L'ironie Chez George Sand
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Université Toulouse Jean Jaurès U.F.R. de Lettres, Philosophie et Musique Master 2 de Lettres Modernes Mémoire de Master L’ironie chez George Sand : entre politique et poétique. Indiana, Mauprat, Les Beaux Messieurs de Bois-Doré Lenaïg GUILLERME Préparé sous la direction de Mme la Maître de Conférence Marine LE BAIL Années universitaires 2018-2020 Soutenance le 25/06/2020 Jury : Fabienne BERCEGOL, Marine LE BAIL 2 3 4 L’ironie chez George Sand : entre politique et poétique. Indiana, Mauprat, Les Beaux Messieurs de Bois-Doré 5 6 « Que voulez-vous qu’on dise aux pouvoirs pour les faire rougir ? Que voulez-vous qu’on dise aux opprimés pour les réveiller ? » - GEORGE SAND 7 8 Remerciements Je tiens à exprimer toute ma gratitude à Marine Le Bail, qui a dirigé ce travail d’une main bienveillante, guidée par une passion érudite et généreuse et ce malgré les difficultés qu’a posées un printemps 2020 malmené par son actualité sanitaire. C’est avec reconnaissance que je remercie également Fabienne Bercegol pour l’éclairage précieux de sa correction lors de la soutenance de première année. Que soient aussi remerciés mes parents pour m’avoir relue avec un vif intérêt, mais surtout pour m’avoir toujours soutenue. Merci de m’avoir fait confiance, de m’avoir donné le goût de la culture, des lettres, et de m’avoir encouragée à suivre ma voie. Enfin, je tiens à honorer l’engagement quotidien de ma compagne Emma qui m’a épaulée avec une joie salutaire, et dont l’aide et la présence si chères m’ont permis de mener ce travail dans les meilleures conditions. 9 Sommaire Introduction………………………………………………………………………………….13 George Sand et l’ironie au XIXe siècle………………………………………………………23 1. L’ironie sandienne : une conversation…………………………………………….23 2. Idéal et transcendance après la Révolution : la naissance de l’ironie du siècle…….38 3. L’ironie créatrice d’une George Sand idéaliste……………………………………53 Poétique de l’ironie sandienne………………………………………………………………75 1. L’effet-voix, ou comment faire entendre l’ironie………………………………….75 2. Stylistique de la mesure et de la démesure………………………………………..99 Du côté de la réception : une ironie manquée…………………………………………….111 1. Énonciation éditoriale : l’ironie et son image dans notre corpus…………………111 2. Le rire n’est pas une fin en soi, ironie et figures voisines…………………………132 Le décalage avec l’Histoire, une source d’ironie pour penser le système social…………141 1. La littérature comme actant politique…………………………………………….141 2. L’ironie romanesque comme instrument de critique sociale…………………….149 3. L’ironie au service d’une théorisation en arabesque du roman………………….173 4. Le décalage avec l’Histoire………………………………………………………186 Conclusion…………………………………………………………………………………..199 BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………………………..203 ANNEXES…………………………………………………………………………………..215 TABLE DES MATIÈRES…………………………………………………………………...234 11 12 Introduction Que ce soit éducation, insufflation ou prédisposition, il est certain que l'amour du roman s'empara de moi passionnément avant que j'eusse fini d'apprendre à lire.1 George Sand témoigne dans son autobiographie d’un attrait précoce pour l’écriture relevant de la nécessité. Son extraordinaire production littéraire naît d’un besoin fondamental, qui se traduit par une foi en l’écriture et en sa capacité à avoir un effet positif sur le lecteur. En effet, George Sand entend à travers son œuvre jouer sur les émotions du lecteur, sans les considérer comme une fin en soi mais bien dans l’espoir qu’elles déboucheront sur de véritables actions. Cette spécificité sandienne conduit à une conception du roman comme un objet performatif, dont le langage littéraire serait un moyen d’agir sur le monde. C’est alors une mission sociale que l’auteure confie au roman, fondée sur une interaction entre la littérature et la société. Dans son œuvre romanesque, cette foi se lit dans l’omniprésence et l’efficacité de la voix narrative, si caractéristique chez l’auteure. Son caractère, ses valeurs, et sa justesse font du narrateur sandien une instance effective, relais de la parole de l’auteure et instrument d’action romanesque. Auteure engagée malgré l’anachronisme du terme, George Sand observe les dysfonctionnements douloureux de la société française de son temps, et considère le socialisme et l’avènement de la République comme moyens fondamentaux d’accès à un monde meilleur. Son œuvre porte la trace d’une critique sociale sans cesse reconsidérée, et sa réflexion est nourrie d’un idéalisme dont elle ne démord pas. Considérant la performativité de l’écrit, et en particulier, elle en est convaincue, celle du roman ; et son aspiration à une société meilleure teintée d’idéal, son œuvre relève à la fois de l’émotion spontanée, de la réflexion sociale, et de la formulation de pistes philosophiques dirigées vers une amélioration future. Pour cela, George Sand se sert de la fiction, et plus spécialement des personnages, qu’elle traite parfois en type, parfois en nuances, mais toujours selon un schéma qui sert son propos. En effet, la grande majorité d’entre eux sont des caractères en mouvement, dont le narrateur suit l’évolution et qu’il juge en fonction de l’idéal de l’auteure. George Sand utilise dans ce but et avec une visée pragmatique un outil tantôt discret, tantôt massif, parfois mordant, qui lui sert de marqueur axiologique : l’ironie. 