Mountain Wilderness
5, Place Bir Hakeim 38000 Grenoble tél. : 04 76 84 54 42 fax : 04 76 84 54 44 mel : [email protected] Auteurs : C. Grasmick, B. Rivoal, J.P. Courtin et M. Fourcade
Le massif du Mont-Blanc Etude documentaire Mai 1999
Ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environement Direction de la Nature et des Paysages Sous-Direction de l'Évaluation Environnementale et de l'Aménagement Durable 20, avenue de Ségur 75302 Paris 07 S.P. Commande n°104/98
Mountain Wilderness France Sommaire
Introduction
1ere partie Le Contexte pour un espace convoité
Introduction p. 4
Définition de l'espace
1. L'espace socio-économique et culturel p. 6
1. Description et évolution des populations p. 7 2. L'économie locale p. 9
2. Milieu physique, patrimoine géologique et écologique p. 13
1. Intérêts géologiques et morphologiques p. 14 2. Remarques sur le climat p. 15 3. La biodiversité dans le massif du Mont-Blanc p. 16 4. Remarques sur la biogéographie végétale de la région du Mont-Blanc p. 16 5. Remarques sur les intérêts faunistiques de la région du Mont-Blanc p. 17 6. L'homme, partie intégrante des milieux naturels p. 18
3. L'espace géographique p. 20
1. Le site classé du Mont-Blanc p. 22 2. Les sites protégés du massif du Mont-Blanc p. 23 3. Les difficultés d'un zonage international p. 26
Historique des projets de protection et d'aménagements de la région du Mont-Blanc
1. Historique du projet de protection p. 34
2. Projets d'aménagements p. 38
Mountain Wilderness France I 2eme partie Enjeux et acteurs en présence
Introduction p. 42
Espace d'enjeux actuels
1. L'agriculture et la sylviculture p. 44
2. Les transports p. 49
1. Situation d'ensemble p. 51 2. Le versant suisse p. 51 3. Le versant italien p. 53 4. Le versant français p. 54 5. Conclusions - Recommandations p. 56
3. Le tourisme, les aménagements touristiques p. 60 et leurs impacts sur l'environnement
1. Les relations réciproques entre tourisme et environnement p. 61 2. L' améliorationde la qualité touristique : le "Tourisme doux" p. 66 3. En guise de conclusion p. 68
Les acteurs en présence
1. La population p. 70
2. Les acteurs associatifs p. 73
1. Associations de protection de l'environnement au caractère international p. 74 2. Associations locales de protection et de gestion de l'environnement p. 76 3. Associations des amis des réserves naturelles françaises p. 77 4. Clubs de pratiquants p. 77 5. Associations de chasseurs et de pêcheurs p. 78
3. Les élus locaux p. 79
4. Autres organismes concernés par la région du Mont-Blanc p. 82
1. Quelques acteurs socio-économiques p. 83 2. Quelques acteurs au caractère scientifique p. 83
5. Les acteurs administratifs p. 85
Mountain Wilderness France II 3eme partie Scenario de développement et de protection
Introduction p. 88
1. Le retour à une implication forte des Etats p. 89
2. Les objectifs pour la protection du massif du Mont-Blanc p. 91
3. La prise en compte des préoccupations associatives p. 94
Bibliographie p. 96
Revue de Presse - Voir document annexé
Mountain Wilderness France III Introduction
Le massif du Mont-Blanc représente sans De 25 000 touristes par an en 1890, on est passé conteste un espace naturel au caractère à 10 millions aujourd'hui pour la seule vallée de exceptionnel. Emblématique de l'histoire des Chamonix. L'impact considérable de cette foule rapports de l'homme à la montagne, il a de touristes, randonneurs ou alpinistes sur le toujours suscité passions et controverses. milieu montagnard, par eux-mêmes ou les Et oui !… Le Mont-Blanc n'est pas simplement infrastructures qui les engendrent, même s'il est un paysage aux lignes sublimes, aux ambiances en certains lieux encore mesuré, en fait un des si particulières… Il est aussi un milieu vivant massifs alpins les plus fréquentés mais aussi les qui évolue au gré des habitants, de ses vsiteurs. plus perturbés. A cela s'ajoute l'insertion d'un Femmes et hommes des trois nations axe routier au caractère international qui a différentes, valaisans, valdôtains, savoyards, y considérablement bouleversé les paysages et les vivent, entretiennent et respectent un territoire équilibres écologiques. qui au fil du temps témoigne d'une grande richesse culturelle et patrimoniale. Face à cette dérive et à l'incontestable valeur patrimoniale de ce massif, nombre d'acteurs Le massif du Mont-Blanc est aussi le témoin associatifs, accompagnés parfois d'élus locaux exemplaire de l'histoire du tourisme ou nationaux, se sont mobilisés pour montagnard. Les récits d'explorations des promouvoir l'idée d'une protection active du années 1740 de W. Windham, R. P o c c o c k e , massif. naturalistes et aristocrates anglais, de certains genevois… sont très appréciés. Ils ouvrent la L'objet de ce travail est de rendre compte de voie de la haute vallée de l'Arve et, peu à peu, cette démarche qui a conduit un certain nombre aux côtés des scientifiques, les premières d'acteurs à établir des propositions pour un escalades sont effectuées. développement durable de cette région. Après la montagne monstrueuse, crainte, c'est Ce document s'établit en trois parties : l'emportement du romantisme, la révélation du - Une première partie intitulée "Le contexte charme sauvage des hautes altitudes. pour un espace convoité". Il s'agit d'une
Mountain Wilderness France 1 synthèse concernant tout d'abord la description Nous présentons ensuite les différents acteurs- du milieu naturel, de ses richesses et de ses utilisateurs, leurs rôles, concernant la gestion et particularités. La multiplicité des systèmes de la protection de ce milieu. protection y est évoquée et permet d'aborder la difficulté du zonage international pour définir - Le troisième volet de cette étude "Scénarios un espace à protéger. alternatifs de développement et de protection" Dans un second temps nous y présentons recense les principaux objectifs qui doivent être l'historique du projet de protection ainsi que les débattus, notamment selon les acteurs principaux projets d'aménagements qu'a subit associatifs fortement impliqués, afin de cette région. déboucher rapidement vers un scénario de développement durable et transfrontalier de la - Une seconde partie "Enjeux et acteurs en région du Mont-Blanc. présence" tentera de mettre en évidence les Cette troisième et dernière partie tiend différents espaces d'enjeux au travers de trois d'ailleurs lieu de conclusion. thèmes à forte signification sociale et économique : l'agriculture, les transports et le tourisme.
