AÉRONEF 1925 1935 L’AKRON ET LE MACON Gigantesques, patauds, lents, conçus par un Allemand mais fabriqués par les Américains de la firme Goodyear, volant dans les cieux mais relevant de la Marine, véritables « vaisseaux aériens » comprenant jusqu’au d’avions, l’Akron et le Macon sont incontestablement à classer parmi les aéronefs les plus insolites de l’histoire de l’aéronautique des années 1920‑30…

Par Yann Mahé

1 LES LÉVIATHANS DES CIEUX L'AKRON ET LE MACON

l’initiative des Allemands, puis des u Le contre-amiral Britanniques et des Italiens, les dirigeables William A. Moffett, le ont connu leur baptême du feu durant la très influent chef du Bureau of Aeronautics, Première Guerre mondiale, en exécutant en grand uniforme ! des missions de reconnaissance ou Toutes photos US Nara desÀ attaques à la bombe sur les arrières ennemis. Les Américains, durant l’entre-deux-guerres, allaient [1] ou BuAer, département totalement revisiter le concept, pour en faire des administratif de l’aéronavale porte-avions aériens, dont le parc embarqué serait américaine créé le 10 août entièrement dévolu aux missions de reconnaissance 1921 et chargé par le secrétariat à la Marine de au profit de la flotte. gérer tout ce qui touche à l’aviation de l’US Navy et des Marines, qu’il s’agisse de l’élaboration, de la construction, de l’équipement LES « PLUS LÉGERS QUE L’AIR » ou de la réparation des ONT LE VENT EN POUPE appareils. Son chef, William Moffett, héros de guerre et En septembre 1925, quelques jours après le crash du fin politique, s’est assuré dès le départ que les directeurs dirigeable ZR‑1 Shenandoah qui s’est soldé par la mort de ses trois départements de 14 membres d’équipage, le contre-amiral William (Matériel, Plans, Vols) avaient Adger Moffett, chef du Bureau of Aeronautics[1], leurs entrées au Capitole et au Naval War College, mais recommande l’adoption par l’US Navy d’un programme aussi auprès des centres de d’aérostats plus ambitieux encore que les précédents, recherche et des industriels. incluant la construction de deux gigantesques aéro- Et, de fait, Moffett s’est tissé un réseau relationnel à peine nefs rigides mais aussi d’une base LTA[2] sur la côte imaginable, même pour un Ouest des États-Unis capable de les accueillir et d’en militaire de son rang, et par la assurer la maintenance. Pour cet officier de 56 ans loin même occasion s’est bâti une influence politique sans égale de se laisser décourager par la perte du Shenandoah, au sein des forces armées les dirigeables demeurent du plus grand intérêt straté- des États‑Unis. littéralement les yeux de la flotte, en étant en mesure gique : capables d’évoluer relativement silencieusement de repérer et signaler les escadres ennemies lors de [2] Lighter-than-air, « plus à des altitudes bien supérieures à celles des avions, de léger que l’air » : autre nom missions de guerre ou les navires naufragés lors de franchir des distances transocéaniques, ils constituent des dirigeables. missions de secours.

 Assemblage de la structure en duralumin de l'USS (United States Ship, préfixe en vigueur pour tous les navires de la Navy !) Akron dans l'immense Goodyear Airdock.

