ABD E L KADER

Ph. d'Estailleur-Chanteraine

ABD EL KADER

LIBRAIRIER DE FRANCEDE LIBRAIRIER 10 BOULEVARD SAINT-GERAMAIN,110 PARIS Droits réservés pour tous pays. Copyright by Librairie de France. — 1931 — INTRODUCTION

u'on ne s'attende point à trouver ici une minu- tieuse monographie militaire de l'Emir arabe, Q localisée aux incidents apparemment person- nels et déjà connus de sa vie. Après les aperçus Plus ou moins impartiaux, Plus ou moins brillants, toujours directs, des grands soldats de son époque, rien ne serait Plus fastidieux. Il faut ajouter, rien ne serait Plus inutile, après le beau livre du Général Paul Azan. Mais, comme nous le disait celui-ci, Abd-el-Kader n'est pas brusquement né à la politique un beau matin de 1832, aux portes de Mascara ; et sa prodigieuse carrière ne s'est pas déroulée sans que des éléments plus étrangers d'aspect qu'en réalité, ne l'influencent profondément. Autant, sinon davantage que chez les Chrétiens, le rôle de la famille, de l'entourage, des croyances, des liai- sons ordonnées par ces dernières, est, chez les Musulmans, primordial. Le méconnaître, c'est faire ce que les Français font souvent, à tort et à leur détriment, c'est juger le monde d'après soi, les autres peuples d'après le nôtre: un Chinois sur un Marseillais, Abd-el-Kader sur Bugeaud. N'est-ce pas perdre à la fois un attrait et un Profit ? L'Emir n'a pas pris le titre de Khalifa du Sultan marocain, n'a pas combattu furieusement des tribus arabes, n'a pas signé puis rompu la paix avec les Infidèles, n'a pas intrigué à Fès, à Londres, au Caire, à Stamboul, parce qu'il s'est réveillé certains jours, de bonne ou de fâcheuse humeur. Ce guerrier s'est montré diplomate, ce chef impitoya- ble, ce musulman fanatique, singulièrement compréhensif et respectueux, en maintes occasions, du Christianisme qu'il combattait moins que l'incroyance. Ce cavalier ascétique, impassible, hautain, s'est révélé un poète sensible, émouvant et délicat. On a voulu faire de lui le représentant d'un patrio- tisme « algérien », d'une « nation » arabe. Or, il n'a pas cessé durant trois quarts de siècle, de se relier à des tradi- tions politiques, religieuses, qui lui ont donné en grande partie sa force, orientales pour les uns et marocaines pour les autres, toujours tlemcéniennes, où l'Algérie telle que nous l'avons faite et la voyons, n'apparaît pas un instant. Et devant lui, que s'est-il passé ? Doit-on continuer de répéter avec des esprits simplistes, sectaires ou fantai- sistes, que la bonne et la mauvaise fortune ont dirigé les événements, un bandeau sur les yeux ? Est-ce par miracle, ou par magie, que Napoléon voulut conquérir les pays barbaresques et que Charles X en s'emparant d'Alger, perdit sa couronne ? Est-ce la conjonction des astres, ou le génie, à 2.000 francs par mois, de M. Thiers (1) qui a porté Louis-Philippe à choisir l'Afrique du Nord Plutôt que la Belgique, puis à suivre, pour la garder, les idées de son fils aîné ? Est-ce pour rire, ou pour jouer, que les diplomates remuèrent ou calmèrent les Chancelleries, que Lord Pal- mer ston tenta en vain d'ameuter l'Europe, que les Princes et les Généraux, et les hommes héroïques, se battirent, s'arrêtèrent et se battirent encore ? Est-ce pour des mots, sans raison, pour rien, qu'on a pu, sans se laisser entraîner dans une guerre continentale, donner au « Plus beau royaume qui soit sous le Ciel », le plus bel empire qui soit sur la terre d'Afrique ? Nous ne l'avons pas pensé. Alors, nous nous sommes penchés sur les écrits des (1) Cf. L. Lucas-Dubreton: « La Manière forte — Casimir Périer ». savants, des lettrés, des cheîkh, des fquih, de Meknès, de Fès, de Tlemcen, du Caire et de Damas. Nous avons écouté les légendes et les préceptes sacrés que se transmettent pieusement les marabouts, et suivi les fils plus solides que l'acier dont est fait l'immense réseau de l'Islam. Et peu à peu, par des origines, par des liens de famille, de foi, de race, par ses actions les plus décisives restées souvent presque secrètes, un nouvel Abd-el-Kader s'est dressé devant nous. Avec le Maroc, l'Egypte, la Turquie, l'Espagne, l'Angleterre, nous l'avons vu travailler pour atteindre un but où se confondaient sa gloire propre avec les ordres des ancêtres et les prescriptions de Mahomet. En face, eut-il été juste et intelligible de ne pas suivre les souverains, les Ministres, les Chefs militaires, aux prises avec des luttes intestines sans cesse renouvelées aux moments qu'elles étaient les plus pernicieuses ? Nous avons cherché à comprendre les singulières opportunités de ces manifestations, au détriment de nos intérêts, en faveur de nos rivaux ou de nos ennemis. Et, de même que l'Emir ou ses envoyés, nous avons dû jeter un coup d'œil sur Vienne, Londres, Saint-Pétersbourg, Berlin ou Constantinople. La facilité de cet ouvrage, son assimilation aux vies romancées comme aux portraits officiels y ont assurément beaucoup perdu. Sa vérité, sa couleur, sa charpente, son utilité y auront