Mountain Wilderness France 2 1ere partie
Le contexte pour un espace convoité
Mountain Wilderness France 3 Introduction
Le massif du Mont-Blanc possède un certain ensemble à l'avenir de ce site prestigieux. Ils ont nombre de caractéristiques qui en font un alors donné naissance à la "Conférence massif exceptionnel. Emblématique puisqu’il est transfrontalière Mont-Blanc" chargée de mener le plus haut sommet d’Europe, si l'on excepte le à bien une étude de faisabilité commune pour Caucase, il développe une très grande richesse définir le concept de valorisation active de la environnementale liée à des contrastes montagne et en vérifier l'efficacité pour la altitudinaux, géologiques, topographiques… réalisation d'expériences concrètes. Parallèlement, c’est un espace qui offre une grande diversité des aménagements qui oppose Afin de limiter ici l’objet de notre étude, et de se des vallées hyper équipées sur le plan concentrer pleinement sur l’objectif premier de touristique (vallée de Chamonix) et des vallées celle-ci (Etude documentaire sur une zone de peu transformées. C’est le cas du Val Ferret relief à fort intérêt environnementale, culturel et (Italie) ou de nombreuses zones du Valais économique), nous avons choisi de retenir (Suisse) restées intactes et protégées du bruit comme zone de travail l’espace comprenant les notamment. En terme de protection c’est un communes intégrées à la "Conférence massif également très contrasté entre des transfrontalière Mont-Blanc" ainsi que celles qui secteurs protégés et des territoires menacés le jouxtent ou s’en rapprochent territorialement. d’altération. L'objet de cette partie est de présenter de La démarche de protection internationale de ce manière succinte les caractéristiques massif a débuté à la fin des années 1980. Après géographiques de cet espace qui en font un une première étude, initiée par les Etats en massif au caractère remarquable. Nous France, en Italie et en Suisse, en vue de proposer retracerons également ici, l'historique récent des un zonage pour un futur "Parc international", projets d'aménagements et de protection sur le les élus locaux se sont regroupés au sein de massif. l'«Espace Mont-Blanc» afin de réfléchir
Situation
VALAIS
HAUTE-SAVOIE
Mont Blanc
VAL D'AOSTE
FRANCE SUISSE SAVOIE
ITALIE
Mountain Wilderness France 4 Définition de l'espace
Mountain Wilderness France 5 1. L’espace socio-économique et culturel
La Région du Mont-Blanc connaît un véritable montagne, l'industrie, elle, n'a plus un avenir dynamisme en terme de population notamment très florissant dans la région du Mont-Blanc. et ceci principalement à cause du tourisme. Mais c'est bel et bien les activités liées au Cela ne va pas sans quelques déséquilibres, tourisme qui occupent le plus d'actifs. L'histoire parfois graves, en particulier dans le domaine récente des vallées qui ceinturent le Mont-Blanc de l'habitat, et se ressent dans toute l'économie est étroitement liée à celle du développement locale. touristique et s'ancre dans l'évolution des Si l'agriculture ne semble pas subir ici plus de comportements, des regards que l'homme porte difficultés que dans les autres zones de sur la montagne.
Mountain Wilderness France 6 1. Description et évolution des populations
La région du Mont-Blanc a bénéficié d’une Certaines communes voisines des pôles évolution exceptionnelle de sa population de d’activités économiques, jouent le rôle de zones près de 50 % en 40 ans (de 1950 à 1990)1 . résidentielles (voire de zones “dortoirs”). Cette dynamique s’explique par l’effet de Notamment, à cause de l’accroissement des l’accroissement naturel et un solde migratoire résidents secondaires qui a fait un bond de 1975 positif durant cette période. à 1990.
L’accroissement et la concentration de la L’accroissement des résidences secondaires population, relativement jeune, sont liés aux activités économiques et plus particulièrement à Le nombre de logements, notamment dans les celle du tourisme (développement des stations pôles touristiques, s’est considérablement et facilité d’accès étroitement combinés à la développé. Le parc de logements dans la Haute présence de zones naturelles exceptionnelles et Vallée de l’Arve est passé de 25 466 logements du succès grandissant de l’activité alpine). en 1975 à 48 437 en 1990 avec une forte Certaines communes comme Sallanches, évolution des maisons secondaires 1. Leur Courmayeur, Martigny, Orsières, Bourg-Saint- nombre a plus que triplé entre 1975 et 1990 et Maurice, Pré-Saint-Didier, Chamonix, Les représente désormais 55 % des logements. Houches et Passy font partie des plus En Suisse, les communes de Bovernier, favorisées. Elles accueillent une population Sembrancher et Vollèges bénéficient de la jeune et active grâce, notamment, à l’activité proximité de stations anciennes (Champex, touristique. Verbier) qui attirent également une demande en Sallanches est la commune la plus peuplée de la résidences secondaires. vallée de l’Arve, sa population a doublé en moins de trente ans. A cela s’ajoute le développement du travail D’autres communes (Beaufort, Hauteluce, frontalier. Le canton du Valais est sujet à ce Trient et La Thuile) souffraient, par contre, de déplacement de population. Les prix du l’exode rural, elles semblent aujourd’hui se patrimoine foncier étant relativement moins développer et se dynamiser. onéreux côté français, la pression s’instaure. C’est le cas notamment pour la vallée du Giffre. Situation (voir tableau 1) Le logement collectif Les populations se sont concentrées dans les fonds de vallée, les pôles touristiques et à Ce type de logement s’est accru proximité des voies de communication. considérablement dans les années 80, mais a En 1950, la moitié de la population de la région subi un arrêt total depuis le début des années du Mont-Blanc était répartie sur dix communes 1990. alors qu’actuellement seules six communes (Martigny, Bourg Saint Maurice, Morzine, Les conséquences Passy, Sallanches et Vernayaz) regroupent 50 % des habitants. Les communes de plaine en La conséquence de ce développement dans des Suisse ont tendance à croître, les autres sont vallées aux fortes contraintes naturelles doublée pour la plupart globalement stables. Une de l’attrait de la clientèle pour le toit de exception, toutefois, la Commune de Finhaut l’Europe, consiste en la forte augmentation des qui se dépeuple d’année en année depuis trente prix fonciers et des loyers. Cette surenchère ans et qui doit faire l’objet d’une attention rend difficile l’acquisition d’un logement par les particulière. populations locales et les travailleurs saisonniers.
