PRÉFACE BIOGRAPH IQUE
? Bio ra hier Préfacer , pourquoi g p , à
? diront quoi bon Voilà ce que se , sans
’ doute , tout d abord , ceux et j e les
l u s souhaite , p , j e les prédis nombreux qui ouvriront ce volume .
Il semble à la vérité , surtout lors
’ oo nna1 t a e s qu on les p g qui vont suivre , qu’ elles n ’ ont nul bes oin d ’ ê tre presen
’ tees il semble aussi que l a utobiogra phie qu ’ elles contiennent doit dispenser de la biographie . 2 P R É F A C E B I O GR AP H I Q U E
’ u ne Pourtant , d une part , tracées par
’ plume qui n a spire pas à des succès litté ra ire s et ne les recherche point , peut
’ ’ - il être n est pas inutile qu une autre , celle
’ tri d un a i , en fasse par avance ressortir
’
é . e la sinc rité D autre part , il convi nt
’ " que l on exprime en toute franchis e ce ’ i que cette plume n a pu écr re , autrement exposer en quelques lignes les phases
glorieuses de cette carrière artistique sur
’ — laquelle l artiste elle même , tout en se la
remémorant , devait garder parfois une
naturelle réserve .
’ Voltaire , sans doute , pensait que l on
’ n est j amais si bien loué que par So i m o même et il ettait largement en acti n ,
‘
xiom e e oti ue . c e t a g q Mais , outre que
’ tout le monde n est pas Voltaire , on peut
’ e t a s imer , c ontrairement lui , qu une P R É F A C E B IOG RAP H I Q U E 3
certainemodestie ne messied pa s aux plus
talentueuses personnalités . Nul ne tro u
’ vera étrange , conséquemment , qu il reste a a quelque chose dire , ou autrement
’ dire , sur l auteur de ce livre , après
’ ’ u elle q y a exposé , de façon si simple ,
’ toute sa v ie d a rtiste , de vaillante et
n oble artis te .
f n On ne trouvera pas , en ef et , da s ce
’ e volum , comme dans bien d autres ,
’ d aventures complexes , trop complexes
’ ’ t u d a ne c pour n être point un peu r quées ,
’ fl eu ra n t t dotes la composi ion , l arrau gement après coup .
— ê e Peut tre c rtains friands de ragots , de potins de coulisse touj ours l es mêmes regretteront- ils que Marie Sasse n ’ en ait pas plus recueilli ou h . E . inventé bien , non Cela est en dehors P R É F A C E B IO G R A P H IQ U E
de son esprit . Des mille petits incidents
’ fu t auxquels elle mêlée , elle n a point — t voulu parler , les estiman trop menus , trop dans le courant ordinaire des choses ’ l ’ du théâtre pour s y attacher . E l e n a t point voulu faire un courier héâtral ,
re ssassage de racontars banals ou ’ t ’ ’ rosses n étan , elle . ni l un ni l autre .
Si e c r1v a nt a , en ces p ges , elle a cédé fi au désir de xer ses souvenirs , qui sont ceux d ’ une des ar tis te s les plus renom m é es a de la péri ode contempor ine , elle a voulu surtout quelqu e part elle le dit montrer aux j eunes comment on peut arriver lorsqu ’ on a le feu sacré
et aussi leur donner de p ré c ieu x c on
seils .
’ l insou c ia nc e Toute sa vie elle a eu ,
le dédain de la réclame . E lle est la seule P R Ê F A C E B I O G RA P H I Q U E 5 artiste que j e connaisse qui ne possède point la collection des articles écrits sur
’ elle un peu partout , qui n ait pris de
’ notes d aucune sorte .
’ s e s t dé c idé e Quand elle _ , poussée par ses à intimes , prendre la plume , il lui E ’ a fallu se remembrer tout . t c est parce
’ ’ qu elle l a fait a v ec une si obs tinée
’ réserve , ainsi qu avec tant de franche t expansion , sans un mot qui ne soi
’ s rigoureu ement exact , qu il fallait j oindre ces lignes aux siennes .
Peut—être jamais carr i ere ne se décida
’ a d ussi étrange façon , ne fut aussi inat
n te due , improvisée , en quelque sorte , et tout ensemble aussi lumineuse . E ’ lle n a pas douze ans , la petite Marie e i Sasse , lorsque , pour la pr mière fo s , à elle paraît en public , sur une estrade , 6 P R É F A C E B I Ô G R AP H I Q U E
o ù . Charleroi , son père tient garnison E t ’ ’ a l on retrouve , dans les pages qu elle
— l a écrites sur cet ante prime début , trace de ses enfantines émotions , légères
t t inc ons à coup sûr , car la fillet e étai ciente des conséquences possibles de cette soirée , mais réelles Dans sa description du costume qu ’ elle
ï en portait , dans son exposé quasi na f
’ d e ses ï core na ves impressions , on sent
que les ov a tiori s de ce concert de Char leroi lui sont demeurées présentes et
in i furent pour elle vraiment une t a tion . E a ’ lle aur d autres impressions , plus
" t- e aigu s peu êtr , non point plus pro
fondes .
’ ’ Pourtant , c est à la suite de ce succès
’ m oru e d enfant , la longue et série des
e . d uils , des tristesses , des angoisses 'P R É F A C E B I O G R AP H I Q U E
’ Le père s est éteint , comme frappé au c œur par laj oie du triomphe de sa fille ,
’ a l h eu re râc e à même où , g sa situation
de chef de musique militaire , la petite
v a être mise en mesure de travailler sous la direction des maîtres les plus renom ê m s . On lui a reconnu des dons rares ,
’ précieux ; tout le mo nde est d accord
’ qu a u ssi richement dotée p a r la nature ’ ’ à elle n a qu se laisser aller dans la vie . Mais l ’ espoir entrevu s ’ envole avec le père et plus rien ne reste que la noire o misère , la misère qui étreint . pl ie . ter
rasse la mère et la fille , pauvres créa
tures demeurées sans ressources . t La fillette qui , dans le gosier , a ant
a de centaines de mille fr ncs , qui , deve
nue femme , verra à ses pieds des foules
e nthousiastes , les titis du colombier 8 P R É F A C E B IO G R AP H I Q U E comme les monarques des loges imp é
’ rial e s à t ric o et royales , s use les yeux ter des mitaines de filo sell e pour essayer de ne pas mourir de faim . E t c ’ est presque miracle si ce dénoue
’ E - m m e ment n intervient pas . lle é nous le dit nettement . t Mais , soudain , quel ex raordinaire changement "L ’ enfan t n ’ a point ouvert la bouche devant un directeur de concert
’ t—il d intelli ents il en fut , paraî , g
que , pour ainsi dire sans transition , ces
deux existences deviennent enviables . N a on seulement la misère fui , non seu
lement même les soucis ont disparu ,
’ mais ce qui les remplace , c est la pros
é rité . p , la fortune , la gloire
' E t tout cela se produit en qu elqu es
’ mois . Le concert n a pas le temps de voir P R É F A C E B I O G RA P H I Q U E 9
no u xelle se lever pour lui une étoile . ’ t D un bond , cette étoile a attein le zénith ’ t du ciel de l ar , et ce sont les échos de
‘ ’ la salle de l O pé ra qui frissonnent aux puissantes vibrations d ’ une des plus ma
fi s g ni qu e voix qui furent . Quant à l ’ étoile elle est un peu
étourdie , si j e puis ainsi dire , de son ascension vertigineusement ra pide . On
’ n ri n le sent à. travers l a tte d sse me t de E S . t ses ouvenirs , de fait , il y avait de quoi troubler de moins é ph ébique s cer Ê à ’ ’ veaux . tre , l âge où d autres com m e nc e nt seulemen t à épeler les timides
’ du e billets p tit cousin , l incarnation
h é ro m e s d u des grandes théâtre , soupi
’ rer les plaintes touchantes d E u rydic e ou
’ élec triser les multit udes aux cris d amour
de Rachel et de Valentine , j amais pous 10 P RÉ F A C E B I O G R A P H I Q U E
s ées avec plus de tragique passion ,
’ ’ n est- c e pas quelque chose d inouï ? G ’ rande et forte dès l enfance , Marie S asse garde néanmoins , non seulement e n s on passage au Lyrique , qui fut si c ourt , mais aussi pendant ses premières
’ l O é ra u ne in années à p , physionomie s
uliè rem ent g juvénile , une expression presque enfantine . Il faut voir son portrait dans le cos A tume bizarre alors p orté par lice , de
’ R obert . C est encore absolument la j eune
’ pensionnaire de Charleroi . Comment imaginer que ce tte gamine va remuer des salles entières , y faire passer un
’ souffle arden t d e xta se ou de douleur ?
