Le Français De Tunisie. Normes Ou Formes Endogènes
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
Présence Francophone: Revue internationale de langue et de littérature Volume 76 Number 1 Des normes endogènes légitimées Article 6 par la pratique littéraire 6-1-2011 Le français de Tunisie. Normes ou formes endogènes Foued Laroussi Université de Rouen Follow this and additional works at: https://crossworks.holycross.edu/pf Part of the African History Commons, African Languages and Societies Commons, African Studies Commons, French and Francophone Language and Literature Commons, Linguistic Anthropology Commons, and the Social and Cultural Anthropology Commons Recommended Citation Laroussi, Foued (2011) "Le français de Tunisie. Normes ou formes endogènes," Présence Francophone: Revue internationale de langue et de littérature: Vol. 76 : No. 1 , Article 6. Available at: https://crossworks.holycross.edu/pf/vol76/iss1/6 This Dossier is brought to you for free and open access by CrossWorks. It has been accepted for inclusion in Présence Francophone: Revue internationale de langue et de littérature by an authorized editor of CrossWorks. Laroussi: Le français de Tunisie 40 Foued LAROUSSI Université de Rouen Le français de Tunisie. Normes ou formes endogènes Résumé : L’article traite de quelques aspects lexicaux et morphosyntaxiques du français de Tunisie à partir d’exemples extraits d’ouvrages littéraires et d’organes de presse. Il s’agit pour la plupart de lexies empruntées à l’arabe tunisien et dont certaines sont attestées par le français de référence. Le débat sur le français de Tunisie s’inscrit aussi dans un contexte sociolinguistique plurilingue dans lequel les usagers adoptent à son égard des positions différentes, voire antagoniques. Si certains tentent de légitimer une norme endogène, d’autres restent attachés à la norme exogène qu’ils considèrent comme la référence, surtout au sein de l’école. Emprunt, français de référence, français de Tunisie, normes endogènes, particularités lexicales, plurilinguisme, polynomie Introduction a présence étrangère en Tunisie, élément constitutif de l’identité Ldu pays, est historiquement ancrée. Toutefois, en l’espace de quelques décennies, les rapports au passé, aux langues, aux cultures et au mythe ont profondément changé. La place de l’arabe est devenue plus dominante dans de nombreux secteurs de la vie quotidienne ; les rapports au français ne sont plus perçus et ne se gèrent plus de la même façon qu’au lendemain de l’indépendance du pays. L’anglais est de plus en plus convoité par les jeunes et sa pratique concurrence celle du français. Mais ce dernier, fortement enraciné au niveau institutionnel, médium d’enseignement et surtout principale langue des ressortissants tunisiens en Europe, son effacement du paysage sociolinguistique tunisien n’est pas pour demain. Grâce à l’immigration maghrébine, trait d’union entre les rives nord et sud de la Méditerranée qui participe à l’enrichissement des répertoires verbaux, le français occupera encore une bonne place en Tunisie. La construction des identités langagières, loin d’être une opération exclusivement linguistique reposant sur une « bonne » ou une Présence Francophone, no 76, 011 Published by CrossWorks, 2011 1 Présence Francophone: Revue internationale de langue et de littérature, Vol. 76, No. 1 [2011], Art. 6 Le français de Tunisie. Normes ou formes endogènes 4 « mauvaise » maîtrise du code linguistique, dépend profondément des rapports de force au sein de la société tunisienne. La question « qui parle quelle langue ? » est transcendée par d’autres questions : « qui est qui ? » et « qui détient quel statut social ? ». Considérations glottopolitiques Peut-on éviter la question de la norme quand on étudie la variabilité du français en Tunisie ? Assiste-t-on à des processus de valorisation des différences pour en faire des éléments d’individuation sociolinguistique ou, au contraire, constate-t-on des attitudes stigmatisant les normes endogènes ? Les formes d’appropriation du français par les Tunisiens francophones réfèrent-elles à des normes endogènes ou valorisent-elles la norme du français de référence, au sens de Michel Francard et al. (000 et 00) ? Malgré les spécificités phonétiques, lexicales et morphosyntaxiques du français de Tunisie, l’idéologie linguistique dominante reste majoritairement réfractaire au syntagme « français tunisien » car, dit-on, il serait perçu comme un français « marginalisé » par rapport au français de référence. Pour cerner la variabilité du français de Tunisie, il faut s’interroger sur les instances de réglage qui pèsent sur les pratiques langagières. Quelles sont ces instances et comment fonctionnent-elles ? Si les langues sont entre autres enjeux de pouvoirs institutionnels, le système éducatif tunisien serait-il prêt à concevoir une