown, « Frustre e strache nel fabricare. Isabella d’Este’s apartments in the Corte Vecchia of the Ducal Palace in Mantua », dans Cesare Mozzarelli, Robert Oresko, Leandro Ventura éd., La corte di Mantova nell’età di Andrea Mantegna (1450-1550), Rome, 1997, p. 295-336. Sur la Grotta, voir Brown, Lorenzoni, 1977-1978, cité n. 1. 9. Clifford M. Brown travaille depuis les années 1960 sur le palais ducal de Mantoue et le mécénat d’Isabelle d’Este. 10. Giuseppe Gerola, « Trasmigrazioni e vicende dei camerini di Isabella d’Este », dans Atti e memorie della R. Accademia Virgiliana di Mantova, n.s. 21, 1929, p. 253-290. 11. Le Studiolo et la Grotta, initialement placés dans le Castello, ont été reconstruits quasi à l’identique dans le nouvel appartement de la Corte Vecchia. 12. Les appartements d’Isabelle seront en grande partie préservés jusqu’à la mort de son petit fils le duc Guglielmo en 1587. Après cette date, les collections sont dispersées et les différents éléments décoratifs réemployés. 13. Clifford M. Brown consacre deux chapitres à cette question, 2005, p. 151-168. 14. Par exemple, les dossiers 13g : p. 139 ; 29b : p. 181 ; 67a : p. 298. 15. On consultera pour le Cupidon endormi de Michel Ange les dossiers 6, 22, 23 et 28. 16. Ce point était déjà développé dans Clifford M. Brown, La Grotta di Isabella d’Este, un simbolo di continuità dinastica per i duchi di Mantova, Mantoue, 1985. 17. Sur le Studiolo comme lieu d’étude, voir Wolfgang Liebenwein, Studiolo : Die Entstehung eines Raumtyps und seine Entwicklung bis um 1600, Berlin, 1977 ; Luciano Cheles. The Studiolo of Urbino. An Iconographic Investigation, Wiesbaden, 1986. 18. Cette fonction est particulièrement mise en avant par Dora Thornton, The Scholar in his Study : Ownership and Experience in Renaissance Italy, Cambridge/Londres, 1997. 19. Pour Stephen Campbell, il n’est pas possible de réduire les choix d’Isabelle d’Este à sa condition de femme. En cela il rejoint Rose Marie San Juan, « The court lady’s dilemma : Isabella d’Este and art collecting in the Renaissance », dans Paula Findlen éd., The Italian Renaissance, (Blackwell essential readings in history), Malden, 2002, p. 317-340. 20. Marie-Alice Debout dans Le Studiolo d’Isabelle d’Este, 1975, cité n. 1, p. 41-42.

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21. Paul Kristeller, Andrea Mantegna, Londres, 1901 ; Edgar Wind, Bellini’s Feast of the Gods, Cambridge/Londres, 1948 ; Hope, 1981, cité n. 3 ; Giovanni Romano, De Mantegna à Raphaël, vers le portrait moderne, (Turin, 1981), Paris, 1996. 22. On consultera également sur ce point le travail inaugural d’Alessandro Luzio et Rodolfo Renier récemment réédité, La coltura e le relazioni letterarie di Isabella d’Este Gonzaga, (Giornale Storico della Letteratura Italiana,1899-1903), Milan, 2006. 23. Pour S. Campbell, cet intérêt d’Isabelle d’Este pour l’Amour transparaît également dans la présence de plusieurs Eros sculptés au sein de la Grotta. 24. Hope, 1981, cité n. 3. 25. Clifford M. Brown, « Digest of the Correspondance Concerning the Paintings Commissioned for the Studiolo in the Castello (1496-1515) », dans CAMPBELL, 2006, p. 280-301. 26. BROWN, 2002, p. 321-328. L’inventaire a d’abord été publié par BROWN, 1985, cité n. 16. 27. Les travaux de Patricia Falguières ont montré la fécondité de ce type d’enquête : Patricia Falguières, Les chambres des merveilles, Paris, 2003. Concernant la France, signalons la thèse de Delphine Trebosc, Confronter l’art : les collections de raretés de la Renaissance française (Paris I- Panthéon-Sorbonne, 2004).

INDEX

Mots-clés : littérature critique, collection, Studiolo, Grotta, peinture, objet, usage, commanditaire, mécénat, collectionnisme Keywords : critical literature, collection, Studiolo, Grotta, painting, object, use, sponsor, patroning, collecting Index géographique : Mantoue Index chronologique : 1400, 1500

AUTEURS

JÉRÉMIE KOERING Paris I-Panthéon-Sorbonne, [email protected] Fr

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Artistes italiens à Fontainebleau. Expositions récentes

Carmelo Occhipinti

RÉFÉRENCE

- CORDELLIER, 2004 : Dominique Cordellier, Bernadette Py éd., Primatice. Maître de Fontainebleau, (cat. expo., Paris, musée du Louvre, 2004-2005), Paris, éditions de la RMN, 2004. 527 p., nombreuses ill. en coul. et n. et b. ISBN : 2-7118-4772-1 ; 60 €. - BÉGUIN, PICCININI, 2005 : Sylvie Beguin, Francesca Piccinini éd., Nicolò dell’Abate. Storie dipinte nella pittura del Cinquecento tra e Fontainebleau, (cat. expo., Modène, Foro Boario, Silvana Editoriale, 2005), Milan, 2005. 551 p., nombreuses ill. en coul. et n/b. ISBN : 88-8215-856-X ; 45 €.

1 Depuis l’exposition mémorable L’École de Fontainebleau au Grand Palais (1972), aucune manifestation culturelle n’a recueilli les faveurs du public et l’enthousiasme des seiziémistes français comme celle de 2005. Le Louvre a cette année-là consacré une exposition exceptionnelle à l’artiste bolonais Francesco Primatice (1504-1570) qui, durant une quarantaine d’année, fut à la fois l’auteur de nouveaux programmes décoratifs au château de Fontainebleau et à l’origine de grandes transformations dans la vie de cours et ses usages. Une autre exposition remarquable sur Nicolò dell’Abate a présenté la production de ce peintre de Modène (1509-1571) d’un point de vue essentiellement stylistique. Le peintre, après une formation en province, eut la chance d’être appelé à la cour de France en 1552 aux côtés de Primatice. Les catalogues respectifs de ces deux expositions, dont les intentions sont très différentes, ouvrent d’importantes perspectives de recherche.

2 L’exposition du Louvre offrait une vue d’ensemble particulièrement réussie des décorations perdues de Fontainebleau par le biais d’une présentation (à la fois chronologique et topographique) de très beaux dessins préparatoires souvent comparés aux gravures correspondantes qui en dévoilaient les inventions. Cela permettra probablement à l’avenir de parcourir l’évolution iconographique issue des importants

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développements de la littérature mythologique, mais aussi celle des différents genres de l’illustration imprimée (en tenant compte de l’existence d’un marché international qui était en train de redessiner la géographie artistique de l’Europe du XVIe siècle autour de Fontainebleau).

3 Dominique Cordellier, en attirant l’attention sur les témoignages contemporains, donne finalement la possibilité de suivre l’activité artistique à l’intérieur de la culture de cour. Il s’intéresse dans un premier temps à Vasari qui connut personnellement Primatice dont il reçut quelques dessins et fut une source directe d’informations pour la rédaction de sa biographie. Les Vies, rédigées en 1568, s’intégraient, comme chacun sait, dans l’optique du mécénat de cour au moment où la primauté de l’individualité des artistes cédait la place à celle du prince mécène et aux exigences de la célébration allégorique, alors que la grandeur de Rome devenait le refuge de la petitesse du présent. On se souvient pourtant des inoubliables Precisazioni sul Primaticcio de Paola Barocchi (1951) qui invitent aujourd’hui encore à méditer sur le mo- ment historique dans lequel œuvra cet « artiste réceptif et élégamment médiocre », doté d’une « veine décadente » très féconde dans un contexte culturel qui recherchait l’« étourdissement du spectateur », et où tous les éléments de la culture tendaient à célébrer la principauté au sein d’une cour féodale assoiffée de modes, de nouveautés et de surprises1. Il me semble que les études pourront considérablement avancer dans cette direction durant les prochaines années ; le catalogue du Louvre en constitue le meilleur point de départ, ne serait-ce que par la recherche bibliographique qui prend en compte les sources de l’époque : lettres d’ambassadeurs, descriptions d’entrées triompha- les, contrats avec les artistes.

4 L’Autoportrait du peintre des Offices retient l’attention (cat. 1) dès le début du parcours. S’il s’agit vraiment d’une œuvre autographe de Primatice, elle est la plus ancienne que l’on connaisse à ce jour : la preuve de ses débuts en Emilie-Romagne auprès du Parmesan, reniés ensuite durant les premières années françaises sous l’effet d’une culture de cour qui ne demandait rien d’autre à l’artiste que de devenir le nouveau . En effet, il faut se projeter vingt ans plus tôt, lorsque Primatice vivait entre Venise et Mantoue, et se souvenir de cette peinture grumeleuse et grasse appliquée d’un geste faussement désinvolte pour le col blanc de la chemise, et de l’absence de contour linéaire : éléments témoignant de la maturité acquise par rapport à Raphaël dont l’œuvre est désormais vue à travers les yeux du Parmesan qui n’avait précisément d’autre ambition que de devenir le nouveau Raphaël. Ce « raphaëlisme » provincial, qui distinguait encore les maîtres de Primatice, semble complètement dépassé, au moins en ce qui concerne ceux que Malvasia désignait comme tels : Bagnacavallo pour le coloris et Innocenzo da Imola pour le dessin.

5 En France, dès 1532, Primatice devint justement celui qui divulgua les inventions de Giulio Romano : comme celle, destinée à avoir un vif succès au sein de l’école de Fontainebleau et dont témoigne le dessin anonyme représentant le Char du Soleil et de la Lune du Louvre (cat. 2), qui vise à produire de plaisants effets au moyen d’une ligne aux contours nets ne cherchant pas à donner l’illusion du volume, pas même dans les rehauts de blanc dont le pigment est utilisé comme s’il s’agissait de poudre de riz, et à orner la composition de détails antiquisants. À partir de ce moment, il fallait favoriser les ambitions érudites du public français tout en satisfaisant leurs habitudes de perception encore naïves à l’époque.

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6 éclairés par des témoignages écrits, les dessins permettent d’imaginer l’atmosphère du château que Primatice, tout en dirigeant un atelier concurrent à celui de Rosso Fiorentino, dut rénover durant les années 1530. Il commença par les Chambres du roi et de la reine aujourd’hui disparues (cat. 9 et 11). Il me semble qu’à ce point, certaines questions d’ordre théorique et linguistique mériteraient d’être plus amplement considérées dans le futur : la frise de la Chambre du roi, parcourant les quatre murs de la pièce, était composée d’une alternance de tableaux en trompe-l’œil et de ronde-bosse en stuc produisant d’infinies possibilités de mises en rapport entre techniques et matériaux différents ; les inscriptions originales sur les feuillets (« ce cadre est celui qui soutient le ciel de la chambre », « ce cadre en bois soutient le plafond de la chambre », « ces caryatides en stuc de relief moyen et de taille réelle sont au nombre de quatre par façade ») faisaient référence aux transitions de chaque partie qui fonctionnaient sur un jeu de contraste entre l’efficacité visuelle des histoires peintes et la variété des points de vue des figures en stuc que le visiteur pouvait toucher2. Toute cette richesse décorative demeura probablement présente à l’esprit de Cellini lorsqu’il réalisa la base de son Persée. Toujours est-il que lorsqu’il rentra de France, il fut immédiatement intéressé par la problématique du parallèle entre les différents arts (paragone), notamment ce qui concernait les spécificités du colosse, et l’importance du rapport entretenu entre les techniques.

7 L’incidence de ces questions était manifeste sur les parois de la galerie François Ier. Pour les évoquer dans l’exposition, le choix s’est porté sur l’une des six célèbres tapisseries réalisées dans les années 1540 et conservées à Vienne (cat. 14). Ces dernières sont bien plus que des copies des différents registres de la galerie, ce sont des interprétations conscientes dont les étoffes exaltent la variété chromatique des matériaux utilisés, comme la dorure, les stucs, les boiseries du plafond, les festons de fruits, les canards représentés en plein vol, ou encore les putti qui jouent avec les figures en stucs autour du tableau ovale en trompe-l’œil où se détache une Danaé monumentale. Cette figure mythologique dénote un certain formalisme à la Michel-Ange dont Primatice prit probablement connaissance par l’intermédiaire de gravures ; Danaé est étendue sur des coussins aux tissus infiniment variés qui rappellent l’attention quasi maniaque portée par les chroniqueurs de l’époque à la préciosité des matériaux, aux objets luxueux, petits et grands… Nous devrions plutôt nous demander pourquoi l’ambassadeur de Mantoue, en visite au château en 1540, n’approuva pas la grande variété des choix de Rosso dans cet espace trop étroit et la « laideur » des peintures (trop excentriques ? de trop mauvais goût ?), alors que les stucs du Bolonais s’imposaient par leur grâce : les cariatides représentaient ce que l’artiste pouvait faire de plus émilien. Il semble évident que la culture antique et la réflexion sur la forme de l’allégorie imposaient un dialogue inédit entre les techniques que les frontières disciplinaires actuel- les ne permettent pas d’apprécier.

8 La Sainte famille de l’Ermitage (cat. 21) était particulièrement mise en valeur dans l’exposition. Depuis qu’elle fut attribuée par Giuliano Briganti, elle nous permet de voir comment Primatice peignait dans sa manière la moins officielle durant les années 1540 : une peinture régionale nostalgique dont les idées formelles rappelaient Michel- Ange par la torsion des corps à la plastique dissoute dans un accord de couleurs et de matières. Ces enfants grassouillets évoquant Bertoia renvoient aux putti dessinés durant ces mêmes années (cat. 93 et 95 : à la manière de Parmesan) ou bien des peintures (cat. 122 : le beau fragment de La Forge de Vulcain sur lequel D. Cordellier a

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le mérite d’attirer l’attention en affirmant qu’il s’agit probablement de l’œuvre originale qui décorait la cheminée du Cabinet du roi, connu par un dessin célèbre). Durant ces années-là, Cellini reprochait au peintre ces « expédients à la lombarde » et sa prétention à se considérer comme un interprète de l’antiquité classique.

9 Regarder vers la Rome antique était la direction que François Ier voulait suivre en s’adressant au peintre-sculpteur émilien, dans le but de faire de Fontainebleau la capitale artistique de la France. Au début des années 1540, les témoins de la vie de cour étaient véritablement ébahis quand ils voyaient des habits de carnaval dont la poitrine accueillait des représentations de ruines antiques dont la devise était la suivante : « Roma qualis fuit, ipsa ruina docet », ou pourvus de dispositifs mécaniques internes qui faisaient l’effet de statues antiques en mouvement ramenées à la vie par la couleur et la voix. En suivant les indications des ambassadeurs de Ferrare, D. Cordellier a retrouvé les dessins des masques les plus admirés dont l’idée prime sur la qualité de réalisation. Le plus remarquable est celui du Getty (cat. 28) qui témoigne de l’invention de Primatice lorsqu’il réalisa ce projet de costume pour le roi en 15423.

10 Malgré l’engouement romanisant courant à l’époque, Primatice se mit à la recherche d’un monde poétique qui lui était propre. Dans le groupe de dessins pour la Chambre de la duchesse d’étampes (cat. 94-104) il nous semble possible de retrouver, en 1541-1544, la même main que dans le tableau de l’Ermitage : le plasticien désormais désinvolte amincit et allège les figures dans une ligne sinueuse rappelant Parmesan ; les proportions se perdent, les membres commencent à se désarticuler, l’exécution devient rapide. Le dessin de la Fête masquée de Persépolis (cat. 103) laisse supposer que les orangés et les rouges durent être éclatants en peinture pour ce tableau placé au-dessus d’une cheminée, comme pour la Forge de Vulcain déjà mentionnée avec ses putti aux visages enflammés par la chaleur des braises. La scène représente le moment festif qui précéda le désastre dont la villa la plus fastueuse de Perse fut victime. La perspective est rigoureuse et l’espace parcouru par des figures ressemblant à des langues de feu. Il est possible qu’Ippolito d’Este se soit souvenu de cette fresque perdue quand, pendant les heures d’oisiveté à Tivoli, Ligorio lui narrait l’incendie de Persépolis qui détruisit le palais construit en bois de cèdre4.

