Table des matières

Préface ...... 9 Introduction ...... 11

PREMIERE PARTIE. XXXXX Titre xxx ...... x Auteur Titre xxx ...... x Auteur

DEUXIEME PARTIE. XXXXX Titre xxx ...... x Auteur Titre xxx ...... x Auteur

Bibliographie ...... x

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Les Soviétiques, finalistes à Helsinki (1952) : anatomie et résonances d’une performance

Sylvain DUFRAISSE

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/ Collège universitaire français de Moscou

Bob Kurland, gloire du basket-ball américain de l’immédiat après- guerre, revenait sur sa carrière dans un article de la revue Olympians, publié en 1979 par le Comité national olympique des Etats-Unis. Il évoquait en particulier les Jeux Olympiques d’Helsinki et les matchs qu’il y avait joués contre les Soviétiques. En 1952, ils avaient une équipe. Ils n’étaient pas gracieux mais ils connaissaient le jeu. Ils avaient une stratégie de qualité et se révélaient en très bonne condition physique. Ils étaient très âpres au combat.[…] Il était clair que la Russie était compétente en basket-ball. Toutes les équipes s’étaient améliorées entre 1948 et 1952 mais la Russie était la meilleure équipe que nous avions rencontrée en 1952.1 Ce témoignage rappelle combien les Soviétiques ont réalisé une entrée frappante dans les épreuves olympiques de basket-ball. Bob Kurland vante également la valeur de ces nouveaux adversaires, leurs compétences dans un sport originaire des Etats-Unis, où la prédominance américaine demeurait jusque-là intacte. Le 2 août 1952, les basketteurs soviétiques atteignaient la finale et affrontaient, pour la conquête de l’or olympique, l’équipe des Etats-Unis qu’ils avaient déjà rencontrée en quart de finales. Même s’ils perdirent ce match et s’ils n’obtinrent que la médaille d’argent, leur deuxième place est significative. Elle inaugure une série de podiums olympiques (ils en seront absents uniquement en 1984 à Los Angeles, jeux boycottés par l’U.R.S.S.) et marque l’entrée d’un nouvel acteur majeur du basket-

1 Olympians, juin-juillet 1979, p. 9-11.

9 en-tête de page paire ball mondial de la seconde moitié du XXe siècle. Elle participe aux multiples succès des Soviétiques aux Jeux Olympiques d’Helsinki. L’U.R.S.S. devient ainsi, dès sa première participation, un des Grands du monde sportif d’après-guerre, luttant avec les Etats-Unis au classement officieux des nations par points2. Elle fut, selon Nicholas Niggli « le grand vainqueur moral des Jeux d’Helsinki », ses résultats ébranlant la confiance de son rival américain3. Elle couronne finalement une intégration et une progression en ce qui concerne les résultats des basketteurs soviétiques dans les championnats internationaux auxquels ils participent depuis l9474. Cette entrée des basketteurs soviétiques se révèle alors être une performance. Par ce mot, nous entendons une réussite remarquable, un résultat sportif exceptionnel. Avant d’étudier plus en détail le parcours des Soviétiques, le contexte de cette performance doit être précisé. Les Jeux Olympiques d’Helsinki ont lieu dans une période de structuration des blocs et de tensions croissantes dans les relations internationales. La guerre de Corée fait rage depuis deux ans, l’Europe est marquée par la naissance de deux Etats allemands opposés, par le durcissement de la domination stalinienne en Europe de l’Est et, pour le bloc occidental, par la conclusion de l’alliance Atlantique5. Paradoxalement, le sport en U.R.S.S. est, quant à lui, depuis 1946, touché par l’internationalisation et l’adoption des normes occidentales. Cela passe par un rapprochement avec les fédérations internationales sportives, puis par une entrée au C.I.O., permettant une multiplication des échanges sportifs. Ces aspects là ont été récemment bien étudiés par les travaux de Jenifer Parks6. Cette période est aussi marquée par une modification dans la conception du sport soviétique. Dans une résolution de décembre 1948 du comité central du P.C.U.S, l’accès à la suprématie mondiale dans les sports majeurs devient un but affiché7. Ces Jeux revêtent finalement un

2 Exner-Carl, C., Sport und Politik in den Beziehungen Finnlands zur Sowjetunion 1940-1952, Wiesbaden, O. Harrasowitz, 1997, p. 260. 3 Niggli, N., « Diplomatie sportive et relations internationales : Helsinki 1952, les “jeux olympiques de la guerre froide” ? », in Relations internationales, 112, 2002, p. 235. 4 Ils participent à leur premier championnat européen en 1947 à Prague, en 1951 à Paris, aux jeux universitaires mondiaux en 1949 à Budapest. 5 Soutou, G.-H., La Guerre de Cinquante ans. Les relations Est-Ouest de 1943 à 1990, Paris, Fayard, 2001, p. 261. 6 Parks, J., « Verbal Gymnastics: Sports, Bureaucracy, and the Soviet Union's Entrance into the Olympic Games, 1946-1952 », in Wagg, S. and Andrews, D. (ed.), East Plays West: Sport and the Cold War, London and New York, Routledge, 2006, p. 27- 44. 7 Edelman, R., Serious fun : a history of spectator sport in the USSR, New-York, Oxford University Press, 1993, p. 80.