gagné. Peut-être ceci compense-t-il cela. ★ En tête de ces pages, comment ne pas dire notre grati- tude envers tous ceux qui nous ont aidés à mener ces études à bien. Nous l'exprimons d'abord à S. M. la Reine Amélie de Portugal comme à Monseigneur le Duc de Guise et à S. A.R. le Comte de Paris qui nous ont autorisés à repro- duire, en les accompagnant d'informations familiales mul- tiples et précieuses, des dessins, des tableaux et deux admirables aquarelles inédites d'Eugène Lami. Nous ne pouvons évoquer ensuite, sans émotion, les conversations anciennes déjà mais vivaces encore, que nous eûmes sur l'Afrique avec un homme qui la connais- sait bien, le Général Mangin. M. le Maréchal Franchet d'Esperey a bien voulu nous donner, notamment sur la recherche de la politique indi- gène que l'on aurait pu opposer à celle de l'Emir, des con- seils dont nous lui sommes infiniment reconnaissants. Nous ne savons quels mots employer pour remercier M. le Général Levé de la documentation prodigieuse et des enseignements si qualifiés et si complets qu'il a mis à notre disposition avec tant de bienveillante patience. Nous savons ce que nous devons à l'obligeance de M. l'Amiral Lacaze et de M. de la Roncière pour nos infor- mations en matière maritime, à M. de Nolhac, de l'Acadé- mie Française, dont les leçons d'histoire ne sont pas per- dues et qui nous a toujours facilité nos démarches, à M. G. Mâcon, de l'Institut, hélas disparu aujourd'hui, dont l'accueil nous a touché au plus haut point et dont la colla- boration en tout ce qui s'attachait au Duc d'Aumale, nous a tant servi. Nous n'oublions pas l'ancien collaborateur de Th. Delcassé, M. Piccioni, Ministre Plénipotentiaire, grâce à qui nous avons exhumé des pièces si caractéristiques des archives diplomatiques, M. le Commandant Christin dont nous avons reçu la plus curieuse et attachante pièce histo- rique, ni M la Comtesse du Boisrouvray, ni M. le Duc de Polignac, possesseur de souvenirs du Ministre de Charles X ni M. le Marquis de Dampierre, petit-fils de La Moricière, ni encore le Baron Bro de Comères et ses frères, arrière- petits-fils du Général, et qui nous ont communiqué des documents ignorés jusqu'à ce jour et de la plus haute importance, ni enfin les propriétaires de tant d'objets si chers, MM. le Marquis d'Oimpuis de Belleval, J.-E.-J. Manuel, le Lieutenant-Colonel du Cor de Damrémont, le Prince Adil Ben Ayad, le Comte de Bourmont, le Baron Chassériau, de Dompierre d'Hornoy, Georges Claretie, P. de Fouquières, Bollag, Mesdames: la Marquise de Bre- teuil, la Comtesse René de Bourmont, Gustave Pereire, Bilotte, de Goyena-Montagnac, la Vicomtesse Fleury, M Feray Bugeaud d'Isly, et les érudits Conservateurs de Musées, MM. Pératé, Brière, Robiquet, Lemoine, le Colonel de Conegliano. MM. Lemaître, Michaux, J.-J. Bannier, Gagea, Welscome, nous ont apporté en France et à l'étranger la plus intelligente collaboration. Avant de terminer cette nomenclature, nous serions ingrats si nous ne songions à remercier également l'Emir Fayçal, Roi d'Irak, notre ancien adversaire en Syrie, mais à qui nous sommes redevables d'une foule d'observations loyales et de renseignements exceptionnels sur les tradi- tions et les politiques arabes chérifiennes, de La Mecque. De la même façon, nous rappellerons ici, non sans respect, tout ce que nous ont confié sur la politique turque, sur la psychologie et les problèmes d'Orient, deux hommes aujourd' hui disparus, le cruel et terrible Djemal Pacha, et le vainqueur balkanique de 1912, le grand Bulgare, le Général Michel Savoff. ★ Aucun parti pris, aucune considération politique ou confessionnelle ne nous ont un seul instant empêché de dire ce que nous avons cru vrai et juste. C'est là une méthode de travail et de pensée à quoi nous avons accoutumé de nous conformer toujours, avec sincérité. Cette fois, d'ail- leurs, nous en avons ressenti plus encore le besoin, devant les ignorances systématiques, les exposés tendancieux, les silences voulus que nous avons rencontrés dans trop d'ou- vrages relatifs aux périodes étudiées plus loin. L'état d'esprit de ceux qui ont ainsi travesti l'His- toire nous a paru aussi ridicule que méprisable et notre impression à cet endroit ne s'est pas dissimulée. Nous souhaitons que ne s'ennuient pas trop ceux qui nous suivront dans le Maghreb et dans les capitales euro- péennes. Ils penseront peut-être avec nous, ensuite, le voyage fini, qu'il existe au travers des gouvernements éphémères, une politique nationale française dont les lignes et la gran- deur sage devraient encore s'imposer à nous. En la voyant si souvent méconnue aujourd'hui, livrée à des forces anonymes qui la déchirent et la marchandent, nous n'avons pu, en certaines pages, nous défendre d'une émotion qui du cœur monte à la gorge et rend la main plus dure. Sans doute le comprendront-ils également. Et nous voulons ici, le leur dire, cette émotion et cette dureté, nous ne les regrettons pas. P. E. C. UNE ORDONNANCE DE HUSSEIN PACHA, D'ALGER. I