11 C’était le début de la gigantesque entreprise qui occupa le maître jusqu’en 1570 : les fresques de la Galerie d’Ulysse (cat. 137-189). Nicolò dell’Abate participa à leur réalisation dès 1552 avant de décorer la Salle de bal (1553-1556, cat. 215-224). Les dessins préparatoires, qui dès lors seront toujours plus profonds et fusionneront dans la peinture, révèlent un Primatice dont la maturité à interpréter la « manière moderne » s’accentue à mesure que les années passent, comme l’a décrit Vasari. Cette modernité est une nouvelle fois présente dans les dessins de la voûte de la chapelle de l’Hôtel de Guise (1556) : la maîtrise technique des décors est particulièrement surprenante. Nous comprenons mieux ce que Vasari entendait lors- que, faisant référence à ces inventions réalisées par Nicolò dell’Abate, il parlait de « fusion » : l’union admirable de la composition de chaque partie impliquait une perte de cohésion formelle, comme l’atteste l’usage de la sanguine si granuleuse ainsi que les traits ostensiblement répétés probablement en souvenir du Jugement dernier de Michel-Ange, une œuvre « dont la peinture est si unifiée et maîtrisée qu’elle paraît avoir été faite en un jour » (Vasari).

12 L’exposition sur Nicolò dell’Abate présentait en revanche un « contexte élargi » aux contemporains dont la présence suscita d’ailleurs l’intérêt des spécialistes ces dernières années : Benvenuto Tisi dit Garofalo, Dosso et Battista Dossi, Giacomo Bertucci dit

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Jacopone da Faenza, Herri, met de Bles, Filippo da Verona, Pellegrino Munari, Gian Gherardo dalle Catene, Giulio et Giovanni Taraschi, , Albert Dürer, Luca de Lyde, Lorenzo Leonbruno, Giacomo Mocetto, Marcantonio Raimondi, Gaspare et Francesco Pagani, Corrège et Parmesan, pour ne citer qu’une infime partie des artistes représentés dans l’exposition.

13 Pour resituer les limites géographiques et historiques, je crois qu’il est utile de revenir sur la synthèse suggérée par Luigi Lanzi dans la Storia pittorica della Italia5 (qui prenait en compte toute la tradition historiographique locale, de Vedriani à Tiraboschi en passant par Scannelli) au sujet de la soi-disant seconde époque de l’école de Modène lorsqu’au « XVIe siècle, on imite Raphaël et Corrège ». Une partie de la critique se fondait sur les caractéristiques suivantes : en premier lieu, la vision du style de Nicolò dell’Abate que l’on peut qualifier de « mixte », à la fois dépendante de sa formation lombarde et de l’assimilation progressive de l’école romaine, vision adoptée par différents auteurs. Vasari d’abord, qui en 1568 situe explicitement Nicolò dell’Abate parmi les « Lombards », ces peintres « sans dessin » du milieu padouan et ferrarais, très éloignés de la manière « terrible » des suiveurs de Raphaël ; Scannelli ensuite, qui en 1657 le présente parmi les « excellents Lombards » ; Malvasia enfin, qui en 1678 exhumait fièrement le sonnet d’Agostino Carracci dans lequel l’éclectisme de Nicolò dell’Abate s’institutionnalisait : il était capable d’unir « le dessin de Rome », « le clair- obscur vénitien » et « la digne luminosité coloriste lombarde ». Roberto Longhi, fidèle à cette tradition critique par écoles établie grâce à Lanzi, qualifiait ainsi les débuts du peintre dans les toiles de Modène attribuées aujourd’hui à Gian Gherardo delle Catene (cat. 15-16) et conçues au cours des années 1520 dans une ville marquée par l’empreinte de en même temps qu’exposée aux nouveaux apports du raphaëlisme.

14 L’autre acquisition tient au lien entre Nicolò dell’Abate et le grand sculpteur Antonio Begarelli, qui émergent tous deux d’un milieu émilien au raphaëlisme provincial, et qui sont tous deux capables de dialoguer avec les courants italiens, romain et lombard en particulier, grâce à leur référence commune au Corrège6. Il faut cependant reconnaître que la partie de l’exposition la plus réussie était celle consacrée à Begarelli. Elle s’appuie sur le travail de réflexion engagé par Massimo Ferretti dont les textes eurent le grand mérite de rouvrir les frontières entre l’histoire de la sculpture et celle de la peinture, frontières qui restaient par ailleurs fermées à Fontainebleau et à Paris au XVIe siècle7. C’est dans ce contexte qu’émerge le petit panneau Saint Placide qui accueille sous la chape les nonnes bénédictines de Sainte-Euphémie de la galerie Estense (cat. 120).

15 Les fragments de fresques provenant de la frise des Beccherie de Modène nous conduisent déjà à la fin des années 1540, lorsque Nicolò dell’Abate s’orientait, en particulier dans le Concert (cat. 27c-d), vers une peinture répondant aux codes mondains de la cour des Este et suivant les préceptes établis par Dosso Dossi dans le rendu chromatique. Les bas-reliefs en trompe-l’œil de tradition romaine nous permettent d’imaginer les frises perdues de Dosso Dossi au château de Ferrare, très admirées plus tard par Serlio, alors que les putti vendangeant dont on trouve le modèle dans les gravures de l’époque prouvent que les artistes étaient disposés à prendre en compte les données de la culture romaine dans leurs inventions figuratives.

16 Entre-temps, au terme de l’année 1540, Nicolò dell’Abate, saisi par la vision de la voûte de la Steccata, achevait la Crucifixion (cat. 34) et la Madone au Christ trônant entourée de saints (cat. 32), dont le rendu craquelé est purement pictural et s’oppose au tableau

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d’autel tout proche peint par Francesco Salviati (cat. 31) qui, pour sa part, traduit Parmesan en termes toscans par un surcroit d’élégance. Mais on peut penser que le voisinage d’un chef-d’œuvre du Corrège tel que le Repos durant la fuite en Égypte, conservé aux Offices (cat. 39), des dessins magnifiques du même artiste (cat. 41), d’œuvres de Mazzola Bedoli (cat. 43-46) ou encore de Pordenone (cat. 49), comme ce Dieu le Père porté par des anges réalisé vers 1530-1532 qui est un hommage stupéfiant au Corrège, risque de rabaisser quelque peu le pauvre Nicolò dell’Abate, incapable d’atteindre ces sommets. L’aboutissement le plus intéressant qui est aussi le moment où l’art lombard, conscient de lui-même, se remplit d’orgueil, culmine cependant avec la réalisation du Martyre des saints Pierre et Paul, achevé en 1547 pour l’église Saint- Pierre de Modène aujourd’hui perdu et connu grâce aux dessins préparatoires à la sanguine du Louvre (cat. 85).

17 Au début des années 1540, la poésie de Nicolò dell’Abate éclatait dans les fresques de la Rocca Boiardo di Scandiano (cat. 51-54, 62-63, 69). Le peintre y déployait en effet ses dons personnels d’illustrateur ; il est à la recherche d’une syntonie avec les romans de chevalerie que l’on décèle dans le rendu des costumes contemporains du Concert de format octogonal conservé désormais dans la galerie Estense ; dans les lunettes, nous sommes plongés dans une atmosphère émilienne antiromaine, que ce soit dans les tons fondus ou les lueurs jaunâtres du ciel8.

18 En 1545, il peignait à fresque les scènes de l’histoire romaine dans la Salle du Feu du Palais communal de Modène (cat. 83) dont l’auteur du programme n’était autre que l’académicien Ludovico Castelvetro. Ce thème confrontait l’illustrateur aux grands programmes décoratifs des successeurs de Raphaël. Nicolò dell’Abate n’était pourtant jamais allé à Rome et son expérience provinciale ne lui permettait pas de répondre à l’exigence documentaire de la scène. Dès lors, il ne lui restait que la possibilité de viser une dimension suggestive rapide, une qualité picturale toute émilienne dans sa gamme chromatique, dans la clarté du coucher de soleil derrière la ville médiévale de Modène et sur laquelle les masses obscures des arbres surgissent. Nous pourrions en dire autant des Travaux d’Hercule peints à fresque peu de temps avant la Rocca Meli Lupi di Soragna (cat. 70-77), où le misérable accent romain du peintre s’abaissait à utiliser les gravures d’Agostino Veneziano et de Jacopo Caraglio dans un traitement caricatural des anatomies de Michel-Ange, seuls les ciels incendiés de jaune conférant à l’ensemble une atmosphère irréelle.

19 Certaines pages de Ludovico Castelvetro (Modène 1505-vers 1571), oubliées dans le catalogue, auraient pu immerger l’interprète d’aujourd’hui dans l’actualité des discussions sur la représentation figurative à l’époque. Je fais référence à la Poetica d’Aristotele volgarizzata (Vienne, 1570) où il est question des problèmes concernant l’imitation de la nature et où se trouve théorisée la différence entre histoire et poésie, c’est-à-dire entre le vrai et le vraisemblable, entre la tragédie et la fable. Et c’est ici que, contre le classicisme idéalisant de Perino del Vaga qui se fondait sur l’étude des statues classiques et non sur le vrai de la nature, Castelvetro affirmait sa propre inclinaison pour le réalisme : « L’art de peindre ne consiste pas à faire une figure belle en tout point, ou laide en tout point, mais à la faire semblable à la vérité, à la nature, à la vie […] qu’elle soit belle ou laide ou entre les deux9 9 ». Cette affirmation est en parfait accord avec une certaine tradition émilienne empreinte d’un classicisme naturaliste. C’est dans le Buste de Carlo Sigonio façonné par Begarelli (cat. 145) que nous pouvons trouver une idée de ce que pouvait vouloir dire Castelvetro sur l’imitation de la nature,

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tout comme Nicolò dell’Abatelors qu’il tentait dans ses portraits de donner « les signes distinctifs d’une condition sociale faisant en sorte que le portrait devienne un document » (cat. 148), pour reprendre les mots de Vera Fortunati10. C’est durant sa période bolonaise, entre 1549 et 1552, que Nicolò dell’Abate devint un très original interprète de Parmesan. Nous sommes sous le règne de Jules III, et le classicisme romain frappait à la porte des peintres de toute l’Italie : c’est ainsi que les gravures des fresques de la chapelle Sixtine ramènent Nicolò dell’Abate vers l’interprétation formaliste de Michel-Ange dans les Histoires de Roland furieux du palais Torfanini (cat. 109) où les nus deviennent jaunes tout comme le ciel et les dorures, dans un chatoiement poétique. Pour le peintre, c’est le moment de se consacrer aux décors allégoriques des apparats éphémères, comme en témoignent d’intéressants dessins que l’on attribue à des artistes proches de Vasari. Dans l’un d’entre eux, conservé au Louvre (p. 120), l’historien Malvasia appréciait l’alliance de la grâce de Raphaël et de la vivacité de Parmesan.

20 En effet, lorsqu’il se libérait des contraintes culturelles, des souvenirs de Marcantonio et de Michel-Ange, Nicolò dell’Abate retournait à une expression toute émilienne de sa personnalité. L’esquisse du Concert des Offices (cat. 115) en est un bel exemple, il s’agit de l’un de ses plus fascinants dessins, qui peut être mis en rapport avec les fresques du palais Poggi. On y trouve un art d’une modernité toute émilienne que Primatice aurait voulu transmettre à la cour d’Henri II où le souvenir de la glorieuse tradition féodale régnait toujours et où l’on préférait tournois et jeux de cartes. En ce qui concerne la période française, la valorisation de Nicolò dell’Abate en tirera profit surtout par la connaissance de la vie de cour de l’époque grâce au témoignage de ces ambassadeurs étrangers qui s’appliquèrent à décrire la vie et l’art, et qui pourront suggérer à l’historien, mais aussi à un public plus vaste, un angle d’approche stimulant.

NOTES

1. Paola Barocchi, « Precisazioni sul Primaticcio », dans Commentarii, II, 1951, p. 203-223. 2. En 1540, le roi invita l’ambassadeur d’Angleterre à monter sur un tabouret pour toucher les figures. 3. Carmelo Occhipinti, « Un disegno del Primaticcio : la maschera di Francesco I per il carnevale di Parigi del 1542 », dans Studi di storia dell’arte in onore di Sylvie Béguin, Naples, 2001, p. 239-248. 4. Voir surtout le texte de Curzio Rufo qui fut publié en français à Paris, en 1534, 1540 et 1555. Je renvoie à mon édition numérique de Ligorio, consultable sur le site Internet de l’École normale de Pise (www.sns.it). 5. Luigi Lanzi, Storia pittorica della Italia, Bassano, 1795. 6. Carlo Cesare Malvasia, Felsina pittrice, Bologne, 1678, I, p. 127. Malvasia, sur les traces de Vedriani, y fait déjà référence : « Tout comme un certain Begarelli fut un divin sculpteur, Nicolò dell’Abate fut très célèbre dans la peinture et vénéré lui aussi dans cet art » [« siccome il detto Begarelli fu un miracolo nella scoltura, così Nicolò dell’Abate fu celeberrimo nella pittura, e un miracolo ancor egli in quest’arte »].

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7. Voir surtout l’article de Massimo Ferretti, « Ai margini di Dosso (tre altari in San Pietro a Modena) », dans Ricerche di storia dell’arte, 17, 1982, p. 57-75. 8. Les citations de gravures ou d’illustrations de l’Énéide, mises en évidence dans l’exposition, dénotent un manque d’originalité dans l’invention qui, se fiant à des illustrations déjà existantes, se concédait toutefois quelques effets chromatiques personnels et quelque peu bizarres. 9. « L’arte del dipingere non consiste in fare una figura in sommo grado bella, o in sommo grado brutta, ma in farla simile al vero et al vivo et al naturale […] o bello o bruto o mezzano che si sia », dans Paola Barocchi, Scritti d’arte del Cinquecento, II, Milan/Naples, 1973, p. 1578-1582. 10. « I segni distintivi di una condizione sociale rendendo il ritratto un documento ».

INDEX

Keywords : school of Fontainebleau, decor, court, patroning, paragone, materials, ancient culture, fresco Mots-clés : école de Fontainebleau, décor, cour, mécénat, paragone, matériaux, culture antique, fresque Index géographique : France, Italie Index chronologique : 1500

AUTEURS

CARMELO OCCHIPINTI École normale supérieure de Pise, [email protected]

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Pratiques spirituelles et images au tournant des XVIe et XVIIe siècles

Frédéric Cousinié

RÉFÉRENCE

- DEKONINCK, 2005 : Ralph Dekoninck, ‘Ad Imaginem’. Statuts, fonctions et usages de l’image dans la littérature spirituelle jésuite du xviie siècle, Genève, Droz, 2005. 423 p., 53 ill., index. ISBN : 2-600-01048-3 ; 96 €. - MELLION, 2003 : Walter S. Mellion, Introduction à Jérôme Nadal, Adnotationes et meditationes in Evangelia, vol. 1, traduit par F. A. Homann, Philadelphie, Saint Joseph’s University Press, 2003. 198 p., 25 ill., CD-ROM. ISBN : 0-916101-41-X ; 39.95 $. - SALVIUCCI INSOLERA, 2004 : Lydia Salviucci Insolera : L’imagi primi saeculi (1640) et il significato dell’immagine allegorica nella compagnia di Gesù. Genesi e fortuna del libro, Rome, Editrice Pontificia Università Gregoriana, 2004. 346 p., 87 p. de pl., ill. en coul et n. et b. ISBN : 8876529934 ; 45,47 €.