- Cependant il en e st ainsi . Marie Cons tance Sasse entre à peine dans la vie et
’ c est une grande ar tiste déj à . P R É F AG E B I O G RA P H I Q U E 4 1
’ Écoutez ce qu en dit le G ra nd dic l ion na ire u niversel E lle débuta au Theatre —Lyrique par
M a ria e le rôle de la co mtesse , dans le g
de F i a ro . n g , de Mozart La presse reco
’ ’ nu t à l unanimité l éclat splendide de
’ l organe vocal de la nouvelle venue , qui
me s uccédait à M Vandenheu v el —Duprez Mlle dan s un personnage ingrat . Sasse
’ c triompha g rà e à. ce timbre d or bien préférable à toutes les fi celles des chan teuses expérimentées . Car si pour faire
Un civet il faut un lièvre , pour faire une
’ chanteuse il faut d abord une voix . Il est permis de supposer en outre que si Marie Sasse reçut des conseils pour le d u o t de Chérubin et de la Com esse , ce
me M la fut Carvalho , première intéressée a u succès de ce morceau , qui se chargea 13 ru fi rx c e e ro o u xe u ror n
d e l es do n ne r a la débutante . Le public
’ ’ qui ne juge qu e d ap rè s l émotion du i l mome t . et e so c u n il a bi n rai n , a c e l it
’ bi en la nouvell e c omtess e do nt l intelli gen c e co mme c omédi enn e te nait du p ro
n n i a s c dige . O e d t p epe ndant que m ’ M [ z de dé u e d e sti c n g , p ourv di n tio c omm e c c e l ui e n e é c e bo n a tri , ait s ign
’ ton qu i es t l ac c ord d u s e ntiment et du
a v . go ût : la nat ure a i t to ut fa it
Ces dernière s lignes s o nt dirigé es
m ’ c o t e M l ea e o on i ainsi n r ld , d nt n ait
’ fl u e e l e ta e d e r e s l in nc sur l nt Ma i Sa s e .
‘m‘ ’ ’ s M æl d s Sa n dou te . [ gç e qui n av ait p a
e a c o u e se ne r e u t o b u p à lui n ig , surt ut le mé rite de c o mp re ndre qu el ave nir l ui
’ é i éser v é a de ses s ta t r et d i r à déb u t . La
f t re Sélika on l e e a n e l ui e n u u . v rr ,
ard e a s moins de e c o nai s s nc e nsi g p r n a , ai
14 P R É F A C E B I O GRAP H I Q U E
E t . t ces lignes un autre cri ique disait ,
d Ju iv e au len emain de la , son second début ° On n ’ a j amais discuté la beauté de sa voix d ’ une puissance si peu commune
’ e t à la fois d un timbre si riche , mais ce
’ ’ qu il faut noter , c est la rapidité avec laquelle elle a tout appris : A la vérité , oui , Marie Sasse a tout
” ’ a i ppris , s est tout ass milé avec une remarquable rapidité . Mais elle a aidé la A nature par un travail opiniâtre . dorant
’ s on art , elle n était j amais satisfaite
’ - d elle même elle ne le fut j amais ,
- — n nous dira t elle . On e saurait montrer d e plus remarquable exemple de p ers ev e rance , de labeur acharné .
’ E t c est g râ c e presque a —sa seule c om
’ préhen sio n qu elle est a rriv é e ainsi au P RÉ F A C E B I O G R A P H I Q U E 15
’ u summum . Car ce q elle reçut , ce furent
t à. plutô des conseils que des leçons , pro
— p rem e u t parler . E lle se forma elle même a ’ l école de ses aînés , et se forma si bien que le Dictionn a ire u n iv ersel dit
e ncore Marie Sasse est s ans contredit une
des premières cantatrices de notre é p o E u e . y q lle a tout acquis , st le et méthode sans rien perdre des précieuses qualités
n de son orga e . Son j eu est naturel et
’ intelligent . Ceux qui l ont entendue dans
’ l Africa ine sont de cet avis que la tragé d a ienne est la hauteur de la c a ntatrice . Marie Sasse étudie d ’ ailleurs chaque j our les secrets de son art avec une ardeur et
une persévérance bien rares . On pour rait lui reprocher peut—être un orgueil que sa position explique et j ustifie en 16 P R É F A C E B I O G RA P H I Q U E
E partie . lle a complété une éducation négligée , et , fille de ses œuvres , elle a la conscience de sa valeur
’ ’ De l org u eil ? N é ta it—il pas tout natu
’ " ? u rel qu elle en eût mais du vrai , de cel i dont Musset dit quelque part qu ’ il est
’ d n u t rr To u t c e qu i reste e nc o r u p e bon su r l a e e .
’ C est— à—dire de cet orgueil qui e s t la
’ — conscience de soi même , lorsque l on vaut quelque chose , et non point la
’ manifestation hautaine d une ridicule vanité . t t Jamais , en effe , ar iste ne fut si simple
’ ’ d all ures n n e ùt et de ton , alors que ulle plus suj et de se monter la tête comme on dit . d Pendant ouze ans elle a été , pour employer une très j uste e xpression de P R É F A C E B I O G RA P H I Q U E 1 7
u u ne Pa l Ferry , non pas cantatrice de ’ l l ’ l O é ra a O é ra . p , mais cantatrice de p
’ D autres y vinrent , passèrent pour reve nir encore o u disparaître . Marie Sasse porta pendant cettelong u e période tou t
n le poids du répertoire , sa s compter
’ d ino liabl ub e s créations .
’ ’ l or u eil — ou De g , n en peut pas avoir lorsqu ’ on est celle dont Meyerbeer s ’ est
’ t ne écrié , après rente ans d atte t et de E ’ recherches nfin , j ai trouvé mon Africaine
’ L A rzca me v o ilà f , le point culminant : t de cette éblouissante carrière , la créa ion glorieuse qui la résume , la concrète en une expression unique .
oe a De cent autres uvres on ignore , ou
peu près , les premiers protagonistes . De
a u ea: mandez un quelconq e amateur , 18 P RÉ F A C E B I O G R AP H I Q U E a brup to Qui a créé tel ou tel grand ? rôle Il cherchera , fouillera dan s sa
i t . mémo re , trouvera parfois , souven non
’ ” Avec l A/ rica ine aucune hésitation ; le nom vient aux lèvres immédiatement .
’ e — e S lika c est Marie Sasse ,et , aj outerai j , ’ li e c e st Sé ka . Marie Sasse , S lika avant tout
’ ’ Il y a incorporation de l une à l autre . a P i Plus de cinq cents fois aris , Sa nt
Pé tersbou r M g , ilan , Le Caire , Madrid , e Lisbonne , S lika est ainsi apparue à un public soulevé d ’ enthousiasme par la
sublime incarnation de cette fi gure si
sublimement amoureuse , idéal du dévoue E t t ment passionnel . ce sont de véri ables
’ moissons d a pplau dissem en ts délirants et
’ de fleurs qu elle a partout recueillies .
