Daudet Maître Des Tendresses
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Marie-Thérèse JOUVEAU ALPHONSE DAUDET, maître des tendresse Centre International de l'Écrit en Langue d'Oc 3 Place Joffre, 13130 Berre L'Étang http://www.lpl.univ-aix.fr/guests/ciel/ En relisant ton Jack , ô maître des tendresses… Paul Mariéton AVANT-PROPOS Alphonse Daudet ! Cher et pauvre Alphonse ! Cher, car aimé de tant de millions de gens qui sont venus et viennent encore, chaque jour, visiter son moulin, faire le pèlerinage obligé à Fontvieille, à ce moulin, héros des fameuses L e t t re s dans lesquelles tant d’enfants, Français, certes, mais plus encore étrangers, ont appris à lire. Qui ne connaît La Chèvre de M. Seguin, Le Secret de Maître Cornille, L’Elixir du R é v é rend Père Gaucher, Les Trois Messes Basses, La Mule du Pape et bien d’autres encore, dont la si émouvante D e r n i è re Classe, des Contes du Lundi.. Et que dire de L’Arlésienne, si connue qu’elle est devenue une expression, « jouer l’Arlésienne », que l’on entend à la radio ou que l’on trouve dans l’un ou l’autre des journaux chaque jour de l’année ? Des centaines d’éditions, du format de poche aux éditions de luxe richement illustrées, des centaines de traductions, dans toutes les langues, des thèses, des diplômes, des livres sur Daudet et sur son œuvre, le cinéma aussi, avec Marcel Pagnol, grand admirateur de celui qu’il considérait comme un maître, ont popularisé l’homme, et, plus encore, l’œuvre. Oui, l’œuvre de Daudet est connue, est familière à tous ceux qui ont une certaine connaissance de notre langue à travers le monde et elle est aimée aussi par eux. Et si la Provence est tant aimée, elle aussi, si tant d’étrangers éprouvent une certaine nostalgie à ce nom évocateur pour eux de soleil, de cigales, de poésie et de senteurs sauvages, si ce pays est le premier qu’ils viennent visiter, celui où ils reviennent, où ils s’installent, souvent, pour des vacances ou pour le restant de leur vie, n’est-ce pas au cher Alphonse que nous le devons ? Oui, certainement. Ces noms: Daudet, Fontvieille, Frigolet, le Petit Chose, Maître Cornille ou le Père Gaucher; ces mots: moulin, chèvre, collines douces et parfumées, font naître, dans des milliers d’esprits, des images, rêvées ou réelles, mais toujours nostalgiques, toujours associées au nom cher d’Alphonse Daudet et de sa Provence tant aimée. Et pourtant, nous pouvons dire aussi: Pauvre Daudet ! Pauvre cher Alphonse ! Car y-a-t- il beaucoup d’écrivains à la fois aussi mal connus, aussi mal aimés, aussi haïs même par certains, et particulièrement par des Provençaux, qui ne lui ont jamais pardonné, qui ne lui pardonneront jamais son Numa Roumestan, sa Défense de Tarascon et ses Tartarin ? Il n’y a qu’à Tarascon que l’on a trouvé une façon intelligente de ne plus détester Tartarin, c’est de s’en servir pour la promotion de la Ville. Chaque année, depuis bien longtemps, le « Retour de Tartarin » donne lieu à un défilé, à travers les rues, des personnages les plus typés de ces livres, à des réjouissances qui attirent à Tarascon une foule considérable, et la « Maison de Tartarin », que l’on y a aménagée, y attire en grand nombre la foule des curieux, de ceux auxquels la lecture d’une œuvre ne suffit pas et qui ont besoin de voir et de toucher des objets, de concrétiser leurs rêves. Les médisances, les méchancetés, les calomnies n’ont cessé d’accabler Alphonse Daudet. Si des Provençaux lui ont reproché des personnages qui caricaturaient, pensaient-ils, les hommes de Tarascon et les hommes du Midi tout entier, on pourrait citer une très longue liste d’autres reproches, souvent haineux, concernant ses héros ou ses livres: Fernand Bravay, personnage central du Nabab, Numa Roumestan, en qui l’on a cru voir une caricature de Léon Gambetta… Les Lettres à un Absent, scènes du siège de Paris, toutes vécues pourtant, mais souvent atroces dans leur vérité, ont donné lieu à un scandale et ont été retirées du commerce pour en supprimer six. Les Rois en Exil ne furent pas du goût des monarchistes, comme L’Immortel ne le fut pas des Académiciens. On reprocha à Daudet son récit de la mort du duc de Morny, qu’il avait bien connu et dont les détails funèbres, pourtant justes, ne plurent guère aux amis ou admirateurs de la famille de l’Empereur. Quant à L’ E v a n g é l i s t e, en s’en prenant, à travers l’histoire, toujours actuelle, hélas ! d’une enfant arrachée à sa famille par les membres d’une secte, à un personnage considérable et très influent du moment, il