1 Source INSEE - bulletin BDCOM82 - RP90 Siclone, 1990
Mountain Wilderness France 7 Une autre conséquence de ce développement de Chamonix, le taux de croissance aurait encore l’habitat est la dispersion des terrains progressé au cours de la période 1990 - 1997. constructibles. Les infrastructures et les habitations se développent parfois sans Cet accroissement de la population conjugué à cohérence nuisant aux valeurs paysagères et la fréquentation touristique, pose un problème patrimoniales. évident de capacité d’accueil. En effet, la construction d’une maison nécessite une voie d’accès, des arrivées d’énergie D’après Christophe Devouassoux de (électricité, gaz), d’eau et de téléphone, et l’Observatoire Mont-Blanc Léman2 : « S’il est vrai génère des déchets ménagers et organiques... que l’on puisse encore construire aujourd’hui, on Les nuisances sur le milieu sont étroitement arrivera tout de même - mettons dans cinq ou dix dépendantes du type de logement construit. ans - à ne plus pouvoir continuer à construire le Son caractère individuel ou collectif, son même nombre de bâtiments par an qu’aujourd’hui. Il emplacement, son architecture... sont liés à son ne s’agit pas seulement d’un discours de protection intégration dans le paysage urbain et naturel. de l’environnement ; c’est un discours très réaliste, qu’ont d’ailleurs - semble-t-il - les élus de la vallée. Avenir Comment va-t-on faire si le rythme de développement baisse alors que le site accueille Globalement, l’importance de la population toujours quelque 168 entreprises du bâtiment ? pèse sur les choix d’aménagements et soulève la Quand bien même on rénoverait un peu les question du maintien de l’emploi. bâtiments, en termes urbains mais aussi en termes de structure de l’emploi, on ne pourra pas continuer à Un débat national sur l’aménagement du développer les capacités d’accueil ; on ne pourra pas territoire de la Haute Vallée de l’Arve1 précisait continuer à faire venir les habitants dans la vallée ». que « les problèmes posés par l’aménagement de ce Les Houches et Servoz, par exemple, ont territoire sont comparables à ceux d’une tendance à devenir des “zones dortoirs”, la agglomération de 230 000 habitants », et que « s i première a d’ailleurs choisi de réduire les zones l’on prend l’hypothèse d’un taux de croissance constructibles. équivalent à celui de la période de 1968 à 1990 pour les vingt prochaines années, c’est une agglomération L’évolution des populations outre son lien aux de 400 000 habitants qui se développera au pied du capacités naturelles du milieu est donc Mont-Blanc » d’ici 2010. Ces prévisions ne sont étroitement liée à l’économie locale. pas abérrantes puisque dans la vallée de
Tableau 1 : Types de logement Nombre en 1986 Nombre en 1989 Variation 86-89 Nombre de lits (en %) en 1986 et 89, Résidences principales 113 831 141 524 + 24.3 Partie française de Résidences secondaires 103 787 135 330 + 30.3 l'EMB Logements locatifs 41 486 36 967 - 10.8 (Espace Mont-Blanc) Hôtels - 19 838 - Hébergements collectif - 24 454 - Logements vacants 16 531 22 953 + 38.8 Total (1989) 381 065 (dont 239 545 lits touristiques)
Source : INSEE
1 Octobre 1993 - Direction Départementale de l’Equipement de la Haute-Savoie. 2 in Dimensions socio-économiques de la vallée de Chamonix : évolution récente et interrogations sur le développement durable, page 5 des Actes du Colloque : ”Le développement durable de la vallée de Chamonix”.
Mountain Wilderness France 8 2. L’économie locale
L’agriculture, déclin au centre et dynamisme inquiétant, se pose le problème de succession relatif en périphérie. des exploitations. La moyenne d’âge des agriculteurs est ici très élevée. L’avenir de La situation et l’évolution de l’agriculture l’agriculture dans cette région passe varient suivant les zones géographiques du évidemment par l’incitation des jeunes à secteur étudié, qui ne disposent pas toutes des reprendre les exploitations de leurs parents ou mêmes ressources naturelles et de la même par l’installation, toujours difficile, de nouveaux facilité d’exploitation (voir tableau 4). agriculteurs. Seule la région du Beaufortin profite d’un Le Beaufortin, le Haut-Giffre, les communes certain rajeunissement grâce aux conditions suisses de Champéry et Martigny et italiennes favorables et à une mise en valeur des produits de La Salle et Morgex possèdent des conditions agricoles de qualité (fromage de Beaufort, d’exploitations favorables. Reblochon...). Les surfaces agricoles utilisées dépassent alors La mise en valeur de produits agricoles à haute 25% du territoire. Dans l’Entremont (Suisse), le valeur ajoutée comme le fromage dans un secteur primaire est relativement dynamique marché local, national et international est un avec un effort de redéploiement. facteur dynamisant pour les agriculteurs et peut Martigny, Salvan, Pré-Saint-Didier et Morgex leur permettre de maintenir et développer leurs ont même un nombre d’exploitations en exploitations. expansion depuis 1980. En outre, les agriculteurs jouent un grand rôle Par contre, dans certaines communes, l’activité dans la vie locale, leur activité est à l’origine agricole est en réel déclin et même parfois d’une identité forte et d’une tradition transmise presque abandonnée notamment dans la vallée de génération en génération. La conservation du de l’Arve où le relief et le climat sont plus patrimoine montagnard, la composition des rigoureux (Sallanches, Passy, Chamonix...). Ces paysages, la transmission de savoir-faire communes ont subi une baisse de près de la dépendent en grande partie de ces travailleurs moitié de leur population agricole familiale de de la terre. 1970 à 1988. Cette évolution s’explique en partie par les conditions d’exploitation sévères, et une La pluriactivité constitue alors un facteur activité touristique omniprésente induisant une important pour la pérennité des exploitations forte pression foncière, comme nous l’avons dans les régions de montagne. La conjugaison évoqué. des activités agricoles et touristiques a l’avantage d’assurer une stabilité de revenus au Mais il convient de relativiser ces données car le cours des différentes saisons qui rythment déclin de cette activité en zone de montagne est fortement la vie montagnarde. désormais, malheureusement, une banalité. Plus
Tableau 2 : Mode d'occupation Superficie en ha France Suisse Italie Occupation du sol part forêt et SAU en % en % en % dans l'EMB, part des SAU 41 860 53 20.25 27 communes françaises, Surface forestière 49 200 54 30.5 15.5 suisses et italiennes Autre 117 900 56.4 17.5 26 Total 208 950 55.1 21.1 23.8 Taux boisement (%) 23.5 23.1 33.8 15.5 SAU/Surf. totale (%) 20 19.1 - 19.2 22.7