LA NAISSANCE D'ABD-EL-KADER

LE FILS DE MAHI-ED-DIN. — SES ORIGINES. — SES TRADITIONS. — SA FAMILLE. — L'AFRIQUE DU NORD EN 1808. — POLITIQUES MAROCAINES, ALGÉRIENNES, TUNI- SIENNES, TURQUES. — CE QUE L'ON DIT CHEZ LES HACHEM, L'AN 1223 (1808) DE L'HÉGIRE. E 15 du mois de Redjeb de l'année de l'hégire 1223, soit le mardi 6 Septembre de l'an chrétien 1808, l'émotion règne dans une maison large et simple, précédée de sa cour où sont parqués moutons et chèvres, et flanquée de son écurie bruyante. Devant le lit de pierre du chef de famille, gémit sur des tapis Lalla (Madame) Zohra, fille de Sidi Omar ben Dhouba qui met au monde un fils. Elle partage la fierté d'être l'épouse du chérif Sidi Mahi-ed- Din, avec deux autres femmes qui l'ont précédée dans cet amour (1). A son tour, elle va connaître l'orgueil d'être mère, et ceux qui savent combien une femme mulsumane a sur ses enfants une autorité supérieure à celle des occidentales chrétiennes peuvent imaginer l'ar- deur des prières qu'elle adresse à Dieu. Certes, elle n'a pas plus que ses compagnes l'habitude de se rendre à la mosquée, puisque le Koran laisse indécise la question de savoir si la femme a une âme qui lui soit propre. Mais celle qui meurt en couches occupera dans le paradis une place exceptionnelle, toujours vierge, toujours belle, toujours aimée; Lalla Zohra le sait et invoque dans ce péril la promesse divine. Et puis, elle prie également pour pouvoir connaître aussi la fierté d'avoir un fils, pour que ce fils soit plus beau et plus brave que ses frères, enfin pour que « la Baraka », la bénédiction spéciale de Dieu, suive et conduise spécialement cet enfant au cours de son existence. Elle a déroulé sa ceinture faite de fils de laine roulés en corde et qui soutenait jusqu'alors son précieux fardeau. Les matrones expérimentées sont autour d'elle, et les enfants, après avoir quitté la maison ont été répartis dans les demeures voisi- nes. Le père s'est éloigné par un sentiment de convenance, et pour ne pas gêner les accoucheuses. Il a franchi la Zériba. Il veille dans une des tentes que ses amis ont plantées autour de sa demeure lorsqu'ils sont venus implorer l'appui de sa sainteté, et ses conseils politiques si précieux dans les temps troublés que le pays traverse. Quelques instants après l'enfant vient au monde sur sa couche de tapis, de coussins et de linge. Il est nommé Abd-el-Kader. C'est un nouveau descendant du Prophète. Il est fils de Mahi-ed-Din, fils d'El Mostafa, fils de Mohammed, fils d'El Moktar, fils d'Abd-el-Kader, fils d'Ahmed, fils de Moham- med, fils d'Abd el Kaoui, fils d'Ali, fils d'Ahmed, fils d'Abd el Kaoui, fils de Kaled, fils de Youcef, fils de Bachar, fils de Mohammed, fils de Maçoud, fils de Taous, fils de Yakoub, fils d'Abd el Kaoui, fils d'Ahmed, fils de Mohammed, fils d'Edris, fils d'Edris, des fils d'Abd Allah le Parfait, fils d'El-Haçan El-Matna, fils d'El-Haçan petit-fils du Prophète, fils d'Ali, fils d'Abou-Taleb, fils de Hachem (la mère d'El Haçan était Fâtima, fille de Mohammed, prophète de Dieu, fils d'Abd Allah, fils d'Abd-el-Mottalib, fils de Hachem). (2) La naissance est accueillie par des cris de joie, et le chérif vient avec un empressement qui garde la dignité du père de famille, remer- cier la femme qui lui a donné un nouveau fils. PIRATES BARBARESQUES, PENDUS AUX VERGUES D'UN VAISSEAU HOLLANDAIS (XVII Une des accoucheuses a disposé rapidement sur ses genoux six ou huit pièces d'étoffe; elle a étendu le nouveau né sur cette layette et procédé à son lavage avec de l'huile mêlée de henné. Puis elle a emmailloté l'enfant, l'a cousu dans son maillot, et le prenant par les pieds, l'a tenu suspendu un moment la tête en bas non seulement pour que son estomac se débarrasse, mais encore pour qu'il grandisse plus vite. Ceci fait, elle lui a enduit le palais d'une légère couche de henné, a pris le nez à plusieurs reprises entre ses doigts et lui a donné une forme aquiline; elle lui a lavé la tête une seconde fois et l'a enve- loppé soigneusement dans une étoffe de laine. Puis elle a guetté le moment où il sera temps que la mère lui donne le sein. Successivement arrivent tous les chefs de famille des tentes voisines installées autour de la maison de Sidi Mahi-ed-Din, à la Guethna de l'Oued-el-Hammam, c'est-à-dire au lieu de réunion de la rivière formée par les sources chaudes. Venu des plateaux du Sud- Oranais, le petit cours d'eau arrose la partie occidentale de la plaine d'Eghris, et passant à la Guethna, ravine le Tell pour se jeter à la mer dans le golfe d'Arzew. Les visiteurs dévalent des escarpements VUE DE LA PLAINE D'EGHRIS. de glaise grise et nue qui dominent la vallée, et après être descendus de leurs chevaux abandonnés la bride tombante pour immobiliser les bêtes, franchissent la Zériba et félicitent à leur tour le descendant du Prophète de ce nouveau témoignage de la faveur céleste. Sidi Mahi-ed-Din est Mokaddem (3) des Kadria, initiateur de leur ouerd, diplômé de la chéria (4) et bénéficiaire de l'idjaza de la tariqa (5). Il ne dépend donc religieusement des confréries qui sou- tiennent le sultan du Maroc, ni malgré son séjour et sa situation chez les Hachem (tribu maghzen des Turcs d'), de celles qui subissent l'influence du sultan de Constantinople. Mais il est, en revanche, dépositaire pour sa part, de la tradition idrissite, ce qui ne lui permettra pas de garder une position d'équilibre devant les poussées chadélien- nes (6). Aussi ses visiteurs sollicitent-ils ardemment ses précieux con- seils au sujet des difficultés de l'heure présente. Celles-ci se sont accrues singulièrement depuis la volte-face politique des divers gou- vernements de l'Afrique du Nord après l'évacuation de l'Egypte par la France, et surtout quatre ans plus tard, après le désastre de Trafal- gar qui a depuis trois années, assuré à l'Angleterre la suprématie navale (7).

