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Lurelu La seule revue québécoise exclusivement consacrée à la littérature pour la jeunesse

Le fantastique et la science-fiction dans les romans québécois pour la jeunesse Michel Lord and Donald McKenzie

Volume 6, Number 1, Spring–Summer 1983

URI: https://id.erudit.org/iderudit/12832ac

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Publisher(s) Association Lurelu

ISSN 0705-6567 (print) 1923-2330 (digital)

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Cite this article Lord, M. & McKenzie, D. (1983). Le fantastique et la science-fiction dans les romans québécois pour la jeunesse. Lurelu, 6(1), 3–8.

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par Michel Lord la science-fiction Université Laval dans les romans québécois et Donald McKenzie Institut canadien de Québec pour la jeunesse

Au Québec, la littérature fantas­ thématique de l'imaginaire présent les forces de l'au-delà dans la tique et la science-fiction destinées dans une trentaine de romans qué­ réalité quotidienne. Les représen­ à la jeunesse ont vraiment com­ bécois publiés à l'intention des tants du terrifiant s'inscrivent mencé à paraître, de façon signi­ jeunes de huit à seize ans au cours dans la tradition du roman noir, que ficative, au début des années 60. des vingt dernières années. Les l'on nomme aussi gothique par réfé­ Leur apparition coïncide avec la Yves Thériault, Suzanne Martel, rence à ses origines anglaises. Pour montée d'une veine du même genre Daniel Sernine ou Henriette Major d'autres, le fantastique se caracté­ en littérature pour adultes. Il existe ont-ils une manière unique de rise par une hésitation entre le sur­ certainement une cause commune à raconter ou existe-t-il des liens entre naturel et le réel. Todorov, qui ce phénomène, puisque ces oeuvres leurs oeuvres? Cette question ser­ défend cette théorie, est ainsi con­ s'inscrivent dans la foulée de la vira de pierre angulaire à notre duit à penser que le surnaturel expli­ Révolution tranquille. Bien qu'il étude. Mais avant d'entreprendre qué, propre à beaucoup de récits serait de première importance l'analyse proprement dite du cor­ fantastiques, ne se range pas dans d'étudier cette question sous un pus, il nous faut définir les termes la catégorie fantastique puisqu'on angle étiologique ou sociologique, utilisés. Qu'est-ce, en effet, que le s'éloigne du fantastique dès que le notre propos, plutôt tourné vers le fantastique et la science-fiction lecteur a la certitude que l'interven­ littéraire proprement dit, cherchera (SF)? tion maléfique possède une cause à mettre en lumière les formes et la Après des décennies (et même naturelle. Une étude très récente de des siècles dans le cas du fantas­ Jacques Finné tente de discréditer tique) de gloses, les spécialistes ne la thèse de Todorov. Finné soutient réussissent pas à faire l'unanimité que «tous les récits fantastiques se sur la question. Pour certains, le composeraient (...) d'une somme de fantastique est essentiellement ter­ faits de mystères aboutissant à une rifiant. Il consiste à faire intervenir explication» (p. 43). Nous voyons que cette querelle fort académique ne facilite pas beaucoup notre pro­ pos. Pour ne pas nous perdre dans les méandres de l'abstraction, nous simplifierons le problème en englo­ bant sous la même étiquette des récits qui n'ont en commun que le fait de contenir un élément de mystère, expliqué ou non. Le fantas­ tique revêt ainsi plusieurs formes qui vont du merveilleux le plus pur des contes de fées au terrifiant le plus étrange des récits d'horreur, en passant par la fantaisie héroïque (heroic ) où les forces brutes affrontent les esprits malins. Notons que la SF a récupéré cette dernière catégorie, même si la magie et la sorcellerie l'emportent sur la science. Il s'agirait d'un savoir