1 « Les Exercices Spirituels sont-ils illustrables ? »1. Telle était la question que se posait il y a quelques années Pierre-Antoine Fabre après avoir publié un ouvrage, remarqué, sur Ignace de Loyola et « le problème de la composition du lieu dans les pratiques spirituelles et artistiques jésuites de la seconde moitié du XVIe siècle » 2. La question n’était pas sans ironie ni provocation, y compris à l’égard de l’auteur (une thèse ne suffisait donc pas pour répondre à une telle question), qui entendait ainsi indirectement dénoncer une histoire de l’art quelque peu paresseuse faisant de Loyola le chantre de l’iconophilie post-tridentine et des Exercices (1548) une clé de lecture permettant « d’expliquer » à bon compte l’iconographie religieuse de la période moderne. Dans cette étude, et dans les publications qui suivirent, P.-A. Fabre s’est au contraire attaché à démontrer les réticences extrêmes de Loyola quant à l’image et à ses usages ou, pour le moins, le caractère agonistique que prend l’image dans la pensée du saint espagnol et de nombre de ses successeurs. Et de fait, même si la fameuse « composition du lieu » ou la non moins célèbre « application des sens » paraissaient

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presque « naturellement » susciter ou faire écho à une représentation visuelle, les Exercices ne donnèrent pas lieu à une version illustrée avant le milieu du XVIIe siècle3, tandis que les ouvrages issus du modèle ignatien de méditation n’intégrèrent pas sans difficultés l’image gravée. En témoignent l’échec des Méditations de François Borgia entreprises dans les années 1560 mais qui ne paraîtront qu’au XVIIe siècle et sans les illustrations qui devaient les accompagner, ou encore les aléas éditoriaux et « l’aversion » croissante à l’égard des images de l’auteur des Adnotationes et meditationes in Evangelia (1593-1594), Jérôme Nadal. Cet ouvrage qui associait pour la première fois de façon systématique illustrations et méditations ne sera d’ailleurs édité qu’après la disparition de leur principal et infortuné maître d’œuvre.

2 En consacrant une part centrale à ce dernier ouvrage dans sa thèse, P.-A. Fabre contribuait à déplacer l’attention des chercheurs non seulement vers un médium bien souvent méprisé (la gravure d’illustration) mais vers un tout autre espace géographique déterminant pour l’art et la spiritualité moderne : non plus l’Espagne des grands mystiques du XVIe siècle ou la Rome de la Contre-Réforme triomphale mais les Pays-Bas catholiques. Anvers fut en effet avant tout un laboratoire où s’élaborèrent les structures et les modèles éditoriaux (Plantin-Moretus, la gravure flamande, le livre illustré) qui furent mis au service de la Réforme catholique européenne. Si l’histoire de l’art a permis de mieux connaître les principaux graveurs nordiques (l’entreprise monumentale The New Hollstein Dutch and Flemish Etchings, Engravings and Woodcuts, les travaux de Marie Mauquoy-Hendrickx sur les Wierix), la littérature spirituelle illustrée n’était guère connue sinon par des études éparses et isolées. L’ouvrage de Manuel Insolera et de Lydia Salviucci Insolera sur La Spiritualité en images aux Pays-Bas méridionaux dans les livres imprimés des XVIe et XVIIe siècles (Louvain, 1996), signalait déjà aux chercheurs l’importance du corpus et ses fondements médiévaux (la mystique flamande médiévale, la devotio moderna du début de l’époque moderne), mais restait à explorer plus en détail l’âge d’or de cette production : le tournant des XVIe-XVIIe siècles et les premières décennies du XVIIe siècle.

3 C’est à cette entreprise que s’est attaché Walter S. Melion. Bien connu pour ses travaux sur Karel van Mander4, l’universitaire américain a consacré ces dernières années de nombreuses publications à Nadal et, en dernier lieu, a livré une importante introduction à l’édition en langue anglaise du premier volume des Adnotationes et meditationes in Evangelia. En analysant minutieusement certaines méditations, l’auteur a contribué à reconstruire le mode d’appréhension de cette œuvre tel qu’il est idéalement élaboré par le « protocole de lecture » qu’engage le dispositif iconique et textuel particulier de l’ouvrage : décomposition et recomposition en une unité supérieure des différents éléments des scènes représentées, parcours visuel contraint au sein de l’image, sémantisation des indications iconiques et narratives offertes par l’image et le récit biblique, intériorisation mentale ou projection de l’esprit de l’usager au sein de l’image, « conformation » intérieure au modèle christique, etc.

4 Un demi-siècle plus tard, l’entreprise éditoriale et artistique jésuite trouvait son accomplissement dans l’impression somptueuse de l’Imago primi Saeculi Societatis Iesus édité en 1640, à nouveau à An- vers, à l’occasion du premier centenaire de l’ordre grâce aux efforts collectifs des jésuites du collège anversois de la « Provincia Flandro-Belgica ». Ce monument de l’édition moderne a donné lieu à une étude désormais de référence menée par Lydia Salviucci Insolera, à la suite notamment des analyses de G. Richard Dimler et de Marc Fumaroli. Sommet de l’art de l’emblème et de l’impresa, l’ouvrage

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établit un parallèle, quelque peu abusif, entre l’histoire de l’ordre et la Vie du Christ où se rejoue, à un niveau cette fois collectif et institutionnel, le scénario bien connu de l’ imitatio Christi proposé à tout bon chrétien. Par là, il s’agissait de fonder et de légitimer l’exaltation hyperbolique des succès et de la gloire universelle de l’ordre dans un contexte triomphaliste (canonisation acquise des principaux fondateurs de l’ordre, succès des missions et des entreprises de conversion) mais aussi critique (conflit naissant avec le jansénisme). L’étude proposée, outre son apport historique sur l’origine et les auteurs supputés de l’entreprise éditoriale, permet de préciser la place accordée à l’image allégorique, de dégager les thèmes majeurs traités par les imprese dans leur triple vocation ici moins strictement méditative qu’apologétique, didactique et morale et de mieux saisir ce que l’ouvrage, dont les gravures sont anonymes, doit aux milieux artistiques anversois et aux entreprises emblématiques antérieures ou contemporaines.

5 C’est précisément entre ces deux événements, l’un inaugural et l’autre en partie conclusif, de l’édition jésuite anversoise que se situe le travail de Ralph Dekoninck : ‘Ad Imaginem’. Statuts, fonctions et usages de l’image dans la littérature spirituelle jésuite du XVIIe siècle. L’apport de cette longue et attendue étude, dont on ne saurait résumer ici toute la richesse, réside avant tout dans l’analyse d’un corpus élargi cette fois à l’ensemble des ouvrages illustrés de spiritualité issus des milieux jésuites actifs dans les Pays-Bas espagnols de la première moitié du siècle. Si les Exercices spirituels ne pouvaient susciter sans difficultés ni contradictions des « illustrations », les multiples occurrences de l’image gravée au sein de ce type d’ouvrages paraissent en tout cas démontrer le succès des courants jésuites les plus favorables à une interprétation que l’on dira « pragmatique » de la pensée du fondateur. Contre les tendances anti- iconiques, ascétiques et « spirituelles » que privilégiaient certains des premiers exégètes des Exercices (Achille Gagliardi), sont en effet revalorisés la place des sens, de l’imagination et des images aussi bien mentales (intérieures) que matérielles, dans l’interprétation officielle des Exercices que constitue la publication du Bref directoire (1588-1591) puis du Directoire de 1599. En prévoyant explicitement la possibilité pour les exercitants « de se rappeler mentalement à eux-mêmes les histoires peintes qu’ils ont vues sur les autels ou en d’autres lieux », les jésuites légitimaient théoriquement toutes les tentatives d’associer concrètement images et pratiques méditatives.

6 R. Dekoninck a tenté de regrouper en trois ensembles les principaux recueils illustrés, qui correspondent à une « topique de l’intériorité » d’origine aristotélicothomiste, dominée par les trois principales « puissances » ou « facultés » supérieures de l’âme : la mémoire, l’intelligence et la volonté5. Comme ne le cessent de le répéter tous les auteurs spirituels, les images n’ont de sens que dans la mesure où elles correspondent à ce donné anthropologique et physiologique fondamental : rappeler les mystères et l’histoire du Salut (c’est la dimension commémorative et mnémonique qui correspond à la mémoire), servir l’intelligence (en développant une méditation sur le sens des événements ou des mystères représentés) et, enfin, toucher les affects du dévot afin de susciter sa conversion intérieure voire, dans une étape plus contemplative que méditative, son union à la divinité. À des titres divers, et en privilégiant plus ou moins telle ou telle « puissance », les ouvrages étudiés répondent à ce triple schéma. Sans souscrire totalement à la division et aux regroupements rigoureux mais peut-être excessivement systématiques que propose R. Dekoninck, sans doute est-ce bien en effet la fonction commémorative qui domine dans le cas du genre essentiellement narratif des « figures de la Bible » (B. Arias Montano, H. Jensen van Barrefelt), du propre

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ouvrage de J. Nadal, ou encore des importants recueils de méditations sur la Passion ou la Vie de la Vierge (François de Coster, Jean Bourgeois, Josse Andries). L’interprétation, le dégagement d’un sens, la constitution d’un savoir, dominent davantage la « figure mystique », et en particulier l’image emblématique ou ses avatars, pouvant servir de support à des pratiques méditatives portant non plus sur des scènes visibles de la vie du Christ ou de la Vierge mais sur les « choses spirituelles » ou sur certains points dogmatiques (le Catéchisme illustré de Canisius, les recueils d’emblèmes de Jean David, le Thesaurus de Thomas Sailly, le Chemin d’Antoine Sucquet, le Sacrum oratorium de Pedro Bivero, etc.). Enfin, toute une série d’ouvrages où s’imposent les entreprises exemplaires de Jean David, de Charles Scribani, d’Otto van Veen (Emblèmes d’amour divin, 1615) et d’Herman Hugo (Pia desideria, 1624), visaient essentiellement les facultés affectives du dévot : toucher le cœur du fidèle, susciter et répondre à l’amour divin, atteindre via un itinéraire ascétique l’union mystique.

7 Par delà l’hétérogénéité un peu déconcertante des types d’images (narratives ou symboliques), des publics (internes à la Compagnie ou élargis à l’ensemble des dévots) et des buts visés (didactique, méditatif, mystique), l’exploration de ce vaste corpus regroupé sous l’étiquette de « littérature spirituelle jésuite » permet désormais de mieux répondre à ce qui est sans doute l’essentiel : Comment « fonctionne » cet agencement de textes et d’images ? Quelle appropriation en est faite par son usager (on n’ose parler simplement de « lecteur ») ? Quels « effets » suscite-t-il en lui ?

8 Il faut se garder de trop insister sur le caractère « inédit » ou « exemplaire » de ce type d’illustrations. Si l’association d’une ars meditandi (mais aussi d’une ars rhetorica) et d’images gravées est bien l’apport original et décisif de cette littérature,

9 R. Dekoninck souligne bien ce que ce type d’articulations doit à d’autres entreprises antérieures ou contemporaines : la littérature emblématique profane du début du XVIe siècle (l’originale structure de l’emblema triplex), la tradition des « figures de la Bible » (les Bibles illustrées), les ouvrages liturgiques illustrés (bréviaires, livres d’heures, missels, etc.), la littérature scientifique (la science et l’illustration géographique d’un Abraham Ortelius par exemple), ou encore les cycles martyrologiques romains (les fresques bien connues des églises de Santo Stefano Rotondo ou de San Tomaso). Plus encore, l’étude de R. Dekoninck contribue à relativiser et à complexifier nos conceptions parfois trop généreuses quant aux modes de relations privilégiés qui associeraient textes et images. Ce rap- port, loin d’être toujours nécessaire et étroit, était bien souvent facultatif (avec des illustrations vendues fréquemment séparément du texte), parfois aléatoire (le cas des reprises ou des adaptations de gravures antérieures), et bien souvent superficiel. Rien de bien commun n’existe en effet entre la place, seconde et subsidiaire, des gravures présentes dans les Bibles illustrées, dans le Catéchisme de Canisius ou encore le Thesaurus de Thomas Sailly, et celles que prennent les gravures dans les dispositifs sophistiqués élaborés par Montano, Nadal, Bourgeois ou Sucquet. Dans les Bibles, l’image se contente de visualiser certains aspects du texte, afin d’agrémenter une lecture sans doute quelque peu austère ; dans les entreprises les plus complexes, un appareillage inter ou para-textuel hiérarchisé et d’importance croissante encadre et amplifie les données premières apportées par l’image : titre ou inscription, distique, dédicace, citations, parfois un système de légendes renvoyant à un ensemble de lettres ou de chiffres inscrits au sein même de l’image, texte de la méditation divisé en points successifs correspondant plus ou moins aux propres découpages de l’image, colloque (entretien), résolutions, etc. Tous ces éléments

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contribuent à orienter selon un cheminement et une organisation déterminés le regard du lecteur-spectateur au sein de l’image, à compléter les données informatives qu’elle donne, à saisir les significations, à privilégier, et surtout à intégrer et actualiser dans une expérience personnelle les « leçons » de la scène représentée. L’image gravée n’est dès lors plus simplement un élément attractif, le support commode et utile d’un savoir ou d’une obligation morale quelconque mais, ressaisie et réélaborée par la mise en œuvre des différentes puissances de l’âme, l’opérateur premier d’une transformation spirituelle qui n’est rien moins que le chemine- ment intérieur du dévot pour sa rénovation spirituelle. La gravure ne se substitue pas à la « composition du lieu », mais en facilite la réalisation, qui reste intérieure, transformant les indications délibérément schématiques de la gravure en ce qui pourrait s’apparenter à une forme de « tableau vivant », composé à la fois multisensoriel, signifiant et affectif : ce que nous avons proposé ailleurs de désigner comme une « méta-image ». Cette prise en charge et réélaboration complexe de l’image par le dévot nous livre ainsi les clés d’un mode de perception et de compréhension des représentations visuelles qui avait, pour l’essentiel, échappé à l’histoire de l’art moderne.

10 Les travaux menés ces dernières années dans le champ de la littérature spirituelle illustrée ont naturellement privilégié les publications, de loin les plus nombreuses, menées dans l’orbite de la Compagnie de Jésus à la fin du XVIe siècle et tout au long du XVIIe siècle. Resterait désormais à apprécier ces travaux dans une perspective plus large et d’ordre comparatif, soucieuse non seulement des précédents médiévaux, notamment franciscains, mais intégrant également les entreprises analogues liées à d’autres communautés religieuses très actives à l’époque moderne. Sans doute aussi, si l’entreprise est envisageable, faudrait-il tenter de mieux distinguer ce que les diverses solutions et conventions graphiques mises au point dans ce type de littérature illustrée doivent aux apports spécifiques de tel ou tel artiste : les prolifiques et inventifs Pieter van der Borcht, les frères Wierix, Charles de Mallery, Boëtius a Bolswert, Théodore Galle, etc. Sans doute encore faudrait-il mieux situer l’apport, indiscutable mais peut- être non exclusif et plus dialectique, d’Anvers et des Flandres à l’échelle européenne : qu’en est-il des entreprises analogues, contemporaines ou postérieures, en Italie, en Espagne ou en France ? La situation française, étroitement liée à celle des Flandres et de ses graveurs, n’a guère donné lieu à des études aussi précieuses sauf exceptions notables (le cas de Louis Richeome, le domaine de l’emblématique exploré en particulier par J.-M. Chatelain, P. Choné, A.-E. Spica ou A. Guiderdoni-Bruslé), malgré l’importance et le nombre des ouvrages il- lustrés analogues produits dans les mêmes années décisives.

11 Un autre chantier pour l’histoire de l’art, désormais plus accessible au vu des résultats acquis par les historiens du livre et de la gravure, serait de reconsidérer à nouveaux frais les relations entre pratiques méditatives – qu’il faut donc se garder de réduire aux seuls Exercices spirituels – et appréhension de la production non pas seulement gravée mais picturale. Les théories religieuses de l’image désormais mieux connues et sur lesquelles revient avec pertinence dans ses premiers chapitres R. Dekoninck permettent de reconsidérer plus lucidement – c’est-à-dire en relativisant l’emprise excessivement impérialiste des modèles avant tout rhétoriques et académiques véhiculés par une « littérature artistique » certes fondamentale mais désormais quelque peu ressassée –, la nature et les usages d’une production picturale qui est, au XVIIe siècle, encore essentiellement religieuse et destinée avant tout à des pratiques

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dévotes. De la même façon, il semble évident que les modes de relation et les protocoles de lecture de l’image, que tendent à instaurer et à banaliser les pratiques omniprésentes de l’oraison et de la méditation diffusées depuis le XVIe siècle par une immense production littéraire6, ne sauraient être ignorés par l’historien de l’art7. À cet égard, les traités illustrés de méditation, même si leur place est très marginale au vu de l’extrême abondance des traités non illustrés et même s’il l’on ne saurait bien entendu assimiler gravures et peintures, permettent d’approcher, indirectement mais efficacement, ce que pouvait être ce rapport. Si bien rares sont en effet les textes anciens témoignant de ce type de relations spirituelles à la peinture, ces traités illustrés, par la place qu’ils accordent à l’image, aussi bien « intérieure » que matérielle, offrent une voie d’accès possible à une tentative de lecture plus proprement spirituelle de la peinture de l’époque moderne. Ouverte par certaines tentatives portant sur la période médiévale ou les débuts de l’époque moderne (on pense aux travaux exemplaires de S. Ringbom ou, plus récemment, de J. F. Hamburger, H. J. H. Marrow, Henk van Os, R. L. Falkenburg, ou M. Weemans), il s’agit sans doute d’une des voies les plus stimulantes offertes à la recherche et susceptible de renouveler une approche iconographique bien souvent, ou peu s’en faut, exsangue.