L'incertitude politique où avait été plongé le Sultan du Maroc (8) durant de si longues années — à peu près depuis la déclaration de guerre franco-anglaise de 1793 — ne l'avait pas empêché de chercher à reprendre la voie traditionnelle de ses ancêtres. Avant même de devenir en 1797 le maître incontesté de l'Empire après la mort de ses frères enlevés par la peste, Moulay Sliman avait eu en effet l'ambition de venger l'échec de Moulay Ismaïl battu deux fois par les Algériens en 1694 et 1700. En 1796 il avait donc envoyé contre Moulay el Kebir les Cherarga, Oudeya et Ahlaf, et obligé le bey d'Oran à lui abandonner Oudjda, le territoire des Beni-Snassen et toute la région qui s'étendait jusqu'à la Moulouja, limite ancienne des deux pays. Au printemps de 1805 le Sultan avait encore menacé indi- rectement Oran même par la formidable insurrection des Derkaoua, déchaînée par Abd-el-Kader ben Chérif. Deux ans plus tard malgré les revers de cette rivalité, Tlemcen, l'antique capitale des Beni- Zeyan reconnaissait pour son suzerain, l'Empereur du Maroc, qui envoyait un « amel » à Oudjda et un gouverneur à Figuig. Contre ces empiètements, les beys avaient eu fort à faire. Bal- lottés eux-mêmes par les conflits qui mettaient aux prises les deux clans juifs des régences barbaresques, les Bacri-Busnach et les Duran, ces éphémères souverains, nommés par les uns, détrônés ou massacrés par ordre des autres, se débattaient entre les fluctuations indigènes et les répercussions constantes de la politique européenne.