10 en-tête de page impaire caractère particulier car ils sont, comme le soulignait Pierre Milza8, les premiers jeux de la guerre froide. Avant le début des compétitions, la perspective de l’affrontement semblait inévitable entre les deux superpuissances, la dramatisation à son apogée. Un article du New-York Times du 6 juillet 1952 promet une « guerre froide du sport », un « test à l’acide pour les athlètes soviétiques »9. L’éditorial de L’Equipe du 3 juillet 1952 annonçait, à propos des J.O., que les Soviétiques « préparent la sombre éventualité d’une guerre qui repousse l’intelligence et l’instinct ». Nicholas Niggli a souligné dans ses travaux qu’un autre aspect peut apparaître. Ces Jeux ont constitué un signe avant-coureur d’une politique de détente, en permettant une possibilité d’amélioration de l’image internationale de l’Union soviétique, la diplomatie sportive démontrant à l’ouest que la coexistence pacifique était possible10. L’exemple des basketteurs soviétiques nous permet également, à partir d’un cas sportif particulier de s’interroger, avec les commentateurs de l’époque, sur les modalités d’une telle performance, de voir comment a été rendu possible l’accès à la finale, donc d’établir les modalités de la progression des Soviétiques. La préparation des sportifs soviétiques est à la fois l’objet de secrets et de curiosité11, de mystères selon Raymond Meyer dans l’Equipe12. Il convient avec distance de voir quelles ont pu être les conditions objectives qui ont permis aux basketteurs soviétiques d’atteindre le meilleur niveau mondial. Une autre dimension doit être envisagée. Evènement parmi d’autres durant ce « forum dépassant les océans»13 que constituent les Jeux Olympiques, ce match revêt là encore un caractère singulier. Il est l’occasion de la première rencontre, dans un sport d’origine américaine, dominé par les Etats-Unis, entre les deux Grands (Les Soviétiques n’avaient pas participé aux premiers championnats du monde en 1950 en Argentine). Tout au long de la guerre froide, le basket-ball a tenu en effet, une place importante. Il comptait parmi les rares sports où le niveau de pratique entre équipe soviétique et américaine était à peu près

8 Milza, P., « Helsinki : les jeux de la guerre froide » in L’Histoire, n°24, Paris, juin 1980, p. 29-30. 9 Moretti, A., « New York Times’ coverage of the soviet union’s entrance into the olympic games », in Sport History Review, n°38, Champaign, 2007, p. 61. 10 Niggli, N., op. cit., p. 237. 11 Parks, J., op. cit., p. 79. 12 Cité par Barberousse, M., Les athlètes d’Europe de l’est et les Jeux Olympiques : leur participation aux JO de 1952 : guerre ou paix ?, mémoire de maîtrise sous la direction de René Girault, université Paris I-Panthéon-Sorbonne, 1993, p. 105. 13 Richmond, Y., Cultural exchange and the Cold War, raising the Iron curtain, University Park, Pennsylvania university press, 2003, p. 95.

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équivalent comme également le hockey sur glace, l’athlétisme14, permettant de se confronter ouvertement dans le champ sportif15. Cette rencontre est alors, comme celles de hockey sur glace étudiées par Markku Jokisipila et par Hélène Harter16, une scène où se joue la guerre sportive opposant les deux géants, permettant une compétition réglée, à distance, entre les nations mais qui demeurait perçue par les commentateurs et le public comme un lieu de confrontation. Et cela dès les premiers temps de la Guerre Froide. Il devient alors intéressant d’étudier les résonances de l’événement, nous entendons par là les effets produits, l’écho rencontré dans les medias. Á partir de cette confrontation, il s’agit de percevoir comment s’articulent, dans les récits de l’événement, les regards sur l’Autre. Cet article a, donc comme but, de percevoir dans quelle mesure cette performance marque l’avènement d’un nouveau grand européen du basket-ball, dans le cadre d’une Europe redessinée, dans un contexte mondial de tensions et contribue à faire entrer le basket-ball dans l’affrontement américano-soviétique. Il s’appuie sur l’analyse de plusieurs types de sources : les mémoires de l’entraîneur soviétique Spandarân, Sčet po pol’zu, parues en 1953, les archives du Comité Suprême de Culture Physique conservées à Moscou au G.A.R.F., en particulier les dossiers sur les Jeux Olympiques de 1952 traités par le secrétariat général17, les fonds portant sur les jeux olympiques de 1952 et 195618 ou le département des relations avec l’étranger19 et l’analyse d’un corpus de presse française, hebdomadaire et quotidienne, sportive ou non, proche du parti communiste ou « bourgeoise » (Miroir-Sprint, Le miroir des sports, l’Equipe, le Monde) et soviétique (Pravda, Komsomol’skaâ Pravda, Sovetskij Sport). Il s’agira dans une première partie de présenter le parcours des basketteurs soviétiques à Helsinki. Puis, nous établirons les conditions de cette performance, comment à long terme et à plus court terme, cette performance et l’accès au podium olympique ont été rendus possibles.

14 Jokisipilä, M., « Revenge un 1969, Miracle in 1980 », in Malz A., Rondewald S., Wiederkehr S. (ed.), Sport zwischen Ost und West, Osnäbruck, Fibre Verlag, 2007, p. 95. 15 Archambault, F., Artiaga, L., Bosc, G., (dir.) Double jeu. Histoire du basket-ball entre France et Amérique. Paris, Vuibert, 2007, p. 18. 16 Harter, H., « Lake Placid, 1980 : des Jeux Olympiques au cœur de la Guerre Froide », in Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, 16, Paris, automne 2003, p. 99- 111. 17 GARF. P7576, 1, 900. 18 GARF. P7576, 20. 19 GARF. P7576, 2, 700, 701, 741, 742, 743.

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Nous analyserons dans une dernière partie les résonances de cet événement.