très ancien. En résumé, on peut af­ firmer que le fantastique tire ses ef­ fets de la croyance aux esprits. La SF, pour sa part, établit ses trer, dans un premier temps, les plicité manifeste des enfants envers fondements dans les arcanes de la modalités du fantastique et, dans le monde irréel auquel ils adhèrent science, mais d'une science moder­ un second temps, celles de la SF. sans sourciller. Le merveilleux a ne transmuée par l'imagination et Nous voulons proposer une clas­ l'avantage de ne poser aucun pro­ rendue possible dans et par la fic­ sification et une esquisse d'inter­ blème aux enfants (il n'en pose qu'à tion. D'abord fictive, elle se sert du prétation qui tiennent compte des l' aux prises avec la nécessité possible créé par le nouveau savoir constantes et de certaines varian­ formelle). Les personnages de Serge scientifique et technologique pour tes. En aucun cas, faut-il le spéci­ Wilson n'hésitent jamais à croire au inventer des mondes impossibles fier, nous ne prétendons détenir la merveilleux qui surgit dans un mais imaginables. L'invraisemblan­ vérité. Toutefois, comme rien de monde naturellement magique. ce de telles constructions de l'ima­ semblable n'a encore été fait, notre Madeleine Gaudreault-Labrecque, ginaire devient, aux yeux mêmes du étude devrait servir de base à la quant à elle, touche légèrement au lecteur, plus que vraisemblable discussion ou à des analyses plus fantastique dans Le mystère du grâce à l'organisation rationnelle de complètes et plus poussées. grenier en jouant avec l'incertain et l'ensemble du discours narratif. le rêve. Elle est la seule à désamor­ C'est ainsi que la SF se définit par Le fantastique cer complètement le fantastique. l'expression «littérature conjectu­ Daniel Sernine a publié à ce jour rale rationnelle». Il s'agit presque On se serait attendu à avoir un ce qu'on pourrait presque appeler toujours d'un imaginaire prospectif corpus composé surtout d'oeuvres une trilogie du type fantastique que qui fouille les limites du possible. fantastiques lentement remplacées la SF a récupéré sous l'appellation En gros, la SF comprend trois caté­ par des oeuvres de SF. Or, c'est le quasi contrôlée de ou gories. D'abord Yheroic fantasy, contraire qui se produit. Depuis encore de . Le dont nous avons déjà parlé, puis deux ans, Daniel Sernine et Serge trésor du "Scorpion", L'épée l'aventure spatiale (space ), Wilson s'adonnent au fantastique. Arhapal et La cité inconnue forment qui serait le prolongement moderne Parmi les rares à avoir précédé ces en effet une suite, à caractère du roman d'aventures traditionnel. deux jeunes , on compte An­ historique et épique, qui se déroule Certains auteurs appuient leurs drée Maillet et Henriette Major. Le dans une Nouvelle-France mi-réelle, hypothèses en étalant leur connais­ chêne des tempêtes de Maillet con­ mi-imaginaire. Dans le premier sance des lois scientifiques et de tient une série de contes merveil­ volume, un jeune homme cherche à leurs applications. Cette catégorie a leux. Ces récits où les héros partent conquérir un trésor pendant qu'un été qualifiée de hard science fic­ en quête d'un trésor possèdent la coureur des bois débarrasse le pays 1 tion. < > particularité de renverser certains d'un seigneur s'adonnant à la sorcellerie aux dépens des Notre démarche, dans ce bref ex­ archétypes en donnant très souvent habitants. Malheureusement, le posé, sera simple. Comme nous le rôle moteur à des femmes. Hen­ récit est focalisé presque unique­ voulons isoler les principales ten­ riette Major, dans Le club des ment sur les aventures du jeune dances qui caractérisent un assez curieux, donne un grand conte mer­ héros. Or, le fantastique s'articule grand nombre d'oeuvres, nous veilleux dans lequel des enfants autour du sorcier dont les actions croyons pertinent de baser notre traversent un