Source : Inventaire communal
1 Direction départementale de l'équipement de Haute-Savoie, 1993.
Mountain Wilderness France 9 L’industrie communes doivent notamment faire face, à la concurrence des “technopoles” qui se L’industrie, relativement bien diversifiée, est développent à la périphérie (en Savoie et basse principalement située dans la vallée de l’Arve. vallée de l'Arve, par exemple).
Ce secteur est avant tout basé sur les métiers du L’aide de l’Etat est alors essentielle pour bâtiment et des travaux publics (comprenant favoriser l’accueil d’entreprises sur ces types de l’extraction de matériaux) dont près de la moitié territoire où l’atout principal est la qualité de en entreprise artisanale. Ceci soulevant le vie et de l’environnement. La valeur du milieu problème de l’avenir de cette filière quand on naturel joue ici un rôle important, et même sait que les terres constructibles ne sont pas capital dans le secteur tertiaire où elle est la extensibles à volonté. condition de base au développement économique de la région. Principal pôle économique du département de la Haute-Savoie, la vallée de l’Arve accueille « la Le tourisme plus grande concentration mondiale d’entreprises de décolletage »1 (mécanique de précision). L’activité maîtresse de la région du Mont-Blanc, rappels historiques La fabrication du matériel d’alpinisme occupe également une bonne place dans la région. Autrefois, les montagnards utilisaient les L’industrie agro-alimentaire à Sallanches, ressources naturelles montagnardes pour vivre. Chamonix et Megève, le bois et l’ameublement Leurs actions se concentraient dans les vallées dans le Beaufortin, à Passy une usine de et, plus haut dans les alpages. Les hauts magnésie électrofondue complètent ce paysage. sommets étaient représentés comme des milieux Centrales électriques, retenues d’eau et grands hostiles jusqu'à ce que le regard des alpinistes, barrages se sont développés grâce aux des scientifiques puis du tourisme se tourne conditions hydro-géomorphologiques vers ces lieux vierges et sauvages. particulières du massif. Dès 1860, la montagne découvre une nouvelle forme d’activité : le tourisme. A cette époque il Dans le Valais, environ 35% des actifs est estival, aristocratique et donc assez travaillent dans l’industrie. Orientée vers la marginal. A Chamonix, la saison traditionnelle chimie à Evionnaz, elle se développe autour de estivale (vieille de deux siècles) a été complétée pôles variés à Martigny (activités vinicole, par la saison hivernale. La véritable impulsion distilleries, aluminium). L’activité liée à dans de nombreuses stations de montagne l’aluminium est d’ailleurs bien implantée viendra du développement des sports d’hiver, depuis le début du siècle sur l’ensemble du d’abord progressif puis explosif. Valais. Mais, à l'inverse des comunes ayant axé leur développement touristique sur la seule saison Le contrôle des pollutions engendrées par hivernale, dans la région du Mont-Blanc, les l’industrie chimique doit être strict dans ce stations se démarquent en accueillant autant de milieu fragile et dont la qualité de monde l’été que l’hiver. A Chamonix, on l'environnement est l’atout le plus précieux. dénombre même une fréquentation estivale Ainsi en Valais une révision des normes de supérieure à la saison hivernale. rejets a permis de limiter les dégâts : émissions de composés de fluor, rejets de phosphore, Bien que la beauté des montagnes crée une versement de mercure dans les eaux... (image attirance depuis longtemps, le tourisme ne s’est de la qualité des produits fabriqués en imposé qu’en dernier lieu parmi les activités montagne). économiques des espaces montagnards. Il y prospère et se généralise au milieu du XXème Mais l’activité industrielle n’a pas un avenir très siècle, tandis que l’activité agro-pastorale florissant dans la région du Mont-Blanc. Les décline et que l’industrie se concentre dans les
1 "Du massif du Mont-Blanc à l'Espace international Mont-Blanc », page 28 in Dossier de la Revue de Géographie Alpine n°14, 1994.
