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Cahiers d’Asie centrale

3/4 | 1997 L’héritage timouride : – Asie centrale – Inde, XVe-XVIIIe siècles

Maria Szuppe (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/asiecentrale/447 ISSN : 2075-5325

Éditeur Éditions De Boccard

Édition imprimée Date de publication : 1 octobre 1997 ISBN : 2-85744-955-0 ISSN : 1270-9247

Référence électronique Maria Szuppe (dir.), Cahiers d’Asie centrale, 3/4 | 1997, « L’héritage timouride : Iran – Asie centrale – Inde, XVe-XVIIIe siècles » [En ligne], mis en ligne le 03 janvier 2011, consulté le 07 mai 2020. URL : http://journals.openedition.org/asiecentrale/447

Ce document a été généré automatiquement le 7 mai 2020.

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Le public occidental, même orientalisant, est plus habitué à associer le nom de Tamerlan à des conquêtes foudroyantes, impitoyables et destructrices qu’à des œuvres de paix. Or, paradoxe, de cet Empire qui semble s’être défait plus rapidement encore qu’il n’avait été rassemblé, est sortie l’une des plus brillantes cultures du monde islamique, qui devait rayonner bien au delà du siècle – notre XVe siècle – dévolu par l’histoire à la dynastie des descendants de Timour pour régner dans sa région d’origine. Et il ne s’agit pas seulement de culture artistique, de ce mécénat auquel les conquérants s’adonnent volontiers. Certes, ses vestiges resplendissent encore à Samarcande, Shahr-i Sabz, Turkestan/Yasi, et dans les villes d’art martyres que sont devenues Hérat et Mazar-e Sharif. Mais la culture timouride a aussi été politique, économique, religieuse et bien sûr militaire. Sans être, sans doute, le seul modèle, elle a imprégné profondément les sociétés turco-iraniennes, au moins jusqu’au XIXe siècle où les derniers héritiers de Timour durent s’incliner devant la puissance coloniale, anglaise à , russe à Boukhara, cependant que l’Iran Qadjar, une fois de plus, réagissait aux pressions extérieures par une recherche de l’authenticité nationale. Exploration sans conformisme ni préjugés d’un domaine tellement partagé et déchiré, depuis le XIXe siècle, qu’on en oublie son unité ancienne, ce volume apporte aussi des éléments de compréhension du présent, où Timourides et Moghols, voire Safavides, servent une fois de plus de référence, cette fois aux nouvelles nations de la zone.

NOTE DE LA RÉDACTION

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SOMMAIRE

Avant-propos

Table de translittération adoptée pour le persan avec variantes pour l’arabe

Abréviations

The Timurid Legacy: A Reaffirmation and a Reassessment Maria Eva Subtelny

Le cadre événementiel

Descendants et successeurs de Timour : la rivalité territoriale entre les régimes ouzbek, safavide et moghol Audrey Burton

Modèles politiques

Military Manpower in Late Mongol and Timurid Iran Beatrice Forbes Manz

Change in Political Culture: The Rise of Sheybani Khan Nurten Kılıç

La naqshbandiyya sous les premiers Sheybanides Bahtijar Babadžanov

Yasa and Shari‘a in Early 16th century- Ken’ichi Isogai

State Building under the Mughals: Religion, Culture and Politics Muzaffar Alam

Emigration of Iranian Elites to during the 16-18th centuries Masashi Haneda

Économies, sociétés, culture

La politique monétaire du Timouride ‘Omar Sheykh au Ferghana à la fin du XVe siècle Ludmila Špeneva

Les relations entre Astrakhanides, khans kazaks et ‘Arabshahides : dernières données numismatiques Boris Kočnev

Traits principaux de l’urbanisme dans le Mavarannahr et le Turkestan à la fin du XVe et au XVIe siècle Margarita Filanovič

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La propriété foncière des cheikhs Juybari Jürgen Paul

Le rôle de la femme dans la société de l’Asie centrale sous les Timourides et les Sheybanides Raziya Mukminova

Le rayonnement artistique

Shrines of Saints and Dynastic Mausolea: Towards a Typology of Funerary Architecture in the Timurid Period Claus-Peter Haase

L’évolution architecturale des couvents soufis à l’époque timouride et post-timouride Mavluda Yusupova

Le décor du « Complexe Vert » à Bursa, reflet de l’art timouride Marthe Bernus-Taylor

Farhad le peintre : à propos des ateliers de peinture de Boukhara à l’époque de ‘Abd al-‘Aziz Khan, 1645-1680 Yves Porter

La mémoire

À propos de Fazlallah b. Ruzbehan Khonji Esfahani et du mausolée d’Ahmad Yasavi Michele Bernardini

Timur in the Political Tradition and Historiography of Mughal India Habib

L’évolution de l’image de Timour et des Timourides dans l’historiographie safavide du XVIe au XVIIIe siècle Maria Szuppe

Index des noms propres

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Avant-propos

1 1996 fut, en Ouzbékistan, l’année de celui que nous appelions Tamerlan, d’un nom qui faisait trembler, et que ses lointains descendants préfèrent appeler Amir Timour. Ne voulant pas doubler les imposantes manifestations officielles – auxquelles l’IFEAC et nombre de chercheurs locaux et étrangers participèrent du reste –, l’Institut a préféré, cette année-là, consacrer son colloque d’automne à un thème complémentaire et qui correspond bien à sa devise : l’héritage timouride. C’est une partie des communications de ce colloque, revues et enrichies par leurs auteurs, que nous présentons dans ce numéro double : le colloque a été, en effet, si riche que, même dans un volume double, il nous a été impossible de faire entrer toutes les communications. Il faudra donc au lecteur attendre le numéro suivant de la revue pour découvrir complètement la richesse de ces journées des 24-26 septembre 1996, constituant, pour le nombre et la qualité des participants, le colloque le plus important réuni jusqu’ici par l’IFEAC.

2 Nous avons, avec une grande joie, accueilli à cette occasion des savants venus du monde entier, d’Europe, d’Amérique du nord, du Japon, de l’Inde et, bien sûr, du monde ex- soviétique rencontrer leurs collègues ouzbeks et français ou renouer avec eux des liens distendus depuis la dislocation de 1991. Timourides, Safavides, Grands Moghols, dynasties de l’Asie centrale (Sheybanides, Janides, khans Chaghatayides, etc.) ont revécu, l’espace de quelques journées, dans le cadre magique du musée des Arts appliqués, chez nos amis de l’Association nationale ouzbèque pour les relations culturelles internationales et dans les locaux désormais achevés de l’IFEAC.

3 L’enthousiasme avec lequel ces spécialistes ont accepté notre invitation (et parfois l’ont devancée), la durée du séjour de ceux qui ont pu le prolonger pour travailler sur place, témoignent du besoin, à l’échelle mondiale, auquel a répondu la création de l’Institut.

4 Le volume couvre une vaste période, du XVe au XVIIIe siècle, et s’articule autour de trois domaines géographiques principaux : l’aire ouzbèque (les Sheybanides et les Janides), l’aire iranienne (les Safavides) et l’aire moghole, toutes tributaires à des degrés divers de l’héritage des Timourides de Samarcande et de Hérat. Les articles cherchent à dégager ce qui, dans les structures et les manifestations politiques et socio- culturelles de ces royaumes si divisés, remonte à un modèle commun hérité de l’époque où l’Empire timouride était la référence par excellence, consciente ou non, du monde musulman oriental.

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5 L’héritage timouride a évidemment subi des évolutions contrastées. L’art en est l’exemple le plus spectaculaire. L’architecture et la peinture se développent dans trois directions distinctes, en Asie centrale, dans l’Iran safavide et dans l’Inde du Nord, à partir d’un modèle principal (qui n’était cependant pas unique, surtout pour l’Iran et l’Inde), l’école timouride de Hérat. La question des contacts politiques, des échanges artistiques ou scientifiques, de l’émigration massive des élites (iraniennes aussi bien que chaghatây) de l’Empire timouride vers l’Inde de Bâbur et vers les Etats ouzbeks vient tout naturellement à l’esprit ; celle de la "timouridisation" des élites safavides au XVIe s. est peut-être moins connue. Dans tous les cas, il reste beaucoup à étudier. On appréciera, nous en sommes sûrs, la masse de documents et d’analyses nouveaux qu’apporte ce volume, qui se veut à la fois d’exploration et de synthèse.

6 La parution de leur numéro 3-4 commence à donner aux Cahiers d’Asie centrale l’aspect d’une série. L’accueil qui a été fait par la communauté scientifique au premier volume montre que cette publication aussi, comme l’Institut qui la patronne, répond à un besoin. C’est ce qui nous rend confiants dans son avenir, et nous estimerons avoir réussi si nous sommes parvenus à révéler ce besoin et à indiquer les moyens de le satisfaire, avec assez de clarté pour que le flambeau ne puisse plus être éteint. La Rédaction

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Table de translittération adoptée pour le persan avec variantes pour l’arabe

â – ا â – آ b –ب p –پ t –ت (s (arabe : ṯ ou th –ث j –ج ch, č –چ ḥ – ح kh – خ d – د (ẕ (arabe : ḏ – ذ r – ر z – ز ž – ژ s –س sh –ش ṣ –ص ż –ض ṭ –ط ẓ –ظ ‘ – ع

Cahiers d’Asie centrale, 3/4 | 1997 7 gh – غ f –ف q – ق k –ک g –گ l – ل m – م n – ن (v, u, o, ow (arabe: aw –و h, -a –ه (y, i, ey (arabe: ay –ی à –ىَ ’ –ء îya- – هی khw – وخ a, -at- – ۃ - voyelles persane : a, â, e, i, o, u - voyelle arabes : a, â, à, i, î, u, û - ezâfa persan : -e, -ye - article arabe : al- (même devant les lettres solaires)

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Abréviations

EI2 : Encyclopédie de l’ (Encyclopædia of Islam), 2e édition, Paris-Leiden, 1954- CHI, vol. VI : The Cambridge , vol. VI : “The Timurid and Safavid Periods”, Peter Jackson and Laurence Lockhart (ed), Cambridge University Press, 1986 CHI, vol. VII : The Cambridge History of Iran, vol. VII : “From Nadir Shah to the Islamic Republic”, Peter Avery, Gavin Hambly and Charles Melville (ed), Cambridge University Press, 1991 IO Tachkent : Institut d’Orientalisme “Birouni” de l’Académie des Sciences de la République d’Ouzbékistan, Tachkent JESHO : Journal of the Economic and Social History of the Orient ZDMG : Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft BSOAS : Bulletin of the School of Oriental and African Studies

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The Timurid Legacy: A Reaffirmation and a Reassessment

Maria Eva Subtelny

1 The Timurids have universally been acknowledged by medieval Islamic cultural historians as representing the pinnacle of patronage of the arts and letters, notably poetry, calligraphy, painting and manuscript illumination, as well as architecture. They also patronized entire areas that are just beginning to come to light with new research and that further underscore the important role that this dynasty of Turko-Mongolian origin played in the cultural history of the eastern Islamic world. The entire proceedings of this conference are, in fact, devoted to the “legacy” of the Timurids, the impact of which was entirely out of proportion both to this dynasty’s geographical scope and to the relatively short length of its political rule (certainly when compared with such long-lived dynastic states as those of the Safavids, Ottomans and Mughals).

2 We might ask ourselves whether the significance of the Timurid legacy results from the intrinsic extraordinariness of the Timurid period or from the extraordinary richness of the sources available to scholars for its study. It may be recalled that Bartol’d, the great historian of medieval Central Asia, had himself observed that the Timurid period suffered not from a dearth of primary sources, but from an excess of them!For my part, I believe that the period was an intrinsically extraordinary one, and we are able to confirm this fact thanks to the many and varied sources that, amazingly, are still being discovered or rediscovered, and that impress us with their high level of sophistication. At the same time, it must be admitted that the Timurids did not create something completely new or radically different from their predecessors. Rather, it was in their refinement and seemingly inexhaustible preoccupation with form and the elaboration of existing standard traditions and modal systems that their contribution should be seen to lie. The Timurid period represents the point of culmination of previous developments, a glorious fin-de-siècle flowering of culture and the arts. Court patronage was certainly the basis of it. As Ibn Khaldun had noted back in the fourteenth century, it was the demand created by ruling dynasties for luxury goods, including monumental architecture, that generated improvements in them1.

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3 But in the case of the Timurids, it was also something more:a self-consciousness of taste for technical refinement, even virtuosity – which I have called “a taste for the intricate” – that strove continuously to outdo even itself2. This self-consciousness found expression in the codification of many areas of the arts. Standard manuals were written on poetic forms (such as the mo‘ammâ, or enigma, for example), on musical theory (by and ‘Abd al-Qader b. Gheybi al- al-Maraghi), and on calligraphy (by Soltan ‘Ali Mashhadi)3. Even designs for architectural ornamentation were codified – the so-called Tashkent (actually Bokharan) and Topkapi scrolls of the geometrical gereh and muqarnas patterns4. This was also a time when something akin to critical editions were made of important “classical” authors:’s Shâh-nâma, done under the direction of Baysonghor ; the Divân of Hafez; and the attempt (albeit unsuccessful) to edit the voluminous Kolleyât of Amir Khosrow.

4 By way of reaffirmation, I would like to discuss several examples I have chosen of areas of cultural endeavour that are less well-known than those of literature, painting, and architecture, and that further underscore the importance of the Timurid legacy in Central Asian and Mughal Indian cultural history in particular. It is worth noting that most of these areas are known through works produced not during the Timurid period proper, but either in the immediate post-Timurid period of Safavid rule in Khorasan, or by Timurid émigrés (especially from Safavid ) to the Sheybanid Uzbek-controlled centres of (Samarqand, Bokhara, Shahrokhiya, and Tashkent). The circumstance of the movement of Timurid émigrés primarily to Transoxiana made the Uzbek centres the main inheritors of the Timurid cultural legacy. Expressing a keen interest in it, the Sheybanids sought to emulate the Timurid cultural achievement at their own courts, at the same time using it to legitimate their political rule over Transoxiana. One of the main sources to document graphically their interest in the Timurid legacy is the Badâye’ al-vaqâye’ by the Herati émigré, Zeyn al-Din Vasefi; another is Hasan Nesari Bokhari’s Mozakker-e ahbâb (Remembrancer of Friends)5.

Equestrian science

5 Let us look now at one of these little-known areas, namely, equestrian science. We know about its development in the late Timurid period from a work called Faras-nâma, which was written for the Sheybanid ruler, ‘Obeydallah Khan I, in Bokhara by the former royal equerry or “master of the horse” (mirâkhwor-e khâṣṣ) of Soltan Hoseyn Bayqara. A manuscript copy of the work exists in the Oriental Institut in Tashkent. To my knowledge, it has never been subjected to scholarly study or even mentioned by scholars working on either the Timurid or Sheybanid periods.

6 The author, whose name is unfortunately not mentioned in the introduction, which is partially missing, states that he had served Soltan Hoseyn in Herat in his youth, and that his work was based on experience he had gained in the cavalry from the age of twenty until the time of the writing of the work when he was well over sixty (lunar) years old. The work would therefore have been written some time after 918/1512, the start of ‘Obeydallah Khan’s reign. It describes in great detail the art of horsemanship and horse-breeding as practiced at the court of Soltan Hoseyn, who, according to the anonymous author, was himself an expert horseman and archer, and kept horses of all breeds6.

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Agriculture and agricultural management

7 One of the chief accomplishments of the Timurids in the economic sphere was the highly developed state of agriculture and agricultural science. Evidence of this is provided by the agricultural manual, Ershâd al-zerâ‘a, completed in 921/1515 in Herat by Qasem b. Yusof Abu Nasri Haravi, and dedicated to the Safavid Shah Esma’il I. It contains an exhaustive catalogue of crops, including cereals, vegetables, and flowers, which were cultivated in the Herat region during the late Timurid period, as well as of agricultural techniques, including the types of soil, the best times for planting, and the efficacy of various types of fertilizers.

8 Again, it is noteworthy that this manual was written not for the Timurids, but rather for their political successors in Khorasan – the Safavids. It is a record of the agricultural achievements of the reign of Soltan Hoseyn, presented within the framework of a book of advice for Shah Esma’il, which exhorts him to follow the same model in order to ensure the political stability of his new state7.

9 Connected with agriculture was another Timurid success story – the transformation of the major endowed foundations (especially the important shrine complexes located at Gazorgah, Mazar-e Sharif, , and others) into large-scale agricultural enterprises, run by teams of professional managers, accountants, and financial auditors. It is no coincidence that Qasem b. Yusof, the author of the Ershâd al-zera‘a, wrote his work at the shrine of ‘Abdallah Ansari at Gazorgah in Herat where he was employed as an agricultural accountant and/or surveyor8.

Garden design

10 Also connected with agriculture was an area in which the Timurids clearly surpassed their predecessors – garden design, or, to use a very contemporary-sounding term, landscape architecture. We have copious historical evidence for the existence of monumental gardens in Samarqand under , complete with pavilions and artificial bejewelled trees9, as well as for the later Timurid period (some of which were described by Babur, who notably also mentions artificial weeping willows fashioned from strips of gilded leather in Soltan Hoseyn’s garden in Herat)10.

11 The abovementioned agricultural manual – Ershâd al-zerâ‘a – contains a detailed description of the layout and planting of a chahâr-bâgh, the Persian formal, quadripartite, architectural garden with pool and pavilion, which the author states was based on information provided him by his superior, Seyyed Nezam al-Din Amir Soltan Mahmud, who was better known as Mirak-e Seyyed Ghiyas. On the basis of historical and documentary sources, I was able to determine that this Mirak-e Seyyed Ghiyas was himself a member of an important family of landscape architects, and the chief landscape architect, gardener, and agronomist of Soltan Hoseyn for whom, according to the author of the Ershâd al-zerâ‘a, he executed every idea “reflected in the mirror of his fertile imagination and burnished by his illuminating mind”11.

12 What is important for this discussion is the impact that the codification of the design of the chahârbâgh had on both Central Asia and India. That impact can be traced directly to Seyyed Mirak’s move first to India, where in 1529 he engaged in construction work at Agra and Dholpur for Babur, who has traditionally been credited with introducing the

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Timurid tradition of garden design to northern India; and then to Central Asia, where he emigrated sometime after 1530 and constructed a magnificent garden for ‘Obeydallah Khan I in Bokhara, which was important enough to have been mentioned along with the other architectural monuments erected during that ruler’s reign. Even more significant for tracing the Timurid legacy in the area of garden design is the move made around 1559 by Seyyed Mirak’s son, Mohammad (who was known as Seyyed Mohammad-e Mirak), from Bokhara to India, where he became the builder of Homayun’s tomb in Delhi. It has generally been accepted among architectural historians that Homayun’s tomb-garden is the first preserved Mughal garden built according to the “classical” Timurid chahârbâgh pattern12.

Jurisprudence

13 No collections of legal decisions or handbooks on Hanafite jurisprudence have, to my knowledge, survived from the late Timurid period. But in this area, too, works written in the early decades of the sixteenth century under the Sheybanids were based to a large extent on Timurid material, thus demonstrating the heavy dependence of Transoxanian legal scholars on decisions made by their Timurid predecessors (in Herat in particular, but also in Samarqand). The best example of this dependence is a manual of shurûṭ– formularies of notary documents and court decisions covering all aspects of Islamic life (from purchase and sale transactions to rental agreements to divorce) – which was compiled by Nezam al-Din ‘Ali al-Khorezmi al-Kobravi in the early decades of the sixteenth century for Mohammad Sheybani Khan in Samarqand, and which was entitled al-Javâme’ al-‘Alîya fî al-vasâ’eq al-shar’îya va al-sejellât al-mar’îya (‘Ali’s compendium of [Islamic] legal documents and authoritative court decisions)13. The value of this work lies in the fact that it has preserved copies of Timurid legal documents that ‘Ali al-Khorezmi, an important Transoxanian legal scholar, regarded as precedent-setting, thus attesting to the sophisticated level of the Timurid judiciary. Two areas of particular interest are: 1) the transformation of land from one category to another, and 2) the pious endowment (vaqf).

14 By way of illustration of the first area, there are documents dating from 901/1496 which were intended as models for a transaction by which state land (khâleṣa-ye solṭâni, mamlaka-ye pâdshâhi) could be transformed into private property (melk), that is, privatized. The individual in question was the Timurid ruler, Soltan Hoseyn himself, and the transaction involved the sale of parcels of state land by an attorney acting on Soltan Hoseyn’s behalf, to an third party, and their subsequent repurchase by Soltan Hoseyn, only this time as private property. That the Sheybanids actually based themselves on this precedent in their own legal transactions is proven by the existence of documents in which the same legal laundering procedure was followed by ‘Abd al-’Aziz Khan in 1080-81/1670-71 in order to create an endowment for two madrasas he built in Bokhara14.

15 The institution of vaqf was exploited to the maximum by the Timurids in terms not only of the huge number of endowments they created, but also of the juridical nuances connected with it that they explored, including the expansion of the role of women as donors.

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16 There are other areas – political theory (as expressed in the works of akhlâq, or ethics), diplomatics, and medicine15– that may be discussed, but this would be to belabor the essential point.

***

17 While the Timurid legacy clearly had a profound influence on both Sheybanids and Mughals, what is striking is the under emphasis of that legacy by historians in the case of Mughal India, and its overemphasis by former Soviet, and now Uzbek national historians at the expense of the Sheybanid Uzbek contribution to the cultural history of Central Asia. I would like to concentrate on the Uzbek insistence on the Timurid legacy, because of the recently achieved independence of , and because of the major conferences devoted to Amir Timur and the Timurids that have been organized in its wake.

18 The Timurid legacy has played an important role in the formation of Uzbek national consciousness. Timur has become an Uzbek national symbol; Samarqand and have become Uzbek national shrines; and Timurid cultural figures such as Soltan Hoseyn Bayqara, Babur, and ‘Ali Shir Nava’i have become the “founders” of modern Uzbek language and literature. The wholesale appropriation of the Timurid legacy was a direct result of Soviet nationalities policies of the 1920’s, which aimed at creating separate national republics in Central Asia by means of a “national territorial delimination” (nacional’noe razmeževanie), based mainly on ethnolinguistic criteria. They called for a “reevaluation” of the Uzbek cultural and historical heritage, as well as an explanation of Uzbek ethnogenesis (in itself a thorny and contentious issue), on the basis of:a) the territory of the newly created republic, and b) the sedentary populations of that territory, who alone were considered “historical” peoples, while nomadic or “non-progressive” elements were downplayed or ignored altogether.

19 The rich material culture left behind by the Timurids assured them a prominent place in the reevaluated Uzbek cultural heritage. The literary production at their courts, painting, manuscript illumination, calligraphy, and above all, building activity were all tangible proofs of a longstanding connection with the newly-delimited territory of Uzbekistan, of the Uzbek nation’s “historicity”.

20 For the objective historian there are real problems with this. Many of the main centres of cultural production – Herat, , Shiraz, Isfahan – were located not on the territory of Transoxiana (i.e. the future Uzbek republic), but in Iran (particularly in the medieval province of Khorasan). And most of the chief cultural figures were non-Uzbek Turkic or Iranian-speaking peoples who had never even used the term “Uzbek” as a self-designation (but rather, who called themselves Sart or Tajik, Uighur or Chaghatay)16.

21 But the building of national consciousness has little to do with history and its reconstruction through painstaking historical research and scientific methodology. It is much more concerned with the construction of a national mythology. I say this without prejudice, and without attaching any value judgement to it – simply as an acknowledgement of a historical reality of a different kind, one no less valid than the reality based on documents, facts, and figures17.

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22 While the importance of what British historians working on nationalism have called “the invention of tradition” has been recognized for the construction of national identity18, this highly selective approach to history tends, however, to ignore other important legacies for the construction of an Uzbek national identity, namely, the Sheybanid Uzbek legacy.

23 We already saw in the discussion of the sample areas in which the Timurids excelled how the Sheybanids became the chief patrons of the artists, craftsmen, scholars, and literati who had emigrated from Timurid Khorasan after its takeover by the Safavid Qezelbash. As such, they should be regarded as the chief continuators of the Timurid cultural achievement, which they sought to emulate at their own courts in Samarqand, Shahrokhiya, Tashkent, and especially Bokhara, and which, in some fields of cultural endeavour (such as architectural ornamentation, for example), might otherwise have become lost, not only to modern scholarship, but also to medieval cultural history. So faithfully did the Sheybanids mirror the tastes and activities of Timurid Herat, that the early sixteenth-century historian, Mohammad Heydar, wrote in his Târikh-e Rashidi that the Uzbek court at Bokhara reminded him of the days of Soltan Hoseyn19.

24 In addition, the Sheybanids contributed significantly to the ethnogenetic makeup of the future modern Uzbek nation, for the nomadic Uzbek invasions of the late fifteenth and early sixteenth centuries added large numbers of Turkic and Turko-Mongolian nomads to the population of Transoxiana. In the Soviet explanation of Uzbek ethnogenesis, however, the Uzbek invasions were downplayed, because, from the standpoint of official historiography, the tribes who came into Transoxiana from the Qipchaq steppe under the leadership of Mohammad Sheybani Khan were nomadic, and thus deemed unworthy of being the ancestors of the modern Uzbek nation; instead, only the sedentary peoples who had earlier inhabited the territory of what was now the Uzbek SSR could be regarded as the ancestors of the modern Uzbeks20. Thus the official Istorija Uzbekskoj SSR (published in 1967): “The Uzbek ethnic group (narodnost’) is composed not of the fairly recently arrived nomadic “Uzbeks” of the fifteenth-century Qipchaq Steppe, but of the ancient inhabitants of Soghdiana, Ferghana and Khorezm. From the earliest times they led a settled life and were occupied in cultivating the soil”21.

25 This approach was unfortunate, because not only did it impede research on Sheybanid Uzbek history, but it also prevented the creators of the national myth from capitalizing on the most prestigious feature of the dynastic history of the Sheybanids, which had actually set them above the Timurids in the sphere of medieval Central Asian politics:their undisputed Chingizid descent.

26 Uzbek histories written in the post-Soviet period have done much to correct the perception that the Sheybanids were “crude nomads” whose cultural contributions to the life of Central Asia were minimal or totally eclipsed by those of the Timurids. The Istorija narodov Uzbekistana, published in Tashkent in 1993, noted the contribution of the Sheybanids as continuators of Timurid traditions, although it ignored the role of Iranian émigrés in that process22. So too, and in greater detail, did the Istorija Uzbekistana, the relevant volume of which was published in the same year23.

27 To summarize, the influence of the Timurids was wide-reaching and irrefutable, and their legacy is secure. If it has been appropriated by subsequent generations of Central Asians, this is understandable. But, to set the record straight, it would be highly desirable to see the family sarcophagus of the Sheybanids, which used to be housed in

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the madrasa built by Mohammad Sheybani Khan in Samarqand, and which now stands neglected near Registan Square, rightfully restored as a historic monument, and as testimony to the legacy of the Sheybanid Uzbeks as inheritors and continuators of the Timurid cultural achievement.

NOTES

1. Ibn Khaldûn, The Muqaddimah:An Introduction to History, trans. F. Rosenthal, 3 vols., Pantheon Books, New York, 1958, vol. 2, p. 287, 352. 2. See M. E. Subtelny, “A Taste for the Intricate:The Persian Poetry of the Late Timurid Period”, ZDMG 136/1 (1986), esp. p. 68 f. 3. For the manuals on mo‘ammâ by Mir Hoseyn Mo’amma’i, Seyfi Bokhara’i, and others, see Subtelny, “A Taste for the Intricate”, p. 75-78. For Jami’s treatise on music, see Abdurahman Džami, Traktat o muzyke, trans. A. N. Boldyrev, ed. V. M. Beljaev, Akademija Nauk Uzbekskoj SSR, Tashkent, 1960. ‘Abd al-Qader Maraghi’s Maqâṣed al-alḥân (Ms. Istanbul, Topkapi Sarayi Müzesi Kütüphanesi, R. 1726) was written ca. 1421-23 at the Timurid court in Samarqand and dedicated to the Ottoman Soltan Morad II in 1437-38. For Soltan ‘Ali’s treatise on calligraphy, see G.I. Kostygova (trans. & ed.), “Traktat po kalligrafii Sultan-’Ali Meshhedi”, Trudy Gosudarstvennoj Publichnoj Biblioteki imeni M.E. Saltykova-Shchedrina (Vostochnyj sbornik) 2/5 (1957), p. 103-163. 4. See most recently, G. Necipoglu, “Geometric Design in Timurid/Turkmen Architectural Practice:Thoughts on a Recently Discovered Scroll and its Late Gothic Parallels”, in L. Golombek and M. Subtelny (eds.), Timurid Art and Culture:Iran and Central Asia in the Fifteenth Century, E. J. Brill, Leiden – New York – Köln, 1992, p. 48-66; and her The Topkapi Scroll– Geometry and Ornament in Islamic Architecture, Getty Center for the History of Art and the Humanities, Santa Monica, California, 1995. 5. For the editions of these works, see Zajn ad-Dîn Vâṣifî [Vâṣefi], Badâî’ al-vaḳâî’, ed. A. N. Boldyrev, 2 vols., Moscow, 1961; Khwâja Bahâ’ al-Dîn Ḥasan Nithârî Bukhârî [Nesâri Bokhâri], Mudhakkir-i-aḥbâb. ed. Syed Muhammad Fazlullah, Hyderabad, 1389/1969. 6. Ms. IO Tashkent, No. 6735/I, f. lb-2a. This is an incomplete, late eighteenth-century copy, with the beginning and end missing. For a description, see Sobranie vostochnyh rukopisej Akademii Nauk Uzbekskoj SSR, vol. 11, Tashkent, 1987, p. 138, No. 7141. 7. On the Ershâd al-zerâ‘a, see M. E. Subtelny, “A Medieval Persian Agricultural Manual in Context:The Irshâd al-Zirâ‘a in Late Timurid and Early Safavid Khorasan”, Studia Iranica 22/2 (1993), p. 167-217. 8. See Subtelny, “Medieval Persian Agricultural Manual”, p. 189-194. 9. The gardens of Timur have recently been reevaluated by Lisa Golombek – see her “The Gardens of Timur:New Perspectives”, Muqarnas 12 (1995), p. 137-147. 10. See Ẓahîr al-Dîn Muḥammad Bâbur, Bâbur-nâma (Vaqâyi’), ed. Eiji Mano, 2 vols., Syokado, Kyoto, 1995-96, vol. I, p. 298 (f. 190b); and its most recent translation, The Baburnama:Memoirs of Babur, Prince and Emperor, trans. W.M. Thackston, Freer Gallery of Art, Arthur M. Sackler Gallery, Smithsonian Institution and Oxford University Press, New York-Oxford, 1996, p. 236-237 (which does not adequately explain the passage in question).

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11. See M. E. Subtelny, “Mîrak-i Ghiyâs and the Timurid Tradition of Landscape Architecture:Further Notes to ‘A Medieval Persian Agricultural Manual in Context’”, Studia Iranica 24/1 (1995), p. 19-60. 12. See Subtelny, “Mîrak-i Sayyid Ghiyâs”, esp. p. 31 f. and 46 F. 13. Ms. IO Tashkent, N° 9138. 14. Ms. IO Tashkent, N° 507. For a discussion of these documents see O. D. Chehovich, “K probleme zemel’noj sobstvennosti v feodal’noj Srednej Azii”, Obshchestvennye nauki v Uzbekistane 11 (1976), p. 41 (although she states incorrectly that the document is found in the Central State Archive in Tashkent);and most recently, in an unpublished paper, G. A. Džuraeva, “Dokumental’noe nasledie Uzbekistana (Vakfname Instituta Vostokovedenija AN RUz)”. 15. The akhlâq works included treatises on the art of statecraft. The culminating point of this genre was the Akhlâq-e Mohseni, which was written by Hoseyn Va’ez-e Kashefi for Soltan Hoseyn’s son, Mohsen Mirza, in 907/1501. It subsequently achieved great popularity in Muslim India. Hoseyn Va’ez-e Kashefi was also the author of an important epistolary manual, Makhzan al-enshâ’, composed in 907 H. as well, and dedicated to Soltan Hoseyn and ‘Ali Shir Nava’i – see Hoseyn Vâ’ez-e Kashefi, Makhzan al-enshâ’, Ms. Paris, Bibliothèque Nationale de France, ancien fonds persan 73; for a description of the manuscript, see F. Richard, Catalogue des manuscrits persans, vol. 1: Ancien fonds, Bibliothèque Nationale, Paris, 1989, p. 101. 16. See M. E. Subtelny, “The Symbiosis of and Tajik”, in:B. F. Manz (ed.), Central Asia in Historical Perspective, Westview Press, Boulder-San Francisco-Oxford, 1994, esp. p. 51-52. 17. The appropriation of the Timurid legacy by the Uzbeks may be compared and contrasted with the claim to the legacy of the Scythians (who had inhabited the Black Sea steppe region in approximately the fifth century BC), by Soviet Ukrainian historiography, mainly because that legacy included the world famous “Scythian gold” artifacts (unearthed by archaeologists in southern Ukraine from the Scythians’ funeral mounds), while at the same time totally ignoring other groups, such as the Alans, Avars and Qipchaqs, who had also inhabited the same territory at different times, but who did not leave behind a similar tangible cultural legacy. Never mind that the Scythians were not Slavs, but Iranian nomads, and that the artifacts themselves were produced by Greek craftsmen. The important thing is that they were found on the territory of present-day Ukraine. Even the nomadic background of the Scythians was glossed over, as they were presented in a highly romanticized form, as “noble nomads”. 18. See, for example, E. Flobsbawm, “Inventing Traditions”, in E. Hobsbawm and T. Ranger (eds.), The Invention of Tradition, Cambridge University Press, Cambridge, 1984, p. 1-14. 19. [Mohammad Heydar Doghlât], A History of the Moghuls of Central Asia Being the Târîkh-i Rashîdî of Mîrzâ Muḥammad Ḥaidar Dughlât, trans. E. D. Ross, ed. N. Elias, Praeger, New York, 1970 (reprint), p. 283. 20. See Subtelny, “Symbiosis of Turk and Tajik”, p. 53. 21. Istorija Uzbekskoj SSR, vol. 1, Tashkent, 1967, p. 501. Thus also the official Narody Srednej Azii i Kazahstana, vol. 1, Moscow 1962, p. 167: “In the historical and ethnographical literature there has for a long time existed the incorrect notion of the direct descent of the Uzbek people from those steppe tribes who moved into Central Asia only at the beginning of the sixteenth century, having conquered it under the leadership of Sheybani Khan”. 22. Istorija narodov Uzbekistana, vol. 2, Tashkent, 1993, p. 22-24. 23. Istorija Uzbekistana, vol. 3, Tashkent, 1993, p. 379 f.

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AUTHOR

MARIA EVA SUBTELNY Dept. of Near and Middle Eastern Civilizations, University of Toronto, Canada

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Le cadre événementiel

NOTE DE L’ÉDITEUR

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Descendants et successeurs de Timour : la rivalité territoriale entre les régimes ouzbek, safavide et moghol

Audrey Burton

1 Si le souvenir de Timour est encore si vivace de nos jours, c’est non seulement parce que ses campagnes militaires et l’empire énorme qu’il s’est forgé par ses conquêtes lui ont valu une grande renommée, mais aussi parce que, à l’encontre de Gengis Khan, il a été un grand bâtisseur, et que ses fils et petits-fils ont suivi son exemple, tant à Hérat qu’à Samarcande. La cour de Timour impressionne Clavijo par son organisation excellente, par l’extrême raffinement que le souverain exige de ses artisans et par les règlements qu’il impose à ces derniers et aux commerçants. Après lui sa gloire est enrichie et humanisée par l’apport de ses héritiers – Ulugh Beg dans le domaine de l’astrologie, Shahrokh ou plutôt son épouse, Gowhar Shad, dans l’établissement d’un pays prospère et bien administré, Abu Sa’id et Hoseyn Bayqara dans l’encouragement de la vie intellectuelle et religieuse. Les relations pacifiques de Shahrokh avec la Chine permettent à ses sujets de se familiariser avec un pays jusqu’alors quasi légendaire et font mieux connaître l’Asie centrale en Chine. Les noms de ‘Ali Shir Nava’i et de Khwaja ‘Obeydallah Ahrar s’inscrivent aussi dans le panthéon de l’ère timouride et lui donnent le plus grand éclat. Tel en est le prestige que lorsque les héritiers de Timour perdront ce qui reste de son empire, plusieurs conquérants tâcheront de le recréer, et même de se réclamer du souverain, espérant ainsi hériter de sa gloire.

2 À peine Timour est-il mort que son empire commence à s’effriter, car ses héritiers se disputent1, laissant d’ambitieux Turkmènes, les Qara Qoyunlu, s’emparer de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan, de la Géorgie et de Bagdad qu’ils gardent malgré les efforts de Shahrokh. Pendant les guerres de succession qui suivent la mort de Shahrokh ils s’emparent de Qom et arrivent même à occuper temporairement la capitale timouride, Hérat, en 14582. Dès lors les Qara Qoyunlu et leurs rivaux les Aq Qoyunlu veulent en être les maîtres, car Hérat les attire aussi bien pour des raisons économiques que de

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prestige, mais même le grand conquérant des Aq Qoyunlu, Uzun Hasan, ne peut s’y imposer. Il faut attendre l’arrivée au pouvoir de son petit-fils, Esma’il Safavi, pour que ce rêve devienne une réalité.

3 Mais cela prend du temps. Esma’il devra d’abord s’établir près de la mer Caspienne. Il conquiert l’Azerbaïdjan et le Shirvan en 1499-1500 à l’âge de 12-13 ans, puis il part vers l’ouest et ce n’est qu’en 1508, après avoir conquis l’Anatolie orientale, Bagdad et l’Iran central, qu’il marche sur le Khorassan. Il tient à s’emparer de cette partie essentielle de l’héritage de Timour car elle lui donnerait en quelque sorte des lettres de noblesse3, mais le Khorassan est déjà sous la coupe d’un autre conquérant, tout aussi ambitieux, qui vient de l’est.

4 Ce conquérant c’est Mohammad Sheybani, chef des tribus dites ouzbèkes et petit-fils d’Abu’l-Khayr, khan des steppes qipchaques. Ce prince abu’l-khayride, qui prétend descendre de Gengis Khan par son fils Jochi, a pris goût à la vie urbaine parce qu’il a vécu à Astrakhan et à Boukhara pendant son enfance et sa jeunesse. Décidé à recréer l’empire de Timour, il marche sur Samarcande que son grand-père avait conquise pour Abu Sa’id près de 50 ans auparavant, mais les Samarcandais résistent. Sheybani Khan part donc sur Qarshi et Shahrisabz qu’il écrase, puis il revient vers Samarcande. La ville se défend énergiquement, appelant même à l’aide le gouverneur de Boukhara. Sheybani Khan part à sa rencontre, le force à se réfugier dans le fort de Dabusi et prend Boukhara après trois jours de siège. Quand il revient sur Samarcande, Soltan-’Ali Mirza lui offre la ville qu’il n’est plus en mesure de défendre, l’énergique Khwaja Mohammad Yahya, fils de , l’ayant abandonné pour rejoindre son cousin Zahir al-Din Babor [Babour]. Sheybani Khan s’empare donc de Samarcande en 1500, mais pas pour longtemps, car peu après les Samarcandais profitent de son absence pour offrir la ville à Babour. Dès l’année suivante, pourtant, Sheybani Khan reprend Samarcande, chasse Babour du Ferghana où il s’était réfugié, conquiert le Badakhshan au sud et le Khorezm au nord, et voyant que le successeur d’Abu Sa’id, Hoseyn Bayqara, ne fait rien pour secourir les princes timourides, ou même ses propres subordonnés, il s’attaque au Khorassan4. Il marche sur Meymana et Farab en 1505, prend Balkh en 15065, et dès 1507 il est maître de Hérat.

5 Babour revient trop tard de Kaboul, dont il s’était emparé en 910/1504-5, pour sauver Balkh ou Hérat6. Hoseyn Bayqara est mort, son armée n’existe plus et ses fils et leurs émirs sont incapables de s’entendre7. Babour repart donc sur Kaboul, et ce sera Shah Esma’il Ier Safavi, et non pas un prince timouride, qui mettra fin aux conquêtes de Sheybani Khan.

6 Ce dernier manque d’hommes quand Esma’il arrive devant Marv en décembre 1510, mais n’importe, il lui tiendra tête. Au bout de quelques jours, Esma’il feint de battre en retraite. Sheybani Khan se lance à sa poursuite et trouve devant lui une armée deux fois plus nombreuse, en ordre de bataille. Ses guerriers fuient et, bien que ses émirs, restés fidèles, se défendent avec acharnement, ils ne peuvent empêcher Shah Esma’il de s’emparer du Khorassan. Bien obligés de le lui concéder, les Abu’l-khayrides sont décidés à y revenir dès qu’ils auront élu le successeur de Sheybani Khan. En attendant, si l’on en croit Hasan Rumlu, ils arrivent à persuader le chah de ne pas envahir la Transoxiane en lui envoyant de somptueux cadeaux et en l’assurant qu’il n’a nullement besoin de conquérir le pays puisque celui-ci lui appartient déjà8.

7 De toute façon Shah Esma’il se rend bien compte qu’il lui faut d’abord renforcer sa position au Khorassan. Les Khorassanais en effet se méfient de lui. Ils n’aiment pas le

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rite chiite qu’il préconise et qui fait du chah l’ombre d’Allah sur terre. Esma’il et ses partisans qezelbâsh leur font peur, car ils les forcent à maudire les premiers califes9, massacrent les guerriers ouzbeks restés au Khorassan et n’hésitent pas à vendre les femmes ouzbèkes en esclavage, bien qu’elles soient musulmanes. Les Khorassanais sont aussi très attachés aux princes timourides. Esma’il essaie donc de les amadouer et d’obtenir leur appui pour empêcher les Ouzbeks de lui reprendre le Khorassan : il se pose en défenseur des droits des Timourides, ne serait-ce qu’en Transoxiane.

8 Il offre de l’argent et des hommes à Babour pour l’aider à regagner tout au moins cette partie de son patrimoine et Babour accepte, car il n’a pas les moyens de ses ambitions. Il revient de Kaboul, s’empare de Hesar, Kulab, Qunduz, du Badakhshan, ainsi que de Boukhara et Samarcande à l’automne 1511, mais la population le reçoit sans enthousiasme. Elle lui reproche son alliance avec le chah safavide qui a chassé, ou mis à mort, leurs oulémas. Elle se méfie d’un Timouride qui adopte des façons chiites et qui inscrit les noms des douze imams sur ses monnaies pour faire plaisir à Esma’il dont il est le vassal10.

9 Quant aux princes abu’l-khayrides, ils reviennent à l’attaque dès le printemps 1512 avec le fils de Sheybani Khan et son neveu, ‘Obeydallah. Près de Boukhara, ils infligent une lourde défaite à Babour qui doit fuir vers Samarcande et Hesar. Et quoiqu’il arrive plus tard à leur tenir tête et même à se saisir de Qarshi grâce à ses renforts iraniens, les trois jours de massacre qui suivent la prise de cette ville lui attirent la haine de la population. Babour essaie néanmoins de reconquérir encore Boukhara avec l’aide du général iranien Najm-e Sani (Najm Beg) qui a refusé d’épargner même les seyyed de Qarshi11. Mais quand Najm-e Sani et la plupart de ses hommes sont massacrés près de Ghojdovan en novembre 1512, Babour quitte la partie12. Plutôt que de demander encore des renforts au chah, il repart sur Kaboul et décide de tenter sa chance dans le sous- continent indien.

10 Son départ laisse le champ libre à Esma’il et aux Abu’l-khayrides qui se disputent le Khorassan et qui essaient, de part et d’autre, de reconstituer l’empire de Timour. Esma’il se sent digne d’être son successeur puisqu’il a chassé les Ouzbeks du Khorassan, et que son empire s’étend de Bagdad au Badakhshan. Certains princes timourides sont d’ailleurs prêts à le reconnaître comme souverain13, ne serait-ce que temporairement, mais cela n’en impose guère à ‘Obeydallah et aux princes abu’lkhayrides. Ils ne lui abandonneront pas le Khorassan. Ils se croient bien plus dignes de succéder à Timour parce que sa patrie, la Transoxiane, est entre leurs mains, qu’ils ont été les premiers à s’emparer du Khorassan et que Timour n’a jamais prétendu, comme Shah Esma’il, à une infaillibilité quasi divine.

11 Peu après le départ de Babour, ‘Obeydallah Khan retourne au Khorassan et met le siège devant Hérat. Le siège ne dure guère, car ‘Obeydallah se dispute avec un cousin de Sheybani Khan. Ils repartent tous deux sur la Transoxiane peu après le 3 moḥarram 919/11 mars 1513, mais ‘Obeydallah revient presque aussitôt avec Timur Soltan. Ils conquièrent ensemble plusieurs villes, puis Timur Soltan s’attaque à Hérat où il s’installe au Bagh-e Jahan-ara et, apparemment, fait tuer « beaucoup de chiites14 ». Il se prépare ensuite à conquérir le reste de la province15, mais abandonne son projet pour partir avec ‘Obeydallah, soit parce qu’Esma’il avance sur le Khorassan avec une grande armée, soit parce que le successeur de Sheybani Khan, Kuchkunji Khan, les réclame en Transoxiane. ‘Obeydallah a fort à faire dès lors pour défendre le pays contre Soltan-

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Sa’id Khan du Mogholistan qui se lance sur la vallée fertile du Ferghana en 1514 et sur le Badakhshan, province riche en pierres précieuses, en 151916.

12 ‘Obeydallah n’a pas oublié le Khorassan mais il n’y retourne qu’en 927/1521. Il repart sur Hérat en avril-mai 1521 et soumet la ville à sept sièges successifs – dont trois aboutissent – avant sa mort en 154017. À quatre reprises il conquiert la majeure partie de la province, mais chaque fois il doit l’abandonner, soit à cause du manque de provisions, soit parce que le successeur d’Esma’il, Shah Tahmasp, vient lui disputer sa conquête et que les princes abu’l-khayrides refusent de le combattre, quitte à évacuer Hérat qu’ils tiennent depuis plusieurs mois18. C’est ce qui se produit en 936/1529-30 et en 943/1536-7, car même après son avènement comme khan suprême (khâqân) ‘Obeydallah n’arrive pas à leur imposer sa volonté, comme le faisait Mohammad Sheybani Khan, ni à les persuader de l’importance stratégique et économique du Khorassan.

13 Pour que les Ouzbeks s’y réinstallent il faut attendre l’avènement d’un monarque de plus grande envergure. Ce bon stratège qui mate tous les princes de sa dynastie et forme une puissante armée entièrement sous son contrôle, c’est ‘Abdallah II. Il conquiert Hérat en 1588 et la conserve avec la plus grande partie de la province jusqu’à sa mort en 1598.

14 Les Ouzbeks n’ont d’ailleurs pas renoncé entre temps au Khorassan. Ils y ont fait maintes razzias et plusieurs expéditions militaires – incursions de Haqq Nazar Oghlan et Bayram Oghlan en 1548, expédition du khâqân ‘Abd al-Latif contre Hérat en 1550, incursion bizarre de Pir Mohammad contre Mashhad en 1563-64, expédition victorieuse d’Uzbek Soltan en l569-7019.

15 Quant à ‘Abdallah, il se prépare déjà à 19 ans, en 1552, à prendre le Khorassan, mais son oncle Pir Mohammad le fait retourner en arrière20. En 1561, son oncle l’arrête à nouveau en lui proposant d’échanger Boukhara contre Balkh – un échange qui reste lettre morte. C’est seulement en 1567 que ‘Abdallah peut enfin marcher sur le Khorassan : le nouveau gouverneur safavide, le prince héritier Mohammad Khodabanda, fils de Tahmasp, se dirige sur Hérat. Le prince se réfugie à Torbat, ‘Abdallah y met le siège, mais au moment critique une rébellion en Transoxiane le force à quitter la place et Mohammad Khodabanda en est quitte pour la peur. ‘Abdallah revient quelques mois plus tard pour s’attaquer à Marv, mais il lui faut attendre vingt ans pour entreprendre la conquête systématique de la province en commençant par les deux villes principales, Hérat et Mashhad, qu’il prend l’une après l’autre, en 1588 et 158921.

16 Que font les princes timourides pendant ce temps ? Ont-ils accepté la perte de leur patrimoine ? Certes non, mais ils n’arrivent pas à s’unir et ne sont pas assez puissants pour revendiquer le Khorassan ou la Transoxiane. Babour, le plus ambitieux d’entre eux, profite même de la minorité du Timouride Mirza Soleyman pour s’emparer en 927/1521 du Badakhshan, province riche en lapis-lazuli, et quand il y installe Mirza Soleyman en 935/1528-29, il lui laisse entendre qu’il sera son vassal22. Il en est de même à Balkh qu’il prend en 1516. Quant à Qandahar, il l’enlève aux Safavides en 928/1521-22 après trois ans de siège. Fort de ces conquêtes, il s’apprête à continuer vers la Transoxiane, lorsque l’occasion se présente d’envahir le Penjab23. Il part donc vers l’est et les Abu’l-khayrides en profitent pour assiéger Balkh. Babour revient aussitôt, les force vraisemblablement à lever le siège mais peu après son départ les Abu’l-khayrides

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retournent à l’attaque et malgré les renforts envoyés par Babour, la ville tombe entre leurs mains24.

17 Babour, furieux, jure de se venger mais il lui faut attendre deux ans le moment opportun. À l’automne 1528, apprenant que les Ouzbeks ont subi une terrible défaite dans le Khorassan, près de la ville de Jam, il envoie ses fils Homayun et Kamran en Transoxiane. Mais les Ouzbeks n’ont rien perdu de leur ardeur guerrière. Ils ont tout simplement été pris de court par la nouvelle façon iranienne de combattre qui garde le centre intact derrière une forte artillerie. Ils se défendent donc énergiquement et Babour n’a pas gain de cause25.

18 Quand Babour meurt peu après, ses fils se font une guerre à outrance et perdent son empire. Son héritier Homayun est forcé de se réfugier en Iran en 1544. Il supplie Shah Tahmasp de l’aider à reprendre son trône, mais le chah ne consent à lui donner des troupes que si Homayun lui cède Qandahar26. Homayun se sert donc de son armée iranienne pour prendre Qandahar à son frère mais, en dépit de sa promesse ne la donne pas au chah. Il veut d’abord en finir avec Kamran, puis il refait la conquête d’Agra et de Delhi. Quand il meurt en 963/janvier 1556 Shah Tahmasp se dispose immédiatement à attaquer Qandahar. Il s’en saisit enfin près de deux ans plus tard, en 965/1557-5827, et l’importance stratégique et commerciale de cette ville est telle que les Timourides et les Safavides continueront à se la disputer pendant près de deux siècles.

19 Le fils de Homayun, , n’a que 13 ans. Lui aussi est ambitieux mais, comme il tient à reconquérir l’empire de Babour et qu’il entreprend ensuite la conquête systématique du sous-continent indien28, il n’arrive pas à lancer ses armées en Transoxiane. Pourtant il n’oublie pas que c’est le berceau de sa famille et s’intéresse vivement à ce qui s’y passe.

20 L’ambition et les succès militaires de ‘Abdallah II l’inquiètent particulièrement, malgré les lettres fort amicales que lui apportent ses ambassadeurs29. ‘Abdallah lui propose de dépecer ensemble l’empire des Safavides mais, bien qu’Akbar tienne à leur reprendre Qandahar, il préfère rester en bons termes avec eux ; ils lui semblent moins menaçants que ‘Abdallah, qui se saisit du Badakhshan en 1584, et dont les armées s’approchent dangereusement de Qandahar en 1587 et 159430. Akbar fait donc tout son possible pour freiner ‘Abdallah, sans l’attaquer ouvertement. Il reçoit affectueusement Mirza Soleyman et son petit-fils que ‘Abdallah chasse du Badakhshan en 1585. Deux ans plus tard, il envisage ce qu’il appelle un « voyage au Touran » (en fait une expédition militaire en Transoxiane) et n’abandonne ce projet que lorsque ‘Abdallah offre de lui laisser Kaboul, l’Hindou Kouch et Qandahar31. Toutefois, il ne se presse pas de ratifier le traité que ‘Abdallah lui envoie à cet effet, car il préfère le tenir en suspens. Il se méfie toujours de lui et il est fort mécontent des succès que ‘Abdallah remporte au Khorassan. C’est pourquoi il s’installe au Penjab, près de la frontière, en 1588. L’année suivante, il envoie de l’argent et des provisions à un imposteur qui essaye de s’emparer du Badakhshan et il attend jusqu’en 1596 pour ratifier le traité en question.

21 La mort de ‘Abdallah en 1598 et l’assassinat de son fils, quelques mois plus tard, semblent remettre en jeu toutes les parties de l’empire de Timour qu’ils dominaient : la Transoxiane, le Khorezm, le Badakhshan et le Khorassan. Ils raniment et accentuent toutes les convoitises et les ambitions en Hindoustan, ainsi qu’en Iran. Mais alors que les descendants de Timour, connus désormais sous le nom de « grands Moghols » ou Babourides, tâcheront de reconquérir la Transoxiane, les Safavides essaieront plutôt d’y imposer un candidat de leur choix.

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22 Akbar charge son fils aîné de cette reconquête dès la mort de ‘Abdallah, mais Selim ne montre aucun enthousiasme, car il craint d’être loin quand son père se choisira un successeur. Il ne tient nullement d’ailleurs à se mesurer au fils de ‘Abdallah, ‘Abd al- Mo’men, général renommé, et l’expédition n’a donc pas lieu. Akbar pourtant continue à y penser et, tout en attendant le moment opportun, il assume la suzeraineté du Badakhshan. Il accepte l’hommage des usurpateurs qui s’en emparent en 1599, puis celui de Badi‘ al-Zaman, fils de sa demi-sœur, qui les remplace en 1601. Il envoie même des armes à celui-ci en 1603 pour l’aider à se défendre contre Baqi Mohammad, monarque de facto (solṭân ma’navi) de la Transoxiane qu’il gouverne au nom de Yar Mohammad. Mais Badi‘ al-Zaman est vaincu et mis à mort. Akbar envisagerait bien une campagne en Transoxiane, sous prétexte de venir en aide aux habitants qu’opprime Baqi Mohammad, mais ce noble projet n’attire pas ses émirs qui se disent bien trop occupés au Deccan32.

23 Akbar meurt donc sans avoir attaqué la Transoxiane. Néanmoins son projet lui survit. Son fils Selim s’y intéresse dès son avènement. Sûr de remporter un succès éclatant en Transoxiane, il se donne d’emblée le titre de Jahângir, conquérant du monde, et prétend vouloir pieusement exécuter les volontés de son père, mais s’il tient à reconquérir le patrimoine ancestral, c’est avant tout pour des raisons de prestige... et par gourmandise. En effet ce monarque passionné de botanique adore les fruits de Samarcande qu’il préfère de beaucoup aux fruits hindoustanais. L’expédition en Transoxiane n’a pourtant pas lieu sous son règne, car il lui faut mater le Rana d’Oudaïpour, défendre Qandahar contre l’armée iranienne, et combattre son fils Khosrow. Jahangir doit donc se contenter de rêver aux fruits de Transoxiane... et d’en déguster les pommes et les raisins que lui procurent ses courtisans33.

24 C’est à son fils, l’empereur Shah Jahan, que revient finalement la reconquête des terres ancestrales. Sa première tentative, en 1639, n’aboutit pas, car l’avant-garde se fait battre par les troupes transoxianaises et un grand nombre succombe à la famine. Sept ans plus tard l’expédition, montée avec grand soin, et précédée d’un travail important de reconnaissance, est couronnée de succès. Balkh, que les Timourides ont perdu 120 ans plus tôt, retombe sous leur contrôle, ainsi que le Badakhshan. Shah Jahan est ravi. Il fait battre une médaille, annonce une semaine entière de réjouissances et récompense tous ceux qui ont pris part à la campagne34. Sa conquête, pourtant, sera bien éphémère – moins de 15 mois – et lui aura coûté cher : près de 6 000 hommes, 5 000 chevaux et bêtes de somme, et quelque 40 millions de roupies35.

25 Pour restaurer son prestige, Shah Jahan proclame qu’il n’est intervenu que par altruisme et pour sauver de l’anarchie la province de Balkh. Ce but atteint, selon lui, il peut en retirer ses soldats. Pour montrer sa bonne foi il aide désormais le souverain de Balkh et du Badakhshan, Nadr Mohammad, que son armée avait fait fuir en Iran, et il n’ose plus attaquer le khanat.

26 Son fils , par contre, ne cesse d’y rêver. Il est fortement tenté en 1678, quand la situation économique dans le khanat se dégrade au point que les habitants en sont réduits à manger de la charogne et des viandes interdites. Pour un monarque si pieux la conquête s’impose, puisqu’il s’agit de sauver des âmes en danger, mais le moment est peu propice car la conquête du Deccan bat son plein, ainsi que la guerre du Marvar36. De toute façon, le fils aîné d’Aurangzeb, Mohammad Mo’azzam37, n’a ni l’enthousiasme, ni l’énergie nécessaires pour entreprendre cette tâche. Il n’essaie même pas de reprendre Qandahar que les Moghols ont reperdu en 1649 et Aurangzeb le lui reproche

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amèrement. Mais tant que Qandahar est entre des mains ennemies il n’est pas question de lancer des armées en Transoxiane38. Encore moins après la mort d’Aurangzeb, car ses descendants parviennent difficilement à garder leur emprise sur le sous-continent indien et s’affaiblissent par de cruelles guerres de succession.

27 Si les Moghols font peu d’efforts pour reprendre leur patrimoine aux XVIe et XVII e siècles, Safavides et Ouzbeks se le disputent presque continuellement, ne serait-ce que par lettres. En 1592 et 1595, par exemple, le fils de ‘Abdallah et ‘Abbas le Grand échangent une série de lettres pour tâcher de donner une base historique à leurs prétentions territoriales. ‘Abd al-Mo’men voudrait prendre la paix de 1470 comme point de départ, cette paix ayant laissé l’Iran et l’Azerbaïdjan au grand-père d’Esma’il, Uzun Hasan, tout en confirmant le Khorassan et Balkh au Timouride Hoseyn Bayqara dont il se réclame. Mais Shah ‘Abbas n’est pas d’accord. Ces monarques n’ont rien à voir avec les Ouzbeks, ditil. Se référant à une paix qui aurait été conclue entre les grands- oncles de ‘Abd al-Mo’men, Kisten Qara et Pir Mohammad, et Shah Tahmasp, et qui aurait laissé le Khorassan au chah tout en leur permettant de garder le Mavarannahr (la Transoxiane)39, il exige que ‘Abd al-Mo’men abandonne toute prétention sur le Khorassan, puisqu’il ferait partie de l’héritage safavide, tout comme le Mavarannahr ferait partie de l’héritage ouzbek. Il ne dit pas un mot sur Balkh et prétend que la paix en question fut suivie d’une période idyllique pendant laquelle Safavides et Ouzbeks échangèrent des missions diplomatiques et firent preuve de la plus grande affection les uns envers les autres, mais ‘Abd al-Mo’men ne se laisse impressionner ni par ces références à un accord aussi ancien, ni par les menaces et insultes que Shah ‘Abbas lui envoie par la suite. Il n’abandonne ni le Khorassan, ni Balkh, et Shah ‘Abbas doit attendre sa mort avant d’en entreprendre la reconquête.

28 La reconquête d’ailleurs n’est pas difficile. Tout comme Esma’il en 1510, ‘Abbas feint de battre en retraite pour forcer l’ennemi ouzbek à le suivre. Une bataille rangée se déroule sur le terrain de son choix, Din Mohammad est blessé à mort et les Ouzbeks quittent le Khorassan.

29 Pendant la reconquête, un de leurs princes est capturé. Shah ‘Abbas le traite en hôte de marque, car cet otage de valeur lui permettra de s’immiscer dans les affaires de Transoxiane. Il arrive même à l’installer dans la province de Balkh. Mais son protégé, Mohammad Ebrahim, n’y règne que six mois. Il meurt en 1600-01 sans réaliser le rêve du chah qui était de l’imposer à toute la Transoxiane.

30 Quoique Shah ‘Abbas tienne à reconstituer l’empire timouride, il sait bien qu’étant donné la ferveur sunnite des Transoxianais et leur goût de l’indépendance, il a peu de chances d’y arriver à moins de leur donner un de leur princes comme gouverneur. Il se cherche donc d’autres princes ouzbeks à soutenir. S’il en installe un qui soit vraiment docile dans le khanat, il pourra compter sur sa reconnaissance et mettre fin ainsi au problème du Khorassan. Profitant de ce que les Astrakhanides (Janides), qui se sont emparés du khanat, ne sont pas universellement reconnus, il s’arroge le droit de leur choisir un remplaçant. Baqi Mohammad a beau être le neveu de ‘Abdallah II, il le qualifie d’usurpateur et lui oppose deux princes abu’l-khayrides qu’il accompagne jusqu’à Balkh en 1602. Mais son armée est décimée par la chaleur et la maladie et Baqi Mohammad se refuse à lui livrer bataille. Il est donc obligé de battre en retraite, quitte à revenir avec une nouvelle armée, ne serait-ce que pour sauver la face. Ses pertes en hommes et matériel sont pourtant énormes, et quand Baqi Mohammad a la bonne idée de suggérer une trêve au gouverneur-général du Khorassan, le chah n’est que trop

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content de la faire accepter. Cela lui permet de souffler et d’aller, si possible, « redorer son blason » en Azerbaïdjan40.

31 Pour récupérer son prestige, Shah ‘Abbas essaie de reconquérir les terres qu’il a cédées aux Ottomans en 1590. Et comme ici, au moins, les habitants sont de son côté, il y remporte des succès bien nécessaires. Il continue, entre-temps, à soutenir les princes abu’l-khayrides, mais ne s’attaque plus jamais directement à la Transoxiane. Il soutient même les rivaux astrakhanides du khâqân de Transoxiane quand il ne reste plus de princes abu’l-khayrides, car il est décidé à s’assurer des vassaux ou, pour le moins, des alliés de tout repos.

32 Ainsi, quand le frère de Baqi Mohammad, Vali Mohammad, se réfugie en Iran, Shah ‘Abbas offre de l’aider à reprendre son trône et, quand il est mis à mort en 1611, d’aider son fils, Rostam Mohammad, à s’installer à sa place. Rostam Mohammad deviendra une véritable épée de Damoclès dont ‘Abbas et ses successeurs feront peser la menace sur le nouveau souverain de Transoxiane, Emam Qoli Khan. Il cause bien des problèmes à Emam Qoli dans le khanat, tout en lui rendant plus difficile l’abord du Khorassan.

33 Emam Qoli s’intéresse d’ailleurs vivement au Khorassan. Ses sujets ouzbeks aspirent comme lui à en reprendre possession, car c’est une partie de l’héritage de Timour qui leur a déjà appartenu deux fois et qui présente un grand intérêt commercial, sans parler de l’impératif religieux de rétablir le culte sunnite. Pour Emam Qoli il s’agit aussi de venger son père, Din Mohammad, mort au Khorassan en 1598. Mais il ne réussit pas à y monter une expédition militaire d’envergure, car il lui faut sans cesse défendre non seulement les villes de Tachkent et Turkestan au nord-est et la province du Ferghana à l’est contre les Kazaks, mais aussi la province de Balkh au sud contre Rostam Mohammad qui est son cousin germain. Celui-ci en effet attaque toutes les fois que le frère d’Emam Qoli, Nadr Mohammad, quitte la province pour combattre les Kazaks. Rostam Mohammad arrive même à se saisir des faubourgs de la ville de Balkh en 1613, ce qui fait bien peur à ses cousins, quoiqu’il ne les garde pas plus de vingt-quatre heures41 !

34 Quand Rostam attaque, Emam Qoli et ses émirs ripostent, et les attaques et contre- attaques se succèdent jusqu’en 1623 quand le statu quo est enfin accepté de part et d’autre. La paix règne sur la frontière pendant six ans mais, dès la mort de ‘Abbas, les hostilités recommencent. Cette fois-ci ce sont les Ouzbeks qui prennent l’initiative. Le neveu d’Emam Qoli, fils de Nadr Mohammad, ‘Abd al-’Aziz, prend tellement goût à ces expéditions qu’il en organise deux ou trois par an. Mais il a beau en rapporter d’impressionnants butins, il ne fait aucune conquête durable, et les destructions qu’il sème sur son chemin attisent la haine des Khorassanais contre les marchands et pèlerins ouzbeks dont il prétend défendre les intérêts.

35 Nadr Mohammad est ravi des succès que son fils remporte au Khorassan. Lui-même y envoie des expéditions militaires, et c’est sans doute pourquoi le nouveau monarque iranien, ‘Abbas II, n’a aucun désir de lui venir en aide quand il fuit l’armée moghole et se réfugie en Iran. ‘Abbas a beau le recevoir chaleureusement et lui prêter des troupes42, il interdit à ces troupes de quitter le Khorassan pour marcher sur Balkh43. Si Nadr Mohammad veut reprendre Balkh, qu’il le fasse tout seul ! ‘Abbas II n’aime pas les Ouzbeks. Il accepte leur aide en 1648-49 quand il s’apprête à reconquérir Qandahar et plus tard quand il faut empêcher les grands Moghols de lui reprendre cette ville mais il n’a pas confiance en eux et avec raison car, dès qu’il le peut, ‘Abd al-’Aziz reprend ses attaques sur le Khorassan. Cela rend le chah furieux. Il s’échauffe tant en parlant des

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Ouzbeks, qu’il traite de « canailles », que tous ses courtisans proposent de l’en débarrasser, mais il refuse. Il veut les mater lui-même. Il décide d’envahir le khanat, fait ses préparatifs en conséquence et se réjouit déjà à l’idée d’une victoire qu’il croit certaine, quand il meurt soudainement en 1666.

36 Son successeur abandonne aussitôt l’idée d’une campagne à laquelle il ne tient guère. Il licencie ses troupes44 et pendant le restant du siècle la paix régnera généralement sur la frontière du Khorassan, les khâqân ayant beaucoup de problèmes internes et les monarques iraniens ne s’intéressant plus à la guerre45.

37 Il faudra attendre Nader Shah pour qu’un monarque iranien fasse renaître enfin l’empire timouride. Nader Shah, qui vient du Khorassan, a fait son apprentissage dans les armes en combattant Turkmènes et Afghans. C’est un grand ambitieux. Il se mesure au khan de Khiva en 1720, se pose en défenseur des Safavides fugitifs pour se donner des lettres de noblesse mais, dès que Tahmasp II subit une défaite humiliante face aux Ottomans, il l’oblige à abdiquer. Il attend néanmoins quatre ans pour se faire proclamer à sa place, car il se rend compte que seuls des succès importants à l’étranger lui vaudront le soutien des Iraniens, qui restent très attachés aux Safavides.

38 En 1736, fort de ses victoires militaires contre les Ottomans et de ses succès diplomatiques contre la Russie qu’il oblige à restituer Bakou et Derbent à l’Iran46, il se fait proclamer chah et commence immédiatement à préparer une grande expédition vers l’est. Il tient en effet à recréer l’empire timouride et le moment lui semble propice, car l’empereur moghol et le khâqân astrakhanide sont tous deux des faibles. Mais il lui faut d’abord s’assurer la bonne volonté des Ottomans pour qu’ils n’attaquent pas l’Iran pendant son absence. Il leur annonce donc dès son avènement que sa nouvelle religion d’état, le ja’farisme, annule l’exécration des trois premiers califes exigée par ses prédécesseurs, puis il commence à amasser de l’argent et des armes. Il part sur Qandahar en automne 1736 et, pendant les quatre années qui suivent, il s’empare de l’empire moghol et des khanats de Transoxiane et de Khorezm. Il écrase le pitoyable Mohammad Shah, descendant de Timour, ainsi que les Afghans, les Ouzbeks et les Khorezmiens et quand il est satisfait d’en avoir tiré tout l’argent possible, ainsi que 30 000 soldats ouzbeks pour son armée, il repart vers l’Iran. Sauf au Khorezm, il n’essaie pas d’imposer des gouverneurs de son choix dans les régions conquises. Il réinstalle, au contraire, l’empereur moghol et le khâqân boukhare qui seront désormais ses vassaux. Il les oblige à lui donner leurs filles pour cimenter leur alliance et leur fidélité, et concentre ainsi en sa personne tout le pouvoir des Timourides, des Safavides et des Ouzbeks47.

39 Son assassinat, cinq ans plus tard, en 1747, met fin à l’empire timouride qu’il a pratiquement recréé, mais l’idée de cet empire restera vivace et plusieurs conquérants de la région tâcheront de le ressusciter à leur façon, depuis Agha Mohammad Khan Qajar trente ans après lui48, jusqu’aux colonisateurs russes et anglais de la fin du XIXe siècle.

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NOTES

1. EI2, art. « Abû Sa’îd », « Sulṭân Ḥusayn Mîrzâ » ; R. H. Aminova (éd.), Istorija Uzbekskoj SSR s drevnejshih vremen do nashih dnej, Tachkent, 1967-68, vol. I, p. 458, 462, 463-87, 505, 507. CHI, vol. VI, p. 98-145, pass. 2. Ibid., p. 114. 3. Voir l’article « Îrân », dans EI2(vol. IV, p. 33-34). 4. Istorija Uzbekskoj SSR, vol. I, p. 510-515 ; H.H. Howorth, History of the Mongols from the 9th to the 19th century, Londres, 1880-1964, vol. II/2, p. 695-697. 5. Hoseyn Bayqara se mobilise trop tard et meurt sur la route de Balkh. 6. Istorija Uzbekskoj SSR, vol. I, p. 515-517 ; EI2, art. « Bâbur » ; [Moḥammad Ḥeydar Doghlât], The Tâ’rîkh-i Rashîdî of Mîrzâ Muḥammad Haidar Dughlât, a history of the Moghuls of East Turkistan, éd. N. Elias, trad. E. Denison Ross, Londres, 1895-6, texte p. 204-205, introduction p. 10 ; Hasan Rumlu, A ḥsan al-tavârîkh, ed. and trans. C.N. Seddon, Baroda, 1931-1934, texte p. 88, 91-92, 97-100, 104-5, trad. p. 38, 40, 43-44,48, place la conquête de Balkh en 912/1506-7 et dit que le restant du Khorassan fut conquis par Sheybani Khan en 913 et 914 (1507-9). 7. M. Szuppe, Entre Timourides, Uzbeks et Safavides : questions d’histoire politique et sociale de Hérat dans la première moitié du XVIe siècle, Paris, 1992, p. 144. 8. Rumlu, texte p. 118-22, 124-5, trad. p. 53-55, 56. 9. J. Calmard, « Les rituels shiites et le pouvoir. L’imposition du shiisme safavide : eulogies et malédictions canoniques », dans J. Calmard (éd.), Études safavides, Paris-Téhéran, 1993, p. 122-124. 10. Selon Rumlu, texte p. 127, Babour aurait trouvé un émissaire du chah à Qunduz, ainsi que sa propre sœur qui avait été emprisonnée par les Ouzbeks quelques années auparavant et que le chah venait de libérer. Babour n’avait donc pas hésité à demander l’aide du chah contre Boukhara et Samarcande, tout en promettant de battre monnaie en son nom après leur conquête. Voir ibid., trad. p. 242 n. 8 pour l’ordre chronologique des conquêtes effectuées par Babour en 917/1511-2. Selon Doghlât, texte p. 131-132, 243-246, Babour se servit de troupes iraniennes pour prendre Hesar, demanda ensuite des renforts au chah avant d’attaquer Samarcande et Boukhara et fit son entrée dans ces villes habillé en qezelbâsh. Istorija Uzbekistana, vol. III : « XVI - pervaja polovina XIX veka », Tachkent, 1993, p. 48. Istorija Uzbekskoj SSR, vol. I, p. 517. Ici les conquêtes de Babour sont toutes datées 1512. 11. Szuppe, Entre Timourides, Uzbeks et Safavides, p. 46, dit qu’en 1510-11 « Najm II, le vakil (fondé du pouvoir) du chah », résidait à Hérat dans la résidence princière du Bâġ-e Sefid. 12. Selon Eskandar Beg Monshi, Tâ’rîkh-e ‘âlam ârây-e ‘Abbâsî, éd. I. Afshâr, Téhéran, 1350 Sh/1971, vol. I, p. 40, le nombre des tués s’élève à 15000. Doghlât, texte p. 132-133, 243-262, explique que l’allié de Babour, le timouride Soltan Sa’id Khan, subit aussi une défaite du côté de Tachkent et se réfugie dans les steppes qipchaques. Rumlu, texte 129-134, trad. p. 60-62. Istorija Uzbekistana, p. 48-49. Istorija Uzbekskoj SSR, vol. I, p. 518. 13. Rumlu, texte p. 100, 102, 162, trad. p. 71, 72, 79. 14. Rumlu, texte p. 133-134, 137, trad. p. 62, 64-65. Selon Qomi, mentionné par M. Szuppe (Entre Timourides, Uzbeks et Safavides, p. 85), les qezelbâsh quittent d’ailleurs la ville à son approche. Il en est informé par les notables d’Hérat qui l’invitent à venir dans la ville et lui en remettent les clés. 15. Szuppe, Entre Timourides, Uzbeks et Safavides, p. 44. Selon Khwandamir, Timur Soltan aurait fait lire la khoṭba à son nom pendant qu’il résidait à Hérat. 16. Rumlu, texte p. 133-134, 137, trad. p. 62, 64-65, attribue l’évacuation d’Hérat par Mohammad Timur Soltan à l’annonce de l’arrivée du chah. Selon E.A. Davidovich, Korpus zolotyh i serebrjanyh monet Sheibanidov, XVI vek, Moscou, 1992, p. 102-103, ‘Obeydallah aurait quitté le Khorassan en 919/1513-4 parce qu’il ne voulait pas soutenir Mohammad Timur contre Kuchkunji qui avait été

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élu khâqân dans les formes. Moḥammad Yâr b. ‘Arab Qataghân, Mosakhkher al-belâd, Leningrad C 465, f. 85b-86a, parle d’un autre siège d’Hérat qui aurait été entrepris par ‘Obeydallah quelques mois plus tard avec la permission de Kuchkunji et qui aurait duré du début de jomâdâ II au 2 rajab 919 (du 4 août au 4 septembre 1513). Voir Doghlât, texte p. 133, 135 ; introduction p. 11, pour les campagnes du khan mongol Soltan Sa’id. 17. Rumlu, texte p. 181, trad. 84. M.B. Dickson, Shâh Tahmâsp and the Uzbeks (The Duel for Khurâsân with ‘Ubayd Khân : 930-946/1524-1540), thèse inédite, University of Princeton, 1958, p. 41. Selon Davidovich, Korpus, p. 103, 168, cette expédition a été placée soit en 926/1519-20, soit en 927/1520-1 par les écrivains de l’époque. 18. Davidovich, Korpus, p. 103-111 ; Monshi, p. 50-67, pass. ; Dickson, p. 165-168,330-331, attribue l’évacuation d’Hérat en août 1530 à la mort imminente de Kuchkunji qui poussa son successeur présomptif, Abu Sa’id, à refuser les renforts dont ‘Obeydallah avait besoin pour faire face à l’armée de Shah Tahmasp. 19. Rumlu, texte p. 336, 421, 444-445, trad. p. 152-153, 183-184, 192-193 ; Davidovich, p. 114 ;Monshi, p. 93, 94 ; Sharaf Khân b. Shams al-Din Bidlisi, Sharaf-nâma, éd. V.V. Velyaminov- Zernov, Saint-Pétersbourg, 1860-1862, et trad. B. Charmoy, Saint-Pétersbourg 1868-1875, texte p. 221. Quand Pir Mohammad arrive à Mashhad avec son armée, il fait distribuer des cadeaux aux gardiens du tombeau d’Emam Reza et envoyer ses excuses au chah, puis il repart en Transoxiane. Aurait-il été découragé de ne pas y trouver ses alliés turcs et khorezmiens ? 20. Ḥâfeẓ Tanish b. Mir Mohammad al-Bokhâri, Sharaf-nâma-ye shâhi, ms British Library Or 3549, f. 36b-37a. 21. Ibid., f. 63b, 69a-72b. Sur le siège de Hérat, voir A. Burton, « The Fall of Herat to the Uzbegs in 1588 », Iran 26 (1988) ; R. McChesney, « The conquest of Herat 995-6/1587-8 : Sources for the Study of Ṣafavid/Qizilbâsh-Shibânid/Uzbak relations », dans J. Calmard (éd.), Etudes safavides, Paris-Téhéran, 1993, p. 69-107. 22. Doghlât, texte p. 135, 373, 379, 388. À la mort de son père, Mirza Khan, en 1520-21, Mirza Soleyman avait environ 9 ans. ‘Abd al-Razzâq Ṣâmṣâm al-Daula Shâh Nawâz Khân wa ‘Abd al- Ḥaqq b. Shâh Nawâz, Ma’âthir al-umarâ’, éd. Maulawî ‘Abd al-Raḥîm and Maulawî Mîrzâ Ashraf ‘Alî, Calcutta, 1888-1891, vol. III, p. 276. 23. Dickson, p. 48, 49, 80-83. En 1516 Babour enlève Balkh au Timouride Mohammad Zaman Mirza qui venait de la prendre, ainsi que Shiburghan, à des gouverneurs safavides. V.A. Smith, The Oxford , Oxford, 1958, p. 320-321. 24. Babur-nama. Zapiski Babura, éd. S.A. Azimdžanova, trad. M. Sal’e, Tachkent 1992, p. 259, 263. Ces événements auraient eu lieu en 932/entre le 18 octobre 1525 et le 8 octobre 1526. Selon Smith, p. 321, Babour aurait abandonné sa première invasion de l’Inde à cause de la présence menaçante des Ouzbeks autour de Balkh, et n’aurait recommencé ses préparatifs qu’en novembre 1525. Dickson, p. 80-83, précise que Babour s’apprêtait à partir sur l’Inde en 931/été 1525 quand il lui fallut aller défendre Balkh, et qu’il recommença ses préparatifs en ṣafar 932/novembre 1525. Rumlu, texte p. 196-197, semble dater la prise de Balkh de 934/1528, car il dit que Kaskan (sic) Qara alla assiéger Balkh en 932/1525-26, à l’époque de la moisson, et que, deux ans plus tard, Babour écrivit à Mohammad Zaman Mirza lui ordonnant d’abandonner la ville et de se diriger sur Agra. Pourtant, Seddon (Rumlu, trad. p. 96) dit que Kaskan serait apparu aux portes de Balkh à l’automne 932 et que Babour aurait (alors) fait venir Mohammad Zaman à Agra, ce qui laissa la place libre à Kaskan. Moḥammad Yâr, f. 108b, qui ne mentionne pas du tout Babour, date la prise de Balkh le 21 ramażân 932/1er juillet 1526. 25. Dickson, p. 170-174, 128-130. CHI, vol. VI, p. 236. Smith, p. 322. Babur-nama, p. 340-342, 348. Babour se garde bien, pourtant, de mentionner dans ses mémoires l’échec de l’offensive de ses fils. 26. Qandahar, cédée à Tahmasp en 943/juin 1537, lui avait été reprise peu après (en 944) par Kamran et ses troupes mogholes. Rumlu, texte p. 277, 283, trad. p. 126, 129.

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27. Smith, p. 326-327, dit que la mort de Homayun fut cachée à ses sujets pendant quelque temps jusqu’à ce que tout soit prêt pour le couronnement d’Akbar le 14 février 1556. Rumlu, texte p. 391, 395-396, 404-405, trad. p. 171-173, 177, place sa mort en 962/1554-5, donc avant le 15 novembre 1555. 28. Smith, p. 323-324, 337-354. 29. En 1572, 1576, 1578, 1585. Voir A. Burton, The Bukharans, a dynastic, diplomatie and commercial history, 1550-1702, Londres, Curzon, 1997, pour les lettres qu’échangèrent ces deux monarques. 30. Abû’l-Fazl al-’Allâmî b. Shaikh Mubarak, Akbar-nâma, éd. Âghâ Aḥmad ‘Alî and ‘Abd al-Raḥîm, Calcutta, 1873-87, trad. H. Beveridge, Calcutta, 1897-1921, texte, vol. II, p. 368, et vol. III, p. 211. ‘Abd al-Qâdir Qâdirî b. Mulûk Shâh b. Ḥâmid al-Badâ’ûnî Qâdîrî, Muntakhab al-tawârîkh, éd. Maulawî Aḥmad ‘Alî, Kabîr al-Dîn Aḥmad and W.N.Lees, Calcutta, 1865-69, texte, vol. II, p. 270. Bhâgchand Monshi, Jami’ al-enshâ’, ms British Library, Or 1702, f. 196b-9a. 31. ‘Allâmî, texte, vol. III, p. 447, 515. Id., Mukâtabat-i ‘Allâmî, éd. Mohammad Hadî ‘Alî, Lucknow, 1863, p. 197. Ḥâjji Mir Mohammad Salim, Selselat al-salâṭin, ms Bodleian n° 169 (E. Sachau et H. Ethé, Catalogue of the Persian, Turkish, Hindūāīand Pushtu Manuscripts in the Bodleian Library, vol. I, Oxford, 1889), f. 134b, 138b. 32. ‘Allâmî, Akbar-nâma, texte, vol. III, p. 571, 705, 738, 751, 792, 834. Bhâgchand, f. 205b-206a. 33. Abû’l-Muẓaffar Jahângîr, Tûzuk-i Jahângîrî, éd. Syud Aḥmad, Ghazipur and Aligarh 1281 H/ 1864, trad. A. Rogers and H. Beveridge, Londres, 1909-14, texte, p. 11,22, 33, 173, 277. 34. Istorija Uzbekskoj SSR, vol. I, p. 516. ‘Abd al-Ḥamîd Lâhaurî, Pâdshâh-nâma, éd. Maulawî Kabîr al- Dîn Aḥmad et Maulawî ‘Abd al-Raḥîm Mutaalqîn, Calcutta, 1866-72, vol. II, p. 546-7. 35. Lâhaurî et Moḥammad Vâres, Pâdshâh-nâma, ms India Office Library, I.O. Islamic n° 324, f. 20b-22b, et Bodleian n° 1967 (Ethé/Sachau, Catalogue, vol. I), f. 250b-252b. Muhammad Hâshim (connu sous le nom de Hâshem ‘Ali Khân ou de Khwâfi Khân Neẓâm al-Molki), Muntakhab al-lubâb, éd. Maulawî Kabîr al-Dîn Aḥmad, Calcutta, 1860-74 ; 3e partie, éd. Sir W. Haig, Calcutta, 1909-1925, p. 677. 36. Jodhpur. 37. Il n’est en fait que son second fils, mais son premier fils Soltan-Mohammad Bahador, est mort en prison en 1676. 38. Muhammad Ṣâliḥ Kanbû Lâhaurî, ‘Amal-i Ṣâliḥ or Shâh Jahân Nâmah of Muhammad Ṣâliḥ Kambo, éd. Ghulam Yazdani, Calcutta, 1912-39, vol. III, p. 65-66, 76-78. Mohammad Sâqî (surnommé Mosta’edd Khân), Ma’âthir-i ‘Âlamgîrî, éd. Maulawî Âghâ Aḥmad ‘Alî, Calcutta, 1871, p. 169-170. ‘Enâyat Khân Râsekh, ‘Enâyat-nâma, ms British Library, Or 1410, f. 37a-b. J. Billmoria, Ruka‘at-i ‘Âlamgîrî or Letters of Aurangzib, Londres, 1909, p. 1, 3, 4, 7. 39. Abu’l-Qâsem Ḥeydar Ev-Oghli, Noskha-ye jami‘a-ye morâsalat-e olu’l-albâb, ms British Library, Add 7688, f. 237a-b, 236b-7a. Monshi, p. 452. Dickson, p. 359-361, dit qu’un accord fut sans doute conclu entre Tahmasp et Kisten Qara en 1537 et que selon l’Afżal al-tavârîkh, Kisten Qara aurait offert sa soumission au chah avant même l’expédition de ce dernier à Qandahar. Une ambassade de ‘Obeydallah aurait aussi eu lieu à la même époque et aurait eu pour but d’amadouer Tahmasp. Rumlu (texte p. 277-278) et Monshi (p. 65-66) disent tous deux que les ambassadeurs ouzbeks arrivèrent à Hérat après l’expédition à Qandahar. Tous deux mentionnent des cadeaux, mais alors que, selon Monshi, ils auraient été donnés au chah pour l’amadouer, selon Rumlu ce sont les Ouzbeks qui reçurent des cadeaux avant de repartir. 40. Monshi, p. 577, 590-591, 595-606, 609-614, 619-626, 632. 41. Monshi, p. 865. Salim, f. 187a-b. Maḥmud b. (Amir) Vali, Baḥr al-asrâr fi manâqeb al-akhyâr, ms India Office Library, IO. Islamic 1496 (Ethé 575), f. 231b-232a. 42. Mohammad Yusof Vâla (h), Khold-e barin, ms British Library, Or 4132, f. 185a. W. Foster, English factories in India, 1618-79, Oxford, 1906-38, vol. « 1646-50 », p. 51-52. Mohammad Ṭâher Vaḥid b. Mirzâ Ḥoseyn Khân Qazvini, ‘Abbâs-nâma, éd. Âghâ Ebrâhim Dehgân, Téhéran, 1329 Sh./1950, p. 75-77.

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43. Lâhauri, vol. II, p. 662. 44. Jean-Baptiste Tavernier, Les six voyages de Jean-Baptiste Tavernier Ecuyer, Baron d’Aubonne, en Turquie, en Perse et aux Indes, Utrecht, 1712, livre troisième, p. 613 ; Jean Chardin, Le couronnement de Soleiman troisième Roy de Perse et ce qui s’est passé de plus mémorable dans les deux premières années de son Règne, Paris, 1671, p. 347-349 ; Engelbert D. Kaempfer, Amoenitatum exoticarum politico- physico medicarum fasciculi V, quibus continentur rarae relationes, observationes & descriptiones rerum Persicarum & ulterioris Asiae, Lemgoviae, 1712, vol. II, p. 29. 45. Deux campagnes ont lieu en 1688 et 1690 pendant lesquelles les Ouzbeks s’emparent de plusieurs forteresses près de la frontière et même de leurs gouverneurs, mais pas pour longtemps. Voir, Mohammad Amin b. Mirzâ Moḥammad Zamân Bokhâri Ṣufiyâni surnommé Kirak Yarâkchi, Târîkh-e Sobhân Qoli Khân, également connu sous le nom de Moḥiṭ al-tavârikh, ms Bibliothèque Nationale de France, Supplément Persan 1548, f. 131b-2b, 132b-4a. Description dans E. Blochet, Catalogue des manuscrits persans de la Bibliothèque Nationale, Paris 1905-34, vol. I, n° 472. 46. CHI, vol. VII, p. 14, 25, 108, 351, 29-35, 324. Il s’agit des victoires de Kars et du traité de Ganja. Nader Shah commence à soutenir les Safavides à partir de 1726-27. 47. Istorija Uzbekskoj SSR, vol. I, p. 562-565. 48. CHI, vol. VII, p. 114-143. S’étant emparé de l’Iran, de la Géorgie et du Khorassan, il se préparait à attaquer Boukhara et Bagdad juste avant sa mort.

AUTEUR

AUDREY BURTON Leeds University, UK

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Modèles politiques

NOTE DE L’ÉDITEUR

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Military Manpower in Late Mongol and Timurid Iran

Beatrice Forbes Manz

1 It is common to introduce a neglected historical source at a conference; I want to do something a little different and introduce a neglected group of people – the local military population of Iran in the late Mongol and the Timurid period. We know that Iranian troops were widely used during the Mongol period, and we also know that under the Timurids the local military of Iran took part in most large campaigns and many minor ones, but these troops and most of their commanders have remained shadowy figures. There has been little study of the character and makeup of the military population or of their impact on political dynamics. In this paper I will not go beyond a beginning; I will introduce a few examples of military figures and attempt a preliminary characterization of the military classes of Iran, suggesting some ways in which they influenced politics.

2 Our problem in understanding local military personnel stems from the conventions of the sources at our command. Medieval historians portrayed society according to the divisions prevalent in Perso-Islamic theoretical and advice literature, which sharply divided “men of the sword” from “men of the pen”. During the Mongol and Timurid period, when the ruling class consisted of Mongols and Turks commanding a large nomad army, this divide was characterized along ethnic lines:a Turco-Mongolian military class, with a Perso-Islamic elite providing bureaucracy, ulama (‘olamâ) and urban notables1. Most historians originated from either the ulama or the bureaucracy and had a strong bias in favor of their own kind. It is these classes who emerge most fully and vividly from the collections of biographies and local histories which form major sources for social and regional history. The military classes figure primarily in the dynastic court histories written for rulers, and only the most powerful commanders within the ruler’s entourage achieve significant characterization.

3 The local military elites, those outside the Turco-Mongolian following of the ruler, appear clearly only under special circumstances, when no superior central power covered their activities. They are mentioned, though rarely well described, in the histories of local independent dynasties, such as the rulers of Sistan, the Mozaffarids of

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Kerman and Fars, and the Karts of Herat. There are two ways we can use the histories of these dynasties for our purposes. One way is to examine the history of their founders, whose stories provide telling vignettes of local politics. Another is to use historians’ accounts of the disorders at the end of Ilkhanid rule. Local commanders achieved prominence when central rule collapsed, and the rivalries of smaller dynasties in Iran gave scope and opportunity to local military adventurers. When central rule is reimposed, the histories once again confine their activities to the margin, and politics again belong to the ruler and his military entourage, upheld by Persian bureaucrats and notables, a vision which has been followed by modern historians of the period2. To achieve a more detailed understanding of the relations between government and society under the Mongols and the Timurids, I want to examine what this schema leaves out:the holders and users of military power outside the entourage of the ruler.

Local military elites

4 Let us look first at the rise of regional dynasties in the Mongol period. These were founded by the sword, by people who arose from the local elites serving under the Mongols, and it seems logical to assume that for each person who rose to a position of rule, other similar men must have continued to be active at a lower level. Among dynastic founders we find people of a variety of ethnic origins, some moving to new areas where opportunities opened up, others remaining within their region of origin. The dynasties of southern Iran offer us examples of this first type. The Injuid dynasty of Fars (c. 1303-1357), was founded by Sharaf al-Din Mahmud-Shah, who claimed descent from the great 11th-century theologian and mystic ‘Abdallah Ansari of Khorasan. Sent to Fars originally by the Ilkhan Öljeytü to administer the royal estates, Sharaf al-Din succeeded over time in seizing power over much of the region for himself and his family3. The Mozaffarid dynasty of Kerman and Fars belonged to a Khorasanian family of Arab descent, which retreated to Kerman on the Mongol invasion. The family settled in Maybod and various of its members served under Hülegü. Its rise began when the founder of the family fortunes, Sharaf al-Din Mozaffar, was appointed to guard the region against robbers. His son Mobarez al-Din Mohammad served at the Ilkhanid court in his youth, then returned to his family’s region on Oljeytü’s death and began to expand his power, taking Yazd from its Atabeg, fighting the unruly Negüderi Mongols, and increasing his power at the expense of the Inju family4. Like the Injuids, the Mozaffarids rose through a combination of service to the Ilkhans and local military activity, and then, profiting from the collapse of central government, they achieved independence, which they held until defeated by Timur (Temür).

5 The rulers of Kerman under the Mongols represented a different type of military actor – the remnants of the Turkic ruling class pushed out by the Mongols. These were the Qutlugh-Khanid or Qara-Khitay dynasty, founded in 1222 by Baraq Hajib, a Qara-Khitay who had served ‘Ala’ al-Din Mohammad Khorezm-shah5. Like the Injuids and Mozaffarids, they were able to make use of Mongol overlordship to carve out local power for themselves in a region to which they were foreign. Another commander from the realm of the Khorezmshahs, Taj al-Din Inaltegin Khorezmi, moved to the south where he became involved in local struggles and founded a minor dynasty in Farah6.

6 Several local dynasties of the Mongol period originated from the Iranian semi-nomadic and tribal populations which maintained their military character throughout Arab and

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Mongol rule. This was the case with the dynasty of Shabankara, which arose before the Mongols and lasted under their domination until the disturbances at the end of the Ilkhanid period. The Shabankara rulers based their power on a peripheral region of Fars with a pastoralist economy. They were themselves Iranian and claimed descent from the Sassanian dynasty, but their population and armies were heterogeneous; the districts they controlled held both Arab and Turkmen nomads. When they went to war they commanded troops from the local population, augmented by Turkic slaves. Like a number of other contemporary dynasties they cemented their position through marriage with the Mongol elite7.

7 In Khorasan we find two dynasties representing different segments of the local population. The Kartid dynasty of Herat was similar to that of Shabankara in its dependence on a semi-pastoralist nomad population. The Karts enjoyed an obscure origin; they were Tajiks claiming descent from the Seljukid sultan Sanjar, and closely connected to the Ghurid population of the mountain regions, who formed a significant part of their armies. The ancestors of their eponymous founder rose to prominence in the service of the Ghurid dynasty, for whom they governed the region of Herat. When the Mongols arrived the Kartid leader quickly paid his respects and obtained a patent for the region, with permission to reconquer it. After this he and his successors ruled Herat for the Mongols and served conspicuously in their armies, with local troops8.