Certes , oui , une artiste peut être fière
’ d avoir eu dans sa carrière cet honneur P R É F A C E B I O G RA P H I Q U E 19 d etre choisie entre toutes par le génial musicien pour donner u n corps a son rêve " E lle peut être fière aussi d ’ avoir per sonnifi é A les Valentine , les lice , les
A u Lucrèce Borgia , les nne de Boley avec tan t de bonheur que nulle n ’ a effacé son
’ souv en i r dans ces rôles d une si haute envolée dramatique . Dans presque
’ toutes les grandes villes d E uro p e on dit
' encore à leur audition Ah l " si vous aviez entendu Marie S a sse l Car dans son avide curiosité emotions
’ l a c c la touj ours nouvelles , il lui a fallu mation de ces publics divers qu ’ avec son
’ sens d observation clair , précis , elle a a rec 1é s n pp de si exacte faço , marqués
’ d un trait si j uste . Mais il n ’ y a pas seulement ces succès eo - P RÉ F A C E B I O G RA P H I Q U E formidables de la scène dans la carr i ere de Marie Sasse .
N é e i Gand en Belg que , à , elle a fait
’ ’ de la France sa patrie d adoptio n . C est
’ ’ un Français qu elle a épousé , à l heure où vient aux r eines de théâtre elles —mêmes le besom de régner dans un intérieur
. E e st familial lle plus patriote , plus E . t chauvine que quiconque j amais , dans t les plus pa hétiques rôles , elle ne se livra peut- être aussi absolument que lors
’ ’ qu elle j eta à la foule e nfi é v ré e d av eu gl e
187 0 bru patriotisme , en , les strophes
u a rs illa is la tes de la M e e .
’ l O é ra Devant la rampe de p , drapée
d u ou dans les plis sacrés drapeau , sur le boulevard Montmartre , debout dans sa voiture , elle est la Muse inspirée qui clame les fureurs et chante les espoirs
J Ô N l P RÉ F A C E B I O G R AP H I Q U E
Sans doute ; mais encore faut—il pour cela une naturelle et peu commune déli
est catesse de sentiment , délicatesse qui
d e la caractéristique Marie Sasse .
’ A tous ceux qui lui furent propices
ne elle garde u mémoire attendrie . Pour
’ ’ le pays d élection , d alliance qui est de
l e venu sien , elle professe un véritable
culte .
’ Lorsqu elle prit , encore partout solli
15 a citée , prom e de nouveaux succès , la
’ résolution d abandonner la scène , don nant ainsi u mrare exemple de conscience t artis ique , Marie Sasse se retira en Bel
’
son . gique , pays d origine Mais la France ,
’ Paris la possédaient si bien , qu elle ne
"
put tenir dans sa retraite . E lle avait la
’ l a c c ou tu m é nostalgie de milieu , la nos
’ tal ie fi g de l art , et elle nous revint , dé P R É F A C E B I O G R A P H I Q U E 23
nitiv em ent obe15 5 a nt a cette fois , une
‘ ’ irrésistible i mp ulsion plus encore qu aux
pressants appels de ses nombreux amis . ’ m Dé Sa tâc h e n étai t p o t terminée . p o sitaire de la pensée des maîtres , elle devait la communiquer à celles qui ont
’ l ambition , sans la vouloir égaler , de lui succéder . Marie Sasse nous dira comment elle est devenue le professeur dont le précieux enseignement a formé tant de cantatrices partout applaudies . ’ t ’ Ce qu elle ne voudra poin dire , c est qu ’ à l ’ heure actuelle il n ’ est guère de
” ’ j eune débutante qui reprenne à. l Op éra un des grands rôles du répertoire sans a a que , pour répondre son vœu comme
Sélika celui de la direction , la de Meyer
’ l E lisabeth W beer , de agner ne vienne 24 P RÉ F A C E B I O G R AP H I Q U E
apporter à la mise au point de l ’ œuvre
les conseils de son expérience scénique , t de sa science si profonde du chan , de sa puissante inspiration dramatique , en
un mot de son art si élevé .
’ ’ Ceux qui n ont pu l a ppl au dir elle
’ ’ même , alors qu elle irradiait d un si vif
’ fi l a l au éclat au rmament artistique , p p dissent encore ai nsi dans un reflet de
son rayonnement .
- ’ ni J ai fi .
’ A l artiste illustre comme a la femme n de si cordiales , de si exquises relatio s , j e n ’ ai rendu qu ’ un hommage aussi E j uste que sincère . lle sera seule a le trouver exagéré , alors que ses admira
’ teurs l estim eront sans doute trop faible de la part de
U N A I M . SO U V E N IR S
D’ U N E AR TIST E
M O N E N F A N C E
Du plus loin qu ’ il me souvienne j ’ en tends chanter autour de moi des phrases musicales . De la musique touj ours , rien
’ que de la musique . C est comme un ui lointain son de cloche q , longtemps
’ après qu il est parvenu à nos oreilles , y
éveille encore de vagues résonances .
f d e m u Mon père , en e fet , était chef
- ’ sique dans l a rmé e belge . Il ne voyai t 2 ’ 26 S O U V E N I R S D U N E A R T I S T E :
’ rien a u —dessus de son art et s y était eu tiè rem ent consacré .
A — e ussi avais j sept ans à peine , lorsque mon père commença à me faire travailler la musique .
’ ’ eu Il me faut l avouer , j y mettais p de
’ J e se . u s conviction préféré , souvent , cou e ’ rir , j ouer av c d autres enfants , plutôt
’ qu e de déchiffrer d a rid es p ages de sol
’ fège . Cependant j avais de naturelles
’ dispositions que mon p ère n avait pas tardé à constater . Dans les premières notes poussées par mon j eu n e gosi er il avait vu poindre une voix .
’ Mais il n e ntendait pas me mettre en serre chaude musicale . Il vou lait que j e possédasse une instruction suffisante pour
i être partout à ma place , et , au pr x de gros sacrifices car j e n ’ ai pas besoin M O N E N F A N C E 27
de dire que ses appointements é taient mit modestes , il me en pension dans les di fférentes villes où le faisaient p é ré
griner les ordres ministériels . ’ G ’ C est à and que j avais vu le j our .
’ C est à Charleroi que , pour la première
’ fois ; j e me trouvai en face d un public .
’
. n J avais treize ans . Sans uire aux
t u e é udes q j e faisais , mon père conti
’ nuai t a m instru ire dans son art et a for mer ma voix qui avait , dès cette époque , une grande étendue et beaucoup de lar geu r . Il me faut dire ici que j e n ’ ai pas tra
’ vers é cette période fâcheuse que l o n
” ’ u e appelle la m e . Ma voix s est formé peu a peu , lentement , par un travail continu ,
t c h a u e ou r se développan q j , prenant pro g ressiv em ent son ampleur et son carac 28 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’
fl é c hissem ent . tè re . Jamais elle n eut un ’ a Il y a d utres exemples de ce fait ; mais ,
e - mu e e st infifi im e nt j dois le dire , la plus
fréquente .
’ c a Souvent , lorsqu il avait quelques
m a ra des chez lui , mon père me faisait
c h an te r rec u e illant a v ec e , orgueil les élog s
’ qu on ne manquait point de 1111 adresser
d . ans ce cas Il était fier de sa fille , ce
u i t q , à la véri é , ne signifie pas grand
’ v a —t- il a s chose , car pour quel père n en p d e même Les o fficiers de son régiment ayant
’ proj eté d organiser un concert au profit le des pauvres , colonel fit venir mon père un j our et lui dit
S u e s Il paraît , asse , q vou avez une
es t toute j eune fille qui , déj à , une ar
tiste .
