GUIDE LUTTER CONTRE LE RACISME Débats, enjeux et controverses d’aujourd’hui Lutter contre le racisme

2 Lutter contre le racisme SOMMAIRE Introduction 5 Points de départ...... 6 De nombreuses controverses...... 7 L’émergence de nouveaux acteurs...... 8 Etre de tous les combats contre le racisme...... 10

1. Peut-on encore parler d’un seul racisme ? 12 Le racisme : une construction historique ...... 12 D’un langage religieux, puis de la raison et du progrès, puis de la biologie ...... 14 Races et classification du vivant...... 15 Racismes et nazisme...... 16 Discriminations des Gens du voyage : un racisme d’Etat ?...... 17 Qu’appelle t-on « crime contre l’humanité » ? ...... 18 Faut-il garder le mot « race » dans la Constitution ? ...... 19

2. Nommer les racismes 22 La judéophobie ...... 22 L’antisémitisme ...... 22 La fondation de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et l’affaire Dreyfus ....23 Colonialisme et antisémitisme ...... 24 Antisionisme et antisémitisme...... 26 Le racisme anti-Asiatique, anti-Chinois...... 27 La négrophobie ou racisme anti-Noir :...... 28 Les polémiques sur le « blackface »...... 30 La LDH et le « blackface »...... 31 L’islamophobie : un terme discuté mais largement adopté...... 32 Islam, islamisme, islamique ...... 33 La romaphobie : Roms, Manouches, Gitans, Tsiganes ...... 35 Racisme colonial et néocolonial ...... 36 Origines historiques du racisme colonial ...... 36 Esclavage et racisme...... 39

3 Lutter contre le racisme

Le Code noir ...... 40 Faut-il déboulonner la statue de Colbert ?...... 41 Abolition de l’esclavage : luttes des esclaves et abolitionnistes ...... 41 3. Droit à la différence, assimilation, intégration 45 Laïcité : consensus de principe, controverses et instrumentalisations ...... 47 Les débats sur la laïcité ...... 48 Communautarisme et séparatisme : des concepts stigmatisants...... 51 4. Le débat sur les lois mémorielles 53 Négationnisme et Loi Gayssot...... 54 La reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité...... 57 La reconnaissance du colonialisme comme crime contre l’humanité...... 58 5. L’universalisme et les Lumières en question 59 Univers, universalisme religieux, émergence de l’Homme ...... 59 Les Philosophies des Lumières et leurs critiques...... 60 6. Des outils d’analyse ou des approches en débats 67 Intersectionnalité...... 69 Privilège blanc...... 70 Le racisme anti-Blanc ...... 72 Appropriation culturelle ...... 72 7. Les mouvements antiracistes d’aujourd’hui 74 En conclusion...... 76

8. Les actions juridiques de lutte contre le racisme 77 Définition des infractions...... 79 Les juridictions pénales ...... 80 Les institutions et organismes officiels...... 83 Comment agir face à des cas ...... 83 Pour aller plus loin 85

4 Introduction INTRODUCTION

Mêlant dimensions sociales et politiques et constructions culturelles, le racisme doit être combattu de façon globale et dans sa complexité. Redéfinir les termes mêmes du combat antiraciste est obligatoire si l’on veut reconstruire une approche partagée par le plus grand nombre, si l’on veut, tout simplement, qu’elle emporte la conviction que l’on vit mieux sans racisme et sans discriminations qu’avec la haine de l’Autre. Résolution du 89e congrès de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) « La lutte contre le racisme ne se divise pas » (05/06/2017)

La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations est l’un des piliers de l’action de la Ligue des droits de l’Homme. C’est pourquoi, outre ses interventions juridiques, ses mobilisations, ses actions en milieu scolaire, l’association mène en son sein et avec de multiples partenaires une réflexion théorique et pratique sur ces questions, indispensable pour faire vivre l’antiracisme. Ce fascicule sur le racisme en est un exemple. Il vise à fournir d’une part un état des lieux des débats de société et d’autre part, à montrer et à expliquer les actions, les prises de position et les mobilisations de l’association. Il n’est pas un manuel – ni d’histoire, ni d’autres disciplines – même s’il mobilise un certain nombre de connaissances interdisciplinaires. Il est une démarche : celle de prendre un peu de recul pour problématiser des questions, proposer des

5 Lutter contre le racisme arguments, des éclairages et non seulement mieux porter le combat antiraciste de la LDH, mais surtout le penser ensemble. C’est pourquoi ce travail est collectif et il n’est pas l’œuvre de spécialistes mais une production de militantes et militants qui ont voulu questionner ensemble.

Points de départ Nous sommes partis du constat que les débats sur les champs, sur les notions, sur les concepts, l’histoire, les acteurs concernés ou traversés par le ou les racismes se sont considérablement complexifiés. Les fortes tensions qu’on relève dans le domaine politique, dans la société, dans les sciences sociales sur la compréhension de la genèse du racisme, sur ses qualifications et les moyens de le combattre imposent, qu’on le veuille ou non, un réexamen des questions qu’elles soulèvent, non pas tant parce que ces questions sont nouvelles mais parce qu’elles sont posées autrement. Face à la déferlante des subjectivités, trancher sur tel ou tel sujet en évoquant seulement des principes généraux nous apparaissait insuffisant. Car nous sommes dans une situation historique singulière où non seulement se mêlent les héritages du passé et des problématiques nouvelles (sociales, sociétales, géopolitiques, culturelles) mais où nous assistons à l’extension permanente des champs abordés sous l’angle du racisme et par conséquent, à l’extension permanente des champs de l’antiracisme. L’ampleur du sujet exige toutefois de le circonscrire à minima. On ne saurait traiter ici de tous les racismes dans toutes les régions du monde ni même entrer dans le débat de savoir si oui ou non les persécutions de minorités qui sont nombreuses dans le monde sont motivées principalement par du racisme. Par exemple si nous estimons qu’il y a une 6 Introduction montée de l’islamophobie en Europe, considérons-nous qu’il est constitué des mêmes ressorts que celui qui prévaut par exemple en Chine avec les persécutions des Ouïghours ? Pas sûr. L’aire européenne ou des pays qui se sont engagés dans les entreprises de conquêtes et de colonisation dans la modernité constituent-ils les seuls exemples de sociétés où la question du racisme est importante, voire jugée comme structurelle ? Nous ne le croyons pas, nous pourrons à cet égard multiplier les exemples mais chaque sujet réclamerait alors un débat de spécialistes. C’est pourquoi nous nous limiterons au sujet du ou des racismes principalement en et dans les pays occidentaux1 et non des discriminations qui sont fondées sur différents critères dont certains seulement concernent le racisme et à ce sujet on peut se référer à l’abécédaire élaboré par la LDH et disponible sur son site Internet.

De nombreuses controverses L’analyse du ou des racismes est l’objet de nombreuses controverses : des notions nouvelles – qu’il s’agisse de l’approche décoloniale, postcoloniale ou encore de termes comme « racisé-e-s », « privilège blanc », « intersectionnalité », « racisme anti-Blanc », « appropriation culturelle »… – sont âprement discutées. Laïcité, libertés d’expression et libertés de création viennent aussi s’inviter dans des disputes sans fin qui scandent l’actualité. Est également posée la question de la liberté de la recherche historique comme en témoignent les débats

1. L’, ou le monde occidental, est un concept géopolitique qui s’appuie généralement sur l’idée d’une civilisation commune d’abord gréco-romaine puis chrétienne et enfin rattachée à la philosophie des Lumières, sur la démocratie et sur des « valeurs ». L’idée d’une unité de cette sphère est contestée par certains mais de par son utilisation, le concept est opérationnel au moins pour désigner une représentation largement partagée. 7 Lutter contre le racisme occasionnés par ce que certains appellent des lois mémorielles tandis que d’autres contestent cette appellation. La LDH travaille sur ces sujets à travers l’Observatoire de la liberté de création et les groupes de travail (« Laïcité », « Libertés et technologies de l’information et de la communication », « Lutte contre les extrêmes droites », « Femmes, genre, égalité », « Mémoires, histoire, archives ») qui sont concernés. Tous ces travaux nourrissent en transversalité la réflexion qui est ici proposée sur différents débats autour de la laïcité, de la remise en cause de l’universalisme, de la notion de droit à la différence, des relativismes mais aussi de l’usage politique du ou des racismes qui appelle à une actualisation de nos analyses.

L’émergence de nouveaux acteurs D’autant que l’émergence de nouveaux acteurs qui s’engagent eux-mêmes contre le racisme spécifique qui s’exerce sur tel ou tel groupe soulève de nouveaux enjeux : comment articuler la singularité et l’universalité des luttes antiracistes ? Comment éviter des mises en concurrences, des formes de hiérarchisation des racismes, voire des instrumentalisations politiques ou partisanes ? Ces interrogations structurent dans le débat public l’idée selon laquelle il existerait un antiracisme moral, porté par les organisations généralistes, auquel aurait succédé un antiracisme politique porté par les groupes qui représentent celles et ceux qui subissent le racisme. Nous ne partageons pas cette vision. L’histoire montre en effet que l’antiracisme a toujours été politique, en tous les

8 Introduction cas tel qu’il a été porté par les organisations nationales en France et que, par ailleurs, l’émergence de groupes militants ou d’associations visant à lutter contre tel ou tel racisme n’est pas non plus une nouveauté. Pour la LDH, la lutte contre le racisme ne saurait souffrir d’exclusivité ou de hiérarchisation mais il est aussi parfaitement légitime de s’organiser en tant que groupe. C’est pourquoi les coopérations sur une base partagée entre la LDH et certaines associations ou groupes qui luttent contre tel ou tel racisme spécifique sont fréquentes qu’il s’agisse de s’opposer à tels ou tels actes racistes, aux violences policières, à des propos ou des publications à caractère raciste ou encore à des projets de lois comportant des mesures discriminatoires. Mais toutes les associations, généralistes et spécifiques, n’ont pas toujours pu être rassemblées sur des fronts communs : par exemple la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) n’a pas participé à la manifestation contre l’islamophobie en novembre 2019. Il existe donc des tensions, des exclusivités ou des désaccords : c’est un fait. Cette division n’est d’ailleurs pas seulement en œuvre dans les associations : elle traverse également le champ des organisations politiques. Mais agir de façon efficace contre le racisme suppose de mener ces débats jusqu’au bout, tant sur la réalité des désaccords que sur les convergences possibles. C’est une nécessité impérieuse si l’on veut sortir de la confusion actuelle, des raccourcis, des amalgames, des anathèmes…

9 Lutter contre le racisme être de tous les combats contre le racisme La LDH, pour sa part, est de tous les combats contre le racisme, quelles que soient ses formes, appellations et manifestations, car les enjeux sont importants et très concrets. Non seulement la France a à répondre de son histoire et de la place faite aux citoyens et citoyennes français descendant d’esclaves, d’anciennes colonies ou appartenant aux différentes « minorités » qui constituent ce pays (y compris quand ils/elles n’ont pas adopté ou acquis la nationalité française) mais il nous revient, en tant qu’organisation de défense des droits de l’Homme, de porter des combats et de créer des rapports de forces en faveur d’une société antiraciste/ou non raciste. Pour cela, il nous faut également repérer les confusions, identifier clairement ce qui relève du racisme, combattre sans faillir les instrumentalisations dans l’actualité, de l’actualité, dénoncer et défaire autant que possible tout ce qui fabrique dans la société de la haine raciale. C’est pourquoi éclairer les débats n’est pas un exercice académique mais bien une nécessité pour l’action. Car le racisme pose des questions et appelle des réponses politiques : la première consiste à le démasquer et à l‘analyser comme phénomène historique et comme fait social et politique ; la seconde, à le dénoncer et à le combattre sur tous les terrains idéologiques, politiques, juridiques, philosophiques et culturels. Nous le constatons chaque jour : attiser la haine est l’un des moyens de fracturer la société, d’affaiblir la démocratie, de détruire les libertés, d’accentuer les inégalités voir de les justifier. Dans ce contexte, les défis qui se posent à nous sont nombreux : quelle société voulons-nous et comment agir

10 Introduction contre ses fractures ? Quelle éducation et en particulier, quel enseignement de l’histoire ? Quel respect d’une laïcité qui ne saurait être dévoyée en modes d’exclusion de telle ou telle culture ou religion ? Quelle protection de la liberté d’expression dans le cadre de la loi ? Comment combattre le racisme, tous les racismes ? Comment résister aux tentatives de faire de tel ou tel racisme – voire de tel ou tel champ de recherches – l’exclusivité dévolue à des membres du groupe concerné tout en reconnaissant que les victimes des oppressions racistes sont plus à même de relier les connaissances historiques et théoriques en général avec une connaissance intime, incarnée, des oppressions qu’elles subissent ? Ici, comme dans d’autres domaines, théories et pratiques ne s’opposent pas : elles s’épaulent. Voilà pourquoi c’est à l’appropriation d’un nouveau dictionnaire qu’invite ce fascicule : sans prétention à l’exhaustivité, sans dicter les opinions, mais en fournissant des outils pour que chacun exerce son esprit critique et agisse.

11 Lutter contre le racisme 1. PEUT-ON ENCORE PARLER D’UN SEUL RACISME ? Aujourd’hui, le terme de racisme menées par des Etats ou par est employé en englobant des groupes mais ses facteurs plusieurs de ses formes ne peuvent être ramenés à une qu’il s’agisse d’un « racisme cause unique. Chaque racisme religieux », d’ethnocentrisme, se développe dans des contextes d’un nationalisme identitaire, d’un historiques et géographiques qui racisme de supériorité culturelle sont à chaque fois spécifiques, il ou civilisationnelle, ou encore, se transforme et s’exerce sur des biologique. Si le racisme – qu’il se temps plus ou moins longs, il gagne caractérise par des discours ou des ou perd en intensité selon la période. actes – est un délit2, ses modes Il est en outre difficile de déterminer d’expression se sont complexifiés comment le racisme opère comme et les différents groupes visés facteur, comme effet, comme mettent en avant de nombreuses moyen de propagande, d’exercice spécificités. de pouvoir, d’instrument d’intérêts. C’est souvent la base d’une pensée, D’où la question qui se pose : qu’elle soit par exemple libérale, peut-on parler d’un seul et même marxiste, humaniste, utilitariste qui racisme ? va déterminer le poids que tel acteur ou telle actrice va attribuer à un Le racisme : facteur ou un autre. une construction historique En ce sens, le racisme est à aborder comme un phénomène Le racisme ou les racismes sont qui est un et divers à la fois. Il est bien une construction historique, un parce qu’il essentialise des culturelle, politique dont les individus et des groupes à partir d’un manifestations sont vastes, les attribut (couleur de peau, religion, intentions parfois masquées, les culture) auquel on associe un modes d’expression multiples. Il préjugé négatif. Il est divers parce est au cœur d’actes criminels et que d’une part, le terme englobe de véritables politiques criminelles aujourd’hui des formes variées

2. Voir sur l’expression du racisme la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, modifiée par la loi de 1972 (n° 72-54) qui punit les délits de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence d’une personne ou d’un groupe en raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, la loi Gayssot qui réprime la négation des génocides perpétrés par les nazis. 12 Peut-on encore parler d’un seul racisme ? comme le racisme religieux (par du magazine la exemple l’antijudaïsme chrétien), représentant avec une image l’ethnocentrisme (idéologie de la rappelant les singes. Cette forme supériorité d’une civilisation) ou la de racisme consistant à comparer xénophobie (haine de l’étranger) et les personnes ayant la peau noire à que d’autre part, la construction de tel des animaux rappelle bien ou tel groupe en inférieur ou ennemi évidemment le racisme biologique varie dans son contenu, son histoire, et « l’animalisation » des esclaves. ses conséquences. Voilà qui construit des expériences, des histoires, des Mais ce qui a suscité le plus de mémoires qui sont singulières. réactions a été la Manif pour tous du 25 octobre 2013 à Angers au Ces singularités et ces cours de laquelle les manifestants évolutions sont au cœur du débat qui l’attendaient devant le Palais aujourd’hui. On parle d’antisémitisme, de justice l’ont conspuée tandis de négrophobie ou de racisme qu’une fillette agitait une banane anti-Noirs, d’islamophobie, de sous les cris « La guenon, mange romaphobie, de racisme anti- ta banane ». Asiatiques et de différents types de racisme, en fonction de ce à quoi En réaction, la section de la LDH ils se rattachent historiquement. Et du Maine-et-Loire a appelé à une même si les arguments pseudo- manifestation le lundi 11 novembre scientifiques du racisme biologique 2013, à Angers, à laquelle a ont volé en éclats, l’idée raciste d’une participé un millier de personnes. inégalité des cultures ou d’inégalités D’autres manifestations sont alors de développement demeure. Elle organisées en France, notamment renvoie à un déterminisme très fort, à l’initiative des collectifs assez proche finalement du racisme d’ultramarins, Collectif Dom avec biologique. les autres grandes associations antiracistes, les grandes centrales syndicales et des mouvements de Un exemple des préjugés jeunes. Cette mobilisation n’allait raciaux : les attaques contre pas de soi, nombre d’associations Christiane Taubira lorsqu’elle faisant dans un premier temps était garde des Sceaux, prévaloir leurs approches de 2012 à 2016 spécifiques et exclusives sur le besoin de rassemblement. A Christiane Taubira a subi de l’écoute de chacune, la LDH fait nombreuses agressions racistes : finalement prévaloir l’idée que la par exemple, une caricature la lutte contre le racisme ne peut se comparant à un singe sur la page diviser, contribuant ainsi au succès Facebook d’une candidate du Front de la mobilisation. national ou encore une couverture

13 Lutter contre le racisme

D’un langage religieux, Ainsi, l’histoire des conflits puis de la raison et du religieux – avec la mise en place de statuts spécifiques selon la religion progrès, puis de la biologie au sein de sociétés européennes ou non – montre qu’il a existé – de L’un des débats actuels les plus manière universelle – ce que René vifs porte sur l’origine du ou des Gallissot appelle un « pré-racisme » racismes. Sont particulièrement religieux. Ce dernier a permis interrogés la construction de la de maintenir certaines fractions raison3 et l’usage de la science de la population en situation dans les pays occidentaux et d’infériorité : c’était le cas avec la surtout son rôle dans la capacité reconquête espagnole aux xive et à considérer d’autres êtres xve siècle et sa codification de la humains comme des moyens et « pureté du sang » qui s’appliqua des choses. Enfin, les usages de aux juifs et aux musulmans. Dans l’universalité et la période des le monde musulman, le statut de Lumières sont revisitées à l’aune dhimmis (protégés), inférieurs aux de l’histoire des conquêtes, des musulmans mais disposant de colonisations, de l’esclavage et certains droits et d’une certaine des génocides. autonomie, ne repose pas sur le En réalité, nous ne pouvons sang mais sur la religion. Ce statut pas affirmer que le racisme est s’apparente à l’antijudaïsme chrétien universel ni qu’une seule civilisation, avec des restrictions de toutes occidentale (ou européenne), est sortes y compris le port de signes comptable de toutes les formes de spécifiques comme la rouelle ou un racisme (le système des castes en chapeau. Inde par exemple en témoigne). En Sans entrer dans le détail, on revanche, des idéologies racistes peut dire que le racisme en tant qu’il spécifiques se sont élaborées en construit une altérité (un groupe) Europe au cours de son histoire. comme inférieur et/ou ennemi Toutefois, attribuer ces constructions (souvent les deux à la fois), peut à une seule cause à l’intérieur avoir plusieurs composantes : d’un ensemble qui n’est pas unifié semble simpliste : le racisme est au • l’élément religieux souvent doublé carrefour d’éléments historiques, d’un élément culturel ; politiques, économiques, • l’idéologie d’une supériorité d’une intellectuels qui varient d’une société civilisation sur l’autre et/ou d’un à l’autre et d’une époque historique stade de développement d’une à l’autre. société par rapport à d’autres ;

3. Hirsch M. « L’Ecole de Francfort : une critique de la raison instrumentale ». L’Homme et la société, 35- 36, 115-147. Cet article fait partie d’un numéro thématique sur « Marxisme critique et idéologie » (1975). 14 Peut-on encore parler d’un seul racisme ?

• l’élément biologique qui détermine Mer et il sera introduit en métropole une hiérarchie des races. sous la Troisième République en 1939. Il entrera dans le domaine On peut considérer qu’en juridique sous le régime de Vichy, Europe, l’élément religieux a dominé avec, successivement, le 3 octobre jusqu’à la fin du Moyen Age, puis 1940 et 2 juin 1941 les lois portant l’idéologie d’une supériorité de sur le statut des juifs. Le concept sa civilisation, le nationalisme et comprenant aussi une notion de enfin, le racisme biologique à partir religion sera utilisé aux Etats-Unis du xixe siècle. Mais ces différents dans le cadre de l’auto-identification éléments se sont sans doute plutôt (ou autodéclaration) et dans les sédimentés : le racisme biologique recensements. n’a pas chassé l’ethnocentrisme et Quant au terme « racisme » l’ethnocentrisme n’a pas chassé e la haine religieuse. Simplement, apparaissant au xix siècle – mais à chaque période correspond un qui n’entre dans le dictionnaire type de langage, un type de valeurs qu’en 1946 –, il est lié aux théories dominantes. Ce qui est important scientifiques dressant une hiérarchie à retenir, c’est la conjonction des groupes humains. d’éléments historiques (conquêtes, D’où vient l’idée des races ? colonisations, esclavage) et De sources sûres, elle est en partie d’idéologies qui viennent légitimer liée en Europe au scientisme. Elle l’exploitation, l’oppression et parfois se développe en même temps que la destruction de peuples ou de la classification du vivant, dans groupes jugés inférieurs. son ensemble, en espèces. Dès le xviiie siècle, le savant Linné propose Races et classification une classification des êtres humains en six variétés auxquelles on du vivant attribue des traits spécifiques. Buffon Le mot « race » est introduit distingue également six variétés 5 dans la langue française à la géographiques d’humains , qu’il toute fin du Moyen Age. Issu hiérarchise comme autant de degrés de l’italien « razza »4 – dans le de civilisation. La notion de progrès double sens de « catégorie » et est dès lors mobilisée comme l’un de « descendance » – il signifie des arguments des théories de famille et lignage et il est d’usage l’inégalité des races. aristocratique. Pour tous ces scientifiques, y En France, le concept de compris Darwin, l’homme provient « race » sera utilisé dès 1928 lors d’une souche commune et l’inégalité des débats sur les métis d’Outre- est le fruit d’une évolution. Mais

4. Henry de Boulainvilliers le suggère dans son Essai sur la noblesse de France (1732). 5. L’Histoire naturelle est imprimée d’abord à l’Imprimerie royale en 36 volumes (1749-1789). 15 Lutter contre le racisme dès le xixe siècle, les savants sont d’Etat (lois de Nuremberg, 1935). divisés sur ces questions, certains Les premiers groupes exterminés défendant au contraire une diversité en Allemagne ont été les personnes d’origine des races. Le débat souffrant d’une maladie mentale oppose d’une part des scientifiques et les handicapés, puis les juifs entre eux et d’autre part, certains (5,6 millions de morts mais la de ces scientifiques à des croyants plupart ne sont pas Allemands créationnistes pour qui l’humanité et sont exterminés dans d’autres n’a qu’une seule origine : Adam et territoires conquis par les nazis) et Eve. les Tsiganes (250 000), enfin dans l’espace du Reich, les homosexuels La thèse de Joseph Arthur de (entre 5 000 et 10 000 déportés et Gobineau6 qui associe races et 60 % décédés). Sans entrer dans civilisations dans son ouvrage sur le détail, il nous faut ici préciser que l’inégalité des races est celle d’une le racisme des nazis s’appliquait dégénérescence de la civilisation aussi et même principalement à « blanche » par les métissages. des populations « blanches » ou Cette thèse reprise par l’extrême considérées comme telles, pas droite française (voir aussi la seulement les juifs et Tsiganes théorie du grand remplacement mais aussi les habitants slaves de déjà présente dans les ouvrages Russie qu’Hitler projetait de détruire de Maurice Barrès et des nazis) ou de réduire en esclavage quand est largement relayée par des il aurait mis en œuvre son projet idéologues actuels d’extrême droite de colonisation de la Russie. Pour comme . le nazisme, l’hégémonie revient La hiérarchisation de groupes à une élite de la race blanche en humains définis par leur couleur fonction de la pureté du sang. de peau, leurs origines, des traits Quant à l’Etat français (dit physiques auxquels sont associés de « Vichy »), il a instauré un des caractéristiques psychologiques racisme d’Etat en promulguant et morales, vient consolider, le statut des juifs (publie au légitimer, des projets politiques de Journal officiel du 10 octobre conquêtes, de colonisation, d’accès 1940 et signe par Pétain). La loi à une main d’œuvre dépourvue de proclame la notion de race juive tous droits. et promulgue plusieurs mesures antijuives7 : la dénaturalisation Racismes et nazisme de tous les juifs devenus français après 1927, l’abrogation de la loi Le nazisme peut être considéré Marchandeau du 21 avril 1939 qui comme un racisme eugéniste et interdisait la propagande antisémite bien entendu comme un racisme

