Publié le 21 juillet 2005(Mise à jour le 27/12) Par Jean-François Cullafroz

Patrick Gabarrou : La montagne lui a tendu les bras

Pèlerin de la terre et du ciel, c’est le titre d’une prière qui habite ce montagnard. Patrick Gabarrou vit depuis trente ans en vallée d’, dans les Alpes. Il aime guider les personnes handicapées physiques pour admirer les plus hauts sommets d’Europe.

Le 6 juin 2004, dans la nuit anniversaire du débarquement, Patrick Gabarrou, alpiniste de haut vol, ouvrait une nouvelle voie dans les Alpes françaises sur le versant est du Mont-Blanc du Tacul. Une longue équipée réalisée avec Pierre Darbellay, un collègue suisse de Verbier. « Cela faisait longtemps que j’avais repéré ce passage et j’attendais le moment propice. Deux jours auparavant, j’étais allé faire du ski de randonnée là-haut, sur le versant italien. La neige et la glace étaient de belle qualité. Alors, j’ai appelé Pierre », raconte le guide de haute montagne installé aux Carroz-d’Arâches, en Haute-Savoie. Ils s’étaient retrouvés quelques mois plus tôt dans les Aravis, dans une goulotte de glace près de La Clusaz. Ils se connaissaient peu mais, dès les premières impressions échangées, ils se sont dit qu’ils pourraient un jour faire route ensemble.

« Faire une première à deux, c’est extraordinaire ! Au fil des heures, on sent naître une symbiose qui s’enracine dans la confiance des efforts partagés. Et puis, quand on est là-haut, après dix-neuf heures de montée, c’est un émerveillement commun. La difficulté de l’escalade, les moments très durs sont oubliés, car on est au sommet, époustouflés. On est bien d’être là-haut, la nuit tombe, on remercie », poursuit, enthousiaste, Patrick Gabarrou.

Une passion chevillée au corps

Son nom sonne le Béarn, et il l’avoue lui-même, il a les Pyrénées aux tripes. Cette montagne l’habite et, de fait, face au cirque de Gavarnie, avec ses trois étages de glace sur plus de 1 200 mètres de hauteur, il est saisi d’émerveillement. Et pourtant, c’est dans les Alpes que s’est affinée la passion qu’il a chevillée au corps. A dix-sept ans, partir du refuge Evariste Chancel et faire sa première ascension sur le Dôme de la Lauze, c’est quelque chose qui vous marque ! A la bibliothèque du collège déjà, Patrick rêvait en feuilletant les livres de montagne signés Gaston Rebuffat ou Pierre Tairraz. « L’un parlait du Cervin, l’autre du . Il y avait des photos en noir et blanc, d’autres en couleurs, et ces mondes fascinants me paraissaient inaccessibles. »

Et puis, un jour de juillet, grâce à un camp de la JEC (Jeunesse étudiante chrétienne) qui avait pris racine au pied du plateau d’Emparis, dans l’Oisans, en Isère, sa vocation s’est confirmée. Il aurait pu être professeur de philosophie – ses études en faculté à Paris l’y avaient préparé – mais, finalement, il a préparé son sac et a débarqué à . « Je me serais sans doute fait plaisir en aidant les jeunes à réfléchir sur le sens de la vie. C’est sur les sentiers ou dans les courses en altitude que je le fais », se console-t-il.

Car son éducation chrétienne et une foi qu’il ne craint pas d’affirmer ont orienté sa vie. Il a fallu le temps de mûrir un cheminement aux prises avec le stress de l’aventure aux cinq coins du monde, des Andes à l’Himalaya, de la Patagonie au Cervin ou aux . Autant de lieux mythiques où il accroché des victoires, depuis sa sortie de l’école des guides en 1973. Et puis, un beau jour, alors qu’il descendait les pentes de l’Everest, il a appris la mort de son meilleur ami, Alexis Long, d’Annemasse. Son frère de cordée, avec qui il avait fait les cent coups sur les pentes, et mené les premiers combats écologistes avec l’association Moutain Wilderness, dont ils étaient les créateurs en France.