2 Quelques semaines plus tard, Moffett finit d’écœurer ses détracteurs : son audition devant des parlementaires aboutit à la mise en place, au profit exclusif de la Marine, d’un plan aéronau- tique de cinq ans autorisant la construc- tion de deux grands dirigeables rigides, la loi définitive en ce sens étant votée par le Congrès le 24 juin 1926. L’appel d’offres est émis l’année suivante, et c’est la société Goodyear-Zeppelin[4], en vertu de sa solide expérience dans le domaine, qui remporte haut la main la compétition, dont l’issue est pour- tant énergiquement contestée par la Brown Boveri Electric Corporation. Vaine réclamation ! Au terme de la seconde compétition, Goodyear-Zeppelin sort une nouvelle fois vainqueur, ses représen- tants apposant leur signature au contrat le 6 octobre 1928. C’est au Dr Karl Arnstein, l’un des treize ingénieurs allemands de Zeppelin ayant accepté d’émigrer en Amérique, que revient la tâche de tracer les plans des futurs dirigeables ZRS‑4 et ZRS‑5 (ZRS pour Zeppelin Rigid Scout, zeppelins rigides de reconnaissance). Les travaux de son équipe débutent le 31 octobre 1929 dans un immense hangar spéciale- Seulement, l’état-major de la Marine, refroidi par le p La cabine de pilotage de ment conçu à cet usage : le Goodyear Airdock d’Akron, drame du Shenandoah, ne consent la construction l'USS Akron, dans laquelle récemment inauguré dans cette ville de l’Ohio, devenue que d’un aérostat… et encore, si le budget attribué l'on aperçoit le barreur à son la capitale mondiale du caoutchouc… poste et un matelot maniant par le département de la Défense le permet ! Moffett, un sextant. Ce compartiment un officier au caractère bien trempé, vétéran de la est surmonté par la cabine guerre hispano-américaine de 1898 et récipiendaire personnelle du capitaine LE « NOUVEAU CUIRASSÉ de la prestigieuse Medal of Honor gagnée lors de l’oc- de bord. La protubérance visible en dessous est un AÉRIEN DE LA NAVY » cupation de Veracruz en 1914, n’est pas du genre à amortisseur de chocs, très s’avouer vaincu. Ce visionnaire, qui est l’ami intime utile lors des atterrissages. L’assemblage des éléments principaux de la coque débute de l’ancien assistant du secrétaire à la Marine – un en mars suivant, sous le toit de ce gigantesque « dock certain Franklin D. Roosevelt –, avait bataillé de 1918 aérien » de 358 mètres de long, 99 mètres de large et q La cabine de contrôle et à 1921 pour obtenir l’affectation d’un avion à son d’urgence insérée dans le 64 mètres de haut. Les Américains font entièrement cuirassé, l’USS Mississippi. Ses efforts avaient payé : stabilisateur inférieur arrière confiance à Arnstein, qui a en son temps travaillé sous non seulement, il avait cette même année été promu du ZRS-4. La présence l’égide du comte Ferdinand von Zeppelin à Friedrichshafen ; à la tête du BuAer dans les « coursives » duquel on le des matelots américains ils ne regretteront pas leur choix. En effet, tirant les ensei- nous permet de prendre surnomme depuis lors l’« Air Admiral », mais il avait conscience des dimensions gnements des faiblesses structurelles qui ont conduit au assisté avec satisfaction trois ans plus tard au lance- gigantesques du dirigeable ! crash du Shenandoah, l’ingénieur allemand a conçu un ment d’un hydravion de reconnaissance Martin MO‑1 par une catapulte à poudre disposée sur le toit de l’une des tourelles de son cher Mississippi. Le procédé allait faire tâche d’huile dans les grandes marines du monde au cours des années 1920‑30. Véritable pionnier de l’aé- ronavale aux États-Unis, [3] Stratège partisan militant pour le maintien de regrouper tous les d’une aviation navale indé- moyens aériens dans une seule Arme aérienne pendante – ce qui donne lieu indépendante. Ses propos à à de sérieuses querelles avec charge relatifs au crash du le général Billy Mitchell[3] – Shenandoah (qualifiant les états-majors de l’Armée et autant que pour la construc- de la Marine d’incompétents tion de porte-avions, Moffett et assimilant quasiment n’hésite pas à court-circuiter les hauts responsables du sa hiérarchie et à faire jouer ministère de la Défense à des traîtres) le conduiront ses nombreux appuis poli- directement devant la tiques. Les résultats ne se cour martiale, qui brisera font pas attendre, puisqu’un sa carrière fin 1925. projet de loi du Congrès appelle bientôt au remplace- [4] Née de la fusion ment du Shenandoah par un en octobre 1923 de Goodyear avec la firme dirigeable construit sur les allemande Zeppelin du propres fonds de la Navy. Dr Hugo Eckener.

3 LES LÉVIATHANS DES CIEUX L'AKRON ET LE MACON assemblage en duralumin révolutionnaire sous l’enveloppe rigide du dirigeable : en guise de « squelette », Arnstein a privilégié des anneaux principaux doubles à croisillons, qui s’avèrent bien plus solides que les simples anneaux princi- paux des zeppelins conçus jusqu’ici. Pour le reste, l’arma- ture se compose des traditionnels anneaux intermédiaires et de kilomètres de câbles, reliés, non à l’unique traverse centrale propre à tous les dirigeables de l’époque, mais à trois robustes traverses : deux latérales inférieures et une supérieure. Ces poutres horizontales font par ailleurs office de passerelles permettant aux 89 membres d’équipage de circuler d’un compartiment à l’autre de l’aéronef : la cabine de pilotage placée à l’avant, la cabine de contrôle et d’urgence insérée dans le stabilisateur inférieur arrière, et les deux plates-formes d’observation (supérieure et de queue). À cela s’ajoutent, de part et d’autre de l’enve- loppe, les quartiers de l’équipage comprenant le mess, la cuisine, les couchettes, la salle de bains et l’infirmerie, localisables aux fenêtres donnant sur l’extérieur. Bref, tout le confort assimilant le ZRS à un authentique vaisseau aérien. Un vaisseau d’un type bien particulier du reste, puisque les espaces de vie dévolus à l’équipage sont séparés par un immense hangar situé en son premier tiers. Présentant une dimension de 23 mètres de long, p Dans sa « cambuse » sur huit mitrailleuses Browning calibre .30 réparties dans 18 mètres de large et 6 mètres de hauteur, ce hangar (cuisine), le chef cuistot des sabords de tir aménagés dans le nez et la queue, en est censé permettre au dirigeable de stocker des avions du bord prépare une positions dorsale et ventrale. appétissante épaule de qui seraient largables et récupérables via une ouverture bœuf à l'équipage ! Les Véritable géant des cieux, le ZRS fait une longueur en forme de T pratiquée sous l’enveloppe. Néanmoins, ZRS disposent de tout le de 239 mètres pour une envergure de 40 mètres et cet emploi reste purement théorique, car aucun moyen confort nécessaire pour une hauteur de 46,5 mètres. Son enveloppe en toile, technologique ne permet pour le moment de lancer et de longues croisières. d’un volume de 184 059 m³, dissimule douze cellules de réceptionner des avions-parasites dans les airs. Pour à parois de latex-gélatine contenant l’hélium indis- assurer la défense du dirigeable, l’équipage peut compter pensable au « ballon » pour s’élever dans les airs.

q Les hélices orientables de l'Akron actionnées par les moteurs Maybach VL‑2. Le dirigeable est capable d'une vitesse maximale de 133 km/h (93 km/h en croisière). Les rectangles grillagés au-dessus des hélices sont les dispositifs de recueil des eaux de pluie.

