Dix Ans À Travers L'islam
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LÉON ROCHES Interprète en chef de l’armée d’Afrique, Ancien secrétaire intime de l’émir Abd el Kader, Ministre plénipotentiaire. Dix ans à travers l’Islam 1834 - 1844 NOUVELLE ÉDITION PRÉFACE ET ÉPILOGUE PAR E. CARRABY. PARIS LIBRAIRIE ACADÉMIQUE DIDIER 35, QUAI DES GRANDS-AUGUSTINS, 35 Livre numérisé en mode texte par : Alain Spenatto. 1, rue du Puy Griou. 15000 AURILLAC. D’autres livres peuvent être consultés ou téléchargés sur le site : http://www.algerie-ancienne.com Ce site est consacré à l’histoire de l’Algérie. Il propose des livres anciens, (du 14e au 20e siècle), à télécharger gratuitement ou à lire sur place. PRÉFACE Il y a dans le musée de Versailles des salles con- sacrées aux combats de l’armée d’Afrique. La France, dans une pensée de gratitude, a voulu que ces glorieux souvenirs fussent mieux qu’inscrits en lettres d’or et qu’il y eût, par des grands tableaux, une évocation de ces vieilles troupes obéissant à des chefs qu’elles auraient suivis jusqu’au bout du monde. Les noms de Bugeaud, de Lamoricière, de Changarnier ne sont pas seulement restés célèbres dans l’armée, ils sont populaires. A côté de tels hommes, il y eut, dans une sorte de demi-ombre, des serviteurs passionnés pour leur pays et; qui; en dehors champs de batailles, ont rendu des services inoubliables. Léon Roches, fut de ceux-là. Patriote jusqu’au fond du cœur, il résolut, en 1836, de faire du plus redoutable de nos ennemis un allié et un ami,.de la France : il se promit d’aborder et de convain- cre Abd el Kader. On ne peut se faire une idée du prestige de l’émir à cette époque. C’était pour les Arabes Plus qu’un chef, un souverain ; c’était un prophète. Entouré d’une auréole mystique, il fanatisait les tribus. Sa vue les électrisait ; elles obéissaient à sa voix, à son geste. Doué d’un vrai II PRÉFACE génie militaire, il faisait évoluer ses troupes guerrières avec une merveilleuse rapidité. On le croyait au fond du désert ; tout à coup il surgissait menaçant, à la tête de ses innombrables cavaliers ! En France, la renommée d’Abd el Kader était non moins grande qu’en Afrique. La légende s’en mêlait. On le disait capable tour à tour des sentiments les plus nobles et de colères allant jusqu’aux cruautés. L’Algé- rie dont nous avions entrepris la conquête, il voulait, par quelque moyen que ce fût, la soustraire à notre domination. Au récit d’obstacles qui se renouvelaient sans cesse, quelques politiques inquiets demandaient, même à la Chambre des députés, s’il ne vaudrait pas mieux abandonner un pays qui risquait de nous coûter si cher. C’est à ce moment que John Lemoine écrivit ce mot heureux: «La France est assez riche pour payer sa gloire. » Mais nos armées tenues en échec, nos généraux presque désorientés, que pouvait-on faire, se deman- dait-on dans la période où, malgré un traité d’alliance qui venait d’être signé entre la France et Abd el Kader, chacun avait le sentiment qu’il ne. s’agissait que d’une trêve et que la lutte allait reprendre ? Léon Roches apparaît. Il veut être un ambassadeur secret ; ne tenant que, de lui seul ses pouvoirs. Tout le pousse vers cette mission d’audace. N’a-t-il pas, en vivant à Alger, étudié l’arabe qu’il sait parler et écrire comme l’indigène le mieux instruit ? Reconnaîtrait-on un Français sous le burnous qui le couvre et le turban qui le coiffe ? Il va jusqu’à changer de nom et se faire appeler Sidi Omar. Que lui faut-il pour cette expédi- tion? un sel serviteur Il part. Les diffi cultés, les dangers PRÉFACE III qui l’attendent sont plutôt un stimulant pour. ce héros au regard tranquille. Rien ne l’effraie. Il exerce sur tous ceux qui l’approchent urne sorte de fascination. Il était très beau. Sa force était celle d’un athlète. Il laissait loin derrière lui les cavaliers des grandes tentes dans l’art de dompter un cheval. Il n’aurait pu accomplir tant d’ex- ploits prodigieux s’il n’avait été aussi merveilleuse- ment doué au point de vue physique qu’au point de vue intellectuel. Les Arabes l’appelaient lioune. Ils s’imagi- naient, a dit un de ses biographes, qu’on l’avait nommé Léon pour le comparer au roi du désert. Roches avait poussé le déguisement si loin qu’on le croyait mahométan. Cette conversion apparente lui permit d’arriver jusqu’à la tente de l’émir. Mais les Arabes, que leur dévouement envers le grand chef ren- dait ombrageux, cherchèrent à empêcher toute infl uence de cet inconnu dont ils se défi aient. Ce ne fut qu’après de cruelles