Les Goncourt Et Leur Monde Conférence Donnée Par Gabriel De

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Les Goncourt Et Leur Monde Conférence Donnée Par Gabriel De Les Goncourt et leur monde Conférence donnée par Gabriel de Broglie, de l'Académie française le 23 novembre 2005 à l'Académie nationale de Metz C'est un grand plaisir que d'évoquer devant l'Académie nationale de Metz, à l'occasion de sa séance annuelle, la figure d'écrivains qui n'ont jamais oublié que leur famille était originaire de Lorraine, les Goncourt, et dont l'aîné, Edmond, avait l'allure, le caractère et l'ardeur au travail d'un lorrain. J'ai choisi de vous parler d'eux d'un point de vue assez particulier, celui de la portée mondaine de l'ensemble de leur œuvre, considérée comme une grande fresque sociale, et de ce point de vue, je voudrais mon­ trer que l'on peut la comparer à l'œuvre de Marcel Proust, considérée dans son ensemble, comme la peinture d'une société. Cette démarche est osée, car elle risque de heurter, à la fois, les amis des frères Goncourt qui lui vouent un culte assez exclusif, et les admirateurs de Proust, auxquels cette comparaison peut paraître sacrilège. Heureusement, les lecteurs des deux œuvres existent aussi, plus nombreux qu'on ne croit. Je serai ainsi amené à rapprocher ces deux fresques et à constater qu'il existe entre elles des rela­ tions plus significatives qu'on ne pouvait penser. Je dois préciser que j'ai un titre familial à parler des Goncourt du point de vue social et mondain, et je m'en explique tout de suite. Ma mère est née Hélène Le Bas de Courmont. Elle fut la dernière à porter le nom de cette famille à laquelle les Goncourt étaient apparentés. La grand'mère des Goncourt s'est en effet mariée deux fois. Elle a épousé en premières noces M. Le Bas de Courmont, fermier général, qui fut guillotiné sous la Terreur, d'où descendent quatre générations de Courmont jusqu'à ma mère. Puis, sous le Directoire, elle épouse en secondes noces un M. Guérin, dont la fille épousa M. Huot de Goncourt, le père des écrivains. En dehors de cette parenté par alliance, est-il légitime, en abordant le portrait d'un écrivain de se demander quel est son milieu social? On en a souvent débattu et les deux thèses se défendent. Mais dans le cas des Goncourt, cela est spécialement légitime. En effet, ils accordent à cette question de milieu, dans leur vie, dans les personnages de leurs romans, et plus encore dans le Journal, une place capitale et forgent à ce sujet une sorte de mirage littéraire, tout comme le fera Marcel Proust après eux. Je vais donc caractériser le monde des Goncourt dans leur milieu familial, et dans leur peinture de la société, avant de le rapprocher du monde de Marcel Proust. Goncourt est un joli nom, qui semble choisi comme nom de plume par un écrivain d'Ancien Régime, comme M. de Voltaire et M. de Carmontelle. Mais c'est leur nom. Ils y tiennent passionnément. Il signifie : la maison du guerrier, « nom que j'ai quelque droit à porter en littérature », note Edmond. Comme ils savent qu'ils seront les derniers à le porter, ils voudraient « l'enterrer comme un drapeau », non sans l'avoir auparavant « illustré dans la littérature et légué à la postérité ». Mais ils s'appellent en réalité Huot de Goncourt. C'est Antoine Huot, l'arrière-grand-père des Goncourt qui, en 1788, achète une maison à laquelle est attachée le titre de seigneur de Goncourt et en obtient la confirmation l'année suivante. Il était temps! Mais, commençant à faire parler d'eux, ils auront du mal à faire reconnaître leur nom. En 1859, le Dictionnaire des Contemporains publie cette notice : « Goncourt (Edmond et Jules Huot, dits de), littérateurs français nés à Goncourt (Vosges), vers 1825... ». Ces deux lignes ne contenaient pas moins de cinq erreurs. Ils ne sont pas dits de Goncourt, ni nés à Goncourt, Goncourt est en Haute- Marne, ni l'un ni l'autre ne sont nés en 1825 ! Ils protestent et obtiennent rectification. Voilà que le Charivari faisait écho à leur protestation en ces termes : « MM. Edmond et Jules de Goncourt, nés à Goncourt (Vosges) s'appellent comme leur village ». Encore quatre erreurs, nouvelle protesta­ tion et rectification. Cette affaire leur inspire la réflexion suivante : « Cette contestation de notre particule, si enviée, il paraît, devait nous venir... L'envie du de est décidément une rage. C'est aux attaques qu'on sent tout ce que vaut une particule pour ceux qui ne l'ont pas ». L'année suivante, un M. Jacobé obtient l'autorisation d'ajouter à son nom de Goncourt, car il possède la quasi totalité du hameau de ce nom dans la Marne. Les Goncourt font opposition. Leur famille a acquis