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Master en enseignement secondaire I

La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement : mythe ou réalité ? Éléments de réponse en milieu rural malgache

Mémoire professionnel

Figure 1: Schéma famille AngeloMaster en enseignement secondaire I

La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement : mythe ou réalité ? Éléments de réponse en milieu rural malgache

Auteur : Guillaume Golay (P43022) Mémoire professionnel Sous la direction de : Mme. Moïra Laffranchini Ngoenha (HEPL)

Membre du jury : M. Marc Surian (HEPL)

Lieu et date : Lausanne, juin 2019

Auteur : Guillaume Golay (P43022)

Sous la direction de : Mme. Moïra Laffranchini Ngoenha (HEPL)

Membre du jury : M. Marc Surian (HEPL) HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? Table des matières 1. Introduction ...... 1 2. Contexte de la recherche ...... 4 2.1. MSISO35 - Echange interculturel avec ...... 4 2.2. Madagascar, district de , Anjiro ...... 7 2.3. La scolarité à Madagascar et à Anjiro ...... 10 3. Méthodologie ...... 17 3.1. La démarche ethnographique ...... 17 3.2. L’observation participante ...... 19 3.3. Les entretiens ...... 20 3.3.1. Guide d’entretiens ...... 23 4. Problématique et axes de recherche ...... 24 5. Analyses ...... 27 5.1. Entretien avec l’adjoint du maire ...... 28 5.2. Entretien avec le directeur ...... 29 5.3. Entretiens avec des élèves ...... 30 5.3.1. Angelo ...... 31 5.3.2. Hasina ...... 32 5.3.3. Linah ...... 33 5.3.4. Lovaniaina Rica ...... 34 5.3.5. Omega ...... 36 5.3.6. Rahando Faneva ...... 37 5.3.7. Rojonihaina ...... 39 5.4. Synthèse des entretiens avec les élèves ...... 40 5.5. Discussion avec Haingo ...... 43 5.6. Synthèse des entretiens et liens avec la littérature ...... 44 5.7. Liens avec ma pratique professionnelle ...... 51 6. Conclusion ...... 53 7. Bibliographie ...... 56 7.1.1. Document cadre : ...... 57 7.1.2. Sites internet : ...... 57 8. Annexes ...... 59

Guillaume Golay Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

8.1. Discussion avec l’adjoint du maire ...... 59 8.2. Entretien avec le directeur du collège ...... 66 8.3. Entretiens avec les élèves ...... 76 8.3.1. Grille d’entretiens ...... 76 8.3.2. Lovaniaina Rica ...... 77 8.3.3. Rojonihaina ...... 83 8.3.4. Angelo ...... 88 8.3.5. Omega ...... 92 8.3.6. Linah ...... 96 8.3.7. Rahando Faneva ...... 100 8.3.8. Hasina ...... 105 Résumé ...... 110

Guillaume Golay Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

1. Introduction

Dans le cadre du master pour l’enseignement aux degrés du secondaire I, il est nécessaire de rédiger un mémoire de master. Ce dernier doit permettre de démontrer mes capacités à approfondir une thématique en lien avec ma pratique professionnelle et avec les différents cours suivis durant mon cursus pédagogique. En particulier, il est demandé de « mettre en œuvre une démarche d’analyse de données […] permettant d’enrichir ses connaissances, ses compétences et ses pratiques en matière d’enseignement » (document cadre de la filière secondaire I, p.2). Parmi les objectifs du Document cadre de la filière secondaire I, je retiens le fait de « percevoir les enjeux de la recherche dans le champ de l’enseignement, apprendre à tirer parti de résultats de recherches publiées afin d’enrichir les pratiques professionnelles, renforcer l’aptitude à se décentrer pour étudier de manière plus méthodique une réalité documentée » ou encore « contribuer au développement de savoirs disponibles dans un domaine donné » (document cadre de la filière secondaire I, p.2). Le choix du thème s’est fait selon l’intérêt et les compétences de Mme. Laffranchini Ngoenha. Il s’inscrit dans mon champ professionnel actuel puisqu’il est consacré à la scolarisation d’élèves malgaches de niveau secondaire I.

Après avoir achevé la formation pour l’enseignement de la géographie aux degrés du secondaire II en 2018, j’ai enchainé cette année en intégrant le master pour l’enseignement au secondaire I. Ces deux années de formation ont été bénéfiques pour pouvoir appréhender le métier d’enseignant de façon plus globale et prendre du recul sur mes pratiques professionnelles. En effet, je considère qu’il est important de sans cesse chercher à se perfectionner et à se remettre en question pour transmettre la formation le plus complète possible aux élèves. C’est dans cette optique que j’ai saisi l’occasion offerte par le cours MSISO35 - Échange interculturel avec Madagascar. Ce cours propose à des étudiants de participer à un échange avec des enseignants malgaches, en collaboration avec le CRINFP1. L’échange comporte un séjour de deux semaines en immersion dans une famille malgache pour partager le quotidien d’un/e enseignant(e). Par la suite, il s’agit d’héberger cette personne en Suisse pour lui faire découvrir notre quotidien. Les contrastes entre la scolarité et la vie à Madagascar et en Suisse sont marqués. La confrontation des pratiques, l’observation et le partage sont autant de démarches qui permettent d’évoluer et d’apporter un nouveau regard sur ses activités.

Ce travail décrit une partie de mon expérience malgache en approfondissant des aspects liés à la scolarité. Il est rédigé de façon très personnelle, en lien avec la démarche adoptée, mais

1 Centre Régional de l'Instruction nationale de Formation Pédagogique Guillaume Golay 1 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? s’affranchissant du contexte scientifique habituel. En particulier, il s’intéresse à la motivation des jeunes vis-à-vis de leur scolarité. Le cheminement jusqu’à la sélection de cette thématique a été long et sinueux. Au départ, il s’agissait de s’intéresser aux stratégies familiales en lien avec la scolarité. En effet, j’ai eu la chance de partir durant deux mois au Sénégal dans le cadre de mon mémoire de master en démographie. J’avais alors effectué une enquête de terrain autour des migrations temporaires des jeunes hommes. Néanmoins, des liens entre migrations et scolarité ont alors rapidement émergé et j’avais à cœur d’en savoir plus en profitant de mon expérience malgache. Ensuite, il a été décidé de procéder selon une démarche ethnographique offrant beaucoup de liberté au cadrage du sujet initial et diverses possibilités d’adaptation au contexte une fois sur place. Le séjour ayant duré deux semaines, c’était un délai très court pour mettre en place une réelle démarche d’enquête, tout en se confrontant à l’expérience de l’altérité et en s’adaptant aux événements. Une fois de retour, il a fallu rassembler les différents éléments récoltés et prendre du recul sur la façon de les exploiter. Tout le processus de sélection et d’identification d’un thème puis d’une problématique s’est effectué en autonomie durant le voyage puis par la suite une fois de retour en Suisse. Il est évident que l’organisation et les méthodes de travail adoptées auraient pu être différentes et ce travail ouvre de multiples questions à approfondir.

Le titre se veut volontairement provocateur. Toutefois, il a été choisi, car il reprend une thématique régulièrement évoquée par mes camarades. Aussi, il permet de mobiliser à la fois des questions de stratégies familiales, de respect de l’autorité, de discipline ou de reconnaissance. En particulier, il a été sélectionné, car j’ai eu le sentiment que tous mes camarades parvenaient à un consensus autour du fait qu’ils étaient impressionnés par la soif de savoirs des élèves et leur discipline en classe. Il y avait généralement aussi un consensus sur l’explication à cette soif de savoirs : l’accès à la scolarité est difficile alors les élèves sont conscients de la chance qu’ils ont et ils la saisissent. Fondamentalement, je peux déjà affirmer que je ne suis pas contre cette hypothèse. En revanche, j’avais la conviction que la situation était certainement plus complexe qu’elle pouvait y paraître. Mon parcours de géographe puis de démographe n’est certainement pas étranger à cette volonté de vérifier ce qui se cache derrière les choses qui semblent faire l’unanimité. La discipline des élèves était particulièrement impressionnante, ceci d’autant plus pour des classes au secondaire I pouvant dépasser les 60 élèves. Cet aspect ne constituait pas une priorité de mon questionnement avant de partir, mais il est rapidement apparu pour se faire une place dans ce travail. Toute une série d’autres thèmes aurait mérité une attention particulière : enseigner dans une école malgré le manque de moyen,

Guillaume Golay 2 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? gestion et rigueur autour des absences des élèves et des enseignants, pertinence de l’enseignement en langue française pour des populations rurales, retards du personnel enseignant, et tant d’autres encore.

Le travail s’organise de la façon suivante. La première partie est consacrée au contexte de la recherche, notamment aux objectifs du cours MSISO35 Echange interculturel avec Madagascar, à l’organisation et au déroulement du voyage (avant, pendant, après), ainsi qu’à la présentation de la région d’étude avec une attention particulière pour les caractéristiques scolaires. Ensuite, une partie est consacrée à l’explicitation de la problématique et des axes de recherche. La méthodologie est décrite dans la troisième partie. Cette dernière justifie la démarche adoptée, les modes de récoltes de données, leur organisation et leur déroulement. La description des informations collectées sur le terrain ainsi que leurs analyses sont présentées dans la quatrième partie. Ce sera également l’occasion de lier ces données avec la littérature et de faire des parallèles avec ma pratique quotidienne. Sans surprise, une conclusion vient finalement synthétiser les faits saillants de ce travail et ouvrir à d’autres questionnements.

Guillaume Golay 3 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? 2. Contexte de la recherche

2.1. MSISO35 - Échange interculturel avec Madagascar

Ce travail s’inscrit en parallèle du cours MSISO35 - Échange interculturel avec Madagascar. Depuis plusieurs années maintenant, Mme. Moïra Laffranchini Ngoenha encadre des étudiants dans des voyages en Afrique (Burkina Faso et maintenant Madagascar). La forme de ces voyages a évolué au fil des années, mais l’objectif est toujours d’offrir la possibilité aux étudiants de se confronter à l’altérité. Le voyage constitue certes le temps-fort du module, mais il ne pourrait suffire à résumer l’entier de ce dernier. En effet, ce module court sur une année complète et comprend des cours d’introduction à la démarche anthropologique, à l’interculturalité, et à l’altérité, la préparation du voyage, le voyage de deux semaines, l’intégration et le partage de l’expérience vécue, l’accueil d’enseignants malgaches, et enfin la rédaction d’un travail approfondissant une dimension marquante de son expérience.

Quatorze élèves répartis entre le bachelor pour l’enseignement primaire et le master pour l’enseignement secondaire ont été sélectionnés sur dossier motivé. Ensuite, des binômes ont été formés pour le séjour sur place puis pour l’accueil des enseignants. En ce qui me concerne, faute de camarades du secondaire disponible, j’ai formé un binôme avec une étudiante du bachelor primaire, mais nous avons pu nous rendre chacun dans des établissements scolaires correspondant à nos cursus respectifs. Cette diversité s’est avérée à mon sens une richesse puisque cela m’a permis d’avoir également un regard sur la situation de l’école primaire dans notre village d’adoption au travers de nos échanges quotidiens. Sur place, les contacts avec les autres groupes n’étaient pas quotidiens, mais réguliers. De fait, il était particulièrement intéressant de pouvoir partager ses observations.

À mon sens, une des grandes forces du module réside dans le fait qu’il s’agisse d’un véritable échange. Bien que nous ne soyons encore que stagiaires au moment de celui-ci, au contraire des personnes sur place qui nous accueillent dans leur foyer et dans leur contexte professionnel, les différences entre la vie en Suisse et à Madagascar sont telles que notre position nous autorise malgré tout à avoir une légitimité pour transmettre nos réflexions ou nos explications. De plus, le fait de vivre directement en immersion chez un enseignant, puis d’accueillir cette personne, permet de tisser des liens privilégiés, propices à instaurer un climat de confiance réciproque et favorables aux confidences ou aux discussions sans arrière-pensées. Aussi, le module offre une opportunité unique de découvrir d’autres contextes de vie et d’enseignement. Associés à la notion de partage et à l’expérience de vie, ces aspects ont été les éléments déclencheurs décisifs

Guillaume Golay 4 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? à mon inscription. En tant qu’enseignant en devenir, il est particulièrement intéressant de se confronter à d’autres pratiques. Ce sont autant d’éléments qui nous permettent de remettre en question nos pratiques et d’élargir notre panel de possibilités d’action. Une décentralisation s’opère puisque les normes et les lignes directrices changent, notamment puisqu’elles s’adaptent aux moyens matériels et financiers à disposition. Ce qui est fait là-bas n’est pas le fruit du hasard et il convient parfois de creuser pour comprendre certaines pratiques qui pourraient sembler étranges ou inadaptées.

L’échange revêt enfin une utilité remarquable pour les établissements scolaires qui accueillent des étudiants, car nous avons entrepris une récolte de matériel pédagogique. Le contexte scolaire malgache et en particulier celui de la région de Moramanga sera détaillé dans la prochaine partie, mais il est déjà possible d’affirmer que toute aide matérielle est la bienvenue et constitue un plus le travail des enseignants locaux.

Le tableau suivant décrit le calendrier du module :

Tableau 1: calendrier du module MSISO35

Date Activités/programme

26.09.2018- Cours MSISO35 / préparation au voyage 16.01.2019

26.01.2019- Voyage à Madagascar 08.02.2019 26.01.2019 Arrivée à .

27.01.2019 Départ pour la région de Moramanga. Arrivée dans le village d’Anjiro chez Niri.

28.01.2019-01.02.2019 Stage dans le collège de Sabotsy- Anjiro et entretiens avec des « personnes clefs ». Visites du village voisin d’Ambodinifody.

02.02.2019-03.02.2019 Weekend autour de Moramanga avec les autres binômes et les enseignants malgaches. Visites culturelles.

04.02.2019-05.02.2019 Stage dans le collège de Sabotsy- Anjiro et réalisation d’entretiens avec les élèves. Déménagement chez Haingo.

Guillaume Golay 5 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

06.02.2019 Départ pour Antananarivo et visite culturelle.

07.02.2019 Visites culturelles autour d’Antananarivo.

08.02.2019 Retour à Genève.

27.02.2019- Cours MSISO35 - Retour sur le voyage et préparation de l’accueil des 20.03.2019 enseignants malgaches.

30.03.2019- Séjour des enseignants malgaches / programme variable selon les 11.04.2019 binômes

30.03.2019 Arrivée à Genève

30.03.2019-31.03.2019 Weekend avec la famille de Natacha

01.04.2019-05.04.2019 Stage à l’école primaire de Vevey

06.04.2019-07.04.2019 Activités commune durant le weekend : brunch au musée Olympique, journée sportive HEPL, visite/découverte de la fabrication des fromages l’Etivaz

08.04.2019-09.04.2019 Stage au collège des Mousquetaires à la Tour-de-Peilz et soirée au Cully Jazz Festival

10.04.2019 Activités culturelles à Nyon et à Genève

11.04.2019 Départ pour Antananarivo

01.05.2019 Cours MSISO35 - Récapitulatif et synthèse

À la lecture de ce tableau, nous constatons que le nombre de jours de stage sur place est de sept jours. Aussi, c’est finalement une durée relativement courte si on tient compte d’un temps d’adaptation et d’observation nécessaire pour éviter certains faux-pas et mieux appréhender la réalité locale. Cette remarque est d’autant plus importante si on considère que ce travail a nécessité de récolter des données exploitables, notamment des entretiens avec des élèves.

Aussi, lors de la présence des enseignants malgaches, ma situation professionnelle chargée a impliqué une durée de séjour à mon domicile plus courte que chez mon binôme. De fait, les

Guillaume Golay 6 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? moments d’échange ont été moins nombreux que ce que la structure générale du module pourrait le laisser entendre.

En ce qui concerne la formation des binômes, pour ma part, la sélection s’est faite un peu par hasard puisque j’ai rejoint le module en cours d’année après la tenue du premier séminaire. De fait, les deux étudiants qui suivent le cursus pour le secondaire I avaient déjà formé un groupe et je n’avais d’autres choix que de m’associer à une personne du bachelor pour l’enseignement primaire. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Natacha, habitant à l’Étivaz et stagiaire à Vevey. Sa rencontre était particulièrement importante puisque nous avons partagé les deux semaines en immersion dans la vie malgache. Nos deux profils sont relativement différents puisqu’elle effectuait sa première véritable expérience dans un contexte si éloigné de son cadre de vie habituel et qu’elle compte quelques années de moins. J’ai beaucoup apprécié de voir à quel point elle a su prendre ce qu’on lui offrait et s’en contenter avec plaisir, sans se plaindre. Du coup, notre binôme a pu conserver une atmosphère positive, propice au partage et aux découvertes. 2.2. Madagascar, district de Moramanga, Anjiro

L’île de Madagascar abrite la République de Madagascar. Elle se situe dans l’océan Indien et est séparée du continent africain auquel elle est associée, par le canal du Mozambique. C’est la cinquième plus grande île du monde de par sa superficie (587 000 km2) (Wikipédia). La République de Madagascar a pour capitale Antananarivo, ville principale située au centre de l’île dans la province du même nom. De par son étendue géographique et ses caractéristiques physiques, l’île abrite une grande diversité de climats et de milieux naturels. Ainsi, elle offre de multiples possibilités de développement, notamment au travers de l’agriculture, des ressources naturelles et du tourisme. Madagascar est divisée en cinq grandes régions géographiques :

 Les Hautes Terres : composées de différents massifs montagneux et d’un climat favorable à la culture du riz.  L’Est : caractérisé par un climat tropical entre mer et forêt. C’est également la région de la vanille, en particulier à Sambava.  L’Ouest : composé de grandes savanes traversées par des grands fleuves et des mangroves dans les deltas.  Le Sud : région réputée pour ses baobabs, ses longues plages, ses fonds marins, mais également son climat semi-désertique.

Guillaume Golay 7 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

 Le Nord : région marquée par sa diversité et haut lieu du tourisme malgache en raison de ses plages et lagons.

Administrativement, le pays est organisé en six provinces, elles-mêmes décomposées en 22 régions, 114 districts et 1693 communes (Wikipédia). Enfin, les communes sont divisées en fokontany. Au niveau politique, Madagascar est une république multipartite dirigée depuis le 18 décembre 2018 par Andry Rajoelina. Après une période d’élection agitée, une période de stabilité semble se dessiner, au moins jusqu’aux prochaines élections.

Quelques chiffres permettent de situer la République de Madagascar par rapport à la Suisse :

Tableau 2: Statistiques comparées Madagascar-Suisse

Madagascar (UNESCO) Suisse IDH – 2017 0,52 (199ème mondial) 0,94 (10ème mondial) (PopulatioData.net) (PopulatioData.net) PIB/Hab - 2017 450$ (240ème mondial) 80’190$ (9ème mondial) (PopulatioData.net) (PopulatioData.net) % de la population qui 78% - dispose de moins d’1,90$ /jour (seuil de pauvreté) – 2012 Croissance annuelle du 1,4% 0,7% PIB/hab – 2017 Taux de fécondité – 2016 4 enfants/femme (en baisse) 1,54 enfants/femme (en hausse) Espérance de vie – 2016 66 ans (en hausse) 83 ans (en hausse) Taux de mortalité infantile 33‰ (en baisse) 3,7‰ (en baisse) – 2017 Taux de population rurale 63% (en baisse) 26% (en baisse) – 2017 Population totale – 2017 25’571'000 (62% -25ans) 8'450’851 0-14ans 41% 0-14ans 15% 15- 56% 15- 67% 64ans 64ans +64ans 3% +64ans 18%

Le contraste entre mon contexte de vie en Suisse et celui de mon séjour à Madagascar se distingue à la lecture de ces quelques chiffres. Notamment, en ce qui concerne l’IDH, le nombre

Guillaume Golay 8 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? d’enfants par femme, la mortalité infantile, la concentration de la population dans les régions rurales et sa jeunesse relative. Toutefois, il convient de préciser que les tendances longitudinales de ces chiffres vont vers un rapprochement progressif, en particulier pour les éléments démographiques.

Mon séjour s’est déroulé dans la commune de Sabotsy-Anjiro, commune du district de Moramanga, région d'Alaotra-Mangoro, province de Tamatave. Elle est située à environ 80km à l’est d’Antananarivo par la route nationale 2. La commune se décompose en neuf fokontany dont les principaux sont Anjiro (dans la plaine au Nord de la route) et Sabotsy (sur la colline qui surplombe la route et les rizières). La population de la commune était estimée à 15'000 habitants en 2001 (OIT-Data). Par le passé, Anjiro était également reliée à Moramanga et à la capitale par une liaison de chemins de fer. Toutefois, cette dernière n’est plus empruntée qu’épisodiquement pour le transport de marchandises jusqu’à Moramanga. La majorité des familles de la commune possède ou travaille la terre, en particulier pour la culture du riz, élément de base du régime alimentaire malgache. Les autres activités sont liées soit à la construction, à l’enseignement, au commerce, notamment en profitant du passage le long de la route nationale, ou encore à la présence d’une entreprise active dans le secteur du bois. Les moyens de transport utilisés par les habitants sont la marche, le vélo, le scooter/moto, les charrettes, et parfois la voiture. Pour les déplacements plus importants, les taxis-brousse sont utilisés et s’arrêtent régulièrement le long de la route nationale.

Nos conditions de vie dans la commune étaient privilégiées puisque les deux familles chez qui nous avons résidé possèdent des moyens que l’on pourrait qualifier de « supérieurs à la moyenne ». Niri est la fille de l’ancien maire du village. Elle est également enseignante à l’école primaire de Sabotsy. Nous avons séjourné chez elle durant la première semaine. Elle habite dans une grande maison au cœur du village de Sabotsy et nous avions chacun une chambre séparée ainsi qu’un accès à l’électricité (une prise et une lampe dans chaque chambre). De plus, la présence d’une arrivée d’eau (robinet) à proximité de l’espace dédié à la toilette, aux besoins naturels ou au nettoyage était particulièrement appréciable. Pour la deuxième semaine, chez Haingo, les conditions de vie étaient également agréables. Nous devions cette fois-ci partager la chambre parentale, mais il y avait aussi un accès à l’électricité. L’accès à l’eau était légèrement plus compliqué puisqu’il impliquait de puiser l’eau du puits, mais ce dernier se trouvait dans la cour de la parcelle. La situation légèrement en retrait par rapport au village impliquait enfin une présence accrue d’insectes ou autres araignées, certes impressionnantes, mais finalement sans danger.

Guillaume Golay 9 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

Image 1: Cartes de Madagascar et la région de Moramanga (Google Maps)

1 : Établissement secondaire de Sabotsy-Anjiro 2 : Maison de Niri 3 : Maison de Haingo

2.3. La scolarité à Madagascar et à Anjiro

L’histoire de la scolarité à Madagascar est intimement liée aux missions religieuses et à la colonisation française. En effet, ce sont bien les missionnaires français qui vont ouvrir les premières écoles sur l’île dans les années 1820 (Razafimbelo, 2011). Par la suite, le Général Gallieni va instaurer le système scolaire malgache sur le modèle du système français. Le français devient la langue officielle d’enseignement. Cet héritage sera conservé à l’indépendance du pays et jusqu’aujourd’hui, à l’exception d’une période de « malgachisation » de la scolarité durant la Deuxième République. De fait, le français reste la langue d’enseignement principale dès le cycle élémentaire et le système éducatif malgache reste calqué sur le système français : cinq années de primaire jusqu’au CEPE, quatre années de collège

Guillaume Golay 10 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? jusqu’au BEPC puis trois années de lycée jusqu’au BAC. En 2006, le plan d’Éducation Pour Tous est lancé pour lutter contre la pauvreté et rendre l’école plus accessible. Ce plan a eu des conséquences importantes sur le nombre d’enfants scolarisés, essentiellement au niveau primaire. Toutefois, il a fait émerger un problème d’effectifs, de formation et de rémunération des professeurs. Une solution a été mise en place avec la création de postes financés par des associations locales de parents d’élèves. Ces enseignants ne sont pas fonctionnaires et ils ne sont généralement pas formés. Ils sont désignés par l’acronyme FRAM. Depuis la mise en place de ce système, les taux de scolarisation au niveau primaire sont relativement élevés et fluctuent le plus souvent selon les crises économiques et les mesures gouvernementales. En particulier, la crise économique de 2009 a impliqué une baisse importante des inscriptions au primaire. Il est intéressant de constater que les taux bruts de scolarisation au primaire sont supérieurs à 100%. De fait, plus d’enfants que ce qui pourrait être attendu sont scolarisés. Cette situation est due à des décalages de la scolarisation et à des effets de rattrapage. Aussi, la baisse de la croissance des taux de scolarisation au primaire pourrait s’expliquer par une normalisation des effectifs attendus avec le nombre d’enfants en âge d’être scolarisé. Au secondaire, les taux de scolarisation sont eux en constante augmentation, mais leur niveau reste relativement bas. Selon les sources, les valeurs relevées peuvent varier sensiblement si elles prennent en compte le secondaire en entier ou si elles distinguent le collège et le lycée. Le graphique ci-dessous (Figure 2) résume l’évolution des taux de scolarisation pour les différents niveaux scolaires. Nous pouvons constater l’écart important entre le primaire et les niveaux scolaires supérieurs, ces derniers étant en revanche en constante augmentation.

Figure 2: Évolution des taux bruts de scolarisation des différents niveaux scolaires (2001-2010) (Ministère de l'Éducation Nationale, 2012, p.17)

Guillaume Golay 11 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? Comme cela est décrit dans le Plan intérimaire pour l’éducation 2013-2015 (Ministère de l'Éducation Nationale, 2012), « la difficulté principale à laquelle fait face le système est le faible taux d’achèvement dû à des abandons fréquents, plus généralement une rétention faible. » (p.18) Le graphique suivant (Figure 3) présente la situation scolaire des enfants et des jeunes de trois à vingt-cinq ans. Nous pouvons alors constater que le taux d’enfants jamais scolarisés diminue, mais qu’environ 10% des enfants d’une cohorte n’accèderont jamais à scolarité. Aussi, il laisse apparaître des situations inimaginables en Suisse comme la présence de jeunes de 15, 16, 17 ou 18ans au degré primaire. Finalement, nous pouvons constater la faible part de jeunes qui ont l’occasion de poursuivre leurs études au-delà du primaire, notamment au lycée.

Figure 3: Situation scolaire des enfants et jeunes de 3 à 25 ans en 2010 (Ministère de l'Éducation Nationale, 2012, p.21)

Le Tableau 3 présente quelques chiffres clés en lien avec la scolarisation à Madagascar. Il faut relever la difficulté à trouver des chiffres récents. De fait, ces derniers sont tirés de l’application web de l’UNESCO, mais un nombre important de données potentiellement accessibles pour d’autres pays ne l’étaient pas pour Madagascar. Dans ce tableau, je relève en particulier la hausse constante du nombre d’enseignants, mais le faible nombre d’enseignants formés (20,84%), la plus forte prévalence du redoublement des garçons par rapport aux filles au secondaire, ainsi que la baisse de nombre d’élèves par classe.

Tableau 3: Caractéristiques scolaires, source: Statistiques UNESCO (http://data.uis.unesco.org/?lang=fr#)

Caractéristique Taux d’alphabétisation (2012): générale - Jeunes (15-24ans) : 76,83% - Population (25-64ans) : 71,03% Infrastructures Pourcentage d’écoles ayant accès à l’électricité :

Guillaume Golay 12 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

- Primaires : 9% - Secondaires : 37% Enseignants Évolution du nombre d’enseignants : 2013 2014 2015 2016 2017

9’294 13'985 15'335 26'005 36’091

Évolution du ratio élèves/enseignants aux degrés secondaires : 2012 2017 29,03 20,71 Ce ratio monte à 21,98 en 2017 si on ne considère que les enseignants qualifiés puis jusqu’à 96,07 enfants par enseignant formé. Il y a 86,09% d’enseignants qualifiés dans l’enseignement secondaire et 20,84% sont formés. Enseignement Taux brut/net de scolarisation secondaire (%): secondaire 2012 2013 2014 2015 2016 2017 38,11/30,91 38,35/- 38,51/31,02 -/- 38,31/30,15 36,90/29,12

Indice de parité entre les sexes au secondaire : 2012 2013 2014 2015 2016 2017 0,95 0,98 0,99 - 0,99 1,01/1,08

Taux de redoublement au secondaire (2017) : 17,23% (20.5% garçons/14.03% filles) Nombre d’élèves/classe (Ministère de l’Éducation Nationale, 2012) : 58 élèves/classe (2006) / 47 élèves/salle (2010) Ce travail soulignera l’importance de l’investissement financier représenté par l’école pour les familles. Les coûts sont variables selon les années de scolarité, notamment en fonction de l’entrée dans un nouvel établissement ou de la tenue d’un examen en fin d’année. Au secondaire, les coûts suivants (Tableau 4) m’ont été communiqués par le directeur du collège de Sabotsy-Anjiro :

Tableau 4: Coûts de la scolarisation au collège de Sabotsy-Anjiro (10'000 ariary = 2,50 euros)

Coûts fixes : Caisse de soutien : 20'000 ariary Association parents d’élèves : 16'000 ariary Coûts variables : Nouveaux élèves : - Entretien/travaux de l’établissement : 23'000 ariary (par famille) - Tables/bancs : 10'000 ariary (par élève)

Guillaume Golay 13 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

3ème année (Examen BEPC - impressions) : 7'000 ariary Total 6ème année si premier de la fratrie : 69'000 ariary 6ème année si suivant : 46'000 ariary 5ème et 4ème : 36'000 ariary 3ème : 44'000 ariary À ces coûts, il convient d’ajouter l’achat d’une blouse par enfant (celle-ci peut être réutilisée par les autres membres de la fratrie), un sac, des cahiers (une quinzaine environ) et des stylos. Pour les enseignants, une rémunération de 150'000 ariary/mois (environ 36€) m’a été communiquée pour les enseignants FRAM. Ces chiffres correspondent à ce qui était observé par Gil Dany Randriamasitiana (Randriamasitiana, 2015). Ce dernier ajoute que les enseignants fonctionnaires gagnent environ 48€. Pour être apprécié en fonction du contexte économique malgache, ces salaires peuvent être comparés au salaire moyen qui est d’environ 33€.

