Canciones y Ensaladas Chansons et pièces instrumentales du Siècle d’or

Entre l’accession au trône de Charles V (1516) et la fin du règne de Philip II (1598), le Siècle d’or de la Renaissance espagnole offrit sa contribution aux multiples inventions polyphoniques qui fleurissaient alors dans le paysage européen. Il en découla un très riche répertoire de chansons etEnsalada de pièces et instrumentales, ses truculentes ainsi qu’un genre à part entière : l’ quodlibet et la “salades” musicales, à mi-chemin entre le “fricassées” parisienne...

HMA 1951627

Entre la montée au trône de Charles Quint (1516) et le déclin du règne de Philippe II (1556- 98), théâtre de la désillusion baroque, l’Espagne vécut des heures de splendeur. Cette société était pourtant bien éloignée de la leggerezza (‘légèreté’) humaniste : dans ce monde s’affrontaient violemment deux idéaux conflictuels, un dogmatisme religieux aiguisé par les craintes de la papauté et l’humanisme libéral. C’est ainsi que se faisaient face les sévères personnages du Retable de Sainte Hélène de Pedro Fernández et les figures plus affables et plus charnelles qui entourent Danaé dans les fresques peintes par Gaspar Becerra. Deux espaces coexistaient sur un même sol, l’un filtré par l’obscurité profonde des églises, l’autre encadré comme une toile abondante en fruits et fleurs, en pièces de gibier et vins réconfortants. Pressentant peut-être le ténébreux paysage dans lequel devait sombrer ce royaume qui était allé jusqu’à graver sur ses pièces de monnaie « Non sufficit orbis » («La terre ne suffit pas »), beaucoup de nobles, d’artistes et de commerçants choisirent le plaisir, certainement pas métaphorique, à l’occasion de somptueuses fêtes intimes décrites dan les poèmes d’Esteban Manuel de Villegas. Cette complexe dualité, nous la retrouvons chez l’Extrémène Juan Vásquez (c.1510-c.1560) dont la musique, largement répandue avant même sa publication1 peut être tour à tour joyeuse et expansive dans sa face profane, profonde et recueillie dans sa face religieuse à l’image de l’exemplaire Agenda defunctorum (« Office des défunts », Séville, 1556). Malgré la valeur de sa musique religieuse, c’est surtout dans la polyphonie profane que se situe l’apport de ce maître de chapelle de la Cathédrale de Badajoz, sa ville natale : une élégante simplicité d’expression, une fraîcheur pleine de charme, idéale pour agrémenter les soirées de ses protecteurs. De ses Villancicos i canciones a tres y a cuatro («Villanelles et chansons à trois et à quatre») parus à Osuna en 1551, ne nous est parvenue qu’une seule voix. On peut retrouver l’esprit en consultant la Recopilación de sonetos y villancicos (« Compilation d’airs à jouer et de villanelles ») de Séville (1560). Ce recueil contient des pièces d’une grande concision, très souvent construites sur des thèmes de chansons populaires, qui ont recours à la répétition de la phrase thématique en imitations partielles pour toutes les voix. Vásquez, qui ne refusait pas que ses œuvres fussent éditées sans version a lo divino2, instaura une notable nouveauté, la liaison permanente du refrain et du couplet. Des pages comme Cavallero, queraysme dexar, qui se développe sur une longue phrase, Ojos morenos, inspirée d’une chanson populaire et Lágrimas de mi consuelo sont autant de témoignages d’une trame polyphonique sobre, claire, fluide et équilibrée, capable de recevoir l’inspiration populaire avec souplesse et aisance. Si Vásquez fut un illustre représentant de l’école andalouse, le dynamisme de Mateo Flecha (Tarragone, c.1481-c.1553) reflète bien le bouillonnement artistique de la florissante , cour de Germaine de Foix et de Ferdinand d’Aragon, duc de Calabre, où ce musicien résida sans doute entre 1533 et 1543. Bien qu’il ait émigré plus tard vers la chapelle des infantes doña María et doña Juana, près d’Avila, sa musique n’en reste pas moins marquée de la couleur et de la spontanéité de l’école catalane. Son importante production nous est connue grâce à Mateo Flecha Le Jeune (c.1530-1604) qui remit en 1581 les œuvres de son oncle à l’imprimeur Jorge Negrino de . Il s’agit d’une anthologie intitulée Las Ensaladas de Flecha (« Les salades de Flecha »), « lequel fut Maître de Chapelle des sérénissimes Infantes de Castille, Recueillies par F. Matheo Flecha son neveu […] avec quelques unes de ce dernier et de divers auteurs, par le même corrigées et données à imprimer ». Les « divers auteurs » en question étaient Pere Alberch Vila, Chacón et Bartomeu Cárceres.