Mountain Wilderness France 10 vallées. Le tourisme devient l’activité maîtresse Privilégier la qualité plutôt que la quantité de la région du Mont-Blanc. devrait être le mot d’ordre face à l’évolution de ce marché (les hôtels luxueux ont le plus fort Le tourisme, principal source d’emploi taux de remplissage). En effet, le Mont-Blanc a une réputation internationale (le troisième site Les emplois liés directement ou indirectement le plus visité au monde après les chutes du au tourisme, permettent aujourd'hui aux Niagara et le Fuji-Yama). Il est nécessaire de se départements de Savoie et de Haute-Savoie de servir de cette image et de la conserver. posséder le taux de chômage le plus bas de Mettre en place une politique de qualité des France. prestations et bien entendu, de qualité Le nombre d’emplois dans ce secteur dépasse environnementale est, sans aucun doute la largement celui des salariés de l’industrie. réponse à apporter à la nouvelle demande des Le développement des autres activités mérite le clients et à la concurrence d’autres stations soutien des administrations. De même, dans le réputées. secteur florissant du tourisme il est nécessaire Or, l’évolution de ce secteur primordial n’est de bien identifier la demande et de la suivre, pas très bonne. Suite à une stagnation du voire de la devancer. Ceci est envisageable par nombre des visiteurs, on constate aujourd’hui, le développement des synergies entre secteurs. assez nettement, une baisse de la clientèle Le risque d’une non-adaptation au marché hôtelière et une baisse de la fréquentation des pourrait être une crise sans précédent dans cette étrangers. région où le sentiment est fort que l’image du Le toit de l’Europe n’est pourtant pas passé de toit de l’Europe restera inaltérable quelque soit mode, les raisons de cette évolution sont donc l’étendue des agissements anthropiques. peut-être à rechercher, au vu de la situation des différentes politiques de stations, dans la Un développement inégal démarche de protection de l’environnement. « Même s’ils ne constituent pas des facteurs La répartition des équipements est inégale sur suffisants, un paysage culturel intact et un la région du Mont-Blanc. « Certaines stations sont environnement sain sont des atouts non négligeables des géantes »1 comme Morzine (Avoriaz), Saint- pour attirer les touristes »1 surtout lorsque l’on Gervais, Bourg Saint-Maurice (les Arcs) etc. sait que ces touristes sont demandeurs de Concernant toujours l’équipement touristique et qualité dans tous les domaines. les capacités d’accueil, Chamonix et Une politique orientée vers un tourisme plus Courmayeur, bénéficiant de leur situation au doux, familial, bénéficie également à l’activité pied du mont Blanc, sont également favorisées. agricole : développement de la pluriactivité, D’autres, plus modestes montrent un réel écoulement des produits... participant à un dynamisme : Morillon, Passy, les Houches ou développement global du territoire. Arêches-Beaufort. Dans ce type de stations De même, les dernières saisons où la neige a fait “modestes” (le Fayet, les Saisies et les défaut ont montré le risque économique de la Contamines) la capacité d’accueil poursuit sa poursuite du développement des équipements croissance en s’appuyant sur un tourisme lourds. De plus, comme dans le reste des familial. Pour Martigny, le tourisme est certes montagnes françaises, ceci ne répond plus à la important mais il est également basé sur le nouvelle demande. tourisme culturel (Fondation Gianadda). Le massif du Mont-Blanc : un haut lieu symbolique Le danger du “tout tourisme” Depuis le milieu du XVIIIème siècle, époque à Certaines communes, comme Finhaut, Trient et laquelle on a su qu'il est le principal sommet Salvan, côté valaisan, ne peuvent, à l’heure d'Europe, le Mont-Blanc occupe une place tout à actuelle, essentiellement jouer que la carte du fait particulière dans l'imaginaire occidental. tourisme.
1 Prof. Peter Keller “Le développement des activités économiques dans une perspective de développement durable dans le secteur clé du tourisme “ page 29 in Acte du Colloque des Houches, 1997.
Mountain Wilderness France 11 Le Mont-Blanc est à la fois symbole et emblème contradictoires de gestion de l'espace local. de la haute montagne. Ce constat entraîne « L'incompatibilité de ces stratégies, la diversité des quantité d'implications dans le domaine de valeurs portées par les acteurs de cette gestion, ont l'aménagement et de la gestion environ- régulièrement conduit à des conflits d'usage de la nementale. montagne chamoniarde : conflits entre défenseurs des « Haut lieu de l’alpinisme mondial, il est une étape usages traditionnels (éleveurs, cristalliers par obligée dans la formation d’un grimpeur ; haut lieu exemple) et partisans d'une gestion prudente des du tourisme montagnard, il présente des paysages ressources environnementales, conflits entre qui représentent, depuis deux siècles déjà, une norme partisans d'un équipement mécanique densifié [...] et dans l’évaluation esthétique de la montagne ; pour partisans d'une protection accrue sous la forme d'un cette double raison, il est un des massifs de montagne site classé, de réserves naturelles, voire d'un Parc les plus fréquentés au monde »1. international »1.
La symbolisation du Mont-Blanc a servi des stratégies territoriales diverses et des logiques
1 "Du massif du Mont-Blanc à l'Espace international Mont-Blanc », page 26 in Dossier de la Revue de Géographie Alpine n°14, 1994.
Mountain Wilderness France 12 2. Milieu physique, patrimoine géologique et écologique
Le massif du Mont-Blanc se situe dans une Cette zone, relativement restreinte en superficie, position charnière entre l’ensemble Pelvoux- constitue un véritable condensé de tout l’Arc Ecrins-Vanoise, d’orientation Nord-Sud, et les alpin en matière de géologie et de montagnes helvétiques et italiennes, géomorphologie. d’orientation Est-Ouest. Cette situation lui confère une richesse naturelle exceptionnelle L’objet de cette partie n’est pas de présenter un tant sur le plan morphologique et géologique tableau exhaustif des richesses naturelles de que sur le plan écologique. l’espace qui nous intéresse, mais seulement d’évoquer les grandes lignes qui en font une En France, trois régions naturelles contiguës zone au caractère patrimonial naturel font partie de cette zone : le massif du Mont- exceptionnel. Blanc et des Aiguilles Rouges, mais aussi une partie du Faucigny et du Beaufortin.
