Madagascar an I
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LES DÉBUTS D'UNE RÉPUBLIQUE AUSTRALE MADAGASCAR AN I Madagascar a été le premier des territoires d'outre-mer d'expres• sion française à proclamer la République. En se rendant au mois d'octobre en voyage officiel à Paris, son président, M. Philibert Tsiranana, a inauguré la série des visites que doivent accomplir successivement lés douze chefs d'Etat de la Communauté. M. Tsira• nana est un homme heureux. Il faut l'avoir vu à Tananarive, au matin du 30 juillet, dévoiler la stèle commémorative érigée place de l'Indépendance pour comprendre à quel point il se trouve comblé. « Père de l'Indépendance », ce titre que tous les hommes d'Etat africains'ont rêvé de porter, le Président malgache peut s'en glorifier, sans que personne dans la Grande Ile, en dehors des extrémistes, songe à le lui contester. Son mérite n'est pas mince depuis que, ex-député à l'Assemblée française, il détient à Tananarive le pouvoir exécutif, d'avoir gouverné par la sagesse et fait entrer Madagascar dans le concert des nations. On lui sait gré aussi, alors que tant d'autres dirigeants nationalistes attisent ailleurs le chauvinisme et la xénophobie, d'avoir, nationaliste lui-même, proclamé sa fidélité à la France. ' N'hésitons pas à l'affirmer, soixante-quinze ans de vie commune ont tissé entre elle et la Grande Ile les liens d'une « fraternité du sang » qui ne se dénoueront pas de sitôt. « Nous sommes très fiers de l'indépendance et fort heureux de vous revoir », m'a dit un notable tananarivien, tandis que nous admirions de compagnie le merveilleux décor de collines ocrées qui ceinture le palais de la Reine, paré des drapeaux blanc, vert, rouge, du nouvel Etat malgache. C'est sur cet historique rocher d'Analamanga, témoin d'un passé glorieux, que l'étonnant premier ministre Rainilaia- rivony, pour mieux gouverner Madagascar, épousa successivement trois souveraines. 442 MADAGASCAR AN I On voudra bien m'en croire, la simple phrase de mon interlo• cuteur improvisé n'était pas seulement de politesse. Elle résume assez exactement les sentiments mélangés d'un grand nombre d'autochtones qui, tout en éprouvant une attraction très vive pour la pensée française, n'en ont pas moins le désir intime de s'affir• mer par l'autonomie. La joie de tous n'allait pourtant pas, en cette journée exaltante de renouveau, sans un peu de mélancolie et peut-être d'appréhension, que la discrétion habituelle aux Mal• gaches s'efforçait de dissimuler. Beaucoup se disaient sans doute que si un demi-siècle de présence française avait finalement été bénéfique, si le président Tsiranana avait obtenu la pleine, réali• sation de son programme, sans troubles intérieurs et dans le maintien de l'amitié avec la France, Madagascar, désormais, allait devoir affronter seule son avenir. La brume qui enveloppait Tananarive depuis l'aube s'était soudain levée, bien que la lumière du soleil matinal ne diminuât en rien le froid de l'hiver austral. Soixante-douze délégations étrangères, dont la délégation française que présidait M. Michel Debré, entouraient le gouvernement malgache ainsi que son Pré• sident, rayonnant de joie et de bonhomie. Derrière la stèle — une pierre de granit bleu que les Malgaches appellent vatolahy — étaient parqués deux bœufs gras en signe d'offrande, selon la coutume de l'ancienne monarchie qui voulait que les souverains merina offrissent au peuple un sacrifice lors des réjouissances populaires. M. Tsiranana ne manqua pas toutefois de faire observer dans sa brève allocution que, si les deux ruminants, parés d'ornements et de rubans aux couleurs de la jeune République, participaient très involontairement à ce grand événement, il ne s'ensuivait pas qu'ils seraient immolés devant la foule, comme ils l'eussent été à coup sûr jadis. Car, dit-il, « s'il est naturel que nous appliquions la coutume de nos ancêtres, il ne faudrait pas que les personnes peu informées de notre style de vie nous tiennent pour des conser• vateurs attardés, c'est-à-dire rétrogrades, dans les temps que nous vivons ». Sans doute le Président voulait-il marquer par là que le temps de la civilisation des ancêtres, le temps des « ray aman- dreny » (1), cher au cœur de ses compatriotes, était passé. Ce qui (1) Littéralement, père et mère, en tant que chefs et protecteurs. Les iMalgaches emploient communément cette expression, pour désigner leurs maîtres, leurs représentants dans les assemblées, leurs pasteurs catholiques ou protestants,1 de même qu'Us désignaient ainsi naguère les agents de l'administration autochtone et française MADAGASCAR AN ï 443 signifie que, si les Malgaches veulent participer à la vie mondiale et demeurer maîtres de leur destin, ils doivent évoluer rapidement et se conformer sans hésiter aux techniques modernes du progrès. Un défilé suivit, avenue de l'Indépendance, ancienne avenue de la Libération, où flottaient au vent, à la place d'honneur, le drapeau de