1 De la « salade »3, Miguel de Cervantes, dans son Viaje del Parnaso (« Voyage du Parnasse », chap. 63) nous dit que c’était un « genre de chansons en mêtres différents » ; selon Juan Diaz de Rengifo dans son Arte poética española, (« Art Poétique Espagnol », 44, Salamanque, 1592), il s’agissait de « strophes en redondillas4 entre lesquelles on mêle toutes sortes de mètres ». Toujours pittoresque dans les définitions de son Tesoro de la lengua Castellana o Española (1611), Sebastián de Covarrubias explique : « C’est parce que dans la salade on mêle des verdures différentes, de la viande salée, du poisson, des olives, des conserves, des confits, des jaunes d’œuf, de la fleur de bourrache […] et nous en avons de nombreuses et excellentes d’auteurs anciens, telle « el molino », « la bomba », « el fuego », « la justa », « el chilidrón, etc. » Bien qu’on trouve des précédents de ce type de composition chez Juan de Triana (deuxième moitié du XVe siècle), il existe une composition à six voix de Francisco de Peñalosa, partiellement conservée dans le Cancionero de Palacio5 (n°311) dont Hignio Anglès signale, dans son édition Las Ensaladas (Barcelone, 1954) que « le cantus et le ténor I chantent « Por les sierras de Madrid » tandis que la basse chante en et que les autres voix chantent des textes différents toujours en castillan sur des mélodies populaires ». Cependant, c’est à Flecha que revient la palme de la meilleure pratique et de la fixation du genre, qu’il dote d’une alternance entre séquences de style madrigalesque et séquences homophoniques, toujours en rapport avec des romances6 ou des chansons très populaires. Les salades, divisées en plusieurs parties – généralement de sept à douze – constituent une forme éminemment espagnole. Elles unissaient le sacré et le profane et se chantaient à Noël. Par exemple, La guerre décrit avec réalisme « la vaillance » de l’Enfant-Dieu qui vient lutter contre Lucifer, incluant des onomatopées qui imitent le son du tambour et des fifres ; on trouve la même chose dans La bombe, que Miguel de Fuenllana (mort vers 1579) arrangea pour chant et accompagnement en tablature chiffrée dans son Orpheonica lyra (Séville, 1554). Seules six des onze salades de Flecha nous sont parvenues complètes et, inévitablement, par leur « accent programmatique » selon l’expression d’Anglès, elles nous rappellent La Bataille de Marignan de Clément Janequin. La première mention connue de Joan Brudieu (c.1520-91) date des années 1538-397. Né en un lieu non précisé du diocèse de Limoges, il s’installa à la Seo d’Urgel où il fut maître de chapelle de la cathédrale bien qu’il déployât un temps son activité à Barcelone (1578) comme maître de chapelle et organiste de l’église de Santa María del Mar. C’est dans cette ville que vit le jour, en l’imprimerie d’Hubert Gotart, le livre des Madrigaux du très révérend Ioan Brudieu maistre de chapelle de la saincte Eglise de la Seo d’Urgel à quatre voix (1585)8. Son assimilation de la musique catalane et son consciencieux travail sur la poésie d’Ausias March9 associent les splendides madrigaux de Brudieu à l’art serein et jovial de l’époque de Pere Serafí et de Joan Timoneda. Ainsi, dans En lo mon pus sou dotada…, le cantus firmus reprend une mélodie d’allure populaire apparentée à la ligne simple et contenue des Béatitudes mariales – façon élégante de mettre en valeur l’invention contrapuntique du musicien. Face à l’immensité du répertoire vocal, la musique instrumentale n’occupa en Espagne, comme dans le reste de l’Europe, qu’une portion congrue, bien que son importance fût capitale si l’on considère la grande quantité de la musique écrite pour clavier et l’apport des vihuelistes. Mais, à côté de ces répertoires, se détache admirablement le Tratado de Glosas sobre Clausulas y otros generos de puntos en la Musica de Violines (Rome, 1553) dans lequel Diego Ortiz réfléchit sur l’art de la glose (variation ornementale) sur un petit dessin mélodique cadentiel (clausule). Dans le paragraphe consacré au plain-chant – les thèmes recevaient alors cette appellation sans pour autant provenir du répertoire liturgique – il propose diverses pièces qu’il nomme « Recercadas » et dans lesquelles il enseigne le meilleur moyen pour la viduela à arc (viole de gambe) d’assurer le discantus, (le « déchant »), avec un autre instrument. Parmi les plus connues de ces recercadas se trouvent les quatre écrites sur le madrigal à quatre voix de Jacques Arcadelt, O felici occhi miei – la première et la troisième sur la quatrième voix ; la seconde sur le cantus ; la quatrième est une invention d’Ortiz avec laquelle le madrigal passe à cinq – ainsi que les huit sur « des plains-chants qu’on appelle communément Ténors en Italie ». La Recercada VI sur la romanesque a joui d’une fortune particulière et, comme toute la série basée sur la populaire chanson Guárdame las vacas (« Garde-moi les vaches »), elle compte des variations pleines de grâce et de raffinement rythmique. Bien que toute la production de Valderrábano soit intéressante, le Livre VI (Valladolid, 1547) mérite plus d’attention : la diferencia (la variation) y atteint l’une de ses plus hautes expressions puisqu’il arriva à écrire plus d’une centaine « sur la teneur du Conde Claros 10 ». Ces variations exigent beaucoup d’aisance de l’exécutant qui doit réaliser de complexes passages agrémentés d’une profusion de trilles, de coups doubles sur la corde et autres traits. Quant à Alonso Mudarra, il destina diverses pièces de ses Tres libros en Cifras para (Séville, 1546) à la guitare – ce qui constitue la première source connue de musique pour l’instrument. Ces trois fantaisies jouissent d’une remarquable liberté dans le contrepoint ; pleines de lyrisme et d’imagination, elles représentent bien un compositeur prétendant seulement offrir ces pages « pour dégourdir les mains ». RAMON ANDRÈS d’après une traduction de Benito Pelegrin

