Chapitre III ARABESQUES
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Chapitre III ARABESQUES Les civilisations arabes Que de cités nous avons fait périr parce qu’injustes, 1 sont aujourd’hui désertes bien que debout! Que de puits maçonnés, que de palais puissants sont abandonnés ! 2 (Corpus coranique d'Othman 22/44). 1 Le sens est incertain. 2 Il est peu d’extraits de ce livre qui s’affirme plus volontiers destructeurs de toute forme de civilisation ; l’image du puits laissé à l’abandon ou même volontairement obturés est particulièrement abominable en milieu désertique. Là elle témoigne non de la détestation de la culture, mais de l'humanité en entier. 1 1 Présentation Si l’on admet que la civilisation est l’ensemble de ce qui caractérise et unifie une société humaine3 , celle des Arabes paraît tout à fait manifeste et caratéristique : le milieu naturel, la langue et les structures sociales en sont les bases. Elle ne ressemble donc à aucune autre et mérite d’être connue et reconnue. Elle n’est pas absolument unitaire non plus. Une forte opposition existe entre Arabes du nord et du sud; les Qays/ Kalb contre les Mudar/Qathan. C’est une mythologie mais ce n'est pas qu'une mythologie. Une construction séparée de l'arabité s’est opérée, et elle a aussi subi, comme toute culture humaine, des influences extérieures qui l’ont modifiée. Ailleurs, l’isolement a composé des formes originales. Que l’on songe aux Nabatéens influencés par la civilisation gréco-romaine, dans ses formes, alors que l’Arabie du sud se constituait en ensemble unifié et isolé. En revanche, la conscience de former un groupe a été lente à venir. Le témoignage sur les Arabes en tant que groupe unitaire viennent de l’extérieur, et ils insistent sur le mode de vie nomade de ces habitants de la péninsule. L’homoethnonymie apparaît tardivement.4 Un héritage de ruines et de paroles L’oeuvre destructice du mouvement dirigé par Muhammad n’a voulu laisser que des ruines de cette civilisation. La réussite n’a été que partielle. Un effort de reconstitution et de réhabilitation s’impose donc avec urgence, celle des cultures précédant ce bouleversement. Il n’est pas encore interdit de penser que l’oeuvre mohammédienne a été fondamentalement une tentative de destruction de la civilisation arabe, voire de la civilisation en général, c’est- à-dire l’expression supérieure de l’existence humaine en société, dont l'emblème de ce temps est la ville. Ce n’est qu’à la génération de l’après-Muhammad que la culture arabe a pu s’exprimer à nouveau. L'Homme, voilà l'ennemi En effet, l’islamisme des débuts ne s’est pas exprimé seulement en tant qu’anti-humanisme, en abaissant avec constance l’être humain, sa grandeur, son originalité et sa liberté : il a veillé à détruire aussi les traditions, les monuments, l’art sous toutes ses formes, la littérature, le fond légendaire, la morale bédouine, l’organisation sociale, tout ce qui 3 Les définitions du concepts sont multiples; celle-ci est la plus simple à défaut d'être la meilleure... 4 G.E. Grunebaum, "The nature of arab unity before islam", Arabica 1/1963. 2 constituait l’identité des populations précédentes. Le texte coranique regorge d’allusions aux disparitions de peuples anciens, menace les contemporains des mêmes destinées, et pousse même à la réalisation de ces sinistres desseins. Les peuples détruits et maudits sont ceux d’autrefois, autant que ceux de maintenant.5 Muhammad, un barbare? Il suffit de remarquer que Muhammad n’a jamais fait construire aucun monument6, et n’a jamais projeté aucune réalisation artistique, poétique, littéraire. Même les tombes, monuments par excellence, sont rejettées. Cette débilité intrinsèque n'est pas de son fait, hélas, elle est issue d'une conception théologique, et liée à la manière dont le Coran est vu: ainsi, Muhammad est destitué à cause du Livre. En effet, le dogme estime que le Livre est la révélation, et que le transmetteur, Muhammad, ne doit avoir aucun rôle de création dans le processus. De là vient l'idée qu'il n'est qu'une brute. Brute inspirée, géniale, prodigieuse, mais brute pour les besoins de la cause. Il n’a pas encouragé l’activité économique, se contentant de parasiter le commerce7 arabe et l’agriculture des oasis. Il n’a créé aucune institution politique, se contentant d’imposer sa volonté.8 Le refus de construire des monuments, et la malédiction pour ceux qui le font, est un indice des plus manifestes.9 C’est ainsi que plus tard, alors que justement, les constructions intellectuelles, culturelles, artistiques fleurissaient, quand les échanges se faisaient, que des auteurs ont décidé qu’il valait mieux revenir vers une austérité, qui, toute stérile qu’elle était, avait au moins l’avantage d’être originelle. Tel n’était pas