didactique du français fondée sur la prise en compte de la norme endogène ? Usagers et décideurs tunisiens sont-ils prêts à accepter une norme endogène et à en tenir compte dans leur conception de l’enseignement du français ? Aussi cela implique-t-il, au sein de l’espace francophone, la reconnaissance de variétés considérées jusque-là comme des écarts par rapport à la norme de référence. Partant, cette reconnaissance ne conduirait-elle pas à la mise en cause de l’hégémonie de la norme exogène, n’instaurerait-elle pas de nouveaux rapports entre le centre et la périphérie et ne substituerait-elle pas à la notion d’espace francophone celle de « polyfrancophonie », au sens d’Yves Gambier et al. (99) ? La conception de l’espace francophone peut-elle être fondée sur la notion de polynomie, au sens de Jean-Baptiste Marcellesi (99) ? Deux précisions sont https://crossworks.holycross.edu/pf/vol76/iss1/6 2 Laroussi: Le français de Tunisie 4 Foued Laroussi d'entrée de jeu nécessaires à la réflexion théorique : d’abord, la notion de polynomie est différente de celle des normes multiples, car elle implique une « échelle de polynomisation » (Gambier, 99) ; ensuite, toute variation n’infère pas la polynomie qui appelle systématiquement la notion d’intertolérance linguistique, notion qui ne doit pas être confondue avec une vision consensuelle des pratiques langagières. L’adoption d’une démarche polynomique pour l’étude du français de Tunisie conduit à s’interroger sur les rapports qu’il entretient avec les autres langues en place, sur le rôle qu’il joue en Tunisie et sur la façon dont il est perçu par les usagers. Pourquoi les uns le considèrent-ils comme un instrument d’ouverture sur le monde alors que les autres le perçoivent comme une ancienne langue coloniale ? Comment analyser les figements identitaires dans un pays où, paradoxalement, se dessinent des mouvements d’ouverture sur l’autre et de repli sur soi ? Dans un tel contexte, des questions élémentaires en apparence telles que « qu’est-ce qu’un Tunisien francophone ? » et « qui parle le français en Tunisie ? » soulèvent immédiatement des difficultés insolubles, parce que liées à l’identification des langues et aux enjeux sociaux du conflit linguistique. Endogénéité, endogénéisation, particularismes La norme linguistique est une abstraction construite sur un système de représentations sociales et élaborée par idéalisation des usages linguistiques des groupes socio-culturellement hégémoniques. Elle constitue un aspect particulier des normes sociales, dans la mesure où la langue elle-même est régie par un ensemble de règles variables en fonction du contexte, du milieu et des usages. Plusieurs niveaux de langue coexistent, sont enchevêtrés et impliquent des normes multiples, bien qu’au niveau scolaire, les acteurs du système éducatif tunisien ne reconnaissent que la norme académique du français de référence. Le concept de « normes endogènes » est attribué à Gabriel Manessy (994 ; 995) qui a constaté, à partir de ses recherches en Afrique, l’émergence de formes locales du français ; ce constat l’a conduit à élaborer son concept en se fondant sur des critères linguistiques et sociaux. Pour lui, la norme endogène n’existe que dans un rapport interactif avec la norme exogène qui sert de référence. En Tunisie, malgré l’existence d’un écart important entre Published by CrossWorks, 2011 3 Présence Francophone: Revue internationale de langue et de littérature, Vol. 76, No. 1 [2011], Art. 6 Le français de Tunisie. Normes ou formes endogènes 4 la norme endogène et la norme de référence, c’est celle-ci qui est enseignée à l’école pour les raisons évoquées plus haut. L’utilisation des particularités lexicales par des écrivains francophones ne change rien à la donne, puisque le milieu scolaire tunisien se réfère à la seule norme académique. Selon moi, les deux normes (endogène et exogène) ne doivent pas être envisagées dans un rapport conflictuel (l’existence de l’une n’exclut pas celle de l’autre), mais dans un rapport de complémentarité. La reconnaissance de la norme endogène du français de Tunisie pourrait constituer une avancée, voire un atout pour la didactique du français en permettant, par exemple, de réduire autant que faire se peut l’effet de l’insécurité linguistique des écoliers tunisiens. Aussi le recours à la norme endogène par la presse écrite et la littérature tunisienne de langue française lui confère une certaine légitimité, ce qui ne signifie pas une légitimation d’une sous-norme qui serait le produit d’une « mauvaise » appropriation de la norme exogène. Il s’agit plutôt d’une appropriation fondée sur la diversité culturelle et linguistique qui ne conduit nullement à l’appauvrissement du français, mais à son enrichissement. Le statut du français de Tunisie Quiconque s’intéresse au discours que les Tunisiens portent sur le