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DE GEORGES MELIES A JAMES CAMERON : LE CINEMA FANTASTIQUE Il intrigue, il terrorise, il fascine, il repousse ; le cinéma fantastique est certainement la forme picturale ultime, ne laissant jamais le spectateur indifférent. Foisonnant, il est l’origine d’un véritable culte de la part d’admirateurs qui se succèdent de génération en génération, toujours à l’affût de nouvelles histoires, de nouveaux personnages, monstres, tueurs en série, et plus que tout, de nouvelles peurs. Pourquoi et comment suscite-t-il un tel engouement ? Pourquoi adolescents et adultes cherchent-ils en lui ces frayeurs, ces effets spéciaux qui impressionnent ou, au contraire, font rire ? Pourquoi le cinéma fantastique représente-t-il le vivier le plus impressionnant du 7e Art, emmenant le public vers des limites toujours dépassées grâce à l’imagination des scénaristes et réalisateurs, ainsi qu’à l’évolution des effets visuels, mécaniques ou numériques ?

Avant tout, il s’agit de raconter des histoires originales. Pari osé, surtout si l’on considère ses débuts, constitués d’adaptations des œuvres les plus célèbres de la littérature gothique des XVIIIe et XIXe siècles. Solution de facilité ? On peut en douter, l’explication se trouvant dans l’influence des fantastiques (, Bram Stoker, Mary Shelley) sur la représentation picturale de la peur. Georges Méliès, père fondateur de ce cinéma, prouvera d’ailleurs le pouvoir de l’imagination dans le processus créatif, allant à l’encontre de principes ne résumant le cinéma en général – et le fantastique en particulier - qu’à une simple illustration d’œuvres déjà connues.

Afin d’expliquer cette évolution, il convient, dans un premier temps, de définir exactement le cinéma fantastique et ses ramifications : épouvante, horreur, suspense, gore… Grâce à son histoire, son renouvellement continuel pour un public toujours plus exigeant, il nous sera possible d’approfondir la connaissance des différents styles utilisés, et d’analyser la raison poussant les spectateurs à rechercher la peur dans la manière dont celle-ci est montrée à l’écran. Il faut aussi comprendre pourquoi le public recherche cette peur ; pourquoi veut-il agripper ses sièges, sursauter, se faire surprendre ? Le cinéma fantastique, dans ce cas précis, fouille ce qu’il y a au plus profond de chacun d’entre nous, réveille la bête, nous expose les faces cachées de l’humanité pour mieux nous permettre de les catalyser. Afin d'atteindre cet objectif, deux possibilités dans l’illustration visuelle du surnaturel (qui, par définition ici, s’oppose au naturel de l’homme) : suggestion, ou exhibition.

Ces deux manières de provoquer la réaction et la frayeur donnent également au cinéma fantastique une dimension sociale trop souvent ignorée. Il est, pour de nombreux réalisateurs tels que George Romero, Tobe Hooper ou John Carpenter, un outil de contestation de notre société, de ses dérives, de ses modifications continuelles ; il dénonce, montre du doigt ou anticipe. Les métaphores fantastiques deviennent alors politiques et anthropologiques. Autant de visions pessimistes et alarmantes d’un monde au bord du gouffre mais motivant aussi l’action plutôt que la passivité inhérente à l’homme. Plus que le cinéma contestataire des années 1970, le fantastique s’approprie les déviances de la science, du système administratif mondial, des outils politiques et économiques conduisant à la dérive du humain ; il tire la sonnette d’alarme et se sert de symboles pour parvenir à ses fins. Il est également témoin de l’Histoire, s’inspire de faits divers marquants (tueurs en série, catastrophes naturelles, , drames du quotidien) pour provoquer la réaction ; par la peur, mais également en imprégnant durablement la rétine et en permettant une vision active du public.

Evidemment, le cinéma fantastique reste surtout, au-delà de ces considérations sociologiques, un pur produit de divertissement que les progrès de la technologie permettent de nourrir. A l’ère d’Internet, les films n’ont jamais été aussi nombreux, le commencement de cette consommation massive s’inscrivant dans les années 1980 grâce à l’explosion des vidéoclubs. C’est alors que sont mises au grand jour les séries B et Z, que nous définirons. Aujourd’hui, il est possible pour tout un chacun de réaliser son propre film avec peu ou pas de moyens, d’une part au moyen d'un simple ordinateur permettant de confectionner des effets spéciaux le plus souvent approximatifs (les sociétés de production américaines Nu Image et The Asylum, grands fournisseurs de téléfilms destinés à la chaîne câblée SyFy Channel) ou la réappropriation de fantastiques plus anciens (le faux documentaire tournée caméra à l’épaule, ou documenteur, remis au goût du jour par des films réussis comme le Projet Blair Witch ou le premier Paranormal Activity, entre autres) Et étonnamment, ces films fauchés produits à la chaîne pour le simple plaisir des soirées du samedi entre amis sont un véritable vivier de talents reconnus aujourd’hui, un tremplin pour des carrières d’acteurs ou de réalisateurs, grâce à la volonté d’artisans toujours plus motivés et que la passion n’a jamais quittés, comme Roger Corman ou Lloyd Kaufman. Ils permettent également, de plus en plus, de pallier le manque de qualité de la production fantastique cinématographique actuelle, faite de remakes, suites ou films aux scénarii très minces, créés en continu afin d’accroître le nombre d’entrées en salles au détriment de la qualité. Mais, comme pour toute forme d’art, il y a du bon, du moins bon et du véritablement mauvais, qui provoque le rire au lieu de l’effroi, mais devient alors culte de par sa médiocrité.

I. HISTOIRE DU CINEMA FANTASTIQUE : DE L'AFFRANCHISSEMENT DES CLASSIQUES DE LA LITTERATURE GOTHIQUE AU BESOIN DE RENOUVEAU

1) Définition et apparition du cinéma fantastique

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le cinéma fantastique n’est pas apparu avec les premiers films de Georges Méliès (même si, comme nous allons le voir, il demeure le père fondateur de ce genre), mais bel et bien avec le second film des frères Lumière, « Arrivée d’un Train en Gare de La Ciotat » (souvent considéré à tort comme leur premier métrage, alors que celui-ci est « La Sortie des Usines Lumière »).

En effet, lors de la première projection de ces images, certaines personnes présentes ont eu un mouvement de recul ou se sont enfuies de la salle en voyant, sur l’écran, le train se diriger vers eux, de peur de se voir percutés par la machine ! Dès ses débuts donc, le cinéma fantastique parvient à susciter la peur. Au-delà de cet exemple, le principe de cinéma (les « images qui bougent ») est lui- même de l’ordre du fantastique, du merveilleux : un progrès technique autorisant ses réalisateurs à montrer, par le mouvement, la vie et sa perpétuelle course en avant.

Cet exemple de la réaction du public nous permet de nous poser la première question permettant de définir le cinéma fantastique : est-il uniquement source de peur ? Tout d’abord, il convient de comprendre ce qui est entendu par le terme « fantastique » : il oppose le naturel au surnaturel.