’ 3 0 S O U V E N I R S D U N E A RT I ST E J mon père me fit piocher deux airs
e c onna15 sa 15 alors très goûtés que j . déj à
F ille du Ré iment celui de la g , Salut à la et celui de la Folie , de
L u c ie de L a mer r e moo . Ce derni r , sur tout , présente , au point de vue des voca
t . lises , de mul iples difficultés Quant au premier il produit touj ours ’ m grand effet . E t c est touj ours avec é o
tion que j e me rappelle ce p remzer. dêôa t dans lequel j ’ al salué la France qui devait i un j our , de par mon mar age , devenir
est ma patrie légale , comme elle ma
’ patrie d élection .
’ ’ m h abilla Le j our du concert , on d une o r be blanche courte , laissant , comme il
était de mode alors , pour les petites
filles , passer le pantalon bordé de den
’ et —c e a telles , c est dans costume , qui p M O N E N F A N C E 3 1
’ raîtra it auj ourd hui bizarre , surtout en r pareille occu ence , que j e chantai mes deux airs .
Certes , mon inexpérience était grande encore . Mais ma v oix était déj à tellement assouplie , que j e me j ouais des obstacles
- des casse cou , comme on dit en style de
’ a rtic u coulisse , dont l air de la Folie , p
liè rem ent e s t . , semé ’ ’ ’ i J avais , d ailleurs , l inconsc ence natu rell e n des enfa ts , une superbe assurance que les applaudissements crépitant dè s les premières phrases ne firent qu ’ ac
A — e croître . ussi , enlevai j mes deux mor ceaux sans un accroc . Je vous laisse a penser la surprise de l ’ auditoire devant cette gamine que n ’ ar rêta it aucune difficulté , qui poussait la
’ note franchement , d une voix déj à posée , 3 2 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’ —t- ou et manifestait réellement , m a af
’ fi rmé n depuis , d un sentime t drama t ique inné . A près chacun de mes morceaux , on me
’ fit passer dans l assistance . Toutes les
’ v o ul a1ent m e mbra sser dames me voir , ,
’ et c était à celle qui me comblerait le plus de gâteries .
’ L ém otion ressentie par mon père de
’ c ê fu t vant succès si grande , qu elle em
’ L x n porta des suites funestes . e c elle t homme tomba malade peu de temps après et succomba au bout de quelques f t semaines . Mais il me aut remonter avan ce triste événement .
l endem a 1n Le du concert , le colonel
n fit appeler mo père . Une enfant aussi bien douée que la
1 — il v sérieu s enne , lui dit , de ait travailler M O N E N F A N C E 3 3
E sement pour développer ses dons . t il annonça son intention de demander une pension au gouvernement , afin que j e pusse aller étudier a u Conservatoire de
Bruxelles . La demande du chef de corps était
’ formulée dans de tels termes , qu elle fut immé diatem ent a c c u eillie . Mais il en reçut
’ la no uvelle le j our m ême de l enterre t ment de mon pauvre père , mor avant la signature du décret . Or , la pension ne
’ ’ m était accordée que comme fille d o ffi
’ cier , puisqu il avait cette qualité en tant s que chef de musique . Des difficulté admi i nistra t v es . surgirent et , finalement , mal
les ff r m o n o gré e o ts du colonel , prote teur , la pension fut retirée . N t ous res ions donc , ma mère et moi l iso ées , abattues par le chagrin , et sans 3 4 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E autres ressources que quelques centai nes
’ de francs d économies . Ma mère décida
’ n h abitions de quitter Charleroi , où nous pas depuis assez longtemps p ou r y avoir t beaucoup de rela ions utiles , et de
t . G re ourner à and , ma ville natale , où
nous nous installâmes .
Dès notre arrivée , nous fîmes les dé
’ marches n écessaires et j e ntrai au Con
’ serv a toire . Mais j e n y pus travailler beaucoup , malgré les encouragements
qui me venaient de tous côtés .
E n ff e et , nos petites économies avaient
é é . t bientôt épuisées Or , il fallait vivre ,
manger , payer son loyer . Ma mère trouva , à force de recherches , de petits travaux ’ t manuels . Mais nous n é ions guère habi u ’ ’ les , moi s rtout qui ne m étais jusqu alors
e e occupée qu d ma musique . M O N E N F A N C E 35
E n ouvrant comme on dit en t a Flandres , de cinq heures du ma in six
a niions heures du soir , nous g g pénible
‘ ment de quatre—vingts centimes a un franc .
’ Je n avais pas encore quinze a ns j e tais
’ n a t e do c l âge de la transformation , for d li m ’ ff i i . a a bl s cate , par conséquent Je rapi dement , au point de ne presque plus pouvoir aider ma mère . Ce fut alors la misère noire , les privations quotidiennes et j e tombai sérieusement malade .
Ma mère , qui faisait tout pour me
t c ou cacher ses angoisses , luttai avec un rage , une énergie désespérés . Mais elle
’ s u sait à la tâche , et la vue de cet atroce
’ combat do nt j e me sentais l obj et me E désespérait . t j e ne pouvais r 1en la nature était vaincue . 3 6 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
Sans doute , nous serions mortes de faim où nous aurions pris un j our une
s résolution extrême , san la sollicitude de braves gens qui demeuraient dans notre
’ m C é taien ê . t maison , au m e étage un t capitaine re raité , sa femme et sa fille ,
’ avec qui j e m étais trouvée en pe nsion quelques années auparavant . N ous les avions revus , mais sans nouer
eux avec de relations suivies , car nous
’ avions l orgu eil de notre pauvreté et la voulions dissimuler a tous les yeux .
’ s étonn è rent Un j our pourtant , ils de ne nous avoir pas rencontrés depuis assez longtemp s . La femme du capitaine constata chez les fournisseurs du quar
’ tier que ma mère n avait point paru . Ils
’ ’ s in u iétè rent q , vinrent chez nous , s en qu irent avec une délicatesse si parfaite
3 8 S O U V E N I R S D ’ U NE A R T I S T E
’ ’ l en a e a i après l avoir entendue , il ne g g t pas . Ma mère commença par refuser ce tte proposition généreuse . Mais le capita 1ne
1n5 1sta n avec une telle ro deur , soutenu
e t par sa femme par sa fille , ils nous démontrèrent tous si clairement qu ’ il y avait la une branche de sal ut a laquelle
ue il fallait se raccrocher , q ma mère finit par accepter et se mit en route le lendemain matin .
La perspective de pouvoir peut- être
’ faire quelque chose m avait métam or
’ ff c n ph osé e . Je sou rais surtou t de o somp
’ u tion . Depuis q elques j ours , j avais pris un peu de nou rritu re et secoué ma fai
’ '
ss . ble e Pendant l absence de ma mère ,
’ j e m appliqu a i à repasser les morceaux ’ t que j e savais . Ma voix n avait pas rop M O N E N F A N C E 3 9
f r sou fert , et quand ma mère evint le
’
soir , nous apprenant qu elle avait réussi
’ j e me sentis pleine d a rde ur et de con
fi anc e .
Le lendemain , touj ours grâce aux bons offices de nos amis , nous prenions le
’ train pour Bruxelles . C était ma première
’ v étape ers l avenir , un avenir qui devait
’ tie ns â v a n t être brillant , et j e , d aller plus loin , à adresser un souvenir ému et recon n aissan t a ceux qui nous ont sauvées
— du dé se sp 0 1r et pe u t être de la mort . Combien d ’ êtres eussent été ainsi arra c hé s a la misère et a ses suites affreuses
’ u s ils avaient , comme no s , trouvé sur
u i leur route des âmes dévouées q , sans
n pensée de rémunération , par pure bo té , secourt ceux qui souffrent à leurs côtés "
AU C O N C E R T
Nous voici donc à Bruxelles . Je me rappellerai touj ours ma pre mière entrevue avec un directeur .