NOTES

1. Pierre-Antoine Fabre, « Les Exercices spirituels sont-ils illustrables ? », Luce Giard, Louis de Vaucelles éd., dans Les jésuites à l’âge baroque 1540-1640, Grenoble, 1996, p. 197-209. 2. Pierre-Antoine Fabre, Ignace de Loyola : le lieu de l’image ; le problème de la composition de lieu dans les pratiques spirituelles et artistiques jésuites de la seconde moitié du XVIe siècle, Paris, 1992. 3. Voir sur cette tentative l’article de Lydia Salviucci Insolera, « Le illustrazioni per gli Esercizi Spirituali intorno al 1600 », dans Archivum Historicum Societatis Jesus, 119 (1991), p. 161-217. Dans sa propre étude (p. 366-371), R. Dekoninck démontre en quoi cette entreprise, loin d’être inaugurale, vient en réalité conclure, par une sorte de « pot-pourri » iconographique issu d’une forme de « braconnage » dans des traités antérieurs, plusieurs décennies de tentatives inégales et plus ou moins satisfaisantes initiées dans les milieux anversois. 4. Walter S. Melion, Shaping the Netherlandish canon : Karel van Mander’s Schilder-Boek, Chicago/ Londres, 1991. 5. Voir le beau livre de Mino Bergamo, L’anatomie de l’âme : de François de Sales à Fénelon, Grenoble, 1994 et Benedetta Papasogli, Le « Fond du cœur ». Figures de l’espace intérieur au XVIIe siècle, Paris, 2000. 6. Rappelons ici la passionnante étude de Christian Belin, La conversation intérieure : la méditation en France au XVIIe siècle, Paris, 2002. 7. L’histoire de l’art est, faut-il supposer, vraisemblablement victime de son adhésion trop confiante au modèle historique d’une « autonomisation » croissante et irréversible des pratiques artistiques à l’égard des « sujétions » traditionnelles, notamment religieuses. Un tel modèle est à notre avis surévalué et résulte d’un préjugé « moderniste » qui sous-estime, y compris aujourd’hui, la prégnance des déterminismes religieux qu’il importe sans doute de reconsidérer.

Perspective, 2 | 2006 244

INDEX

Index géographique : Pays-Bas Mots-clés : gravure, illustration, image dévote, spiritualité, support, fonction Keywords : engraving, illustration, devout image, spirituality, function Index chronologique : 1500, 1600

AUTEURS

FRÉDÉRIC COUSINIÉ INHA, [email protected]

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La peinture d’architecture et de perspective dans la Hollande du XVIIe siècle

Jan Blanc

RÉFÉRENCE

- KREMPEL, 1999 : Leon Krempel, Studien zu den datierten Gemälden des Nicolaes Maes (1634-1693), Petersberg, Imhof, 1999. 400 p., 467 ill., 40 pl. ISBN : 3 932526 54 6 ; 84 €. - LIEDTKE, 2000 : Walter A. Liedtke, A View of Delft. Vermeer and his Contemporaries, Zwolle, Waanders, 2000. 320 p., 317 fig., 32 pl. ISBN : 90 400 9490 X ; 70,99 €. - HELMUS, 2002 : Liesbeth Helmus éd., Pieter Saenredam, the Utrecht Work. Paintings and by the Seventeenth-Century Master of Perspective, (colloque, Utrecht, Central Museum, 4 novembre 2000-4 février 2001/ Los Angeles, J. Paul Getty Museum, 16 avril-7 juillet 2002), Los Angeles, J. Paul Getty Museum, 2002. 304 p., 130 ill. n. et bl. et coul. ISBN : 9073285755 ; 38,5 €.

1 Si la peinture d’architecture et de perspective hollandaise du XVIIe siècle n’est pas une découverte récente, elle a récemment fait l’objet d’une attention toute particulière de la part des historiens de l’art, dont témoigne la publication, à quelques mois d’intervalle, de trois ouvrages importants en leur genre, écrits ou dirigés par Leon Krempel, Liesbeth Helmus et Walter Liedtke, et respectivement consacrés à deux peintres majeurs du Siècle d’or – Nicolaes Maes et Pieter Saenredam – et aux productions d’un centre artistique prolifique en tableaux de perspective, Delft.

2 Les enjeux, sensiblement différents, ainsi que les résultats obtenus et présentés par ces livres éclairent d’un jour nouveau les problématiques évoquées, mais ne peuvent être compris sans rappeler dans quel contexte historiographique ils s’inscrivent et quels débats ils réactivent. Tous les trois se réfèrent, directement ou indirectement, à la première étude majeure consacrée à la peinture architecturale et perspective dans les Flandres et la Hollande du XVIIe siècle, la thèse inaugurale de Hans Jantzen, Das

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niederländische Architekturbild, présentée à Hambourg, en 19081. Cette étude et, plus encore, sa réédition en 1979, augmentée et mieux illustrée2, a constitué un événement historiographique important dans la mesure où, pour la première fois, ces tableaux longtemps considérés, de façon péjorative et peu nuancée, comme des « œuvres décoratives », sans grand intérêt artistique, faisaient l’objet d’un examen minutieux et d’une tentative de classification, par auteur, par type de sujet et par technique.

3 La réédition de l’ouvrage de Jantzen, il faut le souligner, s’inscrivait par ailleurs dans un contexte éditorial très favorable, dominé, déjà, par les premiers articles et les thèses de W. Liedtke et Arthur K. Wheelock3. De facto, il a eu un double impact sur l’historiographie. Il a d’abord encouragé les études dévolues à la peinture d’architecture hollandaise du XVIIe siècle, en incitant les historiens d’art à en interroger les fondements techniques et les caractéristiques formelles. Il n’est sans doute pas un hasard, de ce point de vue, que le succès de cette nouvelle édition d’un livre ait coïncidé avec l’engouement suscité, auprès des esthéticiens et des historiens, par les thèses nouvellement développées par Rudolf Arnheim sur la perception de l’œuvre d’art et de l’espace4.

4 D’autre part, la reparution du livre pionnier de H. Jantzen a amené les spécialistes de la peinture d’architecture et de perspective à se positionner clairement par rapport à des thèses déjà anciennes et, éventuellement, à susciter les débats et la polémique. C’est ainsi que, prenant un objet commun – les peintres d’architecture et de perspective delftois du XVIIe siècle –, les études d’A. K. Wheelock et W. Liedtke se sont souvent croisées, dans la bibliographie, en défendant des avis sensiblement différents sur les œuvres sur lesquelles elles étaient fondées. Sur ce plan, la parution d’un épais volume de W. Liedtke, A View of Delft. Vermeer and his Contemporaries, permet tout à la fois de se remémorer ces débats et de faire le point sur la recherche actuelle. L’historien ne s’y contente pas de reprendre le contenu des recherches qu’il a menées depuis une trentaine d’années sur les peintres d’architecture et de perspective hollandais, quoiqu’une partie du livre reprenne le contenu d’articles anciennement publiés. Il les passe au crible des études les plus récentes et remet en cause certaines des idées qu’il a pu défendre. Le titre choisi par Liedtke pour son étude est tout à fait significatif. Il ne reprend pas, en effet, contrairement à une plus récente exposition à laquelle il a lui- même participé5, la notion d’« école de Delft ». Et pour cause : comme il l’a fait ailleurs6, avec d’autres spécialistes7, Liedtke adopte une position critique à l’égard de l’usage de ce terme. Contrairement à A. K. Wheelock, pour lequel la notion fait sens, dans la mesure où, selon lui, il est possible d’identifier des caractéristiques et des constantes distinctes dans l’art et les techniques de la perspective des peintres d’architecture et de scènes de genre delftois, W. Liedtke la nuance, en soulignant notamment qu’il fallait davantage l’envisager sur un plan régional, en incluant l’influence périphérique de villes comme Rotterdam, Dordrecht, Gouda, Leyde ou La Haye. Il remarque aussi qu’à quelques exceptions près (le cas de Vermeer est effectivement marginal), les peintres voyagent et se déplacent de ville en ville, pour leur apprentissage ou afin de répondre aux demandes du marché et des commanditaires, si bien que les frontières strictement géographiques apparaissent le plus souvent davantage perméables qu’on ne l’imagine.

5 L’ouvrage de W. Liedtke offre d’autres avantages. Si parmi les peintres composant cette « école » certains artistes ont bénéficié d’un traitement de faveur de la part des historiens d’art (Gerard Houckgeest, Hendrick van Vliet, Emanuel de Witte8, mais aussi Dirck van Delen9, Johannes Coesermans10 ou Cornelis de Man 11), l’historien d’art se

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consacre aussi à des artistes dont l’œuvre est moins bien couvert par la bibliographie. C’est le cas, notamment, de celui de Bartholomeus van Bassen, d’Anthonie de Lorme, d’Hendrick van Steenwyck le Jeune ou de Daniel de Blieck. Liedtke est également l’un des premiers, avec Jane Ten Brink Goldsmith12, à souligner le rôle pionnier de Leonaert Bramer, qui semble avoir importé à Delft les procédés des décors illusionnistes italiens – Véronèse, Corrège, Niccolò dell’Abbate, Gentileschi, Lanfranco, Tassi –, ainsi que celui de Christian van Couwenbergh qui, avec Carel Fabritius, ont lancé le goût delftois pour la perspective « grandeur nature ».

6 W. Liedtke consacre en outre de longues et passionnantes pages à l’étude de la Vue de Delft de Carel Fabritius et à la reconstitution précise de son système d’installation optique – la plus complète et convaincante, à ce jour, et ce malgré de nombreuses publications antérieures sur la question13. À cette occasion, l’historien établit de façon assez solide les relations entre les pratiques et les théories de la perspective dans la Hollande du XVIIe siècle, quoiqu’il doute fortement de l’influence réelle des traités de Jean Dubreuil et d’Abraham Bosse sur les peintres néerlandais, insistant davantage sur les ouvrages de Samuel Marolois, plus faciles d’accès et donc, sans doute, plus utilisés par les praticiens. Sur ce point, W. Liedtke semble rejoindre les études passées qui, se fondant sur les principaux théoriciens et traités de perspective publiés dans la Hollande du xviie siècle (Hans Vredeman de Vries14, Samuel Marolois, Hendrik Hondius, parmi les principaux), ont notamment permis de montrer que, pour l’essentiel, les « savoirs perspectifs » des peintres hollandais du XVIIe siècle étaient plus techniques que scientifiques, et que les modèles (gravés, dessinés ou peints) y occupaient une place essentielle, dans la diffusion comme dans la production des œuvres.

7 Notons enfin que W. Liedtke consacre de nombreuses pages aux deux peintres qui, selon lui, ont le plus marqué, par la qualité ou l’originalité de leur art, la pratique hollandaise de la perspective : Johannes Vermeer et Pieter Saenredam, dont les travaux, souvent très complets et complémentaires, ont permis de dégager les personnalités artistiques, très différentes. Le premier est sans doute celui qui, de tous les peintres néerlandais s’étant essayés régulièrement et sérieusement à la perspective, a suscité le plus d’interprétations15. Chez lui, la perspective, sensiblement moins complexe que chez Saenredam, et déclinant des objets et des espaces souvent répétitifs et modulaires, est un outil, une technique visuelle et formelle mise au service de l’expression de l’histoire anecdotique et de sa perception. De ce fait, Vermeer n’est pas un « peintre de perspective » en tant que tel, mais plutôt un artiste qui s’est servi des procédés et des outils que lui fournissait cet art pour structurer et organiser l’espace narratif de ses œuvres. En témoigne, d’ailleurs, une connaissance et une pratique très pragmatique de la perspective, sans doute épaulées par l’usage incident d’une chambre noire (camera obscura), et visant essentiellement à l’anticipation – et donc la construction – des effets visuels de ses tableaux.

8 Pour Saenredam, la perspective n’est plus une pratique secondaire ou subalterne ; elle devient, comme le montre W. Liedtke, l’objet même de sa peinture. Saenredam consacre presque l’ensemble de sa carrière à la représentation d’églises réelles, dans lesquelles il passe de nombreuses journées, réalisant des esquisses « sur le vif » (naer het leven), avant de les transcrire (et de les transformer notablement) dans les tableaux qu’il peint dans son atelier. Sur ce travail particulier à Saenredam, et dont le protocole précis a sans doute été fixé par l’artiste lui-même, le catalogue d’exposition dirigé par Liesbeth Helmus sur les vues des églises d’Utrecht dessinées et peintes par l’artiste

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néerlandais, Pieter Saenredam, the Utrecht Work. Paintings and Drawings by the 17th-Century Master of Perspective, et publié en 2002, offre une contribution plus importante encore que celle de W. Liedtke et constitue, de ce fait, un événement historiographique majeur. Regroupant des articles des meilleurs spécialistes, comme Arie de Groot (« Pieter Saen- redam’s views of Utrecht churches and the ques- tion of their reliability », p. 17-49) ou Michiel C. Plomp (« Pieter Saenredam as a draughtsman », p. 51-72), cet ouvrage offre un panorama presque complet de l’œuvre utrechtoise du peintre. Surtout, il permet de faire l’inventaire des procédés, divers et multiples, que Saenredam a employés, tout au long de sa carrière, pour produire ses dessins et ses tableaux d’architecture. On connaît, depuis les études pionnières de Rob Ruurs, l’existence d’une « méthode perspective » propre à Saenredam16. Le catalogue d’Utrecht n’apporte, dans ce domaine, rien de particulièrement nouveau, mais permet de mieux comprendre, grâce à un exposé clair et des schémas explicatifs particulièrement utiles, comment fonctionnait cette méthode et, surtout, quels étaient les avantages qu’elle offrait en termes de facilités de construction et de rapidité d’exécution. On regrettera toutefois que les auteurs n’aient pas suffisamment montré les variations qu’a pu connaître cette « méthode » tout au long de sa carrière de Saenredam, donnant parfois le sentiment – erroné, à notre avis17 – que le peintre se contentait d’appliquer un certain nombre de recettes, sans que la pratique résultant de celles- ci ne viennent les reformuler constamment. Un dernier apport majeur du catalogue dirigé par L. Helmus tient en la découverte d’une organisation iconographique des archives de Saenredam – essentiellement constituée de ses propres archives graphiques, ainsi que de quelques dessins collectionnés – et de leur utilisation intensive pour la conception et la réalisation des tableaux de perspective.

