La genèse du TGV Sud-Est

Innovation et adaptation à la concurrence

Jean-Michel Fourniau

ES présentations de la genèse du TGV Sud-Est par les associe chaque fonction des différents modes à des segments de dirigeants de la SNCF, et plus généralement dans la clientèles potentielles, que la concurrence entre les modes pour presse ferroviaire, tendent à rationaliser a posteriori améliorer leur qualité de service leur permet de capter. Chaque L son émergence, qu'elles insistent tantôt sur les mode doit adapter son offre à des objectifs de croissance de trafic contraintes techniques qu'il permit de lever, tantôt sur les objec­ autant que possible différenciés en segments de clientèle rentable. tifs de politique générale de l'entreprise auxquels il contribua. A Cette conception concurrentielle du marché des transports, par­ suivre ces présentations, la décision du TGV Paris-Sud-Est serait ticulièrement explicite à partir du VIe Plan, joue essentiellement l'aboutissement nécessaire du cheminement linéaire vers l'opti­ dans la zone des distances moyennes, zone de meilleure rentabi­ mum, d'une rationalité technique et économique1. Le processus lité pour la SNCF (son trafic rapide-express de voyageurs) et d'innovation s'y trouve réduit à un enchaînement logique de zone où l'aérotrain pouvait la concurrencer. choix d'évidence, le résultat, en quelque sorte, de la nature des Dans ce nouvel espace de la concurrence, la « nature des choses. choses » cessait de « pousser toujours dans le même sens ». La Cependant, la période de genèse du TGV coïncide étroite­ place du chemin de fer en tant que réseau structurant le territoire ment avec le « tournant vers la commercialisation » du chemin comme le rôle de l'entreprise ferroviaire gestionnaire de missions de fer2. Cette imbrication fît du projet l'enjeu d'un débat politi­ de service public — ces deux facettes pour lesquelles le chemin de que, entre l'entreprise et les pouvoirs publics, sur la place du fer, depuis son origine, manifeste la puissance de l'Etat — sont à réseau ferroviaire dans le système de transport. Nous nous pro­ redéfinir. posons d'analyser en quoi la définition des grandes options du L'émergence des grandes vitesses ferroviaires... projet, qui délimitent les choix techniques possibles, participe de Symbole de la période de modernisation du chemin de fer, l'affirmation d'une politique de l'entreprise. Nous situons dans le choix technologique de ^electrification en courant industriel a une première partie quelques transformations du domaine des unifié la technique ferroviaire autour des enjeux économiques et transports à la fin des années 60, significatives de la genèse des industriels définis par la planification nationale. La modernisa­ très grandes vitesses ferroviaires. Puis nous retraçons, dans une tion des éléments techniques du système ferroviaire a créé de seconde partie, le processus d'innovation ayant abouti au TGV nouvelles potentialités d'adaptation du chemin de fer à l'évolu­ Sud-Est en analysant la portée stratégique des débats techniques tion du trafic, des réserves de productivité non encore exploitées. auxquels il donna lieu3. Aussi, jusqu'au milieu des années 60, la demande a pu apparaître à l'entreprise comme une donnée de son activité, donnée à DU MONOPOLE À LA CONCURRENCE laquelle la modernisation permettait de s'adapter. Mais dans un contexte malthusien d'accroissement de la productivité La conception du domaine des transports élaborée dans la — recherche prioritaire du coût rninimum, contraction du mise en place de la politique d'aménagement du territoire, les dis­ réseau, diminution des effectifs— la conquête de nouveaux cussions du rapport Nora puis la préparation du VIe Plan sont débouchés semblait exclue. Intégré en une rationalité globale, ce celles d'un marché concurrentiel. L'idée de système de transport contexte amenait les dirigeants de la SNCF à considérer que les