Prenons l’exemple d’un homme se levant le matin pour vaquer à ses activités quotidiennes. Cet homme, de par les habitudes de ses journées, ira d’un point A (le lever) à un point B (le coucher), accomplira les différentes actions dont il a l’habitude et suivra sa routine habituelle. C’est ce que l’on appelle le naturel : dans leur déroulement, rien ne vient perturber les événements. Par contre, prenons ce même homme, cette même succession d'actions, mais imaginons la situation suivante : à un moment donné, sur la ligne droite menant de A à B, un événement imprévu survient ; cet événement est d'ordre surnaturel, c’est-à-dire inexplicable pour l’esprit humain. Il est de l’ordre de l’irrationnel et fait basculer l’individu (ou les individus) dans ce que Franck Henry, dans Le Cinéma Fantastique (éd. Cahiers du Cinéma – Les Petits Cahiers – SCEREN-CNDP), appelle « l’a-normalité ». Ainsi, ce qui échappe à toute explication logique est de l’ordre du fantastique ; cela permet d’affirmer, quitte à choquer les puristes, que ce terme possède différentes ramifications. En effet, du fait de son caractère surnaturel, cette a-normalité peut être de plusieurs types : un tueur, un monstre, une catastrophe naturelle, une invasion extraterrestre, un fantôme, pour ne parler que des thèmes le plus souvent abordés. De ce fait, le cinéma fantastique se définit par ses multiples sujets : horreur, épouvante, science-fiction, anticipation, mais aussi policier (même si ce style sous-entend une démonstration graphique violente des images présentées, comme par exemple dans le en Italie, dont nous parlerons plus tard). Mais c’est aussi le merveilleux qui peut dominer l’œuvre (la , comme la trilogie « Le Seigneur des Anneaux » de Peter Jackson). Le but du cinéma fantastique est de provoquer une réaction chez le spectateur, lui donner à voir l’imprévisible, le déstabiliser mais également l’émouvoir. Au moment de son apparition à la fin du XIXe siècle, le cinéma crée ce sentiment, grâce à sa nouveauté, son mouvement. Pour la première fois, les images deviennent action, le quotidien en perpétuel mouvement apparaît par l’œil du cinématographe, et se présente ainsi comme le témoignage évolutif de son époque. Aux instantanés photographiques succèdent ces saynètes de la vie ; hommes est objets s’animent enfin. Or, si l’on se réfère à la littérature, un tel miracle n’apparaissait que dans les œuvres fantastiques ou de science-fiction. Les progrès de la science et la Révolution Industrielle trouvent un équivalent décrit dans les romans de Jules Verne bien sûr, mais également dans la littérature gothique, qui ancre l’irréel dans le réel. Cela est plus qu’évident dans « Les Mystères D’Udolphe » d’ (1794), dans lequel les événements inexplicables dont l’héroïne est la victime se révèlent finalement le fruit de la logique humaine. A l’inverse, d’autres livres font intervenir la peur et le surnaturel dans le quotidien d’individus jusqu’ici sans histoire ; les plus connus demeurant « » de Mary Shelley (et sa dénonciation des dérives possibles de la science) et « Dracula » de Bram Stoker. Le premier, ouvrage réaliste et pourtant effrayant (la créature échappe à son créateur), est ancré dans une réalité scientifique ; le second, dans une réalité historique (Stoker s’inspirant du prince roumain Vlad Tepes). Ainsi, chaque héros ou personnage fictionnel et fantastique trouve son origine dans une réalité qui est perturbée par les événements racontés. C’est là l’essence même du style. On le retrouve également dans « La Vénus D’Ille » de Prosper Mérimée (la statue bouge-t-elle vraiment ou est-ce une hallucination ?), les « Histoires Extraordinaires » d’Edgar Allan Poe (source intarissable d’adaptations cinématographiques du XXe siècle), les « Contes » d’Hoffmann ou ceux de Théophile Gautier, « Le Horla » de .

2) Des débuts difficiles : l’expressionnisme allemand et le cinéma parlant au secours du cinéma fantastique.

Dans un tel contexte d’effervescence littéraire, il semble difficile à la nouveauté qu’est le cinéma de se démarquer de cette influence ; un homme y parviendra cependant. Georges Méliès, par son ingéniosité, son sens de la mise en scène, son imagination débordante et en constant mouvement, s’approprie l’invention des frères Lumière afin de donner à voir des scènes fantasmagoriques hors du commun, laissant les spectateurs ébahis grâce à de premiers effets spéciaux bricolés à la va-vite mais d’une efficacité redoutable. Tout le monde garde en mémoire la fusée pénétrant dans l’œil de la lune dans « Le Voyage Dans La Lune » (1902), ou le fantôme translucide du « Revenant » (1903).

A lui seul, Méliès a, pour ainsi dire, lancé le cinéma fantastique sur ses premiers rails, et il en demeurera le pionnier jusqu’au début des années 1920, la production de ce genre de films tournant alors au ralenti, voire étant inexistante (il suffit de savoir que Méliès abandonnera le cinéma, endetté du fait de ses nombreuses œuvres, pour comprendre qu’après la surprise, le public du début du XXe siècle boudera ces tableaux mouvants furieusement créatifs). Tout au plus peut-on citer une adaptation de « Frankenstein » (1910) produite par les studios Edison et maintenant totalement disparue.

Mais l’avant-guerre n’attire pas les spectateurs ; ceux-ci conservent leurs habitudes, vont au musée, lisent, et ne voient le cinématographe que comme une curiosité, voire un instrument de prestidigitation (voir la scène consacrée à ce procédé dans « Dracula » de Francis Ford Coppola (1992)). La Première Guerre Mondiale éclate et, pour des raisons évidentes, freine la production cinématographique. Mais, au-delà, c’est bien dans l’art pictural et de la peur ambiante du conflit que, en 1919, le cinéma fantastique prendra à nouveau racine. L’expressionnisme allemand, figure irremplaçable de la peur par la déformation des perspectives et l’illustration de thèmes comme la guerre elle-même dans le but de provoquer des émotions puissantes du public, engendrera le premier véritable film d’épouvante de l’histoire du cinéma : « Le Cabinet du Docteur Caligari », de Robert Wiene (1920).

Tout, dans ce fabuleux métrage, est affaire de persectives déformées, d’angles improbables, de personnages tous plus effrayants les uns que les autres : le docteur éponyme ou l'attachant et passif personnage de Cesare. Le sujet du film lui-même est éloquent : le docteur Caligari, homme de foire, exhibe un somnambule lors d’une fête foraine. Dans la ville où se situe l’action, plusieurs meurtres ont lieu (dont le premier a été prédit par le docteur), jusqu’à l’épisode final durant lequel Caligari, poursuivi par les villageois après avoir été démasqué comme meurtrier, se réfugie dans un asile… dont il est le directeur ! Ainsi, ce film est déjà un condensé du cinéma fantastique : une situation anormale dans une ville normale (ou plutôt deux : les meurtres et le somnambule, ancêtre du colonial des années 1930), des personnages fous échappant à tout sens commun, une mise en scène oppressante et cauchemardesque). Difficile de faire une entrée en matière plus éloquente. L’expressionnisme allemand et la folie intrinsèque à ce style (du moins, dans la manière dont il est analysé et perçu) vont alors être le mètre étalon des véritables débuts du cinéma fantastique. En 1922, le chef-d’œuvre de l’effroi muet apparaît sur les écrans : Nosferatu, de F.W. Murnau.

Adaptation non officielle du Dracula de Bram Stoker (le comte Dracula devenant le compte Orlok, et ce, afin de ne pas payer de droits à la veuve de l’écrivain), le film demeure encore cependant, encore aujourd’hui, l’une des plus fidèles et impressionnantes versions du mythe. Comment ne pas trembler devant l’apparition soudaine du visage du comte au travers d’une planche vermoulue de son cercueil, alors que des rats grouillent sur celui-ci ? Le premier sursaut du public, sans aucun doute. Il est d’ailleurs amusant de constater que, hormis Caligari, les premières œuvres fantastiques au cinéma seront-elles-mêmes inspirées par les écrits gothiques dont nous avons parlé plus haut. La figure diabolique de (autre grande réalisation de Murnau en 1926) viendra également prouver ce besoin de faire avant tout intervenir le surnaturel, provoquer la peur par des créatures imaginaires ou par le biais d’images religieuses, encore marquantes à cette époque. Sans ces repères, l’homme devient fou.