9 Si, comme on le voit, la connaissance des peintres d’architecture néerlandais du XVIIe siècle a connu, ces dernières années, des avancées remarquables, elle demeure encore trop lacunaire pour ce qui concerne l’étude des systèmes et des procédés perspectifs employés par les artistes néerlandais du Siècle d’or non « spécialistes ». La publication par Léon Krempel d’un ouvrage monographique consacré au peintre Nicolaes Maes eût pu être une belle occasion de procéder à une telle mise au point, au sujet d’un peintre qui, après son retour de l’atelier de Rembrandt, s’est fréquemment illustré dans le domaine en peignant des scènes de genre inscrites dans des perspectives souvent complexes. Ces recherches, toutefois, sont très décevantes. L. Krempel montre, à juste titre, que ces représentations perspectives n’apparaissent, dans l’œuvre de Maes, qu’entre 1654 et 1656, où les traces de l’enseignement de Rembrandt sont encore clairement visibles (Adoration des bergers, Los Angeles, The J. Paul Getty Museum). Néanmoins, ayant fait ce constat, il ne pose pas la question de l’enseignement : où Maes a-t-il appris son « métier » de « perspecteur » ? Est-il, comme, sans doute, Saenredam, un autodidacte, ou a-t-il bénéficié de l’enseignement d’un peintre spécialisé ? Et peut- on imaginer que Rembrandt ait joué un rôle dans cette formation, surtout si l’on considère que d’autres apprentis sortis de son atelier ont, eux aussi, pratiqué la perspective avec succès (Samuel van Hoogstraten, Gerbrandt van den Eeckhout, Carel Fabritius) ? En ne répondant pas à ces questions, L. Krempel occulte la part la plus obscure de l’œuvre de Maes et se contente le plus souvent de généralités sur l’« art perspectif » du peintre hollandais. L’une des œuvres les plus fameuses dans le domaine, la Servante curieuse, est méticuleusement étudiée. Pourtant la perspective n’y est pas évoquée. L. Krempel préfère insister, comme de nombreux historiens avant lui, sur le contenu prétendument symbolique et moral de ces tableaux. Mais rien n’est dit du rôle

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narratif ou compositionnel de la perspective, dans cette œuvre, pas plus que de la relation spatiale entre les différents plans, qui rappelle étrange- ment certains tableaux de Pieter de Hooch ou de Johannes Vermeer. Plus traditionnelle dans sa conception générale – un catalogue raisonné, de type monographique, s’appuyant uniquement sur un corpus daté –, cette publication est globalement décevante, ne parvenant pas à se hisser au niveau des deux ouvrages précédemment évoqués, mais démontrant, par l’absurde, qu’il existe, y compris dans l’œuvre de peintres connus et déjà largement couverts par l’historiographie, des pistes de recherche à défricher afin de mieux comprendre le rôle et la fonction de la perspective dans l’art hollandais du Siècle d’or.

NOTES

1. Hans Jantzen, Das niederländische Architekturbild. Inaugural Dissertation, Halle, 1908. Cet ouvrage a été republié en 1910 sous le même titre à Leipzig. 2. Hans Jantzen, Das niederländische Architekturbild, Brunswick, 1979. 3. Parmi les premiers articles de Walter A. Liedtke, on peut citer : « From Vredeman de Vries to Dirck van Delen : Sources of Imaginary Architectural Painting », dans Bulletin of the Rhode Island School of Design, LVII/2, 1970, p. 14-25 ; « Faith in Perspective : The Dutch Church Interior », dans Connoisseur, CXCIII, 1976, p. 126-133. Quant aux premières études publiées par Arthur K. Wheelock, elles concernent également la peinture delftoise : « Carel Fabritius : Perspective and Optics in Delft », dans Nederlands Kunsthistorisch Jaarboek, XXIV, 1973, p. 63-83 ; « Gerard Houckgeest and Emanuel de Witte : Architectural Painting in Delft Around 1650 », dans Simiolus, VIII, 1975-1976, p. 167-186 ; Perspective, Optics and Delft Artists Around 1650, New York, 1977. Cette thèse a été recensée par Walter A. Liedtke (The Art Bulletin, LXI, 1979, p. 490-496). 4. Rudolf Arnheim, Art and Visual Perception : A Psychology of the Creative Eye, Londres, 1954. 5. Walter A. Liedtke, Michiel C. Plomp, Axel Rüger éd., Vermeer and the Delft School, (cat. expo, New York, Metropolitan Museum of Art/ Londres, National Gallery, 2001), New Haven, 2001. Pour une approche comparable, voir Michel C. Kersten, Danielle H. A. C. Lokin éd., Delft Masters. Vermeer’s Contemporaries : Illusionism Through the Conquest of Light and Space, (cat. expo., Delft, Stedelijk Museum Het Prinsenhof, 1996), traduit en français sous le titre Les Maîtres de Delft, contemporains de Vermeer, Paris, 1996. 6. Voir notamment « Hendrick van Vliet and the Delft School », dans Museum News (Toledo Museum of Art), 1979, p. 40-52 ; « The Delft School, circa 1625-1675 », dans Frima Fox Hofrichter éd., Leonaert Bramer (1596-1674) : A Painter of the Night, (cat. expo., Milwaukee, The Patrick and Beatrice Haggerty Museum of Art, 1992), Milwaukee, 1992, p. 23-35. 7. Pour une synthèse de ces questions, voir Lyckle de Vries, « Hat es je eine Delft Schule gegeben ? », dans Probleme und Methode der Klassifizierung (colloque, Vienne), Vienne, 1985, p. 79-88. 8. Sur ces trois peintres, voir Walter A. Liedtke, Architectural Painting in Delft : Gerard Houckgeest, Hendrick van Vliet, Emanuel de Witte, Doornspijk, 1982, recensé par Lyckle de Vries dans Simiolus, XIV, 1984, p. 137-140, et par Arthur K. Wheelock dans The Art Bulletin, LXVIII, 1986, p. 169-172. 9. Timothy T. Blade, The Paintings of Dirck van Delen, Minneapolis, 1976. 10. Walter A. Liedtke, « Johannes Coesermans, Painter of Delft », dans Oud Holland, XVI, 1992, p. 191-198.

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11. Walter A. Liedtke, « Cornelis de Man as a Painter of Church Interiors », dans Tableau, 1982, p. 62-66. 12. Jane Ten Brink Goldsmith éd., Leonaert Bramer, 1596-1674. Ingenious Painter and Draughtsman in Rome and Delft, (cat. expo., Delft, Stedelijk Museum het Prinsenhof, 1994), Zwolle, 1994. 13. Voir notamment Christopher Brown, Carel Fabritius, Oxford, 1982, recensé par Rob Ruurs dans Simiolus, XII, 1981-1982, p. 263-265, et par Walter A. Liedtke dans The Burlington Magazine, CXXIV, 1982, p. 303-304. 14. Hans Vredeman de Vries, Perspective, La Haye, 1604-1605 ; Samuel Marolois, Perspective, Amsterdam, 1628 ; Hendrik Hondius, Institutio artis perspectivae, La Haye, 1622. 15. Parmi les études essentielles, citons Arthur K. Wheelock, Jan Vermeer, New York, 1981 (1988) ; Jørgen Wadum, « Vermeer’s Use of Perspective », dans Erma Hermens, Marja Peek, Arie Wallert éd., Historical Painting Techniques, Materials and Studio Practice. Preprints of a Symposium. University of Leiden, the Netherlands, 26-29 June 1995, Lawrence, 1995, p. 148-154. 16. Rob Ruurs, « Saenredam : The Art of Perspective », Amsterdam, 1987, dans The Burlington Magazine, CXXX, 1988, p. 39. 17. Voir l’article que nous avons consacré à ces variations : Jan Blanc, « De la méthode à la genèse de la perspective. Pieter Saenredam (1597-1665) et les vues de la Mariakerk à Utrecht (1636-1651) », dans Marisa Dalai, Marianne Leblanc, Pascal Dubourg-Glatigny éd., L’artiste et l’œuvre : l’épreuve de la perspective, (colloque, Rome, 2002), Paris, 2006.

INDEX

Keywords : architecture painting, perspective, historiography, School of Delft Mots-clés : peinture d'architecture, perspective, historiographie, École de Delft Index géographique : Hollande, Flandres Index chronologique : 1600

AUTEURS

JAN BLANC Université de Lausanne, [email protected]

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Les images de Boucher

Éric Pagliano

RÉFÉRENCE

- BRUGEROLLES, 2003 : Emmanuelle Brugerolles éd., François Boucher et l’art rocaille dans les collections de l’École des beaux-arts, (cat. expo., Paris, école nationale supérieure des beaux-arts, 2003), Paris, école nationale supérieure des beaux-arts, 2003. 381 p., 300 fig. env. ISBN : 2840561344 ; 33 €. - HEDLEY, 2004 : Jo Hedley éd., François Boucher : Seductive Visions, (cat. expo., Londres, The Wallace Collection, 2004), Londres, The Wallace Collection, 2004. 208 p., 157 fig. ISBN : 0-900785-72-1 ; 20 €. - HYDE, 2006 : Melissa Hyde, Making up the Rococo : François Boucher and his Critics, Los Angeles, The Getty Research Institute Publications Program, 2006. 255 p., 53 fig., 17 pl. coul. ISBN : 0-89236-743-1 ; 42 €. - JOULIE, 2004 : Françoise Joulie, Boucher et les peintres du Nord, (cat. expo., Dijon, musée Magnin, 2004/Londres, The Wallace Collection, 2005), Paris, éditions de la RMN, 2004. 128 p., 55 fig. ISBN : 2711848248 ; 25 €. - JOULIE, MEJANES, 2003 : Françoise Joulie, Jean-François Méjanès, François Boucher : hier et aujourd’hui, (cat. expo., Paris, musée du Louvre, 2003-2004), Paris, éditions de la RMN, 2003. 160 p., 125 fig. ISBN 2711845877 ; 32 €. - JOULIE, 2004 : Françoise Joulie et al., Esquisses, pastels et dessins de François Boucher dans les collections privées, (cat. expo., Versailles, musée Lambinet, 2004), Paris, Somogy, 2004. 141 p., 100 fig. env. ISBN : 285056804 ; 32 €. - LAING, 2003 : Alastair Laing, The Drawings of François Boucher, (cat. expo., New York, The Frick Collection, 2003/ Forth Worth, Kimbell Art Museum, 2004), New York/ Londres/Paris, Scala, 2003. 140 fig. env. ISBN : 286656328 ; 53 €.

1 Les années 2003, 2004 et 2006 ont vu paraître sept ouvrages consacrés à François Boucher. La commémoration du tricentenaire de sa mort en 2003 est à l’origine du nombre important de publications dévolues au peintre français. Sur ces sept ouvrages, six sont des catalogues d’exposition ; le septième dû à Melissa Hyde est à proprement

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parler un essai. Sur les six catalogues d’exposition, cinq présentent, reproduisent et analysent des exemples choisis de la production graphique du peintre. Il s’agit des catalogues des expositions organisées au musée du Louvre, à l’école des beaux- arts, à la Frick Collection à New York, au Musée Lambinet à Versailles et au Musée Magnin à Dijon. Le catalogue d’exposition de la Wallace Collection dû à Jo Hedley appartient plutôt au genre de la monographie à destination d’un public cultivé. Les œuvres de la célèbre collection londonienne y sont analysées et servent surtout de prétexte pour étudier l’ensemble de la carrière du peintre. Point de notices d’œuvres, mais un texte qui analyse la production de Boucher de manière chronologique.

2 Mettre en perspective ces six publications pourrait alors constituer une gageure, tant les enjeux et les stratégies d’étude diffèrent d’un ouvrage à l’autre, surtout lorsque sont comparées les publications françaises et les anglo-saxonnes. L’image de Boucher est pourtant au centre de chacune de ces publications qui toutes se soucient de réception, sans toutefois le dire et encore moins se réclamer ouvertement des théories de l’école de Constance et notamment de Hans Robert Jauss, qu’il s’agisse de la réception des œuvres du peintre à l’époque même de leur production que de réception au cours des époques – ce que naguère on appelait fortune critique, mais qui bien souvent prenait la simple forme d’une anthologie de textes conduisant à la glorification, résurrection, réhabilitation de l’artiste étudié, point d’aboutissement d’une téléologie manifeste1. L’image forcément négative de Boucher, véhiculée par les critiques et en particulier par Diderot, est à coup sûr une sorte de leitmotiv qui parcourt, sciemment ou in- consciemment, la plupart des écrits publiés sur le peintre, qu’on le déplore ou non. Comment faire avec ce chromo d’un « peintre des Grâces », faiseur de fesses roses et rondes, « peintre d’éventails », « décorateur de dessus-de-porte », et réputé libertin, mais dont le métier et les qualités plastiques n’ont jamais été remis en cause ? Faut-il simplement établir la liste de ces critiques, ou faut-il les retourner et les utiliser de manière positive comme outils heuristiques pour mieux comprendre son œuvre ? Déjà Fiske Kimball, comme le rappellent David Guillet et Emmanuelle Brugerolles, déplorait la survivance de nos « préjugés » à l’encontre de l’art rocaille et plus particulièrement de Boucher, et appelait à les dépasser, dans l’introduction de son ouvrage Le style Louis XV : « Nous devons oublier les préjugés de nos grands-pères et de nos pères, et même, beaucoup des nôtres : les préjugés moraux qui confondent les qualités artistiques avec les présumées qualités morales de l’époque, comme la ‘corruption’ et la ‘frivolité’ ; les préjugés artistiques plus anciens en faveur de la pureté des éléments intrinsèques, ainsi contre l’unité dynamique de l’ensemble, les préjugés plus récents en faveur de la forme plastique et de la forme spatiale, ainsi contre les formes en ligne et en surface »2.

3 Des cinq expositions de dessins, deux ont tenté de répondre à cet appel de manière programmatique ; une autre, celle de New York, s’est présentée sans parti pris explicite, sauf celui de montrer seulement des dessins. L’exposition de l’école des beaux-arts limitée à son propre fonds visait ainsi à une « approche contextuelle » (p. 14), en confrontant tout d’abord la production graphique de Boucher à celle de ses devanciers et maîtres supposés ou érigés comme tel, François Lemoyne et Watteau (Marianne Roland-Michel, p. 38-45), et en étudiant parallèlement sa culture visuelle, imprégnée notamment de référents stylistiques vénitiens, Sebastiano Ricci en particulier (Françoise Joulie, p. 76-87). La contribution de Christian Michel (p. 94-101) apporte un regard neuf sur un aspect de l’activité de Boucher jusqu’alors négligé : son rôle dans la formation de jeunes peintres à travers ses fonctions de professeur à l’Académie royale

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de peinture et de sculpture et de directeur d’atelier, ainsi que son action indirecte sur l’enseignement par la diffusion de gravures d’après ses dessins. Celle-ci prend une ampleur sans précédent à partir de l’invention de la gravure en manière de crayon par Jean-Charles François en 1756, et son perfectionnement par Gilles Demarteau. Sont enfin étudiés les cercles de ses amis et proches confrères dont la carrière est parallèle à la sienne, la « génération de 1700 » selon une formule de Pierre Rosenberg (article p. 172-179) qui a fait fortune depuis le catalogue de l’exposition de Cholet sur Pierre- Charles Trémolières en 1973 (Edme Bouchardon, Michel-François Dandré-Bardon, Dumont le Romain, Etienne Jeaurat, Charles-Joseph Natoire, Pierre Subleyras, Trémolières et Carle van Loo), et les ornemanistes dont il oriente la production en fournissant modèles et dessins (Peter Fuhring, p. 246-257). L’objectif fixé semble atteint. Par cette recontextualisation, la commissaire de l’exposition a fait des faiblesses du fonds de l’école une force.

4 Tel n’est pas le cas à notre avis de l’exposition du Louvre organisée par Françoise Joulie et Jean- François Méjanès, et encore moins de celle de la Frick Collection due à Alastair Laing. Certes, toutes les facettes de l’activité graphique de Boucher y sont présentées : ses académies, ses études de composition et de détail, ses dessins destinés à la gravure, ses dessins de paysage, ses copies d’après les maîtres, et ses dessins en rapport avec les arts décoratifs. Le goût pour les dessins de l’artiste, dès son vivant, à travers les figures de quelques collectionneurs et parfois amis du dessinateur, Randon de Boisset ou Jean- Claude Gaspard de Sireul par exemple, n’est pas oublié, et est notamment étudié par A. Laing dans le catalogue de New York. Bref, c’est un Boucher diversifié qui est montré, même si l’on peut reprocher à A. Laing le classement assez artificiel des œuvres qui ne reflète pas ou peu les finalités ou les raisons du dessin. Les sections intitulées « Nu », « Hommes, femmes, enfants », « Têtes, portraits et études de détails » n’ont en effet pas de portée opératoire. Les organisateurs de l’exposition du Louvre ont su éviter ce mode de présentation en proposant un regroupement plus affiné fondé sur le genre (paysage), la fonction ou le type (copie). Mais on était en droit d’attendre, en particulier du catalogue de l’exposition du Louvre, une analyse plus fine de l’historiographie portant sur Boucher et de la réception de son œuvre à travers l’étude des goûts des collectionneurs, et surtout des textes produits sur l’artiste replacés dans leur contexte de production, afin d’en livrer les différents potentiels de signification passés et en cours d’élaboration. Toute époque, on le sait, construit et invente un nouveau Boucher. Le sous-titre de l’exposition « Hier et aujourd’hui » laissait augurer une telle analyse.