Dans l'Ouest, Mohammed-el-Mekallech, utilisant le renverse- ment politique récent, qui avait rapproché le Sultan du Bey, avait battu près de Relizane, Ben Chérif qui s'était enfui au Sud dans la Yacoubia. Puis, après la bataille de l'Oued-el-Ahal, et conformément à la nouvelle orientation de Moulay Sliman, le bey avait reçu des mains du caïd marocain Aïad, la ville de Tlemcen; quant aux malheu- reux Beni Amer compromis mais fidèles au Sultan, ils avaient dû s'enfuir au Maroc. Mohammed-el-Mekallech s'était par le meurtre de Ben-el-Arach, l'associé des Anglais, placé dans une position fausse et malgré ses victoires, il n'avait pas tardé à être dénoncé par Bacri comme suspect de ne pas suivre la politique d'Alger, et destitué, puis torturé en 1807. Après une apparition de Manzali, le nouveau bey d'Oran, Mohammed Bou Kabous, avait réprimé l'invasion de Bou Terfas, chef des Beni Snassen qui voulait venger son gendre Ben Chérif. Il avait également battu les Derkaoua, sous Mascara. Ben el Arach, accouru de l'Est à leur secours, avait été tué lui-même sur les bords de la Tafna, en rejoignant la propriété qu'il possédait chez les Traras, près de Nédroma. Les juifs d'Alger étaient désormais tous plus ou moins hostiles à la France. N'avaient-ils pas appris en effet que l'Empereur s'était proposé « d'arracher plusieurs départements à l'opprobre de se trouver vassaux des juifs » (9), et qu'il organisait à la fois l'adoption de ces juifs parmi les citoyens français et préparait une réforme de leurs coutumes qui devait fatalement diviser juifs sephardim et israélites askenazim ? Ils s'étaient donc informés avec anxiété de l'assemblée générale dont était sorti le Grand Sanhedrin et qui fut dissoute le 6 avril 1807. Le Maghreb avait recueilli ensuite les échos de la paix de Tilsitt qui faisait la France médiatrice entre la Russie conquérante et la Porte effrayée par les représailles anglaises de Février-Mars 1807. La chute de Sélim III, remplacé par Mustapha IV avait eu autant de retentissement sur les pentes de l'Atlas que la prise d'Alexandrie par la flotte britannique. Enfin, tandis que le Sultan du Maroc s'était inquiété, les Juifs UN BAZAR D'ESCLAVES A ALGER. d 'Alger avaient senti croître leur appréhension devant le remplace- ment aux Affaires Extérieures à Paris, de Talleyrand, leur ami, par Champagny, Ministre de l' Intérieur et jusque là Commissaire aux affaires juives. Dès lors, la volte-face de Moulay Sliman s'était accentuée. Il s 'était retourné lui aussi du côté des Anglais qui l'avaient informé du projet d'expédition confié à Decrès, et les avait appelés aussitôt à Pere- gil à Tanger, désireux de profiter de leur appui pour reprendre le cours de ses ambitions politiques algériennes. Il avait donc résolu de continuer à encercler par le sud les Turcs d'Oran restés traditionnel- lement plus favorables à la France et à l'Espagne et en 1808 précisé- ment, avait envoyé une colonne dans les oasis de la Saoura, du Touat et du Gourara pour y percevoir un tribut. CARTE D'ALGER ET DE SES ENVIRONS EN 1808. Un tel changement général de politique barbaresque et méditer- ranéenne au moment où l'Espagne passait sous la domination de la France, le 2 Mai 1808, devait appeler l'attention de l'Empereur, ainsi qu'on le verra plus loin. Ce que l'on sait dans le Maghreb est mystérieux et gros de consé- quences. Un envoyé secret de Napoléon a circulé dans Alger et sur la côte du 24 Mai au 17 Juillet 1808 (10). Un autre messager, officiel celui-là, s'est rendu auprès du Sultan le 10 Août (11). Et, impressionné par l'évacuation de Madrid et la capitulation de Baylen, Moulay Sliman l'a paraît-il, éconduit. Mais l'Empereur des Français, après une entrevue fulgurante par tant de présences royales, avec le Tsar à Erfürt, a reçu de nouveau le catalan Ali Bey. Il songe donc encore à l'Afrique? On le suppose. On prête tous les plus vastes desseins à celui dont on parle comme d'un nouvel « Alexandre doul Kornein », et l'on a pas- sablement raison puisque dès ce moment il songe, non à une démons- tration navale, non, à une expédition stratégique, mais à la conquête même de l'Afrique du Nord (12). Et c'est cela, de l'inexplicable entente du Sultan marocain et des Turcs depuis trois années (13), des incertitudes de la politique musul- mane, comme de la situation des juifs dans le monde que s'entretien- nent les visiteurs de Sidi Mahi-ed-Din réunis en attendant l'événe- ment familial. « Dieu est le plus savant » concluent-ils sagement. Et, par précaution, le mokaddem regroupe ainsi ses Hachem en ce mois de Redjeb de l'an 1223 de l'Hégire (14), autour d'un nouveau-né qui devait être Abd-el-Kader.

ÉTUDES D'ARABES PAR GUILLAUMET. II

L'ENFANCE ET LA JEUNESSE D'ABD-EL-KADER LE PREMIER BURNOUS — LA RÉ- GENCE D'ALGER, LE BEY DE TUNIS ET L'EMPEREUR DU MAROC. — INSURRECTIONS MAROCAINES. — LES HACHEM ET LES RÉVOLTES DES BE- RABERS ET DES TIDJANIA. LES POLITIQUES INDIGÈNES SE DESSINENT. — ABD-EL-KADER A LA MECQUE. — RETOUR A MASCARA. — MARIAGE. E calme ne revient point en Afrique, tandis que l'Em- pereur abandonnant ses plans, avec l'espoir de les reprendre un jour, marche sur Vienne. Occupé de sa lutte contre les Derkaoua, puis réconcilié avec eux et allié du Maroc, le Bey d'Oran a refusé son concours au Dey d'Alger contre Tunis. Hadj Ali n'en annonce pas moins qu'il va envoyer une colonne en Oranie, malgré la reprise de l'insurrection kabyle; le pays devient de plus en plus agité. C'est alors qu'à la Guethna de l'Oued el Hammam a lieu une fête de famille où de nouveau se réunissent les principaux des Hachem. Il s'agit de la première coupe de cheveux et de la remise du premier burnous d'Abd-el-Kader qui atteint sa dixième année. On égorge un mouton, puis l'on prépare le kouskous. L'enfant est conduit au milieu de ses parents et de leurs amis, vêtu de sa gandourah qui laisse passer ses bras nus et ses pieds. Un vieillard fait tomber les boucles brunes qui ornaient la tête du fils de Zohra. Une femme, cassée par l'âge, accourue dans l'espoir de manger un peu de viande, recueille les mèches légères, les place dans un bol rempli de cendres et poussant des « You, You » stridents, jette au vent ce mélange, puis tout aussitôt invoque les bénédictions divines. Dès que cette scène a pris fin, le jeune héros de la journée court vers sa mère qui l'accueille et lui explique — si l'on peut dire ainsi — qu'il est devenu un homme. On lui fait endosser alors un vêtement, de même forme, de même austérité, de même étoffe, que celui de ses aînés, ce burnous, que les garçons portent dès l'âge de deux ans et dans lequel doit vivre et rendre le dernier soupir, tout bon musulman.