8 The Sarbadar movement of Sabzevar which achieved prominence in Khorasan on the collapse of the Ilkhanids was also of local origin. This began with ‘Abd al-Razzaq b. Fazlallah Bashtini and his brother, identified as local amirs and great men of Bashtin near Sabzevar. They organized first a rebellion and then a band of brigands, consolidating their power by serving as allies or agents of nearby Mongol powers. They soon found other sources for their military manpower and support in the Shi’ite “darvish” organization, controlling armed followers, presumably futûwwa groups, and the landed aristocracy from Sabzevar. These three groups formed the central leadership of the up to Timur’s conquests, and their rivalry for power lay behind many of the dynasty’s vicissitudes. The common soldiers at their command included a motly group of adventurous young men:ex-soldiers, futûwwa groups and Turkic ghulams9.

9 What we see when we put all these stories together is not a set of earlier dynasties surviving with difficulty under foreign rule, but a group of active men taking advantage of new conditions to carve out power for themselves. Some came from local families; others moved to new regions for safety or opportunity. These men resemble the Persian bureaucratic families of Semnan and Qazvin, who also used the opportunities opened by Mongol rule to rise to new prominence and power10. It is not clear indeed how impermeable a line we should draw between the military and bureaucratic elites of Iran. Certainly we know of viziers who served as governors or fortress keepers for part of their careers, and bureaucrats are mentioned in battle, leading troops11.

10 Once rulers had achieved local power they then had to keep it, and this involved not only maintaining good relations with their overlords, but also controlling the milieu from which they themselves had arisen. We should not let the spectacular traumas of Turco-Mongolian rule blind us to the continuing contentiousness of local populations. The histories of local dynasties, however brief, make it clear that local rulers manoeuvred within a politically active society with widely disseminated military power. The history of Sistan shows an endless series of uprisings by the holders of

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regional fortresses, who had to be subdued or placated by each ruler in turn. When they could not manage to do this on their own, the kings of Sistan turned to outside powers for help, as did their rivals12. The accession of a new ruler often depended on the choice of candidates made by notables and amirs13. The leading men of Shabankara, when the last of their rulers had been killed, invited in another branch of the dynasty from Isfahan, but according to one source these men, having heard that the notables and amirs of Shabankara had been consistently faithless towards their former rulers, refused to take over leadership14.

11 We have another good opportunity to study local military figures in the accounts of the political activity in Iran at the time of Timur’s rise to power. At this time, the dynasties I have mentioned above were competing for men and territory, along with several new Turco-Mongolian dynasties filling the vacuum left by the Ilkhans. The rivalries of these states gave scope to the ambitions of local commanders, some of whom appear quite prominently in the histories. When we look at these men the first thing that strikes us is their heterogeneity. We find a wide variety of both ethnic group and social or occupational class. Among the people who came voluntarily into Timur’s service with personal troops there were amirs of Mongol background, such as Saru ‘Adel (Sâru ‘Âdel), descended from a group formed by Abaqa Khan as helpers to the palace troops. He had started out in charge of the sheep enclosure at , and worked his way up in the service of the Jalayirid amirs to a position of enormous power – sufficient to be dangerous to the dynasty and thus to him15. Another was Eskandar-e Sheykhi, of the princely lineage of Amol, who had embarked on a career of military adventure after his father had been deposed, and eventually joined Timur with 1000 men16. We also find several amirs from Khorasan leaving the service of the Karts to join Timur. The rulers and commanders mentioned above represent a variety of people, at quite different levels of power. The sources as usual are unreliable on numbers of troops, but give a few hints. We find Saru ‘Adel at the head of a sizeable force of 17 qoshun, while Eskandar-e Sheykhi led a personal following of 1000 horsemen17. Where the figures of troops commanded by the Sarbadars are mentioned, they number from one to three thousand, probably largely footmen. The troops under the command of the rulers of the Sistan seem to have been of about equal size18. Elsewhere we find the figure of two to three hundred men attached to independent military figures19.

Characteristics of the military elite

12 We have observed the variety of local military figures in Iran; what is more striking is their mobility. There seems to have been considerable movement up and down the social scale, and we might see this class as another conduit for social mobility in the medieval Middle East. This should not surprise us, as the active and cutthroat dynasties of Iran clearly offered both opportunity and danger to local holders of power. We find the spectacular rise of relatively minor figures either through their own initiative, as in the case of the Bashtini founders of the Sarbadar state, or through favor from rulers and clever manoeuvring within their service, as with the Kartid and Mozaffarid dynastic founders under the Ilkhans, and Saru ‘Adel under the Jalayirids. We also find examples of mobility downward, in the murder and dispossession of the numerous amirs who landed up on the losing sides of battles. There were other less dramatic ways in which fortunes of this class rose and fell. One of the lives of Shah Ne’matallah

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Kermani recounts the story of Nezam al-Din Kiji, a military man from the region of Kij and Makran, many of whose men had left his following to follow the governor of Kerman. He came into the province with his remaining troops planning on revenge, but meeting up with Shah Ne’matallah, instead joined his order and distributed his goods among his armed followers, whom he released20. We also find some vignettes of the landed gentry class from which many military men arose. Esfezari recounts the story of a man living alone in a ruined fortress previously belonging to relatives, who was accompanied now only by crows he had trained to hunt. When the Timurid ‘Abd al- Qasem Babor (r. Khorasan c. f450-57) met him, he asked what favour he would like and granted his request that the fortress be attached to him21. We find accounts of the ruin of local landlords in Sufi lives, which might explain what lay behind this story22.

13 What is much more extreme is the geographical mobility of many military men of Iran. When we look for instance at the career of the Mongol Saru ‘Adel, we find him starting his career in Baghdad, under the Jalayirids, but after the rise of Soltan-Ahmad after 1382, his arrogance and power proved too great a threat, and he soon transferred into the service of the Mozaffarids, always glad to receive amirs from outside. By the time Timur took over northern Iran in 786-7 H., Saru ‘Adel had become disillusioned about his prospects in Fars, and scenting a new opportunity, he sent an agent to sound out Timur’s entourage. His advance was well received, and he switched allegiance again, for which he was rewarded by the governance of Tabriz and Soltaniya23. Eskandar-e Sheykhi had an even livelier career, leaving his region for Firuzkuh when his father lost his position, then about 1374 moving to Khorasan where he joined one of the dissident Shi’ite leaders of Sabzevar, Darvish Rokn al-Din, in an attempt at power. When this failed, Rokn al-Din fled to the welcoming Mozaffarids in Fars, and Eskandar-e Sheykhi to the Kartids, who received him well and gave him governorship first of Fushanj and then of . When Rokn al-Din returned to Khorasan accompanied by a Mozaffarid force, he succeeded in taking Sabzevar and several neighboring fortresses, and Eskandar-e Sheykhi was quick to join him. They were soon attacked by most of the local dynasties;Rokn al-Din attempted flight but was captured and killed, while Eskandar-e Sheykhi again returned to the Karts, who forgave him24.

14 The Kartids, probably the strongest and most stable of the Khorasanian dynasties, had attracted and welcomed several adventurous amirs into their service. As Timur’s fortunes rose, he also served as a magnet, and a number of amirs left Kartid service to join him. One of these was Eskandar-e Sheykhi, whom Timur may have seen as someone likely to switch allegiance. Sharaf al-Din ‘Ali Yazdi reports that when Timur conquered Herat in 1381, he held Eskandar-e Sheykhi back from the rest of the Kartid emissaries in order to ask information about the internal situation of Herat25. Another amir left Kartid service even earlier to join Timur; this was Sheykh b. Da’ud b. Khitatay, whose family appears to have served the Kartids as governors and military commanders for at least one generation before him. When Timur invaded Khorasan in 1381, Sheykh b. Da’ud was with him and was rewarded with the governorship of Esfezar26. These military men were not simply living in their own regions and serving whatever rulers took them over, but moving from one region or state to another to find a more advantageous situation. Ambitious men did not necessarily wait until they were in straits before moving; several of the Kartid amirs who left to serve Timur did so well before his invasion of Khorasan27.

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The political impact of local amirs

15 We should consider what impact these amirs had on the political picture in Iran. First of all we should recognize that the territorial ambitions of local dynasties and the frequent movement of amirs from one master to another meant that the post-Ilkhanid states of Iran all contained significant numbers of outside people. To illustrate this we can look at the military personnel of two of the larger and more explicitly Iranian dynasties who followed the Mongols in 14th century Iran:the Karts of Herat and the Mozaffarids of Fars. Both expanded their territories at the expense of neighboring powers, and the list of the groups they ingested is instructive. The Kartids had in their armies Tajiks, Khalaj Turks, Baluch and Ghurids, and, when they absorbed central Khorasan, they brought into their service among others some of the descendants of Kadbugha Noyan, and some Mongol Negüderi28. As we have seen, they were also welcoming to Eskandar-e Sheykhi. We likewise find in their service renegade darvishes from the Sarbadars, Darvish Amir Kamal al-Din and Darvish Mohammad Hendu, to whom they gave charge of the border fortress Farhadjerd29.

16 The Mozaffarids held the region of the Jurma’i and Awghani Mongols of Kerman, a local grouping apparently descended from troops whom the Ilkhan Arghun had appointed to the Qutlugh-Khanids of Kerman for border defense. These were a troublesome population, constantly in rebellion despite a marriage alliance with the royal house. Nonetheless those not killed in reprisal continued to serve prominently in the Mozaffarid armies30. The dynasty also had under its control a less troublesome group of Mongols from Kerman known as “Nowruzi”, and some of the Mongol amirs who had served the Injuids of Shiraz and entered the Mozaffarid forces on the defeat of their former masters31. In addition to these, we know of several Khorasanian amirs in their service, with some Khorasanian troops. The Mozaffarids were consistently welcoming to the dissident amirs of their rivals. From the Jalayirids they took in the powerful amir of Hamadan, Pir ‘Ali Badak, as well as Saru ‘Adel, and from the Sarbadars, Darvish Rokn al-Din. During their last year, the rebellious Sarbadar amir Moluk Sabzevari deserted Timur’s service for theirs32.

17 What we see then is a varied and a shifting military population, many of whom moved back and forth between different states according to inclination and advantage. There was no definite ethnic stratification here; Mongol amirs sometimes served above Iranians, and sometimes below, and, we must assume, often simply alongside. Almost no group was totally without military activity; the Shi’ite darvishes of Sabzevar, openly and consistently leading troops, may have been at one end of the scale, but they are neither the only religious figures to appear in military activity, nor are their armed city followers unusual. It is known that Sufi orders sometimes engaged in military activity, and indeed we find Shah Ne’matallah Kermani’s son, Khalilallah Ne’matallahi, joining battle in India. Considering this, the presence of Nezam al-Din Kiji as a prominent disciple of the order, and the presence also of another military figure, Baba Mohammad Baghdadi, supposedly a member of the Jalayirid dynasty, may take on significance33. As we have seen, members of the bureaucracy might also lead troops.

18 The men who switched allegiance so freely were adventurers, and if they succeeded in gaining influence over their patrons, it was often in encouraging them towards conquest. We find Rokn al-Din encouraging the Mozaffarids to attempt power in Khorasan, and Pir ‘Ali Badak going against Baghdad to take it away from his former

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masters, the Jalayirids, for the Mozaffarids34. As followers themselves, such adventurers left something to be desired. Large numbers of the men who joined Timur for advantage rebelled; indeed such rebellions punctuated his reign at fairly regular intervals, though they seem to have done him little harm. Sheykh b. Da’ud b. Khitatay, who had deserted the Karts for Timur and had participated in the conquest of Khorasan, led a rebellion in Esfezar in 1383, which Timur put down with exemplary violence. Saru ‘Adel likewise lasted only a short time, as he quickly used Timur’s absence in the east to appropriate local taxes and build up his troops. He was suspected of ambitions in Azarbaijan and killed in 788/138635. Eskandar-e Sheykhi lasted longer, but in 1403 he attempted independence in the homelands Timur had returned to him, and was again chased out36.

19 If we read the histories watching for local military actors, we may find more continuing political activity than we have previously thought, even under strong dynasties. As rulers passed through regions, or governors arrived at their posts, the local leaders and commanders came to pay their respects, but sometimes their ambitions continued to exist. When in 798/1396 Yazd rebelled from the Timurids, we find a Khorasanian amir who had formerly served the Mozaffarids, raising to the throne Soltan-Mohammad b. Abu Sa’id, descended from a servitor of the Mongol family of ‘Abdallah b. Mulay, who had for a while achieved independence in Raqa and Halvan in southern Qohestan37.

20 It is possible that we should see the influence of local military men also in the rebellion of Shahrokh’s grandson Mohammad-Soltan in Isfahan and Fars in 1445-6, which is usually ascribed to an invitation issued to him by the city notables and ulama of Isfahan. What was happening here was probably something more widespread;we see in 1442-3 the beginnings of restiveness under an ill and aging ruler. The disturbances started with local rulers, first in the Caspian region with the king of Rostamdar, and then in Hamadan, whose commander was the one local leader refusing to recognize Soltan-Mohammad’s appointment as governor over the region. Soltan-Mohammad himself soon showed signs of independence which roused Shahrokh to remonstrance. When in 1445-6 the Isfahan notables looked for support against Shahrokh’s tax agents, Soltan-Mohammad was a likely ally, and indeed he was quick to accept their invitation. What is striking about this uprising is how fast it developed beyond Isfahan. When Soltan-Mohammad sent out envoys to regional notables and governors, he received a wide positive response. Money and young men began to flock to him from all over Iraq and even from some of the Qara Qoyunlu, so that he soon had a sizeable army, containing apparently Chaghatay, local and foreign troops. Thus at the end of Shahrokh’s reign, as at the beginning of Timur’s, the military population of Iran was mixed, volatile and ready for adventure38.

Conclusion

21 In assessing the political map of Iran under the Mongols and the Timurids we have to consider the Iranian lands as containing a mixed population of militarily and politically active people. The local military class of Iran fails to appear prominently in the dynastic histories, but we are used to making up for this in the case of Sufi sheykhs, ulama and urban notables, all of whom have other sources which inform us of their importance. I suggest that despite the silence of the sources, the composition and activity of military elites was a significant factor which we must explicate if we are fully

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to understand the relations between government and society, between Turco- Mongolian and Iranian populations, between city and village. It is possible that most local amirs stayed in one small region for generations serving whatever rulers controlled the area and thus provided a source of stability and continuity. Many of those who appear in the histories however had a different character and function. These were ambitious and mobile men, moving from one ruler and region to another, and encouraging adventurism in the dynasties they served. We must regard the regional military population as a changing one, frequently incorporating new figures. This was not a passive force, and in considering what such conquering dynasties as the Timurids inherited when they took over Iran, it is important to recognize that it was a region with a population of mixed ethnic origin, Iranian, Mongol and Turk, tribal, agricultural and urban, nomad and settled, all used to fighting together, whether as allies or as enemies. Even if we cannot discern the activities of most of this large in- between group, we should at least wonder what existed below the tip of the iceberg.

NOTES

1. See for instance A.K.S. Lambton, Continuity and Change in Medieval Persia: Aspects of Administrative, Economic and Social History, 11th-14th Century, Columbia Lectures on Iranian Studies, No. 2, Albany, NY, 1988, p. 221-224, 255, 297, and R. Bulliet, “Local Politics in Eastern Iran under the Ghaznavids and Seljuks,” Iranian Studies 11 (1978), p. 35-56. 2. See for instance, Lambton, Continuity and Change, p. 255, 297-298; B.A.F. Manz, The Rise and Rule of Tamerlane, Cambridge, 1989, p. 22, 107; H.R. Roemer, “The Successors of Timur”, CHI, vol. 6, p. 127-135. 3. J.A. Boyle, “Îndjû”, in: EI2; J.W. Limbert, “Shiraz in the Age of Hafiz”, Doctoral Dissertation, Harvard University, 1973, p. 45-48. 4. H.R. Roemer, “The Jalayirids, Muzaffarids and Sarbadârs”, CHI, vol. 6, p. 11; Limbert, “Shiraz”, p. 62-66; Mohammad b. ‘Ali b. Mohammad Shabânkâra’i, Majma’ al-ansab, ed. Mir Hâshem Mohaddes, , 1984-85, p. 316. 5. Lambton, Continuity and Change, p. 15; V. Minorsky, “Kutlugh-Khânîds”. in: ET. 6. CE. Bosworth, The History of the Saffarids of Sistan and the Maliks of Nimruz (247/861 to 949/1542-3), Costa Mesa – New York, 1994, p. 407-409, 431, 446, 455. 7. J. Aubin, Emirs mongols et vizirs persans dans les remous de l’acculturation, Paris, 1995, p. 71-72; Shabânkâra’i, p. 164-178 (for marriage, p. 173); Mu’in al-Din Naṭanzi, Extraits du Muntakhab al- tavarikh-i Mu’ini (Anonyme d’Iskandar), éd. J. Aubin, Téhéran, 1957, p. 2, 10. 8. L.G. Potter, “The of Herat: Religion and Politics in Medieval Iran”, Doctoral Dissertation, Columbia University, 1992, p. 25-48. 9. J. Masson Smith, The History of the Sarbadâr Dynasty 1336-1381 A.D. and its Sources, La Haye-Paris, 1970, p. 103-124. 10. Aubin, Emirs mongols, p. 25-29. 11. Ibid., p. 25-29; Manz, Rise and Rule, p. 111. 12. Bosworth, History of the Saffarids, p. 405, 406, 444-451, 457. 13. Naṭanzi, Muntakhab, p. 6, 8, 12; Bosworth, History of the Saffarids, p. 456, 464-466.

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14. Naṭanzi, Muntakhab, p. 10. Whether or not this particular story is true, the history of this dynasty gives many illustrations of disagreements between the ruler and the local elites and amirs on whom he depended. Ibid., p. 5-10; Shabânkâra’i, Majma’,p. 164, 167-168, 175-176. 15. [Neẓâm al-Din Shâmi], éd. F. Tauer, Histoire des conquêtes de Tamerlan, intitulée Ẓafarnâma, par Niẓâmuddîn Sâmî, Prague, 1937 (vol. I), 1956 (vol. II, containing additions by Ḥâfiẓ-i Abrû), vol. II, p. 58-59 [hereafter: ZNS]. 16. [Ḥâfeẓ-e Abru], éd. F. Tauer, Cinq opuscules de Ḥâfiẓ-i Abrû concernant l’histoire de l’Iran au temps de Tamerlan, Prague, 1959, p. 33, 54 [hereafter: Cinq opuscules]. 17. ZNS, vol. II, p. 56; Cinq opuscules, p. 55. 18. J. Aubin, “La fin de l’État Sarbadâr du Khorassan”, Journal Asiatique 262 (1974), p. 114-115; Bosworth, History of the Saffarids, p. 464-465. 19. Shabânkâra’i, Majma’, p. 170; Cinq opuscules, p. 9, 55. 20. J. Aubin (ed.), Matériaux pour la biographie de Shâh Ni’matullâh Walî Kirmânî, Paris-Téhéran, 1956, p. 185. 21. Mo’in al-Din Zamchi Esfezâri, Rowżât al-jannât fi owṣâf-e madinat-e Herât, ed. Seyyed Moḥammad Kâẓim Imâm, 2 vol., Tehran, 1959, vol. I, p. 110-111. 22. J. Aubin, “Un santon quhistani à l’époque timouride”, Revue des études islamiques 35 (1967), p. 198-199, 209. 23. ZNS, vol. I, p. 97, and vol. II, p. 58-59; Maḥmud Kotobi, Târikh-e Âl-e Moẓaffar, ed. ‘Abd al- Ḥoseyn Navâ’i, Tehran, 1985-6, p. 107-110. 24. Aubin, “La fin de l’État Sarbadâr”, p. 100-103; Cinq opuscules, p. 54-57, 33-34; Sharaf al-Din ‘Ali Yazdi, Ẓafar-nâma, ed. Moḥammad ‘Abbâsi, Tehran, 1336 Sh./1957, vol. I, p. 236 [hereafter: ZNY]. 25. ZNY, vol. I, p. 236. 26. Aubin, “La fin de l’État Sarbadâr”, p. 108-109. 27. ZNY, vol. I, p. 207. 28. Shabânkâra’i, Majma’, p. 324; Cinq opuscules, p. 32. 29. Aubin, “La fin de l’État Sarbadâr”, p. 99; J. Aubin, “L’Ethnogenèse des Qaraunas”, Turcica 1 (1969), p. 89. 30. Târikh-e Âl-e Moẓaffar, p. 50-58, 70, 75, 142-143, n. 34. 31. Târikh-e Âl-e Moẓaffar, p. 57; Shabânkâra’i, Majma’, p. 316. 32. Khwândamir, Ḥabibu’s-siyar, Tome Three, trans. W. Thackston, Cambridge, MA, 1994, vol. I, p. 176-178; Târikh-e Âl-e Moẓaffar, p. 99-103, 108; Aubin, “La fin de l’État Sarbadâr”, p. 113-114. 33. Aubin, Matériaux, p. 100, 104,185-186, 193, 203. One should note that the lives of Shah Ne’matallah report that when he lived in Transoxiana, early in his career, he achieved sufficient power among the nomads of the area to appear as a threat to Timur (Ibid., p. 12-13, 42-43, 122-123). See also Cinq opuscules, p. 54, for Amir Qavam al-Din, who started out as darvish, attracting disciples and pushing out Eskandar-e Sheykhi’s father. The involvement of ulama in the defense of cities is frequently mentioned; see for example Esfezâri, p. 221. 34. Târikh-e Âl-e Moẓaffar, p. 108-109. 35. Aubin, “La fin de l’État Sarbadâr”, p. 108-110; ZNS, vol. II, p. 58-60. 36. ZNY, vol. II, p. 408-416. 37. Aubin, “La fin de l’État Sarbadâr”, p. 98; Ahmad b. Ḥoseyn b. ‘Ali Kâteb, Târikh-e jadid-e Yazd, ed. Iraj Afshâr, Tehran, 1345 Sh./1966, p. 89-91. 38. Târikh-e jadid-e Yazd, p. 228-244; R. Quiring-Zoche, Isfahan im 15. und 16. Jahrhundert, Freiburg- im-Brisgau, 1980, p. 34-42; ‘Abd al-Razzâq Samarqandi, Maṭla’ al-sa’dayn va majma’ al-bahrayn, ed. Moḥammad Shafi’, , 1360-68 H./1941-49, vol. II/2, p. 772, 795, 853-855, 860-861.

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AUTHOR

BEATRICE FORBES MANZ History Department, Tufts University, Medford, USA

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Change in Political Culture: The Rise of Sheybani Khan

Nurten Kılıç

1 When Sheybani Khan had made his political aims clear, his Sufi mentor Sheykh Mansur ordered his disciples to bring a table cloth and said to him: “In the same way as a table cloth is picked up from the corner, you should start to build a state from the corner”. Thereafter Sheybani Khan left Bokhara for the Dasht-e Qipchaq and started his military conquests1. The story, also quoted by Semenov2, may be apocryphal, but at the beginning of the 16th century a significant political transformation took place in Central Asia. Mohammad Sheybani, the founder and the great khan of the Mavarannahr Uzbek state3, took control of the towns along the Syr-Darya region, conquered Samarqand from Babur (Ẓahir al-Din Bâbor) in 907/1501, and Balkh and Herat from the sons of Hoseyn Bayqara (in 911/1505 and 913/1507 respectively), thus putting an end to the rule of the Timurids and taking possession of the regions of Mavarannahr and Khorasan.

2 Sheybani Khan was a genuine Chingizid, a direct descendant of Chingiz Khan. His grandfather, Abu’l-Khayr Khan (d. 1468), the founder of the Uzbek confederation in the Qipchaq steppe, was a descendant of Chingiz Khan’s son Jochi, through the latter’s son Sheyban. Sheybani Khan moreover joined the two Chingizid lines of Jochi and Chaghatay through marriage alliances of himself, as well as those of members of his close family, with the family of Yunus Khan, a direct descendant of Chingiz Khan’s son, Chaghatay4.

3 Up till now it has been generally accepted that the establishment of the Mavarannahr Uzbek state did not bring much change in the political and cultural situation of southern Central Asia and the contributions of Sheybani Khan and his successors remain overshadowed by the Timurid legacy. However, it cannot be denied that the move by Sheybani Khan and his Uzbek tribesmen into these regions may have exerted a notable impact. It is noteworthy that the Mavarannahr Uzbek state founded by Sheybani Khan lasted until the mid-18th century by which time the Uzbek tribes were politically and economically asserting themselves. Moreover, it is also noteworthy that the neo-Chingizid claims were readily accepted by the political system of southern

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Central Asia. The Uzbek state, based on the appanage system laid the foundation for the region’s political development over the next centuries and affected the political ideas, manners and expectations of successive generations of statesmen5. The Uzbek state system6 which favored power sharing and the limitation of authority evolved during the confrontation with sedentary regions throughout the centuries. Thus I believe that the 16th century witnessed the emergence of new political formations and a change and metamorphosis in political culture in particular.

4 The aim of this paper is to underline some interesting features of the process which lead to the rise of Sheybani Khan and his establishement of the Uzbek state, and to understand some aspects of the political culture both in the steppe and sedentary regions. Indeed, it is possible to gain much information about the political culture during this period of transformation by analysing this process, by looking at the ideas, values and vision he projected, and by examining the rhetoric he used and the policies he devised in connection with the customs, perceptions and expectations of the people of different backgrounds – tribes, sedentary people and Sufi orders – which shape the political life of the society.

A joint Chingizid-Muslim legitimacy

5 Sheybani Khan founded a durable state, although not a stable one, one that compared well politically and culturally with its immediate predecessors in Mavarannahr. He rose to power in a period when both the sedentary regions and the steppe were experiencing the complexities of a changing world. He himself perceived these complexities in his own life. He became fully aware of them when he witnessed the failure of his grandfather Abu’l-Khayr Khan in the Qipchaq steppe and his Timurid rivals in sedentary regions, namely Bokhara and Samarqand during his kazaklik (“wandering”) period7. His ways, manners and values were probably shaped during this period and made him familiar with the process of the formation of states, and sensitive to the perceptions and expectations of the people.

6 He knew well that being a descendant of Chingiz Khan was not enough to secure the loyalties either of the Uzbek tribes or of sedentary people, and he already defined himself by another identity, that is the Muslim one. “By personal attainment I am the servant of God. By birth I am from the house of Chingiz”, says he in his Divân8. He also defines his understanding of authority by this identity when he says: “God is the king of all kings. He who serves God becomes a sultan”9. This means that he is also obeying a higher authority. He therefore manages to integrate both the tribal and the sedentary ideals into his understanding of the limits of power. Moreover, Sheybani Khan’s biographer, Mohammad Saleh, made this explicit in his Sheybâni-nâma, when he explained why he had joined Sheybani Khan. He tells us that he consulted intellectuals and they said to him: Yuci Khan oġli Jingiz toruni Barche khanlardin a’li oruni Bardur aning ishi Quran birle Olturubdur nije sultan birle “He is the descendant of Jochi and the grandson of Chingiz / His place is above all khans / He follows the Koran / He consults sultans10”

7 These words underline some important aspects of the political understanding of this period. They also indicate how the literary circle rationalised their joining Sheybani

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Khan by first stressing Sheybani Khan’s genealogy and, more importantly, by showing that he was acting according to the Koran, that is also according to the shari‘a. Being a Chingizid and acting according to the Koran put him above all khans. But what is most important is that unlike the Timurids who were unable to stick together as a family, Sheybani Khan is supposed to have understood the principles of good government, i.e. power sharing11.

Sheybani Khan’s relations with the tribal people

8 The rise of Sheybani Khan was not defined by hereditary, that is, by dynastic connections. Indeed there is no concrete reference in the sources to an official enthronement of Sheybani Khan by his dynastic family as a khan, but the tradition of succession by seniority was followed by his immediate successors. Sources give the impression that Sheybani Khan managed progressively to surround himself with many people. When he started his kazaklik there were only 40 people around him. Then they became 100, then 600, and more and more12, following the pattern of the rise of leaders in Central Asia, like Chingiz or Timur. But the state which Sheybani Khan founded is somewhat different from that of Chingiz and Timur. Moreover, in contemporary sources there is no explanation of why Sheybani Khan and his younger brother, Mahmud-Soltan Bahador, were especially protected by Abu’l-Khayr Khan’s close amirs, nor of why the Abu’l-Khayrid amirs removed Sheybani and his brother from the care of Sheykh Beg Uighur and entrusted the princes to Qarachin Bahador, after the death of Abu’l-Khayr in 146813. The Tavârikh-e gozida-ye Noṣrât-nâma explains that the amirs of Abu’l-Khayr thought that his grandsons were his favourites and therefore they should be taken care of14.

9 It is also interesting to note that Sheybani Khan was supposed to have been elected as a khan by the Mangit tribes before his conquests of Mavarannahr. Banna’i says that when Sheybani Khan took control of Signak he was invited by Musa Mirza; then he went to the Dasht-e Qipchaq and sat on the throne of the khanate. Later on when Sheybani Khan and his brother were successful against Burunduk Khan, Musa Mirza gave his daughter in marriage to Soyunj (Sevinj) Khwaja Khan. They went to Signak together and once there, Musa Mirza informed Sheybani Khan that the Mangit amirs wanted to make him khan on the condition that he obeyed the ancient principle of power sharing with the amirs15. Banna’i continues saying that Musa Mirza changed his mind, and Sheybani Khan lost his hope of being elected as a khan by the Mangit amirs. It is well known that the key support for the consolidation of Abu’l-Khayr’s rule seems to have come from within the Mangit confederation, namely from one of the grandsons of Edigu, Vaqqas Bey, who was supported by many tribes. However, Abu’l-Khayr also experienced the individualism of the Uzbek tribes which contributed to the dissolution of the Uzbek confederation. Sheybani Khan witnessed the desintegration of the tribal confederation built up by Abu’l-Khayr and his failure to bring his people closer to settled communities in Mavarannahr and along the eastern bank of the Syr-Darya river16.

10 From the beginning of his career Sheybani Khan does not seem to have been as strongly supported by dominant tribal groups. According to the Tavârikh-e gozida, Sheybani Khan had few people with him, and half of these came from the Qushchi tribe17. He found support among different tribal groups during his career. He was well aware that it was

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impossible to obtain unconditional loyalty at that time. Though Mangit support prepared the way for the conquest of Mavarannahr, he had to content himself with the shifting loyalties of Vaqqas Bey’s son, Musa Mirza, who gave support to him at different times. Moreover, the support of Musa Mirza did not mean the support of all the Mangit tribes and it is clear that within large tribal groupings like the Mangit, Nayman, Durman or Qushchi there was little solidarity18. Throughout his career, Sheybani Khan was many times abandoned by the Uzbek tribes at more or less critical moments. Some of the sources reflect the weakness of his command over them. Indeed, in many cases he tried not to force but to persuade tribes and tribal leaders to follow him.

11 Tribes generally acted independently from Sheybani Khan even after his political successes and his rise to power. Many vivid scenes can be found in Mohammad Saleh’s Sheybâni-nâma depicting the independent actions of Uzbek tribes. Here is what he wrote during the long siege of Samarqand: Qalmadi khan chirikiga Uzbek Bardi bisyar il andak-andak Qaysi Kufin u Ferâhin kitti Qaysi Khârkan u Hezâra yetti Qaysi Kerminaga tuzdi aheng Qildi shahâna besâṭ u evrenk “No Uzbek remained in Khan’s army / They left one by one / Some went to Kuffin and some went to Ferahin / Some reached Kharkan and some reached Hezara / Some of them settled in Karmina / They went to those places to settle in and to have a good life19”

12 We can understand these lines in terms of the individualism of Uzbek tribes. Moreover, they make it possible to imagine the process of the sedentarisation of nomadic Uzbek tribes, which was being accomplished voluntarily and individually, and not on the command of a leader. When Khwaja Yahya, a descendant of Khwaja Ahrar, was killed, Sheybani Khan was accused of having had him killed. When Sheybani Khan claimed that the affair of Khwaja Yahya was not his doing and that it had been done by Bey Qanbar and Kopek Bey, Babur noted that “if begs have free rein to engage in such acts without the knowledge of their khan or padshah, what is the use of khanate or kingship?”20 Whatever the truth, this visibly reflects the difference between Babur’s and Sheybani Khan’s understanding of kingship.

13 It seems that in this period the actions of individuals rather than those of groups shaped the political life of the society. Individuals were more independently minded than before. But the ways in which individuals formed relations with each other represents an aspect of political culture that evolved throughout the centuries and especially with the spread of the Sufi form of Islam.

14 It can be argued that there was no cohesive force to keep not only tribes or other groups, but also the Abu’l-Khayrid sultans in a solid community. Dynastic kinship was not enough to keep them together, to lead them to act together and to form a common front. The establishment of an appanage system and the development of an independent appanage policy also represents this individuality in a political realm. Mohammad Sheybani Khan initiated the conquests and then invited the participation of other clans in further conquests and in the organisation of the new states. They participated alongside him if they wished to. Banna’i says that Sheybani Khan asked his uncles Kuchkunji Khan and Soyunj Khwaja Khan through his amir ‘Abbas Hitami to join him, as well as he also invited Hamza Soltan and Mahdi Soltan21. The Bakhtiyarid

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sultans Mahdi and Hamza had been in Mavarannahr before Sheybani Khan arrived, and they served the Timurids, especially Babur, for a certain time. Both are mentioned many times on the pages of Babur’s memoirs. Later, they joined Sheybani Khan. Although they were Bakhtiyarids and not Abu’l-Khayrids, they became appanage holders. In the appanage system, it was the kinship with the newly established neo- eponymous dynastic clan22 and also the actual participation in the conquest that secured specific rights and loyalties that could be called upon in specific parts of the newly conquered territories.

15 Although the basic distribution of the appanages was made in 1511, after the death of Sheybani Khan, Banna’i talks about such a distribution performed by Sheybani Khan himself, which included the Abu’l-Khayrid and the Bakhtiyarid sultans, as well as notable amirs. According to Banna’i, Sheybani Khan gave Turkestan to Kuchkunji Khan, Tashkent to Soyunj Khan, Andijan to Jani Beg Soltan, Shahrokhiya to Amir Ya’qub and Hesar to the Bakhtyarid sultans, Mahmud and Hamza23. In the first half of the 16th century Hesar-e Shadman was the appanage of the sons of Bakhtiyar. The violation of the distribution of appanages caused unrest among appanage holders even during the lifetime of Sheybani Khan who was supposed to have had a much more centralised authority as a khan than his successors. The author of the Zobdât al-asâr notes that: “Sheybâni Khân did something unpleasant. He took Torkestân from the hands of Kuchkunji Khân and gave it to Seyyed ‘Asheq, and he took Bokhara from ‘Obeydallâh and he gave it to Seyyed ‘Âsheq, and he took Ḥeṣâr-e Shâdmân from Mahmud Solṭân and gave it to ‘Obeydallâh Khân”24.

Sheybani Khan’s relations with the Sufi orders

16 Some aspects of Sheybani Khan’s relations with the spiritual leaders and with the Sufi orders in general must be stressed in order to understand the process leading to the rise of Sheybani Khan. It is well known that, even during his kazaklik period, Sheybani Khan found support among spiritual leaders. It has also been assumed that this support enabled him to conquer Mavarannahr. However, much study remains to be done to understand the relations between Sufi orders and khans during the 16th and the later centuries. Sheybani Khan became well aware of the fact that popular sheykhs who led Sufi orders played important economic, cultural, political and social roles. He also knew that they could give a useful support as far as the balance of forces between khan/ sultan/amir was concerned. Moreover, the increasing dominance of the Sufi orders through their economic and political power and through their intellectual and spiritual reputation seems to be connected with a change in political culture. Sheybani Khan’s ties with the Sufi orders should also be understood in terms of a metamorphosis in political culture, and not only in terms of his political goals.

17 Throughout his early life Sheybani Khan was guided by religious tutors and counsellors. While living in Bokhara under Timurid protection, he studied under the tutelage of a famous Koran reciter, Mowlana Khitay’i25. The support that Sheybani Khan gained from the leaders of the Sufi orders such as the Naqshbandiyya, Kobraviyya, Yasaviyya is a well known fact26. From the scattered records in historic chronicles and hagiographic sources, it is possible to conclude that Sheybani Khan’s connections with spiritual leaders contributed to his success, since they helped him to obtain the support of the sedentary people and thus to gain control of the cities.

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18 Sheybani Khan seems to us almost certainly to have achieved a balance among different Sufi orders and to have controlled their influence over politics. However, this balance was shortlived. Towards the end of the 16th century, the order progressively became dominant. When we look at Sheybani Khan’s relations with the spiritual leaders, we can find scattered information both in contemporary narrative histories and in hagiographic sources. Banna’i tells us that it was the prayer of Khwaja Mohammad Parsa which made Sheybani Khan’s conquest of Mavarannahr possible27. Sources lack concrete evidence of the relations between Sheybani Khan and the descendants of Khwaja Mohammad Parsa. However, during the first conquest of Bokhara, some of them were among the people who met Sheybani Khan28.

19 According to the Lamaḥât, a Bokharan sheykh, Jamal al-Din ‘Azizan, became his Sufi guide29. The same source asserts that when Sheykh Jamal al-Din ‘Azizan did not approve of his political aims, Sheybani Khan changed his spiritual guide and turned to Sheykh Mansur who was a naqshbandi. This source further adds that when Sheybani Khan conquered Bokhara he forced Sheykh ‘Azizan to leave the city for Herat, where he became famous30. The Lamaḥât tells the story of the relations between Sheybani Khan and Sheykh Mansur which has been quoted at the beginning of this paper. This story implies that Sheybani Khan got the permission from his spiritual leader to start his conquests and the promise to help him in this entreprise.

Sheybani Khan’s rhetoric

20 It seems that Sheybani Khan’s rhetoric found much audience and helped him to be accepted by sedentary people.

21 His rhetoric is clearly shown in the following lines quoted by Mohammad Saleh, who supposedly records words of Sheybani Khan spoken during the siege of Bokhara: Shehr ahligha yibardi peygham Kim irur khâṣ menga khâṣ ile ‘am “He sent an envoy to the people of the city and said: / Elite or common people, you are all elite for me31”

22 He projects himself as a sovereign who rules with piety, equity and generosity saying “you are not alien to me or not different from me”. Sheybani Khan states it explicitly when he says, during the siege of Samarqand: Her niche il tilamas min tilaram Il mini silamas min silaram Min tilab tingri biribtur ey sheykh Tingri sozi minga kiribtur ey sheykh “Even if people do not want me, I want them / If people do not like me, I like them / What I want is God’s will, / What I say is God’s word32”

23 Here he clearly explains and legitimises his actions and claims. He also adds: Chaghatây il mini Uzbek dimasun Beyhuda fikr qilib gham yimasun Ger min Uzbek ilidin dur min Lik tingriga irur bu revshan Kim tilar min bari il âṣnafin Bilmasam jam ara durd u ṣafin “Chaghatay people do not call me Uzbek / do not be worried about that I am an Uzbek / I am from the Uzbek ulus / but my light comes from God / I see no difference among all people who want me33”

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24 These lines reflect the rhetoric of Sheybani Khan and imply the expectations of the people to some extent. The differences between the rhetoric of Sheybani Khan and that of Babur can be observed when they tried to be accepted by the people. In Mohammad Saleh’s Sheybâni-nâma there are very vivid and remarkable passages on the famous struggle between Sheybani Khan and Babur for Samarqand. After the defeat at Saripul, Babur found refuge in Samarqand and he begged help from the people, saying: “My ancestor Timur was the king of the World of justice. Ages have passed since he died and now all people forget him. Please, remember him and see him close even if he is far away, and please give me help for the sake of my forefathers”34.

25 Babur enumerates in his Bâbor-nâma the long list of the Timurid rulers to support his claim to Samarqand. He states that Samarqand is his legitimate throne, because it used to be the throne of his forefathers. But Sheybani Khan says: “Samarqand is my throne by the grace of God”35.

26 At the end of the struggle between Sheybani Khan and Babur, the former was successful. His military qualities contributed to his victory. But other important things may also have contributed to his rise and the establishment of the Uzbek state. He symbolised a change in the political culture and his actions affected the shape of southern Central Asia. Indeed, the ways in which he was building his state were widely accepted within a society which was also experiencing a cultural change.

NOTES

1. Sheykh ‘Âlem ‘Azizân, Lamaḥât min nafaḥât al-ons, ms IO Tashkent, No. 495, fol. 80b [hereafter: Lamaḥât]. 2. A. A. Semenov, “Shejbani-han i zavoevanie im imperii Timuridov”, Materialy po istorii Tadžikov i Uzbekov Srednej Azii, Stalinabad, 1954, p. 39-83. 3. The definition “Mavarannahr Uzbek” is used by M. Dickson. See M. Dickson, Shâh Ṭahmâsb and the Uzbeks. The Duel for Khurâsân with ‘Ubayd Khân: 930-946/1524-1540), unpublished Ph.D. Dissertation, Princeton University, 1958. 4. Hafiz Tanish Buhari [Ḥâfeẓ-e Tânesh Bokhâri], Sharaf-nama-yi Shahi, transl. M.A. Salahetdinova, Moscow, 1983, facsimile text fol. 44a. 5. See R.D. McChesney, Waqf in Central Asia: Four Hundred Years in the History of a Muslim Shrine, 1480-1889, Princeton, 1991, p. 52. 6. Dickson, Shâh Ṭahmâsb and the Uzbeks, p. 25; and also M. Dickson, “Uzbek Dynastic Theory in the 16th Century”, Trudy XXV-go Meždunarodnogo Kongressa Vostokovedov, Moscow, 1960, p. 208-214. 7. For the term “Kazaklik”, see Isenbike Togan, “Political, Cultural and Economic relation between Central Asia and Turkey in the Period of Temur”, a paper presented at the Conference Amir Timur and His role in History, Tashkent, 24 October 1996, p. 5. 8. Sheybâni Khân, Divân, Ms Istanbul Topkapi, Ahmed III Library, No. 2436, fol. 11 [hereafter: Divân]. 9. Divân, fol. 36. 10. H. Vambéry, Die Scheibaniade. Ein Ozbegisches Heldengedicht in 76 Gesangen von Prinz Mohammed Salih aus Charezm, Wien, 1886, p. 36. Cited throughout as Mohammad Ṣâleḥ, Sheybâni-nâma.

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11. It is important to note that especially in Mohammad Saleh’s Sheybâni-nâma, the author praises achievements not only of Sheybani Khan, but also these of other sultans, particularly his brother Mahmud-Soltan Bahador. Though the book is devoted to Sheybani Khan and was written during his lifetime, there are lines where it is sometimes difficult to discern whom the author sided with and what was his standpoint. 12. Bannâ’i, Sheybâni-nâma, Ms IO Tashkent, No. 3422, fol. 7a. 13. Ibid., fol. 5b. 14. Tavârikh-i guzîda-Nuṣrât-nâma (anonymous), ed. A.M. Akramov, Tashkent, 1967, p.l21b. 15. Bannâ’i, Sheybâni-nâma, fol. 11a-b. 16. Mas’ud b. ‘Osmân Kohestâni, Târikh-e Abu’l-Khayr Khân, Ms IO Tashkent, No. 9989. 17. Tavârikh-i guzîda-Nuṣrat-nâma, fol. 96a. 18. This situation can be traced in the appanage politics. 19. Mohammad Ṣâleḥ, Sheybâni-nâma, p. 124. 20. Bâbur-nâma, ed. W.M. Thackston, 3 vol., Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1993, p. 163. 21. Bannâ’i, Sheybâni-nâma, fol. 31b. 22. The term was first used by Dickson, Shâh Ṭahmâsb and the Uzbeks, p. 20-37. 23. Bannâ’i, Sheybâni-nâma, fol. 47a. 24. V. Barthol’d, “Otchet o komandirovke v Turkestan”, Sochinienija, vol. VIII, Moscow, 1970, p. 132-144. 25. Bannâ’i, Sheybâni-nâma, fol. 9b. 26. See B. Babadžanov, Politicheskaja dejatel’nost’ sheyhov nakshbandija v Maverannahre, Doctoral dissertation, Academy of Science of Uzbekistan, Institute of Oriental Studies, Tashkent, 1996 (forthcoming). 27. Bannâ’i, Sheybâni-nâma, fol. 10a. 28. Babadžanov, Politicheskaja dejatel’nost’, p. 57. 29. Lamaḥât, fol. 80b. 30. Lamaḥât, fol. 81a. 31. Mohammad Ṣâleḥ, Sbeybâni-nâma, p. 48. 32. Ibid., p. 148. 33. Ibid., p. 148. 34. Ibid., p. 104. 35. Ibid., p. 148.

AUTHOR

NURTEN KILIÇ

Department of History, University of Uludağ, Bursa. Turkey

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La naqshbandiyya sous les premiers Sheybanides

Bahtijar Babadžanov Traduction : Alié Akimova

NOTE DE L’ÉDITEUR

Traduit du russe par Alié Akimova

1 La politisation de l’activité séculière de la naqshbandiyya, un fait bien connu, est indissociable du nom de Khwaja Ahrar (m. 1490). En établissant d’étroits contacts avec les souverains, il essaya de créer un ordre étatique fondé sur les lois islamiques et non plus sur celles de la steppe. Ses descendants directs et ses disciples restèrent attentifs, à des degrés divers, au maintien de ces contacts avec les « sultans temporels ». C’est pourquoi le destin et l’activité de la plupart des cheikhs dépendirent souvent des vicissitudes de la politique. Cette dépendance devint particulièrement manifeste à la charnière des XVe et XVI e siècles, lorsque Sheybani Khan conquit les territoires timourides du Mavarannahr (1500-1510) ; ses relations avec les autorités spirituelles du Mavarannahr sont en partie décrites dans les ouvrages scientifiques1. Pourtant, l’histoire de la naqshbandiyya sous les premiers Sheybanides (1500-1601) n’a pas encore été suffisamment étudiée.

2 Cet article présente les biographies de descendants de Khwaja Ahrar et de ses plus illustres disciples transoxianais. On étudiera l’évolution des relations des chefs de cette confrérie avec les représentants de « la nouvelle dynastie » du Mavarannahr. On mettra en relief le processus de l’adaptation de l’activité de certains cheikhs de la naqshbandiyya à une situation politique très complexe, quand le Mavarannahr devint objet de rivalité entre les représentants de plusieurs dynasties descendant de Gengis Khan (1206-1227).

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Les rapports de Sheybani Khan avec les cheikhs naqshbandis (partisans et adversaires du khan)

3 Pour vaincre la puissance timouride affaiblie, Sheybani Khan utilisa avant tout la force militaire. L’armée fut souvent le seul ou le principal moyen de garder et d’étendre son empire. Pourtant, l’histoire nous apprend qu’on n’obtient pas toujours les résultats escomptés lorsqu’on ne s’appuie que sur l’armée ; de plus, elle ne constitue en rien un facteur de stabilité.

4 Une fois établi définitivement sur le trône de Samarcande, Sheybani Khan fit frapper une nouvelle monnaie d’argent et de cuivre, puis procéda en plusieurs étapes (1508-1509) à une réforme monétaire qui amena une stabilisation2. Mais cette mesure n’entraîna pas de grands changements économiques, car il s’agissait de nouvelles répartitions (parfois forcées) de biens entre les Sheybanides et leur entourage le plus proche3.

5 Néanmoins, Sheybani Khan et les autres Sheybanides étaient conscients que les mesures fiscales constituaient un facteur stabilisateur de l’État. D’autre part, les Sheybanides, au cours de leur conquête du Mavarannahr et de la formation de leurs propres structures étatiques, surent tenir compte de l’influence du clergé et surtout des cheikhs naqshbandis qui dirigeaient la ṭariqa la mieux organisée. Sheybani Khan et ses successeurs connaissaient bien la situation dans le Mavarannahr ainsi que le rôle et la place des chefs spirituels dans la population locale : pendant plusieurs années, en effet, Sheybani Khan lui-même, son frère cadet Mahmud-Soltan Bahador et d’autres membres de leur parenté avaient été au service des Timourides et des Tarkhans. Déjà, en 1494-96, Sheybani et son frère avaient étudié pendant deux ans à Boukhara auprès de Mowlana Mohammad Khitay’i. Sheybani Khan était apparemment doué, car ce court séjour à Boukhara lui suffit pour perfectionner ses connaissances en théologie et autres sciences au point de prendre ensuite part à des discussions sur la religion et du droit. C’est Ibn Ruzbehan qui nous rapporte dans ses écrits la plus grande partie de ces discussions et exagère d’ailleurs probablement le niveau des connaissances de Sheybani Khan4 – il avait en effet l’intention de présenter son ouvrage au khan. Cela dit, Sheybani Khan connaissait visiblement bien la technique de discussion fondée sur l’interprétation rationnelle des canons et des dogmes, en respectant les formes et les usages religieux locaux (‘urf, âdât)5.

6 Hasan Khwaja Nesari, dans son ouvrage Moẕakker-e aḥbâb (achevé en novembre 1566), parle aussi du séjour de Mohammad Sheybani à Boukhara. Selon lui, « [Sheybani Khan] fut contraint de quitter Boukhara, car des gens malhonnêtes et hypocrites l’avaient calomnié ». Avant de quitter la ville, il se rendit au mazâr de Baha’ al-Din Naqshband « pour se mettre au service du descendant du grand Khwaja [Baha’ al-Din] », c’est-à- dire Nezam al-Din Khwaja Mir Mohammad Naqshbandi. Quelque temps après, Sheybani demanda au Khwaja l’autorisation de quitter le Mavarannahr. Mais celui-ci le retint encore. Quelques jours plus tard, apprend-on encore, le Khwaja annonça que Dieu avait posé devant Sheybani « les clés du mystère », conformément au verset du Coran disant : « c’est Lui qui garde les clés du mystère » (VI, 56). Mir Mohammad aurait ensuite ajouté qu’il voyait cette œuvre secrète débuter dans le Turkestan et que Mohammad Sheybani devait se dépêcher s’il voulait suivre cette indication du Ciel. Pour finir, Nesari dit que Sheybani Khan tint compte de ces « instructions » et eut l’honneur de « garder le trône du bonheur et de la prospérité pendant douze ans, durant lesquels on prononça la

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khoṭba en son nom glorieux dans toutes les villes, depuis Turkestan jusqu’à Hérat6 ». Nesari ajoute que Sheybani Khan « unit son cœur à la ṭariqa naqshbandiyya ».

7 Il est difficile de déterminer si la narration de Nesari reflète fidèlement les événements et jusqu’à quel point Sheybani Khan fut sincère dans ses attachements. En revanche, il est certain que, lors de son séjour à Boukhara, il réussit à entrer en contact avec les naqshbandis de la ville. D’autres sources mentionnent qu’à ce moment-là Sheybani se rapprocha des descendants d’un autre célèbre cheikh naqshbandi, Khwaja Mohammad Parsa (m. 1419), Mohammad Parsa et Khwaja Mahmud Parsa Hafez. Ce dernier initia Sheybani au « ẕekr silencieux » (khâfi) et lui laissa entendre, tout comme l’avait fait Mir Mohammad Naqshbandi, qu’il régnerait sur tous les États du Turkestan et du Mavarannahr7. Par la suite, lorsque Mohammad Sheybani assiégea Boukhara pour la première fois (au printemps 1500), les nobles de la ville (nâm-dârân), ayant décidé de la rendre, lui envoyèrent une délégation conduite par Khwaja Parsa8. Un mois plus tard, durant le siège de Samarcande par les Ouzbeks, le fils cadet du feu Khwaja Ahrar, Khwaja Yahya, fut le principal organisateur de la résistance contre Sheybani Khan9.

8 Alors que les troupes ouzbèkes avançaient sur Samarcande, le souverain de la ville, le Timouride Soltan-’Ali Mirza, convoqua un conseil où le fils aîné de Khwaja Ahrar, Khwaja ‘Abdallah prit la parole dans les premiers. Ayant exprimé la crainte de voir Samarcande prise par Sheybani Khan, il décida de quitter la ville et conseilla à son frère cadet Khwaja Yahya de l’imiter. Mais celui-ci prétexta qu’il ne pouvait abandonner sa nombreuse famille ni Soltan-’Ali qu’il avait lui-même établi sur le trône de Samarcande. Alors que Khwaja Yahya lançait un appel à défendre la ville, Khwaja ‘Abdallah se réfugia à Andijan10.

9 Sur ces entrefaites, Sheybani assiégea Samarcande où il dépêcha Seyyed Khavand Bokhari, l’un des disciples de Khwaja Ahrar, pour mener les pourparlers11.

10 Khavand Bokhari alla d’abord voir Khwaja Yahya pour le persuader d’amener la ville à se rendre à Sheybani Khan, celui-ci ayant promis, en cas d’accord, de « ne pas tendre les mains vers la violence ». Devant le refus de Khwaja Yahya, Khavand Bokhari se rendit chez Soltan-’Ali Mirza, qu’il réussit à persuader de se rendre. Après quoi Soltan-’Ali quitta secrètement la ville pour le Bagh-e Meydan, où se trouvait le quartier général de Sheybani Khan.

11 Apparemment Khwaja Yahya ne s’y attendait pas ; son projet de rendre Samarcande à Babour, avec qui il était en correspondance secrète, échoua12. Le Khwaja fut contraint de faire ouvrir la porte de la ville et de se présenter au quartier général de Sheybani Khan.

12 Quelques semaines plus tard, Khwaja Yahya fut convoqué par Sheybani Khan qui l’accusa de fomenter une rébellion. En fin de compte, « on laissa partir le Khwaja, sa famille et ses proches pour un ḥâjj13 ». Sur la route, non loin du village de Tatken, son cortège fut rattrapé par un petit détachement mené par les émirs de Sheybani Khan, Qanbar Bey et Kopek Bey, qui ordonnèrent de mettre à mort Khwaja Yahya et ses deux fils14.

13 Toutes les sources évoquant ces événements citent les déclarations de Sheybani Khan, qui jure ne pas avoir trempé dans l’assassinat de Khwaja Yahya et de ses enfants. Le khan proteste qu’il ne put résister à la pression insistante de ses émirs, qui voyaient en Khwaja Yahya un rebelle potentiel. En outre, les immenses richesses du Khwaja ne devaient pas laisser les beys indifférents. La plupart de ces sources furent rédigées sur

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ordre de Sheybani Khan ou de ses successeurs, qui apparemment ne voulaient pas davantage partager la responsabilité de ce « meurtre du siècle ». Pourtant, certains auteurs n’essaient même pas de cacher l’attitude hostile et soupçonneuse de Sheybani Khan envers Khwaja Yahya. Selon Mohammad Yar Qataghan, Sheybani Khan, qui se méfiait du Khwaja, fit loger chez lui Jan-Vafa Bey qui venait d’être nommé dârugha de Samarcande15.

14 La description sans doute la plus objective des entretiens entre Sheybani Khan et Khwaja Yahya est donnée par Mohammad Saleh : le Khan aurait reproché en termes crus au Khwaja de se laisser trop entraîner par les questions séculières, surtout par le désir des biens matériels, dont il venait d’être privé. Ensuite, de nouveau en termes peu polis, il aurait exigé le départ du Khwaja pour le ḥâjj, lui offrant même son propre cheval. Mais Mohammad Saleh disculpe Sheybani Khan du meurtre de Khwaja Yahya et de ses enfants16. Rappelons toutefois qu’il écrivit son ouvrage du vivant de Sheybani Khan à qui, évidemment, il le dédia.

15 Dans l’exemplaire original du Sheybâni-nâma (partiellement copié par Sheybani Khan lui-même), l’auteur Kamal al-Din Bina’i (ou Banna’i) complète ces événements par une curieuse remarque : « Son Excellence le Khan avait un grand respect pour Sa Sainteté [Khwaja Yahya], mais celui-ci ne voulut pas l’accepter ». C’est seulement alors, ajoute l’auteur, que le Khan aurait cédé aux exigences de certains de ses émirs et insisté pour que le Khwaja partît immédiatement « pour La Mecque17 ».

16 Citons enfin le récit de Fakhr al-Din ‘Ali Kashefi, auteur du Rashaḥât qui, de toute évidence, dut se baser sur des on-dit puisqu’il écrivit son œuvre à Hérat. Selon lui, Sheybani (Shah-Beg) reprocha au Khwaja de trop s’occuper des problèmes séculiers, en particulier de se mêler des « affaires des sultans », et le laissa partir en ḥâjj après avoir confisqué ses biens. Fakhr al-Din ‘Ali Kashefi fait retomber toute la responsabilité du meurtre sur les émirs de Sheybani Khan et assure que le Khan souffrit beaucoup de ne pouvoir annuler la décision de son entourage et qu’il réussit cependant, en cachette des émirs, à remettre à Khwaja Yahya son meilleur cheval18.

17 Ainsi, ce n’est pas sans raison que le khan reprochait à Khwaja Yahya de se mêler des intrigues politiques et citait en exemple tel ou tel ‘âlem de Samarcande, qui savait se tenir en dehors des problèmes de l’État. Ceux-ci ne furent d’ailleurs pas oubliés par Sheybani Khan : il récompensa généreusement nombre d’entre eux en leur offrant des postes d’État qui traditionnellement revenaient aux religieux (qâżi, sheykh al-eslâm) et certains cheikhs naqshbandis « embellissaient la suite majestueuse de khan19 ». Pour Sheybani Khan, semble-t-il, la non-ingérence dans les affaires de l’État revenait à prendre son parti. Ainsi, son porte-parole dans Samarcande assiégée, le cheikh naqshbandi Khwaja Khavand, devint sheykh al-eslâm de la ville, à la suite d’Abu’l- Maqarim « le rebelle20 ». Les assassins de Khwaja Yahya aussi furent comblés de bienfaits : Qanbar Bey devint co-gouverneur de Qunduz et Kopek Bey, du Khorezm21.

18 De ce fait, il est difficile de croire que Sheybani Khan ait cédé à une supposée pression de ses émirs. Le khan avait une forte personnalité et une volonté inébranlable, que très peu de gens osaient contrarier. Un exemple célèbre l’illustre : Sheybani Khan punit sévèrement de proches parents qui lui avaient fait perdre, au début de 1509, la bataille contre le souverain kazak, Qasem Soltan ; il confisqua leurs possessions dans le Mavarannahr et les expédia dans des provinces éloignées22.

19 Il est évident que Sheybani Khan, même s’il pensait ne pas pouvoir s’opposer à la saisie des biens, aurait pu au moins épargner la vie de Khwaja Yahya. Mais sans doute

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« l’insistance et la pression » de ses émirs répondaient-elles aux vœux secrets du khan. Celui-ci se rendait compte en effet, tout comme ses émirs, du danger que représentait l’autorité spirituelle et politique incarnée par Khwaja Yahya, susceptible de prendre la tête d’une opposition potentielle contre les nouveaux conquérants.

20 À la lumière de ces informations, les travaux scientifiques affirmant que Sheybani Khan appartenait à la confrérie naqshbandiyya23 ne tiennent pas. La description de Sheybani Khan faite par A. Bodrogligeti semble encore moins sûre et peu objective : « [Sheybani Khan] était un pieux musulman qui possédait de profondes connaissances littéraires et menait une vie modèle24 ». Ce touchant portrait, tout comme d’autres, proposés par des chercheurs américains, n’est acceptable que pour les « connaissances littéraires » – d’autant qu’il s’agit ici d’une magnifique édition par ce chercheur d’un poème attribué à Sheybani Khan, le Bahr al-Khodâ (Londres, 1982). Cependant, à notre connaissance, aucune analyse philologique comparative sérieuse de cet ouvrage n’a encore été faite et peut-être s’agit-il d’un apocryphe. Il est en effet courant d’attribuer différents types d’ouvrages à des souverains. De toute façon, mieux vaudrait juger un personnage politique sur d’autres critères que ses oeuvres littéraires, comme le fait A. Bodrogligeti. À notre sens, il serait plus fécond de prendre en considération tout un ensemble de sources existantes consacrées à la vie et la carrière de Sheybani Khan. Car ce ne sont ni ses auto-portraits ni ses propres ouvrages qui peuvent nous donner une idée objective d’un homme politique, mais l’analyse de son action.

Mohammad Qazi et ses disciples

21 La lignée de la naqshbandiyya créée par Mowlana Mohammad Qazi (Qadi) b. Borhan al- Din, l’un des plus éminents élèves de Khwaja Ahrar, se révéla particulièrement active et vivace au XVIe et au début du XVII e siècle. Mohammad Qazi, l’un des chefs de la naqshbandiyya de Tachkent et du Ferghana, déploya un art consommé pour maintenir simultanément des contacts assez étroits avec tous les représentants des dynasties ennemies qui rivalisaient pour prendre le pouvoir au Mavarannahr et dans les régions avoisinantes.

22 Bien qu’il soit mentionné dans les ouvrages historiques et hagiographiques écrits par ses contemporains et ses disciples, dont une partie a été publiée, nous ne disposons pas d’ouvrages spécifiquement consacrés à sa vie25.

23 Dans sa biographie de Khwaja Ahrar intitulée Selselat al-’ârefin, Mohammad Qazi livre quelques informations sur lui-même26, informations compilées ensuite par l’auteur du Rashaḥât27 et, en partie, par Mirza Mohammad Heydar Doghlat 28. Ce dernier évoque avec reconnaissance Mohammad Qazi qui aida à le sauver quand, jeune homme, il fut condamné à mort sur l’ordre de Sheybani Khan29.

24 À notre connaissance, la littérature scientifique n’a pas encore utilisé l’information concernant Mohammad Qazi qui figure dans l’œuvre d’un de ses disciples et successeur principal, Khwajagi Ahmad Kasani Dahbidi, plus connu sous son surnom honorifique Makhdum-e A’zam (m. 1542). Ce dernier dicta aussi à ses biographes des indications concernant Mohammad Qazi30. Enfin, Nowruz Mohammad Akhsikati, qui écrivit la seconde et dernière partie de l’ouvrage de son père, Seyf al-Din Akhsikati, le Majmu‘a al- tavârikh, donne encore plus de détails sur Mohammad Qazi31. Malgré certaines confusions et erreurs (surtout chronologiques), cet ouvrage fournit, sur les descendants

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de Mohammad Qazi et leurs contacts avec les souverains moghols du Ferghana (descendants de Yunus Khan), des informations que l’on ne trouve nulle part ailleurs.

25 Mohammad Qazi, nous apprend-il, fut pendant douze ans le disciple de Khwaja Ahrar, mais il avait auparavant fréquenté l’un des cheikhs de la confrérie ‘eshqiyya32. Au début de ses études auprès de Khwaja Ahrar, Mohammad Qazi avait critiqué la présence de hauts dignitaires de l’État et même de souverains aux réunions de son maître, considérant que la voie soufie exclut les contacts avec les « régents de ce monde périssable ». Ayant lu dans ses pensées, Khwaja Ahrar le réprimanda en ces termes : « Cette ṭariqa [la naqshbandiyya] est grande et destinée aux grandes choses que l’on ne peut accomplir sans l’aide des souverains33 ».

26 Bien des années plus tard, en 1487-88, lorsque Khwaja Ahrar et Mohammad Qazi vinrent à Tachkent, Soltan-Mahmud Khan (r. 1487-1503 ; tué en 1509), fils et successeur de Yunus Khan (1462-1487), « exprima sa soumission » aux deux cheikhs34. Par la suite, Mowlana Qazi et Soltan-Mahmud restèrent en contact étroit et fréquent, surtout après le décès de Khwaja Ahrar (1490), quand Mowlana se fut installé à Tachkent35.

27 Pourtant, du vivant même de Khwaja Ahrar, ses fils et certains disciples manifestèrent à l’encontre de Mohammad Qazi une animosité telle qu’il dut quitter Samarcande pour Hérat où il rencontra le célèbre Mowlana ‘Abd al-Rahman Jami (m. 1492). Il resta six mois auprès de celui-ci avant de revenir chez Khwaja Ahrar36.

28 Selon les biographes de Makhdum-e A’zam, Mohammad Qazi retourna à Hérat et revit ‘Abd al-Rahman Jami vers 1491-92 ; celui-ci suggéra des mesures pour renforcer la structure de la ṭariqa, car, d’après lui, « dans cette période de troubles, quand la shari‘a et la ḥaqiqat faiblissent », la confrérie naqshbandi devait rester active et homogène « pour apporter les fruits de son activité aux gens37 ». Un autre auteur, Qasem Shahr-e Safa’i, cite aussi cet épisode dans une rédaction plus concise, mais en y ajoutant un détail curieux : Jami, avouant qu’il avait consacré toute sa vie à la poésie et aux sciences théologiques, regrettait de ne pas avoir fait assez d’efforts pour consolider la ṭariqa naqshbandi38.

29 Après la mort de Jami, Mohammad Qazi retourna au Mavarannahr. Comme en témoigne Makhdum-e A’zam, certains cheikhs naqshbandis manifestèrent de l’hostilité à son égard39, ce qui le contraignit à s’installer à Tachkent40 à la madrasa de Khwaja Ahrar Vali, où il rétablit les relations spirituelles avec le souverain de Tachkent, le Moghol Soltan-Mahmud Khan41.

30 Depuis Tachkent, Mowlana Qazi se rendait souvent dans les villes de la vallée du Ferghana (Akhsi, Shirkat, Andijan) pour instruire ses disciples locaux ; en même temps, il servait de médiateur dans le règlement de conflits ethniques et politiques42.

31 Tout comme son maître, Mohammad Qazi croyait que ses activités politiques représentaient l’un des moyens « d’apaiser l’orgueil des rois cupides ». Outre la célèbre biographie de Khwaja Ahrar, le Selselat al-’ârefin, il écrivit un petit traité Sur l’administration de l’État (au titre convenu). Cet ouvrage nous est parvenu dans la version d’un de ses admirateurs, Mirza Mohammad Heydar Doghlat, déjà cité ; les réponses de Mohammad Qazi à ses questions constituent l’essentiel de ce traité43.

32 L’ouvrage de Mohammad Qazi commence par les sermons ordinaires, qui entrent dans le cadre normatif de la shari‘a. D’abord, il énumère les sept péchés capitaux : être païen, tuer quelqu’un sans raison valable, diffamer l’honnête, etc. Ensuite, Mohammad Qazi formule les « dix conditions » pour bien gouverner un Etat : on recommande aux

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souverains de se mettre à la place de leurs sujets, de considérer la satisfaction des besoins des musulmans comme la meilleure des prières, de suivre le modèle des quatre premiers califes pour les repas et la tenue, de ne pas transgresser la shari‘a pour faire plaisir aux autres et de « chercher à satisfaire Allah sans se soucier de la colère des négligents », de veiller à la sécurité de l’Etat, de ne pas suivre les élans du cœur si le prix en est la perte de la foi, de s’entretenir le plus souvent possible avec les gens pieux et, en revanche, d’éviter les ignorants qui se donnent des airs de piété, d’être juste et bienveillant envers leurs sujets, etc.

33 Il semble que les sermons de Mohammad Qazi furent influencés par le Naṣiḥat-nâma (attribué à ‘Abdallah Ansari) ou des imitations plus tardives de ce traité44.

34 Les premières conquêtes de Sheybani Khan surprirent Mohammad Qazi à Tachkent où avaient afflué, après la prise de Turkestan par les Ouzbeks (1498), beaucoup de réfugiés. Mohammad Qazi ordonna à son disciple, Makhdum-e A’zam, de faire servir un repas quotidien à ces réfugiés ; apparemment, ceux-ci étaient nombreux, car il fallait chaque jour préparer sept cents pains (nân) et égorger sept moutons45.

35 Ayant définitivement conquis le Mavarannahr, Sheybani Khan décida d’agrandir ses territoires vers le nord aux dépens de Soltan-Mahmud. Le soutien que ce dernier avait apporté à Babour servit de prétexte. Selon Makhdum-e A’zam, Soltan-Mahmud, comprenant qu’il ne pourrait résister aux Ouzbeks, envoya en urgence une délégation chez Mohammad Qazi dans son chahârbâgh de campagne du Farkat (aujourd’hui Parkent) en lui demandant de dépêcher un de ses disciples comme médiateur pour rétablir la paix avec les Ouzbeks. Mohammad Qazi préféra se charger lui-même de cette mission et se rendit à Tachkent46. Makhdum-e A’zam ne précise pas le résultat de cette mission, mais on devine qu’elle échoua, car Soltan-Mahmud dut se résoudre à un combat (fin 1502-début 1503) qu’il perdit face à l’armée unifiée des Ouzbeks et se réfugier à Qarategin.

36 Dans un autre épisode, Makhdum-e A’zam décrit la conquête de Shash par le frère cadet de Sheybani Khan, Mahmud Soltan. Après la prise de Shash, Mahmud Soltan rencontra Mohammad Qazi et l’invita à partir avec lui à Boukhara, car il « éprouvait un penchant sincère pour la ṭariqa des Khwajagan et pour le Ḥażrat [= Mohammad Qazi] en personne47 ». Mohammad Qazi accepta et s’installa à Boukhara. Cette information est confirmée par Mirza Mohammad Heydar48. Makhdum-e A’zam figurait dans l’escorte de Mowlana Qazi à Boukhara. À la demande de son nouveau protecteur, Mohammad Qazi écrivit un petit traité (resâla) dans lequel il exposa les secrets de la Voie Khwajagan- naqshbandiyya et donna la chaîne de sa succession spirituelle (selsela) ; à la fin de celle- ci, il nota le nom « Mahmud », c’est à dire celui du Sheybanide Mahmud Soltan. Makhdum-e A’zam ajoute que ce fait « réjouit infiniment et encouragea le khan », qui le considéra comme une grâce d’Allah49.

37 Pendant la campagne de Qunduz (début 1504), Mahmud Soltan écrivit à son maître spirituel la relation des événements50. C’est alors qu’il fut tué (début printemps 1504), son corps transporté à Samarcande et enterré dans la madrasa de Sheybani Khan. Sa mort changea l’attitude de la cour de Boukhara à l’égard de Mohammad Qazi. Ses adversaires commencèrent à lui nuire en interdisant aux citadins de fréquenter ses sermons. Pourtant, il comptait aussi des sympathisants à la cour, parmi lesquels le fils et successeur du feu Mahmud Soltan, ‘Obeydallah Khan qui, tout comme ses autres partisans, l’assurait de « ses sentiments les plus sincères pour la ṭariqa des Khwajagan ». Néanmoins, Mohammad Qazi, pour ne pas provoquer ses adversaires, renonça aux

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sermons et alla même jusqu’à se défaire des « livres de la ṭariqa » qu’il possédait, à l’exception des ouvrages de Ghazzali et le Tafsir-e Qâżi, car il « redoutait que ses adversaires montent contre lui le peuple et le khan51 ». Malgré cette position inconfortable, Mohammad Qazi resta encore six ans à Boukhara. Mirza Mohammad Heydar rapporte que Mohammad Qazi contribua à lui sauver la vie, lorsque, en 1508, le père de Mirza Mohammad Heydar, Mohammad Hoseyn, fut assassiné à Hérat sur ordre de Sheybani Khan.

38 Quelque temps plus tard, l’ordre de tuer Mirza Mohammad Heydar, fils mineur de Mohammad Hoseyn, arriva de Hérat à Boukhara. La victime désignée, Mirza Heydar lui- même, écrit qu’à la demande de Mohammad Qazi, ‘Obeydallah Khan essaya de le sauver, mais en vain. Finalement, il fut sauvé grâce à l’aide des proches de son père assistés par Mowlana Mohammad Qazi52.

39 Le même auteur écrit qu’après la mort de Sheybani Khan et l’offensive des qezelbâsh sur le Mavarannahr, Mohammad Qazi quitta Boukhara pour les provinces de Kasan et Andijan, mais il passe sous silence les raisons de ce départ. À notre avis, elles procèdent du changement politique au Ferghana, région dont s’était emparé, à la faveur de la faiblesse temporaire des Sheybanides, Seyyed Mohammad Mirza, un cousin germain de Babour, qui invita ce dernier à rentrer en possession des terres qu’il avait perdues53. Babour envoya à sa place son autre cousin germain, Soltan-Sa’id54, ainsi qu’il le dit lui- même : « Quand Shah Esma’il tua Sheybani Khan devant Marv (1510) et que, moi, je partis à Qunduz, les begs de la province d’Andijan tournèrent leurs yeux vers moi. Je donnai des nukar à Soltan-Sa’id (...) et lui fis don de mon patrimoine – Andijan55 ».

40 On peut supposer que Mohammad Qazi aida les « begs de la province d’Andijan [à tourner] leurs yeux » vers Babour. Mowlana Dust mentionne le voyage effectué, juste avant le départ de Mohammad Qazi de Boukhara, par un de ses disciples, Makhdum-e A’zam, vers Akhsikat pour y nouer des relations secrètes avec les khans moghols56. Peut-être Soltan-Sa’id était-il déjà établi à Andijan lorsque Mohammad Qazi y arriva. Dans les deux cas, la raison de l’arrivée de Mowlana Qazi à Andijan est claire : il voulait quitter l’atmosphère hostile de Boukhara et s’installer dans les domaines du souverain de la maison moghole avec laquelle le Mowlana entretenait des relations solides et anciennes.

41 La période ferghanaise de la vie de Mohammad Qazi n’est pas décrite dans les sources dont nous disposons, mais nous savons que son traité à caractère édifiant (apparemment destiné à Soltan-Sa’id), que nous avons mentionné plus haut, consacré aux « conditions essentielles de l’administration de l’État57 » date de cette époque. Comme en témoigne Mirza Mohammad Heydar, en 1514 Soltan-Sa’id fut contraint de quitter Akhsi et Andijan sous la pression militaire des Ouzbeks, mais Mohammad Qazi resta à Akhsikat. Après la conquête de la ville, Soyunj Khan rendit visite au Mowlana et le persuada de venir avec lui à Tachkent où Mohammad Qazi mourut bientôt (en 921/1515-16), à un âge qui se situe entre entre 60 et 70 ans58. Abu Taher Khwaja, l’auteur de la Samariyya, écrit que Khwaja Mohammad Qazi fut enterré au mazâr de (Khwaja) ‘Obeydallah Ahrar59. Nous avons étudié l’épigraphie de ce mazâr en 1988 et 1990 sans pourtant découvrir de pierre tombale portant le nom de Mohammad Qazi. Mais peut-être sa tombe n’eut-elle jamais de pierre.

42 Les fils de Mohammad Qazi, Amir Hasan (m. entre 1512-1514) et Amir Nur al-Din, vécurent au Ferghana. D’après Nowruz Mohammad Akhsikati, tous deux entretenaient

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des relations avec les khans moghols qui, vers le début du XVIe siècle, régnaient par intermittences au Ferghana60.

43 Nous avons déjà mentionné l’un des disciples de Mowlana Mohammad Qazi, Makhdum- e A’zam (Khwaja Ahmad Kasani), dont le remarquable prestige politique et spirituel est attesté par toutes les sources de l’époque. Dans sa jeunesse, il avait étudié les sciences occultes auprès de Mir Seyyed ‘Ali qui lui avait ensuite conseillé d’aller dans le velâyat du Shash où se trouvait alors « le grand Cheikh de la ṭariqa, Mohammad Qazi, qui avait entre ses mains l’œuvre du kârkhâna Khwajagan61 ».

44 Mohammad Qazi fit bon accueil à son nouvel élève ; celui-ci commença son apprentissage par la lecture itérative du Resâla-ye validiyya de Khwaja Ahrar, suivie par un jeûne de quarante jours (chehela, arba’în) et des ziyârat (pèlerinages) sur la tombe de cheikhs réputés avec la circumambulation rituelle (ṭavvâf). Selon Makhdum-e A’zam lui-même, les disciples samarcandis de Khwaja Ahrar (Mohammad Amin, Mowlana Mohammad Kunavi, entre autres) écrivirent à Mohammad Qazi pour lui reprocher d’avoir introduit dans l’enseignement des élèves (ṭâlebân) le jeûne obligatoire de quarante jours accompagné d’isolement et de prières, coutume interdite dans la pratique de la naqshbandiyya notamment par Khwaja Ahrar en personne62. Les biographes de Mohammad Qazi transmettent sa réponse, assez longue, où il argumente et prouve le caractère extrêmement universel de la ṭariqa Khwajagan, qui « comprend [les rites] de milliers de ṭariqa, mêmes celles dont personne n’a entendu parler ou que personne n’a vues63 ».

45 L’attachement de Mohammad Qazi à Makhdum-e A’zam fut si grand qu’il l’autorisa à appeler son fils aîné de son nom, Mohammad Amin. Makhdum-e A’zam accompagna son maître pendant son voyage à Hérat. Comme nous l’avons déjà mentionné, vers 1502 Mohammad Qazi fut convoqué du Ferghana à Tachkent par le souverain moghol pour régler pacifiquement ses rapports avec les Sheybanides ; c’est alors que Makhdum-e A’zam, pour la première fois, se sépara de son maître et partit à Kasan. À peine était-il arrivé que son père décéda et, alors que Makhdum-e A’zam commémorait le troisième jour de sa mort, le Moghol Ahmad Tanbal (m. 1509) s’empara de la ville64. Makhdum-e A’zam dut quitter le Ferghana et retourner à Tachkent auprès de Mohammad Qazi (vers 1502). Ensuite, il alla à Boukhara en compagnie de son maître, invité par le Sheybanide Mahmud Soltan (voir supra). À Boukhara, les relations de Makhdum-e A’zam avec les autres disciples de Mohammad Qazi, déjà tendues, se détériorèrent encore quand Makhdum-e A’zam, avec l’accord de son maître, quitta Boukhara pour le Ferghana65. Et, comme nous l’avons déjà vu, l’hostilité de la plupart des courtisans contraignit Mohammad Qazi à quitter lui aussi Boukhara. « La période ferghanaise » dans la biographie de Mohammad Qazi aussi bien que de Makhdum-e A’zam reste vague dans les sources. Certains récits fragmentaires sur la vie de Makhdum-e A’zam nous apprennent qu’il s’installa à Kasan. Un épisode évoque un conflit assez sérieux qui opposa Makhdum-e A’zam aux seyyed locaux. Le fait que, parmi ses jeunes disciples il y eût un seyyed local, que Makhdum-e A’zam traitait de la même façon que ses autres morid, servit de prétexte à ce conflit. Les parents du jeune prosélyte issu d’une famille noble se mirent à menacer Makhdum-e A’zam. Ce conflit et le sentiment d’insécurité le poussèrent à quitter Kasan66.

46 Dans un autre épisode, on voit Makhdum-e A’zam participer à la défense d’Akhsikat, lorsque, peu après la mort de Sheybani Khan (1510), Jani-Beg Soltan essaya de reprendre le Ferghana envahi par les Moghols. L’armée de Jani-Beg Soltan assiégea

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Akhsi où se trouvait alors Makhdum-e A’zam. Il est cependant difficile de préciser concrètement quelle part il prit à la défense de la ville, car ses biographes y ajoutent des éléments fantastiques propres aux récits hagiographiques67. Il est toutefois clair que Jani-Beg Soltan ne réussit pas à prendre Akhsi et que, comme en témoignent les biographes, Makhdum-e A’zam et ses proches (yârân) jouèrent un rôle assez important68.

47 En tout cas, les rapports entre Mohammad Qazi, Makhdum-e A’zam et les souverains moghols de Kasan et Akhsikat se gâtèrent vite. Ainsi, d’après le récit de Mowlana Lotfallah Chusti (disciple de Mohammad Qazi et, ensuite, de Makhdum-e A’zam), les ḥâkem d’Akhsi et Kasan multiplièrent les manifestations d’irrespect et d’hostilité envers les cheikhs naqshbandis locaux. Tout cela fut aggravé par l’instabilité politique résultant de la lutte du Moghol Soltan-Sa’id Khan contre les Sheybanides menés par Jani-Beg Soltan pour la possession du Ferghana. Ces relations tendues avec les souverains moghols et une série de conflits avec le clergé local détournèrent les sympathies de Makhdum-e A’zam vers les princes ouzbeks. Ses biographes évoquent de façon assez vague l’épisode de la défense de Kasan contre les troupes ouzbèques. D’après eux, Makhdum-e A’zam quitta Kasan, pendant le siège, à la suite d’un conflit avec les chefs religieux de la ville (Mowlana Baba Mir, Amir Kasani, et autres) ; trois jours plus tard la ville fut prise et pillée, Baba Mir et ses partisans exécutés et la population massacrée69.

48 Makhdum-e A’zam quitta alors le Ferghana pour Tachkent où régnait, depuis la fin de 1511, un émir moghol, Ahmad Qasim Kuhbar. Ayant appris la défaite de Babour à Kul-e Malek (printemps 1512) et l’approche des troupes de Soyunj Khwaja Khan de Tachkent, Ahmad Qasim abandonna la ville. Si l’on en croit les récits cités dans la biographie de Makhdum-e A’zam et que l’on ne trouve pas dans d’autres sources, le cheikh Khwaja Taher, descendant du cheikh Khavand Tahur (m. vers 1456) et parent maternel de Khwaja Ahrar, prit la tête de la résistance après la fuite d’Ahmad Qasim. Makhdum-e A’zam essaya de persuader Khwaja Taher de rendre la ville, pensant qu’il n’y avait aucune chance de la défendre. Celui-ci répondit : « Nous avons préparé nous-mêmes les moyens de défendre la forteresse [de Tachkent] ». Makhdum-e A’zam fit remarquer à ses partisans : « Khwaja (Taher) a eu envie de posséder une forteresse. Il nous [c’est-à- dire l’ordre spirituel] a déshonorés ». Ces paroles furent rapportées à Khwaja Taher qui répondit : « Ce derviche [Makhdum-e A’zam] est à ce point ascétique que même sa gorge est desséchée ». Voyant que ses efforts restaient sans effet, Makhdum-e A’zam demanda à Khwaja Taher l’autorisation de partir. « Vous l’avez » répondit ce dernier laconiquement avant de s’en aller préparer la défense de la ville. Makhdum-e A’zam quitta Tachkent quelques jours avant sa prise par les Sheybanides ; Khwaja Taher et son proche entourage furent exécutés sur l’ordre de Soyunj Khwaja Khan70.

49 Dans cet épisode, les raisons qui ont poussé Makhdum-e A’zam à essayer de persuader Khwaja Taher de rendre la ville ne sont pas très claires. Soit il jugeait préférable de se rendre à l’ennemi en implorant sa grâce que de provoquer des sacrifices inutiles, soit il était déjà à cette époque en contact avec Soyunj Khwaja Khan et accomplissait une mission de médiateur71. Une seule chose est sûre : Makhdum-e A’zam sut estimer à sa juste portée la situation politique et militaire du moment, lorsqu’il devint clair que le Mavarannahr allait être conquis par les Sheybanides : plus tard, à la bataille de Pskent (1514) entre Soyunj Khan et les Moghols conduits par Soltan-Sa’id, les Sheybanides l’emportèrent72. Ces événements sont décrits dans la littérature hagiographique d’après

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les propres récits de Makhdum-e A’zam, qui ne cachait point ses sympathies pour Soyunj Khan auquel il avait prédit la victoire73. Nous disposons d’un récit curieux de Mirza Mohammad Heydar disant que, après sa victoire à Pskent, Soyunj Khwaja Khan rendit visite au maître de Makhdum-e A’zam, Mohammad Qazi, et lui proposa de venir s’établir près de lui à Tachkent74. Apparemment, Soyunj éprouvait de la sympathie pour certains chefs naqshbandis.

50 Après le décès de Mohammad Qazi (1516), Makhdum-e A’zam s’employa avant tout à assurer sa position de chef de la ṭariqa. La plupart des cheikhs Khwajagan- naqshbandiyya du Ferghana lui attribuèrent ce statut, car à ce moment-là, selon un biographe, « il possédait toutes les qualités d’un morshed75 ». Reconnu « mojtahed temporel », il déclarait lui-même que l’autorisation de devenir le chef de la confrérie (pishvâ’i-ye ṭariqa) lui avait été donnée par les esprits des grands de la ṭariqa76. D’ailleurs, tous les cheikhs ne reconnurent pas de prime abord son statut de pishvâ’i-ye ṭariqa, statut qui leur enjoignait une obéissance absolue (bai‘a)77. Nowruz Mohammad cite les noms de ces récalcitrants.

51 En tout cas, les prétentions de Makhdum-e A’zam reposaient sur ses ouvrages, à travers lesquels il manifesta une solide érudition, proposa et argumenta tout un ensemble d’idées intéressantes sur la théorie et la pratique de la naqshbandiyya, présenta sous un nouvel éclairage une série de problèmes concernant le fonctionnement de la ṭariqa dans le nouveau contexte politique et ethnique, etc. L’établissement d’une nouvelle dynastie au Mavarannahr devint un fait accompli. Makhdum-e A’zam soutint aussi, dans presque tous ses ouvrages, que « les fruits de l’activité de la ṭariqa » ne peuvent mûrir que si « les sultans de l’époque entourent cette ṭariqa de soins et lui manifestent leur intérêt ». Dès le début de son activité, Makhdum-e A’zam gagna « l’attention et l’estime » de certains Sheybanides si vite que même les plus vieux disciples de Khwaja Ahrar en furent surpris78. Quoi qu’il en soit, le nom de Makhdum-e A’zam est lié à une étape ultérieure de la politisation de la naqshbandiyya et à la renaissance de l’ancienne influence de cette ṭariqa au Mavarannahr.

Conclusion

52 Ainsi, il nous semble que ce sont avant tout des intérêts politiques qui ont déterminé l’attitude de Sheybani Khan envers les religieux ; il ne manifesta « une estime toute particulière » qu’à ceux d’entre eux qui ne s’opposaient pas à ses conquêtes ou, du moins, restèrent neutres. Outre les faits déjà mentionnés, l’histoire des relations de Sheybani Khan et du cheikh yasavi Jamal al-Din ‘Azizan permet de compléter cette affirmation. Avant la conquête du Mavarannahr, Sheybani Khan le considérait comme son pir, mais les choses s’envenimèrent lorsque Jamal al-Din refusa d’appuyer ses prétentions à « s’asseoir sur le trône des Timourides ». Tout de suite après la prise de Boukhara, Jamal al-Din fut exilé à Hérat sur ordre de Sheybani Khan et son fils fut arrêté et torturé (probablement pour avoir pris part à la résistance contre les Ouzbeks)79. Cependant, le second groupe des cheikhs yasavis manifesta une attitude loyale (ou indifférente) envers les conquêtes de Sheybani Khan.

53 Les cheikhs naqshbandis manifestèrent eux aussi des attitudes différentes vis-à-vis de l’occupation du Mavarannahr. Comme nous l’avons noté, les uns (surtout les naqshbandis de Boukhara) soutinrent le nouveau Khan ; les autres (par exemple Khwaja

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Yahya, dont nous avons parlé) tentèrent de résister en s’appuyant sur les Timourides ou les Tarkhans affaiblis, mais en vain.

54 Un autre groupe de disciples de Khwaja Ahrar, qui comptait dans ses rangs par exemple Hoseyn Akhsikati (m. 1529) et Mowlana Zahed Vakhshuvari (m. 1542), observèrent une stricte neutralité politique et ne s’occupèrent que d’enseignement ; en tout cas, toutes les sources qui nous sont connues sont muettes sur leur activité politique.

55 Tout cela témoigne que la naqshbandiyya n’était pas une confrérie soufie solidement structurée. Nous avons déjà souligné les signes de contradictions internes visibles parmi les cheikhs naqshbandis. Du vivant même de Khwaja Ahrar, ses deux fils, Khwaja Mohammad ‘Abdallah et Khwaja Yahya, se disputèrent la succession matérielle et spirituelle de leur père80. Fakhr al-Din ‘Ali Kashefi, qui connaissait Mohammad ‘Abdallah, notait que celui-ci était d’humeur changeante et se montrait peu courtois dans les relations avec les gens. Il vivait à Varsin, village qui lui appartenait, situé à un ou deux farsakh de Samarcande, et venait voir son père dans son domaine de Khwaja-ye Kafshir une fois tous les deux ou trois mois pour régler les conflits avec son frère cadet. Khwaja Ahrar essaya bien d’arranger les choses à sa manière en mettant sur la tête de ‘Abdallah son turban (dastâr) et en lui passant ses vêtements en présence des aṣḥâb et des disciples81. Pourtant, ces marques d’attention ne pouvaient réconcilier les frères puisque Khwaja Ahrar avait déclaré à plusieurs reprises qu’il préférait Khwaja Yahya comme successeur spirituel ; celui-ci hérita d’ailleurs aussi de la majeure partie des biens de son père82.

56 La brouille des fils de Khwaja Ahrar eut des conséquences politiques. Au cours de la « révolte des Tarkhans », Khwaja ‘Abdallah et Khwaja Yahya s’affrontèrent dans les rangs, et peut-être même à la tête, des différentes factions qui se disputaient le pouvoir83. Cette situation ne contribua pas au renforcement structurel de la naqshbandiyya et affaiblit son influence. Plus tard, l’hagiographie de la naqshbandiyya met dans la bouche de Khwaja Ahrar les paroles suivantes : « Nous avons autorisé l’introduction d’éléments séculiers (donyâviyân) [dans la ṭariqa], mais nous nous sommes laissé déborder, ce qui a semé la discorde parmi nos descendants et disciples84 ». La « discorde » au sein de la naqshbandiyya ne se borna pas à la rivalité des fils de Khwaja Ahrar. Comme nous l’avons dit, les sympathies d’une partie des cheikhs naqshbandis de Boukhara (y compris les disciples de Khwaja Ahrar) allaient à Sheybani Khan, qui de son côté essayait néanmoins, par le truchement d’un disciple de Khwaja Ahrar, de gagner Khwaja Yahya à sa cause. Il est probable que les naqshbandis de Boukhara sympathisants de Sheybani Khan restèrent indépendants des naqshbandis de Samarcande, dont le chef était Khwaja Yahya, voire s’opposèrent directement à eux. En tout cas, Sheybani Khan se servit de ce facteur, par exemple en nommant Khavand Bokhari al-Naqshbandi comme négociateur. Déjà Mohammad Qazi et, surtout, ses proches disciples (Makhdum-e A’zam, Mowlana Lotfallah Chusti) recherchaient le contact avec les Sheybanides, ce qui équivalait à reconnaître la victoire de cette dynastie.

57 Ainsi, la ṭariqa naqshbandiyya, affaiblie par les discordes internes, perdit pour un temps son ancienne influence au Mavarannahr. Tout cela sur fond de combats grandioses entre « sultans temporels » pour la domination de cette région. Les succès temporaires des prétendants, Timourides et Moghols du Ferghana d’une part, Sheybanides de l’autre, ne permettaient pas à la plupart des cheikhs naqshbandis de déterminer définitivement leurs orientations politiques. Pourtant, la naqshbandiyya continua de

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privilégier des rapports étroits avec les souverains. Quelle meilleure illustration que la devise proposée par Khwaja Ahrar et soutenue par la plupart de ses disciples et successeurs : la ṭariqa naqshbandiyya « est destinée à accomplir de grandes choses qu’on ne peut pas réaliser sans l’appui des padchahs » ? C’est bien cette devise qui semble avoir déterminé toute l’activité politique de la naqshbandiyya.

