L'abbe Gruget
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
EXTRAIT DE LA REVUE DE L'ANJOU MÉMOIRES ET JOURNAL DE L'ABBE GRUGET Curé de la Trinité d'Angers PUBLIÉS PAR E. L. ET ANNOTÉS PAR E. QUERUAU-LAMERIE ANGERS GERMAIN & G. GRASSIN, IMPRIMEURS-LIBRAIRES 40, rue du Cornet et rue Saint-Laud 1902 MÉMOIRES ET JOURNAL DE L'ABBÉ GRUGET Curé de la Trinité d'Angers AVANT-PROPOS Il y a près de dix ans, que la copie des Mémoires de l'abbé Gruget est prête à paraître. Différentes circonstances, toujours imprévues, en ont seules fait différer la publication jusqu'à ce jour. Depuis plus longtemps encore cette publication est vivement désirée par tous ceux que l'histoire politique et religieuse de l'Anjou ne laisse pas indifférents. Les uns en attendent des faits nouveaux capables d'éclairer l'obscurité de certains événements de la période révolutionnaire, si terrible dans notre pays. Les autres espèrent que la religion recevra un nouveau lustre du récit, écrit par un témoin contemporain de l'héroïsme admirable que montrèrent un si grand nombre de victimes tombées sous les coups des ennemis de leur foi. L'espoir des uns et des autres, hâtons-nous de le dire, ne sera pas complète- ment réalisé, et cela pour deux raisons : d'abord ces Mémoires, que nous présen- tons aujourd'hui au public, sont malheureusement fort incomplets, ainsi qu'on le verra plus loin. Ensuite ils ont déjà passé par les mains de plusieurs écrivains qui se sont fait un devoir, que personne ne leur reprochera, d'en extraire les faits les plus importants et les exemples les plus édifiants du courage et des vertus que firent éclater au grand jour les martyrs de la Révolution. Les plus belles fleurs du sacrifice et du dévouement ont donc déjà été cueillies dans ce manuscrit et offertes aux lecteurs dans différents ouvrages comme en autant de gerbes précieuses. L'ensemble en paraîtra peut-être moins attrayant parce qu'il n'aura pas autant la saveur de l'inédit, et qu'il rappellera à beaucoup des souvenirs de choses déjà lues. La publication intégrale de ce qui nous reste ne sera pas néanmoins dépour- vue d'intérêt. Elle aura à tout le moins l'avantage de réunir en un volume et de conserver à la postérité tout ce qui n'a pas été perdu des mémoires sortis de la plume de cet homme de bien, de ce saint prêtre que fut l'abbé Gruget. De plus, si les faits principaux sont allé embellir les tableaux tracés par les historiens, ceux- ci en ont omis beaucoup d'autres, moins importants sans doute, mais qui cepen- dant méritent de ne pas tomber dans l'oubli. Du reste, de l'ensemble des récits de l'abbé Gruget se dégage une impression qu'aucun écrivain n'a su et même ne pouvait donner au même degré : l'impres- sion, pleine d'émotion communicative, que donne la parole d'un contemporain racontant les événements terribles au milieu desquels il a vécu. Ce qu'il n'a pas vu de ses yeux, il l'a entendu de témoins oculaires encore tout frissonnants de l'horreur des scènes de carnage auxquelles ils venaient d'assister. Il vécut long- temps dans cette atmosphère de crainte et de terreur à l'égard des bourreaux, d'admiration pour les victimes, et tous ces sentiments se retrouvent dans ses Mé- moires. On peut dire à la lettre qu'il fut lui-même le témoin journalier du jeu ef- froyable de la guillotine, puisqu'il habitait une maison dont les fenêtres s'ouvraient sur la nouvelle place où avaient lieu ces sanglants spectacles. De sa chambre, dit la tradition, il voyait les victimes monter les degrés de l'échafaud, il leur donnait l'absolution suprême, au moment où tombait le couteau et où retentissaient les cris de fureur du peuple affolé par la vue du sang. Aussi une vive émotion s'exhale-t-elle de ces pages, malgré les grosses incor- rections de style qui les déparent, car ce n'est pas une œuvre littéraire; loin de là, il y à même des phrases qui ne sont pas françaises, des répétions de mots fati- gantes. En revanche on y rencontre des qualités intimes qui font publier ces dé- fauts de forme : on voit une âme à la fois naïve et forte au milieu des plus terribles événements; une foi robuste et ferme qui ne se laisse pas abattre par des catas- trophes sans précédent, et qui au milieu des œuvres de sang sait reconnaître la main de la Providence et démêler ses desseins ; un jugement juste et sain qui fait remonter aux vrais coupables la responsabilité de tant de sang versé. D'un trait, au besoin, il réussit à marquer les ridicules inconséquences de ces hommes qui avaient sans cesse à la