Une rame du TGV Sud-Est. conditions de rentabilité d'un Tokaïdo n'existaient pas en SNCF se lance dans une stratégie d'optimisation et de moderni­ . sation de ses moyens techniques et commerciaux sur chacun des Les thèmes du programme d'action de la SNCF présenté grands axes qui constituent le réseau national6. » en 1966, dans les discussions du rapport Nora, ne laissaient pas Un nouveau rôle de la recherche et de Vinnovation... présager du projet de TGV. L'horizon des grandes vitesses sur A partir du début des années 60, la France tente de se doter rail n'y semblait pas ouvert. Les propositions en matière d'inves­ d'une politique ambitieuse de la science. Dans le cadre des grands tissements se situaient dans la lignée de ce que les ingénieurs pré­ programmes technologiques du Ve Plan, une série de réformes paraient depuis quelques années. La notion de grande vitesse fer­ est engagée pour relancer la recherche scientifique et technique, roviaire y restait cantonnée à la préparation des circulations entre rationaliser ses institutions, lier la recherche fondamentale à l'in­ 160 et 200 km/h pour les TEE comme le Capitole mis en service novation en favorisant la concentration des moyens de recherche commercial à 200 km/h entre Les Aubrais et Vierzon, le dans les grandes entreprises. Alors qu'en 1964 J. Bertin décou­ 28 mai 1967. L'ingénieur général des Ponts et Chaussées, vrait « avec stupéfaction » qu'il n'y avait ni crédits ni organismes P. Le Vert, chargé par le ministre de l'Equipement, début 1967, spécialisés dans la recherche dans le domaine des transports ter­ « de suivre les projets de la SNCF tendant à développer les gran­ restres7, ce secteur connaît, dans la seconde moitié des années 60, des vitesses sur certaines lignes », définissait le champ de sa mis­ de nombreuses initiatives qui l'intègrent à ce mouvement global. sion en précisant : « Le terme "grande vitesse" désignera les Ainsi, le gouvernement organisait, en mars 1967, une table ronde vitesses supérieures à 160 km/h. » Il concluait son rapport par un sur la recherche-développement en matière de transport qui défi­ ensemble de réflexions qui marquaient les limites économiques et nissait ses priorités et débouchait, d'une part, sur le déblocage des techniques, telles qu'elles étaient envisagées à cette époque, des crédits pour l'aérotrain interurbain (véhicule et voie d'Orléans) possibilités de réalisation de ces vitesses par la SNCF4. et, d'autre part, sur la création de l'Institut de recherche des Jusqu'en 1970, la politique de desserte de la SNCF avait, en transports. effet, été axée sur la circulation des lourds à faible prix de A la suite d'une mission au Japon, en 1961, d'étude des revient et sur la qualité de service pour le trafic d'affaires, avec les projets de desserte à grande vitesse sur la ligne du Tokaïdo (alors TEE, rapides et confortables mais associés à une politique de en construction), R. Guibert, qui n'était pas encore directeur supplément tarifaire très marquée. Mais, dès la fin des années 60, général, forma le projet de création du Service de la recherche. Le les progrès considérables en matière d'amélioration de la vitesse rôle et l'efficacité de l'Institut de Kunitachi de recherches techni­ que recelait la politique de modernisation s'épuisaient au fur et à ques des chemins de fer japonais QNR) dans la conception du mesure que s'achevait le programme d'électrification, alors que « nouveau réseau » prouvaient l'importance d'une structure de la concurrence de l'automobile et de l'avion se faisait plus pres­ recherche cohérente pour affronter les mutations de l'activité fer­ sante. roviaire. Ce fut la première réforme importante qu'il décida ... nécessite la «conversion intellectuelle» de la SNCF après avoir été nommé directeur général, le 1er février 1966. Cependant, le développement de technologies nouvelles Trois idées fondent la philosophie de cette création. La comme Paérotrain popularisait l'idée des grandes vitesses dans le première idée est la notion de système : au stade de développe­ domaine des transports terrestres guidés. Mais le chemin de fer ment où est arrivé le chemin de fer, toute étude nouvelle, même en semblait exclu. Les réflexions prospectives de cette époque limitée dans ses conséquences, touche toutes les branches de n'envisageaient la réalisation des grandes vitesses que par des l'économie et de la technique ferroviaires. La deuxième idée, cor­ technologies non ferroviaires. Cette pression de systèmes rélative, est celle de la nécessaire pluridisciplinarité de la concurrents, les options libérales de la politique économique de recherche, par-delà la division des attributions d'études ou de la fin des années 60, tout en ne réservant au chemin de fer classi­ recherches par filières techniques. La troisième idée fondatrice que que son domaine traditionnel, inexorablement voué à la est celle de l'urgence des études prospectives, de l'urgence d'un contraction, ont peu à peu fait découvrir, à la SNCF, le risque horizon de long terme pour penser le devenir du chemin de fer. concurrentiel sur le plan technique face au progrès de l'aérotrain Structure directement rattachée au directeur général, les comme sur le plan économique au tournant de sa « commerciali­ attributions du service visent à l'exploitation de domaines nou­ sation ». veaux, à l'investigation des développements scientifiques et tech­ La mise en mouvement à laquelle est contrainte la direction nologiques récents pour en définir les possibilités d'application de la SNCF pour définir un avenir du chemin de fer, face aux ferroviaire, aux études d'ensemble favorisant la mutation du che­ transformations des conditions de son activité, exigeait ce qu'un min de fer. Son originalité essentielle réside dans son mode de des principaux acteurs de la genèse du TGV a nommé «la fonctionnement, dans le découpage de ces activités par nature de conversion intellectuelle de la SNCF, dont la stratégie est passée problème, en projets transversaux par rapport à l'organisation au cours de ces vingt dernières années d'un raisonnement en verticale des filières techniques. Ces projets sont confiés à des terme de monopole à un raisonnement en terme équipes composées de chercheurs de différents départements du concurrentiel5 ». service et de chercheurs ou spécialistes des directions techniques La stratégie d'inscription du chemin de fer dans l'espace de ou des régions. Les équipes de projet sont temporaires et leurs la concurrence, dans un contexte politique où s'affirme l'idée membres issus des divisions techniques y conservent leurs res­ qu'il représente une technologie dépassée, se recentre sur la ponsabilités. Cette structuration souple s'inspire directement du notion de relation, lieu effectif de la concurrence. « Héritant d'un mode d'organisation adopté par les Américains en 1965 lors de la réseau dans une certaine mesure surdimensionné, ne disposant création de l'Office of High Speed Ground Transportation d'aucune marge de manœuvre dans sa configuration (en dehors (OHSGT), en particulier pour les études de la desserte du corri­ du cas récent du TGV), confrontée, par ailleurs, à de redoutables dor Nord-Est des Etats-Unis. problèmes financiers, toute la réflexion moderne et novatrice de Mais le projet de R. Guibert était, au-delà de la création du l'entreprise s'est structurée autour du concept de relation. Dès Service de la recherche, de constituer un grand centre de 1967, dans le contexte des réflexions du rapport Nora de la créa­ recherche ferroviaire. « Il nous paraît nécessaire qu'une nouvelle tion d'une fonction marketing et d'un service de la recherche, la impulsion soit donnée à nos recherches. Le chemin de fer de tion constante de la demande (...) L'efficacité maximum des tance stratégique pour l'entreprise qu'eut le projet de TGV jus­ recherches sera obtenue en regroupant à proximité de Paris, dans qu'au milieu des années 70, ce service serait vraisemblablement un même centre bien équipé, le Service de la recherche et l'en­ resté un lieu de coordination de la recherche, de formalisation semble des Services d'études spécialisées et leurs moyens maté­ théorique et de veille scientifique et technique, rôle sur lequel il riels, dont l'actuelle dispersion dans Paris et sa banlieue comporte s'est replié à partir de 1976, la part des dépenses de recherche- de nombreux inconvénients. Il s'agit là d'une vaste opération, développement retombant en dessous de 0,5 °/o des dépenses dont la réalisation demandera quelques années, mais que nous d'exploitation. Car, peu à peu, le succès commercial du turbo­ croyons à la mesure des problèmes futurs du rail français8. » sur Paris-Caen-Cherbourg, du Métrolor Nancy-- Exemple japonais, importance des moyens d'études déga­ Thionville, du relèvement des vitesses des trains rapides et gés aux USA pour relancer l'exploitation ferroviaire, réorganisa­ express, les débuts de la gestion centralisée du trafic de marchan­ tion et développement de la recherche scientifique et technique dises, mais surtout la décision de réalisation du TGV Sud-Est, en France, l'ambition d'un centre de recherche ferroviaire de la finalement traduite en actes au cours de cette année 1976, ont SNCF semblait à la mesure de la « révolution ferroviaire » à déplacé l'urgence des priorités, de l'innovation technique vers entreprendre pour faire face au défi de sa commercialisation. De l'innovation organisationnelle, commerciale en tout premier même que L. Armand avait favorisé dans les années 50 l'immer­ lieu. sion de l'entreprise dans le monde international de Pélectrotech- De nouvelles conceptions du transport de voyageurs avec nique pour impulser sa politique d'électrification en courant Vaérotrain industriel, cette ambition devait l'ouvrir au monde de la Développée par l'ingénieur J. Bertin à partir de 1957, la recherche et tout particulièrement à celui de la cybernétique. mise au point technique de l'aérotrain progressa rapidement au ... dans une organisation marquée par les cloisonnements début des années 60. Une maquette fut réalisée en 1963 en même bureaucratiques temps qu'était envisagée une réalisation concrète entre Paris et Cependant, ce regroupement des moyens d'études, d'es­ . Inventeur plus qu'industriel, J. Bertin chercha à intéresser sais et de recherches de la SNCF n'a pas eu lieu. La résistance des la RATP et la SNCF à son système. Après une fin de non-rece- directions techniques devant ce projet centralisateur en est sans voir de la RATP, il se tourna vers la SNCF et fit visiter, le doute la première raison. Quelques mois avant la création