2 1. Quelques-unes des œuvres de Vásquez apparaissent déjà dans la Silva de Sirenas (« Collection de Sirènes », Valladolid, 1547) d’Enrique de Valderrábano (c.1500-57).

2. La poésie du Siècle d’or espagnol, notamment chantée, avait pratiquement toujours deux versions, l’une profane et l’autre sacrée. Ainsi, sur un même air, un même « timbre », on pouvait chanter dans l’église un texte pieux et, à l’extérieur, un texte profane parfois très picaresque et paillard. (N.d.T.).

3. Outre des mètres divers, l’« ensalada », la « salade » littéralement, mêle souvent dans sa polyphonie des langues différentes. Un équivalent en serait le « quodlibet » ou la « fricassée ». Darius Milhaud composa de la sorte un ballet appelé Salade. (N.d.T.).

4. La redondilla est une strophe de quatre vers octosyllabiques aux rimes embrassées (abba). (N.d.T.).

5. Chansonnier de la fin du Xve siècle, de l’époque des Rois Catholiques, qui renferme 460 compositions diverses, airs de cour ou populaires. (N.d.T.).

6. Le romance (et non la romance) est un bref poème épico-lyrique en vers de huit pieds assonancés de façon uniforme aux vers pairs (dont l’ensemble forme le romancero) immense production qui se chantait et récitait et que tous les Espagnols savaient pratiquement par cœur. (N.d.T.).

7. Il est cité dans un document catalan dans lequel il est question du « maistre Jean Brudieu, chante français, grâce au soutien financier d’œuvres charitables ».