bouche les mots de liberté et d'égalité, et dont chaque ac- tion démentait les phrases déclamatoires ; tels ces membres de la Commission militaire lors de leur entrée à Angers, entourés, d'une nombreuse escorte : « Tout en eux annonçait la grandeur à laquelle ils faisaient semblant d'avoir renoncé, et la terreur qu'ils inspiraient par leur costume et leur figure ». Voilà certes des fi- gures prises sur le vif et peintes au naturel, et comme on en rencontre encore de nos jours, à qui il ne manque que peu de chose, l'occasion peut-être, pour leur res- sembler à la perfection ! C'est contre ces hommes, juges et bourreaux à la fois, c'est contre les autorités administratives qui, par peur ou par entraînement révolutionnaire, les laissaient accomplir leur sinistre besogne, que l'abbé Gruget élève ses accusations venge- resses et porte une condamnation que la postérité a ratifiée ; le tout sans mots à effet, d'un ton calme et tranquille, tel qu'est celui d'un homme que l'habitude de voir la mort en face, et la certitude que sa propre vie est à la merci d'un dénon- ciateur, a rendu maître de ses pensées et de ses impressions. Mais, s'il est justement sévère pour les bourreaux qu'il flétrit, il est par contre doux et pitoyable aux victimes qu'il exalte. De leur résignation et de leur courage devant la mort il ne se lasse pas de parler en des termes pleins d'une respectueuse admiration, comme il convenait pour des mar- tyrs de la foi dont il avait connu quelques-uns et risquait de partager le sort de tous. Il montre que le motif de leur condamnation est d'ordre plu- tôt politique que religieux. Ce qu'on poursuivait en eux, c'était moins leur attachement au trône que leur dévouement à l'autel. Dès la première page, il fait apparaître clairement ce caractère de la persécution. Après avoir nommé six des malheureux prisonniers de Doué, il ajoute qu'ils étaient « tous connus par leur probité et leur attachement à la religion et ayant la confiance de tous les honnêtes gens d'Angers. Ces titres étaient suffisants pour leur perte. » Quelques lignes plus bas il dit de M. de Romain : « C'était un homme vertueux, estimé et honoré de tous les honnêtes gens... Il n'en fallait pas davantage pour être persé-cuté ». Et plus loin, de Mme de Rougé : « Elle faisait trop de bien pour n'être pas exposée à la persécution. Elle le fut aussi. » Il serait facile de multiplier d'autres exemples d'expressions analogues qui font clairement ressortir qu'à ses yeux la persécution était antireligieuse avant tout. On fait un reproche à l'abbé Gruget de certaines inexactitudes ou exagé- rations qu'il a commises au cours de ses Mémoires. Je ferai tout d'abord remarquer qu'il n'y a guère à reprendre chez lui pour les faits qui se sont passés à Angers même ou dans les environs. Ces défauts portent surtout sur les événements qui ont eu lieu à de grandes distances, et que toujours la voix publique enfle ou diminue selon les intérêts ou les espérances d'un chacun. C'est ainsi qu'il grossit, d'après les bruits courants, le nombre et l'importance des défaites subies par les républicains et multiplie, au delà de toute mesure, le chiffre de leurs soldats tués ou disparus 1. C'est ce qui arrive à toutes les époques tragiques où de grands événements en frappant les imagina- tions, enlèvent à l'esprit la justesse dans l'appréciation des choses. Ce même phé- nomène intellectuel et moral, nous l'avons éprouvé dans la guerre de 1870, où l'annonce de victoires aussi nombreuses que fantaisistes était accueillie avec une égale crédulité par toutes les classes de la société. Quant aux légères erreurs qu'il a pu commettre au sujet des personnes ou des faits plus rapprochés, erreurs qui au fond ne touchent pas à la véri- té de ses tableaux, elles tiennent pour beaucoup à la façon dont il a écrit ses Mémoires. Au retour de ses courses que lui imposait l'exercice de son ministère, retiré dans sa chambre solitaire, il notait au jour le jour les ré- cits qu'il avait recueillis dans les conversations du dehors. Il ne lui était pas possible de les vérifier; il les inscrivait comme il les avait entendus, et les légères exagérations qu'on peut y rencontrer sont moins le fait de son imagination que de celle de ses interlocuteurs; en sorte que ses erreurs mêmes sont une preuve de la sincérité de son témoignage. Il a été comme l'écho fidèle des gens de bien qui, timides et renfermés chez eux en ces jours d'horreur et d'alarmes, accueillaient sans assez de contrôle tous les bruits en cours 2.