Le cinéma parlant, qui fait son apparition en 1927 avec « Le Chanteur de Jazz », va permettre au fantastique de trouver ses lettres de noblesse dès le début des années 1930. Le monde sort de la crise économique mondiale, dont le fantôme hante « M Le Maudit » de Fritz Lang (1931), première histoire de tueur en série du cinéma qui nous intéresse ici. Peter Lorre donne vie à un tueur d’enfants inoubliable, hanté par ses démons, symbolisant dans son désespoir final celui des millions de personnes frappées par le krach boursier ayant eu lieu deux ans auparavant (image que l’on peut retrouver dans l’union de la police et de la pègre pour rechercher le tueur : devant une situation terrible, mieux vaut s’unir que se diviser, même si chacun lutte finalement pour sa propre survie). Ici encore, le cinéma allemand prend les devants, mais annonce également un voyage du cinéma fantastique sur chaque continent dans les 50 ans à venir, dont le premier nous emmène aux Etats- Unis.

Au lendemain de la crise économique, les studios de cinéma sont proches de la faillite. L’un d’eux, Universal, mise tout sur deux adaptations d’œuvres littéraires gothiques : « Dracula » et « Frankenstein ».

Le premier, réalisé en 1931 par Tod Browning, est rendu, si l’on peut dire, immortel grâce à l’interprétation de Bela Lugosi, devenue légendaire. Tout en cape et en regard hypnotisant, il donne au personnage inventé par Bram Stoker une dimension dramatique autant qu’effrayante (renforcée par son accent hongrois et sa manière incomparable de rouler les « r », devenue mythique). La même année, et toujours pour le même studio, est adapté « Frankenstein » de Mary Shelley, réalisé par James Whale. Là encore, nouvelle découverte d’une icône du cinéma fantastique : Boris Karloff, dont le maquillage continue encore aujourd’hui de hanter les générations successives. Ces deux films rencontrent un succès phénoménal et sauvent Universal de la faillite. Ils parviennent, par l’épouvante, à canaliser les angoisses des spectateurs de l’après-crise ; quoi de mieux que divertir et effrayer en utilisant des recettes qui fonctionnent (l’adaptation littéraire) afin de faire peur au public et ainsi lui faire oublier les années passées ? Ils créent également l’imagerie cinématographique gothique : lieux plongés dans la quasi-obscurité (le château de Dracula, le laboratoire du docteur Frankenstein), photographie discrète, plans lents accentuant le jeu des acteurs. Les mythes reprennent vie, à tel point qu’Universal lancera dès lors, afin d’assurer l’apport lucratif des métrages, son « cycle des monstres » pendant lequel d’autres figures comme la momie (toujours interprétée par Boris Karloff), le docteur Jekyll et son double maléfique Mister Hyde, ainsi que les hybrides de l’Ile du Docteur Moreau, se verront remis au goût du jour. Des suites seront également données à « Dracula » et « Frankenstein », dont la plus marquante (car surpassant l’original de 1931) sera « La Fiancée de Frankenstein » (James Whale, 1935), chef-d’œuvre du cinéma gothique américain jamais égalé (la confrontation Boris Karloff – Elsa Lanchester y étant pour beaucoup).

Les années 1930 marquent également l’apparition d’effets spéciaux saisissants, concentrés en un seul film : « King Kong », réalisé en 1933 par Ernest B. Schoedsack et Merian C. Cooper.

Le créateur des effets spéciaux, Willis H. O'Brien, donne vie à de nombreuses créatures (dont le gorille géant éponyme) grâce au procédé « image par image », lent et fastidieux mais au résultat impressionnant. La scène finale montrant Kong au sommet de l’Empire State Building et se battant contre les avions de l’armée américaine reste dans toutes les mémoires (au point d’inspirer deux remakes, en 1976 et 2005). Autre originalité du film : il s’agit de l’un des premiers longs-métrages fantastiques américains basé sur un scénario original, et non pas un ouvrage littéraire. Pendant ce temps, James Whale, le réalisateur de « Frankenstein », continue, avec brio, ses adaptations grâce à « L’Homme Invisible », pari risqué mais saisissant de réalisme.

En parallèle, la production hors Amérique ralentit considérablement, et demeure même quasiment inexistante. Il faut dire que la situation européenne des années 1930 est loin d’être propice, la montée du nazisme en Allemagne et des extrêmes en Espagne et en Italie devenant un sujet d’inquiétude interdisant la production de films fantastiques jugés trop perturbants en ces temps bouleversés. La propagande finira par prendre le dessus et il faudra attendre une quinzaine d’années avant de voir à nouveau fleurir quelques perles du genre sur le Vieux Continent.

3) De 1940 à 1980 : voyage à travers les continents

La production fantastique des années de guerre est quasiment inexistante, ceci expliquant cela. Universal épuise les ressources d’adaptations de la littérature gothique et les temps sont plus aux films de propagande (comme en témoigne l’excellent reportage « La Guerre d’Hollywood, 1939 – 1945 ») afin d’enrôler chacun dans le conflit mondial. Tout au plus peut-on citer quelques productions horrifiques qui, peut-être du fait de la période troublée lors de laquelle elles sont sorties, ont acquis au fil des décennies un statut d’œuvres cultes : « Le Loup-Garou » de George Waggner (1941), avec Lon Chaney Jr. (fils de Lon Chaney, acteur célèbre de cinéma fantastique des années 1920 surnommé « l’Homme aux mille visages »), « La Féline » (1942) de Jacques Tourneur (production Val Lewton pour la RKO, grande rivale de Universal ; les deux hommes s’associeront d’ailleurs pour plusieurs longs-métrages et le producteur permettra à Tourneur de faire carrière aux Etats-Unis, le fantastique ne parvenant pas à trouver ses marques en France, ce qui se révèle une fatalité encore aujourd’hui) et « Vaudou » (1943) du même tandem. « La Féline » introduit pour la première fois un effet cinématographique d’importance : l’effet-bus. Lors d’une scène emplie de suspense du film, l’action est coupée par l’apparition soudaine et imprévisible d’un bus, faisant sursauter le spectateur. C’est le premier « scare jump » (littéralement, « saut de peur ») de l’histoire du cinéma. Et l’impact produit par ces films est aussi important que celui des films de monstres d’Universal au début des années 1930 : ils sauvent la RKO de la faillite après le semi-échec du « Citizen Kane » d’Orson Welles. Comme quoi, le cinéma fantastique, même financièrement, a un impact non négligeable sur la production mondiale.

L’après-guerre et ses traumatismes ne laissent que peu de place au genre, et pour cause ; l’horreur est assez réelle pour ne pas déteindre sur des œuvres de fiction. Il faudra le temps de la reconstruction, soit environ six ans, avant que celle-ci ne revienne sur les écrans, par la petite porte tout de même, mais avec une verve dénonciatrice de la société qu’on ne lui connaissait pas jusqu’ici. Au début des années 1950, le fantastique entre en mutation et se divise en deux genres : le cinéma fantastique revendicatif et le cinéma fantastique ludique (fait pour le simple plaisir des spectateurs). Ainsi, « La Chose d’un Autre Monde » de Christian Nyby (1951), grâce à son histoire d’extra-terrestre découvert par une équipe de scientifiques dans les glaces de l’Arctique, se veut un pamphlet dénonçant l’utilisation de l’arme nucléaire (envisagée pour tuer « la chose » dont il est question) ainsi que la Guerre Froide naissante (l’image ne pouvant être que difficilement incompréhensible…). En 1954, soit moins de dix ans après l’horreur dont il a été victime, le Japon dénonce les effets de la bombe atomique avec le premier film du cycle « Godzilla », réalisé par Ishiro Honda, chef de fil des bandes de monstres nippons (un homme en costume de caoutchouc évolue dans une ville en carton et détruit tout sur son passage), ou « eiga ».