8. L’édition moderne fut publiée en 1921 par Felipe Pedrell et Higinio Anglès déjà cité.

9. Célèbre poète catalan de la première moitié du Xve siècle, auteur de poèmes d’amour. (N.d.T.).

10. L’un des plus célèbres romances du XVIe siècle. (N.d.T.).

3 2 | Matteo Flecha : La Bomba

Bomba, bomba y agua fuera! Pompez, pompez, écopez ! Vayan los cargos al mar, Jetons tout le lest à la mer, que nos imos a anegar, sinon nous allons couler, do remedio no se espera. et sans espoir de salut. A l’escota socorred! Portez secours à l’écoute ! Vosostros id al timón! Vous autres, à la barre ! Que espació, corred, corred! Quelle lenteur, courez, courez ! No veis nuestra perdición? vous voyez que nous sommes perdus. Esas gúmenas cortad Coupez donc ces cordages, porque se amaine la vela. pour affaler la voile. Hazia acá contrapesad! Faites contrepoids de ce côté. Oh, que la nave se asuela! Déjà le navire est ravagé ! Mandad calafatear, Faites-le calfater, que quizá dará remedio! cela réparera peut-être les dégâts. Ya no hay tiempo ni lugar, Nous n’en avons plus le temps, que la nao se abre por medio! le navire se fend en deux. ¿Qué haremos, qué haremos? Que ferons-nous, que ferons-nous ? ¿Si aprovechará nadar? A quoi servira de nager ? Oh, que está tan bravo el mar Oh, la mer est si furieuse que todos pereceremos. que nous périrons tous. Pipas y tablas tomemos. Prenons barriques et planches ! ¿Mas, triste yo, qué haré? Mais pauvre de moi, que ferai-je, Que yo, que no sé nadar, moriré. moi qui ne sais pas nager, je mourrai. Virgen Madre, yo prometo Sainte Vierge, je promets rezar con tino tus horas. de dire sans cesse ton office. Si, Juan, tú escapas, Jean, si tu en réchappes, hiermo horas. au désert tu iras vivre. Monserrate luego meto. Vite j’entre à Montserrat ; Yo triste ofrezco también, Moi aussi, malheureux, je promets en saliendo de este lago, dès que je sortirai de l’eau ir descalço a Santiago. d’aller pieds nus à Compostelle. Eu yendo a Jerusalén. Et moi, à Jérusalem. Santa Virgen de Loreto! Sainte Vierge de Lorette ! San Ginés, socorred nos! Saint Genest ! Que me ahogo, Santo Dios! Secourez-nous, je me noie. Que me ahogo, que me ahogo! Je me noie, je me noie. Sant Elmo, santo bendito! Mon Dieu ! Saint Elme béni ! Oh, Virgen de Guadalupe, Sainte Vierge de Guadeloupe, nuestra maldad no te ocupe. ne regarde pas nos mauvaises actions. Señora de Monserrate, Notre Dame de Montserrat, ay, señora y gran rescate. écoutez-nous, grande rédemptrice ! Oh, gran socorro y bonanza: Oh, grand secours, vent favorable, nave viene en que escapemos, voilà un navire où nous serons sauvés. allegad, que pereçemos! Approchez, nous allons périr ! Soccored, no aya tardanza. Secourez-nous sans tarder ! No sea un punto detenido, Ne ralentissez pas un instant, señores, ese batel! messieurs, votre bateau. Oh, qué ventura he tenido, Oh, quelle bonne chance j’ai eue, pues que pude entrar en él. de pouvoir y entrer ! Gratias agamus Domino Deo nostro. Il est juste et bon Dignum et justum est. de rendre grâces au Seigneur notre Dieu De tan grande beneficio Pour un si grand bienfait reçebido en este día. qu’en ce jour nous recevons, Cantemos con alegria chantons tous dans la joie, todos hoy por su servicio. aujourd’hui à son service. Ea, sus, empecemos! Oui, allons, commençons. Empieça tú, Gil Piçara, Commence, toi, Gil Pizzara, a tañer con tu guitarra, à jouer de ta guitare, nosotros te ayudaremos. et nous t’accompagnerons. Esperad que esté templada. Attendez qu’elle soit accordée. Tiémplala bien, hi de ruin. Accorde-la bien, fils de p… Oh, cómo está destemplada. Oh, qu’elle est désaccordée ! Acaba, maldito, ya! Y arriveras-tu enfin, maudit ! Din dirindin… Din dirindin… Es por demás! Rien à faire. Sube, sube un poco más. Plus haut, encore un peu plus haut. Din din din din… Din dirindin… Muy bien está! Maintenant c’est très bien. Ande, pues, nuestro apellido, En avant donc, notre appel el tañer con el cantar, jouons et chantons ensemble, concordes en alabar pour louer de concert a Jesús rezién nacido. Jésus le nouveau-né. Dindirindin… Din dirindin… Bendito el que ha venido Béni soit celui qui vient a librarnos de agonia. nous libérer de l’agonie. Bendito sea este día Béni soit ce jour que nasció el contentamiento. où notre allégresse est née. Remedió su advenimiento mil enojos. Son avènement a été le remède à mille ennuis.