6. Joseph-Arthur (Comte de) Gobineau (1816-1882), Essai sur l’inégalité des races humaines (1853- 1855). Paris, Editions Pierre Belfond, 1967, 878 pages. 7. Danièle Lochak, Le Droit des juifs en France depuis la Révolution, Dalloz, 2009. 16 Peut-on encore parler d’un seul racisme ? dans la presse, la création d’un nomades sur l’ensemble du territoire fichier des juifs à la préfecture est promulgué. Les nomades de police, la création d’un statut doivent se déclarer à la gendarmerie excluant les juifs de tout poste et sont astreints à résidence. dans la fonction publique et dans Après la victoire allemande, les professions artistiques. Suit les Tsiganes sont internés aussi en une loi accordant aux préfets le zone libre dans deux camps, celui pouvoir d’interner « les étrangers de Lannemezan et celui de Saliers de race juive », le recensement (Bouches-du-Rhône), le seul camp et l’apposition d’inscriptions sur d’internement réservé exclusivement toutes les entreprises gérées par aux nomades. des juifs (« Judisches Geschäft » soit entreprise juive), l’obligation de Un peu plus de 6 000 Tsiganes porter l’étoile jaune et la mention ont été internés par familles juive sur les cartes d’identité, enfin, entières. Le 15 janvier 1944, l’aryanisation des entreprises. En 145 Tsiganes furent déportés de tout ce sont au moins une dizaine de France au camp de Birkenau. décrets. La trentaine de camps d’internement du territoire national Discriminations où étaient internés également des Gens du voyage : des juifs, des étrangers, des communistes et des réfractaires au un racisme d’Etat ? STO8 ne seront fermés – et leurs occupants libérés – qu’en 1946. Une autre population, les Tsiganes, est visée à travers la catégorie de Quant à la loi imposant « Gens du voyage » par toute une aux nomades un carnet série de mesures discriminatoires. anthropométrique, elle sera En effet, l’article 3 de la loi de 1912, maintenue jusqu’au 3 janvier impose aux Tsiganes, considérés 1969 date à laquelle le carnet est comme des nomades, un carnet remplacé par un livret ou carnet anthropométrique qui doit être de circulation imposé aux plus visé dans chaque commune à de 16 ans à une population non l’arrivée et au départ. Ce carnet est sédentaire désormais appelée obligatoire dès l’âge de 13 ans. Ces « Gens du voyage ». Ces mesures visent de fait une catégorie dispositions spécifiques ne seront culturelle définie par son mode de supprimées qu’en 2017. vie mais elles empruntent une autre Peut-on alors parler de racisme sémantique. d’Etat ? La France ne reconnaissant Sous Vichy, le 6 avril 1940, un pas les minorités ethniques sur son décret interdisant la circulation des territoire a contourné la difficulté

8. STO : service de travail obligatoire. 17 Lutter contre le racisme

en désignant des populations partie de la population en raison – essentiellement tsiganes, de sa « culture » comme le montre gitanes, manouches – selon leur l’exemple de fichiers « ethniques » mode d’habiter itinérant. C’est constitués irrégulièrement par ainsi qu’ont été mises en place la gendarmerie sur ces bases, des dispositions de contrôle pratiques qui ont été dénoncées et spécifiques, dérogatoires au droit combattues notamment par la LDH. commun sans pour autant afficher Ce cas d’un groupe constitué un traitement discriminatoire en en tant que tel sur la base raison de l’origine. de son mode de vie auquel Sur un plan juridique, dans la sont appliquées des mesures mesure où nombre de Roms sont spécifiques sans que celles- sédentaires et où inversement, ci puissent être formellement des forains non Roms relèvent rattachées à un racisme d’Etat administrativement de la montre que la notion doit être catégorie de « Gens du voyage », examinée au cas par cas : ni ces mesures ne peuvent être banalisée, ce qui serait contre- assimilées à une discrimination productif, ni considérée d’un point ethnique ou culturelle. C’est en tous de vue strictement formel. Au les cas la grille d’analyse adoptée demeurant, c’est peut-être là que par le Conseil constitutionnel se situe la distinction entre racisme lorsqu’il a été saisi sur ce sujet d’Etat, ouvertement formalisé de questions prioritaires de et politiques discriminatoires de constitutionnalité9. Il en résulte l’Etat qui créent un ensemble de que pour obtenir du Conseil discriminations. d’Etat l’annulation d’une circulaire d’application des dispositions relatives aux évacuations de camps Qu’appelle-t-on illégaux10, il faut démontrer un « crime contre l’humanité » ? ciblage spécifique des Roms. Le crime contre l’humanité11 est Un autre sujet est celui du défini pour la première fois en racisme institutionnel envers 1945 par la Charte de Londres du ces populations. Dans les faits, Tribunal militaire international plus cette logique sur les « Gens du connu sous le nom de procès voyage » a directement ciblé une de Nuremberg. Cette notion est

9. CC n° 2010-13 QPC 9 juillet 2010, M. Orient et autres §6. Sur le principe de fraternité : le Conseil constitutionnel a réitéré son analyse puisque les lois relatives à l’accueil des gens du voyage « n’instituent aucune discrimination fondée sur une origine ethnique et ne méconnaissent pas non plus le principe de fraternité » (CC n° 2019-805 QPC du 27 septembre 2019, Union de défense active des forains et autres §17). 10. CE 7 avril 2011, n° 343.387, Rec. Lebon : annulation pour discrimination fondée sur l’origine ethnique des personnes, s’agissant d’une circulaire visant à mettre en œuvre les dispositions d’évacuation des camps, qui demandait aux forces de l’ordre de cibler prioritairement les Roms. 11. La notion a été créée par Hersch Lauterparcht, juriste britannique, conseiller au procès de Nuremberg. Cf. Philippe Sands, Retour à Lemberg, Albin Michel, 2017. 18 Peut-on encore parler d’un seul racisme ? alors attachée explicitement aux Faut-il garder le mot « race » seuls crimes commis par les dans la Constitution ? nazis. Les choses changent avec la création, en 1998, de la Cour Le 12 juillet 2018, les députés pénale internationale (CPI) qui français ont voté pour la est le seul tribunal permanent suppression dans l’article 1er de chargé de sanctionner les crimes la Constitution du mot « race » contre l’humanité, en dehors des et l’ajout du critère de sexe juridictions nationales des Etats dans le cadre de la révision de ayant placé ces incriminations dans la Constitution. Mais dans la leur droit pénal. C’est l’article 7 du mesure où il faut un accord entre Statut de Rome, traité fondateur de l’Assemblée nationale et le Sénat, la CPI, qui recense les crimes de en réalité ce vote n’a eu aucun droit commun considérés comme effet, un accord avec le Sénat ne des crimes contre l’humanité dès s’étant pas produit. lors qu’ils sont commis sur ordre « dans le cadre d’une attaque Au demeurant, sur un plan généralisée ou systématique juridique, cette suppression dirigée contre toute population entraînerait des incohérences civile ». Ce sont des crimes insurmontables, le terme imprescriptibles. Ils concernent les restant inscrit, à deux reprises, exterminations, les massacres de dans un autre texte à valeur populations civiles, l’esclavage, constitutionnelle, le préambule de le viol et de manière générale la la Constitution de 1946. Au premier persécution de tout groupe pour alinéa (« […] le peuple français des motifs politiques, raciaux, proclame à nouveau que tout être religieux, sexuels. Mais tous les humain, sans distinction de race, Etats n’ont pas signé le traité de de religion ni de croyance, possède Rome et les obstacles juridiques des droits inaliénables et sacrés ») e et politiques pour que soient jugés et au 16 alinéa (« La France forme tous les crimes contre l’humanité avec les peuples d’Outre-mer une sont nombreux. Union fondée sur l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de Parmi les crimes contre race ni de religion »). l’humanité, certains sont des génocides reconnus par l’ONU Ce vote a donné lieu à de et l’ensemble des spécialistes et nombreux débats. Tout d’abord, experts en droit international : les l’expression « sans distinction de Arméniens (1915), les juifs et les race » ne constitue nullement une Tsiganes (1941-45) et les Tutsis du reconnaissance de l’existence des Rwanda (1994). races mais plutôt la reconnaissance et la condamnation du racisme qui

19 Lutter contre le racisme repose sur la distinction de races. • ce terme doit être conservé parce C’est en ce sens qu’auditionné 12 qu’il a un contenu politique, comme à l’Assemblée nationale le trace et comme témoignage ; 15 septembre 2020, Michel • sa suppression mettrait en cause la Tubiana, président d’honneur de notion même de racisme ; la LDH, a exprimé la position de • son maintien permet de qualifier et la LDH : « Nous n’étions pas et ne de punir les actes racistes. sommes toujours pas favorables à la suppression de ce mot dans la constitution. Tout d’abord, parce Race, racisé-e-s, racialisation que nous conserverions le mot d’antiracisme, qui inclut le mot race. La remise en cause de la notion de Aussi, le racisme est passé par race n’a pas fait disparaître le plusieurs créneaux : un créneau racisme, cette construction sociale biologique, mais aussi, et de qui permet à un groupe, plus en plus, un créneau social. essentiellement majoritaire, de Devant l’impossibilité d’identifier rejeter et/ou de discriminer les des races au sens biologique membres d’un groupe minoritaire du terme, ou devant l’absence considéré comme inférieur. Des de pertinence de cette notion, la sociologues utilisent le terme question des conséquences du « racisé » qui apparaît chez racisme et des discriminations Colette Guillaumin14 pour décrire se déplace sur le terrain social, le processus d’assignation de et va donc frapper des gens personnes à un groupe suivant des indépendamment de l’affirmation critères subjectifs. Avec le mot de hiérarchies biologiques, mais à « racisé », il s’agit de faire porter travers l’affirmation de hiérarchies sur les racistes l’acte de construire culturelles, économiques et sociales. la race et de développer des Supprimer le mot race serait donc préjugés et des pratiques racistes. une manière de nier la vie des Mais le terme est contesté car il mots. » peut conduire à essentialiser les victimes du racisme ou à les Pour de nombreux militants, enfermer dans un déterminisme. chercheurs, juristes13 qui s’opposent, comme la LDH, à la suppression de La racialisation est une notion qui ce terme dans la Constitution : peut s’entendre sous deux

12. Mission d’information sur l’émergence et l’évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter. 13. « La race : une catégorie juridique ? » Danièle Lochack in Actes du colloque Sans distinction de... race (27 et 28 mars 1992) publiés par les Presses de la FNSP, revue Mots n° 33. https://www.persee.fr/ doc/mots_0243-6450_1992_num_33_1_1760 14. Colette Guillaumin, L’Idéologie raciste : genèse et langage actuel, La Haye, Mouton, 1972.

20 Peut-on encore parler d’un seul racisme ? aspects : l’attribution d’une détermination raciale à des rapports sociaux, à des situations sociales ou à des comportements. Il s’agit alors généralement de dénoncer la racialisation des rapports sociaux mais aussi de lui attribuer un rôle déterminant en particulier dans le maintien des populations « racisées » dans des rôles sociaux subalternes ou des classes sociales les plus défavorisées ; ou bien, la racialisation peut désigner une idéologie : l’assignation identitaire, l’essentialisation, le différentialisme. Pour celles et ceux qui critiquent ce concept, le rôle déterminant qu’on attribue à la racialisation dans les rapports sociaux met à mal les identités de classes et les luttes qui peuvent s’y référer.

Ces débats rappellent fortement les désaccords conceptuels ou stratégiques sur l’importance du genre dans les rapports sociaux.

21 Lutter contre le racisme 2. NOMMER LES RACISMES La manière dont on nomme le recyclant les thèmes classiques de racisme ou tel ou tel racisme est un l’antisémitisme et de l’antijudaïsme. enjeu de taille. Nommer, c’est en Aujourd’hui, le réemploi de effet, faire exister. cette expression vise à marquer Concernant les juifs, il a la différence entre l’antisémitisme existé un antijudaïsme chrétien issu du contexte sociopolitique et dans une moindre mesure, international contemporain et un antijudaïsme musulman. Les l’antisémitisme radical associé musulmans reconnaissent les juifs au régime nazi et à une idéologie et les chrétiens comme les « gens raciale. Son usage a été popularisé du Livre ». par la publication en 2002 d’un essai du politologue et historien des Débattre sur une continuité entre idées Pierre-André Taguieff intitulé différentes formes de « racismes » La Nouvelle Judéophobie, suivi, antijuif dans des périodes différentes en 2004, de Prêcheurs de haine et des zones géographiques et et de Traversée de la judéophobie culturelles variées revêt sans doute planétaire. Dans l’acception un intérêt mais ne renvoie pas aux proposée par le chercheur, ce principaux débats actuels. C’est terme est contesté car d’une part, pourquoi nous nous intéressons ici il semble minimiser la persistance aux dénominations et aux formes d’un antisémitisme en Europe et aux modernes des racismes envers les Etats-Unis (d’extrême droite) dont juifs. les thèmes principaux ont peu varié et d’autre part, il désigne de manière La judéophobie trop exclusive l’antisémitisme des pays et des peuples arabes et/ou Ce terme a été forgé, en 1882, par musulmans, de l’islamisme et de Léon Pinsker, un penseur russo- l’extrême gauche. polonais pour désigner la montée de l’antisémitisme – notamment la multiplication des pogroms – et L’antisémitisme encourager les juifs à un projet Bien que le terme « sémite » d’autodétermination nationale. Il a désigne un ensemble linguistique été repris durant les années 1990 spécifique large (hébreu, pour désigner des formes d’hostilité arabe, araméen,...), le terme aux juifs se présentant comme de « antisémitisme » inventé en l’antisionisme (d’extrême droite Allemagne, en 1879, ne renvoie et/ou d’extrême gauche) tout en

22 Nommer les racismes qu’à une hostilité envers les juifs. La notion de sémitisme est enfin C’est ce que montrent d’ailleurs employée dans des termes raciaux, les nombreuses publications les sémites étant opposés alors aux antisémites qui fleurissent dès la fin peuples indo-européens et/ou à la du xixe siècle. race aryenne. La haine des juifs en Occident repose traditionnellement sur La fondation de la Ligue une base religieuse opposant le des droits de l’Homme (LDH) chrétien au juif accusé notamment de déicide. Mais dès le xixe siècle, et l’affaire Dreyfus son contenu change et les thèmes La LDH s’est constituée en 1898 développés, dans les organes au cœur de « l’Affaire », dans de presse et chez les auteurs le mouvement qui réagissait au antisémites, ne se réfèrent plus déferlement de l’antisémitisme en principalement aux aspects France et défendait l’innocence religieux. Chez les conservateurs du capitaine Dreyfus victime d’une comme chez les socialistes et machination judiciaire. Mais, dès sa les anarchistes15, l’antisémitisme fondation, l’association a précisé prend la forme d’une critique qu’elle le défendait non parce qu’il sociale contre un groupe accusé était juif mais en raison de l’injustice de représenter une puissance dont il était victime. Son premier financière et par conséquent, Manifeste affirmait : « Le condamné politique. Ce n’est qu’à la fin du de 1894 n’est pas plus juif à nos xixe siècle que les organisations yeux qu’un autre, à sa place, ne de gauche abandonnent en partie serait catholique, protestant ou l’antisémitisme social qualifié alors philosophe. Nous ne voyons en lui de « socialisme des imbéciles »16. qu’un citoyen dont les droits sont L’antisémitisme devient alors les nôtres et nous repoussons, un thème porté principalement par comme un recul inattendu des l’extrême droite conservatrice ou idées de liberté, les distinctions de révolutionnaire et/ou nationaliste. sectes qu’on prétendrait établir en Les antisémites accusent les juifs sa personne ». Et elle s’est donné de bolchévisme, de cosmopolitisme, pour but, de manière générale, d’internationalisme, puis de « d’assurer le respect des droits complicité avec l’Allemagne de l’Homme et du citoyen » et (thématique du juif allemand). de prendre la défense de « toute On oppose les juifs français personne dont la liberté serait aux « Français de France » ce menacée et dont le droit serait qui renvoie au terme actuel de violé ». Ce cadre universaliste qui « Français de souche ». l’a conduit, en particulier, à prendre aussitôt la défense des Arméniens

15. Pierre-Joseph Proudhon, Carnets, 1847. 16. Le Parti ouvrier. 13 mars 1890. 23 Lutter contre le racisme victimes de massacres dans alors essentiellement l’antisémitisme l’Empire ottoman, est celui dans – et dans l’opposition résolue lequel la LDH a inscrit son action à au nazisme qui avait commencé sa naissance et auquel elle s’efforce ses massacres antisémites, d’être fidèle aujourd’hui. cela a suscité à son encontre de nombreuses critiques de la part de Cette perspective universaliste ceux qui défendaient « l’esprit de n’a pas toujours été partagée ni Munich », le « pacifisme intégral » comprise. Symptomatique est la et la paix à tout prix. L’orientation grave crise qu’elle a connue au majoritaire résolument antifasciste cours de sa première décennie de la LDH a conduit de nombreux d’existence autour de la question ligueurs à combattre dans la de la prise en compte des droits Résistance. économiques et sociaux en tant que droits de l’Homme. Près d’un Le phénomène colonial suivi tiers de ses membres, au discours des guerres de décolonisation a républicain mais qui ne voulaient représenté un nouveau défi pour pas voir les injustices du capitalisme la vision universaliste portée par la ni prendre en compte la demande LDH lors de la fondation. Ce n’est d’une République sociale, ont qu’en se dégageant, avec Daniel désapprouvé la position défendue Mayer, lors du combat contre la par son président de l’époque, guerre d’Algérie et pour son droit Francis de Pressensé, ami de à l’indépendance, de l’illusion Jaurès, lors d’une autre machination coloniale républicaine qui l’avait judiciaire qui a frappé cette fois, longtemps influencée, qu’elle en 1910, le docker charbonnier a renoué avec l’universalisme du Havre Jules Durand. La LDH conséquent affirmé à ses débuts. a alors le soutien d’une partie des dreyfusards, mais certains comme Clemenceau, Picquart ou Briand Colonialisme et antisémitisme ne soutiennent pas cette cause. Ou En Algérie, de nombreux groupes encore de l’un des premiers soutiens et journaux font de l’antisémitisme d’Alfred Dreyfus, Joseph Reinach, le fer de lance d’une « restitution » premier historien de l’Affaire, qui, aux Français de la France et comme d’autres personnalités de l’Algérie. Ces colonialistes socialement conservatrices, n’a contestent le décret Crémieux, pas étendu à l’ouvrier Durand son promulgué le 24 octobre 1870, indignation quelques années plus qui accorde d’office la citoyenneté tôt vis-à-vis du sort de l’officier juif française aux 37 000 juifs d’Algérie. victime d’antisémitisme. Ils le contestent par antisémitisme Ensuite, si, à la fin des années d’une part et parce qu’ils craignent 1930, elle est restée ferme, avec l’extension de ces droits aux son président, Victor Basch, dans le musulmans, lesquels ont été refus du racisme – mot qui désignait maintenus dans le statut d’indigène. 24 Nommer les racismes

La perception par les juifs Sous Vichy, le décret du d’Algérie de la loi Crémieux17 a été 7 octobre 1940 retire la nationalité variable selon leur statut social française aux juifs d’Algérie. Après le et leur appartenance à un milieu débarquement des alliés en Afrique rural ou urbanisé, d’autant qu’elle du Nord, la législation de Vichy est s’accompagnait de l’ingérence sur abolie (ordonnance du 14 mars les cultes et les traditions par des 1943) cependant à la demande du institutions juives de métropole nouveau gouverneur d’Algérie le soucieuses d’alphabétiser et de décret Crémieux est aboli pour être « civiliser » ces juifs « indigènes ». ensuite rétabli par le Comité français L’accès à la nationalité française de libération19. apportait des avantages indéniables Ainsi, comme le montre Jean- en particulier en termes de Paul Honoré, en métropole comme scolarisation des enfants et dans les colonies, l’antisémitisme pour les adultes, d’accès à des est au carrefour d’un de métiers qui avaient pu leur être plusieurs racismes et d’intérêts refusés antérieurement mais elle politiques. Il sert à rassembler sous s’accompagnait d’une délégitimation la même bannière des courants des modes de vie, des modes de politiques ou idéologiques parfois croire et de s’organiser en tant fort éloignés20. que communauté dotée d’une culture propre intégrant les apports La nature des préjugés contre (linguistiques, musicaux, littéraires) les juifs et l’ampleur des crimes du monde berbéro-musulman- commis pendant la Seconde Guerre arabe18. mondiale, jusqu’au négationnisme qui nie l’existence des chambres Ce décret a par ailleurs créé à gaz et de l’extermination, une fracture entre les communautés confère bien une spécificité à juives et musulmanes d’Algérie. l’antisémitisme. Le succès toujours D’autant qu’en même temps, la actuel des Protocoles des sages troisième République a abrogé de Sion, un faux antisémite le sénatus-consulte (décret impérial) commandé par la police secrète du 14 juillet 1865, qui permettait aux du tsar de Russie qui accusait en musulmans et aux juifs d’Algérie 1905 les juifs d’être à l’origine d’une d’accéder à la nationalité française conspiration mondiale, en témoigne : en renonçant à leur statut personnel il situe bien le conspirationnisme et qui fut un échec. moderne comme une des formes de l’antisémitisme.

17. En 1865 avec le sénatus-consulte du 14 juillet, la France ouvre la possibilité aux « indigènes » (juifs et musulmans) d’accéder à la pleine citoyenneté française, moyennant la perte de leur statut personnel (notamment un système juridique propre). 18. Nous avons créé ce terme pour rendre compte de la diversité des cultures algériennes. 19. Déclaration du 21 octobre 1943. 20. Le Vocabulaire de l’antisémitisme en France pendant l’affaire Dreyfus. Jean-Paul Honoré. Mots. Les langages du politique Année 1981 2 pp. 73-92. 25 Lutter contre le racisme

Antisionisme et antisémitisme différentes : le refus de l’existence de l’Etat d’Israël en tant qu’Etat Le sionisme est un mouvement juif ou la critique de la politique politique de la fin du xixe siècle, israélienne colonialiste envers les visant à la création d’un Etat Palestiniens, ou encore celle des rassemblant l’ensemble des juifs politiques discriminatoires envers en Palestine, qu’on les considère les Palestiniens de nationalité comme formant un peuple ou non. israélienne. Ses inspirations sont diverses, Le débat récent sur qu’elles se fondent sur l’idée d’auto- l’antisionisme et l’antisémitisme est détermination d’un peuple, sur l’idée en particulier lié à cette ambiguïté, d’un foyer juif et bien plus tard d’une ambiguïté que de toutes parts, on se nation, sur une utopie socialiste, garde souvent de lever. La définition un messianisme religieux... Sans opérationnelle de l’antisémitisme entrer dans le détail, on observe adoptée par l’Alliance internationale que ce mouvement ne fut pas pour la mémoire de l’Holocauste monolithique21 et qu’il connut au (Ihra)23 et proposée aux Etats qui sein même des mouvements juifs de l’ont adoptée en nombre (y compris nombreuses oppositions. Enfin, les l’Assemblée nationale en France24 le sionismes ne peuvent être pensés 3 décembre 2019 malgré une forte en soi, indépendamment du droit à opposition) en fournit une nouvelle l’autodétermination des Palestiniens. illustration. Pour Denis Charbit, le sionisme Cette définition est introduite est d’abord un mouvement de la manière suivante : d’émancipation. Mais pour Maxime « L’antisémitisme est une certaine Rodinson, et plus encore pour perception des juifs, pouvant Ilan Halevi22, le sionisme est un s’exprimer par de la haine a colonialisme. Quoi qu’il en soit, c’est leur égard. Les manifestations bien la montée de l’antisémitisme rhétoriques et physiques de en Europe, les persécutions et l’antisémitisme sont dirigées contre les discriminations subies par les des individus juifs ou non-juifs et/ juifs qui ont renforcé l’influence de ou leurs biens, contre les institutions ce mouvement pour aboutir à la de la communauté́ juive et contre naissance de l’Etat d’Israël en 1948. les institutions religieuses juives. Dans ce contexte, l’antisionisme En outre, l’Etat d’Israël, perçu peut comporter deux significations comme une collectivité́ juive, peut

21. Charbit Denis, « Les sionismes au xxe siècle, entre contextes et contingences », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2009/3 (n° 103), p. 27-46. DOI : 10.3917/ving.103.0027. URL : https://www.cairn.info/ revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2009-3-page-27.htm 22. Bruit Guy. Ilan Halevi, « Question juive : la tribu, la loi, l’espace », 1981. In: Raison présente, n°63, 3e trimestre 1982. Raison et déraison. pp. 162-166. 23. « Définition de l’antisémitisme de l’Ihra : attention, danger ! » Lettre ouverte de Malik Salemkour, président de la LDH, adressée aux députés suite à la proposition de résolution Sylvain Maillard. 24. Résolution nº 361, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à lutter contre l’antisémitisme. 26 Nommer les racismes

aussi être la cible de ces attaques. • elle crée une exception en donnant Dans les affirmations antisémites, une définition et un contenu il est fréquent que les juifs soient « officiels » à un racisme en accusés de conspiration contre particulier ; l’humanité́ . » Suivent une série • elle n’est justement pas d’exemples qui sont nombreux à opérationnelle car ne permettant concerner l’Etat d’Israël. pas d’identifier clairement ce qui La Ligue des droits de relève du délit de racisme. l’Homme, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), de nombreuses Le racisme anti-asiatique, associations et intellectuels se sont anti-Chinois opposés à cette définition pour plusieurs raisons : « Nous avons été combattants pour la France, enfants des colonies, • elle est considérée comme boat-people ; nous sommes particulièrement indigente comme devenus médecins, comédiens, définition de l’antisémitisme au artistes, pharmaciens, éboueurs, regard des différentes composantes chefs de cuisine… Ensemble, nous 25 de l’antisémitisme ; pouvons changer les choses ! » . • elle est trop focalisée sur la Tels sont les propos que l’on question de l’Etat d’Israël et découvre dans la courte vidéo contribue ainsi à renforcer ce « Asiatiques de France » publiée qu’elle prétend combattre : sur une plateforme en ligne en l’assimilation des juifs aux mars 2017 qui rassemble une Israéliens même si, par ailleurs, elle vingtaine de personnes issues de précise que ce n’est pas la critique l’immigration asiatique. de la politique de l’Etat d’Israël qui En France comme en est en jeu ; Amérique du Nord, les asiatiques • elle tend à assimiler l’antisionisme sont souvent associés à l’image – sans en donner une définition de « minorité modèle », qui est précise – avec l’antisémitisme et parvenue à mieux s’insérer que les crée donc un délit d’opinion autres populations immigrées. Ces politique car la frontière entre la stéréotypes « positifs » tendent à critique de la politique de l’Etat masquer les discriminations qui d’Israël et la remise en cause de visent les personnes asiatiques son existence n’est pas toujours en France, qui sont longtemps aisée à établir ; restées ignorées et sous-estimées

25. Chuang Ya-Han, Le racisme anti-Asiatiques, entre oubli et mépris, dans : Omar Slaouti éd., Racismes de France. Paris, La Découverte, « Cahiers libres », 2020, p. 199-214. URL : https://www. cairn.info/racismes-de-france--9782348046247-page-199.htm 27 Lutter contre le racisme dans l’imaginaire collectif ou au En 2017, un Collectif asiatique sein des sciences sociales et des décolonial (CAD), composé mouvements antiracistes. exclusivement d’asiatiques est créé : il dénonce le racisme anti-asiatique Aussi le sujet du racisme y compris quand il se présente sous anti-Asiatique n’a-t-il surgi que la forme positive du « mythe » d’une récemment. Suite à des agressions immigration bien intégrée. Il entend racistes dans le 20e arrondissement construire des alliances avec les de Paris, une première manifestation autres groupes « racisés ». dénonçant ce racisme a été organisée en juin 2010 puis suivie Début 2020, face à la flambée par d’autres mobilisations face à de propos racistes contre les la multiplication des agressions asiatiques, notamment sur les contre des Chinois, notamment à réseaux sociaux, a été lancé le Aubervilliers. hashtag #jenesuispasunvirus, fruit de la mobilisation militante de Plusieurs incidents récents l’association des jeunes chinois. mettent en lumière la banalité du racisme et des préjugés racistes envers les asiatiques. En août 2016, La négrophobie Chaolin Zhang, un couturier chinois, ou racisme anti-noir a été assassiné à Aubervilliers lors d’un vol à l’arraché. Sa mort tragique Le terme est utilisé pour désigner a provoqué des contestations le racisme contre les Noirs massives de la part des populations quelles que soient leurs origines. asiatiques vivant dans la région La négrophobie est en partie parisienne, qui exigent des mesures liée à l’histoire de l’esclavage26 de prévention (comité de pilotage et se manifeste donc fortement au sein de la préfecture, installation dans les régions et pays ayant de caméras de surveillance, pratiqué l’esclavage de façon séances de médiation et de plus ou moins intensive. Elle conscientisation à l’école, etc.). À résulte également des préjugés la fin de l’année 2019, l’apparition colonialistes sur une pseudo du nouveau coronavirus en Chine nature africaine « en retard », réactive une vague de sentiments préjugés encore récemment racistes anti-asiatiques, comme énoncés par un président de en témoigne la forte diffusion de la République française. Les l’emploi de certaines expressions stéréotypes renvoient donc à la telles qu’« alerte jaune » ou « virus fois à une « animalisation », à une chinois »… infantilisation et ils traduisent de manière générale un racisme de supériorité.