4 d’État à la Marine Charles Francis Adams décide d’ap- peler le premier ZRS, codé ZRS‑4, USS Akron ; quatre jours plus tard, son sous-secrétaire d’État Ernest Lee Jahncke révèle le nom choisi au grand public. C’est la première dame des États-Unis Lou Hoover qui baptise officiellement le dirigeable en libérant une volée de pigeons retenus dans une cavité de l’appareil, au cours d’une cérémonie solennelle organisée le 8 août 1931 dans le Goodyear Airdock, devant plusieurs centaines de spectateurs béats. Le 23 septembre, enfin, l’énorme aéronef décolle d’Akron pour effectuer son vol inaugural dans la région de Cleveland ; le Lieutenant Commander Charles E. Rosendahl est aux commandes, le secrétaire d’État à la Marine Adams et le contre-amiral William A. Moffett ayant été conviés à bord pour cette grande occasion. Suivent huit autres vols tests réalisés prin- cipalement au‑dessus du lac Érié (l’un des cinq Grands lacs), mais aussi de Détroit, Milwaukee, Fort Wayne et Columbus. Après 124 heures et 11 minutes de vols d’essai, l’USS Akron est déclaré apte au service, le Lieutenant Commander Rosendahl l’acheminant à la Naval Air Station (NAS) de Lakehurst, New Jersey, le 27 octobre. Six jours plus tard, celui que le président Herbert C. Hoover appelle le « nouveau cuirassé aérien Précisons que l’hélium est un gaz non inflammable, détail p Les mécaniciens de la Marine américaine » effectue son premier vol en qui a son importance au regard du funeste destin qu’allait graissent la mécanique tant qu’aéronef commissionné : une fois de plus, l’« Air être celui de son seul challenger, le célèbre Hindenburg des Maybach. Le Admiral » Moffett est à son bord, entouré d’une nuée positionnement des moteurs gonflé à l’hydrogène. Le nouveau dirigeable américain à l'intérieur de l'enveloppe de journalistes ravis de prendre part à ce voyage qui est propulsé par huit Maybach VL‑2 de 12 cylindres facilite grandement leur les mène jusqu’à Washington. La presse américaine refroidis par eau (qui, sortie chaude du circuit de refroidis- entretien en vol. n’a pas fini d’en prendre plein les yeux, car dès le sement, est dérivée dans des canalisations chauffant les lendemain, le nouveau dirigeable de l’US Navy fait la quartiers de l’équipage !), des moteurs donnant 560 ch qui ont la particularité d’être montés à l’intérieur de l’en- veloppe – ce qui en facilite d’autant la maintenance en vol –, les hélices à deux pales dépassant évidemment pour mouvoir l’aéronef. Autre innovation de taille : l’arbre des hélices est orientable à 90°, de façon à permettre à l’engin d’évoluer en ascension, à l’horizontale ou en descente. Last but not least, les Maybach sont réversi- bles, ce qui permet au zeppelin de se déplacer vers l’arrière. Tout est donc fait pour faciliter le pilotage de ce monstre de 100 tonnes sur 360° ! Les moteurs sont alimentés au gasoil, le ZRS pouvant embar- quer 75 700 litres de carburant dans ses entrailles, ce qui lui autorise l’autonomie considérable de 19 446 kilo- mètres ! Le 10 mai 1930, le secrétaire

p L'USS Akron sur le point d'être sorti de son immense « dock aérien » pour son tout premier vol d'essai ! Nous sommes le 23 septembre 1931. 5 LES LÉVIATHANS DES CIEUX L'AKRON ET LE MACON

