Renseignements généraux politburo Christian Blanc raconté par Patrick Braouezec Les cigares du pharaon L’ancien député maire de Saint-Denis, Patrick Braouezec, aujourd’hui président de Plaine Commune, a rencontré Christian Blanc pour la première fois en 1991, quand ce dernier était président de la RATP. Il fumait déjà un de ces cigares qui le perdront quand il sera secrétaire d’État sous Sarkozy. Mais entre le communiste refondateur et le centriste au passé gauchiste, une étrange amitié se noue.

illustrations Isaac Bonan

uai des Grands Augustins, un après- Au nom sans doute de la fameuse courroie de transmis- midi d’octobre 1991, Jack Ralite et moi sion. Mauvaise pioche ! Ni Jack, ni moi, plutôt en disgrâce arrivons, par un dédale de couloirs avec l’appareil du Parti, n’avons la moindre influence sur dont je n’ai aucun souvenir, dans un un syndicat très suspicieux envers les « refondateurs ». Q bureau vaste et sombre. Derrière une Nous profitons néanmoins de cette rencontre : Jack table de travail, un homme se lève – pour défendre le prolongement de la ligne 12 du métro grand, svelte, élégant. Il a l’allure de celui qui ne doute pas jusqu’à la mairie d’Aubervilliers, moi, maire depuis peu, de lui-même. Christian Blanc se présente, un gros cigare pour le dédoublement de la ligne 13. Un drôle d’échange aux lèvres. Avant cette rencontre, je ne le connaissais que s’installe. À nos questions, Christian Blanc répond sans par les médias et le rôle qu’il avait joué en Nouvelle-Calé- se départir ni de sa nonchalance, ni de son cigare, en donie dans sa « mission du dialogue » pour trouver une ouvrant à peine la bouche ; dans un murmure presque solution au conflit qui secouait l’île. J’en avais gardé une inaudible comme s’il se parlait à lui-même. Parfois un certaine impression que ce premier échange de politesse sourire éclaire son visage, son regard se perd souvent ne fit que confirmer. au-delà du bureau. Intimidé, je n’ose lui demander de Ce jour-là, c’est dans sa fonction de président de la RATP parler plus fort. Pas plus que Jack, en dépit de son passé que nous le rencontrons. Lui nous reçoit pour savoir si d’ancien ministre. Une fois sur le trottoir, nous rions tous nous pouvons l’aider, en tant que maires communistes, à les deux d’une réunion dont ni l’un, ni l’autre, ne peuvent pacifier les relations avec la CGT au sein de l’entreprise. dire ce qu’il en a retenu. Une fois seul, j’ai conscience

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« C’est bien longtemps après que j’apprendrai son passé de responsable de l’UNEF où il rencontre , de président de la MNEF, son engagement révolutionnaire aux côtés de Pierre Goldman et surtout une formation à Cuba en 1967 ! »

d’avoir fait la connaissance de ce que l’on appelle « un Ce même cigare (ou sans doute son frère) qui lui vaudra l’homme sait entendre et intégrer les grand commis de l’État ». Mais après en avoir rencontrés des misères et l’emportera « gouvernablement » parlant. idées de ses interlocuteurs, comme de d’autres, je me suis rendu compte que Christian Blanc était Il expose le projet du Grand Paris, dont il assume plei- ceux qui ont l’honneur de travailler à une personnalité en dehors des codes : avec un détache- nement la responsabilité, sans passion, mais avec déter- ses côtés. ment apparent très maîtrisé, un atypisme émanant sans mination. De nombreuses rencontres suivront autour Sur mon banc à l’Assemblée nationale, doute d’un parcours lui-même atypique, une liberté de du projet territorial de Plaine Commune. J’apprends à poste d’observation privilégié des ton et d’attitude peu fréquente chez ces grands commis. connaître le vrai Christian Blanc, l’homme de culture, son membres du gouvernement, je le C’est bien longtemps après que j’apprendrai son passé de intelligence réactive où se mêlent doutes et certitudes, le voyais durant les questions au gou- responsable de l’UNEF où il rencontre Michel Rocard, de visionnaire (même si sa vision du Grand Paris n’est pas la vernement, les mardis et mercredis, président de la MNEF, son engagement révolutionnaire mienne) mais surtout l’homme de dialogue sensible aux tantôt amusé par les passes d’armes aux côtés de Pierre Goldman et surtout une formation à arguments de l’autre, parfois provocateur, mais jamais entre les députés, parfois irrité de Cuba en 1967 ! méprisant. tant de pratiques de politique poli- Diable ! Le personnage est complexe. Par quel chemin Il fait partie de ces rares politiques, sans doute grâce à ticienne, le plus souvent perdu dans est-il passé pour devenir député apparenté UDF des sa propre histoire, qui font fi de l’étiquette politique de ses pensées, tentant de s’abstraire et ministre de Sarkozy ? À cette question, leurs interlocuteurs, bien plus attentifs à ce qu’ils disent de cette mascarade médiatique et même seize ans plus tard, je ne trouve pas la réponse. et font. Parfois, dans le débat, il témoigne d'un soupçon stérile, si éloignée du vrai débat par- Entre-temps, l’homme a poursuivi sa carrière : président d'agacement, d'un ton cassant, mais très vite la bonhomie lementaire. d’Air dont il démissionne en 1997, en conflit avec reprend le dessus, et le dialogue se poursuit. L’homme est Démissionnant de son poste de mon « camarade », ministre des Transports, Jean-Claude conscient qu’il suscite l’intérêt chez certains, le rejet chez secrétaire d’État (car c’est bien Gayssot. Il s’éloigne ensuite de l’Hexagone (Middle East d’autres. Il n’en a que faire et ne se prête ni aux compro- connu « fumer tue »), ne briguant Airlines, Start-ups…), avant d’y revenir, mais sur la scène missions, ni aux petits arrangements. Il plaît, tant mieux. aucun autre mandat, retiré de la vie politique cette fois. Il déplaît, tant pis. publique, il n’en reste pas moins, pour Deuxième rencontre à sa demande alors qu’il vient d’être Rares sont celles et ceux qui comme lui suscitent et entre- ceux qui apprécient l'intelligence, un nommé secrétaire d’État au Développement de la région tiennent une vraie réflexion, une vraie pensée, dans un homme avec qui il est bon de partager capitale. échange fertile. Et de notre première rencontre où il sou- un verre ou un repas… à condition bien sûr L’homme a peu changé. Les tempes grisonnantes, un haitait réaliser sur Plaine Commune « un cluster des indus- de bien tendre l’oreille. Sourd s’abstenir ! Et début d’embonpoint n’ont pas entaché l’allure du sexagé- tries de la création » avec à sa tête un établissement public, qu’importe que la vie politique se fasse sans lui, naire qu’il est devenu. La même nonchalance que certains naîtra « un territoire des activités culturelles et créatives » il aime à l’observer, à la commenter même de loin. interprètent comme une distance hautaine, le même gros autour d’un « contrat de développement territorial », preuve Car il le sait mieux que quiconque : « The show must

cigare qui, malgré la loi, empeste le bureau où il me reçoit. que, derrière quelques certitudes non négociables, © i saac bonan go on. » —

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