" m i m on a m oi On i ag ne émotion , , petite fille encore , devant cet homme qui
’ m a araissait pp comme une puissance . Mais c ’ était une puissance de bien mau vais ton et la réception fu t presque gros i s è re .
Au premier mot que lui dit ma mère , n ’ ayant pas evidemment prévu mon ex 4 2 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’ ’ trêm e s é c ria j eunesse , il qu il était au
’ ’ complet , qu il n avait besoin de per
’ sonne e t désirait seulement qu on lui
” fi i . t donnât la pa x Bref, il nous très net tement comprendre que la por te était la pour que nous la pri ss i ons . ’ H r m n m a . eu e u se e t Je m en allais déj à , t mère , poussée par la nécessité don
a mieux que moi elle se rend it compte , et v a oy nt bien que , surtout , notre mise et notre allure miséreuses étaient cause de e cet accueil si peu ncourageant , insista ’ ’ î pour qu il m entend t . E videmment pour se débarrasser plus
’ e d u n vit de nous , il consentit ton bourru , s et , se rencognant dan son fauteuil , il dem‘ anda
’ ’ — c e Qu est qu elle peut me chanter , la petite ? A U C O N C E R T 4 3
’ Voulez— vo u s l air de la F ille du
? R ég iment dit ma mère .
n Il eut un gros rire , subiteme t amusé par l ’ idée d ’ entendre une fille tte attaquer cet air si peu commode et qui exige a la fois de la sûreté et du brio .
— — A fit il . llons y ,
Je commen çai , non sans crainte . Mais , t dès les premières mesures , j e consta ai un subit changemen t dans so n at titude .
’
t . Il s était redressé , évidemmen intéressé
’ ’ d a lo mb a c h e va i Cela me remit p , et j
’ l air avec mon habituelle assurance .
’ Ah "dame "c e n é tait pl us d u tout le même homme que nous avions en face
r de nous . Presque grossier , un qua t
’ d heure auparavant , il était subitement devenu aimable , engageant , tout plein
’ m ni t d a é té . Il se ressaisi cependant , afin 4 4 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E de ne pas trop laisser voir sa stupéfaction
’ et dit d un ton bo nhomme
Pas mal , mon enfant , pas mal .
Beaucoup à faire encore , mais la voix
b . E n v est onne travaillant , ous arriverez
a . quelque chose Voyons , il faut vous encourager .
’ E t s a dre ssa nt à mè re il f , ma , lui o frit , pour me faire chanter chaque soir , deux cents francs par mms .
Je faillis crier de j oie . Mais ma mère u pl s perspicace , naturellement , avait compris ce que signifiait la rapide trans formation du directeur . E lle répondit qu ’ elle ne pouvait accepter d ’ o ffre moin dre de trois cents francs .
’ rote sta c o n Il eut l air de sursauter , p
s tre de telle prétentions , puis , finale
’ 0 ment , tout en déclarant qu il était tr p
4 6 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E les accessoires que comportait cette robe qu i é tait en damas rose . Je la vois tou t t j ours , ce te première toilet e , si hâtive
e t u e au ou r ment composée , q j e voudrais , j
’ d h u i , avoir conservée comme souvenir
— — . t o n de cette soirée Mais pense , au mo t ’ ment où se passen les choses , qu une heure v 1e ndra où tou t ce qui vous les pourrait rappeler vous serait ch er ?
‘ l a o u rné e h eù Je fus , pendant toute j
dé sorm a is reuse en songeant que , , j allais gagner mon existence et , mieux encore ,
’ celle de ma mère . Je n avais aucune t appréhension , aucune inquié ude , ne me rendan t pas compte de l ’ impression que
’ j e ressentirais . J avais si souvent chanté devant un certain nombre de person neS E t puis , j e me rappelais ce pre
i n m er concert où , co duite par mon A U C O N C E R T 4 7
’ père , j avais paru devant un public . L ’ idée que cette fois c ’ é tait tout a fait
ff n t une t di érent , que , deve an ar iste t ’ ’ appoin ée , j étais j usticiable d un public
’ m a ré c ie r qui pourrait ne pas p p , ne me E ’ venait point . t presque j usqu au der n ier moment , j e fus très rassurée , très calme .
n Cependant , lorsque j e pénétrai da s
n c e les coulisses et da s les loges , dans
v milieu si spécial et si nou eau pour moi , que l ’ écho des bruits de la salle me par
’ t ma m m h abilla it vint , andis que ère ’ é j eus une sensation bizarre . La nouveaut
’ m a a rut t de la situation pp net ement , j e rede v m s t une enfant , doublemen enfant , car tou t artiste l ’ est devan t ce j uge
’ infle xible qui s appelle le public , et j e
’ fus prise q u o n m e pardonne cette 4 8 S O U V E N I R S D ’ U NE A R T I S T E
sin uh e re expression familière , mais g
’ tr l l ment expressive d une forte emô o te .
Sans presque savoir ce que j e faisais ,
’ j arriv ai sur la scène ; un coup de son
’ n s ouv rit nette rete tit , la porte , et , pous
a r sée p ma mère , j e me trouvai devant
e e la salle , pr sque aveuglée par la lumièr
a un de la rampe , saisie tout coup par tra c épouvantable .
’ ’ Cependant , l orchestre préludait . J eus la perception qu ’ il fallait marcher de ’ t l avant , et , me cramponnan en quelque
’ — ou v ris sorte à moi même , j la bouche
’ J imagine que le soldat qui , pour la pre
t c omman mière fois , va au feu et en end
’ der "Ala baïonne tte alors qu il voit en
a face de lui les c nons cracher la mitraille , doit ressentir cette même émotion dont j e fus alors poignée . Ma gorge se serrait A U C O N C E R T 4 9
le son , étranglé au passage , ne sortait
v n pas , et mes lèvres ne pou aie t arti culer .
— Fort heureusement pour moi , le bruit avait couru sans doute par ses soi ns que le directeur du Casino avait dé c ou
0 15 . vert un eau rare On avait , par avance , et sans en rien savoir , vanté la voix de la débutante , parlé de sa j eunesse , que
— e ? sais j Si bien que le public , déj à pré
’ d ind ul enc e venu , se sentit plein g pour cette fillette que la peur annihilait . Il applaudit malgré tout , et ces applaudis s em ents è n chass re t si bien mes craintes,
’ in e u à redonnèrent tant de force , q mon s t econd morceau , j e me re rouvai moi m ême .
’ MOn succes fut d autant plus grand
’ ’ ’ s était dit qu on , , tout d abord , que la 50 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’ direction s était trompée . On me rappela
plusieurs fois et , dès que j e fus enfin
t ” sor ie de scène , j e trouvai dans les cou lisses nombre de personnes qui a vaient
’ voulu venir me féliciter et m e u c ou ra
ger . Les larmes me viennent aux yeux auj ourd ’ hui encore en me rappelant cette
’ soirée , vraiment la première d une car
riè re les qui devait être longue , et dont ovations les plus enthousiastes n ’ ont ff ’ j amais e acé l impression .
’ — De ce soir là , j étais connue , déclarée
’ chan teuse . On vint au Casino pour m en
tendre , et mon succès alla grandissant
à chaque audition . Je chantais surtout des airs d ’ opéra et
’ des morceaux patriotiques . L ampleur de
mon org ane Ï et un certain sens naturel A U C O N C E R T 5 1
- des l arges effet s me portaient vers les compositions dramatiq u es .
’ ’ ’ ’ J avais l amour de l art et l ardent désir de me faire une place au soleil . Je travaillais donc avec acharnement , mais ’ t j e n étais pas suffisamment sou enue , aidée . Les bons conseils me faisaient
’ défaut . D autant que , vu mon j eune âge ,
’ bie n des personnes en c ore n e nv isa geaient pas pour moi la carrière drama tique , devenue mon rêve et le but de è t mes secr tes ambi ions .