geable de rester dissimulé dans les nuages pendant que l’observateur qui est à bord du « panier » effectue ses observations à la jumelle. Très instable lors des essais, au point de susciter l’effroi des membres d’équipage de l’Akron, terrifiés à la simple idée de se retrouver dans cet appareil jugé d’un emploi suicidaire, le « Spy basket » ne sera jamais utilisé. En revanche, la seconde expérimentation va s’avérer nettement plus promet- teuse, quoique tout aussi délicate dans son application opérationnelle. Suite aux essais concluants réalisés par le ZR‑3 Los Angeles trois ans plus tôt (le 3 juillet 1929), durant lesquels le lieutenant A.W. « Jake » Gorton avait réussi à accrocher en plein vol son biplan Vought UO‑1 sur le trapèze expérimental monté sous le dirigeable, il est décidé de concrétiser un projet jusqu’ici resté à l’état de chimère : faire de l’Akron un dirigeable porte‑avions. Gorton ayant démontré avec brio la validité du système, l’on équipe l’aérostat de Rosendahl d’un trapèze volant (cf. encadré p.13), qui est testé pour la première fois en vol le démonstration de ses extraordinaires capacités en transportant p Entré en service dans 3 mai 1932 au‑dessus des côtes du 207 personnes lors d’une simulation de mission de secours, établis- l'US Navy, le ZRS-4 Akron New Jersey, sous les yeux du contre- sant par la même occasion un nouveau record mondial : jamais un s'approche du navire-base pour amiral George C. Day, directeur du dirigeables USS Patoka, un aussi grand nombre de passagers n’a pris place dans un dirigeable ! ancien pétrolier muni d'un mât Board of Inspection and Survey, le Si le public est conquis, les hauts responsables de la Marine, eux, d'amarrage et de systèmes de département chargé de l’inspection restent sceptiques et veulent mettre l’USS Akron à l’épreuve en le ravitaillement en hélium et en des matériels de la Navy. Avec le gasoil. Des engins sortis tout droit faisant participer à un exercice naval. de l'univers de Jules Verne ! plus grand sang-froid, les lieutenants Daniel W. Harrigan et Howard L. Young parviennent à accrocher DU CUIRASSÉ AÉRIEN le trapèze du dirigeable à bord de AU PORTE-AVIONS AÉRIEN ! leurs biplans Consolidated N2Y ; ils rééditent leur performance quelques Aussi, le 9 janvier 1932, le « cuirassé aérien de la Marine américaine » heures plus tard avec des Curtiss XF9C‑1 Sparrowhawk, confirmant le est‑il mobilisé pour un exercice avec la Scouting Fleet[5] au large des bien-fondé de ce périlleux concept. Le lendemain, une nouvelle démons- côtes de Caroline du Nord. Sa mission est de repérer les bâtiments tration a lieu avec succès, cette fois en présence de membres de la américains en pleine mer et de les suivre à la trace sans se faire Commission des affaires navales (House Committee on Naval Affairs) repérer. Le lendemain, l’USS Akron localise effectivement l’escadre de de la Chambre des représentants. destroyers de retour de la baie de Guantanamo, mais perd le contact Les essais du trapèze aérien terminés, le dirigeable quitte Lakehurst le au bout de cinq heures de poursuite à cause du mauvais temps. 8 mai pour la côte Ouest des États-Unis, il contourne le littoral de la Qu’importe d’ailleurs, puisque la présence du vaisseau du Lieutenant Géorgie, et de là, traverse le golfe du Texas et la plaine de l’Arizona. Commander Rosendahl a été décelée par les vigies des navires de C’est en faisant escale à Camp Kearny le 11, alors qu’il se dirige vers la guerre. La journée suivante est toutefois plus heureuse pour l’équipage base californienne de Sunnyvale, que l’USS Akron connaît son premier de l’aérostat : le croiseur USS Raleigh est repéré le matin à 9h08, le accident mortel. Le zeppelin se présente en effet dans la matinée groupe de destroyers étant retrouvé deux minutes plus tard à peine. devant le mât d’attache, mais la manœuvre tourne au drame lorsque Le succès est suffisamment probant pour que l’Amirauté ordonne de au moment critique de celle‑ci, il devient brutalement incontrôlable pour relever l’Akron dès 10 heures… Le rapport de l’exercice enfonce le l’équipe d’amarrage au sol, des marins de la base navale de San Diego clou en qualifiant la prestation du dirigeable de « réussite ». insuffisamment formés à cette besogne. Délesté des 40 tonnes de Réussite certes, mais nombre d’amiraux ne sont toujours pas carburant qu’il a consommé et d’une grande quantité de gaz à cause convaincus de l’utilité de ce type d’aéronef, ce d’autant qu’un accident du réchauffement de l’enveloppe par les rayons du soleil, l’Akron est immobilise l’USS Akron une bonne partie du printemps. Le 22 février, secoué au point de mettre en péril la vie des personnels au sol. Si bien en effet, alors qu’il est sorti de son hangar de Lakehurst en prévision que l’ordre de couper les amarres retentit soudainement : la plupart de l’exercice « Fleet Problem XIII », les amarres de queue rompent des marins parviennent à lâcher le câble à temps, mais quatre autres soudainement : le vent plaque aussitôt le dirigeable sur le tarmac, le n’ont pas cette chance et s’envolent avec le dirigeable qui grimpe à choc endommageant fortement la dérive inférieure et les appendices une vitesse vertigineuse… L’un d’eux réussit à sauter suffisamment tôt destinés à la manœuvre au sol. pour s’en sortir à bon compte avec De fait, le ZRS‑4 n’est de nouveau opérationnel qu’à la date du 28 avril, un bras cassé. Malheureusement, à une époque où il est décidé de le soumettre à une série d’expérimen- deux des trois autres matelots, à tations aussi géniales que téméraires. En premier lieu, l’USS Akron [5] Qui est alors, avec la Pacific bout de force, finissent par lâcher est muni d’un « Spy basket » (panier espion), une nacelle reliée à un Fleet, l’autre grande composante prise et font une chute mortelle sous filin pouvant être suspendue dans le vide, afin de permettre au diri- navale de l’US Navy. les yeux horrifiés de l’assistance.