26. Ce sujet est développé dans la partie historique. 28 Nommer les racismes

En 2018, l’enquête annuelle AborigènesComptent ») a fait de la CNCDH sur le racisme, florès sur les réseaux sociaux, l’antisémitisme et la xénophobie27, les protestations ont été axées dressait un constat paradoxal. Au sur le traitement réservé à cette niveau des opinions, les personnes population victime de massacres, noires constituent, avec les juifs, d’expropriations et d’incarcérations la minorité́ la mieux acceptée en massives depuis l’arrivée des colons France. Pourtant, du point de vue blancs au xviiie siècle. des comportements, elles sont En France, le 2 juin 2020, plus parmi les plus discriminées ; sur de 20 000 personnes répondent les réseaux sociaux, dans l’accès à l’appel à manifester du Comité aux biens et services ou dans les pour la vérité pour Adama, ce stades s’exprime un racisme anti- jeune homme, mort à 24 ans sur Noirs extrêmement cru, animalisant le sol de la caserne de Persan et violent, construit par opposition a (Val-d’Oise), à la suite d’une une norme blanche. interpellation, en juillet 2016. La mort de George Floyd, La LDH qui s’était associée aux littéralement étouffé le 25 mai 2020 différentes manifestations du Comité lors d’une interpellation policière pour la vérité pour Adama et aux aux Etats-Unis et les vidéos manifestations contre les violences insoutenables relayées dans le policières a pris l‘initiative d’une monde entier ont provoqué une tribune publiée par Libération, onde de choc internationale. Face le 1er juillet 202028, et signée par à la cruauté de ce meurtre, au de nombreuses associations et cynisme des policiers, chaque pays personnalités. s’est trouvé confronté, en fonction Tout comme la vague #MeToo de son histoire, à la question du avait révélé dans le monde entier racisme envers les Noirs. La même non seulement l’importance et le semaine, João Pedro, un jeune Noir caractère mondial des violences de 14 ans, était lui aussi abattu par faites aux femmes, mais aussi la police à Rio de Janeiro. Dans ce une exigence de justice et de pays où 56 % de la population est protection, Black Lives Matter a noire, le racisme est ancré au plus soulevé un mouvement international profond de la société. En réaction, de protestations en faveur de un Black Lives Matter jaune et vert a l’égalité raciale et a donné un nouvel vu le jour au Brésil. élan aux militants qui dénoncent les En Australie, où le hashtag discriminations et le racisme dans la #AboriginalLivesMatter (« #LesVies police.

27. Rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, focus : lutter contre le racisme anti-Noir, CNCDH, 2019. 28. Tribune collective « Vérité et justice », Libération, 1er juillet 2020. 29 Lutter contre le racisme

Les polémiques Au fil des années, cette pratique sur le « blackface » est sortie des théâtres pour se répandre dans tous les champs de C’est une réalité peu connue mais le la culture américaine, notamment « blackface » a une double origine : le cinéma. En 1915, La Naissance d’abord, des spectacles dans les d’une nation (The Birth of a Nation marchés des grandes métropoles de D.W. Griffith), l’un des films du Nord des Etats-Unis29 (Blancs fondateurs de l’histoire du cinéma, grimés en Noirs), ensuite, des suscita des mouvements de spectacles30 que les esclaves noirs protestation des populations noires donnaient dans les plantations, à dans tout le pays en raison de ses la demande des maîtres, pour les représentations racistes des Noirs. divertir (Noirs grimés en Blancs). Quinze ans plus tard pourtant, le premier film parlant, Le Chanteur En Europe, des Blancs sont de jazz, d’Alan Crosland, utilisait, lui grimés en Noirs dans le théâtre aussi, le procédé du « blackface ». de vaudeville (La Négresse ou le pouvoir de la reconnaissance Une analyse plus nuancée de Radet et Barré, 1787) tandis indique que, comme tradition qu’outre-Atlantique, ce sont aussi populaire, le « blackface » n’a pas des vaudevilles sur la vie des Noirs, toujours été le vecteur pur et simple appelés « minstrel shows » – joués de la négrophobie : par des Blancs qui se griment le « Pour ces jeunes blancs, se visage. L’acteur le plus connu est mettre dans la peau d’un noir était Thomas Rice, qui chante et joue une stratégie pour échapper à un le rôle d’un personnage, Jim Crow, contrôle social et culturel. Une fois esclave paralysé travaillant dans les sous le masque, leurs identités de plantations du Sud et représenté jeunes immigrés irlandais, français selon tous les préjugés raciaux : ou allemands, disparaissait. Un paresseux, futile, infantile. La moyen donc, pour une « masse de chanson devint si populaire que jeunes Blancs déracinés », de se le terme sera ensuite employé forger une identité. Le « blackface » pour désigner les mesures était aussi un métissage culturel, institutionnalisant la ségrégation une image qui était renvoyée en raciale dans le sud des Etats-Unis miroir aux publics de ces quartiers dès 1876, « lois Jim Crow ». C’est inter-ethniques ; métissage qui dire de quelles lourdes ambiguïtés s’incarnait dans le maquillage qui est porteuse cette « culture laissait voir leurs peaux blanches populaire ». sous les couches de bouchons brûlés et que les mélodies

29. William-T Jr. Lhamon, Peaux blanches, masques noirs : Performances du « blackface » de Jim Crow à Michael Jackson – Editions Kargo et l’Eclat. 2011. Préface de Jacques Rancière. 30. Sylvie Chalaye, Race et théâtre : un impensé politique (Actes Sud - Papiers, 2020). 30 Nommer les racismes irlandaises chantées en dialecte publié un communiqué faisant valoir créole colportaient. Le « blackface » que dans ce cas, sont mis en scène à travers la figure du Noir devient « les clichés les plus éculés du une identité commune pour ces sauvage flanqué d’un pagne, d’un jeunes immigrés qui désormais se os dans le nez au-dessus d’une retrouvent plus dans la figure de Jim large bouche écarlate et avec, pour Crow que dans celles proposées faire bonne mesure des peintures par le répertoire de l’Amérique blanches sur le visage… ». rurale (Davy Crockett) ou du théâtre Appelant le maire de Dunkerque à anglais. Jim Crow, personnage un dialogue, l’association conclut subversif détesté de toute part, en ces termes : « Faut-il vraiment, que ce soit par les élites ou les au nom du statu quo, fragiliser le classes moyennes, était célébré respect et l’égalité auxquels toutes par ce « lumpen » qui l’érigea en et tous ont droit ? Ni la République, figure quasi politique d’une lutte ni l’ordre public, ni la fête n’y des classes en gestation…. Avec trouvent leur compte. C’est pourquoi le succès de ces spectacles dans la LDH invite la municipalité de les années 1850, le capitalisme Dunkerque à engager un débat avec étouffa la critique portée par le sérieux et le souci d’humanité le « blackface » et en fit un art que le sujet requiert. Elle l’invite à bourgeois, mercantile et raciste. enrichir la tradition carnavalesque L’identification demeura et circula en défendant ce qu’elle porte jusqu’à nous mais sous une forme de meilleur, le rire, un rire allégé cryptée : le « blackface » devint d’une histoire tissée de mépris, de une lutte sociale vernaculaire dont souffrances et de larmes. » on retrouve encore la trace dans la Concernant le fait de culture hip hop contemporaine. »31 représenter des Noirs (tableaux, photos, photomontages ou acteurs/ La LDH et le « blackface » trices avec des visages peints en noir), la LDH a eu souvent, à Depuis quelques années, le débat travers l’Observatoire de la liberté sur le « blackface » s’intensifie non de création, à défendre des œuvres seulement aux Etats-Unis mais contre des appels et des pratiques dans le monde entier. Pour la LDH, de censure, estimant d’une part que il convient d’identifier ce qui relève l’accusation de racisme relève des ou non de la pratique raciste du tribunaux, que la liberté de voir est « blackface ». Ainsi, en 2018, devant inséparable de celle de critiquer et les polémiques déclenchées au que, par ailleurs, dans de nombreux sujet du Carnaval de Dunkerque au cas, l’intention de l’œuvre était de cours duquel un groupe d’hommes dénoncer le racisme. se grime en Noirs, La LDH a-t-elle

31. Jean-Paul Lallemand, William-T Jr. Lhamon, Peaux blanches, masques noirs : Performances du « blackface » de Jim Crow à Michael Jackson, Volume !, 8 : 2 | 2011, 210-212. 31 Lutter contre le racisme

Communiqué de l’Observatoire Certains réclament de la liberté de création. paradoxalement un débat. Qu’il ait Paris, le 29 mars 2019 lieu, à la suite de la représentation que la direction de Sorbonne Une représentation des Université doit reprogrammer Suppliantes d’Eschyle par la comme elle l’a indiqué à la presse. compagnie Demodocos devait L’Observatoire de la liberté de avoir lieu lundi 25 mars 2019 à la création, dont c’est l’objet, Sorbonne dans le cadre du propose de l’organiser. Festival les Dionysies. Elle a été rendue impossible par L’islamophobie : un terme une protestation d’organisations discuté mais largement adopté défendant les « Noirs » et une organisation étudiante, D’après le Larousse, l’islamophobie demandant l’annulation au nom est « l’hostilité envers l’islam et de la lutte contre le racisme. les musulmans ». La Commission Si le « blackface » est une nationale consultative des droits de pratique condamnable, en ce qu’il l’Homme (CNCDH) le définit comme a pour objet d’humilier les une « attitude d’hostilité systématique « Noirs », en l’espèce, les envers les musulmans, les personnes motivations de la compagnie ne perçues comme telles et/ou envers relèvent ni de ce projet ni de cette l’islam ». pratique. Ce mot a d’abord été utilisé par Personne ne peut s’ériger ainsi en des administrateurs-ethnologues e censeur autoproclamé. Si certains au tout début du xx siècle pour considèrent que la pièce est décrire ce qu’ils appellent une raciste, le recours légal, ce sont les « islamophobie de gouvernement » tribunaux, lesquels n’ont pas été fondée sur la différenciation des saisis. musulmans dans le système colonial français. Ce terme s’est toutefois Il n’est pas admissible, dans une récemment largement diffusé d’abord société démocratique, que le débat en Grande-Bretagne et aux Etats- ne puisse avoir lieu autour d’une Unis puis plus tard en France. œuvre parce qu’on a empêché l’œuvre d’être représentée. Le A partir des années 2000, les public doit avoir librement accès à institutions européennes ont adopté l’œuvre pour se faire sa propre le concept. En 2004, Kofi Annan, opinion. Ce n’est pas à un groupe alors secrétaire général de l’ONU, de pression, quelle que soit la déclare : « Quand le monde est légitimité de son combat, de contraint d’inventer un nouveau s’interposer entre l’œuvre et le terme pour constater une intolérance public. de plus en plus répandue, c’est une 32 Nommer les racismes

évolution triste et perturbante. C’est le terme « islamophobie » peut le cas avec l’islamophobie ». créer une confusion entre la critique d’une religion et l’hostilité envers les Les terreaux de cette hostilité musulmans en raison de leur religion. envers l’islam et les musulmans Le terme « racisme antimusulman » (l’orientalisme médiéval imprégné leur semble plus approprié. des luttes religieuses entre le christianisme et l’islam, D’autant que, la montée l’orientalisme des xviiie siècle et en puissance de la notion xixe siècle, qui voit dans l’islam d’islamophobie a fait disparaître une culture irrationnelle enfin, le l’expression de « racisme anti- colonialisme) sont connus. Mais Arabes », alors que les deux ce racisme se nourrit aussi du notions ne sont pas synonymes; débat sur l’immigration et des d’où l’attribution d’une motivation attentats terroristes revendiqués religieuse à des actes racistes au nom de l’islam. En France, ce et discriminatoires dépourvus de contexte contribue à construire des motivation religieuse et l’assignation représentations de l’islam comme des victimes à leur religion menace à la fois extérieure et supposée. intérieure. La multiplication d’actes Islam, islamisme, islamique proprement antimusulmans (cochons32 devant les mosquées, L’islam est au centre de nombreux voiles arrachés...) et la débats en France qui croisent la stigmatisation de cette religion et de question de la laïcité et celle du droit ses croyants a contribué à imposer au blasphème. le terme d’islamophobie. Elle est Récemment, l’affaire Mila qui associée pour ses défenseurs à une concerne une jeune fille menacée tradition ethnocentrique française de mort, désormais sous protection et à une hostilité́ obsessionnelle policière après avoir, suite à des a l’égard de l’islam. La liberté́ provocations, insulté l’islam sur d’expression et l’absence de délit de les réseaux sociaux ou encore blasphème sont analysées a cette l’assassinat du professeur d’histoire aune. D’autant que la limite entre la et géographie Samuel Paty, enfin critique d’une religion et l’incitation a le procès sur l’attentat contre les la haine envers ses adeptes peut se dessinateurs de Charlie Hebdo et un montrer parfois ténue. Hyper-cacher ont relancé le débat Les opposants à ce terme ne sur la place de l’islam en France et nient pas forcément l’existence de la lutte contre les extrémismes. ce racisme mais ils estiment que

32. La provocation peut aussi être prise en compte indirectement : ainsi, le Conseil d’Etat a-t-il justifié l’interdiction d’une distribution de soupe contenant du porc, organisée par l’association « Solidarité des français », car ce projet a été « conçu comme une démonstration susceptible de porter atteinte à la dignité des personnes privées du secours proposé et de causer ainsi des troubles à l’ordre public » (CE 5 janvier 2007, n°300.311). 33 Lutter contre le racisme

L’usage des termes dans Scorsese La Dernière Tentation du ces débats est généralement Christ qui désacralisait le Christ problématique. Par exemple, avait provoqué pressions en tous la notion d’islam « modéré », genres, annulations de spectacle, d’islamisme, d’intégrisme. incendies de cinémas, attentats…

De quoi parle-t-on ? On appelle « islamismes » – le terme est réapparu en France à la L’islam s’appuie sur un texte, le fin des années 1970 – les courants Coran, livre saint et parole de les plus radicaux ou les plus Dieu révélée à Mahomet, et la extrémistes, intégristes se Sunna, enseignement et vie du réclamant de cette religion. prophète. Le mot islam signifie L’islamisme ne doit pas être « soumission à la volonté d’Allah confondu avec l’adjectif (Dieu) ». Les musulmans se « islamique » qui qualifie tout ce répartissent en deux courants qui se rapporte à l’islam. principaux : le sunnisme (84 %) et le chiisme (15 %). Près d’un quart Ce terme – islamisme – peut être de la population mondiale est contesté dans la mesure où il musulmane. Les pays qui contient la racine islam comme s’il comptent le plus de musulmans y avait une continuité entre islam sont l’Indonésie, le Pakistan, et islamisme. Le mot l’Inde, le Bangladesh, la Turquie, « intégrisme », qui peut l’Iran, l’Egypte et le Nigeria. Les s’appliquer à toute religion et Arabes sont minoritaires parmi les traduire une lecture littérale et musulmans (20 à 25 %) et il « intégrale » de la religion ne existe des Arabes chrétiens (en laissant nulle liberté Egypte, au Liban...). Selon le d’interprétation, s’il était utilisé, ministère de l’Intérieur, il y aurait le mérite d’une certaine aurait entre cinq et six millions de neutralité. Mais de fait, il n’en est musulmans en France. pas fait usage au sujet de ces courants de l’islam qui veulent Mahomet qui a créé cette religion imposer l’application rigoureuse de e au vii siècle est considéré par les la charia (loi islamique fondée sur croyants comme le dernier les préceptes du Coran) et la prophète mais il est aussi une création d’Etats islamiques. figure sacralisée au même titre que Jésus-Christ pour les Quelle est la pénétration en France chrétiens. de cet intégrisme musulman ?

Ainsi, les réactions de musulmans Le Centre français de recherche contre la désacralisation de sur le renseignement a publié un Mahomet ne sont pas propres à rapport sur le développement de leur religion : en 1988, par l’islam fondamentaliste en France exemple, le film de Martin en 2005. Il indique que l’islamisme 34 Nommer les racismes

représente 5 à 10 % de la • les « Roms », dans les pays de l’Est communauté musulmane, soit et les Balkans ; 300 000 à 500 000 personnes. • les « Sinté » et « Manouches » en En outre, 1 % des musulmans Allemagne, France et Italie ; français seraient prêts à s’engager • les Gitans et Kalé dans le sud de la ou à soutenir activement le djihad, France, en Espagne et au Portugal. soit 3 000 à 5 000 personnes. En France, ce sont les termes Enfin, selon des chiffres émanant de « voyageurs » ou « Gens du des services de renseignement voyage » qui sont utilisés pour cités dans ce rapport, en 2005, caractériser un mode de vie entre 300 et 500 jeunes Français non sédentaire ou nomade. Ces avaient rallié Al-Qaïda. désignations sont aujourd’hui contestées, en particulier parce qu’elles créent une confusion entre La romaphobie : Roms, un mode d’habitat itinérant et des Manouches, Gitans, Tsiganes aspects d’identités culturelles de populations au demeurant souvent On emploie beaucoup de termes sédentarisées. différents pour désigner une 34 population présentant de nombreux Le débat n’est pas seulement points communs dans les modes de sémantique : il renvoie à la manière vie et la culture mais rattachée à une dont sont perçues ses populations diversité d’histoires et d’ancrages et aux politiques qui leurs sont géographiques. réservées. Le terme Roms33 désigne une Lorsqu’en 1971 le congrès communauté venue de l’Inde, il mondial rom crée l’Union romani y a environ 1 000 ans. Parvenus internationale (URI), il adopte pour en Europe par l’Asie mineure et l’ensemble de ces groupes une le Bosphore, ils se sont installés dénomination commune « Roms », d’abord dans les Balkans, puis les un drapeau et un hymne. L’Union Carpates, enfin principalement en européenne (UE) et le Conseil de Europe Centrale. Leur langue, le l’Europe ont officiellement adopté le romani, d’origine indienne comprend terme « Roms » pour désigner ces divers dialectes selon les lieux différentes populations y compris géographiques. les « voyageurs » ou « Gens du voyage ». Mais qu’on les appelle Parmi les Roms européens Roms ou « Gens du voyage », (entre 10 et 12 millions, la plus forte ces populations sont celles qui minorité d’Europe), on distingue trois sont le plus rejetées et sujettes au groupes selon la façon dont ils se racisme35. nomment eux-mêmes :

33. Peut s’écrire Rroms en langue Romani. 34. Voir p. 17 sur la question du racisme d’Etat. 35. Voir les rapports de la CNCDH, en particulier celui de 2019. 35 Lutter contre le racisme

Racisme colonial et néocolonial • enfin et c’est le dernier point, ce racisme colonial et les discriminations « C’est le côté humanitaire qui l’accompagnent feraient système et civilisateur de la question au sens où de nombreuses [l’expansion coloniale]… Les races interactions au niveau des individus, supérieures ont un droit vis-à-vis des organisations, des institutions des races inférieures. Je dis qu’il y a conduiraient à ces discriminations. pour elles un droit parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures ». Origines historiques Jules Ferry, discours à la Chambre du racisme colonial des députés, 28 juillet 1885. A partir du xve siècle, quand Malgré les décolonisations, commencent les grandes les questions coloniales restent navigations, la découverte de présentes dans le débat public en nouveaux territoires s’amplifie France et dans de nombreux pays. considérablement. Lorsque les Elles interrogent : Européens découvrent ces mondes inconnus, peuplés d’individus aux • l’existence d’un lien historique entre coutumes et à l’apparence insolites colonisation et immigration et un à leurs yeux, les premières théories héritage de la colonisation dans les de l’inégalité des races font leur rapports entre le groupe majoritaire apparition. Elles servent à justifier et les minorités qui ont immigré des les conquêtes, les colonisations et pays colonisés vers le pays l’esclavage. colonisateur ; • des structures des pays La colonisation des Amériques36 colonisateurs (justice, police, école, décima les Indiens par le travail forcé administration, etc.) façonnées par et par l’introduction de nouvelles l’expérience coloniale en conservent maladies. Elle se traduisit aussi par la donc des traits et des pratiques : volonté de convertir les populations c’est ce qu’on appelle le racisme indigènes et de faire disparaître leurs institutionnel qui intervient dans des cultes et leurs cultures. discriminations dans l’éducation, Les conquêtes et colonisation l’accès au logement ou à des postes des Amériques sont suivies dès le dans les institutions ou encore dans xviiie siècle par un vaste mouvement le traitement par les institutions de colonisation d’autres régions par (police, justice, éducation nationale) ; les Européens. La France domine le

36. C’est la bulle « terra nullius » (terre n’appartenant à personne), du pape Urbain II en 1095 qui permit aux Etats catholiques de s’approprier de territoires occupés par des non-catholiques.