la Communauté et les oriflammes des soixante-douze nations représentées. Sur un vaste podium, édifié le long de l'esplanade de l'Hôtel de Ville, avaient pris place, aux côtés du gouvernement malgache, les délégués des pays invités, parmi lesquels de nombreux Africains, noirs et blancs, quelques-uns drapés de resplendissants burnous. On remarquait aussi les membres de la hiérarchie, les représentants des Eglises protestantes, ainsi que diverses personnalités interna• tionales. La délégation soviétique, qu'un Ilyouchine spécial avait amenée la veille à Arivonimana, suscitait, on s'en doute, une curiosité particulière. La foule, d'abord digne et réservée, devenait de plus en plus chaleureuse et les applaudissements éclatèrent lorsque le président Tsiranana passa les troupes en revue. On vit s'avancer alors la jeune armée malgache, précédée d',nn officier ancien élève de Saint-Cyr et porteur de nos décorations : le colonel Ramanantsoa. Le défilé des anciens combattants souleva l'enthou• siasme, et les ombrelles des jeunes femmes ho va, si gracieuses dans leurs lamba blancs, se mirent à virevolter lorsque ces vaillants soldats passèrent crânement devant le podium, les porte-drapeaux en tête, avec leurs bannières malgaches et françaises. Peu à peu, les visages s'épanouissaient et l'on assistait au dégel des populations de l'Imerina, réputées pour leur calme, très diffé• rentes en cela de la foule africaine. Sans doute les gens des Plateaux, sensibles et fiers, se laissaient-ils emporter à exagérer l'importance numérique de leur armée. On les eût sans doute surpris et déçus si on leur avait appris, au même moment, que 5.000 hommes seulement et 27 officiers seraient bientôt sous les drapeaux, s'ils ne l'étaient pas déjà, répartis en deux régiments interarmes. Mais il faut comprendre la hâte du gouvernement d'avoir voulu exhiber spectaculàirement cet embryon d'armée nationale, afin d'offrir au peuple malgache, en cette circonstance mémorable, ce témoignage martial de son unité. Résolument chrétien, comme le prouve la référence explicite au Créateur inscrite dans le préambule de la Constitution, le gou• vernement se devait de consacrer par une cérémonie religieuse ces 444 MADAGASCAR AN I trois jours de fête nationale. Au printemps dernier, le président avait tenu à marquer par une visite à Rome l'importance qu'il reconnaît à l'autorité internationale du Saint-Siège. On sait que, catholique lui-même, l'entretien qu'il a eu avec Jean XXIII a été d'autant plus cordial que l'origine paysanne, dont les deux interlocuteurs aiment à se réclamer, les rapprochait d'emblée. Les suites de cette rencontre devaient se faire sentir sans tarder en introduisant dans les rapports entre le pouvoir civil et les Missions des Plateaux à Madagascar une compréhension plus nuancée des opportunités locales. C'est afin de prier pour leur pays et pour leur Eglise que les catholiques de Tananarive se sont rassemblés le dimanche 31 juillet sur l'aire du collège Saint-Michel où S. Exc. Mgr Maury, délégué apostolique et envoyé extraordinaire du Saint-Siège, célébrait en plein air la grand-messe pontificale. D'importantes personnalités, au premier rang desquelles on reconnaissait M. Tsiranana et plu• sieurs de ses ministres ainsi que M. Michel Debré, assistaient à la cérémonie. Au cours de celle-ci, un message du Saint-Père fut lu en /rançais par le délégué apostolique et en malgache par Mgr Rakotomalala, archevêque de Tananarive, message tout empreint de bonté et de sympathie pour les populations de la Grande Ile. En se félicitant avec elles du bienfait de l'indépendance, obtenue, se plaisait-il à le souligner, de façon pacifique, le Pape formait le vœu que « Madagascar pût tenir heureusement, dans le concert des nations, la place de choix que les mouvements de l'histoire et sa situation géographique, à la rencontre de trois continents, semblent lui attribuer ». Il faut louer sans restriction la parfaite organisation des fêtes qui firent pendant trois jours de Tananarive un véritable carrefour du monde, qu'aucun incident n'est venu troubler. Une semaine plus tôt, une poignée de trublions de l'A.K.F.M. — en français Parti du Congrès de l'Indépendance — avait bien tenté de soulever des manifestations à l'occasion du retour des députés exilés, mais celles-ci firent long feu. S'il y eut pourtant quelques vitres brisées et des voitures d'Européens endommagées, le climat des relations franco-malgaches n'en fut à aucun moment altéré. Les mesures énergiques prises par le gouvernement eurent un effet immédiat. Elles empêchèrent que ne tournent à la panique et à l'évasion des capitaux étrangers, ces journées de liesse nationale, célébrées « à la malgache », sans exubérance, et fort dignement- I MADAGASCAR AN I 445 * * * Ce n'est pas la moindre habileté du président Tsiranana d'avoir ramené dans son avion les trois députés condamnés à la suite de la rébellion de 1947, et fait de deux d'entre eux des ministres.