NOTES

1. Voir A.A. Semenov, « Shejbani han i zavoevanie im imperii Timuridov », Materialy po istorii Tadžikov i Uzbekov Srednej Azii. Trudy Instituta Istorii, arheologii i etnografii AN Tadž. SSR, Stalinabad, 1954, vol. XII, p. 50-53 et suiv. ; U. Haarmann, « Staat und Religion in Transoxianien im frühen 16. Jahrhundert », ZDMG 124/2 (1975), p. 332-369 ; R.G. Mukminova, « Vyhodcy iz Turkestana (Jasi) i ih rol’ v politicheskih sobytijah v Maverannahre na rubeže XV-XVII vv. », Bartol’dovskije chtenija, (année 10), Moscou, 1993, p. 36-38 ; A.J.E. Bodrogligeti, Yasavi ideology and Muhammad Shaybâni Khan’s vision of an Islamic Empire, Essays presented to Anne-Marie Schimmel, Harvard University, 1994, p. 41-57 ; B. Babadžanov, « Yasavija i Nakshbandija v Maverannahre : iz istorii vzaimootnoshenij (ser. XV-XVI vv.) », dans : Uchenie Yasavi, Turkestan, 1996, p. 75-96 et suiv. 2. E.A. Davidovich, « Denežnaja reforma Shejbani hana », Materialy po istorii Tadžikov i Uzbekov v Srednej Azii. Trudy Instituta Istorii, arheologii i etnografii AN Tadž. SSR, Stalinabad, 1954, vol. XII, p. 85-109. 3. Pour les détails, voir R.G. Mukminova, K istorii agrarnyh otnoshenij v Uzbekistane XVI v. Po materialam Vakf-name, Tachkent, 1966, p. 13-14 ; O.D. Chehovich, Samarkandskie dokumenty XV-XVI vv. (O vladenijah Hodži Ahrara v Srednej Azii i Afganistane), Moscou, 1974, p. 36. 4. Fazlallah ibn Ruzbihan Isfahani, Mihman-nama-ji Buhara (Zapiski buharskogo gostja), trad. R.P. Džalilova, Moscou, 1976, p. 78-79, 140, 175, et texte fol. 47b-48a, 54a, 126a-b. 5. Un bon exemple en est la discussion tenue dans la madrasa de Sheybani Khan à Samarcande au sujet des formes des pierres tombales avec les inscriptions, des monuments funéraires et de leur caractère licite du point de vue de la Sunna, etc. (Mihmannama, p. 176, texte 126 a-b). 6. Hasan Khwâja Nesâri b. Pâdshâh Khwâja, Moẕakker-e aḥbâb, manuscrit IO Tachkent, n° 4282, fol. 9 a-b – 10 a-b. 7. Kamâl al-Din Binâ’i (Bannâ’i), Sheybâni-nâma, ms IO Tachkent, n° 844, fol. 6a-b (copie partiellement transcrite par Sheybani Khan) ; Fotuḥât-e khâni (anonyme), ms IO Tachkent, n° 14/1, fol. 49 a-b, 51 b. 8. Mollâ Mohammad Shâdi, Fatḥ-nâma-ye khâni, ms IO Tachkent, n° 5369, p. 351. 9. Semenov, « Shejbani han », p. 51-53 ; B.A. Kazakov, « Synov’ja Hodža Ahrara i poslednie Timuridy », dans Duhovenstvo i politicheskaja žizn ‘ na Bližnem i Srednem Vostoke v period feodalizma, Moscou, 1985, p. 87. 10. Kazakov, « Synov’ja Hodža Ahrara », p. 87. 11. Semenov ne cite pas le nom de l’ambassadeur (« Shejbani han », p. 51) ; c’est Moḥammad Yâr Qataghân qui le mentionne, ainsi que son appartenance à la ṭariqa naqshbandiyya (Mosakhkher al- belâd, ms IO Tachkent, n° 1505, fol. 103 a). 12. Ẓahîr ad-Dîn Muḥammad Bâbur, Bâbur-nâma (Vaqâyi’), éd. Eiji Mano, Kyoto, 1995, p. 116. 13. Semenov, « Shejbani han », p. 52.

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14. Ibid., p. 52-53 ; Binâ’i, Sheybâni-nâma, fol. 34 a-b ; Fakhr al-Din ‘Ali b. al-Hoseyn al-Vâ’ez al- Kâshefi (Ṣafi), Rashaḥât ‘ayn al-ḥayât, lithographie, Tachkent, 1911, p. 326-327. 15. Mosakhkher al-belâd, fol.79a. 16. Muhammad Salih, Shajbani-nama, éd. A. Kajumov et al., Tachkent, 1989, p. 52-53. 17. Binâ’i, Sheybâni-nâma, fol.34 a. 18. Rashaḥât, p. 360. Cet épisode est visiblement une interpolation tardive dans le texte du Rashaḥât. Pour éclaircir cette question il faudrait comparer les copies de cet ouvrage transcrites dans le Mavarannahr avec celles faites en Inde ou, plutôt, en Iran. Malgré l’existence de nombreuses éditions, l’analyse philologique du Rashaḥât n’a pas été faite à ce jour. 19. Mihman-nama, p. 139-140 ; Binâ’i, Sheybâni-nâma, fol.33a-b ; Mosakhkher al-belâd, fol. 6a. 20. Mosakhkher al-belâd, fol. 6a. 21. Binâ’i, Sheybâni-nâma, fol. 36b ; ‘Abdallâh b. Moḥammad b. ‘Ali (Naṣrallâhi), Zobdat al-âsâr, ms IO Tachkent, n° 5368, fol. 476b. 22. Ibid., fol. 478 a-b ; Mahmud b. Vali, Bahr al-asrâr, ms IO Tachkent, n° 1375, fol. 167 a-b ; V.V. Bartol’d, « Otchjot o komandirovke v Turkestanskij kraj letom 1916 goda », dans Sochinenija, Moscou, 1973, vol. VIII, p. 119-120. 23. Voir l’introduction de l’édition en fac-similé du Mihman-nama, p. 16. 24. Bodrogligeti, Yasavi ideology, p. 42. 25. 25. A.T. Tagirdžanov, l’introduction (Vvedenije) à l’édition en fac-similé du Madžmua’ al- tavarih, dans Trudy Vostochnogo fakul’teta Leningradskogo Gosudarstvennogo Universiteta, Leningrad, 1960 (2e éd.), p. 6-7 ; Chehovich, Samarkandskie dokumenty, p. 15-16. 26. Mowlânâ Mohammad b. Borhân al-Din (Mohammad Qâżi), Selselat al-’ârefin va taẕkirat al- ṣiddiqin, ms IO Tachkent, n° 4452, fol. 37 a-b, 90a. 27. Rashaḥât, p. 345-347. 28. Son ouvrage, le Târikh-e Rashidi, est également largement connu parmi les spécialistes grâce aux trois éditions successives de sa traduction anglaise (A history of the Moghuls of Central Asia being the Târîkh-i Rashîdî of Mîrzâ Muḥammad Ḥaidar Dughlât, éd. N. Elias, trad. D. Ross, Londres, 1895 [réimpressions 1898, 1972]). Récemment, une nouvelle traduction plus précise du Târikh-e Rashidi a été publiée en russe par A. Urunbaev, R.P. Džalilova et L.M. Epifanova, Tachkent, 1996. 29. Târikh-e Rashidi, ms. IO Tachkent, n° 1430, fols. 132a-b – 135a-b ; trad. p. 276-283 (les références se rapportent toutes à la traduction russe). 30. Qâsem b. Moḥammad Shahr-e Ṣafâ’i, Anis al-ṭâlebin, ms IO Tachkent, n° 3969, fols. 42 b – 43 a- b ; Dust Mohammad b. Nowruz Aḥmad b. Khush Moḥammad al-Keshi, Selselat al-ṣâdeqin va anis al-’âsheqin, ms IO Tachkent, n° 622, fol. 63 a-b ; 73 a et suiv. (une copie incomplète de cet ouvrage se trouve à l’Université d’Istanbul, n° G 691). 31. Mollâ Seyf al-Din b. Damla Shâh ‘Abbâs et Nowruz Moḥammad b. Seyf al-Din, Majma’ al- tavârikh, ms Institut Vostokovedenija Rossijskoj Akademii Nauk, Saint-Pétersbourg, n° 372. Il est intéressant que l’auteur de la seconde partie de l’ouvrage, Nowruz Mohammad, ajoute après le nom d’un des petits-fils de Makhdum-e A’zam la formule traditionnelle : Qaddasa Allâh sirrahû (fol. 191b), ce qui laisse supposer que l’ouvrage n’a pas été terminé avant le début du XVIIe siècle. 32. L’auteur du Rashaḥât parle de ces contacts assez vaguement (p. 346) ; Nowruz Mohammad fournit une information plus concrète en affirmant que « Soluk ‘eshqiyya (Mohammad Qazi) étudiait lorsqu’il vivait encore à Akhsikat » (Majmu‘a al-tavârikh, fol. 142a). Pour plus de détails sur les cheikhs ‘eshqiyya du Mavarannahr, voir B. Babadžanov, « Epigraficheskie pamjatniki musul’manskih mazarov kak istochnik po istorii sufizma », Iz istorii sufizma : istochniki i social’naja praktika, Tachkent, 1991, p. 89-98. 33. Khwâjagi Aḥmad Kasani, ms IO Tachkent, n° 501/VIII, fol. 121b. 34. Selselat al-’ârefin, fol. 90 a-b. 35. Târikh-e Rashidi, fol. 137 a-b, 138b ; trad. p. 286-288. 36. Ibid., fol. 136b-137a ; trad. p. 285-286.

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37. Dust Mohammad Keshi, Selselat al-ṣâdeqin, fol. 73a. 38. Anis al-ṭâlebin, fol. 43a-b. 39. Naṣiḥat al-sâleqin, fol. 118a. 40. Dust Mohammad Keshi, Selselat al-ṣâdeqin, fol.63a-b ; Abu’l-Baqâ b. Baqâ al-Din, Jâmi al- maqâmat, ms IO Tachkent, n° 72, fol. 26a – 27a, 32b. 41. Târikh-e Rashidi, fol.138b ; trad., p 287-288 ; Majmu‘a al-tavârikh, fol. 149b. 42. Ibid., fol. 149b-155a-b et suiv. 43. Ibid., fol. 218a – 222a-b ; trad. p. 427-432. 44. E. Bertel’s, « Poslanie Abdallaha Ansari Veziru », dans E. Bertel’s, Sufizm i sufijskaja literatura. Izbrannye trudy, Moscou, 1965, p. 302-305. 45. Naṣiḥat al-sâleqin, fol.122a. 46. Dust Mohammad Keshi, Selselat al-ṣâdeqin, fol.79b. 47. Khwâjagi Ahmad Kasani, Tanbih al-salâṭin, ms IO Tachkent, n° 501/X, fol. 141b. 48. Târikh-e Rashidi, fols.l38b – 139a ; trad. p. 287-8. 49. Khwâjagi Aḥmad Kasani, Selselat al-ṣiddiqin, ms IO Tachkent, n° 501/XVII, fol. 196b. 50. Tanbih al-salâṭin, fol. 141b. 51. Ibid., fol. 141b – 142a ; la dernière phrase est ajoutée d’après la copie IO Tachkent n° 1443, fol. 172a. 52. Târikh-e Rashidi, fol. 133b-135b ; trad. p. 279-283 et 289. 53. A.A. Semenov, « Pervye Shajbanidy i bor’ba za Maverannahr », Materialy po istorii Tadžikov i Uzbekov Srednej Azii. Trudy Instituta Istorii, arheologii i etnografii AN Tadž. SSR, Stalinabad, 1954, vol. I, p. 118. 54. Soltan-Sa’id (m. 1533) était le petit-fils du khan moghol Yunus Khan et le fils d’Ahmad (Alacha) Khan. Plus tard, Soltan-Sa’id devint souverain de Kashghar (1514-1533). 55. Bâbur-nâma, p. 313. 56. Dust Mohammad Keshi, Selselat al-ṣâdeqin, fol. 139 a-b. 57. Târikh-e Rashidi, fol. 219 a-b, 223 a-b ; trad. p. 427-436. 58. Ibid., fol. 217 b ; trad. p. 425. 59. Abu Ṭâher Khwâja, Samariyya, trad. S. Ajni et B.A. Ahmedov, Tachkent, 1991, p. 49. 60. Majmu‘a al-tavârikh, fol. 142b, 154 a-b et suiv. 61. Dust Mohammad Keshi, Selselat al-sâdeqin, fol. 67b – 68a ; Jami’ al-maqâmat, fol. 32a-b. 62. Dust Mohammad Keshi, Selselat al-ṣâdeqin, fol. 68b – 69b ; Jami’ al-maqâmat, fol. 33b-34a-b. 63. Ibid. 64. Dust Mohammad Keshi, Selselat al-ṣâdeqin, fol. 80a-b. 65. Jami’ al-maqâmat, fol. 139a. 66. Anis al-ṭâlebin, fol. 95a. 67. Ibid, fol. 106b-107b. 68. La raison la plus vraisemblable de la fuite de Jani-Beg Soltan de Ferghana tient à l’attaque du Mavarannahr par les forces réunies de Babour et des Iraniens (Safavides), à la fin de 1511. 69. Dust Mohammad Keshi, Selselat al-ṣâdeqin, fol. 75a-76b ; Jami’ al-maqâmat, fol. 39a-40b. 70. D’après le récit de Mirza Mohammad Heydar, il est clair qu’Ahmad Qasem envahit Tachkent sur l’ordre de Babour. Ce dernier, en apprenant que les khans ouzbeks s’étaient mis en route de Turkestan sur Tachkent (printemps 1512), envoya du secours à Ahmad Qasem (Târikh-e Rashidi, trad., p. 347-348). 71. Dust Mohammad Keshi, Selselat al-ṣâdeqin, fol. 76a-b. 72. Semenov, « Pervye Shajbanidy », p. 140-141. 73. Dust Mohammad Keshi, Selselat al-ṣâdeqin, fol. 40b – 41a. 74. Târikh-e Rashidi, fol. 217b ; trad. p. 424-426. 75. Mowlânâ Moḥammad al-Mofti al-Tâshkandi al-Ahangarani, Manâqeb-e Mowlânâ Loṭfallâh, vas IO Tachkent, n° 5785, fol. 81a.

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76. Ibid., fol. 69b – 71a et suiv. 77. Ibid., fol. 71 a-b et suiv. ; Anis al-ṭâlebin, fol. 65b – 66a, 67a-b. 78. Dust Mohammad Keshi, Selselat al-ṣâdeqin, fol. 87b. 79. Pour la relation détaillée de ces événements, voir Babadžanov, « Yasavija i Naqshbandija v Maverannahre », p. 86-87. 80. Pisma-avtografy Ahdarrahmana Džami iz « Al’boma Navoji », éd. A. Urunbaev, Tachkent, 1982, p. 23, n. 74 ; Rashaḥât, p. 318. 81. Rashaḥât, p. 318. 82. Kazakov, « Synov’ja Hodža Ahrara », p. 83-84, pour la description détaillée des deux frères. 83. Ibid. 84. Jâmi’ al-maqâmat, fol. 8b.

AUTEURS

BAHTIJAR BABADŽANOV Institut d’Orientalisme, Académie des Sciences, Tachkent, Ouzbékistan (IFÉAC, chercheur associé)

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Yasa and Shari‘a in Early 16th century-Central Asia1

Ken’ichi Isogai

I.

1 In 1500, the Uzbeks headed by Sheybani Khan captured Samarqand from the Timurid Soltan-‘Ali Mirza and brought Mavarannahr into the domain of the newly established Sheybanid dynasty. Though some scholars have already dedicated their studies to the rise of the nomadic Uzbeks and the career of Sheybani Khan2, it is still not known how Sheybani Khan controlled the territories that came under his domination as a result of his conquests. For example, although it is well known that a Turko-Mongol tradition, that is, the yasa of Chingiz Khan, remained in use among the Sheybanid dynastic family3 despite them having accepted Islam a long time ago, it is still not known how the yasa and the shari‘a coexisted.

2 In this paper I would like to draw attention to the jurisprudential discussion described in the Mehmân-nâma-ye Bokhârâ by Ibn Ruzbehan (Ebn-e Ruzbehân) and show that Sheybani Khan remained within the framework of the shari‘a as far as the rule of Islamic societies under his discretion was concerned4.

3 The discussion was first held in Herat presumably after the Sheybanid capture of Khorasan in May 1507 and again in Bukhara at the end of 1508 or at the beginning of 15095. At that time the domain of the Sheybanids consisted mainly of Mavarannahr and Khorasan. This is reflected in the fact that the ulama (‘olamâ) who participated in the discussion are divided by Ibn Ruzbehan into those of Khorasan and those of Mavarannahr6.

II.

4 The discussion deals with the rule of inheritance in Islamic law. To simplify the complicated character of Ibn Ruzbehan’s description we will explain its contents with

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the following figure (Fig. 1). It must be noted that three people, A, B, and C, are men, since the gender of a heir serves as the decisive factor to determine the share of his, or her, inheritance.

Fig. 1

5 Ibn Ruzbehan says that if C has died before A, D does not inherit C’s share when A dies. This means that a son hinders grandson inheriting from the latter’s grandfather7. His statement expresses the prohibition of representation, a well known rule of Islamic law8. In Herat, Sheybani Khan explicitly stated his opinion against this rule before the ulama. He asserted that only the one located on the way from grandson to grandfather could hinder the former inheriting from the latter, i.e. only a living father (C) hinders his son (D) inheriting from the latter’s grandfather (A). If C is alive at the death of A, C hinders D inheriting from A. Otherwise, B does not hinder D inheriting from A9.

6 According to Islamic law, a heir hinders every one who is related to the deceased through him from inheritance10. Thus, if C is alive at the death of A, he hinders D. On the other hand, as mentioned before, Islamic law prohibits representation. Thus, even if C has died before A, D is not able to inherit from A, for B hinders him.

7 Sheybani Khan also acknowledges that a father hinders his son inheriting from the latter’s grandfather. Therefore, the point is whether representation is permitted or not.

8 Furthermore, Sheybani Khan pointed out that though, according to the ejmâ’ (arab. ijmâ’), i.e. decision taken by the assembly of the specially qualified ulama (mojtahed), a son hindered a grandson from inheritance unconditionally, it was not known on what grounds the ejmâ’ in question was based11. He said: “We should bring out of the Koran or of the Sunna of the Prophet the very word which proves that a grandson does not inherit with a son. Otherwise, a mere ejmâ’ of the ulama without any ground is not worth listening to. Indeed, according to the yasa of Chingiz Khan the grand-son whose father has died before the grandfather inherits equally with the son”12.

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9 It is worth mentioning that the claim of Sheybani Khan was based upon the yasa of Chingiz Khan13. It may be assumed that the crucial point of this discussion was the contradiction between the yasa and the shari‘a.

10 It was Ibn Ruzbehan himself who tried to cope with the claim put forward by the khan. He quoted the following verse from the Koran: “Allah decrees about your children (awlâd). To a son belongs the share of two daughters”14. His argumentation can be summarized as follows: with these words God explains the rule of inheritance and He settles things on behalf of the children. The real meaning of the word awlâd is “children”. On the other hand, grandsons and granddaughters can be included in the notion of awlâd, but only in figurative meaning. One should adopt the real meaning, since there is no context here leading to the acceptance of figurative meaning. The addressees of God’s decree are, thus, limited to children. Therefore, a grandson does not inherit with a son15.

11 It seems, however, that Ibn Ruzbehan did not succeed in persuading Sheybani Khan to accept his argumentation. In Bukhara, the khan ordered the ulama to discuss this subject again and demanded that they produce a proof from the Koran or from the Sunna for the aforementioned rule of inheritance in Islamic law. But none of the ulama present could accomplish this task. Ibn Ruzbehan writes as follows: “Finally, [Sheybani Khan] wanted to bring the rule established by the ejmâ’ to a standstill, because it lacked the proof from the Koran or from the Sunna, and hoped that there would be a practice in accordance with the rule of Chingiz Khan. As it was, however, in contradiction with the ejmâ’ of the ulama, he remained wavering and hesitating”16.

12 At this point, a man from Bukhara named Amir Ahu, actively attempted to reinforce the khan’s opinion on this problem. We will deal with his very complicated argumentation in a schematic manner, as shown in the figure 2. It is worth noting that in his argumentation the property inherited by the descendants is of a somewhat specific character, that is, the clientage (walâ’) between a manumitter and a freed slave17.

Fig. 2

(Numbers indicate the chronological order of death)

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13 His argumentation is based on the following conditions placed in chronological order: 1. A sets E free 2. A dies leaving two sons, B and C 3. C dies leaving a son, D 4. E dies

14 Amir Ahu asserts that Shoreyh Qazi18 came to the conclusion that the son (B) and the grandson (D) should inherit the clientage equally, though, according to the ejmâ’ of the ulama, only the son (B) inherits the clientage left by the freed man (E), hindering the grandson (D) from the inheritance in this case19. Further, he explains the theoretical grounds of Shoreyh Qazi’s statement. According to the latter, there are two people who leave inheritance, that is A and E, a fact which makes this case different from the usual inheritance cases. After A had died, C and his brother B inherited the clientage that existed between A and E. When C died, D inherited it in his turn from C. Thus, B and D proved both to be owners of the clientage. Finally, Amir Ahu insists that a son and a grandson have to be dealt with equally in inheritance20.

15 On the other hand, Ibn Ruzbehan categorically refutes this argumentation. He asserts that the one who leaves the clientage as an inheritance is only the freed man (E), and that A cannot be regarded as the one leaving an inheritance. Thus, since C had already died at the moment of E’s death, only B inherits the clientage hindering D from inheritance. Furthermore, Ibn Ruzbehan states that if one assumes the argumentation of Shoreyh Qazi to be valid, it rather reinforces the teaching that a son and a grandson do not inherit equally, than the teaching that both of them inherit equally21.

16 He does not explain what these words mean in fact. So we must try to find out their meaning ourselves. As mentioned before, the essential point of this discussion lies in whether representation is permitted or not. According to the argumentation of Shoreyh Qazi, and thus, also, of Amir Ahu, D inherits the clientage not directly from A, but through C. That is, D obtained the clientage by way of inheritance from father to son. Indeed, his argumentation only aims at proving that D may have the clientage left by A at the same time as B, through twice repeated inheritances from father to son: at first from A to C and, then, from C to D. Thus, his argumentation has nothing to do with and cannot justify the representation for which the direct inheritance from grandfather to grandson is an indispensable premise. Perhaps, that is what Ibn Ruzbehan alluded to.

17 Nevertheless, Ibn Ruzbehan did not express his opinion publicly in front of the khan. Sheybani Khan himself was pleased with the fact that his opinion coincided with that of Shoreyh Qazi. He therefore ordered one of his sons, Mohammad Timur, to send a royal decree all over Mavarannahr ordering the qazis to act in accordance with the teaching of Shoreyh Qazi, that is to treat a son and a grandson equally in inheritance22. The discussion was not a mere intellectual diversion. On the contrary, it had a real legal, or political, effect.

18 The ulama, including Ibn Ruzbehan, appealed to Mohammad Timur and asked him to persuade the khan to let them discuss the question again. He told the khan of their indecision on the issue, and the khan ordered them to debate it again23.

19 In the course of this newly arranged discussion, Qazi-ye Samarqand stated that the teaching of Shoreyh Qazi could not reinforce the khan’s opinion and that Amir Ahu did

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not understand the subject of this discussion at all. Then the khan again asked for a proof from the Koran or from the Sunna which had given grounds to the aforementioned rule in Islamic law. Having tried to accomplish this task earnestly, Ibn Ruzbehan found, at last, in the Ṣaḥiḥ of Bokhari, a quotation prohibiting categorically the representation by a grandchild, and presented it to the khan24.

20 Sheybani Khan ordered him to translate it from into Persian. It is obvious from this fact that the khan did not know Arabic very well, if at all. Ibn Ruzbehan first asked Sharaf al-Din ‘Abd al-Rahim Sadr, then the ulama of Khorasan and finally the ulama of Mavarannahr headed by Qazi-ye Samarqand, about the effectiveness of the word as a proof for the prohibition of representation. They unanimously acknowledged its effectiveness and the khan abandoned his intention of putting a rule of the yasa into effect. The discussion ended with the victory of ulama, with the exception of Amir Ahu25.

III.

21 We will examine now three ulama participating in the discussion, and especially, their relationship with the khan, in order to find out whether it could have influenced their stand in the argument.

1. Sharaf al-Din ‘Abd al-Rahim Sadr

22 Some historical sources call him ‘Abd al-Rahim Turkestani (Torkestâni). He was from Sabran, a city in the Turkestan region. Having studied in Samarqand and Herat, he came back to Turkestan. Here he came into the court service of Sheybani Khan, when the latter conquered the region, and the khan appointed him to the office of ṣadr. Khwandamir states that the khan favoured him and ‘Abd al-Rahim took part in all kinds of political and financial matters26.

23 There are a few studies devoted to the office of ṣadr during the Timurid period, which can serve as a criterion for us to study this office during the Sheybanid period.

24 In the Timurid period, the ṣadr was a dignitary who supervised the “shari‘a officials” and occupied the supreme position in the management of vaqf, taking care of the protection and enhancement of religious and charity institutions27. In fact, the Sheybanid ṣadr almost entirely inherited the functions of the Timurid ṣadr. Among these functions, the management of the “shari‘a officials” is of great importance in regard to the relationship between the ruler and the ṣadr.

25 In both Timurid and Sheybanid periods, the “shari‘a officials” under the ṣadr’s control, consisted of (seyyed) and ulama28. The ṣadr defined their rank at the court, appointed and dismissed them to and from a variety of offices, and determined their salary29. Moreover, the ṣadr seems to have carried out the additional function of providing a link between the ulama and the ruler, since, perhaps, it was the ṣadr who defined the rank of an individual ulama at the royal court. Ibn Ruzbehan states that the ṣadr “is a mediator” between the ruler and the ulama30.

26 Judging by his personal career and the office he had, ‘Abd al-Rahim must have been close to the khan. Nevertheless, it was he who first acknowledged the effectiveness of the evidence presented by Ibn Ruzbehan. If we consider that this evidence was to

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nullify the khan’s opinion, it can be assumed that his relationship with the khan did not influence his decision.

2. Qazi-ye Samarqand

27 He was a descendant of Abu’l-Lays Samarqandi, a famous jurist of the Hanafite school of the 10th century. At the time of the discussion, Qazi-ye Samarqand occupied simultaneously the offices of qâżi and sheykh al-eslâm of Samarqand31. According to Ibn Ruzbehan, the sheykh al-eslâm of the Sheybanid period was appointed by the ruler, and was responsible for the matters of the shari‘a32. In other words, he occupied the supreme position among the Islamic jurists of Samarqand at that time. Moreover, Ibn Ruzbehan states that in contrast to the ṣadr, the sheykh al-eslâm is exempt from the duty of constant court service33. There is a curious information on the status of the sheykh al- eslâm in a 16th century Central Asian anthology, Mozakker-e aḥbâb, which implies that at that time the sheykh al-eslâm occupied or, at least, was considered to occupy, a higher position than the ṣadr34.

28 As it is known from its specific character, especially the exemption from a constant court service, the relationship between the ruler and the sheykh al-eslâm appears to have been much more delicate than in the case of the ṣadr. There was, however, probably a political background behind the appointment of Qazi-ye Samarqand to the office of sheykh al-eslâm.

29 It is well known that during the Timurid period the office of sheykh al-eslâm in Samarqand was occupied by descendants of Borhan al-Din Abu Hasan ‘Ali (d. 1197), the author of the famous jurisprudential work of the Hanafite school, Hidâya. When Sheybani Khan captured Samarqand in 1500, he ordered to seize the property of those who were taking part in political matters. At the same time, he also removed the office of sheykh al-eslâm of Samarqand from the line of Borhan al-Din, entrusting it to that of the descendants of Abu’l-Lays who were, according to Khwandamir, keeping away from political matters35. At the present state of our research we have no material which enables us to identify Khwaja Khavand, appointed by Sheybani Khan to the office at the very moment of his capture of the city, with Qazi-ye Samarqand (lit. the qâżi of Samarqand). But the fact that Qazi-ye Samarqand, a descendant of Abu’l-Lays, occupied the office in Samarqand, is certainly the result of the politics of the khan36.

30 Therefore it can be said that Qazi-ye Samarqand also had close ties with the khan. Nevertheless, he categorically refuted the argumentation of Amir Ahu even though it also meant the refutation of the opinion of the khan.

3. Amir Ahu

31 His original name, Seyyed Khavand Bokhari (Khâvand Bokhâri), can be found in a late 16th century Central Asian chronicle, Sharaf-nâma-ye Shâhi (also called ‘Abdallâh- nâma)37. In 1500, Sheybani Khan sent a messenger named Seyyed Jalal al-Din Khavand Bokhari to Khwaja Yahya, the leading figure of the Naqshbandi order at that time, and to Soltan-’Ali Mirza to Samarqand, which was under siege from his armies, in order to persuade them to surrender the city38. This Seyyed Jalal al-Din Khavand Bokhari can be identified with Amir Ahu. Thus, in all likelihood, he also had ties with the khan.

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32 As it has been previously mentioned, he actively tried to support the khan’s opinion, while ‘Abd al-Rahim Sadr and Qazi-ye Samarqand refuted it in spite of their high offices and close ties with the khan. Ibn Ruzbehan severely criticizes him by saying that he aimed to “destroy the foundation of Islamic law” for the reward he could expect39. It is, however, worth noting that Amir Ahu relied upon the teaching of Shoreyh Qazi, the semi-legendary authoritative figure in Islamic jurisprudence, in order to justify the khan’s opinion. He apparently attempted to legitimize it within the framework of the shari‘a.

33 Judging by these facts, it seems that close relationship with the ruler did not influence the opinion of individual ulama in the discussion. We will now turn to Ibn Ruzbehan’s indirect claim that whereas he and the reminding ulama tried to defend “the foundation of Islamic law”, Amir Ahu attempted to destroy it (even though he stayed within the framework of the shari‘a in his attempt to justify the khan’s opinion). We must examine whether the author’s claim can be accepted as true, keeping in mind that we rely only upon what he tells us.

IV.

34 According to Ibn Ruzbehan, Sheybani Khan reached his opinion through “ejtehâd” (arab. ijtihâd)40. The fact that at the beginning of the discussion the khan says: “(...) from analogy by reason (qiyâs-e ‘aql) it follows that...”41, implicitly shows his consciousness of performing ejtehâd, for the term ejtehâd means the adoption of analogy (qiyâs) to the Koran or to the Sunna42. It is, however, very doubtful that he was qualified for performing ejtehâd. As we have seen before, he even does not seem to have had sufficient knowledge of Arabic, the complete acquisition of which is an indispensable condition for ejtehâd.

35 In his later work, Soluk al-moluk, Ibn Ruzbehan explicitly refutes the ruler’s right to perform ejtehâd43. If we consider that the Soluk was compiled in 1514, five years after the composition of the Mehmân and four years after the death of Sheybani Khan near Marv, there is a possibility that the conclusion found in the Soluk had been prompted by the ejtehâd in question performed by the khan. If so, it can be said that Ibn Ruzbehan did not qualify the khan for performing ejtehâd. And if not so, there must have been consensus among the ulama at that time that rulers did not have the right to perform ejtehâd. In any case, from the viewpoint of Ibn Ruzbehan the ejtehâd performed by the khan himself was not valid.

36 Thus, according to Ibn Ruzbehan, there were two fundamental problems incompatible with the shari‘a in the opinion expressed by the khan: a) it originated from the “yasa of Chingiz Khan”, b) the ejtehâd performed by the khan which led him to state his opinion was not valid.

37 Nevertheless, he passed these facts over in silence and tried to refute the khan’s opinion only on the authority of the Sunna. That is, not only Amir Ahu, but also Ibn Ruzbehan remained within the framework of the shari‘a by compromising to a certain extent. The difference lies only in that the former aimed at supporting and the latter at refuting the khan’s opinion.

38 Finally, we will turn our attention to the standpoint of Sheybani Khan. He aimed at applying a rule of the yasa to the Islamic societies under his control. It is, however,

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worth noting that he consciously and thoroughly tried to accomplish this in harmony with the shari‘a. He attempted to make a rule of Islamic law conform to the principle of the yasa, re-interpreting the former through the ejtehâd. The fact that he repeatedly asked the reluctant ulama to find the very word in the Koran or in the Sunna which could nullify his opinion shows his intention of resolving the problem within the framework of the shari‘a. The existence of such an intention can obviously be seen from the fact that he abandoned his aim, accepting the proof presented by Ibn Ruzbehan.

39 One could assume such an intention as only a pose taken by a politician of Turko- Mongol origin. But it seems more likely to suppose that the principles of the yasa were felt by Sheybani Khan as being perfectly compatible with the shari‘a, for such a phenomenon can be attested in the case of the past Mongol rulers who had accepted Islam in the khanates both of the Qipchaq and of the Il-Khans44. If a ruler intends to put in practice such a coexistence, which he himself accepts as totally harmonious, it demands a certain amount of compromise on the side of the ulama who are being put in the face of a major contradiction. There was, however, an inviolable principle observed by all the participants in the discussion. It was the legitimacy given by the shari‘a. Even for Sheybani Khan, a ruler of Turko-Mongol origin, the shari‘a was an absolute authority, at least in respect to the rule of Islamic societies under his supremacy. From the very beginning, the Sheybanid dynasty established in Mavarannahr was a political entity that guaranteed the authority of the shari‘a45.

NOTES

1. This article was originally published in Japanese as K. Isogai, “Shaibāni hān to uramā tachi”, Tōyōshi Kenkyū, 52-3 (1993). The present paper is a shortened, partly revised, version. 2. See, for example, A.A.Semenov, “Sheibani-han i zavoevanie im imperii Timuridov”, and, by the same, “Pervye Sheibanidy i bor’ba za Maverannahr”, Trudy AN Tadiikskoj SSR, XII-1 (1954). On the political and economic history of Central Asia after the establishment of the Sheybanid dynasty, see R. McChesney, Waqf in Central Asia: Four Hundred Years in the History of a Muslim Shrine, 1480-1889, Princeton, 1991. On the cultural policies of the early Sheybanids, see M.E. Subtelny, “Art and Politics in Early 16th Century Central Asia”, Central Asiatic Journal 27-1/2 (1983). Among Japanese scholars, T. Horikawa and K. Kubo have published some articles on the history of the early Sheybanids. 3. See McChesney, Waqf, p. 54, and Subtelny, “Art and Politics”. 4. In the present paper I will refer to the pages of the Mehmân-nâma-ye Bokhârâ published in Tehran on the basis of only one manuscript kept in the Nuri Osmaniya library, N° 3431 (Fażlallâh b. Ruzbehân Khonji, Mehmân-nâma-ye Bokhârâ, ed. Manuchehr Sotuda, Tehran, 1341 Sh/1962, Reprint 1976) [hereafter: Mehmân}. I also consulted the autograph copy published in facsimile in Moscow and kept in the Institute of Oriental Studies of the Uzbek Academy of Sciences, No. 1414 (Fażlallâh ibn Ruzbihân Iṣfahâni, Mihmân-nâma-yi Buhârâ (zapiski buharskogo gostja), ed. R.P. Džalilova (Russian translation and commentary), Moscow, 1976 [hereafter: Mehmân auto.]. I added the pagination of the facsimile text only when I corrected the former text by it. On the relationship between the two manuscripts on which these publications are based, see Džalilova

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(ed.), Mehmân auto., p. 39-45. There are two European translations of the Mehmân-nâma-ye Bokhârâ, the aforementioned work by Džalilova, and the one by U. Ott, Transoxanien und Turkestan zu Beginn des 16.Jahrhunderts, Das Mihmân-nâma-yi Buhârâ des Faḍlallâh b. Ruzbihân Ḫunği, Übersetzung und Kommentar, Freiburg, 1974. Each of them, however, is a partial translation. Moreover, the Russian translation includes an essential error concerning the jurisprudential argument discussed in the present paper, while the German translation omits the entire chapter devoted to it. In my original Japanese article, I attempted to give the full Japanese translation of the discussion in question, together with a commentary. 5. There is no material available which would permit us to date the discussion held at Herat, while we can safely assume that the Bukhara discussion took place in the month of Ramażân 914 (24 December 1508-22 January 1509), because the chapters preceding and following the discussion deal with events that happened in Bukhara during that month (Mehmân, p. 1-31). 6. As far as Mehmân is concerned, the “ulama of Khorasan” and the “ulama of Mavarannahr” can be identified with Shafi‘ites and Hanafites respectively. See K. Isogai, “Ibun Rūzubihān to Kazaku ensei”, Seinan-Azia Kenkyū 43 (1995), p. 3-4. 7. Mehmân, p. 22; Mehmân auto., fol. 11a. 8. J. Schacht, An Introduction to Islamic Law, Oxford, 1964, p. 170. 9. Mehmân, p. 22. 10. Schacht, Introduction, p. 172-173. 11. Mehmân, p. 22. 12. Mehmân, p. 22. 13. With regard to the “yâsâ of Chingiz Khan”, the following two articles have shaped the contemporary trend of its study: D. Ayalon, “The Great Yâsa of Chingiz Khân. A Re-examination. Preface. – (A) The Basic Data in the Islamic Sources on the Yâsa and on Its Contents”, Studia Islamica 33 (1971); D.O. Morgan, “The ‘Great Yâsâ of Chingiz Khân’ and Mongol Law in the Ilkhanate”, BSOAS 49/1 (1986). We will not deal here with the problem introduced by Morgan concerning the very existence of the “yâsâ”. Unfortunately, I could not find the “yâsâ” quoted by Sheybani Khan among the sources known and available to me. Thus, we can only say that it was one that Sheybani Khan regarded or, perhaps, had people regard as a “yâsâ”. But, the fact that he quoted it as a “yâsâ” implies its Turko-Mongol origin. On the other hand, there certainly remains a possibility that this particular yâsâ is not recorded in any of the sources known to scholars today. 14. The Koran, IV (“Women”), 11 (translated by the author). 15. Mehmân, p. 23-24. 16. Mehmân, p. 24. 17. On walâ’, see EI2, art. “Mawlâ”; Schacht, Introduction, p. 170-173. 18. Shoreyh Qâżi, a famous semi-legendary Muslim judge (qâżi), is said to have been a qâżi of Kufa in the Omayyad period (Schacht, Introduction, p. 24) 19. Mehmân, p. 24; Mehmân auto., f. 12b-13a. 20. Mehmân, p. 24-25. 21. Mehmân, p. 25. 22. Mehmân, p. 25-26. 23. Mehmân, p. 26. 24. Mehmân, p. 26-27. The Ṣaḥiḥ of Bokhâri (d. 870) enjoyed the highest esteem among Sunnite compilations of the hadith. In 1482, Ibn Ruzbehan studied this work in Medina under the direction of al-Sakhâwî (d. 1497), a famous scholar of the Mamlukid period (Džalilova, p. 19; Ott, Transoxanien und Turkestan, p. 16-17; U. Haarmann, “Staat und Religion in Transoxanien im friihen 16. Jahrhundert”, ZDMG 124-2 (1974), p. 344). The hadith quoted by Ibn Ruzbehan can be found in the Ṣaḥiḥ in the chapter on inheritance. 25. Mehmân, p. 27-28.

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26. Khwândamir, Ḥabib al-siyar, ed. Mohammad Dabir Siyâqi, Tehran, 1333 Sh/1954, vol. IV, p. 381 [hereafter: Habib]. 27. On the office of ṣadr in the Timurid period, see H.R. Roemer, Staatsschreiben der Timuridenzeit, Wiesbaden, 1952, p. 143-146; G. Herrmann, “Zur Entstehung des Ṣadr-Amtes”, in: U. Haarmann and P. Bachmann (eds), Die Islamische Welt zwischen Mittelalter und Neuzeit, Beirut, 1979. 28. Certainly, the word “sayyid” means only the descendant of the Prophet. So it is not precise to call them “officials”. We include them among the “shari‘a officials” only for the sake of convenience. 29. On the function of ṣadr in the Sheybanid period as the managing figure of “shari‘a officials”, see Zejn al-Din Mahmud Vasifi [Zeyn al-Din Maḥmud Vâṣefi], Badâye’ al-vaqâye’, ed. A.N. Boldyrev, 2 vol., Moscow, 1961, p. 367-368. 30. Faḍlallâh b. Ruzbihân al-Iṣfahânî, Sulûk al-Mulûk [Soluk al-moluk], ed. Muḥammad Niẓâm al-Dîn and Muḥammad Ghawth, Hyderabad, 1966 [hereafter: Soluk], p. 62-63. The work was finished in 1514 and devoted to ‘Obeydallah Soltan, later Grand Khan (r. 1533-40) with the purpose of teaching him how to rule in accordance with the shari‘a. 31. Mehmân, p. 5. 32. Soluk, p. 62. 33. Soluk, p. 62-63. 34. Hasan Ne sâri, Moẕakker-e aḥbâb, Ms British Library Or. 11151, fol. 118b; Hasan Nesâri, Mozakker-e aḥbâb, Ms Staatsbibliothek Berlin, Orient. Minutoli 40, fol. 153b. 35. Habib, p. 279. 36. On this occasion, Sheybani Khan entrusted the office of qâżi to Khwaja ‘Abd al-Latif, also a descendant of Abu’l-Lays (Ḥabib, p. 279). Certainly, it is possible to suppose that he is the very Qazi-ye Samarqand and that by the time of the discussion in question he was also appointed to the office of sheykh al-eslâm, in addition to that of qâżi. If so, his appellation “Qazi-ye Samarqand” might have come from the first office which had been entrusted to him. 37. Hafiz-i Tanish ibn Mir Muhammad Buhari [Ḥâfeẓ-e Tânesh b. Mir Moḥammad Bokhâri], Sharaf-nama-yi Shahi (Kniga shahskoj slavy), ed. M.A. Salahetdinova (introduction, Russian translation and facsimile of manuscript D88), vol. I, Moscow, 1983, fol. 35a. 38. Habib, p. 277-278. 39. Mehmân, p. 25-26. 40. Mehmân, p. 25-26. 41. Mehmân, p. 22. 42. EI2, art. “Idjtihâd”. 43. Soluk, p. 74. 44. D. Ayalon, “The Great Yâsa of Chingiz Khân. A Re-examination. Preface. — (B) The Attitude of the Mongols, and particularly of the Mongol Royal Family, to the Yâsa”, Studia Islamica 34 (1971), p. 177. 45. M.E. Subtelny seems to suppose that by the reign of ‘Obeydallah (1533-40) the Sheybanid dynasty had changed its nomadic character to an Irano-Islamic one (Subtelny, “Art and Politics”, p. 147-148). It is hard for me to understand why one should adopt the notion of a state of Irano- Islamic type against that of a Turko-Mongol type without firm evidence. It would apparently be better to adopt a notion such as the state of Turko-Mongol-“Islamic” type, at least, as far as the Sheybanid dynasty is concerned, though validity of such a dualistic, and somewhat dogmatic, notion remains doubtful.

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AUTHOR

KEN’ICHI ISOGAI Dept. of South-West Asian History, University of Kyoto, Japan

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State Building under the Mughals: Religion, Culture and Politics

Muzaffar Alam

1 This paper is concerned with the issues that had a bearing on the relationship between religion and Mughal politics. It forms part of a larger work on the process of state formation under the Mughals. Earlier in a similar paper I suggested that the Mughal state rather than being a structure perfected at a given point of time, could be seen as a process, which incorporated and adjusted to the traditions and customs of the peoples as well as to the regions that were integrated into the empire over the years. The Mughal system, which looked so compact at first instance in the imperial Persian chronicles, was not uniform throughout the empire; its systemised ẓabṭ (measurement of land and revenue demand in cash) system extended little beyond the core provinces and there were obvious regional variations within the all embracing pax Mughalica1. It is from this perspective that I will attempt here to examine the norms and the principles which governed, or at least were intended to govern, the coordination of the interests of the Mughal rulers and their Hindu subjects, including the land holders, the merchants and the other magnates. I have thus considered in some detail the question of shari‘a and the complexities of its relevance in medieval Indian politics.

2 Before the Mughals, the “Muslim” sultans in India attempted in their own limited ways to resolve the problems related to the compatibility of the shari‘a with their political actions. But the ambivalence continued and even the regional sultans during the fifteenth century had to turn to the shari‘a to legitimate their political acts. For a politically amenable interpretation of the shari‘a in 1579 even Akbar, the Great Mughal, sought the approval of the ulama (maḥżar). Toward the last phase of Akbar’s reign, however, and in the seventeenth and the eighteenth centuries under the Mughal regime, the centrality of the shari‘a in the political discourse waned. Is this change in stance related to the fact that the Muslim state builders in India had become wiser by then? Or can we discern any radical change in the position of the political theorists of the period? It appears that the “law of Chingiz Khan”, tura-ye Chengizi, contributed to this shift when it emerged as the reference point for discussions on governance under the Mughals. But more importantly we need to explain whether this seventeenth

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century trend also indicated the emergence of a new understanding of Islam and shari‘a. Further, we have to examine if the Sufi tradition or the Persian literary culture which emphasised accommodation and compromise were now becoming increasingly central to state building. While evaluating the context of this shift, the paper also indicates how a Timurid Central Asian tradition, encapsuled not in tura-ye Chengizi but in some politico-ethical writings compiled in fifteenth century Herat, influenced and inspired this developement.

I.

3 By the time the was established, the power in the countryside was mostly in the hands of the large and small “Hindu” family and kin groups. The groups had emerged as a consolidated great caste, spread over a very large part of northern India, incorporating the various erstwhile ruling elements and the newly brahmanized tribal/pastoral chiefs. They enjoyed claims over the surplus produced by the peasants and were masters of their respective territories. The Mughals referred to them as zamindâr, a generic term the first reference to which comes from the fourteenth century. Caste-cohesion and caste affinity among them had encouraged conditions in which members of a sub-caste lived close to each other in a cluster of villages, known in Mughal India as pargana. Caste, zamindâri and pargana boundary often coexisted2. That these “Hindu” countryside lords were an important constituent of the Mughal state was not an ordinary achievement, but was not unprecedented.

4 The policy of their absorption into the Muslim state power was not begun by the Mughals. Since Toghloq time (14th century) Hindus began to figure in state service. Sekandar (Eskandar) Lodi, generally remembered for his bigotry, encouraged the Hindus to learn Persian to take up high positions in the state; and the Sur sultan Sher Khan’s rise to power depended considerably on his ability to integrate the into his army3. By the time of the early Mughals (Babur and Homayun) Hindu presence in the Muslim state was so pronounced that it began to threaten some sections of the Muslim notables (shorafâ’)4. Further, much of the strength of the regional sultanates seems to have depended on the sultans’ ability to coordinate their relations with the territorial Hindu magnates.

5 Under the Mughals this coordination was evidently reinforced. But what is of greater significance for our purpose is the fact that besides the enormous increase in the scale of this coordination, many of the local Hindu elites began to identify themselves, to a certain degree, not simply with the Mughal state system but also with the Mughal Persian culture. Among them emerged some of the principal exponents of the Mughal Persian learning.

6 From the middle of the seventeenth century, the departments of accountancy (seyâq), draftsmanship (enshâ’) and the offices of revenue minister (divan) were mostly filled by the Kayastha and Khatri scribes (monshi, moharrir). Harkaran Das Kambuh of is the first known Hindu monshi whose writings were taken as models by later monshis5. Chandra Bhan Brahman was another important monshi, rated second only to Abu’l-Fazl. Chandra Bhan also wrote poetry of high merit6. And then followed a large number of Kayastha and Khatri writers, including the well-known Mahdo Ram, Sojan Rai, Malekzada, Anand Ram Mokhleṣ and Bendraban Khwoshgu, who made splendid contributions to and literature and whose writings formed part of the

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syllabi of Persian studies at the madrasa. Certain fields in Persian learning hitherto unexplored or neglected found skilled investigators, chiefly among the Hindus. On the philological sciences Hindus produced excellent works in the eighteenth century. The Mer’ât al-eṣṭelâḥ by Anand Ram, the Bahâr-e ‘ajam by Tek Chand Bahar and the Moṣṭalaḥat al-sho‘arâ by Seyalkoti Mal Vârasta are among the most exhaustive lexicons compiled in Mughal India. Persian grammars and commentaries on idioms also were compiled by the Hindus; phrases and poetical proverbs used by them show their keen interest in Persian learning, admirable research and enviable accomplishments in the language7. Persian classics found an increasingly appreciative audience even among the village based Hindu revenue officials and the other hereditary functionaries and intermediaries8.

7 Persian could, up to a certain point, even be considered as their first language. They appropriated and used the Perso-Islamic expressions like Bismillâh (with the name of Allah), lab be-gur (at the door of the grave) and be-jahannâm rasid (damned in jahannam – hell) as their Iranian and non-Iranian Muslim counterparts did. They increasingly appreciated the Persian renderings of their texts, religious scriptures and traditions, which were translated in full into Persian by individual Hindu authors to avoid them being forgotten.

8 The Khatris of Panjab, in particular the traders among them, often saw the Mughals as their allies. The vast overland trade of the Panjab and the unprecedented share in it of the Khatris owed a good deal to the general climate of peace and stability the Mughals had ensured in the late sixteenth century. In the early eighteenth century, when rural uprisings in the Panjab shook the Mughal state, the Khatri traders lent significant support to the Mughals.

9 The aid assumes special importance in view of the fact that, like the rebel peasants, very many of these Khatris were also Sikhs9. The Khatris, we saw above had been associated with Mughal administration. They now started making attempts to acquire high positions in the various key departments, in an apparent bid to reinforce the Mughal state which had helped create conditions for their trade to flourish. I could locate twenty-six Khatris in Mughal state service at different levels. Four of them held very high ranks, one as high as 700 ẕat. Two others are referred to as “nobles” (amirs), which obviously meant high ranking. The remaining twenty are all mentioned as notables (a’yân) with some of them close to high Mughal nobles both at court and in the provinces, others being local officials in the Panjab and Delhi ṣubas and still others holding financial and fiscal offices in the capital. In addition, there were large numbers of Khatris who worked as petty functionaries and minor officials (pishkârs, motaṣaddis) in revenue and finance departments or in the establishments (sarkârs) of the big nobles10.

10 Indeed, the nature and scale of political participation of non-Muslim groups in Mughal India was unprecedented in the entire history of Islam. One can find an immediate explanation of this in the initiatives of one or the other king but more than the individual policies, it is the religious and cultural traditions as they matured and grew in medieval times which generated the atmosphere and encouraged the institutional structure to buttress and legitimated such co-ordination.

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II.

11 The Muslim rulers in pre-Mughal India were conscious of the conflict between religion and demands of governance. It is generally held that theoretically there was no scope within the framework of Islam for differentiating between religious matters and worldly affairs. Yet, in the religious law there was little to meet the challenges of the society in thirteenth and fourteenth-century India. The door of ejtehâd had long been closed to allow any scope for significant innovation and interpretation. The society was also multi-religious. A situation thus developed in which the supremacy of the religious law was acknowledged, but temporal matters were decided on the basis of expediency. This resulted in the concept of de facto toleration — notwithstanding occasional steps to the contrary. But it also meant maintaining a theory of the Islamic state and the position of the ulama who provided a semblance of legality to every action of the ruler.

12 The pre-Mughal sultans thus inherited a political theory which suffered from some obvious limitations. The theorists remained obsessed with the injunctions of shari‘a, using the term in its narrow juridical sense. Take, for example, the well known Fatâvà- ye jahândâri, of the noted fourteenth century historian and political analyst, Zeya al-Din Barani, throughout which an unmistakable uneasiness prevails. Barani is uncomfortable over the intrusion into the Muslim world of the non-Islamic Sassanid state system qualified as a sin. Thus the ruler who practices the ancient Iranian pattern of governance of pâdshâhi, legitimated up to a point earlier, is a sinner. True religion, according to Barani, consists only in following the footsteps of the Prophet Mohammad. However, Barani concedes that the ruler who desires to govern effectively has to follow the policies of the ancient Iranian kings. But since “between the traditions of the Prophet and his mode of life and living, and the customs of the Iranian emperors, and their mode of life and living, there is a complete contradiction and total opposition”11, appropriation of the latter by a Muslim ruler is an offence to the law. The sultan must keep performing religious duties in an exaggerated manner in order to atone the offence and as a mean for his own salvation.

13 This attitude of Barani created more problems than it solved. It defined more rigidly the schism between the political and the religious and by plugging the ambiguities reduced the scope for political manoeuvrability. Barani thus sketched a rather impracticable framework for governance. The ruler who did not follow the path of Prophet Mohammad {sonna) did not deserve to be called a Muslim12. Barani is aware of the implication for his own times of what he is formulating since he suggests specific measures for Hindustan. The Muslim king he pleads should not be contented with merely levying the jeziya and kharâj from the Hindus. He should establish the supremacy of Islam by overthrowing infidelity and by slaughtering its leaders (emâms) who in India are the Brahmans13. In Barani’s world there could thus be only two diametrically opposed life patterns, one in conformity with the shari‘a as theologians and jurists took the term and another against it. Even the normal, universal, human qualities are slotted by him in binary terms Islamic and anti-Islamic, or shar’i and gheyr- e shar‘i14.

14 The pre-Mughal discussion of principles of governance revolves around shari‘a, kofr, jehâd and jeziya, where all that is good originates from Islam. On grounds of necessity, however, some theorists, including Barani did advise integration, to a certain degree, of the non-Muslims in Muslim state service. The logic of necessity extends also to Barani’s

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argument about the żavâbeṭ or the secular state regulation framed by the ruler. He makes it very clear that żavâbeṭ can only be justified on the grounds of political necessity which emanates out of the inability of Muslim rulers in the prevailing circumstances to fully implement shari‘a. The żavâbeṭ were designed to reinforce shari‘a, to recuperate and complement it, not to work separately or contrary to it15.

15 How much did the practice under the Delhi sultans conform to or deviate from such ideas is an altogether different question. We know that these ideas could barely influence the policies of the powerful early Turkish rulers. Shams al-Din Iltotmesh (r. 1210-1236) pleaded that the Muslims, in terms of strength, were still like salt in a dish and were thus unable to wage an all out war either to force the infidels to accept Islam or to exterminate them all in case of their refusal. Ghiyas al-Din Balban who dominated the Delhi politics as a powerful faction leader and then as sultan between 1246 and 1287 kept theologians and theorists like Barani at a distance by dismissing them as mere seekers of narrow mundane gains (‘olamâ-ye donya). ‘Ala al-Din Khalji (r. 1296-1316) did have a discussion with his qâżi, but in practice followed the rule which in his calculation best served the interest of his power and people. Mohammad b. Toghloq (r. 1324-1351), far from degrading them, accorded high positions to Hindus, while his successor, Firuz Toghloq (r. 1351-1388) showed interest in Hindu traditions and monuments, his orthodox religious leanings apart16. Sekandar Lodi (r. 1489-1517) although sometimes remembered as a bigot, encouraged Hindus to learn Persian for fuller participation in state management.

III.

16 Sunni Muslim political theorists allowed and also in varying degrees integrated the un- Islamic Sassanid institution of kingship into the political body of Islam. But in religious matters they tolerated little deviance from the orthodox traditions. They used the term shari‘a in its conventional juristic sense. We know however that there were simultaneous movements of dissent in religion also in the world of Islam, and since the proponents of these movements considered the existing dominant power structures a tyranny they developed alternative norms and principles17. Their theories were more prominently based on the Hellenic tradition. In the beginning these trends found favour with the extreme groups of the deviationists, they nevertheless soon became part of the general Muslim theory of state. For an evolution of this process, Khwaja Nasir al-Din Tusi’s Akhlâq-e Nâṣeri deserves special notice18. Throughout the book, especially in the section on state and politics, much of the ideas of the erstwhile dissenters are integrated into the general fabric of Sunni political Islam. And yet the shari‘a continued to be the reference point.

17 We know that Tusi published the Akhlâq-e Nâṣeri in Persian19, first in 1235 at the instance of the Esma’ili prince Nasir al-Din ‘Abd al-Rahim b. Abi Mansur, the vâli of Qohestan during the reign of ‘Ala’ al-Din Mohammad (1221-1225) of Alamut, who had commissioned the author to translate from the Arabic Ibn Meskawayh’s Tahẕib al-akhlâq or Ketâb al-ṭahârat. But the book was more than a mere translation. Besides the first discourse, which was a summary arranged anew of Ibn Meskawayh’s Tahẕib, Tusi added two new discourses on household and family management (tadbir-e manzel) and politics (seyâsat-e modon) as parts of practical wisdom (ḥekmat-e ‘amali), based on the writings of the celebrated philosophers, Farabi and Ibn Sina. The result was a skillful blending of

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the Greek philosophical and scientific tradition with the author’s “Islamic” view of man and society. The synthesis represented “a subtle transcending of both”20. The king, for Tusi, was the sustainer of the existing things and the one who completes that which is incomplete. Since men (ensân) by their nature (ons-e ṭab’i) were social beings and needed other men, it was necessary that arrangements should be made for the right working of their relationship. An individual, who had attained perfection through equipoise (e’tedâl) and a perception of union with the Supreme Being, was thus selected for kingship. The ideal king was the philosopher king, with the noble aim to help his subjects “reach potential wisdom by the use of their mental powers”. Tusi followed Farabi’s classification of civil society (tamaddon) into the ideal city or state (al-madinat al-fâżelat) and the bad and unrighteous city21. Like Farabi Tusi considered that it was possible for the ideal city to be composed of men of different sects and social groups22. The leader of the ideal city should ideally be the king under whose supervision each person would keep his appropriate place and engage himself in achieving perfection23.

18 Tusi’s book is normative in character. It is difficult to relate the text to the actual circumstances. Still, one is tempted to point to the fact that the book was composed at a time when the kings’ religious views differed from those of a large number of their subjects. In 1235 Tusi dedicated the book to an Esma’ili prince of a region which in Nezam al-Molk’s Seyâsat-nâma had been noted as an especially disturbed and misguided one24. Later when the edifice of was shaken by the Mongols, Tusi wrote a new preface without changing its contents and dedicated it to the non-Muslim Mongol ruler. It was in such a situation that Tusi envisaged an ideal ruler to ensure uniformity, harmony and co-ordination of the conflicting interests of the diverse groups in the state. The crisis the Muslim world faced in the wake of the Mongol disaster created conditions for the acceptability of Tusi’s idea. This is not to suggest that in the state which Tusi, or for that matter the later authors who followed him, envisaged religion or shari‘a occupied no important place. At least once, Tusi indicates that the divine institute (nâmus-e Elâhi) which occupied the premier position among the three essential things for the maintenance of a civic society is expressed in shari‘a25.

19 But the connotations of the shari‘a were not the same as the ones when the term was used by a jurist. The ideal ruler in this literature was the one who ensured the well- being of the people of diverse religious groups and not of Muslims alone. The influence of Tusi’s Akhlâq is unmistakable on Mughal political ideology. Tusi’s tradition also shaped the Muslim religious culture of Mughal India.

IV.

20 We have little evidence to show the exact time and place of the first entry of Tusi’s Akhlâq into the subcontinent26. The book was, however, widely read in Mughal India, where it apparently came as a legacy of the Timurids of Herat and, after their extirpation at the hands of the Sheybanids, of Babur. Soltan-Hoseyn Bayqara (r. 1470-1506), the last great Timurid in Herat, even though a Sunni, seems to have disapproved of his government being run exclusively on narrow Sunni Islamic norms27. It matched his policies that at least two versions of Tusi’s work were prepared at his behest28. Of these two, the Dastur al-vezârat by Qazi Ekhtiyar al-Din al-Hoseyni in particular helps us to figure out some of the reasons for Tusi’s special status in the Mughal Persian reading list.

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21 Ekhtiyar al-Din Hasan b. Ghiyas al-Hoseyni, the chief qâżi of Herat and a vazir in the time of the Timurid Soltan-Hoseyn Bayqara, came from an eminent ulama family of Torbat-e Jam who held high positions in Timurid Central Asia. He compiled the Dastur al-vezârat, apparently in the time of Soltan-Abu Sa’id Mirza (r. 1459-1469), for the young prince Hoseyn Mirza, better known as Soltan-Hoseyn Bayqara, who was then the chief support of the salṭanat and acted virtually like the vazir. Later, after the collapse of Timurid power in Herat, Ekhtiyar al-Hoseyni, lucky to escape the fate (“imprisonment and execution”) of many of his contemporaries, chose a life of retirement in his hometown Torbat. Then a day came when he heard that “the lamp of the illustrious Timurid house” was again ablaze in Kabul held up by Zahir al-Din Mohammad Babur. Subsequently he arrived at the court of Babur, accompanied by several “princes and great men of Herat”. Babur impressed him with his unusual accomplishments, support for learning and active interest in learned discourses. Ekhtiyar himself had long discussions with Babur on diverse sciences and on the laws and norms (qavânin-o-âdâb) of government. The result, as he claims in the preface of the book, was a treatise the title of which was suggested by Babur, possibly after his favourite son Homayun, as Akhlâq-e Homâyuni29.

22 In the Akhlâq-e Homâyuni the author claims he has described and summed up in an “elegant” and “eloquent” Persian “the subtle, abstruse, complex and convoluted” discourses on the themes which he had read in numerous books including, and in particular, the ones by Ibn Meskawayh and Nasir al-Din Tusi. The book is divided into three parts, the first one on ethics or correction of disposition (tahzib-e akhlâq va farhang), the second on the regulation on properties (tadbir-e amvâl). Part three, especially significant for our purpose, discusses the principles of rulership (taqvim-e re’âyâ va mamlekat-dâri). It has one section on king’s servants with discourses on the nobles and the army in two separate chapters; section two of this part concerns the king’s subjects, with a discussion on the accomplished ones (khavâṣṣ) in chapter one and on ordinary re’âyâ in chapter two. The book is very likely a version of the Dastur al- vezârat the author had earlier compiled for Prince Hoseyn Mirza. At any rate, Hoseyni is very conscious of the value of his work, he takes it to be a guide for Babur as well as later for his illustrious descendants (owlâd-e amjad)30.

23 Babur’s “illustrious descendants”, however, did not relish much Ekhtiyar al-Hoseyni’s simplified recension of the works of Ibn Meskawayh and Tusi. Introduced as they were now through the Akhlâq-e Homâyuni, they preferred to read and understand by themselves the fuller, even if “convoluted”, original texts. Tusi’s Akhlâq was among the favorite readings of Mughal political elites. It was among the five most important books which Abu’l-Fazl wanted the Emperor Akbar to listen to regularly. The Emperor himself issued instruction to his officials to read Tusi and in particular31. Further, in the discourses on justice, e’tedâl, harmony, seyâsat, reason and religion, and in general on norms or governance in the Â’in-e Akbari, Mow’eza-ye Jahângiri and in a large number of Mughal edicts imprints of akhlâq literature are unmistakable.

24 The Mughals thus partially inherited the Nasirean norms of governance from a branch of Central Asian Timurids. These norms not only contested the ones we noticed above, they also facilitated a stable and enduring Mughal rule in the specific multi-religio- cultural conditions of India. By appropriating the Nasirean norms as a base of their politics the Mughals also emphatically demonstrated their dissociation from the ambience of yet another Central Asian political code which, encouraged by the Uzbeks,

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their erstwhile avowed enemies in the region, was developed in the early sixteenth century by Fazlallah b. Ruzbehan Esfahani in his Soluk al-moluk.

25 The Soluk-al moluk was intended to be a guide for the sultan in matters relating to the high offices of the Islamic state such as the qâżi, moḥtaseb, sheykh al-eslâm and others, to the payment of ṣadaqat, zakât, ‘oshr, khoms, kharâj, jeziya, to the observance of the rites of Islam, to the questions of punishment and chastisement etc — all stricly according to within the limits of the Shafi‘i and schools of jurisprudence32. The book is in effect on Islamic jurisprudence, its ambit in political terms narrow, in fact, narrower than the one in the works of Nezam al-Molk, Ghazzali or Barani. The author, Ibn Ruzbehan, is obsessed with his own Hanafi/Shafi‘i brand of Sunni Islam; he views Shi‘ites as apostates and regards an all out war (jehâd) against the Safavid Shi‘ites of Iran as obligatory. The Safavid ruler and his Qezelbash followers, according to him, had deviated from the path of Islam (refż), were outright heretics (elḥâd), having raised the fetna of apostacy (ertedâd) in the same way as some of the tribes in the time of the first Pious Caliph Abu Bakr. Cut off from Islam, they turned the mosques of Transoxiana into places of heresy and centres of propagation of obscene and shameful abuse and hatred against the holy companions of the Prophet33.

26 With such an approach to Islam the Mughals could not have adjusted. On the contrary, the Mughal ruler Jahangir (r. 1605-1626) was proud of the fact that in his domain followers of diverse religions lived in peace — at least this was the ideal he sought to achieve. What was particularly abhorring for the Mughals in Ibn Ruzbehan’s text was the way Babur, their ancestor and the founder of their power in India, was portrayed. In spreading heresy to the north of the Amu-Darya Babur’s role, according to Ibn Ruzbehan, was no less detestable since he accepted the help of the Qezelbash in recovering Samarqand and Bokhara from the Uzbeks. And, but for the Uzbek ruler ‘Obeydallah Khan’s gallant jehâd the rites of the true Faith would have been totally routed out from the region34.

27 A politico-religious code like the one laid down in Ibn Ruzbehan’s Soluk failed to find favour even with the Mughal elites, while, on the other hand, Tusi’s Akhlâq along with some other Persian texts of this mould had become part of the Mughal madrasa syllabi by the time of Shah Jahan (r. 1626-1656). Chandra Bhan Brahman, the noted monshi and poet of Shah Jahan’s court, whom we mentioned above, advised his son Khwaja Tej Bhan to make it a habit to study regularly Tusi’s Akhlâq-e Nâṣeri, Jalal al-Din Davvani’s Akhlâq-e Jalâli and Khwaja Mosleh al-Din Sa’di’s Golestân and Bustân. It was by imbibing the code of life enshrined in these texts that the learned in Mughal culture were expected to earn their capital (dast-e mâya-ye khwod) and be blessed with the fortunes of knowledge and good moral conduct (sa’âdat-e ‘elm bâ ‘amal)35. We will see below, even though very briefly, how Nasirean code influenced the Mughal political culture, but before we do this, we will assess the contents of this code.

28 The main part of akhlâq texts generally begins with a discussion on human disposition and the necessity of its disciplining and sublimation. The discussion is interspersed with the Koranic verses and the traditions of the Prophet, with a bearing on universal human values. Thus the reference points are unequivocally the man (bashar, ensân, bani âdam), his living (amr-e ma’âsh) and the world (‘âlam, âfâq). The perfection of man, according to the authors of these texts, is to be acquired through admiration and adulation of Divinity, but is impossible to be achieved without a peaceful social

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organisation where everyone can earn his living by co-operation and helping each other.

29 The goal in the akhlâq literature’s discourse on political organisation is co-operation (sherkat-o-mo’âvanat) to be achieved through justice (‘adl) administered in accordance with a law (dastur), protected and promoted by the king whose principal instrument of control should be affection and favours (râ’fat-o-emtenân), not command and obedience (amr-o-emteṣâl). The shari‘a is crucial but it here connotes, as one could speculate from its elaboration (shari‘a of anbiyâ’ va rosol) not strictly the Islamic law. The reader is reminded of the Koranic verse that there is a single God who has sent prophets to different communities, with shari‘as to suit their times and climes36. Justice (‘adl) emerges as the corner stone of the social organisation.

30 The akhlâq literature recommends the evaluation and treatment of man on the strength and level of his natural goodness or malady (kheyr-o-sharr-e ṭab’i). The rights of the re‘ayâ do not follow their religions. The Muslim and the Infidels (kâfer) both enjoy the divine compassion (raḥmat-e Ḥaqq). The questions of kâfer, kofr, zemmi and discrimination thereby have no place in akhlâq treatises. The true representative and the shadow of God on earth here is the king who can guarantee the undisturbed management of the affairs of his (God’s) “slaves”, so that each can achieve perfection (kamâl) according to his competence and class. This pattern of governance is seyâsat-e fâżela (the ideal politics) which establishes on firm foundation the leadership (emâmat) of the king. There is also seyâsat-e nâqeṣa (the flawed and blemished politics), against which the ruler is warned to guard himself, for faulty and perfunctory politics lead eventually to the ruin of the country and the people37.

31 Discussions on and around the meanings of justice figure prominently in akhlâq texts, but the tenor of these discussions was altogether different from what we noticed in Barani’s Fatâvà. In these texts justice is defined as social harmony, co-ordinated balance of the conflicting claims of the diverse interest groups, which may belong to more than one religion.

V.

32 Apart from the Nasirean ethics a number of other traditions influenced the politico- religious climate in Mughal India. There were for example, the powerful influence of and Persian poetic culture. While the bâ shar‘a orders of the Muslim Sufis emphasised that true mystical experience was not possible outside the framework of the religious law, the shari‘a itself was supposed not to occupy a very crucial place in the path of spiritual progress. In the sixteenth century, the followers of vaḥdat al-vojud were very influential.

33 The ideology of vaḥdat al-vojud promoted a belief in the essential unity of all phenomena, howsoever diverse and irreconcilably conflicting they appear at first instance. In northern India, Mohammad Ashraf Semnani, the ancestor of the famous saintly family of Kichhauchha (in the modern district of Faizabad) was for example an eloquent defender of the doctrine. Beside writing a number of treatises to explain it, Semnani popularized the use of the expression (hama u-st) (all is He) thus emphasizing the belief that anything other than God did not exist. Rudauli (in the modern district of Barabanki) was another major Sufi centre where the doctrine received unusual nourishment. The khânqâh of Sheykh Ahmad ‘Abd al-Haqq (d. 1434) has been called the

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“clearing house” of the Hindu Yogis and Sanyasis. Sheykh ‘Abd al-Qoddus (1456-1537) was amongst the eminent Sufis associated with this khânqâh. His Roshd-nâma contains his own verses and those of other Rudauli saints. It includes Sufi beliefs based on vaḥdat al-vojud, with the philosophy and practices of Gorakhnath inspired by the “syncretistic” religious milieu of Rudauli. Some of these verses with slight variations are included in the Nath poetry as well as in the dohas of Kabir38.

34 The philosophy and sentiment got a fascinating expression in the midsixteenth century in the Ḥaqâyeq-e of Abd al-Vahed Bilgrami (1510-1608) in which Bilgrami sought to reconcile the Vaishnav symbols and the terms and ideas used in Hindu devotional songs with orthodox Muslim beliefs. According to Bilgrami, Krishna and other names used in such verses symbolized Prophet Mohammad, “Man” or still sometimes the reality of human being (ḥaqiqat-e ensân) in relation to the abstract notion of oneness (aḥadiyat) of Divine essence. Gopis sometimes stood for angels, sometimes the human race and sometimes its reality in relation to the vâḥediyat (relative unity) of the Divine attributes. Braj and Gokul signified the different sufic notions of the world (‘alam) in the different contexts, while the Yamuna and the Ganga stood for the sea of vaḥdat (unity), the ocean of ma’refat (gnosis) or still the river of ḥads(origination) and emkân (contingent or potencial existence). Murli (Krishna’s flute) in the Ḥaqâyeq-e Hindi represented the appearance of entity out of non-entity and so on and so forth39.

35 The support for the doctrine of the unity of being and the associated philosophy and practice of generous accomodation to the local social beliefs and customs, continued throughout the seventeenth century. Among the best interpreters and defenders of the doctrine during this century were Sheykh Mohebballah (d. 1648) and Sheykh ‘Abd al- Rahman Cheshti (c. 1683), a descendant of Sheykh ‘Abd al-Haqq of Rudauli. The reputation of some of the treatises Sheykh Mohebballah wrote to expose and elaborate on the doctrine brought him into close contact with Prince Dara Shekuh. His Resâla-ye tasviya (Treatise on equality) evoked a storm of opposition in the orthodox circle, and later under Aurangzeb, who is reported to have taken strong exception to its contents, it was ordered to be burnt in public. Sheykh Mohebballah also laid emphasis on the acquisition of mystic knowledge from the Hindu yogis. One of his eminent disciples, Sheykh Mohammadi, after having perfected under him in Islamic , undertook the study and training of yoga from the Brahmans40.

36 In another case, Sheykh ‘Abd al-Rahman Cheshti translated with explanatory notes a treatise on Hindu cosmogony under the title of Mer’ât al-makhluqât (Mirror of the creatures) in the form of a dialogue between Mahadeva and Parvati handed down by Muni Bashesht. ‘Abd al-Rahman sought to explain at some length the Hindu legends and made a plea for them to be adapted to Muslim ideas and beliefs. He also prepared a recension in Persian of the Gita, entitled Mer’ât al-ḥaqâyeq (Mirror of the realities) presenting it as an ideal exposition of the doctrine of hama u-st41.

37 It is also significant that Hindi poetry of the Bhakti school and Persian poetry which was deeply influenced by Sufism (taṣavvof), strengthened the feeling that God may be worshipped in numerous ways. The Persian poetry of this period in particular had certain basic but nevertheless important concepts: sheykh or zâhed were supposed to represent hypocrisy, and the truly religious was the Brahman; a symbol of divine reality was the idol and the devotion of the Brahman to the idol was significant. Similarly the master of the wine house was the man who knew true power, and wine represented divine love. This symbolism of Persian poetry influenced the thinking of

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practically every educated Muslim of the period and we may gather that a large number of other Muslims were also influenced by these ideas.

38 Further, Persian poetry, which had integrated many things from pre-Islamic Persia and had been an important vehicle of liberalism in medieval Muslim work, helped in no insignificant way to create and support the Mughal attempt to accommodate diverse religious traditions. Akbar must have got support for his policy of non-sectarianism from the verses like the ones of Jalal al-Din Rumi whose the emperor heard regularly and nearly learnt by heart: To barâ-ye vaṣl kardan âmadi na barâ-ye faṣl kardan âmadi Hindiyân-râ eṣṭelâḥ-e Hind madḥ Sindiyân-râ eṣṭelâḥ-e Sind madḥ “Thou hast come to unite / not to separate / For the people of Hind, the idiom of Hindi is praiseworthy / For the people of Sind, their own is to be praised42”.

39 The echoes of these messages and the general suspicion of mere “formalism” of the faith are unmistakable in Mughal Persian poetry as well. Fayzi had the ambition of building “a new Ka’ba” out of the stones from the Sinai: Biyâ ka ruy be-meḥrâbgâh-e now be-nehim banâ-ye Ka’ba-ye digar ze sang-e Ṭur nehim “Come, let us turn our face toward a new altar / Let us take stones from the Sinai and build a new Ka’ba43”.

40 The Mughal poets, like their predecessors, portrayed the pious (zâhed) and the sheykh as hypocrites. It was with the master of the wine house (moghân) and in the temple, instead of the mosque, they believed, that the eternal and Divine secrets were to be sought: She’âr-e mellat-e Isalmiyân be-goẕâr gar khwâhi ke dar dayr-e moghân ây’i va asrâr-e nehân bini “Give up the path of the Muslims, come to the temple, to the master of the wine house so that you may see the Divine secrets44”.

41 The idol (bot), to them, was the symbol of Divine beauty; idolatry (bot-parasti) represented the love of the Absolute, and significantly they emphasized that the Brahman should be held in high esteem because of his sincerity, devotion and faithfulness to the idol. To Fayzi it is a matter of privilege that his love for the idol led him to embrace the religion of the Brahman: Shokr-e khodâ ke ‘eshq-e botân ast râhbar-am bar mellat-e brahmân-o bar din-e Âẕar-am “Thank God, the love of the idols is my guide / I follow the religion of the Brahman and Azar [fire-worshippers]45”.

42 The temple (dayr, bot-kada), the wine-house (mey-khâna), the mosque and Ka’ba were the same to ‘Orfi; according to him the Divine Spirit pervaded everywhere: Cherâgh-e Somnat ast âtesh-e Ṭur bovad z-ân har jehat-râ nur dar nur “The lamp of Somnath is [the same as] the fire at the Sinai / its light spreads everywhere46”.

43 These features of Persian poetry remained unimpaired even when Aurangzeb (r. 1658-1707) tried to associate the Mughal state with Sunni orthodoxy. Naser ‘Ali Sirhindi (d. 1696), a major poet of his time, echoed ‘Orfi’s message with equal enthusiasm: Nist gheyr az yak ṣanam darparda-ye dayr-o-harâm key shavad âtesh do rang az ekhtelâf-e sanghâ

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“The image is the same behind the veil in the temple and harem / With diverse firestones, there is no change in the colour of the fire47”.

44 In fact, neither the mosque nor the temple were illumined by Divine beauty: it is the heart (del) of the true lover where its abode is. The message was thus to aspire for the high place of the lovers. Taleb Amoli then called to transcend the difference of Sheykh and Brahman: Na malâmatgar-e kofr-am na ta‘aṣṣobkash-e din khândahâ bar jadl-e sheykh-o-barhamân dâram “I do not condemn Infidelity, nor am I a bigoted believer / I laugh at both, the Sheykh and the Brahman48”.

45 Persian thus facilitated the Mughal conquest in India even though this conquest as ‘Orfi declared, was intended to be bloodless: Zakhmhâ bardâshtim va fatḥhâ kardim leyk hargez az khun-e kasi rangin nashod damân-e mâ “We have received wounds, we have scored victories, but / our skirts have never been stained with the blood of anyone49”.

46 Persian generated and promoted conditions in which the Mughals could create out of heterogeneous social groups a class of their allies and subordinate rulers. Like the emperor and his nobility in general, this class also cherished the universal human values and vision. It is in this background that the Mughal political culture needs to be understood. Significantly, Keshaw Das, the seventeenth century Braj poet proclaimed Jahangir as duhu din ko saheb (master of both the religions); discovered the attributes of Vishnu, the Hindu god, in the person of the Mughal emperor, who, on the other hand, faced no problem in blending a number of “Hindu” rituals with Islam at the court50.

47 In the process of their political alliance with the Rajputs, the Mughals interestingly integrated many of their rituals and symbols as well. These ranged from applying tika (vermilion mark) on the forehead of the political subordinate, tuledan (weighing ceremony), jharokadarshan (early morning appearance of the emperor on the palace balcony) to the public worship of the sun by Akbar with prostrations facing the east before a sacrificial fire and recitation of its name in Sanskrit. It was perhaps to highlight the affinity with the Rajputs that Abu’l-Fazl emphasized the mystical and divine origins of the Mughals from “light”51. The Mughals married the Rajput princesses and allowed them to perform their religious rituals ceremoniously in their palaces. On the other hand, the alliance also received nourishment from the local culture in Rajputana and the developments within the Rajput society. The Rajputs saw the Mughals as a category of their jati. The Mughal emperor in their tradition held a high rank and esteem and was often equated with Ram, the preeminent Kshatriya culture hero52. The Rajputs identified themselves with the Mughal house which, in their perception, was to be defended as much as the Rajput house.

VI.

48 The Mughal policy, to a certain extent evolved from the earlier Muslim ruler’s adroit jahândâri (rulership). The Mughal practice was however backed by a clearly defined political and religious ideology. Gradually even the clerics seem to have taken this as a part of Indian political Islam. Significantly with the exception of some of Akbar’s innovations and experiments, the Hindu features of the Mughal political system seldom aroused the wrath of the Muslim orthodoxy. No Muslim chronicler protested over the

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performance of Hindu rituals inside the Mughal palace; none viewed a Hindu Rajput princesses’ presence and the Hindu ritual and social practices in the imperial harem as an instance of violation of the honour of Islam53.

49 Together with liberal traditions of Sufism and Persian poetry, it was no less in the Nasirean political norms that the Mughal rulers, Akbar and Jahangir in particular, found support for their non-sectarian approach to religion. Akbar’s ideologue Abu’l- Fazl prepared a working manual (dastur al-‘amâl) for his officials with an advice to them to guard against the dangers of the violation of the principles of justice and equity (e’tedâl) and of non interference in matters of faith of the people54.

50 It is difficult to know the extent to which this advice was followed at lower levels. However, non-sectarianism and a serious concern for harmony among the elites was something to be particularly noticed and highlighted. Shayesta Khan, a contemporary writer observer, rose shoulders high compared to his contemporaries because he was totally free from bigotry and was a man of peace with all (Solh-e koll), who viewed his friends and allies, irrespective of their personal faiths and religions. And yet he was a true Muslim monotheist and a true follower of the Prophet (movaḥḥed and taba’-e rasul), a lover of Rumi’s Masnavi. Shahyesta Khan’s dindâri thus was in total harmony with his liberal and open-ended approach.

51 It will be a travesty of fact if one asserts that all high Mughal officials believed in and practiced religious tolerance. But some contemporary observations of the existing religious atmosphere for this purpose are revealing. They help us to have some idea of the extent to which the Mughal state followed or disregarded the shari‘a in its juristic sense. One of these is a remark of ‘Abd al-Qader Badauni, the noted historian of Akbar’s time about the reception accorded in India to Mir Mohammad Sharif Amoli, the Noqtavi leader, who had to flee Iran for fear of persecution. Badauni, as we know, was a narrow minded bigot Sunni. He detested the non-orthodox ideas of Amoli and disapproved of the prevailing situation in which even men like Amoli were welcome. He writes: “Hindustan is a wide place (vasi’, ‘arṣa-ye farâkh), where there is an open field (meydân) for all licentiousness (ebâḥat), and no one interferes with another’s business, so that every one can do just as he pleases”55.

52 While there were changes in several departments in the process of the Mughal state formation, the relationship between religion and secular political matters seems to be significantly undisturbed until about the third quarter of the seventeenth century. Relevant for us are the observations of the French traveller, François Bernier, who visited India decades later in Aurangzeb’s time. After commenting disapprovingly on “strange” Hindu beliefs and rituals regarding the eclipse, he remarks: “The Great Mogal, though a Mahometan, permits these ancient and superstitious practices, not wishing or not daring to disturb the Gentiles in the free exercice of their religion”56.

53 Even in matters like sati, the Mughals intervened only indirectly: “They [=the Mughals] do not, indeed, forbid it [=sati] by a positive law, because it is part of their policy to leave the idolatrous population, which is so much more numerous than their own, in the free exercise of its religion; but the practice is checked by indirect means”57.

54 All this, however, does not mean that the Mughals were not concerned with the maintenance of shari‘a. Consolidation of the bases of the community (tâsis-e mellat) and

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enforcement of the injunction of shari‘a (tarvij-e shari‘a) have been enumerated among the significant achievements of Jahangir’s reign58. The Mughal norms of governance bore the impact of the tradition of akhlâq literature in which it became possible to use the term not necessarily in its narrow legalistic sense. The Mughals thus found a way out after the closure of the so-called door of ejtehâd. It was not simply that the infidels had freedom of belief in their Islamic regime, they were also not treated as ordinary ẕemmis. In the regime of this shari‘a, the infidels, like the Muslims, could build their own places of worship and could even demolish the mosques, although this implied for the theologians and the jurists a weakness of the Islamic rule and a threat to Islam59.

55 And still, the Mughal rulers, prided in calling themselves the majesty and the light of the faith (Jalâl al-Din = Akbar, Nur al-Din = Jahangir). The qâżi and the ṣadr, like in all other Islamic states, had high politicoreligious positions; the Muslim divines, among others, had land or cash grants to pray for the stability of the empire and to maintain and keep aloft the symbols of Islam (sha’âyer-e eslâmi) throughout their territory. The periodic dispatch of rich donations for the holy cities, Mecca and Medina, with the delegates of hâjj continued. What is significant is that some Muslim religious divines, too, saw Jahangir not only as a man of piety and justice, but also as someone who ensured compliance of the ordinances of the shari‘a60.

56 For Barani, the rule of Islam meant not only the total dominance of the Muslims but also the humiliation of infidelity and infidels — if not their elimination and annihilation. To the Mughals Islam was synonymous with the norms, the most important task of which was to ensure the balance of conflicting interests of groups and communities, with no interference in their personal beliefs. This does not, however, mean that the forces to contest this view of Islam were no longer active.

NOTES

1. Cf. M. Alam and S. Subrahmanyam (eds.), The Mughal State, Oxford University Press, Delhi, 1997, introduction. 2. I. Habib and T. Raychaudhari, The Cambridge Economic History of India, vol. I, Cambridge University Press, Cambridge, 1982, p. 244-49; see also I. Habib, “Distribution of Landed Property in Pre-British India”, Enquiry, New Series 11/3 (winter 1965). 3. Agha Mahdi Hasan, The , Delhi 1968; D.H.A. Kolff, Naukar, Rajput and Sepoy: The ethnohistory of military labour market in Hindustan, 1450-1850, Cambridge, 1990, p. 71-116. 4. I.A. Khan, “Shaikh ’s Relations with Political Authorities”, in: Medieval India: A Miscellany, vol. IV, Asia Publishing House, Bombay, 1977, p. 73-90. 5. Momin Mohiuddin, Chancellary and Persian Epistolography under the Mughals. From Babur to Shahjahan, 1526-1658, Iran Society, Calcutta, 1971, p. 215-20. 6. Mohammad Abdul Hamid Faruqi, Chandrabhan Brahman: Life and Works with a Critical Edition of his , Ahmadabad, 1966, passim; Mohiuddin, Chancellery, p. 228-34. 7. S.M. Abdullah, Adabiyât-e Fârsi mein Hinduvon ka Ḥeṣṣa, Majles-e Abad, Lahore, 1968, p. 121-68. 8. Mohammad Qâsem Lâhori, ‘Ebrât-nâma, MS. British Library, London, Or 1934, fol.33a.

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9. Mohammad Hashem Khafi Khan, Montakhab al-Lobab, vol. II, Bibliotheca Indica, Calcutta, 1868, p. 651. 10. M. Alam, The Crisis of Empire in Mughal North India, 1707-1748, Oxford University Press, Delhi, 1986, p. 169-75; M. Alam, “Trade, State Policy and Regional Change: Aspects of Mughal-Uzbek Commercial Relations, c. 1550-1750”, JESHO 35/3 (1994), p. 202-227. 11. Zeya al-Din Barani, Fatâwâ-ye Jahândâri, ed. Afsar Salim Khan, Punjab University, Lahore, 1972. English translation by Afsar Salim Khan as The Political Theory of the , Kitab Mahal, Allahabad, u.d., p. 139-140, English translation, p. 39. 12. Ibid., p. 142-3, English trans. p. 40. 13. Ibid., p. 165-6, English trans. p. 46. 14. This is also indicated in the chapters in the Fatâvà on royal determinations (‘azm), tyrany and despotism (satihesh-o-estebdâd) and justice (‘adl), ibid., p. 68, English trans. p. 17. 15. Ibid., p. 217, English trans. p. 64. 16. Cf. K.A. Nizami, Some Aspects of Religion and Politics in India during the 13th century, reprint: Idarah-e Adabiyat, Delhi, 1974. 17. B. Lewis, The Assassins: A Radical Sect in Islam, Weildenfeld and Nicolson, London, 1967; P.J. Vatikiotis, The Fatimid Theory of State, 2nd edition, Ashraf & Sons, Lahore, 1981; W. Madelung, Religious Trends in Early Islamic Iran, Bibliotheca Persica, State University of New York, Albany, 1988. 18. Several editions of this book are available. I have used the following: Naṣir al-Din Ṭusi, Akhlâq- e Nâṣeri, ed. Mojtabà Minavi and ‘Ali-Reżâ Ḥeydari, Tehran, 1976. English translation: G.M. Wickens, The Nasirean Ethics, George Allen and Unwin, London, 1964. 19. The book was reissued with a second preface wherein Tusi is severely critical of the religious milieu in which it was originally written. Tusi alludes to his enforced service with the Esma’ilis and his rescue from them by the Mongols. This was, however as G. M. Wickens points out, only to cover a revised preface and dedication. 20. G. M. Wickens in: Encyclopaedia Iranica, vol. I/7, Routledge and Kegan Paul, London, 1984, art. “Aklâq-e Nâṣeri”, p. 725. 21. The second one was again divided into three categories, the astraygoing and the misguided city (al-madinat al-żâllat), the evil doing city (al-madinat al-âseqat), and the ignorant city (al- madinat al-jâhelat). M.M. Sharif (ed.), A History of Muslim Philosophy, vol. I, Wiesbaden, 1963, p. 704-714. 22. Akhlâq-e Nâṣeri, pp. 286-7. “The People of the Virtuous City, however, albeit diversified throughout the world, are in reality agreed, for their hearts are upright one towards another and they are adorned with love for each other. In their close-knit affection they are like one individual”, Wickens (trans.), The Nasirean Ethics, p. 215. 23. Akhlâq-e Nâṣeri, p. 286 and 288. 24. Neẓâm al-Molk Ṭusi, Seyâsat Nâma or Seyar al-Moluk, ed. H. Darke, Tehran, 1962, p. 262-7, for the Qaramates and the Batenis in Qohestan. 25. Akhlâq-e Nâṣeri, p. 134. 26. S.A.A. Rizvi, Religious and Intellectual History of the Muslims in Akbar’s Reign (1556-1605) with special reference to Abul Fazl, Munshi Ram Manohar Lal, Delhi, 1975, p. 197 and 355-6, for some interesting references in this connection. 27. Jean Calmard has recently shown that Bayqara discouraged strict legalistic Sunni Islam, had Shiite leanings and also proposed to proclaim Shiism as the state religion. See his “Les rituels shiites et le pouvoir. L’imposition du shiisme safavide: eulogies et malédictions canoniques”, in: J. Calmard (ed.), Etudes safavides, Paris-Téhéran, 1993, p. 109-150. 28. Kashefi’s Akhlâq-e Mohseni is available in print; among its several editions is Ḥoseyn Va’eẓ Kâshefi, Akhlâq-e Moḥseni, Bombay, 1308/1890. An English translation has also been published as The Practical Philosophy of the Mohammadans. Hoseyni’s Dastur al-vezârat has not been published, a

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manuscript copy is preserved in the Bibliothèque Nationale de France, Paris (BN), see E. Blochet, Catalogue des manuscrits persans de la Bibliothèque nationale, 4 vol., Paris, 1905-1934, vol. II, p. 37-8, No. 768. 29. See preface in his Akhlâq-e Homâyuni, BN, Blochet, Catalogue, vol. II, No. 767; Khwândamir (Gheyâs al-Din Moḥammad), Habib al-seyar, vol. IV, Khayyâm, Tehran, 1333 Sh./1954 , p. 355-6. However, Khwândamir says that the Sheybani ruler, Abu’l-Fath Mohammad Khan retained him in the office of qażâ. He was dismissed after his death and then he retired to Torbat. I have discussed Ekhtiyar al-Hoseyni’s text in “Ikhtiyar al-Husaini’s Akhlaq-e Humayuni and the Evolution of Indo- Persian norms of Governance”, paper presented at a conference on the Evolution of Medieval Indian Culture: the Indo-Persian Context, 14-16, February 1994, Jawaharlal Nehru University, New Delhi. 30. Ibid., p. 6a. 31. Mohammad Amin b. Esrâ’il, Majma‘al-enshâ’, Blochet, Catalogue, vol. I, N° 708, fol. 38a; see also Abu’l Fażl, Enshâ-ye Abu’l-Fażl, Nawalkishor Press, Lucknow, 1280/1863, p. 57-8. 32. Fażlallâh Ibn Ruzbehân Eṣfahâni, Soluk al-moluk, MS. British Library, London, Or. 253, preface. See also Muhammad Aslam’s English translation as Muslim Conduct of State, University of Islamabad Press, Islamabad, 1974, p. 31-32. 33. Ibid., fol. 3a, English trans., p. 33-4. 34. Ibid., fol. 3a-4a, English trans., p. 33-4, 37-46. 35. Chandra Bhan, Chahâr Chaman, and Bendraban Das Khwoshgu, Taẕkera, cited in Abdullah, Adabiyât-e Fârsi, p. 240-2. 36. Akhlâq-e Homâyuni, fol.2a-b. 37. Ibid., fol. 28b. 38. S.A.A. Rizvi, in India, vol. I, Munshi Ram Manohar Lal, Delhi 1978, p. 335-40. 39. Mir ‘Abd al-Vâḥed Bilgrâmi, Ḥaqâyeq-e Hindi, Maulana Azad Library, Aligarh MS, Ẕakhira-ye Aḥsan, Fârsi-ye taṣavvof. For a description of the manuscript see S.A.A. Rizvi’s Hindi translation, Nagri Pracharini Sabha, Kashi (Banaras), 1957, Introduction, p. 31-32. See also S.A.A. Rizvi, Muslim Revivalist Movements in Northern India during the 16th and 17th centuries, Agra University, Agra, 1966, p. 60-2. For Bilgrami’s biography, see Mir Gholâm ‘Ali Âzâd Bilgrâmi, Ma’âser al-kerâm, ed. Malauvi Abd ul-Haq, vol. II, Hyderabad, 1913, p. 247-8; see also Abd-ul Qader Badauni, Montakhab al- tavarikh, ed. Kabiruddin Ahmad, Ahmad Ali and W.N. Lees, vol. III, Calcutta, 1869, p. 65-6. 40. Rizvi, Muslim Revivalist Movements, p. 340. For an interesting discussion on the theme see Sheykh Elâhâbâdi Moḥebballâh, Maktub be-nâm-e Mollâ Jaunpuri, MS. Maulana Azad Library, Aligarh, Ẕakhira-ye Aḥsan, No. 297.7/37, Fârsi-ye taṣavvof. 41. Charles Rieu, Catalogue of the Persian Manuscripts in the British Museum, vol. III, London, 1895, p. 1034. 42. Jalal al-Din Rumi, Masnavi-ye Maulana Rum, ed. Qazi Sajjad Husain, vol. II, Delhi, 1976, p. 173. For Akbar’s administration and fondness for the Masnavi, see Abul Fazl, Akbar Nâma, vol. II, ed. Abd-ur-Rahim, Bibliotheca Indica, Calcutta, 1973, p. 271. 43. Abu’l-Fayz Fayzi Fayyazi, Divân, ed. A.D. Arshad, Lahore, 1962, p. 470. 44. Moḥammad Jamâl al-Din ‘Orfi Shirâzi, Kolleyât, ed. Javâheri Vajdi, Teheran, 1369 Sh./1980, 3rd reprint, p. 152. 45. Fayzi, Divân, p. 53. 46. ‘Orfi Shirâzi, Divân, Lucknow, 1872, p. 15. 47. Nâṣer ‘Ali Sirhindi, Divân, Nawalkishor Press, Lucknow, 1872, p. 15. 48. Ṭâleb Âmoli, Kolleyat-e ash’âr-e malek al-sho‘arâ-ye Ṭâleb Âmoli, ed. Ṭâheri Shehâb, Tehran, 1346 Sh./1967, p. 668. 49. ‘Orfi Shirâzi, Divân, p. 3. 50. V.P. Misra (ed.), Keshav Granthâvali, part 3, Nagri Pracharini Sabha, Allahabad, 1958, p. 620-21. 51. J.F. Richards, “The Formulation of Imperial Authority under Akbar and Jahangir”, in J.F. Richards (ed.), Kingship and Authority in South Asia, Madison, 1978, p. 252-89.