36 Nommer les racismes

Maghreb et le Sahel (la région située Qu’est-ce-que le colonialisme ? juste au sud du Sahara), tandis que le Royaume-Uni s’impose en Afrique orientale et australe. L’Asie aussi est Dans l’histoire de l’humanité ont largement colonisée : dans cette partie existé de nombreux empires sur des territoires géographiques du monde, la puissance principale divers et avec une durée de vie est le Royaume-Uni, qui possède plus ou moins longue. Tous ont été l’immense empire des Indes. édifiés après une période de Le principal empire colonial est conquêtes mais les modes l’Empire britannique. Il comprend, d’administration de ces empires d’une part, les colonies « blanches » ont été divers. (Canada, Australie, etc.), qui accèdent Le débat actuel sur le colonialisme progressivement à l’indépendance ne concerne ni cette histoire longue mais conservent des liens avec ni l’ensemble des constructions l’ancienne métropole par le biais du impériales mais très précisément Commonwealth, institué en 1931 ; les empires coloniaux européens. d’autre part, les colonies « non Pour Jacques Frémeaux37, les blanches », dont la principale est empires non coloniaux sont le l’empire des Indes. Elles sont gérées résultat d’une logique de selon le système de l’administration rassemblement autour d’un centre indirecte, c’est-à-dire que, dans la tandis que les empires coloniaux mesure du possible, la métropole laisse émettent à partir ce centre des en place les pouvoirs traditionnels. antennes le plus loin possible en y installant des administrations et L’Empire français est le selon les territoires, une population deuxième en importance. Il s’étend coloniale plus ou moins essentiellement en Afrique (Maghreb importante. Si l’on se tient à cette et Afrique noire) et en Indochine. distinction intéressante, l’empire Il est géré selon le système de non colonial implique une l’administration directe, c’est-à- attraction vers le centre avec un dire largement administré par des minimum d’adhésion des fonctionnaires français qui ont administrés et souvent une remplacé les pouvoirs traditionnels. adaptation de la puissance conquérante aux populations L’Allemagne et l’Italie ont peu administrées. L’empire colonial de colonies, et l’Allemagne perd les quant à lui procèderait plus par siennes en 1918. En revanche, de ingérence et transformation des petits pays peuvent avoir d’importantes sociétés administrées, de leur colonies : c’est le cas de la Belgique économie, de leurs cultures qui possède l’immense Congo et des exerçant ainsi des formes de Pays-Bas qui détiennent l’Indonésie. domination indépendantes de l’attraction qu’il exerce ou non sur

37. Frémeaux Jacques, « Les empires coloniaux : la question territoriale », Cités, 2004/4 (n° 20), p. 79- 90. DOI : 10.3917/cite.020.0079. URL : https://www.cairn.info/revue-cites-2004-4-page-79.htm 37 Lutter contre le racisme

les peuples vivant dans les du colonialisme moderne dont territoires conquis. Le colonialisme l’histoire universelle offre peu se caractériserait donc à la fois par d’exemples. Nulle part l’expansion une domination particulièrement européenne n’a donné lieu à une violente et par la doctrine justifiant synthèse culturelle de type ces conquêtes par une mission « hellénistique ». On attendait des civilisatrice, l’exploitation colonisés une acculturation les économique et la domination amenant à adopter pour une large politique et culturelle. Ce serait là part les valeurs et coutumes le « fardeau de l’homme blanc ».38 européennes sans que – à quelques exceptions près dans l’empire Premièrement39, le colonialisme portugais – on puisse relever de la n’est pas une relation entre maîtres part des colonisateurs une réelle et esclaves, mais un rapport dans contre-acculturation donnant lieu à lequel une société tout entière est l’adoption d’éléments des dépossédée de son développement civilisations dominées. historique propre pour être dirigée L’impossibilité de tels par des étrangers, et ce en fonction rapprochements a été justifiée au des besoins et des intérêts xixe siècle par l’existence de (essentiellement économiques) des hiérarchies « raciales » maîtres coloniaux. Pour le cadre prétendument insurmontables. Une théorique de la définition définition du colonialisme doit conceptuelle, il est dans un premier prendre en compte le refus de temps accessoire que, dans la s’adapter dont les colonisateurs ont pratique, les gouvernements fait preuve. coloniaux aient rarement atteint un but aussi ambitieux et que les Enfin, le troisième point est moyens leur aient souvent étroitement lié au second. Le manqués pour le réaliser. Le colonialisme moderne n’est pas colonialisme moderne repose sur la seulement une relation de volonté de mettre des sociétés domination dont la description « périphériques » au service des relève de l’histoire des structures, « métropoles ». mais dans le même temps une interprétation particulière de ce Deuxièmement, la manière dont rapport. colonisateurs et colonisés restent étrangers les uns aux autres est En France, le débat sur le très significative. Le refus colonialisme et sur ses effets est volontaire, chez ces nouveaux maîtres, d’aller à la rencontre de la très vif. Comme l’écrit Alain Gresh, culture des sociétés qu’ils ont au sujet de la tentative d’imposer soumises, est une caractéristique en 2005 un enseignement « des apports positifs de la colonisation »,

38. Rudyard Kipling, Le Fardeau de l’homme blanc, 1899. 39. Jürgen Osterhammel, « “Colonialisme” et “Empires coloniaux” », Labyrinthe [En ligne], 35 | 2010 (2), mis en ligne le 27 juillet 2012, consulté le 10 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/ labyrinthe/4083 ; DOI : https://doi.org/10.4000/labyrinthe.4083 38 Nommer les racismes les effets de la colonisation sont milieux militants et les historiens d’abord la déstructuration des porte sur le poids de la traite sociétés. Quant aux réalisations négrière atlantique (14 millions d’infrastructures dans les pays d’esclaves en quatre siècles) par colonisés, elles n’ont servi qu’à rapport à l’esclavage intra africaine l’exploitation des ressources et (14 millions d’individus en treize des personnes. Le faible apport en siècles) et à la traite orientale matière de scolarisation dans les (17 millions sur la même durée). pays colonisés en est d’ailleurs l’un Entre le xvie et le xviiie siècle, des signes les plus patents. l’esclavage touche également les Européens : des esclaves blancs Le colonialisme a connu sont capturés par des musulmans peu d’opposition. Cependant, en Europe centrale, en Italie ou en beaucoup de métropolitains, qui Espagne et conduits en Afrique du n’avaient pas d’intérêts dans les Nord pour être vendus. Et, dans colonies n’adhéraient pas à cette les plantations, on trouve aussi des politique, pensant qu’il fallait esclaves blancs mais ces derniers donner la priorité au conflit avec signent une sorte de contrat de l’Allemagne et développer et volontariat. moderniser la métropole. Il fallut donc un considérable effort de Ce débat n’est pas seulement propagande pour faire accepter statistique mais politique, d’autant cette politique coloniale. Avec les plus que la période couverte est « zoos humains », les spectacles trop importante pour disposer de « exotiques » et les « réclames » chiffres précis et que, par ailleurs, les habitants de la métropole les marchands d’esclaves ne sont amenés à adhérer aux déclaraient pas l’intégralité du préjugés racistes et à légitimer le nombre de personnes achetées ou colonialisme. L’exposition coloniale capturées. de 1931 à Vincennes en constitue D’où des positions très « l’apothéose »40. tranchées. Mais le lien entre le racisme anti-Noir, l’esclavage Esclavage et racisme et le colonialisme ne paraît pas discutable. Car si l’esclavage et le La négrophobie ou racisme anti- racisme ne sont pas imputables Noirs est largement la conséquence exclusivement aux pays occidentaux de la pratique de l’esclavage : ce la massification, de cette pratique, racisme est donc très répandu dans sa codification et sa théorisation l’aire occidentale et arabo-berbéro- le sont en revanche. Quant musulmane. à l’existence d’esclaves non Un des débats qui agite les africains, elle traduit la complexité41

40. Environ huit millions de visiteurs en sept mois. 41. Dans ce système, des esclaves noirs qui s’étaient enfuis ont pu parfois acquérir des plantations pour y faire travailler des esclaves ou bien sont devenus des marchands d’esclaves. 39 Lutter contre le racisme d’un système d’oppression qui libéraliser le commerce avec les touche également des Blancs îles et à la création de compagnies les plus pauvres. Mais seuls les de commerce négrières47. En droit Noirs se sont vus attribuer des pourtant, le Royaume de France caractéristiques d’infériorité. est un « sol libre », interdisant l’esclavage ; on peut alors C’est pourquoi le Code noir, considérer que l’Edit de 1685 est publié en 1685, représente un le premier acte du droit colonial en symbole. Il fait de l’esclavage une France, distinguant deux catégories pratique légale et codifiée, jusqu’en juridiques : le libre et l’esclave. A la 184842, au nom d’un principe de même époque, des « Codes noirs » rentabilité marchande. L’esclave, existent aussi dans les colonies être humain possédé par son britanniques d’Amérique, par maître43, devient alors un bien exemple. meuble. Cette réglementation, conçue au départ pour limiter les Le Code noir, comme le droit droits des maîtres, donne, en fait, romain, considère qu’un esclave est lieu à tous les abus. à la fois une propriété – un « bien meuble » – et un homme48. Mais Le Code noir c’est un texte ambivalent. D’un côté, il légalise l’esclavage, L’Edit de mars 1685, dont Colbert fut notamment à travers l’article 44, qui 44 l’initiateur , renommé « Code noir » assimile les esclaves à des choses, en 1718, fixe le statut juridique en l’espèce des biens meubles. Il des esclaves et les relations entre autorise les mauvais traitements, les maîtres et esclaves dans les mutilations et prévoit la mise à mort colonies françaises d’Amérique des esclaves pour toute une série rattachées au domaine royal en de cas (vols, violences). D’un autre 45 1674 . Cet édit voulu par Louis XIV côté, de nombreuses dispositions a pour but d’affirmer l’autorité de légales de l’édit reconnaissent l’Etat absolutiste dans ces territoires l’humanité de l’esclave (à travers où régnaient colons et flibustiers. son mariage catholique ou son L’intérêt économique croissant des possible affranchissement par 46 îles incite l’Etat mercantiliste à exemple) et en font un sujet de

42. De 1794 à 1802, date de son rétablissement par Napoléon, l’esclavage est aboli, en raison des principes de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. En 1848 intervient la seconde abolition de l’esclavage. 43. Olivier Grenouilleau « Qu’est-ce que l’esclavage ? Une histoire globale » 2014.50. 44. Il meurt en 1683. 45. Jean-François Niort, L’Esclave dans le code noir de 1685. Presses universitaires de Rennes. pp 221-239. 46. Politique économique mise en place par Colbert pour favoriser le développement des manufactures du Royaume. 47. Olivier Pétré-Grenouilleau, « Et la France devint une puissance négrière, in La France et ses esclaves », L’Histoire n° 353, mai 2010. 48. Jean-François Niort, « Faut-il brûler Colbert ? » L’Histoire n° 442 décembre 2017. 40 Nommer les racismes droit en matière matrimoniale ou de pédagogie en posant devant pouvant saisir les autorités. En les statues et les monuments définitive, c’est seulement avec des panneaux rappelant ces l’affranchissement que l’esclave, qui événements historiques et le rôle change alors de statut, devient un des personnages ou événements véritable sujet de droit. historiques représentés ? Le débat est vaste, certains arguant de L’augmentation considérable l’importance des traces de l’histoire, du nombre des esclaves – de de ce qui en témoigne et du risque 20 000 à 700 000 entre 1685 et la de vouloir « faire table rase de Révolution – et la peur des révoltes l’histoire », tandis que d’autres et du mélange se traduisent par de estiment que déboulonner certaines nombreuses restrictions des rares statues est un acte de rupture droits dont théoriquement, dispose comparable aux destructions des l’esclave. Ainsi, les édits de 1723 statues de Staline dans l’ex-Union et 1724 interdisent le mariage soviétique. « mixte » et en 1777, la Déclaration pour la police des Noirs, promulguée par Louis XVI, interdit l’entrée et Abolition de l’esclavage : le séjour des Noirs et mulâtres en luttes des esclaves métropole. et abolitionnistes Alors que le mot « noir » ou « nègre » est très peu utilisé dans L’émancipation des esclaves est le texte de 1685, sur les plantations le résultat conjugué des luttes des 49 la répartition du travail s’organise esclaves qui furent constantes mais en fonction de la couleur et introduit qui, à l’exception des révoltes de la « race » – en tout cas un préjugé Saint-Domingue et de Guadeloupe, de couleur – en créant un troisième sont mal connues et des luttes des e statut, le « libre de couleur ». mouvements abolitionnistes des xviii et xixe siècles. Faut-il déboulonner En France, l’abolition de la statue de Colbert ? l’esclavage pour toutes les colonies date de 1794 mais l’esclavage Depuis quelques années, sera réintroduit par Napoléon en des militants et militantes 1802. Après le Royaume-Uni en antiracistes demandent que soient 1807 et les Etats-Unis en 1808, la déboulonnées les statues de France interdit la traite en 1815. Colbert, ministre de Louis XIV et Mais l’esclavage ne sera finalement auteur du Code noir. réellement aboli qu’en 1848. Faut-il déboulonner ou faire Dans les représentations disparaître les traces de l’histoire et les débats historiques et esclavagiste ou plutôt faire œuvre politiques se disputent plusieurs

49. Marcel Dorigny op.cit., Les Abolitions de l’esclavage, Que sais-je, Puf, 2018. 41 Lutter contre le racisme visions relativement exclusives Justes ») mais qui, appartenant eux- les unes des autres. La mêmes à la société qui opprime, première consiste à héroïser les non seulement se mettent rarement philosophes des Lumières, les en danger mais peuvent aussi en croyants abolitionnistes et les partager certains présupposés. philanthropes comme instigateurs C’est pourquoi Saint-Domingue de l’émancipation des esclaves donc est un exemple emblématique comme, « libérateurs ». En France, des insurrections menées par les cette héroïsation s’accompagne de esclaves : les premiers esclaves la célébration de la République qui africains sont débarqués dans l’île par deux fois, en 1794 et en 1848, en 1503 et c’est en 1506 qu’éclate a aboli l’esclavage. La seconde, la première révolte qui sera suivie d’inspiration plus tiers-mondiste, met par de nombreux épisodes de en avant les intérêts concurrentiels révolte. En août 1791, la toute économiques qui auraient poussé dernière insurrection menée par la Grande-Bretagne qui avait perdu un esclave émancipé, Toussaint les treize colonies devenues les Louverture, aboutit à l’émancipation Etats-Unis à engager le mouvement des esclaves en 1793. Après le abolitionniste et à contraindre les rétablissement de l’esclavage par autres puissances coloniales à la Bonaparte en 1802, une nouvelle suivre afin que ces dernières ne révolte explose. L’armée française puissent plus tirer certains profits est vaincue, et l’indépendance des colonies. La troisième considère proclamée en 1804. Saint-Domingue que ce sont les insurrections des (la partie orientale) reprend son esclaves qui, principalement, ont nom amérindien, Haïti. En 1825, abouti à leur émancipation. Cette la France reconnaît Haïti, en troisième vision s’accompagne contrepartie d’une lourde indemnité. d’une vive critique portée contre les abolitionnistes jugés trop tièdes ou Dans les possessions françaises trop compromis50. des Caraïbes, ces révoltes se sont multipliées jusqu’en 1848 compris51. Si le poids des différents La résistance des esclaves a facteurs et acteurs est difficile à d’ailleurs pris des formes très mesurer, un point nodal est soulevé diverses52 : refus de travail, refus par les plus jeunes générations. d’enfanter, suicides et révoltes Il s’agit de la dissymétrie de pendant la traversée, le marronnage situation entre des esclaves qui (fuite d’esclaves qui se cachent et se révoltent en risquant leur vie créent des groupes de résistance), et des intellectuels, humanistes, insurrections, enfin résistance à religieux ou autres qui s’insurgent l’acculturation imposée (créole, contre l’esclavage (en somme, « des musique, médecine, cultes). 50. En 1987, Louis Sala-Molins lançait en France l’offensive à l’encontre des philosophes des Lumières, accusés de n’en avoir pas fait suffisamment et même d’avoir parfois été les complices des négriers. 51. Nelly Schmidt, L’Abolition de l’esclavage. Cinq siècles de combats XVIe-XXe, Fayard, 2005. 52. Voir Dorigny. 42 Nommer les racismes

Qui sont les abolitionnistes ? plantations concurrencées par la betterave sucrière métropolitaine, C’est dans la deuxième moitié du les enquêtes du ministère de la xviiie siècle53, en plein essor de la Marine aux Antilles qui montrent traite transatlantique, que l’esclavage produit « un état qu’apparaissent les premiers social devenu la honte d’une mouvements abolitionnistes. Ils nation » accélèrent l’abolition. appartiennent à des milieux religieux comme les Quakers Des figures de l’antiracisme anglo-saxons ou d’autres chrétiens au xixe siècle essentiellement anglo-saxons ou aux milieux se réclamant des philosophies des Lumières : Les théories racistes qui se e Montesquieu, Diderot, Condorcet, développent courant xix siècle ne Abbé Grégoire par exemple. Des rencontrent pas de résistance, au économistes libéraux s’opposent moins jusqu’à la toute fin du également à l’esclavage (les siècle. La notion de race n’est pas Physiocrates, Adam Smith). Ils discutée ; l’inégalité entre Noirs et considèrent l’esclavage comme un Blancs est vue comme un fait système à la fois moralement d’observation, même par les abominable et économiquement anti-esclavagistes tels que Victor aberrant. Ces arguments Schoelcher. Toutefois, au tournant chrétiens, humanistes, du siècle, dans un remarquable économiques se combinent le plus synchronisme, trois personnalités souvent54 chez les abolitionnistes. attaquent radicalement le racisme doctrinal. Créée en 1788, entre autres par l’abbé Grégoire, la Société des Joseph Anténor Firmin (1850- Amis des Noirs dont Condorcet est 1911), qui fut ambassadeur de membre, en fournit une Haïti en France et membre de la illustration. Elle préconise prestigieuse Société l’abolition de la traite et de d’anthropologie de Paris, publie en l’esclavage et le transfert de 1885 De l’égalité des races l’économie de plantation en humaines. Anthropologie positive. Afrique, sans esclavage. L’exemple Il entend réfuter de manière britannique (Abolition Bill, 1833), scientifique les thèses de Gobineau le précédent de Haïti, la (Essai sur l’inégalité des races multiplication de procès d’esclaves humaines, 1855) ou celles de Paul 55 aux Antilles, le déclin des Broca , membre de la même

53. Olivier Pétré-Grenouilleau, « Le siècle des abolitionnistes », L’Histoire n° 353, mai 2010. 54. Par exemple, Voltaire : « Nous leur disons qu’ils sont hommes comme nous, qu’ils sont rachetés du sang d’un Dieu mort pour eux, et ensuite on les fait travailler comme des bêtes de somme… Après cela nous osons parler du droit des gens ! », Essai sur les mœurs, édition de 1772. 55. Célèbre médecin anatomiste, qui pensait – et a tenté de mesurer – que l’aptitude à la civilisation est en relation avec la quantité de matière cérébrale. 43 Lutter contre le racisme

Société, « qui a pu croire à Des racismes polymorphes ? l’existence de plusieurs espèces En définitive, qu’ils se nourrissent humaines ». de l’intolérance religieuse, qu’ils En 1904, Célestin Bouglé (1870- soient d’inspiration coloniale et 1940), philosophe et sociologue esclavagiste, qu’ils soient fondés proche de Durkheim, par ailleurs sur l’idée de supériorité d’une membre de la LDH, publie La civilisation ou de supériorité de Démocratie devant la science. certaines « races », ces racismes Etudes critiques sur l’hérédité, la se renforcent plus qu’ils ne se concurrence et la différenciation56. concurrencent et bien, souvent, ils Il y réfute les théories de la s’imbriquent. sociologie naturaliste, notamment C’est pourquoi mettre en le darwinisme social, et celles de la concurrence les racismes revient dégénérescence liée au métissage. souvent in fine à les renforcer. Et En 1905, c’est Jean Finot (1858- la phrase de Frantz Fanon, 1922), lui aussi sociologue, qui fait « Quand on parle des juifs, paraître Le préjugé des races. Il dressez l’oreille, on parle de s’attaque au racisme pseudo- vous »57 demeure d’une lumineuse scientifique, « ces produits de actualité. l’imaginaire scientifique, accueillis de façon aveugle, sans la moindre critique… passé(s) dans les manuels d’histoire et de pédagogie » et au mythe de la race pure.

56. Voir Alain Policar, « Science et démocratie. Célestin Bouglé et la métaphysique de l’hérédité, XXe siècle ». Revue d’Histoire n° 61, 1999. 57. Peau noire, masques blancs (1952) Éditions du Seuil, 1952, « Points Essais », 2015. 44 Droit à la différence, assimilation, intégration 3. DROIT À LA DIFFÉRENCE, ASSIMILATION, INTÉGRATION Droit à la différence, assimilation, l’oppression que leurs ascendants intégration, communautarisme, ont subie de la part de cette même séparatisme : ces questions nation. renvoient à un débat ancien mais Par ailleurs, en France, le sans cesse renouvelé, souvent de modèle assimilationniste a été manière polémique. appliqué de différentes façons On oppose généralement le en fonction des périodes et/ou modèle multiculturel qui laisse place des populations ciblées. Dans la à une vie en communauté régie à période de l’entre-deux-guerres, l’interne par les différentes cultures on parlait aussi « d’assimilabilité » au modèle intégrationniste souvent pour caractériser (et hiérarchiser) revendiqué par la France. Dans différents groupes d’immigrés. cette conception républicaine, les Bien qu’il y ait déjà des débats sur identités culturelles ou religieuses l’intégration, place était faite à un sont davantage perçues comme certain « droit à la différence » avec des obstacles à l’exercice de la par exemple, dans les années 1970, citoyenneté et plus généralement, des émissions télévisées spécifiques à l’émancipation que comme un à l’intention des étrangers ou des enrichissement culturel. cours spécifiques à l’école pour les enfants d’immigrés dans leur E. Renan conçoit la nation langue maternelle. Toutefois de comme une communauté nombreuses conditions comme imaginaire, fondée sur la libre celles de logement des immigrés volonté de ses citoyens, opposée à (les foyers de travailleurs migrants la conception allemande ethnique, créés dans les années 1950 pour fondée sur le sang et l’héritage accueillir les populations des culturel. Néanmoins, il célèbre colonies du Maghreb, puis sub- l’amour de la patrie fondé sur le sahariennes, sans parler des « riche legs de souvenirs » transmis bidonvilles et sans engager le débat par les ancêtres. Les immigré- sur l’attribution d’espaces ségrégés e-s et les minorités doivent donc pour ces populations), interrogent s’approprier et s’identifier à l’Histoire le hiatus entre le discours sur de France. Or, pour les descendants l’intégration/assimilation et les de colonisés ou d’esclaves, politiques réellement mises en cette histoire, c’est aussi celle de œuvre.

45 Lutter contre le racisme

Dans les années 1980, avec la dynamique d’intégration est une la crise économique et la prise interaction, l’acculturation comporte de conscience que l’installation des éléments de réciprocité et en France de ces populations se nourrit de formes subtiles de issues de l’ancien empire colonial reconnaissance. serait durable, la référence à Depuis les années 2000, l’assimilation en tant que « modèle un certain retour de la question français » s’est répandue dans les nationale – revendications discours politiques, faisant reposer de « souveraineté », ou de fréquemment sur les immigrés (le « spécificités » comme les terme « migrants » n’était pas utilisé notions françaises de laïcité et de à l’époque) la responsabilité de leur République – s’accompagne d’une intégration. nouvelle option, contraire à l’idée de Par la suite, s’est diffusé « droit à la différence », à savoir un le terme sociologique rejet de ce que certains sociologues d’« acculturation », plus neutre qui appellent la « super-diversité »59. traduit le rapprochement culturel A cette époque, prenant le qui est d’abord requis de la part pouls de cette ambiance, Nicolas des nouveaux arrivants pour Sarkozy fait de l’identité nationale s’intégrer dans la société d’accueil. l’axe principal de sa campagne Mais ces efforts d’acculturation présidentielle puis il crée en exigés des nouveaux entrants 2007, comme il l’avait promis, le sont aujourd’hui interrogés ou ministère de l’Immigration et de contestés, non seulement en raison l’Identité nationale provoquant de l’arbitraire administratif qui peut de nombreuses oppositions et la présider à leur évaluation mais démission de huit universitaires de aussi en raison d’une nouvelle la Cité nationale de l’histoire et de évolution de la conception du l’immigration. rapport entre « majorité » (la société d’accueil) et « minorités » La LDH s’est, quant à elle, (immigrés ou membres de divers insurgée contre une dénomination groupes culturels) qui a émergé qui apposait et opposait « identité au cours des années 1980, avec nationale » et « immigration » l’idée d’un « droit à la différence ». comme en témoigne une tribune Selon cette idée, la société globale de Michel Tubiana60, président aurait elle aussi des efforts à fournir d’honneur de l’association pour accepter les différences des « Débattre de ce que signifie être nouveaux arrivés58. Autrement dit, français n’a rien de scandaleux

58. Selon Françoise Lorcerie, cette vision de l’intégration comme processus à double sens dans lequel le migrant s’engage ainsi que la société d’accueil, tous deux étant amenés à changer en cours de route, aurait été adoptée depuis une vingtaine d’années (années 1990) dans la doctrine européenne. Voir son article « Intégration : la ‘refondation’ enlisée », Migrations société, 2014/5, n° 155, p. 47-66. https://www. cairn.info/revue-migrations-societe-2014-5-page-47.htm 59. Steven Vertovec, Super-diversity. Taylor Francis, 2019. 60. 10.11.2009. 46 Droit à la différence, assimilation, intégration

[….] mais lorsqu’un pouvoir, quelle A l’inverse, un courant que soit sa couleur, se mêle de contradictoire propose de prendre vouloir définir l’âme d’une société, la en compte la complexité de la méfiance doit être la règle ». Deux société et de l’idée d’identité ans plus tard l’intitulé « identité nationale, en insistant sur les nationale » disparaît et le ministère mouvements d’échanges culturels, devient « de l’Intérieur, de l’Outre- y compris au cœur ou à la suite mer, des Collectivités territoriales des entreprises coloniales. et de l’Immigration », accolant cette Connotées positivement, les fois-ci les notions d’immigration et notions de métissage ou de d’insécurité. créolisation sont introduites par les auteurs se rattachant aux études Si l’on peut parler ici « postcoloniales » (Aimé Césaire, d’opportunisme politique, Achille Mbembe, Edouard Glissant) d’instrumentalisation et même de qui tracent une voie pour les racisme s’agissant des déclarations identités qui n’est pas celle du rejet de nombreux acteurs politiques des autres. et gouvernementaux, il n’en reste pas moins que la notion d’identité – qu’elle soit définie comme commune Laïcité : consensus à une majorité ou comme minoritaire de principe, controverses –, traduit à la fois des revendications (de reconnaissance, d’acceptation, et instrumentalisations de partage) et des inquiétudes, de La laïcité est devenue depuis pertes, de dissolution. les années 1990 tout à la fois un Faut-il y voir la difficulté principe largement consensuel croissante dans nos sociétés d’auto-identification des Français à assumer leur caractère et, contradictoirement, ce qui les multiculturel, difficultés poussant divise à travers de nombreuses les dirigeants et une part croissante controverses publiques. des citoyens à insister sur des Bien que le terme n’y figure pas, « valeurs communes » qu’il faudrait le principe de laïcité est associé en désormais imposer ? En tous les France à la loi de 1905, Il consiste cas, sur ce point la France ne essentiellement en une garantie par fait aucunement exception avec l’Etat de la liberté de conscience et son « modèle civique » face à du libre exercice des cultes (art. 1), des nations qui privilégieraient le la séparation entre l’Etat et « les modèle « ethnique » (l’Allemagne) Eglises » (groupements religieux), le ou « multiculturaliste » (Grande principe de non subventionnement Bretagne ou Etats-Unis) : partout de ceux-ci (art. 2), enfin, la liberté on insiste sur cette nécessité mais d’auto-organisation de ceux-ci selon partout, il est difficile de savoir ce leurs règles propres (art. 4). qu’on entend par ces « valeurs communes ». 47 Lutter contre le racisme