5 On pouvait également attendre de ces cinq expositions de dessins qu’elles interrogent grâce aux possibilités offertes par la juxtaposition et la mise en espace des œuvres graphiques le processus même de création, de la première pensée jusqu’à l’œuvre finale. Or il n’en est pratiquement rien ou si peu. Le dessin est exposé et commenté dans l’enfermement de son cadre et dans la clôture de sa notice. Les commissaires d’exposition de dessins anciens continuent ainsi à adopter un point de vue qui est celui du collectionneur-connaisseur, tel qu’il se met en place à partir du XVIIIe siècle : autonomie du champ du dessin en vertu de son érection au rang d’œuvre d’art à part entière et d’objet de goût3, avec pour corollaire, l’invention du connoisseurship. Certes, Boucher a réalisé des dessins en soi destinés au marché ou à la gravure, mais une grande partie de ses feuilles sont préparatoires. Il aurait été vraiment judicieux d’évoquer et d’étudier la « fabrique de l’œuvre » en montrant toute une série de dessins et d’esquisses peintes en grisaille en rapport avec une œuvre déterminée qui aurait été elle aussi exposée4 et en aval de présenter les gravures de reproduction, les gravures en

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manière de crayon reproduisant des dessins préparatoires, les tapisseries ou les objets d’art qui en sont issus, témoins d’une diffusion de l’œuvre en direction de plusieurs types de public. Pensons par exemple aux magnifiques feuilles préparant l’édition illustrée des Œuvres de Molière contenant trente-trois gravures. Des études de composition à la plume et à l’encre brune, exercices de mise en place des formes, sont connues, tout comme sont conservées des études de détails à la sanguine ou parfois à la pierre noire pour les personnages (F. Joulie en mentionne trente-quatre ; JOULIE, MÉJANÈS, 2003-2004, p. 54) ainsi que des dessins finis à la plume et à l’encre noire destinés aux graveurs Cars et Chedel. Des dessins pour L’enlèvement d’Europe peint pour le concours de 1747 (Louvre) ou La lumière du monde daté de 1750 (Musée des beaux-arts de Lyon) auraient pu aussi faire l’objet d’une telle analyse.

6 Ne soyons pas cependant injuste. Le catalogue de l’exposition du musée Magnin dû à F. Joulie explore en partie cette problématique en étudiant les liens étroits et constants que tisse Boucher entre ses propres œuvres et celles d’artistes flamands et hollandais, qu’il collectionnait avidement, à travers l’exercice de la copie et celui de la citation. F. Joulie montre bien comment Boucher fait du Boucher en copiant Berchem ou Van Dyck : son faire transparaît partiellement sous des signes graphiques pris à l’artiste copié. Le jeu de croisement et d’imbrication des manières est assez fascinant, tout comme l’emploi qu’il fait de motifs, tels certains d’entre eux qu’il emprunte à Bloemaert dans des dessins qu’il a copiés à Rome et gravés par la suite à Paris, et qu’il réutilise dans d’autres dessins ou peintures de sa main. Cette circulation des motifs appartient en propre à la « fabrique de l’œuvre » et montre combien l’étude concrète des objets mis en relation entre eux permet de contourner la vieille notion d’influence ou plutôt de la reformuler. F. Joulie fait ainsi une étude de réception intra-artistique fort utile.

7 Jusqu’ici les ouvrages que nous avons présentés se sont contentés de présenter « une personnalité artistique », d’en dresser les contours à travers ses références stylistiques et les finalités de ses œuvres au sein d’une société privilégiant les arts du décor. Il a fait ceci ; il a fait cela. Et « on » peut dire (E. Brugerolles et D. Guillet suivant les thèses de Hermann Bauer et de Hans Sedlmayr5) qu’il est un « peintre rococo » parce qu’il a conçu son œuvre comme faisant partie d’un ensemble confinant à la Gesamtkunswerk. Mais qu’en est-il lorsqu’il s’agit de penser Boucher dans l’espace public, tel qu’il se met en place au XVIIIe siècle, face à l’opinion publique représentée par les critiques ? Quelle personnalité non seulement artistique mais aussi sociale faut-il alors construire ? Le livre de Melissa Hyde est à ce sujet éclairant. Car il permet d’envisager un Boucher acteur de sa peinture et réacteur dans sa peinture, mettant en scène sa réputation et celle par qui le danger arrive. M. Hyde procède en deux temps. D’abord présenter les critiques formulées contre Boucher : ses peintures mettent en scène des figures des deux sexes dominées par des carnations saturées de rose ou de rouge ; ses figures masculines présentent une ambiguïté sexuelle qui trouble la différence des sexes et par là même la supériorité du sexe masculin. Boucher ne peint pas ; il farde, il grime. Et regarder sa peinture, c’est se féminiser, se maquiller. Cette contamination du féminin met à mal, qui plus est, la hiérarchie des genres elle-même fondée sur une hiérarchie sexuelle et sociale. Ensuite suspendre ces jugements négatifs non pour les écarter d’un revers de la plume mais pour les transformer en outils d’analyse. Le terme de « fard » devient ainsi une notion positive et la métaphore même de la peinture. C’est tout naturellement au contact de la théorie de Roger de Piles que cette notion de « beau fard » acquiert une dimension positive. La lecture du tableau Madame de Pompadour à sa

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toilette éclaire ce processus. M. Hyde l’analyse selon une méthode fondée sur le jeu de l’analogie et de l’association. C’est d’une certaine manière ce que l’on pourrait lui reprocher. Car elle suppose qu’il existe un spectateur virtuel idéal, c’est-à-dire elle- même, capable de décoder l’intention présumée – consciente ou inconsciente – de l’artiste (est-elle sondable ?). Madame de Pompadour est dans le tableau face au spectateur en train de se maquiller. En se maquillant, elle se peint. En se peignant, elle fait son propre portrait. En termes de composition et d’iconographie pensée comme déplacement d’un mode à un autre, ce portrait est une représentation de la Pompadour qui se lit comme un autoportrait dans l’acte de la représentation. La marquise est l’auteur de son apparence et de son identité, et Boucher, en étant le délégué de sa peinture, fait de son art, du maquillage, et de lui- même, un beau maquilleur. M. Hyde peut alors affirmer : « Madame de Pompadour à sa toilette fonctionne non seulement comme une allégorie de [sa] pratique artistique mais aussi comme une célébration de l’esthétique rococo » (p. 109)6 6. Peut-être aurait-il fallu à ce niveau rappeler combien Boucher se joue de son art avec esprit et humour (et peut-être de ses commanditaires), comme ne manque pas de le souligner tout au long de sa monographie Jo Hedley7.

8 L’autre (en)jeu est celui de l’ambiguïté sexuelle. M. Hyde analyse ce « quiproquo » dans les fameuses pastorales et dans les mythologies galantes. Boucher, sans aucun doute sciemment – il était capable de peindre des mâles musclés au teint brunâtre –, maquille les différences sexuelles. Les hommes sont des presque-femmes. Ce brouillage des genres tire sa source du théâtre (les rôles masculins sont souvent joués par des femmes) et on sait que Boucher est lié à Favart à qui il a fourni costumes et décors. Cette mise en parallèle, qui suppose que l’on lit une pastorale peinte de la même manière que l’on écoute et regarde une pastorale jouée sur scène, constitue le point de départ d’une analyse fine des valeurs de la haute société parisienne du milieu du XVIIIe siècle. Boucher peint pour les gens du monde une peinture célébrant un idéal de sociabilité, de politesse et de réciprocité qui insiste sur l’égalité entre hommes et femmes et atténue la différence sexuelle. L’auteur parle alors à juste titre dans des termes choisis et à double entente de peinture « intersexuelle ».

9 Les sept ouvrages que nous avons présentés laissent voir combien la perception et la réception actuelle de l’œuvre de Boucher se clivent de part et d’autre de l’Atlantique – précisons que cela n’est pas propre aux études portant sur ce peintre. D’un côté est privilégiée une lecture centrée et comme fermée sur l’objet, en l’occurrence le dessin. On y parle de style, d’influence, de collectionneur, sans que tout cela soit questionné ; parfois, mais rarement, d’institution et d’enseignement.

10 De l’autre, on parle d’œuvres d’art et de société, et ce à l’aune de critères épistémologiques issus des intérêts et des préoccupations de notre temps. Une méthode moderne, celle des gender studies, est ainsi mise au service d’une forme d’histoire de l’art à part entière, produisant des résultats qui assurent une meilleure compréhension tout à la fois de la société parisienne des années 1730-1770 et de l’art de Boucher.

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NOTES

1. La réception et la fortune critique sont deux notions d’origine allemande pour la première et d’origine italienne pour la seconde. Si l’on en croit Pierre Vaisse, « toute tentative pour établir entre eux une distinction de sens risque de tomber dans l’arbitraire », mais celui-ci semble oublier le contexte français (« Du rôle de la réception dans l’histoire de l’art », dans Histoire de l’art, n° 35/36, octobre 1996, p. 4). 2. Fiske Kimball, Le style Louis XV : origine et évolution du rococo, Paris, 1949, p. 15-16. 3. Voir Christian Michel, « Le goût pour le dessin en France aux XVIIe et XVIIIe siècles : de l’utilisation à l’étude désintéressée », dans Revue de l’art, n° 143, 2004-1, p. 27-34. 4. Une exposition tenue en 2005 à Lisbonne au musée Calouste Gulbenkian, due à Peter Fuhring et intitulée Designing the Décor. French Drawings from the 18th Century explore et étudie avec minutie cette fonctionnalité du dessin mis en rapport pour certains d’entre eux avec des œuvres finales précises ou supposées telles pour lesquelles ils ont été conçus. 5. Rokoko : Struktur und Wesen einer europäischen Epoche, Cologne, 1991, p. 15. 6. « Madame de Pompadour at Her Toilette functions not only as an allegory of Boucher’s artistic praxis but also as a celebration of rococo aesthetics ». 7. Voir aussi notre « Boucher, une lecture de La Fontaine et de quelques autres », dans Revue de l’art, n° 141, 2003-3, p. 47-56.

INDEX

Mots-clés : image, réception, critique, historiographie, perception Keywords : image, reception, critic, historiography, perception Index géographique : France, Pays-Bas Index chronologique : 1600

AUTEURS

ÉRIC PAGLIANO INHA, [email protected]

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Paris, cartes sur table

Claude Mignot

RÉFÉRENCE

- BOUTIER, 2002 : Jean Boutier, Les plans de Paris des origines (1493) à la fin du XVIIIe siècle, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2002. 430 p., ill. ISBN : 2-7177-2230-0 ; 120 €. - PINON, LE BOUDEC, 2004 : Pierre Pinon, Bertrand Le Boudec, sous la direction de Dominique Carré, Les plans de Paris, Histoire d’une capitale, Paris, Le Passage/Bibliothèque nationale de France/Atelier parisien d’urbanisme/ Paris bibliothèques, 2004. 135 p., ill. en coul., un disque cd-roM. ISBN : 2-84742-061-64 ; 50 €. - FIERRO, SARAZIN, 2005 : Alfred Fierro, Jean-Yves Sarazin, Le Paris des Lumières d’après le plan de Turgot (1734-1739), Paris, éditions de la RMN, 2005. 143 p., ill. en n. et b. et en coul. ISBN : 2-7118-4985-6 ; 39 €.

1 Si fascinantes qu’elles soient avec leur précision de l’ordre de quelques dizaines de centimètres, jamais les images de la terre vues du ciel ne sauront remplacer les cartes, dont la valeur tient précisément dans l’équilibre variable qui s’établit entre précision et abstraction selon les objectifs visés. Le succès de ces nouvelles images du territoire va en fait de pair avec une relance de l’intérêt pour la cartographie ancienne, qui peut être la plus efficace machine à remonter le temps dans l’espace du paysage, comme dans l’espace des villes.

2 Si la quête de l’image des villes est aussi ancienne que la naissance du genre1, il semble que depuis une douzaine d’années se multiplient grandes enquêtes, individuelles et collectives, centrées sur une ville, la seule Italie, ou l’ensemble de l’espace européen, voire extra-européen2.

3 L’histoire de la cartographie a ses revues, comme Imago mundi, ses programmes de recherche et ses colloques internationaux, comme les rencontres napolitaines organisées par Cesare di Seta3.

4 Les cartes jouant un rôle crucial dans le processus de connaissance, de conquête et de maîtrise des villes, on s’est naturellement penché autant sur leur genèse4 que sur leur

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développement5. Centrées sur un plan ou une grande vue cavalière, ou au contraire mêlant images de toutes sortes, des expositions et des ouvrages ne cessent de revenir sur cette question, et naturellement la représentation des plus grandes villes d’Europe, Florence, Venise, Naples, Rome, Paris, Londres, offre le plus riche matériel6.

5 Dans le panorama européen, que l’on commence ainsi à mieux cerner, Paris n’occupe pas à l’origine une position d’avant-garde. Quand Florence, Rome, Naples et Venise ont déjà vu s’élaborer des images complexes de leur tissu urbain, on ne connaît de Paris aucune image réaliste : la plus ancienne, repérée dès 1905, est gravée pour illustrer un ouvrage publié à Paris vers 1530, et le plus ancien plan, qui a brûlé en 1871 et qui n’est plus connu que par des photographies, est peint à la gouache vers 1530. Mais après ce retard initial, Paris occupe dans cette histoire une place sans égale, tant par le nombre des plans élaborés et publiés, que par leur échelle et leur précision.

6 Trois ouvrages récents consacrés aux plans de Paris avec un champ et des objectifs sensiblement différents en témoignent : Les plans de Paris des origines (1493) à la fin du XVIIIe siècle, qui est principalement constitué d’un catalogue très complet de trois siècles de plans parisiens ; Les plans de Paris, Histoire d’une capitale, qui offre une anthologie historique, très méditée, conduite, elle, jusqu’à nos jours ; le plus récent enfin, organisé autour d’un seul plan, le plus célèbre plan de l’ancien Paris, Le Paris des Lumières d’après le plan de Turgot (1734-1739).

7 Ce dernier ouvrage, qui accompagnait une exposition, Paris, 1730, d’après le plan de Turgot, organisée par le Centre historique des archives nationales du 12 octobre 2005 au 6 janvier 2006, est un manifeste de plus de la fortune du plan levé et dessiné par Louis Brétez, dit « de Turgot », du nom de son commanditaire, Michel-Étienne Turgot, prévôt des marchands, plan qui avait cherché non tant l’exactitude des mesures que la vérité du portrait de la ville. Parce que le plan de Turgot s’inscrit « à contre-courant » en abandonnant le plan géométral pour revenir à la formule plus ancienne des plans à vol d’oiseau, il fait éclater le paradoxe inscrit au cœur de toute carte : la lisibilité réaliste sur un terrain suppose l’élision ou l’abstraction d’autres réalités. Comme le souligne un article du Mercure de France cité par P. Pinon, « on s’est proposé en faisant graver ce plan de la ville de Paris de faire voir d’un seul coup d’œil tous les édifices et toutes les rues qu’elle renferme, ce qui ne pouvait s’exécuter qu’en prenant quelques licences, que les règles austères de la géométrie et de la perspective condamnent ». Le réalisme minutieux du visage de Paris vers 1730, dessiné par Brétez en trois ans, jusqu’au détail du mobilier urbain, fanaux, bornes, trottoirs, se paye par une distorsion de certaines dimensions.

8 Aussi, dans ce beau volume, le plan est-il moins l’objet de l’étude, que le support, le guide et le fil conducteur d’une présentation du Paris de Louis XV, conduite de quartier en quartier, de la Bastille au quartier du Gros Caillou, avec, en contrepoint, gravures, dessins et tableaux. Certes le plan dessiné pour Turgot par Brétez est présenté en une dizaine de pages, qui le situe bien dans son contexte historique et culturel, mais ce chapitre introductif reste tout compte fait moins précis pour ce qui concerne le plan lui-même que la notice du catalogue de Boutier. C’est dire la qualité de ce second ouvrage.