La commune de Sabotsy-Anjiro compte plusieurs écoles primaires publiques, mais une seule école secondaire (collège) à Sabotsy. C’est dans cette dernière que j’ai effectué mon stage. À noter que la commune abrite également depuis peu un lycée public. Fait relativement important, le village contient aussi deux écoles primaires privées ainsi qu’une école secondaire privée. Ces dernières sont gérées par des circonscriptions religieuses, chrétiennes ou protestantes. L’école secondaire de Sabotsy-Anjiro accueille plus de 600 élèves de la 6ème à la 3ème (selon le modèle scolaire français) dans neuf salles de classe. L’établissement est organisé en quatre blocs autour d’une cour centrale. Trois sont dédiés aux classes et le dernier accueille le bureau du directeur, un local pour stocker le matériel (manuels de référence, objets divers), la salle des maîtres et le bureau de la secrétaire. D’après mes observations sur place, les effectifs par classe correspondent à la moyenne nationale puisqu’ils varient entre 37 et 64 élèves. Il y a parfois une situation de sureffectif qui s’explique notamment par la rénovation en cours d’un des bâtiments de l’école. En ce qui concerne la répartition filles/garçons, le ratio semble légèrement en faveur des filles. Les salles de classes ont des dimensions variables, mais elles se caractérisent par leur austérité et leur densité. Les élèves s’assoient sur des bancs en bois et se répartissent par deux ou par trois selon l’effectif. Les salles ne sont pas dotées de l’électricité, mais un ordinateur (vieux) trône dans la pièce réservée à la secrétaire. Aussi, elles ne possèdent pas de fenêtres vitrées, mais sont protégées par des volets. Cependant, cette situation n’est pas très confortable en cas de pluie, car l’obscurité gagne la classe. Les classes sont équipées d’un grand tableau noir sur lequel les enseignants écrivent avec des craies blanches ou de couleur.

La majorité des enseignants de l’établissement ont le statut FRAM, mais cette majorité est relativement courte. Il convient de préciser que le fait d’être fonctionnaire n’offre pas forcément

Guillaume Golay 14 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? plus de garanties salariales puisque j’ai pu observer que les enseignants se déplacent en personne à Moramanga en fin de mois pour être certain de toucher leur dû. Les enseignants FRAM restants s’occupent des classes orphelines en plus des leurs. Le niveau de français des enseignants varie fortement si bien qu’il n’était pas toujours possible de converser avec certains en salle des maîtres. Cette situation est problématique dans la mesure où les enseignements sont dispensés dans cette langue. De fait, des erreurs sont transmises et le niveau de français des élèves est également variable. Voici un exemple de déroulement de cours type sur la base de mes observations (géographie, français, anglais) :

1. Résumé du cours précédent : interrogation d’élèves oralement ou au tableau. Les élèves se lèvent et répètent les éléments inscrits dans leur cahier. 2. Transmission de la suite des contenus de la leçon par écrit au tableau : les élèves copient les contenus dans leur cahier. 3. Lecture commune des nouveaux contenus. 4. Répétitions par interrogations orales ou écrites. 5. Éventuellement, exercices écrits à recopier dans le cahier.

Faute de moyens, le tableau noir et la voix sont les seuls outils de transmission d’informations. De plus, au vu du niveau de français des élèves et des enseignants, seuls les niveaux taxonomiques inférieurs sont travaillés : mémoriser, comprendre, éventuellement appliquer2.

Les journées s’organisent selon l’horaire suivant (Tableau 5):

Tableau 5: horaire des cours au collège de Sabotsy-Anjiro

7h-8h50 Cours 1

8h50-9h10 Récréation du matin

9h10-11h Cours 2

11h-13h Pause de midi

13h-14h50 Cours 3

14h50-15h10 Récréation de l’après-midi

15h10-17h Cours 4

Ces horaires sont parfois indicatifs, en particulier pour les heures de début ou de reprise des cours. Les élèves sont prévenus au moyen d’une sonnerie actionnée depuis la salle des maîtres. Si un enseignant est absent ou en retard, les élèves s’organisent de façon autonome et se rendent

2 Taxonomie de Bloom Guillaume Golay 15 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? dans leur classe selon l’horaire prévu. Aussi, il est fréquent d’observer des situations où un enseignant quitte momentanément son poste sans que cela n’impact trop le déroulement du cours ou le comportement des élèves. Plusieurs rituels sont observés dans l’établissement ou dans les classes. Les plus marquants sont :

- Le lever du drapeau et l’hymne national en début de semaine, à la pause du matin, avec la présence de tous les élèves de l’établissement dans la cour. - L’entrée/la sortie des enseignants dans les classes accompagnée de l’acclamation de bienvenue/au revoir des élèves. - L’appel de chaque élève en début de cours qui résonne au son des « Présent Madame/Monsieur ». - L’abaissement du drapeau en fin de semaine.

Les frais liés à la scolarité sont importants, si bien que j’ai pu observer beaucoup d’élèves manquant de matériel (stylos, cahier, sac). Étant donné que les moments d’écriture sont nombreux, cela donne lieu à des situations assez cocasses où les stylos circulent rapidement de main en main pour tenter de tenir le rythme de l’enseignant. Les élèves ne reçoivent des feuilles imprimées que lors des examens finaux. Ces frais sont couverts par les frais d’inscription des élèves. De plus, tous portaient bien leur blouse bleue qui permet de les identifier comme élève du collège. Les enseignants portent également une blouse lorsqu’ils sont en fonction. Cette dernière est de couleur blanche. Des discussions avec le directeur ont fait émerger le fait que beaucoup de familles doivent trouver un arrangement particulier pour permettre de couvrir tous les frais. Aussi, il m’a été confié que certains élèves n’ont pas de quoi s’autoriser un repas à midi.

Par rapport à ma pratique professionnelle où j’étais stagiaire au collège des Mousquetaires à la Tour-de-Peilz avec des 8P et des 10VG, le fait de se rendre dans un collège à Madagascar était pertinent, car ces années font justement partie du collège.

Guillaume Golay 16 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? 3. Méthodologie

Au vu du contexte particulier de ce travail, la méthodologie présente également des spécificités qui la distinguent de travaux de master « classiques ». À titre personnel, j’avais déjà eu l’occasion de travailler les études qualitatives dans le cadre de mon master en démographie. De fait, j’avais comme première idée de reconduire des entretiens sur place, motivé par le fait que la langue d’enseignement est le français. Aussi, j’avais eu l’occasion de travailler sur les migrations temporaires des jeunes en milieu rural sénégalais et les frais liés scolarité étaient rapidement apparus comme une cause migratoire importante. De plus, dans des régions où la scolarité n’est pas une évidence, ou la natalité est importante et les revenus des familles sont modestes, j’avais pu observer des stratégies familiales complexes qui assignent des rôles à chacun selon différents critères (capacités, hiérarchie, place dans la fratrie, compensation suite à un événement tragique, …). La reconstitution de l’organisation des familles m’avait alors passionné et j’espérais pouvoir observer ce qu’il en était à Madagascar, dans un contexte malgré tout bien différent (religion, économie, culture, traditions). 3.1. La démarche ethnographique

Après discussion avec ma directrice de mémoire et au regard de ce qui était enseigné durant le cours MSISO35, le choix s’est finalement tourné vers l’expérimentation d’une démarche anthropologique (ou ethnographique). « La démarche anthropologique prend comme objet d’investigation des unités sociales de faible ampleur à partir desquelles elle tente d’élaborer une analyse de portée plus générale, appréhendant d’un certain point de vue la totalité de la société ou ces unités s’insèrent » (Kilani, 1992, p.33). Ce choix se justifie, car la démarche anthropologique est fondée sur l’enquête de terrain (immersion, observation participante, ethnographie) (Laffranchini, 2018) et il s’agit précisément de ce qui a été accompli dans ce travail. Un autre aspect important de cette démarche concerne la notion de décentrement ou de « regard éloigné » pour Claude Lévi-Strauss. Le décentrement est indispensable, car il souligne le fait que le chercheur vise à expliquer la réalité du groupe social étudié, précisément au travers du regard de ce groupe social (Laffranchini, 2018). Toutefois, de par ses différences culturelles, le chercheur doit être capable d’interroger les pratiques, y compris ce qui paraît être normal puisque la notion de normalité est variable selon les contextes. Il est donc important de pouvoir définir ses préconceptions, car elles auront un impact sur l’interprétation et le caractère « normal » de ce qui est observé. En jouant sur les mots, l’appellation démarche anthropologique pourrait ici être remise en question puisqu’elle a généralement une vocation

Guillaume Golay 17 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? comparative (Laffranchini, 2018). Toutefois, les parallèles avec le contexte suisse ne seront que brièvement développés. C’est ainsi que l’appellation démarche ethnographique constitue peut- être un bon compromis. Une des difficultés réside dans l’organisation et la planification du travail, car il faut « faire sans tout à fait savoir ce qu’on fait » pour « se donner une chance de découvrir quelque chose que l’on ne savait pas » (Bourdieu, 1984, p.17). Dans cette optique, l’idée était de sélectionner des axes d’étude sans formuler une problématique en amont du voyage. Aussi, l’apport et la confrontation avec la littérature n’étaient pas évidents dans la mesure où il est important d’avoir une idée du contexte d’étude, mais il faut pouvoir conserver un regard neuf sur ce qui est observé et se laisser porter par la spécificité de la situation.

En adoptant une démarche ethnographique, il ne s’agit pas d’un travail de type hypothético- déductif, visant à tester des hypothèses inspirées de la littérature sur le terrain. L’objectif est ici de faire l’expérience d’un lieu en focalisant son attention sur un groupe social et des axes de recherche, pour ensuite dégager des tendances, formuler une problématique centrale et relier ces éléments avec la littérature dédiée.

Il s’agit donc de sélectionner une unité sociale. Or cette sélection n’est pas évidente dans la mesure où les thèmes que j’avais pu identifier peuvent tous s’observer selon un prisme différent. Étant donné que le cœur du voyage était le stage dans une école, je choisis de me concentrer sur les élèves. Cette décision peut également s’expliquer par une situation relativement spéciale dans la mesure où l’enseignante qui m’hébergeait enseigne au degré primaire. De fait, je n’avais pas d’enseignant « fixe » au secondaire et j’ai profité de cette situation pour varier au maximum les expériences (enseignants et matières). Une fois que le choix a été fait de se concentrer sur les élèves de l’école secondaire, il restait encore à préciser le champ d’analyse puisque ce groupe de personnes présente encore une hétérogénéité importante. Après discussion avec les enseignants sur place, le directeur et en réfléchissant calmement, mon choix s’est alors porté sur les élèves de troisième année :

« Faut-il plutôt interroger des 6èmes ou des 3èmes ? Les troisièmes seront plus à même de répondre aux questions, mais ils sont aussi plus concentrés sur l’école, car s’ils sont toujours à l’école en troisième, il y a de bonnes chances de les retrouver au lycée (secondaire II). En revanche, ce sera peut-être plus difficile avec les 6èmes mais ils offrent une population plus hétérogène à mon avis, car beaucoup d’entre eux ne termineront pas l’école obligatoire (3ème), surtout pour des raisons financières. Et ce sera pire pour le lycée. Comme souvent, je pense qu’un compromis du type quatre élèves de 6ème et quatre de 3ème serait pertinent. » (Journal de bord, 30.01)

Guillaume Golay 18 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? « Je pense que je ne vais interroger que des 3èmes. Le fait de mélanger les degrés introduit trop de diversité. Cela permettra de mieux préciser la problématique « la perception du rôle de l’école/de l’importance de l’école chez les élèves en fin de scolarité obligatoire ». L’avantage d’avoir également des 6èmes c’était que beaucoup d’élèves ne terminent pas l’école obligatoire. Du coup, en interrogeant des 3èmes il n’y a pas de cas d’abandon. Mais comme il y a aussi beaucoup d’abandons après la 3ème la question pourra tout de même être abordée. » (Journal de bord, 04.02) Haingo, elle-même enseignante pour des classes de 3ème a été d’une aide précieuse pour la sélection d’élèves à interroger. De fait, j’ai cherché à varier les profils en lui demandant de sélectionner des bons élèves, d’autres qui ont moins de facilité, ainsi que certain plus turbulents.

Me concernant, le choix de la démarche ethnographique constitue une première. Il offre de la flexibilité puisqu’il vise à véritablement faire l’expérience du contexte d’étude en portant son attention sur des axes de recherche. Les conversations formelles et informelles sont autant valorisées que les démarches adoptées pour s’intégrer dans son nouvel environnement. Toutefois, une des difficultés réside précisément dans le fait de trouver un juste milieu entre la recherche et l’intégration puisque cette dernière pourrait éventuellement biaiser certaines observations alors qu’une attitude trop distante pourrait freiner/dissuader les personnes à échanger ou se confier.

« Cela fait plaisir d’entendre qu’ils sont très positifs, car personnellement je me sens parfois comme une bête de foire à l’école. Nous n’avons pas les mêmes degrés puisque je suis au secondaire et les réactions sont certainement un peu différentes, mais je pense que je peux être encore plus positif pour tourner les choses en ma faveur. Je suis tiraillé entre m’intégrer auprès des élèves, au risque de perturber le cours et agir comme actuellement, de façon plus « professionnelle », mais plus dans la retenue... » (Journal de bord, 30.01) La récolte de données reste centrale dans la démarche ethnographique. Pour ce faire, plusieurs méthodes peuvent être utilisées et c’est également ce qui a été réalisé dans ce travail. 3.2. L’observation participante

La première méthode adoptée a été l’observation participante avec la tenue d’un journal de bord. La tenue du journal s’est faite essentiellement durant le voyage, mais il était également important de prendre du temps avant et après ce dernier pour pouvoir y décrire ses préconceptions et faire un bilan. Pour ce qui est de l’observation participante, l’objectif est de s’imprégner du contexte, de stimuler les questionnements et de récolter des informations par l’observation, en se fondant dans la masse. Cette démarche est également intéressante, car elle permet de sonder l’impact de sa présence sur le groupe étudié, ici les élèves, et de la sensibiliser

Guillaume Golay 19 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? à sa présence. Le risque est que la barrière reste trop importante et qu’un malaise ou une méfiance empêche les personnes à se confier à un étranger. À l’inverse, une trop grande proximité pourrait induire des intérêts cachés ou une exagération. Durant l’ensemble de mon séjour, je dois avouer avoir été parfois surpris ou dérangé par cet excès d’intérêt à mon égard. Même après plusieurs jours, mon entrée dans une classe provoquait systématiquement une modification du comportement des élèves et j’étais le centre de l’attention à chaque temps mort du cours. Le fait de ne pas suivre uniquement une classe ou un/e enseignant/e a peut-être joué en ma défaveur sur ce point, mais le directeur tenait à ce que je puisse passer dans toutes les classes. Aussi, durant les entretiens, j’ai clairement pu ressentir des difficultés pour les élèves à se confier puisque les réponses ont été trop courtes à mon goût. Il est difficile de savoir si cela est dû à ma présence, à celle d’une traductrice (qui plus est en lien avec leur scolarité), à la façon dont mes questions étaient formulées, à la façon dont les traductrices formulaient mes questions, ou encore, à la façon dont ces dernières traduisaient les réponses. Pour remédier à cela, je pense qu’il aurait été judicieux de pouvoir partager plus, s’impliquer plus avec les élèves pour établir une vraie relation de confiance. La durée du stage n’a certainement pas joué en ma faveur, car il est vrai que le temps d’adaptation était très court, surtout pour les élèves. Dans mes recherches sur la démarche ethnographique, j’ai découvert les réflexions de David Hargreaves (Hargreaves, 1967), qui a décrit la façon dont il a cherché à s’intégrer dans un établissement scolaire en y enseignant à mi-temps. Au départ, cette stratégie permit de faciliter les relations avec les enseignants et son intégration. En revanche, il constata ensuite que cette position freinait ses relations (selon ses objectifs de recherche) avec les élèves. Il renonça alors à l’enseignement et ses relations avec les élèves se sont améliorées, en particulier lorsqu’ils comprirent « que je ne les dénoncerais pas quand ils violeraient les règles scolaires » (Hargreaves, 1967, p.193). L’observation participante est donc une démarche très riche qui nécessite toutefois du temps, chose que j’ai certainement un peu négligée, en particulier dans un contexte si différent, tant pour le chercheur que pour les sujets de l’étude. De plus, il faut souligner le fait que cette démarche s’est effectuée en autonomie quasi totale. Des discussions rapides ont pu avoir lieu durant le weekend en milieu de séjour, mais tout s’est construit selon mes perceptions ou mes intuitions. 3.3. Les entretiens

En plus des éléments récoltés par l’observation participante, j’ai procédé à différentes formes d’entretiens, formels (annoncé comme tel) ou informels, structurés ou non-structurés. Le tableau (Tableau 6) suivant résume les entretiens qui ont été menés et leur nature.

Guillaume Golay 20 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

Tableau 6: Résumé des entretiens

Date Personnes Nombre Traduit Type Lieu Durée Enregistré interrogées 27.01 Le directeur 1 Non Informel Chez le 1h Non et sa femme – Non directeur structuré 29.01 Adjoint du 1 Non Informel Bar au 1h30 Oui maire – Non bord de structuré la route 30.01 Directeur 1 Non Formel – Bureau 1h45 Oui Non du structuré directeur 04.02 Élèves de 7 Oui Formel – Salle des ~30’/ Oui 3ème Structuré maîtres élève 03.04 Haingo 1 Non Informel Nyon 1h Non – Non (CH) – structuré bord du lac Les entretiens qui ont été enregistrés peuvent être relus dans les annexes. Des analyses spécifiques seront développées dans la partie Analyses.

Les entretiens avec les élèves devaient être le cœur de ce travail puisqu’il cherche à approfondir les perceptions de l’école des élèves. Or il s’avère que ces entretiens sont très directifs et factuels, et ce pour différentes raisons. De fait, ils permettent essentiellement de mettre en lumière la structure et l’organisation des familles. Les questions de motivations et le développement de situations de vie particulières apparaissent surtout dans les discussions avec l’adjoint du maire, avec le directeur, ou avec Haingo. Parmi les explications qui peuvent justifier la forme finale des entretiens avec les élèves, la principale concerne la langue. Avant mon départ, je savais que la langue d’enseignement est le français, et ce dès l’école primaire. Je m’attendais donc à pouvoir échanger directement avec les élèves. Une fois sur place, je me suis rendu compte de la situation et j’ai cherché à la minimiser en sélectionnant des élèves de 3ème mais de toute évidence, ce n’était pas suffisant. De plus, cette situation a introduit la nécessité de trouver un traducteur. Or c’est une tâche particulièrement difficile qui nécessite une excellente maîtrise des deux langues concernées.

« Je me pose également beaucoup de questions par rapport à mon thème d’étude. Il m’intéresse toujours autant de travailler sur les perceptions de l’école via le prisme des familles, mais je me rends compte que le niveau général de français est vraiment mauvais. Je ne m’en sortirai pas sans traducteurs ou sans passer par des témoignages de « personnes-clés » qui pourront m’éclairer. Le traducteur idéal est difficile à trouver puisqu’il faut faire attention au statut de la personne dans la communauté pour permettre à tout un chacun de se confier, ni trop important, ni trop négligé. Aussi, je

Guillaume Golay 21 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? commence à réfléchir à des personnes clés. Par exemple, je suis rentré en compagnie d’un enseignant malgache très sympa qui pourrait faire l’affaire, ou encore, l’adjoint du maire. À voir, mais je dois vraiment préciser ma méthode de travail pour être efficace. » (Journal de bord, 28.01) J’ai voulu optimiser mes chances en travaillant avec des personnes à l’aise avec la langue française, mais ces personnes n’avaient jamais effectué de traduction jusqu’à présent et ne saisissaient pas toujours les nuances que je souhaitais apporter. Pour illustrer cela, je posais parfois une question ouverte, puis, voyant que cela n’apportait pas de réponse, je proposais des exemples. Les réponses étaient alors systématiquement dirigées vers ces exemples.

Un autre obstacle au fait que les élèves se sentent à l’aise et libres durant les entretiens réside dans le contexte de ces derniers. Tout d’abord, le lieu, car ils se sont déroulés à la salle des maîtres et ce n’est pas un endroit qu’ils ont l’habitude de fréquenter. La salle était vide au moment des entretiens, mais cela a peut-être eu un impact. Ensuite, la présence de deux adultes présents pour les interroger. Il s’agissait certainement de leur première expérience d’un entretien et ils n’ont pas été prévenus à l’avance des questions ou des objectifs. J’ai fait tout mon possible pour les mettre à l’aise : me montrer ouvert et souriant, leur expliquer les raisons de leur présence en les rassurant sur le fait que leurs discours n’auraient aucune conséquence sur la suite de leur année, les féliciter, les remercier ou encore leur offrir la possibilité de me poser des questions à leur tour. Une meilleure préparation, notamment en annonçant mes intentions dans les classes dès mon arrivée, ou une autre attitude durant mes périodes d’observation dans les classes auraient également peut-être été bénéfiques pour les élèves. Il faut aussi relever le respect général qui se manifeste à l’égard des adultes (Feyfant, 2011). De fait, ma position de « wasa » ainsi que celles des personnes qui ont œuvré comme traductrices, la secrétaire et Haingo (enseignante), représentent des figures hiérarchiques supérieures.

Afin de favoriser mon intégration, je misais beaucoup sur le sport et notamment le football. Malheureusement, la météo n’a pas joué en ma faveur puisque la première semaine a été marquée par des pluies nombreuses rendant toutes pratiques impossibles. Ces moments de partage informels auraient permis d’instaurer une proximité avec les sujets étudiés qui a fait défaut par la suite.

Finalement, le calendrier de déroulement des entretiens a certainement été un frein à leur qualité. En effet, tous les entretiens se sont déroulés la journée du lundi 04 février, soit après une semaine d’immersion dans les classes et l’avant-dernier jour avant le retour pour Antananarivo. Le temps sur place n’était finalement pas très long, mais il était difficile d’envisager des entretiens sans passer par les phases d’observation et de préparation. Durant les

Guillaume Golay 22 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? entretiens, j’ai pu ressentir le besoin de modifier certaines choses, mais il était difficile d’agir sur le contexte. J’ai alors cherché à rester le plus systématique possible pour assurer une homogénéité dans les entretiens. Plus de temps sur place aurait permis de prendre du recul et d’envisager d’autres modalités de récoltes d’informations.

3.3.1. Guides d’entretien

L’élaboration d’un guide d’entretien en prévision des discussions avec les élèves n’a pas été une chose aisée. En effet, conscient de leur niveau de français, il a fallu reconsidérer mes ambitions légèrement à la baisse, mais j’espérais tout de même pouvoir développer des questions ouvertes avec les élèves. Aussi, la préparation d’une grille d’entretien a nécessité une projection dans la suite du travail, mais tout n’était pas encore tout à fait clair dans mon esprit. Aussi, la relecture des entretiens a parfois apporté un goût d’inachevé puisque certaines informations auraient peut-être pu être récoltées. Un aperçu des questions planifiées pour les élèves se trouve dans en annexe (Grille d’entretiens). La grille porte sur les éléments suivants : description de la famille et parcours de chacun, implication/rôle dans la famille, perception de l’école, coûts liés à la scolarité, contexte de vie, loisirs, avenir, perspectives, questions inversées. La majorité des questions sont plutôt factuelles, mais un effort a été fourni pour tenter d’ouvrir la discussion sur les perceptions des élèves vis-à-vis de la scolarité. La grille d’entretien a été utilisée sur le mode semi-directif dans le sens où toutes les questions n’ont pas été formulées systématiquement de la même façon et dans le même ordre.

En ce qui concerne les discussions avec le directeur ou l’adjoint du maire, la préparation a été différente. Aucune question n’a été préparée à l’avance. Pour la discussion avec l’adjoint du maire, l’objectif était d’en savoir plus sur le contexte socio-économique et les habitudes des familles. Les liens avec la scolarité devaient essentiellement être portés sur des questions de motivation ou d’utilité de l’école dans un contexte rural. Initialement, la discussion avec le directeur avait comme motif le fait de lui demander s’il était possible de réaliser des entretiens avec les élèves et comment je pouvais m’organiser pour la traduction. Finalement, la discussion a duré et l’échange a couvert bon nombre d’éléments importants pour la scolarité ou la culture malgache. Dans les deux cas, ces entretiens ont été opérés sur le modèle d’une discussion et non pas comme une interrogation. Il était important de parfois apporter des éléments ou décrire la situation en Suisse pour que l’échange ne reste pas unilatéral.

Guillaume Golay 23 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? 4. Problématique et axes de recherche

Avant de développer les axes de recherche qui ont permis d’aboutir à question qui synthétise ce travail, il est important de développer les préconceptions qui sous-tendent ces réflexions. À son arrivée sur le terrain, le chercheur apporte avec lui ses normes et ses interrogations, elles- mêmes influencées par son parcours antérieur. De fait, le questionnement qui est mené n’est pas totalement libre et il est en lien avec ces préconceptions.

Le premier élément qui a guidé une réflexion autour de Madagascar concerne le niveau socio- économique de l’île, en particulier en contraste avec le contexte suisse. Sans chercher à renforcer des stéréotypes grossiers sur la pauvreté, j’étais conscient des difficultés financières des familles. Aussi, de par mon expérience au Sénégal, je pouvais imaginer les difficultés des familles lorsqu’il s’agit de couvrir des dépenses monétaires. Par exemple, je savais que la scolarité publique était payante et pouvait représenter une charge importante pour les familles puisqu’elle allait jusqu’à engendrer des migrations temporaires dans le contexte sénégalais. De plus, cette expérience avait fait naître en moi l’intime conviction que les familles rurales bénéficient, jusqu’à un certain point, d’un avantage par rapport aux familles urbaines puisque le déficit monétaire peut être compensé par l’agriculture vivrière ou l’élevage. En revanche, j’avais le sentiment que le monde rural faisait face à la monétarisation de la société et que ce phénomène est certainement à l’origine de bouleversements pour les familles, notamment car il peut remettre en cause leurs solidarités. Les chefs de famille pouvaient trouver des moyens pour assurer certaines dépenses (en vendant des bêtes par exemple), mais l’augmentation de ces dernières devient difficile à gérer, notamment à cause des facteurs démographiques. Appliquées à la scolarité, les difficultés financières sont causées en majorité par les frais d’inscription, les fournitures, ainsi que les vêtements. Aussi, je pouvais imaginer que ces difficultés se retrouvaient dans les établissements scolaires et que cela se traduirait par des classes modestes. Au vu des conséquences que la scolarité imposait aux familles sénégalaises, il me tardait d’en savoir plus sur la situation dans un contexte rural malgache. Des stratégies familiales complexes (répartition des tâches, des compétences et des responsabilités) étaient à l’œuvre et j’avais l’intuition de retrouver des dynamiques similaires, malgré l’absence de la polygamie. L’évolution rapide des modes de vie, influencée par les pays étrangers et diffusés par les technologies modernes, entraine des tensions au sein des familles entre l’accomplissement des tâches (domestiques ou agricoles) et l’envie d’offrir d’autres perspectives aux enfants pour leur avenir et diversifier les revenus. Comment les décisions de scolarisation sont-elles prises ? Les enfants ont-ils la sensation de faire partie d’un projet familial ? Comment est-ce que le contexte

Guillaume Golay 24 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? familial influence leur comportement ? Quelles sont les motivations des familles à envoyer leurs enfants à l’école?

Dans le domaine de l’éducation au sein des familles, un stéréotype voudrait que les familles défavorisées ou vivants dans des contextes lointains soient plus sévères. Aussi, j’avais le souvenir de discussion avec des enseignants au Sénégal, lesquels évoquaient le moment de l’interdiction des châtiments corporels avec un certain regret, car cela réduisait leur autorité. En tant que stagiaires, les questions de discipline sont souvent au cœur de nos préoccupations. De fait, j’étais particulièrement curieux de pouvoir assister et participer à des cours pour me rendre compte des stratégies en place dans les établissements pour répondre à ce besoin de discipline accentué par l’importance des effectifs par classe. J’ai le sentiment que tout le monde à son avis sur cette question et des arguments reviennent souvent: respect des aînés, sévérité du cadre familial, soif d’apprendre pour s’en sortir. En Suisse, la scolarité est le passage obligé pour tous les enfants. Comment est-ce que le fait de sentir que les enfants sont dans une situation privilégiée en ayant accès à la scolarité influence leur comportement scolaire ? Quels facteurs externes agissent sur le comportement des élèves ? (autorité parentale, respect des aînés, etc.).

