Les Demoiselles De Saint-Germain
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EN MARGE DE l'HISTOIRE LES DEMOISELLES DE SAINT-GERMAIN De la terrasse des Bories, avec un ciel clair, et un peu de bonne volonté, je puis, en un tour d'horizon, évoquer les mânes de cinq maréchaux de l'Empire. Vers l'Est le petit château de Bessonies où les sbires de la Restauration vinrent arrêter Ney; au Nord, la Bas• tide Murât — son nom dit tout ; à l'Ouest, Prayssac, puis Lectoure où naquirent Bessières et Lannes; enfin, sous mon propre toit, les archives de mon grand-oncle, le prince Joseph, qui scella de sa mort, à Leipzig, la dignité dont il venait d'être investi. C'est, l'été dernier, à la suite d'une rencontre avec le comte Jean de Valon, que mon attention fut attirée sur les richesses de sette contribution régionale à la petite et à la grande Histoire où viendraient même s'insérer en second plan les quatre cents coups de Lasalle, en garnison à Cahors, vers 1802, et les « loufoqueries » de Fournier-Sarlovèze, natif de Sarlat, qui, périodiquement ren• voyé des armées, tuait le temps, son pistolet d'ordonnance en main, avec, pour cible, la girouette du clocher paroissial. Comme nous faisions les cent pas, mon compagnon se prit à me parler des siens, entre autres de son arrière-grand-père, et des rapports que celui-ci avait eus avec l'abbé Murât... — L'abbé Murât ?... — Oui, le futur roi de Naples, qui sortait dans notre famille d'abord quand il était au collège de Cahors, puis au grand séminaire de Toulouse dont il s'échappa pour joindre finalement la Garde constitutionnelle de Louis XVI... Les Murât n'étaient pas des paysans, encore moins les aubergistes de la légende ; ils avaient du LES DEMOISELLES DE SAINT-GERMAIN 595 bien et quatre fois par an les cultivateurs de la région venant aux assemblées dételaient chez eux y apportant leur nourriture. C'est là sans doute l'origine de la légende. Joachim, le séminariste, étant le plus jeune avait été destiné, comme dans beaucoup de familles, au clergé. Au lieu d'être curé à vingt-cinq ans, il était aide de camp de Bonaparte alors que ses frères demeuraient au foyer. Ce fut l'extraordinaire fortune du cadet qui valut à la Bastide Fortunière d'être rebaptisée « La Bastide Murât ». Quelques jours après j'attaquais les archives de la bibliothèque de Cahors où foisonnent des pièces de toutes catégories se rappor• tant au passé du terroir et, me constituant tout d'abord un dossier « Murât », j'étais bientôt à même d'amplifier et, par endroits, de rectifier les données forcément sommaires recueillies pendant ce court entretien. * * Les Murât avaient certainement connu de meilleurs jours que ceux de cette misérable fin du xvme siècle qui les trouvait en condition assez réduite, la maison de modeste apparence est encore là pour en témoigner, comme pour témoigner aussi de son absolue inaptitude à ce rôle hypothétique d'auberge. Dans les registres de l'église de La Bastide on ne peut re• monter au-delà de 1630, date à laquelle cette famille est classifiée « bourgeoise ». La Bastide Fortunière est une déformation de La Bastide For- tanière, du nom de son fondateur, Fortanier de Gourdon, massacré ainsi que deux de ses fils par Richard Cœur-de-Lion que Gontran, troisième fils de Fortanier, tuera d'une de ses flèches au siège de Châlus le 16 avril 1199. A partir de 1737 Pierre Murât et Jeanne Loubières occupaient dans la localité une place importante, bruyante en tous cas, avec une douzaine d'enfants dont nous ne retiendrons que trois. D'abord l'aîné, André, né en 1760, père de Clotilde et de Gaétan, lequel entrera dans le cycle napoléonien en épousant Pauline de Méneval. Ils auront deux enfants, Napoléone, qui en 1854 épousera le marquis du Tillet, et un fils, le comte Murât, que j'ai connu, et qui aura pour enfants la comtesse de Gouvion Saint-Cyr, mon cama• rade de jeunesse Joachim, Mme Paul Lebaudy et Mlle Murât qui habite, de nos jours, alternativement le château de La Bastide et celui de Cabrerets. 