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Rivières qui arrosent Darnétal. - Sources et cours de Robec. - Etymologie du nom de Robec. - Robec et le cardinal d’Amboise. - Le sacristain de Saint-Ouen. - Usines établies sur Robec. – Anciens droits de pêche. - Le droit de planche et le marquis de Seignelai. - Cannetons de Darnétal.

De toutes les villes du département , Darnétal est

(44) certainement l’une des mieux partagées sous le rapport des cours d'eau, avantage précieux que cette ville doit à sa position, mais dont ses habitans n’ont peut être pas encore su tirer tout le parti qu'il est possible d’en obtenir. Sans les rivières de Robec et de l'Aubette qui coulent dans ses murs, Darnétal n'aurait jamais été qu’un simple village dont le nom serait peut-être à peine connu. Nous devons donc regarder ces deux rivières, sur lesquelles nous allons donner quelques détails, comme l'origine et le fondement de la prospérité de cette ville. La rivière de Robec prend sa source à Fontaine -sous-Préaux, village à une lieue et demie, au nord de cette ville, et au pied d'une côte très-escarpée dont le sommet dépend du Mesnil-Rouge-Terre, hameau d'Isneauville. L'on voit sortir cette source d'entre les racines d'un très-vieux if, par cinq filets assez forts dont la disposition, due au hasard, représente assez bien les cinq doigts de la main, Cette rivière prend son cours à la droite du chemin, traverse une cressonnière assez considérable, fait quelques sinuosités, et, à peu de distance de sa source, elle a déjà suffisamment d'eau pour faire marcher un moulin à blé ; elle poursuit son cours le long de Fontaine-sous-Préaux, de Saint-Martin-du-Vivier, coule tantôt à droite, tantôt à gauche du chemin, et entre sur le territoire de Darnétal, à une centaine de pas au-dessous du moulin de Ronche- rolles. Parvenue à la rue de Préaux, elle se détourne un peu sur la gauche, passe au milieu des propriétés de M. Angran, revient par la rue à-Faire, traverse la rue de l’Avalasse, prend par derrière la rue Maraisquet, jusqu’à la rue du Mont-Roti qu’elle traverse aussi dans sa largeur ;

(45) coule ensuite entre les rues de Longpaon et du Chaperon, Pavée et Maugendre, détourne par la chaussée de Car- ville, prend alors son cours parallèlement avec l’Aubette, jusqu'au moulin du Choc où cinquante pas au-dessous elle, quitte le territoire de Darnétal, pour entrer sur celui de . Cette rivière suit alors la belle vallée de Saint-Hilaire, le quartier de Robec, la rue Malpalu, et va se perdre dans la , un peu au-dessus du Pont-Neuf. Il est difficile d'assigner au juste l'époque où l'on creusa le canal dans lequel coule, depuis un grand nombre de siècles, la rivière de Robec. D'après ce que nous avons avancé au commencement de cette Notice, nous persistons à croire qu'on doit fixer cette époque à celle où l'on jeta les fondemens de Darnétal, car pourquoi aurait-on tracé un canal a cette rivière, si le pays n'avait pas été habité ? Un écrivain, généralement estimé, don Toussaint Du- plessis, dans sa Description historique et géographique de la Haute-Normandie, prétend que Rothomagus, nom latin de Rouen, est dérivé de Robec ou plutôt de Rotbec, ainsi qu’on l’écrivait anciennement. Il veut même plus, il veut que cette rivière soit regardée comme l’origine de Rouen. Nous sommes loin de partager l’opinion de cet écrivain ; nous pensons, au contraire, qu’à tort il applique à Rouen, ce qu’avec plus de raison l’on doit rapporter à Darnétal. Citons d’abord le passage, nous essaierons ensuite de prouver ce que nous venons d’avancer. « Rot veut dire rouge, et mag signifie magasin, provision, » en latin emporium. Le Robec, ou, comme on l’écrivait » anciennement, le Rotbec, en latin Rotobeccus ou Rodobecus,