Au niveau des préconceptions, je pense avoir tendance à remettre en question les normes et à me méfier des choses qui paraissent logiques, car j’ai le sentiment que les réalités sont souvent bien plus complexes. Cet aspect est d’autant plus vrai lorsque les gens évoquent « l’Afrique » et qu’ils en parlent comme un tout uni. Il y a à mon sens souvent des simplifications et des généralisations hâtives qui sont faites pour parler des contextes africains. Je me permets de développer cet argument, car il a influencé mon choix final d’adopter un titre provocateur.

Durant le séjour, ces questionnements ont guidé mes observations, mais l’immersion dans un milieu si différent a ouvert d’autres questionnements qui auraient mérité une attention particulière. En revanche, les questionnements initiaux ont été utiles pour la formulation des questions en vue des entretiens semi-directifs avec les élèves. Étant donné que mon expérience sénégalaise était mon seul point de repère pour imaginer la vie dans un pays en voie de développement, le séjour a été très utile pour pouvoir définir les points communs et les différences avec Madagascar. Par exemple, les questions de migrations temporaires semblent peu présentes dans cette région. Cet extrait du journal de bord fait apparaître certains questionnements :

« Étudier la question des rituels en classe au secondaire : j’ai le sentiment que cela se perd chez nous alors que c’est encore très présent ici. L’hymne les lundis, l’entrée en classe, les répétitions collectives orales, la fin des classes, le respect de l’autorité. Guillaume Golay 25 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? Étudier la question de l’adolescence : grossièrement, c’est comme si ici il n’y a pas d’adolescence et que les enfants passent directement à l’âge adulte. En tous cas, au secondaire, je n’ai pas le sentiment que les élèves remettent en question l’autorité comme ils peuvent le faire chez nous, même pour des consignes « simples » du type « sortez vos cahiers de géographie », « fermez vos livres ». Est-ce un effet de masse ? Une influence familiale ? Aussi, on peut peut-être lier ça avec les faits qu’ils ont des enfants très jeunes, dès 14-15 ans selon le directeur de l’école. Ou encore, à l’absence des réseaux sociaux, ou encore à un cadre familial qui place plus l’intérêt collectif au centre que le projet individuel, sauf si ce projet en question aura des retombées pour la famille. » (Journal de bord, 29.01) De plus, le séjour a fait émerger toute une série de questionnement en lien avec la pédagogie et la gestion de classe. Les démarches du type apprentissage-restitution sont-elles vraiment les seules stratégies pédagogiques possibles dans le contexte scolaire malgache ? Comment les enseignants parviennent-ils à instaurer un cadre de travail propice à l’apprentissage dans des classes significativement plus nombreuses qu’en Suisse? Pourquoi les élèves se plient-ils mieux aux règles de vie qui leur sont imposées?

La définition d’un axe de recherche a été influencée par mes préconceptions, puis il a été remis en question par le séjour sur le terrain, avant d’être finalement ajusté après le voyage en prenant du recul sur ce qui a été observé. Ainsi, au départ, il y avait d’un côté des intérêts pour les stratégies familiales en lien avec la scolarité et de l’autre une volonté d’approfondir l’autorité et la gestion de classe dans un contexte qui pourrait susciter l’interrogation en Suisse. Par la suite, il a fallu spécifier l’objet d’étude et l’intérêt s’est porté sur les élèves. Aussi, il a fallu tenir compte des nouveaux axes qui ont émergé. L’objectif était alors de trouver un questionnement offrant la possibilité d’exploiter la richesse des éléments observés et récoltés tout en permettant la réalisation d’un travail cohérent. Étant donné que les entretiens avec les élèves se voulaient centrés sur leur perception de l’importance de l’école, cet axe est devenu prioritaire. Toutefois, la richesse des discussions avec l’adjoint du maire et avec le directeur, associée aux difficultés rencontrées lors des entretiens ont conduit à orienter la question de recherche sur la question de la motivation scolaire. Ce faisant, les perceptions des élèves sont reprises dans une autre perspective qui ne leur confère pas nécessairement la place centrale. Aussi, ce choix permet d’aborder tant les questions de stratégies familiales, que d’autorité, de discipline scolaire, de pratiques éducatives ou d’importance de l’école, tant au niveau individuel que familial. La question de recherche finale est donc celle présente dans le titre de ce travail :

La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement : mythe ou réalité ? Éléments de réponse en milieu rural malgache

Guillaume Golay 26 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? 5. Analyses

Les parties précédentes ont cherché à poser le cadre de la recherche en explicitant notamment les biais éventuels en lien avec l’organisation de la recherche et les perceptions du chercheur. Dans cette partie d’analyse, l’objectif sera de procéder à la description et à l’interprétation des éléments récoltés. Si la subjectivité ne pourra être totalement effacée, il s’agira de tendre vers l’objectivité maximale. Les séminaires de préparation au voyage ont apporté des informations intéressantes en lien avec la démarche anthropologique et l’analyse anthropologique. À ce sujet, l’anthropologue doit jouer un rôle de « traducteur de culture », capable d’expliciter ses observations pour les transmettre aux personnes de sa propre culture (Laffranchini, 2018). Une distinction mérite d’être relevée à propos de la façon de voir l’analyse anthropologique. Malinowski chercherait plus à « voir les choses du point de vue de l’indigène » alors que Geerz revendique de « lire par-dessus l’épaule » des groupes étudiés, soit de chercher à comprendre ce qu’ils pensent être en train de faire ou analyser la façon dont ils se voient eux-mêmes et se voient les uns les autres (Geerz, 1986). La posture de Geerz nécessite un détachement plus important, une prise de recul supplémentaire par rapport au groupe étudié. Il est difficile de définir si ce travail se situe plus dans un courant ou un autre, mais il apparaît nécessaire de souligner cette différence de perspective. Pour l’interprétation des discours, certains codes culturels doivent être anticipés afin d’éviter certaines erreurs. À Madagascar, la pratique du « discours atténué » (Image 2) a été évoquée en séminaire. Cette pratique est très importante dans une démarche d’enquête, car elle souligne la nécessité de vérifier les informations à plusieurs reprises ou par différents moyens. Par exemple, lorsqu’il s’agissait de s’intéresser aux activités et à l’organisation des différents membres de la famille, la construction d’un schéma en direct et le fait de systématiquement poser les questions sur un des membres de la famille après les autres a favorisé la cohérence des résultats obtenus.

Guillaume Golay 27 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

Image 2: Spécificités malgaches: le discours atténué (Laffranchini, 2018)

Les entretiens sont décrits et analysés dans l’ordre auquel ils ont été menés afin de conserver une cohérence dans l’évolution du cheminement. 5.1. Entretien avec l’adjoint du maire

La discussion avec l’adjoint du maire a été particulièrement importante pour en savoir plus sur les modes de vie au village d’Anjiro. Elle s’est déroulée dans un des bars du village au bord de la route. Toutes sortes de sujets ont été abordés (impôts, fêtes, marchés, tourisme, développement, les Chinois …), mais seuls les éléments en lien avec la question de recherche seront repris ici. Cet entretien a été très utile en début de séjour, car il a permis de soulever un paradoxe de la scolarisation à Madagascar : la majorité des familles ont intégré l’importance de la scolarité, mais il n’y a pas de débouchées une fois un diplôme en poche et les enfants reproduisent le modèle familial. Plusieurs explications sont avancées pour expliquer cette situation : l’espoir de trouver un autre travail, la difficulté à obtenir un diplôme supérieur (BAC ou plus) en raison des coûts financiers, l’absence d’autres formations ou d’autres diplômes ou la fierté pour la famille d’avoir un de ses membres diplômés.

Guillaume Golay 28 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? La question de la fierté est intéressante, car c’est un élément subjectif qui pourrait être spécifique à un contexte culturel donné. Aussi, c’est un élément auquel je n’aurais pas pensé et que je n’avais pas le souvenir d’avoir lu jusqu’à présent.

À propos des stratégies familiales, l’adjoint confirme qu’il y a parfois des répartitions des rôles dans la fratrie, surtout selon la réussite de l’aîné et les moyens financiers à disposition des familles. De façon générale, les familles qui n’ont pas les moyens de couvrir toutes les dépenses liées à la scolarité vont opérer des sélections en fonction de la réussite pour miser uniquement sur ceux qui s’en sortent. Cette situation est intéressante, car les entretiens avec les élèves font ressortir le cas d’élèves en 3ème qui ont redoublé plusieurs années, mais qui poursuivent leurs études, parfois même avec des ambitions élevées.

Cet entretien a également laissé entendre que les enfants participent beaucoup aux travaux dans les rizières. De fait, la grille d’entretien a intégré des éléments en lien avec cette situation. 5.2. Entretien avec le directeur

La conversation avec le directeur du collège a été très riche puisque ce dernier prenait un plaisir particulier à développer ses explications. C’est un ancien professeur d’histoire-géographie dans l’établissement et il était également très intéressé par mes descriptions de la Suisse et de l’Europe. Comme précédemment, tout ne sera pas repris dans cette partie, mais uniquement les éléments jugés importants en lien avec la problématique. Aussi, certains aspects factuels en lien avec la scolarité ont pu être récoltés (coûts, inscriptions, échecs scolaires, déscolarisation …). De plus, certains éléments culturels ont été évoqués comme les mariages ou les héritages.

À propos des coûts liés à la scolarisation, le directeur est conscient de l’importance de la charge financière, mais ces frais sont indispensables pour assurer les salaires des enseignants ainsi que le bon déroulement de l’année scolaire. Contrairement aux degrés primaires (École pour tous), les degrés secondaires reçoivent rarement des aides la part de l’État et c’est précisément cette année que l’établissement a reçu sa première subvention. En raison de l’importance des coûts, le directeur est obligé de trouver des arrangements et de négocier avec les parents pour leur permettre d’inscrire leurs enfants à l’école, notamment en proposant le payement par mensualités. Par ailleurs, j’ai pu observer à plusieurs reprises durant mon stage des élèves qui se rendaient dans le bureau du directeur le matin pour payer leur inscription. Aussi, le manque d’argent est la cause principale de déscolarisation. Si bien qu’il sait que certains élèves ne mangent pas de repas durant la pause midi.

Guillaume Golay 29 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? Certains jeunes partent tenter leur chance à Tana comme agent de sécurité, servant ou femme de chambre, parfois avec l’ambition de revenir, mais pas tout le temps. En règle générale, ces personnes continuent à envoyer de l’argent à leur famille au village. C’est intéressant à plus d’un titre. D’une part, cela permet d’identifier un phénomène migratoire interne, éventuellement temporaire, relativement similaire à ce que j’avais pu observer au Sénégal, sans que je puisse véritablement en évaluer l’ampleur. D’autre part, cela laisse entendre que des jeunes cherchent des possibilités de changement. En cherchant à faire des liens avec la scolarité, cet élément pourrait être important, car cette dernière constitue certainement un atout pour trouver un emploi en ville, notamment, si le jeune possède une bonne maîtrise de la langue française. De fait, cela pourrait constituer un facteur de motivation pour les jeunes. Malheureusement, je n’ai pas eu le recul nécessaire sur place pour intégrer des questions à ce propos dans mes entretiens.

Le directeur est plutôt satisfait du comportement des élèves et de leur respect de l’institution scolaire. Cette situation ne va pas de soi, car les élèves peuvent fréquemment se trouver dans une posture humiliante (répéter des choses devant toute la classe par exemple).

A priori, le choix de scolarisation serait pris avant tout par les parents. Il est donc important qu’ils aient une vision positive de l’école. Il souligne que même pour devenir cultivateur, l’école présente un intérêt, car il ouvre les perspectives à d’autres modes de culture plus rentables.

En classe, la discipline est régie par des sanctions établies, mais parfois, les effectifs font qu’il est difficile de contenir tout le monde. Il y a un manque de personnel et d’infrastructures. 5.3. Entretiens avec des élèves

Les entretiens sont résumés et analysés tour à tour. De plus, un schéma de synthèse de l’organisation familiale ainsi qu’un graphique en « radar » ont été réalisés. Ainsi, ces sept entretiens constituent autant de petits portraits décrivant des parcours de vie. Suite aux entretiens avec les élèves, une synthèse globale sera établie.

Les graphiques en radar offrent une synthèse de chacun des entretiens selon six indicateurs : la taille du ménage, l’importance de l’école, l’implication dans les tâches ménagères, les moyens financiers, les résultats scolaires et la stabilité du cadre familial. Pour chacun de ces indicateurs, une échelle entre 1 et 3 a été construite et chacun des entretiens a été noté de 1 à 3 sur ces différents critères. Voici le descriptif des modalités retenues pour les différents indicateurs :

Guillaume Golay 30 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? - Taille du ménage : 1-3 personnes : 1 / 4-5 : 2 / 6 et plus : 3 - Importance de l’école : évaluation subjective vis-à-vis du comportement de l'élève à l'école et de ses affirmations sur sa motivation scolaire. - Implication dans les tâches ménagères : plusieurs tâches quotidiennes: 3 / une tâche quotidienne: 2 / aide ponctuelle-rien: 1 - Moyens financiers : pas de problèmes: 3 / reçoit de l'aide d'autres membre de la famille: 2 / reçoit de l'aide d'association ou conditions de vie difficiles: 1 - Résultats scolaires : bon: 3 / moyen: 2 / faible: 1 - Stabilité du cadre familial : vit avec parents mariés: 3 / décès d'un/des parents ou vit chez un autre membre de la famille: 2 / livré à lui-même: 1

En temps normal, ces indicateurs et leur construction devraient être soumis à l’aval de la littérature. Toutefois, ils ont ici uniquement vocation à synthétiser le contenu des entretiens.

Les schémas3 qui synthétisent l’organisation des familles des élèves interrogés doivent se lire de la façon suivante :

- l’élève interrogé est coloré en vert - les femmes sont représentées par un triangle, les hommes par un rond - lorsque l’élève ne vit plus avec ses parents, sa famille d’adoption est colorée en bleu

5.3.1. Angelo

Angelo est l’ainé d’une fratrie de trois enfants. Il a 14 ans et n’a jamais doublé d’années scolaires. Son papa est maçon et sa maman vendeuse. Ils ont un jardin potager, mais pas de rizière, du coup, ils doivent acheter la plupart de leur nourriture. Le point positif c’est qu’il n’a donc pas besoin de s’investir dans des travaux dans les champs après les cours et qu’il peut se concentrer sur l’école, en dehors des jours où sa maman n’est pas là et qu’il doit donc prendre le relais pour les tâches domestiques. Il ne semble pas que ses parents aient été longtemps à l’école, car je pense que s’ils avaient eu le BAC par exemple Angelo le saurait. Il rêve de faire chauffeur. Ce n’est pas le même métier que son père, mais vu leur situation (ils ne possèdent pas de terres) cela semble déjà un choix attrayant et réaliste. Étant donné que l’âge pour le permis de conduire est aussi à 18 ans et qu’ils n’ont pas de terres, il n’aurait de toute façon rien d’autre à faire que d’aller à l’école. Comme il est l’ainé, il bénéficie sans doute d’un avantage, car ses parents ont encore de l’argent à investir pour lui, d’autant qu’il passe toujours ses années jusqu’à présent. Il ne semble pas y avoir de contrôle de ses activités scolaires en dehors des

3 Les schémas ont été réalisés via l’outil en ligne Cacoo Diagram (https://cacoo.com/) Guillaume Golay 31 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? résultats finaux. Peut-être en lien avec le niveau scolaire des parents ? Il semble surtout voir l’école comme un passage obligé avant d’exercer une profession une fois plus âgé. Il n’a rien d’autre à faire. Et pour lui, la discipline des élèves est essentiellement due à la peur des sanctions. Ce ne serait donc pas en lien avec la motivation des élèves.

Figure 4: Schéma famille Angelo Angelo

Importance de l'école

Implication Taille du tâches ménage ménagères

Stabilité du Moyens cadre financiers familial

Résultats scolaires

5.3.2. Hasina

Hasina est âgé de 17 ans. Il est le deuxième d’une fratrie de cinq enfants. La famille ne semble pas avoir trop de problèmes d’argent puisque le père est chauffeur et que ses petits frères et sœurs vont à l’école catholique. Sa maman est cultivatrice et elle pratique une agriculture vivrière (fruits, légumes), mais la famille ne possède pas de rizières. Ils ont aussi quelqu’un qui aide pour les tâches domestiques quotidiennes, mais Hasina est chargé de l’approvisionnement en eau quotidiennement. Il semblerait que les absences régulières du père aient une influence sur le comportement des enfants : le grand frère apparaît comme peu présent, Hasina est turbulent à l’école et a doublé plusieurs années. Il est plus intéressé par ses amis que par son avenir, du coup, son comportement scolaire laisse à désirer et il est un boute-en-train dans la classe. Paradoxalement, il semble avoir une bonne confiance en lui et ne pas être inquiet pour son avenir. Il envisage même des études universitaires. Son histoire laisse penser que comme sa famille n’a pas de problèmes d’argent, il n’a manqué de rien et n’a pas eu à faire beaucoup d’efforts pour obtenir ce qu’il a. De fait, il serait moins concentré et penserait que tout lui est dû. Peut-être qu’il sous-estime le métier de son papa dans le sens où il ne se rend pas compte des sacrifices qu’il consent pour fournir une bonne qualité de vie à sa famille. L’école ne semble pas très importante pour lui, mais ses parents, en particulier sa maman, le poussent à s’y rendre

Guillaume Golay 32 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? tous les jours. En somme, c’est essentiellement la menace de sanctions qui régule son comportement (à la maison ou à l’école).

La relecture de cet entretien donne parfois envie d’en savoir plus sur le contraste entre son comportement, les valeurs qu’il transmet, et ses ambitions personnelles d’aller à l’université. Pense-t-il qu’aller à l’école est normal ? Aussi, il est intéressant de s’interroger sur le fait qu’il rêve d’être chauffeur. Est-ce un problème de traduction ou véritablement son objectif ? Si tel est le cas, quel serait l’intérêt d’aller à l’université si on pense aux sacrifices financiers que cela implique ?

Figure 5: Schéma famille Hasina

Hasina

Importance de l'école

Implication Taille du tâches ménage ménagères

Stabilité du Moyens cadre familial financiers

Résultats scolaires

5.3.3. Linah

Linah est une jeune fille de 15 ans qui a eu des difficultés à l’école, mais qui s’accroche pour réussir ses études. Ses deux parents sont des cultivateurs et elle ne s’imagine pas faire autre chose que cela plus tard. En tant qu’ainée d’une fratrie de quatre enfants, elle a beaucoup de responsabilités à la maison pour la préparation des repas et pour les tâches ménagères. Elle dit que cela n’impacte pas sa vie scolaire, mais j’ai un peu de mal à la croire. Malgré ses difficultés, elle est consciente de l’importance de l’école pour sa vie future, car elle en a besoin pour vendre

Guillaume Golay 33 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? ses produits sur les marchés. Aussi, on retrouve l’idée de fierté proposée par l’adjoint du maire pour justifier la volonté des parents d’envoyer leurs enfants à l’école alors qu’il n’y a pas de débouchées : « Ses parents n’aiment pas que ses enfants aient moins que les autres » (Linah). Cette situation est d’autant plus remarquable, car il semblerait que cette famille ait des difficultés financières et que la suite de son parcours scolaire soit incertaine. Sa motivation semble importante et elle a bien intériorisé les règles de l’école.

Un certain nombre d’éléments mériteraient d’être approfondis en lien avec ce témoignage. Est- ce que ses parents ont été à l’école ? Les recherches dans littérature montrent que c’est un facteur décisif pour le choix de la durée de la scolarisation des enfants. Aussi, la question des rêves ressort à nouveau puisqu’elle affirme ne jamais parler de ses rêves avec ses sœurs. Cet élément peut surprendre d’un point de vue « occidental ». Est-ce que le fait d’avoir un mode de vie plus simple, de vivre dans une région plus reculée, sans l’omniprésence des médias par exemple, atténue les espérances pour l’avenir ?

Figure 6: Schéma famille Linah Linah

Importance de l'école

Implication Taille du tâches ménage ménagères

Stabilité du Moyens cadre familial financiers

Résultats scolaires

5.3.4. Lovaniaina Rica

Lovaniaina est un jeune homme de 18 ans en troisième année. Il a un parcours de vie compliqué puisque son papa est décédé et que sa maman est partie travailler à Tana. Depuis, il vit chez sa tante avec son mari et leur quatre enfants. J’ai le sentiment que ses bons résultats scolaires incitent sa famille à continuer à investir pour lui, contrairement à son petit frère par exemple. Sa maman n’a pas de terres et a été obligée de partir travailler à Tana. De fait, la situation familiale est précaire et il bénéficie de l’aide de sa tante pendant que son frère travaille malgré son jeune âge et vit avec sa grand-mère. La situation financière de sa tante est bien plus

Guillaume Golay 34 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? favorable puisqu’elle peut assumer la scolarité de ses enfants, celle de Lovaniaina et même payer une dame pour s’occuper des tâches ménagères. En revanche, la précarité de sa famille nucléaire, en lien avec le décès de son père, lui permet de bénéficier de l’aide d’une association qui paie pour ses fournitures scolaire. Cette association aide une trentaine d’enfants dans la région. Lovaniaina semble conscient de la chance qu’il a de pouvoir continuer sa scolarité et de l’investissement de sa tante pour lui permettre de poursuivre son parcours. Ainsi, il respecte le cadre scolaire. De plus, il est intéressant d’observer à la fois une peur des sanctions et une volonté de plaire, notamment aux enseignants.

Cet entretien fait également apparaître une partie de la structure du cadre scolaire en termes de discipline. Des sanctions du type « retenue » peuvent être données et les parents sont parfois informés si un enfant répète ses actions. Des discussions complémentaires avec les enseignants ont permis de savoir que ce type de démarches est très rare.

Figure 7: Schéma famille Lovaniaina Rica

Lovaniaina Rica

Importance de l'école

Implication Taille du tâches ménage ménagères

Stabilité du Moyens cadre familial financiers

Résultats scolaires

Guillaume Golay 35 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

5.3.5. Omega

Omega est un jeune homme de 19 ans en troisième année du collège. Il est plus âgé que la normale, car il a doublé une année. Il a également dû suspendre sa scolarité une année, car il a eu une fracture qu’il a soignée avec la médecine traditionnelle. Sa situation familiale est particulière, car son papa est décédé et il a laissé derrière lui sa femme et ses neufs enfants. Etant le plus jeune de la fratrie, il vit maintenant avec sa maman et la famille de son frère aîné. J’ai trouvé intéressant le fait qu’il appelle sa maman « grand maman ». Peut-être que c’est simplement une erreur de traduction, ou alors, il y a peut-être un mot « hybride » pour signifier le mot maman. Le contexte fait que l’écart d’âge entre lui et sa maman est peut-être plus important que la normal et cela pourrait justifier l’emploi du terme grand-maman. Il a un objectif clair pour son avenir puisqu’il souhaite devenir militaire. Dans ce projet, l’école est importante, car l’obtention du BAC lui offre de meilleures opportunités. Aussi, son témoignage présente un exemple frappant de solidarité familiale puisque la charge de la scolarité d’Omega est répartie sur chacun des frères selon un principe de rotation annuelle. Tous ont été scolarisés jusqu’au collège et semblent avoir une représentation positive de l’école. De plus, le projet d’Omega de devenir militaire coïncide avec leur volonté de montrer à tous que leur famille comporte un membre titulaire du BAC (« parmi ses frères et sœurs, ils veulent avoir un diplôme dans sa famille » (Omega)). La fierté ressort comme un élément important pour guider les stratégies familiales. Le contexte de vie d’Omega le décharge de véritables tâches quotidiennes, mais il reste actif. Son grand frère est comme un père pour lui. En revanche, il est régulièrement absent, car il travaille comme chauffeur. C’est donc lui-de façon autonome qu’il s’impose de la rigueur vis-à-vis de l’école et il ne ressent pas de véritable pression. Enfin, de par la profession de son frère, ils n’ont pas de champs et doivent donc totalement subvenir à leurs besoins via des revenus financiers.

Sa motivation est importante, car sa famille a placé des espoirs en lui et il en est conscient. Aussi, c’est intéressant, car contrairement à d’autres, il ne semble ressentir de peur des sanctions, à domicile ou à l’école. Son âge plus avancé que les autres pourrait constituer un élément de réponse à cette situation.

Cet entretien était un peu confus en raison de la structure familiale complexe d’Omega. La rigueur n’a pas été excellente alors il manque certaines informations qui auraient été utiles : activité de sa maman, est-ce que les sœurs s’impliquent aussi pour sa scolarité, que font ses sœurs ? Sont-elles mariées ? Quels âges ont les enfants de son frère aîné ? Sont-ils scolarisés ? Le frère aîné a-t-il été scolarisé ? Il y a une contradiction dans le texte.

Guillaume Golay 36 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

Figure 8: Schéma famille Omega

Omega

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Stabilité du Moyens cadre familial financiers

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5.3.6. Rahando Faneva

Rahando est le plus jeune fils d’une fratrie de trois enfants. Sa famille habite dans un village à 15km d’Anjiro et il vit donc avec la famille de son oncle pour lui permettre de continuer sa scolarité. Ce changement de lieu de vie s’explique également par les difficultés de sa famille d’assumer ses frais scolaires. En particulier, il a déjà doublé deux années et il semblerait que sa famille ne puisse plus continuer à investir pour lui s’il ne fait pas plus d’effort. Son oncle est gérant d’une petite banque et sa tante s’occupe d’un bar au bord de la route. Ils ont donc la capacité d’assumer des charges supplémentaires. Cet élément se confirme également, car il y a une personne supplémentaire qui vit avec eux pour aider aux tâches domestiques. La situation de Rahando est donc particulière, car il vit chez son oncle. Son contexte de vie doit donc s’interpréter en se concentrant sur son implication, ses activités et ses ressentis. Il n’est pas très motivé par l’école, car ses résultats ne sont pas très bons et il se décourage. Pourtant, il ambitionne de travailler « dans un bureau », comme secrétaire par exemple, et cela nécessite de réussir ses études. Il fait partie des rigolos de sa classe et il prend du plaisir à divertir les

Guillaume Golay 37 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? autres. Il sait que cela ne favorise pas son apprentissage, mais il dit que « c’est une routine maintenant » (Rahando). Le fait qu’il continue ses études dépendra de ses résultats au BEPC. J’ai le sentiment que le fait que son oncle soit dans une situation financière favorable n’incite pas Rahando à se rendre compte de la chance qu’il a de suivre les cours. Ou alors, la question de son manque d’implication scolaire pourrait s’expliquer par des difficultés affectives et un manque d’autorité de la part de son oncle. Le « transfert d’autorité » n’est peut-être pas suffisamment clair et intégré par le jeune.

Plusieurs questions émergent à la relecture de cet entretien. Est-ce qu’il est parti de sa famille directe pour des raisons géographiques ou financières ? Est-ce que son oncle a aussi payé pour la scolarité de ses frères et sœurs ? À quelle fréquence retourne-t-il chez ses parents ? Car il affirme jouer dans l’équipe du village chez eux, mais également travailler au bar à Anjiro les weekends.

Figure 9: Schéma famille Rahando Faneva

Rahando Faneva

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Stabilité du Moyens cadre familial financiers

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Guillaume Golay 38 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

5.3.7. Rojonihaina

Rojonihaina est une jeune fille de 14 ans en classe de troisième. Elle n’a doublé aucune année et on observe tout de suite son jeune âge en comparaison d’autres personnes interrogées dans la classe, parfois âgées de 19 ans. L’écart d’âge dans les classes peut donc être particulièrement important. Elle vit seule dans le village d’Anjiro où ses parents lui louent une chambre. Elle est l’aînée des trois enfants de ses parents qui vivent en famille dans un village à environ 15km qui ne possède pas d’établissement secondaire. Ses parents sont des cultivateurs et ils vendent leur production au marché le samedi à Anjiro. Son parcours est admirable et, à mon avis, est particulièrement impressionnant au regard de l’autonomie de la plupart des enfants de son âge. En effet, elle vit seule la semaine depuis qu’elle est au collège, soit depuis l’âge de 10 ans. Il est intéressant d’observer qu’il n’y a pas d’organisation entre les jeunes au sein de ce qu’on pourrait appeler une colocation, et que chacun s’occupe de sa cuisine et de son ménage, directement dans sa chambre. Son implication est exemplaire, autant que ses résultats scolaires. Il est évident que son contexte de vie influence cette implication. Elle est consciente de tout ce qu’elle a à faire et pourquoi elle le fait. D’une part, car ses parents s’investissent pour elles en assumant ses frais et en louant une chambre pour elle. D’autre part, car elle souhaite devenir enseignante et ses résultats scolaires joueront un rôle majeur pour parvenir à ce rêve. Paradoxalement, elle ne semble pas avoir de garantie de la part de ses parents pour savoir si elle pourra continuer les études après le BEPC. Toutes les autres personnes qui vivent dans la maison sont des étudiants comme elle. C’est donc une situation relativement courante pour les parents des villages plus reculés qui peuvent envoyer leurs enfants à l’école secondaire. À l’inverse, on comprend vite que si les moyens financiers sont plus limités, le choix d’arrêter l’école après le cycle primaire est rationnel.