Affiche originale de Godzilla

De nombreuses suites de cette production Toho verront le jour, dans lesquelles le monstre affrontera d’autres créatures comme Mothra, Rodan ou même King Kong. Ces films sont toujours en production aujourd’hui et sortent régulièrement, et un remake américain, réalisé par Gareth Edwards, est même sorti en mai 2014 (faisant ainsi oublié la première tentative de relecture produite en 1998, dans une version réalisée par Roland Emmerich et de triste mémoire). Enfin, pour revenir sur le territoire américain, citons « L’Invasion des Profanateurs de Sépultures » (1956) de Don Siegel, commentaire réaliste mais tout autant propagandiste sur les risques du communisme, vecteur de conditionnement des masses.

Les années 1950 voient surtout naître un nouveau genre de films fantastiques ; les séries B. Par définition, ce sont des films réalisés pour des budgets nettement moins importants que les films promis à une grande carrière en salles (et donc réalisés ou interprétés par des artistes ayant déjà prouvé, financièrement parlant, leur potentiel créatif) et faisant appel à l’imagination de leurs créateurs, la majorité étant créée avec de véritables bouts de chandelles pour une qualité plus ou moins bonne. Il convient d’ailleurs, afin d’illustrer cette économie de moyens, d’expliquer la définition de la série B. Selon les historiens du cinéma, deux versions sont possibles : soit elles sont appelées ainsi car elles étaient destinées aux doubles programmes cinématographiques nés dans les années 1940 et permettant au public de voir, à la suite, deux films ; un gros budget (le premier à être projeté, donc le film A) et un petit budget (le film B). Soit leur nom vient du fait qu’à Hollywood, ces films étaient confectionnés dans les plus petits studios de la ville, appelés communément « plateaux B ». Nous nous arrêterons sur cette seconde définition plutôt que sur la première, la série A en elle- même n’existant pas au sens propre du terme. Le public fantastico-cinéphile créera d’ailleurs une appellation destinée aux métrages encore plus fauchés que les séries B (pouvant également définir les films de vraiment très mauvaise qualité) : les séries Z (le chef de file de ce genre à part entière étant, pour beaucoup, Edward Wood Jr avec son film « Plan 9 From Outer Space » (1959) ; nous verrons plus loin que, depuis, ce film, de par son innocence et la passion de son réalisateur, auquel Tim Burton a rendu hommage dans le fabuleux « Ed Wood » (1994), prend des allures de chef- d’œuvre en comparaison des créations actuelles…).

Un homme deviendra le représentant à part entière de la série B aux Etats-Unis et dans le monde entier : Roger Corman.

Roger Corman

Ce réalisateur et producteur de génie fait du manque de moyens financiers un véritable sacerdoce, afin de prouver qu’il est possible de créer un cinéma de qualité avec de l’imagination et quelques bouts de ficelle. Il réalisera ainsi une cinquantaine de films entre 1955 et 1990 mais se concentrera surtout sur sa fonction de producteur, collaborant à pas moins de 400 films et permettant à de nombreux réalisateurs et acteurs maintenant reconnus de faire leurs premières armes. Corman se spécialise tout d’abord dans le , puis les films de monstres gigantesques et les adaptations gothiques. C’est un touche-à-tout, inspiré et créatif, prêt à se réapproprier les genres et sous-genres du cinéma courant, les digérant et les régurgitant à sa manière. Parmi ses classiques figurent, entre autres, « La Chute de la Maison Usher » et « La Petite Boutique des Horreurs » (1960), ainsi que « La Chambre des Tortures » (1961) et « Le Masque de la Mort Rouge » (1964), deux adaptations d’Edgar Allan Poe, grand oublié des productions hollywoodiennes des années 1930 et auquel Corman rend, autant que possible, la place qui lui est due. Vincent Price

On découvre notamment, grâce à lui, des acteurs comme Vincent Price, qui deviendra le chef de file du cinéma fantastique américain des années 1960 et 1970, seul capable de lutter contre les productions anglaises de la Hammer qui vont bientôt pointer le bout de leur nez (crochu, bien évidemment). Roger Corman, du fait de son incroyable influence sur le cinéma, recevra un Oscar d’honneur amplement mérité en 2010 pour l’ensemble de sa carrière.

En 1957, l’Angleterre reprend le flambeau du cinéma fantastique avec l’apparition des films de la Hammer. Cette société de production se spécialise dans les films de monstres classiques tout d’abord avec « Frankenstein S’est Echappé » (1957) de Terence Fisher (réalisateur emblématique de la maison), mettant en vedette deux figures qui seront étroitement liées à ces films et verront leur carrière décoller grâce à eux : Peter Cushing et surtout, quelques années avant d’incarner le comte Dracula, un certain Christopher Lee, ici cantonné au rôle de la créature. Succès immédiat à travers le monde, y compris aux Etats-Unis, où le public réclame avant tout, au niveau fantastique, des films d’exploitation purs et simples (surtout les doubles programmes que nous avons évoqués plus haut, et qui vont exploser dans les années 1950 et 1960). La créature du fameux docteur n’a donc pas fini de faire parler d’elle, une suite étant réalisée dans la foulée (« La Revanche de Frankenstein », 1958). Le témoin est passé : c’est vers l’Albion qu’il faudra dorénavant se tourner pour satisfaire ses besoins en émotions fortes. La Hammer sera la figure de proue du style durant toutes les années 1960, se réappropriant les grands mythes comme Universal en son temps (Dracula, incarné par Christopher Lee ; Docteur Jekyll et Mister Hyde ; Frankenstein, donc, mais également les enquêtes parano-rmales du professeur Quatermass dans pas moins de 3 films, ces derniers étant inspirés d’une série télévisée des années 1950). Il faudra un total remaniement du genre afin de lutter contre l’influence majeure du studio sur les glorieuses 60’s, ainsi qu’un nouveau discours empreint d’actualité pour contrer sa progression.

La France va tenter l’expérience, enfin, mais avec un seul et unique succès majeur en 1959, grâce aux « Yeux Sans Visage » de Georges Franju, chef-d’œuvre de clair-obscur et réponse impressionnante aux nombreuses adaptations des dérives scientifico-anthropologiques du docteur Frankenstein. Malheureusement, et pour longtemps, la production s’arrêtera là. Il faudra attendre la fin des années 1960 et les premiers films du bourreau de travail français de la série B (ou plutôt Z), Jean Rollin, pour voir apparaître quelques films dont la qualité médiocre fait toujours sourire de nos jours.