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52. N.P. Ziegler, “Some Notes on Rajput Loyalties during the Mughal Period”, in J.F. Richards (ed.), Kingship and Authority in South Asia, Madison, 1978, p. 215-51. 53. On the contrary Sheykh ‘Abd al-Rahman Cheshti considers this an achievement, a follow up of an extension of the non-sectarian policies, see ‘Abd al-Raḥmân Cheshti, Mer’ât al-asrâr, MS. British Library, London, Or. 216, f. 507. Sheykh , of course, is an exception. 54. Amin b. Esrâ’il, Majma‘al-enshâ’, fol. 39 b; Enshâ-ye Abu’l-Fażl, vol. I, p. 60. 55. ‘Abd al-Qader Badauni, Montakhab al-tavarikh, vol. II, p. 246; transi. W.H. Lowe, Calcutta, Bibliotheca Indica, 1884, vol. II, p. 253. 56. François Bernier, Travels in the Mogul Empire, 1656-1668, trans. A. Constable, reprint: Munshi Ram Manohar Lal, New Delhi, 1972, p. 303. 57. Ibid., p. 306. 58. Mohammad Bâqer Najm-e Sâni, Mau’ezah-e Jahângiri, ed. & transl. S.S. Alvi, State University Press, Albany, 1989. 59. Sheykh Ahmad Sirhindi, Maktubât-e Emâm Rabbâni, reprint: Istambul, 1977, vol. II, p. 118, letter no. 92 to Mir Mohammad No’man, p. 233-44; see also Y. Friedmann, Shaykh Ahmad Sirhindi: An Outline of his Thought and a Study of His Image in the Eyes of Posterity, McGill University, Montreal, 1971, p. 82. 60. Ibid., p. 233; Cheshti, Mer’ât al-asrâr, fol. 507 a.

AUTHOR

MUZAFFAR ALAM Centre for Historical Studies, Jawaharlal Nehru University, New Delhi, India

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Emigration of Iranian Elites to India during the 16-18th centuries

Masashi Haneda

1 It is a well-known fact that among the various ethnic groups composing the Mughal nobility1, Iranian people, that is, Persian-speaking people from the Iranian region, had considerable influence on the politics, economy and society of the Mughal empire2. An accurate and detailed knowledge of these Iranian elements is indispensable for historians interested in any field of Mughal history. At the same time, the question of Iranian emigration certainly cannot be overlooked even by those whose main studies remain within the framework of Iranian history. The background of that massive emigration must be understood to comprehend contemporary Iranian society. Despite the importance of this topic, there has not been, to my knowledge, any comprehensive study focusing on Iranian people in the Mughal Empire. Although there exist several studies on the Mughal nobility as a whole3, they do not necessarily look in depth at Iranian people within it. As a result, certain key questions remain unclarified, such as the region of Iran they came from, the type of people who emigrated to India, their status and occupations before going to India, and the reason for their immigration.

2 The purpose of this study is to demonstrate some little-known aspects of Iranian people in the Mughal empire and to draw a picture of Iranian immigrants in India by using as the basis for a comprehensive and analytical study the well-known biography, Ma’âṣer al-omarâ4. This source contains the biographies of 738 Mughal notables5 from the foundation of the Mughal empire until 1780, the year the work was completed. It was begun by Samsam (Ṣamṣam) al-Dowla Shah Navaz Khan, himself a descendant of an Iranian immigrant, and completed by his son, ‘Abd al-Hayy. As it was a fashion at the Mughal court to write biographies of notables, there are several other sources similar to the Ma’âṣer al-omarâ6, though none are as valuable for the present study, since the Ma’âṣer al-omarâ brings together all the available information and, moreover, covers almost the whole period of the Mughal empire.

3 Before beginning to analyse the source, we must confront certain delicate problems, unavoidable when dealing with the international relations of the period under discussion. The first concerns the definition of Iran, and, more particularly, who the

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Iranian people were. Of course Iran did not exist as a state. In the Ma’âṣer al-omarâ, people from what is geographically Iran are usually described as either men of Khorasan or men of Iraq. In fact, the notion of Iran as a state is a very modern one. To be precise, this study should refer to the “Iranian people” as “people from the Safavid territory”. This term of reference however is long-winded and not very practical; here “Iranian people” will be employed for convenience’s sake.

4 A further problem is that the Safavid territory was not always fixed; in Khorasan in the east and in Azerbaijan in the west especially, the border changed a number of times. As a result, even if the Ma’âṣer al-omarâ states that a certain person came from Khorasan, as is often the case, unless it mentions the time of immigration, it is impossible to tell whether he came from Safavid territory or not. This study therefore employs a rough solution, and defines all people coming from Khorasan, except Balkh and its vicinity, as Iranian, without taking the time of immigration into account. This solution may be criticized as being too Irano-centric. Nevertheless, the general tendencies of Iranian immigration can still be discerned, despite this simplification.

5 One more problem remains. This study considers, at least statistically, both Iranian immigrants and their descendants as being the same “Iranian people”. This too may be criticized as another rough solution, for certainly there must have existed some differences in mentality, ways of thinking, and ways of acting between the immigrants themselves and their descendants. Iranian immigrants often married indigenous women and in that case their descendants cannot be simply defined Iranian even from the ethnic point of view. Nevertheless, it does not seem totally meaningless to group them all as Iranian people, because there did exist throughout Mughal history an influential Iranian group at the court composed not only of immigrants themselves but their descendants, and it was reinforced continually by newcomers from Iran. Furthermore, studies by Indian scholars concerning the Mughal nobility at a specific period do not discriminate between newcomers and their descendants7.

Numbers, time of immigration and origin of Iranian people

6 Among the 738 notables included in the Ma’âṣer al-omarâ, at least 198 (26.8 per cent) were either immigrants from Iran or their descendants. This number may be even higher, because there are still 205 people whose origins have not been completely clarified8. We know from other studies on Mughal notables that the relative proportion of the Iranian elite was 25.54 per cent in 1575-959, 28.4 per cent in 1647-4810, 27.8 per cent in 1658-78 and 21.9 per cent in 1679-170711. This proportion corresponds well with that of our source and it is safe to say that twenty or thirty per cent of the elite at the Mughal court was Iranian throughout the period.

7 Immigration continued without interruption from the sixteenth century until the beginning of the eighteenth, that is, throughout the Safavid period. There is known, for instance, a certain family whose ancestor came from Iran in the sixteenth century and whose descendants still retained an important political role in the eighteenth. The family of the author of the Ma’âṣer al-omarâ, Samsam al-Dowla’s, is a good further example. On the other hand, as will be shown below, new immigrants came from Iran in the seventeenth and at the beginning of the eighteenth century12. What is important is

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that Iranian immigration to India was not a temporary phenomenon belonging to a specific period.

8 It often happened in the Eastern Islamic world that due to a lack of expertise in administration, a new dynasty employed bureaucrats of the former dynasty. Thus the re-employed administrators of the Aq Qoyunlu, the dynasty they themselves had overthrown13. In this context, it is readily understandable that when the Mughal empire was founded in the sixteenth century, many members of the Iranian elite were invited to the Mughal court. The lack of administrative specialists with Persian bureaucratic skills in the newly conquered territory must have been particularly serious. Furthermore, the fact that the second emperor Homayun was finally able to gain the throne as a result of Safavid military aid must have had something to do with the increase of the Iranian population at the Mughal court in the middle of the sixteenth century. Therefore it is interesting and noteworthy that even at the zenith of the dynasty’s prosperity in the seventeenth century under Shah Jahan and Aurangzeb, the Mughals welcomed Iranian immigrants and gave them high positions.

9 Regarding the place of origin of the Iranian immigrants, among the 198 Iranian notables mentioned in the source, ten were Safavid family members14, and fourteen were tribal people; while the origin of a further nine are unclear. The accompanying table concerning the places of origin of the other 165 people shows that most Iranian immigrants to India (113) came from regions in the east and south-east such as Khorasan and Qohestan15. Taking into account that 42 people came from central regions such as Isfahan and Qazvin, it can be said that most of the Iranian immigrants came from the eastern or central part of Safavid territory. A very limited number came from the western region, as is shown by the fact that there was only one immigrant from Tabriz, the largest city there.

Features of Iranian immigrants

10 Minorsky’s pioneering studies have brought about a kind of consensus that the elites at the Safavid court were, in principle, divided into two different linguistic groups, Turkic-speaking Turks and Persian-speaking Tajiks. The Tajiks, often called “men of the pen”, were men of learning and mainly in charge of civil and religious matters, while the Turks, called “men of the sword”, were composed of military specialists16. Among the 198 notables mentioned in our source, Tajiks numbered 165 and Turks only 14. This imbalance may be attributed to the fact that firstly, Turkic people were primarily tribal and so individual immigration was rare, and secondly that the climate of India may not have been suitable for a nomadic way of life17. The most important reason, though, was that, Persian being the language of court and administration, Persian-speaking people with bureaucratic skills and a specialized knowledge of Persian culture were highly valued at the Mughal court18.

Number of Iranian people according to their place of origin

A. Tajiks

Place name Number of people

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Esfarayn 1 Herat 20 Joveyn 1 Kerman 1 Khorasan 5 Khwaf 19 Lar 1 Mashhad 20 Eastern region Nishapur 11 Qandahar 4 Qohestan 1 Sabzevar 7 Sistan 1 Tun 3 Torbat 4 Yazd 14

Amol 1 Ardestan 2 Isfahan 10 Gilan 6 Central and Northern region Kashan 3 Qazvin 5 Sava 4 Shiraz 10 Tehran 8

Shirvan 1 Western region Shushtar 1 Tabriz 1

B. Turks

Tribe name

Afshar 2 Zu’l-Qadr 2 Qaramanlu 3 Qara Qoyunlu 5 Ostajalu 2

C. Others

Safavi 10

? 9

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11 Unlike the Safavid court, there was in principle no distinction in the Mughal empire between “men of the pen” and “men of the sword”. In consequence, once settled there, even Tajik notables often took part in battles with the soldiers given to them. This is an interesting fact which shows clearly the distinction between Safavid society and Mughal society19.

12 No particular tendencies are discernible in the positions occupied by Iranian people. They not only occupied important posts in central and local administration such as vakil (regent), vazir (prime minister), mirbakhshi (chief officer in charge of military department), ṣadr (chief officer in charge of religious affairs and endowments), local governor and local financial and military officer, but also served in the royal household as mir-sâmân (master of royal household department), mirtozuk (master of ceremonies at the court), mir-âkhwor (master of royal stables) and qush-begi (master of royal aviaries) etc.20.

13 It is noteworthy that 61 of the 165 Tajiks were sayyid (seyyed), that is, descendants of the Prophet. It is known that in Iranian society a sayyid was paid great respect and possessed many privileges (pensions, exemption from taxes etc.)21. Nevertheless, many sayyids emigrated to India. As Maria Subtelny’s recent study shows, political and economic persecution at the time of the conquest of Khorasan by the Safavids might have pushed some sayyids to India22. However, it is also known that several sayyids moved to India of their own volition (one example of which will appear below). The meaning of this phenomenon remains unclear, but what is certain is that India must have offered something far more attractive for a sayyid than the privileges provided in Safavid society.

14 In some rare cases, the Ma’âṣer al-omarà reported the belief of a particular notable, saying the man was a zealous Shiite, etc.23 Generally, though, the source makes no mention of the religion of the subject. It is impossible, therefore, to group the Iranian people from a religious point of view, even though most of them must have been Shiite24. It must be underlined that, although the Mughal empire is often regarded as a Sunnite state, it welcomed Iranian Shiite immigrants at all times. In this respect, the Mughal empire was certainly much more liberal and pragmatic, as far as religion was concerned, than the , which never permitted Shiite administrators.

Reasons for immigration

15 Generally speaking, there were two types of immigration. One was forced immigration, where some people fled to India as a consequence of being suspected of being rebels, being accused of being Sunnites, or merely losing royal favour25. India became for them a kind of political asylum. In this case, immigrants never returned to Iran. This type of immigration could happen anywhere at any moment of history, so it cannot be said to be characteristic of this particular period.

16 What is much more interesting is the second type of immigration, where immigrants moved to India of their own free will. Unable to prosper in Safavid society, they moved to India without hesitation. In this case, the immigrants could return to Iran, or at least keep in touch with their friends and relatives there26. Let us now examine the careers of two notables in this category.

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- Mir Mohammad Amin

17 Mir Mohammad Amin was a member of a sayyid family in Isfahan, the Shahristani- sayyid family, one of whose members was nominated mostowfi al-mamâlek at the beginning of the Safavid dynasty under Shah Esma‘il I27. Mir Mohammad Amin’s nephew, Mirza Razi (Râżi), was a favorite of Shah ‘Abbas I and was given the honor of marrying one of his daughters28. In the description of Isfahan by the French traveler Jean Chardin, there appears a blind prince who was incredibly good at mathematics. He was a son of this Mirza Razi29. Mirza Razi succeeded to the post of ṣadr, the most important office in the field of Safavid religious administration, following his uncle, Mir Jalal al-Din Hoseyn Sala’i (Ṣalâ’i) in 1016/1607-08 and remained there until his own death in 1026/1617. His cousin, Mirza Rafi‘ succeeded him. Thus Mir Mohammad Amin belonged to one of the most distinguished families in Safavid society at the time.

18 Mir Mohammad Amin went to Golconda in 1013/1604-05. No source tells us the real reason for this move. The sovereign of Golconda at that time recognized his talents and gave him an important position in state administration. He finally became vakil (regent). After the death of the king, however, he was dismissed by the new monarch and subsequently moved to the kingdom of Bijapur seeking another position. Unable to find an opening there, he returned to Iran (autumn 1614). His nephew being ṣadr at that time30, he was received courteously by Shah ‘Abbas. He expected a high post at the court, but the Shah, despite his kind welcome, did not offer him an interesting position, being only eager to cash in on the fortune Mir Mohammad had accumulated in India. After four years, Mir Mohammad gave up his post at the Safavid court with the intent of going to the Mughal court. Made aware of Mir Mohammad’s ability, the emperor Jahangir wrote him an invitation and Mir Mohammad left Isfahan for the Mughal court in 1027/1617-1831. Jahangir rewarded him with 2 500 zats32 and 200 horses for his painstaking journey and his precious gifts33. Later he received important positions at court such as mir-sâmân and mir-bakhshi and was promoted to 5 000 zats and 2 000 horses. He died in India in Rabi‘ I 1047/September 163734. An ardent Shiite, he gave, according to the Ẕakhirat al-khavânin, a great deal of money in charity for people starving as a result of a drought in the Deccan, though certain Iranian people at the Mughal court insisted that it was not enough and claimed he sent two hundred thousand rupees every year to his sons and relatives in Iraq (certainly in Isfahan) to buy houses, gardens and property there35.

- Hakim Da’ud

19 Hakim Da’ud’s father and mother were both physicians at Shah ‘Abbas’ court and harem respectively. After the death of his father in 1029/1619-2036, Da’ud succeeded him and entered a royal service as a physician. He stayed at the Safavid court throughout the reign of Shah Safi (1629-42), but received no special attention. After the enthronement of ‘Abbas II, Da’ud, realizing that he had little chance of promotion, decided to change masters and went to India in 1053/1643-44. He was successful in curing the burn of one of Shah Jahan’s daughters and so received royal favour. After that, everything went his way. He became an amir with the name of Taqarrob Khan in 1057/1647-48 and was given 5 000 zats and 3 000 horses in 1068/1657. After Aurangzeb took power, Da’ud was confined, perhaps because his relationship with the former emperor was too close. He died in 1073/1662-63. His high influence at the Mughal court

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is reflected in the fact that his name appears several times in European travel accounts, including those of Manucci, Bernier and Chardin37. Da’ud’s son, Mohammad ‘Ali Khan, who had gone to India with his father, was, unlike his father, a recipient of the favour of Aurangzeb and served him throughout his life38.

20 Having acquired a fortune in India, Hakim Da’ud ordered a large mosque to be built in his home town of Isfahan and named after him. The construction of the Masjed-e Hakim was begun in 1067/1656-57, and completed in 1073/1662-63, the year of Da’ud’s death39. The location of the mosque was significant, being built on the site of the Masjed-e Jorjir, which had been the second Friday mosque of the city during the Buyid period40. It was situated alongside the Grand Bazar which connected the old Maydan (Meydân-e kohna) with the Royal Maydan (Meydân-e Shâh), newly built by Shah ‘Abbas I. This was the very centre of the city, and no better location could have been chosen. Much care was taken so that the labourers worked in good conditions. Not only were the workers provided for: it is said that feed was scattered along the road for the donkeys that carried the building materials41. This is all evidence of how important the building of the mosque was for Hakim Da’ud. The mosque remains today the third largest in the city after the Masjed-e Jom‘a (Friday Mosque) and the Masjed-e Emam. Hakim Da’ud never returned to Iran after his emigration to India, but he kept contact with his relatives and friends in Isfahan and seems to have identified with Isfahan until the end of his life.

21 The careers of both emigrants exemplify the strong attachment the emigrants felt for Isfahan even after their emigration. Contrary to Satish Chandra’s assertion42, a number of Iranian people kept contact with their birthplace even after their emigration and sometimes returned to Iran in a relatively casual way. The same kind of mobility can be shown in case of Persian poets who often held administrative posts at the Mughal court43. To the Persian speaking notables in Safavid society who knew all that was necessary for court life, it mattered little whether they served the Safavids or some other dynasty in India. They emigrated easily to the east. As the Ma’âṣer al-omarâ pertinently says, “India was a source of fortune” for them44.

22 An analysis of only the Ma’âṣer al-omarâ may not be sufficient to fully understand the character of the emigration of Iranian elites to the Mughal court during the sixteenth and seventeenth centuries. Much more complete information will be gained as a result of studying other Mughal sources such as chronicles, tazkiras, documents and biographies. This however awaits further research and we must remain for the present content with the temporary results mentioned here. Though providing only a general view, the paper does show clearly that the question of the emigration of Iranian elites to India cannot be overemphasized either for Indian or Iranian history.

23 At the same time, however, it must not be forgotten that the emigration was always one way, from Iran to India. No person of Indian origin is known to have attained high position at the Safavid court. At the political and cultural levels, the stream of people flowed from west to east. On the other hand, a number of Indian merchants went to Iran in the seventeenth century. Most caravanserais in good locations around the Royal Maydan in Isfahan were occupied by Indian merchants45. It is said there were more than ten thousand Indians in Isfahan and there existed even a crematory specially reserved for them on the shore of the Zayanda river in the latter half of the seventeenth century46. Stephan Dale’s study clearly shows that, from an economic point of view, the stream of people moved rather from east to west.

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24 All these facts mean that in the sixteenth and seventeenth centuries, there existed, culturally and economically, a loosely unified area including Iran, and northern and central India. A number of Iranian people possessing sophisticated Persian culture emigrated from Iran to India seeking honour and fortune, while many Indian merchants moved from India to Iran looking for economic profit.

25 It is an extremely interesting and important question how Central Asia under the Uzbek regime was involved with this Indo-Persian world. At least until the collapse of the Timurids at the beginning of the sixteenth century, Iran and Central Asia regularly had a common political and cultural background. People moved easily from one to the other. It is, however, generally believed that Iranian emigration to Central Asia after the rise of the Safavids was limited to those who were religiously persecuted. If so, the Mughal empire and the Uzbek regime might be thought to have had different attitudes towards immigrants. This would not just be a question of the attitudes of the two states, for the view of the Iranian people towards the two countries should also be taken into account. What was the reason for this difference? Why did Iranian people immigrate to India rather than to Central Asia? These questions remain unanswered. The actual situation of human interchange between Iran and Central Asia after the sixteenth century needs to be studied in order for these important questions to be clarified47.

26 Human interchange between Central Asia and India also awaits further study. It is known that the Mughal dynasty came from Central Asia and there was an influential Turani group (a group of people from Central Asia) at its court. However, no serious study has yet been done on the movement of people between India and Central Asia, at least at the political and cultural level48. Much more work remains to be done.

NOTES

1. I shall use the term “nobility” in the same sense as Athar Ali used it in his book entitled The Mughal Nobility under Aurangzeb, Aligarh, 1966. According to him, “the term ‘nobility’ generally denotes the class of persons who were officers of the king and at the same time formed the superior class in the political order” (ibid., p. 2). 2. Athar Ali, The Apparatus of Empire, Delhi, 1985, p. xx-xxi; J.F. Richards, The New Cambridge History of India I-5: The Mughal Empire, Cambridge, 1993, p. 19, 145-146. According to the tables of the ethnic composition of manṣab-holders made by Athar Ali, Iranian officials, in most cases, form the largest of all the ethnic groups throughout the sixteenth and the seventeenth centuries. 3. Athar Ali, The Apparatus of Empire; id., The Mughal Nobility under Aurangzeb; Iqtidar Alam Khan, “The Nobility under Akbar and the Development of his Religious Policy, 1560-80”, Journal of the Royal Asiatic Society (1968), p. 29-36. Athar Abbas Rizvi examined Iranian manṣab holders under Akbar based on the Â’in-e akbari in his A Socio-Intellectual History of the Isnâ ‘Ashari Shi’is in India, 2 vol., Canberra, 1986, vol. I, p. 235-241. 4. Navvâb Ṣamṣam al-Dawla Shâh Navâz Khân, Ma’âṣir al-umarâ, ed. Mawlavî ‘Abd al-Raḥîm, 3 vol, Calcutta, 1887-1895 [hereafter MU]. English translation: The Maâṯir al-umarâ, tr. H. Beveridge, revised, annotated and completed by B. Prashad, 2 vol., New Delhi, 1979.

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5. The author does not always give the biography of one person per item. There is sometimes mention of more than two persons in the same item. That is why the number of items included in the English translation is different from the number of persons discussed in the present study. 6. For exemple, for the period of Akbar, ‘Abd al-Bâqî Nahâvandî, Ma’âṯir-i Raḥîmî, ed. H. Ḥusayn, 3 vol., Calcutta 1910-31; for the period before 1650, Shaykh Farîd Bhakkarî, Zakhîrat al-Khawânîn, ed. Sayyid Mu‘în al-Khaqq, Karachi 1961-74, [herefater ZKh]. We have another concise biography which covers almost all the period like MU, Kiwal Ram, Taẕkerat al-omarâ, Ms. British Library, Add. 16703. 7. Though Athar Ali makes a distinction between those who came from Iran and those who were born in Iran, in the column “country of birth” in his list, he puts both people together into a group called Irani in the end. See lists at the end of The Mughal Nobility under Aurangzeb. 8. We could easily diminish the number of people whose origin is not known in MU by consulting Athar Ali’s two works on the Mughal nobility quoted above. I did not do so here, however, because, although at least one reference is quoted in his huge list of notables in The Apparatus of Empire, it does not mean that one can get access to the exact reference to the place of origin of the notable concerned. It just shows, in principle, the reference to either his manṣab or to his promotion. We must look elsewhere to confirm the origin of the person concerned. Due to a lack of time and the inaccessibility of some of the sources, I decided against doing this. 9. Iqtidar Alam Khan, “The Nobility under Akbar”, p. 35. 10. Richards, Cambridge History of India, p. 145. 11. Athar Ali, The Mughal Nobility under Aurangzeb, p. 19-20,35. Athar Ali regards people receiving over 1 000 zats as notables, while in the other two-aforementioned studies, people receiving over 500 zats are included in this category. 12. For an example of immigration at the beginning of the eighteenth century, see MU, vol. I, p. 463. 13. J. Aubin, “Šâh Ismâ‘il et les notables de l’Iraq persan. Etudes safavides I”, JESHO 2(1959), p. 60-64. 14. All ten are descendants of Soltan Hoseyn Mirza b. Bahram Mirza, brother of Shah Tahmasp, living in the Qandahar region. They aligned with the Mughal side as a result of the purge of the royal family by Esma‘il II. See MU, vol. II, p. 670-676, vol. III, p. 296-302, 434-442, 583-586, etc. 15. The number of people who came from Khwaf (19) is impressive, if one takes the size of the city into account. The numbers reflect Aurangzeb’s particular favour towards them. See Athar Ali, The Mughal Nobility under Aurangzeb, p. 19. 16. V. Minorsky, Tadhkirat al-mulûk, London, 1943, p. 14-16, 187-188; Aubin, “Šâh Ismâ‘il”; A.K.S. Lambton, Continuity and Change in Medieval Persia, London, 1988, p. 221-257, 297-327. Although it is obvious that we have to modify this dualistic view to some extent, as being too simple and not precisely reflecting the historical reality, I think such a classification still has some meaning. For a recent study on the Tajiks and the Turks, see for exemple, J. Aubin, Emirs mongols et vizirs persans dans les remous de l’acculturation, Paris, 1995 [Cahiers de Studia Iranica 15]. 17. It is a well-known fact that horse breeding is very difficult in India and the horse was one of the most important import items to India from Central Asia. See M. Alam, “Trade, State Policy and Religious Change: Aspects of Mughal-Uzbek Commercial relations, c. 1550-1750”, JESHO 37/3 (1994), p. 208-210; J. Gommans, “The Horse Trade in Eighteenth-Century South Asia”, JESHO 37/3 (1994); and M. Szuppe, “En quête de chevaux turkmènes: le journal de voyage de Mîr ‘Izzatullâh de Delhi à Boukhara en 1812-1813”, dans Inde-Asie centrale: routes du commerce et des idées, (Cahiers d’Asie centrale 1-2), Tachkent-Aix-en-Provence, 1996. 18. F. Robinson, “Perso-Islamic culture in India from the seventeenth to the early twentieth century”, in R.L. Canfield (ed.), Turko-Persia in Historical Perspective, Cambridge 1991, p. 106-107. 19. There is much evidence that Tajik immigrants took part in military action. See, for example, the case of Baqer Khan Najm-e Sani whose skill in archery was excellent (MU, vol. I, p. 408-412).

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He was a descendant of Najm-e Sani, a famous Tajik vakil of Esma‘il I who led the army, unlike other Tajik vakils, to Transoxiana against the Uzbeks. See M. Haneda, “La famille Ḫûzânî d’Isfahan: 15e-17e siècles”, Studia Iranica 18/1 (1989), p. 91. There is an interesting argument on the question of the Tajiks and the Turks at the Mughal court in the recent study of Stephen Blake on Shahjahanabad. See S.P. Blake, Shahjahanabad: The Sovereign City in Mughal India 1639-1739, Cambridge, 1991, p. 130-150. 20. There still remains some obscurity concerning the function of these posts, but the glossary on the principal posts by Athar Ali is useful. See Athar Ali, The Apparatus of Empire, p. XXV-XXVI. See also Ishtiaq Husain Qureshi, The Administration of the Mughal Empire, Lohanipur – Patna (n.d.); H.K. Naqvi, History of Mughal Government and Administration, Delhi, 1990; Hare Krishna Mishra, Bureaucracy under the Mughals, 1556 A.D. to 1707 A.D., Delhi, 1989; Aniruddha Ray, Some Aspects of Mughal Administration, New Delhi, 1984; R.C. Majumdar (éd.), The Mughal Empire, Bombay, 1974, chap. XVII. 21. R. McChesney, “Waqf and Public Policy: the Waqf of Shâh ‘Abbâs, 1011-1023/1602-1614”, Asian and African Studies 15 (1981), p. 171-172. Concerning the respect expressed by Mongol Ilkhans to sayyids, see Lambton, Continuity and Change, p. 325-326. 22. The case of the immigration of Mirak Ghiyas, a sayyid from Herat is a good example. See M.E. Subtelny, “Mîrak-i Sayyid Ghiyas and the Timurid Tradition of Landscape Architecture”, Studia Iranica 24/1 (1995), p. 27. 23. See the case of Mir Mohammad Amin, infra. 24. Athar Ali affirms that most Iranian people were Shiite on the basis of a phrase in Bada’uni’s Montakhab al-tavârikh. We must pay attention to the fact that Bada’uni was referring only to Akbar’s court and that he said most of the people from “Iraq” were Shiite, rather than those from “Iran” (including Khorasan) as a whole. See Athar Ali, The Mughal Nobility under Aurangzeb, p. 19; ‘Abd al-Qâder b. Moluk Shâh Badâ’unî Muntakhab al-tavarîkh, ed. Ahmad ‘Alî and Lees, Calcutta, 1865-69, vol. II, p. 326-327. 25. For example, see the case of Asalat (Aṣâlat) Khan Mir ‘Abd al-Hadi (MU, vol. I, p. 167), of ‘Ali Mardan Khan (MU, vol. II, p. 795-807) and of Mir Ghiyas al-Din ‘Ali (MU, vol. III, p. 812-817). 26. Besides the two examples presented here, further such examples include Asaf (Âṣaf) Khan Khwaja Ghiyas al-Din ‘Ali Qazvini, a son of a davâtdâr (ink-holder) at the Safavid court (MU, vol. I, p. 90-93), Asaf Khan Mirza, a son of a vizier of Kashan and himself at one time an attendant at royal meetings (bâryâb-e majles-e shâh) (MU, vol. I, p. 107-115), Asalat Khan Mirza Mohammad whose ancestors had been the guardians of the holy shrine of Mashhad (MU, vol. I, p. 222-225), Daneshmand Khan, a man of erudition and patron of F. Bernier (MU, vol. II, p. 30-32), and Fathallah Shirazi, a man of great learning who was invited to ‘Adelshah’s court (MU, vol. I, p. 100-105). 27. Eskandar Monshi, Târikh-e ‘âlam-ârâ-ye ‘abbâsi, 2 vol., Tehran, 1350 Sh/1971 [hereafter TAA], p. 164. R. Quiring-Zoche, Isfahan im 15. und 16. Jahrhundert, Freiburg, 1980, p. 242. 28. Her name was Hava (Ḥavâ) Begom. After the death of Mirza Razi, she was given to his cousin, Mirza Rafi‘. See TAA, p. 929; Naṣrallâh Falsafi, Zendegâni-ye Shâh ‘Abbâs-e avval, vol. II, Tehran, 1334/1955, p. 201. 29. According to Eskandar Monshi, Mirza Razi died in 1026/1617. He was survived by a very young son named Mir Sadr al-Din Mohammad, grandson of the sovereign through the marriage of ‘Abbas’s daughter and Mirza Razi (TAA, p. 929). Following the enthronement of Shah Safi (1039/1630-31), a purge of the royal family was carried out. Among the purged members descended from Shah ‘Abbas’s daughters, we find the name of Mirza Razi (Mohammad Ma‘sum b. Khwâjagi Eṣfahâni, Kholâṣat al-siyar, ed. Iraj Afshâr, Tehran, 1368 Sh/1989, p. 126), or a son of Mirza Razi, ṣadr (Eskandar Monshi, Ẕeyl-e târikh-e ‘âlam-ârâ-ye ‘abbâsi, ed. Soheyli Khwânsari, Tehran, 1317 Sh/1938, p. 90). He ought to have been executed, but his life was spared and he was blinded. Mir Sadr al-Din Mohammad might have taken his father’s name after growing up. He

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was then at least thirteen years old and this fact corresponds with Chardin’s remark that the prince was blinded after growing up. Cf. Jean Chardin, Voyage du Chevalier Chardin, en Perse et autres lieux de l’Orient, 10 vol., Paris, éd. L. Langlès, 1811, vol. VIII, p. 47-59, vol. IX, p. 554, 555. 30. MU, vol. III, p. 415, says it was Mirza Rafi‘, but it must have been Mirza Razi, still living at the time of Mir Mohammad Amin’s return, as TAA says (p. 883). 31. The story of Mir Mohammad Amin’s return to Iran and second journey to India is described by Eskandar Monshi in a slightly different way. He was received by Shah ‘Abbas near the Aras river on his return from Tiflis. But “his overweening ambition led him to make remarks displeasing to the shah; for instance, he let it to be known that he would be satisfied with nothing less that the positions of vizier of the supreme dîvân and vakîl-e -e homâyûn”; TAA, p. 883, English translation by R.M. Savory (Eskandar Monshi, History of Shah Abbâs, Boulder, 1978), p. 1098. 32. ZKh, p. 219, says the sovereign gave him 1 500 zats and 200 horses. 33. He brought as presents twelve Iraqi horses, nine carpets and two rings of ruby (ZKh, p. 219). 34. MU, vol. III, p. 413-415. 35. ZKh, p. 219. The same story, a little less clear, is found in MU as well. 36. TAA, p. 955. 37. According to Manucci, Hakim Da’ud died after taking, in place of Shah Jahan, the poison sent by Aurangzeb to assassinate the emperor, see Storia de Mogor or Moghul India 1653-1708 by Niccolao Manucci, tr. W. Irvine, London, 1907-08, vol. II, p. 65; François Bernier, Histoire de la dernière révolution des états du Grand Mogol, 2 vol., Paris 1670, vol. I, p. 240-241; Chardin, Voyages, vol. VII, p. 462-463. 38. MU, vol. I, p. 490-493, vol. III, p. 625-627. 39. Loṭfallâh Honarfar, Ganjina-ye âsâr-e târikhi-ye Eṣfahân, Isfahan, 1344 Sh/1965, p. 612-620. 40. Concerning the Masjed-e Jorjir, see H. Gaube et E. Wirth, Der Bazar von Isfahan, Wiesbaden, 1978, p. 203-204; O. Grabar, The Great Mosque of Isfahan, London, 1990, p. 47-48. 41. Mirzâ Ḥasan Khân Sheykh Jâberi Anṣâri, Târikh-e Eṣfahân va Ray va hamma-ye jahân, Tehran, 1321, p. 270-271. 42. Satish Chandra stated that the Iranian people had to take their families to India and had no contact with the land of their birth after their immigration. See S. Chandra, Parties and Politics at the Mughal Court 1707-1740, Aligarh, 1959, p. xxxii. 43. Many such examples can be found in Sâjedallâh Tafhimi, Sho‘arâ-ye Eṣfahâni-ye Shaba Qâra, Islamabad, 1994; see p. 12, 23, 32, 43, 44, 52, 57, 67, 79, 85, 87, 88, 89, 94, etc. I thank Charles Melville for informing me of the existence of this valuable book and allowing me to refer to his own copy. 44. MU, vol. II, p. 30. 45. M. Haneda, “The Character of the Urbanisation of Isfahan in the Later Safavid Period”, in Ch. Melville (ed.), Safavid Persia. A History and Politics of an Islamic Society, London – New York, 1996, p. 374. The figure was drawn mainly based on the description of Isfahan by Jean Chardin and on the result of field work by Gaube and Wirth, Der Bazar von Isfahan. 46. Chardin, Voyages, vol. VIII, p. 93; S.F. Dale, Indian Merchants and Eurasian Trade, 1600-1730, Cambridge, 1994, p. 67. 47. In his recent study, Robert McChesney throws doubt on the traditional view that there existed a “barrier of heterodoxy” after the establishment of the Safavids between Iran and Central Asia. See R. McChesney, “Barrier of Heterodoxy? Rethinking the Ties between Iran and Central Asia in the Seventeenth Century”, in Ch. Melville (ed.), Safavid Persia, p. 231-267. 48. Maria Subtelny’s recent article on the emigration to India of a sayyid (“Mîrak-i Sayyid Ghiyâs ”) is certainly a pioneering work in this field.

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AUTHOR

MASASHI HANEDA Institute of Oriental Culture, University of Tokyo, Japon

Cahiers d’Asie centrale, 3/4 | 1997 107

Économies, sociétés, culture

NOTE DE L’ÉDITEUR

Cahiers d’Asie centrale, 3/4 | 1997 108

La politique monétaire du Timouride ‘Omar Sheykh au Ferghana à la fin du XVe siècle

Ludmila Špeneva Traduction : Alié Akimova

NOTE DE L’ÉDITEUR

Traduit du russe par Alié Akimova

1 Nous connaissons bien la société de l’époque de Timour et des Timourides, notamment dans ses activités politiques, spirituelles et culturelles et, en partie, économiques, grâce aux nombreuses sources manuscrites musulmanes. Mais les questions relatives aux échanges économiques, aux rapports entre la marchandise et la monnaie, et à la frappe monétaire y apparaissent rarement et de façon épisodique. En effet, les seules sources permettant d’étudier ces questions sont les monnaies elles-mêmes, qui nous sont parvenues en grande quantité, surtout pour l’époque timouride. Cette masse monétaire, frappée du XVe au début du XVIe siècle, est telle par rapport aux époques antérieures et postérieures (entre le IXe et le XIXe siècle), qu’elle a évidemment retenu l’attention des chercheurs, au tout premier rang desquels E.A. Davidovich. Sa monographie, publiée en 1983, présente une analyse détaillée de la circulation des monnaies de cuivre du XVe au début du XVI e siècle, surtout dans le Mavarannahr central et méridional, bien qu’elle ne considère pas le nord-est comme une aire numismatique séparée1.

2 La présente étude, basée sur des données originales inédites, propose l’analyse de la frappe de cuivre timouride dans le Mavarannahr du nord-est.

3 Nous avons étudié vingt-deux trésors monétaires trouvés sur le territoire de l’oasis de Ferghana, aujourd’hui conservés dans des collections d’État ou privées de toute l’Asie centrale.

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4 En 873/1468-69, après la mort d’Abu Sa’id, le Mavarannahr et le Khorassan redeviennent deux sultanats indépendants. Au gré des guerres intestines, qui s’intensifient par la suite, le fils aîné d’Abu Sa’id, Soltan-Ahmad, s’empare du pouvoir au Mavarannahr, alors qu’‘Omar Sheykh, dont le Ferghana est l’apanage, manifeste des intentions séparatistes ; c’est à la politique monétaire de ce dernier, reflétant ces tendances séparatistes, que nous allons nous intéresser2.

5 ‘Omar Sheykh, quatrième fils d’Abu Sa’id et père de Babour, donna à ce dernier, s’il faut l’en croire, la région du Ferghana en pleine possession. Babour écrit : « Comme [‘Omar Sheykh] Mirza était un souverain doué d’une haute ambition et de grandes aspirations, il avait toujours eu des désirs de conquête. Il mena plusieurs une fois son armée contre Samarcande3 ».

6 En menant sa propre politique extérieure, il aspirait, bien sûr, à l’indépendance économique, mais il ne se résolut cependant pas à frapper une monnaie d’argent, prérogative du pouvoir suprême. On ne connaît pas, en tout cas jusqu’à présent, de monnaie d’argent de ‘Omar Sheykh. Il n’en va pas de même de la monnaie de cuivre : là, il ne laissa échapper aucune occasion d’en frapper en la rajoutant ainsi à sa trésorerie. Mais ceci non plus ne se fit pas d’un seul coup. Durant les deux premières décennies de son règne, c’est principalement la monnaie du Mavarannahr central qui circula au Ferghana. Le Ferghana et le Shash utilisèrent, parallèlement au procédé employé à l’échelle de l’Etat – qui consistait à surpoinçonner les monnaies avec des cartouches en formes de lentilles et d’hexaèdres, portant l’inscription « nim-dang » – des procédés qui leur étaient propres.

7 Les surpoinçonnages du type 82, deuxième catégorie, dans un cartouche carré avec l’inscription « dangiżarb », ne sont attestés que dans les trésors provenant du nord-est et donc, vraisemblablement, ont été faits là-bas4. Ce sont eux qui représentaient la principale valeur nominale en cuivre sur les marchés du Ferghana et du Shash.

8 Les contremarques de type 9 du même groupe et de la même catégorie, dans le cartouche à trois pétales portant l’inscription « nimdangi », ne sont attestées que dans les trésors provenant du Ferghana et représentent la moitié (nim) de la valeur nominale (fig. 1).

Fig. 1 : Surpoinçons du groupe 2, première et deuxième catégories

9 Le surpoinçonnage se retrouve dans les types du sous-groupe 1-3, deuxième groupe, première catégorie, où le cartouche a la forme d’une lentille, d’un carré ou d’un triangle portant l’inscription « ‘adl ». Ces trois types font partie, semble-t-il, d’une même action entreprise dans la vallée du Ferghana étant donné leur prédominance numérique et la diversité de leurs types attestés dans les trésors du Ferghana. Sans doute ont-ils été frappés à la fin des années 890 de l’hégire, lorsque les khans du Mogholistan s’emparèrent du Shash.

10 On ne peut, pour l’instant, établir leur chronologie précise. Il est toutefois clair qu’ils furent tous entrepris entre 870 et 897 H., les contremarques de type 8 étant antérieures

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au type 9, qui s’arrête en 879 H. Et c’est seulement vers la fin de 890 H. que le surpoinçonnage contient le mot ‘adl.

11 La mise en place de ces pratiques que nous venons d’évoquer, inaugure la politique économique indépendante de ‘Omar Sheykh, qui cherchait à tirer un profit maximal de la circulation des monnaies. Le surpoinçonnage en constituait un moyen idéal, car ce travail, simple, ne coûtait que le prix d’une intervention technique. Ainsi, en 25 ans, cinq vagues de surpoinçonnage se sont succédé – deux à l’échelle de l’Etat et trois à l’échelle régionale –, ce qui témoigne du profit énorme que procurait la frappe des monnaies. Aussi bien au Mavarannahr central que du nord-est, la circulation des monnaies de cuivre fut orientée vers la rentabilité la plus élevée.

12 Le Ferghana était « en retard » dans le domaine de la circulation monétaire par rapport au Mavarannahr central. Comme auparavant, les monnaies « étrangères », mais surpoinçonnées sur place, constituaient la base de la masse monétaire, procédé qui bénéficiait à la trésorerie locale. Ces poinçons fournissaient aux marchés du Ferghana des monnaies de trois valeurs, témoignant ainsi d’un certain niveau de développement des rapports marchands et financiers dans la région, particulièrement pour le commerce des articles de première nécessité. C’est vers la fin des années 890 H. que le Mavarannahr du nord-est rattrapa graduellement son retard.

13 Le grand nombre « d’anciennes » monnaies en circulation, émises en 832 H., avec ou sans surpoinçons, les variations permanentes du cours des nouvelles monnaies, les émissions marquées de poinçonnages divers finirent par tant dérégler les échanges monétaires, dans le Mavarannahr du centre et du nord-est, qu’il fallut, dans la dernière décennie du XVe siècle, procéder à l’émission de nouvelles monnaies au Mavarannahr central et au Ferghana.

14 Cette étape de l’échange monétaire (897/1491-907/1502) est marquée par une nouvelle émission importante, abondante même.

15 E. Davidovich a établi que, à partir de 897/1491-92, à Boukhara et à Samarcande, on procéda annuellement à la frappe de nouveaux dinars et, simultanément, à des surpoinçonnages répétés. La politique monétaire étant commune, les monnaies de Samarcande et de Boukhara étaient du même type. Mais la nouvelle donne politique dans la deuxième moitié de l’année 900 H. entraîna un changement5. Jusqu’au milieu du mois de shavvâl 899/déb. juillet-déb. août 1494, Samarcande et Boukhara étaient aux mains de Soltan-Ahmad Mirza. À sa mort, on appela à Samarcande son frère Soltan- Mahmud Mirza qui, de son côté, envoya à Boukhara son fils Baysonghor Mirza. Soltan- Mahmud Mirza étant mort en rabi’ II 900/janvier 1495, Samarcande et Boukhara revinrent ensemble au pouvoir de Baysonghor Mirza. C’est alors que, selon Davidovich, on changea de type6.

16 Pour Davidovich, la présence de monnaies émises par les autres ateliers monétaires de la région et dont le type se rapprochait le plus du celui de Boukhara et Samarcande, caractérise le marché monétaire de l’époque. Les monnaies de Tachkent, d’Andijan et de Qarshi reproduisaient le type ancien de Samarcande (9) et de Boukhara (4). Elle en conclut que dans certaines régions du Mavarannahr, au début des années 1490, des monnaies de même type circulaient parallèlement, malgré la division du Mavarannahr en plusieurs apanages, dont certains indépendants de Samarcande, comme, par exemple, Andijan7.

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17 Les matériaux dont nous disposons témoignent qu’il n’en allait pas de même au Ferghana à l’époque étudiée.

18 À Andijan, tout comme à Boukhara et à Samarcande, les années 898-899 H. voient apparaître une nouvelle monnaie à l’avers en sept versions (fig. 2), dont une seule (type 3a) reproduit le type ancien de Boukhara et de Samarcande. L’émission fut importante, avec une intensification en 899 H. Nous avons tenté une reconstitution graphique des avers et revers : trois versions pour l’année 898 et huit pour l’année 899 H. En outre, 80 monnaies de l’année 899 H. portent également sur le revers le mois, rabi’ I. Peut-être parce que l’émission de ces dinars fut massive et intense, peut-être parce que, pendant plus de soixante ans, il n’y avait pas eu de frappe au Ferghana, la reproduction de l’inscription sur les monnaies d’Andijan est de moins bonne qualité que sur celles du Mavarannahr central, surtout dans la partie où est notée la date.

Fig. 2 : Réconstitution des types des monnaies d’Andijan (avers)

1. 818 H. ; 2. 832 H. ; 3. a-g : 898-899 H.

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Fig. 3 : Reconstitution des types des monnaies d’Andijan (revers)

1. a-d :898 H. ; 2. a : rabi’ I 899 H. ;2. b-h : 899 H.

19 D’où vient la diversité sur l’avers de monnaies contemporaines ?

20 Cela s’explique d’abord par l’utilisation accrue du droit régalien de battre sa propre monnaie. La modification de l’avers ne fit que réactualiser la valeur, sans répercussion sur le poids des « nouvelles » monnaies, comme le montre la comparaison de leur poids. On ne peut tracer le triangle de poids net, ce qui veut dire que toutes ces monnaies furent frappées al marco, avec un poids moyen de 4,8 à 4,9 g. (un lingot de cuivre d’un poids déterminé servait à frapper un nombre également déterminé de pièces de monnaie, d’où le poids moyen de chaque monnaie).

21 Les différentes versions de l’avers ont-elles rempli une fonction analogue au poinçonnage ? Cela signifierait que, tirant la leçon des erreurs passées, on chercha à tirer autrement un profit supplémentaire des monnaies en cuivre, d’autant plus que, dans le Ferghana de cette époque, le surpoinçonnage n’était pas répandu et avait plutôt un caractère symbolique.

22 Deux types de poinçons sont enregistrés pour cette période : dans des cartouches carrés, l’un porte l’inscription ‘adl solṭân et l’autre le nom de ‘Omar Sheykh Guragân. Attestés en exemplaires uniques sur les monnaies « étrangères », ils remplissaient une fonction plus proclamative que fiscale : affirmer de façon officielle la politique d’indépendance économique de ‘Omar Sheykh, d’autant plus qu’il ne frappait pas de monnaie d’argent.

23 Si on veut développer la thèse des multiples versions de l’avers, il faut prendre en considération le fait que certaines monnaies furent frappées après 898 H. Sur quatre versions émises en 898 H., trois furent encore frappées l’année suivante. Il s’agit ici

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plutôt de l’utilisation de poinçons anciens dans des combinaisons différentes ; étant donné l’intensité de l’émission, ce phénomène, assez courant, aurait pu se produire alors dans le Ferghana.

24 Les monnaies « étrangères » de Samarcande et de Boukhara, qui circulaient avec des taux différents et pouvaient jouer le rôle de plus petit multiple de la valeur nominale, constituaient 40 % de la masse monétaire.

25 On cessa de frapper la monnaie à Andijan en 899 H., vraisemblablement en rapport avec la mort de ‘Omar Sheykh. L’émission ne reprit que douze ans plus tard, en 910 H. à Akhsi, déjà sous le règne des Sheybanides. Durant toute cette période, de l’arrivée au pouvoir de Babour à la conquête de la région par Sheybani Khan, aucune monnaie ne fut frappée dans la vallée du Ferghana. Ce fait s’explique d’abord par l’exploitation intensive de la monnaie – sept versions de l’avers en deux ans – qui entraîna une inflation d’autant plus difficile à maîtriser que la situation politique était mauvaise. L’instabilité politique, entraînant une détérioration économique, eut elle aussi un impact négatif sur la circulation monétaire de la vallée du Ferghana.

26 À la mort de ‘Omar Sheykh, le prince Babour, âgé de douze ans, hérita de l’apanage du Ferghana. Cela aggrava les tendances centrifuges et les guerres intestines dans la région, notamment entre Babour et son frère Jahangir, chacun soutenu par une partie de l’aristocratie militaire. La guerre fratricide dévasta de nombreuses contrées au point que le blé et les vivres manquèrent. La conséquence fut la division, en 906/1500, du Ferghana en deux parties : Jahangir obtint les territoires situés au nord du Syr-Darya, dont le centre était Akhsi, et Babour reçut les régions au sud du fleuve, avec pour centre Andijan.

27 Le jeune Babour aspirait à conquérir Samarcande, capitale de Timour. Deux fois il y entra, en 903/1497-98 et en 906/1500, et deux fois il dut l’abandonner. Après sa première tentative, il faillit perdre son apanage et ce n’est qu’en 904/1499 qu’il put, à grand peine, rétablir son pouvoir au Ferghana. À la suite de la deuxième campagne, il perdit le Ferghana où Soltan Ahmad Tanbal usurpa le pouvoir. Babour chercha de l’aide à Tachkent auprès de Soltan-Mahmud. Mais Ahmad Tanbal s’allia à Sheybani Khan – déjà maître du Mavarannahr central –, qui battit Babour et les khans chaghataïdes près de Tachkent, en 909/1503-1504, et ajouta ainsi à son royaume le Shash d’abord, le Ferghana ensuite. Vers la fin du XVe siècle, l’anarchie politique au Ferghana culmina. Les interminables guerres intestines avaient eu un effet désastreux sur la situation intérieure du pays. La décadence économique prit un tour catastrophique. Les paysans ruinés allèrent grossir les rangs des pauvres urbains. La misère toucha même les familles nobles qui manquaient de vivres et de fourrages. La population, à bout, se révolta8.

28 Toute la période qui s’étend de l’accession de Babour au pouvoir à la conquête du Ferghana par Sheybani Khan se caractérise par des luttes politiques aux désastreuses conséquences économiques. Un contexte guère propice au développement de la circulation monétaire. Comme nous l’avons déjà noté, l’émission monétaire reprit à Akhsi en 910/1504-05, sous les Sheybanides, mais épisodiquement. On n’a retrouvé que deux manifestations de surpoinçonnage à l’époque de Babour et d’Ahmad Tanbal. Il s’agit de cartouches octaèdres portant l’inscription Akhsi, et à quatre pétales portant l’inscription żarb-[e] Akhsi.

29 Ainsi la fin du XVe siècle au Ferghana se caractérise par la continuation d’une politique monétaire indépendante. La circulation monétaire se rapproche alors beaucoup de celle

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du Mavarannahr central, grâce à la stabilité économique du pays. Après une interruption de plus de cinquante ans, l’émission assez importante, dans les années 898-899 H., d’une monnaie du Ferghana est un facteur essentiel du développement de la circulation monétaire. À cette époque, plus de la moitié de la masse monétaire était constituée de monnaies propres à cette région et près de 40 % par des monnaies nouvellement émises au Mavarannahr central ou de l’époque antérieure. La politique fiscale fut modifiée compte tenu des erreurs passées. Le surpoinçonnage, autrefois très connu au Mavarannahr central, fut utilisé au Ferghana surtout à des fins de propagande. Le principal moyen de tirer un bénéfice supplémentaire consistait à changer souvent le décor de l’avers de la monnaie, ce qui, en fin de compte, joua un rôle négatif pour la réémission après la mort de ‘Omar Sheykh.

30 Mais, pour l’essentiel, l’interruption dans le développement de la circulation monétaire de cuivre vint des troubles intérieurs après la mort de ‘Omar Sheykh. Ils ruinèrent complètement l’économie de la vallée du Ferghana et ramenèrent son système d’échange monétaire au stade antérieur, à l’époque où circulaient les monnaies « étrangères » avec le surpoinçon local.

31 En travaillant sur le matériel relatif au Mavarannahr central et méridional, Davidovich a montré que le dernier quart du XVe et le premier quart du XVI e siècle avaient constitué la période d’essor maximal des rapports marchands monétaires. Elle a réussi à établir que, dans le premier quart du siècle, la région de Hesar égala pratiquement le Mavarannahr central pour la production et le commerce d’articles de consommation courante. Pour elle, ce phénomène est propre à la région méridionale. Cependant, les données numismatiques provenant des régions nord-est attestent le même processus dans ces régions où la circulation monétaire se rapprocha aussi de plus en plus de celle du Mavarannahr central. Il faudrait y voir une tendance générale du développement accéléré des rapports marchands monétaires et de leur poussée maximale dans les régions périphériques de tout le Mavarannahr.

NOTES

1. E.A. Davidovich, Istorija denežnogo obrashchenija srednevekovoj Srednej Azii, Moscou, 1983. 2. Babur-nama, trad. M. Sal’e, Moscou, 1961, p. 18 ; trad. J.-L. Bacqué-Grammont, Le Livre de Babur, Paris, Imprimerie Nationale, 1985, p. 42b. 3. Babur-nama, trad. Sal’e, p. 15 ; trad. Bacqué-Grammont, p. 37b. 4. Nous utilisons ici la méthodologie de Davidovich ( Istorija denežnogo obrashchenija), sa classification typologique des monnaies et des surpoinçons, et sa périodisation de la production monétaire du XVe et du début du XVIe siècle. 5. Davidovitch, Istorija, p. 187. 6. Ibid., p. 189. 7. Ibid., p.190. 8. Babur-nama, trad. Sal’e, p. 40.

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AUTEURS

LUDMILA ŠPENEVA Institut d’Archéologie, Samarcande, Ouzbékistan

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Les relations entre Astrakhanides, khans kazaks et ‘Arabshahides : dernières données numismatiques

Boris Kočnev Traduction : Alié Akimova

NOTE DE L’ÉDITEUR

Traduit du russe par Alié Akimova

1 L’histoire politique et dynastique des Astrakhanides (Janides), des ‘Arabshahides et, dans une moindre mesure, des khans kazaks, tous descendants de Gengis Khan, est assez bien retracée dans les sources écrites. L’Etat astrakhanide, avec Boukhara comme capitale, comprenait la plus grande partie de l’Asie centrale et la région de Balkh ; les ‘Arabshahides possédaient le Khorezm ; quant au domaine des Kazaks et de leurs khans, il s’étendait dans le Dasht-e Qipchaq. Les relations entre ces dynasties, du fait de l’absence, jusqu’à une date récente, de matériel numismatique, ne pouvaient être étudiées qu’à partir des sources écrites et l’on considérait les ‘Arabshahides et les khans kazaks comme des dynasties « non monétaires ». Grâce à des découvertes effectuées en Ouzbékistan, on peut aujourd’hui mettre aussi à contribution les sources numismatiques.

2 En 1982, dans les montagnes au nord-est de Tachkent, non loin du réservoir d’eau de Charvak, on découvrit par hasard un trésor de monnaies d’argent (tanga). Il se composait de 200 pièces, dont la plus grande partie fut dispersée à l’exception de 25, transmises au Musée d’Histoire de l’Ouzbékistan, que nous avons pu étudier. L’une de ces tanga n’est pas identifiée ; deux représentent différents types de monnaie de l’Astrakhanide Emam-Qoli Khan (1020-1051/1611 -1642) ; les 22 autres mentionnent Torsun-Mohammad. Elles sont de deux types : celles du premier type (18 exemplaires) ont sur l’avers un cartouche en forme de double étoile à huit branches et sur le revers un carré avec des petits arrondis aux angles. L’avers des monnaies du deuxième type (4

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exemplaires) possède un cartouche figuratif, et le revers un cartouche rond. Les cartouches de l’avers portent le nom du souverain et une partie de ses titres (« Torsun- Mohammad Bahâdor-khân ») et on voit les fragments du reste de la titulature à l’extérieur des cartouches (« al-khaqân al-khaqân ») ainsi qu’un fragment de vœu (« ...et son pouvoir »). Sur les cartouches du revers se lit le symbole sunnite de la foi (« Il n’y a d’autre Dieu qu’Allah et Mohammad est son Prophète ») ; autour des cartouches était, semble-t-il, écrit le nom des quatre premiers califes (que l’on appelle « les bien guidés ») dont ne subsiste que la fin de la titulature (« amir al-mo’menin »).

3 Ces tanga ne se différencient des monnaies d’argent des Astrakhanides ni par leur poids1, ni par leur forme et leur décoration, ni par le contenu et la répartition de leurs légendes, à cette réserve près que, parmi les souverains astrakhanides de Boukhara, il n’y a jamais eu de Torsun-Mohammad. En revanche, les sources écrites mentionnent des princes portant ce nom à la charnière des XVIe-XVIIe siècles. Par exemple, un document daté de 1008/1599 fut adressé au qâżi du velâyat d’Andijan par un Torsun- Mohammad Soltan, mais le document ne précise pas si le sultan était un Sheybanide ou un Astrakhanide2. Apparemment il ne s’agit pas du Torsun-Mohammad Soltan qui, selon le Selselat al-salâṭin de Mir Mohammad Salim, était l’arrière-grand-père de l’auteur, fils de l’Astrakhanide Yar-Mohammad Khan, et qui décéda en 1006/1598 à Miyan-Qal’a près de Samarcande3. Les deux princes sont mentionnés par leur titre de « solṭân », tandis que l’émetteur des monnaies en question est appelé « khân » et, par conséquent, ne peut être identifié ni à l’un ni à l’autre. Mais par ailleurs, dans leur relation des événements de la région de Tachkent, les sources manuscrites évoquent un khan kazak du nom de Torsun-Mohammad, contemporain d’Emam-Qoli Khan.

4 Selon les données livrées par Mahmud b. Vali, Torsun-Mohammad était le fils de Jalim (ou Chalim)-Soltan dont la généalogie n’est pas encore établie. Il apparut sur la scène politique à l’époque du khan kazak Ishim. Torsun-Mohammad se proclama lui-même khan, s’empara d’un territoire important qui comprenait Tachkent et, en quelques années, fut reconnu khan par la majeure partie des Kazaks. Si l’on doit en croire le Statejnoj spisok (Les états de la clause) d’Ivan Khokhlov, à un moment Torsun- Mohammad fut expulsé de ses terres et contraint de faire hommage à Emam-Qoli Khan, qui lui donna Tachkent, alors territoire astrakhanide. Selon Mahmud b. Vali, en 1022/1613 Emam-Qoli fit campagne dans la région de Tachkent et il accueillit Torsun- Mohammad venu avec une petite suite dans son camp. Eskandar Monshi dit qu’Emam- Qoli Khan mena la campagne de 1022/1613 avec son frère Nadr-Mohammad et qu’ils essuyèrent une défaite. En 1030/1621, Emam-Qoli serait venu avec une armée de 160 000 soldats, mais Torsun-Mohammad avec 100 000 soldats l’aurait défait au cours d’une bataille près de Shahrokhiya. Emam-Qoli fut contraint de faire la paix avec son vainqueur. Plus tard, Torsun-Mohammad donna asile à un réfugié du Khorezm, le futur khan de Khiva et célèbre historien Abu’l-Ghazi, qui passa à Tachkent plus de deux ans. Torsun-Mohammad était en correspondance avec l’influent Sheykh Khwaja Taj al-Din Juybari. Ce dernier entretenait en même temps des relations avec le khan kazak Ishim, avec lequel Torsun-Mohammad était tantôt en termes amicaux, tantôt en état de guerre. À un moment, Ishim, probablement délogé par Torsun-Mohammad, alla au Turkestan oriental où il prit le parti d’un Chaghataïde du Mogholistan, ‘Abd al-Rahim Khan, souverain de Chalish et Turfan qui lui donna Bay ; à son tour, Torsun-Mohammad soutint l’adversaire de ‘Abd al-Rahim, le souverain de Yarkand. Au bout du compte

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l’animosité entre les deux khans kazaks prit fin en 1037/1627-28 avec la mort de Torsun-Mohammad dont la tête fut envoyée par Ishim à Emam-Qoli Khan4.

5 Selon toutes les données disponibles, Tachkent était le quartier général de Torsun- Mohammad. Une histoire en vers intitulée Emâm-Qoli-nâma, écrite par un certain Soheyla, en porte témoignage : c’est à Tachkent que l’on prononça la khoṭba et frappa monnaie au nom de Torsun-Mohammad5. D’après E.A. Davidovich, la mention dans les sources manuscrites d’une monnaie frappée par tel ou tel souverain ne correspond pas forcément à la réalité et il peut ne s’agir que d’une phrase rhétorique de circonstance6. Pourtant, les informations mentionnées plus haut, ainsi que la découverte d’une grande quantité de monnaies d’argent de Torsun-Mohammad dans la région de Tachkent confirment que la mention dans l’Emâm-Qoli-nâma de la frappe de monnaie à Tachkent par Torsun-Mohammad reflète effectivement la réalité. On peut donc accorder foi à la mention de la khoṭba au nom du même souverain.

6 Des documents russes datant de 1616 et 1620 disent que Torsun-Mohammad était alors un « protégé » d’Emam-Qoli Khan7. Selon les données mentionnées ci-dessus, cette hypothèse paraît fondée. Pourtant, la monnaie au nom de Torsun-Mohammad sur laquelle Emam-Qoli Khan n’est pas même mentionné, caractérise le khan kazak comme un souverain indépendant qui, à un certain moment de sa carrière, fut indépendant des Astrakhanides non seulement dans les faits, mais aussi juridiquement. En outre, Tachkent et sa région étaient politiquement et économiquement tout à fait indépendantes de Boukhara, car l’Emâm-Qoli-nâma évoque le refus de Torsun- Mohammad (après qu’il eut commencé à frapper sa propre monnaie) de payer à Emam- Qoli Khan les taxes du velâyat de Tachkent (bâj va kharâj)8.

7 Ni la date précise de l’émission monétaire par Torsun-Mohammad ni sa durée ne sont déterminées, bien que la présence de deux types de tanga nous laisse supposer qu’il ne s’est pas agi d’un événement isolé. Quoi qu’il en soit, ces monnaies représentent les premiers modèles de frappe attribuables de façon sûre à une dynastie de khans kazaks9.

***

8 En 1978, à Samarcande, au cours de travaux menés à la suite d’un affaissement de terrain autour du Registan, au sud de la madrasa Shir-Dar, on découvrit un autre trésor de monnaies d’argent du XVIIe siècle qui comprenait 459 pièces. Elles furent toutes remises à l’Institut d’Archéologie de l’Académie des Sciences de l’Ouzbékistan à Samarcande où j’ai pu les étudier. La majeure partie d’entre elles (298) ont été émises par les Astrakhanides, dont Emam-Qoli Khan (1020-1051/1611-1642) pour 2 pièces, ‘Abd al-‘Aziz Khan (1055-1091/1645-1680) pour 18, Sobhan-Qoli Khan (1091-1114/1680-1702) pour 278 ; 78 pièces ne sont pas identifiées. Enfin, 83 tanga portent le nom du khan de Khiva, Anusha Mohammad, de la dynastie des ‘Arabshahides (son père était Abu’l-Ghazi qui avait autrefois trouvé refuge chez Torsun-Mohammad).

9 On peut distinguer deux types dans les monnaies d’Anusha Mohammad. Les monnaies du premier (80 pièces) ont sur l’avers un cartouche double et ciselé et sur le revers un cartouche en forme de croix à trait double. Les tanga du second type (3 pièces) ont sur l’avers un cartouche hexagonal à un trait ( ?), et sur le revers un triple cartouche hexagonal (un contour en pointillé entre deux traits pleins). Les deux types ne se différencient que par la forme des cartouches, mais non par le contenu des inscriptions. Les cartouches de l’avers portent le nom et le titre du souverain (« Anusha Mohammad

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bahâdor khân seyyed ») et sur le pourtour où la titulature continuait, ne reste que « ... al- khaqân al-khaqân ... ». Les cartouches du revers comprennent le symbole de la foi sunnite, entouré des noms des califes « bien guidés » avec, pour chacun, le titre de « amir al-mo’menin ». Sur le cartouche de l’avers de l’une des monnaies du premier type figure la date en chiffres – 1096 H.

10 Cette date est importante parce qu’elle permet avant tout de comprendre les raisons de cette émission monétaire, visiblement liée à la prise de Samarcande par Anusha Khan. Cet événement, comme d’ailleurs les autres expéditions d’Anusha Khan sur le khanat de Boukhara, a été étudié en détail par M.A. Salahetdinova10, dont le travail utilise essentiellement deux sources, le Moḥiṭ al-tavârikh de Mohammad-Amin Kirak Yarakchi et le Dastur al-moluk de Samandar Termezi.

11 Ce dernier est de loin le plus précis11. Selon ce texte, en 1096/1684-85 le gouverneur de Samarcande, Khwaja-Qoli Bey, se révolta et se réfugia à Kasan (de Kashka-Darya). Malgré les tentatives de négociation du souverain Sobhan-Qoli Khan, il partit chez Anusha Khan pour le persuader d’attaquer le khanat de Boukhara. Après trois batailles désastreuses pour les Khorezmiens dans la vallée du Zarafshan, Anusha rentra au Khorezm en emmenant avec lui Khwaja-Qoli. À la fin du mois de sowr 1097/mai 1686, Anusha Khan lança de nouveau une armée nombreuse sur le Mavarannahr et s’approcha de Samarcande. Shah-Beg Hajji, envoyé par Sobhan-Qoli Khan pour défendre Samarcande, prit le parti des Khorezmiens. Anusha Khan envoya des ambassadeurs aux habitants de Samarcande pour leur demander de se rendre. Ceux-ci acceptèrent et remirent aux vainqueurs les clés des portes de la ville. Le résultat fut que tout le Miyankal, puis Shahrisabz se trouva entre leurs mains. Trois mois plus tard, après une série de batailles infructueuses12, Anusha Khan se dirigea vers Ghojdovan en laissant à Samarcande son émir Beg-Qoli Bey. Ayant essuyé une défaite à Ghojdovan, Anusha Khan se retira au Khorezm où Beg-Qoli Bey le rejoignit.

12 L’anthologie Moẕakker al-aṣḥâb de Mohammad Badi’ Samarqandi « Maliha » (Maliḥa) contient des données importantes qui complètent le récit de Samandar Termezi. Les deux auteurs ont été témoins des événements qu’ils décrivent et, de plus, Maliha utilise l’ouvrage de Samandar Termezi pour écrire le sien. Selon Maliha, les armées de Khiva pillèrent impitoyablement non seulement Samarcande, mais tout le Miyankal. Après leur départ, Samarcande souffrit encore bien plus, car Sobhan-Qoli fit exécuter beaucoup de ses habitants pour s’être rendus à Anusha Khan sans résistance, et il taxa la ville d’un lourd tribut égal à sept années d’impôt habituel13. En conséquence, écrit Maliha, « la ville ressembla à un désert aride14 ».

13 Le Moḥiṭ al-tavârikh de Mohammad-Amin est moins détaillé sur la prise de Samarcande par Anusha Khan, mais en revanche, il en donne les dates précises : la ville fut prise par les Khorezmiens le samedi 5 sha’bân 1096/7 juillet 1685 et abandonnée le mardi 9 ẕu’l- ḥejja 1096/6 novembre 168515. Ainsi, les chronologies de Samandar Termezi et Mohammad-Amin divergent d’un an. Salahetdinova donne la préférence à la datation du premier auteur (1097), car il prit part aux événements qu’il rapporte16. Cet argument n’est pas convaincant car Mohammad-Amin fut, lui aussi, un contemporain et peut-être même un acteur des mêmes événements. De plus, sa datation correspond parfaitement aux données d’une autre source, le Târikh-e Moqim-Khâni de Mohammad Yusof Monshi. D’autre part, la datation de Samandar Termezi est en contradiction avec les données des autres sources et par conséquent met à mal la chronologie établie et sûre de toute

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l’histoire centre-asiatique de l’époque (y compris celle du Mavarannahr, du Khorezm et de Balkh).

14 C’est pour cela sans doute que des savants tels qu’A.A. Semenov17, M.A. Abduraimov18, R.D. McChesney19 et A. Burton 20 adoptent la datation haute (1096/1685). L’une des monnaies d’Anusha-Mohammad dont nous avons parlé et qui est datée de 1096 met un point final à cette question.

15 Bien que le nom de l’atelier de frappe ne soit pas mentionné ou n’ait pas été préservé (comme d’ailleurs sur toutes les autres tanga d’Anusha Khan), ce ne peut être que Samarcande. Cette déduction ne provient pas uniquement du fait que le seul trésor de monnaies d’Anusha-Mohammad (81 pièces) ait été trouvé à Samarcande. On sait qu’au XVIIe siècle le niveau économique et culturel du Khorezm était au plus bas : Abu’l- Ghazi, le père d’Anusha-Mohammad, dut écrire lui-même l’histoire de la dynastie des ‘Arabshahides car les lettrés manquaient dans le pays21. C’est à cette époque que « l’ancien pays de culture est devenu un Etat de brigands22 ». Dans ce contexte, le Khorezm n’avait nul besoin d’une monnaie propre et les sources écrites ne mentionnent aucune frappe de monnaie au Khorezm durant le XVIIe siècle. En revanche, Mohammad-Amin Kirak Yarakchi et Mohammad Yusof Monshi témoignent à l’unanimité que, après la prise de Samarcande par Anusha Khan, on y prononça la khoṭba et frappa monnaie en son nom23, alors qu’ils ne notent pas de tels événements à Shahrisabz (Kesh), bien que Shahrisabz ait été, elle aussi, prise par les armées du Khorezm. On peut donc considérer que les tanga d’Anusha-Mohammad décrites ici – toutes ou une partie d’entre elles – furent émises à Samarcande entre le 5 sha’bân et le 9 ẕu’l-ḥejja 1096/7 juillet – 6 novembre 1685.

16 Les campagnes militaires d’Anusha Khan aussi font l’objet d’interprétations diverses. Selon N.I. Veselovskij, il ne s’agissait que de raids de pillage24, tandis que M. A. Salahetdinova considère que le souverain cherchait à conquérir des terres et à y installer durablement son pouvoir25. Les tanga d’Anusha-Mohammad nous feraient pencher pour ce dernier point de vue. Dans l’état actuel des connaissances, on suppose qu’avant la conquête de Samarcande, les ‘Arabshahides ne frappaient pas monnaie. En émettant sa propre monnaie, Anusha Khan s’affirmait en tant que souverain indépendant contrôlant le centre de première importance du Mavarannahr qu’était alors la ville de Samarcande. Frappées sur le modèle des tanga astrakhanides, les pièces étaient destinées à se mêler à la monnaie d’argent des Astrakhanides qui circulait alors et à témoigner ainsi des succès d’Anusha Khan. Elles ressemblent aux tanga astrakhanides non seulement par le contenu et l’emplacement de leurs légendes, mais aussi par leur forme ronde, leur poids26 et, semble-t-il, leur poinçon27. Tout cela n’est bien évidemment pas le fruit du hasard. L’analogie avec le XVIe siècle semble évidente. Après la mort de Sheybani Khan, le Khorassan que les Safavides contrôlaient passa sous leur domination, mais les Sheybanides n’eurent de cesse de reconquérir ces territoires en lançant à plusieurs reprises des raids et des campagnes militaires vers le sud. Une des plus grandes campagnes eut lieu en 932-34/1526-28. En 932-3 H., il y eut une émission de tanga sheybanides à Astarabad, Esfarayn et Mashhad, dont le poids ne correspondait pas au standard sheybanide, mais safavide. Davidovich en conclut que cette frappe ne visait pas à changer le système monétaire safavide, mais représentait une manifestation politique28. Plus proche chronologiquement est le cas de Balkh : lorsque les Grands Moghols conquirent la région de Balkh en 1056/1646, ils commencèrent à frapper des monnaies d’argent avec le nom du Grand Moghol Shah

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Jahan non pas sur le modèle babouride mais astrakhanide29. De façon analogue, l’émission de monnaie à l’occasion de la prise de Samarcande par Anusha Khan était purement politique, il ne s’agissait pas du tout de changer le système monétaire astrakhanide.

17 D’autres succès d’Anusha-Mohammad influèrent également sur la frappe monétaire, mais de façon indirecte. En particulier, on trouve dans le trésor du Registan une tanga frappée au nom de Sobhan-Qoli Khan à Kesh (Shahrisabz). Puisque les Astrakhanides n’ont frappé monnaie à Kesh ni avant ni après, il faut conclure que cette frappe constituait en quelque sorte une émission de victoire pour marquer le retour de Shahrisabz sous le pouvoir de Sobhan-Qoli Khan après une courte période de domination khorezmienne.

18 Le même trésor contient une tanga de Sobhan-Qoli Khan frappée à Nasaf (Qarshi), dont l’atelier de frappe, comme celui de Kesh, est tout à fait nouveau pour les Astrakhanides30. Selon des données sûres, Nasaf n’a pas été pris par les troupes de Khiva, bien que le danger ait réellement existé et qu’un grand détachement khorezmien ait dévasté la région. On peut supposer que la frappe de monnaie à Nasaf ou bien voulait témoigner que cette ville restait sous le pouvoir de Sobhan-Qoli Khan, ou bien ne s’effectua que lorsque Nasaf fut hors de danger.

***

19 Ainsi deux grandes dynasties centre-asiatiques descendant de Gengis Khan – les khans kazaks et les ‘Arabshahides – rejoignent les dynasties qui frappèrent monnaie. On ne peut pas sous-estimer ce fait. Il est connu que, à l’instar de la khoṭba, la sekka (la frappe monétaire) était l’une des prérogatives majeures d’un souverain musulman et le témoignage tangible et concret de l’indépendance de son pouvoir. Certes, les spécialistes pouvaient savoir à travers les sources écrites que Torsun-Mohammad ou Anusha-khan avaient frappé monnaie, mais rien ne garantissait que les phrases concernant la sekka et la khoṭba n’étaient pas de simples clichés ni qu’elles reflétaient des événements réels. La découverte des monnaies de Torsun-Mohammad et d’Anusha Khan lève le doute à ce sujet. Ces souverains acquièrent un nouveau statut, plus élevé, et leurs activités dans la région du Syr-Darya et au Mavarannahr central se présentent sous un nouvel éclairage. Et il va sans dire que ces monnaies apportent un complément important au tableau des relations entre les Astrakhanides, les khans kazaks et les ‘Arabshahides.

NOTES

1. Poids des monnaies de Torsun-Mohammad : a) premier type : 4,2 ; 4,3 ; 4,3 ; 4,3 ; 4,3 ; 4,3 ; 4,4 ; 4,4 ; 4,4 ; 4,4 ; 4,4 ; 4,4 ; 4,4 ; 4,4 ; 4,4 ; 4,4 ; 4,4 ; 4,5 g. ; b) second type : 4,4 ; 4,4 ; 4,4 ; 4,6 g. Dimensions : 27-32,5 ; 24,5-30,5 ; 26,5-28 ; 27-27,5 ; 26-31 ; 27-39 ; 24,5-30 ; 26,5-27,5 ; 27-28,5 ; 26,5-29 ; 27-27,5 ; 24-31 ; 26,5-27 ; 26,5-27 ; 25-30,5 ; 25-30 ; 25-28 ; 25-28 ; 26,5-33,5 ; 25-27 ;

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27-28,5 ; 27-29 mm. On retrouve les mêmes données non seulement pour les tanga d’Emam-Qoli, mais aussi de certains autres Astrakhanides du XVIIe siècle (E.A. Davidovich, Istorija monetnogo dela Srednej Azii XVII-XVIII vv. [Zolotyje i serebrjanyje monety Džanidov], Douchanbe, 1964, p. 245-279). Les monnaies de Torsun-Mohammad, tout comme les tanga astrakhanides, ne sont pas rondes, mais ont la forme d’un carré arrondi, d’un losange arrondi, d’un rectangle arrondi, d’un ovale, voire sont complètement irrégulières, ce qui rend la différence entre la longueur et la largeur de la pièce assez importante. 2. E.A. Davidovich, Korpus zolotyh i serebrjanyh monet Shejbanidov, XVI vek, Moscou, 1992, p. 152. 3. B.A. Ahmedov, Istoriko-geograficheskaja literatura Srednej Azii XVI-XVIII vekov. Pis’mennye pamjatniki, Tachkent, 1985, p. 102. 4. V.V. Vel’jaminov-Zernov, Issledovanije o kasimovskih carjah i carevichah, 2e partie (Trudy Vostochnogo otdelenija Imperatorskogo arheologicheskogo obshchestva, vol. X), Saint- Pétersbourg, 1864, p. 372-376 ; T.I. Sultanov, Kochevye plemena Priaral’ja v XV-XVIIvv. (Voprosy etnicheskoj i social’noj istorii), Moscou 1982, p. 113, 119-20 ; Shah-Mahmud ibn Mirza Fazil Churas, Hronika, éd. et trad. O.F. Akimushkin, Moscou, 1976, p. 128-129, 304 n. 235 ; M.A. Abduraimov, Ocherki agrarnyh otnoshenij v Buharskom hanstve v XVI-pervoj polovine XlX veka, vol. I, Tachkent, 1966, p. 114-115 ; Istorija Kirgizskoj SSR, vol. I (« S drevnejshih vremen do serediny XIX v. ») Frounze, 1984, p. 450-451. 5. A.H. Abuseitova, Kazahskoje hanstvo vo vtoroj polovine XVI veka, Alma-Ata, 1985, p. 92. 6. Davidovich, Korpus, p. 126-128. 7. Sultanov, Kochevye plemena, p. 92. 8. Abuseitova, Kazahskoje hanstvo, p. 92. 9. Selon R.Z. Burnasheva et V.N. Nastich, « il n’y a pas de doute » que les monnaies en cuivre de la fin du XVIe – début du XVII e siècle qu’on ne trouve que dans la région du Syr-Darya, « appartiennent aux souverains locaux kazaks » ; « une partie d’entre elles peuvent aussi appartenir à la frappe du khan kazak Torsun-Mohammad » (Istorija Kazahskoj SSR, vol. II, Alma- Ata, 1979, p. 321). Mais cette certitude semble illusoire, car aucune monnaie ne contient de nom d’émetteur. Il est évident que le problème de leur attribution dynastique ne peut être résolu qu’après la découverte de pièces aux inscriptions lisibles. 10. M.A. Salahetdinova, « Pohody Anusha-hana na zemli Buharskogo hanstva », dans Bližnij i Sredmj Vostok (istorija, kul’tura, istochnikovedenije) (Sbornik statej v chest’ 70-letija Prof. LP Petrushevskogo), Moscou, 1968, p. 123-133. 11. Khwâja Samandar Termezi, Dastur al-muluk (Nazidanije gosudarjam) ; éd. et trad. M.A. Salahetdinova, texte en fac-similé, Moscou, 1971, texte p. 123-187 ; traduction p. 88-113. 12. Une des batailles eut lieu dans la région de Nasaf (Qarshi) non loin du village de Fuladi, où l’armée du Khorezm, comptant quatre mille soldats, fut défaite. Salahetdinova n’est pas arrivée à identifier le nom de ce village, qui n’était pas mentionné dans les sources qu’elle avait étudiées (Khwâja Samandar Termezi, p. 197 n. 75). Apparemment, « Fuladi » est identique à « Pulaty » – un grand village à 16 km au nord de Qarshi et à 10 km à l’est de Kasan. 13. Selon certaines données, Sobhan-Qoli Khan ordonna d’exterminer toute la population de Samarcande, mais son ordre ne fut pas exécuté (Istorija narodov Uzbekistana, vol. 2,Tachkent, 1947, p. 88). 14. Ahmedov, Istoriko-geograficheskaja literatura, p. 177 ; Abduraimov, Ocherki, p. 20-21. 15. Salahetdinova, « Pohody », p. 127-128. 16. Ibid., p. 132. 17. Istorija narodov Uzbekistana, vol. II, p. 88. 18. Abduraimov, Ocherki, p. 21. 19. R.D. McChesney, « Central Asia, VI :In the 10th-12th/16th-18th centuries », Encyclopaedia Iranica, (éd.), Costa Mesa, 1992, p. 191. 20. Communication orale (1996).

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21. V.V. Bartol’d, « Istorija Turkestana », Sochinenija, vol. II/l, Moscou, 1963, p. 164 ; et le même auteur, « Istorija kul’turnoj žizni Turkestana », ibid., p. 274. 22. V.V. Bartol’d, « Horezm », Sochinenija, vol. III, Moscou, 1965, p. 549. 23. Abduraimov, Ocherki, p. 127 ; Mohammad Yusof Monshi, Mokim-hanskaja istorija, trad. A.A. Semenov, Tachkent, 1956, p. 124. 24. N.I. Veselovskij, Ocherk istoriko-geograficheskih svedenij o Hivinskom Hanstve ot drevnejshih vremen do nastojashchego, Saint-Pétersbourg, 1877, p. 138-139. Gafurov appelle aussi ces campagnes « les raids de brigandage » (B.G. Gafurov, Tadžiki. Drevnejshaja, drevnjaja i srednevekovaja istorija, Moscou, 1972, p. 562). 25. Salahetdinova, « Pohody », p. 132. 26. Poids des monnaies d’Anusha Khan : a) premier type : 3,4 ; 3,5 ; 3,7 ; 3,7 ; 3,8 ; 3,8 ; 3,8 ; 3,8 ; 3,8 ; 3,8 ; 3,8 ; 3,8 ; 3,8 ; 3,8 ; 3,8 ; 3,8 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 3,9 ; 4,0 ; 4,0 ; 4,0 ; 4,0 ; 4,0 ; 4,0 ; 4,0 ; 4,0 ; 4,0 ; 4,0 ; 4,0 ; 4,0 ; 4,0 ; 4,0 ; 4,0 ; 4,0 ; 4,0 ; 4,0 ; 4,0 ; 4,1 ; 4,1 ; 4,1 ; 4,1 ; 4,1 ; 4,1. ; 4,1 ; 4,1 ; 4,1 ; 4,1 ; 4,1 ; 4,1 ; 4,2 ; 4,2 ; 4,2 ; 4,3 ; 4,3 ; 4,4 g. ; b) second type : 3,9 ; 4,1 ; 4,3 g. Dimensions : 22-27 ; 22-25 ; 23-23,5 ; 22-25 ; 23-27 ; 26-28 ; 23-26,5 ; 24,5-25 ; 24-27 ; 24-26 ; 23-25 ; 24-25 ; 24,5-29,5 ; 22,5-27 ; 25-28 ; 23-26,5 ; 22,5-26,5 ; 23-25 ; 24-28 ; 22-25 ; 23-25 ; 24-27 ; 23-27 ; 22,5-25 ; 23-28 ; 23-27 ; 23-35 ; 23-26 ; 23-27,5 ; 24-27 ; 23-28 ; 23-24,5 ; 24-26 ; 24-27 ; 22-25 ; 22-25 ; 23-27 ; 22-25 ; 24-27 ; 24-27 ; 26-28,5 ; 25-27 ; 23-27 ; 25-26,5 ; 23-24,5 ; 23-27 ; 21-25 ; 21-25 ; 21-25 ; 24-26 ; 22-26,5 ; 24-31 ; 23-24,5 ; 22-25 ; 21-27 ; 23-25 ; 24-26 ; 25-27 ; 22-24 ; 22-28 ; 22-26 ; 24-28 ; 22-25 ; 23-26 ; 24-27 ; 22-28 ; 21-26 ; 21-28,5 ; 23-24,5 ; 24-25 ; 24-26,5 ; 23-26 ; 22-29 ; 24,5-26 ; 25-27 ; 21-26 ; 23-26 ; 22-25 ; 22-22,5 ; 20-23 ; 21-29 ; 22-26 ; 22-26 mm. 27. Les monnaies d’Anusha Khan ne furent pas soumises à l’analyse ou au poinçonnage, mais à l’extérieur elles sont semblables aux tanga de Sobhan-Qoli Khan du même trésor de Registan, et selon Davidovich contiennent de 12,2 à 26 % d’argent (Davidovich, Istorija monetnogo dela, p. 118, table 46). 28. Davidovich, Korpus, p. 103-105. 29. B. Kočnev, « Les Moghols et l’Asie centrale à travers les monnaies de Shâh Jahân figurant dans les trésors centre-asiatiques », dans Inde-Asie centrale. Routes du commerce et des idées, (Cahiers d’Asie centrale n° 1-2), Tachkent-Aix-en-Provence, 1996, p. 257-262. 30. Dans la monographie fondamentale de Davidovich sur la frappe des Astrakhanides, les villes de Kesh et Nasaf ne figurent pas parmi les ateliers de frappe des Astrakhanides (Davidovich, Istorija monetnogo dela, p. 54, table 8).

AUTEURS

BORIS KOČNEV Institut d’Archéologie, Académie des Sciences, Samarcande, Ouzbékistan

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Traits principaux de l’urbanisme dans le Mavarannahr et le Turkestan à la fin du XVe et au XVIe siècle

Margarita Filanovič

NOTE DE L’ÉDITEUR

*[dans les études soviétiques, l’archéologie s’arrêtait au XVIe siècle, après quoi on entrait dans le domaine de l’ethnographie. Les découvertes récentes de l’archéologie ont permis à cette dernière de « grignoter » des décennies...].

1 La fin du XVe et le XVI e siècle présentent un très grand intérêt pour l’histoire de l’urbanisme en Asie centrale, car c’est une période d’intenses échanges entre peuples sédentaires et nomades de la région. L’interaction des populations urbaines, rurales et nomades, dont le lieu de rencontre était toujours une ville, se marque de façon éclatante et a laissé des traces profondes dans l’aspect extérieur de la ville, dans la structure de sa population, dans la vie quotidienne, dans l’économie, dans la culture et l’idéologie. Mais comment retrouver ces traces ?

2 Ce n’est pas un hasard si le Moyen Age tardif a retenu l’attention des savants, historiens orientalistes et ethnographes, qui fondaient sur les sources écrites l’étude des monuments consacrés aux différents aspects de la vie urbaine de cette époque. Dans leurs ouvrages, V. Bartol’d, Ju. Jakubovskij, M. Masson, B. Ahmedov, G. Pugachenkova, L. Rempel’, R. Mukminova, A. Belenitskij, E. Davidovich, O. Suhareva et d’autres ont analysé de façon approfondie les questions de l’histoire socio-économique, le rôle du commerce, de l’artisanat, sa structure ainsi que la stratification sociale des citadins, les systèmes de gestion urbaine, le rôle du clergé musulman et du pouvoir spirituel1.

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3 Cet ensemble de sources s’est vu récemment complété par les données archéologiques, numismatiques et toponymiques. L’étude de villes comme Samarcande, Boukhara, Tachkent, Shahrisabz, Shahrokhiya, Andijan, Khojent et quelques autres, pour certains aspects de la vie urbaine et leur évolution, a permis de passer des caractéristiques propres à chacune à une caractérisation globale du processus d’urbanisation à la fin du Moyen Age dans ses grandes tendances et ses particularités.

4 Les fouilles archéologiques menées à grande échelle sur de vastes superficies dans certains sites-clés notamment ont favorisé ce phénomène, par exemple à Otrar, l’une des métropoles les plus anciennes du Turkestan, sur la rive droite du Syr-Darya. L’étude, plusieurs années durant, de villes comme Otrar, Sauran, Sayram, Yasi/ Turkestan a permis de repousser aux XVIIe-XVIIIe siècles la limite chronologique, en Asie centrale, entre l’archéologie et l’ethnographie*.

5 Il ne s’agit pas seulement de l’élargissement du cadre chronologique de l’archéologie, mais d’une énorme documentation pertinente qui fournit des informations ou des corrections historiques. Ce matériau a considérablement complété le tableau de la vie urbaine qui, jusque-là, ne pouvait être restitué qu’à partir des sources écrites ou ethnographiques.

6 Dans cet article, nous nous proposons, tout d’abord, de révéler certains traits de l’urbanisme du Moyen Age tardif dans le Mavarannahr (Samarcande, Boukhara, Shahrisabz) et le Turkestan (Tachkent et le chapelet des villes bordant le Syr-Darya, la principale étant Otrar), c’est-à-dire de montrer la ville comme centre administratif, commercial, religieux, culturel, le point de rencontre des sédentaires, des artisans et des nomades ; et, dans un second temps, de retrouver les indices de pénétration des populations nomades dans les oasis tels qu’on peut les percevoir dans la vie des villes et les changements qui sont intervenus aux XVIe-XVIIe siècles avec l’avènement d’une dynastie de nomades.

Bref tableau de la situation politique

7 Entre les derniers Timourides, maîtres de petits royaumes nés des ruines de l’immense empire timouride, les dissensions se sont exacerbées. Les rivalités internes à la dynastie timouride, en affaiblissant le pouvoir central, ont favorisé les progrès de la pénétration en masse dans le Mavarannahr des nomades de la steppe de Dasht-e Qipchaq ainsi que les progrès militaires de l’Etat des Ouzbeks nomades. L’armée dirigée par Mohammad Sheybani, au tournant des XVe et XVI e siècles, a traversé tout le Mavarannahr, conquérant l’une après l’autre ses villes principales, Boukhara, Samarcande, Tachkent, Shahrokhiya, etc.

8 Le nouvel Etat fondé par les souverains sheybanides connaît, lui aussi, des conflits et des rivalités dynastiques. Le pouvoir central tente d’écraser les tentatives séparatistes de tel ou tel sultan ouzbek et ‘Abdallah Khan II, vers les années 1580, parvient à renforcer son pouvoir central – mais de façon éphémère. Par la suite, la rivalité entre dynasties, avec son cortège de pillages et de dévastations, reprend entre représentants des différentes branches de la dynastie sheybanide puis janide (astrakhanide).

9 Une situation politique aussi compliquée n’est guère propice à l’épanouissement de l’urbanisme, cependant, quand on considère plus attentivement l’histoire urbaine, le contexte politique apparaît plus complexe que grave. Dans la période précédente, les

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grandes villes du Mavarannahr (sauf Urgenj qui fut dévastée lors des campagnes militaires de Timour), avaient connu un essor. Tachkent, Andijan, les villes du Turkestan en bordure du Syr-Darya et, surtout, Samarcande et Shahrokhiya, mais aussi des villes ruinées lors de la conquête mongole et laissées à l’abandon, avaient été restaurées et entourées de nouvelles enceintes – comme Shahrokhiya, l’ancienne Benaqat – lorsqu’elles jalonnaient les routes commerciales ou revêtaient un intérêt stratégique.

10 À l’époque sheybanide, on ne bâtit pas de nouvelles villes, sauf dans le sud du Khorezm qui, après la destruction des réseaux d’irrigation, reprit lentement vie et vit naître la nouvelle ville d’Urgenj et la nouvelle Kat (Kâs). L’activité de construction urbaine, à cette époque, se borne, pour l’essentiel, à des ouvrages intérieurs, comme la reconstruction des remparts des villes anciennes. Ces anciennes villes ont toutes connu un destin différent, en fonction de leur statut ou de leurs bases économiques. Mais les travaux entrepris sur les remparts témoignent de l’état de la vie quotidienne de chacune. Parfois, les nouveaux remparts entourent un territoire urbain élargi, ce qui, pour Suhareva, atteste de son dynamisme, soit au contraire ils ceignent une auréole réduite, signe de régression. La permanence au même endroit des anciens remparts est aussi l’indice d’un ralentissement dans l’extension, voire d’une stagnation de l’organisme urbain2.

11 Mais, dès qu’on commence à étudier cet aspect de certaines villes du Mavarannahr et du Turkestan en utilisant les résultats des fouilles de ces remparts, le tableau est tout autre. En effet, Boukhara est devenue, au XVIe siècle, sous les Sheybanides, la ville principale puis, avec ‘Abdallah Khan II, la capitale de l’État, rôle qu’elle a conservé plus tard dans le khanat de Boukhara. De ce fait, elle a connu une intense activité de construction ; de plus, elle est restée un grand centre artisanal et s’est considérablement agrandie parce qu’une bonne partie des habitants de Shash (la ville de Tachkent dévastée lors de la conquête des souverains de Boukhara) et des villages de l’oasis de Marv ont été déplacés dans la région de Boukhara. La ville, très peuplée et agrandie, a été pourvue, au XVIe siècle, d’une nouvelle enceinte percée de portes et englobant beaucoup d’anciens faubourgs3.

12 Les recherches archéologiques récentes ont pourtant montré que le territoire total de la ville, à cette époque, était moindre qu’à l’époque samanide (Xe siècle), époque où elle avait connu une splendeur sans pareille. Le mur d’enceinte de Boukhara sous le règne de ‘Abdallah Khan a reculé de 500 m vers l’intérieur par rapport au rempart samanide. Samarcande aussi, dans la description qu’en fait Babour au début du XVIe siècle, était très peuplée et possédait de nombreux marchés et ateliers. Promue par les premiers souverains capitale de l’État sheybanide, la première, Samarcande fut ornée de nouveaux édifices comme les madrasa de Sheybani Khan et de Mehr-Soltan Khanom. On restaura également certaines de ses madrasa, khânqâh et mosquées. C’est aussi dans cette ville que furent enterrés les représentants de la dynastie sheybanide, dans le dakhma rectangulaire de la madrasa de Sheybani Khan. La ville s’agrandit, englobant une partie des faubourgs, mais conserva les anciens remparts qui l’entouraient déjà à l’époque timouride. C’est probablement ainsi que s’explique le déplacement de la capitale à Boukhara sous ‘Obeydallah Khan. Dès lors, c’est la ville de Boukhara qui absorbe l’énergie constructrice des souverains.