La relecture de cet entretien laisse penser que nous nous trouvons ici dans la situation décrite par l’adjoint du maire où à la fois les parents considèrent l’école comme importante et ils investissent donc dans l’éducation, et à la fois les enfants n’ont aucune garantie sur leur possibilité future d’accéder à une éducation « supérieure ». Cette famille d’agriculteurs retire ses revenus de ses ventes au marché et vit de sa production (agriculture vivrière). Il serait intéressant de voir si les autres enfants adopteront un parcours similaire à celui de Rojonihaina.

Guillaume Golay 39 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

Figure 10: Schéma famille Rojonihaina Rojonihaina

Importance de l'école

Implication Taille du tâches ménage ménagères

Stabilité du Moyens cadre familial financiers

Résultats scolaires

5.4. Synthèse des entretiens avec les élèves

Les entretiens avec les élèves présentent tous des parcours de vie différents. Généraliser ces parcours serait complexe et périlleux. Toutefois, au regard de la question de recherche, il est possible de dégager des premières pistes de réponse.

Tout d’abord, il faut relever le fait que si les élèves sont encore scolarisés en troisième année, il semblerait que les parents aient une vision positive de la scolarité. Cela peut sembler trivial, mais c’est important de le souligner puisque la littérature insiste sur la perception des parents pour le parcours scolaire des enfants (Ministère de l’Éducation Nationale, 2012 ; Deleigne et Kail, 2007). De fait, il est probable d’imaginer combien cette vision positive de la scolarité impacte positivement la motivation des élèves. Au travers des entretiens, seuls les cas d’Hasina et Rahando pourraient remettre en question cette hypothèse. Or, dans ces deux cas, la stabilité du cadre familial est plutôt faible, ce qui pourrait donc aller dans le sens des références citées. Certains entretiens laissent transparaître des difficultés financières (Lovaniaina par exemple) qui ont conduit à l’arrêt de la scolarité d’autres membres de la famille. Dans cette situation, il semblerait que la motivation des élèves soit importante et qu’ils soient conscients de l’opportunité qui leur est offerte. À ce titre, le cas de la jeune Rojonihaina est particulièrement représentatif.

Tel que cela avait été imaginé en amont de ce travail, des stratégies familiales complexes sont identifiables et elles peuvent être reliées à la motivation scolaire des élèves. Par exemple, parmi les sept entretiens réalisés, deux élèves ont eu le malheur de perdre leur père. Cette situation est peut-être due au hasard, mais il est évident que dès lors, les responsabilités au sein de la famille sont chamboulées. Aussi, des situations de confiage sont observées chez trois élèves (Omega,

Guillaume Golay 40 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? Lovaniaina et Rahando). Ces situations ont des impacts variés sur la réussite scolaire des jeunes. Parfois il s’agit d’une véritable autorité de substitution qui parvient à transmettre sa vision de la scolarité (Lovaniaina et Omega). Parfois en revanche, le jeune semble un peu perdu et il n’a pas de vision claire de son futur et de l’importance de son comportement à l’école (Rahando). Gil Randriamasitiana (2015) écrivait : « En cas d’absence du père pour une raison quelconque, ce dernier sera remplacé par l’aîné, c’est le sens de solondray ». Ce cas de figure apparaît deux fois dans les entretiens, mais ici encore, la responsabilisation n’est pas toujours évidente. Dans le cas d’Omega, l’aîné a pu prendre ses responsabilités pour l’accueillir et le soutenir. Omega en est alors conscient et il cherche rendre fier sa famille. Cependant, dans le cas d’Hasina, le père étant souvent absent, l’aîné devrait pouvoir prendre les responsabilités de la famille, mais cela ne semble pas être suffisant pour pousser Hasina à s’investir davantage.

Toujours à propos des stratégies familiales, Valérie Delaunay (2012) faisait le constat d’un affaiblissement des solidarités familiales entrainant de plus en plus de familles à chercher de l’aide auprès d’institutions de la société civile (associations, ONGs) en lieu et place de l’aide de l’État. Les familles recourent alors à ces aides pour obtenir des aides alimentaires ou pour assurer les frais liés à la scolarité. Si ce constat provenait essentiellement d’observations sur la scolarité primaire, l’entretien de Lovaniaina fait émerger une situation similaire. Ici encore, il semblerait que l’impact sur la motivation de l’élève soit positif.

L’analyse des entretiens fait apparaître un élément qui aurait peut-être dû être ajouté aux graphiques en radar : l’éloignement géographique de la famille directe. En effet, les interviews présentent plusieurs cas d’élèves qui sont touchés par l’éloignement géographique de l’école par rapport au lieu de vie de leur famille. Trois cas de figure sont particulièrement évocateurs : Rahando, Linah et Rojonihaina. Dans ces trois exemples, le jeune qui semble se trouver dans la situation la plus confortable est aussi celui qui parvient le moins bien à se sentir motivé par l’école (Rahando). Au contraire, Linah doit marcher plus de 30 minutes pour se rendre à l’école et elle doit faire le trajet matin, midi et soir pour faire à manger à sa sœur. Également, Rojonihaina vit toute seule dans une chambre durant la semaine et rentre chaque vendredi dans son village. Elle doit se prendre en charge de façon totalement autonome durant la semaine depuis ses dix ans. Dans ces deux entretiens, la motivation des jeunes était perceptible même si cela ne garantit pas des résultats. Le parcours de la jeune Rojonihaina est représentatif d’un parcours « modèle » d’une élève originaire d’un village rural d’un pays en voie de développement pour laquelle la famille consent des sacrifices importants. Par rapport à la

Guillaume Golay 41 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? question de recherche, son parcours laisserait affirmer que la motivation est bien réelle et qu’elle ait le sentiment de faire partie d’un véritable projet familial.

En s’intéressant maintenant aux raisons qui poussent les parents à avoir une vision positive de l’école, les entretiens laissent transparaître différentes hypothèses. De façon relativement inattendue pour un chercheur qui n’est pas encore familier avec le contexte culturel malgache, la fierté et le besoin de faire comme tout le monde sont ressortis à plusieurs reprises. La littérature sur le sujet ne semble pas très abondante, mais certains auteurs malgaches l’évoquent parfois brièvement. Dans la civilisation traditionnelle malgache, les enfants sont considérés comme une richesse. Les parents en sont donc fiers et ils comptent beaucoup sur eux (Randriamasitiana, 2015). Le sentiment de fierté semble véritablement provenir de racines culturelles, mais il est toujours difficile pour un chercheur de se projeter dans une situation inenvisageable à l’heure actuelle. La fierté ne réside pas tant dans le fait que l’enfant atteigne une brillante carrière, mais il faut qu’au moins un enfant obtienne un diplôme important (le BAC par exemple). Il est intéressant de constater que l’argument de la fierté est ressorti dans deux contextes pour lesquels les parents ou le ménage doivent trouver des solutions financières particulières pour permettre la scolarité des jeunes. De fait, une hypothèse serait que pour les ménages qui ont peu de difficultés financières, la scolarité est normale. Alors qu’elle semble toujours ne pas l’être actuellement pour les ménages défavorisés ou dont les parents n’ont pas eu la chance de réaliser des études supérieures. Ce qui est d’autant plus surprenant, c’est que ces familles sont conscientes que leur enfant va reproduire les activités de leur père ou de leur mère, mais le besoin d’être comme tout le monde, ou de ne pas être moins bien, est dominant.

Ensuite, la place dans la fratrie semble avoir un impact important sur la scolarité. Plusieurs cas de figure apparaissent dans les entretiens et la littérature ne parvient pas à trouver de consensus à ce sujet. Dans certaines situations, l’aîné est favorisé, mais toutes les situations se retrouvent (Deleigne et Kail, 2007). La taille de la famille influence la scolarisation des enfants dans le sens où plus la famille est grande, plus il y a une répartition des rôles et une utilisation des enfants pour les activités de production, souvent les aînés (Deleigne et Kail, 2007). À la question de savoir qui est privilégié au sein de la fratrie, toutes les situations semblent se retrouver: parfois l'aîné pour montrer l’exemple, parfois au contraire l’aîné est sacrifié pour conserver des ressources pour les autres (Fong Yong et Moullet, 2015). Ainsi, il est possible de s’interroger sur le futur scolaire de certaines personnes interrogées, notamment Rojonihaina, Linah et Angelo, car ils sont tous les aînés de leur fratrie. « Les entretiens réalisés montrent que la scolarisation des plus grands s’arrête lorsqu’il faut assumer financièrement celle des plus

Guillaume Golay 42 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? jeunes enfants. » (Rebouha et Pochet, 2011, contexte ivoirien). Au contraire, l’exemple de Lovaniaina montre que malgré la présence d’un frère plus jeune, son parcours scolaire a été favorisé.

De façon peut-être relativement étonnante, l’importance de l’école est généralement soulevée, mais peu de détails sont apportés à ce sujet en dehors de la perspective de trouver un emploi. Notamment, la question de l’importance des compétences à acquérir ne ressort qu’à un seul moment, durant l’entretien avec Linah, puisque cette dernière vend la production familiale au marché les samedis. Ce cas particulier permet de relever un autre aspect en lien avec la motivation des élèves pour l’école, lorsqu’ils sont impliqués dans le commerce familial et qu’ils ont besoin de compétences de base pour y parvenir dans de bonnes conditions.

J’ai lu récemment le roman « Demain j’aurai vingt ans » d’Alain Mabanckou (2010). Certains passages qui décrivent la scolarité dans le Congo-Brazzaville des années 1970-1980 me font maintenant repenser à mon expérience malgache et à ces entretiens. Par exemple, l’obsession de la récitation, mais aussi, le fait que les bons élèves sont devants et les mauvais derrières, et que ces derniers sont toujours des garçons. Ils imposent leur autorité aux autres, en échange, ils font rire la classe et attirent l’attention des professeurs. Je ne m’étais pas posé la question de savoir où se trouvaient les bons élèves et les mauvais élèves, mais je peux clairement affirmer avec du recul que la situation était la même que celle décrite dans ce livre. Le Journal de bord fait également état d’éléments perturbateurs en fond de classe. Aussi, ces aspects de répartition spatiale des élèves au sein de la classe ont été modifiés dans le contexte scolaire « occidental » puisque les élèves sont fréquemment déplacés, ou mélangés pour instaurer d’autres dynamiques de classe. Est-ce qu’il n’y aurait d’ailleurs pas une piste de réflexion pour les enseignants malgaches ? Pas que les changements de place soient forcément la solution, car parfois le changement péjore la personne qui a de la facilité au lieu de favoriser celle qui a des difficultés, mais il faut peut-être envisager d’expérimenter cette pratique. De fait, la position dans la classe pourrait être un indicateur de la motivation des élèves. 5.5. Discussion avec Haingo

La discussion avec Haingo a eu lieu durant son séjour en Suisse, alors que nous nous promenions à Nyon au bord du lac. Elle n’était pas planifiée, mais elle s’est ouverte après que je l’ai questionnée sur son ressenti vis-à-vis des cours qu’elle a pu suivre en Suisse. Le niveau de français de Haingo n’est pas parfait alors il y avait fréquemment des malentendus ou des précisions à demander. Néanmoins, cette discussion a été intégrée au travail, car Haingo a

Guillaume Golay 43 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? affirmé que beaucoup de jeunes arrêtaient l’école (déscolarisation). J’ai alors demandé que faisaient ces jeunes qui arrêtent l’école comme il n’y a pas beaucoup de perspectives professionnelles. C’est alors qu’est apparu le fait que beaucoup de jeunes trainent toute la journée, parfois non loin de l’ancienne gare. Ils n’ont pas d’occupations et se contentent de jouer aux cartes ou prendre ou fumer des substances illicites, notamment du cannabis. Cette situation viendrait donc remettre en question le mythe de la motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement, dans le sens où ces jeunes sont des jeunes comme on en trouve dans tous les pays. Il y a certes un contexte général qui favorise la motivation des jeunes, mais il ne faut pas idéaliser cette situation.

En revanche, la conversation a ensuite débouché sur un aspect dont je m’en veux de ne pas avoir évoqué l’existence puisqu’il concerne en partie la thématique que j’avais développée au Sénégal. En effet, Haingo a déclaré que beaucoup de jeunes travaillent au village durant l’été pour financer leur scolarité. Les travaux qui sont effectués sont la création de brique et les travaux pour les garçons et le ménage ou la vente pour les filles. À la question de savoir quelle proportion d’élèves travaille durant les vacances Haingo m’a répondu qu’il y en a plus de la moitié. Il semblerait qu’il y ait suffisamment d’opportunités dans la région pour que les jeunes n’aient pas besoin d’accomplir des migrations temporaires comme c’est le cas au Sénégal. Il serait intéressant d’approfondir les liens entre le village d’Anjiro et la capitale Antananarivo. Durant les entretiens, deux élèves ont évoqué des contextes où un parent vit à Antananarivo, en particulier lorsque la structure familiale s’affaiblit, à la suite d’un décès par exemple. Cependant, je n’ai pas observé une situation d’exode rural massif. Est-ce que cela va venir lorsque la pression sur les terres sera trop importante? Est-ce que les jeunes scolarisés partiront chercher d’autres opportunités en ville? Toujours est-il que je trouve que les jeunes ont relativement peu de possibilités pour exploiter leurs capacités scolaires. De fait, j’aurais envie de prédire un changement, soit par le développement des régions rurales en lien avec les villes, soit via des situations de migrations internes vers les villes. Au Sénégal, les migrations temporaires des jeunes permettent notamment de subvenir aux besoins liés à la scolarité des autres membres de la famille, qui sont par exemple restés au village pour aider dans les cultures (Delaunay et al., 2016). 5.6. Synthèse des entretiens et liens avec la littérature

À la lecture des différents entretiens, de nombreux axes de réflexion se sont ouverts et il convient à présent de les synthétiser et de les mettre en parallèle avec les conclusions présentes

Guillaume Golay 44 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? dans la littérature. Les questions de perception de la scolarité et de motivation des élèves doivent véritablement s’inscrire dans un contexte plus large, impliquant la structure familiale ou de vie de l’élève. De fait, les éléments qui agissent sur sa motivation dépassent souvent la simple décision individuelle. Cette situation s’illustre parfaitement, car la littérature souligne que le coût financier est le frein principal pour l’accès à la scolarité (Rebouha et Pochet, 2011 ; Fong Yong et Moullet, 2015 ; d’Aiglepierre, 2012a). Plusieurs études ont été produites pour montrer l’impact du niveau économique sur les décisions de scolarisation dans le contexte malgache. Il faut toutefois être attentif à la façon de caractériser la richesse économique. En effet, les études se concentrent souvent sur les revenus des ménages. Or si le niveau économique est mesuré via des indicateurs comme les possessions matériels, les terres ou la taille du cheptel, les liens entre la pauvreté et la scolarité sont plus influencés par la perception des parents vis- à-vis de l'utilité du système scolaire. Dans les entretiens, tous les types d’acteurs interrogés (élèves, directeur, adjoint, Haingo) ont souligné les difficultés rencontrées par les familles pour couvrir l’ensemble des frais de scolarité de leurs enfants. En revanche, la question de la perception des parents autour de la scolarité n’est pas évidente à faire ressortir. En effet, puisque les élèves interrogés sont eux-mêmes scolarisés, il semblerait que l’entourage soit logiquement convaincu des bénéfices de l’école. Pour avoir une vision plus large de cet argument, il aurait été intéressant d’interroger des jeunes qui ont arrêté leur scolarité. Notamment, il est important de rappeler que la scolarité n’est pas encore rentrée dans les mœurs de façon durable puisqu’il y a des périodes de baisse de la perception de la scolarité, par exemple en Côte d’Ivoire : « L’école est de moins en moins vue comme un moyen d’accès à la vie active par les jeunes des quartiers défavorisés d’Oran, qui tendent à ne pas poursuivre leurs études. La sortie définitive du système scolaire se traduit pourtant, dans la majorité des cas, par une période longue de non-travail, et de fortes difficultés d’accès à l’emploi. » (Rebouha et Pochet, 2011, p.198). Cette affirmation est vérifiable dans le contexte malgache en observant l’évolution des taux de scolarisation des enfants, car cela laisse apparaître des diminutions lors des périodes de crises économiques ou suite à des catastrophes naturelles importantes (Henaff, Lange et Martin, 2009).

De plus, il est difficile de définir si la scolarisation des enfants dépend plus du niveau économique ou du capital scolaire des parents (Deleigne et Kail, 2007). Aussi, « il n’y a pas de correspondance systématique entre le niveau de pauvreté et les dépenses que les familles engagent dans l’éducation. » (Henaff, Lange et Martin, 2009, p.191), car des stratégies familiales variées sont observées: réduction d’autres secteurs de dépenses, concentration des

Guillaume Golay 45 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? efforts sur certains enfants, éducation primaire uniquement, confiage, … Également, les populations les plus démunies sont particulièrement réactives aux changements de contextes (subventions étatiques) ou aux crises, ce qui se traduit par des déscolarisations et des rescolarisations (Henaff, Lange et Martin, 2009). Ici, encore, les discussions avec les élèves ont fait ressortir des cas d’élèves ayant été contraints d’interrompre leur scolarisation avant de reprendre lorsque le contexte (économique, social ou sanitaire) était plus favorable.

Parmi les stratégies familiales en vigueur, « la composition de la fratrie joue également un rôle important, en particulier, la présence de filles adolescentes favorise la scolarisation des plus jeunes enfants » (Marcoux, 1994, p. 174). Cette affirmation peut être mise en relation avec le parcours de Linah puisque cette dernière doit subvenir aux besoins de ses sœurs en plus de sa scolarité. C’est une tâche quotidienne importante qui offre la possibilité à ses parents de rester actifs dans leurs activités agricoles et à ses sœurs de bénéficier de meilleures conditions de vie. Aussi, les situations de confiage sont relevées par différents acteurs dans les entretiens. Cette pratique souligne la recherche de solution des familles, notamment pour résoudre la problématique de la scolarisation des enfants. Parmi les autres éléments en lien avec les stratégies familiales, la taille des familles, la place dans la fratrie ou les stratégies migratoires sont également évoquées et confirmées par la littérature.

La question de l’importance de l’école est centrale, car elle influence la motivation des élèves et leur perception de la scolarité, autant qu’elle guide les parents dans leur choix de scolarisation des enfants. Si les études mettent généralement en évidence l’importance de l’école, rares sont celles qui décrivent les raisons de celle-ci. Au travers des articles, plusieurs éléments intéressants permettent d’apporter des éléments de réponse. En particulier, ces éléments mobilisent des aspects culturels qui pourraient être spécifiques au contexte d’étude. En effet, tant des élèves que l’adjoint du maire ont évoqué la notion de fierté pour les familles de pouvoir offrir une scolarisation à leurs enfants. La démarche de scolarisation semble donc s’inscrire dans une démarche sociale en lien avec une possible hiérarchisation des familles selon ce critère. L’idée qu’il ne faut pas offrir moins de choses à ses enfants que les autres étant très présente, de même que l’espoir d’un avenir meilleur, symbolisé par le proverbe malgache suivant : « est insensé celui qui ne surpasse pas son père » (Randriamasitiana, 2015, p.62). Enfin, l’acquisition de compétences indispensables pour certaines activités économiques a également été citée pour expliquer l’importance de l’école.

Sur la notion de fierté, les recherches scientifiques n’ont pas abouti à des résultats très convaincants. Un aspect intéressant concerne néanmoins les élèves, car Pourtier (2010) évoque

Guillaume Golay 46 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? la fierté des élèves d’appartenir et de se rendre dans un établissement scolaire dans leur commune. Cette fierté étant sur le déclin en raison de la dégradation des établissements et le manque de moyens alloués à l’entretien (Pourtier, 2010).

Ce travail n’a pas vocation à approfondir les questions de genre. Néanmoins, la littérature s’est largement penchée sur le sujet, notamment à Madagascar. Si les taux de scolarisation sont légèrement en faveur des filles, il semblerait que pour ces dernières l’école soit plus rarement un tremplin vers l’autonomie ou la promotion sociale (Gastineau et Ravaozanany, 2011). Deleigne et Kail (2007) sont plus nuancées et présentent que les différences de scolarisation filles/garçons sont dépendantes du niveau de richesse, car les ménages aisés scolarisent tous leurs enfants. La réalité est différente pour les autres ménages qui opèrent parfois à des choix. Le fait de favoriser les garçons ou les filles dépend alors du contexte et de visions contraires quant à la sécurité future des enfants (Fong Yong et Moullet, 2015).

Les entretiens avec le directeur, l’adjoint du maire ou avec Haingo font apparaître des situations relativement fréquentes de travail des enfants. Ce dernier dépend de plusieurs facteurs (Rakoto Tiana), en particulier les situations de pauvreté monétaire chronique ou de vulnérabilité suite à des catastrophes. Deux fois plus d’enfants des ménages pauvres travaillent sans aller à l’école par rapport aux ménages les plus aisés. En revanche, la proportion d’enfants qui combinent travail et école est sensiblement la même. Enfin statistiquement, le revenu parental n’influence pas la mise au travail des enfants, mais il influence positivement la scolarisation (Rakoto Tiana). Les apports de Haingo à propos des travaux des élèves durant les vacances sont à relever, car l’argent récolté est directement investi dans leur scolarité.

En ce qui concerne l’implication des jeunes dans les tâches familiales, les enfants commencent à aider dans les champs dès l’âge de 6-7 ans (Gastineau et Golaz, 2016). Les jeunes travaillent sur l’exploitation familiale ne sont pas rémunérés jusqu’à leur départ du foyer. En revanche, ils peuvent se faire engager comme journaliers ou demander une parcelle spécifique à leur père pour commencer à constituer des réserves, notamment via l’achat d’animaux. Les parents n’acceptent pas uniquement de prêter des terres à leurs enfants par bonté. En effet, ils savent qu’à leur départ du foyer, ces derniers devront assumer leurs obligations familiales (entretiens des tombeaux, cotisations) (Gastineau et Golaz, 2016). Par rapport à ce qui est observé dans les entretiens, la motivation scolaire est influencée de différentes manières par l’implication dans les tâches familiales. Il y a à la fois des élèves qui ne s’impliquent pas (Lovaniaina) et d’autres très impliqués (Linah et Rojonihaina) qui affichent leur motivation.

Guillaume Golay 47 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? La motivation des élèves a un impact sur leur décision de scolarisation. Il a été observé que l’influence du cadre familial est le plus souvent importante, même si un certain nombre de situations dénotent d’un affranchissement individuel de la part des enfants et de leur liberté dans le choix de poursuivre leur scolarité (Fong Yong et Moullet, 2015). Cette diversité des situations semble également se retrouver dans les entretiens, car parfois la suite du parcours scolaire n’est pas clairement définie et dépend des ressources financières de la famille. Au contraire, des cas de familles plus aisées décrivent des jeunes moins motivés et plus libres de leur choix futur. Dans les deux cas, ces choix semblent rationnels dans la mesure où la scolarisation engendre des frais et il convient de maximiser leur rendement. Toujours à propos de la motivation, une étude de l’UNICEF à Madagascar (d’Aiglepierre, 2012) relève les facteurs qui favorisent l’exclusion scolaire. À côté d’éléments « classiques » comme le fait d’exercer une activité rémunérée, l’éloignement géographique de l’établissement, le niveau d’éducation des parents ou le niveau des revenus figurent la honte, la dévalorisation et les performances scolaires. Le système pédagogique fondé sur la répétition et la restitution pourrait avoir un impact sur la motivation des élèves. Dans les entretiens, ces deux éléments n’apparaissent pas directement, mais un lien peut être établi entre les performances scolaires et la motivation. Aussi, il faut relever le caractère potentiellement humiliant de certaines pratiques pédagogiques puisqu’elles placent l’élève au centre de l’attention de la classe en le forçant à agir sur des éléments qu’il ne maîtrise pas.

Dans la littérature, d’autres facteurs influençant la scolarisation ont été repérés :  les problèmes de santé (Rebouha et Pochet, 2011)  les frais liés à l’habillement (Rebouha et Pochet, 2011)  les transports (Rebouha et Pochet, 2011)  le fait de vivre en milieu rural ou urbain (Yaro, 1995)  les pratiques religieuses (Yaro, 1995)  le statut professionnel des parents (Yaro, 1995)  les catégories sociales (Yaro, 1995)  la honte liée à l’âge (Fong Yong et Moullet, 2015)  la découverte de la situation financière précaire de la famille et la responsabilisation individuelle des jeunes (Fong Yong et Moullet, 2015)  le découragement (Fong Yong et Moullet, 2015)  le manque d’instituteurs et la fermeture d’établissements (Rebouha et Pochet, 2011)  l’absentéisme des enseignants (Rebouha et Pochet, 2011)  le manque de moyens des établissements (Rebouha et Pochet, 2011) Les discussions informelles en salle des maîtres ou les discussions avec Haingo ont régulièrement porté sur la discipline et les changements de mentalité des élèves. Comme à

Guillaume Golay 48 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? peu près partout, les enseignants se plaignent de l’évolution du comportement des élèves vers moins de respect et plus de laxisme. Cette situation est également observée au Sénégal, en lien avec les migrations temporaires des élèves (Delaunay et al., 2016). De fait, il serait intéressant d’approfondir la façon dont les élèves sont rémunérés lors de leurs travaux de vacances, notamment s’ils reçoivent eux-mêmes leur salaire, s’il est reversé aux parents ou s’ils doivent le transférer. Dans le cas où la première option serait constatée, un parallèle entre l’autonomie financière et la motivation scolaire et le respect du cadre scolaire pourrait être effectué : « Les jeunes ruraux se retrouvent pourtant “en décalage” avec les générations précédentes: plus scolarisés, plus mobiles, plus ouverts sur l’extérieur et sur le monde (diffusion de la téléphonie mobile, voire d’Internet). Ils aspirent à une vie différente de leurs parents. Ils espèrent un revenu personnel, de nouveaux biens de consommation et une répartition plus égalitaire des ressources entre générations. » (Delaunay et al., 2016, p.19). Si le directeur rejoint aussi le constat général d’un déclin, il a toutefois le sentiment que la situation reste acceptable et que les enseignants parviennent à faire valoir leur position hiérarchique.

La motivation scolaire est le plus souvent abordée du point de vue des apprentissages. Généralement, elle est divisée selon deux grandes catégories : les motivations extrinsèque et intrinsèque (évaluation cognitive, Dieci et Ryan, 1975). La motivation extrinsèque regroupe toutes les récompenses qui se trouvent en dehors de l’activité même, comme obtenir une bonne/mauvaise note ou faire plaisir à ses parents (Fenouillet, 2001). Au contraire, la motivation intrinsèque provient uniquement du plaisir ressenti par l’individu durant la réalisation ou suite à l’accomplissement d’une activité (Fenouillet, 2001). L’objectif est de générer une motivation intrinsèque pour éviter le sentiment de contrainte ou de lassitude. De plus, pour parvenir à maintenir sa motivation, le sujet doit être capable de gérer ses frustrations et apprendre à échouer (Fenouillet, 2001). Dans ce travail, il s’agit essentiellement de comprendre l’envie d’aller à l’école. Il est certain que la motivation pour les apprentissages fait partie de ce cadre, mais elle n’en constitue qu’une partie et n’a pas été approfondie. Il y a donc un léger décalage vis-à-vis de la théorie initiale. Néanmoins, la grande majorité des éléments qui sont ressortis des entretiens peuvent être attribués à la motivation extrinsèque, car il s’agit de facteurs externes à l’élève qui agissent sur son parcours scolaire. Aussi, les entretiens ont fait émerger des réflexions qui peuvent paraître plus personnelles, comme la perspective d’atteindre une certaine profession. Les facteurs intrinsèques n’apparaissent pas dans les entretiens. Il serait intéressant de les approfondir pour tisser des liens avec la réussite scolaire ou le désir de poursuivre sa scolarité. Également, ils pourraient être mis en parallèle avec les

Guillaume Golay 49 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? dispositifs pédagogiques utilisés par les enseignants, car à première vue, ces dispositifs ne visent pas autant la motivation intrinsèque que ceux qui sont développés dans le contexte suisse. Enfin, pour être tout à fait complet sur la question de la motivation, il convient de mentionner qu’à la question de savoir ce qu’ils aiment le plus à l’école, l’ensemble des élèves a évoqué la dimension sociale et le fait de côtoyer ses amis. Il s’agit là encore d’une motivation extrinsèque qui a paradoxalement été peu développée alors qu’elle occupe certainement une place centrale dans la motivation des élèves envisagée au niveau individuel. De plus, cet argument permet de nuancer les spécificités du contexte malgache puisqu’il apparaît également parmi les éléments les plus stimulants pour les élèves « occidentaux ». L’étude de Christine Leroy-Audouin et Céline Piquée (2004) indique effectivement que les trois choses que les élèves étudiés aiment le plus à l’école sont : le fait d’apprendre des choses intéressantes, la présence des copains, le fait qu’ils apprennent des choses dans une discipline spécifique (Leroy-Audouin et Piquée, 2004).