Les Etats-Unis, en perte de vitesse totale dans le domaine du fantastique, se doivent de réagir. Cependant, la réponse aux maquillages et effets spéciaux de la Hammer, tout en artifices, ne se trouve pas dans la surenchère, mais dans la suggestion teintée d’actualité et de pulsions humaines, ainsi que des peurs de l’époque. Grâce à Alfred Hitchcock, le genre va trouver ses nouvelles lettres de noblesse : « Les Oiseaux » (1963) traumatise des générations de spectateurs grâce au renouvellement d’un style particulier de films fantastiques (le « film d’invasion animale »), un montage angoissant au possible (la scène du grenier) et un défaitisme final poignant (que se passera-t-il après le départ des protagonistes, les oiseaux ayant envahi l’île et n’ayant pas été exterminés par l’homme ?). Première écologiste de l’Histoire, « Les Oiseaux » garde encore aujourd’hui son statut de choc visuel majeur. Hitchcock renouvellera le trauma qu’il avait suscité trois ans plus tôt avec la pierre angulaire du slasher: « Psychose ».

S’inspirant du tueur en série Ed Gein (surnommé Le Boucher et responsable d’officiellement deux assassinats, mais de beaucoup plus en réalité, au vu des macabres découvertes faites dans sa résidence (abat-jour en peau humaine, par exemple) ), « Hitch » réalise l’angoisse ultime en détournant les codes du genre : il sacrifie son héroïne dès la première moitié du film lors de la fabuleuse scène de la douche (qui, pourtant, ne montre pratiquement aucune goutte de sang ou couteau perforant le corps de la victime) puis analyse les dérives de la psyché humaine en pointant du doigt les traumas de l’enfance et de l’adolescence dus à une mère possessive par le biais du personnage de Norman Bates (Anthony Perkins, condamné à être la figure de ce tueur mythique tout au long de sa carrière de par son physique et son interprétation terrifiante au possible). Le cinéma fantastique américain a trouvé sa parade à la Hammer : l'épouvante sera réaliste ou ne sera pas, et s’ancrera dans la véritable source de la peur : l’âme humaine, ses mystères et ses déviances. Dans le premier cas de figure (le réalisme perturbé par l’inexplicable auquel la science tente d’apporter ses lumières), citons le sublime « La Maison du Diable » de Robert Wise (1963), le réalisateur de… « West Side Story » ! Dans le second cas (le « ne sera pas »), les années 1960 voient l’apparition du cinéma gore (littéralement, « le sang »), grand-guignol dans lequel l’horreur graphique (bras et jambes coupés, tripes et boyaux filmés en gros plans, mais sans aucune crédibilité formelle) passe avant l’histoire elle-même. On doit cette débauche visuelle (qui engendrera de nombreux rejetons, bons ou mauvais) au réalisateur Hershell Gordon Lewis, surnommé le « Pape du Gore », et à ses premiers films, Blood Feast (1963) et 2000 Maniacs ! (1964). La dichotomie exhibition - suggestion du cinéma de genre prend alors toute sa véritable dimension et changera à jamais dans les années 1960, faisant naître les partisans de « ce que l’on ne voit pas » et ceux du « sang qui explose à l’écran ». La peur sera dorénavant inspirée par l’ombre, l’invisible, la menace ou, au contraire, par l’abject, le repoussant visuel mettant mal à l’aise le spectateur. Rares sont ceux qui sont parvenus à concilier les deux, mais il est pourtant important d’affirmer que le premier postulat reste le meilleur, d’un point de vue purement terrifiant, qui est le but du fantastique. La suggestion amène le spectateur à réfléchir, à s’identifier, et fait naître la peur pour chacun d’une manière totalement différente de son voisin. Les craintes enfantines (le monstre sous le lit, dont on a peur mais que l’on ne voit pourtant jamais, de même que celui du placard ; la peur du noir), les angoisses existentielles (le stress, vecteur de la folie ; la monstruosité de l’homme, comme Hitler l’a prouvé), ne trouvent réellement leur effet que dans ce qui n’est pas montré, ce que suppose le témoin des scènes exposées, ce qu’il ressent et craint. Au contraire, si tout est révélé de manière brute, comment faire réfléchir le public ? Cela, les réalisateurs l’auront bien compris, et l’appliqueront dans les années qui viennent.

Roi de la suggestion, Roman Polanski, avec « Répulsion » (1965) mais surtout « Rosemary’s Baby » (1968), inscrit le genre dans une nouvelle voie, purement terrifiante mais pourtant jamais exhibée. La paranoïa comme valeur humaine quotidienne (la Guerre Froide reste dans toutes les têtes, même si elle n’est pas montrée) y révèle tout son sens. A l’inverse, mais dans un même souci, « La Nuit des Morts-Vivants » de George Romero (1968) montre à l’écran ses créatures revenus d’outre-tombe, mais dans un but précis et dénonciateur, comme nous le verrons plus loin. Pour lui, exhiber l’horreur, c’est s’en servir pour faire réagir le spectateur, sans donner dans la gratuité picturale. Le cauchemar visuel a un sens, une fonction intrinsèque. Le visage du cinéma fantastique américain s'en trouvera à jamais changé.

Le début des années 1970 ancre en effet le genre dans une vision beaucoup plus réaliste et marquante, et pour cause : l'enlisement de la guerre du Vietnam et les péripéties politiques du président en place (le scandale du Watergate, notamment) ébranlent la vision idéaliste des Américains par rapport à leur pays. Les films deviennent alors les catalyseurs de ces angoisses et de ces doutes, mettant ainsi à mal les fondations de la société, notamment religieuses. « L'Exorciste » (William Friedkin, 1973) est alors plus un film sur la remise en question de la foi et du concept religieux qu'un long-métrage d'horreur, comme il est si souvent catalogué. Les interrogations du père Damien Karras face au mal possédant Regan McNeil, figure de l'innocence malmenée par des troubles existentiels prenant la forme du démon Pazuzu (qui, rappelons-le, est à l'origine une divinité protectrice, tout comme l'administration américaine vis-à-vis de ses concitoyens, du moins l'image que ceux-ci ont de la chose publique), revêtent une valeur non plus cathartique, mais surtout révélatrice de la prise de conscience générale du mensonge d'Etat suite au conflit étranger et aux malversations politiques. De même, « Massacre à la Tronçonneuse » (Tobe Hooper, 1974) qui, contrairement à ce qui a été dit et répété sur lui, n'est pas un film d'horreur (aucune goutte de sang n'est visible, seule l'ambiance malsaine et sale engendre ici la peur), illustre la folie dans laquelle l'individu plonge suite à la fermeture de son lieu de travail et, ainsi, au commencement d'une longue période de chômage. Le long-métrage pointe également du doigt l'abandon des populations rurales des grands espaces américains, livrées à elles-mêmes et devant parvenir par n'importe quel moyen à subvenir à leurs besoins. Extrême, certes, mais pourtant fortement dénonciateur. Cependant, outre-Atlantique, le divertissement résiste. « Les Dents de la Mer » (Steven Spielberg, 1975) en est le parfait exemple. Inscrit dans la continuité des films d'invasion animale dont nous avons parlé plus haut avec Alfred Hitchcock, il deviendra le père de nombreuses suites et de dérivés cinématographiques (orques tueurs, piranhas, araignées, crocodiles...), mais créera auprès du public une angoisse que l'on pourrait qualifier de « balnéaire », et ce, par accident.