6 t et  Le fameux trapèze Miraculeusement, le dernier, le volant de l'USS Akron, que mousse Charles « Bud » Cowart, tente d'accrocher le pilote de ce biplan Consolidated parvient à tenir le filin suffisam- N2Y, peut-être lors des ment longtemps pour pouvoir être essais des 3 et 4 mai 1932. remonté par l’équipage du diri- Le crochet de fixation monté geable après une heure d’efforts, sur l'avion est parfaitement visible. À la vue de ces ce dernier réussissant à s’amarrer clichés, il n'est guère difficile au mât de Camp Kearny un peu de comprendre à quel point plus tard dans la journée. Ce cette manœuvre d'abordage tragique accident jette le trouble est risquée... Le « cirque volant » made in USA ! dans le camp des partisans des « plus légers que l’air », puisqu’il s’est déroulé sous les yeux de plusieurs journalistes : intégra- lement filmé et photographié, il sera largement diffusé dans les actualités des salles obscures et la presse écrite des quatre coins du pays. La Navy ne pouvait craindre plus mauvaise publicité… Après cette funeste journée du 11 mai, l’USS Akron rallie la NAS de Sunnyvale, puis vogue au‑dessus de la côte Ouest jusqu’au Canada, avant de redescendre au sud pour un nouvel exercice naval. Intégré à la « force verte », la mission de l’aé- ronef de Rosendahl est de repérer la « force blanche », malgré les hydravions lancés par celle‑ci à sa recherche. Au bout de 22 heures de vol seulement, le dirigeable parvient à localiser la « flotte ennemie », balayant du même coup les critiques qui commençaient à s’élever depuis l’accident de Camp Kearny. Nécessitant des réparations, le dirigeable de la Marine américaine rejoint ensuite Lakehurst le 15 juin. En juillet, il prend part aux recherches du Curlew, un yacht n’ayant pas rejoint son port d’attache après une régate aux Bermudes, mais sans succès ; le navire étant plus tard retrouvé au large de l’île de Nantucket par une vedette des gardes‑côtes. Ce même mois, alors que le commandement de l’aérostat passe au Commander Alger H. Dresel, la HTA (heavier-than-air) unit de l’USS Akron rejoint enfin Lakehurst. Il s’agit en l’occur- rence d’une escadrille embarquée de biplans Curtiss F9C‑2 Sparrowhawk, le hangar du dirigeable pouvant en accueillir cinq en même temps. Une campagne d’essais est aussitôt exécutée, l’un de ces exercices étant effectué en présence de Moffett le 20 juillet. Le 22 août, cependant, le vaisseau est victime d’un accident mineur, la dérive du dirigeable étant légèrement endommagée lors d’une manœuvre mal coordonnée dans le hangar. Cet écueil ne l’empêche pas, après réparations, de réaliser huit vols au‑dessus de l’Atlantique au cours du dernier trimestre de 1932 : aux exercices de lancement/récupération par trapèze des pilotes de F9C‑2, de protection des flancs du dirigeable par ces derniers, ont succédé les entraînements au tir des mitrailleurs de bord du zeppelin. Par ailleurs, ces vols ont démontré tout le potentiel des appareils embarqués : lors d’une mission de sept heures réalisée le 18 novembre 1932, l’USS Akron et trois de ses avions-parasites ont exploré entiè- rement un secteur de 100 miles ! Non seulement le tandem dirigeable–avions embarqués parvient à couvrir des zones très étendues lors ses sorties, les Curtiss accroissant de manière appréciable le rayon d’action du premier, mais les biplans sont à même d’assurer efficacement la protection du dirigeable en cas d’apparition de chasseurs ennemis. Néanmoins, lors des réflexions sur la doctrine d’emploi, une scission se fait jour entre les pilotes de la HTA unit et les aérostiers, chacun prêchant logiquement pour sa paroisse : les premiers, jugeant le diri- geable trop vulnérable, sont d’avis de le maintenir en arrière et de laisser les biplans assurer les missions de reconnaissance autant que les missions offensives ; les seconds, mettant en avant le plafond pratique supérieur du zeppelin, estiment qu’il lui revient de prendre en charge les missions de reconnaissance, les chasseurs n’étant là que pour assurer sa défense.