Le temps coulait rapidement . Les six mois de mon engagemen t arrivèrent à leur fin et , prenant les devants , mon directeur offrit de renouveler mon enga
r—i l i gement . Mais il t p a t les appointe ments . ’ N L offre était séduisante . euf cents 5 2 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
a francs par mois , pour une presque g
’ ’ " l av ou era mine , c était , on , un riche douaire . Mais , pendant ces six mois , ma mère et moi avions fait connaissance de
Fl e ur l e M . y , comique de la troupe et de s a Èmm e
M . Fleury était , par le talent et par le
: goût , un véritable artiste Français , il ne voyait avant tout qu ’ une chose la scène
. m ré française Il chapitra ma ère , lui présentant qu ’ il n ’ y avait à Bruxelles
a ucun avenir pour moi , fit miroiter
ses devant yeux les succès parisiens , parla des relations qu ’ on pouvait se créer à Paris , insistant sur ce que la nature de
e ma voix , mon tempérament artistiqu
’ m e destinaient a d autres scènes que celles du concert , etc . Il fit si bien que
’ n ma mère , malgré que nous ayons pas
S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
" s l i ces dévoués amis qui a pp e a ent M . e t Mme Fleury y arrivèrent presque en même
n temps que ous . Ils virent tou t de suite que , complètement désemparées par quelques démarches infructueuses faites
n n I un peu au hasard , ous ous aissions
. E n eff t aller au désespoir e , nous ne fai
, sions plus que pleurer . Ces bons camarades do nt je ne saurais
’ trop faire ici l éloge , commencèrent par
’ nous prendre chez eux , ayant dans l ap
’ p a rtem en t qu ils conservaient a Paris comme la plupart des artistes , rue du
e t Colisée , une chambre libre , tout aus
‘ sitôt , nous nous sentîmes rassérénées
étant moins seules .
’
s m lo a a . Puis M . Fleury e p y me caser
Il avai t - beaucoup de relations dans le monde artistique et y j ouissait d ’ une AU C O N C E R T
. d e ou rs grande considération Peu j après ,
M r in . a u il nous conduisait chez M g ,
t A u alors direc eur des mbassade rs , et me faisait entendre par lui .
’ Il n avait pas tr 0 p préjugé de moi .
’ ’ L a uditio n me fut si favorable , qu avant t de sor ir du cabinet directorial , m a mère avait signé un engagement pour a toute la saison , raison de quatre
’ cent cinquante francs par mois . C étai t
’ moi ns que j e n aurais pu gagner à Bruxelles ,mais j e devenais une chan te u se parisienne , et , sans prévoir encore que j ’ étais en route pour la gloire
e j me voyais déj à consacrée artiste . Ce fut o e t m 0 1 , p ur ma mère pour , une j oie u immense . No s étions infinim en t heu
’ e t n reuses , j e n ai pas besoi de dire avec quelle effusion nous remerciâmes les 56 S O U VE N I R S D ’ U N E A R T I S T E chers amls à qui nous devions notre bonheur .
Je me remis au travail avec ardeur et , sur les conseils qui me furent donnés , j e
’ me m a dreSsai M à Ugalde , alors dans tout l ’ éclat d ’ une réputation bien j ustifiée par t n son alent , pour prendre les leço s qui
’ é aien e am is m t t plus qu j a nécess a ires . Ce n ’ est pas sans inquiétude que j ’ af
’ frontai l épreuve des débuts devant le
’ public parisien . J étais , par avance , angoissé e f M a is la première épreuve m e
me s in u iétu des fut si favorable , que q se dissipèrent aussitôt .
- Mon succès avait été considérable . Je ne voudrais point paraître faire ici mon
a panégyrique . Je me rends compte u
’ ’ ’ ou rd h u i j qu il y avait , dans l accueil
’ ’ fi t d indul enc e qu on me , beaucoup g , A U C O N C E R T 57
a due sur tout ma grande j eunesse . Mais
’ ’ l on m a la ud issait enfin pp , on parlait
n de moi , des amateurs venaie t pour ’ A m entendre , les mbassadeurs faisaient recette , il restait du monde a la porte chaque soir , et j e ne fais que constater des faits , sans en tirer vanité .
’ Jé p rouv e un tel plaisir a me remé m orer cette première période d e ma
c iter carrière , que j e veux les morceaux
nt qui , me valaie principalement les suf ’ é i ’ frage s du public . C ta ent : l air de la
’ G a la taee l Coupe , de , air de la Folie , de
L u cie de L ant ermoor ; le grand air du
C a icl C onc ert à la C ou r celui du , celui du
’ Serment d Aube r F leur des Al es , ; p , cette
’ u Wekerlin exq ise tyrolienne de , l air de
F ille du R é iment la g , mon premier
’ triomphe , etc . J y j oignais des chansons 5 8 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E patriotiques dont les accents vibra nts
n i a x co venaient adm rablement ma voi ,
’ d e u v é nil e alors pleine j sonorité , et qu on
applaudissait avec fureur .
La saison passa comme un rêve . J ’ avais pris la douce habitude d ’ être fêtée
’ e ncensée ; mais j e ne m en laissais pas
e t e trop accroire , cependant , j continuais
de travailler avec ferveur . Je fis ma seconde saison au concert du G éant , boulevard du Temple , dont le
directeur , M . Paris , me surveillait depuis
’ m o ffrit longtemps . Il six cents francs
’ par mois pour m e nl ev e r aux Ambassa
’ d eu rs , et l on j uge que ma mère accepta
avec empressement .
Là , plus encore que sur mes deux
’ i è obtins prem res scènes , j de spontanés
A 1 . et grands succès . uss M Paris faisait A U C O N C E R T 59
il de moi un cas extrême . J etais la
’ comme une petite reine . C était à qui , de mon directeur et du public , me gâte rait le plus . Cela me valut , chez quel ques camarades , des j alousies auxquelles
’ ’ j e n étais pas accoutumée encore . J ap pris à connaître certaines petites misères d u métier . Mais , défendue comme j e ’ e P l tais par M . aris , j e pus résister et supporter les avanies légères dont j e fus victime et que j e pardonne volontiers à
’ leurs auteurs , comprenant bien l ennui
— t de quelques uns , qui se rouvaient avec raison trop effacés par une nouvelle venue qu ’ ils ne pouvaient traiter qu ’ en enfant . Mais ma situation allait changer e u
’ A c c ore . v e le travail , l exercice quotidien Mme et les excellentes leçons de Ugalde , 60 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
qui avai t fait aménager spécialement
pour moi u ne scène dans son a pp a rte ment ma voix prenait chaque j our plus
’ ’ d ampleur , plus d éclat . Manifestement j e commençais à n ’ être plus a ma place ’ ff au Concert , que j allais quitter en e et .
62 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’ Sans tr0 p savoir encore ce qui m at tendait , j e me rendis che z lui avec ma mère .
Très carrément , sans circonlocutions , sans me combler d ’ éloges et tout en me disant que j ’ avais encore beaucoup a
r s apprendre , M . Ca valho me propo a de
’ m engager a de fort bonnes conditions .
u On j uge de notre j oie , à to tes deux , et
’ de l empre ssem ent avec lequel nous
acceptâmes . ’ t L engagement fut séance tenan e , si
g u é pour trois ans . Quelle j ournée pour moi que celle —là
’ j e n éta1s plus une petite chanteuse de café concert poussant son a1r ou roucoulant sa romance entre deux autres ’ t numéros J étais un e artis e , vous s d entendez bien , une arti te e théâtre , AU T H E A T R E 63 appelée à interpréter d es rôles tout en t ’ iers , et la carrière semblait s ouvrir devant moi large et b elle . Il me serait impossible de dire notre bonheur à ma mère et à moi . Pendant o plusieurs j urs , il me fut impossible de
mon . travailler , malgré ardent désir
’ J avais la fièvre , j e ne pouvais tenir en
’
. b place Cependant , l heure de mes dé uts a approchait et , force de volonté , j e par vins à reprendre possession de moi même .