13 Les villes proches du Syr-Darya, centres majeurs, se maintinrent, en dépit des guerres et des rivalités dynastiques, car leur potentiel artisanal et commercial était

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considérable, à la fois pour le commerce de transit et pour celui avec les nomades. Tachkent, par exemple, renforcée sur ordre de Timour d’une nouvelle enceinte, conserva son rôle d’avant-poste sur la frontière de la steppe frondeuse. À cette époque, chaque porte de sa puissante muraille portait le nom de la tribu (ulus) mongole chargée de la défendre. C’est dans cette ville, et dans les autres du Turkestan, en particulier Shahrokhiya et Sayram, que la grande armée du conquérant passa l’hiver précédant la campagne de Chine en 1404. La ville conserva aussi sa fonction militaire sous Ulugh Beg lorsqu’il devint souverain du Mavarannahr. Au début du XVIe siècle, Tachkent fut conquise par Sheybani Khan qui en confia l’administration à son oncle Soyunj Khan, fondateur de la branche de Tachkent des Sheybanides. Le sort ultérieur de la ville changea beaucoup à cause de sa situation dans la zone frontière avec la steppe. Aux XVIe et XVII e siècles, la ville fut alternativement soumise au pouvoir central ou conquise par des khans kazaks. La ville du XVIe siècle ne dépasse pas les dimensions de l’époque timouride. Le mur d’enceinte du XVe siècle a été conservé et les sources écrites nous donnent le nom de certaines portes : Parkent, Samarcande, Kokcha, Shavli, Registan. Au XVIe siècle, en différents endroits, le mur fut doté à son sommet de machines d’artillerie de jet4.

14 Tous les grands édifices de Tachkent qui nous sont parvenus datent du XVIe siècle : l’ensemble des mausolées du cimetière de Sheykh Khavandi Tahur, l’ensemble du mausolée d’Abu Bakr Mohammad Kaffal Shashi et la madrasa de Baraq Khan avec le mausolée de Soyunj Khan, la madrasa de Kukeldash. Mais, à l’exception de la dernière, ces bâtiments se trouvaient hors les remparts, dans les faubourgs. Les sources nous décrivent, dans le faubourg nord, sur le canal de Key Kavus (le Kalkauz d’aujourd’hui), le jardin du même nom où se tenait la résidence d’été des khans sheybanides. C’est dans ce jardin que se réunissaient les savants, poètes, chanteurs et musiciens attachés à la cour des Sheybanides de Tachkent5. La ville de Tachkent conserva ses remparts timourides jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, au moment où les faubourgs furent absorbés dans le territoire urbain, lui-même entouré de nouveaux murs qui tinrent jusqu’à la conquête russe6.

15 Tous les matériaux accessibles à l’analyse, y compris les résultats des fouilles archéologiques, permettent de conclure qu’il n’y eut pas de changement dans l’évolution de la ville au début ou au milieu du XVIe siècle. Elle était, tout comme Boukhara et Samarcande, un grand centre commercial, artistique et culturel.

16 Pourtant, son destin ultérieur fut plus complexe et, sans doute à la fin du XVIe ou au XVIIe siècle, elle connut une certaine stagnation due, notamment, aux événements politiques. Pendant cette période, à diverses reprises, la ville fut assiégée et dévastée et passa de mains en mains. Son écrasement par ‘Abdallah Khan II, après un siège assez long, provoqua une véritable catastrophe. D’après les sources, les bâtiments, les marchés, les palais furent détruits ainsi que les villes de Farakat, Chinas et Shahrokhiya, dominées par Tachkent. Tous leurs habitants furent déportés au-delà du Syr-Darya. ‘Abdallah Khan donna l’ordre de détruire les remparts et de brûler la ville. Malgré tout, les remparts furent restaurés et la ville se perpétua. Mais la plus grande catastrophe dans l’histoire de la ville fut certainement le massacre de l’ensemble de ses habitants par Emam-Qoli Khan de Boukhara, qui entendait ainsi venger la révolte de Tachkent et le meurtre de son fils en 1613.

17 Shahrisabz connut un autre sort car elle était l’enfant chéri de Timour. Hafez-e Abru rapporte qu’Amir Timour la fit fortifier en 1378 par des remparts de plan rectangulaire

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flanqués de 70 tours7. La ville fut divisée en quartiers particuliers dont l’un réservé à l’aristocratie et au clergé musulman, près du palais d’Aq Saray édifié par Timour. Dans les autres vivaient les artisans. À l’époque timouride, la ville était très peuplée et prospère. Mais en 1507, lorsque le Mavarannahr passa aux mains des Sheybanides, elle changea complètement d’état et de statut et tout ce qui avait trait à la dynastie timouride fut détruit. ‘Abdallah Khan II ordonna de démolir tous les édifices élevés par Timour et la ville devint un endroit ordinaire dont le territoire se rétrécit progressivement, si bien qu’au XVIIIe siècle, lorsqu’on construisit de nouveaux remparts, ceux-ci se trouvèrent en retrait par rapport à ceux du XVe siècle8.

18 La structure en deux parties de la ville est tout-à-fait caractéristique de l’époque : le noyau fortifié ou citadelle abritait le centre administratif et le palais ; le territoire de la ville à proprement parler était entouré d’enceintes englobant, déjà à l’époque timouride, tout comme à Samarcande et Tachkent, les rabaṭ les plus anciens qui pouvaient eux-mêmes être protégés par leurs propres murs ou en être démunis. Les rabaṭ, faubourgs artisanaux, subsistaient de l’époque (IXe-XIIIe siècle) où la ville était composée de trois parties. Au-delà des remparts s’étendaient les banlieues rurales étroitement unies à la ville par des liens économiques. Les sources écrites ont déjà montré que la ville du Moyen Age tardif était une concentration de quartiers d’habitat et d’artisanat, de bâtiments publics religieux (mosquées, madrasa, khânqâh) et civils (caravansérails, bains, marchés avec des tim et des chahâr-su(q) à coupoles).

19 La conception de la structure et des éléments de construction a été extrapolée à partir des modèles du XIXe siècle ou bien des édifices anciens conservés dans le tissu urbain des villes de Samarcande, Boukhara, Tachkent et autres ; là, on a pu assez récemment étudier la structure des quartiers anciens (XVIe-XVIIe siècles) car les fouilles archéologiques des villes de la zone du Syr-Darya en ont dégagé de grandes superficies. De toutes, c’est Otrar qui a été le mieux étudiée. Elle joua un rôle majeur dans la région dont elle constituait l’une des plus grosses agglomérations. Les sources révèlent qu’elle était un centre économique et politique important. Au XVIe siècle, Sheybani Khan conquit les villes de la zone du Syr-Darya et fit d’Otrar, qui possédait une puissante forteresse, la base de ses conquêtes ultérieures9. Puis la rivalité entre ulus ouzbeks et kazaks continua de plus belle pour la possession de ces villes10.

20 Les fouilles du site d’Otrar éclairent la structure d’un organisme urbain et font également sentir le potentiel économique d’une ville à la fin du Moyen Age. On a pu déterminer qu’un quartier était l’élément principal du tissu urbain. Il se présentait comme un petit ilôt d’une vingtaine de maisons d’habitation étroitement serrées. Elles n’avaient généralement pas d’issue sur la grand’rue que longeaient leurs façades aveugles mais ouvraient sur une petite place, une courette ou une ruelle, probablement couvertes d’une espèce de toiture légère, comme le supposent les chercheurs d’Otrar, et munies de portes fermées la nuit11. Cette structure, qui a dû naître à l’époque pré- islamique – comme les fouilles de Penjikent, ville sogdienne des VIIe-VIIIe siècles le laissent penser12 –, s’est perpétuée jusqu’au XIX e siècle où la disparition de la porte intérieure a réduit l’isolement des quartiers. Cette évolution s’observe à Boukhara à la fin du Moyen Age13.

21 Le quartier ou maḥalla jouait aussi un rôle important du point de vue administratif car ses chefs (aq-saqâl) étaient associés à la gestion urbaine14. Dans le tissu urbain d’Otrar, on a dégagé une ou deux maisons à deux foyers (tandir) dans la même pièce centrale, qui appartenaient peut-être à ces chefs, généralement élus par leurs concitoyens

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appartenant aux couches moyennes. Deux traits caractérisent ce type de quartier : d’une part, la cohabitation des riches, des pauvres et des couches moyennes, ce qui confirme les données ethnographiques ; d’autre part, le mélange des artisans qui ne se regroupaient pas par métiers. On a découvert, par exemple, un quartier où se mêlaient des potiers, des forgerons, des tailleurs de pierre. Les fouilles de Tachkent amènent à la même conclusion15. En revanche, on sait par les sources écrites et la toponymie qu’un autre type de quartier existait, concentrant des artisans de même profession. Ibn ‘Arabshah et Clavijo nous indiquent, pour la période précédente, la répartition des artisans à Samarcande selon leur activité et nous apprennent l’existence de corporations artisanales (ce sont les premiers renseignements relatifs à l’organisation corporative dans les villes) où tous les membres élisaient leurs chefs et occupaient les mêmes rues16. Ce système s’est renforcé au siècle suivant comme l’atteste le nom des maḥalla du XIXe siècle. À Tachkent, par exemple, jusqu’à une époque récente, existaient des vieux quartiers baptisés Degriz (les fondeurs), Mesgarlik (chaudronniers), Parchabâf (tisseurs de brocart), Igârchi (selliers), Timurchilik (forgerons), Zargarlik (joailliers), etc.17. Même chose à Boukhara18.

22 Des ilôts semblables se sont constitués dans les faubourgs, comme on le note à partir du IXe-Xe siècle et les artisans de ces quartiers se transmettaient leur activité de père en fils19. Un quartier de potiers (XVIe-mi XVIIe siècles) a été dégagé sur le site d’Otrar : il montre que les pièces d’habitation ne se distinguaient pas des ateliers et que le four de potier était installé à l’intérieur même de la maison. Certains ateliers étaient communs à deux ou trois maisons d’habitation et appartenaient peut-être à deux ou trois artisans. Les fouilles de ce quartier laissent supposer que les artisans d’Otrar se regroupaient dans des corporations semblables à celles que l’on connaît par les resala (statut des corporations) lentement élaborées au cours des siècles20. À Samarcande, par exemple, on sait qu’au XVIe siècle un atelier servait de base à la corporation et que chaque atelier avait son maître (ostâd), un apprenti (shâgerd), un ouvrier (kârgar) et un « compagnon » (sharik ou « partenaire »)21.

23 Les statuts réglaient la transmission de l’enseignement du maître à son élève, y compris pour les secrets professionnels et les recettes de fabrication. Aux XVIe-XVIIe siècles, les artisans se spécialisèrent dans une fabrication particulière à l’intérieur de leur corporation. Certains potiers, par exemple, confectionnaient la vaisselle de petit ou bien de grand format, d’autres des kobur (tuyaux pour l’adduction ou l’évacuation de l’eau), d’autres encore les fours à pains (tandir, tandur ou tanur)22.

24 Traditionnellement, les artisans se regroupaient aussi par profession sur les marchés urbains. Toutes les sources soulignent cette particularité pour les villes du Mavarannahr, mais il est très difficile de distinguer les artisans des marchands car les boutiques étaient parfois reliées aux ateliers sur les marchés et parfois incluses dans le tissu d’habitation, ce que les fouilles ont très clairement mis en évidence23. Le marché principal se trouvait sur la place centrale habituellement appelée Registan. Il s’est maintenu à Boukhara et à Samarcande mais en changeant d’aspect architectural à travers les siècles. À Tachkent, des fouilles ont permis de le dégager là où une des portes de la ville du XVIe siècle s’appelait précisément Registan. La principale richesse de la ville au Moyen Age tardif venait des artisans, qui composaient aussi la majorité de la population. C’étaient des citadins comme les autres, sauf les riches propriétaires d’ateliers, les chefs des corporations, les maîtres héréditaires. Outre cette catégorie sociale, les couches supérieures de la ville comprenaient les marchands, l’aristocratie,

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le clergé musulman et les fonctionnaires. À Otrar, on a dégagé surtout des maisons du type citadin ordinaire. Le type d’immeuble à pièces groupées autour d’une cour centrale, caractéristique des périodes anciennes et aussi du XIXe siècle, ne prédominait pas à Otrar aux XVIe-XVIIe siècles. Deux autres types principaux se démarquent : les maisons à pièces en enfilade ; et des maisons compactes où des pièces adjacentes entourent une salle principale située au centre et chauffée par un foyer autour duquel s’ordonnent des pièces d’habitation ou à vocation économique et l’étable. Dans chaque maison, un profond eyvân d’entrée, élément indispensable, ouvre sur une ruelle étroite du quartier24.

25 On n’a pas retrouvé à Otrar de quartier réservé aux riches. Pourtant, des textes nous apprennent qu’au XVIe siècle à Boukhara, par exemple, les citadins aisés s’installaient dans un quartier central de la ville25. Leurs bâtiments à plusieurs pièces et diverses annexes se situaient à proximité des marchés et des chahâr-suq (châr-su).

26 Un élément remarquable de ces maisons était une grande salle de séjour (mehmân- khâna), signe extérieur de la richesse du maître de maison en même temps que de sa finesse aristocratique. L’apparition d’une telle pièce dans un immeuble privé constitue une particularité tout-à-fait caractéristique de cette époque. Parallèlement existaient des mehmân-khâna publiques de quartier où se tenaient des réunions. Leur origine – maisons pour les hommes ou âlâv-khâna (maisons du feu) de l’Antiquité – remonte à la nuit des temps26. Les réunions qui se tenaient dans cette salle ont progressivement perdu leur caractère rituel, d’abord clairement exprimé par le feu qui brûlait, pour devenir des assemblées à caractère laïc. C’est dans la mehmân-khâna, centre de toute la vie communautaire de la maḥalla, que l’on venait déclamer récits et légendes, chanter, jouer de la musique ou danser. Au XIXe siècle, elle se transforma en chây-khâna, élément de base indispensable dans chaque maḥalla, aujourd’hui encore. L’apparition des mehman-khâna dans les maisons privées des aristocrates et des riches marchands a permis à ceux-ci de tenir, à tour de rôle, des majles où le repas partagé était entrecoupé de déclamations, de musiques et de danses. Vasefi, poète et mémorialiste de la fin du XVIe siècle, les décrit très bien. À Samarcande, par exemple, entrant dans la maison de Khwaja Yusof Malamati, vizir très influent à la cour du khan Kuchkunji, Vasefi assista à « un majles florissant comme un paradis céleste. Ici, on versait du vin pur dans des gobelets d’or en alternant hors d’oeuvre et pistaches salées avec des sourires sucrés [...]. Des interlocuteurs raffinés échangeaient d’intelligents propos, à rendre le paradis céleste jaloux d’un pareil festin27 ».

27 Les émirs tenaient ce genre de majles dans leurs palais et leurs chahâr-bâgh, comme le chahâr-bâgh-e Key Kavus des Sheybanides de Tachkent, dans un des faubourgs de la ville. Un cercle littéraire s’y réunissait, dont on trouve mention chez Vasefi venu de Hérat à la cour des sultans sheybanides de Tachkent, ville qu’il considérait comme sa seconde patrie.

28 Les bains aussi tenaient une grande place dans la structure urbaine. Une dizaine de ces bâtiments ont été trouvés dans des quartiers de Boukhara, Samarcande et ailleurs. Leur étude comparative avec d’autres bâtiments fait apparaître toute une zone au XVIe siècle où les principes du plan et de la décoration étaient les mêmes. Cette zone comprend les villes de Boukhara, Otrar, Tachkent. On peut donc, partant de là, évoquer une même école architecturale, qui se serait constituée dans cette région à partir de la fin du XVIe ou de la première moitié du XVIIe siècle.

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29 La masse considérable de citadins comprenait les nobles féodaux et le clergé musulman. Outre ces propriétaires fonciers, elle comptait aussi des entreprises qui prospéraient dans la ville (caravansérails, boutiques, timcha, ateliers) et s’occupaient de commerce. La documentation témoigne que prenaient part à ces opérations commerciales soit des nobles laïcs soit des clercs. Les cheikhs Juybaris possédaient un grand nombre de propriétés immobilières à Boukhara. Ils organisaient aussi de grandes caravanes commerciales. Les membres de l’aristocratie turco-mongole vaquaient aux mêmes occupations28.

La pénétration des populations nomades dans les villes

30 L’avènement des dynasties nomades et l’inondation, par les nomades aussi, des oasis entraînèrent des modifications dans la structure des élites, notamment par la redistribution des propriétés et des postes principaux dans l’administration de l’État. Mais cette question mérite une étude spéciale qui déborde du cadre de notre article.

31 Peut-on cependant observer ce processus, qui doit être mis en rapport avec les structures ethniques de la population urbaine, dans les matériaux fiables de l’archéologie et de l’anthropologie ? Nous possédons des données historiques sur la population des villes du Turkestan, ainsi Mahmud b. Vali écrit : « Depuis le moment où le sultan Uzbek Khan [XIVe siècle] s’est emparé de l’étendard du pouvoir de l’État et jusqu’à nos jours, les habitants de ce pays s’appellent les Ouzbeks. C’est aussi vrai dans les pays limitrophes du Touran mais, dans les pays éloignés, on appelle les habitants de ces régions, comme autrefois, les Turcs. Ce peuple est célèbre par son mauvais caractère, son habileté, son audace, sa hardiesse29 ».

32 L’archéologie a permis de déterminer la pénétration dans les villes de cette nouvelle composante ethnique venue des steppes : les fouilles d’Otrar ont prouvé la fabrication à grande échelle, à partir du XVIe siècle, de récipients domestiques portant des marques spéciales (tamghâ’)30. Autre indice important de l’influence de cette ethnie nouvellement arrivée sur la vie de cette ville du Syr-Darya : un élément particulier de l’habitat, que l’on retrouve au Khorezm, le système de chauffage par kan (sorte de couloir prolongé sous les banquettes et destiné au passage de la fumée et de la chaleur) et poêles à cheminée courbe près des parois. L’origine de ce système vient des populations nomades du Dasht-e Qipchaq (Ouïghours, Qipchaqs) et il était connu aussi des Ouzbeks du delta de l’Amou-Darya, c’est-à-dire des descendants des tribus arrivées au XVIe siècle de la région occupée par les Ouzbeks sur le Syr-Darya. Ce sont probablement les nomades arrivés avec Sheybani Khan au Mavarannahr qui ont apporté ce système aux villes du Syr-Darya31.

33 Les renseignements les plus crédibles viennent cependant des études anthropologiques de la population des villes du Moyen Age tardif. Celle menée sur les personnes enterrées dans les cimetières de Boukhara et dans les mausolées et tombeaux familiaux, du point de vue de la structure sociale, permet de conclure qu’à la fin du XVIe siècle, la population urbaine a reçu un apport important de caractères physiques divers, notamment mongoloïde. On a noté ce phénomène en étudiant les Ouzbeks vivant au sud de la mer d’Aral, dans la vallée du Ferghana et l’oasis de Tachkent. Pour

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l’anthropologue Hodžajev, c’est à partir du XVIe siècle que ce phénomène a commencé 32.

34 De ce bref aperçu de certains traits de l’urbanisme en Asie centrale à la fin du Moyen Age, on peut conclure que l’avènement de dynasties nomades et la rivalité très forte qui s’ensuivit, pas plus que les conséquences politiques de tous les différends dynastiques des XVe-XVIe siècles, n’ont véritablement entravé le processus de l’évolution des villes de la région. Dans la mesure où l’on n’en construisit pas de nouvelle, la majorité des anciennes villes importantes ont continué à prospérer et poursuivi l’essor qui avait commencé à l’époque précédente, celle des Timourides.

35 Cette conclusion s’applique également aux villes du Mavarannahr et à la région du Syr- Darya (le Turkestan) qui, au cours des siècles, sont restées des zones de contact entre sédentaires et nomades. Trois facteurs ont stimulé cette évolution : la situation sur les voies commerciales qui continuaient de fonctionner ou qui ont pris de l’importance, indépendamment de la situation politique ; la proximité des gisements qui fournissaient des matières premières aux artisans urbains ; des échanges très intenses de produits et de matières premières entre nomades et sédentaires. L’arrivée dans les oasis d’une nouvelle vague de populations nomades, malgré les dommages causés à l’agriculture, ne se marqua pas immédiatement dans la vie urbaine, bien que les éléments nouvellement arrivés aient pénétré tout de suite la population urbaine. Quelques éléments de la vie quotidienne appartenant à la culture des tribus nouvelles ont laissé des traces sensibles dans les villes, surtout celles situées dans la zone de contact.

ANNEXES

Abréviations

HAEE – Horezmskaja Arheologo-Etnograficheskaja Ekspedicija Ju.TAKE – Južno-Turkmenistanskaja Arheologicheskaja Kompleksnaja Ekspedicija KSIIMK – Kratkije Soobshchenija Instituta Istorii Material’noj Kul’tury ONU – Obshchestvennyje Nauki Uzbekistana SAGU – Sredne-Aziatskij Gosudarstvennyj Universitet

NOTES

1. V.V. Bartol’d, Istorija kul’turnoj žizni Turkistana, dans Sochinenija, vol. 2/1, Moscou, 1963 ; Ju. Jakubovskij, Feodalnoe obshchestvo Srednej Azii i ego torgovlja s Vostochnoj Evropoj, X-XV vv., dans Matenaly po istorii Uzbeskoj, Tadžikskoj i Turkmenskoj SSR, partie 1, Leningrad, 1932 ; M.E. Masson, Stolichnyje goroda v oblasti Nizoviev Kashkadar’i s drevnejshih vremen, Tachkent, 1973 ; B.A. Ahmedov,

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Istoriko-geograficheskaja literatura Srednej Azii, XV1-XVII vv. Pis’mennye pamjatniki, Tachkent, 1985 ; G.A. Pugachenkova et L.I. Rempel’, Istorija iskusstv Uzbekistana, Moscou, 1965 ; R.G. Mukminova, Ocherki po istorii remesla v Samarkande i Buhare v XVI v., Tachkent, 1976 ; ead., Socialnaja differenciacia naselenija gorodov Uzbekistana, Tachkent, 1985 ; A.M. Belenickij, « Organizacija remesla v Samarkande XV-XVI vv. », dans KSIIMK, vol. 6, Moscou, 1940 ; EA. Davidovich, Istorija denežnogo obrashchenija srednevokogoj Srednej Azii, Moscou, 1983 ; O.A. Suhareva, K istorii gorodov Buharskogo hanstva, Tachkent, 1958 ; ead., Kvartal’naja obsbchina pozdnefeodal’nogo goroda Buhary (v svjazi s istoriej kvartalov), Moscou, 1976. 2. Suhareva, K istorii gorodov. 3. Ibid., p. 59. 4. Zajn ad-Din Vasifi, Bada’i al-vaqa’i, éd. A. Boldyrev, vol. 1, Moscou, 1961 (2e édition), p. 385. 5. R.G. Mukminova, « Iz istorii pozdnesrednevekovogo Tachkenta », ONU 11, (1981), p. 40. 6. M.I. Filanovich, « Tachkent, gorod na severo-vostochnyh granicah imperii Timura », ONU 7-10 (1996), p. 86. 7. M.E. Masson et G.A. Pugachenkova, « Shahrisjabz pri Timure i Ulugbege », dans Trudy SAGU, vol. 61, Tachkent, 1953, p. 30-32. 8. Z.I. Usmanova, « Arheologicheskoe izuchenie Shahrisjabz », dans Srednevekovaja gorodskaja kul’tura Kazahstana i Srednej Azii, Alma Ata, 1983, p. 214. 9. Materialy po istorii kazahskih khanstv XV-XVIII vv., Alma-Ata, 1969, p. 353. 10. K.A. Pishchulina, « Prisyrdar’inskie goroda i ih znachenie v istorii kazahskih hanstv v XV- XVV vv. », dans Kazahstan v XV-XVIII vv., Alma-Ata, 1969, p. 42. 11. K.A. Akishev, K.M. Bajpakov et L.B. Erzakovich, Pozdnesrednevekovyj Otrar (XVI-XVIII vv.), Alma- Ata, 1981, p. 135. 12. A.M. Belenickij, I.B. Bentovich et O.G. Bol’shakov, Srednevekovyj gorod Srednej Azii, Leningrad, 1973, p. 24. 13. O.A. Suhareva, Buhara XIX-nach. XX vv. : Pozdnesrednevekovyj gorod i ego naselenie, Moscou, 1966, p. 86. 14. Suhareva, Kvartal’naja obshchina, p. 17. 15. M.I. Filanovich, Tashkent, p. 87 ; ead., « Materialy k istoricheskoj topografii srednevekovogo Tashkenta », dans Arheologicheskije raboty na novostroikah Uzbekistana, Tachkent, 1990, p. 43-50. 16. R.G. Mukminova, « Remeslo i remeslenniki vo vremena Timura i Timuridov », ONU 7-10 (1996), p. 73. 17. Filanovich, Tashkent, p. 87. 18. Suhareva, Kvartal’naja obshchina, p. 288-289. 19. S.B. Lunina, « Goncharnoe proizvodstvo v Merve, X-nach. XIII vv. », dans Trudy Ju.TAKE, vol. 11, Achgabat, 1961, p. 217 et suiv. 20. P.M. Bajpakov, « Goncharnoe remeslo v pozdnesrednevekovom Otrare », dans Srednevekovaja gorodskaja kul’tura Kazahstana i Srednej Azii, Alma-Ata, 1983, p. 17 et suiv. 21. Belenickij, « Organizacja remesla v Samarkande », p. 46. 22. I.M. Džabarov, « Novye materialy k istorii goncharnogo remesla v Horezme », dans Keramika Horezma, Trudy HAEE, vol. 4, Moscou, 1959, p. 394-395. 23. Akishev, Bajpakov et Erzakovich, Pozdnesrednevekovyj Otrar, p. 196. 24. K.A. Akishev, K.M. Bajpakov et L.B. Erzakovich, « Žilishche pozdnesrednevekovogo Otrara (XVI-XVIII w.) », dans Žilishche narodov Srednej Azii i Kazahstana, Moscou, 1982, p. 126. 25. Mukminova, Socialnaja diferenciacija, p. 35. 26. R.R. Rahimov, Mužskie doma v tradicionnoj kul’ture Tadžikov, Leningrad, 1990, p. 55. 27. A.N. Boldyrev, Zajn ad-Din Vasifi, tadžikskij pisatel’ XVI v., Stalinabad, 1957, p. 108. 28. B. Kazakov, « Zemsko-gorodskaja znat’ feodalnoj Buhary (po dannym sredneaziatskih istoricheskih aktov) », dans Pozdnefeodalnyj gorod Srednej Azii, Tachkent, 1990, p. 179-180.

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29. Mahmud Ibn Vali, « More tajn otnositelno doblestej blagorodnyh », (extrait), dans Materialy po istorii Srednej i Centralnoj Azii, X-XX vv., Tachkent, 1988, p. 246 (traduction de l’auteur). 30. E.A. Smagulov, « K voprosu ob etnicheskoj atribucii kul’tury pozdnesrednevekovogo Otrara », dans Pozdnefeodalnyj gorod Srednej Azii, Tachkent, 1990, p. 212-215. 31. E.E. Nerazik, « O nekotorih napravlenijah etnicheskih svjazi naselenija Južnogo i Jugo- vostochnogo Priaralija », dans Istorija, arheologija i etnografija Srednej Azii, Moscou, 1968, p. 204 ; S.M. Ahindžanov et L.B. Erzakovich, « K voprosu o proishoždenii kanov na Syrdar’e », dans Izvestija Akademii Nauk Kazahskoj SSR, vol. 2, Alma-Ata, 1972, p. 64-69. 32. M. Dž. Džurakulov, E.G. Nekrasova et T.K. Hodžajev, Pozdnefeodalnyje nekropoli Buhary kak istoricheskij istochnik, Samarcande, 1991, p. 45-46.

AUTEUR

MARGARITA FILANOVIČ Institut d’Archéologie de l’Académie des Sciences, Tachkent, Ouzbékistan (IFEAC, chercheur associé)

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La propriété foncière des cheikhs Juybari

Jürgen Paul

1 Les cheikhs Juybari (Juybari) étaient une famille – peut-être une dynastie – de dirigeants naqshbandis qui prirent la direction du groupe, au moins dans la région de Boukhara, vers le milieu du XVIe siècle, après la mort du grand cheikh de Samarcande, Makhdum-e A‘zam (A‘ẓam), en 1549. Ils durent leur fortune exceptionnelle surtout à leurs liens étroits avec les souverains sheybanides de l’époque, ‘Abdallah Khan (r. à Boukhara 964/1557-1006/1598) et le père de celui-ci, Eskandar1. Ces liens ne se rompirent pas à la fin du règne sheybanide, mais continuèrent sous les Janides – c’est du moins l’impression que donnent les écrits hagiographiques2. Les cheikhs Juybari acquirent beaucoup de biens immobiliers – en cela, ils ne se distinguent pas d’autres cheikhs de l’époque, naqshbandis ou autres, mais suivent le modèle de leur prédécesseur de Samarcande, Khwaja-ye Ahrar (Aḥrâr), qui avait pour ainsi dire inauguré les relations de coopération étroite entre les cheikhs naqshbandis d’Asie centrale et les souverains, timourides dans son cas. À cet égard, les cheikhs Juybari furent les héritiers plus ou moins directs des cheikhs de l’époque timouride, bien qu’ils aient introduit des changements importants dans ce système3.

2 Ce qui rend particulièrement intéressants les cheikhs Juybari, c’est qu’ils ont laissé une sorte de registre où ils ont fait recopier bon nombre de leurs contrats de vente. Ce recueil est connu sous le nom de Arhiv džujbarskih shejhov ; cette désignation n’est qu’à moitié correcte, car les vrais documents, s’ils existent, n’ont pas encore ou très peu été étudiés ni, à plus forte raison, édités4.

3 Les cheikhs Juybari ont aussi été l’objet d’écrits du genre manâqib (hagiographie). Deux livres sont connus : le plus ancien est celui de Badr al-Din Kashmiri, Rowżat al-reżvân, qui date du début du XIe/XVIIe siècle 5. Cette oeuvre a été décrite et étudiée par plusieurs savants ouzbeks6. La deuxième, plus tardive, est celle de Abu’l-’Abbas Mohammad al-Taleb, Maṭlab al-ṭâlebin, écrite peut-être vers 1075/16657, alors que le déclin de la famille était déjà assez marqué.

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4 Dans le recueil de documents, il y a 385 entrées (la numérotation est due aux éditeurs et semble un peu arbitraire par endroits comme l’a observé Robert McChesney)8 ; la première centaine se réfère à des possessions urbaines qui ne seront pas considérées ici. Les derniers documents (à partir du numéro 363) concernent des régions autres que Boukhara ; eux non plus ne seront pas analysés. Restent donc environ 260 documents qui forment la base de l’étude. Il s’agit, rappelons-le, de copies faites probablement d’après les originaux des actes de vente. Les documents sont par conséquent classés par régions ; d’abord les documents concernant des affaires dans le tumân Rud-e shahr, près de la ville (101-276), un seul document pour le district de Vabkan (277), ensuite le district de Ghojdovan (278-305), la région de Qarakul (306-321), le tumân de Shaforkam (322-335), celui de Samjan (336-357) et enfin celui de Kam-e Abu Moslem (358-362). Le reste du recueil comprend des documents portant sur la région de Karmina, celle de Nasaf et enfin l’oasis de Marv.

5 Les documents se ressemblent beaucoup ; la plupart donnent l’impression d’avoir été rédigés par le même bureau, sinon par la même personne ; mais cela pourrait être le fait du ou des auteur(s) du manuscrit où se trouvent les copies des documents. Le formulaire diffère pourtant par quelques détails ; par exemple, dans les documents de Qarakul, on ajoute qu’est compris dans l’acte de vente tout ce que prévoient la charia (arabe shari‘a) et la coutume (arabe ‘urf), la référence à la coutume ne figurant pas régulièrement dans les autres documents. Normalement, les textes sont datés (à quelques exceptions près ; malheureusement, ces exceptions concernent certaines des transactions les plus importantes). Généralement aussi, nous apprenons le prix de l’objet vendu. Plus rarement, mention est faite de la superficie du terrain ; parfois, le scribe a sans doute oublié de l’insérer, mais le plus souvent, ce manque tient au fait que la superficie n’était pas mesurée car il s’agit de villages entiers (voir plus bas).

6 Il faut ici se souvenir d’un trait caractéristique du régime rural en Asie centrale à cette époque. C’est que la terre et ce qu’elle porte de bâti ou de planté sont considérés comme deux choses à part. On peut donc très bien vendre sa terre sans pour autant vendre sa maison ou ses arbres ; parmi les documents dans le recueil, une trentaine concernent la vente de sokniyyât, terme employé pour le bâti ou le planté. Les arbres et les maisons vendus séparément ne valent d’ailleurs pas grand-chose ; citons comme exemple le cas où 225 vignes, une maison avec sa cour, une autre avec des bâtiments annexes et des arbres sont vendus 240 tanga9. Il n’est pas possible d’établir le prix moyen de la vigne, mais il est nettement inférieur à 1 tanga10. Cette règle comporte néanmoins deux ou trois exceptions : les moulins qui sont un placement (le prix d’un moulin en bon état semble avoisiner 500 tanga11) et les grands jardins chahârbâgh qui constituent bien sûr eux aussi un placement, mais qui présentent en outre l’avantage de rendre la vie plus agréable à ceux qui les possèdent12. La troisième exception seraient les mûriers, essentiels pour l’élevage du ver à soie : ils sont comptés avant la vente tout comme les vignes13 ce qui n’est en général pas le cas pour les autres arbres.

7 Cet article n’a pas pour ambition de faire le relevé complet du système agraire dans la région de Boukhara au XVIe siècle ni de retracer l’histoire de la famille des cheikhs Juybari. Je me limiterai à indiquer quelques aspects intéressants des documents en question : les observations que nous pouvons faire à propos du marché immobilier ; le profil social des vendeurs et autres détenteurs de terre ; les communautés villageoises.

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Le marché immobilier

8 Les documents datent de 951/1544 à 985/1577 (une petite affaire avait été conclue déjà en 947/1540 – elle portait sur 18 khâni – mais, comme c’était dans le Miyankal, elle reste hors du cadre de cette analyse14). Mais il faut ajouter tout de suite que ni le nombre des affaires conclues ni l’ensemble des montants concernés ne se répartissent de manière égale dans cette période. Pour tous les prix, il convient de donner une réserve : ils sont cités tels quels, sans prétendre à une analyse du prix réel, c’est-à-dire que les chiffres donnés, ici comme ailleurs, ne tiennent pas compte de l’évolution de la monnaie d’argent ou de son pouvoir d’achat ; nous ne nous occuperons pas davantage ici d’autres problèmes monétaires (voir note 9).

Tableau 1 : Évolution des achats immobiliers

Année H. Affaires conclues Total des prix indiqués en tanga

951 1 3 000

952 2 535

953 1 600

954 -

955 1 2 000

956-7 -

958 1 430

959 1 215

960 1 38

961 2 830

962 2 155

963 4 520

964 10 1 724,5

965 11 1 426

966 14 2 170

967 4 640

968 25 10 020

969 10 3 916

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970 8 1 958

971 10 2 413,5

972 9 1 577,5

973 2 500

974 11 6 460

975 7 6 377

976 11 3 200

977 4 427

978 12 2 036

979 6 2 292

980 3 847

981 3 230

982-4 -

985 1 230

9 Nous voyons donc un essor très net jusqu’au point culminant en 968 H. Pour expliquer ce chiffre d’affaires exceptionnel, il est peut-être utile de se souvenir que, cette année- là, ‘Abdallah décida d’appeler son père Eskandar à Boukhara pour le faire khan ; il avait voulu d’abord attaquer Balkh pour en déloger le suzerain (nominal), Pir Mohammad, mais renonça à ce projet entre autres parce que Khwaja-ye Eslam y était opposé15.

10 D’abord, les Juybari ne réussirent qu’à faire quelques affaires isolées, mais assez importantes (en 951 et en 95516). L’achat de terres prend une allure systématique à partir de 964, année où le nombre des affaires augmente sensiblement. Cela correspond de façon on ne peut plus claire au moment où ‘Abdallah s’établit définitivement à Boukhara (964/1557). Il est utile aussi de se souvenir que Khwaja-ye Eslam avait vigoureusement soutenu ‘Abdallah dans ses efforts pour conquérir cette ville, soit en négociant sa reddition, soit en faisant assassiner, d’accord avec ‘Abdallah, le prince sheybanide qui y résidait17. Le reflux des activités au début des années 970 s’explique assez facilement par la mort de Khwaja-ye Eslam, le premier responsable de l’ascension de la famille, en 971/156318. Son fils et successeur, Khwaja-ye Kalan ou Sa‘d, reprit les achats systématiques qui continuèrent pendant quelques années à un niveau élevé ; la baisse de l’année 977 semble due au fait que, en dehors du cadre régional de cette étude, il put acquérir la moitié idéelle d’un tumân entier, au prix de 10 000 tanga ; cela a dû épuiser momentanément les fonds d’investissement foncier de la maison19. N’empêche que les affaires continuent plutôt en se ralentissant pour s’arrêter dans la première moitié des années 980. Cela pourrait s’expliquer d’abord par la date de

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rédaction du recueil que nous ne connaissons d’ailleurs pas. Mais comme les autres changements dans le rythme des achats semblent correspondre à des changements dans la situation politique, il sera permis de rappeler qu’après s’être fixé à Boukhara, ‘Abdallah entreprit la conquête du reste du domaine sheybanide avant de se tourner vers le Khorassan ; on peut aussi penser que les relations entre le prince, désormais le plus puissant de toute la famille régnante (même si son père continua à être suzerain nominal jusqu’à sa mort en 991) et Khwaja-ye Kalan ou Sa‘d ne furent jamais aussi étroites qu’avec Khwaja-ye Eslam. S’il faut donner une date, on peut renvoyer à 978 – c’est la date que certaines sources donnent pour le début du règne indépendant de ‘Abdallah20. En somme, nous voyons que les affaires des cheikhs suivent de près la fortune de ‘Abdallah.

11 Au demeurant, nous risquerons quelques observations. Il semble ressortir assez clairement qu’il était courant de vendre et d’acheter de la terre (table 1) ; le seul nombre des transactions l’atteste. Les vendeurs avaient probablement aussi une bonne idée de ce que leur terre valait – il semble qu’on ait couramment considéré la terre comme représentant une valeur monétaire. Cela devrait se faire sentir dans les prix payés. Si la vente d’une terre était quelque chose qui ne se pratiquait que rarement, les différences de prix seraient vraisemblablement plus importantes ou bien plus aléatoires ; une personne qui ne sait pas ce que vaut sa terre court grand danger de la vendre à vil prix.

12 Or, il paraît au premier coup d’œil que les prix donnés dans les textes sont assez cohérents pour affirmer que les gens étaient bien informés de ce qui se passait sur le marché, que le prix de la terre était déterminé par le marché, que ce dernier existait donc réellement – même si les données ne constituent pas une preuve absolue. On ne peut exclure la possibilité de prix “politiques” : une affaire pourrait impliquer, hormis l’échange de la terre comme marchandise contre une somme nommée, des prestations de la part de l’acheteur qui ne sauraient être citées dans le document. C’est une allusion au problème de la ḥimâya, protection accordée sous certaines conditions par une personne importante à ses clients21. D’autre part, un prix plus élevé peut provenir du fait qu’avec le terrain sont aussi compris dans l’affaire des arbres et des maisons. Ensuite, les documents n’indiquent qu’assez rarement la qualité de la terre en question. Dans quelques cas, on peut imaginer que c’était une qualité médiocre qui déterminait un prix très bas. Par exemple, un terrain de 200 ṭanâb22 vendu 80 tanga est au moins en partie un köl et un nayestân, donc un terrain marécageux où ne poussent que des roseaux23, ce qui sans doute justifie un prix de 0,4 tanga au ṭanâb. Par contre, une telle explication n’est pas étayée par les textes dans d’autres cas où le prix n’est pas plus élevé24.

13 Ces cas mis à part, le prix moyen oscille grosso modo entre 1 et 2 tanga au ṭanâb de terre arable, voire 3 ou 4 tanga aux environs de la ville. Ce sont surtout les grands terrains qui se vendent à ce prix-là. Ces prix peuvent paraître très bas, mais ce sont les prix cités25. Dans ce contexte, on pourrait penser à la structure physique des villages : au centre, il y a les maisons entourées de leurs jardins ; les terres qui font partie du “centre” sont irriguées tous les ans et aussi en été. Par conséquent, on peut parvenir à plus d’une récolte par an. Souvent aussi, ces terrains portent des arbres fruitiers qui, à leur tour, font monter le prix. À la périphérie du village, les paysans cultivent les céréales (surtout le froment et l’orge) ; ces champs sont laissés en friche un an sur deux et ne

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sont plus arrosés une fois la crue des fleuves passée26. Ces champs-là sont beaucoup plus grands que les lopins de terre qui forment les jardins.

14 Les prix pour les terrains plus favorisés font apparaître des variations plus importantes. Pourtant, dans des micro-régions comparables, on arrive à un niveau de prix relativement stable. C’est le cas par exemple pour les terrains vendus dans le lieu-dit (quartier ou village) Juybar-e ‘arez (Juybâr-e ‘âreż) non loin de la nouvelle forteresse de Boukhara27 ; là, les prix semblent s’être fixés autour d’un niveau de 22 à 24 tanga le ṭanâb, mais on constate également des cas où le prix atteint les 40 et même les 50 tanga. Un des terrains vendus aussi cher est parmi les derniers28, un autre est le premier acheté sur le secteur29. Comme ces prix ne sont atteints nulle part ailleurs, il est légitime de penser qu’il s’agit ici de cas particuliers. Même pour les jardins, dans les autres rayons, les prix ne dépassent guère les 10 tanga au ṭanâb.

15 S’il y avait marchandage sur les prix, nous n’en voyons plus guère de traces dans les documents. Pour le marchandage, il y a en principe deux possibilités : il se fait soit sur le prix au ṭanâb, soit sur la somme d’ensemble. Lorsque les sommes sont “rondes”, c’est probablement le deuxième cas : elles ne sont pas le résultat d’une multiplication30. Mais lorsqu’elles ne le sont pas, c’est le cas contraire : c’est le prix au ṭanâb qui forme la base de la transaction31. Dans nos documents, on a l’impression que les prix sont calculés plutôt au ṭanâb. C’est un signe que la terre est traitée comme une marchandise ; on achète le blé au mann et la terre au ṭanâb32.

Les vendeurs et autres détenteurs de terre

16 Dans les documents analysés, nous trouvons environ 400 noms propres, ceux des personnes vendant de la terre ou du bâti, mais également les propriétaires ou détenteurs des terrains voisins33. C’est donc un corpus qui devrait permettre de voir à qui était la terre.

17 La terminologie des catégories sociales utilisées ici n’est sans doute pas évidente. Comme sayyids (seyyed), j’ai compté tous ceux dont le nom comporte cet élément, mais aussi ceux pour qui l’auteur, dans sa présentation du personnage (les titres), utilise des expressions impliquant le statut en question. Par “proches du divan”, je comprends tous ceux qui, dans leur nom, ont une désignation comme vazir ou divân. Les émirs turco-mongols se font reconnaître par les mots bi ou bây ou bahâdir comme partie de leur nom. De simples mir ont, par contre, été regroupés avec les “sans titre”. Les oulémas sont ici tout simplement ceux dont on peut penser qu’ils ont exercé une profession réservée à ce “groupe”, comme le cadi (qâżi), le moufti (mofti), etc. C’est dire que, dans ce contexte, c’est une catégorie assez restreinte. Entre autres pour arriver à une délimitation relativement précise des oulémas, j’ai introduit le groupe des “mowlânâ” ; c’est un titre donné à ceux qui ont reçu un minimum de formation islamique. Encore une fois, de simples mollâ ou khwâja ont été classés avec les “sans- titre”. Par le même souci de précision, les “soufis” ici sont seulement ceux qui sont désignés comme tels de façon plus ou moins explicite, soit par la composante Ṣufi dans leur nom, soit par une nisba comme “al-Naqshbandi”, soit par leur généalogie (il y a un descendant du célèbre Khwaja-ye Parsa). Les artisans ne peuvent que tout à fait par hasard se faire repérer par des nisba appropriées, comme rangriz “peintre” ou kamângar “qui fabrique des arcs”. Dans tout cela, il y a un doute : nous ne pouvons pas affirmer avec certitude que les noms disent ce qu’ils veulent dire. Mais étant donné que les noms

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étaient encore assez variables, nous n’avons peut-être pas tort de procéder de cette manière34. Les précautions prises font d’ailleurs qu’il y a une large catégorie résiduelle, les “sans titre” ; parmi eux, quelques-uns pourraient probablement entrer à juste titre dans une des catégories plus sélectives. Pour les femmes, il a bien fallu les classer selon les noms de leur mari, de leurs frères ou de leur père, les noms féminins n’offrant aucune possibilité de classement.

18 Le tableau que les chiffres dessinent est en quelque sorte un agrandissement, car les mentions répétées n’ont pas été prises en considération. Le sayyid qui vend, dans plusieurs contrats, des terres immenses, compte pour une unité tout comme le “sans titre” qui vend un médiocre lopin de terre. L’analyse ne permettra pas de voir dans quelles proportions les groupes différents possédaient de la terre, mais seulement tous ceux qui en possédaient.

19 Je me bornerai à quelques observations à propos des résultats de l’analyse des noms.

20 D’abord, les cheikhs Juybari ont traité avec tout le monde, ils ne se sont pas confinés à un milieu à l’exclusion d’un autre. Ils n’avaient notamment aucun scrupule à traiter avec les émirs turco-mongols à l’égard desquels Khwaja-ye Ahrar avait encore une certaine réticence. Le changement dans les relations entre le pouvoir militaro-politique et les dirigeants naqshbandis est évident35. Ce sont eux le groupe le plus nombreux parmi les vendeurs. Sans doute étaient-ils les propriétaires les plus importants. Mais ils ne sont pas les seuls à vendre des villages entiers36.

Tableau 2 : Détenteurs de terre

Hommes vendeur voisin motaṣarref mamlaka motaṣarref vaqf

sayyids (seyyed) 10 8 2 1

proches du divan 5 5 1 -

émirs turco-mongols 50 31 7 3

oulémas 11 10 - 1

“mowlânâ” 20 6 1 6

“soufis” 5 3 2 1

artisans 8 9 - 1

“sans titre” 40 53 12 26

Femmes sans vakil avec vakil

turco-mongoles 6 16 6 1 -

d’oulémas 1 5 - - -

de proches du divan 1 0 - - -

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de sayyids 0 3 - - -

autres 10 10 8 0 1

21 Ce que le tableau 2 prouve en tout cas, c’est que la propriété foncière n’était pas le privilège des dirigeants turco-mongols. La petite et moyenne propriété continuait à exister, comme le chiffre important des “sans titre” le montre bien, même si cette catégorie est sans doute gonflée. Il est remarquable que, dans cette catégorie, le chiffre des voisins dépasse celui des vendeurs, un peu à l’inverse de la situation générale. C’est d’abord un résultat de l’ “agrandissement” mentionné plus haut ; leur nombre est enflé par rapport à l’importance de leurs possessions. Comme leurs terres se trouvent surtout près de la ville (mais pas exclusivement), ils ont plus de chances d’être mentionnés comme voisins ; les grandes propriétés de la plate campagne sont le plus souvent limitées par des canaux et des chemins, pas par d’autres possessions. Mais d’un autre côté, cela semble indiquer – toutes proportions gardées – que les petits propriétaires n’étaient pas si faciles à éliminer que nous avons l’habitude de le croire ; car, dans le cas fréquent où une personne apparaît dans un document en tant que voisin et en tant que vendeur dans un autre, elle est comptée comme vendeur et pas comme voisin. Les voisins sans titre sont donc ceux qui n’ont rien vendu aux cheikhs Juybari. Bien sûr, nous ne savons pas si les cheikhs leur ont fait des offres... Par contre, notons qu’il y a aussi quelques gens qui ne vendent pas tout ; c’est probable lorsque dans le seul acte de vente existant, il est constaté qu’un terrain voisin appartient bien au vendeur et qu’il n’entre pas dans le contrat.

22 Il peut aussi arriver qu’un “sans titre” vende des terres importantes. Citons le cas de Khwaja-ye Baqi qui, sous son nom et sous celui de sa mère et de sa femme, vend un vignoble et de la terre pour 430 tanga, et une autre fois, agissant seul, de la terre pour 1000 tanga. Ce n’est plus un petit propriétaire.

23 Les artisans ne semblent pas avoir compté comme propriétaires terriens. Leurs possessions sont plutôt petites (du genre jardin). Mais il y a aussi d’autres exemples. Hoseyn-e Darzi (“le tailleur”) vend plusieurs parcelles de jardin, des maisons, de la terre arable (c. 7 ṭanâb), et dans le contrat, il est dit que la terre avoisine d’autres terrains du vendeur dont le texte souligne qu’il ne les vend pas37. Un autre, Hoseyn-e Zargar (“l’orfèvre”) vend un terrain de 55,5 ṭanâb (beaucoup trop grand pour une exploitation familiale) à un prix “normal” (127,5 tanga, soit exactement 3 tanga au ṭanâb )38. Si c’est bien de lui qu’il s’agit, son fils Kamal al-Din Mowlana Khwaja b. Khwaja Hoseyn-e Zargar vend un autre terrain, de 50 ṭanâb, au prix “intéressant” de 300 tanga39. Il est évident que cette famille ne vivait pas seulement du fruit de son travail (si Hoseyn était vraiment orfèvre) mais qu’elle y ajoutait une bonne proportion de revenu foncier.

24 Il est bien connu que les femmes ont, d’après la loi musulmane dans toutes ses interprétations, droit à la propriété tout comme les hommes, et il est aussi bien connu que la propriété était néanmoins fort inégalement distribuée. Dans notre cas aussi, nous sommes bien loin de l’égalité. Mais il y a quand même un nombre relativement élevé de femmes qui vendent (et aussi de femmes qui ne vendent pas). Les femmes ne paraissent pas normalement devant le cadi en personne pour vendre ou acheter, mais elles se font représenter par des plénipotentiaires (vakil) qui agissent en leur nom (voir l’exemple plus haut). Or, ce n’est pas tout à fait la règle dans les documents étudiés ici.

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Dix-huit femmes ont, à ce qu’il semble, décidé qu’elles pouvaient se passer de vakil (contre 34 qui se sont conformées à la règle). Ce sont surtout les femmes “sans titre” qui agissent seules ; le fait de ne pas prendre de vakil semble d’abord correspondre à un statut inférieur dans la société (on prend un vakil quand on peut le payer). En deuxième lieu, cela pourrait correspondre à l’origine ethnique ; on sait que les femmes des émirs turco-mongols ont longtemps gardé l’habitude d’une vie moins confinée. Dans nos documents, il y a même trois femmes qui sont elles-mêmes vakil, toutes trois issues de l’aristocratie turco-mongole40.

25 Les achats systématiques des cheikhs Juybari ont bien sûr conduit à une certaine concentration de la propriété foncière. Mais il n’est pas certain qu’ils soient, par cela même, l’expression d’une tendance générale. D’abord, la plupart des terres acquises était déjà auparavant entre les mains de grands propriétaires. Ensuite, nous avons vu que la petite et moyenne propriété subsiste ; et enfin, les grandes propriétés ont toujours fini par se dissoudre41.

La communauté villageoise

26 Comme troisième point, il sera question maintenant de la communauté villageoise42. Remarquons d’abord que, fréquemment, des villages entiers se vendent ; dans certains cas, ce sont des parties des revenus du village en question qui forment l’objet du contrat. Pour ces parties, les documents utilisent le terme moshâ‘ (partagé). Cela veut dire que, bien que la terre ait plusieurs propriétaires, elle n’est pas divisée réellement, sur le terrain, mais que le partage ne concerne que la part de la récolte qui revient au(x) propriétaire(s). Des associations de ce genre peuvent être le résultat des lois qui règlent l’héritage en islam, mais elles peuvent également réunir des partenaires auxquels nous ne pouvons reconnaître aucun degré de parenté. Il est important de souligner que le terme moshâ‘ se réfère à des droits de propriété, donc de toucher des revenus, et non pas à des droits d’exploitation ; c’est un terme pour désigner des rapports dans le processus d’appropriation et non pas des rapports dans le processus de travail43.

27 Les documents étudiés fournissent beaucoup de renseignements sur le problème de la communauté villageoise. D’abord, il faut constater que dans tous les cas où un village entier se vend, il se trouve probablement sous ce régime. Malheureusement, nous ne pouvons pas voir dans ces documents (assez fréquents) comment un tel village était réellement organisé, s’il y avait répartition ou réallocation plus ou moins régulière des champs etc. Mais nous pouvons voir, dans un cas précis, comment les parts moshâ‘ sont vendues. Ce sont les terres du village de Yamghur, tumân de Samjan44. Elles étaient la propriété de plusieurs personnes (voir doc. 3). Dans cinq contrats passés entre 961 et 964 H., les frères Qasem et Yusof vendent 7 parts sur 32 du village45, et en 963 une autre part qu’ils détenaient ensemble avec Mohammad b. Cholma. Ce dernier vend, conjointement avec son frère Mahmud, également en 963, 5 parts ; ces deux frères apparaissent aussi dans un acte de 962 où ils vendent, avec Mirza Bik b. Ebrahim qui est aussi le vakil de sa sœur et d’une fille du Cholma cité (qui devrait être son épouse et la sœur de Mohammad et Mahmud) leur droit de 2 parts. Le dernier acte, conclu avec Malek Mohammad et daté de 965, porte sur 11 parts. Cela fait en somme 26 parts sur 32 vendues. Les documents ne disent pas à qui appartiennent les six dernières parts. Nous

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ne pouvons pas voir non plus si tous les propriétaires étaient les héritiers, même lointains, d’un ancêtre commun qui aurait été le propriétaire de tout le village.

Document 3 : Village Yamghur

28 Ce que ce cas montre pourtant très bien, c’est que le partage des revenus se fait sans pour autant procéder à un partage (réel) des terres. Dans l’avant-dernier cas cité (vente de deux parts sur 32), la situation était probablement la suivante : stipulons que les deux parties se sont partagé le revenu de ces deux parts moitié-moitié, soit une part sur 32 pour Mohammad et Mahmud, fils de Cholma. Ces deux frères auraient par conséquent reçu, de la part vendue dans cet acte, une part sur 64 du total des fruits qui revenaient aux propriétaires du village. Pour l’autre partie (Mirza Bik avec les deux femmes), nous supposons que leur part (une sur 32) n’a pas été partagée en tiers, mais que l’homme s’est réservé une moitié (donc : une part sur 64) en laissant le reste aux femmes qui auraient eu droit chacune à une part sur 128 de la totalité des revenus que le village rendait à ses propriétaires46. Comme cela, il est possible, et en fait même courant, de voir plusieurs propriétaires pour une seule quote-part des revenus du village.

29 La propriété commune est désignée par l’expression sahm-e moshâ‘-e melk, ce qui se vend, c’est donc “une part tout entière qui appartient à moi et à celles dont j’ai les pleins pouvoirs, sur la totalité des 16 parts des terres melk du village donné47”.

30 Ceci doit servir de fond pour un document très curieux, le numéro 288. Ce document est composé de bon nombre de parties (27) ; à l’exception de la première, les autres parties ne répètent pas les titres pompeux qui précèdent le nom de l’acheteur, c’est donc bien un seul texte. D’ailleurs, les différentes affaires ont été conclues dans une seule séance en 971 (27 rabi‘ I)48. Les vendeurs déclarent en commun qu’ils procèdent à la vente de leurs terres de leur propre volonté, sans contrainte49. La première partie

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concerne les terres du kalântar, une sorte de chef du village50. Pour les terrains vendus, c’est le même prix dans tous les cas : 1 tanga au ṭanâb, sans exception. Les terrains sont souvent très petits, le plus petit ne mesure qu’un ṭanâb et demi, 11 contrats concernent des parcelles entre 5 et 7 ṭanâb. Les gens qui ont un peu plus à vendre disposent régulièrement de plusieurs parcelles, mais il est rare que leur superficie dépasse les 20 ṭanâb. Nous pouvons donc considérer que, dans ces cas-là, nous avons les paysans eux- mêmes devant nous. Cela est encore souligné par le fait que parmi eux, il y a aussi un esclave libéré (mo‘taq), l’une des deux personnes de cette condition qui apparaissent dans les documents51.

31 Les terres sont désignées comme melk sans plus, il n’y a pas de parts indivises moshâ‘ ni de champs alloués joft-e gâv qui par ailleurs signalent que nous sommes en présence d’une communauté villageoise.

32 Tout de même, il est évident que les gens du village se sont mis d’accord pour vendre. Dans les environs, il y a seulement quelques terres qui restent “voisines” (qui ne sont pas comprises dans les ventes), et il paraît s’agir de la limite extérieure du terrain concerné52. Comment expliquer cela ? Normalement, les paysans d’une communauté villageoise n’ont pas de droit de propriété (dans un sens qui justifierait d’appeler leurs terres melk). Ce qu’ils ont, c’est un droit de détention qui leur permet de travailler, avec l’obligation de remettre au propriétaire et à l’État ce qui leur est dû. (C’est le village entier qui répond de ces obligations.) Avec le temps, il peut arriver que les parties allouées aux familles de paysans restent longtemps dans les familles sans que le village procède à une réallocation. Il semble que cela ait été le cas dans le village étudié ; cela expliquerait pourquoi les paysans vendent collectivement des parcelles individuelles, si ce n’est pas le notaire ou l’acheteur qui a fait le découpage du village en parcelles pour que l’acte de vente rentre dans le cadre de la loi. En effet, qui est le propriétaire ayant droit de vendre si la communauté villageoise a conservé le statut de melk ? Si tel n’était plus le cas dans celle-ci, du moins le souvenir de ce statut y était encore assez vivace pour que les paysans prennent la décision de vendre en commun.

33 Beaucoup de questions restent certes ouvertes, et les conclusions avancées demeurent hypothétiques. Je suis certain qu’au moins quelques-unes d’entre elles seront à revoir dans le regain d’études sur l’héritage littéraire et documentaire des cheikhs Juybari qui semble s’annoncer.

NOTES

1. Ivanov a assez insisté sur ce point, voir n. 4. La proximité entre ‘Abdallah et les cheikhs est aussi montrée dans les lettres – réelles ou fictives – insérées dans le Rowżat al-reżvân, ms IO Tachkent, n° 2094, fol. 307b-311b. Elles sont écrites sur un ton d’égalité, très différent de celui des lettres qui suivent (censées être de la main d’autres princes et pleines de gestes de soumission). Les liens entre ‘Abdallah et le Khwaja-ye Eslam sont largement documentés dans la chronique panégyrique de Ḥâfeẓ-e Tânesh : Hafiz-i Tanish, Sharaf-nâma-i shâhi, éd. en fac-similé et trad. russe M.A. Salahetdinova, vol. I, Moscou, 1977.

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2. Dans la chronique mentionnée, les liens semblent déjà distendus entre ‘Abdallah et le fils de Khwaja-ye Eslam, Khwaja-ye Kalan ou Sa’d. 3. On reviendra sur ce point. Pour le système de Khwaja-ye Ahrar, voir J. Paul, Die politische und soziale Bedeutung der Naqšbandiyya in Mittelasien im 15. Jahrhundert, Berlin, 1991, ainsi que du même, “Forming a Faction. The ḥimâyat System of Khwaja Ahrar”, International Journal of Middle East Studies 23 (1991), p. 17-43. Pour une comparaison entre l’administration des biens fonciers de Khwaja-ye Ahrar et celle pratiquée par les cheikhs Juybari (d’après les résultats d’Ahmedov, voir n. 6) voir le premier ouvrage cité, p. 99-100. 4. Iz arhiva Shejhov Džujbari, Moscou-Leningrad, 1938. Cette édition laisse à désirer (entre autres, il n’y a pas d’index et les commentaires sont des plus succincts ; il y a aussi pas mal de coquilles). Il faut cependant travailler notamment avec les textes persans, car les traductions russes sous le nom de P. P. Ivanov, Hozjajstvo Džujbarskikh shejhov, Moscou-Leningrad, 1954, sont peu fiables surtout en ce qui regarde la terminologie, voir les observations d’E. A. Davidovich à ce propos dans Sovetskaja Etnografija 1955 n° 3, p. 187-192. L’étude d’Ivanov qui précède les traductions est la seule à ma connaissance qui s’efforce de faire le point sur les activités économiques et politiques des cheikhs. Elle porte pourtant les marques de la période où elle a paru. Pour la portée limitée de cette étude, voir aussi V. Fourniau : “Quelques sources concernant l’histoire agraire des Özbeks à partir du XVIe siècle”, Turcica 19 (1987), p. 277-301. Bakhtiyar Babadžanov a indiqué, dans une communication faite à Aix-en-Provence (juillet 1996), que des documents originaux des cheikhs Juybari existent à Tachkent (Institut d’Orientalisme “Birouni”). Un des originaux a été identifié par Robert McChesney (voir sa communication de Kyoto citée plus bas), il s’agit du n° 176 de l’édition qui figure dans la série de documents publiés par O.D. Chehovich et A.A. Egani : “Regesty sredneaziatskikh aktov (s fotoproizvedeniem publikuemyh vpervye)” (chast’ II : Pis’mennye pamjatniki vostoka. Ežegodnik. 1974, paru à Moscou en 1982, n° 103). Le document se trouve actuellement à Douchanbé. Je n’ai (encore) pu voir aucun des originaux, ni l’article de L. Rahmanova, “Iz istorii hozjajstva džujbarskikh shejhov (novye dokumenty)”, Trudy molodyh uchenyh i aspirantov IVAN UzSSR, vyp. 2, Tachkent, 1969, p. 17-28. Robert McChesney constate, d’après la dernière édition du dictionnaire bio-bibliographique de Miliband et d’après ses propres recherches, que l’édition et les traductions ont en fait été préparées par F. B. Rostopchin, victime de la terreur stalinienne, probablement fusillé (après 1937) ; voir S. D. Miliband, Bio- bibliograficheskij slovar’ otechestvennykh vostokovedov s 1917 g., Moscou, 1995, vol. II, p. 332 ; et R. McChesney, “Problems surrounding the Jûybârî Archive”, communication présentée à Kyoto, décembre 1995. Je voudrais remercier Robert McChesney de m’avoir fait parvenir une copie de sa communication. Je signale encore que l’aspect agricole (techniques et produits) a été étudié par E. A. Davidovich, “Materialy dlja harakteristiki ekonomiki i social’nyh otnoshenij v Srednej Azii XVI v.”, Izvestija otdelenija obshchestvennyh nauk AN TadžSSR 1961, vyp. 1 (24). 5. Ms IO Tachkent, n° 2094. Je tiens ici à remercier R. McChesney qui m’a généreusement offert des copies de ce manuscrit. 6. M.A. Abduraimov, “O maloizvestnom istochnike po istorii agrarnyh otnoshenij v Srednej Azii XVI veka”, Narody Azii i Afriki (1968) n° 3, p. 121-128 ; B. A. Ahmedov et I. Saidahmedova, “Agiograficheskaja literatura kak istoricheskij istochnik”, Bartol’dovskie chtenija 8 (1987), p. 15-16. B. A. Ahmedov s’est largement appuyé sur le livre en question dans son article “Rol’ džujbarskih hodžej v obshchestvenno-politicheskoj žizni Srednej Azii XVI-XVII v.”, Duhovenstvo i politicheskaja žizn’ na bližnem i srednem Vostoke v period feodalizma. Bartol’dovskie chtenija 1982, Moscou, 1985, p. 16-31. 7. Ivanov, Hozjajstvo, p. 18. J’utilise le manuscrit de Berlin, Staatsbibliothek Preussischer Kulturbesitz, Orientabt., ms Or.oct. 1540, tardif et défectueux par endroits. Ivanov ne connaissait pas encore le Rowżat al-reżvân et s’est donc appuyé sur le Maṭlab al-ṭâlebin. 8. Voir sa communication de Kyoto citée n. 4.

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9. Document 158. Pour la monnaie d’argent de l’époque, la tanga, voir les travaux d’E. A. Davidovich, et plus particulièrement Korpus serebrjannyh i zolotyh monet Shejbanidov (XVI v.), Moscou, 1992. Cet ouvrage capital ne fournit cependant pas les renseignements nécessaires pour juger de la stabilité de la monnaie ; il est évidemment central de savoir si le pouvoir d’achat du numéraire est resté sensiblement le même pendant la période en question. Davidovich semble avoir réservé ce genre de questions à un autre livre qui est annoncé sous le titre de Denežnoe obrashchenie v gosudarstve Shejbanidov (XVI v.) au début du Korpus. Dans le chapitre consacré à la politique monétaire sous les Sheybanides dans le troisième tome de l’Istorija Uzbekistana (Tachkent, 1993), elle remarque pourtant que la situation sous Eskandar et ‘Abdallah fut caractérisée par un manque de métal ; elle constate une crise qui poussa ‘Abdallah à tenter une réforme monétaire (ibid., p. 130-131). Tant que nous ne disposons pas de l’étude plus élaborée que Davidovich a annoncée, j’essaierai de formuler mes conclusions de façon aussi indépendante que possible du problème évoqué. 10. Exemples : un vignoble (bâgh-e angur) avec 75 pieds de vigne vendu 40 tanga (doc. 214), un autre avec 70 pieds de vigne – 30 tanga (doc. 215), un autre avec 48 pieds de vigne – 10 tanga (doc. 220) ; tous les trois dans le même village (Somitan). 11. Doc. 335- 500 tanga ; 278 – 550 tanga ; dans le doc. 121, le prix est 200 tanga. 12. Le prix d’un chahârbâgh peut atteindre 1 000 tanga sans la terre (doc. 210 et 211 ; dans le doc. 209, le prix de 2 000 tanga semble exagéré. D’ailleurs c’est un cas spécial puisque le vendeur rend l’argent reçu au khwâja comme naẕr – don votif ou bien geste pieux ; des dons sont relativement rares dans ce recueil). 13. Voir l’article de Davidovich cité n. 4. 14. Doc. 368. La branche sheybanide avec laquelle les cheikhs Juybari étaient liés avait comme base justement cette région entre Boukhara et Samarcande. 15. Ḥâfeẓ-e Tânesh, vol. I, intr. du trad., p. 22. 16. En 951, c’est le père de ‘Abdallah, Eskandar, qui vend (doc. 217). On se demande si le prix a été payé. Les dons sont peu fréquents, mais existent ; et dans ces cas, on a tendance à exagérer le prix pour souligner la valeur du don, voir n. 11. 17. Ḥâfeẓ-e Tânesh, vol. I, p. 21-22. Florian Schwarz, dans une étude des documents en question plus quelques actes de vaqf, constate également que les achats de terre se développent au même rythme que le rôle politique joué par les cheikhs Juybari, voir “The Oasis of Bukhara in the 16th century in the light of the Juybari Codex”, communication présentée à Boston (MIT) en novembre 1996 (à paraître). Je remercie Fl. Schwarz de m’avoir envoyé ce texte. 18. Ahmedov, “Rol’”, p. 16. C’était pourtant le père de Khwaja-ye Eslam, Ahmad, qui avait acheté les premiers terrains, dont celui de l’année 951. Il semble avoir coopéré étroitement d’abord avec Eskandar, puis avec ‘Abdallah, mais la date de sa mort n’est pas clairement établie. 19. Document 382. 20. Ḥâfeẓ-e Tânesh, vol. II (Moscou, 1989), p. 7. 21. Voir J. Paul, Die politische und soziale Bedeutung der Naqšbandiyya, chapitre 7 (p. 155-207). Les sources hagiographiques montrent les cheikhs Juybari offrant de la ḥimâya. Il n’y a pourtant pas d’indice suffisamment clair pour expliquer les prix mentionnés dans les documents par cette sorte de contrat de protection – cette question doit pour l’instant rester ouverte, il se peut qu’elle puisse être résolue par des études approfondies de toutes les sources disponibles (originaux des documents, actes de vaqf, etc.). 22. J’utilise cette mesure qui se trouve dans pratiquement tous les documents sans la traduire en système métrique. Une relation de 4 ou de 6 ṭanâb à l’hectare a été proposée ; voir par ex. E. A. Davidovich, O. D. Chehovich et A. Egani, “Novye materialy po metrologii Srednej Azii”, dans : Istorija i kul’tura narodov Srednej Azii, Moscou, 1976. Le ṭanâb de Boukhara semble particulièrement difficile à définir en mètres carrés, voir Davidovich (n. 4), ainsi que la même, Materialy po metrologii srednevekovoj Srednej Azii, Moscou, 1970.

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23. Doc. 183. 24. Doc. 291 : 30 tanga pour un terrain de 86 ṭanâb ou un tiers de tanga environ au ṭanâb. Il peut évidemment aussi s’agir d’une erreur du scribe. 25. Si le métal était rare et s’il y avait une sorte de déflation, des prix au montant nominal très bas s’expliqueraient plus facilement ; voir n. 9. 26. Quand on veut vendre des champs ensemencés, on donne d’abord l’importance des semences (calculée en mann – 25,6 kg) plutôt que la superficie de la terre, et avec cela, on souligne que “le champ est vert”, c’est-à-dire que le blé a germé, et que les deux tours d’irrigation habituels ont été effectués (doc. 159, 162, 213 et autres). 27. Doc. 238-256. Les documents en question datent de 961 à 978. Pour la situation géographique dans l’oasis de Boukhara à l’époque en question, voir la communication de Fl. Schwarz citée plus haut (n. 17) et également ses remarques sur les prix. 28. Doc. 243 de 978, 3 ṭanâb pour 150 tanga, soit 50 tanga au ṭanâb. 29. Doc. 253 de 961, 19 ṭanâb pour 810 tanga, soit un peu plus de 53 tanga au ṭanâb. À première vue, les deux prix maximum, donnés pour deux affaires conclues à 17 ans d’intervalle, n’indiqueraient pas de changements majeurs dans la valeur de la monnaie. 30. Un exemple : doc. 141 ; 103 ṭanâb pour 300 tanga. Le prix a évidemment été arrondi (au chiffre inférieur). 31. Deux des nombreux exemples que l’on pourrait citer : doc. 240, 12 ṭanâb et 1 dâng (sixième) vendus 365 tanga, 30 tanga au ṭanâb. Doc. 244, 6 ṭanâb vendus 174 tanga, 29 tanga au ṭanâb. Ces deux exemples concernent évidemment le site favorisé mentionné plus haut. 32. La monétarisation de l’économie est une question qui se discute ; voir par ex. Davidovich, “O vremeni maksimal’nogo razvitija denežno-tovarnyh otnoshenij srednevekovoj Srednej Azii”, Narody Azii i Afriki 1965, n° 6, p. 83-91. Elle pense que la période de l’apogée de l’économie “marchande” est la fin du XVe et le début du XVI e siècle, un peu plus tôt que les documents analysés. La prévalence de la monnaie sur le métal est indiquée par une formule comme dans les doc. 116 et 122, “le montant compté selon le numéraire, pas selon le poids” (meqdâr-e folus ma‘lum al-‘ain majhulal-qadr va’l-vazn). 33. On se rappelle qu’il y a (au moins) trois catégories juridiques desquelles la terre peut ressortir : la “propriété” melk (terme qu’on ne discutera pas ici), la seule catégorie qui puisse se vendre, le vaqf et le domaine du souverain, mamlaka. La détention taṣarrof peut s’exercer sur les trois, mais normalement, on ne donne le nom du motaṣarref (quand on le donne) que pour les deux dernières catégories. 34. Il ne viendrait à l’esprit de personne de penser que quelqu’un qui s’appelle disons Lefèvre exerce la profession de forgeron. Une nisba n’est pourtant pas un nom de famille, surtout pas pour ceux qui n’ont pas d’ancêtre célèbre dont ils pourraient perpétuer le nom. 35. Voir Paul, Die politische und soziale Bedeutung der Naqšbandiyya, p. 141. Dans les documents du khwâja, il y a un passage qui permet un dépouillement analogue à celui présenté ici. Quatorze émirs y sont mentionnés comme voisins, mais quatre comme vendeurs seulement. 36. Les plus grands vendeurs individuels sont certainement Mirza Mashhadi et son frère Ulughbik pour lesquels il est difficile, d’après leurs nom et titulature, de déterminer l’origine sociale. Dans le doc. 277, par exemple, on mélange des épithètes appartenant aux émirs à celles propres aux sayyids (seyâdat-ma’âb mortażavi-entesâb pour le père de deux frères, ‘Abd al-Karim). Dans l’index de l’édition de Ḥâfeẓ-e Tânesh, on ne les trouve pas, ce qui serait curieux s’ils avaient joué un rôle politique ou militaire quelconque. Ils sont vendeurs dans les documents 104 (600 tanga), 113 (pas de prix), 119 (3 750 tanga), 127 (seul Mashhadi) (des sokniyyât, 150 tanga), 198 (500 tanga), 228 (Mashhadi, vakil pour son frère et pour une femme) (185 tanga), 277 (un village entier, 1 250 tanga), 286 (plusieurs villages dans le district de Ghojdovan, 5 050 tanga), 309 (encore des villages, district Qarakul, 5 000 tanga), 358 (dans le Kam-e Abu Moslem, 500 tanga). Les terres vendues par les deux frères dans la seule région de Boukhara valaient donc plus de 16 000 tanga.

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Ajoutons que c’est eux encore qui ont vendu la moitié du tumân entier, à 10000 tango. Voilà la grande propriété foncière privée. 37. Doc. 139. 38. Doc. 179. 39. Doc. 175. 40. Doc. 331 : Bakht Soltan ; doc. 251 : Zohra b. Tilav Bi ; doc. 155 : Tordi Soltan (où l’indice de son origine est fourni par le fait que ses pleins pouvoirs sont attestés par deux émirs). 41. Ce processus de dissolution semble être en partie une conséquence inévitable de la loi musulmane sur l’héritage. Dans les deux premières générations, les cheikhs Juybari ont cru pouvoir se permettre de ne pas l’appliquer ; mais, ensuite, le pouvoir charismatique a commencé à se diluer et l’héritage fut dûment partagé. Voir l’étude d’Ivanov, Hozjajstvo (d’après le Maṭlab al- ṭâlebin). 42. Pour une esquisse du problème ainsi que pour la littérature antérieure, voir Davidovich, l’article cité n. 4, le chapitre sur les “trois groupes de paysans” (p. 36-39), ainsi que la même, “Feodal’nyj zemel’nyj milk v Srednej Azii XV-XVIII v. : sushchnost’ i transformacii”, dans Formy feodal’noj sobstvennosti i vladenija na Bližnem i Srednem Vostoke, Moscou, 1979, p. 39-62, et J. Paul, “Le village en Asie centrale aux XVe et XVIe siècles”, Cahiers du Monde russe et soviétique 32 (1991), p. 9-16. 43. Au niveau du processus de travail, une partie (un droit d’exploitation) s’appelle joft-e gôv ou zowj-e ‘avâmel. 44. Doc. 341-354. 45. Les revenus du village sont divisés tantôt en 16, tantôt en 32 parts. Tous les contrats ont ici été calculés sur la base de 32 parts. 46. Pour le processus de partage, voir A. K. S. Lambton, Landlord and Peasant in Persia, Oxford, 1969, p. 306 sqq. 47. hamagi va tamâmi-ye yak sahm-e moshâ‘-e melk-e khudam va in movakkalânrâ az hamagi va tamâmi- ye shânzdah sahm-e moshâ‘-e arâżi-ye melk-i qâbel-e zerâ‘at-e mowże‘-e qeshlâq Yamghur, doc. 345. 48. La question se pose de savoir si les 27 transactions se sont vraiment faites en un seul jour (ou, à la rigueur, en quelques jours – si les “notaires” les ont perçues comme une unité, ils ont pu mettre une seule date même si les affaires ont été conclues en plusieurs jours) ou si la date que nous avons dans le texte est en fait due à une intervention du scribe dans le texte du document. Je pencherais pour la première solution parce que le procédé que nous observons semble prendre les 27 actes comme une unité. 49. P. 354. C’est une déclaration habituelle qui sert à garantir la validité du contrat. Ce qui est extraordinaire, c’est que le scribe (ou le notaire) ait reçu une déclaration collective. 50. Il s’appelle Hoseyn et paraît avec son frère. Dans les documents, le terme kalântar se trouve en plusieurs lieux. Dans le doc. 133 par exemple, nous voyons Khwaja ‘Omar kalântar apparaître devant le notaire avec 9 personnes, toutes du même village, pour vendre un terrain de 1 300 ṭanâb, d’ordre de grandeur d’un village entier. Il n’y a donc pas à insister sur le fait que kalântar peut aussi être une partie du nom démuni du sens technique du terme. 51. Dans le doc. 288, il est question d’un certain Harrar (Ḥarrâr) ; dans le numéro 173, d’un certain Quti, libéré par une femme de l’aristocratie turco-mongole. 52. Deux propriétaires plus importants vendent séparément. Il s’agit d’un cadi qui est voisin dans le doc. 288 et vend dans le doc. 289, au prix de 6 tanga le ṭanâb. Je n’ai pas pu établir s’il s’agit de la même terre, donc je me garde de tirer des conséquences de la différence de prix. Le deuxième est Baba Kishi dont le nom est donné plusieurs (au moins cinq) fois comme voisin dans le doc. 288, il vend dans le doc. 292 au prix de 1 tanga au ṭanâb. Mais sa veuve et sa fille ont, elles aussi, encore quelque chose à vendre (doc. 331, prix : 210 tanga pour 300 ṭanâb, très bas), et la femme au moins vient de l’aristocratie turco-mongole.

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AUTEUR

JÜRGEN PAUL Institut für Orientalistik, Universität Halle-Wittenberg, Allemagne

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Le rôle de la femme dans la société de l’Asie centrale sous les Timourides et les Sheybanides

Raziya Mukminova Traduction : Alié Akimova

NOTE DE L’ÉDITEUR

Traduit du russe par Alié Akimova

1 La femme a toujours joué un rôle non négligeable dans la vie politique et économique de la société centre-asiatique à toutes les étapes de son développement. Le travail féminin occupe également une place importante dans l’économie. Pourtant, de nos jours encore et même dans les ouvrages scientifiques, on a tendance à ne présenter la femme musulmane que comme une épouse confinée dans un harem et à sous-estimer sa place dans la vie sociale et privée de l’Orient. En fait, du point de vue juridique, la femme était dans une certaine mesure protégée par les lois islamiques, bien que sa condition sociale fût déterminée par le système économique du pays, que dans les pays musulmans la femme ne disposât pas des mêmes droits que l’homme, et que son destin dépendît souvent du père ou du mari (ce qui était du reste le cas en Occident aussi). Certains critiques ont dénoncé une vision partiale de la condition de la femme musulmane. Par exemple, I. P. Petrushevski écrit : « ...dans les pays musulmans les droits de vie et de propriété des épouses étaient protégés bien plus qu’ils ne le furent jamais en Occident1 ».

2 L’existence du mahr, sorte d’assurance matérielle de la future épouse, était un des points distinctifs entre la situation juridique des femmes orientales et occidentales. D’après les documents (par ex., celui de Samarcande de 15892) le contrat de mariage stipulait que la famille du fiancé garantirait la situation matérielle de la fiancée.

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3 Le montant du mahr n’était pas fixe ; il dépendait de la fortune de la famille du fiancé et était fixé d’un commun accord par les deux parties. Il faut bien noter que le mahr se différenciait du kalym par le fait qu’il revenait en propre à la fiancée et non à ses parents, tandis que le kalym était payé par le fiancé aux parents de sa future épouse. Conformément au document détenu par la fiancée, il existait deux types de mahr : l’un était en espèces (naqd), dont la jeune épouse prenait possession lors du mariage ; tandis que l’autre, mis de côté (nasiya), lui servait dans le cas où le mari décédait ou le couple divorçait sans raison valable. Selon la shari‘a, en cas de mort du mari et de partage des biens, on en déduisait le mahr et on le remettait à la veuve ; après quoi seulement on partageait les biens du défunt. Certains chercheurs cependant ne font pas de différence entre les deux concepts de mahr et de kalym.

4 Evidemment, seule une minorité pouvait payer le mahr sous forme de revenu d’une propriété foncière, d’un verger, d’un dokkân ou de location d’une maison ou autres biens. On en a des exemples, mais il faut noter que les informations sur le mahr rencontrées dans les ouvrages des XVe-XVIe siècles restent rares et ne concernent que des femmes de familles aisées. Dans la plupart des cas, le mahr se composait de vêtements, de bijoux, etc. Par exemple, un des documents mentionne une femme qui mit en gage des boucles d’oreille, dont « chacune pesait trois meṣqâl ». Ces boucles d’oreilles lui ayant été données comme mahr, elle pouvait en disposer à sa guise, sans demander l’autorisation de sa famille. Un arrêté juridique rédigé par le qâżi de Samarcande le 31 juillet 1590 confirme le caractère licite de la mise en gage des bijoux- mahr, que l’on considérait comme le bien personnel de la femme3. Ainsi l’existence du mahr et le droit d’en disposer par l’épouse furent légalisés par la loi musulmane.

5 Nos matériaux, bien que peu nombreux, apportent des exemples dont l’analyse nous permet de déterminer dans une certaine mesure le rôle et la place de la femme dans la société centre-asiatique de la fin du XIVe au XVIe siècle.

6 Comme en témoignent les sources écrites et les recherches déjà publiées, les femmes occupaient une place assez importante à la cour d’Amir Timour et des Timourides4. Elles participaient aux festivités où l’on invitait des hauts dignitaires, aux réceptions des ambassadeurs des pays étrangers, prenaient une part active aux constructions de madrasa, de mosquées, de mausolées, de khânqâh et d’autres constructions monumentales. Parmi les gens qui constituaient de grandes richesses en vaqf pour tel ou tel établissement, on mentionne des femmes riches dont certaines devenaient gestionnaires (motavalli) de leur vaqf. Par exemple, Habiba-Soltan Begom, une princesse timouride, fille de l’émir Jalal al-Din, fit bâtir à Samarcande le célèbre mausolée ‘Eshrat- khana. En 1464, un document de vaqf (vaqf-nâma) fut rédigé à son nom, selon lequel tous ses biens mobiliers (y compris les esclaves) et immobiliers furent dévolus à l’entretien de ce mausolée, où reposaient les restes de Khavand-Soltan, fille de Soltan-Abu Sa’id. D’après ce document, Habiba-Soltan Begom se nomma elle-même motavalli de son vaqf. Son cas n’est pas isolé.

7 Au XVIe siècle, c’est Mehr-Soltan Khanom (connue aussi comme Mehraban ou Mehri Khanom), une belle-fille de Mohammad Sheybani Khan, qui se détache parmi les femmes de la société centre-asiatique. Selon un vaqf-nâma établi à son nom, elle fit bâtir au centre de Samarcande une maqbara (« palais de quiétude », tombeau), destiné à devenir son propre mausolée. La maqbara se trouvait tout près de la ṣoffa de Sheybani Khan, où celui-ci fut enterré tout comme son fils et le mari de Mehr-Soltan Khanom, Mohammad Timur Soltan, sur la gauche de celle-ci. De cette façon sa tête pouvait

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reposer, disait le vaqf-nâma, aux pieds de son « vénéré époux », Mohammad Timur. Ce dernier étant mort en 1514, le mausolée a dû être bâti après cette date. Comme en témoigne le document de vaqf, Mehr-Soltan Khanom fit revêtir la ṣoffa de Sheybani Khan de plaques en marbre. Elle fit également bâtir à Samarcande la madrasa Shomaliya, ainsi qu’un arc reliant cette madrasa à une autre, bâtie à l’époque antérieure, sur l’ordre de Mohammad Sheybani Khan5.

8 Mehr-Soltan Khanom appartenait à une lignée importante. Elle était la fille du khan du Dasht-e Qipchaq, Burunduq. Celui-ci, après une guerre désastreuse contre Sheybani Khan (avant la conquête par celui-ci des territoires timourides) et, surtout, après son fiasco à Sayram, décida de s’allier à Mohammad Sheybani Khan en mariant sa fille au fils aîné de ce dernier, Mohammad Timur Soltan. De toutes les épouses de Mohammad Timur, Mehr-Soltan Khanom fut la préférée.

9 Après la mort de son époux (1514), elle accumula entre ses mains d’immenses richesses. Plus de 160 parcelles de terre, huit villages et lieux-dits habités, des vergers, des prés, des pâturages d’été, des collines et des terrains situés sur les pentes des montagnes ; et aussi des entreprises commerciales, y compris les timcha (entrepôts et magasins spécialisés), plus de 40 dokkân (boutiques), des presses à papier et des ateliers pour la fabrication des feuilles, des moulins, des dépôts, des maisons avec les communs (ḥowli), des bains. Conformément au vaqf-nâma tous ces biens immobiliers furent donnés par Mehr-Soltan Khanom à deux madrasa à Samarcande, mentionnées ci-dessus. Bien que l’une d’elles eût été bâtie par Mehr-Soltan Khanom après la mort de son beau-père, Mohammad Sheybani Khan, elles entrèrent dans l’histoire comme les deux madrasa de Sheybani-Khan.

10 Une clause de ce vaqf-nâma attire particulièrement notre attention : Mehr-Soltan se nomme elle-même motavalli du vaqf qu’elle a constitué et elle garde ce titre toute sa vie. Après sa mort, le motavalli devait être nommé parmi ses descendants de sexe masculin, les femmes ne pouvant le devenir qu’en cas d’absence d’un candidat mâle. Le problème du partage des revenus du vaqf occupait aussi une place particulière, car Mehr-Soltan Khanom devait en toucher un cinquième et effectuer la gestion à vie de tous les revenus. Elle pouvait changer à son gré les dépenses initialement prévues par le vaqf- nâma, ainsi que nommer et remplacer les enseignants (modarres) et le personnel de service des madrasa, réviser leurs salaires, conclure ou résilier les baux. Il est noté dans le document : « Elle gérera à sa guise ces (...) biens de vaqf et pourra dépenser les revenus pour ses propres besoins, ou les donner à qui bon lui semblera ». La femme- motavalli avait ainsi affaire aux hommes – les modarres, les serviteurs des madrasa, les locataires des terres du vaqf, des dokkân et des autres établissements de commerce, les fonctionnaires d’État et autres représentants du sexe masculin.

11 Le nom de Mehr-Soltan Khanom est aussi mentionné dans une autre source, un document des cheikhs Juybari daté de 1558, où elle figure, tout comme dans le Bâbur- nâma, sous le nom de Mehraban Khanom. Ce document, rédigé en rapport avec la vente d’une propriété foncière à Khwaja Mohammad Eslam Juybari, dit : « (...) cette propriété est limitée sur un côté par les terres du village de Gubdin, qui est un vaqf (...) légué par feue (...) Mehraban Khanom6 » – d’où on peut déduire que Mehr-Soltan Khanom mourut avant 1558.

12 Un autre fait significatif atteste que Mehr-Soltan Khanom jouissait d’un rang élevé parmi les membres de la dynastie régnante : Babour cite son nom à côté de ceux du grand souverain sheybanide, Kuchkunji Khan (r. 1510-1530), et de son fils, Abu Sa’id

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Soltan (r. 1530-1533). Selon le Bâbur-nâma en effet, en 935/1528-29 Babour reçut à Agra les ambassadeurs de l’Iran, ceux des principautés indiennes et ceux des sultans « ouzbeks », et donna une fête en leur honneur. Parmi les ambassadeurs du khan sheybanide et des sultans ouzbeks, Babour mentionne Mehraban Khanom et son fils Pulat (Bulat, Fulat) Soltan. Pour les remercier d’être venus, Babour leur fit remettre des cadeaux et les fit revêtir de chakmân ornés de boutons et de khel’at en soie. On leur fit présent également d’une somme d’argent « correspondant à leur statut7 ». Nous voyons donc que, dans des cas particuliers, la femme musulmane pouvait occuper un poste important.

13 La grand-mère maternelle de Babour aussi, Esen-Dowlat Begom, épouse du gouverneur de Tachkent Yunus Khan, participa activement à la vie politique et économique de son pays à la fin du XVe siècle. Elle continua même après le décès de son époux et, comme en témoigne Babour lui-même : « Peu de femmes ont jamais égalé ma grand-mère, Esen-Dowlat Begim, pour ce qui est des avis et des conseils. Très intelligente et avisée, la plupart des affaires de l’État se réglèrent d’après ses conseils8 ». Une autre information concernant Esen-Dowlat Begom est d’un intérêt certain : conformément à la tradition, elle fut élevée aux côtés de son mari, Yunus Khan, sur un tapis en feutre blanc, ce qui signifie qu’elle fut admise au rang de khan9.

14 Esen-Dowlat Begom était une femme courageuse et résolue. Mirza Mohammad Heydar raconte qu’un certain Sheykh Jamal Khar, un émir de Soltan-Sa’id, donna Esen-Dowlat Begom, qui était alors seule, à « l’un de ses hommes qu’il respectait. Celle-ci, à cette nouvelle, n’exprima aucune objection et donna même son accord. L’homme, Khwaja Kalan, apprit avec joie l’accord de la Begom et vint chez elle le soir. Il laissa ses gens de service à l’extérieur et entra dans la maison. Aidée de ses servantes, la Begom fit fermer les portes et attaquer Khwaja Kalan, qui fut tué par les femmes à coups de couteau. Le lendemain matin, elles jetèrent son corps hors de la maison. Lorsque les gens virent le cadavre ils en informèrent Sheykh Jamal Khar, qui exigea des explications. La Begom dit : "Je suis une épouse de Soltan-Yunus Khan, mais Sheykh Jamal m’a donné en cadeau à un autre homme. Ce n’est pas licite selon la shari‘a. Je l’ai tué afin que Sheykh Jamal Khar me tue aussi". Alors Sheykh Jamal loua la Begom avec mille louanges et remerciements, lui exprima sa considération et la renvoya chez le khan10 ».

15 La princesse chaghataï de Moghul Khanom, une des femmes de Mohammad Sheybani Khan et fille de Soltan-Mahmud Khan, jouissait aussi d’une grande influence. Sheybani Khan l’épousa en 1503 après la conquête de Tachkent. Les sources écrites l’appellent ‘A’yisha-Soltan Khanom, Moghul Khanom ou Moqabbela ( ?) Khanom11.

16 En 1510, au cours de la guerre contre Shah Esma’il Ier, souverain de l’Iran, les troupes de Sheybani Khan se réfugièrent à Marv en attendant les renforts. Sheybani Khan fit appel à son neveu ‘Obeydallah Khan et son fils Mohammad Timur Soltan qui se trouvaient dans le Mavarannahr. Ayant pris Astarabad, Mashhad et d’autres villes, le Chah assiégea Marv, sans toutefois réussir à la prendre. Il feignit alors de battre en retraite pour tromper la vigilance de son adversaire et lui expédia une lettre disant que, puisque Sheybani Khan était un lâche qui se cachait derrière les murs de sa forteresse, Shah Esma’il partait se battre contre le sultan ottoman.

17 Les partisans de Sheybani Khan se divisèrent en deux camps. Certains émirs lui conseillaient de regagner le Mavarannahr, de réunir ses troupes et d’attaquer l’armée iranienne au printemps. Les autres pensaient qu’il fallait attendre l’arrivée de ‘Obeydallah Khan et Mohammad Timur Soltan. La femme du khan ouzbek, Moghul

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Khanom, reprocha à son mari de refuser la bataille alors que Shah Esma’il était venu à Marv, après avoir fait un long chemin, pour répondre aux lettres de Sheybani Khan qui l’appelaient au combat. D’après l’auteur du ‘Âlam-ârâ-ye Ṣafavi elle aurait dit : « Si vous ne voulez pas combattre, je me battrai moi-même contre Shah Esma’il ». Comme en témoignent plusieurs auteurs, Sheybani Khan se lança à la poursuite de l’armée du Chah, tomba dans le piège et fut tué avec son entourage12.

18 Cet épisode révèle le rôle important que l’une des épouses de Sheybani Khan jouait à la cour, et témoigne également de la position des femmes de la haute noblesse à la cour du khan. Il peut paraître invraisemblable que Moghul Khanom ait déclaré qu’elle combattrait contre le Chah d’Iran si son mari ne le faisait pas ; cela montre néanmoins que les épouses des souverains non seulement les suivaient pendant les campagnes militaires, mais pouvaient parfois influer sur les décisions militaires13. La participation de Moghul Khanom à la réunion du khan et de ses émirs où elle pouvait exprimer son opinion témoigne de la part active qu’elle prenait aux décisions politiques, et que la femme d’un khan ouzbek ne menait pas du tout la vie de recluse, dont on fait une caractéristique des femmes orientales de cette époque.