ne pouvait que lui attirer des ennuis. Mais Daudet était tout sauf un lâche et il ne pouvait passer sous silence cette histoire arrivée à la femme qui apprenait l’allemand à son fils. Que lui a-t-on reproché encore ? D’avoir eu un nègre en la personne de son ami Paul Arène qui, pour de l’argent, aurait écrit ses Lettres de mon Moulin, dont Daudet aurait, sans remords, accepté la paternité, mais lui-même ne s’est jamais vanté d’avoir terminé le meilleur livre d’Arène: Jean des Figues, qui n’aurait peut-être pas été fini et publié sans lui; d’avoir fâché Frédéric Mistral contre lui pour avoir écrit L’ A r l é s i e n n e, récit d’un drame survenu dans la famille de Mistral et raconté par lui à son ami: mais les deux hommes furent des amis et s’aimèrent comme des frères, de la minute où ils se sont connus jusqu’au delà la mort de Daudet. Certains Provençaux félibres lui reprochent de ne pas connaître le provençal, mais ses lettres et manuscrits dans cette langue, les témoignagnes innombrables de Mistral et de ses amis, avec lesquels Daudet venait festoyer à Maillane ou à Avignon, et ses relations avec Baptiste Bonnet, dont il a traduit les ouvrages, ne sont-ils pas les preuves du contraire ? Si l’on en croyait les pourfendeurs irréductibles de Daudet, on pourrait se demander s’il a bien existé comme écrivain et, dans ce cas, pourquoi il aurait suscité tant de dévouements pour faire croire qu’il en était un ? Par besoin d’argent peut-être ? Mais Daudet n’en a pas toujours eu, bien au contraire; par arrivisme alors, mais Daudet n’a pas eu de succès avant très longtemps. Qu’aurait donc attendu de lui ces gens qui auraient écrit ses livres ? C’est à la fois ridicule de croire encore cela, de nos jours, et de le propager, et risible. Cela prouve en tout cas une chose, une seule: c’est que ces détracteurs refusent toutes les preuves, tous les arguments qui peuvent être en faveur de Daudet. Laissons-les donc en paix et essayons d’éclairer ceux qui veulent en savoir plus sur la personnalité et la vie d’un homme peu banal, qui a dû se battre constamment contre le mauvais sort qui l’avait fait naître myope comme une taupe, avec un caractère d’aventurier intrépide, bravant tous les dangers, qui ne se laissait abattre par rien, pas même par la terrible maladie qui le fit affreusement souffrir dès ses vingt ans et, après des années de souffrance inhumaine, qu’il essaiera toujours de cacher à sa famille et à ses amis par sa conversation éblouissante et drôle, finira par l’emporter, en pleine gloire, certes, mais aussi en plein bonheur familial et bien loin d’avoir terminé son œuvre, à l’âge de 57 ans. C’est tout cela que nous allons essayer de dire dans les pages qui suivent, par le récit le plus fidèle et le plus véridique de la vie et de l’œuvre du grand écrivain français et provençal que fut Alphonse Daudet, cet Alphonse Daudet si mal aimé peut-être parce que si mal connu. Encore une biographie d’Alphonse Daudet, dira-t-on ? Il est vrai qu’il y en a déjà eu beaucoup, trop peut-être car, si certaines ont été sérieuses et bonnes, on ne les trouve plus dans le commerce. D’autres, plus récentes, sont si romancées ou tout au moins tellement à côté de la vérité et nous montrent l’auteur des Lettres sous un jour si trouble, que nous avons pensé qu’il était temps de donner au lecteur un récit exact et sans fioritures de ce que fut la vie et l’œuvre de l’un de nos auteurs les plus populaires et les plus aimés par les gens simples de tous les pays. * ENFANCE Nîmes, vieille ville romaine au passé prestigieux, est fière de ses arènes intactes qui vibrent de l’enthousiasme bruyant des foules méridionales emplissant ses gradins, au soleil implacable des dimanches d’été. Autour d’un cercle, ou plutôt d’un triangle, dont les points de départ et d’arrivée se trouvent justement aux arènes, un boulevard limite la vieille ville. Tout au long de ce boulevard, on rencontre d’autres monuments romains, ou ce qu’il en reste. Le plus beau est sans conteste l’admirable Maison Carrée, avec son escalier monumental surmonté de magnifiques colonnes. La ville toute entière est dominée par la célèbre Tour Magne, autre vestige romain, d’où la vue s’étend très loin, des Cévennes au Ventoux et à la mer. On y distingue encore, en plein Est, vers le Rhône, la chaîne des Alpilles, au pied de laquelle s’étale, au Nord, la petite ville de Saint-Rémy, proche du village de Maillane, où vit un garçonnet de dix ans, Frédéric Mistral, et, au Sud, le village de Fontvieille, dominé par ses moulins.