La route vers la finale : les basketteurs soviétiques à Helsinki. Les basketteurs soviétiques sont attendus. Les deux titres de champions d’Europe qu’ils ont obtenus à Prague en 1947 et à Paris en 1951 ont marqué les esprits, en particulier ceux des journalistes sportifs européens, tant et si bien qu’ils sont annoncés comme l’un des favoris du tournoi, avec les Etats-Unis20. Leur parcours démontra d’ailleurs des qualités de jeu, leur unité et leur solidarité dans la confrontation. Une équipe aguerrie Robert Busnel, dans l’Equipe du 10 juillet 1952, insistait sur leur esprit d’équipe. Les basketteurs soviétiques faisaient preuve de cohésion, d’homogénéité, d’un esprit d’abnégation et d’un désir de vaincre. L’équipe présente à Helsinki est une équipe aguerrie. Son ossature est constituée de joueurs expérimentés qui ont déjà concouru lors des championnats d’Europe. Sa composition est représentative de la diffusion du basket-ball en U.R.S.S. L’équipe compte des joueurs originaires des premiers foyers de développement du basket-ball, la région de Moscou, la Géorgie21, et de nombreux joueurs issus d’un foyer rattaché plus récemment, les républiques baltes. Ces derniers représentent d’ailleurs une part majeure de l’équipe. Sur les quatorze sélectionnés, huit proviennent des équipes de Lettonie, de Lituanie ou d’Estonie22. Cet ensemble est encadré par Stepan Spandarân et Vincas Kulakauskas, entraîneur d’origine lituanienne. Comme le souligne Robert Edelman, cette équipe incarne un « parfait microcosme de la vaste et fraternelle union multiethnique » où se mêlent et se complètent différents styles de jeu : la précision des tirs baltes, les qualités athlétiques russes, la vitesse et l’intensité géorgienne23. Sur ces quatorze joueurs, huit ont déjà eu une expérience internationale et ont participé par exemple aux championnats d’Europe de 1947 et de 1951, comme Stepas Butautas, Otar Korkia, Aleksandr Moisseiev, Illmar Kullam, Justinas Lagunavicius. Nodar Džordžikiâ. Anatoli Konev et Kasimieras Petkevicius n’ont participé qu’au tournoi

20 L’Equipe, 10 juillet 1952 ; Miroir-Sprint, 14 juillet 1952. 21 Edelman, R., op. cit., p.73. 22 Spandarân, S., Sčet po pol’zu, Moscou, Molodaâ Gvardiâ, 1953, p. 85. 23 Edelman, R., op. cit., p. 119.

13 en-tête de page paire de Prague en 1947, Viktor Vlasov n’a rejoint l’équipe que pour le championnat d’Europe se déroulant à Paris en 1951. La compétition d’Helsinki est une première pour certains comme pour Maigonis Valdmanis, jeune joueur de dix-huit ans, qui n’est entré lors du tournoi sur le terrain que pour quelques rencontres24. Cela est également le cas pour Stasys Stonkus, présent sur le terrain uniquement lors du match contre la Finlande. Les piliers de cette équipe sont indéniablement Otar Korkia « toujours là où il faut »25, « l’homme de base de son équipe »26. Petkavicius, Moiseev, Djordžikia forment, avec ce dernier, l’armature des équipes des derniers matchs, se révélant au fil des matchs. Alors que Lissov, joueur dont la technique avait été remarquée au championnat d’Europe, déçoit lors de ce tournoi, comme Butautas « méconnaissable actuellement » selon certains journalistes de l’Equipe27. La route vers la finale : le parcours soviétique durant le tournoi olympique. Les Soviétiques ont échappé aux tours préliminaires, comme dix autres équipes, et commencent leur compétition le 25 juillet, face, dans leur groupe, à la Bulgarie, la Finlande et le Mexique28. Le premier match les oppose à la Bulgarie, adversaire qu’ils battent facilement par 74 contre 46. Cette confrontation impressionne d’ailleurs les journalistes occidentaux29. Les victoires dans leurs groupes se succèdent. Ils remportent le match, face aux Finlandais, 47 à 35 et viennent à bout des Mexicains avec un score de 71 à 62. Arrivés premiers de leur groupe, ils entrent facilement en quart de finales. L’entraîneur Spandarân dans ces mémoires souligne que leurs nouveaux adversaires leur sont totalement inconnus, contrairement aux Bulgares ou aux Finlandais. L’équipe soviétique n’a jamais pu les rencontrer car absente des premiers championnats du monde de 1950 à Buenos-Aires. Elle est opposée, dans son groupe de quart de finales, à trois équipes américaines : les Etats-Unis, le Brésil, le Chili. Leur premier match contre les Etats-Unis « tourne en démonstration des

24 Latvijas Olimpiska vesture, Riga, Latvijas Olimpiska Komiteja, 2003, p. 107. 25 L’Equipe, 30 juillet 1952. 26 L’Equipe, 1er août 1952. 27 L’Equipe, 30 juillet 1952. 28 Le premier groupe était constitué par les Etats-Unis, l’Uruguay, la Hongrie, la Tchécoslovaquie ; le troisième, par le Canada, le Brésil, l’Argentine et les Philippines, le quatrième, par la France, le Chili, et l’Egypte. Pour un bilan précis du tournoi, voir : The official report of the organising commitee for the XV olympiad, Helsinki 1952, p. 672. 29 L’Equipe, 26-27 juillet 1952.