Mountain Wilderness France 13 1. Intérêts géologiques et géomorphologiques
Le “bâti structural » et les roches Les aménagements géomorphologiques dus aux agents d’érosion Au sein de l’espace considéré, trois ensembles peuvent être distingués : Outre l’architecture générale, le massif du - La chaîne du Mont-Blanc et ses annexes Mont-Blanc, comme tout massif alpin, tire ses (Aiguilles Rouges, vallée de Chamonix) ainsi caractéristiques des phénomènes d’érosion que leur prolongement vers le sud, jusqu’au particulièrement marqués en montagne. Beaufortin et vers le nord, jusqu’au Catogne, sur la commune de Bovernier (VS). Du point de vue Les lacs, héritages glaciaires pour la plupart, les géologique, cette zone s’inclut dans les massifs dépôts alluvionnaires, profondément perturbés cristallins externes, ancienne chaîne par les extractions des dernières décennies, les hercynienne rehaussée lors du soulèvement avalanches et mouvements de terrain, les alpin. Cet ensemble est principalement cascades, cirques et tourbières constituent constitué de granites et de gneiss, souvent autant d’éléments conférant au paysage de la sculptés en aiguilles. région du Mont-Blanc une grande richesse. - Les Préalpes calcaires qui bordent, à l’ouest, les massifs cristallins. Il s’agit du Haut-Giffre et Si les cascades constituent un atout touristique du Haut-Chablais, physionomiquement bien majeur de part leur caractère spectaculaire, caractérisés par la présence de puissantes notamment à Sixt-fer-à-cheval, les tourbières falaises de calcaires massifs et de surfaces sont à la merci d’un drainage intempestif alors tabulaires lapiazées (Désert de Platé, par qu’elles constituent un patrimoine scientifique exemple). Ces massifs préalpins atteignent ici considérable permettant, entre autres, de leur altitude maximale (3000 m). L’érosion comprendre l’histoire du climat et de la fluvio-glaciaire y a édifié des cirques végétation des 12000 dernières années. g r a n d i o s e s : cirque du Fer à Cheval et cirque des Fonds. Concernant les glaciers, le groupe du Mont- - Les massifs internes. Il s’agit d’un ensemble Blanc occupe une position particulière pour très complexe, tant au point de vue lithologique plusieurs raisons : que tectonique, qui s’allonge sur toute la face - l’altitude extrême de la chaîne, l’asymétrie de Sud-Est de la chaîne du Mont-Blanc, dans le ses versants (abrupt côté italien, plus incliné Haut Val d’Aoste et le Val Ferret suisse. Dans côté français) et la nature exclusivement cette zone, des schistes calcaires affleurent, cristalline de ses roches ; engendrant des reliefs mous. - la variété des types d’appareils glaciaires qui en résulte : glaciers de cirques, glaciers Lié à ces grands ensembles géologiques, un suspendus, glaciers de couloirs, de vallées, de réseau de vallées glaciaires enlace latéralement calottes, de versants cloisonnés par des parois le massif du Mont-Blanc : rocheuses ; - Val Veny et Val Ferret italien drainés par la - la distribution orographique dans deux Doire Baltée, affluent du Pô ; bassins opposés, rhodanien et piémontais. - Val Ferret suisse, vallées du Trient et de Ce groupe, sur la partie française, représente à Vallorcine envoyant leurs eaux dans le Haut- lui seul la moitié des surfaces englacées des Rhône ; Alpes de notre pays. Le complexe de la mer de - Vallées de l’Arve, du Bon Nant et du Giffre glace occupe, en superficie, ainsi la quatrième tributaires du Rhône moyen. place de tout l’arc alpin. Ces vallées constituent une sorte d’étoile d’axes de pénétration facile. Il existe de grandes différences entre les formes
Mountain Wilderness France 14 glaciaires des versants Nord et Sud du Mont- nombre et leur étendue que par leur variété. Au Blanc. L’ensemble constitue un échantillonnage sein de cet ensemble, la zone qui nous intéresse pratiquement complet de toutes les formes offre, grâce à sa diversité géologique et à son glaciaires alpines. C’est un laboratoire altitude élevée, une remarquable illustration de glaciologique exceptionnel grâce auquel on peut paysages et de phénomènes karstiques en espérer mieux appréhender les mécanismes haute-montagne. En particulier les hautes fondamentaux reliant les fluctuations glaciaires chaînes calcaires que constituent les massifs du et les variations climatiques. Certains témoins Platé, du Haut-Giffre et des Aravis abritent l’un de ces fluctuations, parfois très éloignés des des plus spectaculaires karsts de haute- glaciers actuels (moraines, blocs erratiques…) montagne de toute la chaîne alpine. doivent absolument, dans ce but scientifique, D’énormes quantités d’eau circulent à être conservés intacts. l’intérieur de ces massifs et le pouvoir filtrant des karsts est pratiquement nul. Compte tenu Moins impressionnantes pour le grand public, de leur position en amont des captages d’eau et étudiées plus tardivement que les glaciers en potable dans les alluvions des vallées, une raison des difficultés d’accès au monde protection sérieuse de ces formations karstiques souterrain, les formations karstiques constituent serait amplement justifiée dans le cadre d’une également un intérêt capital, notamment pour la gestion rationnelle des ressources en eau de la gestion de l’eau. En outre, le milieu souterrain, région. échappant à l’érosion plus rapide en surface, constitue une mémoire paléoclimatique L’intérêt majeur de cette zone sur le plan de la exceptionnellement conservée dans les géomorphologie, est la coexistence réalisée nulle sédiments remplissant les cavités. part ailleurs dans l’Arc alpin sur une aussi Les massifs sédimentaires des Alpes courte distance, entre un ensemble glaciaire occidentales constituent un ensemble karstique unique par sa variété et le système karstique le de premier ordre dans le monde, tant par leur plus complet d’Europe.
2. Remarques sur le climat
Les particularités du relief de la région du précipitations sur les versants valaisans et Mont-Blanc, dues aux variations valdôtains du Mont-Blanc entraîne une faible géomorphologiques évoquées précédemment, nébulosité, donc une réduction de la quantité de confère à cette zone une grande originalité chaleur absorbée par l’évaporation des pluies climatique. Nulle part ailleurs dans les Alpes on ou la fonte des neiges et par conséquent une ne retrouve sur une superficie aussi restreinte augmentation de la température. une pluviométrie aussi contrastée : deux pôles de sécheresse en Valais suisse et dans le Val La complémentarité entre les versants français, d’Aoste jouxtent des précipitations records du suisses et italiens du Mont-Blanc est évidente. côté français. On peut, en effet, observer sur cet espace relativement restreint pratiquement tous les La distribution des températures, tributaires types de climats des Alpes occidentales, à comme ailleurs de l’altitude et de l’exposition, l’exception peut-être des influences est évidemment étroitement liée aux méditerranéennes qui n’atteignent que dénivellations importantes et brutales, faiblement le Val d’Aoste. On y retrouve, en l’encaissement des vallées provoquant, de plus, condensé, une zonation biogéographique des inversions de température hivernales très pratiquement complète, de la zone alpine marquées. La diminution rapide des externe à la zone interne.