Les années qui vont suivre ne sont pas, à coup sûr, dans le Maghreb, si chargées d'événements qu'en Europe. Mais les secousses violentes du Continent y produisent des remous qui d'ailleurs feront constamment reparaître les orientations religieuses et politiques dont nous avons observé l'existence, le sens et les objets. Une Histoire de l'Afrique du Nord n'entre pas dans le cadre de cet ouvrage. Nous résumerons donc brièvement les grands mouvements dont les uns se relient à l'arrivée des Français que nous suivrons plus loin, les autres aux préoccupations normales de Sidi Mahi-ed-Din, le Chérif, Mokaddem des Kadria. Le Dey d'Alger, Hadj Ali, prend parti contre les Bacri le 4 Février 1811 et rappelle leurs rivaux, les Duran, le 4 Octobre, puis, sous la même impulsion, il reprend la lutte contre le Bey de Tunis qui a, peu de temps auparavant, maîtrisé, grâce aux canonniers fran- çais de Malte, la révolte des Yoldachs. La flotte algérienne paraît devant la Goulette en Juillet 1812 pour imposer au Bey une vassalité contre laquelle il fait appel à la Porte. Celle-ci se heurte au refus orgueilleux du Dey: « Nous n'avons, s'écrit-il, d'ordres à recevoir de personne ». Malgré cette superbe, il ne réussit pas à obtenir d'avanta- ges décisifs, et en 1813, devant l'invasion de la province de Constantine par les Tunisiens, doit se résigner à signer la paix avec eux. Cependant, il a envoyé Omar Aga contre le Bey d'Oran Bou Kabous qui a refusé de le soutenir dans cette aventure. Le malheu- reux bey, battu, est fait prisonnier, écorché vif et remplacé par le Caïd de Tlemcen, Ali Kara Baghli, ancien gendre de Mohammed el Kebir. Et Hadj Ali, grisé de ses succès, n'hésite pas alors à prendre part au conflit anglo-américain, en déclarant la guerre aux Etats-Unis. Au Maroc, des troubles graves ont éclaté. Tandis que se mourait le Chérif baraka des Idrissites d'Ouezzan, Moulay Ali, une rébellion contre Moulay Sliman s'est propagée en 1811-1812. Les Berbères ont répondu à l'appel de leur dejjal (antéchrist) (15). Mhaouch, l'ancien protecteur du Sultan Moulay Yezid, et sont d'abord vainqueurs à Azrou. On conçoit que Moulay Sliman ne puisse en ce moment voler au secours des Tunisiens, ainsi que le lui demande le Bey de Tunis et répondre comme il le souhaiterait à l'envoyé du Sultan des Wahabites conquérant de La Mecque et de Médine. L'Empereur du Maroc ne songe qu'à rétablir ses propres affaires, ce qui va exiger quelque temps (16). La période qui marque la chute de Napoléon et le Congrès de Vienne apporte une réconciliation franco-anglaise immédiatement ressentie en Afrique. Hamouda, Bey de Tunis empoisonné en 1814 est remplacé l'année suivante par Mahmoud, ami de la France tandis que dans la Régence d'Alger, Hadj Ali et son successeur sont assassinés. Omar Agha qui prend alors le pouvoir reçoit en héritage la guerre algéro-américaine et se voit obligé par le bombardement du Commodore Decatur, de signer la paix le 7 Juillet 1815. Aussitôt après, l'intervention des Bacri chez Talleyrand, et l'arrivée du Consul Deval lui font espérer une ère heureuse de règlements financiers, que l'éclipse de l'ancien évêque d'Autun et celle de Fouché clora brusquement. A cette époque, un événement important se déroule à la Guethna. Jusqu'ici, Lalla Zohra, qui est peut-être la seule femme de cette région, pourvue d'une certaine instruction, s'est occupée de l'éduca- tion de son fils. La première enfance d'Abd-el-Kader avait été faible et délicate. Sa constitution assez débile avait nécessité de grands soins. Mais, dès ce moment, son tempérament énergique, son âme virile se sont manifestés, aussi Mahi-ed-Din a-t-il hâte de l'élever à son tour. Il a pu commencer à lui enseigner déjà la lecture, l'écriture, la prière. Le Koran est le livre où il épèle; et comme la plupart des Arabes lettrés, il apprend par cœur. Abd-el-Kader vit constamment avec les chevaux. Il les aime, se roule à leurs pieds, leur parle, assiste à leurs repas, les caresse et en est aimé. Déjà, pour les mener à l'abreuvoir, il sait empoigner leur crinière, tirer leur tête vers la terre et quand il la relève se trouver d'un coup en selle. Maintenant, il atteint sa septième année: c'est l'âge de la circon- cision dont l'obligation est commune aux Sarrazins et aux Agarins, depuis le commandement de Dieu, enregistré par la Genèse. C'est près des bêtes de race qu'on va le chercher pour la cérémo- nie, en l'honneur de laquelle se réunissent tous les voisins. Le résultat de l'ablation, recueilli dans un pot plein de terre, est porté à la limite de la proprié té. Un dîner est alors servi, suivi de chants et de réjouissances diverses, après quoi l'enfant remet à celui qui a exécuté l'opération, une pièce de monnaie d'une valeur corres- pondant à la situation de son père.

Pendant que le futur Emir grandit, le Sultan du Maroc est revenu encore une fois dans le Sahara, pour châtier les Aït Atta et les Arabes Sebbah, clients des Ouled Sidi Cheikh, quand il apprend qu'en réponse à l'incartade des Tunisiens envers l'Autriche, une interven- tion anglo-hollandaise se déclenche sur les côtes barbaresques. LE COMMODORE . LE BARON D'HAUSSEZ, MINISTRE DE LA MARINE.