596 LA REVUE Vient ensuite un plus jeune frère Pierre, qui, par son mariage en 1782 avec Louise d'Astorg, apporte la preuve que, même ébranlé, le statut de la famille se prêtait à une telle alliance. Louise, fille d'Aymon d'Astorg et de Marie Alanyou, avait pour grand-mère Louise de Valon, elle-même arrière-petite-fille de Nicolas de Montai et de Louise de Gourdon de Genouillac, c'est-à-dire la meil• leure noblesse du pays, alliée aux Durfort et aux Crussol. Un ancêtre d'Aymon, Aymeric d'Astorg, avait accompagné Raymond, comte de Toulouse, en Terre Sainte au xie siècle, lors de la première Croisade. Entre membres de la noblesse et membres de vieille souche ter• rienne de telles alliances n'étaient pas exceptionnelles dans ces ré• gions isolées du centre de la France ; elles rajeunissaient l'une et mûrissaient l'autre, à la convenance des deux. Assez curieusement, tandis qu'à Joachim, né le sixième du lot le 25 mars 1767, il appartiendra de donner, du jour au lendemain, à ce nom de Murât un lustre sans pareil, la descendance de Pierre qui, lui, demeure au logis, contribuera de façon aussi brillante qu'im• prévue, à son éventuelle illustration. Il faudrait pour le conter un décor de féerie impliquant un village accroché au flanc d'une de nos combes ou perdu au fond des bois ; la vérité m'oblige à reconnaître que La Bastide assez prosaïquement répandue sur son plateau ne nous fournit pas une mise en scène adé• quate. / Mais les acteurs sont là. D'abord, imprimant au récit son sens dramatique, voici que Pierre meurt le 10 octobre 1792, laissant à sa jeune femme la charge d'un fils en bas âge, Jean-Adrien, mais aussi la promesse d'une naissance imminente qui se réalisera dans les trois mois, exactement le 3 janvier 1793, les registres de l'église nous révélant qu'il s'agis• sait d'une enfant du sexe féminin, baptisée le lendemain, avec pour parrain son oncle Géraud d'Astorg et pour marraine la sœur de son père, Antoinette, dont elle portera le nom. De quelque part, au service, Joachim écrit aussitôt à Louise promettant son appui, lui exprimant toute sa peine qui est pro• fonde, car Pierre était son frère préféré, mais en 1793 que pouvait-il faire pour eux ? Il tiendra parole cependant, quand viendra son heure, et s'occu• pera des orphelins pour le malheur de l'un et le bonheur de l'autre ; car, le 21 octobre 1803, à Trafalgar, on relèvera le nom de Jean- Adrien parmi les morts du Redoutable sur lequel il venait d'em- LES DEMOISELLES DE SAINT-GERMAIN 597 barquer grâce à l'intervention de l'oncle Joachim promu, le 5 janvier précédent, Grand Amiral de l'Empire. Ne désespérez jamais d'atteindre un jour au fond de toutes choses 1 J'ai dû attendre ma quatre-vingt-dixième année pour ap• prendre, en l'espace de trois semaines, d'abord que Murât avait porté soutane, puis que Napoléon avait un jour confié à cet excellent cavalier le commandement suprême de nos forces navales (1). S'il faut en croire la légende, la responsabilité morale de la fin tragique de son neveu avait dû peser lourdement sur sa conscience et sur sa sensibilité pour que Murât s'en soit ouvert à l'Empereur qui le voyait, quelques jours après Austerlitz, bouleversé à la lec• ture d'un pli par lequel il venait d'apprendre la mort de ce gamin de seize ans, tué à l'ennemi, par sa faute, bouleversé aussi à la pensée de Louise qu'il aimait tendrement, enfin d'Antoinette, seule survi• vante de cette branche de la famille dont il énumérait à Napoléon la précieuse ascendance. — Envoyez-la à Saint-Germain... — Elle y est depuis deux ans... — Alors, je la verrai sous peu. Comment Napoléon, qu'absorbent les négociations en cours du traité de paix avec l'Autriche, peut-il même penser à Saint-Ger• main ? Et d'abord qu'est-ce que Saint-Germain ? En quelques lignes nous allons vous l'apprendre. * Le fait que la jeune femme du maréchal Lefebvre, encore récem• ment blanchisseuse, ait servi de modèle à Victorien Sardou pour sa célèbre pièce Madame Sans-Gêne, a laissé à beaucoup l'impression qu'elle synthétisait le type des femmes de la Cour de Napoléon 1er. Rien ne serait moins exact. C'est, à quelques exceptions près, grâce à l'excellente éducation des jeunes filles auxquelles il maria ses maréchaux que Napoléon put se constituer aussi rapidement une noblesse improvisée à la bonne tenue de laquelle seuls ses com• pagnons d'armes eurent quelque peine à s'adapter. Dans une même pépinière, sous son influence dominatrice et, . le plus souvent, par son intervention personnelle, furent sélection- ci) Cette dignité rétablie en faveur de Murât, à la Teille de la grande concentration du Camp de Boulogne, laisse l'impression que, voulant donner à son beau-frère le comman• dement du corps de débarquement, il avait résolu de grouser sous ses ordres la totalité des force» qui devaient y participer. 598 LA REVUE nées la plupart des duchesses et princesses de l'Empire, résultat d'un premier contact établi, dès l'an IV, avec Mme Campan, à la veille de son départ pour l'armée d'Italie. Il venait d'épouser Joséphine et celle-ci, dès le lendemain, l'avait emmené à Saint-Germain où Henriette Campan, ci-devant lectrice de Mesdames filles de Louis XV, et pendant vingt ans atta• chée à Marie-Antoinette, tenait dans l'ancien Hôtel de Rohan un pensionnat qui comptait une centaine d'élèves, parmi lesquelles Hortense.