Brice Pauset
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
BRICE PAUSET OPÉRA NATIONAL DE PARIS / BASTILLE – AMPHITHÉÂTRE S DÉCEMBRE RQQT © DR Brice Pauset Exercices du silence Extrémités et abandon Exercices du silence Texte de Brice Pauset Texte de Laurent Feneyrou pour voix, piano et électronique C’estaprèsavoirassistéensonAnjou La vie de Louise du Néant nous est natalausermond’unobscurprédica- connue, comme ses lettres, par un Livret du compositeur d’après teur, que Louise de Bellère du Tron- ouvrage paru en 1732, sans nom d’au- les lettres de Louise du Néant chay décida de devenir Louise du teur, sous le titre Le Triomphe de la Néant (1639 – 1694). pauvreté et des humiliations. Jean Création mondiale Maillard (1618–1702), jésuite, traduc- Sonappétitd’ascétismeetd’humilia- teur de saint Jean de la Croix, prédi- Commande de l’Ircam – tionlaconduisitalorsàlaSalpêtrière cateuràNantesetàLaFlèche,directeur Centre Pompidou où, mêlée au sort effarant des inter- spirituel du collège Louis le Grand à et du Festival d’Automne à Paris nées, elle put accéder, au sortir des Paris, l’avait écrit peu après la mort Composition : 2007 – 2008 mortifications les plus extrêmes, à desapénitente,en1694.Maislapubli- Dédié à Laurent Feneyrou cesquelquesmomentsd’extasedont cation en fut retardée, en raison, vrai- Durée : 60’ elle redoutait aussitôt la dispari- semblablement, de la défaveur où tion. étaient alors tombées les mystiques Salome Kammer, soprano du XVIIe siècle. C’est d’un triomphe, Michael Wendeberg, piano Parseslettres,nousaccédonsàl’une donc, qu’il s’agit, selon le vocabulaire des expériences mystiques les plus del’époque,d’uneindépassablelimite Voix enregistrées de radicales du Grand Siècle finissant. de pratiques ascétiques constantes Daniel Raguin (Dieu) L’ampleur des symptômes qu’elle etrigoureuses,faitesd’abnégation,de Jacques Grandclément (Jésus) révèle contient les germes de la dra- souffrances, d’humiliations et de ver- maturgie, tant théâtrale que musi- tus héroïques, retournant la misère Jean Kalman, lumières cale, à l’origine de ma deuxième de l’homme en triomphe de la grâce compositiondestinéeàlascène:abjec- divine. Au cours du XIXe siècle, l’ou- Réalisation informatique musicale tion,extase,aphasie,régressionalter- vragenetrouvaguèredelecteurs,pas Ircam, Olivier Pasquet nent en une suite irrégulière de même Huysmans, auteur cher à Brice Équipe technique Ircam : quatorze stations dont les forces Pauset, qui aurait assurément mani- David Poissonnier, ingénieur du son surscène,ramenéesàl’essentiel(une festéquelqueintérêtpourcesdescrip- Sylvain Cadars, régisseur son voix,unpiano),etlepartiprisderepré- tions de visions, d’extases et de David Raphaël, régisseur Benjamin Fournier, stagiaire sentation (la désorientation senso- possessions. Et il fallut attendre l’His- rielle) exposent avec une certaine toire littéraire du sentiment religieux Équipe technique de l’Amphithéâtre méthodeleprixàpayerpourunidéal en France, somme fameuse d’Henri de l’Opéra national de Paris donné. Bremond, pour retrouver trace de Techniciens son, Christian l’Angevine, jeune fille de la noblesse, Coquillaud, Guillaume Perraudeau Un souci constant dans mon travail combléedetouslesdonsdelanature, Régie lumière, Jérome Coudoin récent est celui du polissage patient de l’intelligence comme de la société. Régie, Jean-Pierre Ruiz d’une « langue » musicale qui soit par essence vocale, d’une vocalité Mais un jour, un sermon consacré à faite de viande, de nerfs, d’os, de laconversionetàlapénitencedesainte fluides : une vocalité qui redonne- Madeleine, que Louise de Bellère du rait à la consonne et au bruit la place Tronchaysuitavecexaltation,luirévèle Coproduction Festival d’Automne à Paris, que notre culture leur a déniée. sa faute, la vanité de son existence, Ircam-Centre Pompidou ses complaisances pour le monde, Coréalisation Opéra national de Paris ; et la désigne comme pécheresse, Festival d’Automne à Paris promise à la damnation et à l’enfer, Avec le concours de la Sacem coupablesansconteste.Peuaprès,au sortir d’un confessionnal, elle hurle, horsd’elle-même,agitéed’unefureur horrible,possédée,disait-onàl’époque. Sescris,terribles, brisentlecoursd’une existence entre piété et obligations 2 de son rang. Angoisses et violences Surnatureletlesdieuxd’aprèslesmala- Livret établi par le du corps la mèneront, en 1677, à la dies mentales, essai de théogénie compositeur d’après les Salpêtrière, où elle partagera le sort pathologique de Georges Dumas… lettres de Louise du Néant des folles, des miséreuses, des men- diantes,desprostituées,desvoleuses, Maisuntroisièmetempsirrigueencore 1. PRÉLUDE DU SILENCE des grabataires et autres égarées de lesExercicesdusilence,celuidenotre LOUISE l’Hôpitalgénéral,enferméesetenchaî- monde. L’œuvre en effet ne tient ni Je sais que le silence est le nœud de