Mountain Wilderness France 15 3. La biodiversité dans le massif du Mont-Blanc
La biodiversité atteint ici une intensité Mont-Blanc qui se trouve ainsi, comme nous remarquable en raison de la variété des facteurs, l’avons vu, entourée de régions aux climats très des milieux physiques ou biotiques. contrastés . Les unités géologiques ou structurales des En outre, les activités humaines ont Alpes du nord se retrouvent dans ce périmètre relativement peu altéré l’environnement au avec leurs morphologies très typées : hautes cours des siècles derniers, en raison de divers falaises de calcaires, massifs et lapiaz des systèmes d’autorégulation (contraintes Préalpes, aiguilles acérées des massifs naturelles, activités agro-sylvopastorales …). cristallins, reliefs adoucis des zones internes. Les amplitudes altitudinales les plus élevées Cet ensemble de caractéristiques confère à la d’Europe créent de remarquables oppositions région du Mont-Blanc des particularités micro climatiques et biotiques. écologiques basées sur l’importante diversité Les principales zones biogéographiques alpines plutôt que sur les richesses spécifiques locales, s’allongent de part et d’autre de la chaîne du néanmoins non négligeables.
4. Remarques sur la biogéographie végétale de la région du Mont-Blanc
Globalement, la région du Mont-Blanc contient allant de l’étage montagnard à l’étage subalpin, à peu près les deux tiers des associations et peu représentées dans les parcs nationaux végétales subalpines et alpines des Alpes. Le existants, constitue l’une des originalités les fait de pouvoir rencontrer, sur un parcours de plus marquantes de la région du Mont-Blanc, quelques heures de marche, des groupements du moins en ce qui concerne son versant végétaux les plus xérothermophiles comme les français. “garrides” valaisannes, qu’on ne trouve Cette zone pourrait d’ailleurs être un territoire habituellement que dans les Alpes centrales et privilégié pour des études, qui actuellement orientales, et des pessières à hautes herbes font défaut, sur l’évolution des formations occupant les stations froides et humides de la boisées de montagne où l’exploitation Haute-vallée de l’Arve, présente évidemment, économique tend à disparaître et où il faut sur les plans scientifique et didactique, un imaginer de nouvelles méthodes de gestion les intérêt hors du commun. moins onéreuses possible.
L’exemple le plus significatif d’associations D’autres groupements végétaux sont en constituant un groupement végétal d’intérêt évolution. C’est le cas pour ceux qui subissent climacique remarquable est celui des forêts. Ces l’abandon d’activités humaines comme le groupements occupent en général de grandes pâturage ou la fauche, ou qui sont liés aux superficies et atteignent dans cette région un variations cycliques du climat ayant par développement remarquable en vigueur et exemple entraîné le retrait de certains glaciers. croissance et peuvent ainsi servir de Il y a encore 30 ou 40 ans, les pâturages étaient peuplements de référence. Citons pour exemple plus étendus qu’aujourd’hui. Depuis le moyen- la hêtraie-sapinière du Haut-Giffre ou le âge, une déforestation importante s'est mélézin-cembraie du Montenvers ou de organisée pour procurer au bétail des prairies, Vallorcine. pour se chauffer et construire des abris. Actuellement, comme dans beaucoup d’autres La superficie importante de groupements régions, la forêt reprend progressivement ses d’associations végétales forestières très diverses, droits.
Mountain Wilderness France 16 Certains groupements forestiers ou sites riches, températures en automne et en hiver. Le dont l’intérêt réside dans une grande diversité manteau neigeux occupe le fond de la vallée 4 à floristique et phytosociologique, sont donc 5 mois en moyenne. A 2000 m, il persiste 6 à 7 présents sur le versant français du Mont-Blanc. mois et 7 à 11 mois entre 2000 et 2500 m. Ainsi, Mais force est de constater que la vallée étroite par exemple, la végétation forestière dépasse à de Chamonix, encaissée, froide et pluvieuse est peine 2000 m et les phanérogames 3000 m, alors nettement moins riche sur le plan floristisque que dans les Alpes italiennes et suisses, elles se que les vallées adjacentes d’Aoste, du Valais et trouvent à des altitudes plus élevées (4450 m plus loin celle de la Maurienne. L’étroitesse de pour la renoncule des glaciers en Valais, record la vallée provoque des inversions de absolu pour l’Europe !).