(46) » petite rivière qui se joint à la Seine dans Rouen même, » tire son nom de là. Il fut appelé rouge, de la couleur » que lui donnait apparemment la qualité des terres qu'il, » arrosait, comme on a appelé Rougemare un quartier » proche de Rouen, qui depuis a été enfermé dans la » ville » (1)...... » Or, soit que, par le mot Rothomagus, on ait » voulu dire le marché sur le rouge, c'est-à-dire sur le » Robec, soit qu'on ait voulu exprimer simplement la » nature du terrain sur lequel ce marché était situé, c'est » toujours de Rot, dans la signification de rouge, que ce » marché, qui depuis a donné naissance à une grande » ville, tire son étymologie, et il ne faut pas la chercher » ailleurs. » Nous ne pensons pas qu'on puisse raisonnablement admettre une semblable supposition. Un marché peut exister dans une ville, dans un bourg, même dans un village, si l'on veut, mais il n'est pas croyable que l’on n’en ait jamais établi un en pleine campagne, dans un endroit entièrement isolé des habitations. Si un marché ainsi que l'affirme Duplessis, a réellement existé sur la rivière de Robec, l'on doit penser qu'il existait au même endroit, soit un village, soit un bourg ; l'un on l'autre devait avoir un nom : quel était-il ? On l'ignore. Quoi qu'il en soit, la ville, le bourg ou le village auquel ce marché a donné naissance, ne peut pas être

(1) La place de la Rougemare à Rouen ne doit pas son nom à la nature du sol, mais au sang qui y fut répandu dans divers siège, notamment à celui de l'an 949, où l'armée de la triple alliance fut taillée en pièces, à cet endroit même, par Richard-sans-Peur, troisième duc de Normandie.

(47) Rouen, car cette ville existait déjà comme ville, plusieurs siècles avant que Robec ne coulât le long de ses mu- railles ; d'ailleurs, l’on sait qu'elle portait le nom de Ro- thomagus, lorsque les romains s'emparèrent des Gaules. En supposant que ce soit ces conquérans qui aient donné le nom de Rothomagus à la ville de Rouen, il n'est pas probable qu'ils aient pris celui d'une petite rivière, tandis qu'ils avaient sous les yeux, au pied même de cette cité, un fleuve magnifique dont il eût été plus naturel de lui donner le nom. Si l'on ne peut raisonnablement admettre que ce soit le marché établi sur le Robec qui ait donné naissance à la ville de Rouen, ne peut-on pas, avec plus de vraisem- blance, regarder ce marché comme l’origine de Darnétal, ville plus voisine de la source de Robec, et qui de tout tems a été traversée par cette rivière. Cette supposition rendrait plus probable l'opinion de Toussaint Duplessis, et confirmerait celle que nous avons émise sur l'ancien- neté de Darnétal, ville qui, s'il en était ainsi, aurait porté dans origine le nom de bourg de Robec. Il demeure constant que la rivière de Robec n'a coulé dans l'intérieur de Rouen que dans le treizième siècle. Il est bien vrai que, dès le quatrième, il est fait mention de la porte de Robec, mais cette porte était située aux en- virons de la rue des Savetiers et, de ce côté, Robec ser- vait alors de fossés à la ville. Sous le règne de Richard- le-Bon, quatrième duc de Normandie, cette rivière cou- lait encore dans les faubourgs, car nous voyons dans Farin, qu'en 996 ce prince donna au chapitre de Notre- Dame deux Moulins, proche la ville de Rouen. Or, ces

(48) moulins existent encore aujourd’hui, et sont tous les deux rue Malpalu, l'un au pied du mont Saint-Denis, l'autre près le passage de la Tuerie. L’église de Saint-Maclou n'ayant été comprise dans la ville qu'en 1228, Robec n’a pu y entrer qu'à la même époque. De tous ces faits il résulte que, si réellement il a existé un marché sur la rivière de Robec, on doit le placer à Dar- nétal et non à Rouen. En partant de la rivière de Robec, plusieurs écrivains modernes ont avancé à tort que c'est le cardinal Georges d' Amboise, premier du nom, qui a conduit les eaux de cette rivière à Rouen (1). Tout en rendant justice aux vues bienfesantes et philanthropiques de ce ministre, l'ami du peuple et de son roi, l'on ne peut cependant lui faire honneur d'un fait auquel il est absolument étranger, puisque cette rivière, ainsi que nous venons de le voir, coulait à Rouen plusieurs siècles avant la naissance de ce prélat. Georges d'Amboise a rendu assez de services réels à la ville de Rouen, sans qu'on ait besoin de lui en prêter d'imaginaires. Si ces écrivains, au lieu de s’en rapporter à une tradition populaire répandue, il est vrai, généralement à Rouen, avaient consulté nos anciennes chroniques, ils n'auraient pas commis une semblable er- reur. L'anecdote du sacristain de Saint-Ouen, rapportée dans le roman de Rou, est encore une preuve à ajouter aux autres. La voici telle que Robert Wace la raconte :