9 Les plans de Paris des origines (1493) à la fin du XVIIIe siècle, par Jean Boutier, paru en 2002 et déjà épuisé avant même d’avoir touché le premier cercle de son public potentiel (ce qui devrait conduire, espérons-le, les responsables de la BnF à mettre en œuvre une réimpression rapide) se présente principalement comme un nouveau catalogue des

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plans de Paris, depuis l’étude pionnière d’Alfred Bonnardot (1851), que Michel Fleury avait pu juger, non sans raison, encore utile de rééditer il y a dix ans7. La logique scientifique a ici très heureusement débordé la logique institutionnelle. Publié par la BnF, ce catalogue ne se cantonne pas aux riches collections de son département des Cartes et plans, comme l’ouvrage de Léon Vallée (1908), qu’il devait remplacer mais qui reste encore utile puisqu’il porte sur un champ plus large, Paris et l’Ile-de-France. Dressé à partir des principales collections de cartes des fonds parisiens, mais aussi étrangers, il offre l’inventaire raisonné le plus exhaustif qu’on puisse imaginer : 371 familles de documents, de 1493 à 1799, tous directement ou indirectement examinés pour la rédaction de l’ouvrage dans plus de 130 lieux de conservation différents.

10 Classées par ordre chronologique de publication (dates documentées, restituées ou probables), ces 371 notices offrent successivement, après une légende sommaire, une analyse du document qui le situe dans l’histoire de la cartographie parisienne, éclairant autant que possible son ou ses commanditaires, dessinateurs, graveurs et imprimeurs, ainsi que sa diffusion. Suit une localisation extrêmement précieuse par sa précision (lieu et cote) des différents états et exemplaires connus de la carte dans les collections publiques françaises et étrangères, mais aussi des éditions en fac-similé, ce qui fait du volume un outil désormais irremplaçable.

11 Le troisième ouvrage, Les plans de Paris, Histoire d’une capitale par P. Pinon, en collaboration avec B. Le Boudec, constitué pour l’essentiel d’une présentation commentée d’une centaine de plans illustrés en pleine page, avec un choix de plans en rapport reproduits à une échelle plus petite ou un ou deux détails du grand plan retenu, occupe une position éditoriale intermédiaire. Ce volume tranche d’abord par la qualité de son illustration : le plus grand format et l’emploi de la couleur donnent aux cartes sélectionnées une beaucoup plus grande lisibilité8 que les petites images en noir et blanc de l’ouvrage de J. Boutier, où elles figurent seulement à titre d’utile aide- mémoire ; cependant, ne serait-ce que parce qu’il couvre l’ensemble de l’arc chronologique du plus ancien vrai plan encore conservé (vers 1550) à nos jours (2001), il est complémentaire de celui de J. Boutier ; mieux, précisément parce qu’il constitue une anthologie, et non un catalogue, il offre la meilleure introduction à la cartographie parisienne, aujourd’hui disponible.

12 Pour les trois siècles, où les deux ouvrages se recoupent, catalogue exhaustif d’un côté, sélection anthologique de l’autre, les commentaires de P. Pinon sont d’une longueur assez comparable aux notices de J. Boutier. L’ouvrage de P. Pinon/B. Le Boudec, qui vise un public plus large que celui de J. Boutier, peut-être même parfois plus précis que lui pour certaines notices du XVIIIe siècle que P. Pinon connaît parfaitement : ainsi ce dernier explique que pour le plan d’embellissement de Charles de Wailly (1789), l‘architecte utilise comme fond le plan de Moithey (p. 78), là où J. Boutier indique seulement que Wailly a fait réaliser une « impression faiblement encrée d’un plan de Paris » (n° 344). De manière plus spectaculaire, une double page de P. Pinon établit parfaitement l’extrême intérêt du plan en 98 feuilles, dit des Sections (p. 84-85), intérêt qu’on ne peut en aucun cas soupçonner en lisant la dizaine de lignes que lui consacre J. Boutier (n° 357 bis). Inversement, quand P. Pinon date le plan de Jean de La Grive de 1731-41 (p. 70), Boutier donne la date de 1730 pour la publication de la première feuille et de 1742 pour la dernière (n° 207), ce qui semble plus exact, puisqu’au moins la première date est donnée dans la légende de la première feuille.

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13 L’utilité du nouvel instrument de travail mis au point au terme de vingt ans de recherches par J. Boutier, secondé par Jean-Yves Sarazin et Marine Sibile, est éclatante surtout dans la présentation très complète des éditions et rééditions successives des différents plans, dans lequel s’embrouillent généralement même des chercheurs confirmés, faute de pouvoir maîtriser cette énorme production cartographique : ainsi le plan de Louis Brion de la Tour (1782) décrit brièvement et reproduit par P. Pinon (p. 68) ne connaît pas moins de trois rééditions en 1783 et 1784, chacune décrite par J. Boutier (n° 325), dont la seconde présente une mise à jour intéressante avec la représentation de la nouvelle foire de Saint-Germain.

14 Mais au-delà de cette inestimable carto-bibliographie, qui ne pourra plus être complétée que de manière très ponctuelle, l’ouvrage de J. Boutier propose explicitement dans une longue étude liminaire, « Cartographier une capitale » (p. 9-71), et implicitement dans la définition du corpus des documents inventoriés, une réflexion sur l’apparition et l’évolution de l’image des villes, qui s’inscrit dans le renouvellement européen des problématiques et qui recoupe les intéressants développements proposés par P. Pinon et B. Le Boudec dans leur ouvrage.

15 Au-delà des différences initiales d’objectifs et de champs chronologiques, les deux ouvrages ont adopté cependant des principes différents pour la définition de leur corpus, qui témoignent de la complexité de cet objet, « l’image de la ville », qui naît, ou plutôt renaît au milieu du XVe siècle.

16 L’anthologie de P. Pinon/ B. Le Boudec s’est centrée sur les plans au sens strict, mais a retenu dans son panorama certains plans, où Paris est représenté soit de façon incomplète, comme l’Atlas de la censive de l’archevêché (Pinon, p. 72-73), soit de manière décentrée, comme la carte des Chasses, dont le centre est Versailles, mais où Paris figure sur la feuille 6 (Pinon, p. 70-71), plans que J. Boutier a exclus de son catalogue, précisément pour ces raisons d’incomplétude ou de décentrement.

17 Inversement, en dépit du titre affiché, J. Boutier a inclus dans son catalogue d’autres images de Paris que les plans au sens strict, ce qui explique la date étonnante affichée dans le titre pour le plan le plus ancien, 1493, et ce nombre considérable, non moins étonnant, de 371 notices.

18 « Ce catalogue réunit et décrit, explique-t-il, les plans d’ensemble de la ville de Paris, mais aussi accessoirement les vues topographiques générales (vues panoramiques ou à vol d’oiseau, que la légende (un inventaire monumental de Paris) rattache à la cartographie urbaine ».

19 Même s’il offre plus que ce qui est annoncé, ce parti est sans doute le plus discutable du catalogue, en mêlant à la famille des plans stricto sensu des images, voire des vignettes de petites dimensions (19 x 22 cm ; 8 x 14 cm, etc.), qui n’offrent de la ville qu’une image générique ou partielle, comme des profils ou des vues panoramiques, prises des hauteurs entourant la ville : Montmartre (n° 38, 54, 64), Belleville (n° 49, 54, 64), Charonne (n° 88, 105), Chaillot (n°123), ou encore des vues dessinées depuis les voies menant à Paris ou les berges de la Seine (n° 99).

20 Mais ce choix s’explique par le souci de replacer cette forme particulière de portraits de ville que sont les plans, dans l’histoire plus générale de l’image des villes, qui éclaire la généalogie des plans et en explique la diversité de formes.

21 La première image du catalogue, qui fut utilisée pour représenter diverses villes, n’est retenue en fait que pour sa légende « Parisius » (n° 1), comme la seconde, qui en dérive,

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légendée « Paris » (n° 2). Mais déjà la troisième, élaborée vers 1530, toute sommaire qu’elle soit, préfigure assez exactement, à bien y regarder, les plans de Mathieu Mérian (1615), de Melchior Tavernier (1625) ou de Jean Boisseau (1648), qui sont en fait des vues cavalières (n° 47 et 58 ; n° 80).

22 Cependant, après cette phase de gestation, ces vues qui auraient pu figurer comme illustrations de l’introduction, contrairement à ce qui est annoncé, ont rarement une légende constituant un inventaire monumental de Paris, même sommaire. Toutes offrent de la ville une image partielle, un profil déterminé par un point de vue, qui, même s’il est élevé, donne rarement une image complète de la ville. Beaucoup se regroupent aussi en fa- mille autour d’une image mère, qui est rarement actualisée, et qui témoigne seulement des singularités du commerce de l’estampe, où de vieilles planches constituent des stocks que l’on continue à vouloir utiliser : la petite vue (18 x 27 cm) publiée à Amsterdam en 1739 (n° 222) reproduit sans mise à jour la vue depuis les hauteurs de Belleville publiée par Mérian en 1638, (n° 67).

23 Cependant, si l’on rectifiait le titre (Les plans de Paris) en fonction du contenu plus riche offert (Les images de Paris, plans, vues et profils), le corpus apparaîtrait alors inversement incomplet, alors qu’il n’est dans le parti actuel que surabondant aux marges. Pourquoi retenir en effet alors comme « vue de Paris » un profil pris de l’extérieur, plutôt qu’une vue prise de l’intérieur de la ville, comme les panoramas que l’on trouve dessinés depuis les tours de Notre-Dame ? Pourquoi privilégier les images synthétiques et ne pas retenir les suites de gravures, qui offrent des angles de vue successifs, mais complémentaires ? On se serait engagé dans une nouvelle déclinaison de formes éditoriales aux limites plus confuses encore.

24 Si le beau livre de P. Pinon offre un très solide panorama, magnifiquement illustré – la meilleure entrée possible dans le sujet –, l’ouvrage de Jean Boutier est l’outil de travail que l’on attendait. Il offre en outre une très riche bibliographie de 25 pages (p. 404-429), qui, au-delà de la littérature proprement parisienne, propose une recension inattendue et précieuse de la bibliographie sur la cartographie des villes françaises et étrangères.

25 Reste sans doute maintenant à établir de manière plus claire un tableau de cette émulation européenne autour du plan des grandes capitales : plan de Paris par Jacques Gomboust (1652), de Madrid par Teixera (1658), de Londres par Wenceslaus Hollar (1664), de Rome par Falda (1676), avec des rebondissements spectaculaires au XVIIIe : de Londres par John Strype (1720), de Paris par Brétez pour Turgot (1739), de Rome par Nolli (1748), etc.

26 En attendant cette perspective européenne, ces trois ouvrages sur les plans de Paris illustrent, à des titres divers, la richesse de ces objets singuliers : les portraits de ville, cartes, vues panoramiques et profils, ne sont pas seulement des documents – des sources pour l’étude de l’architecture de l’espace urbain et de sa gestion –, ils sont aussi des monuments, des objets en soi, instruments de gouvernement, d’identité et de propagande, comme Hilary Ballon l’avait bien montré pour les plans du temps d’Henri IV9.

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NOTES

1. Voir dans BOUTIER, 2002 (p. 9-10) le rappel de la quête vaine de François de Gonzague, duc de Mantoue, pour trouver une image de Paris. 2. Lucia Nuti, Ritratti di città, Venise, 1996 ; David Buisseret, Envisioning the city : six studies in urban cartography, Chicago, 1998. 3. Cesare de Seta éd., Città europea, (colloque, Naples, 1996), Naples, 1996 ; Cesare de Seta, Daniela Stroffolino éd., L’Europa moderna, Cartografia urbana e vedutismo, (colloque, Naples, 2000), Naples, 2001 ; Cesare de Seta éd., Tra oriente e occidente, Città e iconografia dal XV al XIX secolo, (colloque, Naples, 2003), Naples, 2004. 4. Naomi Miller, Mapping the city, the language and culture of cartography in the Renaissance, Londres/ New York, 2003, qui est centré sur l’analyse d’un groupe de cartes illustrant trois manuscrits de la Géographie de Ptolémée ; Francesco Paolo di Teodoro éd., Raphaël et Baldassare Castiglione, Lettre à Léon X, Paris, 2005 : lettre dans laquelle Raphaël pose les principes du relevé d’un plan de la Rome antique. 5. M. S. Pedley, The commerce of cartography : making and marketing maps in Eighteen-century France and England, Chicago, 2005. 6. Pour l’Italie, Cesare de Seta a lancé un projet d’« Atlante dell’iconografia delle città italiane in età moderna ». Pour le plan de Venise par Jacopo Barbari (1500), voir A volo d’uccello, Jacopo de’Barbari e le rappresentazioni di città nell Europa del Rinascimento, (cat. expo., Venise, Arsenal, 1999), Venise, 1999. Pour Rome, en attendant le résultat du projet « Catalogo illustrato delle piante di Roma », réalisé en collaboration par l’Istituto nazionale per la Grafica, la Biblioteca Hertziana et la British school, voir toujours Amato Pietro Frutaz, Le piante di Roma, Rome, 1962 ; pour le plan de Rome par Nolli (1748), voir Mario Bevilacqua, Roma nel secolo dei Lumi. Architectura, erudizione, scienza, nella pianta di G. B. Nolli, ‘celebra geometra’, Naples, 1998 et Mario Bevilacqua éd., Nolli, Vasi, Piranesi, immagine di Roma antica e moderna, rappresentare e conoscere la metropoli dei Lumi, (cat. expo., Rome, 2004-2005), Rome, 2004 ; voir aussi Cesare de Seta, ‘Imago urbis Romae’, l’immagine di Roma in età moderna, (cat. expo. Rome, Musées capitolins, 2005), Rome, 2005. Pour Londres, voir l’ouvrage déjà ancien de J. Howgego, Printed maps of London, 1553-1850, Folkstone, 1978, et sur un point plus particulier, John Schofield, Ann Saunders, Tudor London : a map and a view, Londres, 2001. 7. Alfred Bonnardot, Études archéologiques sur les anciens plans de Paris des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, (Paris, 1851), Michel Fleury éd., Paris, 1994. 8. En dépit de ce plus grand format, la limite de lisibilité est cependant vite atteinte, et l’inclusion d’un CD avec des reproductions à définition trop basse transforme ce supplément apparent en un simple doublon. On peut parier qu’il y a là les conséquences moins d’un choix éditorial que d’une énième manifestation d’une gestion comptable, et non scientifique, des fonds patrimoniaux. 9. Hilary Ballon, The Paris of Henri IV, architecture et urbanism, Cambridge, Mass./ Londres, 1991, chap. 6 : « The image of Paris, maps, city views and the new historical focus » (p. 212-249).

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INDEX

Mots-clés : carte, cartographie, historiographie, territoire, ville, paysage Keywords : map, cartography, historiography, territory, city, landscape Index géographique : Paris Index chronologique : 1700

AUTEURS

CLAUDE MIGNOT Université de Paris IV, Centre André Chastel, [email protected]

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Collectionneurs et marchands : littérature récente sur le collectionnisme français du XVIIIe siècle

Christoph Martin Vogtherr

RÉFÉRENCE

- BAILEY, 2002 : Colin B. Bailey, Patriotic Taste. Collecting Modern Art in PreRevolutionary, Paris, Londres, New Haven, Yale University Press, 2002. 346 p., 210 fig. ISBN : 0-300-08986-4 ; 55 €. - MICHEL, 2002 : Patrick Michel, « Quelques aspects du marché de l’art à Paris dans la 2e moitié du XVIIIe siècle : collectionneurs, ventes publiques et marchands », dans Michael North éd., Kunstsammeln und Geschmack im 18. Jahrhundert, (Aufklärung und Europa. Schriftenreihe des Forschungszentrums Europäische Aufklärung e. V., vol. 8), Berlin, Berlin Verlag, 2002, p. 25-46. ISBN : 3-8305-0312-1 ; 28 €. - GLORIEUX, 2002 : Guillaume Glorieux, À l’Enseigne de Gersaint. Edme-François Gersaint, marchand d’art sur le pont Notre-Dame (1694-1750), Seyssel, éd. Champ Vallon, 2002. 590 p., 101 fig. ISBN : 2-87673-344-7 ; 38,70 €.