5. Remarques sur les intérêts faunistiques de la région du Mont-Blanc
Il n’existe pas d’inventaire faunistique erratiques d’ici la fin du siècle. concernant l’ensemble de la région du Mont- Quelques oiseaux symboles peuplent également Blanc. Bien sûr, comme dans toutes les Alpes la région du Mont-Blanc : aigle royal, faucon françaises, les effectifs des ongulés (chamois, pèlerin, hibou grand duc et gypaète barbu (dont bouquetin, cerf, chevreuil) sont assez bien la première naissance naturelle après connus et en expansion continue depuis les réintroduction a eu lieu en 1997 au Bargy). S’ils années 60-70. Les mesures prises par ne sont pas tous directement menacés, une l’Administration et les chasseurs concernant les attention particulière doit être portée sur leurs réserves ou les plans de chasse, semblent aires de nidification, souvent situées à basse suffisantes pour assurer une gestion convenable altitude et donc non incluse dans les périmètres de cette faune. de protection actuels, elles subissent des dérangements de plus en plus fréquents On peut signaler que le département de la notamment à cause du développement du vol Haute-Savoie est le seul à héberger de véritables libre ou de l’escalade. populations naturelles des quatre espèces de la famille des tétraonidés : grand tétras, tétras Il faut évoquer enfin les couloirs de migration et lyre, lagopède et gélinotte. notamment celui passant par les cols de Bretolet Or, certaines espèces d’oiseaux peuvent être et de la Golèse, emprunté par des millions considérées comme des indicateurs biologiques d’oiseaux lors de leurs déplacements pré- particulièrement sensibles de la qualité des nuptiaux et surtout post-nuptiaux (fin milieux naturels. septembre début octobre). L’espace aérien de ce Etant donné l’importance et la richesse des couloir ne doit pas être encombré d’obstacles biotopes forestiers, les espèces inféodées à ce meurtriers (câble, pylône) et les formations milieu sont nombreuses et parfois rares. C’est le végétales locales ou les zones de repos doivent cas du pic tridactyle, de la chouette chevechette être préservées. C’est également le cas du col de ou du grand tétras, espèces pour lesquelles la Balme, où l’étude de la biologie de nombreux poursuite d’une protection en l’état actuel ne oiseaux alpins peut se faire avec une facilité que peut garantir le maintien de populations, mais peu de régions sont capables d'offrir. seulement la sauvegarde de quelques individus
Mountain Wilderness France 17 6. L’homme, partie intégrante des milieux naturels
Comme dans toutes les Alpes occidentales, il exploits au caractère sportif prépondérant. n’existe pas de zones sur la région du Mont- S’ajoutent à cela le développement de pratiques Blanc qui ne gardent la trace de la présence nouvelles, la banalisation du ski et de l’escalade, humaine passée ou actuelle. en grande partie grâce au progrès du matériel, Jusqu’au milieu du siècle dernier, cette présence mais aussi du temps libre consacré à a fortement influencé l’évolution de la l’entraînement. Actuellement, la voie normale végétation dans les étages montagnard, d'ascension du Mont-Blanc reste probablement subalpin et alpin. Elle a non seulement modelé la plus fréquentée du massif. Mais on constate le paysage mais également contribué à la qualité que les voies d’escalades difficiles, voire très de certains milieux. Il ne fait ainsi aucun doute difficiles, mais ne nécessitant pas de longues que la relative abondance de la bartavelle en marches d’approche et offrant des possibilités Haute-Savoie jusqu’à la fin des années de repli rapide en cas de mauvais temps, sont cinquante, dans des conditions climatiques désormais les plus parcourues, alors que de pourtant peu favorables, était liée aux pratiques grandes classiques plus éloignées sont quelque agricoles (prés de fauche, culture céréalière en peu délaissées. altitude). L’abandon de ces pratiques a entraîné une disparition progressive de cet oiseau, En résumé, les objectifs de protection des malgré l’interdiction de chasse et le faible milieux naturels de cette zone ne peuvent être impact des aménagements de sports d’hiver sur fixés sans tenir compte des facteurs humains. cette espèce. La liaison de la région du Mont-Blanc au réseau On peut ainsi multiplier les exemples : routier européen, l’existence de nombreux l’envahissement de certains secteurs par l’aulne domaines de remontées mécaniques, rendent vert, la fermeture complète du couvert de illusoire d’imaginer une protection où l’homme certaines pessières inexploitées depuis plusieurs n'est qu’un simple spectateur tout juste toléré. décennies… Indépendamment de ces réalités, cette éventualité n'est de toute façon pas souhaitable. Si l'abandon de certaines pratiques a entraîné une perte locale de la biodiversité, le Il est ainsi nécessaire de tenter, par des actions développement de nouvelles activités humaines spécifiques, de compenser la disparition de dans la région du Mont-Blanc a eu des pratiques agricoles et sylvicoles bénéfiques pour conséquences néfastes beaucoup plus certains milieux, en s’appuyant le plus possible spectaculaires et étendues. Elle est cependant sur les structures socio-professionnelles loin d’avoir touché la totalité du territoire. existantes.
En haute-montagne, comme dans toutes les Pour garantir l’intégrité des milieux, qu’un Alpes, la fréquentation humaine est assez excès de fréquentation pourrait localement récente et a subi une évolution extrêmement menacer, il faut développer une pédagogie de la rapide. nature, déjà engagée dans les réserves Depuis les années 70, on assiste à un naturelles, et mettre en valeur tous les aspects bouleversement total des rapports entre culturels de la zone concernée, notamment dans l’homme et la haute-montagne, et le massif du ses aspects transfrontaliers. Mont-Blanc en a été le théâtre privilégié en Une protection logique doit intégrer le mieux Europe. Dans l’esprit du grand public, les possible les populations permanentes vivant à exploits médiatisés ont sensiblement modifié la proximité du Mont-Blanc. Il ne faut pas exclure perception de ce milieu, jusqu’alors considéré a priori les exploitations humaines, dans la comme hostile et accessible seulement à une mesure où elles ne sont pas incompatibles avec “élite” dont les valeurs morales étaient toujours le maintien de la valeur des milieux naturels et mises en avant. parfois même y contribuent. Depuis les années 80, le mythe de la haute- montagne a été quelque peu écorné par des Il existe autour du Mont-Blanc, entre le Valais
Mountain Wilderness France 18 suisse, le Val d’Aoste italien et la Savoie prise en compte des facteurs humains dans la française des liens historiques, économiques et protection de milieux naturels, doit être culturels, qui permettent d’affirmer que cette identique dans les trois pays.
Mountain Wilderness France 19 3. L’espace géographique
Globalement, deux types d’intérêts En terme d’aménagement du territoire, il fondamentaux motivent et justifient le apparaît que les surfaces protégées se trouvent découpage de l’espace en milieux naturels essentiellement en France où l’appareil législatif exceptionnels : de protection comporte deux volets essentiels. - intérêt géomorphologique et géologique dans Le site classé du Mont-Blanc d’une part, les la mesure où la zone d’étude est, en la matière, réserves naturelles d’autre part (voir carte 1). un remarquable condensé de tout l’arc alpin ; - une grande richesse biologique au niveau de la La grande diversité des moyens de protection végétation et de la faune avicole notamment. existant au niveau des trois pays concernés Cette richesse exceptionnelle pose le problème alliée aux différences de perception des enjeux de la difficile gestion de ces espaces vis-à-vis explique la difficulté à proposer un zonage des projets touristiques, de la déprise agricole, international pour la protection du Mont-Blanc de la fréquentation croissante des axes routiers ou de la moyenne et de la haute montagne.
Mountain Wilderness France 20 Carte 1 : Les espaces protégés de la région du Mont-Blanc