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Américains » et s’avère décevant selon les observateurs français30, les Soviétiques se révélant aussi faibles en attaque qu’en défense. Ils perdent 86 à 58. Un des piliers de l’équipe, le pivot Otar Korkiâ, est blessé à la main31. Les résultats des matchs suivants sont plus heureux pour ces derniers qui vainquent le Brésil le 29 juillet 54 à 49. Après un début poussif face aux rapides Brésiliens, ils se reprennent et leur jeu devient mieux organisé, plus solide en défense32. Ils remportent ensuite leur match contre le Chili 78-60 au terme d’une « belle partie »33 où Korkiâ, « héros du match », marque à lui seul trente-huit points. Ils accèdent à la demi-finale d’où ils sortent vainqueurs, marquant contre les Uruguayens 61 points contre 57. Les « Russes » s’y sont caractérisés par une meilleure condition physique, un niveau de jeu qui n’a cessé de s’améliorer, gagnant en efficacité, en variété, n’hésitant plus à s’infiltrer dans la zone de défense34. Le pronostic d’André Chaillot35 se réalise donc : les Etats-Unis retrouvent l’Union soviétique en finale et la remportent au terme d’une rencontre bien plus serrée que la première, le score étant de 36 à 25.

Anatomie d’une performance : les arcanes des progrès soviétiques. Roger Debaye dans un article du Miroir des Sports daté du 11 août 1952 examine le renversement qui pour lui s’est déroulé à Helsinki. « Les Russes ont mis les bouchées doubles depuis 1945 » suivant l’exemple américain dans le domaine sportif, en particulier en ce qui concerne la préparation sportive. Comme nous l’avons déjà évoqué, les Occidentaux sont curieux de la préparation des athlètes soviétiques, l’U.R.S.S ne révélant que peu ses méthodes, gardant ses secrets. Il s’agit dans ce second temps d’étudier comment cette performance a été rendue possible dans le cas particulier du basket-ball. L’apport balte : L’apport balte dont on a souligné le poids dans la composition de l’équipe doit être développé. Il est indéniablement une des conditions

30 L’Equipe, 29 juillet 1952. 31 Spandarân, S., op. cit., p. 263. 32 L’Equipe, 30 juillet 1952. 33 L’Equipe, 31 juillet 1952. 34 L’Equipe, 1er août 1952. 35 Miroir Sprint, 14 juillet 1952.

15 en-tête de page paire qui ont permis aux Soviétiques d’atteindre le meilleur niveau européen, plus encore, la finale olympique. Les Soviétiques cherchent à améliorer leur technique sportive dans l’immédiat après-guerre. En 1947, Nikolai Romanov, président du Comité Suprême de Culture Physique et de Sport, aborde, parmi d’autres, la question du basket dans une lettre adressée à Jdanov, membre du Politburo du comité central du VKP(b), portant sur les Jeux Olympiques de Londres et les conditions nécessaires à une entrée de l’Union soviétique. Il signale qu’il faut améliorer les méthodes d’entraînement en faisant venir des spécialistes étrangers. Pour le basket, il faudrait inviter deux ou trois entraîneurs américains en U.R.S.S. et une équipe parmi les meilleures des Etats-Unis36. Ces projets n’aboutissent pas. On retrouve cependant pour le cas soviétique ce qui a été évoqué par Fabien Archambault et Loïc Artiaga, la volonté de solliciter des joueurs formés aux Etats-Unis afin de hausser le niveau de jeu37. Les Baltes jouent alors, dans une moindre mesure, le rôle de « passeurs », de « points de contact » pour le basket, comme les Tchécoslovaques le furent, à la même période, dans la formation des Soviétiques au hockey canadien38. Stepan Spandarân y revient longuement dans un des chapitres intitulé « De nouveaux amis »39. La période de l’entre-deux-guerres avait vu se développer la pratique du basket-ball dans les républiques baltes, ce sport devenant un enjeu de lutte entre les Lituaniens, les Estoniens et les Lettons, leur permettant d’atteindre le meilleur niveau mondial comme le prouvent leurs résultats lors des championnats d’Europe de 193940. Cette tradition perdure après l’invasion et l’annexion des républiques baltes à l’U.R.S.S.41. Les Soviétiques profitent de cette expérience internationale qu’ils n’avaient pas, bénéficient d’apports techniques sur le plan du jeu permettant une amélioration de la qualité de la pratique en URSS42. Les rencontres avec les équipes baltes permettent la confrontation entre des

36 Cité dans : Vartanân, A. , « Sekretnij Arhiv Aksel’i Vartaniana », in SportEkspress, 2 septembre 2002. 37 Archambault, F., Artiaga, L., « Le basket-ball et la question de l’hégémonie culturelle américaine» in Singaravelou P., Sorez J. (dir.), L’Empire des sports, une histoire de la mondialisation culturelle, Paris, Belin, 2010, p. 173. 38 Prozumenŝikov, M., « Sport as a mirror of eastern Europe crises», Russian Studies in History, vol. 49, no. 2, Armonk, automne 2010, p. 68. 39 Spandarân, S., op. cit, p. 42. 40 En 1935, les Lettons sont champions d’Europe. En 1937 et en 1939, ce sont les Lituaniens. 41 Edelman, R., op. cit., p. 72. 42 Edelman, R., ibidem, p. 118.