(1) Bulletin de la Société d'Émulation, année 1807.- Essai historique sur la ville de Rouen, par Dornay, page 8.- Description historique de l'Église cathé- drale de Rouen, par Gilbert, page 22.- Annuaire statistique du Département, année 1806, page 7.- Itinéraire de Rouen, première édition, page 178.- Journal de Rouen, 4 janvier 1829, etc., etc.

(49) En l’Abéie Saint-Oain Out à cel tens un Segrestain ; Tenus esteit pur léal muine, (moine) E mut aveit boen testimuine : Mez de tant com home plus vaut, De tant plus déable l'assaut ; Tant le vait il plus agaitant, E de plusurs guises tantant. Li Segrestain ke jo vus di, Par aguaitement de l’anemi, Alout un jour par li mostier, (monastère) Pernant garde son mestier ; Une dame vit, si l'ama ; A merveille la coveta : Mort est se il sun bon n'en fait ; Ne remaindra pur rien k’il ait E tant li dist, tant li pramist, Ke la Dame terme li mist Ke la nuist à l’ostel alast, E par la planche trespassast (passa) Ki desuz Roobec esteit, Une ewe ki de soz cureit ; (rivière) N'i poeit par aillors passer, Ni altrement à lié parler. La nuit kant fud bien asséri, (fut venue) Ke muines furent endormi, Li Segrestain fu en friçon , Ne vout ne ne quist cumpaingnon ; A la planche vint, sus monta ; Ne sai dire s'il abuissa , (choppa) 4*

(50) U esgrilla, u meshanéa, (ou se trouva mal) Mais il chaï si se néia.

Avant la révolution, l’on ne voyait sur la rivière de Ro- bec aucun établissement important, à l'exception de quelques teintures et des moulins à blé quelle fesait mar- cher : cette rivière semblait, depuis un grand nombre de siècles, couler inutilement pour les arts industriel. Pou- vait-il en être autrement sous un gouvernement absolu, où toute espèce d'industrie était arrêtée à chaque pas par des statuts, par des réglemens, la plupart émanés d'une aveugle routine, ou d'un pouvoir arbitraire ; sous un régime qui, arrêtant l'homme inventif, l’homme de génie, au milieu de ses découvertes, l'empêchait ainsi de rien innover pour les progrès des arts et de l'industrie manufacturière. Aujour- d'hui que ces entraves n'existent plus, aujourd’hui que tous les citoyens indistinctement peuvent donner l'essor à leurs talens, tous leurs efforts tendent vers la perfection ; aussi, chaque pas qu'ils font dans la carrière qu'ils ont embrassée, semble marqué par une découverte utile, par un perfec- tionnement. C'est principalement depuis une trentaine d'années, que le génie des arts libéraux et mécaniques s'est développé et a pris la plus grande extension ; c'est depuis la même époque, que l'industrie manufacturière, brisant les limites qui lui avaient été imposées par les anciens régle- mens, a marché à pas de géant, et il faut espérer que bien- tôt elle touchera au terme de sa gloire. Au moment où nous écrivons, l'on compte sur la rivière de Robec les établissemens suivans, depuis sa source jus- qu'à son entrée à Rouen.