19 Les sources évoquent aussi la participation des femmes à la défense d’une ville. Selon Mirza Mohammad Heydar, Burunj-Oghlan, le fils aîné d’un célèbre khan du Dasht-e Qipchaq, Abu’l-Khayr (1428-1468), profita de l’absence de Yunus Khan, dont nous avons parlé précédemment, parti à la chasse, pour attaquer son campement. N’ayant pas rencontré de résistance, Burunj-Oghlan pilla les habitants. Il était en train de compter le butin, lorsque les femmes se jetèrent sur ses soldats qui s’étaient installés dans leurs maisons, les battirent et les firent prisonniers. Un proche de Burunj-Oghlan fut aussi capturé, avec le cheval de ce dernier, ce qui empêcha la fuite de Burunj qui fut également saisi par les femmes. Lorsque Yunus Khan, qui, à cette nouvelle, s’était empressé de rentrer, arriva au camp il ne lui resta qu’à faire justice aux ennemis emprisonnés. Il fit décapiter Burunj-Oghlan dont la tête fut piquée sur une lance14.

20 Des documents laconiques, mais précieux, nous donnent une idée sur l’instruction des fillettes et adolescentes dans les familles riches. Il existait des écoles spéciales destinées à l’instruction des jeunes filles, ce que reflète la miniature de la fin du XVe et du début du XVIe siècle : dans la ḥojra au-dessus de la classe où étudient les garçons, il y a une fillette avec un livre sur un support et un cahier à la main ; une autre miniature représente un groupe de filles dirigé par une maîtresse15. D’autres montrent des jeunes femmes ou jeunes filles jouant au polo (chowghân). Dans les familles riches on pratiquait aussi l’enseignement à domicile en faisant venir des précepteurs qui s’occupaient de l’instruction des fillettes. Par exemple, Khwaja Mohammad Darzi était le précepteur de la fille du souverain du Ferghana, ‘Omar Sheykh. Golbadan Begom, fille de Babour et première femme historiographe de l’Orient, auteur du Homâyun-nâma, est un exemple du haut niveau d’instruction des femmes musulmanes dans l’Orient médiéval.

21 Les sources documentaires et, en particulier, le recueil de documents Majmu’e-ye vasâyeq, évoquent les occupations des simples citadines. Par exemple, les actes juridiques concernant la formation d’apprentis (shâgerd) par les maîtres artisans présentent un intérêt considérable16. Sur vingt-cinq accords écrits faisant partie de ce recueil, onze ont été conclus avec la participation des mères des garçons destinés à l’apprentissage ; il est alors dit qu’au moment de la conclusion de l’accord, le garçon était à la charge de sa mère, ce qui signifie qu’il n’avait pas de père. Le fait que c’étaient les mères qui s’occupaient de la formation professionnelle de leurs fils est très

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significatif. Elles devaient amener leurs fils au qâżi-khâna pour conclure un accord officiel avec le maître-artisan17.

22 Le manuscrit du Majmu’e-ye vasâyeq contient aussi des documents où les femmes sont représentées comme parties prenantes à la vie sociale et familiale. Selon certains documents juridiques, elles pouvaient régler les problèmes de la pension alimentaire de l’enfant ou de la conduite indigne d’un membre de famille. Certaines participaient aux opérations commerciales et, partiellement, au processus de production. D’autres fabriquaient des objets à la maison, se partageant ainsi entre l’artisanat, le ménage et l’éducation des enfants. Le plus souvent, les femmes traitaient les matières premières ou effectuaient une des opérations liées à la fabrication de l’objet artisanal. Mais la femme faisait parfois tout le travail du début jusqu’à la fin. Dans ce cas, on pouvait ajouter à son nom celui de sa profession. Sa’adat-Soltan Muyina-duz, fille de ‘Abdallah, qui vécut à la fin du XVIe siècle à Samarcande, pourrait faire partie de ces femmes, maîtres-artisans18. Son nom, muyina-duz, suggère qu’elle s’occupait de pelleterie et fabriquait des vêtements en fourrure.

23 Certaines sources brossent un tableau des conditions de vie difficiles et de la servitude des femmes du milieu des artisans pauvres. Un document de reconnaissance de dette, fait à Samarcande et attesté par un sceau du qâżi le 13 octobre 1589, oblige un artisan chitgar (imprimeur sur tissu) à suivre les ordres de son créancier, sans quoi, affirme la décision du qâżi, il devra divorcer de sa femme ! Cet exemple montre que la société musulmane pouvait parfaitement ignorer l’opinion et les souhaits de la femme, à la merci du créancier de son mari. La question de son avenir était apparemment réglée sans aucune participation de sa part.

24 Il y avait des femmes qui travaillaient dans les bains contre rémunération en argent, car les bains privés appartenant aux riches citadins rapportaient de gros revenus. Il existait des bains royaux, des bains publics de la ville réservés aux femmes des jours fixes de la semaine, des bains pour les fiancées. L’un de ces derniers se trouvait à Boukhara. Le bain de la fiancée au ḥammâm, pendant lequel on lui lavait les cheveux en les tressant en petites nattes, faisait partie de la cérémonie du mariage. Ce rite se déroulait habituellement à la maison ou bien au ḥammâm public ordinaire mais, comme en témoigne un document de Boukhara, les grandes villes possédaient des bains spéciaux pour les fiancées avec un personnel particulier.

25 Les sages-femmes se transmettaient leur savoir de génération en génération. Certaines citadines qui avaient besoin d’argent gagnaient leur vie comme pleureuses et en lavant les défuntes.

26 Des chanteuses et des danseuses aussi exerçaient leur métier contre une rémunération. En 1512, la chanteuse Chakari Changi quitta le Khorassan pour le Mavarannahr avec une caravane qui comptait 500 personnes. Zeyn al-Din Vasefi, contraint de quitter Hérat à la suite de la persécution menée par Shah Esma’il contre les partisans du sunnisme, en faisait partie19.

27 Ces mentions de musiciennes, chanteuses, danseuses, pleureuses, baigneuses et autres prouvent que les femmes n’étaient nullement recluses dans la société médiévale centre-asiatique. Les sources écrites semblent ainsi suggérer que, malgré les limitations sociales imposées par l’islam, les femmes, et surtout celles qui appartenaient à l’élite, jouaient parfois un rôle important dans la vie de l’État.

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NOTES

1. I. P. Petrushevskij, Islam v Irane v VII-XV vekah, Leningrad, 1966, p. 177. 2. Majmu’e-ye vasâyeq, ms IO Tachkent, n° 1386, fol. 189a (ou 229a, ancienne foliation). 3. Majmu’e-ye vasâyeq, fol. 81b. 4. T. Fajziev, Temurij malikalar, Tachkent, 1994. Récemment ont paru des recherches importantes sur la question de la femme dans le monde turco-iranien à différentes périodes de l’époque islamique, sa participation à la vie sociale, politique, aux actions militaires. Voir, entre autres, Bahriye Uchok, Ženshchiny-pravitel’nicy v musulmanskih gosudarstvah, trad. Z.M. Bunjatov, Moscou, 1982 ; W. Walther, Women in Islam, from Medieval to Modem Times, introd. Guity Nashat, Princeton – New York, 1993 (édition mise à jour) ; L. Peirce, The Imperial Harem. Women and Sovereignty in the Ottoman Empire, Oxford University Press, Oxford, 1993 ; M. Szuppe, « La participation des femmes de la famille royale à l’exercice du pouvoir en Iran safavide au XVIe siècle », parties 1 et 2, Studia Iranica 23/2 (1994), p. 211-258, et Studia Iranica 24/1 (1995), p. 61-122. 5. R.G. Mukminova, K istorii agrarnih otnoshenij v Uzbekistane XVI v., po materialam vaqf-name, Tachkent, 1966, p. 21. 6. Iz arhiva Sheyhov Džujbari. Materialy po zemel’nim i torgovym otnoshenijam Srednej Azii XVI veka, Moscou-Leningrad, 1938, doc. 379, p. 473. 7. [Note de la rédaction : voir la traduction française de Bâbor-nâma par J.-L. Bacqué-Grammont, Le Livre de Babur, Paris, Imprimerie Nationale, 1985, p. 320a.] 8. Ẓahir al-Din Muḥammad Babur, Bâbur-nâma (Vaqây’i), ed. Eiji Mano, Kyoto, 1995, p. 37 (5). Cité d’après la traduction de Bacqué-Grammont, Le Livre de Babur, p. 55b. 9. [Note de la rédaction : voir la traduction de Bacqué-Grammont, Le Livre de Babur, p. 45a]. 10. Mirza Muhammad Hajdar, Ta’rih-i Rashidi, trad. A. Urunbaev, R.P. Džalilova et L.M. Epifanova, Tachkent, 1996, p. 118-119. 11. Le nom de Moqabbela (pour Moqâbela ?) Khanom est mentionné dans O. Ekaev, Turkmenistan i Turkmeny v konce XV-pervoj polovine XVI v., Achgabad, 1981, p. 49. 12. ‘Âlam ârâ-ye Ṣafavi, éd. Yâdallâh Shokri, Téhéran, 1350 Sh/1971, p. 312-315 ; Ḥasan Rumlu, Aḥsan al-tavârikh, éd. C. Seddon, Baroda, 1931, vol. I, p. 119 ; Mirza Muhammad Hajdar, p. 196, 236 ; Ekaev, Turkmenistan i Turkmeny, p. 49-50. 13. On trouve des exemples similaires en Iran safavide au XVI e siècle, voir Szuppe, « La participation des femmes », II, p. 63-66, 101. 14. Mirza Muhammad Hajdar, p. 51. 15. Voir, par exemple, Miniatjury k proizvedenijam Amira Hosrava Dehlavi, Tachkent, 1983, fig. 19. 16. Voir R. G. Mukminova, « Craftsmen and Guild Life in Samarqand », dans L. Golombek et M. Subtelny (ed), Timurid Art and Culture : Iran and Central Asia in the Fifteenth Century, Leiden-New York-Cologne, E.J. Brill, 1992, p. 29-35. 17. Majmu’e-ye vasâyeq, fol. 118a-122b. 18. Majmu’e-ye vasâyeq, fol. 75a. 19. [Zeyn al-Din Maḥmud Vâṣefi], Zejn od-din Mahmud Vasifi, Badâye’ al-vaqâye’, éd. A.N. Boldyrev, Moscou, 1961 (2e édition), p. 18 et suiv.

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AUTEURS

RAZIYA MUKMINOVA Institut d’Histoire, Académie des Sciences de l’Ouzbékistan, Tachkent, Ouzbékistan

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Le rayonnement artistique

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Shrines of Saints and Dynastic Mausolea: Towards a Typology of Funerary Architecture in the Timurid Period

Claus-Peter Haase

1 The history of Islamic funerary architecture in Central Asia is in many ways peculiar and fascinating. The sheer existence of monumental early mausolea is a proof of the discussion opened here against so-called orthodox trends to restrict memorials for the dead. That the oldest Islamic mausoleum preserved, the turba of the Samanids in Bokhara from the first half of the 10th century, is a dynastic mausoleum may be taken as a symbol for a special form of dynastic conscience introduced into or combined with the Islamic society in this region1. The Samanid Amirs, who still recognized the Abbasid califate as the legitimate power, were of Iranian origin and probably understood certain of the old Iranian regional traditions combined with Central Asian influences, as appropriate with the new Islamic religion and community. In later, and even recent periods the building escaped destruction and damage because of the popular belief that it was a saint’s shrine, that means that after the memory (and the inscriptions) of the political power had faded, the spiritual powers succeeded it and occupied its place – no less a symbolic act. In contrast to this, in other cases like in the famous Shah-e Zenda ensemble in Samarqand popular traditions connected as many mausolea as possible with members of the family and the court of the revered strongman and dynasty- founder Timur, a special case in the history of the mostly unpopular Islamic dynasties2.

2 There are hints in the chronicles that a century before the erection of the Samanid mausoleum, the Caliph Harun al-Rashid (d. 193/809) got his tomb erected in Tus in Khorasan, and that close to it the Shiite Imam [‘Ali al-] Reza was buried, who died in Khorasan only a little later (203/818) as the designated successor to the caliph al- Ma’mun3. It is not to be excluded, we dare speculate, that the shrine at Mashhad, as the place was to be called later on, in its basement also houses the original memorial to the Caliph that became forgotten on purpose because of the Shiite antipathy towards

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Harun al-Rashid. It thus possibly offers an early example of the connection of purely dynastic and saintly reverence in tomb architecture, certainly not in line with the will of al-Rashid.

3 In contrast to the very few early Islamic mausolea documented, the funerary architecture developed widely in nearly all Islamic regions from the 11th century onwards, especially in commemoration of Shiite and Sufi saints and authorities, but also of rulers and dynasties. After the interlude of the Great Mongol rule and their maintenance of their own beliefs – in Ilkhanid Persia till the conversion of Ghazan Khan to Islam (694/1295) and in Chaghatayid Central Asia until that of Tarmashirin Khan (after 726/1326) and Toghloq Timur Khan (760-71/1359-70) – the erection of dynastic mausolea started again around 1300. Oljeytu’s majestic building in Soltaniya followed the Great Seljuk tradition. In Eastern Turkestan (Almaliq, not Alma Ata) the turba of Toghloq Timur (before 1370) is preserved and shows the architectural features of the Central Asiatic facade mausolea with a pointed cupola on a low tambour, combined with a local variation of the glazed terracotta decor. This is also the case in the preserved mausoleum for the Chaghatayid Khan Buyan Qoli in Bokhara after 1358, with a splendid glazed decoration in relief terracotta, showing signs of innovative techniques which were to influence the early Timurid architectural decoration4. Its location next to the shrine of the Kubravi Sheykh Seyf al-Din Bakherzi (d. 659/1261), to which originally belonged two khânqâh in the same building5, is surely significant, though our scanty sources do not allow us to interpret it thoroughly.

4 All the mentioned mausolea are two-room buildings, with a smaller burial room under or next to a larger room, often called ziyârat-khâna, either with cenotaphs or empty. The persons buried are usually placed separately under flat stone slabs, the cenotaph in the shape of a house or a sarcophagus being built above it. This corresponds to the form of the shrine mausolea of several saints as well, as we know from Iranian, Iraqi and other examples. Inscriptions in the mausolea recall the decay of all beings and the hope for a better life after the day of judgement6– this implies that they functioned only as a temporary abode for the dead, on the way to eternal paradise. Several instances which we might call symbolic have been observed that indicate the concept of this abode as an intermediate between earth and heaven. It already shows heavenly joys in architectural forms and colour; light and elegant looking structures and features, symmetrically balanced, and the abstracted, purified representation of nature surrounding the dead seem to carry them away from earthen reality. In some archaeological investigations the corpses have been found to be embalmed and scented – we recall the famous story of the grave of the Omayyad caliph Hisham (d. 125/743) in his residence al-Rusafa in Northern , which was devastated by the revolutionary Abbasids, who were disgusted by his hybrid memorial and the foreign custom of preserving the corpse against natural decaying by embalming7. This points to Iranian traditions followed by Hisham also elsewhere.

5 In Central Asia the method had apparently lived on, and the memorial places were not any more devastated as such, only very rarely as the places of an unliked predecessor, like in the case of the prince Miranshah, son of Timur, who is reported to have opened the tomb of the Ilkhanid vizier Rashid al-Din in Ray, sentenced to death 80 years earlier, and to have sentenced the corpse for a second time – in the chronicles this is called a cruel act excused by Miranshah’s having turned insane after a cranial wounding. The ornamentation of the tombs and the tendency to align mausolea in

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alleys as outstanding places must have exceeded the tranquillity of Christian and Jewish cemeteries, and rigid Sunnites again and again remind the believers not to rever the dead in any form, and to avoid this recommend the burial without any memorial sign; the latest reform movement in this topic was led by the Wahhabis in Saudi Arabia, even restricting reverence at the tomb of the Prophet Mohammad.

6 Still, the force of opposed traditions and beliefs remained vigorous and such beautiful creations as the architectural ensemble of Shah-e Zenda or the Gur-e Mir in Samarqand are the result of this – but how were their foundations defended within Islam?We do not think that it is enough to recognize old Iranian or pre-Islamic Turkish traditions in them, one would in any case have to look for the theological permit to continue the erection of solid mausolea or for its conformity with the Prophet’s tradition according to regional authorities. There may be quoted the exposé by Fazlallah Khonji, of the admissible “occasional visit” to a saint’s tomb and the forbidden institutionalized pilgrimage, on the occasion of his own journey to Mashhad and Tus with Sheybani Khan8. By this time, not only were the Shiite pilgrimage centres in Iran and Iraq becoming more and more frequented, but during the Timurid period the funerary architecture for the orders and other prominent figures was also developing increasingly. We propose an attempt to group the funerary monuments by their founders and “patrons” rather than by the varying architectural styles or regional traditions, and in this way we obtain four main groups.

I.

7 First, the long established, rather orthodox pilgrims’ centre with an adjoining cemetery.

8 The case of the Shah-e Zenda cemetery in Samarqand with its alleys of religious buildings and mausolea dating back to the 11th century is clear9. The undoubtedly early tradition that the tomb of a cousin and companion of the Prophet, Qosam (Qutham) b. al-’Abbas (d. 57/677), honoured this ground10, gives reason to handle it in analogy to what the first successors of the Prophet, three of the four Râshidûn (“well-guided”) did:to get buried as close as possible to the grave in the former courtyard of the Prophet in Medina. The fame of the saint was great and the traditional cemetery in Samarqand right outside the walls was so vividly in use that the new dynasties of the Chaghatayid khans and the family and court of Timur sought to build their mausolea juxtaposing it. However, they did not attempt to build a single monumental mausoleum combining the saint’s tomb with theirs – which is what Timur did with the old tomb of Khwaja Ahmad Yasavi in Turkestan/Yasi, which evidently belongs to another context (see 3, infra). We do not know who erected the existing mausoleum and mosque over Qosam’s tomb in the llth-12th centuries, with decorative additions in the 1330’s. A madrasa of the Qarakhanid ruler Tamghach Boghra Khan of the same period (dated 1066) on the opposite side of the lane was later on only partly reused and the rest destroyed11. But as in the case of the mausoleum for Buyan Qoli Khan in Bokhara, the Chaghatayid amirs and several members of Timur’s family before 1486 were buried as close as possible to the existing turba, like Shirin Bik Aqa, or the exceptional Tuman Bik Aqa’s mausoleum and mosque erected in the year of Timur’s death, 1404/5, and at least two prayer halls were added to build up an ensemble. So we may guess that it was a Chaghatay Khan or his family who restored the turba of Qosam and we may think of the

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alley as a memorial for this dynasty, only partly superseding older monuments which have been found in archaeological excavations.

9 The graves of the two Khans whom Timur put up as legitimate rulers of his empire are not to be found here12. They were not of the Chaghatay family itself but of the Ogedey branch, who had ruled in Transoxania already earlier – Soyurghatmish, the first, was a grandson of Khan Daneshmandcha, 1346-48. It may not have been appropriate for them to “interfer” in the grounds of the former dynasty, of which other branches continued to exist. Though it is not assured, they seem to have been buried in Timurid foundations, perhaps in Shahrisabz and/or in the madrasa-ensemble of Timur’s grandson Mohammad Soltan outside the Gur-e Mir.

10 But apparently there were no further seyyed or companions of the Prophet “found” to be buried within the original Chaghatay dominion – it was only during Timur’s campaigns that the famous shrines of Mazar-e Sharif and the Shiite centres in Mashhad and Qom were incorporated and progressively “timurized”. Concerning the âstâna in Mashhad we know, that the Timurid additions by Gowhar Shad respectfully surrounded the tomb chamber, but also that the main cupola may be of Shahrokh’s and her times, inspite of Timurid resentments against Shiite doctrines13. And it should be remembered that the number of Shiite emâmzâda in Iran increased significantly in Timurid times. In Mazar-e Sharif the architectural history is unfortunately even less well known14.

II.

11 Far more developed was the Sufi shrine architecture. As has been observed, the architectural features and the Persian terminology do not really help us to differentiate between types and functions of buildings in connection with tombs15. Perhaps it will be possible to analyse the material more effectively when we consider the practices of different Sufi ṭariqa and different periods. In the Timurid century a great number of Shiite and Sunnite Sufi shrines were built or enlarged, and this process continued in the Sheybanid and Janid periods either under official dynastic responsability, or by private initiative.

12 The following buildings should be grouped together within the “orthodox” (ḥâẓira-)type:

13 a) the elegant building behind the “open” tomb of Sheykh Zeyn al-Din Tayyabadi by a vizier of Shahrokh (Pir Ahmad Khwafi, 848/1444-5, see photo 1)16;

14 b) Timur’s khânqâh and the additions of a mosque, a madrasa and a gonbad-e sabz to the tomb (mazâr) of Sheykh Ahmad-e Jami(d. 536/1141) at Torbat-e Jam by an Amir of the court of Shahrokh, Jalal al-din Firuzshah (and others, see photo 2)17;

15 c) the extended courtyard buildings at Gazorgah, built c. 1425-28 (with the addition of a khânqâh in 1441-42), around Shahrokh’s memorial behind the tomb of Khwaja ‘Abdallah Ansari (d. 482/1089), which temporarily became the dynastic graveyard of the family of Hoseyn Bayqara (1477-93)18.

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Photo 1. Tayyabad. Tomb and mosque of Sheykh Zeyn al-Din Tayyabadi (848/1444-45)

phot. C.-P. Haase

Photo 2. Torbat-e Jam, tomb and ensemble of Sheikh Ahmad-e Jami, façade, ca. 1440

phot. C.-P. Haase

16 To this series, I think, also belong for example the shrine of Abu Nasr Parsa in Balkh – which O’Kane convincingly proves to be a foundation of ‘Abd al-Mu’men Khan in later Uzbek times, and not Timurid as earlier scholars think19–, the Char (Chahar) Bakr ensemble in Bokhara of the Juybari sheykhs (1560-63)20 and several other mazâr

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(although they are not exclusively designed by the term ḥâẓira in descriptions and inscriptions).

17 To the group of semi-official or private foundations belong some shrines with or around tombs and venerated places in different shapes. For example the dervish complex next to the hermit’s cell (chellâ-khâna) of Shah Ne’matallah Vali (d. 834/1430-1), with a large room, often altered and with several additions, but founded in 840/1436 by Ahmad Vali Bahmani, who was ruler of Deccan, but could act here only as a private admirer of the ṭariqa21. The first two tomb towers of the ṭariqa of Sheykh Safi in Ardabil were also honoured by an adjoining transversal room, the so-called dâr al-ḥuffâẓ ; these Timurid-time structures still need to be studied.

III.

18 Quite a different incentive and layout are to be seen in the solemn dynastic foundations of shrines, of which Timur’s gigantic building for Khwaja Ahmad Yasavi is the most prominent example (see photo 3, p. 222). Here the impressive large hall and many rooms seem to be more appropriate for court events than for the secluded life of the dervishes22. It was left unfinished, even by his followers, and we may guess that among the reasons for it were the tight connection of the building with the conqueror. Indeed, Shahrokh as well as Ulugh Beg erected foundations of their own in other places (of which little is preserved), by all respect to the dynasty’s father. The only major mausoleum, now in reconstructed shape, which was erected close to the great building was that of Rabi’a Soltan, a daughter of Ulugh Beg and wife of the new dynasty-founder Abu’l-Khayr Uzbek.

Photo 3. Turkestan/Yasi, mausoleum of Khwaje Ahmad Yasavi (1394-99), to the left the reconstructed mausoleum of Rabi’a Soltan, ca. 1485

photo C.-P. Haase

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Photo 4. Ghojdovan, mausoleum complex of ‘Abdalkhaliq Ghojdovani(mid.l5th century and later)

photo C.-R Haase

19 Better off, regarding their continued rebuilding and enlargement, were the much smaller foundations around the tomb of a follower of Khwaja Ahmad, who gave even more renown to the Sufi movement, Khwaja Baha’ al-Din Naqshband, near Bokhara. The buildings standing there now mostly date from the 16th century onwards. We cannot consider here the reasons why one Sufi was not and the other was chosen as representative of the dynasty’s religious and spiritual goal. But archaeological and architectural investigations may lead to a more coherent picture. For instance, the tomb of such an important Sufi as ‘Abd al-Khaliq Ghojdovani should have found a princely sponsor at some time – the existing building attributed to Ulugh Beg (see photo 4, p. 222) appears as the poor remains of an intended larger plan, or the rebuilding by a later, less powerful dynasty or private initiative of part of the original structure23.

IV.

20 Finally the dynastic tombs of the Timurid family themselves appear as a group. As O’Kane mentioned, none of them is or was standing alone for itself, but all were connected to an ensemble of buildings with various functions24. The last single mausoleums of Timur’s sister and wife stand in the Shah-e Zenda alley and can not be called dynastic foundations, in spite of the fact that they house more than one tomb each, because they are for women only. The enigmatic Dâr al-siyâda in Shahrisabz seems to be the first example, founded after the death (1372) of Timur’s eldest son Jahangir (1375-1404), while the Dâr al-ṭelâva is a later juxtaposed madrasa and mosque of Ulugh Beg’s time25. It combines the graves of Timur’s father and two sons with that of the Sufi mentor, Shams al-Din Kulal (d. before 775/1373-4), whose identity has been convincingly fixed by Jürgen Paul26. According to several sources Timur intended to have his own tomb erected there, too.

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21 The connection with a Sufi tomb seems to be essential for the early dynastic Timurid mausolea. Apparently the Naqshbandi ṭariqa was especially linked to the first generations. Though his name is not mentioned in Naqshbandi sources in this form, we should seek the saint, whose tomb was in the end connected with Timur, among its adherents:Seyyed Baraka of Andkhoy (probably a laqab, nickname). Only the later Ẓafar- nâma by Sharaf al-Din ‘Ali Yazdi tells stories about the transfer of his body from Andkhoy to Samarqand and that it was the first corpse to be buried in the Gur-e Mir27, established by Shahrokh as the dynastic mausoleum of the Timurids in 1409, and that those of Timur and his grandson Pir Mohammad were transferred and juxtaposed to his tomb only then. The rather untrustworthy Ibn ‘Arabshah describes the interior of Timur’s mausoleum as much adorned, with his weapons and other memorabilia, which were all later removed by Shahrokh – this could also be a distortion of the usual outfit of a saint’s or dervish’s tomb to reclaim the heathen character of the rule and court of the Amir, and the objects might already have indicated the blessings (baraka) of the saintly Seyyed, whom Timur had favored more than once. The cenotaph of the Seyyed Baraka placed prominently in front of the qibla must have been planned there originally and can hardly be a later addition. The tomb traditionally assigned to another “seyyed”, ‘Omar, was apparently added later in the Eastern niche and still bears the pole and horsetail, but the inscription is anonymous and the tomb was found to be empty28. As we know, the Gur-e Mir ensemble was a complex of a madrasa and a khânqâh, erected in the name of Timur’s grandson Pir Mohammad, and the turba was apparently heightened (can it be understood as by the higher tambour, like a tomb tower?) in a secondary planning as described by Clavijo29. It then came to house the three early Timurid rulers until Ulugh Beg.

22 The connection of the dynasty’s tombs with saints’ tombs gives them the aura of a shrine; and this even pertains to the later women’s mausolea Aq-Saray and ‘Eshrat- khana in Samarqand30. The impressive size of these foundations and their intended multi-functional use – there were several additions to the Gur-e Mir executed and planned until Janid times – apparently also made them popular. Let me recall the event at my first visit to the Gur-e Mir late in 1966 one evening, when a warden with a traditional hat among other things spoke of the vaqf foundation of Timur in profound reverence as if it were functioning and he himself being paid and still serving it (but perhaps this was a lesson he had learned from historians and art historians working at the restauration program then). Later dynastic tombs of the Timurids and their successors were architectonically added to a madrasa in the form of cupolas or towers on one side of the facade or at the rear, perhaps balanced by a second tomb tower of some sheykh or rooms of other functions on the other side. The tendency in Timurid times to build large juxtaposed ensembles of madrasa and khânqâh, shows the enormous concentration of means and manpower within this dynasty. This was only partly equalled in later times, but the most famous Sheybanid and Janid architectural ensembles like the Registan are still deservedly famous today.

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NOTES

1. Literature now easily accessible in R. Ettinghausen and O. Grabar, The Art and Architecture of Islam, Harmondsworth, 1987 (Pelican History of Art). 2. Another interesting impact of the early Timurid glorification of the dynasty’s founder in architecture is followed up by M. Brand to the imperial Mughal mausoleum architecture, “Orthodoxy, Innovation and Revival:considerations of the past in imperial Mughal tomb architecture”, Muqarnas 10 (1993), p. 323-334. 3. See for the sources the relevant articles in the EI2: “‘Alî al-Riḍâ”, “Hârûn al-Rashîd” and “al- Ma’mûn”. 4. L.I. Rempel, “The Mausoleum of Bayan Quli Khan”, Bulletin of the American Institute of Iranian Art and Archaeology 4 (1936), p. 207-209; C.-P. Haase, “The Türbe of Buyan Quli Khan at Bukhara”, in G. Feher (Hsg.), 5th Intern. Congress of Turkish Art, Budapest, 1975 (1978), p. 409-416. 5. O.D. Chehovich, Buharskie dokumenty, Tashkent, 1965, 12f.;compare for the building complex L. Golombek and D. Wilber, The Timurid Architecture of Iran and Turan, Princeton, 1988, p. 225 f. N° 1-2. 6. Compare examples of Persian and Arabic funerary inscriptions in V.A. Shishkin, “Nadpisi v ansamble Shakhi-Zinda”, Zodchestvo Uzhekistana 2 (1970), p. 7-71. 7. al-Mas’ûdî, (Muruj al-dhahab), Les prairies d’or, éd. et trad. Barbier de Meynard, Paris, 1861-1877, vol. 5, p. 471 f. 8. Fażlallâh b. Ruzbehân, Mehmân-nâma-ye Bokhârâ, ed. M. Sotuda, Tehran, 1341 Sh/1962, pp. 331-335; cf. U. Haarmann, “Staat und Religion in Transoxanien im frühen 16Jh.”, ZDMG 124 (1974), p. 349. [Also see, in the present volume, M. Bernardini, “À propos de Fazlallah b. Ruzbehan Khonji Esfahani et du mausolée d’Ahmad Yasavi”]. 9. Thoroughly documented in N. B. Nemceva and lu. Z. Shvab, Ansambl’ Shakh-i Zinda, Tashkent, 1979; Golombek & Wilber, Timurid Architecture, p. 233-252, No. 11-24. 10. The Arabic sources are not unanimous about his martyrdom under the walls of Samarqand, see EI2, art. “Ḳutham”; the archaeological and architectural study of the shrine, earliest mosque and the madrasa of Tamghach are documented by N. B. Nemceva, “Istoki kompozicii i etapy formirovanija ansamblja Shahi-Zinda”, Sovetskaja Arheologija 1976/1, p. 94-106; English translation by J. M. Rogers and ‘Adil Yasin, Iran 15 (1977), p. 51-73. 11. N.B. Nemceva, “Medrese Tamgach Bogra Hana v Samarkande”, in Afrasiab III (Tashkent, 1974), p. 99-154. 12. B.F. Manz, “The Ulus Chaghatay before and after Timur’s Rise”, Central Asiatic Journal 27 (1983), p. 79-100. 13. B. O’Kane, Timurid Architecture in Khorasan, Costa Mesa, 1987, p. 119-130, No. 2; B. Saadat, The Holy Shrine of Imam Reza, Shiraz, 1976. 14. O’Kane, Timurid Architecture, p. 255-257, No. 32. 15. O’Kane, Timurid Architecture, p. 21-26, where the differentiation of “orthodox” tombs in the open – but in connection to a building behind them – and vaulted mausolea is stressed; Golombek & Wilber, Timurid Architecture, p. 49-52, observing different types of shrine architecture. 16. O’Kane, Timurid Architecture, p. 223-226, No. 25; Golombek & Wilber, Timurid Architecture, p. 344-346, No. 117. 17. O’Kane, Timurid Architecture, p. 217-222, No. 23-24; Golombek & Wilber, Timurid Architecture, p. 347-349, No. 119-120. 18. O’Kane, Timurid Architecture, p. 149-152, No. 9; Golombek & Wilber, Timurid Architecture, p. 307-310, No. 71-72.

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19. O’Kane, Timurid Architecture, p. 106. His paper on “Uzbek Copy or Timurid original? The case of the Shrine of Khwaja Parsa, Balkh”, is to be published in a future issue of the Cahiers d’Asie Centrale. 20. G. A. Pugachenkova and L. I. Rempel’, Istorija iskusstv Uzbekistana, Moscow, 1965, p. 341. 21. Golombek & Wilber, Timurid Architecture, 394f. Shahrokh was obviously opposed to the son and successor of Shah Ne’matallah, Khalil, cf. EI2, art. “Ni’mat-Allâhiyya”. 22. Documentation in Golombek & Wilber, Timurid Architecture, p. 284-288; N.B. Nurmuhammedov, Mavzolej Hodži Ahmeda Yasevi, Alma-Ata, 1980; S. Blair & F. Bloom, The Art and Architecture of Islam, 1250-1800, New Haven-London, 1994, 55f. 23. Golombek & Wilber, Timurid Architecture, 230f., No.7; the tile inscription in bad colour glazes mentioning the foundation by Ulugh Beg does not seem to be original, and the heavy modern rebuilding I saw there during a visit in 1996 makes it more difficult to follow the interpretation of a fairly large ensemble given by VA. Shishkin, “Medrese Ulugbeka v Gižduvane”, Materialy Uzkomstarisa II/III (1933), p. 11-18, after archaeological investigations. 24. O’Kane, Timurid Architecture, 21f. 25. Golombek & Wilber, Timurid Architecture, p. 275-280, n° 40-41, 43; but see J. Paul, “Scheiche und Herrscher im Khanat Čaġatây”, Der Islam 67 (1990), p. 293 f. 26. Cf. J. Paul, Die politische und soziale Bedeutung der Naqšbandiyya in Mittelasien im 15. Jh.,Berlin, 1991, p. 18 f. 27. See V.V. Bartol’d’s article, “O pogrebenii Timura”, transl. by J.M. Rogers, Iran 12 (1974), p. 82 f. with indication of sources. 28. Bartol’d-Rogers, “O pogrebenii Timura”, p. 86 n.188 (by the translator), from A. A. Semenov, “Nadpis’ na nadgrobii psevdo-sejid Omara v Guri Emire”, Epigrafika Vostoka 1 (1947), p. 23-26. 29. Cf. the discussion of his text by Bartol’d-Rogers, “O pogrebenii Timura”, p. 80 f. 30. Golombek & Wilber, Timurid Architecture, p. 268-270, No. 5-6.

AUTHOR

CLAUS-PETER HAASE Orientalisches Seminar, University of Kiel, Germany

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L’évolution architecturale des couvents soufis à l’époque timouride et post-timouride

Mavluda Yusupova Traduction : Margarita Filanovich

NOTE DE L’ÉDITEUR

Traduit du russe par Margarita Filanovich Les différents monuments dont il est question dans cet article étant mentionnés à plusieurs reprises, les illustrations ont été regroupées en fin de texte.

NOTE DE L'AUTEUR

Pour les fig. 1-4, l’auteur a utilisé les matériaux conservés dans la bibliothèque de l’Institut de l’Histoire de l’Art de l’Académie des Arts de la République de l’Ouzbékistan, dossier IA(m), S-48, N 1152, etc.

1 Les khânqâh sont des édifices cultuels qui occupent une place singulière dans la brillante architecture timouride. Elles constituent, en effet, le principal type de refuge soufi en Asie centrale, bien que d’autres existent : rabaṭ et tekiya, hostelleries pour soufis, et, dans beaucoup d’autres pays musulmans, zâviya.

2 La genèse et les caractéristiques de ces différents types de refuges n’ont pas encore été suffisamment étudiées et certaines tentatives pour différencier les fonctions et l’architecture ont amené les chercheurs à des conclusions contradictoires1.

3 L’architecture des refuges soufis d’Asie centrale n’a pas fait l’objet d’une étude spécifique même si certains auteurs l’ont abordée dans leurs résumés ou dans le cadre général de leurs ouvrages. Ainsi, l’architecture des khânqâh les mieux connues d’Asie centrale a été analysée par V. L. Voronina2. G. A. Pougachenkova3 a proposé brièvement

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un classement des principales khânqâh d’Asie centrale et du Khorassan aux XVe-XVIe siècles. Puis L. Ju. Mankovskaja4 a suggéré une autre typologie des refuges soufis connus en Asie centrale d’après leur plan.

4 Outre nos lectures, des recherches personnelles à la fois dans les archives et sur le terrain nous ont permis de compléter considérablement et, sur certains points, de corriger les renseignements déjà donnés. C’est sur cette base que nous avons tenté de déterminer le caractère et les étapes du développement des refuges soufis, la transformation au cours des siècles de leurs fonctions et, aussi, de préciser les questions de l’existence et de l’importance pour l’Asie centrale des termes : rabaṭ, khânqâh, zâviya et tekiya.

5 Dans la première partie de cet article, nous exposerons brièvement notre conception de l’histoire de la formation des refuges soufis et de la question de leur terminologie et, dans la seconde partie, nous analyserons les khânqâh d’époque timouride et post- timouride5.

6 Il nous semble que l’évolution de l’architecture des refuges soufis pourrait se décomposer en quatre périodes, chacune en rapport avec l’évolution du soufisme lui- même6. Les deux premières correspondent à peu près à la périodisation proposée par John Spencer Trimmingham7.

1re période : VIIIe-IXe siècles

7 C’est la période de la naissance du soufisme et formation des principaux dogmes de sa théorie, c’est-à-dire le ‘elm-e taṣavvof. Le soufisme (taṣavvof) est un mouvement mystique et ascétique tout à la fois religieux et philosophique de l’islam qui est né au VIIe siècle et a commencé à se former au milieu du VIIIe et au début du IXe siècle. Les soufis primitifs, zâhed (ascète, ermite) ou ‘âbed (martyr, héros, serviteur de Dieu), préconisaient le respect scrupuleux des prescriptions du Coran, des prières supplémentaires, des veillées et des jeûnes, le refus du monde profane, l’introduction de la piété dans la vie quotidienne, le refus de collaborer avec le pouvoir temporel, civil et militaire, l’abandon de sa personne à la volonté de Dieu (tavakkol), etc. Une caractéristique des sciences soufies réside dans l’importance accordée aux sentiments personnels et à la connaissance intime des vérités religieuses : les motifs de l’amour désintéressé de Dieu (maḥabba), l’incessante soif de Dieu, l’aspiration à se rapprocher de Lui. Chaque soufi doit, sur sa propre voie de connaissance de Dieu, franchir trois étapes : la shari‘a ou accomplissement par tout musulman de la Loi révélée par Dieu, la ṭariqa ou Voie, chemin de l’esprit qui cherche Dieu, c’est-à-dire toutes les méthodes mentales et psychiques (psychotechniques, exercices respiratoires et autres) pour se perfectionner moralement, et la ḥaqiqat (connaissance de la nature véritable de Dieu et participation à cette nature). Suivre la Voie de la ṭariqa et posséder la pratique et la théorie du taṣavvof ne peut se faire que sous la direction d’un maître spirituel (sheykh, morshed, pir). Sans ce maître, le soufi débutant (morid) risque de perdre l’esprit et la santé.

8 À partir du IXe siècle, on a commencé à construire des couvents spéciaux pour les soufis appelés successivement, dans plusieurs régions du monde musulman : rabaṭ, zâviya, khânqâh. Bien que leur genèse soit différente, déjà à la fin de ce que nous appelons la première période ces couvents évoluent tous vers la même structure et la même importance.

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Les rabaṭ

9 À l’origine forts arabes militaires et missionnaires, les rabaṭ se sont en effet progressivement transformés au fil du temps en édifices essentiellement commerciaux ou hôteliers, appelés caravansérails ou, plus rarement, en rabaṭ pour soufis. Plus tard, à partir du IXe siècle, en Asie centrale, on a construit des rabaṭ spéciaux pour soufis. Par exemple, on sait qu’il y en avait un à Nasaf grâce à Mo’ezz b. Ya’qub et aussi deux à Samarcande – al-Morraba’, construit sous le règne d’Esma’il Samani (IXe s.) et al-Amir (XIe s.), près de la madrasa de Tamgach Khan8. Seules les sources écrites nous permettent de dire que les rabaṭ en Asie centrale, notamment entre le IXe et le XII e siècle, ont joué le rôle d’hostelleries pour soufis. On peut supposer que le plan de tous ces bâtiments s’organisait autour d’une cour parce qu’ils sont organiquement apparentés aux rabaṭ militaires et aux caravansérails qui possédaient cette même structure.

Les khânqâh

10 À l’origine, ce sont des logements pour les soufis de passage. C’est là que se déroulaient les rites religieux communautaires, les discussions et, parfois, l’enseignement. A partir de la fin du Xe siècle, les khânqâh, tout en conservant leurs anciennes fonctions, se transforment en centres soufis avec un centre d’études qui se forme autour d’un maître (pir) et de son disciple (morid).

11 Dans la première période ont coexisté plusieurs types de khânqâh, ce qui rend difficile l’élaboration d’une typologie précise. On les trouve mentionnées d’abord en tant que khânqâh manichéennes (à Samarcande) et karramites, à la charnière des IXe et Xe siècles dans le Mavarannahr et dans le Khorassan. Toutes ces khânqâh ressemblaient vraisemblablement à des édifices monastiques, avec des bâtiments organisés tout autour d’une cour intérieure. Elles se sont souvent établies près du tombeau préexistant d’un soufi ou, à l’inverse, au domicile d’un cheikh-fondateur que l’on a enterré tout près à sa mort. C’est le cas de la khânqâh et du mausolée d’Abu Sa’id à Mekhana (XIe s.), situés l’un en face de l’autre, et de ceux de Hakim b. Mohammad al- Zeymuni (m. 1025), se faisant face dans la rue de Souf à Boukhara9. On suppose que la khânqâh de Zeymuni est l’ancienne maison de ce cheikh et que le mausolée à coupoles est son ancienne chellâ-khâna, où il faisait retraite10.

Les zâviya

12 À l’origine, la zâviya est une salle, située dans la mosquée ou à proximité, où l’on enseignait le Coran et la lecture. Au cours de la première période, elle est devenue le domicile du soufi, où il priait et enseignait à ses morid. Notre documentation nous apprend que le terme de zâviya était utilisé en Asie centrale essentiellement par les étrangers (comme Ibn Battuta au XIVe siècle) pour désigner les khânqâh locales.

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2e période : IXe-XIVe siècles

13 Parallèlement à l’apparition et à la diffusion des ordres soufis et à la pénétration plus active dans l’islam du culte préislamique des saints, les tombeaux des cheikhs soufis sont devenus objets de vénération et de pèlerinage et, près de ces tombeaux, se sont progressivement formés de grands refuges soufis.

14 À partir de ce moment, les rabaṭ et khânqâh d’Asie centrale et de certaines régions limitrophes assument des fonctions analogues et adoptent des structures analogues.

15 En général, ils se présentent comme un ensemble d’édifices comprenant le mausolée d’un saint : une salle rituelle (samâ’ ou ẕekr-khâna), une petite mosquée (parfois, la même salle servait à la fois de salle rituelle et de mosquée), le domicile du cheikh et de sa famille, des salles pour la récitation du Coran et l’enseignement, les cellules des morid, des chambres d’hôtes qui étaient ici logés et nourris gratuitement, et d’autres pièces encore11.

16 Dans tous ces complexes, les bâtiments se serraient autour d’une cour ombragée à bassin central. Ainsi l’ensemble de Seyf al-Din Bakherzi à Boukhara, avec un ḥowż (bassin) dans la cour12 ou celui de Qosam b. ‘Abbas à Samarcande, en bordure d’un canal ombreux et pittoresque13. Le voyageur maghrébin Ibn Battuta, qui les a visitées au XIVe siècle, désigne ces khânqâh, et d’autres en Asie centrale, du terme de zâviya, qui était d’usage dans sa patrie.

3e période : XIVe-XVIIe siècles

17 Le soufisme, à l’origine ascétique et populaire, s’est transformé. Le soufi collabore plus activement avec le pouvoir civil et s’enrichit grâce aux aumônes. Maintenant, les anciennes khânqâh, organisées autour de la cour près des mausolées, sont devenus des lieux à la fois de mémoire et de culture, avec, fréquemment, des sépultures dans les dakhma. La structure s’est maintenue, mais la fonction de pèlerinage l’emporte désormais et le terme de khânqâh ne recouvre plus l’ensemble des édifices, comme jadis, mais le seul bâtiment abritant la salle rituelle. Sous le règne des Timourides, des Sheybanides et des premiers Janides, un type de khânqâh est devenu prépondérant : la khânqâh à coupole centrale et à grande ẕekr-khâna de plan carré ou cruciforme, au centre de l’ensemble, avec des cellules sur deux ou trois niveaux le long des côtés ou aux angles, et une galerie courant le long de deux ou de trois côtés. La khânqâh de cette période, objet principal de notre étude, sera analysée en détail dans la seconde partie de cet article.

4e période : XVIIIe-XIXe siècles

18 L’enseignement du taṣavvof est alors en plein déclin et les idéaux originels du soufisme, négligés. À cause de la crise économique, les dimensions des khânqâh se réduisent. Dans l’oasis de Boukhara, où s’élevaient alors les principales constructions de tout le Mavarannahr, la khânqâh se présente essentiellement comme un bâtiment assez petit, à coupoles, ou parfois à toit plat, entouré d’un eyvân à colonnes sur deux côtés. Elle remplit fréquemment la double fonction de khânqâh et de mosquée de quartier. Ces khânqâh, avec les cellules à un étage, la darvâza-khâna, la ṭahârat-khâna, entraient dans

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la composition extérieure de la cour de l’ensemble de l’hostellerie des soufis. C’est le cas, à Boukhara, des khânqâh appartenant aux ensembles du Khalifa Khoday-dad, du Khalifa -qul et aussi des mosquéees-khânqâh Ku’i-khânqâh, Shah-e Akhsi et autres. Par leur structure, ces ensembles ressemblent beaucoup aux khânqâh de la deuxième période mais le tombeau d’un saint n’est plus indispensable et la fonction hôtelière l’emporte.

19 Dans certains pays musulmans sont apparus au XIVe siècle, pour prendre toute leur importance à partir du XVIe, des ensembles hôteliers pour soufis appelés tekiya14. En Asie centrale, les tekiya sont beaucoup plus tardives et assez petites. Par exemple, à Boukhara, au XIXe et au début du XXe siècle, les tekiya, toujours organisées autour d’une cour, ne servaient pas « seulement de refuge aux derviches errants et aux indigents, mais aussi de logements15 ».

20 En effet, dans le Mavarannahr de la fin du Moyen Age, les deux termes de khânqâh et de tekiya étaient usités, mais de façon distincte selon leur fonction. Voilà, à notre avis, comment s’expliquent l’évolution architecturale des refuges soufis d’Asie centrale ainsi que l’existence et le sens des termes rabaṭ, khânqâh, zâviya et tekiya.

L’architecture des khânqâh timourides et post- timourides

21 C’est à l’époque des Timourides, des Sheybanides et des premiers Janides – soit pendant la troisième période que nous avons distinguée – que s’est formée et qu’a véritablement commencé à évoluer l’architecture des refuges soufis d’Asie centrale. Nous allons maintenant analyser de façon plus détaillée l’architecture des khânqâh d’époque timouride et post-timouride.

22 Comme on l’a déjà vu, à cette époque, les refuges soufis se présentaient comme un ensemble de constructions aux fonctions variées, comprenant des bâtiments entourant une cour, près de la tombe d’un saint local. Tous ces ensembles rassemblaient, pour l’essentiel : un mausolée saint, une mosquée, une madrasa, des chambres pour les morid et pour les hôtes, une salle d’ablutions (ṭahârat-khâna), des cuisines, éventuellement des bains et autres pièces de service, et enfin, l’une des principales parties du complexe : la khânqâh avec la salle rituelle pour le ẕekr soufi (samâ’ ou ẕekr-khâna) qui pouvait servir également de mosquée.

23 À l’époque étudiée (XIVe-XVIIe s.) on distingue trois types de khânqâh, dont deux prédominent au XIVe et jusqu’au milieu du XVe siècle et le troisième, plus pompeux et monumental, trouve son expression au Mavarannahr du milieu du XVe jusqu’au XVIIe siècle.

24 I. Le premier ou le type le plus ancien de khânqâh est représenté par les bâtiments où la salle rituelle (parfois avec quelques cellules) était entourée sur deux ou trois côtés par les eyvân à colonnes. L’architecture de ces khânqâh rappelle une mosquée de quartier, mais plus grande et plus solidement construite. Par exemple, la khânqâh de Mohammad Khwaja Parsa à Boukhara (1407-1408), selon un document de vaqf, « comprenait un eyvân sur les côtés nord, est et sud. La khânqâh était construite en briques cuites, stuc et pierre de montagne (sang-e kuh)16 ». C’est le type le plus ancien de khânqâh à eyvân à colonnes qui exista en Asie centrale avant le début du XXe siècle.

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25 Parmi les khânqâh des XVe-XVIIe s. du premier type, on distingue deux versions selon la construction de couverture de la salle :

26 I.1.Les khânqâh où les eyvân entourent la salle à coupole en forme de carré. Telles sont les khânqâh de Khwaja Parsa à Boukhara et Sufi Dehqan dans la région de Boukhara (XVe s.), Khwaja Zeyn al-Din et Hazrat-e Emam à Boukhara (XVIe s.) ;

27 I.2. Les bâtiments où la salle à colonnes est entourée par des eyvân, comme les khânqâh Shah-e Akhsi (XVIe s.) et Mowlana Sharif (XVIIe s.) à Boukhara.

28 II. Le deuxième type de khânqâh en Asie centrale nous est connu de l’époque timouride exclusivement. Ce sont des bâtiments à portail et coupole où la salle rituelle fut juxtaposée au gur-khâna dans des ensembles commémoratifs préexistants. C’est pourquoi on ne trouve pas de cellules autour de la ẕekr-khâna et les soufis et pèlerins devaient probablement utiliser un autre bâtiment, parmi ceux qui entourait la cour elle-même. Ainsi la khânqâh de Hakim al-Termezi à Termez, située sur un axe parallèle à celui du mausolée du cheikh, ou encore celle de Khwaja ‘Abdi Darun à Samarcande ou de Seyf al-Din Bakherzi à Boukhara, construits par des Timourides sur le même axe que des mausolées de soufis aux dimensions plus modestes.

29 La conception initiale, c’est-à-dire la distribution autour d’une cour de l’ensemble des bâtiments nécessaires à un couvent soufi, à proximité de la tombe d’un saint, a donc évolué : à la fin du XVe siècle, sur ordre d’Amir Timour, et grâce à la concentration sur le territoire de ce souverain de sources à la fois de financement et de création, on a remplacé ce complexe par un seul bâtiment, gigantesque. Ainsi la khânqâh de la ville de Turkestan, édifiée sur le tombeau du fameux soufi Khwaja Ahmad Yasavi (m. 1166-67), fondateur de l’ordre soufi, largement répandu chez les nomades, qui porte son nom. Elle se présente comme une grande salle à coupole, flanquée d’une autre salle à coupole (gur-khâna) abritant la sépulture du cheikh Yasavi lui-même, centre d’un gigantesque bâtiment rectangulaire aux salles nombreuses. Les cellules pour le logement et l’hostellerie, ainsi que la bibliothèque, la cuisine, la salle à manger et d’autres lieux de service, étaient groupés autour de la salle centrale. L’idée de la construction concentrée autour d’une cour a donc, on le perçoit bien, été reprise ici, mais la cour de cet ensemble a été couverte d’une ample coupole et transformée en grande salle rituelle.

30 Cette khânqâh gigantesque érigée à l’initiative d’Amir Timour sous la forme d’un bâtiment unique à multiples pièces est devenue une étape très importante dans l’évolution des refuges soufis d’Asie centrale, bien que ce modèle n’ait pas été suivi.

31 À partir du XVe siècle, il est devenu clair que, pour des constructions aussi colossales que celles d’Amir Timour, la coupole traditionnelle, surmontant les principaux éléments, n’était pas adaptée à la forte sismicité du Mavarannahr ; dès lors les Timourides ont rejeté les formes et les dimensions cyclopéennes au profit de monuments à échelle humaine. On a poursuivi les recherches sur des constructions résistant aux séismes et, par la suite, lorsque les changements du soufisme ont exigé un autre type architectural pour les khânqâh, les constructions nouvelles ont pris en compte la sismicité. Ainsi est apparu un nouveau type de khânqâh, en rapport, selon nous, avec les trois facteurs suivants :

32 a) le renforcement du culte des saints : les anciennes khânqâh, ensemble de bâtiments près des mausolées, sont devenus des centres de pèlerinage et le terme khânqâh a servi à désigner seulement la ẕekr-khâna à coupole avec, quelquefois, des cellules ;

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33 b) la diffusion et le renforcement en Asie centrale de l’ordre naqshbandi dont les pir refusaient l’édification de mausolées au-dessus des sépultures17, et, aussi, le caractère urbain et une pratique rituelle qui n’exigeaient plus un grand nombre de pièces d’habitation ou d’hostellerie en annexe. Pour l’ordre naqshbandi, nul besoin de mener une existence d’ermite ou d’errant : c’est le ẕekr silencieux qui convient le mieux aux riches et respectés morid de l’ordre, ainsi que la devise optimiste « les mains à l’ouvrage et le cœur à Dieu », incitant à simultanément mener une vie créative et aspirer à la connaissance de Dieu. Les membres de cet ordre n’étaient pas tous des artisans ou des marchands, mais aussi de riches citadins et des nobles, y compris le souverain, ainsi que des poètes et des savants réputés. Les membres de l’ordre pouvaient vivre en famille et ne se rassemblaient dans la khânqâh que pour les rites communautaires (prières, sermons du cheikh, ẕekr des soufis, veillées nocturnes, notamment), parfois pour enseigner ou, de temps à autre, pour partager un repas sacrificiel (khodây), rites qui ne requéraient pas beaucoup de salles pour le logement et le service ;

34 c) les éléments antisismiques, mis en avant dans la seconde moitié du XV e siècle et largement utilisés par la suite dans de nombreux bâtiments de khânqâh du XVIe siècle, ont aussi largement influé sur les structures du plan et des volumes des khânqâh : quatre puissants arcs croisés formaient un genre de charpente et chacun couvrait une pièce légèrement en retrait à l’angle. L’arc s’appuyait sur huit piliers assez massifs pour recevoir, dans les axes de la pièce, des niches profondes comme des baies ouvertes. Ce dispositif donnait au plan de la pièce un dessin cruciforme et augmentait sa surface. Dans chacun des angles, ainsi déchargés du poids de la couverture, on pouvait aménager une ou plusieurs cellules sur deux niveaux. Dans la zone de transition formée par le croisement des quatre puissants arcs porteurs, le carré intérieur est couvert d’une petite coupole constituée d’un ensemble de petites facettes en forme de boucliers18. De ce fait, on a réduit le diamètre de la coupole et le poids des couvertures. Parfois, les quatre arcs croisés en arêtes ont été utilisés comme éléments décoratifs en saillie de la coupole – ainsi dans la khânqâh de Baha’ al-Din – ou bien ils supportaient une petite coupole reposant sur un haut tambour élancé – c’est le cas dans les khânqâh de Qasem Sheykh, Hazrat-e Emam et Char-Bakr.

35 On peut en conclure qu’aux XVe-XVIIe siècles on a construit en Asie centrale essentiellement des khânqâh à portail et à coupoles avec, au centre du bâtiment, une salle rituelle (ẕekr khâna) spacieuse, à coupole, de plan carré ou cruciforme, possédant une ou plusieurs cellules à deux étages dans les angles des khânqâh. Parfois, les cellules étaient situées le long des côtés de la salle ou dans les puissants pylônes des portails d’entrée à deux ou trois niveaux (Hakim Molla Mir à Ramitan ou Nader Divan-begi à Boukhara). Ce sont tous ces bâtiments à portail et à coupoles à salle centrale et cellules aux angles et sur les côtés, d’architecture plus monumentale, que nous allons désormais appeler khânqâh du troisième type ; érigés par de souverains et de riches donateurs près du tombeau de soufis respectés, ces bâtiments constituent le type le plus répandu du XVe au XVIIe siècle. Ainsi, au XVe siècle, près du tombeau d’Abu Sa’id à Mekhana, au XVIe, près de ceux de Baha’ al-Din Naqshband et d’Abu Bakr Sa’ad près de Boukhara, et bien d’autres.

36 III. Plusieurs variantes apparaissent parmi les constructions du troisième type :

37 III.1. khânqâh à composition centrale comme, au XVe siècle, celles de Molla Kalan à Ziyaratgah, de Sadr al-Din Samani près de Hérat, d’Abu Sa’id à Mekhana, ainsi qu’une autre à Pulati, dans la région de Kasansay, et probablement celle construite par Ulugh

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Beg à Samarcande sur la place du Registan, aujourd’hui disparue. Dans l’architecture de la période suivante, ce type de khânqâh transparaît dans des constructions analogues de l’oasis de Boukhara au XVIe siècle, par exemple celle de Qasem Sheykh. Au XVIIe siècle, celles de Baha’ al-Din (deuxième étape de la construction) et aussi de Yar Mohammad Ataliq ainsi qu’une autre à Peshku.

38 III.2. khânqâh à composition en profondeur ou à axe longitudinal. Ce sont, pour l’époque timouride, la Zaringar-khana à Hérat, au XVIe siècle, d’Emam Bahr dans la région de Samarcande, de Hakim Molla Mir dans la région de Boukhara et Khwaja Ilim-kan dans la région du Kashka-Darya et, au XVIIe siècle, de Nader Divan-begi à Boukhara et de ‘Abdi Birun à Samarcande.

39 III.3. khânqâh à composition frontale : au XVIe siècle, Kokildar près de Termez, khânqâh de Fayzabad et première étape de la construction de celle de Baha’ al-Din près de Boukhara, ainsi que la khânqâh préservée sur le plan dessiné par un maître-artisan ouzbek.

40 III.4.Une dernière catégorie, qui constitue en fait une exception, n’existe que dans les constructions timourides : c’est la khânqâh que nous avons baptisée « en forme de T ». Ce plan n’a pas évolué par la suite, sans doute à cause de son caractère peu rationnel : le périmètre très long des murs entourait une place utile assez restreinte. Le bâtiment comprenait une salle à coupoles avec des cellules aux angles et un portail en saillie pourvu de deux ailes des deux côtés où s’ouvraient des cellules ou niches sur un ou deux niveaux. La partie d’entrée du portail était plus large que le corps de la salle proprement dite, ce qui donnait au bâtiment l’allure d’un T. C’est le cas de la khânqâh près du tombeau de Yunus Khan à Tachkent. On peut trouver des constructions analogues par le plan en T, l’époque (XVe siècle) et le lieu (près de la tombe d’une personne vénérable) dans le Khorassan, l’une à Turuk, l’autre près de la tombe de Mowlana Tayyabadi à Tayyabad. On voit en elles des mosquées commémoratives, bien que les caractéristiques que nous venons d’énumérer laissent supposer qu’elles ont pu jouer également une fonction de khânqâh. On a continué jusqu’à nos jours d’appeler le bâtiment situé à Tachkent mausolée de Yunus Khan bien que les fouilles archéologiques n’y aient mis au jour aucun vestige de sépulture – ce qui a conduit les architectes restaurateurs à supposer qu’il s’agissait non d’un mausolée mais d’une khânqâh19. Mankovskaja s’est elle-même corrigée en 1983 en désignant le bâtiment du nom de mausolée-khânqâh20.

41 À notre avis, outre l’absence de sépulture, d’autres signes témoignent en faveur de cette interprétation : la structure du bâtiment à portail et coupoles et les différentes pièces où les cellules aux angles des grandes salles rituelles sont isolées de ces dernières et ouvertes sur l’extérieur (très caractéristiques des khânqâh de la troisième période) et l’époque de construction, c’est-à-dire la fin du XVe siècle, époque à laquelle on ne construisait déjà pratiquement plus de mausolées dans le Mavarannahr.

42 Il faut noter que plusieurs des khânqâh importantes du troisième type appartiennent à des ensembles comprenant d’autres bâtiments de période timouride, par exemple dans la composition en vis-à-vis (kosh) à Samarcande, la khânqâh et la madrasa de Mohammad Soltan (le Gur-e Amir actuel), ont été construites à la fin du XIVe siècle en relation avec l’ensemble entourant la cour rectangulaire. Dans le Khorassan, c’est le mausolée et la khânqâh d’Abu Sa’id à Mekhana, respectivement du XIe et du XVe siècle.

43 On rencontre d’autres compositions, plus rares : à Marv, par exemple, la khânqâh s’adossait au mur de la cour de la mosquée ; ou encore, trois constructions (khânqâh,

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mosquée et madrasa) se trouvaient dans le même ensemble, près du tombeau du cheikh Jamal à Anau, ce qui donne une configuration en « U », entourant la cour sur trois côtés. Ce dernier plan n’a été repris qu’une seule autre fois par la suite, au XVIe siècle, près du tombeau d’Abu Bakr Sa’ad à Char-Bakr, où les bâtiments d’une khânqâh, d’une mosquée et d’une madrasa entourent une petite cour intérieure carrée.

44 Dans certains cas, rares, la khânqâh a été élevée sur la place centrale de la ville avec deux autres bâtiments monumentaux. Ainsi, au XVe siècle, la khânqâh d’Ulugh Beg, avec le caravansérail Mirza’i et la madrasa d’Ulugh Beg, formant l’ensemble monumental de la place du Registan à Samarcande. Ou, au XVIIe siècle, la khânqâh Nader Divan-begi, avec la madrasa du même nom et la madrasa Kukeldash ont constitué l’ensemble Lab-e Howz de Boukhara.

45 De tout cela on peut conclure que l’époque timouride en Asie centrale se signale par des transformations et une intense créativité dans le domaine de l’architecture des khânqâh , en rapport à la fois avec l’évolution du soufisme lui-même et avec l’importante activité de bâtisseurs déployée par les Timourides. À cette époque, on a construit des édifices colossaux, comme l’ensemble de la khânqâh de Yasavi à Turkestan ou des khânqâh en forme de T du type de celles de Yunus Khan à Tachkent, modèles qui n’ont pas été repris par la suite, ce qui permet de considérer ces bâtiments comme des expériences.

46 En revanche, d’autres exemples de cette évolution ont été repris, les bâtiments compacts et au plan commode, adaptés à la sismicité de la zone et, d’après le volume de la composition, très impressionnants. Ce sont les khânqâh du troisième type – à portail et coupole, à plan presque carré, avec une salle rituelle au centre et des cellules aux angles et sur les côtés – et du premier type – où la salle centrale a été entourée d’eyvân à colonnes sur deux ou trois côtés. Le dessin le plus rationnel du troisième type a progressivement évolué pour atteindre son expression la plus brillante à l’époque post- timouride dans les khânqâh de Boukhara, près des tombeaux des soufis célèbres Baha’ al-Din Naqshband, Qasem Sheykh, Hakim Molla Mir, pour ne citer qu’eux ; et des signes du premier type se retrouvent dans les khânqâh à eyvân sur deux côtés du bâtiment comme celles de Khwaja Zeyn al-Din et Hazrat-e Emam, entre autres.

47 Un mot encore : jusqu’à maintenant, on croyait que la khânqâh de Khwaja Zeyn al-Din, construite à Boukhara au début du XVIe siècle, constituait l’exemple le plus ancien de khânqâh avec eyvân à colonnes. Mais le document de vaqf sur la khânqâh de Khwaja Parsa à Boukhara, avec un eyvân sur trois côtés, témoigne que le type de khânqâh construite spécialement avec un eyvân existait en Asie centrale un siècle auparavant, c’est-à-dire dès 1407, sous le règne des premiers Timourides.

Fig. 1 : Khânqâh de l’époque timouride

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1. Khânqâh de Khwaja Ahmad Yasavi à Turkestan (1399), l’ensemble des constructions

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2. Khânqâh de Khwaja ‘Abdi Darun à Samarcande (XVe s.) construite sur le même axe que le mausolée, a) coupe en longueur, b) plan

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3. Khânqâh de Yunus Khan à Tachkent (XVe s.) au plan en forme de T.

Fig. 2 : Khânqâh du premier type avec eyvân à colonnes (Boukhara et région de Boukhara)

1. Sufi Dehqan, XVe s.

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2. Khwaja Zeyn al-Din, XVIe s.

3. Hazrat-e Emam, XVIe s.

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4. khânqâh de Peshku, XVIe s.

5. Kiz-Bibi, XVIIIe s.

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6. Khalifa Niyaz-qul, XIXe s.

7. Khalifa Khodaydad, XVIIIe s.

Fig. 3 : Variantes du troisième type de khânqâh

A. khânqâh à composition frontale

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1. à Fayzabad (Boukhara), XVIe s.

2. sur le plan dessiné par un maître-artisan ouzbek, XVIes.

B. khânqâh à axe longitudinal

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1. Hakim Molla Mir à Ramitan, XVIe s.

2. Nader Divan-begi à Boukhara, XVIIe s.

C. khânqâh à composition centrale (à échelle unifiée)

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1. Baha’ al-Din Naqshband, près de Boukhara, XVIe-XVIIe s.

2. Qasem Sheykh à Karmina, XVIe s.

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3. Dehqan Baba, dans la région de Ghojdovan, XVIIes.

4. Yar Mohammad Ataliq à Boukhara, XVIIe s.

Fig. 4

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1. Exemple de khânqâh à composition frontale : la khânqâh à Fayzabad (Boukhara), XVIe s., coupe et plan.

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2. Exemple de khânqâh à composition centrale : la khânqâh de Baha’ al-Din Naqshband (XVIe-XVIIe s. près de Boukhara), coupe et plan.

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Fig. 5 : Khânqâh de Qasem Sheykh, Karmina, XVIe s.

cliché D.A. Mihajlov

Fig. 6 : Khânqâh de Khalifa Khodaydad, Boukhara, XVIIIe s.

cliché D.A. Mihajlov

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Fig. 7 : Khânqâh et mosquée du complexe Char Bakr, près de Boukhara, XVIe s.

cliché D.A. Mihajlov

Fig. 8 : Khânqâh du complexe Char Bakr, près de Boukhara. Intérieur. Couverture de la salle à quatre arcs croisés, XVIe s.

cliché D.A. Mihajlov

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NOTES

1. L. Ju. Mankovskaja, « Hanaka, takija, zavija », dans : Tipologicheskije osnovy zodchestva sredniej Azii (IX-nach. XX vv), Tachkent, 1980 ; T. U. Starodub, « Srednevekovaja arhitektura, svjazannaja s sufizmom : hanaka, zavija, takija », dans Sufizm v kontekste musulmanskoj kultury, Moscou, 1989, p. 260-280. 2. V. L. Voronina, « Arhitektura Srednej Azii, XVI-XVII vv. », dans Vseobshchaja istorija arhitektury, vol. VIII, Moscou, 1969, p. 304-331. 3. G. A. Pugachenkova, Zodchestvo centralnoj Azii, XV v., Tachkent, 1976 ; ead., « K arhitekturnoj typologii Sredneaziatskih hanaka », dans Kratkie Tezisi dokladov k konjerencii « Bližni Vostok, Kavkaz, Srednjaja Azija. Problema vzaimosvjazi kul’tur v epohu srednevekov’ja », Leningrad, Ermitage, 1972, p. 14-15 ; ead. et Z.A. Hakimov, « Hanako shejha Sadreddina – maloizvestnyj pamjatnik Temuridskogo vremeni v Afganistane », Narody Azii iAfriki 2 (1972), p. 140-144. 4. Mankovskaja, « Hanaka », p. 125-134. 5. Pour l’analyse de la terminologie, je me suis appuyée sur des sources écrites médiévales traditionnelles éditées en russe et en ouzbek. J’ai étudié la terminologie de la fin du XIXe-début XXe siècle d’après les travaux ethnographiques et les chroniques des voyageurs de l’époque. 6. Il faut noter que l’évolution architecturale des refuges soufis a connu un processus très compliqué, sur plusieurs plans, et qu’il faut l’analyser en relation réciproque très étroite avec la transformation au cours des âges du soufisme lui-même. Dans la périodisation que nous proposons, il arrive qu’une période prenne naissance dans la précédente ; c’est pourquoi les étapes de l’évolution que nous proposons d’après la tendance générale de l’évolution et de la différenciation approximative des types de refuges soufis restent hypothétiques et leurs limites imprécises. 7. J. S. Trimmingham, Sufi Orders in Islam, Oxford 1971 (édition originale), traduction russe : Sufijskie ordeny v islame, Moscou, 1989, p. 90. 8. Sh. S. Kamaliddinov, « Kitab al-Ansab » Abu Sa’ada Abdalkarima ibn Mubammada as-Sam’ani kak istochnik po istorii i istorii kul’tury Srednej Azii, Tachkent, 1993, p. 101, 85, 128. 9. Ibid., p. 61. 10. O. A. Suhareva, Kvartal’naja obshchina pozdnefeodal’nogo goroda Buhary, Moscou, 1976, p. 116. 11. Islam, Enciklopedicheskij slovar’, Moscou, 1991, p. 72. 12. O. D. Chehovich, Bukharskie dokumenty XlV veka, Tachkent, 1965, p. 166 ; N. Ibragimov, Ibn Batuta i ego puteshestvija po Srednej Azii, Moscou, 1988, p. 69. 13. Ibragimov, Ibn Batuta, p. 92-93. 14. Starodub, Srednevekovaja arhitektura, p. 277-278. 15. Mankovskaja, « Hanaka », p. 126. 16. Archives Centrales de l’Ouzbékistan, Fond I-323, n° 1291/16 (30), traduit par B. Babajanov. Il ne reste de la khânqâh de Khwaja Parsa à Boukhara qu’un mur avec la niche de mehrâb. 17. Ainsi, le chef de l’ordre naqshbandi, Khwaja Ahrar (m. 1490), qui suivait le dogme le plus ancien de l’islam et considérait la construction de mausolées sur la sépulture comme une hérésie, a lui-même été enterré à ciel ouvert dans la dakhma, puis, autour de sa sépulture, s’est édifié un ensemble commémoratif à cour centrale. L’exemple a été suivi par nombre de cheikhs et de souverains. Ces derniers, pour exprimer leur vénération, demandaient souvent dans leur testament à être humblement enterrés à ciel ouvert dans la dakhma, aux pieds de leur pir ou du chef de l’ordre mort depuis longtemps. Par exemple, les khans du Mavarannahr, ‘Abd al-‘Aziz I et ‘Abdallah Khan II, ont été enterrés dans la dakhma près de la tombe de Baha’ al-Din Naqshband et à ses pieds. À l’époque précédente, beaucoup de représentants de la dynastie timouride, y compris le propre père de Timour, Amir Taraghay, et Amir Timour lui-même, avaient été ainsi

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enterrés aux pieds de leurs pir, non dans la dakhma mais, selon la tradition du XIVe et du début du XVe siècle, dans un mausolée. 18. Les facettes en forme de bouclier sont de petits losanges en forme de boucliers à l’axe vertical concave, formés par le croisement des arêtes des arcs. On les rencontre dans les constructions de Timour de la fin du XIVe siècle. 19. A. G. Jah’jaev, « Arhitekturnyj ansambl’ Shejhantaur », Arhitektura i stroitel’stvo Uzbekistana 10 (1987), p. 1-4. 20. V. A. Boulatova et L. Ju. Mankovskaja, Pamjatniki zodchestva Tashkenta XIV-XIX vv., Tachkent, 1983, p. 98.

AUTEURS

MAVLUDA YUSUPOVA Institut d’Histoire de l’Art « Hamza », Tachkent, Ouzbékistan

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Le décor du « Complexe Vert » à Bursa, reflet de l’art timouride

Marthe Bernus-Taylor

NOTE DE L’ÉDITEUR

Nous avons conservé la transcription proposée par l’auteur.

1 Située dans une région montagneuse de faible altitude à l’exception de l’Uludag (2 493 m) sur la rive asiatique de la Marmara, Bursa est célèbre à plus d’un titre. Ville thermale très fréquentée de tout temps, elle fut aussi, à l’époque classique ottomane, le grand centre de production de soieries de luxe, grâce à l’acclimatation de la culture du mûrier dans la plaine arrosée par le Nilufer.

2 C’est surtout une ville-musée qui compte près de trois cents monuments historiques. Définitivement conquise sur les Byzantins en 1326 par le sultan Orkhan, elle devint alors pour un temps la capitale de l’Empire ottoman. Même si dès 1366 Edirne la supplanta officiellement dans ce rôle, symbole manifeste de l’importance accordée par les Turcs à leurs conquêtes en territoires européens, Bursa demeura cependant une cité privilégiée où les sultans se plaisaient à faire édifier des complexes plus magnifiques les uns que les autres. C’est surtout là qu’éclôt ce qu’il est convenu d’appeler le premier art ottoman.

3 Un peu ralenti au début du XVe siècle par les pillages perpétrés par les armées de Timour (Timur-e Lang)1 puis du Qaramanide Mehmet Bey, l’essor culturel de la ville connut une nouvelle période de gloire sous Mehmet Ier Çelebi (1413-21) puis Murad II (1421-44 et 1445-51). C’est seulement après 1453 que Bursa fut réduite au rôle de petite ville de province.

4 L’extraordinaire complexe édifié entre 1419 et 1424 sur les ordres du sultan Mehmet Çelebi a fait l’objet de nombreuses études2 et constitue un phénomène unique dans l’histoire de l’architecture ottomane. Non pas en tant que complexe, c’est-à-dire regroupement de plusieurs bâtiments aux fonctions diverses gérés par le système des

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waqf : les Seljoukides nous en ont légué un bon nombre. Mais c’est une étape importante en ce qui concerne le décor architectural de la mosquée et du turba. Sans réel précédent en Anatolie, ce décor resta en quelque sorte isolé, car très rapidement remplacé par des techniques nouvelles qui, elles, perdurèrent plusieurs siècles3.

5 Le Complexe Vert s’inscrit dans la droite ligne de celui construit en 1395 non loin de là par le sultan Bayazid Yildirim et réunit une mosquée, une madrasa (actuellement le musée de la ville), le tombeau du fondateur, un ‘imâret et un ḥammâm.

6 La mosquée présente le plan typique en T renversé, mais le portique ne fut jamais construit, le sultan étant décédé avant l’achèvement du chantier. Les murs, en pierres bien appareillées, sont percés sur le pourtour de fenêtres à l’encadrement de marbre sculpté. La façade, entièrement plaquée de dalles de marbre, s’anime de grosses moulures encadrant au rez-de-chaussée les fenêtres et de petits miḥrâb sculptés et, au premier étage, des loggias à balustrade ajourée. Le haut portail, à découpe triangulaire meublée de muqarnas, à niches latérales et à porte surbaissée – forme directement héritée de l’art seljoukide – s’ouvre sur la hauteur des deux étages, barrant d’une grande verticale l’ordonnance doublement horizontale de la façade.

7 Le portail franchi, une sorte d’étroit narthex flanqué de deux salles permet l’accès aux pièces réservées, à l’étage, au sultan et à la loge royale ouvrant sur la salle de prière. Dans l’axe du portail, un vestibule, encadré de deux petits îwân, débouche sur la salle de prière, au plan traditionnel pour l’époque : deux salles sous coupoles en enfilade, la seconde légèrement surélevée par rapport à la première, flanquées de part et d’autre de deux petites salles carrées coiffées elles aussi de coupoles. La première salle, au lanternon maintenant obstrué, s’orne d’une très belle fontaine sculptée ; dans la seconde, resplendit l’extraordinaire miḥrâb en céramique dont la forme fait écho à celle du portail d’entrée.

8 Ce qui frappe dans cette mosquée, c’est son décor, auquel participent pierre, stuc et bois sculptés, céramique surtout et peinture dont seules subsistent quelques traces sur les murs. On comprend qu’elle ait suscité l’admiration des visiteurs, plus encore lorsque les rayons du soleil pénétraient par l’oculus de la coupole de la première salle et faisaient chanter les couleurs du décor, des tapis et des lustres. Evliya Çelebi vante sa beauté et son élégance incomparable, la qualifie de paradisiaque et sans égale ni à Bursa ni ailleurs4. L’inscription de dédicace, sur la façade, précise d’ailleurs qu’elle est la « copie du vaste jardin des délices ».

9 Les somptueux revêtements de céramique mettent en valeur plusieurs parties de l’édifice. En fonction de leur emplacement, ils sont différemment disposés et traités selon des techniques et avec une gamme chromatique variées. Mais contrairement à ce qu’il a été souvent écrit, tous utilisent une pâte siliceuse, de couleur tantôt gris-beige tantôt rouge5.

10 Où les rencontre-t-on ? Dans le vestibule d’accès à la salle de prière et les deux îwân le flanquant, dans les salles secondaires et la salle du miḥrâb, et dans les pièces de l’étage. La plupart des surfaces ornées sont planes et utilisent donc les éléments de céramique en conséquence, quelle que soit la technique décorative employée. Mais il existe aussi des ornements en saillie – corniches de muqarnas, colonnettes, consoles, balustrades ajourées – et dans ce cas, ils sont moulés avec, si besoin est, un revers légèrement concave.

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11 Les murs des salles latérales secondaires et ceux de la salle du miḥrâb sont lambrissés sur une hauteur d’environ deux mètres de carreaux hexagonaux et triangulaires monochromes. Des carreaux du premier type, d’un beau vert foncé, lambrissent le vestibule d’entrée et mettent en valeur, au centre de chaque mur, un large médaillon circulaire au complexe décor de rosace florale évoquant l’art des enlumineurs, où se mêlent le blanc, le jaune, le vert et le bleu, réalisé selon le procédé de la cuerda seca (Fig. 1, PL couleur I). Le décor est peint à l’aide de glaçures colorées séparées par un trait gras qui disparait à la cuisson. Cependant ce n’est pas ici la réelle cuerda seca, mais celle, courante en Iran et en Asie centrale, où le trait séparant les couleurs est visible, brun, un peu gréseux et en léger relief.

12 Dans les îwân flanquant ce vestibule, les mêmes carreaux hexagonaux vert sombre, mais ornés cette fois d’un rondeau fleuri doré peint en couche épaisse sur la glaçure, tapissent les parties inférieures des murs (Fig. 2, Pl. couleur I). Un étroit ruban de cartouches oblongs et quadrilobés, enfermant fleurons et palmettes, traité en cuerda seca souligne cette cimaise. Un bandeau épigraphié plus large réalisé en mosaïque de céramique, aux élégantes lettres blanches et dorées sur fond bleu, tracées selon des graphies différentes le surmonte et marque la transition avec les parties hautes des murs et la voûte, entièrement recouvertes d’un tapis de petits motifs triangulaires imbriqués au dessin inspiré du motif de nuage chinois tchi6, se détachant en blanc sur un fond bleu ponctué d’étoiles dorées et de minuscules tigelles feuillues vertes. Tout ce décor est constitué par la juxtaposition de carreaux hexagonaux à décor répété, traité une fois encore en cuerda seca.

13 Le sommet de la voûte est semblable à un tapis qui serait utilisé comme dais : un mince ruban de feuilles et de fleurettes encadre un champ entièrement rempli d’arabesques où se mêlent feuilles dentelées, fleurettes et fleurs de lotus, interrompu en son centre par une large rosace complexe. La gamme chromatique, où domine le bleu, est très riche : bleu foncé, bleu clair, blanc, jaune, mauve, brun, rouge. Le grand arc qui ouvre sur cet îwân est constitué de bandeaux de palmettes soulignés de baguettes plates et de moulures en relief et l’amorce de l’arc s’appuie sur des muqarnas dorés et ornés de petits bouquets sinisants.

14 Les mêmes caractéristiques, richesse décorative et virtuosité technique, poussées peut- être encore plus loin, se retrouvent dans la loge impériale. Les murs sont comme gaufrés, couverts de carreaux carrés, au décor de cuerda seca fait de petits éléments géométriques soulignés d’une moulure en relief dessinant un décor de polygones étoilés enfermant de minuscules fleurettes, transposition en céramique d’un frontispice de Coran7. Le plafond, plat, donne un peu l’illusion d’une coupole en raison de son cadre de muqarnas en fort relief, dessinant des sortes de culs-de-four aux clés étoilées.

15 L’autre élément de cette mosquée qui attire tous les regards dès l’entrée, c’est bien sûr le grand miḥrâb, lui aussi traité en céramique, dont la forme fait écho au portail de l’entrée. Evliya Çelebi se sentait incapable de le décrire, tant il le trouvait beau, et il y voyait une inspiration divine. Il est constitué de tout un assemblage de carreaux, rectangulaires et carrés, de muqarnas, de baguettes plates, de moulures et de colonnettes fasciculées, décorés selon les procédés de la cuerda seca et de la mosaïque de céramique. Le fond de la niche est couvert de rangées de petites palmettes et de tchi un peu statique ; faisant contraste, les écoinçons s’animent des sinuosités d’arabesques fleuronnées assez proches de celles, sculptées dans la pierre, des écoinçons du portail d’entrée.

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16 Le turba, où pierre, marbre et briques se conjuguent, est situé sur une éminence à l’arrière de la mosquée et reprend la forme de tour octogonale coiffée d’un dôme très en vogue déjà à l’époque seljoukide. Ce qui est nouveau, là encore, c’est son décor de céramique, qui soutient la comparaison avec celui de la mosquée. En dépit des restaurations du XIXe siècle8, son ordonnance générale est toujours visible. Les murs extérieurs sont recouverts de tapis en céramique bleu turquoise, bordés d’un mince galon fleuri qui encadre aussi les fenêtres surmontées d’un tympan traité de la même manière. Le portail, en haut des marches, se creuse assez profondément ; des niches au sommet triangulaire occupent les murs latéraux et la voûte, une demi-coupole nervurée, repose sur une zone de transition constituée d’une large frise triangulée, soulignée d’une corniche de muqarnas (Fig. 3, Pl. couleur I). Ce qui subsiste du décor est réalisé selon toutes les techniques déjà évoquées plus haut. Il s’en ajoute une nouvelle toutefois, dans les bandeaux d’encadrement qui soulignent les structures : des fines palmettes bleues et blanches superposées en rang serrés, y sont profondément sculptées (ou moulées).

17 Une magnifique porte en noyer sculpté donne accès à un petit vestibule, qui ouvre par un arc festonné cerné d’un bandeau de mosaïque de céramique sur le mausolée lui même, où se dressent, sur une plate-forme, neuf cénotaphes (Fig. 4, Pl. couleur I).

18 Les murs, jusqu’à la partie supérieure des fenêtres, sont lambrissés de carreaux hexagonaux vert plus ou moins foncé ; certains portent encore des traces de décor doré. Un galon de palmettes, réalisé en cuerda seca, les borde. Cette même technique est utilisée pour les grands tympans carénés au dessus des fenêtres, mais c’est en mosaïque que sont ornés leurs soffites. Le centre de chaque mur s’éclaire d’une grande mandorle à appendices fleuronnés, au complexe décor d’arabesques cerné d’un galon fleuri, réalisé en cuerda seca où se mêlent deux bleus, du violet foncé, du blanc et du jaune (Fig. 5, Pl. couleur I). Ce motif n’est pas sans évoquer, une fois encore, l’art du livre – pages de frontispice et reliures – mais aussi celui du tapis. Sur le mur de qibla, le médaillon s’ouvre en deux pour encadrer l’immense et magnifique miḥrâb couronné de grandes palmettes. Véritable prouesse technique, il utilise une riche gamme chromatique et offre, dans la partie basse, un remarquable panneau figurant, sur un fond égayé de fleurettes, un miḥrâb à arc polylobé enfermant une lampe, allusion au verset de la lumière (Coran, XXIV, 35) et un vase balustre entre deux chandeliers garnis de hauts cierges.

19 Les problèmes que pose le décor de la mosquée et du turba sont multiples, et il ne semble guère possible d’y apporter des solutions définitives. Tout au plus peut-on en suggérer quelques-unes. Comme il a déjà été dit plus haut, c’est le premier monument à présenter une telle profusion de céramique de revêtement, avec des techniques aussi variées et une gamme chromatique aussi large, où apparaît, discrètement ici et là, du rouge virant vers le brun, posé en petites touches (Fig. 6, Pl. couleur II)9. Certes les Seljoukides avaient pour ces parements colorés un goût très net – en témoignent bon nombre de monuments de Konya, Sivas ou Tokat –, mais ils utilisaient, dans une gamme chromatique restreinte, presque exclusivement la mosaïque de céramique typique d’Anatolie, c’est-à-dire plutôt une sorte de marqueterie, constituée de petits éléments glacés incrustés dans un enduit blanc très dur, laissé apparent. Selon certains auteurs, les murs de la salle de prière de la mosquée de Bayazid à Bursa étaient lambrissés de carreaux hexagonaux et triangulaires, sans doute comme ceux des pièces secondaires de la Mosquée Verte. Mais aucune trace d’un décor plus élaboré n’est décelable.

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Quelques années seulement après l’achèvement du Turbé Vert, un nouveau type de décor fait son apparition : les motifs, souvent sinisants, sont peints sur une pâte siliceuse blanche, sous une glaçure transparente10. Utilisé par exemple à Edirne à la Muradiye (1435) et à la mosquée Üç Serefeli (1437-47), très vite ce procédé supplanta les techniques utilisées au Complexe Vert, même si certaines apparaissent encore dans quelques monuments à la fin du XVe siècle comme, par exemple, les carreaux hexagonaux à décor doré peint à froid : ainsi au Çinili Köṣk à Istanbul (1475) dont l’auteur, en raison de plusieurs éléments tant architecturaux qu’épigraphiques , serait iranien et, vingt ans plus tard, au turba de Cem dans le cimetière de la Muradiye à Bursa11.

20 En l’absence de texte précis relatant l’édification du Complexe Vert, les nombreuses inscriptions qui s’y trouvent nous permettent de formuler quelques hypothèses auxquelles avaient songé certains auteurs sans pouvoir les vérifier12. Le nom du sultan commanditaire domine le portail d’entrée, avec la date d’achèvement du bâtiment (décembre 1419 – janvier 1420). Au-dessus des niches latérales, ainsi que sur la porte en bois du turba s’inscrit le nom de Hajji Iwad ibn Akhi Bayazid, qui fut gouverneur de la ville, puis vizir. Les termes précis qui précèdent son nom permettent de le considérer comme le maître d’œuvre13.

21 Plusieurs signatures d’artisans figurent à l’intérieur des bâtiments : « Muhammad le fou », sur le voussoir de l’arc de la loge du sultan, « les maîtres de Tabriz » sur le miḥrâb de la mosquée, « ‘Ali ibn Ḥâjji Aḥmad, de Tabriz », sur la porte sculptée du turba. Mais, très en évidence au-dessus de la tribune du sultan, sur une dalle de pierre, figure un autre nom, précédant la date d’achèvement du décor de l’édifice (15-30 août 1424) : « ‘Ali ibn Ilyâs ‘Ali, connu sous le nom de naqqâsh ‘Ali ».

22 La plupart des auteurs occidentaux s’abritent derrière une tradition des historiens turcs – mais sans en donner la référence – pour affirmer que ce personnage, natif de Bursa, aurait été emmené, enfant, par Timour en Transoxiane, d’où il serait revenu plus tard. La principale source turque est en fait le très célèbre ouvrage, rédigé en arabe, du grand biographe du XVIe siècle, Ahmad ibn Mustafa Tashköprüzade. Achevé en 1558, ce livre fut traduit en allemand en 1927, et c’est dans cette traduction que Taeschner puisa ses renseignements, renseignements repris tels quels depuis par les historiens de l’art14. Formé au métier de naqqâsh – disons, sans pouvoir préciser davantage, de décorateur –, ‘Ali ibn Ilyas présida à Bursa, après 1420, à l’ornementation de la Mosquée Verte. Sans doute était-il un personnage important, puisqu’il fit construire dans la citadelle une mosquée, aujourd’hui disparue15. C’est dans le cimetière de cette mosquée que sont enterrés plusieurs de ses descendants, en particulier le célèbre poète soufi du XVIe siècle, Lami’i. Très en faveur auprès de Sélim Ier, puis de Suleyman et d’Ibrahim Pasha, maîtrisant l’arabe et le persan, Lami’i mit à l’honneur la poésie timouride, écrite tant en persan qu’en turc chaghatây ; il avait comme maître spirituel le cheikh naqsbbandi Amir Ahmad al-Bukhari [al-Bokhâri]16. Peut-être cet intérêt pour le monde timouride et la ṭariqa naqshbandi est-il à mettre au compte de l’influence de son grand-père, Naqqâsh ‘Ali Pasha. Le fondateur de la ṭariqa Khwaja Baha’ al-Din Naqshband (1318-1389), né près de Boukhara, ne laissa pas d’écrits. Mais rappelons qu’en l’espace de quelques générations, son enseignement se répandit dans toutes les régions du monde turc, et en Anatolie dès le XVe siècle. Naqqâsh ‘Ali arriva en Transoxiane quelques années seulement après la mort de Baha’ al-Din.

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23 Timour ayant mis à sac Bursa en 1402, le jeune ‘Ali ibn Ilyas a dû pénétrer en Transoxiane, sur les traces du grand conquérant, à l’été 1404. Quels sont alors les monuments qu’il a pu découvrir ? À quoi ressemblaient-ils ?

24 Il n’y a pas lieu ici de retracer l’histoire de l’architecture de cette période, où s’interpénétrent d’une manière harmonieuse les traditions propres à l’Asie centrale et celles héritées des Il-Khanides. L’on sait le rôle des Persans dans l’élaboration des grands monuments d’alors17. Architecture de prestige, elle frappe par l’impressionnante hauteur et les vastes volumes des édifices en briques commandités par le sultan et ses proches et la somptuosité des décors qui les recouvrent, intérieurement et extérieurement. Y participent toute sortes de techniques – stucs, boiseries, peintures, papier mâché et doré, et bien entendu, céramiques. Les murs sont tapissés d’assemblages de briques glacées constituant des motifs le plus souvent épigraphiques sur un fond de briques non glacées (hezârbâf) ; les parties principales – façade d’entrée, écoinçons, dômes – usent de la mosaïque, de la cuerda seca, de la sculpture profondément découpée, etc. La polychromie, qui dès le XIVe siècle triomphait déjà dans le monde iranien, en Transoxiane et au Khorezm, est partout présente, les monuments de Konya-Urgenj en offrent de magnifiques exemples, et en particulier le mausolée de Tura Beg Khanum (c. 1370) où est employé un très beau rouge. La gamme chromatique est à dominante bleu foncé, rehaussée de bleu turquoise, de vert, de blanc, de jaune, d’ocre, de brun, de violet, de noir et d’or appliqué à froid. Géométrie, flore et épigraphie utilisant souvent deux graphies superposées se conjuguent. Parmi les exemples le plus frappants de cette architecture d’apparat du début du XVe siècle, citons, entre autres, à Samarcande les vestiges de la Mosquée du Vendredi construite sur l’ordre de Timour (1399-1404)18, le Gur-e Mir (1399-1404) conçu au départ pour Muhammad Sultan, petit-fils préféré du sultan19, plusieurs des mausolées de la nécropole du Shah-e Zenda ; à Kesh, la moderne Shahrisabz, l’imposant palais officiel d’Aq Saray (1380-1404), dont seuls subsistent quelques murs du portail ; à Yasi (Turkestan au Kazakhstan), l’extraordinaire mausolée de Khwaja Ahmad Yasavi, poète soufi mort en 1166, daté de 1391-9920.

25 Ce sont ces monuments, entre autres, que ‘Ali ibn Ilyas, le décorateur mentionné à Bursa, a pu voir lors de son séjour en Transoxiane, sans compter aussi bien sûr tous ceux qui se dressaient sur sa route à travers l’Iran. L’on sait en effet le goût des Jalayrides pour l’architecture. Il ne reste rien du Bagdad d’alors, rien non plus du gigantesque palais, le Dowlat Khana, érigé à Tabriz par le sultan Uways et dont parle l’ambassadeur espagnol Clavijo21. Tabriz, la capitale de l’Azerbaïdjan gouverné depuis 1396 par le fils puis les petits-fils de Timour22.

26 Mais à quoi ressemblaient ces édifices iraniens ? Il faut pour s’en faire une idée regarder les monuments il-khanides plus ou moins préservés dans certaines villes iraniennes et avoir recours à quelques pages de manuscrits illustrés de l’école de Tabriz de la fin du XIVe siècle. D’allure élancée, couverts en coupole, les façades tapissées de céramique traitée selon des techniques très variées, ils préfigurent, à une échelle plus modeste, les oeuvres timourides. Sur plusieurs illustrations de scènes d’intérieur appartenant à des ouvrages attribués à Tabriz, les murs sont très évidemment lambrissés jusqu’à une certaine hauteur de carreaux hexagonaux verts ou bleus, à décor doré ; un mince galon de frise les sépare du riche décor peint qui orne les parties hautes (Fig. 7, Pl. couleur II)23. Mais nulle trace de médaillons polychromes interrompant la surface verte, comme ceux que l’on voit au Turbé Vert.