A cette époque, les films à gros budget (donc à même d'attirer les spectateurs afin de renflouer les caisses des grands studios qui les produisent) étaient à l'affiche durant les fêtes de Noël, période faste de fréquentation des salles obscures. L'oeuvre de Spielberg devait elle-même sortir à cette période, fin 1974 ; malheureusement, de nombreux incidents de tournage repoussent la date, et le long-métrage se voit distribué à l'été 1975, le studio ne misant pas sur la longévité et le succès de ce dernier. A tort : « Les Dents de la Mer » engendrera un bénéfice de plusieurs millions de dollars, mais sera surtout rendu célèbre par la terreur qu'il fera naître dans l'esprit de toutes ces familles allant passer leurs vacances au bord de l'océan. Phobie de la baignade, angoisse dès qu'une ombre apparaît sur l'eau : le métrage sème un vent de panique chez les plaisanciers, à tel point que la saison touristique estivale de l'année 1975 sera proche de la catastrophe, financièrement parlant. A l'opposé, Universal gagnera une fortune grâce aux aventures du grand requin blanc imaginé par le jeune réalisateur (d'après le roman plus naturaliste de Peter Benchley), qui se fera ainsi un nom qui demeure encore de nos jours synonyme de qualité et de grands frissons. La fin des années 1970 voit le genre s'orienter vers des réalisations plus sobres, articulant leur propos autour d'un sujet qui deviendra rébarbatif tout au long de la décennie suivante. Avec « Halloween » (1978), John Carpenter révolutionne le film de tueur invisible, inspiré notamment des films italiens du style « giallo » imaginé par des créateurs comme Dario Argento et Lucio Fulci à la fin des 60's. Une nouvelle forme vient de naître et sera répétée jusqu'à satiété tout au long de la fin du 20e siècle (il survit encore de nos jours) : celle d'un assassin masqué poursuivant et mettant à mort un groupe de jeunes gens plus fascinés par l'alcool et le sexe que par leurs études. Elle portera un nom : le slasher (en anglais, « to slash » signifie « taillader », le meurtrier préférant se servir de toutes les armes blanches mises à sa disposition plutôt que d'armes à feu). Initié par Hitchcock grâce à « Psychose », ce rejeton bâtard de l'intrigue policière sera à l'origine de nombreux films et de leurs innombrables suites, les studios comme New Line ayant trouvé ainsi la poule aux œufs d'or. Point d'originalité, juste le plaisir simple (et malheureusement répétitif) de regarder une séries de meurtres imaginatifs est graphiques tout en dévorant pop-corn et boissons gazeuses. Wes Craven, avec « Scream » (1995), étudiera notamment les règles du slasher ainsi que son impact sur les jeunes populations ; une réussite divertissante et intelligente, que chaque lecteur et cinéphile soucieux d'en apprendre plus sur ce mouvement particulier se doit de visionner.

Les années 1980 seront, pour tout amateur de nouveautés horrifiques et d'épouvante, une période assez morne. L'explosion de la cassette vidéo permet bien sûr de voir – enfin – certains longs- métrages auparavant difficiles à se procurer (« Massacre à la Tronçonneuse » a été interdit dans de nombreux pays et, après avoir reçu en France une classification X (comme pour les films pornographiques), il ne sera visible que huit ans après sa création), mais poussent notamment les producteurs à financer toute une série de films n'étant que de ridicules copies des classiques de Spielberg et Carpenter. Le profit passe avant l'inventivité. En Italie, les films de cannibales succèdent aux gialli, mais ne feront pas long feu, jugés trop durs et malsains par les spectateurs. Elevés aujourd’hui au rang d'incontournables, ils sont pourtant à réserver à un public averti et au cœur bien accroché, quand ils ne sont pas purement et simplement honteux et témoignant d'une violence gratuite et inutile (le soi-disant indispensable mais honteux « Cannibal Holocaust » de Ruggero Deodato, 1980). Les monstres sont aussi de retour, notamment grâce à des réalisateurs plus soucieux de donner à rêver que faire marcher la planche à billets : John Landis (« Le Loup-Garou de Londres », 1982), Wes Craven (« Les Griffes de la Nuit », 1984) ou Joe Dante (« », 1984). Souvent sur le ton de la comédie, ils amènent cependant une bouffée d'air frais pour les fans, désespérés devant un tel manque de sang neuf (si l'on peut dire...) sur les écrans ; citons également, à ce propos, Ivan Reitman et son fabuleux « SOS Fantômes » (1984). Au- delà, rien de bien intéressant. Au milieu de ce marasme, un réalisateur va pourtant tirer son épingle du jeu : James Cameron. Avec « Terminator » (1984), il crée ce qui deviendra l'essence même du fantastique des années à venir, faisant fi des frontières du genre en alliant robotique, futurisme et horreur dans une pièce maîtresse du cinéma contemporain. Visionnaire et obsédé par son art, il devient grâce à cette performance toujours aussi stupéfiante le chef de fil des artistes modernes, repoussant les limites des effets spéciaux vers des territoires encore inexplorés, statut qu'il conservera tout au long de sa carrière, prenant un malin plaisir à toujours avoir une longueur d'avance sur ses homologues. Une recette qui fonctionne encore aujourd’hui (il suffit de regarder les prouesses technologiques utilisées pour « Avatar »).

4) De 1990 à nos jours : l'explosion du fantastique à la télévision et le nouveau langage cinématographique

L'électrochoc seul à même de réveiller les studios viendra d'un média en pleine expansion : la télévision. Deux séries vont sonner le glas des multiples resucées des classiques de la fin des seventies. « Twin Peaks », série initiée par David Lynch et Mark Frost, est un tournant à l'impact phénoménal, mélangeant intrigue policière et fantastique avec une maestria toujours admirable 25 ans plus tard. Mais c'est surtout avec la série de Chris Carter, X-Files (Aux Frontières du Réel en France), que le paysage prend une nouvelle forme. Comment, en effet, lutter contre un programme qui présente chaque semaine de nouvelles figures fantastiques et mélange les genres (science-fiction, horreur, épouvante) de manière régulière ?

Internationalement reconnues, les inventions osées mais fédératrices de Lynch, Frost et Carter permettent de rendre le fantastique abordable en s'invitant dans les foyers de millions de téléspectateurs. Les aventures métaphysiques de Dale Cooper et du shérif Truman, d'un côté, et surtout de Fox Mulder et Dana Scully de l'autre créent un phénomène d'accoutumance, chaque saison amenant son lot hebdomadaire de découvertes, d'effets spéciaux et d'histoires originales. Il est alors temps pour les studios hollywoodiens de repenser leur manière de proposer un autre cinéma, seul capable de dépasser les exemples télévisuels ici exposés.

Les suites de films à succès s'essoufflent peu-à-peu, laissant derrière elle un terrain accidenté et vidé de toute sa substance. Le genre est épuisé. Quelques fulgurances viendront redorer un temps le blason à jamais maculé de bout et de sang séché (« Sixième Sens » de M. Night Shyamalan, 1999, « Hypnose » de David Koepp, 1999). Il faudra se tourner vers le cinéma indépendant afin de chercher de nouvelles lettres de noblesses capables de reconstruire le fantastique sur de nouvelles bases.

De ce fait, « Le Projet Blair Witch » (Daniel Myrick et Eduardo Sanchez, 1999) s'apprête, avec son budget infime de 75000 dollars, à révolutionner la vision donnée depuis si longtemps de la peur. Figure de proue du documenteur (contraction des termes « documentaire » et « menteur », le principe étant de montrer à l'écran non pas un film, mais ce que des amateurs ont soi-disant tourné eux-mêmes dans une situation périlleuse, cela contribuant à briser la barrière entre réalisateurs et spectateurs), l'oeuvre est un tournant crucial, ramenant sur le devant de la scène le principe de suggestion (tout naît dans l'imagination du spectateur et aucun élément fantastique n'est exposé frontalement). Contrepied parfait des meurtres esthétiques du slasher, le long-métrage obtiendra un succès phénoménal partout dans le monde, rapportant plus de 250 millions de dollars.