4 Benditos sean los ojos Bénis soient les yeux que con piedad nos miraron, qui ont eu pitié de nous, y benditos, que ansi amansaron tal fortuna. bénis, car ils ont apaisé No quede congoxa alguna. une si mauvaise fortune. Demos prisa al navegar, Qu’il ne reste aucune angoisse. Poys o vento nos a de llevar. Empressons-nous de naviguer, Garrido es el vendaval! puis le vent nous conduira, No se vió bonança ygual qu’il est beau ce vent d’aval. sobre tan gran desatiento. Jamais il ne fut si favorable, Bien hayas tú, viento, après un si grand désastre. que ansi me ayudas Béni sois-tu, vent, contra fortuna. qui m’aides contre mon sort. Gritá, gritá todos a una, gritá: Criez, criez, tous ensemble : Bonança, bonança! Salvamiento! Bon vent, bon vent, nous sommes sauvés ; Miedo ovistes al tormento, vous avez eu bien du malheur, no tuviendo sperança. ayant perdu tout espoir. O modicae fidei! C’est très bien ainsi. Ello está muy bien ansi. Tout est fête, Gala es todo. que nul ne souffre. A nadie hoy duela la gala chinela, Nous promettons beaucoup de la china gala, la gala chinela. dans la tourmente furieuse, Mucho prometemos mais après, nous offrons en tormenta fiera, surtout beaucoup de cierges. mas luego ofreçemos Au revoir, messieurs, infinita çera. on met les voiles. A Diós, señores! A la vela! Les grands dangers ne sont pas seulement en mer, Nam si pericula sunt in mari les grands dangers sont sur terre pericula sunt in terra et les grands dangers sont dans les traîtres. et pericula in falsis fratribus. Yeux bruns

3 | Juan Vasquez : Ojos Morenos ¿Quándo nos veremos? Quand se verra-t-on ? Ojos morenos Yeux bruns, De bonica color. au bel éclat, Soys tan graciosos Vous êtes si charmants Que matays de amor, Que vous tuez d’amour, de amor morenos. d’amour brun. Ojos morenos, Yeux bruns, ¿Quándo nos veremos? Quand se verra-t-on ?

4 | Juan Vasquez : Que yo, mi madre, yo, Ah ! moi, ma mère, Que la flor de la villa m’era yo. J’étais la fleur de la ville. Ivame yo, mi madre, Quand je vais, ma mère, A vender pan a la villa Vendre le pain à la ville, I todos me dezian: Tous disent : Que panadera garrida! Quelle belle boulangère ! Garrida m’era yo, Belle j’étais, Que la flor de la villa m’era yo. J’étais la fleur de la ville.