Tableau 7: Résumé des thèmes abordés par les différents acteurs interrogés en lien avec la problématique

Thèmes abordés L’adjoint du maire Le Les élèves Haingo directeur Travailler pour financer ✘ sa scolarité Déscolarisation ✘ ✘ ✘ ✘ Confiage Confiage Taille de la famille Migrations Taille de la famille Migrations Stratégies familiales Place dans la fratrie internes Place dans la fratrie internes Répartition des tâches Répartition des tâches Fierté ✘ ✘ Respect de l’institution et ✘ ✘ des enseignants Sanctions ✘ ✘ Trouver un travail ✘ ✘ Stabilité du cadre familial ✘ Absence d’alternatives ✘ ✘ Acquérir des compétences ✘ Éloignement ✘ géographique Vision de la scolarité ✘ ✘ Niveau d’instruction des ✘ parents Travail familial ✘ ✘ Sentiment d’appartenance ✘ au projet familial Comportements déviants ✘

Guillaume Golay 50 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? 5.7. Liens avec ma pratique professionnelle

À titre personnel, l’élément le plus marquant en lien avec ce stage dans une école malgache concerne la discipline des élèves. Certes, le directeur a affirmé que ma présence aurait tendance à calmer les élèves, car ils souhaiteraient faire bonne figure. Il n’en reste pas moins que les classes sont bien plus nombreuses qu’en Suisse, les modalités de travail sont moins variées, les enseignants sont rarement formés, ils ne maitrisent pas tous les éléments de leur cours, et pourtant, l’ordre règne. En somme, beaucoup de choses sont faites à l’inverse de ce qui serait prôné en Suisse, mais le cadre est respecté. L’objectif n’est pas ici de juger si les pratiques malgaches sont bonnes ou mauvaises. Néanmoins, le constat de l’efficacité du modèle du point de vue de la discipline ne peut pas être remis en question, en tous cas en ce qui concerne l’établissement d’étude. À mon sens, un certain nombre d’éléments participent à ce résultat, dont :

 une conscience élevée des élèves sur l’opportunité qui leur est offerte de poursuivre leur scolarité au-delà de l’enseignement primaire  une conscience élevée de la charge que cela implique pour leur famille  le fait de travailler sur des modalités de travail qu’ils connaissent et qui ne laisse pas de moments de flottements  la présence d’un cadre disciplinaire clair et commun à l’établissement  la peur des sanctions ou des châtiments corporels puisque s’ils ne sont plus autorisés dans le monde scolaire ils sont encore largement répandus dans le milieu domestique (cela a pu être observé directement)  des rappels généraux en début et fin de chaque semaine de la part du directeur  des aspects culturels forts et toujours en vigueur liés au respect des anciens ou de l’autorité.

Cette liste ne se veut pas exhaustive, mais elle reprend les principaux constats présents dans mon Journal de bord. Dans le cadre de ce travail, le développement de la thématique de la motivation des élèves est stratégique, car il permet à la fois de travailler sur des facteurs individuels et des stratégies familiales complexes. En particulier, la question de l’implication directe des élèves dans le processus de financement de leur scolarité est très intéressante. De toute évidence, le contexte suisse est complètement différent à ce sujet, car l’école est financée par les impôts. Les élèves ne se rendent pas compte de l’effort nécessaire à leur scolarisation. Aussi, ils ne sont pas impliqués dans le processus de financement, par exemple en travaillant

Guillaume Golay 51 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? durant les vacances pour pouvoir continuer leur formation. Le contexte malgache semble montrer que l’implication des élèves dans leur possibilité de scolarisation est importante pour leur faire prendre conscience de la valeur de l’école. Paradoxalement, le système suisse ne laisse aucun enfant de côté alors il faut composer avec des enfants qui ne sont pas tous motivés par les activités et le cadre scolaire. Aussi, ce travail cherchait donc à interroger le mythe de la motivation des élèves malgaches, afin de saisir la façon dont cette motivation se décline sur le terrain. De fait, la situation est plus complexe que le titre pourrait le laisser penser puisque la motivation des élèves s’inscrit dans des schémas familiaux ou collectifs plus larges. Également, il faut relever un biais de à ce travail puisque, si les personnes ont été interrogées au collège, c’est bien qu’elles le fréquentent. Les élèves qui ne seraient pas intéressés par l’école ou qui n’en ont plus les moyens sont certainement déjà partis depuis plusieurs années. Or la déscolarisation est un phénomène important, confirmé par les chiffres sur l’école secondaire présentés dans la partie La scolarité à Madagascar et à Anjiro. De plus, la discussion avec Haingo a permis de faire émerger toute une série de comportements « déviants » chez les jeunes qui ont abandonné ou qui n’ont plus les moyens de continuer leur scolarité, par exemple, la vente et la consommation de cannabis. Au vu du taux brut de scolarité présenté dans la partie citée précédemment (~30%), il convient donc de relativiser ce qui a été observé en classe pour reconsidérer le fait que ceux qui sont toujours à l’école en troisième année sont réellement une minorité privilégiée. Leur comportement pourrait donc être en lien direct avec cette situation, sans que leur motivation, ou leur « soif d’apprendre » soient nécessairement plus grandes que les jeunes suisses. Néanmoins, je persiste à dire qu’il serait intéressant de viser à développer des approches permettant d’impliquer plus les élèves pour leur faire saisir de l’opportunité incroyable qui leur est offerte en Suisse.

De façon plus générale, la participation à un projet comme celui-ci permet de réellement prendre conscience de la variété d’approches pédagogiques disponibles en Suisse. Paradoxalement, l’immersion dans les classes malgaches pourrait provoquer le sentiment inverse et se dire que nous cherchons à en faire beaucoup trop et qu’un retour à l’essentiel ne pourrait pas faire de mal aux élèves : recopier-réciter-apprendre… Autour des questions de motivation, cette expérience montre combien il est difficile de jouer sur la motivation intrinsèque des élèves dans le contexte malgache. Enfin, le séjour était évidemment l’occasion de découvrir d’autres modalités de travail et de relativiser. Il offre une opportunité assez unique de se confronter au système scolaire qui était en vigueur il y a quelques années en Suisse et de pouvoir remettre en question ses pratiques personnelles selon d’autres pistes de solutions.

Guillaume Golay 52 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? 6. Conclusion

La participation à un échange avec des enseignants provenant d’un autre pays est une expérience inoubliable puisqu’elle permet de vivre en immersion dans un autre contexte pédagogique. Dans un parcours de formation en vue d’être enseignant, il s’agit là d’une richesse énorme, car des pratiques à priori étranges peuvent avoir d’autres résultats selon leur contexte. L’échange était dans ce cas précis d’autant plus riche qu’il impliquait un pays radicalement opposé, ou du moins, différent de la Suisse, comme cela pu être évoqué dans la partie de contextualisation. De fait, en plus de la confrontation pédagogique, l’échange avec Madagascar a nécessité une adaptation culturelle, sociale ainsi qu’une confrontation à l’altérité.

Par le passé, j’avais eu la chance de vivre une première expérience de recherche de terrain au Sénégal. En revanche, la démarche était différente étant donné que la durée était plus longue et qu’il fallait véritablement mettre en place un dispositif d’enquête qualitative. Cette expérience a été très utile en prévision de ce travail et elle a offert des pistes de réflexion à exploiter pour ce travail de terrain. Sur cette base, des axes de recherches ont été définis dans la partie consacrée à la méthodologie, en veillant à clarifier mes préconceptions puisqu’elles allaient influer sur le travail, en lien avec la démarche ethnographique adoptée. En effet, il y avait un désir à étudier la culture dans l’interaction (Gay, 2012) dans le sens où l’interaction permet de mettre en avant les justifications des pratiques culturelles. Cette démarche a bénéficié du cadre du cours MSISO35 pour définir les moments d’immersion nécessaires pour s’imprégner des pratiques culturelles locales et les habitudes de vie. Ainsi, il était possible d’anticiper certaines réactions autour de sujet éventuellement plus sensible.

L’analyse s’est ensuite portée sur les entretiens qui ont été réalisés avec des élèves de troisième année ainsi qu’avec des personnes-ressources. Au vu de la durée limitée du séjour, il a été difficile de parvenir à des entretiens aussi riches qu’espérés, mais il a fallu faire face à certaines difficultés mal anticipées. Ainsi, l’analyse des entretiens a parfois soulevé de nouvelles questions restées sans réponse. Néanmoins, ces entretiens offrent finalement un matériel suffisamment riche pour proposer des pistes de réponses à la question de recherche posée en titre de ce travail : « La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement : mythe ou réalité ? Éléments de réponse en milieu rural malgache ».

Pour répondre à cela, les entretiens avec les élèves révèlent la structure parfois complexe des familles malgaches, les stratégies mises en place pour permettre aux jeunes interrogés de bénéficier d’une scolarité secondaire ainsi que leurs perceptions vis-à-vis de l’école. À ce titre,

Guillaume Golay 53 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? seuls des facteurs extrinsèques ont été identifiés. Les entretiens avec les personnes-ressources ont été décisifs dans la mesure où les ambiances étaient plus propices à la discussion et à la confidence, notamment car la barrière de la langue était plus mince. C’est également par ce biais qu’est ressorti un des éléments principaux de cette recherche, à savoir la fierté ressentie par les familles de pouvoir montrer que leurs enfants sont scolarisés, ou qu’au minimum un des membres est parvenu à un diplôme ou des études supérieures. Toutefois, si l’adjoint du maire n’avait pas évoqué cette explication (qui a pu être vérifiée par la suite durant les entretiens), le travail aurait peut-être pris une tout autre tournure. En effet, il y avait véritablement un paradoxe inexplicable entre la volonté des parents de se sacrifier pour envoyer leurs enfants à l’école et un contexte économique saturé qui renvoie les jeunes vers les activités agricoles de leurs parents, sans mettre à profit les compétences acquises. Par rapport à la question de recherche, le travail ne permet pas de généraliser ce qui est ressorti des entretiens. Cependant, la grande majorité des éléments apparus sont connus dans la littérature et semblent donc appropriés pour comprendre le contexte étudié, les principaux étant certainement les difficultés financières, les stratégies familiales, la fierté, le travail des jeunes et le respect du cadre ou la peur des sanctions.

Ce travail explique autant les difficultés rencontrées dans la mise en place d’une recherche de terrain que les résultats de cette recherche. Au vu du déroulement très rapide du séjour, d’autres choix méthodologiques auraient pu être adoptés, par exemple en se focalisant uniquement sur un ou deux jeunes et en approfondissant leur parcours de vie. La fréquentation prolongée de ces jeunes serait plus propice aux confidences et à la création d’affinités. Aussi, un autre public cible aurait pu être visé afin de favoriser réduire la barrière de la langue. Également, le choix a été fait de ne pas s’intéresser particulièrement aux questions de genre, car deux étudiants avaient déjà en partie travaillé dessus en 2015. Toujours est-il que la méthode adoptée a finalement porté ses fruits et des éléments validés scientifiquement ont été proposés pour répondre à la question de recherche. À ce sujet, les réponses apportées soulignent la nécessité de varier les niveaux et les postures d’analyses, tant géographiquement, socialement, culturellement ou économiquement.

Finalement, s’il fallait résumer la réponse à la question de recherche en une phrase, elle pourrait ressembler à ceci : à partir de l’exemple des élèves du collège d’Anjiro à Madagascar, il serait possible d’affirmer que la motivation scolaire des jeunes est bien réelle, car tous les entretiens font apparaître une bonne raison d’obtenir son diplôme, que ce soit pour la fierté de leur famille, pour justifier les investissements placés en eux, pour récompenser leurs efforts pendant l’année scolaire et en dehors en accomplissant des petits boulots, pour espérer un futur meilleur ou pour

Guillaume Golay 54 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? éviter des sanctions, mais il ne faut pas négliger les difficultés imposées par le système scolaire et son inefficacité à insérer les jeunes sur le marché du travail. Ainsi, beaucoup d’enfants ne terminent pas les degrés secondaires pour des raisons autant économiques que structurelles en lien notamment avec des comportements déviants qui se retrouvent dans le contexte européen.

Tout au long des analyses, des questions ont été relevées. Ce travail pourrait servir de base pour l’approfondissement de certaines thématiques. Aussi, il serait intéressant de proposer une véritable démarche comparative entre la Suisse et Madagascar sur l’efficacité des différents modèles scolaire, par exemple autour de la question de la motivation des élèves.

Guillaume Golay 55 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? 7. Bibliographie d’Aiglepierre, R. (2012a). Exclusion scolaire et moyens d’inclusion au cycle primaire à Madagascar. UNICEF. Collaboration avec Focus Development Association. d’Aiglepierre, R. (2012b). Quel choix des parents pour l'établissement éducatif de leurs enfants : Le cas de l'enseignement secondaire à Madagascar. Revue économique. vol. 63(2). 283-314. Caillaud, F. (2013). L’éducation primaire en temps de crise. La Banque Mondiale. 1-23. Delaunay, V. (2012). Institutional Care and Child Abandonment Dynamics: À Case Study in Antananarivo, Madagascar. Child Indicators Research. 5. 659-684. Delaunay, V., Engeli, E., Franzetti, R., Golay, G., Moullet, A. et Sauvain-Dugerdil, C. (2016). La migration temporaire des jeunes au Sénégal: Un facteur de résilience des sociétés rurales sahéliennes ?. Afrique contemporaine. 259(3). 75-94. Deleigne, M.-C. et Kail, B. (2007). Politiques éducatives et scolarisation à Madagascar: le double défi de la contrainte financière des familles et de la pauvreté de l’école. In : Dynamiques rurales à Madagascar : perspectives sociales, économiques et démographiques. Antananarivo : Colloque international organisé par l’INSTAT, l’EPP/PADR, l’IRD et le GIE DIAL. Deci, L.-E. et Ryan, R.-M. (1985). Intrinsic motivation and self-determination in human behaviour. Plenum Press. New York et Londres. Fenouillet, F. (2001). La motivation à l’école. Université Charles de Gaulle : Lille III. http://fabien.fenouillet.free.fr/documents/citedessciences.pdf Feyfant, A. (2011). Les effets de l’éducation familiale sur la réussite scolaire. Veille et Analyse. 63. 1-14. Fong Yong, B. et Moullet, N. (2015). Décisions de scolarisation des familles malgaches: le cas de l’EPP d’Ambavahadimangatsiaka à Antsirabé. Mémoire professionnel. Master Secondaire I. HEPL. Lausanne. Gastineau, B. & Golaz, V. (2016). Être jeune en Afrique rurale: Introduction thématique. Afrique contemporaine. 259(3). 9-22. Gastineau, B. et Ravaozanany, N. (2011). Genre et scolarisation à Madagascar. Questions Vives [En ligne]. Vol.8 n°15. URL : http://journals.openedition.org/questionsvives/710 ; DOI : 10.4000/questionsvives.710 Gay, D. & Laffranchini Ngoenha, M. (2018). Comment enseigner l’interculturel? Propositions d’enseignements pour déconstruire les stéréotypes. Formation et pratiques d’enseignement en questions. N°23. CAHR. pp. 177-193. Gay, D. (2012). La culture à l’école, un point de vue anthropologique. Prismes. Revue pédagogique Hep Vaud. N°16. 26-27. Geertz, C. (1986). Savoir local, savoir global. Les lieux du savoir. Paris. PUF. 293 Hargreaves, D. (1967). Social Relations in a Secondary School. London. Routhledge et Kegan Paul

Guillaume Golay 56 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? Henaff, N., Lange, M. et Martin, J. (2009). Revisiter les relations entre pauvreté et éducation. Revue Française de Socio-Économie. 3(1). 187-194. Kilani, M. (1992). Introduction à l’anthropologie. Lausanne. Payot. Laffranchini Ngoenha, M. (2018). L’observation participante et l’enquête de terrain - Et d’autres questions de la méthode de l’anthropologie. Documents du cours MSISO35. Leroy-Audouin, C. & Piquée, C. (2004). Ce que déclarent les élèves de l'école élémentaire et pourquoi. Éducation et sociétés. 13(1). 209-226. Mabanckou, A. (2010). Demain j’aurai vingt ans. Gallimard. 384 Marcoux, R. (1994). Le travail ou l’école. L’activité des enfants et les caractéristiques des ménages en milieu urbain au Mali. Études et travaux du CERPOD. Bamako, no 12. 200. Ministère de l’Éducation Nationale. (2012). Plan intérimaire pour l’éducation 2013-2015. Pilon, M. et Yaro, Y. (2001). La demande d’éducation en Afrique état des connaissances et perspectives de recherche. Réseau sur la famille et la scolarisation en Afrique. 1. 445-447. Pourtier, R. (2010). L'éducation, enjeu majeur de l'Afrique post-indépendances: Cinquante ans d'enseignement en Afrique : un bilan en demi-teinte. Afrique contemporaine. 235(3). 101-114. Rakoto Tiana, N. Travail et scolarisation des enfants en milieu rural à Madagascar : le rôle respectif du revenu parental et de la vulnérabilité face au risque. Institut Catholique de Madagascar. Université Paris XIII et DIAL. http://www.ucw-project.org/attachment/RAKOTO-TIANA.pdf Randriamasitiana, G. (2015). Cultures familiales et scolaires : réalités locales de familles défavorisées à Madagascar. La revue internationale de l'éducation familiale. 38(2). 49-71. Razafimbelo, C. (2011). Formation et développement professionnel des enseignants des écoles primaires à Madagascar de 1896 à nos jours. Tsingy. 14. 177-194. Rebouha, F. et Pochet, P. (2011). Pauvreté et accès à l'éducation dans les périphéries d'Oran. Autrepart. 59(3). 181-198. Roubaud, F. (1999). Éducation et ajustement structurel à Madagascar. Autrepart. 11. 81-100. Yaro, Y. (1995). Les stratégies scolaires des ménages au Burkina Faso. In M.F. Lange & J.- Y- Martin (1995). Les stratégies éducatives en Afrique subsaharienne. (675-696) Paris : Cahiers des Sciences Humaines.

7.1.1. Document cadre :

Mémoire professionnel - document cadre de la filière secondaire I : https://etudiant.hepl.ch/files/live/sites/systemsite/files/filiere-sec1/programme- formation/memoires-professionnels-secondaire1-2013-fs1-hep-vaud.pdf 7.1.2. Sites internet :

Wikipédia – Subdivisions de Madagascar : https://fr.wikipedia.org/wiki/Subdivisions_de_Madagascar#cite_note-decret2015-592-10

Guillaume Golay 57 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? UNESCO - Statistiques Madagascar : http://data.uis.unesco.org/?lang=fr# OIT Data - http://www.ilo.cornell.edu/ilo/data.html Perspective monde (données de la Banque Mondiale) : http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?codeTheme=1etcodeSta t=SP.POP.0014.TO.ZSetcodePays=CHEetoptionsPeriodes=AucuneetcodeTheme2=1etcodeSt at2=SP.POP.1564.TO.ZSetcodePays2=MDGetoptionsDetPeriodes=avecNomP PopulatioData.net : https://www.populationdata.net/palmares/pib/

Guillaume Golay 58 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? 8. Annexes

8.1. Discussion avec l’adjoint du maire

Discussion avec l’adjoint du village – bar rouge au bord de la route – Natacha, Niri, l’adjoint (A) et moi (G) – 29.01 – il y a des bruits de fonds car on entend les camions et voitures qui passent, de la musique … - Durée : 1 :24, mais tout n’est pas retranscrit.

- Discussion sur la bière malgache THB G : Vous venez souvent ici ? A : Oui G : Et les gens du village aussi ? À : Oui, mais les gens viennent surtout le samedi, car c’est le jour du marché. G : Et vendredi, tu viens aussi à la fête de l’école ? À : Oui, il y aura beaucoup de monde. Tous les enseignants de la commune d’Anjiro. G : Il y aura aussi les élèves ? A : Non, seulement les profs. G : Nous avons vu que les élèves devaient amener du bois à l’école. C’est pour la fête ? À : Oui, c’est ça. Pour le feu. G : Tous les élèves arrivaient avec des branches. Natacha : Ah ! J’ai vu ça aussi, mais je n’avais pas demandé pourquoi. À : Vous allez aller vendredi ? G : Oui, ensuite deux jours à Moramanga samedi et dimanche. À : J’ai rencontré avec les deux wasa. G : Ah oui ? Moira et Denis ? À : Oui, je pense. Avec un monsieur malgache. G : Ce sont les deux personnes que je devais voir quand je t’ai croisé. À : Ils habitent à Madagascar ? G : Non. Mais le monsieur est venu beaucoup de fois à Madagascar. Il parle malgache. Il travaille à l’université en Suisse et il travaille sur Madagascar. G : (à Niri) – Tu connais, toi le malgache qui était avec eux ? Niri : Monsieur Denis ? G : Non Niri : Monsieur Soul ?

Guillaume Golay 59 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Oui Niri : C’est le directeur de l’école à Moramanga G : Il s’appelle Célestin ? Niri : Non, monsieur Soul, Souléry - Silence G : Il y a beaucoup de fêtes ici ? Niri : oui Adjoint : Non G : Pourquoi tu dis oui Niri ? Niri : Il y a des marchés ! G : Les samedis ? Niri : Oui G : Les gens se font beau ici pour aller au marché n’est-ce pas ? À : Oui, les gens s’habillent bien ici. Natacha : et le dimanche, ce n’est pas important ? À : Le dimanche il n’y a rien. Les gens vont à l’église. G : Et toi, tu as voyagé un peu ? A : Non, pas encore. Peut-être… G : Tu as beaucoup visité Madagascar ? A : Oui ! Vous voulez ? G : On n’a pas le temps malheureusement. A : Parce que moi, j’ai fait des études de tourisme à l’université. Donc c’est pour ça que j’ai eu la chance de voyager sur tous les Hauts-Plateau. G : C’est à Tana ? À : Oui, et jusqu’à Moramanga. G : Et tu accompagnes des groupes ? À : Non, je n’ai pas fait ce métier. J’ai le diplôme, mais je n’ai pas continué. C’est difficile de trouver du travail ici à Madagascar. Alors je fais de la politique maintenant. J’ai passé le diplôme en 2007. Après, j’ai travaillé dans une société. G : Comment c’est ici les impôts ? Pour les habitants ? À : Dans tout Mada, l’impôt est informel. Il n’y a pas plus de 30% des activités qui sont formels. G : Donc comment vous faites, le pays, la capitale ne demande pas d’argent à ton village ?

Guillaume Golay 60 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

À : Le pays de Madagascar est riche. Donc même s’il n’y a pas d’argent des communes, ils peuvent faire des choses. Ce sont eux qui font toutes les formalités, mais ensuite nous ne donnons pas forcément d’argent. C’est selon les capacités. Si on a la bonne gouvernance, on peut tenir. Même si je reste à Anjiro, il y a beaucoup de terrain pour faire l’agriculture. G : Donc vous n’avez pas besoin d’argent ? A : Non. Donc la capitale ne peut pas demander d’argent. G : Je demande ça, car c’est peut-être seulement la commune qui demande de l’argent aux habitants et pas le pays, pour payer les écoles, les routes, etc. À : Normalement c’est comme ça le processus. Mais jusqu’à maintenant la commune ne peut pas payer parce qu’il n’y a pas de revenu. Les gens ne sont pas encore sensibilisés pour payer les impôts. Donc la situation financière reste difficile. G : Donc pour développer le village, c’est seulement s’il y a des projets qui viennent de l’extérieur ? À : Oui, si on a le budget, primo cela va pour le fonctionnement, le salaire du personnel et les fournitures. Donc si on pense pour la réhabilitation de la route etc. c’est difficile. G : Et votre rôle à la commune c’est quoi ? A : Moi ? Mon rôle d’adjoint ? G : Oui À : L’adjoint au maire c’est celui qui fait l’administration. L’état civil, le paiement des salaires du personnel, la paperasse. Le maire, lui il fait les relations extérieures, le côté social, il doit chercher des financements. Donc c’est pour ça que vous me voyez toujours moi à la mairie et pas lui. G : Les gens qui viennent à la mairie, ils demandent quoi ? À : Ils veulent des copies d’état civil. Parce que par exemple pour l’école. G : En Suisse c’est très différent, car presque tout est déclaré. Tout est déclaré. Donc l’état connait le revenu de toute la population. Donc il peut obliger les gens a donné une partie pour le pays. Mais comme ici on ne sait pas combien les gens gagnent, c’est difficile de demander quelque chose… On va habiter à Madagascar hein ! S’il n’y a pas d’impôts ! (rire) G : Il y a beaucoup de mafias ? Des gangs ? Niri : Je ne comprends pas G : Ce sont des groupes qui menacent la population et demande de l’argent en échange de leur protection ? Niri : Ah, non il n’y a pas. G : Il y a un hôpital ici ?

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Niri : oui, au sud de la commune. G : En Suisse, ce n’est plus possible de fumer à l’intérieur de lieux publics, dans les bars, les discothèques. Les gens peuvent seulement faire ce qu’ils veulent chez eux. À : Ici à Madagascar il y a aussi des disciplines comme ça, mais on fait toujours comme ça ! G : Ah ! Il y a une règle aussi ? À : Oui, quand il y a beaucoup de monde on ne peut pas fumer, mais c’est comme ça, ça va. - Discussion sur la musique malgache et une amie qui avait un petit copain malgache G : Après 20h il n’y a rien ici non ? À : Il n’y a rien. G : Tout le monde se lève tôt ? A : Oui, parfois pour aller à la rizière. Natacha : et le samedi, après le marché, ça finit aussi vers 20h ? A : Oui. Sauf les jours de fête : fin d’année, Noël, Paque… Ici c’est la campagne, bon, ce n’est pas la pire, si vous continuez la route c’est plus la campagne. G : En Suisse, dans les campagnes, chaque village organise une fête et cela change chaque semaine. Comme ça il n’y a pas la fête partout, mais si tu veux faire la fête tu peux toujours trouver. Et sinon dans les villes, tu peux faire la fête tous les jours. À : Et toi, tu habites en ville ? G : Oui, dans une petite ville près de Genève. D’ailleurs j’ai entendu parler de Genève à l’école aujourd’hui ! Car ils parlaient de la Réforme, et Genève est la ville de Jean Calvin. À : Oui, c’est le programme de 5ème. G : Pourquoi l’école c’est important ici, si les gens, ils travaillent seulement dans les rizières après ? À : Ils veulent faire des études, mais vu la situation c’est normal qu’ils retournent dans les rizières. Mais ils veulent étudier jusqu’à l’université. Natacha : si le papa est cultivateur, l’enfant sera aussi cultivateur ou des fois cela change ? À : Non, c’est pareil. Car ici il n’y a pas beaucoup d’activités. C’est seulement pour cultiver. G : Donc les parents veulent que les enfants aillent à l’école pour trouver un autre travail, mais la réalité c’est qu’ils vont à l’école, ils cherchent du travail, puis retournent dans les champs ? À : Oui, aussi, car ils manquent de moyens. C’est compliqué pour les gens ici d’avoir le lycée. La plupart reste en classe de troisième. G : Il y a beaucoup d’élèves qui vont au lycée ? Quel pourcentage a le BAC ?