miroir magique (com­ demeurent secrètes et lointaines. analyse sur les récurrences, c'est-à- me dans Alice à travers le miroir de Ce premier roman voulait certaine­ dire sur les éléments formateurs du Lewis Carroll) et partent à la recher­ ment préparer le terrain à un fan­ récit (intrigues, personnages, espa­ che de l'oncle Horace disparu tastique plus élaboré. L'épée ces) qui réapparaissent d'un livre à depuis cinq ans. Pour la première Arhapal donne effectivement pré­ l'autre. Ce n'est pas un hasard si tel fois, Major campe ses héros, Marco séance au fantastique. L'on sait que espace est choisi pour servir de et Annik, deux curieux insatiables le propos du sword and sorcery, de décor à l'action de tel type de per­ qu'elle réutilise dans ses récits de façon extrêmement schématique, sonnage. Chaque écrivain a sa SF. Comme dans les contes merveil­ est d'opposer, en des époques loin­ façon bien à lui de camper un récit, leux traditionnels, les héros reçoi­ taines, un héros à une forme d'oc­ mais il se sert assez souvent d'un vent une aide magique pour affron­ cultisme maléfique. Cette histoire bagage légué par une tradition. Il ter une vilaine maléfique. L'effet de d'épée met en scène le fils du héros existe ainsi une banque de données ce conte est rehaussé par la corn- du Trésor et le fils du sorcier tué où les auteurs vont puiser des quelque cinquante ans plus tôt par modèles d'intrigues, des archétypes l'épée magique d'Arhapal. De fac­ de personnages et des décors. ture traditionnelle et ressemblant L'analyse qui suit cherche à mon- beaucoup au roman gothique, L'épée Arhapal dresse la figure ar- E%300 0 chétypale du héros (le Bien) contre (1)Nous faisons abstraction ici du courant l'archétype du vilain (le Mal). La plus récent appelé «fiction spéculative» car il ne se retrouve pas vraiment encore dans trame du récit consiste en une série la SFQ pour la jeunesse. d'embûches que le héros franchit victorieusement. Le fantastique, L'aventure risait l'attachement à la terre et présent sous la forme de hiboux pour le plaisir dévalorisait l'aventure. La mysté­ commandés mystérieusement par le rieuse boule de feu rompt évidem­ jeune sorcier, subit une éclipse au ment avec cette tradition régiona- Qui n'a pas rêvé d'une aventure dénouement. L'épée magique se liste en focalisant la narration sur gratuite, folle et merveilleuse où il laisse prendre sans que le sorcier les aventures de François, le se retrouverait en présence d'un n'intervienne. Est-ce pour ménager coureur des bois. Des hommes verts être charmant venu d'ailleurs? Le les nerfs des enfants que le héros descendus sur terre, dans ce qui est succès du film E.T. de Spielberg voit l'obstacle ultime disparaître (ou perçu comme une boule de feu, atti­ démontre à souhait que là se niche ne pas paraître à ce moment du rent par télépathie le héros vers le une des obsessions les plus vives récit) alors qu'au point de vue Nord, où ils ont installé leur base. de l'imaginaire contemporain. Dans dramatique les forces du mal Malgré l'utilisation de pouvoirs qui notre corpus, quatre récits exploi­ devraient intervenir? On s'explique obligent le héros à agir de façon tent cette intrigue archétypale. Le difficilement l'absence des hiboux, précise, l'aventure demeure un plai­ héros part à l'aventure avec un ou adjuvants du sorcier, dans ce happy sir pour le coureur des bois qui plusieurs compagnons et rencontre end. Dans La cité inconnue, le recherche précisément l'imprévu. par hasard (ou de force) un ou même sorcier cherche à se venger plusieurs extra-terrestres qui lui Dans Titralak, cadet de l'espace de la perte de l'épée magique en at­ font découvrir des merveilles in­ de Suzanne Martel, la rencontre taquant le même héros. Mais au soupçonnées. Au dénouement, avec l'extra-terrestre s'effectue en hasard des péripéties, le récit bifur­ l'extra-terrestre disparaît ou plein milieu d'une séquence de jeu que. Un autre fantastique surgit. Un retourne dans l'espace. Examinons de rôle. Les éléments du récit princi­ soir d'orage, le héros voit apparaître maintenant les variantes brodées pal et du jeu s'entremêlent au point un fantôme dans un tombeau en autour de ce schéma dans La de confondre et même d'émerveiller ruine au fond des bois où il s'était mystérieuse boule de feu de Louis Titralak, le jeune extra-terrestre. réfugié. S'il s'agit en fin de parcours Sutal, Titralak, cadet de l'espace de Une curiosité réciproque les d'un surnaturel expliqué, le récit Suzanne Martel, Le fils du sorcier de héros de la Terre et de l'espace. s'auréole d'une forme d'humour Henri Lamoureux et La ville fabu­ L'aspect amusant du récit survient discret. Le fantôme — cru tel du leuse de Henriette Major. au moment où le jeu lui-même con­ moins par le sorcier — apparaît au Louis Sutal, dans La mystérieuse vainc Titralak que l'homme possède sorcier lui-même et le terrifie. Ser­ boule de feu, fait apparaître, comme un savoir scientifique plus avancé nine inverse ainsi les archétypes dans La guerre des mondes de H.G. que le sien. propres au récit fantastique tradi­ Wells, une boule enflammée dans le Des vacances d'été en Gaspésie tionnel. ciel. Mais, à la différence du roman­ et dans le Nouveau-Québec servent Tous les auteurs de fantastique cier anglais, Sutal campe son récit à de cadre aux aventures des héros du pour jeunes de notre corpus évitent Québec sous le régime français. On Fils du sorcier de Henri Lamoureux soigneusement le fantastique terri­ assiste, de plus, à un curieux mélan­ et de La ville fabuleuse de Henriette fiant. Ils préfèrent le recours à ge de roman du terroir et de SF. Rap­ Major. Les jeunes héros de Major l'euphémisme et abondent plutôt pelons que le roman de la terre met s'amusent follement dans une ville dans le sens du merveilleux. Sans souvent en scène une bonne famille peuplée de robots réglés par ordina­ doute est-ce parce qu'il est préféra­ paysanne vivant heureuse sur sa teur. Ils sont tout étonnes de pou­ ble d'éviter des cauchemars aux en­ terre. Or, un jour, un des fils décide voir matérialiser leurs plus chers fants que les écrivains n'exploitent de partir vers les Pays d'en-haut. Ce désirs par simple commande de la que le beau versant du fantastique. moment fatal précipite la famille pensée. Mais le ravissement s'éva­ dans la misère jusqu'au jour où le nouit lorsqu'ils apprennent qu'il faut La science-fiction fils, revenant au bercail, ramène l'or­ se départir de toute la part émotive dre, le bonheur et la prospérité. Ce de son être pour habiter la ville fabuleuse. La SF peut aussi revêtir des cou­ type de roman concentre toute son attention sur la famille et ignore Si les hommes verts de Sutal, les leurs terrifiantes, mais là n'est pas robots de Major et le cadet de sa spécificité. À l'origine, on parlait tout des aventures du coureur des bois. L'idéologie dominante favo­ l'espace de Martel présentent une de merveilleux scientifique lors­ image conventionnelle de l'extra­ qu'on voulait désigner ce que nous terrestre, Lamoureux sort de la con­ reconnaissons maintenant sous vention en attribuant comme ancê­ l'étiquette SF. Peut-être que de nos tre à Bernard, son extra-terrestre, jours le fantastique se situe dans la rien de moins que Zeus lui-même. croyance aux possibilités scientifi­ Leur vaisseau spatial étant tombé ques plutôt que dans la croyance en panne sur le mont Olympe 3500 aux esprits. ans auparavant, des cosmonautes, qui firent grande impression sur les mythes connexes du salut et de la Les vilains, dans ce monde roma­ Grecs, finissent par s'installer en guérison. Ces romans mettent en nesque, appartiennent tous au Gaspésie où ils prennent l'aspect de scène des héros promis à une bril­ monde