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GOODYEAR-ZEPPELIN CORPORATION ZRS-4 USS AKRON

© HUBERT CANCE, 2011

8 LE NAUFRAGE p Superbe photographie New Jersey. Pris dans de violentes bourrasques, le diri- du « porte-avions geable, qui se trouve dans une zone de dépression baro- Cette différence de vues n’empêche pas l’intégration aérien » USS Akron métrique ayant causé un dérèglement de l’altimètre sur en vol, un appareil fixé officielle de l’USS Akron, désormais aux ordres du sur son trapèze. Les la passerelle de navigation, est en perdition : à 0h30, Commander Franck C. McCord, à la flotte américaine le « hublots » des quartiers un courant ascendant suivi d’un courant descendant 3 janvier 1933. Ses premières sorties se font en direc- de l'équipage sont visibles secouent brusquement le zeppelin. McCord ordonne tion de la Floride, puis de Guantanamo. Deux mois plus devant le premier moteur. Ceux des officiers sont désespérément aux machines d’inverser les moteurs tard, après plusieurs entraînements intensifs, le diri- dans la section bâbord et à son barreur de compenser la seconde rafale en geable honore de sa présence la prestation de serment du dirigeable, ceux pointant le nez vers le haut, l’officier de manœuvre, de Franklin D. Roosevelt, élu président des États-Unis des hommes du rang le Lieutenant Commander Herbert V. Wiley, s’effor- à tribord ; le hangar d’Amérique, en survolant Washington en ce mémorable interne les sépare. çant de l’aider en larguant le lest d’urgence situé en 4 mars 1933. Le symbole de la puissance de l’US Navy proue. Fatale succession d’erreurs : alors que l’Akron, ne pouvait manquer pareille cérémonie ! rendu totalement incontrôlable par la rupture des câbles Le 11 mars, l’Akron quitte Lakehurst et met cap vers de gouverne de ses ailerons, ne se trouve plus qu’à le Panama, avant de réaliser de nouveaux exercices 240 mètres d’altitude, son nez pointe brusquement à en Floride. Rien ne laisse alors présager la catastrophe 25°, sa poupe heurtant la mer déchaînée qui arrache qui va se produire le 3 avril. Ce jour‑là, l’aérostat prend aussitôt gouvernail et stabilisateurs. Happé par les son envol pour une banale patrouille le long des côtes vagues, l’USS Akron sombre avec son équipage en de Nouvelle-Angleterre, le contre-amiral Moffett ayant quelques minutes à peine. Les marins américains, pris place à bord, avec son aide de camp le Commander dépourvus de gilets de sauvetage, n’ont pas le temps Cecil B. Harry et le « patron » de la base de Lakehurst, de mettre à l’eau l’unique radeau embarqué à bord le Commander Fred T. Berry, pour ce qui s’annonce du dirigeable… comme une sortie de routine. Au détail près que la Le cargo allemand Phoebus, qui affronte lui aussi les météo se dégrade brutalement dans la soirée, vers éléments déchaînés, assiste impuissant à la scène, le 22 heures, au passage du phare Barnegat, dans le capitaine guidant immédiatement son navire sur le site

Curtiss F9C-2 Sparrowhawk HTA (heavier-than-air) unit, USS Macon © J-M. Guillou, 2011 US Navy, 1934

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CES MERVEILLEUX FOUS VOLANTS DANS LEURS DRÔLES DE MACHINES : LES ADEPTES DU « TRAPÈZE » Récupérer et lancer un avion depuis un dirigeable est un défi à peine à l’épreuve les nerfs du pilote, puisqu’il s’agit pour celui‑ci de ne pas pensable de nos jours. Cette opération hautement risquée, tant pour quitter des yeux le montant inférieur du trapèze et de s’en rapprocher le porteur que pour l’avion-parasite, n’est d’ailleurs possible qu’à la pour « caler » le crochet de son aile supérieure sur le montant infé- condition que ce dernier soit un biplan. Une raison toute simple à cela : rieur du trapèze ! Pour mettre toutes les chances de son côté durant pour permettre au pilote d’amarrer son appareil au montant inférieur cette délicate tentative, il lui faut manœuvrer latéralement, de façon du trapèze sorti par le dirigeable en phase de récupération (ou de l’en à bénéficier de toute la largeur du montant inférieur, et éviter toute désolidariser en phase de lancement), il convient d’équiper l’avion- montée, pour ne pas entrer en collision avec le trapèze ou le bas de parasite d’une barre surmontée d’un crochet qui ne peut être soudée l’enveloppe du dirigeable. Dès lors que le crochet de l’avion s’arrime à que sur l’aile supérieure d’un biplan. la barre, il se verrouille automatiquement (ce qui n’était pas le cas au Ainsi, la phase de largage est de loin la moins périlleuse. Peu avant départ : un mécano, sécurisé par une simple corde, devait descendre l’envol, dans le hangar du dirigeable, les mécaniciens du bord accro- du hangar en utilisant le trapèze comme une échelle, grimper sur l’aile chent l’avion au trapèze, qui le descend dans le sillage du zeppelin, à supérieure du biplan – au risque de se faire déchiqueter par l’hélice une distance raisonnable de l’enveloppe. Le pilote peut alors mettre du moteur en marche – et verrouiller le crochet sur la barre avec une le moteur en route, déverrouiller le crocher au moyen d’une poignée, clé anglaise !), le pilote pouvant couper son moteur. L’avion est alors et se dégager de la trajectoire de l’énorme aéronef. soulevé par le trapèze et rentré dans le hangar du dirigeable. Lors de la récupération, le biplan se porte sous le dirigeable dont le Inutile de préciser qu’il fallait généralement plusieurs tentatives au pilote trapèze a été préalablement sorti, à une vitesse légèrement supérieure pour accrocher la barre inférieure du trapèze et que cette manœuvre de celle du porteur. À ce moment survient l’étape qui met littéralement pouvait être rendue encore plus délicate par les rafales de vent !