épreuves que les voiles se dissipèrent et que la grande âme d’Abd el Kader comprit la grande âme de Roches. L’esprit d’Abd el Kader était des plus complexes. Caractère fougueux, mais politique profond, il savait se dominer. Tout ce qui avait un caractère de grandeur et de noblesse l’attirait. Il était très croyant : l’idée de Dieu emplissait son cerveau. Il, se considérait comme envoyé pour- remplir une mission sur la terre. Roches ne, crai- gnait pas devant Abd el Kader de parler de la France avec enthousiasme. Il vantait les bienfaits d’une paix qui proviendrait. d’une alliance avec le peuple arabe. L’émir l’écoutait; et cherchait à, comprendre notre civi- lisation. Mais en 1840 les hostilités reprirent entre la France IV PRÉFACE et l’émir. La présence dans le camp de l’émir n’était plus possible pour Roches. Il ne voulut pas s’éloigner sans dire à Abd et Kader toute la vérité, dût cet aveu lui coûter la vie. Il n’hésita pas. La scène fut terrible et grandiose. Elle montre tout le courage de Roches en même temps que la magnanimité d’Abd el Kader. Roches a décrit cette scène. Il déclare à l’émir qu’il est Français et chrétien. Il confesse hautement sa foi, comme un martyr marchant au supplice. Si Abd el Kader n’eût pas été un grand caractère si son cœur eût été inaccessible à la clémence, s’il n’eût pas eu pour Roches autant d’admiration que d’amitié, s’il eût agi comme eût agi tout autre musulman, c’en était fait de Roches. Sur un signe, le bourreau serait entré dans la tente où avait lieu l’entrevue de l’émir et de Roches. L’exécution eût été immédiate. Après avoir donné libre cours à sa colère, Abd el Kader fi t entendre de terribles imprécations. Il dit à Roches : Va t’en ! Que ton corps disparaisse de ma présence ! Puis il s’éloigna. Il le laissa seul ! C’était lui laisser la vie. Roches ne devait plus le revoir. Plus tard ils se fi rent la guerre comme de nobles adversaires. Plus tard encore, quand l’émir se soumit, une cor- respondance s’échangea entre eux. Abd el Kader ne cessa de témoigner à son ancien secrétaire la plus vive amitié et la plus, grande admiration. Ces lettres sont publiées à la fi n de ce volume. A son retour au camp français, quelque cordiale que fût la réception, du gouverneur de l’Algérie, Roches PRÉFACE V éprouva une profonde tristesse. Une ombre s’étendait sur sa vie. Il craignait que son séjour chez l’émir fût mal interprété; et nul n’était plus que Roches sensible à tout ce qui touchait à l’honneur. L’amitié de Bugeaud imposa silence aux ennemis de Roches. Bugeaud en fi t son collaborateur. Leurs longs entretiens roulaient de plus en plus sur la pacifi - cation de l’Algérie. Une des causes qui rendaient dif- fi cile cette pacifi cation, c’était la conviction répandue chez les Arabes et acceptée par eux comme un article de foi que le Coran défendait aux mahométans tout traité avec les chrétiens. Comment détruire ce préjugé ? Il n’y avait qu’un moyen, c’était d’obtenir des chefs suprêmes de la religion musulmane une fattoua, c’est-à-dire une décision religieuse autorisant de pareils traités. Un seul homme était assez dévoué, assez habile, assez courageux pour obtenir cette décision. Il fallait aller à la Mecque. Deux Européens : un Anglais, un Italien, avaient pu y pénétrer; jamais un Français. Le voyage fut décidé dans le plus absolu secret entre le maréchal et Roches. Le maréchal lui remit, outre des lettres qui l’accréditaient près des consuls, l’argent nécessaire soit pour se rendre à la Mecque, soit pour lui ménager l’appui des autorités musulmanes. Quand le maréchal dit adieu à Roches, il ne put s’empêcher d’éprouver une vive émotion. Il n’espérait pas le revoir. Roches revêtit de nouveau le costume arabe et de nouveau en apparence se fi t musulman. Il alla étudier la théologie du Coran à Kairouan, en Tunisie, puis au Caire et se fi t bien venir des disciples du Prophète. Après un long et pénible voyage, Sidi Omar entra à la Mecque comme pèlerin. VI PRÉFACE Il voit le grand sheik, il obtient la fameuse fat- toua. On décide en conseil souverain que lorsqu’un peuple mahométan a résisté à l’invasion des chrétiens aussi longtemps que les moyens de résistance le lui ont permis, il peut traiter avec les chrétiens. Qu’un auteur d’une puissante imagination, un de ceux qui ont la spécialité des voyages les plus fantaisis- tes entasse aventure sur aventure pour charmer, amuser ou étonner le lecteur, il n’arrivera jamais à composer un roman plus saisissant et plus émouvant que l’odyssée très véridique de Léon Roches.