politique. Ils sont toutefois l'Amérindien, car ils aiment vivre en lante carrière qu'ils n'hésitent pas à relégués dans le passé chez Martel. harmonie avec la nature. sacrifier, au péril de leur vie, pour le Surreal, ville post-cataclysmique, a On voit que bien des libertés sont bien de l'humanité. Ils s'apparen­ réussi à sauver une partie de permises dans le monde de l'imagi­ tent de très près à la figure mythi­ l'humanité. Elle ressemble à l'arche naire. Le jeu doit toutefois avoir une que de Prométhée. Ce n'est pas par 1e Noé. Les vilains prennent des fin, le jouet se briser. Dans trois plaisir qu'ils partent à l'aventure, allures militaires chez Gagnon, Ser­ romans sur quatre, les extra-terres­ mais dans le but d'améliorer le sort nine et Corriveau. Ils agissent selon tres détruisent leur base ou s'arran­ de l'humanité ou d'en empêcher la des méthodes bien actuelles même gent pour provoquer l'amnésie. Les détérioration. Ce type de roman si le récit est, la plupart du temps, héros reviennent dans le monde or­ remet en question le fonctionne­ campé au futur. dinaire, bouclant ainsi une trajec­ ment politique et social du monde toire circulaire. Seul Sutal donne à par le truchement d'un héros qui en Tous les romanciers de cette ses héros l'occasion de partir dans découvre la faille possible ou réelle. série utilisent des décors du type de l'espace et d'ouvrir ainsi de nouvel­ Maurice Gagnon, dans sa série la caverne. Les avions se métamor­ les perspectives d'aventures. Mais Unipax, ne met qu'un seul pied dans phosent en sous-marins qui vont re­ nous verrons ces mêmes personna­ la SF. Il se sert de gadgets d'avant- joindre leurs bases sous l'eau ou les ges revenir sur terre dans Menace garde pour permettre à ses héros de glaces dans Alerte dans le Pacifique sur Montréal et Le piège à bateaux. faire échouer des manoeuvres de de Gagnon. Les Éryméens, dans guerre entre les grandes puissan­ Organisation Argus, possèdent une L'aventure pour le ces. base souterraine dans les forêts du Marc Alix dans Organisation Maine et ne vivent que sous la sur­ salut de l'humanité Argus, Oakim dans Compagnon du face de la Lune et de la planète Soleil et Luc 15 P 9 dans Surreal Érymède. La ville de Xantou, dans Dans un autre type de SF, le con­ 3000 sont tous fils ou neveu de sa­ Compagnon du Soleil, est perçue flit devient le centre de l'enjeu plutôt vant, ou membre d'une caste privilé­ comme un labyrinthe aveugle. Les qu'un simple jeu. Le personnage giée. Cette position leur permet de résistants au régime se réunissent menaçant du vilain sert de démar­ faire le bien ou de contrer les forces dans une caverne. Enfin, l'existence reur à l'action d'une quinzaine de du mal. Ils cherchent en fait à empê­ des Surréaliens, dans Surreal 3000, récits. C'est d'ailleurs ce genre de cher la mauvaise utilisation d'un a été assurée grâce à la création roman qui a attiré le plus grand secret scientifique (Sernine et d'une ville sous le mont Royal. Dans nombre d'auteurs. Le thème du Gagnon) ou à rétablir un équilibre ce contexte spatial, la quête du salut de l'humanité convient admi­ écologique ou socio-politique déjà héros est ambiguë. Il ne cherche rablement à la SF. Nous verrons rompu (Corriveau et Martel). Ils pas­ pas tant à sortir de ces lieux creux comment dans la moitié des oeu­ sent tous par des épreuves qui s'ap­ qu'à aménager une synthèse du vres de cette série, l'homme incarne parentent à une descente aux dehors et du dedans. Le mythe pro- le personnage du vilain tandis que enfers. Marc Alix meurt dans un méthéen (et même chrétien) inscrit dans l'autre moitié, la menace pro­ cimetière et ressuscite grâce à la au plus profond de cet imaginaire vient de l'extra-terrestre. technologie des extra-terrestres. est révélateur d'une volonté de réor­ Oakim doit s'exiler et être jeté au ganiser le monde. Nous avons