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À : En seconde, c’est 80%, après en première, c’est 50 ou 60 et en Terminal, c’est 40% G : Parce que cela coûte trop cher ? A : Oui G : L’inscription au lycée coûte plus cher que l’école obligatoire ? À : Le lycée ce n’est pas totalement un lycée public, c’est un lycée communautaire. Donc les élèves paient et le prix augmente pour chaque année de lycée. Et tous les profs du lycée sont payés par les parents, par une association. G : Les FRAM c’est ça ? A : Oui ! Ah, vous connaissez ? G : Je suis là depuis longtemps ! (rire) - Mais si en enfant arrête après la première, quel sera son avantage d’avoir dépensé de l’argent pour deux années de lycée ? À quoi ça sert de faire le lycée si on sait qu’on ne pourra pas le finir ? À : Bon, l’esprit de base c’est de finir. Mais vu la situation financière, les élèves continuent les études au maximum et espèrent trouver d’autre argent. G : Mais si tu sais dès le début que tu ne vas pas pouvoir payer les trois années de lycée, est-ce que ce n’est pas mieux de faire quelque chose d’autre et ne pas perdre d’argent pour cela ? À : Il n’y a pas quelque chose d’autre… Il n’y a pas d’autres formations ou comme ça. Pas d’autres solutions. Natacha : et l’école à côté d’où nous vivions, c’est quoi ? À : C’est une école technique. Mais c’est pour les élèves qui ne vont pas au collège, c’est un collège technique. Mais le diplôme n’est pas bien considéré, car à la fin, les élèves ne sont pas vraiment capables d’intégrer une profession technique. Ce n’est pas suffisant. Ils doivent encore aller au lycée. G : Et un jeune qui arrête après la première année ou la deuxième année du lycée, il fait quoi ? À : Il va tout de suite aider sa famille. Natacha : et pour apprendre à cultiver, les enfants apprennent avec leur famille ? Il n’y a pas de formation ? À : Non, c’est avec leur famille, les coutumes, les traditions. Natacha : en Suisse, les agriculteurs doivent faire une formation de trois ans. G : Et les élèves, ils doivent aussi travailler dans les champs avec leurs parents en plus de l’école ? A : Oui G : Donc le matin ils vont travailler dans les champs par exemple ? A : Non, peut-être l’après-midi. G : Mais l’après-midi je vois beaucoup de jeunes qui vont jouer au football…

Guillaume Golay 63 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

À : Oui, peut-être ils n’ont pas de travail. G : Ou d’autres personnes de leur famille vont déjà aider ? A : Oui, peut-être. G : Mais c’est bizarre, car les élèves savent qu’il n’y a pas de débouchées avec l’école, pourtant à l’école, les élèves sont très concentrés… Comme si c’était très important… Natacha : mais il y en a quand même qui réussisse non ? G : Pourquoi les enfants pensent que l’école est importante si après, l’école ne sert à rien, car il n’y a pas de travail ? À : C’est pour faire mieux ! G : Donc il y a quand même des gens qui arrivent à faire mieux ? A : Pas beaucoup… G : En Suisse, c’est le contraire, c’est ça que je trouve triste. Les enfants n’aiment pas l’école. Ils vont à l’école, mais ils ne comprennent pas pourquoi ils sont là. Ils font les fous, ils n’ont pas envie d’apprendre. Alors qu’ici, les enfants ils ont envie d’apprendre. Mais, en Suisse, même si tu n’avais pas envie d’apprendre, mais que tu termines l’école, tu vas trouver un travail. Alors qu’ici c’est le contraire. Ils ont envie d’apprendre, mais après ils doivent arrêter et l’école ne sert pas. Donc je me dis comment c’est possible que chez nous, alors que la situation fait que les élèves qui travaillent bien obtiennent un bon travail de façon presque automatique, ils n’ont pas envie d’apprendre. Natacha : Il y a aussi plus de travail administratif je trouve. À : Ici c’est le contraire. On a envie d’apprendre, mais même les jeunes qui vont à l’école supérieur, c’est difficile pour trouver un bon travail. G : Bon, en Suisse, c’est quand même le cas aussi. Ce n’est pas parce que tu as un bon diplôme que tu as un bon travail. Mais, tu peux trouver un travail, même s’il ne correspond pas à tes diplômes. À : Est-ce que vous aimez manger le riz ? G : Oui. Matin, midi et soir. Mais ce n’est pas un problème pour nous. Nous mangeons très bien. G : Est-ce qu’ici à Madagascar, tous les enfants n’ont pas les mêmes choses à faire ? Par exemple, est-ce que l’ainé doit faire d’autres choses, ou plus que les autres ? Ou est-ce que c’est le contraire, et c’est le plus jeune qui doit plus rester pour aider ? À : Non, ils sont les mêmes. Mais si c’est l’ainé, il a le droit de dire qu’il ne doit pas faire quelque chose pour se concentrer pour les études. G : Mais est-ce qu’il y a des familles où justement, les parents décident : nous avons quatre enfants, le premier va aller à l’école, le deuxième va nous aider dans les champs, et le troisième va faire je ne sais pas ?

Guillaume Golay 64 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

À : Oui, ils font ça. Surtout si le plus âgé réussi à aller à l’université. Les autres restent ici pour aider. G : Ah ! Si quelqu’un réussi les autres restent ici. Et le premier a toujours l’avantage ou c’est celui qui a les meilleures notes ? À : C’est celui qui a les meilleures notes. Il n’y a pas l’ainé, le petit frère etc. G : On mise tout sur celui qui réussit le mieux ? À : Oui, on dit qu’il est comme un roi ! G : Mais ce n’est pas si facile, car il devra ramener de l’argent plus tard non ? À : Oui, mais ce n’est pas seulement ça. Ils sont fiers de lui. G : Donc même s’il ne trouve pas de travail, ils seront fiers de lui. À : Oui, pour nous l’école c’est une fierté. G : Et les gens qui sont ici par exemple, ils font quoi comme travail ? À : L’agriculture. G : Est-ce que ceux qui ont la peau plus foncé sont ceux qui font l’agriculture ? À : (rire) pas forcément. G : Au Sénégal c’était comme ça ! J’ai passé deux mois là-bas. Et on pouvait reconnaître les cultivateurs, car leur peau était vraiment plus foncée. - Nouvelle discussion sur la musique malgache, jazz mmc, je lui propose qu’il me mette de la musique sur une clé USB pour ramener en Suisse, il accepte, discussion sur la télévision et le groupe CANAL qui diffuse à Madagascar, mais perd des parts de marché en France face aux chaines arabes (BEIN) et anglaises (SKY), il me dit qu’ici ce sont les chinois. À : Ici, les chinois s’intègrent beaucoup maintenant. G : Ils achètent la terre aussi ? A : Oui aussi. G : Même ici à Anjiro ? A : Non non. Il n’y a pas. G : En Afrique ils font beaucoup ça hein… Acheter des terres. Mais le problème des chinois, c’est qu’en plus, ils ne font pas travailler les gens de Madagascar. Ils amènent des gens de leur pays, et ils sont beaucoup ! À : Et ici, ils sont libres, pas comme chez eux. Ils peuvent avoir des enfants plus que trois ou quatre, mais chez eux c’est un. Donc ils en profitent beaucoup beaucoup ! G : Il n’y a que des hommes seuls qui viennent et trouvent des filles malgaches ? À : Oui il y a ça !

Guillaume Golay 65 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Bon, les européens ne sont pas mieux à ce niveau-là ! Il y a beaucoup d’européens qui viennent se marier avec des malgaches ou d’autres pays, en Thaïlande, aux Philippines. À : L’état d’esprit est très différent, car ils décident de quitter leur pays et ils veulent rester ici éternellement. Ce n’est pas juste un passage, c’est pour la vie. G : Les chinois sont surtout à Tana, ou partout ? A : Presque partout. Ils commencent par les chefs-lieux de province et ensuite les districts. G : Donc à Moramanga il y en a ? A : Oui G : Et ils font quoi là-bas ? À : Ils ont des magasins. Ce sont des grossistes. G : Comme en Europe ! Dans toutes les capitales c’est comme ça maintenant. À Madrid par exemple, tous les petits magasins sont tenus par des chinois. Natacha : et samedi nous allons au restaurant chinois je crois non ? G : C’est possible, je n’ai pas trop regardé le programme. On verra bien. Natacha : ou c’est dimanche peut-être. G : Je suis allé un seul jour en Chine, à Pékin, mais j’ai plus de choses à raconter qu’en un mois je ne sais pas où ! Les chinois sont vraiment bizarres ! L’hygiène, le respect, les habitudes, ils sont fous ! À : Oui, et pour les salaires, c’est très bas. C’est si tu aimes tu fais, sinon tu pars, et ils vont trouver quelqu’un d’autre. Mais il y a des chinois qui sont ici depuis très longtemps. Il y a eu de l’immigration. Et maintenant avec les mariages, ils ont plus de terres.

8.2. Entretien avec le directeur du collège

Discussion avec Monsieur Edmond, directeur du collège à Anjiro (D) – Mercredi 30.01.2019 – Durée : 1 :22 - ATTENTION : les noms des villes, des régions ou les acronymes utilisés sont certainement faux. J’ai retranscris au mieux phonétiquement. D : Ici à Madagascar pour les places d’examens il y a des droits, droits pour compléter les fournitures pour les examens, il y a ici des enveloppes timbrées et puis pour l’acheminement de convois de biens pour les sujets. Donc ce n’est pas l’état qui paie, mais les candidats donc il y a des cotisations à la CISCO, pendant les examens, la CISCO envoie les sujets. Ici, je décide de faire payer aux élèves 7’000 ariary. Ici il y a des visites médicales, les cahiers d’examens, car il y a deux examens avec l’examen blanc, aussi plus les timbres et les enveloppes, et la cotisation de 2’000 ariary par candidat donc c’est 7’000 au total. G : Chaque année ?

Guillaume Golay 66 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

D : Je pense que c’est très lourd pour les élèves parce qu’au début de l’année scolaire ils paient la caisse de soutien, 20’000 par élève avec la cotisation des parents d’élèves de 16000, pour les anciens élèves. Pour les nouveaux élèves, ils paient aussi une cotisation pour les tables et les bancs 10’000 ariary. G : Donc chaque année, ils doivent payer 7’000 pour l’examen, D : pour les classes de troisième seulement. G : Ah, pour les troisièmes. Mais sinon chaque année ils doivent payer 20’000 D : 20’000 caisse de soutien pour le fonctionnement de l’école G : Et les 16’000 c’est compris dans les 20’000 ou c’est en plus ? D : En plus. G : Donc chaque année c’est 20’000 (caisse de soutien) et ? D : 16’000 pour l’association des parents d’élèves G : Pour payer les enseignants FRAM c’est ça ? D : Oui avec cet argent. Et pour les nouveaux élèves, payer 23’000 pour les constructions. Et enfin le 10’000 pour les nouveaux élèves. Le 23’000 n’est pas pour les élèves, mais pour les parents d’élèves. Même s’il y a trois ou quatre nouveaux élèves, ils paient seulement 23’000. G : Ah, c’est par famille ? D : Oui, par parents. Mais aussi les 20’000 par élèves. G : Seulement pour les nouveaux ? D : Oui, pour les nouveaux. Nous achetons des nouvelles tables et bancs chaque année pour remplacer les tables détruits. G : Donc au total, pour un nouvel élève c’est 69’000 ? D : Oui 69000 ariary. Pour les nouveaux 6èmes, la plupart paie 69’000. Je pense que la charge est très lourde, que c’est cher ici. Beaucoup de parents n’arrivent pas à laisser leurs enfants à l’école parce qu’ils ne trouvent pas ces 69’000. G : Et ici, un enseignant payé avec le FRAM, il gagne combien de salaire par mois ? D : ici, un ancien enseignant touche 150’000 au CEG G : Pour les anciens ? D : oui les anciens. Mais à l’EPP, des instituteurs payés par les parents d’élèves touchent 40’000 G : Par mois, par année ? D : Par mois. Mais je pense que c’est maigre. Même la location de la maison n’est pas couverte parce qu’ici il y a des maisons au loyer d’environ 20’000 G : Il y a beaucoup de locataires ici ?

Guillaume Golay 67 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

D : Oui, la plupart des fonctionnaires. G : Et vous dites que les loyers ça va de 20’000 à ? D : 20’000 par chambre, par pièce ! - Une personne entre dans la pièce et il y a une petite pause D : Ici les dossiers, ce sont les dossiers complétés pour l’aide scolaire. Cela vient de l’état. C’est la première fois que le collège est payé par l’état. Mais pour l’école primaire il y a chaque année des aides financières par l’état, ce qu’on appelle la FIFI. Ces aides financées par l’état pour la construction et l’entretien des bâtiments. Ici, cet argent n’est pas utilisé pour les nouveaux bâtiments, mais pour l’entretien. Par exemple il y a des choses détruites, des dallages à refaire. Et la part de l’argent pour le fonctionnement au bureau et la part pour les fournitures scolaires. Mais ce n’est pas suffisant. G : Pourquoi cette année vous avez reçu une aide et pas les années précédentes ? (je dois reformuler plusieurs fois) D : Parce qu’ici la politique de l’enseignement à Madagascar c’est l’éducation pour tous. Donc l’état pense qu’à l’école primaire, les enfants doivent tous aller à l’école. Donc les parents des élèves en classe primaire reçoivent un peu d’argent. L’état finance l’école primaire pour que tous les enfants aillent à l’école. Pour réduire le taux de déscolarisation à l’école primaire. À l’école secondaire, les élèves obtiennent le premier diplôme. La plupart des malgaches pensent qu’après le premier diplôme, l’école est finie. Ils gardent les enfants pour aider, pour aider à faire vivre la famille, garder le troupeau, comme fille de chambre, même à l’âge de 15 ans ou 13 ans, il y a des garçons ou des filles qui travaillent pour faire vivre la famille, c’est le cas de Madagascar. G : Et celles qui travaillent comme fille de chambre elles font ça ici ou elles partent ailleurs, dans les villes ? D : Quelques filles travaillent ici, ou les autres dans les villes comme à Tanarive, Moramanga, … G : Et les garçons, ils partent aussi ? D : Oui, pour travailler comme agent de sécurité, servant G : Et quand ils font ça, ils pensent rester vivre là-bas ou envoyer de l’argent avant de rentrer au village ? D : Ils envoient l’argent à la famille. Ici, c’est un grand problème, la plupart de parents profitent de l’argent du salaire des enfants. Donc les enfants travaillent durs avec le patron, mais les parents ont tout le salaire. G : Même pour les personnes qui partent travailler à Tana ? D : oui G : Et l’argent est envoyé comment ? Ils amènent l’argent ici ? D : oui, aux parents. Ils ne gardent que l’argent de poche.

Guillaume Golay 68 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Donc les jeunes qui partent pour travailler à Tana, leur but c’est de retourner vivre avec leur famille par la suite, ce n’est pas de rester vivre à Tana ? D : Il y a les deux, certains veulent partir vivre à Tana, de quitter la campagne. Il y a aussi des qui cherchent des fonds et qui reviennent. Car ici, la vie est difficile. En tant que cultivateurs n’appartient pas le terrain, il faut louer les terrains. G : Mais qui sont les propriétaires des terrains ici ? D : la plupart des propriétaires habitent Tanarive G : Même pour les rizières ici ? D : oui, la plupart à Tanarive. G : Et pour les maisons aussi ? D : Il y a des maisons qui ont le propriétaire à Tanarive. G : Il y a aussi des gens du village qui louent des maisons à d’autres personnes ? D : Oui, il y en a, pour louer à ceux qui n’ont pas de maisons. Mais dans la brousse, la plupart des maisons appartiennent aux propriétaires, à la famille, mais dans le village ici, pas beaucoup. Par exemple à Sabotsy, il y a des gens qui louent des maisons. Car il y a des personnes qui habitent en dehors de la commune et viennent vivre ici alors ils n’ont pas de maison, alors ils doivent louer. Car par rapport à la région de Tanarive, ici c’est facile à vivre, car il y a beaucoup de moyens pour vivre, la terre est encore fertile, les moyens de locomotion ne posent pas de problèmes, alors beaucoup de personnes des communes voisines se déplacent voisines, par exemple du district voisin de celui de Moramanga, entre celui de Tanarive et celui de Moramanga. Ils cherchent du travail, une place pour cultiver. Parce que même pour les communes voisines, il y a des différences de climat. Le climat d’Anjiro est plus chaud. Dans la commune voisine, le climat est plus froid, surtout en hiver c’est très froid. Donc ils ne cultivent que des légumes, parce que le riz ne va pas pendant l’hiver. Sur les côtes, il y a des cultures tropicales, comme le litchi, la vanille, clou de girofle. Ici il y a des litchis, mais la production est faible. G : Alors la vanille c’est sur les côtes ? C’est très connu la vanille de Madagascar ! D : Oui, surtout sur la côte Nord-Ouest G : Vers Nossy Be ? D : Oui, et aussi vers l’océan Indien, car la pluie est abondante. G : Par rapport à l’école, je trouve que c’est difficile pour moi ici, car je suis dans la classe, mais je ne peux pas interagir avec les élèves, car le niveau de français est trop difficile, alors l’enseignant doit toujours traduire. Peut-être, pour avoir quelque chose en plus, je me demandais si nous ne pouvions pas organiser des entretiens avec les élèves, et vous pourriez m’aider pour ça, avec les traductions ? D : Oui

Guillaume Golay 69 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : J’ai des questions sur leur relation avec l’école, l’importance de l’école pour eux et pour leur famille, aussi comment ils organisent leur famille. Comme ça je peux récolter ces informations. Mais le problème c’est que je ne peux pas discuter directement avec eux. D : Donc il faut interpréter. - Je présente la mise en place des entretiens qui seront effectués, je présente les questions que je vais poser. G : Je pose ces questions, car je trouve qu’ici à Madagascar, les enfants respectent beaucoup l’école. Je ne sais pas si vous avez l’impression que les élèves respectent de moins en moins l’école, mais je trouve que par rapport à la Suisse, les élèves respectent beaucoup l’école. D : Jusqu’à présent, les élèves respectent. Car quand les profs parlent, ils restent. Dans l’ensemble, les élèves obéissent encore aux profs ou aux responsables. G : Je trouve que justement il y a beaucoup de moments dans la classe où par exemple, l’enseignant demande aux élèves de se lever et lire ce qu’il y a au tableau, en français, et c’est difficile pour les élèves, car ils ont des difficultés à prononcer le français, donc il y aura des camarades qui vont rigoler de leur prononciation. Mais, je n’ai jamais vu d’élèves qui a refusé de répondre à l’enseignant. En Suisse, c’est certain, d’abord l’élève dirait qu’il ne veut pas faire. Peut-être nous pourrons le convaincre et il le fera. D : ils osent refuser? G : Oui, parfois ! Mais ici ils ne refusent jamais. C’est pour cela que je trouve que les élèves ici respectent l’école. Je trouve que c’est des fois un peu paradoxale, vous comprenez ce mot ?, car en Suisse, l’école est importante pour trouver un travail. Mais à Madagascar, il n’y a pas beaucoup de travail, alors même si l’enfant réussit à l’école, c’est difficile d’avoir un travail. Alors l’école est importante pour la fierté de la famille, mais elle n’est pas forcément importante pour la profession comme il n’y a pas beaucoup de travail. En Suisse, c’est le contraire, l’école est importante pour le travail, mais pas pour la fierté. Et c’est ça que j’essaie de vérifier avec mes questions, voir où est l’importance de l’école pour les familles à Madagascar. D : Jusqu’à présent, c’est difficile pour les parents de trouver du travail pour les élèves. C’est l’espoir qui les pousse. Mais le travail c’est insuffisant. Donc il y a des mentalités de parents qui disent que même les diplômés n’ont pas de travail, alors l’école n’est pas importante, alors ils gardent les enfants pour aider ou gagner de l’argent. Mais il y a d’autres qui disent que l’école c’est toujours très important, car même pour les cultivateurs, il y a des différences entre ceux qui vont à l’école et ceux qui ne vont pas. Il y a des techniques améliorées. G : Ils apprennent où des meilleures techniques ? Qu’est-ce qu’ils font de différent ? D : Parce que les hommes qui vont à l’école emploient des techniques modernes. Ils veulent créer des choses eux-mêmes. Parfois même dans un même village, l’un utilise des techniques modernes et l’autre des anciennes techniques et il y a des différences entre la production. La paresse compte aussi, car la technique moderne est plus ou moins difficile, car il y a beaucoup de travail. On met des engrais, il faut sarcler, enlever les herbes. Mais pour la méthode traditionnelle, travail et semer et attendre. Mais la récolte est différente.

Guillaume Golay 70 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Ils apprennent aussi à travailler à l’école n’est-ce pas ? Ils apprennent la valeur du travail ? Le fait qu’il faut s’organiser, travailler régulièrement ? D : Oui c’est ça. Et pendant qu’ils travaillent, ils cherchent des moyens pour améliorer la production. Ici, avant, il n’y avait pas de culture en contre-saison, une récole par an. Mais après, la population augmente, la terre est divisée dans les familles, donc les paysans cherchent à obtenir le maximum. Pour les terrains faciles à irriguer, les paysans font deux récoltes pas an. G : Comment se passe l’héritage de la terre ? Entre les enfants D : C’est une répartition égale entre les enfants.

G : Même pour les filles ? D : Oui, mais dans d’autres régions, il y a des femmes qui ne possèdent pas, qui n’ont pas le droit d’héritage G : Mais dans la région ici tout le monde ? D : Oui, tout le monde. Mais dans la région de Betsle, j’ai déjà entendu que les femmes ne doivent pas hériter. À la sortie, c’est-à-dire le jour du mariage, elles partent dans la famille du mari, et on donne beaucoup d’argent pour améliorer le foyer, et après rien. G : Donc c’est la famille de la femme qui paie la famille de l’homme ? D : Oui, au début. Pour les deux mariés, la famille de la femme donne beaucoup d’argent, et après, elle n’a pas de part de terrain. G : Mais chez vous ici, ce n’est pas comme ça, n’est-ce pas ? D : Non G : La femme possède le terrain. Et quand elle se marie, elle continue à cultiver son champ ? D : Oui G : Et ici, qui paie ? La famille de la femme ou la famille de l’homme ? Ici à Anjiro D : Il y a deux types, le mariage traditionnel. Pendant la donation, la cérémonie est organisée par les parents de la femme, mais les parents de l’homme offrent des dons. Dans la tradition, ils portent des zébus, et aussi toujours dans la région du Sud-Est, car ils sont beaucoup de zébus. Mais ici, on donne de l’argent. Et pour le mariage moderne, à la commune, les deux familles s’accordent pour payer le montant ensemble. Pour les régions Ouest et Sud, il y a des débats pour la donation, combien de zébus ? G : Et dans la région ici, il y a des négociations sur le montant de l’enveloppe ? D : Non, c’est le choix de la famille de l’homme. Mais dans la région d’Ambatogasa, il y a des débats aussi, pour le montant de l’enveloppe. Cela dépend de la place des parents de l’homme et des parents de la femme. G : Si c’est le premier enfant de la famille, il y a des différences de prix ? Est-ce qu’il y a des différences ?

Guillaume Golay 71 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

D : Cela dépend. Quand la famille de l’homme est très très riche, la famille de la femme demande beaucoup d’argent. Ce n’est pas le prix de la femme, mais c’est une coutume. G : Donc c’est la famille de l’homme qui donne l’argent, mais la famille de la femme demande un prix ? D : oui, il y a des prix à débattre dans d’autres régions ! G : Mais pas ici ? D : Non. C’est le choix de la famille de l’homme. Mais durant la cérémonie, il y a des discours. Et durant ces discours, comment expliquer ? Quand il y a des fautes, ou des erreurs, à chaque mauvaise parole, on donne de l’argent. Donc durant les discours, il faut demander à prendre la parole, et à ce moment-là on pose de l’argent. Et après, on achète toutes les erreurs en plus. Mais aussi, parce que les frères et les sœurs à Madagascar, c’est interdit pour qu’ils aient de l’amour, pour le mariage. Par exemple, si un homme aime la sœur, quand il parle avec la sœur, il se cache jusqu’à la donation (le mariage traditionnel), ensuite pas de problèmes. À la fin des discours, on donne la donation, zébus, enveloppe. Et avant la bénédiction, il y a le coût du travail, le travail fait par la femme. Parce qu’après la cérémonie, la femme quitte sa famille et va vivre avec l’homme. Donc ils paient symboliquement le coût du travail qu’elle effectuait dans sa famille, comme chercher de l’eau, aller au marché, la cuisine. Donc on donne de l’argent pour payer le travail. Pas beaucoup d’argent, mais symboliquement. Après tout ça, le mariage est officiel. G : Combien de temps cela prend ? Une journée ? D : Oui, ou une demi-journée. Mais cela dépend de la famille de la femme. Si la famille de la femme a beaucoup de critiques, alors la cérémonie est très difficile et longue. Dans les autres régions, il y a des familles de l’homme en colère par les critiques de la famille de la femme. Cela dépend de la région. G : C’est quoi les critiques ? Vous n’avez pas assez d’argent ? Vous n’avez pas assez de terre ? Vous parlez mal ? D : Non ce n’est pas ça. Lors des cérémonies, il y a des codes à respecter. Par exemple, avant la cérémonie, quand la famille de l’homme entre, elle ne doit pas s’asseoir directement. Ils restent debout jusqu’à l’autorisation de la famille de la femme. Et aussi, le moment. Si on s’était accordé pour venir à 15h et que la famille vient à 16h, il faut acheter le retard. C’est la tradition. G : C’est très intéressant tous ces aspects sur les familles ! Si on peut revenir un peu à l’école, il y a d’autres choses que j’ai observées dans les classes. Nous essayons, en Suisse, d’avoir une égalité entre les hommes et les femmes, mais les femmes conservent souvent une place « traditionnelle ». Alors nous essayons de prendre des mesures pour faciliter leur intégration dans le marché du travail, mais c’est difficile. Car il y a souvent la critique que les femmes ne peuvent pas en même temps être maman et active professionnellement. Mais c’est intéressant, car ici à Madagascar, les femmes qui travaillent, partent parfois plus tôt pour s’occuper de leurs enfants, ou partent un moment pour aider à préparer quelque chose, puis elles reviennent, etc.. En Suisse, c’est quelque chose que nous refusons. La leçon continue sans problème ici, les

Guillaume Golay 72 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? élèves respectent cette situation. Mais en Suisse, nous sommes très fermés sur les règles. Nous pourrions faire d’autres choses. D : La situation ici à Madagascar est difficile pour l’argent. Si une seule personne cherche de l’argent, cela ne suffit pas pour toute la famille. Donc les deux vont travailler pour chercher de l’argent. Donc pour nous ici tant que le personnel c’est dans l’ensemble des fonctionnaires, qui sont payés par mois. Elles peuvent prendre une femme de ménage pendant qu’elles travaillent. Mais si elles ne peuvent pas, on les laisse s’organiser. Il n’y a pas de lois qui empêchent les femmes de travailler. G : Est-ce qu’il y a le même salaire pour les hommes et les femmes ? D : Oui, même diplôme, même salaire. G : Est-ce que cela arrive que les élèves ne veuillent pas travailler ? Qu’est-ce qui se passe alors ? Il y a des punitions pour les élèves ? Dans les classes D : oui, il y a des punitions. Le ministère a interdit les châtiments corporels, donc nous devons chercher d’autres moyens. Nous donnons des points de pénalisation. Mais je pense que les élèves qui n’étudient pas la leçon, il faut les forcer à étudier avant de passer à la prochaine leçon. Aussi, ceux qui ne font pas les devoirs, il faut les sortir de la classe tant qu’ils n’ont pas appris, les laisser dans la cour terminer les devoirs. G : Je pose ces questions, car je n’ai pas pu observer ça dans les classes. Je ne sais pas si c’est parce que je suis là, mais les élèves se comportent très bien. Ils sont un peu perturbés, car il y a un waza dans la classe alors ils me regardent beaucoup, mais durant la leçon ils se comportent très bien. Alors je voulais savoir si c’est différent parfois. D : Il y a des petits problèmes, mais c’est un peu caché. Et les profs n’exigent plus de vérifier les devoirs. G : Bon, il y a le problème du temps. S’il faut vérifier les devoirs de 60 élèves c’est compliqué… D : C’est un grand problème ! Nous n’avons que deux heures alors il y a quelques élèves qui sont indisciplinés, mais c’est difficile de savoir. Est-ce qu’ils apprennent, font les devoirs ? G : Je pense que c’est trop compliqué de vérifier chacun… D : Le problème aussi c’est le manque de personnel et le retard. Le retard est devenu une habitude, aussi, car la plupart des enseignants sont des femmes et qu’elles doivent aussi préparer leurs enfants pour l’école. Alors la répartition (le plan du cours) n’est pas respectée. Au lieu de faire deux heures, c’est seulement une heure trente. Les profs quand ils arrivent dans la classe, ils commencent par les études. Peu de profs commencent par la révision. G : Moi j’ai trouvé que les enseignants respectaient bien l’ordre et commençaient par la révision ! D : Oui, mais j’ai insisté avec votre venue qu’il fallait être attentif à la structure pédagogique. On commence par la révision, l’activation. Mais il y a quelques profs qui respectent bien les objectifs pédagogiques.