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27 En revanche, à la mosquée de Yazd, ce décor de médaillons existe, mais justement dans les salles d’époque timouride (1375-76) (Fig. 8, PL couleur II). Et il est présent dans plusieurs des grands monuments de Transoxiane. Dans le tombeau de Khwaja Ahmad Yasavi, des médaillons circulaires polylobés et d’autres, en amande, surmontés d’un appendice, ponctuent les murs bleu-vert de la grande salle d’entrée, et, dans la salle de la mosquée, un miḥrâb en mosaïque de céramique s’y insère. Le même décor se retrouve, sans médaillons, à Tachkent, au mausolée de Zangi Ata, disciple du maître de Yasi24. C’est encore lui qui au Shah-e Zenda orne les parties basses des murs de tombeau du célèbre Qutham ibn ‘Abbas (1334-35) restauré par les Timourides et de Tuman Aqa (1404-05) sans médaillons une fois encore (Fig. 9, PL couleur II). Il est à noter aussi que plusieurs de ces édifices offrent, dans les parties hautes des murs, des traces de peintures et possèdent des portes en bois sculpté d’un travail particulièrement raffiné, signé de leur auteur, tout comme au Complexe Vert25. Mais c’est là sans doute une tradition ancienne d’Asie centrale, importée en Anatolie déjà à l’époque seljoukide. L’on sait les richesses que renferment encore certains édifices d’Erzerum et de Konya, et les musées d’Istanbul et d’Ankara !

28 En ce qui concerne les autres décors en céramique du Complexe Vert, on pourrait trouver de multiples exemples comparatifs en Iran certes, mais aussi en Transoxiane. Là, sont particulièrement appréciés les décors de céramique moulée, donnant l’illusion d’une surface gaufrée26 ; les minces galons ornés de palmettes ou de tiges ondulantes agrémentées de fleurettes et de tiges encadrent la plupart des panneaux qui tapissent les édifices, et les petites colonnettes à chapiteaux bulbeux géométrisés abondent. Surtout, les bandeaux à enchevêtrement de palmettes profondément sculptées du portail du Turbé Vert sont typiques des décors d’Asie centrale. Ce genre d’ornement, traité dans la même gamme chromatique, où les palmettes de surface dessinent, comme en surimpression, un souple réseau blanc, se rencontre déjà avant l’époque timouride au tombeau de Buyan Quli Khan (c. 1358-59) à Boukhara et, au Shah-e Zenda, sur celui de Khwaja Ahmad (1340) (Fig. 10, Pl. couleur II). La tradition s’y poursuit jusqu’au début du XVe siècle : turba de Shad-e Mulk Aqa (1371-83), d’Amir Husayn ibn Tughluq Tekin (1376), de Shirin Bik Aqa, sœur du fondateur de l’empire (1385-86), par exemple. Dans plusieurs de ces édifices, la couleur rouge apparaît, posée par touches ; parfois selon la technique du petit-feu (« ladjavardina »), survivance de l’époque mongole, comme au mausolée de Ulugh Sultan Begim (1385), tantôt peinte sous glaçure, comme sur celui construit vers la même date par Ustad ‘Alim-e Nasafi. Les édifices construits par la suite, à l’époque d’Ulugh Beg, s’ils s’inscrivent dans la même tradition architecturale, présentent toutefois un décor plus sobre.

29 La forme même du portail du Turbé Vert s’inspire aussi de modèles venus d’Asie centrale. Si la tradition seljoukide subsiste dans la présence des niches latérales à découpe triangulaire, la voûte en demi-coupole godronnée, reposant sur des pendentifs à muqarnas, est assez proche de celle de Qutham ibn ‘Abbas, du tombeau de Shirin Bik Aqa, évoqué plus haut, ou de celui de Tuman Aqa (1404) (Fig. 11, Pl. couleur III).

30 Peut-être aussi peut-on voir dans l’extraordinaire cénotaphe de Mehmet Çelebi, réplique en céramique à décor de cuerda seca de monuments en bois sculpté dont l’époque seljoukide a livré plusieurs exemples27, une certaine influence de Transoxiane. Des cénotaphes de ce style, mais à plusieurs degrés et en céramique, sont encore en place dans certains mausolées du Shah-e Zenda, ceux de Qutham ibn ‘Abbas et de Ustad ‘Alim-e Nasafi par exemple (Fig. 12, Pl. couleur III).

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31 Un autre élément mérite encore attention : le haut portail en marbre de la Mosquée Verte (Fig. 13, PL couleur III). Selon Evliya Çelebi, il demanda trois ans de travail au maître-marbrier, qui fut récompensé de quarante mille pièces d’or28. Il semble à première vue, de par sa forme générale et l’organisation de son décor, la réplique d’un prototype seljoukide, à l’ornementation moins vigoureuse, dépourvue de ses éléments baroques, assagie en quelque sorte. Ce qui est cependant inhabituel et demeura sans équivalent par la suite, c’est le remplissage très dense des écoinçons : de fines tiges agrémentées de palmettes et de fleurons aux lobes effilés se développent en mouvements tourbillonnants, très dynamiques. Le tout est exécuté avec une précision extrême et on ne peut s’empêcher de voir là comme une transposition en pierre du tympan en céramique du mausolée de Najm al-Din Kubravi (lre moitié du XIVe siècle) à Konya-Urgenj ; ce même type de décor existe encore dans les édifices, beaucoup plus tardifs, de Khiva (Fig. 14, PL couleur III)29.

32 Il semble donc possible, à partir de l’étude du décor du Complexe Vert, de l’inscription placée très en évidence mentionnant le nom de ‘Ali ibn Ilyas et d’une comparaison – rapide – avec les monuments de Transoxiane du début de l’époque timouride, de préciser le rôle de l’Asie centrale dans l’élaboration de l’édifice de Bursa.

33 Pour résumer certes, la structure des bâtiments, leurs matériaux de construction, la forme du portail de la mosquée restent caractéristiques de l’Anatolie. Dans le décor de céramique, se retrouve aussi parfois le souvenir direct de l’Anatolie seljoukide, tel l’usage de carreaux polygonaux verts sur les murs cher aussi aux Il-Khanides, nous l’avons vu, ou le décor rumi30 du petit ruban de mosaïque de céramique orné de fleurons noirs et turquoise couvrant l’intrados de l’arc polylobé qui ouvre, à l’intérieur, sur le Mausolée Vert. Mais le portail du turba et l’ensemble du décor n’ont plus rien à voir avec l’Anatolie du XIIIe siècle. Il semble évident que, même s’il a confié la fabrication du miḥrâb de la mosquée et sans doute de beaucoup des éléments du décor à des artisans de Tabriz que, selon certains auteurs, il aurait ramenés à Bursa avec lui31, c’est Naqqâsh ‘Ali qui a décidé de son organisation et du choix de ses éléments constitutifs. Certes les artisans iraniens ont contribué au développement de l’art de Transoxiane, mais les Timourides, surtout au début de leur règne, ont magnifié de façon spectaculaire cet apport en Asie centrale et au Khorassan. Dans les éléments choisis par Naqqâsh ‘Ali, c’est ceux particulièrement en vogue à la fin du XIVe siècle et au début du XVe siècle, époque où foisonnent et se côtoient des techniques multiples servies par une riche polychromie et les inscriptions à double graphie qu’il favorise. C’est surtout, semble-t- il, le décor des mausolées, centres de pèlerinage où la propagande soufie était active, qui l’a influencé. Les monuments de l’époque d’Ulugh Beg ne paraissent pas l’avoir inspiré. Mais il est vrai que les plus beaux sont alors ceux construits, hors de Transoxiane, par Gowhar Shad. Et sans doute aussi, à cette époque, Ustad ‘Ali était-il déjà de retour en Anatolie, sa terre natale, où il introduisit ou transposa, pour un temps très bref, les merveilles de sa terre d’exil.

34 Nota : Après avoir écouté ma communication, mon collègue Claus-Peter Haase, de Kiel, m’a signalé que notre regretté ami Michael Meineke avait autrefois traité du même problème. De retour en Allemagne il m’a envoyé la photocopie de la publication en question32 ; moins détaillée que le texte ci-dessus, elle témoigne cependant d’une démarche et de conclusions très voisines.

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Fig. 1 : Bursa, la Mosquée Verte. Médaillon dans le vestibule d’entrée.

Fig. 2 : Bursa, la Mosquée Verte. Détail de la loge latérale (départ de l’arcade).

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Fig. 3 : Bursa, le Turbé Vert. Niche gauche du portail.

Fig. 4 : Bursa, cénotaphe à l’intérieur du Turbé Vert.

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Fig. 5 : Bursa, intérieur du Turbé Vert. Détail de la décoration des murs.

Fig. 6 : Bursa, la Mosquée Verte. Plafond de la loge latérale droite.

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Fig. 7 : Kalila et Dimna, manuscrit illustré de l’école de Tabriz, 1374.

Istanbul, Bibliothèque de l’Université Palais de Yildiz, F. 1422

Fig. 8 : Yazd, mosquée. Détail du décor.

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Fig. 9 : Samarcande, Shah-e Zenda. Salle du cénotaphe de Qutham b. ‘Abbas.

Fig. 10 : Samarcande, Shah-e Zenda. Mausolée de Shad-e Mulk Aqa.

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Fig. 11 : Samarcande, Shah-e Zenda. Mausolée de Qutham b. ‘Abbas, pendentifs à muqarnas.

Fig. 12 : Samarcande, Shah-e Zenda. Cénotaphe du mausolée Ustad ‘Alim-e Nasafi.

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Fig. 13 : Bursa, portail de la Mosquée Verte, p. 261.

Fig. 14 : Konya-Urgenj. Porche du mausolée de Najm al-Din Kubravi.

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NOTES

1. Timour, qu’avait rejoint son petit-fils préféré et héritier présomptif Muhammad Sultan, quitta le Qarabagh pour marcher sur l’Anatolie. Il affronta victorieusement le sultan ottoman à Ankara le 28 juillet 1402 et s’empara ensuite de Bursa et de ses trésors. Après un nouvel hiver passé au Qarabagh, il reprit ensuite la route de Samarcande. 2. La plus détaillée est celle que lui a consacrée A. Gabriel, chapitre VIII (p. 79-104). Elle a été en partie reprise par Goodwin, chapitre III (p. 60-70). Citons aussi F. Taeschner, et, en ce qui concerne les inscriptions, R. Mantran, p. 92-94 (mosquée), 105-108 (turba). 3. En particulier le décor peint sous glaçure, dont quelques exemples, des carreaux, sont déjà visibles dans le Turbé Vert, sur le cénotaphe de Seljuq Khatun, fille de Mehmet Ier (1485). À cette technique, exécutée sur pâte siliceuse blanche, correspond l’essor des ateliers d’Iznik. Dès lors, les monuments seront décorés non plus de mosaïque de céramique, de décor moulé ou de cuerda seca, mais de carreaux à décor peint sous glaçure. 4. Cité dans Gabriel, p. 94. 5. L’usage des pâtes siliceuses blanches, connu des Seljoukides, semble être tombé dans l’oubli à partir du début du XIVe siècle. Pendant plus d’un siècle, les pièces de forme (la production autrefois attribuée à Milet et attribuée maintenant à Iznik) et les revêtements muraux sont en argile rouge. Cf. Riefstahl, p. 249-250, repris par Lane (1971), p. 40-41 ; Aslanapa (1989), p. 25. Toutefois, l’analyse de fragments des décors de la Mosquée Verte, effectuée par Ch. Kiefer, a démontré qu’ils étaient réalisés sur des revêtements en pâte siliceuse, cf. Gabriel, p. 89. 6. Les mêmes éléments, avec les mêmes couleurs, disposés cette fois en rangées de lambrequins, ornent la niche du miḥrâb. Ils semblent se métamorphoser en fleurons aux lobes aigus. Ce même type de décor est couramment représenté dans les miniatures de Tabriz, cf. par exemple « L’arrivée de Khusraw devant le palais de Shirin », du Khosrow va Shirin de Nizami [Neẓâmi] exécuté à Tabriz c. 1405-10 (Washington, Freer Gallery of Art, n° 31-36). 7. En particulier ceux du XIVe siècle, tant iraniens qu’égyptiens. 8. En 1855, un tremblement de terre endommagea les monuments de Bursa. Le gouverneur fit appel à Léon Parvillé, architecte français, pour les restaurer, ce qu’il fit à partir de 1864, cf. Gabriel, p. 81. 9. Le rouge, posé sur glaçure, existait à l’époque seljoukide en Iran, dans la série à décor de petit feu, dite haftrang. Quelques très rares exemplaires de revêtements muraux de même technique, trouvés à Konya, provenant du kiosque de Kilij Arslan, témoignent de l’usage de cette technique raffinée au XIIIe siècle en Anatolie. Le rouge, posé sous glaçure, existait à l’époque ayyubide en Syrie et en Egypte dans la série dite « rusafa », sans doute pour imiter l’effet du haftrang dont les potiers ignoraient le procédé. Il semble bien qu’il disparaisse ensuite pendant plus d’un siècle, avant de réapparaître en Asie centrale, à Konya-Urgenj (mausolée de Tura Beg Khanum, c. 1370) et sur certains mausolées du Shah-e Zenda. Sa présence dans le décor de la mosquée de Bursa avait été notée par Lane, ainsi qu’en témoigne une lettre qu’il écrivit le 10 avril 1953 à Kurt Erdmann, cf. Erdmann, p. 202-203. 10. Ce type de décor apparaît vers le milieu du XV e siècle en Syrie sur des pièces de forme, comme la petite coupe du Louvre (n° MAO 363) inscrite sous la base « fait à Damas », et de nombreux objets trouvés dans les fouilles de Hama, ainsi que sur des carreaux de revêtements comme ceux du turba d’al-Tawrizi à Damas (1423) etc, mais aussi, en Asie centrale, sur bien des objets timourides. Lane, après Riefstahl, a étudié le problème dans ses publications de 1957 et de 1971, problème repris en 1982 par J. Carswell. 11. Cem Sultan, fils de Mehmet II le Conquérant, fut assassiné à Naples en 1495. Selon certains auteurs, le turba aurait été construit pour un prince mort en 1429. Voir le résumé de la discussion dans Lane (1957), p. 253.

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12. Presque tous les auteurs qui se sont intéressés au Complexe Vert l’ont fait et ont pressenti l’apport de l’Asie centrale. Mais aucun n’était allé en Transoxiane. 13. Gabriel, p. 90-91 ; Goodwin, p. 64-65 ; Mantran, p. 93. 14. Je tiens à remercier tout particulièrement mon ami Stéphane Yérasimos, pour toute l’aide qu’il m’a apportée à démêler cet écheveau. Cf. Babinger, p. 724-725. 15. Gabriel, p. 91 ; Flemming, p. 654. 16. Flemming, p. 654. 17. Qui aurait d’ailleurs joué un rôle dans la formation de la pensée d’un autre poète et savant ottoman du XVIe siècle, Fawri, voir EI2, art. « Fawrî » (A. Karahan), p. 889. Il semble toutefois que l’auteur de l’article fasse une confusion. Il parle de Naqqâsh ‘Ali comme étant le père de Lami’ i (1472-1531). Fawri lui même mourut en 1571. 18. L’habitude qu’avait Timour de ramener en Transoxiane les artisans talentueux a été soulignée par ses propres biographes Ibn ‘Arabshah et Sharaf al-Din Yazdi. Et la plupart des architectes qui ont attaché leur nom aux grandes réalisations de Timour, d’Ulugh Beg et de Gowhar Shad sont persans. Cf. Golombek et Wilber, p. 458-462. 19. Golombek et Wilber, p. 255-260. Mort sur le champ de bataille en 1403. 20. Golombek et Wilber, p. 284-288 ; EI2, art. « Aḥmad Yasawî » (F. Iz), p. 308. 21. Clavijo(1990), p. 164. 22. CHI, vol. VI, p. 93. 23. Voir par exemple les deux pages du Kalila va Dimna de 1360-74 conservé à Istanbul, Bibliothèque de l’Université, album du Palais de Yildiz, représentant « l’échec d’une tentative de meurtre » (fol. 11 verso) et « le voleur découvert dans la chambre à coucher » (fol. 24 recto), cf. Gray, p. 38-39 ; « l’entrevue de Farhad et Shirin », du Khosrow va Shirin de Nizami, de 1405-1410, conservé à la Freer Gallery de Washington (n° 31-34), cf. Gray, p. 54. Les mêmes caractéristiques apparaissent aussi dans le célèbre Diwân de Khwaju Kirmani, exécuté en 1396 à Bagdad, conservé à la British Library (add. 18113), par exemple sur la page illustrant « Humay et Humayun le lendemain de leur mariage » (fol. 45 b). On les retrouve encore dans les œuvres de l’école de Chiraz du début du XVe siècle inspirées par Tabriz et bien sûr, quelques années plus tard, à Hérat. 24. Le mausolée aurait été fondé par Timour vers 1390 (Golombek et Wilber, vol. I, p. 281). 25. Citons, par exemple, le mausolée de Khwaja Ahmad Yasavi à Turkestan et, à Samarcande, celui de Qutham ibn ‘Abbas et le Gur-e Mir. Encore de nos jours l’art du bois est particulièrement développé en Transoxiane. 26. Beaucoup sont réalisés par la juxtaposition d’éléments en céramique glacée et d’autres non glacée, mais bon nombre aussi n’utilisent, sous différentes formes, que la céramique glacée. 27. Par exemple, au Musée Ethnographique d’Ankara celui, du XIVe siècle, de ‘Ali Sharaf al-Din (n° 8997) ; au Musée des Arts Turcs et Islamiques d’Istanbul, celui de Mahmud ibn Mas’ud, daté 1268-69 (n° 193) provenant du mausolée de Mahmud Khayrani à Akshehir ; à la Davids’ Collection de Copenhague un autre d’environ 1340, provenant du même mausolée (n° 26/1976) ; un autre enfin, au Musée National du Koweït (n° LNS8W), du XVe siècle. 28. Cité par Gabriel, p. 87, n. 1. 29. Par exemple le décor de la mosquée d’été, du XIXe siècle, signé par ‘Abdallah Jin. 30. Par exemple les murs de la madrasa Ince Minare à Konya. 31. Riefstahl, p. 251-252 ; Lane (1957), p. 251, et Lane (1971), p. 42. 32. M. Meinecke, Fayencedekorationen Seldschukischer Sakralbauten in Kleinasien, Tübingen, 1976, p. 102-107.

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AUTEUR

MARTHE BERNUS-TAYLOR Section islamique du Musée du Louvre, Paris, France

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Farhad le peintre : à propos des ateliers de peinture de Boukhara à l’époque de ‘Abd al-‘Aziz Khan, 1645-1680

Yves Porter

1 Voici quelques années, un article écrit par O.F. Akimushkin et A. A. Ivanov donnait à connaître l’école de peinture de Boukhara à travers un texte jusque-là quasiment inconnu des historiens de l’art, le Moḥiṭ al-tavârikh de Mohammad Amin Bokhari1. Cet article fournit – outre la traduction du passage concernant les ateliers de peinture à l’époque de Sobhan Qoli Khan (1680-1702) – quantité de documents concernant la peinture et les arts du livre à Boukhara dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. Il ne saurait être question de refaire ici ce travail2 ; le but de cette communication est d’apporter – grâce à un groupe de peintures apparues récemment sur le marché de l’art et dont certaines sont signées « Farhad » (Farhad) – quelques éléments nouveaux à l’étude de cette école de Boukhara. On pourra ainsi tenter d’esquisser comment la peinture ouzbèke du milieu du XVIIe siècle peut s’inscrire dans l’héritage des écoles timourides.

2 Une première partie retrace l’historique des apparitions des pages de Farhad en ventes publiques, ainsi que l’identification progressive de l’œuvre de ce peintre. C’est ensuite le style de Farhad qui est analysé et confronté à la production de la peinture de Boukhara au XVIIe siècle. On trouvera en annexe un essai de répertoire des peintres ayant travaillé à Boukhara au XVIIe siècle, parmi lesquels Farhad se doit de retrouver sa place.

1. Les peintures de Farhad

3 Plusieurs pages provenant de la collection Pozzi sont apparues ces dernières années sur le marché. Tantôt classées comme turques, tantôt restituées à Boukhara, il est

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maintenant établi que ces pages proviennent d’une copie du Majâles al-‘oshshâq – texte souvent attribué à tort à Soltan-Hoseyn Bayqara3 – copié à Boukhara vers 1645-50, sous le règne de ‘Abd al-‘Aziz Khan. Le manuscrit était-il déjà dispersé quand Pozzi fit l’acquisition de ces pages ? D’autres pages sont-elles en circulation ? Autant de questions auxquelles le temps apportera peut-être une réponse.

Les pages de Farhad dans les ventes publiques

4 La première apparition de quelques-unes de ces pages date de 19824. Cinq peintures figuraient au catalogue sous l’étiquette « Turquie, XVIe siècle », sans identification du manuscrit dont elles étaient tirées.

5 Une deuxième série de trois pages – dont deux signées par Farhad – a été présentée en 19905 avec la mention « Turquie. Art ottoman. c. 1600 » ; les peintures étaient identifiées comme des illustrations « issues probablement d’un Nafahât al-ons de Djâmi ».

6 En 1991, deux des cinq peintures déjà présentées en 1982 repassaient en vente6. Ces deux pages, dont l’une est signée, portaient la même identification que celle proposée pour la vente du 26/02/90. L’autre page a été acquise par le collectionneur A. Soudavar7.

7 En 1993, la mise en vente de l’une des pages déjà passées en 1990 donnait l’occasion aux experts de rectifier le tir. En effet, A.A. Ivanov a aimablement signalé aux experts que le peintre Farhad était sans doute le même qui a signé la peinture en marge d’un Bustân de Sa’di conservé à la Chester Beatty Library de Dublin daté de 16498. Cette communication a permis de restituer la page à « Boukhara, vers 1645 »9.

8 Une dernière page, provenant toujours de la même collection, a été vendue à Paris le 1er juillet 199610.

9 Au total neuf pages d’un même manuscrit sont donc apparues à ce jour, dont nous donnons ici la liste pour la première fois ; notons que toutes ces pages sont conservées dans des collections privées anonymes, à l’exception du n° 1 : 1. - Adam (vente 11/05/82 n° 20 ; 13/02/91 n° 175 ; coll. Soudavar) ; 2. - Deux prisonniers devant un prince (vente 11/05/82 n° 21) ; 3. - Le maître et l’élève (vente 11/05/82 n° 22 ; 13/02/91 n° 174), signée ; 4. - Deux derviches (vente 11/05/82 n° 23, non reproduit) ; 5. - Couples dans un pavillon (vente 11/05/82 n° 24, non reproduit) ; 6. - Ghazzali (vente 26/02/90 n° 67 A), signée (Fig. 1, Pl. couleur IV) ; 7. - Abu Yazid Basṭâmi (vente 26/02/90 n° 67 B ; 7/04/93 n° 88), signée (voir Fig. 2) ; 8. - Mowlavi (vente 26/02/90 n° 67 C), voir Fig. 3, Pl. couleur IV ; 9. - ‘Abdallah Anṣâri (vente 1/07/96 n° 8).

10 Il convient cependant de corriger l’identification du texte dont ces pages sont tirées : il ne s’agit pas comme on l’a cru d’abord du Nafaḥât al-ons de Jami11 ; la confrontation avec le texte de Jami (rarement illustré du reste) a permis de l’établir. Le texte est bien celui du Majâles al-‘oshshâq, dont on connaît d’ailleurs plusieurs copies illustrées en Asie centrale12.

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Analyse stylistique

11 Ces pages ont en commun un style assez homogène ; trois d’entre elles portent la signature de Farhad. À l’exception de la première, représentant la descente d’Adam sur Terre (n° 1), la composition des peintures est à la fois simple et conventionnelle, tirant volontiers parti d’un décor architectural aux lignes sobres. Remarquons par exemple, sur l’image représentant Ghazzali (n° 6, voir Fig. 1, Pl. couleur IV), la colonnette soutenant l’avancée sur le côté du pavillon ; on retrouve ces colonnettes – caractéristiques de l’architecture ouzbèke – notamment dans la Khamsa de 164813 (fol. 222a par exemple). Saisissons l’occasion pour signaler, sur cette dernière peinture, les décors muraux représentant des architectures en bleu sur fond blanc. On peut en effet les rapprocher aisément des peintures murales qui ornent le dars-khâna de la madrasa de ‘Abd-al ‘Aziz Khan à Boukhara14. Ceci permet de relier – par un lien certes ténu – les productions des ateliers de manuscrits à celle des grands décors peints de l’architecture.

12 D’une façon générale, les figures représentées sont traitées de manière assez stéréotypée : les personnages âgés, barbus, portent tous le même turban à calotte, avec un pan flottant sur l’épaule ; ils ont tendance à se tenir courbés, sinon voûtés. On peut rapprocher cette iconographie du sage/vieillard de la peinture montrant Elias et Khezr dans la Khamsa de 1648 (fol. 406a). Chez les jeunes gens, on notera l’importance de l’arrondi de l’épaule – interrompu par un cou droit et dégagé – et repris par le double cercle de la nuque et du turban haut-placé, parfois agrémenté d’une aigrette. Ce type du jeune homme se voit également sur la page du Bustân de Dublin15.

13 Certains visages se remarquent par leur stricte frontalité, formule déjà essayée dans les cercles de Behzad, avec plus ou moins de bonheur16. Ainsi, la figure d’Adam (n° 1) se détache sur un fond de flammes dorées. On retrouve cette position dans l’un des sages spectateurs de Bastami (n° 7, voir Fig. 2, PL couleur IV). Cette assemblée de sages figure au premier plan une rangée de personnages vus de dos, dont certains tournent la tête, en conversation ; cette attitude rappelle une illustration d’un Târikh-e alfi moghol (c. 1594-1595) représentant une scène dans une mosquée17. L’influence indienne dans la peinture de Boukhara n’apparaît d’ailleurs à cette époque que par petites touches éparses mais présentes.

14 Un objet retient également notre attention sur cette peinture : l’aiguière à double anse, à l’épaulement ourlé d’un motif en pétales ; on retrouve la même forme (avec d’autres couleurs/matériaux) sur une illustration (fol. 49b) du Shâh-nâma daté de 1556-7, illustré une cinquantaine d’années plus tard par Morad Samarqandi18.

15 La frontalité apparaît également sur le visage du jeune homme à l’arrière-plan de la peinture représentant Ansari (n° 9) (on peut remarquer également les tiges de fleurs sur la droite et la coupe en céramique à couvercle doré). On retrouve encore cette frontalité sur le visage d’une des servantes figurant sur la page du Bustân de Dublin (cette page comporte également des tiges de fleurs fantaisistes, ainsi que des plats à couvercle de métal). Une illustration de la Khamsa de 1648 montre une jeune fille (fol. 396b, Nushaba ramenée à Eskandar) qui ressemble étonnamment à cette servante.

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2. Le style de Farhad dans l’évolution de la peinture de Boukhara

16 Les peintures que l’on vient rapidement d’étudier se distinguent, on l’a vu, par un style cohérent. La manière conventionnelle de peindre les personnages n’exclut pas une certaine douceur des traits, tout en arrondis. Les têtes sont souvent petites et rondes, avec des bouches minuscules et de petits yeux fendus. Comparées au style de Boukhara du milieu du XVIe siècle, les figures de Farhad sont plus petites, mais possèdent plus de relief, de modelé (dû à une influence indienne ?). Confrontées au genre quasi- caricatural du début du XVIIe siècle 19, les illustrations de notre peintre sont d’une étrange sagesse. De même, les peintures de Farhad semblent se défendre d’un certain « modernisme » que l’on peut observer dans la composition hardie ou dans les figures longilignes et les visages typés de certaines œuvres contemporaines, qui possèdent un caractère national ouzbek indéniable20. Elles se distinguent aussi des silhouettes enveloppées (on serait tenté de dire aussi plus « indiennes ») qui caractérisent la manière d’un Mohammad Moqim21.

17 Il semble donc qu’il y ait bien un style de Farhad, s’exprimant dans une douceur quasi- intemporelle, qui expliquerait les difficultés des experts mentionnés plus haut à dater et à localiser ces peintures. En effet, l’atmosphère qui s’en dégage a quelque chose de nostalgique, car elle évoque un retour vers des formes anciennes – de l’école timouride de Hérat ou de ses suites à Boukhara – sans toutefois montrer la virtuosité de celles-ci. En ce milieu du XVIIe siècle, c’est peut-être dans ces illustrations du Majâles al-‘oshshâq que l’héritage timouride se fait encore le plus sentir. Cet air « timouride » va pourtant disparaître dès cette époque, puisqu’il est pratiquement indécelable dans la Khamsa de 1648.

18 Enfin, par sa finesse d’exécution – sinon par son invention – l’œuvre de Farhad apparaît comme une charnière, l’un des derniers fleurons de l’école de Boukhara22. La copie du Majâles al-‘oshshâq de la fin du XVIIe siècle23 montre bien à quel stade de décadence est tombée la peinture à Boukhara.

19 Le peintre Farhad ne semble guère connu par les textes ; il n’est d’ailleurs pas mentionné par Mohammad Amin Bokhari (Moḥiṭ al-tavârikh) parmi les peintres de l’atelier royal et je ne l’ai pas encore trouvé cité dans d’autres sources. On ne le connaît donc pour le moment que grâce aux trois signatures des pages que nous venons d’étudier, ainsi que par celle qui apparaît sur le Bustân de 1649. On pourrait certes tenter de lui attribuer d’autres peintures, dont certaines illustrations de la Khamsa de 1648. Mais sans aller pour l’heure aussi loin, on peut en toute sécurité rajouter désormais quelques éléments à l’histoire de la peinture de Boukhara. Un nom, d’abord, qui vient enrichir de manière non négligeable la liste des peintres boukhariotes (voir infra), et qui établit de façon certaine que Farhad travaillait à Boukhara à l’époque de ‘Abd al-‘Aziz Khan – peut-être dans ses ateliers. Des œuvres aussi, qui nous permettent de saisir l’évolution et les hésitations de l’école de Boukhara au milieu du XVIIe siècle. Bien des questions ont été soulevées, dont peu ont trouvé de réponse ; beaucoup reste donc à faire dans ce domaine. En somme, nous ne livrons ici que quelques briques pour l’édification (ne devrait-on pas plutôt parler de reconstruction ?) d’une histoire de la peinture de Boukhara.

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Fig. 1 : Ghazzâli, signé Farhad

Majâles al-‘oshshâq, manuscrit dispersé, ancienne coll. Pozzi.

Fig. 2 : Abu Yazid Basṭâmi, signé Farhad

Majâles al-‘oshshâq, manuscrit dispersé, ancienne coll. Pozzi.

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Fig. 3 : Mowlavi

Majâles al-‘oshshâq, manuscrit dispersé, ancienne coll. Pozzi.

ANNEXES

Les peintres de Boukhara au XVIIe siècle

Nous avons essayé de récapituler ici les renseignements que nous possédons concernant les peintres de Boukhara au XVIIe siècle. Il ne s’agit pour l’instant que d’un aide-mémoire, qui aura besoin d’être approfondi et augmenté au gré d’éventuelles découvertes. Les peintres actifs dans la deuxième moitié de ce siècle, connus notamment grâce à Mohammad Amin Bokhari, ont été répertoriés par Akimushkin et Ivanov dans l’article déjà cité24 ; c’est le cas de ‘Avaz Mohammad, Gol-Mohammad, Khwaja Geda Naqqâsh (dont on ne connaît aucune œuvre signée), Mohammad Moqim, Molla Behzad et Salim. Farhad se situe justement à la jonction entre les artistes de la première moitié et ceux de la deuxième moitié du XVIIe siècle. Ces divers peintres ont souvent contribué aux mêmes manuscrits, raison pour laquelle nous les avons regroupés à la fin, avec leurs références.

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• ‘Avaz (‘Avaż) Mohammad25 Khamsa de Neẓâmi, (cf. liste infra, n° 6), six peintures. Une peinture isolée, datée de 1100 ?/1688-8926 ? • Farhad Bustân de Sa’di, (n° 2), f. 142b. Majâles al-‘oshshâq, (n° 7) ; neuf illustrations dont trois signées Farhad. • Gol-Mohammad27 Une peinture du Dâstân-e Qerân-e Ḥabashi (n° 3). • Mohammad Amin28 Khamsa de Neẓâmi (n° 6), deux peintures. Divân de Khwâju Kermâni (n° 4). Peut-on voir, dans cet artiste, l’auteur des dessins des panneaux de céramique ornant la madrasa ‘Abd al-‘Aziz Khan à Boukhara29 ? • Mohammad Darvish Bustân de Sa’di, (n° 1), f. 26b30. • Mohammad Moqim Mentionné par Mohammad Amin31, l’artiste (actif c.1626-1671) est encore vivant en 1699 ; parmi ses œuvres figurent des pages séparées32 et des manuscrits : Shâh-nâma de Ferdowsi (n° 9). Shâh-nâma de Ferdowsi (n° 10), sans doute plusieurs peintures, dont une signée, f. 508a33. Khamsa de Neẓâmi (n° 6) ; dix peintures34. Dâstân-e Qerân-e Ḥabashi (n° 3) ; quatre peintures signées. • Mohammad Nader Samarqandi Une page d’album, Cachemire, 161635. • Mohammad SharifBustân de Sa’di (n° 1), f. 1636. Deux peintures en pendant, dont l’une signée (Louvre, sect. isl. inv. 7109) – et son pendant (Washington, coll. Vever, Sackler s86.0304)37. • Molla Behzad38 Khamsa de Neẓâmi (n° 5) ; 17 peintures. Khamsa de Neẓâmi (n° 6) ; quatre peintures39. Dâstân-e Qerân-e Ḥabashi (n° 3), six peintures. Divân de Kwâju Kermâni (n° 4). • Morad-e Samarqandi Shâh-nâma de Ferdowsi (n° 8). Marges signées de deux peintures : Louvre 7109 et Sackler s86.030440. Bustân de Sa’di (n° 1), deux peintures en pleine page signées, f. 134r et 159v41. Ẓafar-nâma de Yazdi (n° 11). Les peintures de ce manuscrit ont un style « caricatural » qui rappelle celui de Mohammad Morad Samarqandi. Peut-on les attribuer à ce peintre ? Curieusement, Galerkina a attribué ces peintures à Mohammad Moqim42. • Salim (Mohammad Salim) Shâh-nâma de Ferdowsi (n° 9). Dâstân-e Qerân-e Ḥabashi (n° 3), deux peintures. Une page de Shâh-nâma43.

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Liste des manuscrits cités en annexe

1. Bustân de Sa’di, copié par Mir Ṣâleḥ al-Kâteb c. 1570, Chester Beatty Library, Dublin, Pers. 297 ; illustrations de Mohammad Darvish, Mohammad Sharif et Morâd, ajoutées en 1616 à Boukhara44. 2. Bustân de Sa’di, Boukhara, 1649, Chester Beatty Library, Dublin, Pers. 274 ; copiste : Naṣir Ketâbdâr ; illustration de Farhad. 3. Dâstân-e Qerân-e Ḥabashi d’Abu Ṭâher b. Ḥasan b. Musà al-Ṭarsusi. Berlin, Staatsbibliothek Preussischer Kulturbesitz, ms. or. 31180 ; illustrations de Gol- Mohammad, Mohammad Moqim, Mollâ Behzâd et Salim45. 4. Divân (ou Khamsa ?) de Khwâju Kermâni, ancienne collection F. Sarre, actuellement non-localisé46 ; illustrations de Mohammad Moqim, Mohammad Amin et Mollâ Behzâd. 5. Khamsa de Neẓâmi, datée 1037/1628 ; copistes : ‘Abdallâh b. Ṭâher et Mohammad Bokhâri ; vingt peintures dont 17 signées par Mollâ Behzâd47. 6. Khamsa de Neẓâmi, 1668-1671, Chester Beatty Library, Dublin, n° 27648 ; superviseur : ‘Abd al-Raḥmân Ketâbdâr ; calligraphes Mollâ Barqi et Mollâ ‘Arab-Shâh ; illustrations ‘Avaż Moḥammad, Mohammad Amin, Moḥammad Moqim, Mollâ Behzâd. 7. Majâles al-‘oshshâq, Boukhara, c. 1645-49. Manuscrit dispersé ; neuf illustrations dont trois signées Farhad. 8. Shâh-nâma de Ferdowsi, copié pour Ish-Moḥammad de Khiva en 1556-7, illustré à la fin XVIe-début XVIIe par Mohammad Morâd Samarqandi49. 9. Shâh-nâma de Ferdowsi (étendu avec Farâmarz, Bahman et Narimân-nâma), Boukhara, 1650-60, ancienne collection O. Homberg ; 85 peintures dispersées, dont certaines signées Moqim ou Salim50. 10. Shâh-nâma de Ferdowsi, 1664, Institut d’Orientalisme de Tachkent, n° 3463 ; nombreuses illustrations dont l’une signée Mohammad Moqim51. 11. Ẓafar-nâma de Yazdi, Samarcande, 1628, Institut d’Orientalisme de Tachkent, ms. 4472 ; illustrations de Morâd ( ?).

NOTES

1. O. F. Akimushkin et A. A. Ivanov, « Une école artistique méconnue : Boxârâ au XVII e siècle. Notes sur les calligraphes et les peintres de la Bibliothèque des Ashtarxânides d’après Moḥammad-Amin Boxâri », dans Art et société dans le monde iranien, C. Adle (éd.), Paris, 1982, p. 127-139. 2. Outre l’article d’Akimushkin et Ivanov, d’autres publications traitent de la peinture de Boukhara à cette époque, dont O. I. Galerkina, « Sredneaziatsko-indijskie svjazi v miniatjure XVI- nachale XVII vv. », Kul’tura i iskusstvo narodov Srednej Azii v drevnosti i srednevekov’e, Moscou, 1979, p. 105-191 ; G. Pugachenkova et O. Galerkina, Miniatjury Srednej Azii v izbrannyh obrazcah, iz sovetskih i zarubežnyh sobranij, Moscou, 1979. Voir aussi l’article de B. Schmitz, « The Bukharan school of miniature painting », Encyclopædia Iranica, art. « Bukhârâ », VI, p. 527-530.

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3. D’après l’empereur Babour, l’auteur de ce texte serait Kamâl al-din Ḥoseyn Gâzorgâhi et non Solṭân Ḥoseyn. Le Moghol ne semble d’ailleurs pas goûter ce genre de littérature ; voir Bâbur- nâma, Memoirs of Bâbur, trad. A. S. Beveridge, Delhi, 1989 (éd. originale : Londres, 1905), vol. I, p. 281. La traductrice signale en outre (n. 2) que « Khwând-amir’s authority can be added to Bâbur’s ». 4. Mes Ader, Picard, Tajan, expert A.-M. Kevorkian, Paris, vente du 11/05/82, n° 20-24. 5. Mes Daussy-Ricqlès, experts J. Soustiel et M.-C. David, Paris, Drouot, vente du 26/02/90, n° 67 A- B-C. 6. Me Boisgirard, expert A.-M. Kevorkian, Paris, Drouot, vente du 13/02/91, n° 174-175. 7. A. Soudavar, Art of the Persian Courts, New York, 1992, p. 220-221. 8. Chester Beatty Library, ms Pers. 274, fol. 142b ; reproduit dans Pugachenkova et Galerkina, Miniatjury, p. 154. 9. Me F. de Ricqlès, experts J. Soustiel et M.-C. David, Paris, Drouot, vente du 7/04/93, n° 88. 10. Mes Laurin, Guilloux, Buffetaud ; experts J. Soustiel et M.-C. David, Paris, Drouot, vente du 01/07/96, n° 8. 11. Voir le catalogue de vente du 26/02/90 déjà cité, ainsi que toutes les parutions suivantes : vente du 13/02/91, Soudavar, Art, et ventes du 7/04/93 et 01/07/96. 12. Voir par exemple : Boukhara ( ?), 1606, IO Tachkent, ms 3476, copiste Mir Ṣâleḥ ; Boukhara, fin XVIIe s., IO Tachkent, ms 65. Signalons ici l’ouvrage de A. M. Ismailova, Oriental miniatures of Abu Raihon Beruni Institute of Orientology of the UzSSR Academy of Sciences, Tachkent, 1980, dans lequel on trouvera des reproductions des manuscrits conservés dans cette bibliothèque (dont le nom est abrégé ici en IO Tachkent). 13. Saint-Pétersbourg, Bibliothèque Saltykov-Shchedrin, NPS 66. On trouvera les reproductions des illustrations mentionnées ici notamment dans F. Suleimanova, Miniatures illuminations of Nisami’s « Hamsah », Tachkent, 1985. 14. Voir la reproduction dans G. A. Pugachenkova et L. I. Rempel’, Vydajushchiesja pamjatniki arhitektury Uzbekistana, Tachkent, 1958, fig. 57. Les divers décors de la madrasa de ‘Abd al-‘Aziz Khan mériteraient d’ailleurs une étude plus approfondie, aussi bien pour ce qui est des peintures murales que pour les céramiques. Une inscription dans l’oratoire, sous deux cartouches calligraphiques très effacés, se lit « Râqema Ostâd Najaf Qoli ... (Daruni ?) » ; s’agit-il d’un peintre ou d’un calligraphe ? Le bouquet en mosaïque de céramique ornant le panneau sur la façade à droite de l’entrée porte le nom « Ḥâjji Moḥammad Amin ». S’agit-il du peintre mentionné par Akimushkin et Ivanov, « Une école artistique », p. 137 et n. 38 ? Mohammad Yusof Monshi mentionne cette madrasa (renseignement transmis par Audrey Burton) ; il serait intéressant de vérifier si cet auteur signale les artistes qui y ont travaillé. 15. Soudavar (Art, p. 221) identifie d’ailleurs ce jeune homme à ‘Abd al-‘Aziz lui-même. Audrey Burton, que je remercie ici pour ces renseignements, me signale que d’après Mahmud b. Vali, ‘Abd al-‘Aziz est né en 1023-4/1614-15. Il aurait donc près de 35 ans en 1649 ; on imagine mal un homme de cet âge représenté sans barbe. Le « portrait » de ‘Abd al-‘Aziz ne serait-il pas plutôt à voir dans le Bahram des de la Khamsa de 1648 (voir fol. 151a notamment) ? 16. Voir notamment « La dame et le banquier », illustration d’une Khamsa d’Amir Khosrow attribuée à Behzad, Hérat 1485 (Dublin, Chester Beatty Library, ms 163). 17. National Museum, New-Delhi, Acc. n° 50.356. Reproduit dans L. Ashton (éd.), The Art of India and , Londres, 1947, pl. 118. 18. Manuscrit copié par Khamdani pour Ish-Mohammad de Khiva, IO Tachkent, ms 1811. 19. Voir par ex. le Ẓafar-nâma de 1628-29, IO Tachkent, ms 4472 ou certaines illustrations du Bustân copié en 1525 et illustré au début du XVIIe s. (Dublin, Chester Beatty Library, p. 297), notamment « Sa’di visite un temple indien », par Morad. 20. Voir par exemple la Khamsa de 1648, fol. 151 ou 166. 21. « Bârbad joue devant Khosrow », Shâh-nâma daté 1664, IO Tachkent, ms 3463, fol. 508a.

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22. Soudavar, Art, p. 221. 23. IO Tachkent, ms 65, déjà mentionné en note 12. 24. Voir note 1. 25. Cité par Mohammad Amin ; cf. Akimushkin et Ivanov, « Une école artistique », p. 136-137. 26. Sotheby, 1/12/1969, n° 156 ; Akimushkin et Ivanov, « Une école artistique », p. 137. 27. Akimushkin et Ivanov, « Une école artistique », p. 138. 28. Ibid., p. 137. 29. Voir notre note 14. Akimushkin et Ivanov, « Une école artistique », p. 137 n. 38, signalent que G. A. Pugachenkova a attribué à Mohammad Amin « sans aucun fondement, l’inscription de la madrese de ‘Abd al-‘Aziz Khan (« Neizvestnye sredneaziatskie miniatjury », p. 314) ». L’inscription sous les bouquets de la madrasa est une simple signature, non une véritable « calligraphie ». Les deux savants ajoutent : « au moins trois calligraphes du nom de Mohammad Amin ont travaillé en Transoxiane et en Iran à cette époque ». J’avais d’ailleurs déjà soulevé le problème de ces Mohammad Amin homonymes dans un tout autre cadre (Y. Porter, Peinture et arts du livre, Paris-Téhéran, 1992, p. 52). Il est probable qu’il s’agisse ici d’un autre Mohammad Amin, sans rapport avec les précédents. 30. Reproduit dans Pugachenkova et Galerkina, Miniatjury, p. 168, fig. 56. 31. Akimushkin et Ivanov, « Une école artistique », p. 132, 136. 32. Les mêmes signalent une page (datée 1036/1626-7) vendue chez Sotheby (Londres), 13/12/1972, n° 188 ; une autre, Sotheby 6/07/64, n° 22 et une page à la Chester Beatty Library de Dublin, Ac. n° 693 (ibid.). 33. Pugachenkova et Galerkina, Miniatjury, p. 188, fig. 66. 34. L’une d’elles reproduite dans Pugachenkova et Galerkina, Miniatjury, p. 194, fig. 69. 35. Bibliothèque de Saint-Pétersbourg (Dorn 489). Pugachenkova et Galerkina, Miniatjury, p. 166, fig. 55 ; bien que la peinture, comme l’album dont elle est issue, dénote un style fortement indianisé, la nisba de son auteur autoriserait son insertion dans cette liste. On peut rajouter d’autres pages à celle-ci, voir notamment F. Richard et A. Okada, À la cour du Grand Moghol, Paris, 1986, p. 38-39, n° 12. 36. Reproduit dans Pugachenkova et Galerkina, Miniatjury, p. 170, fig. 57. 37. Reproduits respectivement dans Arabesques et jardins de paradis, Paris, 1989, n° 171 et dans G. Lowry et S. Nemazee, A Jeweller’s eye : Islamic Arts of the book in the Vever collection, Washington, 1988, n° 67. 38. Mentionné par Mohammad Amin, voir Akimushkin et Ivanov, « Une école artistique », p. 134, 137. 39. L’une d’elles (f. 57) reproduite dans Pugachenkova et Galerkina, Miniatjury, p. 192, fig. 68. 40. Voir note 37. 41. L’une reproduite dans Galerkina, « Srednieaziatsko-indijskie svjazi », p. 189, ill. 61 ; l’autre dans D. James, Islamic Masterpieces of the Chester Beatty Library, Londres, 1981, p. 24, n° 29. 42. Galerkina, « Srednieaziatsko-indijskie svjazi », p. 109 ; voir aussi Akimushkin et Ivanov, « Une école artistique », p. 136 n. 30, qui contestent cette attribution. 43. Sotheby, 27/03/1973, n° 228 ; Akimushkin et Ivanov, « Une école artistique », p. 138 ; ne s’agit-il pas d’une page du Shâh-nâma « Homberg » ? (n° 9 ; voir aussi notre note 50). 44. James, Islamic Masterpieces, p. 24. 45. Voir I. Stchoukine, B. Flemming, P. Luft et H. Sohrweide, Illuminierte islamische Handschriften, Wiesbaden, 1971, p. 179-185, n° 66 ; Akimushkin et Ivanov, « Une école artistique », p. 136 et n. 27. 46. Akimushkin et Ivanov, « Une école artistique », p. 136 n. 28, signalent cinq photographies de ce manuscrit conservées à l’Islamisches Museum de Berlin. 47. Sotheby, 5/07/1965, n° 177 ; Akimushkin et Ivanov, « Une école artistique », p. 137. 48. A.J. Arberry et al., The Chester Beatty Library. A Catalogue of Persian Manuscripts and Miniatures, Dublin 1959-62, vol. III, p. 48, n° 276.

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49. IO Tachkent, ms 1811. 50. Le descriptif du manuscrit se trouve dans le catalogue de la vente Homberg (Paris 1931) n° 93, pl. XLII-XLIV. Des apparitions ultérieures de ces pages figurent dans les catalogues des ventes suivantes : Sotheby, Londres, 27/03/73 n° 228 ; Soustiel-David, Miniatures orientales de l’Inde – 2, Paris, 1974, n° 33 à 38 ; Soustiel-David, (Paris, Drouot) 22/03/96 n° 99. 51. Voir Akimushkin et Ivanov, « Une école artistique », p. 136 n. 24.

AUTEUR

YVES PORTER Université de Provence, Aix-en-Provence, France

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La mémoire

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À propos de Fazlallah b. Ruzbehan Khonji Esfahani et du mausolée d’Ahmad Yasavi

Michele Bernardini

1. Encore sur Khonji

1 La personnalité de Fazlallah b. Ruzbehan Khonji Esfahani en tant qu’historien a suscité un intérêt considérable parmi les chercheurs contemporains qui se sont consacrés essentiellement à son ‘Âlam-ârâ-ye Amini1. C’est une autre œuvre, le Mehmân-nâma-ye Bokhârâ, écrite sous le règne de Mohammad Sheybani et terminée en 1509, qui constitue le sujet principal de notre étude. Outre quelques citations éparses, elle a été jusqu’à présent l’objet de deux éditions critiques et de traductions accompagnées de riches introductions et commentaires2.

2 Environ vingt ans après les travaux d’Ott et de Džalilova, et plus de trente après l’édition de Sotuda, le Mehmân-nâma-ye Bokhârâ offre encore différents sujets d’intérêt : le présent travail se consacre à une partie limitée du texte, la visite de l’auteur au sanctuaire d’Ahmad Yasavi à Yasi (Turkestan, dans l’actuel Kazakhstan), en mars et avril 1509. L’épisode autorise différentes approches : d’abord le style littéraire, qui nous renseigne sur une attitude culturelle au-delà de l’aspect purement formel. En deuxième lieu, nous reviendrons sur le culte d’Ahmad Yasavi à l’époque sheybanide et sur ses rapports avec le culte inauguré par Timour, premier « restaurateur » matériel et spirituel du sanctuaire : le texte de Khonji apporte des informations importantes sur le complexe architectural et les phases de son développement sheybanide. On cherchera aussi à déceler les emprunts linguistiques et littéraires de Khonji à l’œuvre du cheikh de Yasi.

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2. La visite à Yasi

3 Dans le récit des événements liés à la guerre contre les Kazaks, apparente raison d’être de cette œuvre, Khonji va d’Arquq3 à Yasi en tant qu’envoyé officiel chargé d’annoncer l’arrivée de Mohammad Khan Sheybani. Le voyage se révèle très difficile et fatigant et Khonji tombe malade4. L’auteur fait précéder la description de son arrivée à Yasi par celle de son départ de la ville de Sighnaq5 alors qu’il souffre d’un violent accès de fièvre6.

4 De Sighnaq l’auteur arrive à Sabram (Ṣabrâm, Ṣawrân)7, une ville au nord de Yasi. Dans un il montre qu’il connaît le rapport entre ce lieu et Ahmad Yasavi, qui y serait né, selon la majeure partie des sources. Le samedi (shanba) 4 ẕu’l-ḥejja 915, c’est-à-dire le 26 mars 1509, l’auteur et ses compagnons décident finalement d’entreprendre la visite du sanctuaire consacré au Khwaja.

5 La description commence par un éloge du site que l’auteur compare aux principaux sanctuaires islamiques. Sous une apparence conventionnelle, cet éloge cache à notre avis des intentions politicoreligieuses très significatives sur lesquelles nous allons revenir : le mausolée et ses annexes deviennent « une Ka’ba pour les ascètes » et une qibla pour les martyrs, enfin le sanctuaire est un beyt al-moqaddas, allusion à Jérusalem. Khonji, trop faible, ne peut y accéder que sur une litière installée sur un chameau (kojâva).

6 La visite impose la récitation de versets coraniques et Khonji s’aperçoit très vite du « bénéfice intérieur » que ce séjour apporte. Khonji consacre aussi un développement à la récitation intégrale du Coran et s’entretient avec le Sheykh Shams al-Din Mohammad, un descendant d’Ahmad Yasavi. Assistent à ces réunions les grands du Turkestan, les oulémas (‘olamâ) et les mouftis, mais aussi des nomades et des pratiquants du samâ’ qui tous posent des questions sur les traditions (ḥadis).

7 Après être resté un certain temps au sanctuaire, Khonji s’aperçoit qu’il est en train de guérir, « grâce aux bénéfices du lieu ». C’est à ce moment-là qu’il peut examiner des livres parmi lesquels une œuvre du Khwaja de Yasi. Ce texte, rédigé en turc, comporte des mises au point sur le taṣavvof et sur d’autres questions relatives à la mystique. Dans d’autres versets, Khonji exalte le sanctuaire dont il fait une Ka’ba pour les mystiques.

8 La description de Yasi est très intéressante parce qu’elle souligne la position centrale de la ville dans le territoire du Turkestan, puisqu’elle y est takht, ce qui peut aussi signifier capitale. Mais la ville est également à la limite des domaines ouzbeks sur la route qui va d’Andijan au Khatay (la Chine), et par Yasi passent de nombreuses marchandises, car c’est un important nœud commercial.

9 L’édifice du mausolée est mis au nombre des raretés architecturales du monde habité, et parmi « les merveilleuses oeuvres des fils d’Adam ». Khonji s’appuie ainsi sur des parallèles architecturaux : la coupole est comparée aux pyramides d’Egypte ; les fondations, à celles de la forteresse de Ghomdan8 ; l’édifice entier « éparpille la pierre des sanctuaires saints » (ḥaramân) sur le Sadir et le Khavarnaq9. L’auteur analyse les détails architecturaux en commençant par sa plate-forme (ṣoffa) qui s’élance à l’horizon. Sa voûte (ṭâq), à l’intérieur de laquelle ont été disposés des moqarnas, fait l’objet d’une allusion astrale conventionnelle à propos de son portail (eyvân), mis en relation avec le charkh-e nilgun, le « firmament indigo », avec une référence aux décorations en céramiques émaillées. Quant à la cour de la khânaqâh de l’édifice,

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semblable à l’Éden, elle fait écho au mi’râj et son bassin central, sans doute le célèbre bassin de bronze, est appelé ṭâs-e bâlu’at et représente la citerne du Kowsar.

10 Ainsi Khonji, après avoir pratiqué différents ẕekr et réunions d’études avec d’autres savants, se dispose à attendre Mohammad Sheybani Khan, qui doit bientôt passer par la ville.

11 Le souverain arrive à Sighnaq le jour de l’ ‘eyd-e Ażḥâ, et le lendemain il lève le camp de cette ville pour arriver à Sabram et enfin à Yasi. Il la rejoint le 15 ẕu’l-ḥejja et fait fermer la zone sacrée du sanctuaire du Khwaja de Yasi, où l’on exécute le ṭavâf (déambulation rituelle) autour de cette « Ka’ba ». À l’extérieur de la coupole du sanctuaire (qobba-ye mazâr) se tient la séance à laquelle participent les ḥoffâz qui font des lectures du Coran et les préposés au sanctuaire apportent des mets délicieux. Encore malade, Khonji s’adresse au Khan dans un ghazal, où le souverain apparaît comme celui qui l’a guéri. Mohammad Sheybani s’informe alors de la santé du lettré qui lui répond par des vers de Sa’di.

12 Khonji expose les avantages qu’il y a à visiter le sanctuaire : une des personnes présentes connaît beaucoup d’histoires et raconte une anecdote attribuée au Khwaja de Yasi selon laquelle tout lion qui vient au sanctuaire devient renard et inversement. Pour le conteur, la morale de cette parabole est la suivante : si l’on vient au pèlerinage avec pompe et grandeur et si l’on se montre aussi hautain qu’un lion, on sera anéanti par le pouvoir du Khwaja et on ne vaudra pas mieux qu’un renard prenant la fuite. Par contre, si on se présente comme un faible renard qui s’approche soumis et humble, le Khwaja transformera l’individu en lion et sera content de la visite rendue. S’adressant à Khonji, l’homme lui dit qu’il a bien raison de se réjouir de s’être approché du sanctuaire alors qu’il était malade, car ainsi il a abandonné toute trace d’orgueil. Khonji répond : « Oui, et la preuve en est que j’ai fait le voyage pour voir son excellence le Khan et, sous son aile protectrice et à son ombre, je me suis transformé en lion ».

13 Khonji se livre alors à un petit excursus historique à propos du site, qu’il présente comme s’il s’agissait de témoignages locaux. Ainsi Timour, l’émir chaghatay, est évoqué comme l’édificateur du sanctuaire et Khonji rappelle que le théologue et grammarien Jorjani a étudié et enseigné en ce lieu. L’entretien de l’édifice et celui des étudiants sont encore assurés par les vaqf et par l’aumône royale. Des dispositions analogues permettent d’aider les élèves et les étudiants de Sabram et d’autres centres du Turkestan.

14 Khonji décrit la construction d’une grande mosquée par le Khan dans la ville de Yasi. Le début de cette partie du texte est truffé de citations relatives aux bénéfices religieux qui, à ce que rapportent les traditions, dérivent de la construction de mosquées. Il reprend le parallèle avec le beyt al-aqṣâ (Jérusalem) dont la mosquée imiterait l’aspect : en fait, d’après les descriptions, elle se caractérise par des nefs (ṣofuf) qui rappellent celles des temples des dévots (=les lieux saints). Le parallélisme avec la mosquée d’al- Aqsa est repris dans des vers sur lesquels nous allons revenir.

15 Enfin dès que les devoirs du pèlerinage ont été remplis et rendue une visite à la mère du prince Mohammad Timur Soltan, ensevelie non loin du Khwaja, le cortège impérial s’apprête à repartir. Après un autre banquet offert par Kujam Soltan, tout le cortège traverse le Seyhun (le Syr-Darya) en passant par Arquq. Ainsi se termine la partie consacrée à Ahmad Yasavi et à Yasi.

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3. Tendances littéraires

16 Si l’on veut parler du Mehmân-nâma-ye Bokhârâ, il faut tout d’abord en noter la nature, qui constitue, comme Haarmann l’a justement dit, un défi à toute tentative de classement10 : nourrie de souvenirs personnels et en même temps sorte d’histoire officielle, l’œuvre est souvent traversée de notations intimes qui en font un véritable journal. Comme on l’a vu, la succession des événements est très rapide et les faits personnels se mêlent aux événements historiques. Mais ici ou là apparaissent aussi, savamment disposées, des expressions purement littéraires comme les doxologies (par exemple le portrait de Mohammad – na’t)11, ou encore des dissertations théologiques qui introduisent un vocabulaire technique parfois très complexe. Ailleurs dans le texte, des descriptions, comme celle de la monture du khan12, illustrent à merveille cet esprit de création littéraire dont Farrokhi nous a laissé un très ancien et célèbre témoignage dans sa qaṣida pour le dâghgâh d’un gouverneur ghaznavide. On peut trouver des brefs ḥekâyat anecdotiques, tels que ceux dédiés à Khosrow Anushirvan13 ou à Mo’aviva14, ou encore des descriptions de la nature comme celle du Seyhun glacé ou du passage de la nuit au jour et vice-versa, qui peuvent occuper des petits chapitres souvent avec des insertions en forme de masnavi15.

17 C’est aussi à cette tendance littéraire que doit être rattachée la célébration même du souverain qui, par certains côtés, reflète des figures de style typiques de toute l’historiographie post-mongole, bien que moins conditionnée que ces œuvres par l’esprit de célébration16. De ce point de vue, on peut dire que la propagande a joué un rôle important, fait apparemment secondaire, mais qui ne l’est point si on considère que l’œuvre de Khonji doit se lire avec une clé comme un ouvrage anti-safavide, utilisant les mêmes instruments que les ennemis haïs17. L’auteur, d’autre part, a décrit clairement sa conception historiographique en laissant un témoignage d’importance extrême dans l’ ‘Âlam-ârâ-ye Amini, qui énumère les modèles et les finalités des œuvres d’histoire18. La référence à la nécessité « d’éclipser » le modèle incarné par Joveyni, faite ailleurs par Khonji, constitue un autre indice très clair sur les contraintes historiographiques de son époque19.

18 Pour en rester au polygraphe, je pense qu’il est possible de déceler aussi une recherche philologique de Khonji à propos de la parabole d’Ahmad Yasavi sur le renard et le lion : il pourrait s’agir d’une citation textuelle, peut-être liée à un quatrain ou à une série de quatrains, genre dans lequel sont composés les vers du Divân-e ḥikmet. Une citation semble déjà présente dans le Manṭeq al-ṭayr de ‘Attar, et même si elle a été attribuée par erreur à Termezi, il nous paraît beaucoup plus vraisemblable de la ranger parmi les quatrains disparus d’un Divân yasavien – comme l’a supposé Köprülü qui identifia Ahmad Yasavi avec le pir-e Torkestân de ‘Attar20. Köprülü fut d’autre part un des premiers à comprendre l’importance de Khonji en tant que source primaire sur Ahmad Yasavi. Si les recherches récentes sur le Khwaja de Yasi arrivent à des conclusions nouvelles à propos de ce personnage21, il n’existe toutefois pas encore, que nous sachions, d’édition moderne systématique des matériaux manuscrits du Divân. Dans cet ensemble modeste de preuves, la citation de Khonji, même brève, constitue un exemple important chronologiquement et un pont avec des citations similaires plus anciennes, telle que celle faite par ‘Attar. Khonji nous parle d’une autre œuvre littéraire du Khwaja, qui serait un traité sur le taṣavvof écrit en turc (Khonji nous dit qu’il ne le connaissait pas avant). Bien que très succinct dans sa description du texte – nous

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n’avons qu’une indication sommaire du contenu qui pourrait permettre de reconstituer le titre –, Khonji apporte une nouvelle preuve de sa valeur comme source, particulièrement en révélant l’existence d’une œuvre théorique d’Ahmad Yasavi, information supplémentaire elle aussi examinée attentivement par Köprülü22. Toutefois l’un des aspects les plus intéressants de cette notation se rapporte à l’existence d’un texte « théorique » de la part d’Ahmad Yasavi, en turc qui plus est, un turc qu’on pourrait présumer archaïque comme le reste de l’œuvre. Il est curieux que Nava’i, qui mentionne Ahmad Yasavi dans sa traduction du Nafaḥât al-ons de Jami23, ne cite pas d’œuvres littéraires de cet auteur dans son Moḥakamat al-loghatayn24. Mais nous allons revenir sur les questions de langage25.

4. La Ka’ba des Turcs

19 Intéressons-nous maintenant à une autre partie, très importante, de l’extrait de Khonji : la description du monument funéraire d’Ahmad Yasavi (Fig. 1, Pl. couleur IV). Il faudra distinguer entre différents aspects qui se croisent dans le texte. Premièrement, il est possible qu’une grande partie de la description soit fort convenue et donc que les images utilisées par l’auteur proviennent d’un répertoire assez stéréotypé. Mais celles relatives aux lieux saints d’Arabie ou à Jérusalem nous semblent moins banales. Par exemple, la citation du palais de Ghomdan en parallèle avec l’édifice de Yasi semble bien se ressentir de la grande polémique qui, à cette époque encore, portait sur le rôle de Jérusalem en tant que ville sainte. Une polémique qui avait différentes raisons de renaître alors dans l’islam mamelouk et ottoman, en liaison avec la consécration ultérieure de Jérusalem en tant que lieu saint, qui interviendra sous Selim et Soleyman26. Plus loin dans le texte, à l’arrivée du Khan pendant l’ ‘eyd-e ażḥâ, le sanctuaire constituera pour les pèlerins la Ka’ba autour de laquelle se pratique la déambulation rituelle (ṭavâf). Le complexe est décrit ailleurs dans le Mehmân-nâma sous le nom de Ka’ba du Turkestan (ân mazâr-e motabarrak be-mosâba-ye Ka’ba-ye Torkestân)27.

20 La description de la mosquée congrégationnelle construite sur l’ordre du Khan sheybanide est d’un extrême intérêt, bien qu’il ne reste apparemment plus de trace certaine de cet édifice. Il semble important d’analyser cette mosquée qui, d’après le texte, est érigée sur l’ordre de Mohammad Sheybani Khan. Celle-ci, curieusement, a été négligée dans toutes sortes de travaux archéologiques et historicoartistiques qui parlent pourtant des restaurations faites par ‘Obeydallah Khan28. Une visite au site de Turkestan m’a permis d’observer un édifice aujourd’hui entièrement reconstruit et utilisé comme musée, situé à l’ouest du complexe monumental, et caractérisé par un plan hypostyle avec douze colonnes en bois qui remplaceraient celles d’un précédent édifice, détruites lors d’un incendie récent. Au centre de l’édifice se trouve une coupole, elle aussi en bois, reprenant probablement la forme du précédent complexe. À l’intérieur du musée actuel une maquette en bois, figurant le vieux complexe, montre clairement qu’il était destiné à l’origine à servir de mosquée (Fig. 2, Pl. couleur IV). La référence à une mosquée de type hypostyle dans le texte laisserait supposer qu’il s’agit d’une survivance du vieil édifice commandé par Mohammad Sheybani Khan.

21 Khonji est naturellement conscient du fait que le mausolée a été érigé par Timour et il le précise en relatant une tradition locale qu’il recueille sur place, même si la version de l’érection du monument donnée par Yazdi était certainement connue de l’auteur29. D’autres sources avaient donné à ce sujet une indication parfois identique au récit de

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Yazdi, comme Mirkhwand, qui nous apprend également qu’on utilisait des instruments de musique et confirme la fonction particulière de l’édifice qui accueillait des cultes pratiqués par les femmes30. Toutefois il y avait aussi des versions assez différentes comme celle du Târikh-nâma de Taj al-Salmani, importante pour les données épigraphiques qu’elle offre et elle aussi négligée par les chercheurs qui se sont intéressés à l’édifice31. Plus tard, Khwandamir32 ne consacre que peu de mots à cette construction (toutefois il fait référence à la présence de Mohammad Khan Sheybani à Yasi)33, ce qui nous fait penser à une sorte de damnatio memoriœ, surtout dans les sources safavides, à propos du sanctuaire, qui soulignerait plus encore le caractère politique du choix sheybanide de ce lieu comme lieu de pèlerinage, « Ka’ba » pour les soufis mais surtout pour les turcophones de l’Asie centrale.

22 Le fait que Khonji ait éprouvé le besoin de souligner en vers l’analogie entre la mosquée de Sheybani Khan à Yasi et celle d’al-Aqsa semble confirmer qu’à l’époque de Khonji un centre de pèlerinage spécifique pour le domaine sheybanide s’était établi en se fondant sur ce modèle célébré : gar to guyi ka masjed-e Aqṣâ-st chun dar aqṣâ-ye ‘âlam-ast be-jâ-st « Si tu dis que c’est la Mosquée lointaine (Aqṣâ) Si elle est à l’extrémité du Monde (aqṣâ), elle est à sa place ».

23 Le jeu de mots entre Masjed-e Aqṣâ et aqṣâ-ye ‘âlam, l’« extrémité du monde », impose encore une réflexion sur Yasi.

5. Les raisons politiques

24 Il est assez clair que le témoignage de Khonji correspond à une intention politique. Dans son activité de conseiller de Mohammad Khan Sheybani, qui se révélera maladroite, la haine anti-safavide, en particulier contre Esma’il Ier, joua un rôle non négligeable qui entraîna la mort du souverain ouzbek. Peut-on affirmer que cette activité anti-safavide révélait un parti-pris philo-ottoman ? Les lettres en persan et en chaghatay adressées par Khonji au sultan Selim, dont l’une est mentionnée par Browne34 qui l’a extraite des Münshe’at de Feridun35, pourraient en fournir une preuve : dans la lettre en persan est énoncé le souhait que le nouvel ẕu’l-qarneyn (Selim) puisse réunir dans un seul royaume la Perse et Roum après avoir massacré jusqu’au dernier qïzïl börk, « bonnet rouge »36. Mais on pourrait aussi émettre l’hypothèse d’une participation directe de Khonji à un dessein politique plus vaste, comme celui de limiter la puissance économique safavide, ce qui a été déjà étudié par les chercheurs sous d’autres aspects37, un dessein qui devait prendre en considération, comme il ressort du Mehmân-nâma, la réévaluation d’un lieu saint tel que Yasi, surtout pour sa position stratégique d’un point de vue commercial. En ce sens aussi, le parallèle entre Jérusalem et Yasi ne doit pas être négligé et pourrait bien représenter un sujet d’étude à soi seul.

25 Ce qui peut surprendre davantage, c’est le choix de Yasi comme capitale spirituelle du monde sheybanide, sinon de l’Asie centrale entière, de la part d’un théologien érudit tel que Khonji. Mais ce fait n’étonne que si, encore une fois, l’on ne tient pas compte de la profonde signification politique de ce choix : premièrement, l’influence de plus en plus forte des cheikhs turcs (mashâyekh-e tork) dans tout le Turkestan et dans la région de Tachkent remontait à l’époque timouride38. Mais si la fondation du mausolée à l’époque de Timour n’a pas la signification qu’elle prendra plus tard, au temps de Khonji le choix

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semble dévoiler bien d’autres aspects significatifs. En premier lieu, il faut souligner que le yasavisme avait déjà connu un grand succès dans les milieux soufis occidentaux tels que ceux d’Anatolie où son influence sur des personnalités comme Yunus Emre ou Haci Bektaṣ semble très importante39. Une influence qui, d’autre part, se répand à l’est de la Transoxiane jusqu’à apparaître dans le Xinjiang déjà au XVIe siècle40.

26 D’un autre côté, comme on l’a dit, en Iran, le yasavisme subit une sorte de censure qui peut s’expliquer par la connotation ethno-linguistique exclusivement turque et centre- asiatique que le mouvement se donne. Un trait que Khonji semble interpréter avec intelligence : le volume en turc trouvé dans le sanctuaire est curieusement proche des centres d’intérêt théologiques de Khonji plutôt que de la littérature soufie illustrée par les brèves métaphores dont on a parlé, et il est encore plus du Divân-e ḥikmet, tel que nous le connaissons, émotionnellement très intense, mais très pauvre du point de vue de la théologie spéculative41. Enfin le parallèle avec les lieux saints, l’utilisation du sanctuaire pendant le mois du pèlerinage et les différentes manifestations qui s’y déroulent, y compris la fermeture de la zone sacrée, correspondent à une consécration de ce sanctuaire-là comme alternative au pèlerinage majeur. Une consécration qui inclut l’adoption de rites et de cultes étrangers au caractère religieux original de Khonji42.

27 Ceci juste avant la prise et la reconsécration de Jérusalem par Selim : une consécration qui exploitait des coutumes populaires telles que le ṭavâf dans le ḥaram, déjà présent au cours des siècles précédents, et qui, comme nous le dit Perlmann, devait encore exister au XVIIe siècle, malgré une forte opposition des plus orthodoxes 43. Un ṭavâf qui sera raconté sans problèmes par Khonji, « Ghazzali de l’Asie centrale », se référant à son maître Mohammad Sheybani, autour du mausolée d’Ahmad Yasavi. En ce sens, Khonji nous paraît être un maître de l’art politique, parfaitement lucide sur son époque, que Jean Aubin a très clairement caractérisée dans ses Etudes safavides III : « Entre l’ordre gengiskhanide et l’ordre safavide, le pouvoir en Iran se défait. Ni à l’est dans une principauté timouride qui s’effondre d’elle-même, ni à l’ouest, pour les dynasties turkmènes minées par le tribalisme, la référence à des valeurs fondatrices, que ce soient celles, usées, de la tradition turco-mongole, ou celles, détournées de leur sens, de l’islam, ne fonde une légitimité dynamique44 ».

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Fig. 1 : Turkestan/Yasi, mausolée d’Ahmad Yasavi.

cliché de l’auteur

Fig. 2 : Turkestan/Yasi, maquette du complexe originel.

cliché de l’auteur

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NOTES

1. Le Târikh-e ‘Âlam-ârâ-ye Amini a été l’objet d’un travail préliminaire de V. Minorsky, Persia in A.D. 1478-1490 : an abriged translation of Fāḍlullāh b. Rūzbihān Khunjī’s Tārīkh-i ‘ālam-ārā-yi Amīnī, Londres, 1957 ; récemment il a été réédité par J.E. Woods, Faḍlullāh b. Rūzbihān Khunjī-Iṣfahānī, Tārīkh-i ‘ālam-ārā-yi Amīnī, ed. J.E. Woods, Londres, 1992 (Royal Asiatic Society, Turkmenica 12). Ce chercheur avait déjà utilisé l’œuvre de Khonji dans sa recherche sur les Aq Qoyunlu : J.E. Woods, The Aqquyunlu : Clan, Confederation, Empire. A Study in 15th/9tb Century Turco-Iranian Politics, Minneapolis-Chicago, 1976. 2. M. Sotuda a établi en 1962 une édition critique, publiée une deuxième fois en 1976, se sur un corpus de deux manuscrits, l’un provenant de la Bibliothèque publique de Tachkent et l’autre de la Nuru Osmaniye d’Istanbul : on a utilisé ici la dernière édition du texte, Fażlallâh b. Ruzbehân-e Khonji, Mehmân-nâma-ye Bokhârâ, éd. M. Sotuda, Téhéran, 2535 Shâhenshâhi/1976. Le manuscrit de la Nuru Osmaniye avait été déjà signalé par F. Tauer, « Les manuscrits persans historiques des bibliothèques de Stamboul », Archiv Orientální3/3 (1931), p. 481. Au travail de Sotuda s’ajoutent l’édition et la longue introduction et édition en fac-similé de R. Džalilova publiées à Moscou en même temps que la deuxième édition iranienne : Faẓlallāh Ibn Rūzbihān Iṣfahānī [Khonji], Mihmān-nāma-ji Buḫārā, éd. R. Džalilova, Moscou, 1976. Enfin, il faut indiquer la traduction partielle en allemand, elle aussi précédée d’une introduction soignée, réalisée par U. Ott, qui se basait sur le travail de Sotuda, toujours dans les années 1970, Transoxianen und Turkestan zu Beginn des 16. Jahrhunderts. Das Mihmān-nāma-yi Buhārā des Faḍlallāh b. Rūzbihān Ḫunğī, Freiburg-im-Breisgau, 1974. Voir aussi M.A. Sal’e, « Maloizvestnyj istochnik po istorii Uzbekistana ‘Mihmannamei Buḫara’ », Trudy Instituta Vostokovedov 3, Tachkent, 1954, p. 107-118 ; B. S. Ibragimov, « ‘Mehman-nama-i Buhara’ Ibn Ruzbihana kak istochnik », Trudy Instituta Istorii i Etnografii KazSSR 8 (1960), p. 141-157. Nous ne pouvons faire ici qu’un renvoi bibliographique à d’autres recherches publiées sur d’autres œuvres de cet auteur : Mohammad Amin Khonji, « Fażlallâh b. Ruzbehân Khonji », Farhang-e Irân Zamin 4 (1335 Sh/1956), p. 178-179 ; M. Aslam, « Faḍl-ullāh bin Rūzbihān al-Iṣfahānī », Journal of the Asiatic Society of Pakistan 10/2 (1965), p. 121-134 ; Fażlollâh b. Ruzbehân Khonji, Soluk al-moluk, éd. M. Nezâmoddin, Hyderabad, 1386 H/ 1966 ; I. Afshâr, « Resâla-ye nâshenâkhta’i az Fażlollâh Khonji », dans Yâdnâma-ye Irâni-ye Minorsky, Téhéran, 1348 Sh/1969, p. 3-35 ; M. Dâneshpažuh, [Fażlollâh b. Ruzbehân Khonji] « Hidâyat al-taṣdîq ilâ ḥikâyat al-ḥariq », ivi, p. 77-113 ; U. Haarmann, « Staat und Religion in Transoxianen im frühen 16. Jahrhundert », ZDMG 124 (1974), p. 332-69 ; id., « Khundjī », EI2, p. 55-56. Voir aussi E. Glassen, « Schah Ismā’īl I. und die Theologen seiner Zeit », Der Islam 48 (1972), p. 254-68, en particulier, 258 et suiv. 3. Arquq est considérée par l’auteur comme ville-frontière entre Boukhara et le Turkestan. 4. Éd. Sotuda, p. 129-248. 5. Ed. Sotuda, p. 248. Cette ville est décrite dans un autre chapitre de l’œuvre de Khonji, éd. Sotuda, 1976, p. 201-202, où elle est appelée Siqnâq. Déjà Ott, p. 206, n. 1, soulignait la présence du nom sous deux formes (Siqnâq/Sighnâq) dans le texte de Khonji. La ville qui se trouve à deux cents kilomètres environ au nord-ouest de Yasi représente un des points les plus éloignés des frontières ouzbèkes contre les Kazaks et abrite le mausolée de Abu’l-Khayr Khan qui fait l’objet d’une description par Khonji, éd. Sotuda 1976, p. 201. Sous ses deux formes, elle apparaît aussi dans la rivalité entre Timour et Tokhtamish Khan, fréquemment citée par Sharaf al-Din ‘Ali Yazdi, Ẓafar-nâma, éd. M. ‘Abbâsi, 2 vol., Téhéran, 1336 Sh/1957, vol. I, passim, comme capitale des Qipchaq, et par Khwândamir, Ḥabib al-siyar, éd. J. Homây, Téhéran, 1362 Sh/1983-84 (3e éd.), vol. III, 1983, p. 426-428 ; voir aussi G. Le Strange, The Lands of Eastern Caliphate, Cambridge, 1930, p. 486.

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6. Complètement affaibli par les saignées, l’auteur évoque les vers en arabe qui auraient dû être disposés sur son tombeau et nous informe de sa volonté de faire ériger une fontaine, prétexte à une digression sur la construction des fontaines, signe de piété particulièrement méritoire à l’occasion de la mort de quelqu’un. 7. Ed. Sotuda, p. 253. Cette ville aussi apparaît sous une double dénomination. Voir à ce propos Ḥudūd al-‘ālam, ‘The Regions of the World’. A Persian Geography 372 A.H.-982 A.D., trad. et comm. V. Minorsky, Cambridge, 1937 (repr. 1982), p. 306, 358, qui décrit déjà cette ville comme un important centre de commerce (ibid., p. 119). Frontière contre les Ghuzz, déjà Yaqut en avait décrit la citadelle et le château, voir Le Strange, p. 486 ; elle est souvent citée par Yazdi. La ville est décrite par Khonji en tant que centre intellectuel, gouverné par le ṣadr Mowlana Sharaf al-Din ‘Abd al-Rahim, elle devient un lieu d’échanges entre l’auteur et différents savants. La discussion porte sur les Maṣâbeḥ de Baghawi, œuvre « classique » des études « traditionnistes ». Khonji nous offre une description de la ville surtout centrée sur ses beautés naturelles, mais aussi sur ses murailles imprenables qui faisaient obstacle aux incursions des Kazaks. 8. Le parallélisme avec cet édifice yéménite mythique ne semble pas être fortuit et reflète une discussion médiévale sur ce complexe où le temple de Ghomdan est rapproché de celui de Salomon ; ou encore sa fondation est attribuée à des prédécesseurs des Arabes, tels que Sam b. Nuh. Le parallélisme entre Ghomdan et la Ka’ba ou encore la Qubbat al-Sakhra a été étudié par N.N. Khoury, « The Dome of the Rock, the Ka’ba, and Ghumdan : Arab Myths and Umayyad Monuments », Muqarnas 10 (1993), Essays in Honor of Oleg Grabar, p. 57-65. La référence chez Khonji pourrait bien être extrapolée de ces mêmes sources utilisées par Khwândamir, Habib, vol. I, p. 280-282. 9. Dans ce cas aussi, le parallèle reflète une tradition littéraire qui, déjà à l’époque timouride, avait connu un discret succès, voir M. Bernardini, « Aspects littéraires et idéologiques des relations entre aristocratie et architecture à l’époque timouride », dans L. Golombek et M. Subtelny (éd.), Timurid Art and Culture. Iran and Central Asia in the Fifteenth Century, Leiden, 1992, Supplement to Muqarnas 6, p. 36-43. 10. Voir EI2, art. « Khundjī », p. 56. On trouve des jugements analogues dans d’autres livres, depuis les introductions d’Ott, p. 29-30, et de Džalilova, p. 33-39, jusqu’à Sal’e, p. 114. 11. Éd. Sotuda, p. 251-253. 12. Ibid., p. 242. 13. Éd. Sotuda, p. 99-101. 14. Ibid., p. 101-102. Les deux anecdotes citées peuvent être rapprochées d’un répertoire « historique » important qui a joui d’une grande considération dans la littérature persane : Nushirvan « le législateur » est très célébré en littérature, voir C.-H. de Fouchécour, Moralia. Les notions morales dans la littérature persane du IIIe/IXe au VII e/XIIIe siècle, Paris, 1986, p. 38-58. La référence à Mo’aviya se rapporte directement à la Nehâyat de l’Emam Jazari (al-Nihâya fi gharib al- ḥadis ; voir l’index dans Sotuda), certainement Mohammad b. al-Jazari, qui vivait à l’époque de Timour (il mourut en 1429), auteur érudit de différents traités sur le Coran et les ḥadis : voir C. Brockelmann, Geschichte der arabischen Literatur, Weimar, 1898-1902, vol. II, p. 203 ; Supplementbänden, vol. II, Leiden, 1944, p. 277 ; C.A. Storey, . A Bio-Bibliographical Survey, London, 1927, vol. I, p. 40, et EI2, art. « Ibn al-Djazarī ». Cette référence n’est pas rapportée par Ott et Džalilova, même si le texte de Tachkent renferme le passage comme l’atteste le fac- similé (f. 51b), comme dans l’édition de Sotuda. 15. Généralement dédiés au lever du soleil ou à la tombée du soir. Les passages de ce genre se rapprochent eux aussi davantage du genre du masnavi que de la prose historique utilisée par Khonji. Cet aspect a été bien caractérisé par A. M. Piemontese à propos de l’œuvre d’Amir Khosrow Dehlavi : « Gli « Otto Paradisi » di da Dehli. Una lezione persiana del « Libro di Sindbad » fonte del « Peregrinaggio » di Cristoforo Armeno », Atti dell’ Accademia Nazionale dei Lincei (classe di scienze morali, storiche e filologiche), 392, ser. IX, VI, 3 (1995), p.

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354 : « Come telo che si cali e alzi, a funzione d’indicatore plastico di mutazione di scena, l’autore adopera un segnale di pittura verbale. Esso consiste in una ricorrente metafora della transizione tra giorno e notte [...] ». 16. Toutefois elles comportent des exagérations, comme l’attribution du titre de mujaddid (éd. Sotuda, p. 56), ce qui a fait dire à Haarmann, s.v. EI2, qu’elles « dépassent les limites du panégyrique traditionnel ». 17. Dans ce cas aussi, il faut considérer le lien étroit entre ces œuvres et de nombreuses créations littéraires qui, sous forme de masnavi ou en prose, eurent un succès considérable à l’époque et après. Un récent travail de J. Aubin, « Chroniques persanes et relations italiennes. Notes sur les sources narratives du règne de Šâh Esmâ’il Ier », Studia Iranica 24/2 (1995), p. 247-259, qui, entre autres, a souligné le caractère particulier du travail de Khonji, rare « auteur non-khorasanien » de son époque (p. 248), nous offre un bon répertoire de textes encore peu étudiés auquel on doit ajouter une référence au travail de M. Szuppe, Entre Timourides, Uzbeks et Safavides. Questions d’histoire politique et sociale de Hérat dans la première moitié du XVIe siècle, Paris, 1992, pour son chapitre consacré aux « Témoins du changement d’époque », p. 49-60. On peut ajouter que la propagande safavide adopte des instruments littéraires qui, tout en n’étant pas vraiment nouveaux, connaissent à cette époque un succès particulier. Je me réfère à l’utilisation du genre du masnavi avec des finalités de propagande bien précises. En particulier apparaît exemplaire la transposition du traditionnel Eskandar-nâma ou du Shâh-nâma dans des œuvres de célébration des souverains d’autres époques. Sur ce processus qui connaît un essor considérable déjà sous les Timourides, voir H. Massé, art. « Ḥamāsa », dans : EI2(vol. III, p. 116) ; Z. Safâ, « Ḥamasahâ-ye târikhi va dini dar ‘ahd-e Ṣafaviya », Irân-nâma 1/1 (1982), p. 5-21 ; id., Ḥamasa-sarâyi dar Iran, Téhéran, 1334 Sh/1956. Il coïncide avec un processus plus général de réforme dans un sens plus populaire de la khamsa littéraire, qui s’adresse maintenant à un public plus large. C’est ultérieurement, avec Shah Esma’il Ier, que le genre connaît le succès. Dans ce sens, une réaction « littéraire » appropriée devait bien être présente chez Khonji. Je renvoie pour d’autres considérations à mon travail « Due romanzi di Alessandro storicizzati : il Timurnāme di Hātefi e lo Šāhenšāhnāme-ye Esmā’il di Qāsemi Gonābādi », à paraître dans Oriente Moderno, n.s. XV (LXXVI), 2. Il faut aussi souligner la présence d’un genre parallèle dans la littérature ottomane : voir C. Woodhead, « An experiment in official Historiography : the Post of Ṣehnāmeci in the Ottoman Empire c. 1555-1605 », Wiener Zeitschrift fur die Kunde des Morgenlandes 75 (1983), p. 157-182 ; I. Nyitrai, « Rendering History Topical :One aspect of a 16th Century Persian Historical Epic in the Ottoman Empire », Acta Orientalia Accademiae Scientiarum Hungaricae 48/1-2 (1995), p. 108-116. 18. Woods (éd.), ‘Ālam-ārā-ye Amīnī, p. 7-11. 19. Voir l’introduction à l’éd. de Sotuda, p. 23. 20. M.F. Köprülü, « Ahmed Yesevī », Islam Ansiklopedisi, vol. I, Istanbul, 1950, p. 210. Chez Khonji on peut noter une réévaluation certaine de l’œuvre de ‘Attar (les références directes à des œuvres de ce poète ne manquent pas dans le Mehmân-nâma-ye Bokhârâ : ainsi au Jawhar al-ẕât, voir éd. Sotuda, p. 46-47 ; éd. Džalilova, f. 28b, p. 65). 21. D. De Weese, « Yasavian legends on the Islamization of Turkistan », dans Aspects of Altaic Civilization III :Proceedings of the Thirteenth Meeting of the Permanent International Altaistic Conference, Bloomington 1987, D. Sinor (éd.), Bloomington IN, 1990, Uralic and Altaic Series 145, p. 1-19. Id., « A neglected source on Central Asian History :the 17th-Century Yasavî hagiography Manâqib al- akhiyâr », dans B.A. Nazarov, D. Sinor et D. De Weese (éd.), Essais on Uzbek History, Culture and Language, Bloomington, Indiana University Research Institute for Inner Asian Studies, 1993, Uralic and Altaic Studies 156, p. 38-50 ; B. Babadžanov, « Jasavija i Nakshbandija v Maverannahre :iz istorii vzaimootnoshenij (ser. XV-XVI vv.) », dans Jasavi Ta’limi, (Miras) Turkiston, 1996, p. 75-96. 22. İslam Ansiklopedisi, art. « Aḥmed Yesevī », p. 210.

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23. Nesayimü’l-mahabbe min ṣemayimi’l-fütüvve, éd. K. Ersalan, Istanbul, 1979 ; 2eéd. Ankara, 1996, p. 383, n° 611. 24. Cf. R. Devereux, Muḥākamat al-lughatain by Mīr ‘AlīShīr, Leiden, 1966. 25. Un travail cité dans l’Index Islamicus comme paru dans l’Ural Altaische Jahrbücher, rédigé par A.J.E. Bodrogligeti, « The Understanding and Interpretation of Ahmad Yasavî’s Dîvân-i Ḥikmet », (n° 58, 1986, p. 127-138) reste introuvable dans ce journal. 26. La conquête de la ville par les Ottomans qui remonte à moins d’une dizaine d’années après le Mehmân-nâma-ye Bokhârâ (1516) représente un moment très important dans lequel, surtout lors des grandes restaurations réalisées par Soleyman, le renouveau architectural aura un relief particulier, voir B. St.Laurent et A. Riedelmayer, « Restorations of Jerusalem and the Dome of the Rock and their political significance, 1537-1928 », Muqarnas 10 (1993), p. 76-84. Il peut être intéressant de lire ce fait historique en relation non seulement avec l’Occident, mais avec le monde iranien. D’autre part, un intérêt particulier des soufis iraniens pour le lieu saint s’était développé déjà à des époques plus anciennes, voir par exemple S. D. Goiten, « The Historical Background of the Erection of the Dome of the Rock », Journal of the American Oriental Society 70/2 (1950), p. 107. Voir aussi mon « Popular and Symbolical Iconographies Related to the Ḥaram al- Šarîf during the Ottoman Period », à paraître dans le volume Ottoman Jerusalem, sous presse à Edimbourg. 27. Éd. Sotuda, p. 129. 28. Cf. E. Masson, Mavzolej Hodži Ahmeda Jasevi, Tachkent, 1930 ; L.Ju. Mankovskaja, « Towards the Study of Forms in Central Asian Architecture at the End of the Fourteenth Century : The Mausoleum of Khvāja Aḥmad Yasavî », Iran 23 (1985), p. 109-127 ; M.S. Bulatov, Geometricheskaja garmonisacija v architekture Srednej Azii IX-XV vv., Moscou, 1978, p. 137-140 ; N.B. Nurmuhammadov, Mavzolej Hodži Ahmeda Jasevi, Alma-Ata, 1980 ; nouvelle édition turque : [N.B. Nurmuhammedoğlu], Hoca Ahmed Yesevî türbesi, Ankara, 1991 ; L. Golombek et D. Wilber, The Timurid Architecture of Iran and Turan, Princeton NJ, 1988, vol. I, p. 284-288. 29. Ẓafar-nâma, vol. II, p. 16. Khonji mentionne l’œuvre de Yazdi dans le Mehmân-nâma-ye Bokhârâ, éd. Sotuda, p. 301. 30. Mirkhwând, Târikh-e Rowżat al-ṣafâ, Téhéran, 1339 Sh/1960-61, vol. VIII, p. 268-269. 31. H.R. Roemer, Šams al-ḥusn. Eine Chronik vom Tode bis zumjahre 1409 von Tāğ as-Salmāni, Wiesbaden, 1956, p. 29a ; Tacü’s-Selmâni, Tarihnâma, trad. I. Aka, Ankara, 1988, p. 6-7. 32. Khwândamir, vol. III, p. 498. 33. Ibid., vol. IV, p. 275. 34. E. G. Browne, Litterary History of Persia, vol. IV, Cambridge, 1959, p. 78-81. 35. Istanbul 1264 H, vol. I, p. 367. Voir Woods, ‘Ālam-ārā-yi Amīnī, p. 4. 36. On peut rapporter à ce genre de polémique anti-safavide celle dans laquelle le Sheykh Heydar se voit accusé de babakisme (cf. Woods, ‘Ālam-ārā-yi Amīnī, pp. 58, 274 ; J. Aubin, « L’avènement des Safavides reconsidéré (Études Safavides III) », Moyen Orient et Océan Indien XVIe-XlXe s., 5 (1988), p. 43), c’est-à-dire de « communisme » – un véritable topos historiographique qui connaît un nouvel élan à cette époque aussi dans le monde ottoman et qui coïncide avec celui de « mazdakisme » comme il pourrait apparaître déjà dans les persécutions contre Bedreddin de Samavna, voir M. Balivet, Islam mystique et révolution armée dans les Balkans ottomans, vie du Cheikh Bedreddin le « Hallâj des Turcs » (1358/59-1416), Istanbul, 1995, p. 100-101. Sur cet aspect, voir M. Bernardini, « La sedizione della città e la seduttrice di Bahrām Gur », à paraître dans les Annali dell’Istituto Universitario Orientale di Napoli. 37. J.-L. Bacqué-Grammont, « Notes sur le blocus du commerce iranien par Selim I er », Turcica 6 (1975), p. 66-68 ; Aubin, « L’avènement des Safavides », p. 83. 38. J. Paul, Diepolitische und soziale Bedeutung der Naqšbandiyya in Mittelasien im 15. Jahrhundert, Berlin, 1991.

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39. M.F. Köprülü, Türk edebiyâtmda ilk mütesavviflar, Istanbul, 1919 ; trad. L. Bouvat, « Les premiers mystiques dans la littérature turque », Revue du Monde Musulman 43 (1921), p. 236-282 ; Balivet, Islam mystique ; M.M. Mazzaoui, The Origins of the Ṣafawids. Ši’ism, Ṣûfism, and the Ġulât, Wiesbaden, 1972, p. 60-61. Voir aussi des œuvres d’une teneur moins scientifique comme par exemple C. Anadol, Anadolu’yu aydınlatan güneṣ Pîr-i Türkistan Hoca Ahmed Yesevî ve Yesevîlik, Istanbul, 1994. 40. J. Fletcher, « Les « voies » (ṭuruq) soufies en Chine », dans A. Popovic et G. Veinstein (éd.), Les ordres mystiques dans l’Islam. Cheminements et situation actuelle, Paris, 1986, p. 15 ; F. Meier, Zwei Abhandlungen über die Naqšbandiyya, Istanbul-Stuttgart, 1994, p. 184. 41. Au moins pour ce qu’on peut en déduire d’éditions basées sur des manuscrits tardifs telle que celle de K. Eraslan, Ahmed-i Yesevî, Dîvân-i Hikmet’ten Seçmeler, Ankara, 1983. 42. On pourrait rapprocher cette attitude de celle, politique, qu’adopte Khonji à l’égard des chiites et de leurs sanctuaires : voir éd. Sotuda, passim, et J. Aubin, « Šāh Ismā’il et les notables de l’Iraq Persan (Études Safavides I) »,JESHO 2 (1959), p. 59 ; une attitude qui pourrait refléter aussi l’opposition, dans certains milieux chiites arabes, à la politique de Shah Esma’il, cf. A.J. Newmann, « The Myth of the Clerical Migration to Safawid Iran : Arab Shiite Opposition to ‘Alî al- Karakî and Safavid Shiism », Die Welt des 33/1 (1993), p. 66-112. 43. M. Perlmann, « A Seventh Century Exhortation concerning al-Aqṣâ », Israel Oriental Studies 3 (1973), p. 261-292. 44. Aubin, « L’avènement des Safavides reconsidéré », p. 1.