5 | Juan Vasquez : Mi mal de causa es Mi mal de causa es y aquesto es cierto Mon mal a une cause, c’est certain, Mas no es causa de mal quien me condena, Mais ce qui me condamne n’est pas cause de mal, Porqu’es causa muy justa y es tan buena Car c’est une cause très juste et si bonne Que causa efectos de muy gran conciertos Qu’elle cause des effets d’une très grande harmonie. Mi mal efecto es, y es desconcierto, Mon mal est effet, et il n’est pas juste Llamallo mal, porque el amor ordena De l’appeler “mal”, car l’amour ordonne Que aqueste mal sea bien, aunque dé pena, Que ce mal soit un bien, quoiqu’il fasse de la peine : Y asi este nombre, mal, es nombre yncierto, Ainsi le nom de “mal” est incertain, Pues si este efecto bien, cómo maltrata? Car, si cet effet est un bien, pourquoi maltraite-t-il ? Si es mal, cómo me da tan dulce gusto? Si c’est un mal, pourquoi fait-il un si doux plaisir ? Por cierto, que en pensar estos estremos, A vrai dire, en pensant à ces termes contradictoires, Mi ser se disminuye y desbarata, Mon être se trouve affaibli et en déroute. Pues nombre para que le venga juso, Donc, pour lui donner un nom qui lui convienne Llamémosle buen mal y acertaremos. Appelons-le “bon mal” et ce sera juste.

6 | Juan Brudieu : Los gosos de nuestra señora Les Béatitudes de Notre Dame

En lo mon pus sou dotada Possédant dans ce monde dels set goigs, Mare de Deu, les sept béatitudes, Mère de Dieu, d’altres set sou heretada Vous êtes de sept autres l’héritière en los cels, com merexeu. dans les cieux, comme vous le méritez.

Lo primer es, Verge pura, La première est, Vierge pure, en lo grau que possehiu ; le rang que vous possédez ; mes que tota creatura plus que toute autre créature, vos tal gloria sentiu. vous en exhalez la gloire. Apres Deu la mes honrada Après Dieu vous êtes la plus honorée del restant sou y sereu et serez notre intermédiaire de nosaltres advocada dans les cieux, comme vous le méritez. en los cels, com merexeu.

5 Lo segon, Verge benigna, La seconde, Vierge bénie, est l’amour vos ensemps ab vostre Fill qui vous unit à votre Fils ; un voler als dos consigna vous êtes l’un l’u de l’altre sou espill. de l’autre le miroir. Sou vos tan glorificada Vous êtes si glorifiée que sempre sou y sereu, que vous êtes et serez toujours digna reyna coronada digne reine couronnée en los cels, com merexeu. dans les cieux, comme vous le méritez.

Lo tercer, Verge sancta, La troisième est, Vierge sainte, que’n la cort celestial, qu’à la cour céleste vous êtes si lumineuse claredat preneu vos tanta que Dieu qui se montre ainsi à nous qu’apres Deu mostra tal; par votre lumière de la qual illuminada, est plus que ne l’est l’astre du jour ; mes que’l jorn del sol no pren, vous êtes dans les cieux, sou de tots los sancts amada aimée de tous les saints, en los cels, com merexeu. comme vous le méritez.

Lo quart es qu’us obeexen La quatrième est que vous obéissent sancts y sanctes fent honor, les saints et les saintes com aquella que’us conexen, faisant honneur à celle qu’ils connaissent, ser mare del Salvador, étant mère du sauveur, y regina premiada, reine récompensée cap y peus del regne seu, par son royaume entier y deessa coronada et déesse couronnée en los cels, com merexeu. dans les cieux, comme vous le méritez.

Lo quint es que’us remunera La cinquième est que vous trouvez de la reconnais- lo senyor vostres turments, dans les tourments de votre Seigneur, [ sance ab grat vostre sens espera, sans toujours attendre en retour d’aquells dons tots temps plasents. les plaisirs de ces dons. May se pert en vos soldada, Jamais en vous un salaire ne se perd, qui us serveix be l satisfeu, vous récompensez bien celui qui vous sert, per ser tant regraciada pour être si pleine de gratitude en los cels, com merexeu. dans les cieux, comme vous le méritez.

Lo sisè es que vestida La sixième est que, vêtue, sou decors glorificat, vous êtes l’ornement glorifié, y estau vos molt unida et vous êtes très unie ab la sancta Trinitat. à la sainte trinité. Als seraphins axalçada Aux séraphins, exaltée impetrau lo que voleu, vous demandez ce que vous voulez, no us es cosa denegada rien ne vous est refusé en los cels, com merexeu. dans les cieux, comme vous le méritez.