offi­ 4 décembre 1963, ses installations et maquettes à l'état-major cielle du Service de la recherche, M. Carreau, directeur adjoint technique et politique de l'entreprise. Si, d'après J. Bertin, quel­ du matériel, déclarait, devant le Centre de perfectionnement ques-uns de ses dirigeants ne furent pas insensibles aux possibili­ technique de l'entreprise : « Finalement, nous n'estimons pas tés que pouvait offrir ce système face à la concurrence aérienne, la qu'il y ait intérêt actuellement à transformer radicalement l'orga­ SNCF fit savoir, à la fin de l'été 1964, qu'elle n'était pas intéressée nisation des services de recherche de la SNCF pour la refondre par le développement de ce nouveau mode de transport. « Ils ne dans le moule russe ou japonais. Ce qui importe, avant tout, c'est voyaient pas de cas d'emploi possible pour l'aérotrain dans le de les doter suffisamment en hommes d'imagination, de savoir et cadre de leur réseau et certainement pas sur Paris-Lyon où, ont- de bon sens et en moyens d'essais importants. Mais nous ils souligné "il n'y avait pas un trafic prévisible susceptible de concevons clairement que la qualité de la liaison entre nos divers justifier la réalisation d'une nouvelle liaison qui aurait mis les secteurs de recherche d'une part, et entre eux et la direction géné­ deux villes à une heure un quart l'une de l'autre, même avec un rale d'autre part, devient de plus en plus une condition d'effica­ ou deux arrêts intermédiaires". Il faut bien se rappeler cette cité. Sans doute faudra-t-il, dans les prochaines années, traduire conclusion pour la suite des événements10. » et consolider les liaisons occasionnelles par un montage perma­ A l'automne 1964, J. Bertin obtient le soutien, qui ne se nent qui assure, avec un niinimum de contraintes pour les cher­ démentit pas par la suite, de la DATAR. Organisme nouvelle­ cheurs, les fonctions d'information, de planification et de gestion ment créé, ses dirigeants sont en train d'élaborer leur doctrine les plus indispensables9. » des métropoles d'équilibre qui met l'accent, dans le domaine des D'autres raisons de l'échec de cette ambition peuvent être transports, sur les liaisons rapides entre ces métropoles et entre vraisemblablement évoquées : difficultés d'une transplantation elles et les centres régionaux de leur sphère d'influence. Cette des gros moyens d'essais (le Centre de Vitry en particulier), politique de structuration de l'espace national puise directement implantation géographique envisagée au nord de Paris alors que sa source dans la conception ubiquitaire de la mobilité dévelop­ le mouvement de concentration de la recherche dans la vallée de pée par les travaux prospectifs des Réflexions pour 1985 u. Chevreuse se développait, coût de l'opération alors que parallèle­ Cette conception, l'imaginaire des grandes vitesses, est ment la SNCF regroupait ses services informatiques dans un mobilisée par les concepteurs du système de l'aérotrain. bâtiment neuf aux Batignolles, etc. « Qu'était en effet l'aérotrain selon nos vues de l'époque, sinon Le Service de la recherche est donc — forme bien française un moyen de se transporter deux ou trois fois plus vite qu'avec de compromis — une structure surajoutée à l'ancienne organisa­ un moyen conventionnel, tbut en nécessitant un investissement tion de la recherche et non une refonte de celle-ci. Il a cependant nettement inférieur et probablement aussi un meilleur coût d'ex­ permis un notable accroissement des efforts de recherche-déve­ ploitation (...) En un mot, il s'agissait de remplacer la notion de loppement de la SNCF qui sont passés du chiffre très bas de distance par celle du temps de transport acceptable dans un 0,25 % des dépenses d'exploitation au début des années 60 au contexte donné », écrit J. Bertin12. En 1967, un autre responsable chiffre modeste de 0,65 % au début des années 70 (soit 2 à 2,5 % du projet d'aérotrain précisait cette analyse : « Autant et peut- du budget d'investissement) principalement du fait des recher­ être plus encore qu'à la vitesse, c'est à la fréquence qu'aspirera ches sur les grandes vitesses. l'usager des prochaines années (...) A la vérité, ces deux aspects L'équivalent pour la SNCF de l'Institut de recherche des du transport moderne constituent les deux faces d'un même pro­ JNR n'ayant pu voir le jour, le Service de la recherche disparaît blème, celui des gains de temps. Outre la réduction de l'attente, comme entité autonome en 1976. Ses différents départements on recueille par surcroît un important avantage de commodité : sont intégrés à la Direction des études générales transformée en l'affranchissement de toute consultation d'horaire13. » Direction des études générales et de la recherche. Sans l'impor­ Aussi, sous l'impulsion de la DATAR, le Comité intermi- nistériel de l'aménagement du territoire (CIAT) se prononçait, le la Commission supérieure de la recherche le 10 avril 1967, 19 décembre 1964, pour la création de la Société d'études de comprenait dix projets, répondant à trois grands objectifs : l'op­ PAérotrain, pour une participation à son capital à hauteur de timisation du chemin de fer classique pour tirer de l'outil existant 2 millions de francs — par le biais de grandes entreprises nationa­ les meilleurs résultats grâce à l'utilisation des techniques et des les — et pour un soutien financier aux études. Cette société est méthodes les plus avancées ; l'analyse des perspectives de long constituée le 15 avril 1965. Outre la Société Bertin et l'Etat, terme du trafic ferroviaire ; la recherche des grandes vitesses, par représenté par la SNCF, l'Aéroport de Paris, Nord et Sud Avia­ l'étude du projet d'aérotrain, voire d'autres techniques de trans­ tion, participent à son capital une grande entreprise de travaux port guidé, mais surtout par l'exploration des possibilités de la publics (Les Grands Travaux de Marseille) et quelques entrepri­ technologie ferroviaire classique sur infrastructures nouvelles, le ses d'électromécanique liées à l'aéronautique. projet C 03. Un quatrième objectif, d'analyse des perspectives de Tant par l'espace technique dans lequel il se situe —les la SNCF à l'horizon 1985, s'intègre aux études prospectives lan­ transports terrestres guidés — que par la mobilisation de la figure cées par le Commissariat général au Plan et le ministère des de l'usager à travers les thèmes de la vitesse et de la fréquence, Transports, les « Etudes transports 1985 ». l'aérotrain entre directement en concurrence avec le chemin de La direction du projet C 03 est confiée à M. Tessier qui fer. Aussi, par le soutien apporté aux études de faisabilité, par avait auparavant dirigé, à la Direction du matériel, les premières l'association de la SNCF, au moins formelle, à son développe­ recherches pour l'adaptation de la turbine à gaz à la traction fer­ ment, l'Etat chercha-t-il sans doute à inciter la SNCF à accélérer roviaire. Directeur Adjoint du Service de la recherche, il en prit la sa modernisation technique et commerciale. tête lorsque B. de Fongalland devint secrétaire général de l'UIC Les études entreprises en 1965 par la SNCF pour adapter la — en remplacement de L.Armand— le 15décembre 1971. turbine à gaz à un matériel ferroviaire nous semblent être la M. Tessier est entouré d'une équipe de direction de ce projet conséquence directe, tirée par la direction de l'entreprise, de sa composée d'A. Prud'homme, ingénieur général, chef du dépar­ visite de l'Aérotrain fin 1963. Ces études inaugurent une nou­ tement des études et recherches « Voies » de la Direction de velle conception de la desserte, centrée sur les notions de vitesse l'équipement, P. Ginsburger, ingénieur en chef à la Direction du et de fréquence, importée dans le domaine des transports terres­ mouvement, et J.-P. Bernard, ingénieur en chef au département tres par les concepteurs de l'aérotrain. Les progrès réalisés sur construction-traction thermique de la Direction du matériel. certains axes électrifiés commençaient à rendre sensibles ces Le projet est découpé en quatre sous-projets. Le premier notions dans l'exploitation ferroviaire en créant des disparités sous-projet d'études générales rassemble au départ six équipes entre clients et entre régions, disparités que la traction Diesel ne chargées de l'étude d'aspects techniques spécifiques : définition paraissait pas en état d'empêcher. La mise à l'étude de ce matériel des matériels expérimentaux, exploitation, armement des à turbines, destiné dès l'origine à assurer des dessertes rapides infrastructures à grande vitesse et stabilité, résistance à l'avance­ pour les voyageurs sur des relations non électrifiées — notam­ ment et aérodynamisme, freinage, organes de roulement et ment celles dont le trafic n'imposerait pas, à terme rapproché, aiguillage. Ce sous-projet coordonne l'ensemble des études tech­ l'électrification — traduit une attitude nouvelle de la SNCF, plus niques sur les grandes vitesses. Les trois autres sous-projets sont « agressive », vis-à-vis de la concurrence. définis par des champs géographiques possibles de leur applica­ tion : Paris-Lyon, Paris-Nord, Paris-Est. Ces sous-projets sont destinés aux études d'infrastructure, aux études de coût et aux INNOVATION ET STRATÉGIE études de demande. Ils sont donc à dominante économique. Il CONCURRENTIELLE : LE PROCESSUS semble que le sous-projet Paris-Est ne donna jamais lieu à des DE GENÈSE DU TGV études importantes. Les études du sous-projet Paris-Nord n'ont commencé qu'en 1969. « L'avenir du transport de voyageurs par fer ne peut natu­ L'examen de l'évolution des projets du Service de la rellement se concevoir sans le développement des grandes vites­ recherche, de leur financement, l'importance méthodologique ses (...) Les grandes orientations à prendre à cet égard se résu­ des études réalisées indiquent la part prépondérante du projet de ment en définitive à deux directions : moderniser ce qui existe TGV dans l'effort de recherche de la SNCF, de la création du ser­ ou, si l'on veut dépasser un certain seuil de l'ordre de 160 km/h vice au milieu des années 70. De nombreux projets, initialement environ, faire délibérément du neuf, comme on s'y est résolu au distincts des recherches sur les possibilités ferroviaires à grande Japon, lorsqu'on y a construit la ligne du Tokaïdo. Le problème vitesse, ont été absorbés par le projet C 03. Cette concentration est donc de savoir si l'on veut investir pour parfaire ou pour de l'effort de recherche sur la mise au point du TGV est encore créer14. » Cette déclaration de L.Armand, au printemps 1967, plus nette si l'on rappelle que plusieurs projets économiques définit les termes de l'alternative qu'impose aux dirigeants ferro­ (bilan économique de la vitesse et analyse de la demande « voya­ viaires la réorientation du chemin de fer vers la rentabilité. geurs » en 1985) sont centrés sur l'étude des dessertes à grande Un projet central : Vétude des possibilités ferroviaires à vitesse. très grande vitesse sur infrastructures nouvelles L'examen de l'évolution des effectifs de recherche conduit Le Service de la recherche, créé pendant l'été 1966, et le aux mêmes conclusions. L'effectif propre du Service de la projet de desserte à grande vitesse sur l'axe Paris-Sud-Est, qui a recherche comprenait, en 1967, 75 personnes pour environ été sa principale réalisation, constituent une réponse stratégique 400 chercheurs dans l'ensemble de la SNCF. Il est de 120 per­ de la direction de la SNCF à ce défi. En ouvrant l'horizon des très sonnes en 1970 et de 130 ingénieurs et techniciens début 1972, grandes vitesses ferroviaires — une vitesse commerciale et non alors que l'effectif global de la recherche de la SNCF est stabilisé plus maximale de 200 km/h — en en montrant la faisabilité tech­ autour de 600 personnes. La croissance de ces effectifs entre nique et l'intérêt économique, ils scellent l'alliance de l'espace 1966 et 1972 a donc pour l'essentiel bénéficié au Service de la technique ferroviaire, unifié dans la période de modernisation, recherche. En 1971-1972, le projet C03 mobilise plus de avec l'espace du marché concurrentiel des transports. 