AUTEUR

MICHELE BERNARDINI Istituto Universitario Orientale, Dipartimenti di Studii Asiatici, Naples, Italie

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Timur in the Political Tradition and Historiography of Mughal India

Irfan Habib

I.

1 Timur’s image in India before the establishment of the Indian Timurid (“Mughal”) dynasty in 1526, was naturally coloured by the experience of his invasion of 1397-99. This can be seen from the account of this event in Yahya Sihrindi’s Târikh-e Mobârakshâhi, which was completed in 1434, though the portion containing the account of Timur’s invasion was probably written much earlier1. It was, therefore, practically contemporaneous with, and is certainly completely independent of, Sharaf al-Din ‘Ali Yazdi’s Ẓafar-nâma, which was probably completed in 1424-5, and contains the most detailed version from the official Timurid point of view2. A comparison of the two narratives is quite instructive. Despite some slips in the Indian account, like making Timur go to Multan from Tulamba, or placing his occupation of Delhi late by one month, it does give some dates and details of Pir Mohammad’s attack on Uchh and Multan, 1397-98, which are lacking in Yazdi. But the essential particulars are the same in both: the route of the invasion, the slaughter and rapine, and the return. Naturally, however, while Yazdi exults in his hero’s brilliant successes and atrocities, Yahya’s account is hostile to Timur, though with a certain amount of restraint. The restraint is understandable, since his patron’s father, Khezr Khan (Kheżr Khân) was appointed to the government of Multan by Timur in 1399, during his return march3. Timur is simply “Amir Timur” in Yahya, not Ṣâḥeb-e Qerân (Lord of the Conjunction) as in Yazdi. Those whom he slaughtered were not all infidel Hindus, deserving their fate, as in Yazdi, but both Hindus and Muslims: such as were killed by Timur when he marched towards Delhi “obtained the honour of martyrdom (sharaf-e shahâdat)”. Like Yazdi, he too describes the slaughter of all the enslaved captives in the hands of Timur before his recrossing of the Yamuna to attack Delhi: his estimate of the number of the victims is more moderate, being 50 000 as against Yazdi’s 100 0004.

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2 When Timur entered Delhi after defeating Mahmud Toghloq’s forces, he granted an amnesty in return for protection money (mâl-e amâni). But on the fourth day he ordered that all the people of the city be enslaved; and so they were. Thus reports Yahya, who here inserts a pious prayer in Arabic for the victims’ consolation (“To God we return, and everything happens by His will”)5. Yazdi, on the other hand, does not have any sympathy to waste on these wretches. He records that Timur had granted protection to the people of Delhi on the 18th of December 1398, and the collectors had begun collecting the protection money. But large groups of Timur’s soldiers began to enter the city and, like birds of prey, attacked its citizens. The “pagan Hindus” (Henduân-e gabr) having had the temerity to begin immolating their women and themselves, the three cities of Delhi were put to sack by Timur’s soldiers. “Faithless Hindus”, he adds, had gathered in the Congregation Mosque of and Timur’s officers put them ruthlessly to slaughter there on the 29th of December. Clearly, Yazdi’s “Hindus” included Muslims as well. By now immense numbers of slaves had been obtained by ordinary soldiers, and Timur and his nobles took the lion’s share from amongst “the several thousand craftsmen and men of skill” enslaved. No consolation needed to be extended to such people, for, says Yazdi, “Delhi was laid waste (kharâb shod) ... in punishment for its inhabitants’ evil beliefs and vile deeds and conduct”6. This would hardly be a sentiment Indians could share. After Timur left, Yahya tells us, Delhi and whatever areas he and his troops had passed through fell prey to epidemic and famine, taking a further toll of lives. Delhi remained deserted and desolate (kharab-o-abtar) for two months. Gradually, the people of Doab (the area between the Yamuna and Ganga), which had “escaped the grasp of the Mughal”, began to gather around Nosrat Shah (Noṣrat Shâh) who re-established some administration in Delhi7. Timur’s invasion was thus seen as the last, and the most calamitous, of the Mongol raids, which left only huge devastation and desolation in its trail. Timur did not even care to leave any one to administer or maintain order in Delhi, and in his other Indian conquests. Multan was the only place he left in the hands of a subordinate potentate in the person of Khezr Khan.

II.

3 After the death of Timur (18th of February 1405), the process of contraction of the , and dissensions within it began, so that throughout the 15th century India remained immune from “Mughal” invasions. But as the “descendants of Timur Beg” saw their power in Central Asia disappear under the pressure of the Uzbeks, one of them, the famous Babur (d. 1530), now positioned at Kabul, decided (in 1507-8) to try his fortune in India8, and finally succeeded in the enterprise in 1526.

4 Babur naturally emphasized his descent from Timur, for whom, rather surprisingly, however, he usually employs in his memoirs no higher title than “Beg”9. On his seal in India he inscribed, on the circumference, the names of his ancestors going up to Timur10. Yet he nowhere directly makes the claim of an entitlement to a dominion in India on the basis of Timur’s conquests. Only in two places do indirect suggestions occur. First, he tells us that ever since Timur’s time the latter’s descendants have continued to hold parts of the Sind Sagar Doab11, an affirmation which may have historical truth behind it, since Timur’s dominions did come up to the Indus, east of Bannu12. The second statement, an incorrect one, is to the effect that Timur had given

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away Delhi to the founder of the Saiyid dynasty (Khezr Khan whom Babur does not name)13. Though an interpolation to this effect has been made in one of the manuscripts of Yahya’s Târikh-e Mobârakshâhi, its original source is possibly Babur himself, for all manuscripts of Yahya’s agree on the statement that Timur had Khezr Khan released in the Panjab (not at or near Delhi) only to take control over Multan and Dipalpur14. Yazdi too makes Timur hand over to Khezr Khan nothing other than the charge of Multan15. In fact, it was quite an independent set of circumstances which led to Khezr Khan’s seizure of Delhi in 1414, some fifteen years after Timur’s departure from India.

5 But it was not, perhaps, the slender historical basis for any “gift” of Delhi to anyone by Timur that made Babur refer to his conquest so casually and not draw from it any legal claim in his own favour. Even in the fatḥ-nâma issued in the form of a farmân (29th of March 1527) after Babur’s victory over Rana Sangram Singh, Babur, or rather his draftsman, Sheykh Zaïn, does not make any reference to Timur, though the fatḥ-nâma sought to portray Babur in the same garb of a holy warrior against the Infidels as Yazdi had done in respect of Timur16. The conclusion seems inescapable that to Babur and his secretaries it looked as if Timur’s name was not one through which much sympathy could be gained for Babur’s cause in India.

III.

6 The duality involved in emphasizing the genealogical links to Timur, the Lord of the Conjunction (Ṣâḥeb-e Qerân), the World Conqueror (Giti-setân), to reinforce the Indian Timurids’ dynastic prestige and innate claim to royalty, on the one hand, and confronting the reality of the negative image of Timur in India, on the other, becomes even more obvious during the reign of Akbar (1556-1605).

7 Like Babur, Akbar from early in his reign used a seal, especially in revenue-grant documents, where, on the rim of the circle, his genealogy is traced back to Timur. This seal may be seen on a farmân as early as that of the 7th of April 1561, assigning the revenues of a village to a Hindu master dyer, the genealogy on the seal going back to “Amir Timur”17, and on a farmân as late as that of the 11th of September 1598, conferring revenue grants on temples of Vrindavan, etc., near Agra, where the title of Ṣâḥeb-e Qerân follows the name “Amir Timur”18. Though Akbar is never known to have himself taken the title of Ṣâḥeb-e Qerân in imitation of Timur, this title does occur for him in quasi-official inscriptions: for example, in an inscription of 975/1567-8 at Jaunpur and one of 985/1577-8 at A’zampur19. ‘Aref Qandahari in his panegyrical history of Akbar, written in 1579, traces Akbar’s ancestry to Timur, and also gives Akbar the title of Ṣâḥeb-e Qerân20. There was thus obviously a bureaucratic tendency to treat the principal title of Timur as an especially elevated one, whose use for Akbar, with his continuing string of conquests, could be deemed appropriate in court sycophancy.

8 Abu’l-Fazl, the official historian of Akbar and his major ideological counsellor, while writing (c. 1595) the Akbar-nâma, a history that in some ways (especially, in its meticulous collection of facts) is inspired by Yazdi’s Ẓafar-nâma, begins by emphasizing the augustness of Akbar’s ancestry, in which Timur naturally figured prominently. The “light” (nur) that shone on the achievements of Akbar was the same as had shone throughout the conquests of Babur and the “world-acquisition” of Timur, and in the

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virtues of the holy ancestress of the family, Alan Qua (Alan Ko’a), from whom the Imperial Mongols too were descended21. Timur also offered a scale of comparison. If Akbar’s horoscope had something in common with Timur’s, this was worth noting22; and it was even better when it indicated higher achievement than did Timur’s23. A chapter in the Akbar-nâma was therefore suitably devoted to the achievements of Timur, providing a short though fairly careful chronicle apparently based on Yazdi24.

9 Yet Abu’l-Fazl faces an obvious difficulty in handling Timur’s invasion of India, now that both he and his patron were making such unalloyed appeals to Indian patriotism. In his main account of Timur, the invasion is mentioned with studied brevity: “On the 12th of Moḥarram 801, he crossed the Indus after constructing a goodly bridge [of boats], and, with fortune accompanying him, conquered India25”.

10 Abu’l-Fazl touches on Timur’s invasion once more merely to compare his large force, as deducted from Yazdi, with the small body of troops that Babur had before Panipat in 152626. Finally, in the Â’in-e Akbari, the companion work to his history, while listing “those who have come to India”, he enters remarks that suggest an implicit disapproval of Timur’s action: “When the sovereignty of Delhi came into the hands of Solṭân Mahmud, the grandson of Solṭân Firuz [Toghloq], and the viziership in the hands of Mallu Khân, the thread of worth-recognition and work-taking fell from the hand, and sovereignty lost its lustre. At this moment, the Imperial banners [of Timur] arrived, as has been briefly noted27. Although such a populous country came into his [Timur’s] hands, it did not have [for him] the desired booty: out of love for home, he went back28”.

11 If Abu’l-Fazl could get away from an awkward theme by resorting to brevity and opaque comment, such a way-out was difficult for another scholarly official, Nezam al- Din Ahmad, who belonged to an immigrant family from Herat with possibly generations of service under the Timurids. He had set out to write the first general history of India, the Ṭabaqât-e Akbari, completed in 1592-3, and had therefore to give a narrative of Timur’s invasion. The only device he could use was to take the Indian version as recorded in the Târikh-e Mobârakshâhi and suitably modify and soften its substance and tone29. He removed the epithet shahâdat (martyrdom) for the death of those killed by Timur, and re-worded the sentence about the slaughter of captives before the final assault on Delhi so as to suggest that while 50 000 were taken as captives, “many”, not all of them, were killed. In Delhi, it averred, Timur did not deliberately go back on his promise to grant protection, but withdrew it because the people of Delhi refused to pay the protection money and killed some of the collectors – a version for which there is no sanction even in Yazdi30. Needless to say he omits the prayer of consolation that Yahya had recorded in the Târikh-e Mobârakshâhi for those citizens of Delhi who, escaping death, were condemned to captivity and deportation to Central Asia.

12 It is interesting to compare Nezam al-Din Ahmad’s treatment of the invasion with that of his friend and fellow historian, ‘Abd al-Qader Badauni (Badâ’uni), who, being a critic of Akbar, was under no obligation to pay any special respect to his ancestor. In his account of the event31, written in or before 1595-6, Badauni does not edit out the harsher words in the Târikh-e Mobârakshâhi version. The execution of all the 50 000 captives before the assault on Delhi is reported; and a remark touching on the boorish ignorance of the theologians accompanying Timur is added. Some of these theologians “thinking that all these Indian Muslim captives were Hindus, put them to death out of

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greed for earning spiritual merit from participation in a Holy War”. Badauni has apparently in mind here both Yazdi’s practice of treating Indians, whether Hindus or Muslims, as Infidels, and his story of a divine who killed all fifteen of his captive-slaves with his own hand, although he had never before slaughtered even a sheep or goat32. As for the enslavement of the entire population of Delhi, Badauni departed from his source by conjuring up their mythical release allegedly at the instance of the Indian mystic Sheykh Ahmad Khattu; “the people of India are beholden to the Sheykh for this favour”, he adds piously. The story is just a legend; an earlier biographical notice on this mystic by Badauni’s younger contemporary, ‘Abd al-Haqq, says (in 1590-91) that Ahmad Khattu had himself been made captive but obtained only his own release by virtue of his spiritual attainments33. The legend of a wholesale emancipation possibly grew out of the belief in Timur’s affinity to and humility towards Sufis, which legend the hagiologists did so much to further34.

13 Badauni’s final judgment of the invasion was certainly not complimentary to Timur. The year it took place (801 H), he says, could be expressed in chronogram either by the word rakhâ’ / rokhâ’, “affluence/gentle breeze”, or by the word khâr, “thorn”. It was a neat way of informing the reader how differently the same event could look to the invader and the victim.

IV.

14 No particular interest was shown in Timur during Akbar’s son Jahangir’s reign (1605-27), but it was otherwise with his grandson Shah Jahan (r. 1628-58). Upon his coronation on the 14th of February 1628, he assumed the title of Ṣâḥeb-e Qerân-e Sâni; and his official historians explain, the first (Qazvini), that this was because “in most manners and ways” the new emperor “perfectly ressembled” his ancestor, Timur, the Ṣâḥeh-e Qerân; and, the second (Lahori), that the aptness of the title derived from “the deeds” (presumably, the conquests and the confrontation with adverse circumstances) performed by Shah Jahan as a prince that recalled Timur’s career before his accession35. Both Qazvini and Lahori do not trace Shah Jahan’s ancestry beyond Timur36, thus departing from the tradition of Abu’l-Fazl who took the genealogical line back to the forebears of the Imperial Mongol line, especially the blessed lady Alan Qua. Such stress on non-Muslim ancestry was, perhaps, no more seen to be suitable at Shah Jahan’s court, where a certain Islamic orientation had begun to be distinctly stressed37.

15 Qazvini quotes Shah Jahan as saying that Timur by his invasion of India (and in spite of his not being able to stay on there, owning to his preoccupations with other countries that needed to be conquered) left a standing instruction and a source of inspiration for his descendants, one that led Babur to found his empire in India. He admitted though that “most of the laws, regulations, customs and practices” of the Indian Mughal Empire were those of Babur’s grandson, Akbar, who had also brought India under full subjection. The empire constructed by him was now being perfected by the “building skill” of Shah Jahan himself38. There was, therefore, no claim of a continuance or survival of any administrative or military institutions directly from Timur’s time. Even if desired, such an unhistorical view at a time so close to that of Akbar’s great innovations and systematization of administration was hardly possible39.

16 One can, indeed, ask why, with the achievements of Babur and Akbar providing sufficient prestige and legitimacy, Shah Jahan needed to have so strongly appealed to

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the name of Timur at all. The best explanation may, perhaps, lie in Shah Jahan’s ambitions to initiate an extension of the Mughal Empire in the north-west and west at the expense of the Uzbek Khanate and the Safavid Empire which had divided between the two of them the bulk of the Timur’s empire. Each annexation at their expense could be justified as nothing more than a rightful restitution to Timur’s heirs. Transoxiana (Mavarannahr) was, as Jahangir put it (1607) in his memoirs, the “hereditary dominion” of the Mughals to whose recovery Akbar had aspired and he himself was, at least on paper, committed40. Shah Jahan intended to pursue a more energetic course. In 1638 when he had taken back Qandahar from the Safavids, his official historian could see it as the first step in the recovery and annexation of all the dominions that Timur had conquered and subjugated41. When in 1646 the invasion of Balkh and Badakhshan was undertaken, it was justified not only because these territories had once belonged to “this Imperial dynasty” (Badakhshan having been in the control of Babur and Homayun), but also because their possession would “open the way to the recovery of Samarqand, the strong, heaven-like capital seat of His Majesty the Ṣâḥeb-e Qerân (Timur)”42.

17 The failure of this enterprise – the withdrawal from Balkh and Badakhshan in 1647, the loss of Qandahar in 1648, and the fiasco of three successive expeditions to recover the latter (1649, 1652, 1653) –, put a final stop to any thought of pursuing annexationist ambitions in the north-west in the minds of Shah Jahan and his successors. The utility of an appeal to Timur was, therefore, now largely over, except for the strict purposes of dynastic prestige. Indeed, it was enough for the official historian of Aurangzeb (r. 1659-1707) to refer in complimentary terms to Timur as the founder of the line43, just as for administrative purposes it was still important to recognise Akbar as “the renovator of the rules of sovereignty and the architect of the regulations of this eternal State”44. But the legacy of Timur’s name no longer had any role to play in the formulation of specific strategic designs of the Mughal Empire.

V.

18 We may now pass on to an event of the period when Shah Jahan was particularly encouraging the cult of Timur, which is of some interest to students of the historical sources on Timur. Apparently just before the end of Shah Jahan’s 10th regnal year (lunar), the 20th of October 1637, he received what purported to be a Persian translation of the Turki Memoirs (Malfuẓât) and Counsels (Tuzukât) of Timur. The event is described by Qazvini, the official historian writing very soon afterwards. After telling us that Shah Jahan liked to have books read out to him, whereupon he memorised whatever interested him, he proceeds: “Thus from the book Vâqe’ât-e Ṣâḥebqerâni [Memoirs or Events of Timur], which was in the Turki language and preserved in the library of the governor (vâlî) of Yemen and which Mir Abu Ṭâleb Torbati, having obtained it in Yemen, himself translated into Persian – and it seems that some one upon orders of His Majesty Timur ( ḥażarat-e Ṣâḥeb-e Qerâni) had written it as if it came from His Majesty’s own august tongue – the story (dâstân) of the appointment of Mirzâ Pir Moḥammad, son of Mirzâ Jahângir, eldest son of His Majesty Ṣâḥeb-e Qerân, to the governorship of the capital seat of Solṭân Mahmud of Ghazni, written in the manner of a Turk [i.e. simply] and one befitting the great, was at this time read out to His Majesty [Shâh Jahân]. It was much praised by him and frequently repeated by his inspired tongue in the heaven-ordered assembly. A copy of it was sent to His Majesty’s son, His

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Highness Prince Solṭân-Aurangzeb Bahâdor, who a few days earlier had left [the court] for Daulatâbâd [capital of the province of Deccan] and this had relevance to his circumstances (...)45”.

19 Qazvini then reproduces the text of Timur’s narration of his counsels and injunctions to Pir Mohammad, which the historian styles dâstân46.

20 Qazvini’s passage has largely been ignored while the shorter corresponding passage in Lahori’s work, which has been published, is much better known47. Thus the important statement that the translated text was not even then believed to have been written originally in Turki by Timur himself (it being supposed to have been composed at his instance by someone else who made Timur the narrator) has passed unnoticed. On the other hand, both Qazvini’s text of Timur’s description of his counsels to Pir Mohammad and the published text of the Tuzukât do read like literal translations of a Turki text with frequent occurrences of Turki words, and with a simple and awkward style throughout. The report of counsels to Pir Mohammad given by Qazvini have such an archaic and non-literary appearance that Lahori, called upon to reproduce the same text, extensively polished it, deleting and replacing words and expressions like kankâsh (“deliberation”, replaced by maṣlaḥat), and zânu zada goft (“knelt and said”, replaced by ma’ruż dâsht), to make it read as if it was composed by clerks of the Mughal chancery48.

21 Indeed, from Shah Jahan’s criticism of Abu Taleb Hoseyni’s translation as reported by Mohammad Afzal Bokhari49, who was asked to correct it, it would seem that Abu Taleb’s credibility suffered for all the wrong reasons. When his translation was presented to Shah Jahan, it was found, says Afzal, that “events that had not happened, and should not have been recorded, according to the Ẓafar-nâma and other trustworthy histories, had been added in that translation and some matters that had been chronicled in all books and histories had been omitted”. The “gross deviations in additions and omissions in respect of events and dates” were brought to Shah Jahan’s attention; moreover, many Turki and Arabic phrases had been left untranslated. So Mohammad Afzal was asked to remove all these deficiencies and make Abu Taleb’s text conform to Yazdi’s Ẓafar-nâma50. Afzal took his task literally, and rewrote and enlarged Abu Taleb’s text, converted Yazdi’s ornate prose into a simpler though still literary narrative, with Timur placed in the first person, and made the story so complete as to have Timur record his own death at the end!51

22 Afzal’s text, in turn, affected Abu Taleb’s credibility further because the original narrative in Abu Taleb’s translation (i.e. the so-called malfuẓât portion placed between his preface and the tuzukât portion) was replaced by Afzal’s text in a number of manuscripts52, thus creating what may be called a doctored version (or, more politely, Version B) of Abu Taleb’s translation. Both Dowson, who thought Timur’s “Memoirs” to have a genuine core, and Rieu, who thoroughly doubted its genuineness, confounded Version B with Abu Taleb’s own original translation, and believed that there was no substantive difference at all between Abu Taleb’s work and Afzal’s, both, for example, making Timur record his own death53.

23 But Abu Taleb’s version in its original form (Version A) survives in several manuscripts. Here his Preface is followed by a narrative (malfuẓât, according to Stewart), running up to 777 H/l375-6 corresponding to the 41st year of Timur’s life, with Timur represented as writing in his 72nd year (the year of his death)54. This narrative appears to be the one that Stewart has translated, for his translation too comes to the 41st year of Timur’s life only55. In some manuscripts, the narrative is extended to 783 H/1381-2 (Version AA). In

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both sets of manuscripts, the narrative is followed by the translator’s note declaring his intention to translate the remaining Turki text comprising 40 000 beyt (lit. distiches; words?) containing the “Institutes” (Yarligh-e tuzuk) that he had copied from the original on to his own note-book56. The translation of the tuzukât portion then follows. Excerpts from this portion, or from the Tuzukât reproduced in Version B, were published, along with an English translation, by Major Davy57. The two versions, designated A and B by us, have unfortunately not been distinguished in library catalogues, as may be seen from Storey’s standard listing of the manuscritps58. My own scrutiny has established that two Aligarh manuscripts contain Abu Taleb’s original version (Version A)59; and, from the cataloguer’s description, it would seem also to be contained in a Salar Jung manuscript60. As for Version AA (with the narrative coming down to 983 H.) it is contained in one India Office manuscript and at least three British Library manuscripts61.

24 If one takes Abu Taleb’s original translation, criticisms such as those based on his virtual conformity with Yazdi’s Ẓafar-nâma, or on Timur being made to record his own death no longer apply. The language appears natural, its derivation from Turki quite obvious; the narrative is similar to one which would be given while reminiscing or dictating from memory. In the Tuzukât portion, memoirs, oral counsels and documents mix freely. There are no obviously anachronistic elements in either the narrative or its terminology, no visible error in the mention of persons, tribes and major events. How could Abu Taleb, without following Yazdi as his source (for his translation does not accord with Yazdi in many places, as Shah Jahan and his scholars noticed), have possibly invented such a text? And if he was inventing a text for approval by Shah Jahan, why would he have composed the fierce diatribe against the people of India that appears in the Tuzukât portion62? Nor can we press the point of the non-survival of the Turki original or the fact of its remaining unknown until its discovery in the library of the Turkish governor of Yemen. The Turki manuscripts of Babur memoirs, for example, are very rare: only two unfragmented manuscripts exist, while the extant manuscripts of the Persian translation by ‘Abd al-Rahim are extremely numerous63. Turki was at the time neither the official nor the major literary language of Central Asia so that the extinction of the Turki original of Timur’s Memoirs and Counsels is in itself not very surprising.

25 If, then, Abu Taleb had a genuinely Turki text before him, from which he translated, a text moreover that belonged to a much earlier time, it still does not make that text genuinely of Timur’s authorship. The fact that Yazdi knew of no such memoirs, a point Dowson is most unpersuasive about in his defence of the memoirs (or rather of Version B), must certainly be held against the Turki original being a work based even on Timur’s dictation or instructions64. Moreover, the reference to his 72nd year of life (though not to his own death, as in the doctored version), already alluded to, would suggest that Timur was engaged in compiling his memoirs while marching against China. This, being just before his death, could hardly have been a suitable time for such an autobiographical enterprise. It is, therefore, likely that the Turki text is not genuinely Timur’s work; but it might still have been compiled soon after his death, and many of the documents in it must have been extracted from official records. In such a case, it may indeed represent a very early post-Timur historical tradition. The original version of Abu Taleb (as against the doctored) need not, therefore, be dismissed as of no relevance or significance in reconstructing the history of Timur.

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26 Shah Jahan and his official scholars need not, therefore, be held guilty of encouraging a fabrication. Owing to his acceptance of Abu Taleb’s presentation of his translation, Shah Jahan enabled an important early source on Timur to survive, though he himself strongly suspected its accuracy. There was no fabrication involved in his ordering Mohammad Afzal to rewrite the Memoirs, for, as Mohammad Afzal’s preface makes it clear, the use of Timur as narrator was in his book a mere literary device. The confusion came only by the mixing at some stage of the two texts, to produce a doctored version of Abu Taleb (Version B), much to the latter’s discredit. His original translation is, however, fortunately extant (Version A), as we have seen; and this needs to be more seriously explored by the students of the history of Timur than has hitherto been the case.

NOTES

1. This is because the work was written for presentation to Mobarak Shah, who ascended the throne on 20 May 1421 and was assassinated on the 19 February 1434. The work is not carried beyond November-December 1434. Edition: Yaḥyà Sihrindî, Târikh-i Mubârakshâhî, ed. M. Hidayat Hosain, Asiatic Society of , Calcutta, 1931. The account of Timur’s invasion is on p. 162-167. 2. Sharaf’uddîn ‘Alî Yazdî, Ẓafarnâma, ed. Maulawî Muhammad Ilâhdâd, Asiatic Society of Bengal, Calcutta, 1888, vol. II, p. 14-17, 47-182. 3. Yazdi, vol. II, p. 175; Yaḥyà, p. 167. The statement that Timur had already released Khezr Khan in Delhi and told him, “I give you all of Delhi that I have taken” (p. 166), is found in only one manuscript of Yahya’s work and is obviously a later interpolation either based on the Bâbur-nâma (see below), or, more probably, on ‘Abdu’l Qâdir Badâûnî’s Muntakhabu’t Tawârîkh, ed. Ali, Ahmad and Lees, Calcutta, 1864-69, vol. I, p. 271. 4. Yaḥyà, p. 165; Yazdi, vol. II, p. 92-94. 5. Yaḥyà, p. 166. 6. Yazdi, vol. II, p. 116-25. On p. 123, Yazdi similarly exults (in verse) at the slaughter: “Out of the excessive blood shed of those who were killed, India became an expanse of calamity. ( ...) Yea, the ill-omened Infidelity, cruelty and error [of its people], brought forth from that land the smoke of annihilation”. 7. Yaḥyà, p. 167. 8. For the reasons behind this decision, see Bâburnâma, Turki text, ed. Eiji Mano, Kyoto, 1995, p. 333-334; and transl. A.S. Beveridge, London, 1922, vol. I, p. 340. 9. Bâburnâma, ed. Mano, p. 10-11; transl. Beveridge, vol. I, p. 13-14. 10. As on the farmân issued on the 13th of Zîqa’d (Ẕu’l-qa’da) 933/11 August 1527, making a soyurghâl grant in pargana Batala (in the Panjab): India Office (London), I.O. 4438 (1). 11. Bâburnâma, ed. Mano, p. 354; transl. Beveridge, vol. I, 382. 12. Yazdi, vol. II, p. 46, 182. 13. Bâburnâma, ed. Mano, p. 434; transl. Beveridge, vol. II, p. 481 (the translator makes a mistaken identification of the receiver of the gift in the footnote). 14. Yaḥyà, p. 166-167. For what it is worth, in his account of Timur’s raid, based obviously on the Târikh-e Mobârakshâhi, Feyżallah Banbani, in his Târikh-e Ṣadr-e Jahân, written in 1501-02, omits

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any mention of Timur’s disposal of Delhi, least of all, of his granting of it to Khezr Khan (Târikh-i Ṣadr-i Jahân, ed. Iqtidar Husain Siddiqui, Aligarh, 1988, p. 83). 15. Yazdi, vol. II, p. 175. 16. Bâburnâma, ed. Mano, p. 509-520; transl. Beveridge, vol. II, p. 553-574. 17. Published by Irfan Habib (ed.), Akbar and his India, New Delhi, 1997,with translation on p. 270. 18. Original in National Archives of India, New Delhi. 19. Epigraphia Indica: Arabic and Persian Supplement, 1969, Delhi, 1973, p. 68, 81. 20. Târîkh-i Akbarî, ed. M. Nadwi, A.A. Dihlawi and I.A. Arshi, Rampur, 1962, text, p. 3, 8. 21. Akbarnâma, ed. Abdur Rahim, Asiatic Society of Bengal, Calcutta, 1877, vol. I, p. 122. It is characteristic of Abu’l Fazl’s attitude that he should exalt the pre-Muslim ancestors of Akbar, comparing Alan Quâ to the Virgin Mary (ibid., vol. I, p. 65). 22. Ibid., vol. I, p. 25. 23. Ibid., vol. I, p. 42-43. 24. Ibid., vol. I, p. 77-81. 25. Ibid., vol. I, p. 79. 26. Ibid., vol. I, p. 97. Yazdi’s statement, which Abu’l Fazl explicitly cites, occurs in Ẓafarnâma, vol. II, p. 83. 27. I.e. in the Bâburnâma. 28. Â’in-i Akbarî, ed. Nawal Kishore, Lucknow, 1892, vol. III, p. 163. 29. Ṭabaqât-i Akbarî, ed. B. De, Calcutta, 1913, vol. I, p. 253-256. 30. It is of some interest that as early as 1606-07, Mohammad Qasem “Fereshta” noticed the divergence between the description of events in the official version and the explanation offered by Nezam al-Din Ahmad (see, Muhammad Qâsim Firishta, Gulshan-i Ibrâhîmî, ed. Nawal Kishore, Kanpur, 1874, vol. I, p. 158, lines 10-8 from bottom). Fereshta derived his own account of Timur’s invasion (ibid., p. 156-161) directly from Yazdi, and not from Mir Khwand’s abridgment in the Rowżat al-ṣafâ, which he lists among his authorities in his preface. He also used Yahya’s Târikh-e Mobârakshâhi. 31. Badâûnî, vol.1, p. 267-271. 32. Yazdi, vol. II, p. 92. 33. Akhbâru’l akhyâr, Deoband, 1332 H/1913-4, p. 163-164. 34. This is shown by Mohammad Ṣâdeq’s Ṭabaqât-e Shâhjahâni, written c. 1636-37 (manuscript in the Centre of Advanced Study in History Library, Aligarh, f. 39a-65b, esp. f. 44b-45a), where the biographical notices of Saiyids (seyyed) and Saints contemporaneous with Timur are given. On Timur’s actual relationship with the theological classes, see V.V. Barthold, Four Studies on the History of Central Asia, ed. V. and T. Minorsky, vol. I, Leiden, 1956, p. 58-60. 35. Amin Qazvini, Pâdshâhnâma, MS British Library, Or. 173, fol. 124; ‘Abdu’l Ḥamîd Lâhorî, Pâdshâhnâma, ed. Kabir Al-Din Ahmad, Abd Al-Rahim and W.N. Lees, Bib. Ind., Calcutta, 1867-72, vol. I, p. 96. 36. Qazvini, f. 29a-32b, and Lâhori, vol. I, p. 43-45, for notices of Timur as the founder of the imperial line. 37. On which see Shri Ram Sharma, The Religious Policy of the , Bombay, 1962 (2nd ed.), p. 104-126. 38. Qazvini, f. 32a-33a. 39. Iqtidar A. Khan, The Political Biography of a Mughal Noble: Mun’im Khân, Khân-i Khânân, 1497-1575, New Delhi, 1973, p. IX-XIII, has in fact argued that the centralised monarchy created by Akbar stood in direct contradiction to the Timurid traditions of dynastic and clan claims of participation in the state. 40. Tuzuk-i Jahângîrî, ed. Syud Ahmud, Ghazipur and Aligarh 1863-64, p. 11. Jahangir himself followed “a cautious and defensive policy” in the north-west (M. Athar Ali, “Jahângîr and the Uzbeks”, Proceedings of the Indian History Congress, Ranchi Session, 1964, Aligarh, 1967, p. 108-119).

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41. Lâhori, vol. II, p. 62. 42. Ibid., p. 482. 43. Muhammad Kâzim, ‘Alamgîrnâma, ed. Khadim Husain, Abd al-Hai and W.N. Lees, Bib. Ind., Calcutta, 1868, p. 9. 44. Ibid., p. 387. 45. Qazvini, fol. 417b. 46. Ibid., f. 417b-419a. In his preface, Abu Taleb Hoseyni gives the name of the Governor of Yemen as Ja’far Pasha (Maulana Azad Library MS: University Collection F(4)240/10, p. 1-2). 47. Lâhori, vol. I/2, p. 288-289. 48. Ibid., p. 288-289. 49. To be identified presumably with Mohammad Afzal, son of Tarbiyat Khan, who died in 1651-52 (M. Athar Ali, The Apparatus of Empire: Awards of Ranks, Offices and Titles to the Mughal Nobles, 1574-1658, Delhi, 1985, p. 267, entry No. S5601). 50. Mohammad Afzal’s preface: Aligarh, Maulana Azad Library, MS: Lytton Collection, F: Akhbâr 44, f. 2b-3a. Afzal’s remarks about the inaccuracies and omissions detected in Abu Taleb’s translation help to explain why Lâhori (vol. I, p. 41-42) excludes Timur’s Memoirs and Institutes from amongst the sources listed by him for Timur, mentioning only “the Ẓafarnâma of Mollâ Sharaf al-Din ‘Ali Yazdi and the Timurnâma of Mollâ Hâtefi and other works of historians”. 51. Afzal says the task was assigned to him in the 10th regnal year (1636-37), during which Abu Taleb’s translation had been received. For Afzal’s text I have consulted the Aligarh manuscript, cited in the preceding note; this is excellently calligraphed, 1220/1805 for the Mughal prince Ized . This manuscript shows that Mohammad Afzal omitted the section of the Tuzukât, closing his text with Timur’s death. This is confirmed by the description of the manuscript of Afzal’s text in the Salar Jung Museum, Hist. 165, in M. Ashraf, A Catalogue of Persian Manuscripts in the Salar Jung Museum, vol. I, Hyderabad, 1965, p. 193-194 (Catalogue No. 173). 52. Version B is contained in Aligarh Maulana Azad Library, MS: Sulaiman Collection, 900 F625/2 (transcribed in 1201/1786-7) [personal scrutiny], and, to judge from descriptions in the catalogues, in the following other manuscripts: British Library, Or. 158 (Ch. Rieu, Catalogue of the Persian Manuscripts in the British Museum, vol. I, London, 1879, p. 179-180) and in the India Office manuscript catalogue No. 202 (= 1.0.1606) (H. Ethé, Catalogue of Persian Manuscripts in the India Office, vol. I, Oxford 1903, col. 83-86). Other catalogues may disclose other manuscripts of Version B, and some defective manuscripts may also be copies of it. 53. Dowson found “no great difference” (H.M. Elliot and J. Dowson, The History of India as told by its own Historians, London, 1867-77, vol. III, p. 393-394); and Rieu, comparing Afzal’s text in Add. 16,686 with Version B in Or. 158, believes that Afzal hardly made any changes, since the two texts “agree in the main very closely” (Rieu, Catalogue, vol. I, p. 178). 54. Aligarh: Maulana Azad Library, MS University Collection, F(4) 240/10, p. 47, for reference to the age of Timur at the time of writing. The narrative portion under the 41st year, equated with 777/1375-6, ends in this manuscript on p. 376. 55. Major C. Stewart, The Malfuzat Timury, or Autobiographical Memoirs of the Moghul Emperor Timur, London, 1830. 56. Aligarh Maulana Azad Library, MS University Collection, F(4) 240/10, p. 47. The note is also reproduced by Ashraf, Catalogue, p. 189-190, in the description of Salarjung manuscript, Hist. 161 (catalogue No. 168) and by Ethé, Catalogue, col. 84-5, in his description of the India Office manuscript, Ethé 196 (=1.01943). 57. Institutes, Political and Military, written originally in the Mongol language, by the great Timour, & c, with text and translation, by Major Davy, notes by Joseph White, Oxford, 1783. 58. C.A. Storey, Persian Literature – a Bio-Bibliographical Survey, vol. I/2, London, 1936, p. 280-282. 59. Aligarh Maulana Azad Library, MS University Collection, F(4) 240/10 (1755-56); and Sulaiman Collection, 900F, 625/3 (1303/1886, copy made from a manuscript of 1093/1682). Despite such

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variations as may be expected from manuscripts of separate lineages, both carry the same text throughout. 60. Salar Jung, Hist. 161, described by Ashraf, Catalogue, p. 188-189 (catalogue N° 168). 61. India Office Library, Ethé 196 (1.0.1943) (Ethé, Catalogue, col. 84-85); British Library manuscripts: Add. 26,191, Egerton 1005 and Add. 23,518 (Rieu, Catalogue, vol. I, p. 177-180). 62. Aligarh, Maulana Azad Library, MS University Collection, F(4) 240/10, p. 520-522. This also appears in Version B, Aligarh Maulana Azad Library, Sulaiman Collection, 900 F 624/2, f. 583a-584a. 63. Storey, Persian Literature, vol. I/2, p. 530, 533-534. 64. Elliot and Dowson, History of India, vol. IV, p. 559-563.

AUTHOR

IRFAN HABIB Aligarh, India

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L’évolution de l’image de Timour et des Timourides dans l’historiographie safavide du XVIe au XVIIIe siècle

Maria Szuppe

1 L’époque des Timourides en Asie centrale et en Iran oriental a été marquée par l’existence d’une société « duelle », irano-musulmane d’un côté et turco-mongole de l’autre. Les Timourides, dynastie d’origine turco-mongole de l’Asie centrale, ont régné sur le monde iranien et turc oriental du début du XVe au début du XVI e siècle. À Samarcande, à Shiraz, à Hérat, les souverains timourides et leurs élites militaires, les émirs, en contact quotidien avec la culture locale de très longue tradition urbaine, s’« iranisent » et s’urbanisent assez vite, mais tout en gardant des spécificités de leurs origines. Parmi celles-ci, la langue au quotidien – le bilinguisme turc-chaghatay et persan des élites est la norme –, les particularités de la juridiction gengiskhanide (la yasa), qui pouvait être parfois en contradiction avec la loi musulmane (la shari‘a), certains modes de vie et normes sociales caractéristiques de sociétés où le souvenir de la vie guerrière nomade est encore très vivant, par exemple l’usage rituel du vin, la position des femmes, le développement sans pareil des jardins-résidences, etc. Mais les émirs timourides s’attachent aussi fortement à la vie urbaine par la constitution de patrimoines fonciers et immobiliers. Ils s’identifient à la culture de l’Iran oriental par l’éducation au goût littéraire persan, ainsi que par l’apprentissage de la tradition poétique, historiographique et artistique, et en particulier de celle de Hérat où existait une longue tradition locale.

2 D’autre part, les Safavides (r. 1501-1722) qui, à partir de 1510, prendront possession d’importantes portions de l’ancien empire timouride dans le Khorassan (Iran oriental et Afghanistan occidental), dont Hérat, sont eux-mêmes originaires d’Ardabil en Azerbaïdjan. La famille des cheikhs safavides est selon toute vraisemblance de lointaine origine kurde-iranienne, mais vers 1500 elle est « turcisée » depuis plus de deux siècles. Les cheikhs vivent en milieu urbain, mais plutôt turcophone ; eux-mêmes parlent

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l’azéri. Par plusieurs mariages contractés dans la seconde moitié du XVe siècle, ils deviennent étroitement apparentés à la lignée régnante de la confédération des tribus turkmènes Aq Qoyunlu, au pouvoir en Azerbaïdjan et en Iran occidental, qu’ils finiront par éliminer.

3 Mais, avant tout, les cheikhs safavides sont entourés de leurs disciples guerriers, appelés les qezelbâsh, presque tous d’origine turkmène anatolienne et azerbaïdjanaise. Ces partisans militants des Safavides constituent un mélange de tribus issues des anciens Oghuzz avec des Turcs ou des Turco-Mongols restés dans la région après les invasions de Gengis Khan et de Timour. Ils ont donc aussi des origines centre-asiatiques et vieilles-turques, mais moins récentes que celles des Chaghataïdes, des Timourides et de leurs clients. Il faut garder en mémoire le fait que les qezelbâsh sont au XVe et même au XVIe siècle encore superficiellement islamisés, et qu’ils professent souvent des croyances et pratiques peu orthodoxes, proches de leurs anciennes coutumes centre- asiatiques. Et, à l’autre bout du monde turco-iranien, les éléments turco-mongols de la société de l’empire timouride conservaient – non pas toujours de façon consciente, bien au contraire – des traditions et usages issus de leur passé steppique.

4 Ainsi, leur lointaine origine centre-asiatique semble être le lien culturel entre Safavides et Timourides. À ce jour, plusieurs chercheurs ont signalé l’existence de liens socio- culturels qui semblent unir les Safavides et leurs partisans turkmènes qezelbâsh à l’Asie centrale1. Ce premier point de rencontre dans un passé steppique est suivi d’un second, au début du XVIe siècle, qui fut une sorte de choc culturel pour les Safavides et leurs partisans qezelbâsh : c’est la conquête safavide de l’Iran oriental, et particulièrement de Hérat. À travers cette conquête, très rapidement, bien que non sans heurts, les Safavides et surtout leurs élites politiques (à majorité qezelbâsh) et administratives (en majorité issues des milieux urbains iraniens) en viennent à apprécier et à admirer le raffinement de la culture « duelle » et la tradition politique irano-timouride, portée à son apogée à Hérat. Et Hérat, les Timourides en général et, plus tard, Timour lui-même en particulier, trouveront une place très singulière dans la tradition safavide.

5 La question de l’héritage centre-asiatique des Safavides, au sens large, doit être examinée, d’une part à travers l’étude des survivances du fonds culturel vieux-turc ou, plus généralement, du fonds steppique (remontant aux Scythes iraniens ?)2 ; d’autre part, plus spécifiquement, à travers l’attachement des Safavides et d’une partie de leur entourage à l’héritage impérial timouride, qui formait déjà un mélange très spécial des traditions politiques et culturelles turco-mongoles et irano-musulmanes.

6 Nous voudrions nous attacher aujourd’hui à ce second volet, et, à l’intérieur de celui-ci, à l’évolution de l’image de Timour et des Timourides chez les historiographes safavides.

7 Au départ, une remarque importante doit être formulée. Bien que fortement influencés par l’élément turkmène au plan culturel, les Safavides n’ont cependant à aucun moment revendiqué d’ascendance gengiskhanide ou timouride. Leur généalogie officielle, forgée durant les décennies qui suivirent leur prise du pouvoir, les rattache au septième imam chiite, Musa Kazem, et par lui au Prophète. Les Safavides s’étaient donc dotés d’une origine seyyed, autrement respectable.

8 D’autre part, à l’encontre de certaines autres dynasties qui ont pu également revendiquer leur part de l’héritage timouride, comme les Ouzbeks Sheybanides, les Safavides n’ont jamais été en guerre contre l’empire déclinant des Timourides de Hérat. Bien au contraire, tout au long de la première moitié du XVIe siècle, ils ont pu apparaître comme les alliés ou protecteurs des Timourides tardifs : plusieurs fils de

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Soltan-Hoseyn Bayqara, Babour (Bâbor) et Homayun. Le contentieux politique apparaîtra plus tard, vers le milieu du XVIe siècle, avec la rivalité entre les Safavides et les Timourides de l’Inde, descendants de Babour, pour la possession de Qandahar3.

9 En revanche, une rivalité acharnée existait entre les Safavides et les Sheybanides, vainqueurs des Timourides, puis les Janides, pour la domination du Khorassan oriental et occidental4.

Les Timourides dans les chroniques safavides

10 Les écrivains safavides du XVIe siècle, tel Qazi Ahmad Ghaffari Kashani (m. 1567-68), connu avant tout pour sa chronique le Târikh-e Jahân-ârâ, mais aussi auteur du Târikh-e Negarestân, comprennent naturellement la continuité de la dynastie timouride. Ils présentent les descendants royaux de Timour comme une lignée ininterrompue, incluant les souverains de Samarcande, d’abord, de Hérat, ensuite, et de Delhi, finalement. Le Târikh-e Negarestân, œuvre composée dans la seconde moitié du XVIe siècle, dit notamment que les descendants de Timour « sont » au pouvoir et il cite les noms de 21 princes de la dynastie, depuis Timour jusqu’à Homayun, alors souverain de l’Inde moghole5. Il ne perçoit donc pas la perte de Hérat par les fils de Soltan-Hoseyn Bayqara, en 1507 (913 H), comme la fin de la dynastie, car cette dernière continue de régner depuis Delhi.

11 Les historiographes safavides, même plus tardifs, distinguent nettement entre les Timourides (autrement appelés dans les sources les « Chaghatây », désignation qui englobe les clients turco-mongols de la famille dynastique), maintenant représentés par Babour et ses descendants, et leurs ennemis centre-asiatiques les Ouzbeks Sheybanides, puis Janides, qui contrôlent les anciens centres timourides en Transoxiane (Mavarannahr) et qui rivalisent avec les Safavides pour la possession de Hérat6.

12 Tout au long du XVIe siècle, les chroniques safavides, aussi bien officielles que locales, nous offrent une perception très claire de l’époque des Timourides de Hérat. Ces derniers sont présentés comme la grande dynastie par excellence, celle qui précéda directement l’État des Safavides. Les chroniqueurs safavides consacrent beaucoup de place en particulier au règne du dernier souverain significatif de cette dynastie, Soltan- Hoseyn Bayqara (r. 1464-1506). En effet, la seconde moitié du XVe siècle est présentée comme une époque de référence, celle d’un âge d’or de la civilisation où la ville de Hérat était un idéal et un modèle7. Ces prises de position des historiographes et des poètes sont particulièrement visibles dans les écrits de l’école de Khorassan, comme dans ceux, par exemple, de Khwandamir (m. 1536), de Vasefi (m. après 1551) et de (m. 1521), auteurs qui, dans la première moitié du XVIe siècle, avaient vécu la chute de l’empire timouride, mais aussi dans ceux d’Amir Mahmud b. Khwandamir (m. après 1550) ou de Fakhri Heravi (m. vers 1562), à la génération suivante. Cette historiographie locale est directement issue des traditions timourides et en porte fortement l’empreinte. Les écrivains du Khorassan continuent naturellement de voir la culture, le système politique, les modes de vie de Hérat comme un idéal8.

13 Cependant, la même attitude est adoptée assez rapidement par certains historiographes officiels de la cour safavide, dès l’époque de Shah Tahmasp (r. 1524-1576). Par exemple, le chroniqueur ‘Abdi Beg Shirazi (m. 1580), auteur d’une chronique historique, le Takmilat al-akhbâr, est aussi l’auteur d’une série de poèmes à la gloire du nouveau

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quartier royal construit sur l’ordre de Shah Tahmasp à Qazvin9. La splendeur de la nouvelle Qazvin safavide y est ouvertement comparée à celle de l’ancienne Hérat timouride, idéal à atteindre et modèle de capitale impériale. ‘Abdi Beg dit dans son poème, par exemple, que l’Avenue (khiyâbân) du quartier royal de Qazvin est cent fois plus magnifique que la célèbre Avenue de Hérat, qui sert manifestement de référence10. Également, un des jardins safavides à Qazvin porte le nom du Bagh-e Morad (Bâgh-e Morâd), tout comme l’un des plus beaux jardins de Soltan-Hoseyn Bayqara à Hérat11. D’autre part, les historiographes tel que par exemple Yahya Qazvini (m. 1545), travaillant dans la première moitié du XVIe siècle, décrivent Soltan-Hoseyn Bayqara comme un souverain idéal, un mécène exceptionnel de l’art et de l’architecture, sous le règne duquel le Khorassan avait atteint une prospérité inégalée et Hérat était devenue une ville magnifique à la beauté incomparable12.

14 Cette admiration pour une époque révolue, idéalisée, continue au XVIIe siècle. C’est dans l’œuvre d’Eskandar Beg Torkeman (m. après 1632), chroniqueur officiel de la cour de Shah ‘Abbas Ier (r. 1587-1629) et auteur du monumental Târikh-e ‘Âlam-ârâ-ye ‘Abbâsi, que l’héritage timouride commence à prendre de plus en plus de relief.

15 Eskandar Beg dit notamment, d’une façon devenue conventionnelle, que Shah Esma’il Ier (r. 1501-1524), premier souverain de la dynastie, éprouvait un respect filial envers Soltan-Hoseyn Bayqara, pour qui il avait une grande estime ; il ajoute qu’il s’efforçait de préserver des relations amicales avec le souverain de Hérat13. Non seulement Eskandar Beg porte sensiblement le même jugement de valeur que ses prédécesseurs sur l’époque timouride, mais aussi il revendique ouvertement l’appartenance de son œuvre historique à la tradition historiographique impériale. Il compare notamment sa chronique, écrite pour glorifier la vie de Shah ‘Abbas Ier, au Ẓafar-nâma de Sharaf al-Din Yazdi, la célèbre chronique du règne et des conquêtes de Timour, ainsi qu’au Maṭla’ al- sa’dayn va majma’ al-baḥrayn de ‘Abd al-Rezzaq Samarqandi, autre chronique renommée du XVe siècle consacrée à l’histoire des Timourides14.

16 Tout en étant l’historiographe safavide le plus connu du début du XVIIe siècle, Eskandar Beg n’est pas le premier à témoigner de cet intérêt nouveau que manifeste la cour pour l’héritage timouride impérial. Nous pouvons observer ces tendances dès le dernier quart du XVIe siècle, notamment chez un autre chroniqueur de la cour, Qazi Ahmad Qomi (m. après 1606-07), auteur d’une chronique majeure, le Kholâṣat al-tavârikh, composée entre 1576 et 1591-92. Non seulement Qomi cite toute une liste de ses célèbres prédécesseurs, dont une partie sont les historiographes du Khorassan, mais il déclare aussi qu’il a entrepris son ouvrage sur l’ordre de Shah Esma’il II (r. 1576-1577) dans le but d’égaler le Maṭla’ al-sa’dayn de Samarqandi15. À l’origine, la chronique devait contenir l’histoire safavide du règne de Shah Esma’il Ier à celui de Shah Esma’il II. Il est manifeste qu’il s’agit là d’un parallèle à la construction du Maṭla’ al-sa’dayn, qui s’ouvre sur le règne de l’Il-Khanide Abu Sa’id (r. 1317-1335) et s’achève sur le règne d’Abu Sa’id le Timouride (r. 1451-1469). Ce projet fut substantiellement modifié en raison de la mort prématurée de Shah Esma’il II et le chroniqueur continua son propos jusqu’aux premières années du règne de Shah ‘Abbas Ier.

17 Aussi bien Eskandar Beg que Qazi Ahmad Qomi, une trentaine d’années avant lui, font ressortir ainsi l’importance des chroniques royales timourides comme leur modèle.

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Timour dans les écrits safavides : développement de la propagande impériale

18 Alors que le souvenir de l’époque timouride semble avoir eu beaucoup d’importance durant le XVIe et le début du XVIIe siècle safavides, le personnage de Timour lui-même occupe étonnamment peu de place chez les premiers historiographes. Le deuxième souverain safavide, Shah Tahmasp, se contente d’écrire dans ses « Mémoires », connus sous le nom de Taẕkera-ye Shâh Ṭahmâsp-e Ṣafavi, qu’il avait l’habitude de lire le Târikh-e Timur – nom usuel que l’on attribuait à l’époque à la chronique de Timour, le Ẓafar-nâma de Yazdi16. D’autre part, par exemple, Yahya Qazvini, auteur du Lobb al-tavârikh, compare Timour, au passage, à Alexandre et à Gengis Khan17, ce qui revient simplement à reconnaître sa qualité de grand conquérant. Ce sera d’ailleurs la qualité essentielle du personnage dans les écrits safavides.

a) la légende de Timour et du cheikh Khwaja ‘Ali

19 Le célèbre épisode de la visite de Timour à Ardabil chez le cheikh Khwaja ‘Ali Safavi (m. 1427) apparaît tardivement dans l’historiographie safavide, comme l’a prouvé la recherche de H. Horst18. Cet épisode est cependant devenu un des éléments fondateurs du légendaire safavide.

20 Selon la tradition safavide, cette rencontre aurait eu lieu au retour de Timour de sa campagne de Turquie, en 1404 (806 H), lorsqu’il s’arrêta pour hiverner dans le Qarabagh. Les sources timourides et safavides confirment que Timour avait hiverné dans le Qarabagh et qu’il passa par Ardabil19. Mais aussi bien les sources timourides que les auteurs safavides de la première moitié du XVIe siècle tels que Khwandamir, Yahya Qazvini, ‘Abdi Beg Shirazi, Hasan Rumlu (m. 1578)20 ou Bodaq Qazvini (m. après 1576)21, gardent le silence sur la prétendue visite de Timour chez un cheikh safavide. Même si une telle rencontre eut lieu – et ce serait plutôt le cheikh qui aurait pu rendre visite au conquérant, et non pas l’inverse22 – elle n’avait apparemment pas été considérée comme assez importante à l’époque pour être enregistrée par les chroniqueurs.

21 L’épisode de la visite de Timour chez Khwaja ‘Ali acquiert son importance à la fin du XVIe siècle avec l’arrivée sur le trône de Shah ‘Abbas Ier, souverain qui fait entrer l’Etat safavide dans son époque « impériale ».

22 Mais dès la seconde moitié du XVIe siècle, les éléments de ce qui deviendra la légende se mettent en place. Qazi Ahmad Qomi donne dans son Kholâṣat al-tavârikh un récit assez sobre d’une visite de Timour au cheikh de l’ordre safavide, Sadr al-Din Musa Safavi, père de Khwaja ‘Ali23. Nous devons souligner que Sadr al-Din est mort en 1391 (794 H), donc une douzaine d’années avant la campagne de Turquie. Le premier élément de la légende y apparaît : Timour vénère le cheikh safavide et accède à sa demande de libérer un groupe de prisonniers turcs qui, plus tard, deviendront disciples fidèles des Safavides et ancêtres de la tribu qezelbâsh des Rumlu24.

23 Une variante du Kholâṣat al-tavârikh, provenant d’une recension apparemment plus tardive25, apporte un deuxième élément de la légende : la donation en vaqf (bien de mainmorte) de terres achetées par Timour avec – détail très important – de l’or licite (zarr-e ḥalâl). Ces biens sont situés sur tout le territoire dominé par Timour : Iran, Turân, ‘Arabestân, Rum, Hend, Mâvarâ’an-nahr va Torkestân26. La gestion de ce vaqf ayant été

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confiée à la lignée safavide, le premier gestionnaire fut le fils et successeur du cheikh Sadr al-Din, Khwaja ‘Ali. Autrement dit, Timour aurait ainsi en quelque sorte donné aux Safavides la possession légale de terres s’étendant depuis la Turquie jusqu’à l’Asie centrale.

24 À partir de là, l’épisode avec quelques modifications et des variantes de plus en plus développées se retrouve dans toutes les chroniques safavides postérieures. Alors qu’au début du XVIIe siècle, le Rowżat al-ṣafaviyya de Jonabadi, compilé en 1626-27 (1036 H), ne fait que mentionner la visite de Timour à Ardabil parmi des visites qu’auraient effectuées d’autres représentants du pouvoir politique27, les chroniques ultérieures font place à la légende entière. C’est le cas, par exemple, de la tardive généalogie des Safavides, le Selsela-ye nasab-e ṣafaviyya de Sheykh Hoseyn Zahedi, compilée durant le règne de Shah Soleyman (r. 1666-1694)28, ou du Khold-e barin de Valeh Esfahani, composé en 1667-68 (1078 H)29. Parmi ces textes tardifs où la légende de Timour et Khwaja ‘Ali apparaît sous une forme très construite, il y a aussi, bien évidemment, le Târikh-e Jahângoshâ-ye Ṣâḥeb-Qerân, longtemps considéré comme anonyme et, surtout, comme un texte datant du tout début du règne des Safavides, mais aujourd’hui identifié comme une œuvre de Bižan le Géorgien, auteur également du Târikh-e Rostam Khân, qui vécut dans la seconde moitié du XVIIe siècle30.

25 Il est important de souligner que le travail historiographique de Jonabadi est principalement basé sur différents auteurs du XVIe siècle et qu’il est en grande partie indépendant de l’œuvre monumentale d’Eskandar Beg, chroniqueur de Shah ‘Abbas Ier. C’est ce dernier historiographe qui joua un rôle-clef dans l’élaboration et la diffusion de la légende de Timour et Khwaja ‘Ali.

26 En effet, la légende safavide telle qu’elle apparaît dans les sources a été reprise par tous les auteurs postérieurs non pas de Qazi Ahmad Qomi, auteur du Kholâṣat al-tavârikh, mais d’Eskandar Beg, qui consigne dans son ‘Âlam-ârâ-ye ‘Abbâsi la forme officielle de cette tradition avec Khwaja ‘Ali comme personnage principal.

27 Mis à part des ajouts dans le domaine du merveilleux, dont nous ne pouvons ici analyser ni la forme ni la fonction, Eskandar Beg s’étend sur les entretiens de Timour avec le cheikh et précise que le conquérant devint le disciple de Khwaja ‘Ali31. Eskandar Beg dit avoir repris l’histoire d’après des traditions orales, car il n’existait pas de tradition écrite de l’épisode mettant en scène Khwaja ‘Ali. Il est intéressant de voir qu’il insiste sur le fait que c’est cette version, et non celle faisant intervenir le cheikh Sadr al-Din, qui est la bonne.

28 D’autre part, il met fortement l’accent sur la donation légale des terres, ici achetées par Timour principalement dans la région d’Ardabil, et ajoute que des privilèges fiscaux furent accordés aux cheikhs safavides à la même occasion. Ces détails ancrent d’une façon très réaliste la tradition dans l’histoire safavide : c’est effectivement Khwaja ‘Ali qui était contemporain de Timour, et non pas son père, et il devait être plus utile à l’ordre safavide de se réclamer d’une donation timouride pour la possession de terres dans la région d’Ardabil qu’au Turkestan ou en Inde, quelle que puisse être la valeur symbolique attribuée à de telles donations.

29 Mais les Safavides semblent avoir été extrêmement attachés à la notion de légalité de la possession des biens fonciers et des exemptions d’impôt, car un document fut produit pour le confirmer, document qu’Eskandar Beg mentionne pour la première fois. La vaqfiyya (document de donation en vaqf) originelle, écrite « à l’ancienne » (be-khaṭṭ-e qadim) et authentifiée par un sceau mongol (tamghâ’) et un sceau (‘elâmat-e mohr) de

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Timour, aurait été découverte en 1602-03 (1011 H). Ce document serait tombé aux mains des Safavides durant la campagne de Balkh contre les Ouzbeks, dans les environs d’Andkhoy, et porté immédiatement à la connaissance de Shah ‘Abbas32.

30 Ce document a effectivement existé et était conservé à l’époque dans le mausolée safavide à Ardabil. Fazli Khuzani (m. après 1639), un historiographe safavide, auteur du Afżal al-tavârikh, l’a consulté à Ardabil, probablement autour des années 1617 (1020 H)33. Mais il s’agit d’un faux. Ayant étudié un manuscrit contenant une copie de ce document, Horst a pu démontrer que la vaqfiyya en question avait été forgée par les autorités safavides elles-mêmes34. La date à laquelle le document a été fabriqué ne peut être clairement établie, mais il faudrait la situer entre le règne de Shah Tahmasp (1524-1576), vraisemblablement vers la fin du règne, et la campagne de Balkh en 1602-03. Nous observons donc au XVIIe siècle un développement évident vers l’authentification de la tradition pour l’usage officiel, tradition dont tous les éléments ne sont pas forcement légendaires. D’un côté, il y a le renforcement de l’autorité spirituelle par l’adhésion d’un disciple hors du commun – Timour –, acte qui confère en retour à celui-ci une grandeur a posteriori par ce lien avec l’ordre safavide : c’est ce que les Timourides doivent aux Safavides. Mais de l’autre côté, essentiel pour la dynastie safavide, il y a le renforcement de la légitimité de l’exercice du pouvoir temporel et la possession de biens matériels acquis légalement : c’est ce que les Safavides doivent aux Timourides.

b) les prophéties ex eventu

31 C’est justement dans le courant du XVIIe siècle que se multiplient en Iran safavide des légendes légitimatrices de toute sorte, dans les sources aussi bien officielles que non officielles. Nous laissons de côté celles qui concernent l’investiture royale de Shah Esma’il Ier, le fondateur de la dynastie safavide, qui peuvent être rattachées à un fonds des traditions et croyances vieilles-turques présentes dans le milieu qezelbâsh. Nous voulons attirer l’attention ici sur celles qui mettent en scène le personnage de Timour.

32 Les derniers folios d’un manuscrit conservé à la Bibliothèque Nationale de France35 contiennent une qaṣida en 60 beyt inédite, copiée par un acheteur safavide du manuscrit dans le second quart du XVIIe siècle. D’après une note marginale de la main de l’acheteur, un officier de l’armée safavide nommé Mohammad Khan b. ‘Ali « Evchi » Shamlu, le volume a été acheté à Bagdad, peu après la prise de cette ville par les Safavides en 1624 (1033 H). Selon F. Richard, le texte de la qaṣida aurait pu être composé dès 1598/100636. Le poème était donc en circulation dans les années 1620, sinon dès le début du règne de Shah ‘Abbas Ier.

33 La qaṣida aurait été prétendument composée par un cheikh de la cour de Timour, dont le nom se lit très mal dans le coin supérieur droit du fol. 55b, abîmé sur le bord. Elle contient l’explication par un astrologue de la cour d’un songe de Timour comme un rêve prémonitoire annonçant l’avènement de la dynastie safavide. Il y est question, avec quelques dates à l’appui, de la prise de pouvoir par Shah Esma’il Ier, du règne de Shah Tahmasp, de la rébellion du frère de celui-ci, Alqasb Mirza (Alqâṣb, ou Alqâṣṣ Mirzâ), et du règne de Shah Esma’il II marque par l’assassinat de membres de la famille safavide, pour conclure avec l’avènement et les conquêtes de Shah ‘Abbas Ier, notamment sa campagne du Khorassan contre les Ouzbeks. L’arrivée au pouvoir de Shah ‘Abbas Ier ouvrira ainsi une nouvelle ère de splendeur.

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34 Cette prophétie n’était bien évidemment pas la seule en circulation en Iran safavide. Un autre exemple intéressant apparaît dans un manuscrit déjà mentionné, intitulé le Ṣokuk va sejellât-e Timuri37, qui contient la copie de la prétendue vaqfiyya de Timour en faveur de l’ordre safavide. L’imam ‘Ali prophétise au cheikh Khwaja ‘Ali que parmi ses descendants de la quatrième génération se lèvera (khoruj konad) un homme qui deviendra « padchah », tandis que son fils conquerra le monde (‘âlamgir shavad)38. Le « padchah » ne peut être que Shah Esma’il Ier, le premier souverain et fondateur de l’Etat safavide, et le conquérant du monde ainsi annoncé, Shah Tahmasp39. Le fait que Shah Tahmasp soit l’objet principal de cette prophétie est l’un des arguments que développe Horst pour dater la fabrication de la vaqfiyya de Timour de l’époque du règne de ce souverain40.

35 Mis à part l’intérêt de ce genre de prophéties et de poèmes annonciateurs pour l’étude de la propagande safavide impériale, qui semble être en net développement sous Shah ‘Abbas Ier et dont l’étude reste encore à faire dans sa totalité, il est intéressant pour notre propos de voir que le rôle légitimateur y est donné directement ou indirectement à Timour, grand conquérant et fondateur d’empire. Parmi les souverains safavides, Shah ‘Abbas Ier est non seulement présenté comme un grand conquérant, mais aussi comme le refondateur de l’Etat safavide.

36 Cette qualité de « grand conquérant » est aussi habituellement associée à Shah Esma’il Ier, mais plus rarement à Shah Tahmasp. Cependant, ce dernier souverain se voit bien qualifié de cette épithète dans la prophétie de la vaqfiyya. Bien que ce soit l’imam ‘Ali qui tienne ici le rôle de prophète, le contexte est timouride et la prophétie liée à la présence de Timour dans le milieu safavide. Il est à noter que ‘Ali apparaît très souvent comme celui qui dévoile l’avenir. De plus, comme nous le démontrent les textes safavides, la qualité religieuse de cette figure musulmane par excellence ne l’empêche absolument pas d’accomplir fréquemment des gestes cérémoniels vieux-turcs, notamment dans les légendes de l’investiture de Shah Esma’il Ier41. En ce qui concerne donc la prophétie de la vaqfiyya de Timour, nous sommes peut-être ici en présence de deux traditions légitimatrices, l’une vieille-turque recouverte d’un vernis islamique, l’autre impériale et fondée sur l’héritage timouride.

c) Timour et Shah ‘Abbas Ier

37 La lecture des chroniques safavides fait apparaître également d’autres éléments qui tendent à montrer que Shah ‘Abbas Ier a été plus ou moins ouvertement comparé ou même identifié à Timour.

38 Déjà au début du règne de Shah ‘Abbas, un de ses chroniqueurs, Siyaqi Nezam, utilise dans son ouvrage le Fotuḥât-e Homâyun42, écrit en 1598, toute une série d’artifices formels dans une démarche légitimatrice. Il exploite notamment la science des abjad (système de valeur numérique des lettres). Grâce à des manipulations expertes, il établit un lien entre les personnes de Shah ‘Abbas Ier et de Timour, ce dernier présenté comme la figure impériale par excellence, détenant une sorte de grâce divine qui le guide dans la conduite des affaires du royaume43. Siyaqi Nezam établit un parallèle entre les deux souverains, en attribuant à chacun d’eux une série d’épithètes qui se composent toutes de douze lettres. Il s’attache particulièrement à démontrer le droit de Shah ‘Abbas Ier de porter le titre de « Ṣâḥeb Qerân-e ‘Âlà », titre traditionnel de Timour. L’emploi du système de l’abjad lui permet d’établir une équivalence entre le titre du

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Chah, « Shâh ‘Abbâs Ḥoseyni », et celui de Timour, « Ṣâḥeb Qerân-e ‘Âlà », dont la valeur numérique des lettres est la même (577, selon l’auteur)44. Les deux titres deviennent de ce fait interchangeables.

d) la légende du « sabre de Timour »

39 Un épisode curieux, celui du « sabre de Timour », apparaît dans une chronique safavide officielle du milieu du XVIIe siècle, faisant suite à celle d’Eskandar Beg, le Ẕeyl-e târikh-e ‘âlam-ârâ-ye Abbâsi ; il est repris par certaines autres chroniques45. Au printemps de l’année 1634 (1043 H), à l’occasion des cérémonies de la nouvelle année, Shah Safi (r. 1629-1642), successeur de Shah ‘Abbas Ier, reçoit du gouverneur du Bahrayn (qui dépendait alors du gouvernement du Fars), Sevenduk Soltan, un présent (hediya) unique : le sabre (shamshir) de Timour, identifié comme tel par une inscription à son nom. Ce sabre serait tombé aux mains de Sevenduk Soltan dans des circonstances qui ne sont pas expliquées par l’historiographe. Un long paragraphe que l’auteur consacre à cet événement fait comprendre la valeur et le sens que revêt ce don. L’offrande du sabre confère à Shah Safi des victoires, garantit de grandes conquêtes militaires (fotuḥât-e ‘aẓima), l’invincibilité dans la guerre, etc. Le sabre de Timour est d’ailleurs qualifié ici de « jahângir », conquérant du monde. Toutes les caractéristiques du « Conquérant du Monde » qui sont attachées au sabre, et par là au personnage de Timour, passent ainsi sur le personnage du souverain safavide.

Conclusion

40 Le XVIIe siècle safavide voit également fleurir un certain nombre de chroniques, ou pseudo-chroniques, semi-légendaires et souvent anonymes, qui sont pour la plupart centrées sur l’arrivée au pouvoir de la dynastie safavide46. C’est dans ces textes que l’on peut découvrir toute une série de traditions et légendes fondatrices, avec des éléments proches du fonds culturel centre-asiatique. Même si elles ne font pas directement allusion à Timour ou aux Timourides, elles sont cependant liées au fonds commun des milieux culturels vieux-turcs. Ces traditions qui comprennent, comme nous l’avons déjà mentionné, des légendes sur l’investiture rituelle de Shah Esma’il Ier comparée aux cérémonies du sacre safavide décrites par les chroniques tardives, la symbolique précisément du sabre et de la ceinture observée aussi, bien évidemment, chez les Timourides de l’Asie centrale et ceux de l’Inde, et d’autres questions encore, débordent du cadre de cette étude.

41 L’historiographie safavide donna d’emblée une place importante au souvenir de l’époque timouride, alors que le personnage de Timour n’apparut dans un rôle spécifique que progressivement. Les Safavides semblent avoir entretenu une attitude particulière face à l’ancien empire timouride et à ses acquis culturels, qui les fascinaient et qu’ils admiraient, et face à Timour lui-même, qu’ils finirent par utiliser. Les écrits de l’époque reflètent avant tout cette évolution du point de vue officiel de la cour, où certaines images et notions sont adoptées à des fins de propagande impériale. À la lecture des sources apparaissent des différences frappantes entre les historiographes de la première époque safavide, « tribale » (du début du XVIe siècle à l’avènement de Shah ‘Abbas Ier), et ceux de la seconde époque, « impériale » (depuis Shah ‘Abbas Ier jusqu’à la chute des Safavides).

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42 Il est vraisemblable que, déjà vers la fin du XVIe siècle, se mettent en place des éléments d’une idéologie impériale associant de plus en plus ouvertement les Safavides au passé royal timouride, le moment charnière étant le règne de Shah ‘Abbas Ier. Dès le XVIIe siècle, en poursuivant l’idée politique de ce souverain, les chroniqueurs font état de la création, en la personne de Timour, d’une figure légitimatrice majeure par la voie de la filiation spirituelle, de l’héritage temporel légal et de l’héritage impérial.

NOTES

1. Voir notamment J.-P. Roux, « Une survivance des traditions turco-mongoles chez les Séfévides », Revue de l’histoire des religions 183/1 (1973), p. 11-18 ; Jean Aubin, « L’avènement des Safavides reconsidéré », Moyen Orient et Océan Indien 5 (1988), p. 44-48 ; H. R. Roemer, « The Qizilbash Turcomans : Founders and Victims of the Safavid Theocracy », dans M.M. Mazzaoui & V. B. Moreen, IntellectualStudiesonIslam, University of Utah Press, Salt Lake City, 1990, p. 30-32 ; M. E. Subtelny, « The Symbiosis of Turk and Tajik », dans B. F. Manz (éd.), CentralAsiainHistoricalPerspective, Westview Press, Boulder-San Francisco-Oxford, 1994, p. 45-61. Nous avons essayé de cerner ces questions, que le présent article ne pourra pas développer, dans une communication intitulée « L’héritage centre-asiatique chez les Safavides », Table Ronde Tradition et innovation dans l’Orient ottoman et iranien, Mulhouse, 12-13 mai 1995, Université de Haute Alsace et URA 1540 du CNRS (inédit). 2. L’exemple le plus connu, déjà décrit (voir Roux, ibid. ; Aubin, « Avènement », p. 46), est l’attitude des Safavides envers les os et le squelette, attitude qui remonte aux croyances ayant trait à l’âme et à la force vitale chez les Turcs anciens ; en particulier le célèbre épisode (peut- être apocryphe, mais largement admis dès le XVIe siècle) de la coupe que Shah Esma’il Ier aurait fait façonner avec le crâne de son ennemi vaincu, Mohammad Khan Sheybani. C’est une pratique des peuples steppiques attestée dès les Scythes anciens (voir Hérodote, IV, 64-65), mais aussi, à travers les siècles, chez les Bulgares au IXe siècle (voir S. Kenderova, « Njakoi danni za srednovekovnata b’lgarska istorija v s’cinenieto “Naniz ot perli” » , B’lgarskite zemi v drevnostta B’lgarijaprez srednovekovieto, 2e Congrès international d’Etudes Bulgares, Sofia, 1987, p. 727-731), chez les Seljouks au XIIe siècle (voir P. Deschamps, « Le château de Sâone et ses premiers seigneurs », Syria 16 (1935), p. 82), etc. Il y aussi d’autres pratiques très significatives, comme la profanation des tombeaux des ennemis par l’exhumation des squelettes (nombreux exemples dans les sources safavides), l’édification des tours de crânes, non seulement ceux des animaux tués à la chasse mais aussi ceux des ennemis. Ce dernier usage est attesté chez les Safavides, notamment au Gilan, encore dans la seconde moitié du XVIe siècle, voir Sharaf-Khân Bidlisi, Sharaf-nâma, târikh-e mofaṣṣal-e Kordestân, éd. Mohammad ‘Abbâsi, Téhéran, 1364 Sh/1993 (2e éd.), p. 579. Les Aq Qoyunlu connaissaient également cette pratique, attestée chez eux à la fin du XVe siècle, voir Yahyà Qazvini b. ‘Abd al-Laṭif, Lobb al-tavârikh, lith., Enteshârât-e Bonyâd va Guyâ, [Téhéran] 1363 Sh/ 1984, p. 369. Voir aussi J.-P. Roux, La religion des Turcs et des Mongols, Payot, Paris, 1984, p. 164-165. D’autres éléments seraient à étudier : l’utilisation rituelle du vin ; la symbolique royale et l’investiture (visible surtout dans les légendes de Shah Esmâ’il Ier), le système de succession (avec le conflit entre primogéniture et compétition de tous les mâles de la famille), etc.

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3. Pour un aperçu de l’histoire des Safavides, voir EI2, art. « Ṣafawîdes » (par plusieurs auteurs) ; CHI, vol. VI. Voir également la série d’importants articles de Jean Aubin publiés dans différentes revues (dont certains sont cités ici). Également, R. S. Savory, Studies on the History of Safawid Iran, Variorum Reprints, Londres, 1987 ; J. Calmard (éd.), Études Safavides, IFRI, Paris-Téhéran, 1993 (Bibliothèque Iranienne 39) ; et Ch. Melville (éd.), Safavid Persia. The History and Politics of an Islamic Society, Londres, LB. Tauris, 1996. Pour l’installation des Safavides dans le Khorassan, M. Szuppe, Entre Timourides, Uzbeks et Safavides : questions d’histoire politique et sociale de Hérat dans la première moitié du XVIe siècle, Association pour l’Avancement des Etudes Iraniennes, Paris, 1992 (Cahiers de Studia Iranica 12). 4. Voir M. B. Dickson, Shâh Tahmâsb and the Ûzbegs. The Duel for Khurâsân with ‘Ubayd Khân : 930-946/1524-1540, Thèse inédite, University of Princeton 1958 ; ainsi que R. D. McChesney, « The Conquest of Herat 955-6/1587-8 : Sources for the Study of Safavid/Qizilbâsh – Shîbânid/Ûzbak Relations », dans Calmard, Études Safavides, p. 69-107 ; A. Burton, « The Fall of Herat to the Uzbegs in 1588 », Iran 26 (1988), p. 119-123 ; etc. 5. Qâżi Aḥmad b. Mohammad Ghaffâri Kâshâni, Târikh-e Negarestân, éd. Âqâ Morteżà Modarres-e Gilân, Téhéran [s.d.], p. 350-351. Le Târikh-e Jahân-ârâ a été publié à Téhéran en 1343 Sh/1964. 6. Nombreux exemples dans les sources safavides. 7. Cette démarche est bien sûr assez courante. À une autre époque, le règne de l’Il-Khan Abu Sa’id (1317-1335) fut érigé en un âge d’or par les historiographes de la génération suivante, comme Amoli, auteur du Târikh-e Ruyân, et ce une trentaine d’années à peine après la mort de ce souverain : voir J. Aubin, « La propriété foncière en Azerbaïdjan sous les Mongols », Le Monde Iranien et l’Islam 4 (1976-77), p. 132. 8. Nous avons pu aborder certains aspects de cette question plus en détail dans « Le Khorassan aux XIVe-XVIe siècles : la littérature savante comme expression de l’unité avec la Transoxiane », dans La Persia e Asia Centrale da Alessandro al X secolo, (Roma, 9-12 novembre 1994), Atti dei Convegni Lincei, 127, Accademia Nazionale dei Lincei, Rome 1996, p. 149-164, surtout en ce qui concerne Amir Mahmud, Vasefi et Fakhri Heravi. Pour Hatefi et l’utilisation idéologique que le XVIIe siècle safavide a pu faire de son œuvre poétique, voir l’article en préparation de Michele Bernardini, « Due romanzi di Alessandro storicizzati : il Timurnâme di Hâtefi e lo Šâhenšâhnâme-ye Esmâ’il di Qâsemi Gonâbâdi », à paraître dans M. Bernardini (éd.), La civiltà timuride come fenomeno internazionale, Rome, (Oriente Moderno), sous presse. Voir également J. Aubin, « Chroniques persanes et relations italiennes. Notes sur les sources narratives du règne de Šâh Esmâ’il Ier », Studia Iranica 24/2 (1995), p. 248-253, sur l’école des historiographes du Khorassan. Sur tous les auteurs timourides et safavides mentionnés ici, voir Ju. Bregel’, C.A. Storey. Persidskaja bibliografija. Biobiograficheskij obzor, Moscou, 1972 (consulter les index). 9. Il s’agit de la Khamsa (« Pentalogie ») de ‘Abdi Beg, le Jannât-e ‘adn (Les Jardins de l’Eden), dont les cinq parties s’intitulent : Rowżat al-ṣefât, Dowḥat al-azhâr, Jannat al-asmâr, Zeynat al-owrâq, Ṣaḥifat al- ekhlâṣ. Les deux premiers poèmes sont particulièrement importants dans notre contexte : ‘Abdi Beg Shirâzi, Rowżat al-ṣefât, éd. A. Ragimov, AN Azerbajdžanskoj SSR, Moscou, 1974, et ‘Abdi Beg Shirâzi, Dowḥat al-azhâr, éd. A. Ragimov & A. Minai, AN Azerbajdžanskoj SSR, Moscou, 1974. Voir aussi M. Szuppe, « Palais et jardins : le complexe royal des premiers Safavides à Qazvin, milieu XVIe – début XVIIe siècles », dans Sites et monuments disparus d’après les témoignages des voyageurs, textes réunis par R. Gyselen, Paris, 1996, p. 143-177 (Res Orientales VIII). 10. ‘Abdi Beg, Rowżat al-ṣefât, p. 34. 11. ‘Abdi Beg, Rowżat al-ṣefât, p. 42-43, et ‘Abdi Beg, Dowḥat al-azhâr, p. 47, sur la description du Bagh-e Morad de Qazvin. Les chroniques contemporaines identifient clairement le Bagh-e Morad de Hérat comme étant le célèbre jardin de Soltan-Hoseyn Bayqara, le Bagh-e Jahan-ara, voir Khwândamir (Ghiyâs al-Din b. Humâm al-Din), Târikh-e ḥabib al-siyar, éd. Jalâl al-Din Humâ’i, Téhéran, 1333 Sh/1954, vol. IV, p. 136 ; Yaḥyà Qazvini, p. 336. Sur le Bagh-e Morad de Hérat, voir aussi M. Szuppe, « Les résidences princières de Hérat : problèmes de continuité fonctionnelle

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entre les époques timouride et safavide (1re moitié du XVI e siècle) », dans Calmard, Etudes Safavides, p. 272-276. 12. Yaḥyà Qazvini, p. 336-337. 13. Eskandar Beg Torkemân Monshi, Târikh-e ‘âlam-ârâ-ye ‘Abbâsi, 2 vols (en numérotation continue), éd. Iraj Afshâr, Téhéran, 1334 Sh/1955, p. 36. 14. Eskandar Beg, p. 373. Pour les éditions des chroniques mentionnées, voir Sharaf al-Din ‘Ali Yazdi, Ẓafar-nâma, târikh-e ‘omumi-ye mofaṣṣal-e Irân dar dowra-ye Timuriyân, éd. Mohammad ‘Abbâsi, 2 vol., Téhéran, 1336 Sh/1957, et ‘Abd al-Razzâq Samarqandi, Maṭla’ al-sa’dayn va majma’ al-baḥrayn, éd. Muhammad Shafi’, 3 vol., Lahore, 1360-68 H/ 1941-49. 15. Qâżi Aḥmad b. Sharaf al-Din al-Ḥoseyn al-Ḥoseyni Qomi, Kholâṣat al-tavârikh, éd. Eḥsan Eshrâqi, 2 vol. (en numérotation continue), Téhéran, 1359-1363 Sh/1980-1984, p. 3, 5. Il mentionne notamment, parmi les auteurs du Khorassan, Amir Solṭân Ebrâhim Amini Heravi (m. 1535), auteur du Fotuḥât-e Shâhi (inédit), et Mir Mahmud b. Khwândamir. Voir aussi Sh.A. Quinn, « The Historiography of Safavid Prefaces », dans Melville, Safavid Persia, p. 6-9, sur les liens de Qazi Ahmad Qomi avec la tradition historiographique timouride. 16. Cette précision sur les usages de l’époque est dans Yaḥyà Qazvini, p. 302. Voir Shâh Ṭahmâsp Ṣafavi, Taẕkera-ye Shâh Ṭahmâsp, 910-984 hejri, éd. Amrallâh Safari (2e éd.), Téhéran, 1363 Sh/1984, p. 43. Shah Tahmasp cite un beyt du Ẓafar-nâma à propos de l’amour et de la confiance qu’éprouvait Timour pour son fils Shahrokh, toujours fidèle, circonstance que Tahmasp met en parallèle avec ses propres sentiments pour son frère Alqasb Mirza, qui s’était cependant révélé déloyal. 17. Yaḥyà Qazvini, p. 302. 18. Heribert Horst, Tîmûr und Ḫôgä ‘Ali. Ein Beitrag zur Geschichte der Safawiden, Franz Steiner Verlag Gmbh, Wiesbaden, 1958. 19. Voir Horst, p. 39-44, pour la bibliographie complète de la question. Voir aussiV. Minorsky, « The Supporters of the Lords of Ardabil », dans Tadhkirat al-Mulûk. A Manual of Safavid Administration, translated and explained by V. Minorsky, Cambridge University Press, 1943 (Reprint 1980), p. 189 n. 6. 20. Hasan Beg Rumlu, Aḥsan al-tavârikh, éd. ‘Abd al-Ḥoseyn Navâ’i, 2 vol., Téhéran, 1349 Sh/1970. 21. Bodâq Qazvini, Javâher al-akhbâr, ms Bibliothèque Nationale de Saint-Pétersbourg, Dorn 288 (Gosudarstvennaja Publichnaja Biblioteka im. Saltykova-Shchedrina). 22. Voir EI2, art. « Ṣadr al-Dîn Mûsâ » (J. Calmard), qui montre comment l’ordre safavide, à l’instar de beaucoup d’autres mouvements religieux de l’époque, chercha depuis toujours à se concilier les faveurs du pouvoir politique en place. 23. Qomi, p. 33. 24. Qomi, p. 33. Sur les Rumlu et les autres tribus qui composaient la force militaire de l’ordre safavide dans sa lutte pour le pouvoir dès la seconde moitié du XVe siècle – ils étaient sept selon la légende –, voir Minorsky, « The Supporters of the Lords of Ardabil », p. 189-195 ; M. M. Mazzaoui, The Origins of the Safawids. Ṣî’ism, Ṣûfism and the Ġulât, Wiesbaden, 1972, p. 71 sq., 81. Voir aussi O. Efendiev, « Le rôle des tribus de langue turque dans la création de l’État safavide », Turcica 6 (1975), p. 27. 25. Horst, p. 45. 26. Qomi, p. 928. 27. Mirzâ Hasan Beg Ḥasani Jonâbâdi, Târikh-e rowżat al-ṣafaviya, ms British Library and India Office Collections, Or. 3388, fol. 16a-b. 28. Silsilät-ul-Nässäb, Généalogie de la dynastie Säfävy de la Perse, par Cheik Hossein fils de Cheik Abdâl Zâhedi, sous le règne de Chah Soleiman [Selselat al-nasab-e ṣafaviyya, nasab-nâma-ye pâdshâhân bâ ‘aẓemat-e Ṣafavi, ta’lif-e Sheykh Ḥoseyn pesare Sheykh Abdâl Pirzâde-ye Zâhedi, dar ‘ahd-e Shâh Soleymân-e Ṣafavi], Publications Iranschahr n° 6, Berlin, 1924, p. 46-49. Timour n’est pas désigné

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dans ce texte par ses titres habituels, mais est appelé très simplement « Timur Khân » ou « Timur Khân Gurkân ». 29. Mohammad Yusof Vâle(h) Eṣfahâni, Khold-e barin (Irân dar ruzgâr-e Ṣafaviyân), éd. Mir Hâshem Moḥaddes, Bonyâd-e Mowqufât-e Maḥmud Afshâr, Téhéran, 1372 Sh/ 1993, p. 43-48. 30. Ce texte fut longtemps cité comme « Anonyme Ross » ou « Anonyme d’Esmâ’il », et fut considéré comme une source unique du début du XVIe siècle sur l’arrivée de Shah Esma’il Ier au pouvoir. Voir A.H. Morton, « The Date and Attribution of the Ross Anonymous. Notes on a Persian History of Shâh Ismâ’il I », dans Ch. Melville (éd.), Pembroke Papers I. Persian and Islamic Studies in honour of P.W. Avery, Cambridge, 1990, p. 179-212. Édition E.D. Ross, « The Early Years of Shâh Ismâ’il, Founder of the Safavi Dynasty », Journal of the Royal Asiatic Society, N.S. 28 (1896), p. 249-340 (partielle) ; et sous le titre de Jahângoshâ-ye khâqân, éd. Allâhdattâ Mudtarr, Islamabad, 1402 H/1364 Sh/1986. 31. Pour cet épisode, voir Eskandar Beg, p. 15-16. 32. Eskandar Beg, p. 15-16. 33. Voir A.H. Morton, « The Early Years of Shah Ismâ’il in the Afzal al-tavârikh and Elsewhere », dans Melville, Safavid Persia, [27-51], p. 30. Le texte d’Afżal al-tavârikh de Khuzani [Fażli b. Zeyn al-’Âbedin Khuzâni Eṣfahâni] reste inédit ; ms unique en deux parties : volume 1 (jeld-e avval) concernant le règne de Shah Esma’il Ier, Cambridge University Library n° 172, volume 2 (jeld-e dovvom) 1er cahier (daftar-e avval) concernant le règne de Shah Tahmasp, British Library, Or. 4673. 34. La démonstration de Horst (p. 32-37) est basée sur l’étude des données paléographiques et la découverte d’une série d’erreurs et d’anachronismes. Le manuscrit sur lequel il a travaillé est conservé dans la bibliothèque du mausolée de Mashhad (Ketâbkhâna-ye Âstân-e Qods, n° 4141) et porte le titre Ṣokuk va sejellât-e Timuri (Horst, p. 25-26). Horst en publie le texte en fac-similé à la suite de son travail (ibid., pages non numérotées). Notre collègue Bakhtiyar Babajanov nous signale que d’autres faux documents censément scellés avec un sceau de Timour se trouvent dans les fonds des manuscrits de l’Institut d’Orientalisme de Tachkent en quantité impressionnante. 35. Il s’agit de Sâm Mirzâ Safavi, Toḥfa-ye Sâmi, Ancien Fonds Persan 102, un célèbre taẕkera (recueil des biographies) du milieu du XVIe siècle, écrit par le frère de Shah Tahmasp, Sam Mirza. La qaṣida occupe les folios 55b-56b. Voir F. Richard, Catalogue des manuscrits persans de la Bibliothèque Nationale de France, vol. I : « Ancien Fonds », Paris, 1989, p. 125-126. 36. Richard, Catalogue, p. 125-126. C’est la dernière date mentionnée dans la qaṣida (Ancien Fonds Persan 102, fol. 56b, beyt 49). 37. Voir note 34. 38. Horst, p. 28, et le fac-similé du texte, fol. 7b. 39. Shah Esma’il Ier est un descendant direct de Khwaja ‘Ali à la quatrième génération par son père, Sheykh Soltan-Heydar b. Sheykh Soltan-Jonayd b. Sheykh Ebrahim b. Khwaja ‘Ali Safavi. 40. Horst, p. 46-47. 41. Voir R.P. Lindner, Nomads and Ottomans in Medieval Anatolia, Indiana University, Bloomington, 1983, p. 108 ; Roux, La Religion, p. 170, 230 ; J.-P. Roux, Eudes d’iconographie islamique. Quelques objets numineux des Turcs et des Mongols, Éditions Peeters, Louvain, 1982 (Cahiers Turcica), p. 9-27. Cette question devra être étudiée en profondeur. Sur le rôle de ‘Ali dans la littérature persane classique, comme donneur de conseils plutôt que comme prophète, voir les analyses fondamentales de Ch.-H. de Fouchécour, Moralia. Les notions morales dans la littérature persane du 3e/ 9e au 7e/13e siècle, Éditions Recherche sur les Civilisations, IFRI, Paris-Téhéran, 1986, p. 118-128. 42. Sur cette source et son auteur, voir la thèse inédite de Chahryar Adle, Siyâqi Neẓâm – Fotuḥât-e Homâyun, « Les Victoires Augustes », 1007/1598. Relation des événements de la Perse et du Turkestan à l’extrême fin du XVIe siècle, édition critique, traduite, complétée, commentée et annotée, 2 vol., Thèse de 3e cycle, Paris III-La Sorbonne Nouvelle, 1976. 43. Voir Quinn, p. 11-12 ; Siyâqi Neẓâm (thèse Adle), vol. I, p. 334. 44. Quinn, p. 11-12.

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45. Voir Mohammad Yusof Movarrekh [va Eskandar Beg Monshi], Ẕeyl-e târikh-e ‘âlam-ârâ-ye ‘Abbâsi, éd. Soheyli Khwânsari, Téhéran, 1317 Sh/1938, p. 129-130. L’épisode apparaît aussi chez certains autres auteurs, notamment Mirzâ Ṭâher Vahid Qazvini, dont l’œuvre s’intitule le Khold-e barin (information d’après S. Mohammad ‘Ali Golriz, Minudar yâ bâb al-jennat-e Qazvin, Téhéran, 1337 Sh/1958, p. 607-608). 46. 46. Parmi ces sources, on pourrait citer deux textes anonymes, parfois appelés aussi les « histoires romanesques de Shah Esma’il Ier », le ‘Âlam-ârâ-ye Shâh Esmâ’il (éd. Aṣghâr Montaẓer Ṣâḥeb, Téhéran, 1349 Sh/1970) et le ‘Âlam-ârâ-ye Ṣafavi (éd. Yâdallâh Shokri, Téhéran, 1350 Sh/ 1971) ; également le Târikh-e jahângoshâ-ye Ṣâḥeb-Qerân de Bižan, déjà mentionné plus haut (texte longtemps considéré comme anonyme), ainsi que ‘Âlam-ârâ-ye Shâh Ṭahmâsp. Zendegi-ye dâstâni dovvomin-e pâdshâh-e dowra-ye ṣafavi (éd. Iraj Afshâr, Téhéran 1370 Sh/1991), lui aussi anonyme.

AUTEUR

MARIA SZUPPE CNRS, Strasbourg – IFÉAC, Tachkent (France – Ouzbékistan)

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Index des noms propres

1 L’index fait exclusivement référence au texte des articles, non aux notes. Ne figurent que les noms propres (personnages, tribus et dynasties, lieux et monuments, écoles et ordres religieux). Les noms les plus fréquents, notamment « Timourides » et « Asie centrale » ont été volontairement omis. Seuls les auteurs anciens apparaissent à l’exclusion des savants contemporains. Pour alléger et simplifier, les mots pour lesquels la graphie usuelle est de rigueur apparaissent orthographiés « à la française » (même pour les références aux textes en anglais), par exemple : Ouzbeks et non Uzbeks, Gengis Khan et non Chingiz Khan, etc. Le nom du fondateur de l’illustre dynastie apparaît sous la forme de « Timour ».

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