’ n C est da s le rôle de la Comtesse , des
N oc es de F i a ro g , que , pour la première ’ i ’ a borda . fois , j la scène J avais une peur
ff e e royable , mais qui ne se fût s ntie
’ l é ta is portée , enlevée , entourée comme j e de Mme s Miola n-Carvalho et Ugalde ? Le
’ public fut indulgent et m a sso c ia au su c 64 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
c s é de ces deux grandes cantatrices .
’ Le premier pas était franchi ; j e n avais plus qu ’ à marcher dans la voie ouverte
devant moi . Je pris bientôt possession du rôle
’ ’ d A a th e R obin des bois g , de , où l on me
fit le meilleur accueil ; enfin , la direction
du Lyrique et G ounod me c onfièren t la création du petit rôle de la Bacchante dans cette exquise parti tio n qui a nom
' ’ P hilem B a a i on et c s . C était la première , et
’ ê l A rica ine m me celle de f , la plus haute
’ de ma carrière , ne m inspire point plus
de fierté .
’ Mais mon plus grand succès fut l O r
' ’ bee G ü l on p de l ck , que remontait pour
P V iardot auline , une des plus nobles et magistrales incarn ations qui furent ja
’ mais de l art du chant . On voulut bien A U T H É AT R E 5
’ d E u r dic e me confier le rôle y , malgré
’ l e u ma j eunesse , et j eus bonhe r de ne pas me montrer tr0 p inférieure à mon f admirable partenaire . Cette reprise u t
’ un triomphe pour l œuvre et les inter prêtes .
E moi lle eut , au reste , pour des con
séquences inattendu es . Le public se
montra si chaud , la critique si bien
v eill a nte a , que j e fus aussitôt enlevée
M . Carvalho .
’ Le cahier des charges de l Op éra don nait droit au directeur de prendre des
’ ’ ’ a u L ri u e artistes y q , ainsi qu auj ourd hui
’ l — encore a Op é ra Comique . Je fus un j our invitée à aller passer à ’ une audition l a rue Le P eletier . Il n y
avait que quatre mois que M . Carvalho
’ ’ D a ssez m avait engagée . nombreux ar 66 S O U VE N I R S D ’ U N E A R T I S T E
n e tistes y assistaient , ai si que le ministr
—A F ld . ou des Beaux rts , M , et le prince
Poniatowski .
’ Je c ha ntai d Alic e le gran d air Va , _ dit de R obert le Dia ble et le duo de Valentine et de Marcel de s
’
H u u enots . é d e g Belval , alors à l apog e t t son alent et de sa célébrité , me donnai la réplique .
’ L i i n F ld l e a u d t o . o u terminée , M et princ e Poniatowski vinrent me félicite r chaleureusement et nous emmenèrent
- mm l e eux mêmes , ma mère et , dans cabinet de M . Ro yer .
De par la volonté de ce dernier , mon e ngagement avec le Lyrique était rompu
’ ’ e t entra is l O é ra u j à p po r trois ans , 12 00 avec u n contrat progressif de 0 ,
15 000 et 18 000 francs . A U T H E A T R E 67
Ce n ’ est pas sans regrets que j e quit tais un théâtre où tout le monde m ’ avait
- nu t traitée peu en enfan gâtée , mais la
’ do uble satisfaction d e l o rgu e il et d u profit atténua beaucoup ces regrets . Je garde touj ours , cependant , un souvenir
â — ému la scène de mes premiers débuts ,
’ débuts si heureux que j arrivais , si j eune et presque novice encore , au pre mier théâtre lyrique du monde entier .
’ Au l O é ra reste , ceux que j e fis à p
dois le u furent , j e croire , éclatants , puisq e ,
i au lendemain de la prem ere soirée ,
’ A R obert le Dia ble j avais chanté lice , de , m o n premier engagement fu t sp onta néme nt déchiré e t remplacé par u n
’ autre où les chiffres primitifs d a pp oin teme ntSétaient remplacés par ce u x de
’
3 0 000 3 5 000 4 0 000 . u , et francs J aj o te 6 8 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T ISE E
’ n ici , pour n y point revenir , que le reno
’ vell em e nt fi t 60 000 se à francs , et qu en
fin l ê troisième engagement portait le
chiffre coquet de 80 000 francs . Pour u n e je u ne fille de dix—sept à dix
a t huit ans qui , quelques mois auparav n , lançait la romance patriotique sur des
— t a scènes de café concer , cela pouvait p
’ it ê " ra re un r ve rêve d or , à propre E . t e ment parler j marchais dans la vie , f f a . en e et , comme d ns un rêve S ’ il m ’ est permis de m ’ adresser un
’ ’ é t o loge , c est celui d ê re touj ours dem u rée quoique certains en aient dit sans morg ue dans cette ascension
’ ’ rapide . J étais trop j eune pour m enor
u eillir g beaucoup , pour que cette succes
s10 n de succès , qui me tournait un peu
’ à m ih s irât la tête , la vérité , p autre
7 0 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’ me C est M Gu eym a rd qui le c h antait et dela plus brillante façon . Le j our de la troisième représentation , elle … se trouva A subitement malade . trois heures on
’ e t sonnait chez moi l on me priait , de la
mon u e part de directeur , de vo loir bi n
’ passer à son cabinet . Je m y rendis aus
sitôt .
c i Je trouvai M . Royer en ompagn e de
’ m attendaient im a tiem Gounod . Ils p ment et mon directeur me demanda comme un service de vouloir bien chan
ter le rôle de la Reine , au pied levé
: avec la partition en main , bien entendu " Dam cela me semblait un peu vif,
’ ’ l in i surtout à l Op é ra . Mais devant s s
tance de ces messieurs , j e me décidai .
’ G m emm ena ounod , me fit monter en * e et d emie voiture et , de trois h ures à AU T H E A T R E 7 1
tout près de sept heures , me fit répéter
’ lerôle . Une heure et demie après j en trais en scène . La salle avait été prévenue et m ’ ap plaudit d ’ abord rien que p our ma com
’ a plaisance . Mais , rrivée au grand air , si ma connu , j e déposai partition sur le
‘ trou du sou ffl e u r et j e continuai san s A accroc . la fin de la représentation , ce
u n e fut ovation indescriptible . Long temps il fut question d u tour de force que j ’ avais accompli et dont Gounod ainsi que M . Royer me remercièrent avec effusion .
’ ‘ A u a insi , pendant do ze années j ai peu
e près porté le poids du répertoir , à
’ ’ é ra v l Op . Mais si j ai beaucoup tra aillé j ’ en ai été bien récompensée par les pré c ieu ses marques de sympathies que tout S O U V E N I R S D ’ U N E A RT I S T E
’ l e monde m a prodiguées pendant cette longue période . Le public me traita touj ours enfavo t d n rite , ayan la plus gran e i dulgence pour mes instants de faiblesse qui
’ n en a - pas ? e t p ou r m e s e rreu rs qui n ’ en commet ?
’ Les deux directeurs que j ai eus ,
MM . Royer et Perrin , hommes du monde t f autant que de méri e , urent pour moi
’ des amis enfin , j ai touj ours eu avec mes camarad es les meilleures rela tions .
’ J eus particuli erement a me l ouer de
’ ‘ l émin ent t Faure , ar iste , qui occupait a
’ l Opé ra la place à laquelle son m agnifi que talent lui donn ait droit .