100 personnes. Le programme initial du Service de la recherche, défini par Le quart du budget (environ 25 millions de francs par an sur un budget de recherche inférieur à 100 millions de francs au 200 km/h et supposant la pratique de vitesses maximales com­ début des années 70), le sixième des effectifs de recherche pour le prises entre 250 et 300 km/h ». Cette analyse, les premières étu­ projet C 03 sont quelques chiffres qui mesurent le caractère stra­ des de coût et de demande sur Paris-Lyon ont installé les para­ tégique des recherches sur les grandes vitesses pour la SNCF mètres économiques — qualité de service recherchée (temps de dans ces années du tournant commercial. Du fait de Pimportance parcours, fréquence, confort, régularité), coûts d'infrastructure des moyens humains et financiers mobilisés pour Pétude du pro­ et des matériels, niveau et structure de la demande « voyageurs » jet de TGV dès cette époque, le Service de la recherche fonc­ sur une relation — comme paramètres décisifs de définition des tionne pour l'essentiel comme une stucture bipolaire, autour de recherches techniques. Cette place centrale des facteurs écono­ son département technique et de son département économie miques est l'un des traits distinctifs de l'étude du TGV par rap­ dirigé par M. Walrave jusqu'en 1974. port aux pratiques antérieures de la SNCF. Des certitudes techniques... Les premières études sur l'infrastructure ont conforté la Le symposium sur les grandes vitesses, organisé à Vienne conviction des ingénieurs de la Direction de l'équipement selon en juin 1968 par l'UIC et l'Association internationale du congrès laquelle une infrastructure classique permettait la circulation à des chemins de fer (AICCF), est l'occasion pour les ingénieurs de grande vitesse. Ces études dégageaient les principes de tracé la SNCF de faire le bilan de leurs connaissances techniques et « autoroutier » des lignes à grande vitesse, privilégiant les rampes économiques en matière de grande vitesse et de le confronter à plutôt que les courbes, grâce à la puissance de traction. celui des réseaux étrangers. Il s'en dégage, sur un fond d'opti­ Dans le domaine du matériel, les études réalisées, en parti­ misme, des certitudes techniques et des enjeux quant aux possibi­ culier pour la conception de l'engin expérimental à turbine à gaz lités de l'outil ferroviaire. TGS, dégageaient les principes de l'architecture générale des Dans le domaine du matériel, les essais en traction électri­ rames à grande vitesse : rames articulées, abaissement du centre que, menés entre 1964 et 1966 à des vitesses supérieures à de gravité, allégement des masses non suspendues, puissance de 200 km/h, avaient montré qu'il était possible d'extrapoler les traction, grande adhérence, systèmes multiples de freinage. Mais résultats acquis jusqu'à 250 km/h et probablement au-delà : les concernant l'énergie de traction, le mode de transmission, les problèmes d'adhérence ne limitaient pas l'augmentation des systèmes de freinage, etc., différentes options sont ouvertes dont vitesses, les bogies classiques permettaient d'atteindre 250 km/h. l'expérimentation est l'objet du programme de recherches défini Le développement de la turbine à gaz élargissait le champ d'ap­ en avril 1968. plication possible de telles vitesses. Si des recherches approfon­ Le bilan des connaissances des ingénieurs français sur les dies étaient nécessaires pour mettre au point les circulations à grandes vitesses, les résultats des premières études du Service de plus de 250 km/h, des vitesses maximales jusqu'à 350 km/h ne la recherche montrent l'intérêt pour la SNCF et la faisabilité, semblaient pas hors de portée du chemin de fer. dans des délais maîtrisables, des dessertes à grande vitesse, à Dans le domaine des installations fixes, les ingénieurs fran­ condition de consentir l'effort de recherche nécessaire à l'explo­ çais étaient convaincus qu'une voie de type et d'armement classi­ ration de la plage des 250-300 km/h. La conclusion du premier ques — traverses sur ballast — permettait de supporter les efforts rapport C 03, en avril 1968, rassemble les arguments en faveur de de rames à très grande vitesse avec des courbes de plus grand ces recherches. « De telles recherches sont-elles nécessaires et, rayon et une assise renforcée. L'expérience japonaise le confir­ dans l'affirmative, leur volume est-il raisonnablement mait, alors que de nombreux réseaux européens s'orientaient acceptable ?(...) La conclusion [de l'étude de faisabilité sur Paris- vers la mise au point de voies sur dalles en béton, beaucoup plus Lyon] est positive. Le transport par voie ferrée à très grande onéreuses. vitesse apporte une solution techniquement sûre et économique­ Cependant, le tracé des voies du réseau existant, s'il per­ ment valable pour les liaisons à moyenne distance entre très mettait de dépasser largement les vitesses limites traditionnelles grandes agglomérations. Il se compare favorablement — charges avec des trains plus légers, limitait considérablement les possibili­ d'infrastructure comprises— à l'avion gros porteur (...) Au tés d'application en service commercial des très grandes vitesses. moment où des recherches analogues se développent un peu par­ L'idée de la nécessité d'infrastructures nouvelles, spécialisées tout dans le monde : Europe, Japon, Etats-Unis, il est enfin sou­ pour la très grande vitesse, était admise. Mais leur intérêt écono­ haitable que la SNCF, qui a toujours occupé une position domi­ mique prêtait à discussion. Les premières études du Service de la nante en matière de vitesse, poursuive son effort dans ce recherche permettaient d'en cerner le coût. L'idée que les gains domaine16. » Ce rapport définit un programme de trois ans, d'un de temps permettaient de gagner du trafic, confortée par montant de 40 millions de francs dont 27 pour l'étude et la cons­ l'exemple du Shinkansen, commençait à être développée par des truction des rames prototypes et près de 10 pour des contrats de responsables de la SNCF. La question du champ d'application recherches avec des organismes extérieurs. des grandes vitesses était donc posée en terme de bilan coûts- ... aux enjeux de l'innovation avantages et plus seulement en terme de productivité interne de Si l'on distingue couramment deux dossiers dans le proces­ l'entreprise15. sus d'élaboration et de décision du TGV Sud-Est, celui de l'in­ ... et des acquis des premières recherches... frastructure et celui du matériel, il nous semble intéressant de Les deux premières années de travail du Service de la souligner la différence de rythme d'avancement des analyses éco­ recherche ont permis l'élargissement du champ des connaissan­ nomiques et des recherches techniques. En effet, dans les premiè­ ces héritées des expérimentations antérieures et fait progresser la res phases de travail, ces deux approches sont intimement imbri­ formalisation théorique des possibilités ferroviaires à très grande quées, les études économiques participant directement à la défi­ vitesse. Soulignons-en les principaux acquis. nition des grandes options techniques du projet. Mais le dossier Les études sur le bilan économique de la vitesse, en mon­ économique est, dès mai 1969, quasiment bouclé et permet donc trant que les gains de temps sur une liaison de distance donnée se le démarrage du processus de décision. Le dossier technique réduisent quand la vitesse augmente, alors que les coûts de trac­ concernant le matériel est au contraire dans une phase de défini­ tion croissent, ont permis de déterminer la plage optimale des tion des prototypes. Cette dissociation, le ton du débat entre la grandes vitesses, «les vitesses commerciales supérieures à SNCF et l'Etat, qui met en jeu l'avenir même de l'entreprise, les difficultés financières de l'entreprise à l'heure de la normalisation gramme d'exploitation effectif du TGV n'a été établi que très tar­ de ses comptes, la pression exercée par le développement de divement, pas avant 1979. De la même manière, la consistance technologies concurrentes ont rapidement fait peser sur le travail géographique de la desserte a évolué au cours de la phase d'élabo­ du Service de la recherche l'exigence d'une démonstration ration interne du projet et surtout lors de sa négociation politi­ urgente de la capacité du chemin de fer à s'insérer dans le nou­ que. La gare de Montchanin, la bretelle de Pasilly-Aisy pour la veau contexte concurrentiel. Le processus de définition du projet desserte de Dijon ont été rajoutées sous la pression des élus de TGV Paris-Sud-Est illustre le poids des contraintes de finan­ locaux19. cement et de délais de l'innovation sur les choix techniques réali­ Les potentialités que recelait l'idée de compatibilité n'ont sés. donc été mises au jour que progressivement. L'évolution de l'ap­ Quelle conception de la desserte f Le cheminement de pellation du projet est à cet égard très significative. Primitivement Vidée de compatibilité pour contrer VAérotrain dénommé « Paris-Lyon », tant qu'il ne désigne qu'un champ Les grandes caractéristiques du