Guillaume Golay 73 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : En Suisse, en plus de la révision, j’insiste pour toujours parler de l’actualité. Pour moi c’est important, mais c’est plus facile de faire cela en Suisse, car on peut présenter des articles de journaux, des émissions de télévision, pour les intégrer dans la réalité sociale et culturelle de leur pays. Mais c’est plus difficile ici. D : Il y a un manque de matériel ici. Même les profs n’arrivent pas à suivre l’actualité. À la maison, il y a beaucoup de travail et pas de temps pour voir la télévision, écouter la radio, lire le journal. Donc c’est la cause. Mais il y a des élèves qui suivent l’actualité ! Et je crains les questions des élèves. J’ai déjà dit aux enseignants de faire attention, car il y a des élèves qui sont informés, donc les professeurs doivent rester à jour, suivre l’actualité qui se passe à Madagascar ou même dans la région. Quand j’étais enseignant, avant de commencer les cours, je demandais aux élèves les dernières informations sur les événements dans les villages. Parce que même dans la région, dans la commune, il y a des informations très importante mais on ne les connait pas toujours. Surtout pour la matière d’éducation civique, c’est très important la recherche d’information et rester à jour. Selon la situation, par exemple pendant la période d’élection, les élèves suivent l’actualité. À la maison, les parents soutiennent tel ou tel candidats. G : Les gens dans la région soutenaient quel candidat ? D : la plupart ont soutenu le nouveau président. G : Ils voulaient du changement ? D : Oui, parce qu’il y a trop de pauvreté, de démagogie avec l’ancien président. Ici à Madagascar le riz est la base alimentaire, mais le prix du riz avec l’ancien président est devenu très cher. Ici, 2000 ariary ! G : Pour quelle quantité ? D : 1kg. Quand le salaire journalier est de 1000, 1700, 3000 ariary. Or avec ce salaire on achète les affaires pour la maison : sel, sucre, pétrole, avec cet argent, du riz, même ceux qui n’ont pas de travail pour les journaliers, il faut acheter… Il y a des personnes ici qui ne boivent que de l’eau chaude s’il n’y a pas assez d’argent pour acheter du riz… - À propos des entretiens qui seront réalisés D : J’aime si possible les classes de troisième, car c’est une classe de préparatoire et pour la famille, s’il ne va pas à l’école, il va chercher du travail et ce marché. Alors la question de savoir pourquoi ils vont à l’école sera importante. Mais cela dépend du jeune. Même des sixièmes pourraient répondre. G : Il y a beaucoup de déscolarisation entre la sixième et la troisième ? D : C’est beaucoup. Parce que la plupart des familles, n’arrivent pas à payer chaque année. Pour les familles c’est très lourd. Au début de l’année scolaire je suis très stricte. Ceux qui ne paient pas toutes les cotisations ne peuvent pas entrer. Mais le jour de la rentrée, c’est la moitié qui paie. Qu’est-ce que je fais ? Donc je reviens sur ma décision. Je demande aux parents de venir pour faire des négociations. Donc ici, il y a une centaine d’élèves encore irréguliers, jusqu’à présent. Mais je ne peux pas forcer les élèves, car je sais bien la situation. Ici il y a des élèves qui ne mangent pas le repas. Ils habitent très loin

Guillaume Golay 74 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? et ils n’ont pas de riz pour manger à midi. J’ai constaté un jour, en demandant à un élève qui jouait sur le terrain : - Est-ce que tu ne manges pas ? – Non - Est-ce que tu as déjà mangé ? – Non, je ne mange pas à midi - Pourquoi ? – (il ne répond pas). G : Donc jusqu’à la fin de l’année scolaire, il y a des élèves qui ne paient pas toutes les cotisations. Et comment vous faites pour convaincre les parents de payer durant l’année scolaire ? Ils peuvent payer en plusieurs fois ? D : Oui, j’ai déjà dit de payer partiellement, selon les possibilités. Même 5’000 ariary j’accepte. Mais le problème c’est que l’école ne fonctionne pas s’il n’y a pas d’argent. Parce que l’état ne donne pas. Même pour les fournitures utilisées dans cet établissement, c’est payé par les cotisations des parents G : Les craies, etc. ? D : Oui, les craies, les papiers pour les examens. Et il y a trois examens. Nous consommons 250 boites de craies blanches et 150 de craies de couleur, chaque année. Et je donne aussi deux cahiers de préparation pour chaque enseignant. Mais tout est payé par l’école, pas par l’état. Même les livres pour la préparation des cours en début d’année scolaire, je dois acheter. Si je pense qu’un document aide beaucoup de professeurs. G : Les professeurs refont leur cahier de préparation chaque année ? Car ils peuvent les réutiliser non ? D : Oui, mais je demande de faire des mises à jour, des adaptations, de ne pas utiliser le cahier de l’année précédente. La pédagogie demande des retouches. Il faut chercher à s’améliorer chaque année, alors je distribue des cahiers de préparation chaque année. Ils utilisent leur cahier de l’année précédente pour préparer leur cahier, mais pas tout. Il faut retravailler les phrases. Parce que quand on utilise une phrase d’un livre, il faut adapter, chercher une phrase simple pour mieux apprendre aux élèves. - Je lui présente des cartes de la Suisse, où je vis, où je travaille, les moyens de transports utilisés, la façon de vivre en Suisse, la production et l’utilisation de l’énergie

Guillaume Golay 75 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

Image 3: Extrait du Journal de bord autour des coûts de la scolarité

8.3. Entretiens avec les élèves

8.3.1. Grille d’entretiens

Informations factuelles (réflexions personnelles/manquantes entre parenthèse):

Description de la famille et parcours de chacun : - Quel âge a-t-il ? - Est-ce qu’il a redoublé ? (pourquoi ?) - À quelle classe a-t-il commencé l’école ? - A-t-il des frères et sœurs ? Combien ? Quel âge ont-ils ? Ordre dans la fratrie. Description des activités et du parcours des différents membres de la famille. - L’âge des parents et leur activité principale, s’ils ont été à l’école - Combien de personnes vivent dans le ménage ? Aussi d’autres personnes que la famille ? Implication dans la famille : - Doit-il travailler/aider ses parents après les cours ? À quelle fréquence ? Pour faire quoi ? Rizières, champs, travaux domestiques… Est-il le seul ou est-ce que les autres membres de la fratrie font pareil ? Comment les tâches sont-elles réparties ? Perception de l’école : - Est-ce qu’ils aiment aller à l’école ?

Guillaume Golay 76 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? - Est-ce qu’ils ont beaucoup de travail pour l’école ? (mal formulé, car il faut pouvoir quantifier le beaucoup ou le décrire) : peut-il dire combien de temps par jour il travaille à la maison ? Tous les jours ? parfois ? Combien ? - Pourquoi est-ce que l’école est importante et pourquoi ? - Qu’est-ce qui se passe si : o il ne va pas à l’école o il ne veut pas y aller ? o il a des bonnes notes/des mauvaises notes ? - Quels sont les éléments qui font que tu te comportes correctement en classe ? Attitude, gestes du professeur, regard des autres, autres - Quelle est la chose la plus importante qu’il apprend à l’école ? Coûts liés à la scolarité : - Qui paie pour son inscription, ses fournitures, combien de cahiers faut-il acheter ? Contexte de vie, loisirs : - Comment vient-il à l’école ? Combien de temps met-il ? - Qu’est-ce qu’il aime faire en dehors de l’école ? Être avec ses amis ? faire quoi ? Avenir, perspectives : - Que rêve-t-il de faire plus tard ? Est-ce qu’il pense que c’est possible ? Questions inversées : - Est-ce qu’il veut savoir des choses sur moi, sur mon pays ? - Est-ce qu’il trouve que je fais des choses bizarres/spéciales ? Comportement, démarche, vêtements

8.3.2. Lovaniaina Rica

Lovaniaina Rica (L) - Entretien réalisé le matin avec la secrétaire G : Je dois enregistrer comme ça après je peux récrire ce que nous avons dit. L : D’accord G : Je m’appelle Guillaume et je veux savoir comment les familles pensent l’école. Pourquoi certaines familles pensent que c’est important, d’autres pas. Pourquoi certain vont à l’école jusqu’à la terminal et d’autres pas, voir pourquoi il y a ces différences. Je dois donc discuter avec les élèves pour comprendre ces différences, voir ce qu’ils pensent de l’école, voir comment leur famille s’organise. Les premières questions sont plus directes, ensuite il y a des questions plus larges. Tout d’abord je dois savoir ton prénom. L : Lovaniania G : Tu peux m’aider à écrire ? L : Lovaniania Rica

Guillaume Golay 77 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Tu as quel âge ? L : 18ans G : Et tu es en 3ème ? L : Oui, 3ème G : Est-ce que tu as doublé des années ? L : Non G : Tu as commencé l’école à quel âge ? L : À 6 ans G : Mais il y a combien de classes ? (Nous recomptons toutes les classes et cela fait 9), Mais si je fais 9 plus 6 il manque trois ans… Tu comprends ? L : Il a étudié en T1 après il a fait une pause deux ans, après il a repris T1. G : Il sait pourquoi il n’a pas continué ? L : Car il n’y a pas l’argent. G : Car ça famille ne pouvait pas payer ? L : Oui, pas l’argent. G : Tu as des frères et sœurs ? L : Oui, deux sœurs et un frère. G : Toi tu es le plus grand ? Ou tes sœurs ? L : Ma sœur est plus grande, ensuite une autre sœur, moi puis mon petit frère. G : Ta grande sœur elle a quel âge ? L : 28 G : Ensuite, l’autre sœur ? L : 25 ans G : Et ton petit frère ? L : 13 G : Tes sœurs, elles font quoi maintenant ? Elles ont fini l’école ? L : Sa sœur a arrêté en T4 G : Et qu’est-ce qu’elle fait maintenant ? L : Des appartements, ménagère G : Elle habite ici à Anjiro ? L : Oui G : Elle est mariée ?

Guillaume Golay 78 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

L : Non G : Elle a des enfants ? L : Oui, un enfant G : Elle a eu son enfant à quel âge ? L : À 21 ans G : Donc il a 4 ans son bébé ? L : Oui G : Et ta grande sœur ? L : Elle est mariée et a deux enfants G : Elle a été à l’école ? L : Je ne sais pas, car elle n’est pas ici depuis longtemps, elle vit à Tana. G : Tu ne la connais pas très bien ? L : Non G : Tu sais si elle travaille ? L : Elle travaille dans la zone-franche. G : Mais tu ne sais pas si elle a été à l’école ? L : Non G : Et ton petit frère ? Il est aussi ici au CEG ? L : Non, il a arrêté en 5ème, en T5. G : Tu sais pourquoi il a arrêté ? L : Problèmes d’argent G : Et maintenant il fait quoi ? L : Il fait maçon G : Mais il habite toujours avec toi à Anjiro ? L : Oui G : Et tes parents ? L : Mes parents, elle habite aussi à Anjiro, mais elle travaille à Tana. G : Elle a quel âge ? L : 53 G : Elle part tous les matins avec le bus ? L : Non, elle vit là-bas. G : Elle vient combien de fois ? par semaine ? par mois ?

Guillaume Golay 79 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

L : Une fois par mois. G : En fait elle vit à Tana, c’est ça ? L : Oui G : Pourquoi elle ne vit pas ici ? L : Parce qu’il n’y a pas de travail ici. G : Elle fait quoi comme travail à Tana ? L : Ménagère G : Elle vit avec ta sœur à Tana ? L : Non, elle vit avec son mari, mais ma maman vit avec d’autres personnes. G : Et ton papa ? L : Il est décédé. G : Ok, je suis désolé. Et ici tu habites avec qui ? L : Ma tante. G : Ok, et qui paie pour l’école ? Ta maman ou ta tante ? L : Ma tante, c’est ma tante. G : Il y a combien de personnes qui habitent dans ta maison ? Enfin, tu peux me dire toutes les autres personnes qui vivent avec toi ? Il y a ta tante ? Son mari ? L : Oui, ma tante, son mari, il y a sept personnes. G : Donc ta tante, son mari, toi, ton frère L : Non, mes cousins. Mon frère n’habite pas avec moi. G : Il habite où ? L : Il vit avec ma grand-mère. G : Alors il y a ta tante, son mari, toi et quatre cousins ? L : Deux cousins et deux cousines. G : Qu’est-ce que tu as envie de faire plus tard ? Si tu as un rêve ? L : Docteur. G : C’est pour cela que tu travailles à l’école ? L : Oui G : C’est donc ta tante qui paie pour ton école. Est-ce que tu dois l’aider ? Travailler dans les rizières par exemple ? L : Oui, boulanger G : Parce que ta tante est boulangère ? Elle fait du pain ?

Guillaume Golay 80 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

L : Non, elle fait des beignets, beignets de banane et moi je transporte au marché les samedis ou dimanche. G : Et pour le nettoyage de la maison ? Qui s’en occupe ? Toi ? Les autres enfants ? L : Il y a une autre personne. G : Et il n’y a pas de rizières ? L : Non, il n’y a pas. G : Et sinon, qu’est-ce que tu aimes faire quand tu n’as pas l’école ? Quand tu as fini la classe ? L : Je travaille. J’étudie à la maison. Je révise. G : Et tu aimes faire quoi ? L : Jouer avec les copains, des fois du football. Je fais d’abord les devoirs après je joue. G : Combien tu as besoin de cahiers pour une année ? L : 14 et plus G : Et c’est ta tante qui paie pour toi ? L : Non, c’est une association Saint-Joseph G : Et cette association aide beaucoup d’enfants ici ? L : 30 ici. G : Cette association donne chaque année ou seulement cette année ? L : Toutes les années. G : Donc les enfants disent à l’école qu’ils ne peuvent pas payer les fournitures et ensuite l’association les aide pour les cahiers et les stylos. Comment est-ce que tu viens à l’école ? L : À pied. G : C’est combien de temps ? L : 10 minutes. G : Pourquoi est-ce que l’école c’est important pour toi ? L : Pour mon avenir, pour réaliser mon rêve. G : Et l’année prochaine, ta tante va pouvoir payer le lycée ? L : Oui. G : Qu’est-ce qui se passe si tu ne vas pas à l’école ? L : Je ne fais rien. G : Et ta tante, elle dit quoi ? L : Si ma tante dit que je dois arrêter l’école, j’arrête.

Guillaume Golay 81 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Et si un jour tu refuses de partir à l’école ? Elle va dire quoi ? L : Elle va m’empêcher et me gronder. G : Tu as des bonnes notes ? L : Il y a des examens bientôt. G : Quand tu es dans la classe, je trouve qu’ici à Madagascar, les élèves respectent bien le professeur. Dans mon pays, il y a moins d’élèves, mais ils ne respectent pas autant le professeur. Pourquoi tu penses que les élèves respectent ici ? L : Parce qu’il veut apprendre et pour plaire aux enseignants il doit les respecter. G : Et tu penses que les autres élèves de la classe ils pensent comme toi ? L : Peut-être. G : Il y a des gens qui n’écoutent pas ? Qu’est-ce qu’ils pensent les autres ? L : Je ne sais pas. G : Les enseignants, lorsqu’il y a un problème de comportement, ils font quoi ? L : Les enseignants donnent des sanctions, comme le ménage de la cours, les WC, les bureaux. G : Est-ce qu’ils avertissent les parents ? Ta tante ? L : Les enseignants disent quelque chose aux parents si le mauvais comportement se répète. G : Est-ce qu’il veut savoir des choses sur moi ? Sur mon pays ? Je n’ai pas seulement envie de poser moi les questions ! L : Tu habites où ? G : En Suisse, un petit pays à côté de la France. L : Quelle est la durée du vol entre Mada et la Suisse ? G : Je dois prendre 1h d’avion de Genève à Paris puis 11h de Paris à Tana. Au total c’est toute la journée, mais maintenant les avions sont très confortables. On peut même regarder des vidéos, on reçoit à manger. L : Tu es prof d’histoire/géo ? G : Oui L : Seulement ? G : Oui L : Pour quelles classes ? G : Je peux enseigner au lycée et maintenant je me forme pour le collège. Mais c’est très différent en Suisse, car pour être enseignant au lycée il faut minimum 6 années après le BAC ! L : Comment est la sécurité à Paris ?

Guillaume Golay 82 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Tu as vu des choses à la télévision c’est ça ? L : Oui G : Bon, je n’ai pas les dernières nouvelles, mais je crois que c’est plus calme. Mais il y a toujours des rassemblements tous les samedis. Je pense qu’ils doivent rester pacifiques. Tu comprends ? C’est très bien qu’ils s’expriment, mais ils ne doivent pas casser. L : Ici la sécurité c’est très calme. G : Oui, c’est vrai. Mais dans les villages chez moi aussi. Ce sont souvent les villes qui sont plus dangereuses.

8.3.3. Rojonihaina

Rojonihaina (R) – Entretien réalisé le matin avec la secrétaire G : Quel est ton prénom ? R : R-O-J-O-N-I-H-A-I-N-A G : Très bien, et tu as quel âge ? R : J’ai 14 ans G : Donc tu es en troisième aussi. Tu as commencé l’école à quel âge ? R : À cinq ans G : Est-ce que tu as doublé une année ? R : Non G : Tu habites ici à Anjiro ? R : Oui G : Elle habite avec ses parents ? R : Non, elle est seule ici G : Tu habites avec qui ? R : Elle loue une maison ici. Ses parents sont un peu loin à 15km d’ici. À Ambohimantroso. G : Tu as fait l’école primaire là-bas ? R : Oui G : Il n’y a pas de collège ? R : Non, elle doit venir ici G : Maintenant tu loues une chambre ici, mais tu vis toute seule ou avec des frères ou sœurs ? R : Non, elle vit toute seule G : La personne qui loue la chambre, c’est quelqu’un de sa famille ? Une tante ? Un oncle ?

Guillaume Golay 83 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

R : Ce sont ses parents qui paient G : Ok mais je ne pense pas qu’elle a une maison entière pour elle toute seule. Alors qui habite dans le reste de la maison ? R : Ils sont trois qui louent des chambres. Trois personnes différentes. G : Et il n’y a personne d’autre ? R : Non G : Ce sont des personnes du même village ? R : Ils sont tous des étudiants comme elle G : Vous vous organisez pour faire la cuisine, le ménage etc. entre les trois personnes ? R : Non, chacun fait tout seul G : Mais qui fait à manger ? R : Après l’école, elle fait la cuisine G : Seulement pour elle ? R : Oui G : C’est juste que je me demandais si comme ils sont trois jeunes, ils pouvaient s’aider et se répartir les tâches. R : Non G : Et la cuisine, c’est tout dans la chambre ? R : Oui, il y a le lit, la cuisine G : Est-ce qu’elle a des frères et sœurs ? R : Elle a deux frères G : Plus grands ou plus petits ? R : Plus petits G : Ils sont quels âges ? R : Neuf ans G : Le dernier ? R : Quatre ans G : Ils sont au village avec tes parents ? R : Oui G : Et tes parents, qu’est-ce qu’ils font ? Ils travaillent ? R : Cultivateurs Les deux ?

Guillaume Golay 84 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

R : Oui G : Ils cultivent quoi ? R : Du riz, du manioc, du gingembre, de la canne à sucre G : Et l’argent pour l’école, ils l’ont parce qu’ils vendent le riz ? R : Oui G : Est-ce qu’il y a aussi des animaux ? R : Oui G : Beaucoup ? R : Des poulets, des bœufs, des coqs G : Et qui s’occupe des animaux ? R : Les parents G : Et les enfants ? R : Si les parents ont besoin d’aide G : Et toi, tu restes toute la semaine ici et la fin de la semaine tu retournes à ton village ? Ou tu restes ici ? R : Oui, elle rentre chez ses parents le vendredi soir après l’école G : Et le samedi avec ta famille, qu’est-ce que tu fais ? R : Elle aide ses parents G : Pour les cultures ? R : Oui G : Est-ce qu’il y a aussi le marché ? R : Oui, ses parents vendent des choses chaque samedi, des maniocs, des bananes G : Comment ils vendent leur production, seulement au marché les samedis ou aussi à d’autres personnes ? R : C’est eux qui apportent leurs produits au marché et cela leur rapporte leur argent, chaque samedi G : C’est le marché dans leur village ou ici à Anjiro ? R : Ici à Anjiro G : Nous allons faire une pause comme c’est la récréation, mais juste une dernière chose, ses parents ils ont quel âge ? R : 40 G : Son papa ? R : Oui

Guillaume Golay 85 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Et sa maman ? R : 35 - C’est la pause G : Ok alors, qu’est-ce que tu fais quand tu rentres chez toi dans ta chambre après l’école, à Anjiro ? R : Elle fait un peu de ménage et une petite pause. G : Et la cuisine ? R : Elle fait la cuisine le matin, et elle prépare déjà pour les repas. G : Elle mange trois fois ou deux fois ? R : Trois fois G : Donc le matin elle prépare le matin et ensuite elle mange trois fois la même chose ? R : Non, le soir elle refait la cuisine G : Et elle doit acheter elle-même le riz ou elle prend depuis son village ? Les légumes aussi ? R : Depuis son village, elle apporte. G : Donc chaque semaine, elle rentre et quand elle revient, elle prend dans son sac les légumes et le riz pour la semaine. Est-ce qu’elle peut manger de la viande des fois ? R : Oui G : Même la semaine ? R : Non G : Depuis combien de temps elle habite toute seule ici ? R : Depuis qu’elle est au collège G : Donc depuis qu’elle a 10 ans elle habite toute seule ici ? R : Oui G : Ce n’était pas trop difficile ? R : Oui, mais elle doit le faire G : Moi à 10 ans je ne savais pas faire mes lacets ! Et elle ne va jamais s’amuser avec des amis ou d’autres personnes de la classe ? R : Elle joue du foot avec ses amies quand elle a un peu de temps G : Qu’est-ce qu’elle rêve de faire dans la vie ? R : Enseignante G : Il y a d’autres personnes enseignantes dans sa famille ? R : Non, il n’y a pas G : Est-ce que sa famille aura assez d’argent pour payer son lycée ?

Guillaume Golay 86 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

R : Elle ne sait pas. G : J’ai maintenant des questions un plus larges. Pourquoi est-ce que l’école est importante pour elle ? R : Pour bien préparer l’avenir G : Et qu’est-ce qui se passe si elle a de mauvaises notes à l’école ? Que va dire sa famille ? R : Ses parents la grondent. G : Qu’est-ce que c’est la chose la plus importante qu’elle apprend ici ? Elle apprend beaucoup de choses dans les classes, c’est quoi le plus important pour elle ? - Elle ne sait pas G : Qu’est-ce qu’elle aime le plus ? R : Ses relations avec ses amis G : Et dans les différentes matières, qu’est-ce qu’elle aime le plus ? R : Physique et histoire/géo G : Ah c’est bien, moi je suis enseignant d’histoire/géo. Encore une chose, est-ce que ses parents ont été à l’école ? R : Oui G : Ici à Anjiro ? R : Non, seulement l’école primaire G : Dans leur village ? R : Oui G : Et s’il n’y a plus d’argent pour payer l’école et qu’elle ne peut pas être enseignante, qu’est- ce qu’elle va faire ? R : Elle va aider ses parents G : Et avec les garçons, il n’y a pas trop de problèmes ? - La question est gênante et il y a des rires R : Ça va, elle est tranquille. G : Merci à elle. Elle peut maintenant me poser des questions aussi ! Ce qu’elle veut. R : Vous habitez en ville ou à la campagne ? G : J’ai grandi dans un petit village comme toi, mais maintenant j’habite dans une petite ville, un peu la taille de Moramanga je dirais. R : Est-ce que vous avez des frères et sœurs ? - Je montre le schéma de ma famille G : C’est tout.

Guillaume Golay 87 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Merci beaucoup !

8.3.4. Angelo

Angelo (A) - Entretien réalisé le matin avec la secrétaire – Intervention de deux enseignants à la fin (I) et (T) G : Tu t’appelles Angelo c’est ça ? A : Oui G : Comment on écrit ? A-N-G-E-L-O ? A : Oui G : Et quel âge tu as ? À : 14ans G : Et toi tu habites ici ? A : Oui, à Anjiro G : Ah, dans le village en bas. Tu as commencé l’école à quel âge ? À : Je suis en 3ème G : Mais à quel âge a-t-il commencé l’école ? À : A 6ans G : Est-ce que tu as doublé des années ? A : Non G : Tu as plutôt des bonnes notes ou des mauvaises notes ? À : Il a des bonnes notes et des mauvaises notes. G : Cela dépend les matières, ok. Quelles sont les matières fortes et plus difficiles ? À : Il a des bonnes notes en physique/chimie et des mauvaises notes en histoire/géo G : Ah c’est bien comme je suis professeur d’histoire/géo ! Alors, il a 14ans. Est-ce que tu as des frères et des sœurs ? A : Oui G : Est-ce qu’il peut nous dire qui il y a dans sa famille ? À : Un frère et une sœur. G : Il peut nous décrire sa famille ? Qui est le plus grand ? À : C’est lui le plus grand. G : Et ensuite ? Son petit frère ? À : Sa sœur et son frère.

Guillaume Golay 88 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Sa sœur, elle a quel âge ? À : 10 ans G : Est-ce qu’elle va à l’école ? Ici ? à l’EPP ? A : Oui, à l’EPP. G : Et son petit frère, il a quel âge ? À : 6 ans. Il a aussi commencé à l’EPP. G : Est-ce vous habitez toute la famille ensemble ? A : Oui G : Donc avec tes parents ? A : Oui G : Donc tu es dans une maison où il y a 5 personnes c’est ça ? A : Oui G : Il n’y a pas peut-être les grands-parents ? A : Non G : Et ton papa, il a quel âge ? À : 32 G : Et qu’est-ce qu’il fait comme travail ? À : Maçon G : Et sa maman, elle a quel âge ? À : 29 G : Et son travail ? À : Vendeuse G : Comme dans les marchés en bas au village ? À : Elle fait du porte à porte avec des produits : yogourts, flan, … G : Elle fait ça tous les jours ? A : 3 fois par semaine G : Et est-ce que sa famille travaille aussi dans les champs ? A : Oui G : Ils ont quoi comme champs ? À : Des patates douces. Les cultures c’est s’il veut, sinon cela reste comme ça. G : Et ils n’ont pas de rizières ? A : Non

Guillaume Golay 89 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Et toi, est-ce que tu cultives des fois ? À : Oui, la même chose que son papa, pour aider ses parents G : Alors pour la nourriture, ils doivent acheter tout le temps c’est ça ? Ils ne peuvent pas manger ce qu’ils ont. A : Oui G : Et c’est son papa qui paie pour son inscription, pour sa scolarité ? À : C’est son père qui paie. G : Et pour les fournitures ? À : Cela dépend de ses économies. Ce sont ses deux parents qui paient. G : Est-ce que ton papa a été à l’école ? A : Oui G : Jusqu’à quelle classe ? À : Sa maman était au collège, mais il ne sait pas quelle classe. G : Et son papa ? À : Il ne sait pas. G : Est-ce que après l’école, il doit aider sa famille ? Par exemple pour préparer le repas, faire des rangements ? A : Oui G : Qu’est-ce qu’il doit faire ? À : Il fait du ménage et il va chercher de l’eau, parfois faire de la cuisine. G : C’est tous les jours ou seulement quelque fois ? À : Quand sa maman n’est pas là. G : Qu’est-ce qu’il aime faire après l’école ? À : Pêcher G : Avec des copains ou tout seul ? A : Tout seul G : Tu pêches avec quoi ? Une canne ? un filet ? À : Avec un canne G : Dans les rizières ou dans la rivière ? À : Dans la rivière là-bas G : Et tu vas jouer aussi au football ou au basketball ? À : Basketball

Guillaume Golay 90 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Tu as combien de cahiers pour l’école ? À : 16 G : Et tu les achètes où ? À l’épicerie ici ? À Tana ? A : Au marché le samedi (à Anjiro donc) G : Et il vient à l’école à pied c’est ça ? A : Oui G : Qu’est-ce qu’il rêve de faire plus tard ? À : Chauffeur G : Est-ce que tu vas continuer l’école au lycée ? A : Oui G : Et tu vas faire chauffeur après le BAC ? À : Il va commencer l’auto-école après le BAC. G : Qu’est-ce qui se passe si tu ne travailles pas bien à l’école ? Si tu amènes de mauvaises notes ? À : On va lui dire de réviser plus à la maison, de se concentrer. G : Est-ce que ses parents l’aident pour l’école ? Pour réviser ? A : Non G : Pourquoi à son avis, les élèves respectent le professeur ? À : Il ne veut pas être sanctionné. G : Et les autres élèves de la classe ? Par exemple s’il y a des élèves plus agités, pourquoi il pense qu’ils font ça ? À : Il pense que ses amis profitent de la générosité des professeurs. G : Je pense que l’école est importante pour lui. Mais est-ce qu’il pense que ses amis trouvent aussi que l’école est importante ? À : Il ne sait pas. G : Qu’est-ce que c’est la chose qu’il trouve la plus importante à l’école ? À : Voir ses amis G : Moi c’était la même chose. J’ai une question peut-être un peu provocante : pourquoi est-ce qu’il veut avoir le BAC alors qui veut faire chauffeur ? Car pour être chauffeur il n’y a pas besoin du BAC… A : Pour attendre 18 ans. G : Qu’est-ce qu’ils font les jeunes qui ne vont pas à l’école de ton âge ? À : Ils peuvent faire aide-chauffeur, sinon cultivateurs

Guillaume Golay 91 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Si tu veux me poser des questions, je réponds à tout ce que tu souhaites savoir sur moi, mon pays, ou je ne sais pas. À : Comment sont les élèves dans votre école chez vous ? G : Dans les écoles en Suisse, il y a environ 20 élèves. Il y a des élèves sérieux et d’autres qui ne sont pas. Mais les cours sont très différents, car les élèves peuvent beaucoup plus parler et participer. Et les élèves ont des téléphones alors il y a toujours des problèmes, car ils s’envoient des messages en dehors de l’école et cela amène des problèmes quand ils se voient à l’école. Aussi, ils ne sont pas très concentrés par rapport aux élèves d’ici. Je pense que c’est parce qu’ils peuvent faire beaucoup de choses en dehors de l’école, alors ils pensent seulement aux choses en dehors de l’école. - Une personne présente me montre un document avec la liste des sanctions pour les élèves. I : il y a beaucoup de sanctions ici. G : à quoi correspondent ces numéros ? 2, 2, 3, 5, … T : Ce sont des points pour chaque sanction. Et pendant une année, s’il a 25 points il est renvoyé. Par exemple il y a des points de remise à pied. G : et les enseignants respectent ça ? T : oui G : Et est-ce qu’il veut me poser d’autres questions ? Il n’est pas obligé. À : Comment est la Suisse ? Est-ce qu’il y a beaucoup de sécurité ? G : La Suisse est un pays plus sûr. Les villes sont un peu plus difficiles, mais ce n’est rien comparé à ici. Il y a peut-être plus de respect envers les femmes, si on pense aux problèmes sexuels par exemple. I : Et il n’y a pas d’intentions de toucher les femmes comme ça ? G : Il y a l’intention seulement si c’est ta femme ! Il ne faut pas forcer. Tu as l’envie, mais tu respectes la décision. À : C’est tout.