16 en-tête de page impaire styles différents. Selon Spandarân, des Lituaniens, ils apprennent la défense de zone alors qu’ils privilégiaient la défense individuelle43, des Lettons, les changements de mouvements dans la transmission du ballon, le tir en crochet44. Les Baltes sont d’autre part réputés pour leur habileté et leurs tirs précis. Les Baltes sont donc un vecteur de la modernisation du jeu soviétique. La voie vers la suprématie mondiale : la multiplication des échanges en basket. Cet apport technique et humain des pays baltes dans le cas particulier du basket s’est ajouté à une politique plus générale dans le domaine sportif. L’ouverture de l’U.R.S.S. et la multiplication des échanges sportifs dès l’immédiat après-guerre, aboutissant à l’entrée des Soviétiques au C.I.O, ont été un des moyens de l’amélioration des performances sportives soviétiques, comme l’intégration aux fédérations sportives internationales. Néanmoins, cette ouverture s’est déroulée à un rythme heurté. Si des échanges sportifs sont noués à partir de 1946 dans divers sports ( match du Dinamo en Angleterre en football en 194545, participation au championnat d’Europe d’athlétisme en 1946 à Oslo46, participation au championnat d’haltérophilie…), à partir de 1948 jusqu’en 1951, les confrontations avec l’Occident, temps également d’apprentissage des techniques étrangères, devinrent plus rares et se concentrèrent dans les sports dans lesquels le leadership soviétique était incontestable, comme en patinage de vitesse féminin47. En basket-ball, cette période d’après-guerre est riche en échanges mais suit la même trame chronologique que les autres sports, les échanges avec les pays occidentaux se réduisant entre 1948 et 1951 au profit d’échanges avec les pays du bloc de l’Est. En 1946, l’équipe du Stroitel’ de Moscou est envoyée en tournée à France. Il s’agit de la huitième équipe du championnat d’URSS en 1945 où jouent certains noms déjà évoqués comme Konev, Moiseev. Spandarân insiste sur la haute tenue des basketteurs français, parmi les meilleurs d’Europe48. Les Soviétiques jouent à Paris, à Strasbourg, place Bellecour à Lyon, puis à

43 Spandarân, S., op. cit., p. 43. 44 Spandarân, S., ibidem, p. 47. 45 Kowalski, R., Porter, D., « Cold war football : British-european encounters in the 1940s and the 1950s », Wagg, S. and Andrews, D. (ed.), East Plays West: Sport and the Cold War, London and New York, Routledge, 2006, p. 65. 46 Bale, J., «“Oscillating antagonism” : Soviet British athletic relations, 1945-1960», Wagg, S. and Andrews, D. (ed.), East Plays West: Sport and the Cold War, London and New York, Routledge, 2006, p. 82. 47 Parks, J., op. cit., p. 32. 48 Spandarân, S., op. cit., p. 57.

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Nice, Marseille et Limoges contre des équipes issues de différentes fédérations. Leurs nombreuses et écrasantes victoires49 montrent la stature des joueurs soviétiques et permettent, selon les termes-mêmes de l’entraîneur, aux joueurs d’acquérir une expérience internationale. En 1947, ils participent aux championnats d’Europe à Prague, qu’ils remportent. En 1948, ils participent aux rencontres sportives organisées pour célébrer l’entente soviéto-polonaise où ils rencontrent les Polonais, les Tchèques et les Hongrois ; en août 1949, ils rencontrent les démocraties populaires, les Chinois et les Coréens aux Jeux universitaires de Budapest, partent en Chine en 1950 jouer dans huit villes. Ils ne participent ni au championnat d’Europe de 1949 qui avaient lieu au Caire, ni au premier championnat du monde à Buenos-Aires en 1950. En 1951, ils reviennent de nouveau à Paris pour le championnat d’Europe. Ils remportent ce tournoi en vainquant les Tchèques en finale. Leur séjour en France se prolonge par une tournée à Lyon, Alès, Marseille, Nice. A leur retour à Paris, ils ont l’occasion d’observer pour la première fois des basketteurs américains lors de plusieurs matchs d’exhibition au Palais des sports opposant, pour le premier, l’équipe du Racing, championne de France 1951, à une équipe étudiante américaine, pour le second, des équipes professionnelles de Harlem et Boston. Le jugement de Spandarân est à leur égard lapidaire : les Américains ne jouent que pour l’argent mais font preuve d’un niveau de jeu très élevé50. La multiplication des échanges a permis, aux basketteurs soviétiques, de s’aguerrir, d’acquérir une expérience internationale, mais également de s’accoutumer au basket joué dans les pays occidentaux. Elle est donc à long terme, un des aspects permettant l’amélioration du basket-ball soviétique. S’entraîner, observer : préparer l’échéance. Comme le signale un rapport rédigé au début de l’année 1952 sur les résultats potentiels des sportsmen soviétiques, après une analyse des forces en présence, l’équipe de basket-ball d’Union soviétique peut atteindre la première place et obtenir la médaille d’or51. Ce rapport s’appuie sur une analyse détaillée et fine des précédentes compétitions. Afin de jauger le niveau des équipes d’Argentine et des Etats-Unis, ils utilisent comme étalon les équipes de France et d’Egypte présentes au

49 Ils remportent par exemple une solide victoire à Strasbourg 80 à 31, ainsi qu’à Marseille, 51 à 15. A Lyon, contre l’équipe championne de France, selon Spandarân, la victoire est plus difficile et aboutit au score plus serré de 30 à 24. 50 Spandarân, S., op.cit., p. 239-240. 51 GARF. P7576, 2, 741, 25.