parlé L'homme ennemi cachot avant de pouvoir faire triom­ du mythe de la guérison. C'est dans de l'homme pher la justice en Ixanor. Luc 15 P 9 un sens reliant, synthétique, qu'il suit une trajectoire similaire en faut l'entendre. Le héros qui combat Nous avons regroupé dans cette remontant à la surface d'un monde la misère (hic et nunc ou à venir) de section un roman du type space que l'on croit dévasté. Il quitte la l'humanité cherche à faire conver­ opera, Organisation Argus de Daniel sécurité du ventre surréalien pour ger toutes les possibilités ancien­ Sernine, et des romans d'anticipa­ connaître des épreuves qui débou­ nes et nouvelles du cosmos vers ce tion, Compagnon du Soleil de Moni­ chent sur une sorte de résurrection mortel sans cesse menacé par lui- que Corriveau, Surreal 3000 de du monde souterraki. même. Suzanne Martel et les huit romans de la série Unipax de Maurice Gagnon. Non seulement possèdent- Les hommes ils le caractère commun de fiction unis contre la politique, mais tous dramatisent le menace extra-terrestre mythe de la découverte (du bien et du mal, de l'ici contraignant et déce­ Le schéma semble se compliquer vant et de Tailleurs meilleur) et les un peu lorsqu'on aborde la série d'oeuvres où l'agresseur vient d'ail­ l'héroïsme que Charles Montpetit se cle. L'expédition a pour but de leurs. Mais, après l'avoir réduit à sa distingue. Son héros ressemble à découvrir pourquoi un chat a été plus simple expression, on constate monsieur Tout-le-Monde, un être or­ dessiné sur les murs d'une grotte son extrême simplicité. Dans ces dinaire qui a tout de l'anti-héros. Il gaspésienne à une époque où il n'y récits, des hommes sont envoyés en est pourtant le seul, de tous les avait pas de chats en Amérique. Le mission pour protéger la Terre con­ héros du corpus, qui sacrifie sciem­ chat qui s'est glissé dans la fusée tre un agresseur extra-terrestre. On ment sa vie pour éviter que les extra­ est le sujet même du dessin. Ces baigne ici en plein . Le terrestres n'anéantissent la Terre. deux romans ont visiblement pour Château des petits hommes verts but de donner aux enfants le goût d'Yves Thériault, Le piège à bateaux Rolande Lacerte, quant à elle, fait d'étudier l'histoire. et Menace sur Montréal de Louis provenir la menace non plus de La plus étonnante de toutes ces Sutal ainsi que Nos amis robots de l'espace, mais du centre de la Terre. oeuvres est certainement La planète Ses Interriens n'en demeurent pas Suzanne Martel se rangent dans Guenille de Gilles Rivard et Jean moins une forme d'étrangers. Le cette catégorie. Moi ou la planète de Clouâtre. L'originalité du livre tient Soleil des profondeurs, par son opti­ Charles Montpetit et Le Soleil des surtout à son écriture. Ce récit fait misme (le cosmos est entièrement profondeurs de Rolande Lacerte maîtrisé au XXIe siècle), recèle peut- un peu songer, dans sa forme, au constituent des variantes du même être une part d'ironie. Petit prince de Saint-Exupéry. Un thème. citadin nommé Guenillou se réveille La trajectoire spatiale suivie par un matin dans un monde bouleversé Des trois premiers auteurs, seuls les héros concourt à donner une mais merveilleux. Sentant qu'il lui Sutal et Martel utilisent l'espace allure complexe à la majorité de ces manque quelque chose, il part en romans mais, en fin d'analyse, on sidéral à des fins dramatiques. Thé­ voyage dans l'espace-temps grâce à constate que tout converge vers la riault se contente de plaquer un un engin propulseur, le fuseau qui Terre, cette matrice qu'il faut proté­ décor spatial au dénouement du file. Guenillou visite sept planètes ger à tout prix. récit. En règle générale, comme il pour découvrir qu'il cherche un sen­ s'agit de rencontres avec l'extra­ timent dont l'homme a perdu le terrestre, ces romans utilisent le Les voyages dans le temps sens: l'amour. Ce