Cette séparation a entraîné aux personnels des associations et la fin du régime dit des « cultes entreprises ayant une délégation reconnus » (catholicisme, de service public ou recevant des protestantismes luthérien et réformé, subventions publiques, ou encore judaïsme) ; mais en Alsace-Moselle, aux usagers des services publics un régime concordataire a été (comme c’est le cas déjà pour les maintenu (ce territoire n’était pas élèves dans les écoles). français en 1905). D’autres régimes Cependant, ces prises de spécifiques existent dans les Dom, positions ne sont pas neutres. Car, en Guyane et à Mayotte. depuis une trentaine d’années, à L’historien et sociologue la suite de la première « affaire Jean Baubérot et la sociologue de foulard » (1989), les débats québécoise Micheline Milot sur la laïcité s’ils ont réactivé des identifient trois principes oppositions anciennes, historiques, fondamentaux de « laïcité », ont aussi posé la question d’un même lorsqu’il n’y a pas de traitement discriminatoire d’une séparation au sens strict comme religion en particulier, l’islam, à on l’entend en France : respect de travers le symbole, le signe, la la liberté de conscience, égalité tradition du port du foulard ou du de tous les citoyens quelle que voile. soit leur appartenance (ou non Les deux approches peuvent appartenance) à une confession, être formulées par la distinction neutralité ou impartialité de l’Etat. thématisée par Philippe Portier62 entre « laïcité inclusiviste et laïcité Les débats sur la laïcité exclusiviste ». Pour la première prime l’indépendance des sujets, D’une manière générale61 pour la seconde la liberté de aujourd’hui, les militants qui se perfectionnement. Pour la première, réclament de la laïcité peuvent être l’Etat doit être un Etat minimal, pour distingués entre, d’un côté, ceux la seconde l’Etat est recteur. L’Etat qui sont attachés au cadre juridique recteur prétend dire le Bien, l’Etat existant, dans ses principes mais minimum dit le Juste. L’Etat recteur aussi en suivant la jurisprudence tend à un fort contrôle des religions, « libérale » de la loi de 1905 et ce qui s’accentue avec les tensions de l’autre, ceux qui sont désireux sécuritaires et ce qui s’est manifesté d’étendre l’exigence de neutralité d’abord dans les successives de l’Etat à l’espace public au sens affaires de voile et la promotion de la large (universités, rues et parcs), « Nouvelle laïcité » (rapport Baroin)

61. Jean Baubérot et Micheline Milot, Laïcités sans frontières, Paris, Seuil, 2011 ; et Jean Baubérot, Les Laïcités dans le monde, Paris, Puf (Que Sais-je ?), 2020 (5e édition). 62. Philippe Portier : L’Etat et les religions en France, Une sociologie historique de la laïcité. Pur 2016. 48 Droit à la différence, assimilation, intégration

A l’école « (…) Aujourd’hui, les musulmans subissent, en France, Ils ont porté d’abord sur la question une discrimination qui se manifeste du port des « signes religieux » non seulement par la difficulté́ à l’école, entraînant une série de d’édifier leurs lieux de cultes mais décisions se contredisant parfois aussi par un discours faisant de (celle du Conseil d’Etat en 1989, l’islam un mal fondamental. Rien puis la Circulaire Bayrou en 1994). n’interdit de critiquer le contenu En 2003, Jacques Chirac confie de telle ou telle foi, et la liberté́ à Bernard Stasi, alors médiateur de pensée comme la liberté́ de la République, la présidence d’expression excluent l’idée même d’une commission composée du blasphème. Mais, rien n’autorise de 40 membres (enseignants, a enfermer les fidèles d’une foi chercheurs, juristes, etc.) en vue de dans une stigmatisation générale et propositions sur la laïcité. Au terme a nier leur qualité́ de citoyen pour de 120 auditions, la commission ne retenir que leur appartenance propose l’interdiction des signes religieuse. La loi sur le port des religieux à l’école ainsi que d’autres insignes religieux a l’école, en fait mesures visant à prendre en compte et dans la réalité́ contre le voile, a l’ensemble des religions, notamment provoqué́ , au sein de la LDH comme l’instauration de jours fériés ailleurs, de nombreux débats voire nationaux (pour tout le monde donc) de profonds désaccords. Nous pour le grand pardon (juif) et l’Aïd réaffirmons que ce débat est légitime (musulman). En définitive, dans dès lors qu’il ne se réduit pas a des la loi de mars 200463, la seule anathèmes et a des caricatures. mesure retenue est l’interdiction Depuis la première manifestation de tout signe religieux pour les de cette controverse en 1989, la élèves dans les établissements LDH n’a jamais cessé́ d’affirmer son du primaire et du secondaire. opposition a l’exclusion des jeunes Lors de son 83e congrès filles voilées, dès lors que tous les en 2005, la LDH a adopté une enseignements étaient suivis. La résolution qui s’oppose à l’exclusion LDH maintenait ainsi sa confiance des élèves portant le voile. Cette dans le dialogue et l’éducation aux position a été maintenue au fil valeurs de la laïcité́ . des années face aux projets Nous n’ignorons pas que le d’interdiction du port du voile dans voile est porte pour des raisons très les universités ou encore pour diverses qui ne peuvent se réduire les mères accompagnatrices de a une seule explication : fait culturel sorties scolaires. Elle s’appuie sur ou religieux, affirmation de soi ou le principe d’une neutralité imposée pressions extérieures, qu’elles aux agents de services publics mais émanent de l’environnement familial pas aux usagers.

63. Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004. 49 Lutter contre le racisme ou de groupes fondamentalistes. Dans les entreprises privées Nous n’ignorons pas, non plus, que le voile constitue un symbole de la La Cour de justice de l’Union domination patriarcale et de la peur européenne a également dû se d’une libération du corps féminin prononcer sur des licenciements et de la sexualité́ . Mais exclure ces prononcés par des employeurs jeunes filles en raison du port du privés66 à la suite du refus de voile a l’école, c’est faire d’elles les leurs salariées de quitter leur voile victimes d’une double violence sans, religieux. Sans rentrer dans le détail, pour autant, assurer l’intégration l’inscription de la neutralité dans d’une population marquée du sceau un règlement intérieur d’entreprise de l’exclusion (…) »64. doit être justifié (le contact avec les clients, par exemple), et en cas de conflit à ce sujet avec un ou une Dans la fonction publique salariée, l’employeur doit chercher un « accommodement raisonnable » Au-delà de l’école, l’interdiction du par exemple, un reclassement sur port de signes religieux ostentatoires un autre poste67. concerne les fonctionnaires en relation avec le public qui sont donc En revanche, le refus de clients soumis au devoir de neutralité de vis-à-vis de salariées portant le voile l’Etat. La Cour européenne des ne peut constituer un argument (le droits de l’Homme qui a examiné souhait d’un client étant subjectif)68. le cas au regard de l’article 9 Ainsi si tel ou tel emploi est de la Convention sur la « liberté parfaitement conciliable avec le de pensée, de conscience et de fait de porter le voile, si l’entreprise religion » a estimé que dans le cas n’apporte pas d’arguments justifiant des fonctionnaires en relation avec son interdiction, le seul fait que les des publics, cet article n’était pas clients refusent les services d’une violé par la France65. salariée portant le voile n’est pas un argument qui peut être retenu. Or le

64. Résolution « Promouvoir la laïcité. Combattre le racisme et l’antisémitisme », adoptée par le 83e congrès de la LDH, Lille – 3, 4 et 5 juin 2005. https://www.ldh-france.org/wp-content/ uploads/2019/09/Promouvoir-la-laicite-20050605.pdf 65. CEDH 26 novembre 2015, n° 64 846/11, Ebrahimian c/ France. La Cour a ainsi admis l’extension de l’interprétation de la neutralité de l’Etat à tous les services publics, y compris lorsqu’ils sont exercés par une personne privée, alors qu’elle n’avait validé jusque-là que l’exigence de neutralité des enseignants d’enfants au primaire (CEDH 15 février 2001, n° 42 393/98, Dahlab c/ Suisse) :le principe de liberté religieuse aurait dû prévaloir, puisque le principe de laïcité n’a pas vocation à s’appliquer dans une entreprise privée qui ne gère pas un service public. Cependant, la Cour EDH a admis que l’employeur puisse restreindre cette liberté en fonction de la tâche à accomplir du salarié, notamment la prise en charge de jeunes enfants, en considération de la marge d’appréciation des Etats. 66. L’Affaire Baby Loup ou la nouvelle laïcité, Stéphanie Hennette Vauchez et Vincent Valentin, 2014. 67. CJUE, 14 mars 2017, C-157/15, Amira Achbita,Centrum voor gelijkheid van kansen en voor racismebestrijding contre G4S Secure Solutions. 68. CJUE, 14 mars 2017, C-188/15, Asma Bougnaoui et Association de défense des droits de l’Homme (ADDH) contre Micropole SA. 50 Droit à la différence, assimilation, intégration cas se pose en particulier dans les peuvent se constituer, autour services à la personne à domicile. d’une religion, d’une culture, Si l’entreprise veut imposer à des d’autres caractéristiques ou salariées portant le voile de le retirer intérêts communs. Autrement au prétexte que cela déplait au dit, les individus sont en réalité client, il s’agit bien de discrimination dans des relations qui combinent à caractère raciste par rapport à une l’appartenance à une famille, à appartenance religieuse. une communauté, l’adhésion à des groupes affinitaires et les relations Dans les lieux publics sociales, l’intégration dans la société. La loi du 11 octobre 2010 (n° 2010- Reste que, dans les 1192) a interdit la dissimulation représentations, la vision linéaire du visage dans les lieux publics, d’un passage de la communauté ouverts au public ou affectés à un – subie – vers une société de service public, visant en réalité le relations libres est fortement port du voile intégral. Les arguments ancrée. du législateur tiennent à la sécurité publique et aux exigences minimales C’est pourquoi les discours de la vie en société. Cette décision idéologiques et politiques a été validée par le Conseil qui stigmatisent la notion de constitutionnel69, à condition qu’au communauté, accusant des groupes nom de la liberté religieuse, en de « communautarisme » ou de soient exclus les lieux de cultes « séparatisme » d’avec l’ensemble ouverts au public où le voile intégral de la société, trouvent un certain peut donc être porté. écho. Les « communautaristes » sont accusés de placer leur communauté ou ses intérêts au- Communautarisme dessus d’une communauté légitime et séparatisme : plus large : la nation, la société dans des concepts stigmatisants laquelle ils vivent, l’universalité. Quant au séparatisme, Les sociologues ont largement il impliquerait une dimension discuté des notions d’individu politique supplémentaire : un refus versus société ou communauté, explicite de la République et de ses voyant généralement dans la valeurs, une volonté affirmée de modernité un affaiblissement des vivre séparément, d’imposer non liens communautaires, hérités d’un seulement ses propres valeurs mais monde de la tradition. Mais de aussi ses lois aux membres d’un fait, en modernité, toutes sortes groupe d’appartenance. de communautés affinitaires

69. CC2010-613 DC 7 octobre 2010. 51 Lutter contre le racisme

Le mot n’est pas nouveau et a déjà été utilisé par le passé, par de Gaulle en 1947 pour désigner le Parti communiste français comme une « cinquième colonne » au service d’une puissance étrangère (l’URSS), ou par d’autres chefs d’Etat pour dénoncer les mouvements régionalistes (Bretons, Corses) comme « séparatistes ». Son usage politique récent renvoie néanmoins le plus souvent à « l’islamisme » et à la « radicalisation » de l’islam comme en témoigne le tout récent rapport (25 novembre 2020) présenté par la députée Annie Genevrard sur la proposition de loi adoptée par le Sénat, visant à garantir la prééminence des lois de la République (n° 3 439). Très axée sur les notions de communautarisme d’une part et sur l’islam d’autre part, cette actualité législative sur le sujet pourrait appeler de plus amples développements mais, à l’heure où nous écrivons, les débats sont loin d’être terminés et nous ignorons encore ce qu’il en résultera. En contrepoint, plusieurs chercheurs et responsables politiques parlent plutôt de « séparatismes » au pluriel. Le sociologue Eric Maurin, par exemple, fait référence à la ségrégation économique et territoriale des catégories les plus aisées70 et, comme d’autres chercheurs, aux discriminations sociales qui les accompagnent.

70. Eric Maurin, Le Ghetto social. Enquête sur le séparatisme social (Seuil, 2004). 52 Communautarisme et séparatisme : des concepts stigmatisants 4. LE DÉBAT SUR LES LOIS MÉMORIELLES En France, quatre lois sont dites un jugement de l’histoire (Claude « mémorielles » mais elles sont de Liauzu et d’autres historiens au nature très différente. sujet de « l’apport positif de la colonisation ») aux positions • Loi du 13 juillet 1990 réprimant le d’historiens menés par Pierre Nora négationnisme dite aussi loi Gayssot qui s’inquiètent que l’Occident soit • Loi du 29 janvier 2001 relative à la mis en accusation, il y a plus que reconnaissance du génocide des nuances. arménien • Loi du 21 mai 2001 sur la Ainsi la mobilisation d’historiens reconnaissance de l’esclavage contre l’article 4 de la loi du comme crime contre l’humanité 24 février 2005, qui avait donné • Loi du 23 février 2005 sur la lieu à une pétition et à la création reconnaissance de la nation et de la du Comite de vigilance face aux contribution des Français rapatriés usages publics de l’histoire (CVUH), dite aussi loi Alliot-Marie. est de nature à imposer un sens de l’histoire en attribuant une Dès la première loi contre valeur à la colonisation. En effet, le négationnisme (loi Gayssot), l’article en question, finalement nombre de juristes, d’historiens, de abrogé, imposait aux professeur- sociologues et de philosophes se e-s d’enseigner « l’apport positif sont élevés contre ce qu’on appelle de la colonisation », ce qui n’a pas les lois mémorielles en affirmant manqué bien-sûr de mettre le feu qu’elles mettaient à mal les bases aux poudres. Mais la position du de l’Etat de droit et constituaient CVUH est modeste : elle ne dit pas un danger pour les libertés que les historiens et chercheurs fondamentales. Mais au-delà de détiennent la vérité mais que leur ces prises de positions générales, rôle est de fournir les éléments de il existe des points de vue très compréhension pour permettre différents. l’exercice de l’esprit critique. Ils De la position de principe considèrent à juste titre que l’article (Madeleine Rebérioux71, Pierre en question est un jugement Vidal-Naquet) au refus d’imposer de valeurs et qu’il exprime les positions conservatrices, voire qu’il

71. Présidente de la LDH de 1991 à 1995. 53 Lutter contre le racisme constitue la négation des crimes du Négationnisme74 et Loi Gayssot colonialisme. A la fin de la Seconde Guerre En 2005 et 2006, une autre mondiale, des nostalgiques pétition d’historiens français du régime nazi et de Vichy « Liberté pour l’histoire72 » et un entreprennent d’en réécrire appel de 56 juristes73, réclament l’Histoire : parmi eux, l’écrivain l’abrogation de l’ensemble des français Maurice Bardèche puis lois dites mémorielles jugées Paul Rassinier pourtant militant dangereuses pour la liberté de de gauche (résistant torturé par la recherche, d’enseignement et Gestapo et déporté au camp de d’expression. Cependant cet concentration de Buchenwald) enfin appel qui mettait sur le même François Duprat, bras droit de Jean- plan une loi célébrant les apports Marie Le Pen, cofondateur du Front de la colonisation et des lois national. A l’époque, ces thèses reconnaissant des crimes contre restent néanmoins cantonnées à l’humanité n’a pas été signé par l’extrême droite jusqu’à ce qu’un nombre d’historiens qui n’étaient maître de conférence en littérature, pas d’accord pour les mettre sur le , les publie dans même plan. le journal Le Monde en 1978. Dès Le débat sur les lois dites les années 1980, il est soutenu, mémorielles se poursuivra au sujet défendu, diffusé par des figures de l’esclavage, du génocide des de l’ultragauche (La Vieille Taupe, Arméniens et de celui des Tutsis Pierre Guillaume qui publie Les au Rwanda avec toujours la même Mythes fondateurs de la politique préoccupation : d’une part, refuser israélienne), des figures de que la vérité historique ne devienne Mai 68 et quelques personnalités « vérité d’Etat » en garantissant la obscures jusqu’à l’avènement du liberté de la recherche historique négationnisme d’ultra-gauche. et de sa transmission ; d’autre part, La thèse complotiste et lutter contre les négationnismes antisémite des négationnistes est la en tant que formes nouvelles suivante : les juifs auraient inventé d’incitation à la haine raciale. un génocide qui n’a pas eu lieu pour s’accaparer un Etat, l’Etat d’Israël.

72. La pétition « Liberté pour l’histoire », signée par 19 historiens le 12 décembre 2005, est publiée le 13 décembre 2005 dans Libération et le lendemain dans Le Monde et dans Le Figaro. 73. Appel de 56 juristes pour l’abrogation des lois mémorielles lancé le 21 novembre 2006 et publié le 28 novembre 2006 sur le site de l’Observatoire du communautarisme (www.communautarisme.net). 74. Le terme « négationnisme » est créé par Henry Rousso, voir Le Syndrome de Vichy publié en 1987 et Les Assassins de la mémoire de Pierre Vidal-Naquet publié en 1987. 54 Communautarisme et séparatisme : des concepts stigmatisants

Elle illustre de fait une continuité pendant la Seconde Guerre entre antisémitisme (thèse du mondiale76. Le négationnisme complot juif mondial) et antisionisme (négation de l’existence des dans ses deux variantes chambres à gaz et des génocides sémantiques et politiques ce qui perpétrés par les nazis) n’est pas un en fait un piège redoutable pour « révisionnisme » au sens du travail les Palestiniens engagés dans une historique de réexamen de l’histoire lutte pour leur autodétermination. ni au sens d’une école historique En effet, elle permet de délégitimer dite « révisionniste ». C’est bien une les deux formes d’antisionismes thèse politique antisémite. précédemment cités – critique de De premières critiques contre l’existence d’un Etat juif ou critiques la loi Gayssot, ont ete soulevées de la politique de cet Etat – en par l’historienne et ancienne laissant finalement leur distinction présidente de la Ligue des droits de dans un flou relatif. l’Homme, Madeleine Reberioux, qui Peu à peu, certains faisait valoir que l’arsenal juridique négationnistes obtiennent des préexistant a la loi Gayssot avait chaires dans des Universités déjà̀ permis de faire condamner au et diffusent leurs thèses. Si un civil en 1981 le négationniste Robert travail de recherches historiques Faurisson pour diffamation publique important permet de réfuter ces sans que les tribunaux aient eu thèses certains, inquiets du a se prononcer sur la « vérité́ succès des thèses négationnistes, historique ». D’autres historiens souhaitent que la contestation de s’opposent à ce qu’ils qualifient l’extermination des juifs d’Europe et de loi mémorielle : Pierre Vidal- des chambres à gaz devienne un Naquet, Pierre Nora, François Furet, délit. François Bedarida. C’est dans ce contexte que Mais le terme « loi mémorielle » la loi Gayssot du 13 juillet 199075 est contesté par des juristes, introduit un délit spécifique de intellectuels et certains militants négation de crime contre l’humanité antiracistes qui considèrent que la concernant le génocide perpétré loi Gayssot ne définit pas la vérité par les nazis à l’égard des juifs historique mais prend acte que le

75. « Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l’article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale [...] » 76. Loi n°90-615. Voir essentiellement l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881. Il faut rappeler qu’il fait expressément référence à l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et à l’exigence d’une condamnation préalable par une juridiction française ou internationale. Il a été ensuite modifié en 1992, 2014 et en 2017. 55 Lutter contre le racisme négationnisme est un antisémitisme de constitutionalité (QPC78) par le et non une simple opinion sur négationniste Vincent Reynouard l’histoire. L’exemple est donné du pour qui la loi impliquait une procès dans les années 1990 du discrimination injustifiée entre négationniste David Irving, procès les victimes et constituait une qui avait donné lieu à des rapports atteinte aux libertés d’expression et d’experts et des témoignages sur d’opinion. Le Conseil constitutionnel la réalité du génocide des juifs, à la a écarté ces deux griefs au nom suite de quoi seulement, ce dernier de la portée raciste et antisémite avait été condamné. du négationnisme. Il a, en outre, jugé que le délit n’interdisait pas les En 200377, la Cour européenne débats historiques mais seulement des droits de l’Homme a estimé la négation ou la minoration irrecevable la requête de Roger outrancière de ce crime spécifique. Garaudy qui, au regard de Autrement dit, le négationnisme est l’article 10 de la Convention EDH un antisémitisme. (liberté d’expression) et de l’article 6 (droit à un procès équitable) La loi Gayssot est la seule des contestait sa condamnation en lois dites mémorielles à se présenter 1998 pour contestation de crimes comme étant adossée à l’article 6 contre l’humanité, diffamation du tribunal militaire international raciale et provocation à la haine de Nuremberg. Elle a été jugée raciale. En cause : son ouvrage Les conforme au Pacte international mythes fondateurs de la politique relatif aux droits civils et politiques israélienne, qui reprenait les thèses par le Comité des droits de l’Homme de Robert Faurisson. La Cour a du Haut-Commissariat des Nations jugé que ces propos négationnistes unies aux droits de l’Homme. poursuivaient des fins contraires Enfin, elle n’est pas une aux valeurs fondamentales de la exception en Europe. En Allemagne, Convention et que, « si elles étaient les personnes qui « approuvent, admises, [elles] contribueraient à contestent ou minimisent » les la destruction des droits et libertés crimes contre l’humanité sont garantis » par celle-ci. passibles du délit d’incitation à la Par la suite, par une décision haine raciale inscrit à l’article 130 du du 8 janvier 2016, la loi Gayssot Code pénal, qui prévoit l’application a été déclarée conforme à la d’une peine d’emprisonnement Constitution. Les Sages avait été pouvant aller jusqu’à cinq ans. saisis d’une question prioritaire L’Autriche a, dès 1945, réprimé par

77. CEDH 24 juin 2003, n° 65831/01, Garaudy c/ France. 78. Conseil constitutionnel. 8 janv. 2016, n° 2015-512 QPC ; cf à l’inverse lorsqu’aucune juridiction ne s’est prononcée sur le crime nié par les propos contesté, censure pour atteinte à la liberté d’expression : CC 26 janvier 2017, n° 2016-745-DC. 56 Communautarisme et séparatisme : des concepts stigmatisants une loi les propos négationnistes La reconnaissance qui seraient « propres à réactiver le de l’esclavage comme crime national-socialisme ». En Belgique, une loi du 23 mars 1995 réprime contre l’humanité « la négation, la minimisation, la La loi du 21 mai 200180 sur la justification ou l’approbation du reconnaissance de la traite génocide commis par le régime et de l’esclavage en tant que national-socialiste allemand durant crime contre l’humanité (dite la Seconde Guerre mondiale » loi Taubira, du nom de Christiane et prévoit l’application de peines Taubira, députée de l’Assemblée d’emprisonnement ou la privation nationale française) porte sur la des droits civiques pour les reconnaissance par la France, du personnes tenant de tels propos caractère de crime contre l’humanité dans un cadre public. des traites et des esclavages pratiqués à partir du xve siècle Le cas du génocide arménien sur les populations africaines,

79 amérindiennes, malgaches En 2015 , dans le cas d’un homme et indiennes. En juin 2020, le politique turc qui avait été condamné Parlement européen a également pénalement par les tribunaux adopté une résolution similaire. suisses pour avoir nié le génocide arménien, la Cour européenne des A sa promulgation, la loi Taubira droits de l’Homme a jugé que, au ne sera pas commentée mais quatre regard des propos tenus, ce cas ne ans plus tard, après la publication relevait pas de l’incitation à la haine d’un ouvrage historique à succès raciale et que la condamnation par par Olivier Petre Grenouilleau, des tribunaux suisses était abusive ouvrage qui aborde les traites au regard de la liberté d’expression. dans leur ensemble, y compris arabes et intra-africaine, le débat rebondit. L’historien est attaqué en justice après avoir déclaré dans un journal au sujet de l’antisémitisme

79. La Cour a tenu compte en particulier des éléments suivants : les propos de M. Perinçek se rapportaient à une question d’intérêt public et n’étaient pas assimilables à un appel à la haine ou à l’intolérance ; le contexte dans lequel ils ont été tenus n’était pas marqué par de fortes tensions ni par des antécédents historiques particuliers en Suisse ; les propos ne pouvaient être regardés comme ayant attenté à la dignité des membres de la communauté arménienne au point d’appeler une réponse pénale en Suisse ; aucune obligation internationale n’imposait à la Suisse de criminaliser des propos de cette nature ; les tribunaux suisses apparaissent avoir censuré le requérant pour avoir simplement exprimé une opinion divergente de celles ayant cours en Suisse ; et l’ingérence a pris la forme grave d’une condamnation pénale. CEDH, gde ch., 15 octobre 2015, n° 27510/08, Perinçek c/ Suisse. 80. La loi a été adoptée par le Parlement le 10 mai 2001 et promulguée le 21 mai 2001. 57 Lutter contre le racisme de Dieudonné que la loi Taubira d’amnistie votées en France dans favorisait les comparaisons et les années 1960 empêchent toutes concurrences des victimes en plaintes pour les crimes commis rendant comparable la traite des pendant la guerre d’Algérie ou dans esclaves avec un génocide. Suite à d’autres parties de l’empire colonial ces déclarations, il sera attaqué en français. justice par des associations sur la La reconnaissance du base de la loi Taubira puis, la plainte colonialisme comme crime contre sera retirée. l’humanité permettrait des poursuites devant des tribunaux internationaux. La reconnaissance Elle rencontre néanmoins encore de nombreux obstacles car ses du colonialisme comme crime enjeux sont encore plus vastes contre l’humanité comme en témoignent les nombreux débats autour du rapport sur les Le traité de Rome et la Cour pénale mémoires de la colonisation et de internationale désignent comme la guerre d’Algérie commandé par crime contre l’humanité les meurtres, le Président Français à l’historien les exterminations, la réduction Benjamin Stora et remis le 20 janvier en esclavage, la déportation, la 2021. Malgré ses nombreuses torture, les viols ou les persécutions préconisations œuvrant dans le commis dans le cadre d’une attaque sens d’un rapprochement, les unes généralisée ou systématique lancée constituant des symboles forts, contre une population civile et en les autres pouvant amener vers la connaissance de cette attaque reconnaissance attendue des crimes dans l’application ou la poursuite commis par la France (création de la politique d’un Etat ou d’une d’une commission « Mémoires et organisation. Les historiens ont fait Vérité » par exemple), le rapport a la preuve depuis de nombreuses suscité de nombreuses critiques de années de la perpétuation de la part de ceux qui en attendaient ces crimes dans le cadre des qu’il préconise clairement cette colonisations et de l’administration reconnaissance. L’historien qui ne des territoires colonisés. Le saurait être comptable de ce qui Président Emmanuel Macron a relève en fait d’une décision politique déclaré par deux fois, en 2017 et a aussi été la cible d’une campagne 2020, que le colonialisme est un antisémite en Algérie d’autant plus crime contre l’humanité. injustifiée que son engagement L’enjeu est d’autant plus anticolonialiste est connu. important que les nombreuses lois

58 L’universalisme et les Lumières en question 5. L’UNIVERSALISME ET LES LUMIÈRES EN QUESTION L’universalisme est l’objet de Aux xve et xvie siècles, les positions contradictoires : porteur représentations du monde sont d’émancipation pour les uns, il bousculées par les grandes est rejeté par d’autres en raison découvertes. C’est dans ce contexte de ses contradictions ou de son qu’émerge une conception nouvelle, instrumentalisation à des fins de celle des droits de l’Homme pour dominations. Les critiques de tous les hommes qui accompagne l’universalisme tendent souvent l’abolition des privilèges, inégalités à confondre universalisme et et particularismes de l’Ancien occidentalisme ; en contradiction Régime par la Révolution française. avec l’idée que l’universel peut être Les hommes sont des individus considéré comme ce vers quoi tend autonomes qui appartiennent à tout système de pensée – dans l’humanité, et non plus des créatures toutes les cultures et civilisations – de Dieu. sans chercher forcément à l’imposer. La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 Univers, universalisme et la Constitution de 1791 ont été religieux, émergence devancées en Angleterre par les Magna Carta (dès 1215) et la Charte de l’Homme des droits (1689). La Déclaration des droits des Etats-Unis date de Le terme universalis, dans l’Antiquité 1789. romaine, « recouvre à la fois l’univers, le général, ce qui s’étend à Universalisme et droits tous, à tout et partout »81, associé à communs à tous les hommes sont une conception de toute l’humanité ainsi juridiquement proclamés dans mais scindée en hommes libres et trois importantes nations de la fin esclaves. du xviiie siècle. Proclamés mais, malgré les débats de la Révolution Le christianisme introduit française, femmes, Noirs, esclaves, un renversement de point de pauvres en sont longtemps restés vue, également à prétention exclus. En témoignent le sort universalisante : celui de l’unicité d’Olympe de Gouges (décapitée en de l’humanité dans la loi de Dieu, 1793) et de ses Droits de la Femme résumée dans la formule de Saint et de la citoyenne, ou le suffrage Paul « tous un en Jésus Christ ».