18 en-tête de page impaire championnat du monde de 1950, rencontrées à de plus ou moins nombreuses reprises. Les basketteurs ont, dans ce but, préparé cette échéance de longue date et ont suivi un plan de préparation très cadré, comme les autres sportifs. Depuis novembre 1951, les membres de l’équipe se sont vus remettre des plannings d’entraînements individualisés, composés d’exercices permettant l’amélioration de la préparation physique et de la technique de jeu, l’objectif étant pour chacun de progresser sur la récupération des ballons, les passes, les lancers, les contre-attaques, les tirs avec rebond, les changements de mouvements…52Cela en continuant de jouer dans leurs clubs. Des exercices sont alors programmés et préparés pour améliorer les points faibles de chacun : les lancers francs pour Anatoli Konev, les changements de mouvements pour Ivan Lysov. Cette phase dura jusqu’au 1er février 195253. A partir du 1er février, l’équipe est convoquée pour une session d’entraînement à Moscou d’un mois54. Un accent est mis particulièrement sur la préparation physique. Ils pratiquent alors des exercices de gymnastique, d’athlétisme, réalisent de nombreux cross, jouent au football avec les lutteurs, les boxeurs, les volleyeurs55. Le mois de mars est consacré à un retour dans les clubs et au suivi de planning d’entraînements personnalisés. L’équipe se retrouve du 1er avril au 15 avril à Kiev pour des matchs test, puis du 5 mai au 20 mai 1952 pour une session d’entraînement à Sotchi où ils côtoient les équipes de gymnastiques, de lutte, de boxe et d’haltérophilie. Ils partent ensuite à Tallinn afin de s’acclimater aux conditions finlandaises pour ensuite s’exercer sur les tactiques de jeu et s’entraînent du 20 juin au 10 juillet à Leningrad. Enfin, ils reviennent à Moscou et rejoignent le reste de la délégation dans le train en partance pour Helsinki. La préparation des Jeux Olympiques passe également par une scrutation et une analyse régulières des performances des équipes adverses. Des bulletins d’informations, à destination des dirigeants du Comité suprême de Culture physique et de sport, publiés deux à trois fois par mois, composés d’informations tirées de l’Equipe ou du Sport, reprennent les résultats, décrivent la composition des équipes européennes et américaines, cela depuis janvier 195256.

52 Spandarân, S., op.cit., p. 247. 53 GARF. P7576, 20, 12, 34. 54 GARF. P7576, 20, 12, 34. 55 Spandarân, S., op.cit., p. 249. 56 GARF. P7576, 20, 13-15a.

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L’amélioration du jeu soviétique, les menant à la victoire a été possible par plusieurs moyens : le vecteur balte permettant outre l’apport de nombreux joueurs, l’assimilation de nouvelles techniques et la confrontation avec des équipes étrangères européennes. A court terme, elle s’est caractérisée par une préparation physique et tactique intensive, ne délaissant aucune composante du jeu. Celle-ci a d’ailleurs été remarquée au moment des jeux. Marcel Hansenne dans un article de l’Equipe du 2-3 août 1952 conclut d’ailleurs qu’elle constitue un atout majeur de cette équipe. Ils avaient « une condition physique remarquable dont aucun n’a jamais donné le moindre signe de défaillance jusque-ici ». Leur place en finale en est une autre preuve.

Un match de guerre froide ? Les résonances d’une performance. Les Soviétiques terminent finalistes du tournoi, contre l’équipe des Etats-Unis. Cette deuxième rencontre en quelques jours leur offre la possibilité d’une revanche contre l’équipe américaine. Comme l’a souligné Pierre Milza57, les jeux d’Helsinki, par la presse écrite, les images fixes triées et mises en scène, les bandes d’actualité cinématographiques, les reportages radiophoniques, ont produit un corpus permettant de retrouver stéréotypes et présupposés sur l’ennemi. Il convient d’en analyser dans cette partie le retentissement, l’usage qu’il en a été fait dans les medias, voir si ces matchs ont cristallisé, la finale en particulier, l’opposition américano-soviétique, comment l’image de l’Autre s’y est alors construite58. Les discours à propos de ce match paraissent relativement tempérés. Plusieurs raisons peuvent expliquer que cette confrontation n’est pas construite comme une opposition entre les deux géants. Les Jeux Olympiques d’Helsinki tiennent une place singulière dans l’histoire de la guerre froide comme l’a souligné dans ses travaux Nicholas Niggli. Ils sont un des premiers exemples, le premier à cette échelle, de la diplomatie sportive soviétique qui permet selon James Riordan dans un même événement de symboliser des pôles opposés que sont la

57 Milza, P., « Sport et relations internationales », Relations internationales, n°38, Paris, été 1984, p. 160. 58 Pour des cas de matchs ou de compétitions où le retentissement médiatique exacerbe la confrontation : Turrini, J. « It was communists versus the free world : The USA- USSR Dual Track Meet Series and the Development of Track and Field in the United states, 1958–1985 », in Journal of sport history, vol. 28, n°3, Radford, automne 2001, p. 430 ; Sherer, J., Duquette, G., Mason, D. « The cold war and the (re)articulation of Canadian national identity », Wagg, S. and Andrews, D. (ed.), East Plays West: Sport and the Cold War, London and New York, Routledge, 2006, p. 164.

20 en-tête de page impaire coopération et la compétition. Nicholas Niggli a démontré que l’URSS expérimente dans ces jeux, avec comme signes avant-coureurs les fraternisations d’athlètes, une politique de détente59. Cet aspect est particulièrement perceptible dans le traitement de cet événement par Sovetskij Sport. Les Soviétiques aux jeux doivent défendre la paix, les J.O. doivent devenir une fête de l’amitié entre les peuples60. Le retentissement de ce match du côté soviétique demeure également modéré car en URSS, le basket est un sport qui ne connaît pas encore un immense succès populaire61. Certains observateurs occidentaux soulignent, malgré le niveau atteint par les Soviétiques et d’autres européens, d’autre part, l’inégalité de niveau entre la nation-mère du basket et les autres. « La marge s’avère grande en effet sur le plan technique entre les Etats-Unis et les autres nations »62. Ce n’est cependant pas une performance mineure du point de vue de l’affrontement américano-soviétique. Il s’avère particulièrement intéressant car, de la presse consultée, émergent déjà des récits particuliers de cet événement : les débuts d’une méfiance et du soupçon à l’égard de l’adversaire, un récit de guerre froide, reprenant ce qui sera un des mots d’ordre de la diplomatie sportive de l’Union soviétique: le sport comme « source d’amitié des peuples et de joie ». Les matchs opposant Américains et Soviétiques évoqueraient, comme les fraternisations qui se sont multipliées à Helsinki, le fair-play des Soviétiques, la volonté d’être des ambassadeurs de la paix. Une performance mineure ? Du côté soviétique, la performance des basketteurs soviétiques aux J.O. ne connaît pas un retentissement comparable à celle d’autres sportifs de la délégation. Comme nous l’avons signalé, le basket-ball ne connaît qu’un succès limité alors en U.R.S.S., localisé dans certaines régions précises. Le discours prononcé par Nikolai Romanov, chef de la délégation soviétique, publié le 6 août 1952 dans la Pravda, témoigne de la place relative du basket-ball, à la fin des jeux, dans la hiérarchie sportive soviétique. Les basketteurs viennent loin derrière eux qui ont fait la gloire de l’URSS à Helsinki. Les gymnastes, les lutteurs, les haltérophiles, les athlètes, les champions de tir sont célébrés dans cet ordre. Les basketteurs viennent ensuite et sont félicités pour leur prestation et leur médaille d’argent. Cette hiérarchie sportive est reprise textuellement dans l’article « Učitelâ i Učiniki » (Les maîtres et leurs