récit camoufle même schéma d'intrigue que nous sous une écriture très inventive un avons mis en lumière à propos des Peu d'écrivains québécois ont été regard critique sur le monde récits d'aventures pour le plaisir. La attirés par le thème du voyage dans moderne. Il est malheureusement le différence consiste ici à introduire le temps. Henriette Major dans À la seul exemple du genre, mais il des séquences d'enlèvement, de conquête du temps remet en scène préfigure peut-être le début d'une séquestration et autres formes Marco et Annik. Grâce à une inven­ nouvelle tendance. d'épreuves typiques du roman tion de leur oncle Horace, les deux d'aventures traditionnel. Suzanne enfants découvrent le mode de vie Martel joue de façon un peu moins des Indiens et des Canadiens de la Conclusion: un conventionnelle avec ce modèle Nouvelle-France. Monique Corri­ imaginaire centripète d'intrigue. Ce ne sont pas les vilains veau dans Patrick et Sophie en extra-terrestres qui séquestrent les fusée rassemble des enfants et des Ce rapide survol permet de distin­ héros mais un gouvernement terrien savants dans une machine qui guer deux constantes. La première qui, soucieux de la sécurité de la remonte le temps jusqu'au XlVe siè- est d'ordre formel et thématique Terre, croit préférable d'emprison­ tandis que la seconde, d'ordre péda­ ner des familles qu'il juge trop sym­ gogique, découle de la première. pathiques à la cause des extra­ Nous avons vu que l'aventure s'im­ terrestres. La cité pose non seulement comme forme C'est dans sa façon de traiter narrative mais également comme le inconnue motif thématique le plus récurrent. des jeunes Américains. Nous entièrement sous terre. La Terre est Tous ces romans peuvent, en effet, croyons toutefois que la science- ainsi perçue comme un creux spa­ être rangés dans la vaste catégorie fiction québécoise possède quel­ tial qui provoque le rêve de l'aven­ du roman d'aventures. Nous sen­ ques traits spécifiques. turier. Dans l'ensemble aussi, le tons qu'une volonté pédagogique Presque tous les récits privilé­ Nord ou la Gaspésie (les régions sous-tend cette survalorisation de gient la forêt et les lieux creux. Très périphériques) attirent les héros. On l'aventure qui traverse tout le cor­ souvent, le point de départ ou d'ar­ songe encore ici à la figure légen­ pus. Si les héros s'intéressent à rivée de l'action se situe dans une daire du coureur des bois allant vers l'histoire ou à la science, la plupart caverne. La partie la plus significa­ les Pays d'en-haut. Y aurait-il une des récits connotent, mais sans tive de certains romans se déroule continuité des contes et légendes trop insister, l'importance de québécoises aux récents romans de l'étude. Cette dernière joue un rôle SF? et finit toujours par servir au mieux- La SF américaine de jeunesse ex­ être de l'humanité. Le message est HKNRIETTF. MAJOR plore davantage les expaces imagi­ clair: ces romans veulent stimuler naires sidéraux. Notre SF est plus l'imagination des jeunes et susciter LE CLUB tournée vers l'ici et Tailleurs immé­ leur curiosité créatrice par le truche­ diat (à quelques exceptions près). ment du plaisir. DES CURIEUX Timidement, semble-t-il, elle se tourne vers les grands espaces. Est- Si l'originalité de ces oeuvres ne ce une manifestation d'un pays en­ semble pas évidente, c'est sans core replié sur lui-même? C'est un doute que l'imaginaire moderne se cliché qui recèle peut-être une part fait plus global, plus universel, dans de vérité. Les incidences fantasti­ un monde où l'information circule si ques ou de science-fiction, assez librement. Le jeune Québécois n'a limitées pour l'instant, constituent peut-être pas des besoins ludiques tout de même les fondements d'une et éducatifs si différents de ceux tradition québécoise.

Bibliographie

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