« C’était en 1992. Dans l’avion qui me ramenait en Europe, j’ai eu une prise de conscience forte de l’orientation que devait prendre ma vie. Et cela s’est précisé quelques semaines plus tard, alors que je grimpais en solitaire. Vous savez, c’est souvent là que l’esprit est le plus disponible à la réflexion », précise-t-il. Le permis poids lourd en poche, il a décidé de donner de son temps à l’association humanitaire des Scouts de Cluses, et il a conduit des convois de vivres, de vêtements et de matériels là où la pauvreté l’exigeait. Principalement dans les ex- pays de l’Est, comme l’Albanie, où il rencontra les religieuses de la communauté de mère Teresa. Parallèlement, avec le Club alpin français de Cluses et l’Association des Paralysés de France, il a commencé à accompagner vers les sommets des personnes handicapées physiques.

Une démarche globale qui couvait depuis qu’il avait décidé de s’installer, non pas en vallée Blanche, dans la Mecque de l’alpinisme, mais aux Carroz-d’Arâches, quelques dizaines de kilomètres plus bas, en vallée d’Arve. « Loin d’un monde un peu artificiel, mercantile et très cancan. Une société un peu fermée sur l’argent que le tourisme procure. »

« Etre un passeur de lumière et de vérité »

Entre terre et ciel, titre d’un des livres de montagne qui révélèrent sa passion, pourrait être aussi la devise de Patrick Gabarrou. Quand il bivouaque dans une combe ou passe la nuit accroché à une paroi, plus question de temps. « On est immergé, non seulement dans la beauté, mais dans la texture même du monde. Et, forcément, Dieu est présent », confesse-t-il.

Au hasard d’une randonnée, il fait la connaissance d’un des chanoines du Grand- Saint-Bernard, lui-même guide et qui lui a appris une prière qu’il a décidé de faire sienne (voir ci-dessous). « Elle m’appelle à être un pèlerin, afin que les courses en montagne où j’emmène des gens ne soient pas seulement un challenge sportif, mais une cheminement où l’esprit, le corps, l’âme s’élèvent. »

Bien sûr, la montagne, espace où l’on vit très fortement la nature, sait aussi se faire mauvaise. Elle connaît des tempêtes, suscite des avalanches mais, pour ce guide hors norme, c’est la beauté qui l’emporte. « Il y a des moments d’étincellance complètement extraordinaires. Ils ouvrent l’esprit aux merveilles du monde, à des questions profondes qui donnent envie de s’arrêter, de se poser, de contempler, d’essayer d’être un passeur de lumière et de vérité. En fait, de mettre nos pas dans celui du Christ, qui a beaucoup fréquenté la montagne. Comme celle où il délivra ses Béatitudes. »

Rencontres avec Patrick Gabarrou

Faire partager aux 52 radios œcuméniques membres du réseau RCF une belle rencontre, tel est l’objet de cette série qui dure tout l’été. Les émissions sont diffusées du lundi au vendredi à 13 h 30 et 24 h. Jean-François-Cullafroz recevra Patrick Gabarrou le mardi 26 juillet.

Prière du pèlerin de la montagne

Seigneur Jésus, toi qui as fait un si long déplacement d’auprès du Père, Pour venir planter ta tente parmi nous, Toi qui est né au hasard d’un voyage, tu as couru toutes les routes, Celle de l’exil, celle des pèlerinages, celle de la prédication, Tire-moi de mon égoïsme et de mon confort, Fais de moi un pèlerin. Créé par amour pour aimer, fais Seigneur que je marche, Que je monte par les sommets vers Toi, Avec toute ma vie, avec mes frères, Avec toute la création dans l’audace et l’adoration. Gratien Volluz, chanoine du Grand-Saint-Bernard et guide de haute montagne