59 Niggli, N., op. cit., p. 484. 60 Sovetskij sport, 19 juillet 1952. 61 Edelman, R., op. cit., p. 119. 62 L’Equipe, 10 juillet 1952.

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élèves) de N. Larin dans Sovetskij Sport63. Les basketteurs arrivent en dernière place dans le palmarès des athlètes ayant montré une grande maîtrise dans leur sport. De la même manière, si l’article narrant les célébrations au retour des athlètes victorieux signalent que Otar Korkiâ, Anatolie Konev et Nodar Džordžikâ sont très applaudis, les sportifs valorisés à leur retour à Moscou dans le meeting sont le gymnaste Serge Cukarin, champion olympique à quatre reprises dans les épreuves de gymnastique et la discobole Nina Romaškova64, également championne olympique. La place accordée aux prestations des basketteurs dans les articles consacrés aux jeux de la Komsomol’skaâ Pravda et la Pravda augmente progressivement. V. Novoskol’čev, correspondant de la Pravda, évoque plus longuement la prestation des footballeurs durant la première semaine, cela jusqu’à leur élimination. Les premiers matchs des basketteurs sont très brièvement décrits, quelques lignes à peine. Les victoires des basketteurs soviétiques se multipliant, les rencontres sont plus longuement détaillées et présentées. D’autre part, comparant cette rencontre à celle étudiée par M. Jokkispila, par H. Harter, le récit de ce match dans les différents journaux paraît particulièrement tempéré. Aucun article ne construit cette rencontre comme un combat entre le bien et le mal65. Sovetskij sport propose des récits très descriptifs des matchs tout au long du tournoi. La finale est relatée de manière neutre, en décrivant les aspects techniques du match, en insistant sur les phases de jeu66. Les journalistes de l’Equipe, de Miroir Sprint, du Miroir des Sports louent plutôt les qualités de cette équipe : la condition physique, le jeu d’équipe et leur progression tout au long du tournoi. Le sport apparaît même comme un moyen de renforcer les liens entre les différents pays. Gaston Bénac dans le Miroir des sports du 28 juillet 1952 décrit l’atmosphère détendue qui règne à Helsinki : « Ceux qui craignaient des heurts, des incidents entre les Soviétiques et les Américains en ont été pour leurs frais. Les athlètes des deux côtés du rideau de fer ont fraternisé et la foule a applaudi indistinctement le meilleur quel que fut sa nationalité ». Les rencontres américano- soviétiques en basket en seront selon certains journaux l’occasion.

63 Sovetskij Sport, 9 août 1952. 64 Sovetskij Sport, 9 août 1952. 65 Turrini, J., op. cit., p. 430 ; Sherer, J., Duquette, G., Mason, D., op. cit., p. 164. 66 Sovetskij Sport, 5 août 1952.

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Un récit de guerre froide : le sport « source d’amitié des peuples et de joie » Les matchs du tournoi de basket entre les Etats-Unis et l’URSS sont donc l’occasion d’un récit de guerre froide bien particulier qu’a étudié notamment Nicholas Niggli. Les Soviétiques ont cherché lors des jeux olympiques d’Helsinki a prouvé comment le sport pouvait être utiliser à des fins de propagande en cherchant à se poser comme un défenseur pacifique de l’esprit olympique et l’ont mis en scène lors de multiples occasions par des fraternisations, des démonstrations de fair-play: lors de la finale du saut en hauteur où Denisenko prit dans ses bras le vainqueur, l’américain Richards67, le repas entre l’équipe d’aviron soviétique et américaine au camp d’Otaniemi68, par des entraînements communs en natation69. Les deux matchs opposant les Etats-Unis contre l’URSS sont l’objet d’un tel récit. Un article de l’Equipe souligne ainsi à propos du premier match opposant les deux Grands que l’esprit qui anima les joueurs des deux camps fut exemplaire, que ce match laissa un souvenir sympathique par la manière dont il fut pratiqué des deux côtés70. Le journal Miroir-Sprint, proche du parti communiste, retrace dans l’article évoquant la finale un match, loin d’être une empoignade. « Disputé sous le signe de la plus parfaite correction, le choc majeur du tournoi de basket a réuni les deux capitaines sous la souriante présidence de cette gracieuse petite fille. Mais les deux équipes ont tenu à donner une image plus parfaite de la sérénité qu’engendrent les luttes des stades »71. Cette finale sera immortalisée dans l’album des sports de Miroir-Sprint de l’année 1952 comme la « plus belle image des J.O » par une photographie représentant Otar Korkiâ et Bob Kurland tenant une petite fille finlandaise dans leurs bras avec la légende suivante : « le sport, source d’amitié des peuples et de joie ». Le discours de la méfiance : triche et manipulation Un autre lieu commun émerge cependant, en particulier sous la plume des Soviétiques et de certains articles français : le discours de la méfiance et du soupçon à l’égard de l’adversaire. Lors de ces Jeux, les Soviétiques ont critiqué l’arbitrage et le jugement favorisant les Américains dans plusieurs disciplines : en plongeon féminin, en

67 Niggli, N., op. cit., p. 477. 68 L’album des sports de Miroir-Sprint, 1er décembre 1952 69 Barberousse, M., op. cit., p.127. 70 L’Equipe, 29 juillet 1952. 71 Miroir-Sprint, 4 août 1952.