Ce fantastique suggestif se retrouve au Japon, grâce à la mise au goût du jour des histoires de fantômes si chères au pays du manga. « Ring » (1997) et « Dark Water » (2002) de Hideo Nakata, mais aussi « Ju-On » (Takashi Shimizu, 2000) ou « Kaïro » (Kiyoshi Kurosawa, 2001) se réapproprient les contes d'esprits asiatiques, valorisant les effets d'angoisse immédiate et tétanisante par l'intermédiaire d'ectoplasmes aux cheveux noirs, longs et gras dissimulant ce que le spectateur imagine comme des visages torturés et défigurés. Souvent imitées mais jamais égalées, ces visions contemporaines d'histoires ancestrales fondent un nouveau genre, la « J-Horror », qui engendrera à nouveau toute une série de dérivés parfois efficaces (« La Mort en Ligne » de Takashi Miike, 2003) mais souvent insipides (l'histoire drôle mais ennuyeuse de la perruque maudite de « The Wig » (Won Shin-Yeon, 2005).

L'Espagne tire également son épingle du jeu, grâce à des réalisateurs préférant ancrer leurs œuvres dans l'histoire traumatisante de leur pays (les années franquistes) et leurs conséquences. Pour s'en convaincre, il convient de voir les chefs-d'oeuvre de Guillermo Del Toro (« L'Echine du Diable « (2001) et « Le Labyrinthe de Pan » (2006)), mais aussi de Juan Antonio Bayona (« L'Orphelinat », 2007). Les réalisations généreusement offertes par ces créateurs géniaux revêtent des atours naturalistes et profondément marquants, réalistes et vecteurs d'émotions aussi opposées que la peur et la mélancolie. Et lorsqu'ils ne sont pas les témoins de ces années sombres, certains privilégient le cinéma-choc, avec un effet dévastateur (« REC », de Jaume Balaguero et Paco Plaza, 2007). Les Etats-Unis resteront malheureusement confortablement installés sur leurs acquis, préférant proposer aux spectateurs des relectures (ou « remakes ») des films européens, sans jamais privilégier une quelconque originalité. Tant et si bien que le public exprime son insatisfaction, son ras-le-bol des effets spéciaux numériques et de la surenchère (malgré le succès de la franchise « Saw ») et préfère se tourner vers des créations indépendantes et aux budgets modestes. Citons la plus célèbre d'entre elles, « Paranormal Activity » (Oren Peli, 2009), documenteur proposant une relecture simple mais efficace du mythe de la maison hantée (portes qui grincent, bruits sourds et inquiétants venus de nulle part...). Pour un investissement de départ de 7500 dollars, il cumulera plus de 350 millions de dollars de recettes à travers le monde et donnera naissance (ne changeons pas une règle immuable dans l'esprit des studios américains) à pas moins de quatre suites (deux autres sont, à l'heure actuelle, en cours de production).

Plus récemment, la relecture du classique de Sam Raimi, « Evil Dead » (1980 ; remake en 2013) favorise l'utilisation d'effets de plateau, et donc un retour aux sources grâce à l'utilisation de méthodes artisanales sans ajout par informatique. Pour le plus grand bonheur des fans.

Que peut-on dire du cinéma français dans ce contexte de mutation constant ? Il demeure à la traîne, le fantastique n'étant pas un phénomène favorisé par notre pays (qui lui préfère le drame ou le polar). Depuis les années 1980, peu d'oeuvres suscitent l'intérêt et ont un impact aussi puissant que les bobines venant de l'étranger. Mais depuis peu, de nouveaux réalisateurs essaient de donner un souffle salvateur au genre, avec plus ou moins de succès. Parmi les meilleurs, citons le formidable « Martyrs » (Pascal Laugier, 2008), vision actuelle traumatisante de l'épreuve humaine subie depuis de nombreux siècles. Et, concernant ce qui doit être oublié, évoquons rapidement « A L'Intérieur » (Julien Maury et Alexandre Bustillo, 2007), relecture inutile des œuvres chocs des années 1970 mais ressemblant plus à une succession de clichés émoussés et sans grand intérêt.

Aujourd'hui, le fantastique est en perte de vitesse et, comme à la fin des années 1980, se voit dépassé par les créations télévisuelles (« The Walking Dead », « Game Of Thrones », « American Horror Story »). Cependant, de jeunes talents aux idées inventives et nouvelles commencent à apporter leur pierre à l'édifice ; espérons que les décideurs donneront libre cours à l'imagination inépuisable de cette nouvelle vague.

II . LE CINEMA FANTASTIQUE, REFLET DE L'EVOLUTION DE LA SOCIETE ET DES PEURS DE L'HUMAIN

Nous avons évoqué précédemment le sous-texte contenu dans des films comme « L'Exorciste » ou « Massacre à la Tronçonneuse », révélateur des interrogations des spectateurs mais également vecteur de pensée dans un domaine où celui-ci ne semble pas être primordial. Il serait en effet restrictif de considérer le cinéma fantastique comme une unique source de divertissement, n'alliant pas la forme à un fond beaucoup plus subtil qu'il n'y paraît. Au fil de son histoire, ce genre a montré du doigt les dérives de la société moderne, aussi bien d'un point de vue politique que scientifique, et a témoigné des angoisses de l'individu impuissant devant les progrès de la technologie. Plusieurs réalisations ont ainsi rendu la frontière entre fantasme et réalité encore plus ténue, allant même jusqu'à exprimer les peurs et révoltes du genre humain de manière radicale et avec un impact violent contre les exécutifs et les relations internationales tendues et belliqueuses. Il convient alors de faire un tour d'horizon non exhaustif de ces œuvres cinématographiques à part, afin de mieux comprendre les tenants et aboutissants de cette construction fantasmée mais ô combien visionnaire de la réalité.

1) Films de monstres et peur du nucléaire

L'anecdote nous vient du célèbre écrivain américain , grand maître de l'horreur littéraire actuelle. Dans son ouvrage « Ecriture – Mémoires d'Un Métier » (Albin Michel, 2001), il raconte qu'à l'âge de 13 ans, lui et ses amis allèrent voir au cinéma le film « Des Monstres Attaquent La Ville » (Gordon Douglas, 1954), dans lesquels des créatures irradiées grandissent au point de devenir gigantesques et d'attaquer l'espèce humaine. Au milieu de la projection, le directeur du cinéma intervient dans la salle, interrompt le film et informe les spectateurs que des ogives soviétiques sont tournées vers les Etats-Unis ; la crise des missiles de Cuba est en marche. Dès lors, du propre aveu de l'écrivain, sa conception de la seconde partie du long-métrage fut totalement modifiée, la fiction apparaissant sur l'écran revêtant les atours d'une menace bien réelle pesant sur le peuple américain.

Il est de notoriété publique que « Godzilla » (Ishiro Honda, 1954), le fameux monstre japonais, est une métaphore exutoire des bombes atomiques et des conséquences de leurs retombées sur les villes d'Hiroshima et de Nagasaki. La créature est en effet réveillée par les radiations et décime tout sur son passage, arme de destruction massive aussi pernicieuse et violente que la bombe elle-même. Mais il serait réducteur, comme le prouve l'anecdote ci-dessus, de considérer que cette préoccupation n'a de valeur que pour les victimes. Depuis le constat de ses effets dévastateurs, l'engin nucléaire est une source de peur constante, que l'on pense à ces exemples ou aux menaces d'explosions de centrales partout dans le monde (un excellent exemple en est donné dans le récent remake de « Godzilla » ). La crainte de la mutation due aux radiations est, pour les populations limitrophes de ces grands complexes, quotidienne.