Lo setè es que sou certa La septième est que vous êtes sûre que rals goigs may finaran, que ces jouissances ne finiront jamais ni’n sereu ia mes deserta, et que vous n’en serez jamais abandonnée, ans per tots temps duraran. mais qu’elles dureront toujours. Donchs pregau per nos, amada, Donc, priez pour nous, y feu nos amichs ab Deu, Mère bien-aimée, et faites-nous amis de Dieu, pus que sou tan venerada puisque vous êtes si vénérée en los cels, com merexeu. dans les cieux, comme vous le méritez.

En lo mon pus sou dotada Possédant dans ce monde dels set goigs, Mare de Deu, les sept béatitudes, Mère de Dieu, d’altres set sou heretada Vous êtes de sept autres l’héritière en los cels, com merexeu. dans les cieux, comme vous le méritez.

8 | Juan Vasquez : Gentil señora mia, Ma gente Dame, Yo hallo en el mover de vuestros ojos Je trouve dans le mouvement de vos yeux Un no sé qué, no sé cómo nombrallo, Un je-ne-sais-quoi que je ne puis nommer, Que todos mis enojos Qui dissipe toutes les peines Descarga de mi triste fantasia. De ma triste fantaisie. Busco la soledad por contemplallo, Je cherche la solitude pour les contempler, Y en ello tantos gustos de bien hallo, Et en cela trouve tant de bien Que moriría, si el pensar durase. Que je mourrais, si cette pensée durait. Mas, este pensamiento es tan delgado, Mais cette pensée est si légère, Que presto es acabado Qu’elle s’estompe bien vite Y conviene qu’en otras cosas pase. Et qu’il convient qu’à d’autres choses je passe. Porfio en más pensar, Je m’efforce à y penser d’avantage Y estoy diziendo: En me disant : Si esto no acabase! Si ça pouvait ne jamais finir ! Mas, después veo que tanto gozar Mais ensuite, je m’aperçois que jouir à ce point No es de las cosas que pueden durar. N’est pas l’une de ces choses qui peuvent durer.

9 | Juan Vasquez : Cavallero, queraysme dexar, Chevalier, voudriez-vous me laisser, Que me dirán mal. Car ils diront du mal de moi. Oh qué mañanica mañana, O quelle matinée charmante Quando la niña y el cavallero Quand la jeune fille et le chevalier Ambos se yvan a bañar! S’en allaient se baigner ensemble. Cavallero, queraysme dexar, Chevalier, voudriez-vous me laisser, Que me dirán mal. Car ils diront du mal de moi.

6 11 | Juan Vasquez : Agora que sé d’amor me metéis Maintenant que je connais l’amour, vous m’envoyez au couvent. Ay Dios, qué grave cosa! [ monja. Hélas, mon Dieu, quelle triste chose ! Agora que sé d’amor de cavallero, Maintenant que je sais l’amour d’un chevalier, Agora me metéis monja en el monesterio, Vous me faites entrer au monastère. Ay Dios qué grave cosa! Hélas, mon Dieu, quelle triste chose !

12 | Juan Vasquez : El que sin ti bivir ya no querría, Celui qui ne voudrait plus vivre sans toi Y à mucho tiempo que morir desea, et depuis longtemps souhaite la mort, Por ver si tanto mal se acabaría, pour voir si tant de mal prendrait fin A tu merced suplica qu’ésta lea, supplie à ta grâce de lire cette lettre, Que no està ya para durar, mas parte, car il n’est plus à même de durer, mais il part Sin que d’algún alivio se provea. sans recevoir aucun soulagement.

14 | Juan Vasquez : Lágrimas de mi consuelo Larmes de ma consolation, Que aveys hecho maravillas, Que vous faites de merveilles, Y hazeys, Que vous faites Salid, salid sin recelo Vos pleurs sans méfiance Y regad estas mexillas Et arrosez les joues Que soleys. Comme de coutume.