une seigneurie sous l'Ancien Régime, alors que les Jacobé n'ont acquis qu'un bien national en 1790. Mais le ministre répond que les deux familles sont placées dans une situation identique à l'égard de ce nom et que les Goncourt ne subissent pas de préjudice. Ceux-ci s'indignent dans le Journal: « La loi présente sur la noblesse n'avait qu'un but: l'ôter à ceux qui l'ont, pour la donner à ceux qui ne l'ont pas ». On trouve encore dans le Journal bien d'autres allusions à ce nom, à la particule, à la « férocité des haines » qu'ils excitent, à « l'envie enragée » des démocrates contre les aristocrates, à l'injustice de considérer Edmond, à cause de son de et de sa distinction, comme un amateur, alors que Guy de Maupassant est regardé comme un véritable homme de lettres. « Extraordinaire... cette bienveillance universelle pour Maupassant, ce de précédé d'un Guy qui a l'air de descendre des Croisades, ce de qui a été pour moi un motif d'inimitié, de la part de mes confrères qui ne l'avaient pas... ». Ces réactions révèlent une prétention aristocratique pour le moins exagérée, une difficulté à se situer, un mirage du nom que les oppose au bourgeois, symbole exécré de leur époque, et les assimile au seul aristo­ crate qui subsiste en leur siècle, et qu'ils incarnent, l'artiste. Tout autant que le nom et la particule, est importante la famille maternelle des Goncourt, c'est-à-dire les Courmont, car elle les rattache à un monde plus authentiquement aristocratique, plus décoratif que leur famille paternelle, sans atteindre la haute noblesse, ni la noblesse d'épée. La mère des Goncourt, douce et discrète personne, n'est que l'instrument de cette transmission. Mais par elle les Goncourt ont pour grand'mère une aristocrate, Adélaïde-Louise de Monmerqué, d'une famille de financiers ayant reçu anoblissement de Louis XIV, qui avait épousé Louis-Marie Le Bas de Courmont, d'une famille de fermiers généraux anoblis depuis le début du xvie siècle. C'est par ce dernier, qui n'est pas leur grand'père et qu'ils ne connurent pas, que les Goncourt se rattachent au monde fortuné, artiste, lancé, parisien de l'Ancien Régime. Son fils, Jules de Courmont, est « notre oncle » pour les Goncourt qui ont avec lui des relations fré­ quentes, amicales, gaies, admiratives et envieuses. Sa femme, Nephtalie Lefebvre est issue d'une famille qui a donné trois générations d'ambassa­ deurs, les Lefebvre de Béhaine. C'est une femme intelligente, intellectuelle même, cultivée, artiste, qui fit plus que tous les maîtres pour inculquer à Edmond de Goncourt le goût de l'art, la passion des lettres et former son esprit et son talent. Les deux frères la prirent pour modèle dans leur roman, Madame Gervaisais, tout en déformant gravement le récit de sa conversion reli­ gieuse. Edmond conserve d'elle un souvenir ému souvent évoqué dans le Journal un demi-siècle après sa mort. Son fils, Alphonse de Courmont, fut un compagnon de jeux de Jules de Goncourt, puis un compagnon de sortie et de fêtes pour les deux frères. Il les invitait plusieurs fois chaque année en séjour à Croissy où ils chas­ saient, dînaient, menaient la vie de château et voisinaient avec les Rothschild à Ferrières, la duchesse de Lévy à Noisiel, la comtesse de Puységur à Guermantes, Edmond André à Rantilly. Il partageait avec eux la passion de la collection, mais ayant de grands moyens, il recherchait de très beaux objets à une époque où les Goncourt ne pouvaient se le per­ mettre. « Alphonse, lit-on dans le Journal, est l'homme en France qui paye le bois de meuble le plus cher ! ». Il avait le tort d'être riche et égoïste. Le Journal le malmène durement comme le type du bourgeois inculte et inté­ ressé. Bien d'autres membres de la famille traversent l'œuvre des Goncourt, telle cette vieille tante Cornélie de Courmont, une vraie figure du xvnie siècle, dont les romanciers firent la maîtresse d'une domestique déchue dans Germaine Lacerteux. Il faut ajouter à cette galerie familiale la dynastie de diplomates des Lefebvre de Béhaine qui sont parents des Goncourt au même titre que les Courmont. Edouard Lefebvre de Béhaine sera le cousin préféré d'Edmond jusqu'à sa mort. Pendant qu'il était ambassadeur auprès du Saint-Siège, Edmond lui avait recommandé un écrivain de ses amis qui préparait un livre sur Rome, pour lui ouvrir les portes des palais romains, et même obtenir une audience du Pape. Il s'agissait d'Emile Zola ! L'audience ne fut jamais accordée, ni même demandée par l'ambassadeur. Il faut citer aussi Edélestan du Méril, ce cousin des Goncourt qui a écrit des quantités de volumes sur l'histoire du théâtre.
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