projet ferroviaire sont géographique pour les études, en particulier pour leur volet éco­ d'abord définies pour en faire ressortir les avantages par rapport nomique, et non un engagement de la direction sur un pro­ à une solution de type aérotrain : avantages fondés essentielle­ gramme précis, le projet prit progressivement le nom de « des­ ment sur la compatibilité de l'infrastructure et du matériel nou­ serte du sud-est de la France ». veaux avec le réseau existant et sur la maîtrise des incertitudes Ces différents éléments dans la présentation du projet techniques en adoptant des solutions ne sortant pas des normes comme dans son contenu indiquent que, au moins jusqu'aux ferroviaires éprouvées. conclusions des travaux du groupe fonctionnel « voyageurs » (la Aussi est-il tout à fait révélateur de noter que les formula­ commission Coquand) et à leur première confirmation officielle tions de départ du projet empruntent, souvent tels quels, les en mars 1971, l'objectif recherché par la direction de la SNCF à concepts de base du projet aérotrain. Le TGV est pensé comme travers le projet de TGV était avant tout de repousser la possibi­ un système, à l'instar du système aérotrain : un matériel nouveau lité d'une prise en compte de l'aérotrain sur des relations à conçu pour circuler sur une infrastructure nouvelle. La notion de moyenne ou longue distance, en montrant la capacité de la « shunt » employée pour les infrastructures nouvelles — conçue SNCF de faire mieux et plus rapidement. comme « tronçon sans arrêt intermédiaire17 », conception qui Quelle extension pour les grandes vitesses : l'abandon de rompt avec la territorialité du chemin de fer classique — est décal­ la suspension pendulaire ? quée du projet d'aérotrain autant que des premiers tracés auto­ Pour expérimenter le domaine des grandes vitesses, mettre routiers plus fréquemment admis comme référence. à l'épreuve une large gamme d'options concernant leur réalisa­ Cette conception des grandes vitesses comme système tion et, plus particulièrement, franchir le seuil des vitesses au-delà pose d'emblée le problème de la plus ou moins grande ouverture de 240-250 km/h non encore explorées, sans remettre en cause la de cet ensemble cohérent, mais séparé, sur le reste de l'exploita­ conception traditionnelle de la voie — hypothèse de base permet­ tion ferroviaire. Ce fut l'objet essentiel des premières études sur tant la compatibilité — un matériel prototype a été conçu. En juil­ les possibilités ferroviaires à grande vitesse sur infrastructures let 1969, la SNCF a passé commande auprès des constructeurs nouvelles qui ne se sont que progressivement dégagées du français — après autorisation gouvernementale en mars 1969 — modèle de l'aérotrain. de deux rames expérimentales qui devaient, en outre, préfigurer Ainsi, les premiers schémas de desserte n'envisageaient que les rames opérationnelles mais dont une seule, le TGV 001, fut celle de la liaison Paris-Lyon et non de l'ensemble du Sud-Est. réalisée. Une correspondance était nécessaire, comme avec l'aérotrain, Si les principes généraux des deux rames étaient les mêmes pour les déplacements au-delà de Lyon. « Nous avons élaboré (rames articulées, système de propulsion à turbine à gaz, etc.), plusieurs programmes d'exploitation et nous avons commencé l'une devait permettre de tester un système de suspension pen­ par un programme de dégrossissage en disant : nous allons faire dulaire d'inclinaison asservie des caisses des véhicules. Cette un service en navette Paris-Lyon (...) A ce moment-là [après les hypothèse était soutenue depuis l'origine du programme C 03 premières études de coût], nous avons repris l'étude, notamment par F. Nouvion. Le système de la pendulation, en compensant l'analyse de la demande, de façon très précise. Nous nous som­ par l'inclinaison des caisses l'effet pour les voyageurs de l'accélé­ mes rendu compte qu'en fait le trafic Paris-Lyon était mineur ration centrifuge dans les courbes, devait permettre d'atteindre dans l'ensemble et que si l'on voulait une bonne rentabilité, il fal­ des vitesses plus importantes sur infrastructures nouvelles mais lait prolonger la desserte prévue (...) Finalement, nous sommes aussi de s'affranchir des limites traditionnelles de vitesse sur une arrivés à la conclusion que nous pouvions même prolonger quel­ part importante des grands axes du réseau existant. ques circulations jusqu'à Nice, que ces rames ne coûtaient pas Le problème technique de la pendulation renvoie donc au plus cher et que c'était un avantage supplémentaire pour l'usa­ champ d'application des grandes vitesses. Les études du Service ger18. » de la recherche, menées à ce sujet jusqu'en 1972, montraient que Les caractéristiques annoncées dans les premiers program­ si la pendulation n'avait pas d'intérêt pour la circulation sur mes d'exploitation, mais qui n'ont pas été finalement réalisées, infrastructures nouvelles à courbes de grand rayon, elle permet­ répondent à la souplesse d'exploitation mise en avant pour l'aé­ tait un accroissement de vitesse commerciale de l'ordre de 20 °/o rotrain (très grande fréquence, possibilité de ne faire partir les pour des rames automotrices circulant sur les voies anciennes. rames qu'une fois remplies). Ces caractéristiques de desserte Son intérêt pour les rames à grande vitesse, circulant à la fois sur indiquent la prise en compte et la faisabilité par le chemin de fer les deux types de voies, dépendait donc de la part du parcours sur de l'idée de desserte cadencée qui s'impose dans les cahiers des infrastructure classique. charges des modes nouveaux envisagés à cette époque. Sa mise La poursuite des recherches et l'expérimentation de la pen­ en œuvre sur Paris-Caen-Cherbourg, puis sur Nancy-Metz- dulation posaient le problème des priorités de la SNCF en Thionville, avec la dénomination suggestive de Métrolor, a servi matière de grande vitesse — recherche des moyens de relever de à la SNCF de banc d'essai de ce type de desserte et confirmé son manière substantielle la vitesse sur la plupart des grands axes ou intérêt pour regagner au train une part de clientèle. Mais le pro­ limitation aux seules infrastructures nouvelles — et de sa capacité, en termes de financement et de délais, de poursuivre conjointe­ types de bogies étaient prévus. « Un premier type, classique pour ment ces deux objectifs. Le programme initial du Service de la la SNCF, est la reconduction pure et simple des principes de recherche, les études des trois premières années embrassaient construction appliqués sur les nombreuses locomotives et voitu­ cette double possibilité. res utilisées en service à 200 km/h et essayées jusqu'à 250 km/h Mais la SNCF ne commanda finalement qu'une rame (...) La seconde des deux rames sera équipée de bogies entière­ expérimentale, le TGV 001, reçue en mars 1972, ne permettant ment nouveaux, répondant au mieux au principe de l'allégement pas l'inclinaison des caisses. Expliquant cet abandon, J. Bouley des masses non suspendues, et conçue, de surcroît, pour per­ note : « U arrive souvent qu'en matière de progrès technique on mettre l'inclinaison des caisses dans les courbes. Enfin, pour le trouve ce que l'on n'a pas cherché. De même qu'en traction élec­ cas où le deuxième bogie révélerait quelque difficulté technologi­ trique à courant industriel monophasé c'est le développement que, il est prévu un troisième jeu de bogies présentant des dispo­ des semi-conducteurs qui l'a emporté sur celui du moteur direct, sitions classiques complétées par un système permettant l'incli­ de même en matière d'articulation, ce sont les sous-produits rela­ naison des caisses en fonction de la force centrifuge23. » tifs au confort et non la pendulation — inutile sur un tracé nou­ Le TGV 001 ne comportait qu'un seul type de bogie, clas­ veau — qui ont révélé tout son intérêt et emporté la décision en sa sique. A. Portefaix, dans l'article cité ci-dessus, insiste sur le poids faveur pour les rames TGV20. » de la compétition publique entre le TGV et d'autres solutions de Cette explication néglige le contexte de la négociation poli­ transports rapides — aérotrain et avion à décollage court — en tique du projet de TGV qui poussait la SNCF à concentrer ses remarquant que l'expérimentation de nouveaux bogies sur le efforts sur la seule liaison Paris-Lyon pour imposer l'idée d'une TGV 001, obligeant l'immobilisation de la rame pour les y adap­ ligne nouvelle. A. Portefaix, adjoint de J. Bouley à la Direction ter, aurait été « fort préjudiciable à la double fonction du TGV en du matériel, souligne au contraire : « L'autre [rame] devait offrir tant qu'instrument d'investigation et moyen de démonstra­ une part plus large à l'innovation, s'inspirer des connaissances tion ». théoriques et expérimentales les plus récentes, admettre en Alors que depuis septembre 1969, l'aérotrain embarquait conséquence une réalisation plus sophistiquée. Un souci d'éco­ des voyageurs en démonstration sur la voie d'Orléans, l'adop­ nomie de temps et de moyens a conduit en définitive à renoncer à tion de dispositions constnictives classiques sur le TGV 001 la deuxième rame et à jouer exclusivement sur la première l'in­ devait permettre, dès sa réception en avril 1972, l'organisation de vestigation méthodologique sur les grandes vitesses et la telles opérations de relations publiques. démonstration publique de leur validité21. » La limitation de la Aussi, quand le TGV 001 eut rempli sa fonction de recherche des grandes vitesses au seul nouveau tracé rendait inu­ démonstration publique de la capacité de la SNCF à répondre tile l'hypothèse de la pendulation qui n'a jamais été reprise par la aux sollicitations du marché concurrentiel des transports, après SNCF22. l'approbation gouvernementale du projet de ligne nouvelle du Limiter l'innovation pour hâter la décision 6 mars 1974, les expérimentations de nouveaux bogies, incorpo­ L'achèvement sans difficultés majeures du premier pro­ rant les résultats des recherches antérieures, ont-elles été reprises. gramme C 03 au cours de l'année 1971, les résultats positifs de la Mais sur un autre matériel que le TGV 001 — pour ne pas l'im­ commission Coquand et leur confirmation par le conseil inter­ mobiliser — l'automotrice Z 7001 qui servit aussi à la mise au ministériel du 25 mars 1971 rendaient plausible la possibilité point des systèmes de freinage. d'une mise en service du TGV en 1978 (le rapport SNCF de D'autres techniques innovantes ont aussi été abandonnées 1969 prévoyait même cette mise en service à l'automne 1976). dans la version définitive du TGV, en particulier le