son rôle sur terre, et toujours selon lui, de constituer une nouvelle civilisation. La prophétie n’est pas la royauté, car la royauté se doit de développer les territoires qu’elle régit. Projet de barbarie Ce devait donc être un projet de barbarie, dès le commencement, dès le rassemblement des traditions coraniques. Ceci n’empêche pas qu’il a pu s’ériger par la suite une véritable civilisation arabo-musulmane, certes déficiente à de nombreux égards (notamment moraux, puisqu’elle tente obstinément de suivre les réglementations primitives de l’islamisme), mais digne d’intérêt, étant enrichie d' apports extérieurs, principalement persans à l’origine, puis plus diversifiés. Cependant que subsiste le “cercle de fer”, qui entoure les têtes, comme écrivait Renan. Il est de la plus grande ironie, enfin, que le corpus coranique soit en fait la seule oeuvre littérature intrinsèquement arabe qui nous ait été léguée; la première et la 5 Les exemples sont innombrables, de la destruction des tribus juives à celle des sanctuaires païens, en passant par l’assassinat des poètes. 6 On ne peut pas appeler ainsi la mosquée de Médine, qui est en fait un domicile pour sa famille, et un complexe administratif. La Kaba, pour la période qui nous concerne, est encore principalement un temple païen, et un bâtiment resté médiocre. 7 TIJARAH. 8 Cf. la crise de succession, partie XXIII. 9 C'est une tradition très présente dans les mythes bibliques, et repris ici avec acharnement; cf. Corpus coranique 40/26, 26/128. 3 dernière, d'une certaine manière. La suite de la production sera d'une autre nature, forcément. Ce qu'il reste de la civilisation arabe, des civilisations pré-islamiques Ce que nous allons observer maintenant, avec des centaines de documents, est une période multi-séculaire de vies individuelles, d'organisations sociales, de productions économiques et culturelles: rien de déplorable et scandaleux comme le proclamait la Tradition Islamique, qui qualifie cette époque de "jahiliyya": le terme évoque l'absence de repère des voyageurs dans le désert, la sensation de perdition.10 Son sens islamique est simple et clair: l'ignorance n'est que l'ignorance de la révélation coranique. On peut s'en passer, à la vérité. Mais voici le dogme. La société arabe sera vue à travers ses deux caractéristiques principales, fondamentales et essentielles : le nomadisme (quoiqu'un faux-semblant) et l’organisation tribale, et par un aspect toujours révélateur du stade de développement de la condition humaine et des communautés humaines : la place des femmes, soit de la moitié de l’Humanité. Il faudra poursuivre en abordant la question des activités de ces groupes, comme le commerce et la guerre, puis nous observerons rapidement ce qu’ont pu être les productions culturelles de ces groupes. Définition de l'« arabité » par M. Rodinson. « Nous pouvons … considérer comme appartenant à l'ethnie, peuple ou nationalité arabe ceux qui: 1. parlent une variante de la langue arab, et en même temps considèrent que c'est leur langue « naturelle », elle qu'ils doivnet parler , ou bien, sans la parler, la considèrent comme telle. 2. regardent leur patrimoine, l'histoire et les traits culturels du peuple qui s'est appelé lui-même et que les autres ont appelé Arabes, ces traits culturels englobant depuis le VIIèime siècle l'adhésion massive à la religion musumane (qui est loin d'être leur exclusivité). 3. (ce qui revient au même) revendiquent l'identité arabe, ont une conscience d'arabité. » Définition de l'Arabe depuis la langue arabe classique, par le dictionnaire de référence d'E. Lane : 1. Un peuple déterminé, ou une nation, par rapport à AJAM. 2. Les habitants des cités ou des grandes villes, ou des cités, et villes ou villages d'Arabie. 3. Ceux qui se sont établis et ont fait leur demeure dans les régions cultivées et ont pris pour patrie les cités et villes ou villages d'Arabie, et d'autres aussi qui sont en rapport avec eux. 4. Dans les dictionnaires et ouvrages de lexicographie, les Arabes du désert au pur parler. 5. (avec la forme AHRAB) ceux qui habitent dans le désert. 6. (id.) ceux qui vont ça et là à la recherche de pâture et d'eau… M. Rodinson, Les Arabes, Paris, 1979. 10 Il ne faut pas traduire par ignorance, comme ce qui est souvent admis: c'est déjà un jugement de valeur qui s'exprime. 4 2 Les nomades 1 Présentation Faux-témoignages Il est très remarquable que ce passé arabe, tribal et nomade ait été reconstitué par des non- Arabes, issus de contrées très lointaines.11 De savants ignorants parlent en lieu et place des intéressés, qui se taisent. Le bédouin, l'Arabe d'Arabie centrale n'a rien à dire à la postérité, et vit au présent, sans qu'on puisse l'en blâmer, comme se chargent de le faire ceux qui ont rédigé le Coran.