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du crash. La chaloupe qu’il fait mettre à l’eau parvient à récupérer de Copeland, le bilan du naufrage de l’USS Akron est établi à quatre naufragés : le Lieutenant Commander Herbert V. Wiley, 73 morts, parmi lesquels le contre-amiral William A. Moffett. Deux le chef radio Robert W. Copeland que les marins allemands ne victimes supplémentaires sont à dénombrer lorsque le dirigeable parviennent pas à réanimer, le quartier-maître de 2e classe Richard de la Navy J‑3, dépêché sur place pour participer aux opérations E. Deal et le mécanicien de 2e classe Moody E. Ervin. Malgré cinq de secours, s’écrase à son tour du fait des conditions climati- heures de recherches supplémentaires, le Phoebus ne découvre ques. Qualifié de désastre national par le président Roosevelt, le aucun autre survivant. Lorsque le garde-côtes Tucker arrive sur naufrage de l’USS Akron constitue alors l’accident de dirigeable place pour prendre à son bord les trois rescapés et la dépouille le plus meurtrier de l’histoire.

10 LE « PAPERBOY »[6] DE ROOSEVELT ! À peine un mois avant le drame, le 11 mars 1933, Jeanette Whitton Moffett, épouse du contre-amiral Moffett, a présidé le baptême et le lancement du sistership de l’USS Akron, le ZRS‑5, lui aussi construit dans le Goodyear Airdock d’Akron. Nommé d’après la plus grande cité du district géorgien du représentant au Congrès Carl Vinson, président de la House Committee on Naval Affairs, l’USS Macon fait son vol inaugural quelques jours après la perte de l’Akron. Il entre en service le 23 juin 1933, le Commander Alger H. Dresel, ancien « pacha » de l’USS Akron, en prenant le commandement. À la différence de celui‑ci, sa base d’attache n’est pas la NAS de Lakehurst, mais la NAS de Sunnyvale, en Californie. Peu après, les cinq biplans Curtiss F9C‑2 Sparrowhawk affectés au dirigeable arri- vent, les premiers essais d’arrimage au trapèze de bord étant accomplis le 6 juillet dans le ciel de Lakehurst. Le concept étant définitivement homologué, les premiers mois des officiers sont passés à affiner la doctrine d’em- ploi des avions-parasites qui était âprement débattue à bord de l’Akron. Après de constructifs tours de table, il est décidé de réserver les chasseurs embarqués à des missions de reconnaissance et d’accroître leur rayon d’action en remplaçant le train d’atterrissage, devenu p L'USS Akron survole Washington le 4 mars 1933, à l'occasion de la prestation inutile, par un réservoir supplémentaire, augmentant ainsi de serment du nouveau président des États-Unis, Franklin D. Roosevelt. l’autonomie des appareils de 30 % !

[6] Livreur de journaux.

q Le sistership de l'Akron, l'USS Macon, fixé à son mât d'amarrage quelques heures avant son premier vol, le 21 avril 1933. Remarquez les « hublots » de la plate- forme d'observation de queue, pouvant être utilisés comme sabords de tir pour la Browning cal. 30.

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CONSOLIDATED XN2Y-1 PLAN AU 1/48E © HUBERT CANCE, 2011

12 jour à l’intention du prestigieux passager. Beau joueur, celui‑ci adresse le message suivant à l’équipage : « de Houston : le président vous adresse ses compliments, ainsi qu’à votre appareil, pour votre belle performance et votre excellente naviga- tion. Bien joué et merci pour les journaux, le Président. » Les félicitations sont pourtant loin d’être unanimes. En effet, non seulement Wiley a agi de sa propre initiative sans avertir sa hiérarchie, mais la facilité avec laquelle l’USS Macon a réussi à surprendre le croi- seur « présidentiel » embarrasse quelque peu le commandant en chef de l’US Navy, l’amiral Joseph M. Reeves, furieux du camouflet infligé par le nouveau « pacha » du Macon. A contrario, le successeur de Moffett à la tête du BuAer, l’amiral Ernest J. King, ne cache pas sa satisfaction et promeut même l’impertinent Wiley au grade de Commander !

MORT DU MACON Après avoir à son tour expérimenté le hasardeux « Spy basket » le p Gros plan sur le mât d'amarrage permettant d'ancrer au sol les gigantesques dirigeables de la Navy. Il est si haut 27 septembre, le Macon poursuit ses que les personnels qui y grimpent ont besoin d'un porte-voix pour communiquer avec leurs camarades restés en bas ! exercices avec la flotte, mais quelque temps plus tard, une traversée du conti- nent nord-américain se solde par un inci- Après une série d’exercices au cours desquels les amiraux peinent à lui dent qui va avoir de lourdes conséquences. Alors que le dirigeable trouver une utilisation adéquate, l’USS Macon est victime de quelques s’apprête à passer à l’altitude de 1 800 mètres pour franchir les dommages causés par une intempérie lors d’un vol entre le Texas et montagnes de l’Arizona, l’équipage se trouve contraint de procéder la Floride, en avril 1934. Toutefois, les dégâts sont réparés à temps à des opérations de largage d’hélium, de ballast (5 tonnes) et de pour lui permettre de participer à l’exercice naval « Fleet Problem XV » carburant (3 tonnes) durant l’ascension, afin de compenser le phéno- en mer des Caraïbes le mois suivant. C’est à cette période que Dresel mène de surpression des gaz dans les cellules qui aurait pu conduire cède son poste au Lieutenant Commander Herbert V. Wiley, de retour à la rupture de ces dernières. Considérablement allégé, le Macon a de convalescence après le crash de l’Akron. À la mi‑juillet, ce dernier non seulement un comportement de vol différent mais une structure se distingue de façon bien particulière en surprenant le président beaucoup plus vulnérable aux éléments. De fait, tandis qu’il emprunte Franklin D. Roosevelt alors que le croiseur USS Houston le mène l’un des cols de la montagne texane de Van Horn, des rafales de de Panama à Hawaï : déjouant le réseau de surveillance, le Macon vent provoquent la rupture d’une poutre en croisillon de l’un des parvient à débusquer le navire de guerre au beau milieu du Pacifique anneaux en duralumin. Or, cet anneau touché n’est pas n’importe et arrive à proximité en étant repéré qu’au tout dernier moment. lequel, puisqu’il s’agit du n° 17,5, autrement dit, celui soutenant les Wiley pousse même l’insolence jusqu’à faire lancer les journaux du points d’attache de la dérive…