8.3.5. Omega

Omega (O) - Entretien réalisé le matin avec la secrétaire G : Alors, comment tu t’appelles ? O : Omega G : Quel âge tu as ? O : 19 ans G : À quel âge est-ce que tu as commencé l’école ?

Guillaume Golay 92 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

O : A 6 ans, jusqu’à 19 ans G : Et est-ce que tu as doublé ? O : Il a doublé une fois en 4ème et il a arrêté l’école une année en 9ème G : Pourquoi est-ce qu’il a arrêté ? O : Il avait une maladie G : Alors il est resté à la maison ou est-ce qu’il devait se faire soigner quelque part ? O : Il se faisait soigner ici, avec la médecine traditionnelle G : Il peut nous dire ce qu’il avait comme maladie ? O : Une fracture G : Ah ok, en Suisse on ne dit pas que c’est une maladie alors je ne comprenais pas. Mais si je reprends, il manque quelques années encore s’il a 19 ans. Est-ce qu’il y a encore une autre année où il n’a pas été à l’école ? - Ils ne savent pas… G : Bon, peut-être qu’il n’a pas commencé à 6ans…. On continue, est-ce qu’il peut nous décrire sa famille ? ses frères et sœurs, ses parents ? O : Il a quatre frères et quatre sœurs G : Il peut nous faire le détail ? O : C’est lui le dernier. G : Pas de problème ! Il peut nous dire les âges ? O : Le premier frère a 45 ans G : Ensuite ? O : Sœur, 40, frère 39, ensuite il ne sait pas trop… Mais il a quatre frères et quatre sœurs. G : Ok, mais en ce moment, il habite avec qui ? Il y a combien de personnes ? O : Avec son grand frère, le plus grand. Ils sont onze. Son frère, sa femme, ses cinq enfants, sa grand-mère. G : Alors il y a neuf personnes ? O : Il y deux autres personnes G : Elles ne sont pas de sa famille ? Elles louent la chambre ? O : Non, mais ils vivent avec. G : Et pourquoi est-ce qu’il ne vit pas avec ses parents ? O : Son père est décédé G : Et sa maman ? O : Il appelle sa maman sa grand-mère.

Guillaume Golay 93 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Ah ok ! Et ses autres frères, ils sont partis ? O : Ils sont tous mariés et ils ne vivent plus avec eux. G : Qui paie pour son école ? O : Ses frères font un tour chaque année. Par exemple c’est un frère qui paie cette année et un autre l’année prochaine. G : Ok. Et ton grand frère il a été à l’école ? O : Son grand frère qui habite avec lui n’a pas été à l’école. G : Et les autres frères et sœurs ? O : Oui il y en a G : Est-ce qu’il y a des personnes qui ont terminé le collège ou le lycée ? O : Ses quatre frères ont étudiés jusqu’au collège et après ils ont arrêté. G : Et ses sœurs ? O : Comme ses frères, jusqu’au collège G : Et lui, il va continuer après le collège ? O : Oui, il va continuer G : Et il habite où ? O : A Ambotomanga (Anjiro), chez nous G : Et tu viens donc à pied à l’école ? O : Oui G : Ton frère, qu’est-ce qu’il fait ? Il travaille ? Il fait quoi ? O : Il aide ses aînés pour travailler à la maison. G : Mais ses frères, qu’est-ce qu’ils font comme travail ? Chauffeurs ? Cultivateurs ? Maçons ? O : Chauffeurs, cultivateurs, c’est tout G : Et lui, est-ce qu’il doit aider à cultiver durant la semaine ? Seulement le weekend ? O : Le weekend G : Alors après l’école, il n’a pas besoin d’aller travailler dans les champs ? O : Non G : Qu’est-ce qu’il fait quand il rentre à la maison ? O : Il aide. Il fait ce qu’il peut faire à la maison, la cuisine, chercher de l’eau G : Est-ce qu’il a du temps pour travailler pour l’école ? O : Oui, le soir avant de dormir G : Qu’est-ce qu’il rêve de faire plus tard ?

Guillaume Golay 94 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

O : Militaire G : Pour être militaire, il faut avoir le BAC ? O : Le BPC, le BAC n’est pas obligatoire G : Pourquoi il va faire le BAC si ce n’est pas obligatoire ? O : Pour avoir une meilleure catégorie G : Il pense qu’il va réussir à faire ça ? O : Oui G : Peut-être que je vais trop vite, mais est-ce que l’école est importante pour lui, car il a cet objectif ? Il peut confirmer ça ? O : Oui, mais aussi, car parmi ses frères et sœurs, ils veulent avoir un diplôme dans sa famille. G : Qu’est-ce qui se passe s’il n’a un mauvais comportement ou s’il n’a pas de bons résultats à l’école ? O : Pour lui, s’il a des mauvaises notes c’est lui qui travaille pour s’améliorer, car son frère ne regarde pas. Car son frère part toujours comme il est chauffeur. G : Ah ok, alors il ne se fait pas gronder ? O : Non G : Pourquoi est-ce que c’est important pour sa famille que quelqu’un obtienne le BAC ? O : Pour la fierté G : Et pour acheter à manger, ils doivent acheter beaucoup de l’extérieur ou est-ce que comme ils cultivent cela suffit ? O : Ils doivent beaucoup acheter. G : Merci à lui. S’il veut me poser des questions, c’est maintenant lui qui est libre de savoir des choses sur moi ! O : Pourquoi est-ce que vous visiter chez nous ? G : Car je fais une formation en Suisse pour devenir professeur. Et nous avons eu la possibilité de voir comment cela se passe dans un autre pays. Je ne suis pas tout seul ici à Madagascar, il y a 14 autres personnes comme moi et nous sommes dans les écoles dans les différents villages du district de Moramanga. Depuis ici jusqu’à Moramanga il y a des personnes comme moi dans presque tous les villages. Pour nous c’est bien de voir d’autres façons d’enseigner. Peut-être que vous pourrez changer votre façon d’enseigner, mais aussi peut-être que nous pourrons prendre des choses qui fonctionnent bien chez vous. O : Combien de frères et de sœurs tu as ? - Je lui montre le schéma de ma famille G : Merci beaucoup à lui ! J’espère que ce n’était pas trop difficile !

Guillaume Golay 95 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

8.3.6. Linah

Linah (L) - Entretien réalisé l’après-midi avec Haingo G : Comment tu t’appelles ? L : Je m’appelle Linah G : Lina ? L : Linah G : Et tu es en quelle classe ? L : 4ème G : Tu as quel âge ? L : 15ans G : Tu habites ici à Anjiro ou dans un autre village ? L : A Amboudi G : Tu peux me dire comment on écrit ? L : Ambohitsao G : C’est loin d’ici ? L : Non G : Combien de temps tu as besoin pour venir ici ? L : 30 minutes G : À pied ? L : Oui G : Tu as 15ans et tu es en 4ème, est-ce que tu as doublé des années ? L : T2 G : Et d’autres classes ? L : T4 G : D’autres ? L : Non G : Tu as commencé l’école dans ton village ? l’école primaire ? L : À l’EPP Anjiro-Sinamotsara (?) G : C’est où ? L : C’est à l’Ouest

Guillaume Golay 96 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Donc un village plus proche de sa maison ? L : Oui G : Est-ce qu’elle a des frères et des sœurs ? L : Deux sœurs G : Ok, nous allons voir toute sa famille. Elle peut nous dire le plus grand et les suivants, leur âge et si c’est une fille ou un garçon. L : Il y a 4 filles. G : Alors la plus âgées ? L : C’est moi G : Ensuite, ta petite sœur ? Elle a quel âge ? L : 13 ans G : Ensuite ? L : 8 ans G : Et ? L : 3 ans G : Ta sœur qui a 13 ans est aussi au CEG ici ? L : Oui G : Celle qui a 8 ans, elle va dans la même école que tu étais allée ? L : Oui G : Et la petite est trop petite pour l’école, merci. Maintenant, ta maman ? Elle a quel âge ? L : 43 ans G : Qu’est-ce qu’elle fait comme travail ? L : Cultivatrice G : Et ton papa, il a quel âge ? L : 52 G : Il fait cultivateur aussi ? Ou un autre travail ? L : Cultivateur aussi G : Et toi ? Tu dois cultiver aussi ? L : Non G : Même les weekends ? En fin de semaine ? L : Elle aide à la maison, mais pas pour cultiver. G : Qu’est-ce qu’elle fait à la maison ?

Guillaume Golay 97 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

L : De la lessive, du nettoyage, de la cuisine G : Elle fait cela tous les jours ou seulement quelques fois ? L : Tous les jours. C’est elle qui fait la lessive et la cuisine tous les jours. G : Et pour manger à midi, le repas, elle reste ici ou elle retourne manger chez elle ? L : Elle retourne. G : Ses sœurs ? Est-ce qu’elles l’aident un peu ? L : Oui, elles l’aident. G : Et ta maman et ton papa, ils restent toute la journée dans les champs ? L : Oui G : Qu’est-ce que vous cultivez ? L : Patates, maniocs, riz G : Aussi des fruits ? L : Ils cultivent beaucoup de fruits, des mangues, … G : Et tes parents vendent tout cela sur le marché ? L : Oui, ils vendent le manioc, les patates, sur le marché tous les samedis. G : Le jour du marché, les enfants vont aider pour vendre ? L : Elle accompagne sa mère. G : Ce sont tes parents qui paient pour ton école ? Les inscriptions et les fournitures ? L : Oui G : Et pour tes sœurs aussi ? L : Oui G : Est-ce qu’elle a du temps pour revoir les cours à la maison ? L : Oui, elle en a. G : Mais est-ce qu’elle travaille un petit peu tous les jours ? À la dernière minute ? L : Si elle a fini son travail, elle étudie ses leçons. G : Et généralement il y a du temps ? L : Oui, il y a un peu de temps. G : Qu’est-ce qu’elle aime faire quand elle a fini l’école ? L : Elle joue. Elle discute aussi avec ses parents pour savoir si elle peut continuer les études. G : Et qu’est-ce qu’ils disent ?

Guillaume Golay 98 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

L : Ils disent que ça dépend de l’argent. Mais elle doit finir le BEPC et après ça dépend de l’argent pour aller au lycée. G : Donc elle va finir la fin de la troisième ici ? L : Oui Elle a des bonnes notes ? L : Elle a obtenu la moyenne, mais pas l’anglais. Ok. Quand elle joue, elle joue avec ses sœurs ou ses amis au village ? L : Les deux. G : Quel est son rêve dans la vie ? Après l’école ? L : Elle veut être une cultivatrice. G : Comme ses parents ? L : Oui, comme ses parents. G : Pourquoi est-ce que l’école est importante pour elle ? L : Pour ne pas se faire arnaquer, pour ne pas se faire avoir au marché. G : À son avis, pourquoi ses parents paient beaucoup d’argent pour que ses filles aillent à l’école ? L : Ses parents n’aiment pas que ses enfants aient moins que les autres. G : Dans la classe, il y a parfois des élèves qui trouvent que l’école n’est pas importante. Elle en pense quoi ? Elle aime quand les autres dérangent la classe ? Elle peut dire oui, moi j’aimais bien quand les autres rigolaient. L : Elle n’aime pas trop. G : Et si elle n’a pas un bon comportement à l’école, ou des mauvaises notes, qu’est-ce qui va se passer pour elle ? L : Elle a peur que ses parents la grondent. G : Qu’est-ce que c’est la chose qu’elle aime le plus à l’école ? L : La matière ou autre chose ? G : Les deux. L : Elle aime l’histoire/géographie et l’anglais et aussi, elle est fière d’être une étudiante. G : Qu’est-ce qui fait qu’elle se comporte bien en classe ? Qu’elle a un comportement correct ? Qu’elle respecte ? L : Dans la classe, il faut répéter la leçon et rester calme. G : Ses sœurs, elles veulent faire autres choses ? Elle veut faire comme ses parents, mais est-ce que ses sœurs veulent autres choses ? L : Elles ne parlent jamais de leurs rêves.

Guillaume Golay 99 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Ok. Dans sa maison il y a donc 6 personnes. Est-ce qu’il y a d’autres personnes, pas de sa famille par exemple ? L : Non. G : C’est maintenant elle qui peut me poser des questions, si elle veut savoir des choses sur moi ? Ma famille, mon pays ? Je lui ai posé des questions pendant 30 minutes alors elle peut m’interroger aussi ! L : Elle a peur de parler en français. G : Elle peut parler en malgache ! L : Est-ce que tu as des frères et sœurs ? G : Je lui montre le schéma de ma famille dans mon cahier et décrit chaque membre de ma famille. L : Est-ce que tu vis avec tes parents ? G : Non, j’habite dans la même ville que mon grand frère et mon petit frère et ma sœur habitent dans une autre ville. L : Est-ce que tu as des enfants ? G : Non, mais on verra. Inch’Allah.

8.3.7. Rahando Faneva

Rahando Faneva (R) – Entretien réalisé l’après-midi avec Haingo G : Salut, alors, tout d’abord j’ai besoin de savoir ton prénom ? R : Rahando G : Tu peux me dire comment on écrit ? R : RA-H-A-N-D-O F-A-N-E-V-A Rahando Faneva G : Et tu as quel âge? R : Troisième G : Non, ton âge? R : 17 ans G : Et tu habites dans quell village? R : Ambotomanga (c’est le village au bord de la route en fait) G : J’ai déjà entendu ça, c’est loin d’ici ? Tu viens comment à l’école ? R : À pied, sept minutes G : Mais c’est un autre village ? R : Oui, mais au bord de la route.

Guillaume Golay 100 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Est-ce qu’il a des frères et sœurs ? R : Oui G : Est-ce qu’il peut me décrire sa famille ? Qui est l’aîné etc. ? R : Il a une sœur G : Quel âge ? R : 23 G : Ensuite ? R : 19 G : Une fille ou un garçon ? R : Un frère G : Après il y a toi ? R : Oui G : Et il y a des plus petits ? R : Non c’est tout. G : Donc tu es le troisième ? R : Oui G : Il habite avec ses parents ? R : Non G : Avec ses frères ? R : Avec le frère de son père, son oncle, il habite avec son oncle G : Ses parents et ses autres frères, ils habitent où ? R : Ils habitent à Maroubisc (c’est ce que j’ai entendu, mais ce n’est certainement pas ça), c’est à 15km d’ici. G : Et avec son oncle, il y a combien de personnes qui habitent ? R : 6 G : Il y a son oncle, la femme de son oncle, trois enfants et lui ? R : Son oncle, la femme de son oncle, les deux enfants, lui et une personne qui aide G : Donc il y a deux choses, sa famille puis la famille dans laquelle il vit. Ses frères, ils ont été à l’école ? R : Non, aucun des deux. G : Et ses parents ? R : Son père est un chauffeur et sa mère est cultivatrice

Guillaume Golay 101 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Ils n’ont pas été à l’école ? R : Non, en fait son papa a été à l’école G : Il sait pourquoi ses frères n’ont pas été à l’école ? R : Car ils sont déjà mariés. G : Mais quand ils étaient petits ? R : Ils sont allés G : Jusqu’à quelle classe ? R : La sœur après le BAC et le frère après le collège. G : Et lui, pourquoi il a été vivre chez son oncle ? R : Ses parents ne peuvent pas continuer à payer ses études alors il va chez son oncle. - C’est la pause alors nous interrompons l’entretien pour reprendre après G : Donc, tu as dit que tu es parti, car tes parents ne pouvaient plus payer pour ton école, mais tu es parti à quelle classe ? R : Il est parti il y a quatre ans. G : Ah oui, j’ai oublié de demander au départ, est-ce qu’il a doublé des années ? R : Il a doublé T4 G : C’est tout ? R : Et la 3ème G : Donc c’est la deuxième fois qu’il fait la 3ème c’est ça ? R : Oui G : Et maintenant c’est ton oncle qui paie pour ton inscription ? R : Oui G : Et il paie aussi pour les fournitures ? R : Oui G : Qu’est-ce qu’il fait comme travail son oncle ? R : C’est un gérant d’une petite banque G : Ici à Anjiro ? - Dans un autre village, mais je n’ai pas compris G : Et la femme de son oncle ? R : C’est une commerçante G : Elle a un petit magasin ? R : Oui, un petit magasin, qui vend aussi de l’alcool

Guillaume Golay 102 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Un bar ? R : Oui, un bar G : A Anjiro ? R : Oui G : C’est quel bar ? R : À côté de l’autobus, de l’autre côté de la route G : Ok. Quand il rentre chez son oncle après l’école, qu’est-ce qu’il doit faire ? R : Il aide pour le bar G : Tous les jours ? R : Non pas tous les jours G : Est-ce qu’il peut détailler ? Seulement le weekend ? R : Oui, les weekends G : Qu’est-ce qu’il aime faire en dehors de l’école ? R : Football G : Comme moi. Avec les amis ? R : Oui G : Il joue où ? R : Dans le village où il y a ses parents. G : Il joue dans l’équipe là-bas ? R : Oui G : Est-ce que l’école c’est important pour lui ? Si oui pourquoi ? et si non pourquoi ? Il peut dire non ! R : Pour lui c’est très important, mais il a doublé donc il est un peu paresseux. Il commence à ne pas aimer la classe. G : Les autres personnes ou l’école ? R : L’école G : Qu’est-ce qu’il rêve de faire ? S’il peut choisir une chose ? R : Il rêve de travailler dans un bureau G : Il peut en dire plus ? En Suisse, tout le monde travaille dans un bureau alors cela peut être plein de choses… R : Secrétaire G : Mais cela ne lui donne pas de la motivation pour l’école s’il veut faire se travaille là ? Il dit qu’il n’a plus envie d’aller à l’école, mais qu’il veut faire un travail qui a besoin de l’école…

Guillaume Golay 103 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

R : Oui, ça lui donne des forces. G : Qu’est-ce qui se passe si un jour il ne va pas à l’école ? Il se lève le matin et il ne va pas et son oncle le sait ? R : Son oncle le gronde G : Et s’il a un mauvais comportement ou des mauvaises notes ? R : C’est seulement l’enseignant qui le gronde, mais il ne le dit pas à la maison G : Et s’il a des bonnes notes ? R : Ils ne regardent pas G : Est-ce que sa famille l’aide pour les révisions ou les devoirs ? R : Non G : Les enfants de son oncle, ils vont aussi à l’école ? R : Le fils ainé oui, mais pas le petit G : Ils ont quel âge ? R : L’un a 5 ans et l’autre 3 ans G : Qu’est-ce qu’il aime à l’école ? R : Jouer avec ses amis G : Si quelqu’un dans la classe dérange le prof, il pense quoi de ça ? (je pose la question, car il fait partie des rigolos de la classe) R : Ce n’est pas bon G : Mais pourquoi il le fait ? R : C’est une routine maintenant G : Est-ce que les autres dans la classe aiment quand il fait le fou ? R : Ils aiment bien ! G : Mais pourquoi les autres ne le font pas ? R : Les autres ont peur, mais lui il n’a pas peur G : Est-ce qu’il sait pourquoi des fois il respecte les règles, mais d’autres fois il ne respecte pas ? R : Cela dépend des profs, certains oui, certains non. G : Est-ce qu’il va continuer l’école l’année prochaine ? R : Oui G : Il va faire le BAC ? R : S’il réussit son collège cette année il va continuer sinon il va arrêter. G : Et qui va payer pour son lycée ?

Guillaume Golay 104 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

R : Son oncle G : Mais son oncle, cela ne le dérange pas s’il ne réussit pas l’année ? Il paie quand même ? R : Cela ne le dérange pas G : Merci beaucoup à lui, c’est maintenant son tour. S’il veut me poser des questions il peut, comme il veut. R : Est-ce que Mademoiselle Natacha est votre femme ? G : Non, nous sommes seulement dans la même classe. R : Quel est ton âge ? G : 27 ans G : Et toi, tu as une femme ? R : Seulement des copines ! G : Est-ce que c’est à cause des copines que tu ne travailles pas beaucoup ? - Il rigole et dit que non G : Merci à lui

8.3.8. Hasina

Hasina (H) - Entretien réalisé l’après-midi avec Haingo - L’enregistrement commence en retard. Il y a un problème, car Hasina dit qu’il a commencé l’école à 6 ans, mais comme il a maintenant 17 ans cela ne joue pas. H : il a redoublé des classes. G : Lesquelles ? H : T2 et T4 G : Est-ce que tu vis avec tes parents ? H : Il habite avec ses parents. G : Ici dans le village à Anjiro ? H : Oui, à Ambodimanga (le même quartier que Haingo, vers la route goudronnée) G : Alors, il habite avec sa famille. Quel est le travail de son papa ? H : Chauffeur G : Et il a quel âge ? H : 47 G : Et sa maman ? Elle a quel âge ? H : 35

Guillaume Golay 105 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Quel est son travail ? H : Cultivatrice G : Il y a combien d’enfants dans ta famille ? H : 5 G : Et tu es les combien-ème enfant ? H : Le deuxième G : Comme moi. Qui est le premier enfant ? H : Mossé G : Il a quel âge ? H : 19 G : Il a été à l’école ? H : Il est au lycée. G : Et après lui, il y a qui ? une petite sœur ? Un petit frère ? Dans sa famille H : Une sœur G : Elle a quel âge ? H : 15 G : Qu’est-ce qu’elle fait ? Elle va au CEG ? H : Elle va à l’école catholique. G : Après la sœur, il y a quoi ? H : Un garçon G : Il a quel âge ? H : 10 G : Et il va où à l’école ? H : À l’école catholique. G : Et enfin, il y a qui ? H : Un garçon G : Il a quel âge ? H : 2 ans G : Ok, il ne va pas à l’école. Et ton papa, il est chauffeur. Entre Tana et Moramanga ou autre chose ? H : C’est un chauffeur pour les citernes, les camions pour l’essence. Il part partout à Madagascar.

Guillaume Golay 106 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Donc il part beaucoup ? H : Cela dépend des routes et des destinations. Parfois c’est plus de trois jours. G : Et sa maman, elle cultive quoi ? H : Du blé, des légumes, mais elle ne vend pas. G : C’est seulement pour manger ? H : Oui G : Et du riz aussi ? H : Non. G : Qui paie pour l’école de tous les enfants ? H : Sa famille G : Est-ce qu’il y a d’autres personnes qui habitent avec eux ? Par exemple de la famille ? H : Pas de personnes. G : Est-ce qu’il y a une aide pour la cuisine, le ménage ? H : Il y a quelqu’un. G : Elle dort chez eux ? H : Elle rentre dans sa maison. - La traductrice (Haingo) répond à son téléphone G : Après l’école, ici tu es à l’école et tu rentres à la maison. Qu’est-ce que tu dois faire ? H : Il va chercher de l’eau. G : Tous les jours ? H : Oui G : Et ses frères et sœurs, qu’est-ce qu’ils font à la maison ? H : Sa petite sœur prépare le petit déjeuner et son petit frère ne fait rien. G : Et son grand frère ? H : Il est têtu. G : Il n’est pas là ? Il reste avec ses amis ? H : Oui G : Qu’est-ce qu’il aime faire en dehors de l’école ? H : Jouer au football G : Comme moi. Et il joue ici ? H : Oui G : Il joue tous les jours ?

Guillaume Golay 107 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ?

H : Tous les mercredis et les vendredis G : Avec l’équipe ici ? H : Avec des amis G : Combien il a de cahiers ? H : 15 G : Je pense qu’il vient à pied, que cela prend environ 20 minutes. Pourquoi il pense que l’école est importante pour lui, ou pas importante ? Il a le droit de dire que ce n’est pas important. H : C’est important. G : Pourquoi ? H : Il a des objectifs G : Lesquels ? H : Avec un diplôme G : Et avec le diplôme ? H : Chauffeur G : Comme son papa ? H : Oui G : Quel est ton rêve ? H : Chauffeur G : Qu’est-ce qui se passe s’il ne va pas à l’école ? S’il dit à sa maman : ce matin je ne vais pas à l’école ? H : Elle le gronde et elle ne le laisse pas rester à la maison. G : Est-ce qu’il aime venir à l’école ? H : Oui, il aime. G : Qu’est-ce qu’il aime ? H : Jouer avec ses amis G : Est-ce qu’il a des bonnes notes ? H : Il avait 9 de moyenne. G : Donc certaines disciplines ça va, mais d’autres c’est difficile. Donc il a des notes difficiles. Avec ces notes, il ne peut pas réussir le BAC c’est ça ? Il faut combien ? H : Il faut 10. G : Et cela lui donne de la force pour travailler plus pour réussir ? H : Oui

Guillaume Golay 108 Juin 2019 HEPL – Master Secondaire I La motivation scolaire des jeunes dans les pays en voie de développement: mythe ou réalité ? G : Et dans la classe, qu’est-ce qu’il pense quand quelqu’un fait rigoler tout le monde ? (il fait partie de ces gens-là) H : Je fais beaucoup rigoler les autres. G : Oui, ce n’est pas un problème pour moi, car j’aimais aussi beaucoup faire rigoler les autres. Mais je pense que si j’ai des bonnes notes, je peux faire rigoler les autres. Mais pourquoi il fait des blagues si les notes sont difficiles ? H : Il dit qu’il va changer. G : Je ne lui demande pas de changer ! Je veux savoir pourquoi il préfère faire rigoler les autres plutôt que travailler ? Qu’est-ce qui le motive ? H : C’est ses amis qui lui donne envie de rigoler. G : Il n’a pas peur des sanctions et des punitions ? H : Un petit peu. G : Et à la maison ? Qu’est-ce qu’ils disent s’ils savent ? H : Sa mère le frappe. G : Est-ce qu’il rigole dans toutes les disciplines ou seulement quelques profs ? H : Seulement quelques profs. G : L’année prochaine il va continuer l’école ? H : Oui G : Jusqu’à quelle classe ? H : Jusqu’à l’Université à Antananarivo. G : Merci à lui, c’est maintenant son tour de pouvoir me poser des questions s’il ne désir. Tout ce qu’il veut. H : Quel âge as-tu ? G : 27 ans H : Est-ce que tu es déjà marié ? G : Non, j’ai une amie en Suisse, mais je ne suis pas marié. H : Qu’est-ce que tu rêves de faire ? G : Quand j’étais plus jeune, je voulais faire du football, seulement du football. Après, cela change. Je veux seulement être heureux, avoir une famille. H : Il veut savoir comment est ma famille. G : Je lui montre un schéma de ma famille et décrit chacune des personnes. H : Il a fini. G : Merci beaucoup.

Guillaume Golay 109 Juin 2019

Résumé

En parallèle du cours MSISO35 – Échange interculturel avec Madagascar de la HEPL, ce mémoire a été réalisé pour chercher à approfondir les rapports des familles malgaches à la scolarité. Profitant du contexte de ce cours, une démarche ethnographique a été testée, en immersion dans le quotidien d’une enseignante malgache. Les travaux se sont déroulés sur une période de dix jours dans le collège de la commune de Sabotsy-Anjiro, commune rural située au bord de la RN2 entre Antananarivo et Moramanga.

Après une période d’observation et de prise d’informations, il a été décidé de travailler autour des perceptions de l’école et des stratégies familiales qui agissent sur les élèves en faveur ou en défaveur de leur scolarité. En effet, le contexte de l’école secondaire malgache est marqué par une déscolarisation massive des élèves en raison principalement des coûts financiers. Les élèves qui poursuivent leur scolarité au-delà du primaire sont alors impliqués dans des réflexions complexes de la part des familles afin de maintenir l’équilibre financier et la répartition des tâches. Alors que les taux de scolarisation du secondaire sont en constante augmentation, les débouchées pour les jeunes des régions rurales restent faibles, ce qui implique une forte reproduction sociale et une faible utilisation des savoirs et des compétences scolaires. Ce travail interroge donc le paradoxe des familles qui investissent beaucoup dans la scolarité de leurs enfants en étant conscientes que les chances de diversification ou d’ascension sociale sont faibles. De plus, il questionne la motivation des élèves dans le cadre plus large des pays en voie de développement, car elle apparaît fréquemment dans le débat public comme étant supérieur à celle des élèves européens.

Des entretiens ont été réalisés avec des élèves de troisième année et des personnes ressources. Ainsi, il ressort que des organisations familiales complexes sont identifiées pour permettre la scolarisation de certains enfants, parfois au dépend d’autres membres de la fratrie. Aussi, l’obtention d’un diplôme secondaire ou tertiaire est particulièrement valorisée par les familles qui cherchent à montrer qu’elles font le maximum pour leurs enfants. Pour ce qui est de la motivation, il convient effectivement de nuancer les stéréotypes puisque des situations d’élèves déviants ou quittant leur scolarité sont également observées.

Mots Clés :

Madagascar – déscolarisation – motivation – stratégies familiales – école secondaire - rural