(51) FONTAINE-SOUS-PREAUX. Moulins à blé. 2 à papier. 1 Filature de coton. 1 SAINT-MARTIN-DU-VIVIER. Moulins à blé. 2 à carton. 1 à alizari. 1 à foulon. 1 Filatures de coton. 6 Fabrique de pointes. 1 de cardes. 1 RONCHEROLLES. Moulin à blé. 1 Filature de coton. 1 Fabrique d'indiennes. 1 1 DARNÉTAL. Moulins à blé. 6 à foulon. 2 2 à bois. 1 1 Filatures de coton. 11 il de laille.c, de laines. 3 de calicots. 2 Ï) Fabriques d'indiennes. 8 Teintures en rouge des Indes (1). 2 Mégisseries. 2 2 Teinture sur laines. 1 1 Fabrique de lacets. 1

(1) Trois teinturiers en rouge des Indes et deux filateurs en coton ont leur établissement sur le ruisseau de la source du Roule.

(52) Anciennement, les rivières de Robec et de l'Aubette étaient très-poissonneuses, principalement en truites, carpes, anguilles, écrevisses et tanches ; mais, depuis une quarantaine d'années, ces deux rivières sont totalement désempoissonnées. Deux causes ont amené cet état de choses la première, la révolution. Avant ce grand événe- ment politique, qui a régénéré la vieille personne n'avait le droit de pêcher, même sur sa propriété. L'As- semblée Constituante ayant aboli tous les droits seigneu- riaux et féodaux, chacun s'empressa de rentrer dans le sien, et usa de la liberté rendue à tous les citoyens, de chasser et de pêcher sur ses propriétés : mais au lieu d'en user, l'on en abusa ; aussi, en moins de quelques années, vit-on disparaître le poisson dans la plupart des rivières qui arrosent notre département. Une autre cause (celle-ci n'est pas la moins majeure), c'est la création d'un grand nombre d'usines de tous genres sur ces rivières ; les acides minéraux, les alcalis, les matières colorantes em- ployées journellement dans ces usines, étant en dernier ressort jetés à la rivière, ont fait périr insensiblement tout le poisson ; aussi faut-il renoncer, pour toujours, à en revoir dans toutes les rivières sur lesquelles il existe de semblables établissemens. Sous le régime des privilèges et du bon plaisir, le droit de pêche appartenant au seigneur du lieu, il n'était permis à personne d'user de ce droit. Mais malheur au manant ou au vilain qui aurait osé enfreindre la défense ! le moins qui pouvait arriver au délinquant, c'était d'être attaché, pendant vingt-quatre heures, à l'un des carcans, qu'en qualité de hauts-justiciers, les seigneurs de Darnétal

(53) avaient établis dans plusieurs rues de cette ville ; car, selon la gravité du cas, ou la sévérité du juge, le malheu- reux pouvait être condamné aux galères à perpétuité. Nous pourrions citer plusieurs condamnations sem- blables. Très-heureusement, pour l'humanité, que la ré- volution, qui a détruit tant d'abus, a fait aussi justice de toutes ces justices seigneuriales. Au moins, aujourd'hui, le pauvre diable qui pêche une carpe au clair de la lune n'est plus exposé à finir ses jours au bagne. Respectant un peu plus la liberté des citoyens, l'on ne confond plus un simple délit avec les crimes qui entraînent une peine infamante. Au moment de la révolution, le droit d'accorder l’autorisation de placer des planches, ou de construire des ponts sur la rivière de Robec, appartenait au seigneur de Darnétal. Anciennement c’était le maire de Rouen qui disposait de ce droit, par suite de la donation faite par Louis 9, à cette -ville, des rivières de Robec et de l'Au- bette. C'est aujourd'hui l’administration municipale qui accorde ces autorisations. Le droit de planches n’avait jamais été qu'une simple formalité à remplir une déclaration à faire à l'autorité locale. Il était réservé au marquis de Seignelay, dernier seigneur de Darnétal, d'envisager ce droit sous un autre point de vue, et de le regarder comme un droit de fief comme une propriété privée. Affamés d'honneurs et de richesses, certains seigneurs cherchaient à faire argent de tout. Ce qui doit nous surprendre aujourd’hui, c’est qu’en