1 En France, les recherches sur l’art français du XVIIIe siècle ont progressé à une allure considérable durant ces dernières décennies. Cependant, les parutions d’études monographiques connaissent actuellement un certain ralentissement. Bien que des recherches sur quelques artistes majeurs de la période restent à réaliser ou à refaire, la monographie est une méthode qui, assurément, atteint une certaine limite. Avec plus ou moins de succès, des expositions et des études thématiques font preuve de plus d’originalité et d’inspiration. On perçoit une volonté de poser des questions d’un intérêt plus général et de parvenir à une compréhension de l’époque qui dépasse les attributions. C’est dans cet esprit que les recherches anglo-saxonnes ont depuis

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longtemps fourni à l’histoire de l’art de nouvelles méthodes, des questions, des théories ainsi que les interprétations les plus fructueuses.

2 Dans ce contexte, l’histoire des commandes, des collections, du goût et du marché joue un rôle important pour la compréhension de la création et la perception de l’art. L’histoire du collectionnisme constitue une grande découverte et un changement crucial des paradigmes dans l’histoire de l’art. Les travaux de Francis Haskell et d’Antoine Schnapper ont effectivement dépassé la simple reconstitution des collections, pour oser une compréhension des principes et des choix du collectionnisme. L’analyse sociologique de Pierre Bourdieu ainsi que les théories de Michel Foucault sur les systèmes d’ordre ont démontré l’importance capitale de ces questions, non seulement pour l’histoire de chaque œuvre d’art mais aussi pour la définition et la création d’ « art » et de « qualité » en général. A. Schnapper et F. Haskell ont d’abord choisi le XVIIe siècle comme point de départ pour leurs problématiques et le développement de leurs méthodes. Il est bien surprenant que le XVIIIe siècle n’ait suscité d’intérêt qu’avec un important décalage dans le temps. Encore aujourd’hui, les grandes collections du XVIIIe à Paris, Saint-Pétersbourg, Stockholm, Potsdam, Dresde et Naples ne sont pas bien comprises, l’Angleterre et Venise représentant les seules exceptions importantes.

3 On peut donc se réjouir du fait que le Paris du XVIIIe siècle soit récemment devenu le sujet de plusieurs études, toutes parues en 2002, dont les résultats sont tout aussi intéressants que la variété des méthodes utilisées. Parmi celles-ci, le livre de Colin Bailey est la plus importante. Il est le premier à appliquer l’approche de F. Haskell au collectionnisme parisien en en décrivant un cas particulier : la constitution, à partir du milieu du XVIIIe siècle, de collections exclusivement consacrées à l’art français. L’auteur évoque sept collections parisiennes qu’il utilise comme exemples de « collection patriotique ». Elles représentent différents types de collectionneurs : banquier, juriste, fermier général, ou membre de la vieille noblesse. Les questions de l’enquête et le choix des exemples sont développés dans une introduction où l’auteur aborde la relation entre commanditaire et artiste, puis développe les grandes problématiques : comment évoluent les rôles relatifs des différentes écoles de peinture pendant le XVIIIe siècle ? Quel est le rôle des collectionneurs dans cette évolution ? Comment se développent les collections individuelles ? Qui encourage un tel développement ? Cette dernière question est la clef du livre et la grande motivation de l’enquête. Il est probable que la perspective américaine a aidé à définir ces questions. En effet, le phénomène étudié est comparable au caractère presque exclusivement français des grandes collections américaines de l’art du XIXe siècle.

4 La majorité des collectionneurs présentés par C. Bailey avait des liens directs avec des peintres contemporains. Ici, la distinction entre commanditaire et collectionneur est quelquefois ignorée par l’auteur. Alors que Lalive de Jully établit sa collection en achetant sur le marché, l’abbé Terray constitue la sienne en commandant une grande partie des tableaux. De quelle manière cette différence se ressent-elle dans les collections ? Quelle est la relation entre espaces et collections ? Comme Patrick Michel l’exprime dans l’article mentionné ci-après, les contemporains ont souvent discuté l’importance des formats et la différence entre une collection destinée à une galerie et celle destinée à un appartement privé. À ce sujet, C. Bailey nous fournit des détails fascinants, notamment sur les faux pendants et les cartels. Ces informations nous aident à imaginer la perception originale des tableaux, générale- ment oubliée dans les

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grandes collections nationales où le contexte premier a été supprimé. Plusieurs collectionneurs du « goût patriotique » ont aussi rassemblé des tableaux du XVIIe siècle afin de refléter le développement de l’art français à partir du Grand Siècle. Le sous-titre du livre est donc un peu réducteur, car l’auteur n’y parle pas exclusivement des collections d’art moderne.

5 Le livre de C. Bailey engendre beaucoup de questionnements et de doutes. Quelle est l’impor- tance du provincialisme dans les collections parisiennes ? Parlons-nous d’un phénomène typique ou plutôt d’une exception ? Les collections étrangères jouent-elles un rôle dans ce développement ? Frédéric II de Prusse par exemple collectionnait presque exclusivement de l’art français dès les années 1740. Où se situe exactement la transition entre les collectionneurs du type Julienne, Glucq, Verrue et ceux décrits par C. Bailey ?

6 Le phénomène parisien est-il lié à des motivations sociales spécifiques ? Cette liste de questions est une des grandes réussites du livre, ouvrant des perspectives nouvelles, nombreuses et fort enrichissantes, et présentant beaucoup de matériel d’étude inédit.

7 C’est dans ce contexte qu’un article de Patrick Michel peut offrir une aide précieuse. Dans le cadre d’un colloque sur le marché d’art européen du XVIIIe siècle, l’auteur a proposé une synthèse de la situation des recherches sur le fonctionnement du marché à Paris dans la deuxième moitié du siècle : sur le développement du goût, sur les marchands et les ventes. Alors que C. Bailey met en évidence des exemples d’un phénomène aussi spécifique qu’important, à savoir le développement d’un groupe de collections d’art français, P. Michel nous donne un aperçu du cadre institutionnel et des goûts dans la deuxième moitié du siècle. La grande vague d’intérêt pour la peinture néerlandaise est décrite en considérant le développement des prix et des ventes. En outre, P. Michel présente un choix de textes qui permettent de se faire une idée de la perception de ce phénomène à cette époque.

8 Chez C. Bailey, les collections sont reconstituées et décrites de manière exemplaire sans toujours être exhaustivement analysées ; du point de vue de P. Michel, les collections constituent des phénomènes presque marginaux autour du mouvement des œuvres d’art sur le marché. Ce qui manque dans son article est l’identification des œuvres mentionnées. Les deux méthles à unifier dans les recherches – une expérience pénible, bien connue des chercheurs. Néanmoins, la méthode de Bailey pose peut-être davantage de problèmes : comment éviter la fascination pour les gens « de goût », avec un désir d’identification qui risque d’empêcher une véritable compréhension du phénomène ? Comment décrire la motivation des individus sans oublier leur cadre social ? Quels choix sont dictés par le marché ou la pression sociale plutôt que par le collectionneur lui-même ? C. Bailey semble célébrer les riches collectionneurs plutôt qu’analyser avec distance leur activité.

9 Ce type d’enquête touche également certaines recherches monographiques. Les études sur Boucher et Greuze ont démontré le rôle des patrons, du marché et du « public » dans le développement des nouveaux courants artistiques. La situation durant la première moitié du siècle est moins connue. Notre connaissance du cercle de Watteau par exemple est encore beaucoup trop limitée pour comprendre le rôle du marché dans la genèse de son art. On attend avec impatience les études de Cordélia Hattori sur Crozat et d’Isabelle Tillerot sur Julienne. De ce fait, la première gran- de monographie sur Edme-François Gersaint joue incontestablement un rôle magistral pour la com- préhension du marché d’art parisien. Elle permet également de se faire une idée de la

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relation entre marché et création, étant donné le lien direct de Gersaint avec le chef- d’œuvre de la peinture pari- sienne de son époque et avec le « goût rocaille ».

10 Gersaint est un symbole du marché d’art parisien du XVIIIe siècle ; il est devenu un mythe grâce à l’enseigne que Watteau a peinte pour lui en 1720, à un moment où le marchand ne jouait pas encore un rôle essentiel sur la place de Paris. C’est grâce à Watteau que Gersaint est reconnu par le grand public de l’époque comme l’un des principaux marchands. Néanmoins sa véritable importance commence bien plus tard, lorsqu’il développe un nouveau type de catalogue de vente, et qu’il domine le marché des curiosités et des objets asiatiques.

11 G. Glorieux trace la carrière de Gersaint de façon chronologique, des origines de la famille en Bourgogne jusqu’à la mort du marchand à Paris en 1750. Certains chapitres abandonnent la chronologie pure pour traiter de sujets à part entière : la situation sur le pont Notre-Dame, l’édition des estampes par Gersaint, son « invention » du catalogue raisonné. Outre une liste détaillée des sources utilisées, une annexe présente des matériaux sur le Petit Pont, le pont Notre-Dame et la maison du marchand, une transcription des inventaires, ainsi qu’un répertoire des acquéreurs et de leurs achats lors des ventes dirigées par Gersaint. Le livre offre une image aussi vaste que détaillée de l’activité du marchand. En même temps, les questions qu’il pose manquent parfois de précision et mêlent parfois les perspectives. On se demande à certains moments ce que l’auteur veut démontrer, le lecteur se perdant facilement dans le livre qui oscille entre différents types de questions. Est-ce une monographie sur un marchand important ? Une étude sociologique ? Sur Watteau ? Sur le pont Notre-Dame ? Les questions très diverses formulées par G. Glorieux sont évidemment enrichissantes mais contradictoires, et l’auteur ne parvient pas à les articuler dans son étude. La reconstitution d’une « réalité » sociale sur le pont Notre-Dame n’explique pas la création de Watteau, et la manipulation de la mémoire de Watteau par Gersaint n’est pas discutée. L’aspect sociologique ne nécessite pas une reconstitution des ventes spécifiques ; le fait que le goût puisse être formé par le marché n’est pas examiné. La méthode de Carolyn Sargentson permet de meilleurs éclaircissements quant au fonctionnement du marché des objets de luxe1 1. On aurait espéré trouver dans la monographie sur Gersaint des réponses à des questions centrales : quel rôle a-t-il joué dans la création du « mythe Watteau » ? Quelle est son importance pour la nouvelle vague des chinoiseries à l’époque de Boucher et pour quelles raisons ? Comment le marchand est-il lié à la naissance d’un nouveau type de connaisseur qui y trouve une source de « distinction » sociale ? Quel est le rôle de la mode dans le développement du marché d’art et comment le phénomène est-il créé et utilisé par les négociants ? G. Glorieux parle de « progrès » (par exemple lorsqu’il évoque l’« amélioration » des catalogues de vente) au lieu de se demander qui est à l’origine des changements et dans quel but. Gersaint aurait pu fournir un case study important pour ce type de questions. Les précautions de l’approche de F. Haskell ont ici débouché sur une insuffisance de questions plus générales.

12 G. Glorieux reste fasciné par des détails. Avec beaucoup de soin, la boutique de Gersaint est reconstituée pour montrer que l’espace dans sa maison ne ressemble pas au magasin peint par Watteau. On ne peut en être très surpris, si l’on regarde les principes de création chez le peintre. La manière dont l’architecture et le fonctionnement du magasin de Gersaint auraient pu déterminer l’Enseigne est une question beaucoup plus productive, mais non envisagée par l’auteur. Pourquoi Watteau a-t-il peint l’Enseigne ?

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Quel type de commerce Watteau voulait-il montrer ? Quelles stratégies de publicité a-t- il suivi ? Gersaint exerça-t-il quelque influence sur le tableau ? Une étude sur Gersaint serait alors de circonstance pour nous aider à mieux comprendre Watteau. Présenté par G. Glorieux comme un « grand homme » du marché de l’art, Gersaint se retrouve isolé, comme le fut l’Enseigne, qui n’a atteint son statut de chef-d’œuvre qu’à la fin du XIXe siècle.

13 On nous offre une mine impressionnante d’informations détaillées, mais plus rarement une tentative d’interprétation. G. Glorieux introduit les éléments d’une histoire, qui elle-même n’est pas contée. C’est pour cette raison qu’on achève la lecture de ce travail de recherche avec une certaine déception. Cependant ce sentiment n’est pas totalement justifié : ce livre nous donne une importante somme d’informations sur le marché parisien à une période relativement méconnue. L’auteur a dépouillé les sources avec un soin exceptionnel, bien qu’il manque, dans sa bibliographie, quelques titres étrangers sur le pont Notre-Dame ou sur l’Enseigne de Watteau, titres qui touchent des questions de reconstitution et des aspects techniques importants pour son étude2 . En décrivant un pivot du réseau parisien de la première moitié du siècle, G. Glorieux nous aide considérablement à comprendre la géographie et le fonctionnement du marché à cette période. Indéniablement ce livre constitue une base solide pour des recherches futures.

14 On peut constater que le XVIIIe siècle parisien est devenu un nouveau centre d’intérêt pour l’histoire du collectionnisme. Ce qui manque d’abord est une analyse des collections typiques qui pourrait servir d’arrière-plan à des observations comme celles de Colin Bailey. Ainsi, la collection du Palais-Royal, point de départ du collectionnisme du XVIIIe siècle à Paris, n’est-elle pas encore suffisamment étudiée. Bien que beaucoup de collections restent à découvrir, ce foyer aussi développé que compliqué mérite dorénavant un débat approfondi sur les méthodes et les objectifs de recherche, comparable à la discussion méthodologique sur la Rome baroque. Le caractère profondément cosmopolite du collectionnisme et du marché du XVIIIe siècle comme les influences réciproques des différents centres européens rendent une perspective internationale indispensable. L’importance des Pays-Bas par exemple est encore mal comprise. Une comparaison des méthodes et des recherches sera nécessaire. La diversité des publications sur ce sujet reflète bien cette situation.

15 En outre, on ne peut pas appréhender le collectionnisme français du XVIIIe siècle sans considérer quelques collectionneurs et collectionneuses contemporains à l’étranger qui achetaient presque exclusivement à Paris dans le but de former des collections à caractère plus ou moins parisien. Leur influence sur le marché parisien était considérable. Ces collections étrangères sont beaucoup mieux préservées et documentées que leurs homologues françaises qui ont généralement été dispersées. Ainsi, la Suède, la Saxe, la Prusse et la Russie donnent-elles parfois une vision des collections de l’Ancien Régime en France plus représentative que celle donnée par la France elle-même. Cette source importante n’a pas encore été suffisamment étudiée par l’histoire de l’art, et plus particulière- ment en France. De plus, une comparaison plus approfondie des collections dans les différents pays serait indispensable. Plusieurs études importantes ont été récemment publiées3 3, mais n’ont pas été considérées en France : la frontière linguistique devient aussi parfois une frontière de savoir.

16 Il reste du travail pour toute une génération jusqu’à ce que l’on puisse vraiment parler d’une compréhension du collectionnisme parisien au XVIIIe siècle. Peut-être dira-t-on, plus tard, que l’année 2002 a marqué un tournant décisif ?

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NOTES

1. Carolyn Sargentson, Merchants and Luxury Markets. The Marchands Merciers of Eighteenth-Century Paris, Londres, 1996. 2. Par exemple Miron Mislin, Die überbaute Brücke : Pont Notre-Dame, Baugestalt und Sozialstruktur, Francfort sur le Main, 1982 ; Martin Sperlich, « Watteaus Ladenschild und die Perspektive », dans Wilhelm Schlink, Martin Sperlich éd., Forma et subtilitas. Festschrift für Wolfgang Schöne zum 75. Geburtstag, Berlin/New York, 1986, p. 219-224, pl. 48-49. 3. Parmi les études récentes sur les collectionneurs européens du XVIIIe siècle de l’art français, voir Merit Laine, « En Minerva för vår Nord ». Lovisa Ulrika som samlare, uppdragsgivare och byggherre, Bjärnum, 1998; Prinz Heinrich von Preußen. Ein Europäer in Rheinsberg, (cat. expo., Berlin, Rheinsberg Schloss, Stiftung Preußische Schlösser und Gärten Berlin Brandenburg, 2002), Munich/Berlin, 2002 ; Larissa Dukelskaya, Andrew Moore éd., A Capital Collection. Houghton Hall and the Hermitage, New Haven/Londres, 2002.

INDEX

Index géographique : Paris Keywords : map, cartography, historiography, territory, city, landscape Mots-clés : carte, cartographie, historiographie, territoire, ville, paysage Index chronologique : 1700

AUTEUR

CHRISTOPH MARTIN VOGTHERR Stiftung Preußische Schlösser und Gärten Berlin-Brandenburg, Potsdam, [email protected]

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