système de Dans cette perspective, une commission directrice du TGV Sud- freinage par courants de Foucault. Plus que les difficultés techni­ Est fut créée en octobre 1971, sous la responsabilité du directeur ques de mise au point de ce système (élimination de l'échauffe- général adjoint chargé des problèmes techniques, P. Gentil puis ment des roues provoqué par le champ magnétique), seules évo­ J. Dupuy, pour coordonner l'ensemble des travaux. La défini­ quées dans les articles techniques, il semble que ce soit, dans ce tion du second programme C 03, début 1971, en se recentrant cas, des raisons de politique industrielle de la SNCF, de rapports sur la réalisation des rames de série, traduit ce changement d'op­ avec ses fournisseurs, qui aient conduit à son abandon. tique. Ces quelques exemples montrent que la généalogie des dif­ Lors de la commande des deux expérimen­ férents turbotrains expérimentaux, TGS, RTG 01, TGV 001 taux, il était prévu que la rame pendulaire, de construction plus — les articles parlent de trois générations successives — de l'auto­ complexe, soit livrée plusieurs mois après la première, à la mi- motrice Z7001 et du TGV dans sa version commerciale 1972. Or, en octobre 1970, la SNCF commandait la première — généalogie sans doute réelle du point de vue du processus de tranche des rames RTG — résultat des recherches sur la turbine à recherche et d'expérimentation — est très insuffisante pour expli­ gaz — livrables à partir du printemps 1972, leur mise en service quer le processus effectif de sélection de l'innovation. sur Lyon- étant prévue pour le service d'hiver 1972- Consolider le système ferroviaire face à la concurrence : 1973. Pour pouvoir passer les marchés de construction des le choix de la traction électrique rames TGV de série, pour leur mise en service en 1978, l'année Ce processus souligne donc l'aspect stratégique du projet 1973 devait être celle des décisions techniques définitives. Le comme outil de démonstration de l'aptitude de la SNCF à temps d'expérimentation des prototypes était donc réduit à prendre le tournant de sa commercialisation. Mais dans ce tour­ 18 mois au maximum, essais d'endurance compris. Il apparut nant sont réaffirmées les tendances lourdes de l'économie du alors nécessaire, compte tenu des délais serrés, et plus économi­ réseau ferroviaire. Le choix final de la motorisation électrique que d'utiliser une rame RTG pour l'expérimentation des grandes plutôt que thermique procède de cette réaffirmation. vitesses, le RTG 01, que de faire construire la seconde rame TGV Si, comme l'ont affirmé la plupart des études sur la genèse expérimentale. du TGV, le poids du renversement des perspectives énergétiques Ces contraintes d'économie de temps et de moyens trans­ en 1974 fut décisif dans le choix de la traction électrique, il faut formaient le processus d'innovation. Ce fut le cas notamment souligner que cette source d'énergie était en fait l'option de base pour les bogies. Dans l'hypothèse des deux prototypes, trois du projet C 03. Le programme des recherches C 03 d'avril 1968 soulignait en effet : « Les possibilités de la traction électrique sont aspects fortement novateurs, il s'inscrit dans la "longue durée" déjà bien connues, quoique certains problèmes méritent encore de l'évolution du réseau ferroviaire. Sa conception n'apporte des recherches pour les très grandes vitesses, notamment ceux d'autre mise en cause radicale de cette évolution que de la mener, concernant les caténaires et pantographes. La traction par tur­ peut-être, à son terme. Il est la synthèse et la limite des solutions bine à gaz présente sans doute l'avantage de réduire les coûts éprouvées et marque en quelque sorte Y aboutissement d'une d'infrastructure, mais peut poser des problèmes spécifiques normalisation classique25.» notamment pour le franchissement de longs tunnels. Le choix de L'argumentation économique qui trancha le débat sur le la source d'énergie à utiliser devra donc résulter d'études mode de traction traduit la tension, constitutive des processus comparatives approfondies dans chaque cas, mais ces comparai­ d'innovation ferroviaire, entre la recherche de la performance et sons n'auront de valeur qu'autant que les possibilités des turbines celle de l'optimisation globale du réseau qui affirme dans cette à gaz auront été suffisamment étudiées24. » période, comme critère central, la rentabilité économique. C'est L'étude menée en 1971, à l'initiative de M. Walrave, de cette tension entre la logique de l'autonomie du système des montra la rentabilité propre de la solution électrique sur Paris- grandes vitesses et celle de l'interdépendance de ce système et de Lyon. Aussi, entre 1971 et 1974, fut-il envisagé deux types de l'ensemble de l'exploitation ferroviaire que naît la compatibilité rames : les unes bicourant, les autres à turbines. Les devis univoque du TGV avec le réseau classique, qui le distingue d'au­ comparatifs de ces deux types de rames montrèrent en 1973 que tres solutions retenues à l'étranger26. l'écart de prix en faveur de la rame électrique rendait intéressante Ces deux logiques supportent des stratégies d'innovations l'élettrification de Lyon-Grenoble. La crise de 1974 emporta la distinctes. Celle de l'optimisation autonome du sous-système décision. des grandes vitesses accompagne une recherche de techniques Mais, au-delà des arguments économiques, la compétition innovantes. Les voies de recherche ouvertes au démarrage du pour réaliser les liaisons à grande vitesse, entre les projet C 03 relèvent sans doute de cette logique. La logique de « thermiciens », inventeurs d'un nouveau mode de traction, et l'optimisation globale du réseau, quitte à une moindre innova­ les « électriciens », porteurs des espoirs nourris depuis 1955, ren­ tion dans un sous-système particulier, privilégie les techniques voie à la stratégie de réseau de l'entreprise. Cette stratégie de les plus éprouvées. Cette logique a finalement dominé dans la réseau, mise en place avec l'électrification en courant industriel, mise au point du TGV dans le contexte spécifique du tournant de avait concentré l'effort de modernisation sur le trafic « noble » la commercialisation du chemin de fer et l'a fait qualifier — desserte de voyageurs par trains rapides-express, axes lourds d'« innovation de conservation27 ». C'est que le TGV permet du trafic de marchandises — reléguant le développement de la surtout de consolider le système sociotechnique ferroviaire après traction autonome sur les autres trafics. Le tournant de la l'avoir préservé du développement de l'aérotrain. commercialisation renforçait les perspectives de concentration du réseau sur ces créneaux rentables. Le débat sur le mode de QUEL AVENIR DU CHEMIN DE FER traction du TGV met donc en jeu la place de la traction auto­ PORTENT LES GRANDES VITESSES ? nome dans la restructuration de l'activité ferroviaire. Le choix de la solution électrique permet à la direction de la SNCF d'affir­ La SNCF est aujourd'hui confrontée à une concurrence mer, dans cette restructuration, la continuité des options straté­ aiguë, à un fléchissement de son trafic, à la persistance de son giques antérieures. déficit. Dans ce contexte présentant bien des similitudes avec Ce choix donne à l'option fondamentale de la compatibilité celui de la genèse du TGV, la direction de l'entreprise a lancé ces pour la réalisation des grandes vitesses son sens à l'échelle du dernières années plusieurs grands projets de transformation pro­ réseau. Alors que le couplage infrastructure spécialisée-mode de fonde de son activité. Ces projets ont deux axes : la constitution traction spécifique aurait isolé la grande vitesse dans un système d'un réseau national à grande vitesse, l'automation de plus en autonome par rapport au reste de l'exploitation, le choix de la plus poussée de l'exploitation ferroviaire, avec des programmes traction électrique renforce l'interdépendance des divers élé­ tels ETNA (Evolution Technologique pour un Nouvel Achemi­ ments du système sociotechnique ferroviaire. Il permet en parti­ nement, système informatisé d'acheminement et de triage des culier d'user du succès du TGV pour promouvoir l'extension de marchandises appelé à remplacer la gestion centralisée du trafic l'électrification. Dans le contexte de la crise énergétique, ce choix de marchandises) et ASTREE (Automatisation du Suivi en réaffirme la place du chemin de fer dans la politique globale Temps REEl, système universel de localisation des trains par d'économie d'énergie, raffermit l'alliance du chemin de fer et de radars embarqués associés à des microprocesseurs à bord des l'Etat que l'acuité du débat sur la commercialisation avait sérieu­ locomotives et à une transmission hertzienne des données par sement distendue. radiotéléphone et par un satellite géostationnaire). Productivité Le mode d'exploitation retenu pour le TGV, entièrement et rentabilité en sont les deux impératifs, auxquels l'innovation centralisé et automatisé, résultat d'importantes innovations, est chargée de contribuer. exprime aussi cette continuité stratégique. Ce mode d'exploita­ La décision d'exploitation du TGV Sud-Est a ouvert la tion préfigure ce que pourrait être le chemin de fer entièrement voie à la réalisation d'un réseau ferroviaire à grande vitesse. Le automatisé, problème central du paradigme du guidage. « La TGV Atlantique fut évoqué dès 1977 (c'est-à-dire dès la décision centralisation absolue de l'exploitation technique de la ligne nou­ définitive concernant le Sud-Est) et sa construction décidée velle en site propre, avec sa réglementation spécifique, confie au moins de cinq ans plus tard. Paradoxalement, cette liaison vers système TGV la valeur d'un modèle d'unification. Cependant, là l'Ouest et le Sud-Ouest ne faisait pas partie du champ géographi­ aussi, l'opérateur humain est maintenu. Ce qui fait donc l'origi­ que des recherches initiales sur les possibilités ferroviaires à nalité relative du TGV, c'est la transmission voie-machine, solu­ grande vitesse. Mais nous avons souligné comment le contexte tion éprouvée, mais qui paradoxalement connut des échecs répé­ de genèse des grandes vitesses à la SNCF avait conduit à concen­ tés depuis 1934 lorsqu'il s'est agi de la mettre en œuvre sur le trer ces recherches et le débat public sur la liaison Paris-Sud-Est réseau ancien. Le TGV est donc plutôt un succès tardif qu'une et à reléguer dans les cartons les esquisses de projet Paris-Nord et innovation. Force est de constater que, même avec ses quelques Paris-Est. DE LA GENÈSE À LA DÉCISION DU TGV SUD-EST: REPÈRES CHRONOLOGIQUES