Elle se produit à deux reprises, sous le pavillon de l'Amiral Exmouth, seul en Mars 1815 devant Alger, en Avril devant Tunis, puis, en Août, avec Van Cappellen. Cette fois le Dey, après un violent bom- bardement de sa ville, est obligé d'accepter, le 30 Août, la suppression de l'esclavage chrétien. Cette capitulation accompagnée d'un rappro- chement avec le Bey de Tunis et la France ne tarde pas à valoir à Omar des inimitiés telles, qu'il est étranglé le 8 Octobre 1817. Moulay Sliman ne se trompe pas sur la signification de ces événe- ments et de ces rivalités. Dès son retour à Fès en 1814-1817, il se réconcilie avec l'Angleterre, sans pour cela rompre avec le Cabinet de Paris (17). Dans la Régence voisine, , qui succède à Omar, n'a qu'un court règne; il rend les concessions françaises à Louis XVIII, conclut un traité avec Tunis en novembre 1818 et meurt de la peste. Son successeur sera le dernier Dey d'Alger. Il inaugure son gouvernement par l'envoi de Yahia Agha contre Tedjini et le meurtre d'Ali Kara Baghli, Bey d'Oran, le vainqueur des Derkaoua, qu'il remplace par Hassan, gendre de Bou Kabous. Le rôle d'Hassan est de reprendre en main la province. Celle-ci, secouée par la révolte des marabouts qui prolongent l'insurrection marocaine des Berbères, est dirigée par Bou Dria, chez les Zedama, Hadj Mohammed à Tlemcen et Abdallah ben Houa. Les Hachem avec Mahi-ed-Din ont suivi le mouvement. Quand il est écrasé en 1818, le Mokaddem des Kadria est conduit à Oran où il serait massa- cré sans l'intervention de la femme de Hassan. Enfermé dans le Dar-el-Ariche, la « maison de la treille », il y restera jusqu'au début de l'année 1820. Durant ce temps, son fils qui depuis la circoncision a été confié à l'un des Arabes les plus érudits du beylick, Ahmed ben Tahar, con- tinue ses études. Sans cesser de développer son corps que les exercices et les soins ont rendu souple, robuste et résistant, Abd-el-Kader acquiert rapide- ment en astronomie, en mathématiques, en géographie, des connais- sances étonnantes. Et c'est d'Ahmed ben Tahar qu'il apprend les premières lois de l'Islam. — D'abord le témoignage: Il n'y a de Dieu que Dieu et Maho- met est son Prophète. Puis les cinq prières: au point du jour, à midi, à trois heures, au coucher du soleil, à la tombée de la nuit, toujours précédées de l'ablution. A trois reprises différentes, il doit verser alternativement de l'eau avec la main droite dans la main gauche et avec la main gauche dans la main droite, laver ses mains avec soin, sans oublier, s'il porte une bague, de la retourner et d'en nettoyer l'empreinte. Il faut ensuite se gargariser trois fois avec une gorgée d'eau, puis aspirer trois fois l'eau par les narines. Il remplit alors ses mains BOMBARDEMENT D'ALGER PAR LORD EXMOUTH. unies, puis avec le visage, du front au menton, en passant par les yeux d'une oreille à l'autre. Il frotte de la même façon les deux bras jus- qu'au coude en commençant par le bras droit. Il trempe dans l'eau ses mains en serrant l'extrémité des doigts les uns contre les autres, les porte à la naissance des cheveux pour en faire glisser jusqu'à la nuque, les ramène au front pour laver les oreilles, et la partie postérieure du cou. Enfin, il lave les pieds, le droit le premier, des ongles à la che- ville, en ayant soin de passer les doigts de la main opposée, entre les doigts de pied pour les purifier. La grande ablution ajoute à ces pra- tiques la nécessité de verser trois coupes d'eau sur la tête, trois sur l'épaule droite, trois sur l'épaule gauche, puis un assez grand nombre sur la poitrine, de façon qu'il ne reste aucune partie du corps que l'eau n'ait purifiée. Il doit alors se frotter avec les deux mains et laver les pieds suivant les ordonnances de la petite ablution. Tandis que grandit en Europe l'autorité de la France, associée à

l'Angleterre par le protocole d'Aix-La-Chapelle (le 18 Novembre

1818) pour obtenir la suppression de l'esclavage et de la course, le

Sultan du Maroc est aux prises avec les pires complications.

Revenu de Marrakech le 1 Mai 1819, il est, alors qu'il marche

contre les Berbères Sanhadja, battu à Zayan et fait prisonnier. Son

fils Moulay Brahim est mortellement blessé. Libéré, il doit recom- mencer la lutte en Juin 1820 avec les mêmes adversaires appuyés par les Abid et les Oudeya qui pillent les Juifs. Moulay Sliman décou-

ragé, se retire à Marrakech, devant les rebelles qui s'emparent de Fès où ils élèvent le 14 Octobre 1820 l'un de ses gendres, Brahim-ben-

Yezid soutenu par la fraction idrissite dévouée à l'Angleterre et alliée au Taybiin. Devant le refus de Ben Yezid, les insurgés le menacent, suivant la politique traditionnelle du Maroc, de nommer, non plus

un chérif filali (18) mais un membre de la vieille dynastie « nationale », si l'on peut oser cette expression, des Idrissites, descendants de

Moulay Idris et de Kaïnza la Berbère, dynastie à laquelle en Oranie

appartient Abd-el-Kader. Brahim, en présence d'une démarche où se joignent les marabouts des idrissites d'Ouezza et les Derkaoua,

avec Mhaouch le Dejjal, accepte le pouvoir.