81. Thomas Branthôme, « Minuit à l’heure de l’universalisme », AOC média 16/06/20. 59 Lutter contre le racisme universel de 1848 (dit « universel » toute représentation de Dieu comme mais réservé aux hommes payant d‘une personne et toute centralité de des impôts). l’homme dans la nature. En réalité, les Lumières sont Les Philosophies des Lumières multiples et dans une Europe très et leurs critiques diverse, les auteurs, philosophes, juristes, politologues qu’on classe Au xviiie siècle la « race » est au dans ce mouvement se caractérisent cœur de l’un des paradoxes des par un bouillonnement de la pensée Lumières : au mythe du « bon et non par la seule idée rationaliste sauvage » s’oppose le rejet dans ou encore par la philosophie du l’animalité des dominés, notamment progrès. Les Lumières anglaises, des Noirs esclaves. Ce type de écossaises, allemandes et discours cautionne le massacre françaises renvoient à des situations des Hottentots (1770-1840), des historiques différentes. La France Aborigènes en Australie (1750-1860) était engagée dans une lutte contre ou des Indiens d’Amérique du Nord l’influence du catholicisme et elle (1775-1880). A ce discours dominant avait vécu une révolution : pour s’opposent les défenseurs de l’unité nombre de penseurs de l’époque, fondamentale du genre humain. les luttes politiques passaient par le droit, à la fois sa réforme et sa Aussi, s’il est un sujet qui a été prééminence. Malgré sa révolution, discuté dans l’histoire des idées, la France n’était pas rentrée de c’est bien celui des Lumières et de plain-pied dans le capitalisme leur rôle. Tout d’abord, de quand et le libéralisme contrairement à le dater ? Quels auteurs en font l’Angleterre. L’Allemagne quant à partie ? La LDH a consacré une elle était composée de territoires université d’automne au sujet en féodaux, elle n’était pas encore 82 2018 . une nation et sa bourgeoisie, bien Si la plupart des débats que très influente, ne jouait pas un concernent les auteurs du rôle politique aussi important qu’en xviiie siècle, nombre de spécialistes France. Enfin l’Angleterre était à font dater le mouvement des l’avant-garde du libéralisme et du Lumières au xvie ou xviie siècle avec capitalisme, le premier pays aussi à la philosophie de René Descartes craindre et à expérimenter dans de (1596-1650) et surtout celle de nombreux domaines la violence des Baruch Spinoza (1632-1677) dont transformations économiques. l’influence fut immense en Europe. C’est pourquoi les Lumières On parle au sujet de son œuvre dans ces trois pays furent différentes d’un athéisme radical qui refuse dans leur contenu. Pour les

82. 24e université d’automne « Universalisme, universalité(s), universel(s) ». 60 L’universalisme et les Lumières en question penseurs anglais, le problème posé empruntée ensuite par de grands était la limitation du capitalisme intellectuels parmi lesquelles individualiste par rapport au bien , Thomas Carlyle, commun. Les débats sur les Hippolyte Taine, Friedrich Nietzsche, Lumières occultent des pans entiers Ernest Renan ou Oswald Spengler. de la production qu’on lui attribue, Tous ces intellectuels épinglent tour par exemple les auteurs anglais83 à tour le rationalisme, le libéralisme, très mal connus en France. la démocratie et les courants socialistes et communistes qui à Par ailleurs ces débats se leurs yeux, sont les produits des fondent souvent sur une vision Lumières. globalisante des Lumières, occultant des avancées importantes mais En réalité, on voit naître au avec des contradictions, qu’il sein du mouvement des Lumières s’agisse du relativisme confronté une articulation complexe entre à l’universalisme dans l’œuvre relativismes (culturels, des valeurs) de nombreux auteurs (Voltaire et universalisme de la raison. Chez par exemple ou Montesquieu), Voltaire par exemple, les sociétés des critiques des conquêtes, du européennes sont critiquées à colonialisme et de l’esclavage travers un regard décentré (extra- (Emmanuel Kant, radicalement terrestre dans Micromégas, huron anti-impérialiste et anticolonialiste dans L’Ingénu ou hindou dans Les mais qui croyait à une inégalité de Lettres d’Amabed) ce qui plaide développement des « races »), et pour un polycentrisme culturel mais des critiques de l’inégalité entre les n’empêche pas Voltaire de soutenir hommes et les femmes (Condorcet, l’existence de lois universelles Poulain de la Barre84 pour l’égalité, dictées par la nature et identifiables Rousseau attribuant quant à lui une grâce à la raison (voir Zadig et la « nature » aux femmes qui justifie critique du sati, tradition consistant leur statut complémentaire des à immoler en Inde les veuves par le hommes) et bien d’autres débats, feu). Les reproches à l’égard de ce Jusqu’au xixe siècle toutefois, mouvement sont anciens : en 1774, les critiques des Lumières Johann Gottfried Herder fustige déjà proviennent essentiellement du « l’abstraction » du rationalisme et camp conservateur même si la de l’universalisme des philosophes. gauche européenne veut les Quinze ans plus tard, la première réformer dans un sens plus social. Déclaration des droits de l’Homme, Une première fracture apparaît malgré sa modération provoque une dans le sillage de l’affaire Dreyfus. importante tradition anti-Lumières La gauche française qui s’était et contre révolutionnaire85 qui sera

83. Par exemple, le philosophe John Locke et le physicien anglais Isaac Newton. 84. François Poullain De La Barre, De l’egalite des sexes, 1673. 85. d’Edmund Burke, Réflexions sur la Révolution de France. 61 Lutter contre le racisme alliée avec le camp républicain Les concepts de raison, de pour défendre Alfred Dreyfus progrès, puis d’universel deviennent et lutter contre l’extrême droite dans la seconde moitié du xxe siècle assiste impuissante, pendant les autant de champs de bataille qui grèves ouvrières, à l’arrestation des fracturent ce qu’on appelle la syndicalistes tandis que la Police Gauche c’est-à-dire d’une part les républicaine tire sur les ouvriers tenants d’une démarche rationaliste, en grève. C’est le début d’une même critique, comme Jean-Paul nouvelle vague de critique contre Sartre et d’autre part, les « anti- les Lumières bourgeoises (Georges Lumières de gauche » (Michel Sorel86, Edouard Berth87). Les Foucault, Jacques Derrida). ouvrages de Friedrich Nietzsche A la fin des années 1970, une font alors référence pour ce nouvelle ligne de fracture s’ouvre nouveau courant anti-lumières qui à gauche autour de l’héritage des critique la sociale-démocratie et le Lumières. Un autre foucaldien, stalinisme mais sera attiré tant par Edward Saïd, affirme dans son l’anarchisme que par le fascisme ouvrage L’Orientalisme que le des années 1930. discours de l’Occident sur l’Orient C’est cependant après la est un dispositif de savoir-pouvoir Seconde Guerre mondiale que sera inséparable et complémentaire des produite la critique la plus radicale autres mécanismes de la domination des Lumières, laquelle sera reprise coloniale. L’historien Ranajit Guha par les mouvements décoloniaux. fait quant à lui la critique du cadre En 1942, Theodor Adorno et Max épistémologique et philosophique Horkheimer, deux philosophes des sciences sociales, accusées juifs allemands réfugiés aux Etats- d’ethnocentrisme occidental. Unis font paraître la Dialectik De manière générale, on peut der Aufklärung (littéralement, constater que le débat actuel est « dialectique des Lumières », traduit particulièrement binaire. D’une part, en français sous le titre Dialectique il consiste la plupart du temps à de la raison). Pour ces auteurs, la extraire des morceaux choisis de raison est par définition une raison tel ou tel auteur sans les mettre instrumentale, destinée à dominer en perspective par rapport au le monde et ce, depuis la haute reste de son œuvre ni par rapport Antiquité, car elle réduit la nature au contexte historique de relative entière à un ensemble de données méconnaissance du reste du monde quantitatives et manipulables donc de regard nécessairement autorisant ainsi une destruction à éthnocentré. D’autre part, il gomme l’infini. les débats internes des Lumières

86. Les Illusions du progrès. 87. Les Méfaits des intellectuels. 62 L’universalisme et les Lumières en question et qui sont aussi les débats plus à travers la colonisation89. Les larges d’une période. Enfin, les tensions non résolues entre ces discours critiques ne se placent deux conceptions laisseront la pas eux-mêmes en perspective. République s’accommoder de la Que faire de la raison qui demeure colonisation, s’en justifiant par la une capacité humaine ? A quoi prétention à étendre des bienfaits substituer l’universalisme ? Faut- d’une générosité émancipatrice il faire table rase des pensées à « des populations non encore des Lumières ou les amener achevées dans leur humanité » plus loin, mûries par l’expérience ce qui consiste en réalité à les historique et confrontées aux enjeux inférioriser et leur imposer un postcoloniaux d’une part, à ceux qui modèle uniformisant. sont portés par le féminisme, par Au demeurant, pour d’autres la diversité des identités sexuelles, penseurs, il ne s’agit pas de par la redécouverte de la pluralité contradiction mais au contraire, d’un culturelle, enfin par la question de la lien logique entre un universalisme finitude des ressources planétaires européen-centré et le colonialisme. et celle du climat ? Ainsi, pour Etienne Balibar et Immanuel Wallerstein90, le lien Universalisme et République entre universalisme et racisme est historique : il est le produit historique Peu après, le xixe siècle voit de la division sociale du travail, de naître le socialisme républicain la division du monde en centre et qui fonde sa philosophie politique périphérie, et de la structure de sur la croyance dans le progrès, l’Etat-Nation. des idéaux internationalistes et l’affirmation d’un seul genre humain. La IIIe République revendique une Un universalisme planétaire neutralité égalitariste à l’égard de A la fin de la guerre de 39-45, tous les citoyens, « intégrés dans c’est la découverte des camps de la même nation quelles que soient concentration et d’extermination leurs caractéristiques et leurs nazis, du génocide des Juifs et origines »88, et s’oppose aux tenants des Tsiganes qui constituent pour de la soumission de tous à la loi de l’Europe une sévère remise en Dieu. cause. Dès lors, universalisme Au cœur de l’Europe en effet, en et République sont liés : l’espace de douze ans, 14 millions « universalisme intensif » de de victimes civiles furent mises à libération et d’émancipation mais mort par différents moyens (par aussi, universalisme « extensif »

88. Thomas Brantôme, « Minuit à l’heure de l’universalisme, AOC média 1. 89. Etienne Balibar. 90. Race, nation, classe - les identités ambigües. Editions La Découverte, 1988. 63 Lutter contre le racisme balles, par gaz, par des famines porté par des intérêts de classe – planifiées), essentiellement des cette adhésion à l’universalisme a Juifs, des Tsiganes ou Roms, des été sapée par la question coloniale. Biélorusses, des Ukrainiens, des La décolonisation s’engage en Polonais, des Soviétiques et des effet très mal avec en Algérie dès Baltes. Sur ces quatorze millions 1945 la répression sanglante des de morts, un tiers est à mettre sur émeutes de Sétif92. En 1946 débute le compte du régime stalinien, également la guerre d’Indochine avec des exterminations envers tandis qu’en mars 1947, une son propre peuple avant même la insurrection à Madagascar est Seconde Guerre mondiale91, mais réprimée dans le sang. Ces guerres dans l’immédiat après-guerre, coloniales en contradiction totale ce sont les crimes nazis qui vont avec la DUDH marqueront fortement provoquer la sidération de ceux qui et durablement les consciences, en les découvrent. particulier la guerre d’Algérie, la plus Après la guerre, la Déclaration longue et la plus marquante. universelle des droits de l’Homme Ce n’est qu’en 1954 que le de 1948 (DUDH) traduit la volonté processus de décolonisation est d’« assurer un respect universel et enclenché avec les accords signés effectif de l’Homme et des libertés par Mendès France avec l’Indochine fondamentales », mais la question (devenue Vietnam). La Tunisie et le de l’effectivité de ces droits dans les Maroc accèdent à l’indépendance en colonies se pose immédiatement. 1956 et les pays d’Afrique en 1960. Si cet universalisme planétaire L’Algérie quant à elle ne deviendra étendu à « tous les êtres humains » indépendante qu’en 1962 après une (femmes incluses cette fois), guerre qui laissera de nombreuses s’efforçant de s’ajuster à différentes cicatrices y compris en métropole cultures et religions, plus ou moins où se dérouleront des épisodes partagé et effectif (voir le statut sanglants93. des Français musulmans d’Algérie, Entre 1975 et 1980, trois par exemple) pouvait susciter une colonies ont obtenu leur certaine adhésion pendant les Trente indépendance : les Comores Glorieuses – et ce, malgré, de la sauf Mayotte, les Afars et Issas part du bloc soviétique, des procès et les Nouvelles-Hébrides. Après d’intention en faux universalisme cette date, la France oscille

91. Snyder Timothy. Terres de sang. L’Europe entre Hitler et Staline. Traduit de l’anglais par Pierre Emmanuel Dauzat. Gallimard. Collection Folio-histoire. 2012. 92. Le 8 mai 1945, jour de la victoire alliée sur le nazisme. 93. Massacre du 17 octobre 1961 : la répression meurtrière, par la police française, d’une manifestation d’Algériens organisée à Paris par la fédération de France du FLN fait des dizaines de morts et des centaines de blessés. 64 L’universalisme et les Lumières en question entre intégration croissante des donnant à penser que « la référence territoires à la République (les Dom à des valeurs communes et deviennent des régions d’outre- universelles » n’est plus partagée94. mer, Mayotte accède à ce statut L’égalitarisme républicain et en 2011), et reconnaissance de l’universalisme font alors l’objet de leurs spécificités, avec le statut de critiques virulentes, pour certaines collectivité d’outre-mer. En Nouvelle- déjà anciennes : Calédonie, l’indépendance a été soumise à des référendums depuis • application d’un système unique et 2014 dont le dernier, en 2020, abstrait à des situations concrètes et donnait 53 % de résultats en faveur diverses ; d’un maintien dans la République • égalitarisme indifférent aux française. Un troisième référendum inégalités croissantes, aux réalités sera convoqué en 2022. de discriminations ; L’héritage du colonialisme • territoires de la République relégués pèse fortement sur les relations ou abandonnés – particulièrement avec une immigration issue des ceux désignés comme « quartiers » pays anciennement colonisés de ou « quartiers sensibles » ; même que les conditions d’accueil, • invisibilisation voire négation des de logement et de travail de ces différences, des identités, de la populations. Est posée également diversité culturelle et philosophique ; la question de la citoyenneté, • parole confisquée par des individus notamment celle du droit de vote et groupes dominants, ou des étrangers non européens aux considération surplombante : élections municipales mais aussi « universalisme de surplomb » la participation difficile aux luttes appliqué à des populations dites syndicales et politiques qui font peu « non civilisées » ; de cas de la situation spécifique des • traitement inégalitaire, notamment immigrés et/ou laissent peu de place par la Police, dans les quartiers à ces derniers. d’habitat social : contrôles au faciès ; C’est dans ce contexte que Enfin, la mondialisation, la les conflits des années 1990 multiplication des échanges (affaire du voile portée par des planétaires, et la question collégiennes à Creil en 1989 par écologique remettent en question la exemple), renforcés à partir de domination de l’héritage culturel et 2000-2005 avec les révoltes de politique de l’Occident. banlieues débouchent sur une En France, les prises de division « des luttes sociales en positions lors des luttes et combats séparés souvent fondés manifestations de 2020 tendent sur des revendications identitaires »,

94. Laurent Joffrin, présentation du livre de Michel Wieviorka Pour une démocratie de combat, journal Libération 25 mars 2020. 65 Lutter contre le racisme néanmoins à montrer que les valeurs de la République (Liberté, Egalité, Fraternité) sont moins rejetées en tant qu’idéaux que pour leur non exercice effectif dans la pratique quotidienne : « … parler des personnes qui sont minoritaires, ce n’est pas la fracturer, la République, au contraire c’est lui permettre d’embrasser ses valeurs et de les appliquer à tous et toutes95 ». Et l’universalisme reste une référence : « Je96 pense que je suis universaliste aussi, simplement je considère qu’on doit tenir compte de tout le monde, et que la personne qui est handicapée, qui est noire, qui est LGBTI… c’est une personne dont la condition doit être centrale au même titre que celle des personnes qui sont en position de domination sociale ».

95. Rokhaya Diallo au 28 d’Arte. 21 octobre 2020. 96. op. cit.

66 Des outils d’analyse ou des approches en débats 6. DES OUTILS D’ANALYSE OU DES APPROCHES EN DÉBATS On parle de nouvelles approches Le débat sur le racisme d’Etat souvent importées des Etats-Unis, d’Amérique Latine ou d’autres La plupart des organisations continents qui font aujourd’hui débat impliquées dans l’antiracisme en France. Cette « importation » reconnaissent le caractère est à nuancer car si les concepts systémique du racisme et des circulent, c’est dans les deux sens. discriminations, lequel renvoie En termes « d’approches », l’idée notamment à la notion de racisme principale à l’origine des différents institutionnel. concepts ou notions qui se sont On parle de racisme développés notamment dans les institutionnel lorsqu’en dehors continents américains vient de de toute intention manifeste et l’école française de sociologie. directe de nuire à certains groupes Des auteurs comme Foucault, ethniques, les institutions ou Deleuze, Guattari, mettent en les acteurs au sein de celles-ci avant une notion spécifique, développent des pratiques dont celle de subordination (culturelle, l’effet est d’exclure ou d’inférioriser civilisationnelle) qui n’a pas le même tels ou tels groupes. Le racisme sens que celle de l’exploitation systémique est l’interaction de ces ou des inégalités sociales mais institutions et d’acteurs qui conduit renvoie plutôt à l’imposition d’un à des exclusions qui sont le résultat modèle hégémonique, dominant, du croisement de ces pratiques. à des minorités (dans les pays occidentaux) ou à des peuples qui, Le racisme systémique n’est sans être minoritaires dans leurs pas un racisme d’Etat qui lui, pays, n’en seraient pas moins comporte des lois ouvertement dominés par le modèle occidental. discriminatoires. Si certains militant- La notion de subordination est e-s ou chercheur-e-s parlent d’un aussi utilisée par rapport à des racisme d’Etat dans la France orientations ou identités sexuelles d’aujourd’hui, ce n’est pas la position minoritaires. C’est la French theory de la LDH. Car le racisme d’Etat qui se développe dans un paysage proprement dit est une politique intellectuel fortement marqué par ségrégationniste raciste officialisée les déceptions à gauche de l’après- par des lois comme sous le régime mai 68 ; et qui ouvre d’autres de l’apartheid en Afrique du Sud, débats, plus spécifiques. sous le régime nazi ou encore sous le régime de Vichy. Selon l’historien

67 Lutter contre le racisme

Pap Ndiaye : « Le “racisme d’Etat” s’attaque aux modes de vision suppose que les institutions de l’Etat ainsi qu’aux représentations soient au service d’une politique dont les colonisés ont été l’objet. raciste, ce qui n’est évidemment pas Frantz Fanon, Edward Saïd, le cas en France. »97 Albert Memmi, Achille Mbembe, Edouard Glissant pour ne citer Le racisme d’Etat : qu’eux, ont largement inspiré cette exemple de la République approche. La colonisation est d’Afrique du Sud pensée non seulement comme fait historique mais également comme construction de toute une série de « “Personne blanche” signifie une représentations et de pratiques personne qui, de par son présentes dans les cultures des apparence, est manifestement colonisateurs. une personne blanche, ou une personne généralement Revisitant la question coloniale, considérée comme une personne Edward Saïd affirme que non blanche, mais n’inclut pas toute seulement la colonisation infligeait personne qui, quoique des traitements racistes, brutaux et manifestement blanche, est inhumains, mais que son objectif généralement considérée comme était de coloniser les esprits et la personne de couleur (section I, pensée des colonisés autant que article XV). “Personne de leurs corps. Saïd et les penseurs qui couleur” est une personne qui l’ont suivi estiment qu’il est essentiel n’est pas une personne blanche de repenser l’histoire linéaire du ou un natif (section I, progrès par laquelle les sciences art. III). ‘’Natif’’ signifie une sociales justifiaient le colonialisme personne qui, dans les faits, est car c’est un modèle basé sur membre de l’une des races ou une hiérarchie entre les sujets et tribus d’Afrique, ou est formes de connaissance en termes généralement considérée comme binaires : colonisateur/colonisé ; telle (section I, art. X) ». civilisé/primitif ; scientifique/ (Population Registration Act, superstitieux ; développé/en Journal officiel, loi n° 30 de 1950) développement, etc. La pensée décoloniale qui a L’approche postcoloniale/ émergée il y a environ trente ans, à partir d’un collectif formé initialement décoloniale en Amérique du Sud, se différencie dans son approche de celle La théorie postcoloniale vise à proposée par le postcolonialisme. intégrer dans le récit national C’est une approche plus militante l’esclavage et la colonisation. Elle qui vise à combattre la domination

97. Le Monde, 18 décembre 2017. 68 Des outils d’analyse ou des approches en débats sous toutes ses formes, y compris que l’approche postcoloniale critique culturelles. l’universalisme. Elle le critique en tant qu’il a été instrumentalisé En France, comme ailleurs pour affirmer la supériorité de la dans le monde, elle dénonce civilisation des colonisateurs – donc une décolonisation incomplète et légitimer le colonialisme – et non analyse les systèmes de domination pour les textes eux-mêmes, en coloniale qui perdurent à l’encontre particulier ceux ayant trait aux droits des Français afro-descendants de l’Homme. ou issus de l’immigration des ex- colonies dans la société française d’aujourd’hui. Tous les secteurs Intersectionnalité de la société sont réévalués par le prisme décolonial : le féminisme, le Le terme d’intersectionnalité est e genre, les modes de vie, les arts, né à la fin du xx siècle, dans le les institutions, l’administration, sillage des écrits de la philosophe et l’enseignement de l’histoire. militante marxiste noire américaine L’un des problèmes que pose Angela Davis (Women, Race l’approche décoloniale, c’est le fait and Class, 1981). Le mot lui- de n’appréhender l’histoire, les même est apparu à la toute fin savoirs, les cultures qu’à travers le des années 1980, alors que des prisme colonial au risque de n’avoir militantes féministes noires et à proposer qu’une issue : faire table hispaniques américaines critiquent rase de l’histoire, des savoirs, des un « biais blanc » dans les discours cultures, des sciences, etc. Par féministes. Par ailleurs, le concept ailleurs, il est impossible aujourd’hui a été développé par la professeure de tracer une ligne de partage dans de droit d’université de Californie les cultures, les différentes sociétés, à Los Angeles (UCLA), Kimberlé 98 les différents pays entre ce qui est Crenshaw en 1989 parce que « occidental » et ce qui relèverait juridiquement, il ne peut être retenu d’une pureté originelle antérieure qu’un motif de discrimination alors à la circulation des savoirs, des que les discriminations subies par philosophies, des techniques, les femmes noires aux Etats-Unis circulation qui existait bien avant les peuvent l’être au titre de leur couleur conquêtes et le colonialisme. de peau et de leur genre. 99 C’est d’ailleurs pourquoi les C’est aux Etats-Unis que le deux approches postcoloniale débat autour de la confrontation et décoloniale sont tout à fait possible entre discriminations distinctes. C’est en effet au nom raciales et discriminations envers les d’un universalisme inclusif et pluriel femmes a joué un rôle important :

98. Traduit en français en 2005 sous le titre « Cartographie des marges ». 99. Voir à ce sujet l’excellent article : « Discrimination fondée sur le sexe aux Etats-Unis : une notion juridique sous tensions ». Marie Mercat - Bruns. La Découverte « Travail, genre et sociétés » 2012/2 n° 28. https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2012-2-page-63.htm 69 Lutter contre le racisme

en effet, même si les féministes Son appropriation par les blanches ont soutenu les luttes des sciences sociales et par la Noirs dans les luttes pour l’égalité recherche féministe européenne civique et contre les discriminations, s’appuie aussi quant à elle comme elles n’ont pas toujours reconnu on l’a vu sur une tradition de la la position spécifique des femmes recherche en sciences sociales. Sa noires dans ces luttes. généralisation, y compris d’ailleurs par les instances européennes, L’approche intersectionnelle est néanmoins contestée par comporte plusieurs dimensions : certain-e-s comme appropriation • la première, juridique, vise à faire et institutionnalisation d’une notion reconnaître une discrimination en destinée au départ à être portée par tant que femme et noire dans un les femmes racialisées. contexte où les tribunaux En revanche, les mouvements n’acceptent de reconnaître qu’un noirs antiracistes y sont restés seul motif de discrimination ; largement réfractaires car, à leurs • la seconde, politique, vise à faire yeux, ce courant affaiblit leur lutte. reconnaître la situation Il pose pourtant la question centrale d’invisibilisation des femmes noires de ce que certains appellent la tant dans le mouvement féministe consubstantialité des luttes c’est- axé sur les réalités des femmes à-dire le choix de mener des luttes blanches que dans le mouvement ensemble sans les hiérarchiser. antiraciste, axé sur la discrimination contre les hommes noirs ; Privilège blanc • la troisième enfin vise à montrer comment l’intersectionnalité peut Pour des militants antiracistes, le servir de tremplin pour forger une concept de privilège blanc peut coalition d’hommes et de femmes sembler difficile à accepter car noirs dans la lutte antiraciste. il fait référence à une notion de Bien que fondé à l’origine autour droits avec des règles législatives de l’intersection des oppressions (les privilèges des nobles et du systémiques des femmes noires clergé abolis pendant la révolution aux Etats-Unis, le concept française) mais cette fois-ci, en les d’intersectionnalité a très rapidement associant à une couleur de peau intégré la question de la classe et qui, sur le plan du droit, n’octroie il s’est largement imposé, bien au- pas actuellement de privilège. Et, delà du champ des recherches afro- pour certains penseurs militants féministes. Il a été largement adopté noirs, ce terme contribue à figer une par les mouvements féministes et de hiérarchie des races parfaitement manière générale par les sciences illégitime en essentialisant les sociales. individus selon leur couleur de peau.