Genèse interne du projet

1966 — 1er août Création du Service de la recherche de la SNCF — décembre Début de l'étude des « possibilités ferroviaires à très grande vitesse sur infrastructures nouvelles » par le Service de la recherche

1967 — mars Appel d'offre pour un expérimental à très grande vitesse — 4 avril Adoption du programme de travail du Service de la recherche, en particulier le projet C 03 et son sous-projet « Paris-Lyon » — 25 avril Début des essais en ligne du turbotrain expérimental TGS

1968 — mai Premier rapport de préétude des coûts d'exploitation et d'infrastructure de la ligne nouvelle Paris-Lyon —10 juin Adoption du programme des recherches techniques C 03

1969 — juillet Commande de deux rames TGV expérimentales — 5 novembre Transmission au gouvernement du projet de « desserte du sud-est de la France à grande vitesse et fréquence élevée au moyen d'une ligne nouvelle Paris-Lyon » Processus de décision et mise au point du matériel

1970 — décembre Remise du rapport de la commission Coquand, comparant le TGV à l'aérotrain et à l'avion à décollage court

1971 — 25 mars Décision de principe favorable à la ligne nouvelle Paris-Lyon prise en comité interministériel — 1er octobre Création, au sein de la SNCF, de la commission directrice du TGV Sud-Est

1972 — 4 avril Début des essais en ligne du turbotrain expérimental TGV 001 — 1er décembre Début des essais du turbotrain

1973 — juillet Remise du rapport de la commission Le Vert, actualisant le bilan de la commission Coquand

1974 — 6 mars Le projet de ligne nouvelle Paris-Lyon est approuvé en Conseil des ministres. Décision d'exploiter la ligne en traction électrique — avril Début des essais de l'automotrice 2 7001 à traction électrique — octobre Création du département de la ligne nouvelle Paris-Sud-Est, au sein de la direction générale de la SNCF

1975 —18 mars Ouverture de l'instruction mixte du dossier de la ligne nouvelle par les administrations centrales concernées (close le 4 décembre) — 7 avril Ouverture de l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique

1976 — 23 mars Déclaration d'utilité publique de la ligne nouvelle Paris-Sud-Est — 4 novembre Confirmation du marché passé le 12 février pour 87 rames TGV — 7 décembre Début des travaux de la ligne nouvelle Paris-Sud-Est avec l'ouverture du chantier d'Ecuisses près de Montchanin (Saône-et-Loire)

1978 -29 juillet Livraison de la première rame TGV de série (TGV 01) Mise en service et création d'un réseau à grande vitesse

1981 — 22 septembre Inauguration de la ligne nouvelle Paris-Sud-Est par la mise en service du tronçon sud de la ligne, de Saint-Florentin à Sathonay (275 km). Le président de la République demande la mise à l'étude du TGV Adantique

1983 — 25 septembre Mise en service du tronçon nord de la ligne nouvelle Paris-Sud-Est, de Combs-la-Ville à Saint-Florentin (115 km)

1984 -25 mai Déclaration d'utilité publique du TGV Adantique

1985 — mars Desserte directe de Grenoble par TGV à la suite de l'électrification de la ligne de Lyon à Grenoble — septembre Desserte TGV Lille-Lyon sans arrêt à Paris

1986 — septembre Desserte TGV Rouen-Lyon sans arrêt à Paris

1987 - 30 avril Remise du rapport de la commission Rudeau sur le TGV Nord. Décision en septembre pour la partie française -29 juillet Ratification du traité franco-britannique sur le tunnel sous la Manche — 9 octobre Décision de réaliser le TGV Nord et choix du tracé définitif par Lille. Le Premier Ministre annonce conjointement l'inter­ connexion des TGV en Ile-de-France, la réalisation prochaine du contournement de Lyon et la poursuite des études du TGV Est.