Le film « L'Homme Qui Rétrécit » (Jack Arnold, 1957), bien qu'évoquant des pesticides, nous montre un individu exposé à un tel phénomène et dont la taille se réduit de jour en jour, jusqu'à atteindre une morphologie quasiment lilliputienne. Le progrès, quoique bénéfique, engendre toujours l'angoisse lorsqu'il est susceptible de devenir incontrôlable. La série des « Quatermass », produite par la Hammer dans les années 1950, en donne une vision scientifique effrayante mais fait grandement réfléchir.

2) Les dérives de la société de consommation

La dépendance humaine au progrès, notamment celui des services, est également l'un des sujets favoris des réalisateurs de cinéma fantastique. Citons le film le plus représentatif de cette démarche : « Zombie » (George Romero, 1978). Les deux tiers de l'action se déroulent en effet dans un supermarché, où les morts-vivants déambulent sans but précis dans les rayons. Difficile de ne pas y voir la dépendance et la passivité de clients fascinés et dépendant des produits de masse leur étant proposés. Il suffit au lecteur de regarder ses congénères dans un tel contexte, au quotidien ; l'effet est saisissant. L'être humain se voit conditionné et hypnotisé par l'offre qui lui est faite, sa diversité, mais avant tout son aspect normalisateur, l'obligeant à répondre à des besoins primaires en errant parmi les aliments afin de saisir les paquets de manière quasi automatique ; les habitudes transforment chacun de nous en animaux soumis aux desiderata du marché.

De manière plus humoristique, le film « Shaun of the Dead » (Edgar Wright, 2004) offre, dans l'une de ses scènes, un parallèle amusant entre l'employé passif se levant après une soirée de beuverie et se dirigeant sans âme vers l'épicerie du coin, accomplissant alors tous ses gestes sans passion et de manière rébarbative, cela le confondant l'espace d'un instant avec les qui l'entourent.

3) Peur de la contamination et revanche de la nature face aux abus de l'homme

Lors de sa sortie sur les écrans en 1992, la version très personnelle du mythe de Dracula par Francis Ford Coppola devient, aux yeux de certains, une métaphore du sida et de ses conséquences. Le réalisateur insiste sur le danger des maladies vénériennes et sur leur facilité à se propager. De même, plusieurs plans montrant les échanges de fluides sanguins viennent confirmer ce propos, de même que le slogan du métrage (« L'amour ne meurt jamais »). On est cependant en droit de douter de cette vision de ce classique de la fin du siècle dernier, tant celui-ci est avant tout un hommage au cinéma artisanal du début du siècle (il est l'opposé des effets spéciaux presque entièrement numériques du « Terminator 2 » de James Cameron, sorti un an auparavant), ce que démontre la scène sublime du cinématographe (le fantôme de Méliès n'est pas loin) et l'utilisation de ce même procédé durant certaines séquences (les déambulations du comte dans Londres).

Au début du XXIe siècle, après les attentats de 1995 et la peur de l'anthrax, de nombreux films évoquent les virus ou les manipulations génétiques des cellules par l'homme. David Cronenberg avait déjà utilisé ce propos dans ses premières œuvres au début des années 1980 (« Chromosome 3 », par exemple) mais c'est cette évolution scientifique qui effraie et interroge l'être humain sur les limites à ne pas franchir.

Dans « 28 Jours Plus Tard » (Danny Boyle, 2003), l'humanité est ainsi contaminée par une souche agressive de la rage, modifiée en laboratoire. De même, la nature se vengent des abus qui en sont faits et rééquilibre elle-même la balance, comme c'est le cas dans l'excellent « Phénomènes » de M. Night Shyamalan (2008). La menace d'une destruction de l'humanité par celle dont elle a abusé et par des forces la dépassant revient au goût du jour, non plus sous forme de monstre, mais au travers de la banalité du quotidien qui se voit ébranlée par des actions qui sont tout sauf artificielles et modifiées par la main de l'homme. Un juste retour à la normale, en quelque sorte.

III. LE CINEMA FANTASTIQUE, TREMPLIN POUR LES REALISATEURS ET ACTEURS

Le genre a permis, notamment grâce à des producteurs passionnés et soucieux de créer la différence (Roger Corman en est le chef de file incontestable), de voir émerger nombre d'acteurs et de réalisateurs alors inconnus mais à la carrière fulgurante. Il se révèle ainsi être un véritable vivier de talents, professionnels ou souhaitant, si l'on vulgarise, « payer leurs factures » et ayant par la suite reçu les honneurs qui leur étaient dus. De manière non exhaustive, citons par exemple :

1) George Clooney à ses débuts dans un rôle de pizzaïolo dans « Le Retour des Tomates Tueuses » (John De Bello, 1988) ;

2) Hugh Grant dans l'adaptation assez ennuyeuse de la nouvelle de Bram Stoker, « Le Repaire du Ver Blanc » (Ken Russell, 1988) ; 3) Nathan Fillion, le héros de la série « Castle », dans le ridicule « Dracula 2000 » (Patrick Lussier, 2001).

Les réalisateurs ont aussi connu une période de vache maigre, essayant par tous les moyens de sortir du lot avec le peu de moyens mis à leur disposition. Ainsi :

1) James Cameron, dont la première réalisation sera l'amusant « Piranha 2, Les Tueurs Volants » (1978) ; 2) Jonathan Demme, réalisateur de chefs-d'oeuvre comme « Le Silence Des Agneaux » et « Philadelphia », mais qui fera ses premières armes sous la protection de Roger Corman (« 5 Femmes à Abattre », 1974)

3) Francis Ford Coppola et « Dementia 13 », toujours produit par Corman, mais tentative plutôt vouée à l'échec dans le domaine de la schizophrénie meurtrière (1963). Enfin, n'oublions pas tous ces longs-métrages fauchés mais terriblement attachants car réalisés de manière totalement artisanale et sans passion, dans le but d'engranger au moins une exploitation en vidéo malgré leur qualité douteuse. Dignes successeurs d'Ed Wood (qui devient ainsi, après avoir été qualifié de plus mauvais réalisateur de tous les temps, beaucoup plus audacieux et professionnel ; c'est dire...), ils se complaisent dans le mauvais goût et la gaudriole involontaire, pour le plus grand plaisir des fans de « nanars » (nom affectueux donné à ces bandes involontairement humoristiques et dont l'auteur de ces lignes fait partie). Maître étalon de ce style quasiment surnaturel, « Killer Crocodile » (Fabrizio De Angelis, 1989) expose son lot d'effets spéciaux ratés (les mécanismes apparents dans la gueule du faux monstre ; le bras coupé collé au corps et au vrai bras de l'acteur, le tout visible en gros plan ; les yeux lumineux de l'animal, faits avec deux lampes de poche...) et de dialogues plats mais hilarants, faisant de l'ensemble un moment de comédie incomparable.

CONCLUSION

Le cinéma fantastique reste l'un des premiers genres vivants de l'histoire du 7e art. Présent dès ses origines, il n'a cessé de le suivre et d'en donner sa propre vision pendant plus de cent ans. Cependant, il convient de se méfier de l'expansion télévisuelle de cette manne visuelle ; peut-être est-il temps pour les réalisateurs et producteurs de repenser l'épouvante, l'horreur et l'angoisse avec un regard neuf, grâce à une nouvelle génération de créateurs prometteurs et ancrés dans leur époque, plutôt que de favoriser un profit qui, au fil des décennies et depuis maintenant trente ans, s'essouffle. Mais gageons que ces films osés, novateurs et créatifs sauront vite retrouver leur âge d'or, pour le plus grand bonheur des inconditionnels dévoués corps et âme à sa cause.