q L'USS Macon, en pleine phase d'atterrissage, manœuvre pour s'arrimer au fameux mât. Celui-ci est déplacé du hangar à l'aire de lancement – et inversement – sur deux paires de rails.

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Le second maître Robert Davis effectue p Après que la proue du Macon a été arrimée au mât mobile, les matelots saisissent la rambarde du stabilisateur des réparations de fortune pour inférieur, pour fixer ce dernier (à la force des bras !) sur le wagon arrière. Ces deux éléments « ferroviaires » rentreront permettre au dirigeable de poursuivre ensuite le dirigeable dans son hangar. son voyage, mais une fois au sol, le tort de l’US Navy est de n’autoriser que des réparations mineures (les poutres adja- centes), dans la mesure où le Macon est attendu pour une révision générale immi- nente à Sunnyvale. L’anneau en dura- lumin peut bien attendre quelques jours supplémentaires et l’exercice prévu de longue date en Californie ! Le 12 février 1935, ce qui devait arriver arriva. Alors qu’il rentre de ladite manœuvre avec la Navy, l’aérostat est pris dans une tempête au large de Point Sur. Ballotté par le vent, l’anneau n° 17,5 se met à grincer de façon inquiétante, se tord et rompt dans un fracas assourdissant : la dérive est arrachée et emportée par le vent. Dès lors, les malheurs s’enchaî- nent. Tranchants comme des rasoirs, les éléments déchiquetés de la structure perforent la cellule de gaz arrière, faisant s’échapper l’indispensable hélium.

u Le dirigeable ZRS-5 Macon vogue paisiblement au-dessus de San Francisco. Les deux zeppelins rigides de la Navy volent à une altitude de croisière de 8 000 mètres.

14 Pour compenser cette fuite, l’équipage largue des ballasts, ce qui a pour conséquence de rendre l’aéronef totalement incontrôlable. Entraîné par la queue désormais non sustentée, le Macon pique douce- ment vers l’océan et coule au large de la côte californienne. Munis de gilets de sauvetage et de canots pneumatiques, dont leur dirigeable a été équipé suite à la mésaventure de l’Akron, les marins du tout aussi infortuné sistership échappent presque tous à la mort. Sur les 76 membres d’équipage, seulement deux périssent : l’opé- rateur radio de 1re classe Edwin Ernest Dailey qui a sauté dans l’eau de beaucoup trop haut et le serveur du mess Florentino Edquiba qui s’est noyé en retournant dans l’épave pour tenter de récupérer ses effets personnels. Imputée en premier lieu à une erreur de jugement de Wiley, la perte de l’USS Macon est finalement attribuée par une commission d’enquête à la Navy qui, au mépris de la plus élémentaire des précautions, a refusé de procéder à la réparation de la dérive du dirigeable avant de le renvoyer en mission, escomptant le faire au cours de la révision générale prévue ultérieurement. Par une ironie dont seule l’histoire est capable, les moteurs Allison Model V1710B commandés par la Marine deux ans plus tôt pour remplacer les Maybach au cours de cette révision, sont sortis d’usine le jour même où le Macon s’est abîmé en mer… Après 52 vols, l’USS Macon, qui repose par 460 mètres de fond, est officiellement rayé des listes de la Navy le 26 février 1935.  Les officiers de l'USS Avec la perte des ZRS Akron et Macon Macon posent pour la prend fin l’ère des dirigeables rigides postérité. Leur tenue nous rappelle que les ZRS de la Marine américaine, éphémères sont des « vaisseaux » « cuirassés aériens » devenus « porte- appartenant à l'US Navy. avions », à une époque où les aérostats u Dans la cabine de pilotage commencent inexorablement à révéler du Macon, gros plan sur aux yeux du monde toute la limite de la barre de gouverne, leur potentiel mais surtout leur dangero- exactement identique sité. Ces « vaisseaux volants » ne vont à celle d'un navire. d’ailleurs pas tarder à être supplantés par q L'USS Macon des bâtiments plus imposants encore, qui photographié à Camp conforteront la suprématie navale des Kearny : les fenêtres des États-Unis sur tous les océans du globe, cabines des officiers du bord sont parfaitement visibles de la guerre du Pacifique à nos jours : sur le flanc de l'enveloppe. les porte-avions, bel et bien armés pour affronter mers et tempêtes ceux‑là ! n

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CURTISS F9C-2 SPARROWHAWK PLAN AU 1/48E © HUBERT CANCE, 2011

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