23 en-tête de page paire boxe…72. Dans le tournoi de basket-ball, le soupçon, la méfiance, du côté soviétique, se portent sur la taille des athlètes américains qui modifie la technique de jeu et, du côté occidental, sur l’anti-jeu soviétique lors de la finale. Le problème de la taille est à maintes reprises souligné. Elle est dans la Komsomol’skaâ Pravda du 29 juillet 1952, relatant la première rencontre contre les Américains, la cause de la défaite soviétique. Spandarân évoque également ce point. Ils sont opposés à des géants américains Kurland (2m13), Markus Freiberger (2m10), Clyde Lovelett (2m09)73. L’agence TASS commentera la finale ainsi : « Les Etats-Unis doivent leur succès non pas à la stratégie ou au talent mais à leur taille »74. Le porte-parole du CO soviétique Semitshasny dans l’Equipe du 1er août 1952 insiste également sur ce point : Nous avons appris beaucoup de choses ici et nous ferons certainement mieux la prochaine fois. Ainsi l’une des choses que nous avons apprise est de placer l’homme qu’il faut à la place qu’il convient. Prenez l’exemple du basket, croyez vous que dans notre pays nous n’aurions pas pu sélectionner des joueurs encore plus grands que ceux de l’équipe américaine ? Nous pensions que c’était la technique de jeu qui importait et que c’est elle qui serait jugée. Pour nous le basket-ball ne consiste pas à avoir des géants qui n’ont qu’à poser la balle dans les filets. Nous pensions que le basket-ball était un jeu pour gens normaux. Nous savons maintenant que ce n’est pas le cas. Du côté occidental, le soupçon se porte sur les Soviétiques accusés de ne pas avoir joué lors de la finale. Henri Chapuis dans Miroir Sprint s’indigne de la finale « bien pauvre »75, où les basketteurs soviétiques « gardèrent la balle », « évitèrent de prendre les risques se passant et se repassant la sphère de cuir. », « se contentèrent de passes redoublées ».

Les matchs opposant les Soviétiques et les Américains ne sont donc pas caractérisés par un affrontement exacerbé, par des empoignades soviéto-américaines. Les récits présents dans les journaux étudiés, soviétiques et français, se centrent sur une mise en scène du fair-play, de la fraternité, mais aussi par l’émergence d’un discours du soupçon à l’égard de la performance de l’adversaire.

72 Komsomol’skaâ Pravda, 3 juillet 1952. 73 Spandarân, S., op. cit., p. 255. 74 Brokhin, Y., The big red machine. The rise and the fall of soviet olympic champions, New-York, Random house, 1977, p. 135. 75 Le Miroir des Sports, 4 août 1952.

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Conclusion Le résultat de cette finale est clair : l’URSS a fait une entrée frappante parmi les meilleures équipes mondiales, accédant à la finale olympique, s’y améliorant et limitant la défaite. Cette performance est liée à plusieurs facteurs parmi lesquels l’apport balte semble le plus significatif. L’annexion de la Lituanie, de la Lettonie et de l’Estonie a permis l’entrée dans l’équipe d’URSS de joueurs performants, l’utilisation de techniques et de tactiques de jeu modernes. Elle s’est conjuguée à la multiplication des échanges sportifs avec les pays occidentaux puis du bloc de l’est, la participation à certaines compétitions européennes, aguerrissant les basketteurs soviétiques au jeu moderne, et à une préparation intensive pour le tournoi. Seules confrontations par équipe entre les deux Grands lors de ces Jeux, les deux matchs sont relatés dans la presse soviétique et française de manière assez apaisée et ne cristallisent pas les tensions comme cela sera le cas lors de futurs matchs. Un discours, particulier à cette époque de guerre froide, apparaît néanmoins. Il se traduit de deux manières : par une interrogation sur les manipulations de l’adversaire et un soupçon sur la victoire de l’ennemi, mais aussi par la valorisation du fair-play, de l’amitié possible par le sport entre les peuples. Plus prosaïquement, ces oppositions américano- soviétiques sont marquées par la découverte de la taille des basketteurs américains et constituent, pour Yuri Brokhin76, le début d’une recherche chez les Soviétiques de joueurs plus élancés. Elles sont à ce titre le cadre d’une assimilation des techniques de jeu occidentales et prouvent alors combien ces rencontres sportives entre Américains et Soviétiques sont, à la fois, un lieu d’opposition mais également un lieu de contacts et de transferts.

76 Brokhin, Y., op.cit., p. 136.

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Notices biographiques

Dufraisse Sylvain : Agrégé d’histoire, enseignant en histoire au collège universitaire français de Moscou. Il prépare une thèse d’histoire contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon- Sorbonne sous la direction du professeur Marie-Pierre Rey sur les conditions et les modalités de l’émergence d’une élite d’athlètes en URSS dans le contexte de la guerre froide.

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