(54) 1788, un an avant la révolution, M. de Seignelay osa élever une si singulière prétention. En sa qualité de sei- gneur et de haut-justicier de Darnétal, il voulut con- traindre tous les propriétaires riverains des rivières de Robec et de l'Aubette, d’enlever les planches et les ponts placés sur ces rivières, depuis des tems plus ou moins éloignés. Sur le réquisitoire du procureur fiscal, le haut-justicier rendit le 31 juillet 1788, une sentence dans laquelle nous remarquons les passages suivans : « Fesant droit sur ledit réquisitoire, que dans la quin- » zaine, à compter du jour de la publication de la pré » sente, tous les propriétaires ou locataires des héritages » riverains des rivières qui passent dans l'étendue des » mouvances de M. le marquis de Seignelay, en sa qualité » de seigneurs du bourg et vallée de Dernétal, seront » tenus de faire détruire et enlever, chacun en droit soi, » les ponts et de planche servant au passage des allans et » venans, tant en voiture qu'à pied et à cheval, ainsi que » les planches et pieux qu'ils ont fait placer, sans droit, ni » qualité, sur lesdites rivières, à l’effet de procurer un » libre cours aux eaux d'icelles. » Vouloir faire enlever les planches qui servent journel- lement aux fabricans pour laver leurs laines, ce n'était que ridicule ; mais pousser la prétention jusqu'à faire démolir les ponts en pierre, et interrompre ainsi les communica- tions publiques, c'était une absurdité révoltante. La qualité de seigneur haut-justicier donnait bien à M. de Seignelay le droit de pêche, mais ne lui conférait nul- lement la propriété des rivières qui arrosent notre ville.

(55) Aussi les habitans froissés dans leurs, intérêts, ne vou- lant pas se laisser rançonner, s’opposèrent de tout leur pouvoir à la sentence rendue contre eux. Au mois de no- vembre de la même année, ils adressèrent leur requête au ministre-secrétaire d'État, et publièrent en même tems un mémoire, fort de principe et de raisonnement, dans 1equel ils démontraient, d’une manière sans réplique, l'illégalité et même l’absurdité des prétentions de M. de Seignelay. Enfin 1'affaire fut évoquée au conseil du roi, au mois de septembre 1789. Ce qui se passait alors aurait dû apprendre à M. de Seignelay que les tems de faire de l'arbitraire n’étaient plus ; mais le génie fiscal, mais l’avidité féodale ne lâ- chaient pas leur proie si facilement. On aura de la peine à croire aujourd’hui qu’au mois de juin 1790, il ait eu la sottise de vouloir encore poursuivre cette affaire ; mais les événemens qui marchaient à grand pas terminèrent le procès ; il n’y avait plus de noblesse et tous les titres honorifiques étaient abolis. L'un de nos anciens, poètes a dit quelque part :

« Le premier citron à Rouen fut confit. »

C'est la vérité ; cette ville jouit, encore d'une grande réputation pour sa gelée de pommes, Sotteville pour ses crèmes, Blosseville pour ses brioches (quoiqu’on fasse des brioches partout). Caudebec pour ses éperlans, Neuf- châtel pour ses fromages. Au moins ces communes n'ont pas usurpé leur renommée; mais il n'en est pas de même pour la nôtre, La plupart de nos concitoyens ne se doutent

(56) certainement pas que les canards de Darnétal jouissent d'une grande réputation en France, surtout à Paris où l'on voit chez tous les marchands de comestibles des écri- teaux portant en gros caractère : CANNETONS DE DAR- NÉTAL. Ce n'est pas le seul goujon que l'on fait avaler à ces bons parisiens qui, jugeant souvent sur l'étiquette du sac, ne prisent que ce qui vient de loin. Quel sera donc le désappointement des gourmets, lorsqu'ils apprendront qu'on n'en élève pas un seul à Darnétal. Fiez-vous main- tenant aux réputations lointaines ! Il est vrai de dire qu'anciennement l'on élevait beau- coup de canards à Darnétal ; qu'ils étaient en grande ré- putation ; qu'ils la méritaient par la qualité de leur chair : mais il est vrai aussi que, depuis un grand nombre d'années, cette branche d'industrie n'existe plus dans notre ville (1).

(1) Les canards de Darnétal, et, en général, tous ceux des environs de Rouen, étaient si estimés, qu'avant la révolution ils payaient aux entrées à Paris le double du droit perçu sur le canard barbotier. Cette différence, dans le droit, n'avait pas été établie seulement à cause de leur volume, mais parce qu'ils ont une chair beaucoup plus délicate.