15 | Matteo Flexa : La Guerra La Guerre

Pues la guerra està en las manos Puisque la guerre est à nos portes y para guerra nacemos, et que nous sommes nés pour la guerre, bien será nos ensayemos il sera bon de nous y essayer, para vencer los tiranos. pour vaincre les tyrans. El capitán de esta lid Le capitaine de ce combat, de nuestra parte, sabed de notre côté, sachez que es el hijo de David que c’est le fils de David y de la otra es Luzbel. et de l’autre, c’est Lucifer. Y potráse decir de él Et l’on pourra dire de lui, sin que nadie lo reproche: sans que personne n’y trouve à redire : “Quien bien tiene y mal escoge “Qui tient le bien et choisit le mal, por mal que le venga, no s’enoje” quelque mal qu’il lui arrive, ne doit pas se plaindre.” Esta es guerra de primor C’est une guerre qui demande do se requiere destreza. grand savoir et grande maîtrise. Pregónese con presteza, Publiez-la prestement con pífano y atambor. avec fifres et tambours. Farirarirá… Farirarira… Todos los buenos soldados Tous les bons soldats que asentaren a esta guerra qui s’enrôleront pour cette guerre, no quieren ir descansados. qu’ils n’attendent rien sur cette terre, Si salieren con victoria, s’ils veulent la faire sans fatigue. la paga que les darán S’ils s’en sortaient victorieux, será que sempre tendrán la solde qu’ils auront en el cielo eterna gloria. sera d’avoir au ciel El contrario es fanfarrón la gloire éternelle. y flaco contra lo fuerte. L’adversaire est fanfaron Ordénese el escuadrón, et faible en face de la force. que no se escape de muerte. Mettez en place l’escadron, La vanguardia llevarán pour qu’il n’échappe pas à la mort. los del Viejo Testamento, Ceux du Vieux Testament la batalla el capitán, formeront l’avant-garde ; con los más fuertes que están le corps d’armée, con él en su alojamiento. le capitaine avec les plus forts, La Iglesia la retarguarda. qui sont dans son cantonnement. Sus, todos al escuadrón, L’Église sera l’arrière-garde. mientras digo una canción: Sus, tous à l’escadron, “Pues nacistes, rey del cielo, pendant que je dis une chanson : acá en la tierra, “Puisque vous êtes né, roi du ciel, quieres sentar en la guerra? ici sur terre, A sóle eso he venido voulez-vous vous enrôler pour la guerre ?” desd’el cielo C’est bien pour cela por la guerra que he sabido que je viens du ciel, acá en el suelo. car j’ai appris Yo seré vuestro consuelo que c’était la guerre ici-bas. acá en la tierra, Je serai votre consolation que a sentar vengo a la guerra.” ici sur terre, Viva, viva nuestro capitán! car je viens m’enrôler pour la guerre.” Falala… Topetop… Vive, vive notre capitaine. Sus, poned la artillería Falala… Topetop… de devotos pensamientos. Sus, placez l’artillerie Démosle la bateria. de pensées dévotes, Las trincheras bien están. gardée par les commandements. Hacia acá tiro grueso! Envoyons la batterie. Oh, que tiene tan gran peso Les tranchées sont bonnes. que no le derribarán. Par ici ce gros canon ! Bien está, ponedle fuego Oh, il est si lourd y luego, luego. qu’on ne pourra pas le renverser. Bom, bom, peti pata… C’est bon, faites feu Suelte la arcabucería et bien vite. Tif tof tif tof… Bom, bom, peti pata… Lâchez les arquebuses. Tif tof tif tof…

7 La muralla se derriba Le rempart s’écroule por arriba. en haut. Sus, a entrar, Sus, entrons, que no es tiempo de tardar, il n’est plus temps de s’attarder, que el capitán, va delante car le capitaine est en tête con su ropa rocegante avec ses habits magnifiques ensangrentada. ensanglantés. Nadie no vuelva la cara. Que personne ne tourne le dos. Sus, arriba, viva, viva! Sus, allons là-haut ! Vive, vive ! Los enemigos ya huyen, Déjà les ennemis s’enfuient, a ellos, que van corridos courons-leur dessus, y vencidos. ils sont honteux et vaincus. Santiago, Santiago! Saint Jacques, saint Jacques ! Victoria, victoria! Victoire, Victoire ! Haec est victoria Ici est la victoire qui revient quae vincit mundum aux fidèles de ce monde. fides nostra. Traduction : Maria Simon Victor Compta (3, 8, 11)

8