70 Des outils d’analyse ou des approches en débats

Utilisé depuis longtemps par dans le temps présent sont les Noirs étatsuniens, le privilège incontestablement un sujet (délits blanc est aux yeux de certains et crimes racistes, discriminations,). antiracistes un outil militant tandis L’impératif d’y accorder une que pour d’autres, il est juste un fait. attention aussi appuyée que sincère Dans un premier temps, il a servi à doit-il être brouillé ? Le fait est que montrer que même exploités, par dans cette approche militante, la rapport à des ouvriers noirs, des couleur n’est pas une partie du ouvriers blancs bénéficient d’une problème : elle en est l’alpha et sorte de salaire psychologique l’oméga. » supplémentaire : reconnaissance, Par ailleurs, l’idée qu’obtenir représentation, etc. Il a ensuite un emploi, un logement ou tout été développé et théorisé en 1988 autre droit lorsqu’on est « blanc » par Peggy Mcintosh, féministe implique d’avoir eu un privilège sur blanche qui énonce 26 critères de « non-Blancs » conduit à imputer simples et quotidiens : « Je peux à ceux qui accèdent aux droits le sortir de chez moi sans avoir peur fait que d’autres n’y accèdent pas. d’être contrôlé-e ; À la télé ou dans Ne faut-il plutôt lutter pour l’accès des positions de pouvoirs, je vois généralisé à ces droits, par tous et beaucoup de personnes qui me toutes ? Enfin, comment éviter de ressemblent ; Chez le coiffeur, je minorer les différences et inégalités trouve quelqu’un qui sait couper sociales ? Peggy Mcintosh elle- mes cheveux… ». Le concept a même se demande s’il ne faut pas pour objectifs de faire comprendre plutôt employer le terme de privilège aux « Blancs » les avantages dont blanc indu, ce qui en change ils profitent naturellement dans considérablement le sens. une société au passé colonial et/ ou esclavagiste. L’objectif affiché Enfin, si la couleur de peau en n’est pas de les culpabiliser mais de tant que concept apparaît à certains les responsabiliser par rapport au comme une notion vague, n’est-ce racisme en montrant que s’ils n’ont pas qu’elle recouvre plutôt la notion jamais à se poser la question de d’Occidentaux ou d’Européens ? leur légitimité du fait de leur couleur, C’est-à-dire moins les individus origine, culture ou religion qui sont qu’une civilisation qui, pour servir considérés comme « neutres », ce ses intérêts, a construit les races ? n’est pas le cas dans le reste de la En ce cas, il y a un risque à porter la société. focale sur des individus en tant que tels (seuls des individus peuvent Pour Emmanuel Debono100 : avoir une couleur de peau) plutôt « Les tragédies à caractère qu’à privilégier une réflexion sur les raciste du passé (traite négrière, politiques, les structures sociales, colonisation), le prolongement etc. de certains de leurs effets

100. Emmanuel Debono, « L’Eglise racialiste et ses dogmes ». Revue “Alarmer”. 10/12/2020. 71 Lutter contre le racisme

Le racisme anti-Blanc Certains peuples amérindiens se sont révoltés contre ces pratiques. Qu’il s’agisse de chansons de Ainsi en 1993 ils ont publié la rappeurs (« Pendez les Blancs » Déclaration de guerre contre les de Nick Conrad) ou de déclarations exploiteurs de la spiritualité lakota101 de tel ou tel intellectuel, la notion « Nous affirmons une position de racisme antiblanc resurgit de tolérance zéro pour tout “shaman régulièrement dans le débat. de l’homme blanc” s’élevant du sein Mais pour la majorité des de nos propres communautés afin chercheurs et chercheuses, il d’“autoriser” l’expropriation de nos ne saurait y avoir de racisme rites cérémonieux par des non- au sens structurel envers un Indiens. » groupe dominant même si des L’historien Pap Ndiaye en donne manifestations de racisme (insultes d’ailleurs un autre exemple qui par exemple) peuvent apparaître au concerne les peuples autochtones : niveau individuel et être condamnés. C’est aussi la position de la LDH qui « Le cas du boomerang rappelle que la notion de racisme commercialisé par Chanel, qui anti-blanc a été popularisée par le a choqué des Aborigènes, est Front national. souvent cité en exemple : des créateurs en position de force La Licra en revanche considère s’arrogent, à des fins esthétiques que le concept de racisme anti- ou mercantiles, des éléments ayant Blanc est valable. une valeur symbolique forte pour un groupe minoritaire, sans son Appropriation culturelle consentement. »102 Dans cette optique, la culture Le concept d’appropriation culturelle minoritaire peut être envisagée désigne l’emprunt non autorisé par comme une ressource pillée par le ou les membres d’une culture la culture majoritaire au même dominante d’éléments d’une culture titre que les différentes ressources minoritaire et/ou dominée. naturelles, minières, etc. D’où des Il s’agit en particulier de revendications de compensations l’utilisation dans d’autres contextes financières pour l’utilisation de tel (par exemple des défilés de mode) ou tel élément culturel ou encore de symboles ou d’éléments de la la demande de coopérations, de culture sacralisés dans la culture partenariats, de mises en évidence d’origine. Il peut s’agir également de de l’origine de l’emprunt. motifs ou de coiffures.

101. En anglais, Declaration of War Against Exploiters of Lakota Spirituality. 102. Cité dans Le Monde, 18 avril 2019. « Dans la culture, des identités sous contrôle ». Auréliano Tonet. 72 Des outils d’analyse ou des approches en débats

Si la question est évidemment au festival de jazz de Montréal a complexe (prendre en compte été annulé suite à des accusations ces revendications impliquerait de d’appropriation culturelle. Parce pouvoir « tracer » les éléments que cet artiste est blanc. Et on ne culturels pour en déterminer l’origine compte pas les nombreux abus qui et de redéfinir la notion de droit ont été faits et sont faits de cette d’auteur qui à l’heure actuelle, ne notion à des fins de censure et protège que l’expression attribuée d’intimidation. à un ou une auteure – ou groupe Pour beaucoup, appliqué à la d’auteurs – bien identifiés), elle a le culture en général, le concept n’est mérite de poser la question d’une pas opérationnel. En effet, la culture reconnaissance de la contribution a toujours procédé par emprunts et de tous les peuples au patrimoine interactions. Par exemple, Picasso de l’humanité (dans le sens large de ou Brancusi, ont emprunté le style tout ce qu’elle a produit). des arts traditionnels africains mais Mais le concept est aussi utilisé en les transformant. A l’inverse des de manière beaucoup plus large. Il cultures dominées ont emprunté concerne des modes d’expression, de nombreux éléments culturels à des styles littéraires ou visuels, des des cultures dominantes en créant symboliques, des savoir-faire. Ceux un style propre qui échappe alors à qui contestent cette appropriation ces cultures dominantes comme en estiment qu’elle contribue à diffuser témoigne la créolité par exemple. des stéréotypes et à démanteler les Enfin, on peut se demander si identités. Dans le cas de la culture une telle approche généralisée ne afro-américaine par exemple, la risque pas d’enfermer les cultures pratique du jazz et du blues par des dans un ghetto et de les figer dans artistes blancs a été contestée dès un moment de leur histoire au lieu l’origine. Dernièrement, en 2018, d’en conserver la vitalité. un spectacle de Robert Lepage

73 Lutter contre le racisme 7. LES MOUVEMENTS ANTIRACISTES D’AUJOURD’HUI En octobre 1983, la Marche pour traditionnel n‘a pas permis l’Egalité et contre le racisme, l’élimination des inégalités, se communément désignée comme créent plusieurs groupes militants « Marche des Beurs », naît en privilégiant la dénonciation réaction à des violences policières du racisme institutionnel ou contre des jeunes d’origine systémique. Ce sont les structures immigrée dans la banlieue et pratiques des institutions (école, lyonnaise. C’est la première grande police, etc.) qui doivent changer manifestation antiraciste où la car prolongeant les pratiques de deuxième génération d’immigration l’impérialisme et du colonialisme. est actrice d’un mouvement social. S’inspirant principalement de Mais c’est une déception pour concepts élaborés aux Etats-Unis les organisateurs, car le mouvement par le mouvement Noir américain de sympathie qui s’est manifesté et dans les universités ou encore dans l’opinion publique leur en Amérique du Sud, ils définissent échappe : il est canalisé l’année le racisme comme un rapport de suivante lors de la deuxième domination et non comme une marche par la constitution d’une idéologie apparentée principalement nouvelle association antiraciste, à l’extrême droite. SOS-Racisme, dont le combat est Ces différents groupes – Parti essentiellement mené contre le des indigènes de la République Front national, occultant certaines (Pir), collectif Brigade anti revendications du mouvement négrophobie (Ban), Conseil portant sur l’égalité, les institutions représentatif des associations (école, police), les droits (logement, noires (Cran), Collectif contre emploi) enfin, sur une refonte de l’islamophobie en France (CCIF) la politique d’immigration. Dans la – se définissent pour certains même période naît le mouvement en opposition aux grandes « Ras-le-Front » dont l’objectif est organisations antiracistes dont ils de combattre l’extrême droite et qualifient l’antiracisme de « moral » d’amener les partis et les syndicats au détriment de l’approche politique à s’emparer de cette question. qu’ils défendent. Ils considèrent A partir des années 2003- la race comme une construction 2005, constatant que l’antiracisme historique et sociale qu’il faut

74 Les mouvements antiracistes d’aujourd’hui pouvoir nommer si on veut éradiquer identité et/ou d’un héritage le racisme. La race n’existe pas historique est un peu simpliste. mais le racisme tue quand même De fait, les uns et les autres se des personnes103. retrouvent dans de nombreuses mobilisations, sans que cela Ces groupes questionnent ce n’exclue pour autant des qu’ils appellent un paternalisme divergences portant sur les formes blanc dans les organisations d’actions, la nature des alliances et traditionnelles. C’est pourquoi, à rassemblements, les revendications l’instar de certains mouvements à opposer au racisme. féministes des années 70, ils organisent parfois des réunions Cette situation n’a rien non–mixtes racialement, en d’anormal : les acteurs antiracistes particulier des réunions de femmes participent de la vie politique en ce qui peut occasionner des général et, à ce titre, leurs visions polémiques voire des tentatives du monde, de la solidarité, de d’interdiction. la fraternité, sont traversées par les tensions, les débats, les En réalité, ce qui différencie contradictions de la société. Ces les approches des grandes différences ou divergences ne sont organisations d’avec ces pas, a priori, exclusives d’actions nouveaux groupes, n’est pas convergentes ou unitaires. Pour une opposition entre antiracisme la LDH, l’unité devrait être la règle moral et politique mais ce qui et elle y travaille dans l’espace les a construits historiquement, public, en préparant des actions voire sociologiquement. Ce que communes, en saisissant la justice l’on constate, c’est l’importance avec d’autres associations. Pour que revêt pour les premières – autant, elle prend en compte le fait même si elles sont également que certaines prises de positions, engagées contre le colonialisme qui s’inscrivent dans un agenda et ses survivances – la lutte contre d’exclusion – pseudo républicain ou l’extrême-droite ; tandis que autre – et aboutissent à stigmatiser pour les seconds, d’inspiration en bloc telle ou telle partie de anticolonialiste et tiers-mondiste, la population, ne peuvent être la priorité est de lutter contre le cautionnées par une unité qui serait racisme structurellement présent factice. Pour la LDH, parce qu’il dans la société française. touche aux valeurs fondamentales Cependant, opposer les de la société, l’antiracisme ne peut organisations dites traditionnelles s’exonérer des débats nécessaires ou universalistes à ces nouveaux sur l’avenir de la République, le rôle groupes qui se réclament d’une de l’Etat, la défense de la laïcité, les

103. Colette Guillaumin, L’Idéologie raciste, 1972.

75 Lutter contre le racisme rapports entre identités multiples et C’est pourquoi la LDH, en tant universalisation des droits. qu’organisation généraliste, tout en se gardant de contester à chaque De la même façon, les quatre groupe le droit de s’organiser en tant grandes associations nationales que tel, s’attache également à ce – Ligue des droits de l’Homme, qui relie ces luttes, sans hiérarchiser Mouvement contre le racisme et pour les racismes et au nom du principe l’amitié entre les peuples (Mrap), qu’au-delà des expériences et Ligue internationale contre le racisme manifestations spécifiques des et l’antisémitisme (Licra), SOS- racismes, toutes ont en commun de Racisme – ne constituent pas un bloc nier la qualité d’humain égal à un homogène. Sur certaines questions groupe ou à une personne supposée comme le rapport à l’Etat, la laïcité, appartenir à ce groupe. ou le thème du racisme anti-blanc, elles ont soit des divergences, soit Il s’agit d’articuler universalité de francs désaccords. Par exemple, et singularités historiques en la LDH et la Licra sont en désaccord montrant aussi comment des luttes sur la laïcité, sur la notion de racisme s’universalisent parce qu’elles antiblanc (que la LDH récuse) et bien sont saisies par les peuples ou par d’autres questions comme l’usage ou l’humanité comme un universel. non du terme islamophobie (que la LDH utilise quant à elle). Les actions de la LDH En conclusion contre le racisme

Prendre en compte la spécificité des -Le plaidoyer en intervenant sur les différents racismes et la singularité propositions de lois ou de l’expérience historique de chaque modifications. groupe est légitime. Si on peut -L’intervention politique. la déplorer, l’actuelle dispersion des organisations antiracistes -L’éducation en milieu scolaire et qui luttent spécifiquement contre non scolaire et la formation des tel ou tel racisme (négrophobie, adultes. islamophobie, antisémitisme, etc.) -Le juridique : le soutien juridique traduit, à n’en pas douter, une des victimes et des plaintes au nécessité de s’exprimer à partir de pénal contre les auteurs de discours chaque situation singulière en tant racistes. que groupe. Elle ne peut cependant monopoliser à elle seule la lutte -Les mobilisations militantes. antiraciste.

76 Les actions juridiques de lutte contre le racisme 8. LES ACTIONS JURIDIQUES DE LUTTE CONTRE LE RACISME

Ce que dit la loi son appartenance ou de sa non- appartenance, vraie ou supposée, à La lutte contre le racisme passe une prétendue race, une ethnie, une par des incriminations spécifiques nation ou une religion déterminée, (discrimination raciale article 225-1 soit établissent que les faits ont été du Code pénal, et les infractions de commis contre la victime pour l’une presse répertoriées ci-après). de ces raisons, le maximum de la Des circonstances aggravantes peine privative de liberté encourue pour racisme ont concerné certaines est relevé ainsi qu’il suit : infractions jusqu’à la loi (n°2017- • 1° Il est porté à la réclusion 86) du 27 janvier 2017 relative à criminelle à perpétuité lorsque l’égalité et à la citoyenneté, qui a l’infraction est punie de trente ans voulu manifester l’importance du de réclusion criminelle ; combat pour l’égalité en rendant • 2° Il est porté à trente ans de la circonstance aggravante liée réclusion criminelle lorsque au racisme applicable de façon l’infraction est punie de vingt ans de générale, pour tous les crimes et réclusion criminelle ; délits. Elle manifeste ainsi que • 3° Il est porté à vingt ans de la lutte contre le racisme est une réclusion criminelle lorsque valeur cardinale pour la société, l’infraction est punie de quinze ans en renforçant sa répression et en de réclusion criminelle ; facilitant la preuve du lien avec un • 4° Il est porté à quinze ans de présupposé raciste. réclusion criminelle lorsque L’article 132-76 du Code pénal l’infraction est punie de dix ans ainsi créé dispose : d’emprisonnement ; • 5° Il est porté à dix ans « Lorsqu’un crime ou un délit d’emprisonnement lorsque est précédé, accompagné ou suivi l’infraction est punie de sept ans de propos, écrits, images, objets d’emprisonnement ; ou actes de toute nature qui soit • 6° Il est porté à sept ans portent atteinte à l’honneur ou à d’emprisonnement lorsque la considération de la victime ou l’infraction est punie de cinq ans d’un groupe de personnes dont d’emprisonnement ; fait partie la victime à raison de

77 Lutter contre le racisme

• 7° Il est porté au double lorsque aggravante, en application du l’infraction est punie de trois ans principe ne bis in idem. d’emprisonnement au plus. Par ailleurs, de nombreux textes Le présent article n’est pas visent à incriminer des propos ou applicable aux infractions prévues des écrits privés ou rendus publics : aux articles 222-13, 225-1 et 432-7 dans ce dernier cas, ils sont intégrés du présent code, ou au septième à la loi de la presse de 1881. alinéa de l’article 24, au deuxième Si, pendant longtemps, elles alinéa de l’article 32 et au troisième n’ont pas été prises en compte, alinéa de l’article 33 de la loi du l’essor de la propagande nazie 29 juillet 1881 sur la liberté de la a poussé à créer en 1939 des presse ». infractions spécifiques lorsque L’intérêt de cet article, outre l’injure ou la diffamation était son application très générale, commise « envers un groupe est de poser une présomption de de personnes appartenant, par racisme dès lors que le contexte le leur origine, à une race ou une manifeste, alors que cette preuve religion déterminée lorsqu’elles est difficile à rapporter. Il suffit auront eu pour but d’exciter à que des propos racistes aient été la haine entre les citoyens ou tenus au moment même de la habitants ». Cependant, leur champ commission de l’infraction pour que trop restrictif a dû être élargi à la circonstance aggravante puisse la suite de la ratification par la être retenue. France, le 10 novembre 1971, de la Convention internationale sur Les exceptions retenues l’élimination de toutes les formes concernent l’article 222-13, qui de discrimination raciale, ce qui a aggrave la sanction des violences amené au vote de la loi du 1er juillet sans ITT ou avec un ITT de 1972 relative à la lutte contre le moins de huit jours, et qui prévoit racisme. La notion de provocation cette circonstance aggravante à la discrimination, à la haine ou à spécifiquement car l’infraction n’est la violence, à raison de l’origine, de normalement qu’une contravention l’ethnie, de la race ou de la religion (R.624-1 et R.625-1 CP) et le texte a été introduite dans la législation. de l’article 132-76 ne s’applique Un droit spécifique d’action, sous qu’aux crimes et aux délits. certaines conditions, a été reconnu Quant aux autres exceptions, aux associations se proposant elles concernent des infractions statutairement de combattre le pour lesquelles la circonstance racisme. de l’origine raciale est prise en compte comme élément constitutif Cependant, la tendance actuelle de l’infraction ce qui interdit de la est à vouloir sortir de la loi de réemployer comme circonstance 1881 des infractions relatives à

78 Les actions juridiques de lutte contre le racisme l’expression. Pour l’instant, c’est le une contestation de l’existence cas en matière de terrorisme mais il d’un ou plusieurs crimes contre a été question de faire de même de l’humanité. la provocation à la haine à raison de Exemple : en 2015 interrogé la race. par un journaliste qui lui demandait Si les objectifs affichés sont s’il regrettait d’avoir qualifié les compréhensibles, la difficulté chambres à gaz de « détail », vient de ce qu’il est compliqué le président du Front national a d’appréhender les propos tenus répondu : « Pas du tout. Ce que j’ai dans une audience de comparution dit correspondait à ma pensée que immédiate et qu’il est de loin les chambre à gaz était un détail préférable de laisser l’appréciation de l’histoire de la guerre, à moins des propos tenus au juge de la d’admettre que ce soit la guerre qui presse. soit un détail des chambres à gaz ».