Comme il se rend à Tétouan pour razzier les Juifs, il est empri-

sonné par son frère Moulay Saïd qui, dès sa proclamation, rentre à

Fès. Moulay Sliman accablé, son fidèle Caïd Ahmed ayant été tué,

notifie au Roi de France qu'il désarme sa marine de guerre, lui envoie

des blés pour conjurer la famine et se retire à Marrakech.

Dans la Régence d'Alger, les flottes anglo-françaises se sont vu

opposer un refus à leur demande concernant la suppression de la

course (19), mais le Dey impressionné accepte, sans le comprendre

bien, le règlement fait à Paris, de la créance Bacri.

En Oranie, Mahi-ed-Din rentre à la Guethna où il prend nette-

ment position avec les fils de Tedjini contre les Turcs.

Son autorité se fortifie et s'étend. Les congrégations chérifien-

nes des Derkaoua et des Tidjania en subissent l'influence et nul

n'oublie qu'il est Mokaddem de ces Kadria fondés par le « Patron du PORTRAIT D'AHMED PACHA, BEY DE TUNIS Collection Philippe d'Estailleur -Chanteraine futur Emir, le saint musulman, Si Abd-el-Kader el Djilani dont une fille est inhumée à Tlemcen. » L'agitation croit d'ailleurs chez les Kadria. Au Maroc, les Zaouïas de Marrakech et de Fès, celles de Mélilla et d'Oudjda, sont en relations constantes avec celles de Tlemcen, de la Guethna de l'Oued el Hammam et celle de l'Hillal. Au Sahara, il en est de même. De la Segui et de Hamra, l'effervescence se propage par le Tafilet et le Touat. Et les courants se répandent jusqu'en Tunisie, animés d'une fièvre similaire et de plus en plus ardente contre les Turcs.

En 1821, l'insurrection de Grèce qui va bouleverser les chancel- leries, se développe sans cesse. Elle va rapprocher la France et la Russie à diverses reprises et préparer la grande opération diplomati- que où la Restauration jettera ses derniers rayons. Alexandre a quitté Leybach et s'est peu à peu dégagé de l'in- fluence autrichienne. Dans un entretien avec le comte de la Ferronnays, le Tsar confie à notre ambassadeur « nous serons pour vous des amis plus utiles que « les Turcs, il suffit de regarder la carte pour s'en convaincre. Voyez « comme je vous parle. Ce n'est pas de la diplomatie, c'est de la con- « fiance... Si les Turcs sourds à leurs intérêts comme à la raison obli- « gent à faire la guerre, il faut qu'ils soient repoussés bien loin, parce « que leur voisinage serait aussi incommode que leur présence. Plus « vous resserrez le compas, plus vous les gênerez; mais ouvrez-le « depuis le Bosphore jusqu'à Gibraltar, et dès lors chacun trouve la « place à sa convenance. » (20).

Au Maroc, l'usurpateur Moulay Saïd est, à son retour de Tétouan enfermé dans Fès, puis enfin battu par le vieux sultan et son neveu Abd-er-Rahman, ancien Gouverneur du Tafilet et Gouverneur de Mogador. C'est ce dernier que Moulay Sliman, après son emprison- nement par les Arabes Cherarda, désigne comme son successeur, le 19 novembre 1822, avant de mourir le 28 novembre. A l'est, le Bey de Tunis et le Dey d'Alger font la paix. Le dernier peut alors refuser le renouvellement de la convention de Lord Exmouth et, fait inouï, le consul Anglais quitte la ville. L'Amiral Neal apparaissant avec son escadre veut faire reconnaître dans la Régence la suprématie de la Grande-Bretagne sur les autres puissan- ces. Il n'obtient qu'une fin de non recevoir et se retire, heureux cepen- dant d'arracher au Bey de Tunis, pour son pays, les établissements de pêche de corail sis à Tabarka et jusque là réservés à la France. Celle-ci reprendra plus tard sa prépondérance tandis qu'après les démonstrations navales des Amiraux Jurien et Freemantle, le Dey, mécontent des affaires Bacri, se retournera vers l'Angleterre. Assisté de Bou Mezrag, bey de Tittery et de Hassan, Bey d'Oran, il réprime les mouvements offensifs des Tidjania et grâce à Yahia, caïd des Beni Djaad, soumet la Kabylie. A l'ouest, le 11 Décembre 1822, Moulay Abd-er-Rahman, salué d'abord du titre de Khalife, reçoit la « beïa » de Fès et des troupes. Proclamé Sultan, il voit au début de 1823, après la défection de Ben el Ghazi, les Berbères qui avaient juré haine au nom chérifien, se sou- mettre à lui. Un succès chez les Cherarda et leur chef Mehdi lui permet de rétablir sur de solides fondements la souveraineté ismailienne. Dès lors, tous les acteurs africains du drame de 1830 sont en place. Suivons maintenant Abd-el-Kader.

Le fils de Mahi-ed-Din atteint sa quatorzième année et le moment est venu pour lui d'obéir à la quatrième loi de l'Islam: le jeûne du Ramadan. LE SIX MAI MCMXXXI CE LIVRE A ÉTÉ ACHEVÉ D'IMPRIMER PAR

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