Si, il y a plus de vingt ans, les Réflexions pour 1985 envisa­ avec moins de gens, tel est l'inéluctable objectif8», insiste geaient l'avenir du système de transport interrégional de voya­ aujourd'hui J. Bouley, devant le XXIVe congrès de l'Association geurs en terme de développement de technologies originales et internationale des congrès des chemins de fer. Les projets d'auto­ spectaculaires, du type aérotrain, la récente Prospective 2005 matisation de l'ensemble de l'exploitation, la mise en place d'un souligne au contraire la supériorité du chemin de fer pour réaliser « super réseau » à grande vitesse, entièrement automatisé, un réseau à grande vitesse. Ce réseau qui, en plus du TGV Sud- annoncent une mutation du système sociotechnique ferroviaire Est et du TGV Atlantique, comprendrait sans doute un TGV plus importante encore que celle signifiée par l'électrification ou Nord et peut-être un TGV Est concentrerait plus de la moitié, le tournant de la commercialisation, avec une transformation vraisemblablement près des deux tiers, du trafic ferroviaire inter­ profonde des métiers, une réduction plus rapide encore des effec­ régional de voyageurs. tifs. Système intégré, fortement automatisé, un réseau à grande L'étude précise des processus d'innovation et de décision vitesse ne risque-t-U pas d'être ce « noyau » rentable de l'activité qui s'amorcent aujourd'hui peut aider à situer les enjeux de cette ferroviaire sur lequel les politiques libérales ont poussé, depuis mutation. En effet, comme nous l'avons montré dans le cas du plus de vingt ans, la SNCF à limiter ses activités ? TGV Sud-Est, « la régulation de la technologie ne peut se R. Guibert soulignait, en 1969, la nécessité de la concentra­ réduire à un débat technique sur des questions techniques : il tion de l'activité ferroviaire face à la concurrence. « Faire plus s'agit toujours, à propos de questions techniques, d'un débat politique qui engage un choix de valeurs et une conception du TGV. Cf. J.-M. Fourniau, La Genèse des grandes vitesses à la SNCF. De l'inno­ 29 vation à la décision du TGV Sud-Est, rapport de recherche INRETS, avril 1987. développement économique et social ». 4. P. Le Vert, Les Grandes Vitesses à la SNCF, ministère de l'Equipe­ ment, avril 1967, p. 19. 5. M. Walrave, « La Demande ferroviaire », in E. Quinet (éd.), La Demande de transport, Presses de l'ENPC, 1982, p. 242. 6. A. Chauvineau, « SNCF, vers un renouveau des réseaux régionaux », Metropolis, n° 73-74, 2e trimestre 1986, p. 13. 7. « Découvrir, en 1964, qu'il n'y avait aucune procédure officielle pour la recherche en matière de transports terrestres donne une idée de la cristallisa­ tion des esprits qui étaient alors la règle dans cette matière. » J. Bertin et R. Mar­ chai, L'Aérotrain ou les Difficultés de l'innovation, édition d'Aviation maga­ zine, Strasbourg, 1977, p. 50. 8. R. Guibert, « La Recherche à la SNCF », Transports, n° 121, mai 1967, p. 219. 9. M. Garreau, « La Recherche technique dans le domaine du matériel ferroviaire », Bulletin d'information des cadres, n°94, juillet 1966, p. 10. 10. J. Bertin et R. Marchai, op. cit., p. 38. 11. Rapport du groupe présidé par P. Guillaumat, chargé en 1963, pour la préparation du Ve Plan, d'élaborer une prospective générale de 1985 centrée sur l'évolution des modes de vie. La Documentation française, 1964, 155 p. 12. J. Bertin et R. Marchai, op. cit., p. 45. 13. G. de Merle et J. Paquié, « Le Système Aérotrain », Transports, n°121, mai 1967, p. 195. 14. L. Armand, « Conclusions de la 5e session de formation sur l'activité ferroviaire internationale », Bulletin de l'UIC, septembre-octobre 1967. 15. Sur le rôle de l'étude du TGV dans la transformation de la problémati­ que des études économiques, dans la mise en forme de la stratégie concurrentielle de la SNCF, voir le dernier chapitre de notre rapport déjà cité. 16.Premier rapport du projet C03, sous-projet «Etudes générales», Connaissances actuelles et problèmes à étudier. Programme de recherches, SNCF Recherche, avril 1968, p. 46-47. 17. Cf. M. Tessier : « Le recours à des solutions techniques convention­ nelles permet, en conservant le même gabarit et l'écartement standard de la voie, d'imaginer un nouveau système de transport totalement compatible avec le réseau classique existant, permettant ainsi l'emploi des parcours terminaux et de prolongements en antenne sur les lignes existantes. On aboutit ainsi à la notion non pas de lignes intégralement nouvelles mais de tronçons nouveaux spécialisés, sans point d'arrêt intermédiaire, construits en zone non urbaine, "shuntant" les lignes du réseau actuel et utilisant les pénétrations existant dans les aggloméra­ tions. » « Les Liaisons intervilles à très grande vitesse sur infrastructures ferro­ viaires nouvelles et le projet Paris-Lyon », Revue générale des chemins de fer, janvier 1970, p. 4. 18. B. de Fontgalland, Les Projets de relations rapides intervilles de la SNCF, Cercle des Transports, séance du 15 janvier 1970, p. 15. 19. Sur l'évolution du tracé et le rôle des collectivités locales, voir dans Notes J.-F. Bazin, Les Défis du TGV. Le nouvel âge du chemin de fer, Denoël, 1981, les chapitres VI et VIII. 1. « La ligne nouvelle Paris-Lyon est née d'un problème de capacité : le 20. J. Bouley, « L'Heure des grandes options : les innovations essentielles débit maximum de 250 trains par jour sur les tronçons à double voie de l'artère apportées sur le matériel Paris-Sud-Est », Revue générale des chemins de fer, Paris-Lyon étant en voie d'être dépassé, la SNCF préféra au quadruplement la décembre 1976, p. 752. solution d'une ligne nouvelle spécialisée au trafic "voyageurs". Le minimum des 21. A. Portefaix poursuit : « Notons en passant que la confiance ainsi investissements passait par le choix de rampes élevées (35 mm/m) et par l'ab­ accordée au TGV 001, et que l'événement a justifiée, était assez exceptionnelle sence de tunnels ; la traction des trains, dès lors, s'imposait sous la forme d'auto­ dans l'histoire de la technique ferroviaire, si l'on veut bien se souvenir—pour res­ motrices indéformables bicourant (la ligne est évidemment en 25 kV 50 Hz et le ter dans le domaine de la traction moderne—que le lancement de la 2D2 en 1926- reste du réseau Sud-Est en 1 500 V continu). En l'occurrence, la ligne et son 1930 a reposé sur quatre prototypes, celui de la CC au lendemain de la guerre, sur insertion dans l'environnement furent servies par une caractéristique de la géo­ quatre unités (CC 6001, BB 6002, CC 7001 et 7002) et celui de la BB 9200 égale­ graphie économique de la France : il ne s'agissait pas de distribuer des voyageurs ment sur quatre locomotives identiques deux à deux. » « Finalités de l'automo­ entre Paris et Lyon — sur le trajet emprunté, il n'y a pas de ville importante—mais trice Z7001 », Revue générale des chemins de fer, février 1975, p. 65-66. de "projeter" les Parisiens à Lyon et surtout au-delà... », déclarait récemment le 22. Ce système de pendulation a été développé par les Italiens pour la secrétaire général de l'UIC, présentant les divers projets et réalisations à grande ligne à grande vitesse Rome-Florence. Le « Pendolino » a été mis en service sur la vitesse en Europe. « Les Grandes Vitesses », in colloque de la CEMT, Dimen­ ligne Rome-Ancône à travers les Apennins au printemps 1976. Les Britanniques sion européenne et perspectives d'avenir des chemins de fer, Paris, 15-17 janvier ont aussi développé ce système au cours des années 70 et l'ont mis en service sur 1986. J. Bouley fut, à l'époque de la décision du TGV Sud-Est, directeur du maté­ leurs trains rapides Advanced Passengers Trains (APT). Mais le manque de fiabi­ riel à la SNCF. Cette présentation reprend celle d'un article de 1976 dej. Dupuy, lité du système, ses coûts élevés d'exploitation et la situation financière des Bri- directeur général de la SNCF de 1985 à 1987, qui coordonna la réalisation du tish Railways ont conduit à l'abandon de cette exploitation en 1984. TGV à partir de 1971. 23. F. Nouvion, « Rames expérimentales à turbines à gaz », Revue géné­ 2. Création du Service de la recherche le 1er août 1966, transmission du rale des chemins de fer, janvier 1970, p. 25 et 38. projet au ministre des Transports par le conseil d'administration de la SNCF en 24. SNCF Recherche, projet C03, sous-projet «Etudes générales», novembre 1969, examen des projets de « transports terrestres à grande vitesse sur Connaissances actuelles et problèmes à étudier, op. cit., p. 24. l'axe Paris-Sud-Est » par le groupe fonctionnel « Voyageurs » de la commission 25. J.-G. Heintz, Anatomie d'une impasse ou l'« Esprit de sécurité »etla des Transports du VIe Plan et approbation de principe du projet par un conseil signalisation ferroviaire en France, Université de Strasbourg, 1985, tomel, interministériel du 25 mars 1971 marquent le cheminement du projet de TGV. Discussion du groupe de travail des entreprises publiques à partir de mai 1966, 26. Pour cette comparaison, voir G. Dupuy, G. Ribeill et M. Savy, « Les conclusion de l'accord de base de juillet 1969 définissant les grandes orientations "Effets de réseau" des trains à grande vitesse », in MULT-CESTA (éd.), Les de la réforme de la SNCF, avenant du 27 juillet 1971 et nouveau cahier des char­ Aspects socio-économiques des trains à grande vitesse, La Documentation fran­ ges du 23 décembre 1971 ponctuent le tournant de la commercialisation du che­ çaise, 1985, tomell, p. 685-696. min de fer. Ces six années voient donc conjointement se décider une profonde 27. Expression d'A. Nicolon, « Quelques caractéristiques des processus restructuration de l'activité et de l'entreprise ferroviaires et le projet de TGV d'innovation », in F. Chesnais, A. Nicolon et alii, Six Etudes de cas d'innova­ Paris-Sud-Est. Cette imbrication s'est prolongée jusqu'à la décision définitive tions techniques, Editions du CNRS, 1977, p. 93. puisque la commande des rames de série avec le relais de crédits FDES, le 12 28. Cf. J. Bouley, « Le Rail et ses concurrents. Les défis de l'an 2000 », novembre 1976, a été liée à la conclusion du second contrat de programme prévu Revue générale des chemins de fer, septembre 1985, p. 405. par le cahier des charges. 29. J.-J. Salomon, Prométhée empêtré, Pergamon Press, collection Futu- 3. Cet article s'appuie sur le travail que nous avons réalisé sur la genèse du ribles, 1982, p. 156.