Définition des infractions Provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciste Apologie de crimes contre ou homophobe l’humanité et contestation Les propos encouragent la de crimes contre l’humanité discrimination, la haine ou la violence raciste ou homophobe. Les propos ou écrits font la promotion ou justifient un crime Exemple : en mars 2019, sur de guerre ou un crime contre la page Facebook d’une antenne l’humanité. locale d’Action française, est mis en ligne un post qui prend appui Exemple : en 2014, un élu sur le reportage diffusé par la municipal du Maine-et-Loire, en chaîne Euronews relatif au retour désaccord avec l’installation de des femmes et des enfants des Gens du voyage sur un terrain de combattants de Daesh. Diverses sa commune, a dit publiquement : réactions assortissent cette « Comme quoi Hitler n’en a peut- publication dont un certain nombre être pas tué assez, hein ». Il s’agit ici relève d’incitation à la haine raciale, d’un délit d’apologie de crime contre voire de l’appel au meurtre. Ainsi, l’humanité. un des commentaires est : « Déjà enlever ces chiffons qui leur cachent Contestation de crimes leurs sales gueules […] faut les saigner comme des truies qu’ils sont Les propos ou écrits nient ou car c’est vraiment de la merde ». minimisent un fait historique qui a trait à un crime contre l’humanité. De tels propos ou écrits vont constituer

79 Lutter contre le racisme

La diffamation raciste actions sont menées « pour trouver une solution à ce “fléau” devenu Les propos imputent des faits précis maintenant insupportable ». qui portent atteinte à l’honneur d’une personne ou d’un groupe de personne en raison notamment de Les juridictions pénales son origine, de sa religion ou de son apparence physique. Tribunal de police Exemple : en 2014 est activé Le tribunal de police siège au sein un profil Facebook dénommé « Non du tribunal judiciaire (ex tribunal de à l’invasion des Roms, la France grande instance) ou du tribunal de n’est pas une poubelle ». La page proximité (ex tribunal d’instance). est nourrie de différents « posts » Il statue toujours à juge unique, et dessins qui mettent en cause assisté d’un greffier. principalement, de façon générale et indifférenciée, la communauté Le tribunal de police est musulmane et la communauté rom. compétent pour juger les auteurs de Ainsi est mise en ligne une photo contraventions (de 1re à la 5e classe). avec la légende suivante : « Pour L’assistance d’un avocat n’est pas tout dépannage contacter Hamed obligatoire devant cette juridiction. à la sécu, à l’Assedic, au café, en prison ou à la mosquée ». Tribunal correctionnel L’injure raciste Le tribunal correctionnel est une chambre spécialisée du tribunal La loi donne une définition de judiciaire. Il est compétent pour juger la présente infraction : « Toute toute personne soupçonnée d’avoir expression outrageante, terme commis un délit. de mépris ou invective adressé à L’audience se déroule devant un une personne ou à un groupe à ou trois juges. Le prévenu doit être raison de leur origine ou de leur présent ou représenté par un avocat. appartenance à une ethnie, une Le tribunal rend sa décision après un nation, une prétendue race ou débat contradictoire. Les décisions religion déterminée ». sont adaptées à la personnalité du Exemple : en 2011, lors d’une condamné et à ses ressources. interview, le maire d’une commune de la région du Grand Est s’exprime sur les Gens du voyage. Après avoir souligné que la présence de ces personnes a rendu « la vie difficile voire parfois insupportable dans nos communes », il ajoute que plusieurs

80 Les actions juridiques de lutte contre le racisme

Les différentes lois permettant de poursuivre les comportements racistes, antisémites, xénophobes et homophobes Crime contre l’humanité

Apologie de crimes Contestation de crimes contre l’humanité contre l’humanité

Nature de l’infraction Délit Délit

Article 24 alinéa 3 de la loi Article 24 bis de la loi Textes du 29 juillet 1881 du 29 juillet 1881

Peines principales 5 ans d’emprisonnement 5 ans d’emprisonnement maximales encourues et/ou 45 000 € d’amende et/ou 45 000 € d’amende

Prescription de 1 an 3 mois l’action publique

Juridiction compétente Tribunal correctionnel Tribunal correctionnel

Provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence

Provocation Provocation non Provocation publique à la Provocation non publique à la publique à la discrimination, à publique à la discrimination, à discrimination, à la haine ou à la discrimination, à la haine ou à la la haine ou à la violence a raison la haine ou à la violence à raison violence raciale de l’orientation violence raciale de l’orientation sexuelle sexuelle Nature de Contravention Contravention Délit Délit l’infraction de 5e classe de 5e classe Article 24 alinéa Article 24 alinéa Articles R. 625-7 Article R. 625-7 Textes 7 de la loi du 29 8 de la loi du 29 alinéa 1 et R. 625- alinéa 2 du code juillet 1881 juillet 1881 8-2 du code pénal pénal 1 an 1 an 1 500 € Peines d’emprisonnement d’emprisonnement 1 500 € + peines d’amende + principales et/ou 45 000 € et/ou 45 000 € complémentaires peines encourues d’amende d’amende complémentaires Prescription de l’action 1 an 1 an 3 mois 3 mois publique Tribunal Tribunal Tribunal Tribunal Tribunal compétent correctionnel correctionnel de police de police 81 Lutter contre le racisme Diffamation

Diffamation Diffamation Diffamation Diffamation non non publique publique à publique fondée publique à raison fondée sur raison de sur l’origine ou de l’orientation l’origine ou la l’orientation la religion sexuelle religion sexuelle Nature de Contravention Contravention Délit Délit l’infraction de 5e classe de 5e classe Articles R. 625-8 Article 32 alinéa Article 32 alinéa Article R. 625-8 alinéa 1 et R. Textes 2 de la loi du 29 3 de la loi du 29 alinéa 2 du code 625-8-2 du code juillet 1881 juillet 1881 pénal pénal 1 an 1 500 € Peines 1 an de prison 1 500 € d’amende d’emprisonnement d’amende principales et/ou 45 000 € + peines et/ou 45 000 € + peines encourues d’amende complémentaires d’amende complémentaires Prescription de l’action 1 an 3 mois 1 an 3 mois publique Tribunal Tribunal Tribunal de Tribunal Tribunal compétent correctionnel police correctionnel de police

Injure Injure publique Injure non Injure publique Injure non fondée sur publique fondée à raison de publique à raison l’origine ou la sur l’origine ou l’orientation de l’orientation religion la religion sexuelle sexuelle Nature de Contravention Contravention Délit Délit l’infraction de 5e classe de 5e classe Articles R. 625- Article 33 alinéa Article 33 alinéa Articles R. 625-8-1 8-1 alinéa 1 et R. Textes 3 de la loi du 29 4 de la loi du 29 alinéa 2 et R. 625-8- 625-8-2 du code juillet 1881 juillet 1881 2 du code pénal pénal 1 an 1 an Peines 1 500 € d’amende 1 500 € d’amende d’emprisonnement d’emprisonnement principales + peines + peines et 45 000 € et 45 000 € encourues complémentaires complémentaires d’amende d’amende Prescription de l’action 1 an 3 mois 1 an 3 mois publique Tribunal Tribunal Tribunal Tribunal Tribunal de police compétent correctionnel correctionnel de police 82 Les actions juridiques de lutte contre le racisme

Les institutions droits de l’enfant, du respect de la et organismes officiels déontologie des professionnels de la sécurité, des droits des usagers des services publics et de l’orientation et délégué interministériel à la lutte la protection des lanceurs d’alerte contre le racisme, l’antisémitisme https://defenseurdesdroits.fr/ et la haine anti-LGBT (Dilcrah)

Depuis 2012 il coordonne la Comité opérationnel politique nationale de lutte contre le de lutte contre le racisme racisme et l’antisémitisme, à laquelle et l’antisémitisme (Cora) a été rajouté en 2016 la haine anti- LGBT. A succédé à la Commission pour la https://www.gouvernement.fr/dilcrah promotion de l’égalité des chances et de la citoyenneté (Copec). Un Cora est installé dans chaque Commission nationale consultative département. des droits de l’Homme (CNCDH)

A été fondé en 1947 à l’initiative Plateforme d’harmonisation, de René Cassin. Elle a le d’analyse, de recoupement statut d’autorité administrative et d’orientation des signalements indépendante et assure la promotion (Pharos) et la défense des droits de l’Homme. En 1990, elle est nommée Portail officiel du ministère de rapporteur national indépendant sur l’Intérieur, dispositif permettant le la lutte contre le racisme sous toutes signalement des faits illicites de ses formes. La sous-commission, l’Internet, en particulier ceux de « Racismes, discriminations et haine raciale. intolérance » produit tous les https://www.interieur.gouv. ans un rapport sur le racisme, fr/A-votre-service/Ma-securite/ l’antisémitisme et la xénophobie. Conseils-pratiques/Sur-internet/ https://www.cncdh.fr/ Signaler-un-contenu-suspect-ou- illicite-avec-PHAROS Défenseur des droits (DDD) Comment agir face à des cas Autorité administrative indépendante, créée en 2011, Porter plainte au commissariat a repris les pouvoirs et les ou à la gendarmerie. compétences de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations Porter plainte auprès du procureur et pour l’égalité (Halde), créée en de la République. 2004. Le DDD est aussi chargé de la défense et de la promotion des 83 Lutter contre le racisme

Modèle de courrier

Nom, Prénom

Adresse

Madame/Monsieur le procureur de la République

Tribunal judiciaire de

Adresse

Lettre recommandée avec A.R.

A (lieu), le (date)

Objet : Plainte pour (par exemple injures publiques à caractère raciste)

Madame/Monsieur le Procureur de la République,

Par la présente, je dépose plainte entre vos mains pour les faits suivants (exposer les faits avec le maximum de détails, copie des écrits s’il y a des publications, envois courriers ou mails, etc., le nom et les coordonnées des témoins s’il s’agit de propos tenus en public. Il faut toujours préciser la nature des preuves en votre possession).

Au regard de ces éléments, je porte plainte contre X ou mettre le nom de la personne identifiée comme étant l’auteur des propos ou écrits, pour (citez l’infraction, exemple : injures publiques pour des motifs racistes). Je vous remercie de l’attention portée à ma démarche, et de me tenir informé(e) des suites qui seront réservées. Je reste également à votre disposition pour tout complément qui vous serait nécessaire.

Dans l’attente, je vous prie d’agréer, Monsieur le Procureur de la République, l’expression de mes sentiments respectueux.

84 Pour aller plus loin POUR ALLER PLUS LOIN

Les quelques ouvrages proposés parcours de libération. La dignité ici ne couvrent pas, loin s’en faut, est la capacité de l’opprimé à tenir l’intégralité de la production sur debout entre la vie et la mort. les sujets traités ni même des « fondamentaux ». Le choix de Césaire Aymé, Discours sur le considérer tel ou tel ouvrage comme colonialisme suivi de Discours sur la un « fondamental » est en partie négritude, Paris, Présence africaine, subjectif mais il prend en compte le 2000. rôle joué par certains chercheurs, Un texte mêlant critique du écrivains, acteurs historiques. Un colonialisme et de l’esclavage et certain nombre d’ouvrages ont été d’une lutte des classes qui ne prend cités en note. Ils ne figurent pas pas en compte la question coloniale dans ce document. et l’affirmation d’une combativité au nom d’un universalisme réellement Nous n’avons pas non plus universel : « Notre lutte, la lutte de parties sur les guerres de des peuples colonisés contre le colonisation et les guerres de colonialisme, la lutte des peuples libération nationale car le sujet de couleur contre le racisme est est trop vaste, et par conséquent, beaucoup plus complexe — que la sélection des ouvrages trop dis-je ? D’une tout autre nature que aléatoire. la lutte de l’ouvrier français contre le capitalisme, et ne saurait en aucune Racismes, antiracismes manière être considérée comme une partie [de la lutte des classes] ». Ajari Norman, La Dignité ou la Fanon Frantz, Les Damnés de la mort, Paris, La Découverte, 2019. terre, Paris, La Découverte, 2002 La Dignité ou la mort propose (1re édition 1961). une implacable analyse critique Anticolonialisme, luttes de de la tradition philosophique libération, fondations du tiers- européenne. Mais c’est pour mondisme et perspective sur l’Etat- mieux renouer avec l’histoire nation africain postcolonial. méconnue de la pensée radicale des mondes noirs. Les révoltes Fanon Frantz, Peaux noires, d’esclaves, la négritude, les usages masques blancs, Paris, Seuil, Points révolutionnaires du christianisme Essais, 1971 (1re édition 1952). en Amérique du Nord et en Afrique Une brillante analyse, d’un point du Sud, l’ontologie politique seront de vue psychologique de ce que le autant d’étapes d’un véritable colonialisme a laissé en héritage 85 Lutter contre le racisme

à l’humanité, et ceci en partant du des débats et une proposition rapport entre le Noir et le Blanc. de définition : le « processus « Moi, homme de couleur, je social complexe de racialisation/ ne veux qu’une chose : que jamais altérisation appuyée sur le signe de l’instrument ne domine l’homme. l’appartenance (réelle ou supposée) Que cesse à jamais l’asservissement à la religion musulmane » Cette de l’homme par l’homme. C’est-à- définition permet d’articuler les dire de moi par un autre. Qu’il me idéologies, les préjugés et les soit permis de découvrir et de vouloir actes avec la construction publique l’homme où qu’il se trouve. Le nègre d’un « problème musulman » n’est pas. Pas plus que le Blanc ». par certaines élites depuis les années 1980. Glissant, Edouard, 10 Mai : Mémoires de la traite négrière, de Heyer Evelyne & Reynaud-Paligot l’esclavage et de leurs abolitions, Caroline, On vient vraiment tous Paris, Galaad, 2010. d’Afrique ? Paris, Champs actuel, Le 10 mai n’est pas une date 2019. anniversaire : les abolitions des Malgré le discours des esclavages se sont succédé sur scientifiques réfutant la notion plus d’un demi-siècle. C’est une de race, les discriminations et le date commémorative de ces racisme perdurent. L’ambition de abolitions (…). Le livre fait retentir ce livre est de comprendre leur les voix de celles et ceux qui se construction sociale. En vingt- sont battus pour la liberté : textes cinq questions, les auteures, d’analyse ou d’action, textes scientifiques, enseignantes, de l’iniquité ou de la libération, commissaires d’exposition, traitent proclamations ou ordonnances, les différents aspects du racisme confidences ou lamentations. des points de vue scientifique, social Glissant est l’inventeur de et culturel. notions comme « Tout-Monde », « identité-relation » (dans son livre Lapierre Nicole, Causes Poétique de la relation, 1990 : « à communes. Des juifs et des Noirs, la racine unique, qui tue alentour, Paris, Stock, 2011. n’oserons-nous pas proposer par De l’importance de la solidarité élargissement la Racine rhizome, qui et de l’empathie entre minorités qui ouvre Relation ? ». ont été ou sont encore persécutées ou victimes de discriminations. Hajjat Abdellali, Mohammed Plusieurs exemples de luttes Marwan, Islamophobie. Comment communes entre des juifs et des les élites françaises fabriquent le Noirs sont analysés ici, aux Etats- « problème musulman », Paris, Unis, en Afrique du Sud et en France La Découverte, 2016. Comment définir l’islamophobie : une synthèse des données et

86 Pour aller plus loin

Liegeois, Jean-Pierre, Roms et historiques de la définition de Tsiganes. Paris, La Découverte, la race et dévoile ses origines 2009. économiques, anthropologiques et Cet ouvrage décrit le parcours politiques. sociopolitique et culturel des communautés tsiganes et roms, Ndiaye Pap, La Condition noire. en prenant en compte leur Essai sur une minorité française, environnement et les interactions Paris, Gallimard, Folio Actuel, 2009 re dynamiques entre eux et leur (1 édition Calmann-Lévy, 2008). entourage. Le marginal joue un rôle De la notion de « race » à celle pilote : de la stigmatisation on passe de « condition » (minoritaire). De à la coexistence puis à l’intégration. la diversité des « identités noires » et de l’histoire des différentes Memmi Albert, Portrait du colonisé, formes de domination (esclavage, portrait du colonisateur. Paris, migrations et discriminations en Gallimard, Folio Actuel, 2002. France), des formes de solidarités « J’ai entrepris cet inventaire noires, jusqu’aux associations de la condition du colonisé d’abord de migrants et la mémoire de pour me comprendre moi-même et l’esclavage. identifier ma place au milieu des autres hommes Ce que j’avais décrit Piasere, Leonardo, Roms, une était le lot d’une multitude d’hommes histoire européenne. Paris, Bayard, à travers le monde. Je découvrais 2010. du même coup, en somme, que tous S’intéressant aux mouvements les colonisés se ressemblaient ; je du peuple Rom, de la Grèce e devais constater par la suite que byzantine au xi siècle à l’Empire tous les opprimés se ressemblaient ottoman, à l’Europe centrale, e en quelque mesure ». Et Sartre aux migrations du xv siècle vers d’écrire : « Cet ouvrage sobre et l’occident, jusqu’en Espagne ou clair se range parmi “les géométries en Irlande, voire l’Amérique, mais passionnées” : son objectivité aussi vers la Russie, la Pologne, calme, c’est de la souffrance et de la jusqu’à l’époque contemporaine, colère dépassée ». les derniers congrès Rom internationaux et internet, et Michel Aurélia, Un monde en nègre analysant les chiffres disponibles, et blanc, Paris, Seuil, Points Essais, l’auteur se livre à une véritable 2020. enquête, faisant tomber bien des Reprenant les grandes étapes idées reçues. qui ont mené de l’esclavage méditerranéen puis africain et Poliakov Léon, L’Histoire de atlantique aux processus de l’antisémitisme, quatre volumes colonisation européenne dans publiés entre 1955 et 1977, repris trois continents (Afrique, Amérique en poche, Paris, Le Seuil, Histoire, et Asie), le livre donne des clés 1991.

87 Lutter contre le racisme

Cette vaste étude sur la Thuram Lilian, La Pensée blanche. judéophobie à travers les âges, Editions Philipe Rey, 2000. menée principalement dans les Ce livre qui s’appuie sur sociétés européennes, examinant une réflexion et une expérience fables, rumeurs et légendes aussi personnelle interroge la pensée bien que les constructions savantes blanche, qui n’est pas une couleur et littéraires, introduit à la profondeur de peau mais un mode de pensée culturelle et sociétale des haines qui s’est diffusé dans le monde antijuives. Des doctrines, dont la entier. Quelle est son histoire, son trame fut tissée de la sève des origine et son fonctionnement, et meilleurs esprits, aux pratiques. comment est-elle devenue une norme, produisant la fossilisation Sartre Jean-Paul, Réflexions sur de hiérarchies, de schémas de la question juive. Paris, Gallimard. domination, d’habitudes qui nous Folio Essais. sont imposées. La thèse de Sartre est que la cause de la haine anti-juive ne doit Wieviorka Michel (dir.), pas être cherchée, dans les faits Antiracistes, Paris, Robert Laffont, et gestes des victimes juives, mais 2017. dans l’étude de leur persécuteur L’ouvrage a pour sous- – l’antisémite –, dont la première titre « Connaître le racisme et partie propose un « portrait ». l’antisémitisme pour mieux le combattre ». Pour ce combat, Soumahoro Maboula, Le Triangle les bons sentiments ne suffisent et l’Hexagone. Réflexions sur une pas. Il est possible, à condition identité noire, Paris, La Découverte, de s’appuyer sur des outils 2020. intellectuels solides afin d’éviter Maboula Soumahoro met en les écueils de l’amateurisme lumière la banalité du racisme et de l’hyperspécialisation. aujourd’hui en France, dans Ces outils ne peuvent être que les domaines personnels, pluridisciplinaires. Cet ouvrage est professionnels, intellectuels et issu d’un Mooc à destination de la médiatiques. Elle refuse ce qu’elle formation de formateurs au sein appelle l’illusion de l’objectivité et se de l’Education nationale, sous la prend comme sujet pour explorer la forme de 20 entretiens (E. Balibar, charge raciale portée par les racisés J.-Y. Camus, N. Mayer, P. Ndiaye, de France. L. Thuram, etc.) conduits par M. Wieviorka, avec l’idée que le Stora Benjamin, Le Transfert d’une souci de connaissance ne peut être mémoire : de l’Algérie française au dissocié de celui de l’action. racisme anti-Arabe, Paris, Electre, Repères, 2016.

88 Pour aller plus loin

L’universalisme dans la perspective décoloniale, qui utilise la notion de race de Lilti Antoine, L’Héritage des façon plus systématique, le récit Lumières. Ambivalences de la émancipateur de la modernité modernité, Paris, Editions EHESS. occidentale est inséparable de la Gallimard/Seuil. 2019. colonialité. La différence est exaltée Les Lumières sont souvent et l’universalisme récusé. Dans ce invoquées dans l’espace public rejet de l’universalisme, le concept comme un combat contre de race a une place primordiale. l’obscurantisme, combat qu’il (…) Les principes de l’universalisme s’agirait seulement de réactualiser. ont en effet servi à justifier la Des lectures, totalisantes et souvent colonisation et à imposer le modèle caricaturales, les associent au culte assimilationniste. Confondu avec du Progrès, au libéralisme politique l’uniforme, l’universalisme a et à un universalisme désincarné. souvent été de surplomb. Il faut Or, les Lumières n’ont pas proposé opposer à celui-ci non une pluralité une doctrine philosophique d’universels, mais un universalisme cohérente ou un projet politique pluriel. » commun. En confrontant des auteurs emblématiques et d’autres Sternhell Zeev, Les Anti-Lumières. e moins connus, cet ouvrage propose Une tradition du xviii à la Guerre de rendre aux Lumières leur froide, Paris, Gallimard, Folio complexité historique: un ensemble Histoire, 2006. de questions et de problèmes, bien Contre les Lumières et leurs plus qu’un prêt-à-penser. valeurs universelles qui régissent encore les sociétés démocratiques, Policar Alain, L’Inquiétante s’est dressée, du xviiie siècle à Familiarité de la race. aujourd’hui, une autre tradition. Décolonialisme, Intersectionnalité et Cette modernité se veut alternative Universalisme, Lormont, Le Bord de et mène la guerre grâce à une l’eau, 2020. argumentation rendue cohérente « Le post-colonialisme est par le fait que tous ses partisans l’héritier de l’anticolonialisme. se lisent les uns les autres avec Selon ce courant de pensée, la une grande attention et constituent colonisation, bien que terminée, son corpus voire une culture anti- continue de produire des inégalités. lumières qui servira à argumenter la Il propose de réintégrer dans la critique de l’universalisme. modernité des siècles de domination européenne structurelle à l’échelle Wolff Francis, Plaidoyer pour globale. C’est une relecture lucide l’universel : fonder l’éthique, Paris, de l’exploitation coloniale qui Fayard, 2019. garde comme boussole l’exigence universaliste. En revanche,

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Lois mémorielles Pluriel Essai, 2014. Gérard Noiriel présente ici Bessone Magali, Faire justice de un bilan des recherches menées l’irréparable : esclavage colonial et sur cette question depuis deux responsabilités contemporaines, décennies. Pour la première fois, Paris, Vrin, 2019. l’immigration étrangère, l’émigration coloniale et l’évolution du droit Igounet Valérie, Histoire du d’asile sont appréhendées dans négationnisme en France. Paris, une réflexion globale, qui permet Le Seuil, Sciences Humaines, 2000 d’éclairer les enjeux du débat actuel sur l’immigration. L’analyse détaillée Intégration, assimilation, des discours publics sur ce sujet met en évidence les stéréotypes dont les droit à la différence immigrants ont été victimes pendant Fassin Eric, Fassin Didier (dir.), plus d’un siècle. De la question sociale à la question Sayad Abdelmalek. La Double raciale, Paris, La Découverte, 2006. Absence. Paris, Le Seuil, Point, Laurent Sylvie et Leclère Thierry 1999 (préface de Pierre Bourdieu). (dir.), De quelle couleur sont les Fruit de vingt années de Blancs ?, Paris, La Découverte, recherche, ce livre restitue à 2013. l’immigration tout ce qui en fait le Le livre cherche à répondre à la sens, c’est-à-dire le non-sens : question Qu’est-ce qu’être blanc au par des entretiens admirables de xxie siècle? Un voyage passionnant délicatesse et de compréhension, il dans la majorité invisible, en amène les immigrés à livrer le plus blanchité post-coloniale à travers les profond de leur intimité collective, concepts de privilège blanc, racisme les contradictions déchirantes dont anti-Blancs, ligne de couleur… Avec leur existence déplacée est la Françoise Vergès, Enzo Traverso, conséquence. C’est par exemple Magyd Cherfi, Pascal Blanchard, l’immense mensonge collectif à Maboula Soumahoro et bien travers lequel l’immigration se d’autres. reproduit, chaque immigré étant conduit, par respect pour lui- Noirel Gérard, Etat, nation et même et aussi pour le groupe qui immigration. Vers une histoire du lui a donné mandat de s’exiler, à pouvoir, Paris, Editions Belin, 2001. dissimuler les souffrances liées à l’émigration et à encourager ainsi de Noirel Gérard, Immigration, nouveaux départs. antisémitisme et racisme en France (xixe et xxe siècles). Paris, Hachette,

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Romans, BD, Wieviorka Michel, L’Antisémitisme ouvrages pour enfants expliqué aux jeunes, Paris, Le Seuil, 2014. Ben Jelloun, Tahar, Le Racisme expliqué à ma fille ; Vingt ans après, Films, DVD ou VOD, CD audio : ce qui a changé. Paris, Le Seuil, 2018. Nous ne proposons que ce qui est encore accessible Glissant Edouard, Le Quatrième Siècle, Paris, Gallimard, 1997. Daniel Cattier, Juan Gélas, C’est le récit des destins croisés Fanny Glissant, Les Routes de de deux familles dont les ancêtres l’esclavage, DVD ou VOD. Arte ont été emmenés en esclavage. boutique. Parcours qui permet de voir sur plusieurs siècles ce qu’était la Césaire Aimé, Discours sur le vie dans les Antilles et les sorts colonialisme, texte lu par Antoine différents suivant les choix faits. Vitez. CD audio. 2009.

Nsafou Laura, Brun Barbara, Gay Amandine, Ouvrir la voix, DVD Comme un million de papillons ou VOD. Arte boutique. noirs, Paris, Cambourakis, 2018. LDH : « Penser l’antiracisme. Pour Simonnot Dominique, Amadora. une contre-offensive », Université Une enfance tsigane, Paris, d’automne 2015. Le Seuil, 2018. Lien pour les vidéos : https://www. Schwarz-Bart André et Simone, La ldh-france.org/videos-ua-2015/ Mulâtresse Solitude, Paris, Le Seuil, 1972 Et dossier « Penser l’antiracisme », Après son roman sur la Hommes et Libertés, n° 172, destruction des juifs dans les camps décembre 2015. nazis (Le Dernier des Justes, prix Miské Karim, Singaravélou Pierre Goncourt 1959), André Schwartz- et Ball Marc, Décolonisations. Série Bart a écrit avec son épouse documentaire (2 h 40 min). VOD Simone cette fiction historique Arte boutique. autour d’une héroïne de la révolte contre l’esclavage en Guadeloupe. Petit-Jouvet Laurence, La ligne de Personnage inventé, Solitude n’en couleur, 2014 (79 min), Produit et est pas moins devenue l’objet d’une diffusé par Avril, DVD édité par Huit, célébration mémorielle. Ils ont écrit disponible sur bit.ly/ d’autres romans ensemble. Vivre en France lorsqu’on est perçu comme Arabe, Noir ou asiatique. Des hommes et des femmes, français de culture

91 Lutter contre le racisme française, parlent chacun dans une lhomme/nous-autres-prejuges- « lettre filmée » de leur expérience racisme-3875 singulière, intime et sociale, d’’être regardés comme non-Blancs et Catalogue de l’exposition : d’avoir à penser à leur « couleur ». Heyer Evelyne, Reynaud-Paligot Site du film: www. Carole, Nous et les autres. Des lalignedecouleur.com préjugés au racisme. Paris, La Découverte, 2017. Sites https://histoirecoloniale.net/, site Exposition du Musée de Internet passionnant, géré à l’origine l’Homme « Nous et les autres, du par la section LDH de Toulon et préjugé au racisme » régulièrement alimenté par Gilles https://www.museedelhomme. Manceron. fr/fr/programme/expositions-galerie-

92 Publié en mars 2021 La législation et la jurisprudence évoluent de façon continue. Il convient donc de vérifier régulièrement les informations.

Ce document a été réalisé par le groupe de travail « Discriminations, racisme, antisémitisme » co-animé par Fabienne Messica et Nadia Doghramadjian.

Remerciements aux services juridique et communication, aux membres de la section 10/11, au Bureau national et au Comité central pour leurs contributions ou relectures.

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Ce document est une production du groupe de travail contre les discriminations piloté par Nadia Doghramadjian et Michel Miné. Il a bénéficié des contributions de NadjaLdH Djerrah— Ligue et Nicole des droitsSavy pour de les l’Homme rubriques « genre » et « sexisme ». 138 rue Marcadet – 75018 Paris Tél. 01 56 55 51 00 – Fax 01 42 55 51 21 [email protected] – www.ldh-france.org 94