1 G. SAND. Histoire de ma vie, Paris, Le Livre de Poche, 2004, pp. 146 – 147 13 L’ironie est un objet rhétorique traité depuis l’Antiquité, par des penseurs grecs comme Socrate ou Aristote, dont la philosophie moderne s’est emparée, avec Kierkegaard2, Jankélévitch3 ou Bergson4. Étudiée actuellement dans les domaines linguistique et stylistique par Catherine Kerbrat-Orecchioni5 notamment, l’ironie est un phénomène complexe du discours. Venant étymologiquement du verbe grec ancien eirôn signifiant interroger et du substantif de la même racine eirôneia décrivant un comportement qualifiable de fausse naïveté, l’ironie se définit habituellement comme le fait de dire quelque chose tout en prétendant ne pas être en train de le dire. Ressort de la philosophie socratique utilisé pour amener l’interlocuteur là où le locuteur le désire, elle désigne à l’origine la dissimulation d’une pensée derrière un discours qui n’en dit rien, voire qui en dit le contraire. Elle se développe à travers les siècles et revêt ensuite tant de formes qu’il devient difficile de la décrire. La spécificité littéraire de l’ironie est un objet complexe, auquel quelques auteurs ont dédié des ouvrages, comme Pierre Schoentjes6 ou Philippe Hamon7 qui en ont étudié l’évolution dans les lettres selon différents courants impliquant des usages divers, ou plus récemment François Bompaire qui publie en 2020 Définir l’ironie en France entre 1800 et 19508 autour de l’œuvre d’André Gide. Philippe Hamon a proposé dans une approche pragmatique de considérer l’ironie littéraire comme une posture d’énonciation particulière, voire comme un genre. Par ailleurs, tous ceux qui se sont penchés sur cet objet font de l’ambiguïté, de la dualité, la qualité essentielle du discours ironique. Cette ambiguïté vient du fait que l’ironie prétend utiliser les mots dans leurs acceptions premières, mais en tirent de nouvelles pour leur faire dire quelque chose de différent. Elle est particulièrement impalpable, et relève d’un ressenti, d’une intuition du lecteur face au discours qui lui est adressé. La posture d’énonciation est dès lors d’une importance capitale, car c’est en se fondant sur sa connaissance que le lecteur peut se préparer ou non à la réception d’un énoncé ironique. Sa saisie est incertaine, voire aléatoire, car la capacité du lecteur à comprendre, à ressentir l’ironie, s’ajoute à l’écriture elle-même. En outre, si à l’oral il 2 S. KIERKEGAARD. Œuvres complètes, Tome II : Le Concept d'ironie constamment rapporté à Socrate. Confession publique. Johannes Climacus ou De omnibus dubitandum est, Traduction de Paul-Henri Tisseau et Else-Marie Jacquet-Tisseau, Introduction de Jean Brun, Paris, Éditions de l’Orante, 1975 3 V. JANKELEVITCH. L’ironie, Paris, Flammarion, 1999 4 H. BERGSON. Le Rire : essai sur la signification du comique, Paris, PUF, 2007 5 C. KERBRAT-ORECCHIONI. L’implicite, Paris, Armand Colin, 1998 6 P. SCHOENTJES. Poétique de l’ironie, Paris, Seuil, 2001 7 P. HAMON. L’ironie littéraire. Essai sur les formes de l’écriture oblique, Paris, Hachette Supérieur, 1996 8 F. BOMPAIRE. Définir l’ironie en France entre 1800 et 1950, Paris, Classiques Garnier, 2020 14 est plus aisé de différencier une parole ironique d’une autre, à l’écrit cela se révèle être un tout autre défi. La littérature s’empare donc de cet objet d’une grande complexité linguistique et stylistique en ayant pleinement conscience de son ambiguïté fondamentale. Par conséquent, les auteurs poétisent cette nature à travers des mots exprimant le détour, telle l’image devenue topique d’« arabesque9 » fixée par Jankélévitch, qui ajoute ainsi à l’ambiguïté de l’ironie la notion de contournement élégant de l’argumentation adverse. En effet, l’ironie sert pour lui de révélateur de vérité en se servant avec finesse des armes de l’ennemi. De la même manière, Philippe Hamon10 évoque lui la forme même du discours ironique en arabesque quand il sous- titre son ouvrage « écriture de l’oblique ». En tant qu’objet de saisie intuitive et d’essence ambiguë, l’ironie conduit parfois ses tentatives de saisie à une simplification appauvrissante, ce qui en retire la qualité vibrante. Elle est effectivement un objet discursif équivoque, et la comprendre demande un effort de l’esprit qui doit passer outre le masque du sens littéral de la langue pour saisir son double discours. Elle produit dans la réalité une adhésion, un sentiment d’appartenance, de celle ou celui qui la saisit, ce qui en fait une stratégie de connivence efficace.