nées dans des basses-fosses, des delareligionnidelapsychologie,mais la perfection, et je tâche, autant que cachots.Cettephase,dequelquesmois, del’esthétique.Lacyclicitédestroubles jelepuis,àlegarder,carjedésireardem- laisse bientôt place à la négation, à deLouiseduNéantdéterminesastruc- ment de plaire à mon Jésus; mais je l’abandon de soi, à l’extase. Louise du ture, ses effets de répétitions et de vous prie de m’enseigner la manière Néantavaitaimélachair;elleenscrute reprises : aux mortifications, la simul- de lui être agréable ; je ferai très exac- ladécomposition,tournantautourdes tanéité disloquée du récit et de l’ac- tement tout ce que vous me prescri- ulcères, des varices ouvertes et des tion,commeunfroiddocumentdesoi rez.Necraignezpasdemefaireaucune peaux vérolées, sur lesquelles elle sursoi;auxextases,lesvariationssans peine.Onfaittoutaveclagrâcedivine. appose ses lèvres. thème.LeslettresqueLouiseduNéant Jemesens,parlamiséricordedeDieu, adresse à ses confesseurs donnent si disposée à tout ce qu’il voudra, que C’estencoredevéritéreligieuse,d’ap- l’architecturedesrythmes,parlesécu- si je devenais encore aussi folle que proche spirituelle du délire, qu’il est laire procédé de la guématrie : a = 1, j’ai été, je l’en bénirais ; la créature question, avant que Charcot et Janet b = 2, c = 3…, la suite numérique ainsi doit servir de quelque chose à son n’exercent leur science médicale et obtenue multipliant une valeur de créateur. que la psychiatrie moderne n’y voie baseetconstruisantunelignetempo- Quem’importeenquelétatilmemette, lessymptômesd’unepsychose.«Lors- relle sur laquelle se greffent la voix, jediraitoujourscommemonaimable qu’on lit, par exemple, les fragments lepianoetl’électronique.Plusencore, Jésus : Mon Dieu, que votre volonté d’entretiensdePierreJanetavecMade- lesExercicesdusilenceétablissentun soitfaite,etnonlamienne.Jevousprie leine [Lebouc], sa fameuse patiente, répertoiredebruitsinstrumentauxet très instamment, monsieur, de conti- mystique et hystérique, internée échantillonnés,miroird’unabjectdont nuer vos soins charitables, et de ne commel’avaitétéLouiseduTronchay, le Christ putrescent du Retable d’Is- vous pas rebuter de la dissipation de à la Salpêtrière, on peut se dire – ou senheims’étaitjadisfaitleversantgra- monesprit,etdugrandfluxdeparoles du moins je me le dis – que le savoir phique:bruissements,chuchotements, que vous avez remarqué de moi. médical, en laïcisant la maladie, a tué crissements,hurlements,raclements, Votre très humble et obéissante quelque chose d’essentiel et de réel- arrachages,vomissures,voixàl’envers servante, lement irremplaçable, au fond de la (oùl’airs’entendcommeentrantdans Louise du Néant parole, et que celle-ci, tenue définiti- le corps de l’interprète, rend audible vementpourdélire,contribue,certes, soninspiration),voixencrécelle,chant 2. PREMIÈRE MORTIFICATION à la connaissance que nous pouvons avec les dents serrées, insistance sur LOUISE avoirdumaladeetdesamaladie,mais laconsonne,désormaisindépendante J’avais une grande tentation de man- qu’aussibienelleestnulledevéritéet de la syllabe, parlé sans phonation, ger d’un pâté, j’en ai coupé par mor- videdetranscendance»,écritClaude- recherche d’une vocalité instrumen- ceaux, et l’ai mis avec de la saleté, et Louis Combet, qui réédita, en 1987, Le tale,oudesonsinstrumentauxcomme puisl’aimisàterre,etl’airamasséavec Triomphe de Maillard. Brice Pauset des occlusives, piano étouffé, « châ- la langue comme une bête. se tient à cette intersection, entre, tré », dissociation, par l’électronique, d’une part, la religion et la rhéto- de la voyelle (son) et de la consonne 3. PASSACAILLE DES DÉTESTATIONS riqueduGrandSiècle–lesornements (bruit), suscitant l’effroi… Il en est de LOUISE de la « Passacaille des détestations » mêmelorsdeschizesdelasalle,quand … faire gémir la nature en lui donnant s’en font l’écho lointain – et d’autre à droite, le son est proche, et qu’à tout ce qu’elle ne voudra point. part, la psychologie du mystique. Son gauche, il sonne comme dans une Je ne suis plus à moi ; mon cœur, mon œuvre se nourrit d’études aux titres cathédrale. L’œuvre se fait alors poli- âme, mon corps, et tout ce que je suis, explicites, dont la fin du XIXe siècle et tique : la désorientation sensorielle est le domaine de Dieu. lapremièremoitiéduXXe siècleoffrent suscitée de la sorte évoque celle … tout ce qu’il y a de créé m’est insup- une abondante littérature : L’Expé- d’autres détenus. portable,etjenepuismesouffrirmoi- rience religieuse, essai de psycholo- même. gie descriptive de William James, De … je ne vaux rien, je ne souffre pas l’angoisseàl’extasedePierreJanet,Le tant que j’ai mérité, étant digne d’un 3 million d’enfers. porte fort bien ; on aurait pu me com- qui leur sont nécessaires ; je sers mes … je demeure quelquefois à genoux pareraumontEtna,quiesttoutblanc