’ N o n seulement il me prodigua d ex c elle nts à e conseils , moi , presque d bu A U T H E A T R E 7 3
i il tante encore dans la carr ere , mais
’ m a u a m e t pp y , soutint de son autori é , et; i mé d au point de vue prat que , ren it
’ m é c la ra n t encore maints services , i
’ sur m a ôrta nt bien des choses , pp dans
l es des questions de métier , comme
’ d e son engagements , par exemple , l aide
expérience . De toutes façons il me fut
’ x u e trêmement utile , et c est ici le lie
’ d exprimer ma gratitude à ce trèSg rand chanteur pour qui j e conserve la plus
vi v e affection . Citer les artistes avec qui j ’ eus égale
ment les meilleurs rapports , serait citer
’ ’ ceux ave c qu i j ai c h an té pendant ces
’ t—à—d douze années , c es ire tous Villaret
VVa rot v Dev o o d , Obin , Bel al , y , Rosin e
’ ' è t i Bloch , une amie tr s chère , d au res qu
r t témoi n passè en plus rapidement , me g è 7 4 S O UV E N I R S D ’ U N E A R T I S T E rent touj ours -les plus affectueux senti ments de bonne camaraderie .
’ L Opé ra fut pour moi comme une
’ grande famille . J y aimais bien tout le
’ 0 1 monde et j e cr s qu on me le rendait .
Au a reste , on beaucoup exagéré les j alousies d ’ artiste a artiste et les inci de nts qui en résultent parfois . Le N ous nous aimons entre musiciens si drô
’ lement dit par Baron dans M a m z elle
N itou che — , est peut être un fantai siste , mais , somme toute , il y a dans le monde artistique et théâtral plus de
° ’ cordialité e t d am 10 ale confraternité ’ t qu on ne le croi généralement .
Il faut en convenir cependant , certains
’ artistes ont des instincts d a c c ap a re m ent
’ ' lu s dé lac é s d autant p p que , de toute
’ -c c ? — façon , n est pas ils ne sauraient être A U T H E A T R E 7 5 seuls à interpréter des œuvres ni a com t poser un programme . E ce sont presque touj ours , j ustement , ceux qui , de par leur t ’ talent et leur célébri é , n ont à craindre aucun voisinage et na sa u ra ie nt rien a perdre , même un partage de succès .
E n voici un exemple frappant , mais pris
’ ’ l é ra ailleurs qu à Op .
’ C est peut—être le moment de placer ce
’ i u a ré souvenir , qui fera d autant m e x pp
’ cier l e xcellence des relations sur notre grande scène où j amais on ne v oit ni mesquinerie ni petites manœuvres sour noises . Il date de mon séj our en Ru s sie .
’ a â P é ters L ssociation des étudiants ,
on bourg , est , le sait , extrêmement puis
. tu t sante Les é diants consti uent , en
’ quelque sorte , dans l empire moscovite , 7 6 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
a s une c ste spéciale , jouis ant de divers privilèges et prérogatives .
’ Or , tous les ans , l association de Pé tersbou rg organise une solennité musi cale â laquelle tiennent à honneur de participer tous les artis tes russes et étrangers présents dans la capitale a ce t moment . Tou e la haute société russe y
ê S ar assiste , et ces f tes ont ainsi , p leur organisation et par la composition de la
’ salle , les plus brillantes qu on puisse ima
giner . Lorsqu ’ une délégation de ces messieurs
' v int m e rendre visite pour me demande r
mon concours , j e le leur accordai donc .
‘ avec empressement et le ur Çd is que j e
’ u F a s u t . chanterais l air des Bij o x_ , de Ils me remercièrent chaleureusement et me
a o reve nir eu m is p ur _ p après ,
7 8 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’ ’ 1 u e é v idem pr ee d y renoncer , q j y eusse ment Mais j e ne pouvais a d m ettre que , sans motif plausible , pour
’ u le se l plaisir d affirmer son autorité , et mettant de braves j eunes gens dans une
a it — â — situation fausse , elle g ainsi vis vis de moi .
Je répondis donc a c e s m essie urs que
’ j étais fâchée de ce contretemps , mais a que mon répertoire de concert , moi , chanteuse dramatique , étant fort res tre int , tandis que celui de concur
t t u e ren e , la chan e se légèr par excellence ,
’ t c e ù t a était ex rêmement étendu , été elle de faire un autre choix , et que , dans ces conditions j ’ étais forcée de me re tirer .
’ N u avrés de l avent re , les délégués insistaient vainement pour me faire re AU T H E A T R E 7 9
su r venir cette décision , lorsque Vie nawski intervenant , dit
— Ma chère amie . permettez moi de vous faire une proposition .
— Laquelle demandai je .
’ Voulez —vous chanter l Aoe M a ria de G ? ouno d Je vous accompagnerai .
La délicatesse de cette proposition , qui témoignait d ’ un esprit de si parfaite
’ camaraderie e t d u ne si haute estime
’ m ém u t é tu d1a nts vivement ainsi que les ,
n et , serrant la main du gra d violoniste ,
’ j e le remerciai de son offre , que j ac c epta i .
Dès que la cantatrice dont il e st inu
’ u e é c riv e c onnu t l e tile q j le nom fait , elle vo u lut revenir sur sa première ins
’ 1ration p , affirmant qu elle était disposée
’ a t ê e t tou faire pour m tre agréable , que 80 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’ SI i j e voulais chanter l air des B j oux , elle
’ a y renoncerait volontiers . Mais il ne s gissait plus seulemen t de m oi : V ienawski était entré en scène et nous nous en fin
’ l Ac M a ria mes à e . ’ t L his oire , naturellement fut bientôt c onnu e e t _ fit beaucoup de bruit . On verra ailleurs combien le public de
’ P étersbou rg témoigne d égard s aux ar ’ f ’ tistes qu il a fectionne . Il m en donna , dans cette circonstance , une preuve tou
me chante , faisant à la soirée une série
’ d o v a tions auxquelles j e fus particulière
e t ment sensible , soulignant son intention par l ’ accueil relativement froid qu ’ il fit
’ do nt e à l artiste j parle , si transcendante
‘ - cantatrice fût elle .
’ ‘ C est la seule aventure de c e genre t é qui me soit arrivée , e , j e le r pète , j e AU T H E A T R E 8 1
’ ’ au n ai j amais , en dehors d elle , trouvé tour de moi de ces j alousies mesquines
dont on se plaît à accuser les artistes .
Peut—être se manifestent—elles plus fré qu emment sur de moins grandes scènes
’ que celles sur lesquelles j ai chanté . Mais j e suis portée a croire que l ’ on exagère
la . beaucoup , aussi Les vrais artistes ceux qui le sont par
n t u e le sentime t tou au moins , quels q
’ s a ré c ier soient leur moyens , savent pp ,
’ s estimer et se témoigner leur estime .
E ’ N PROVINCE , A L ETRAN GE R
Un proverbe dit qu ’ on n ’ est j amais
’ n e co tent de ce qu on a . Comme b aucoup de proverbes il est faux , ou , tout au
n v ê moins , il ne dit pas exacteme t la rité .
’ Cette vérité la voici Même lorsqu o n
’ c t on est onten de ce qu on a , désire encore autre chose . t m Cer es , j e me trouvais ad irablement
’ ’ ’ é ra à l Op . Tout m y avait réussi ; j étais e ntourée de bons camarades et le public S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’ l ir ne s e tait j amais lassé de m app au d .
’ E h e dé sirais a bien , j d autres appl udis
’ sements encore . J aurais voulu chanter
’ ’ d au tTeS ublic s u devant p , rec eillir d au tres bravos , conquérir de nouveaux suc
c è s .
’ ’ J avais souvent reçu , d ailleurs , pres
s que depuis mes débuts , des proposition
’ fort tentantes . Mais j avais peu d e loi
’ fi s r sirs . Cependant , j e d abo d quelques excursions dans les grandes villes de
province , parmi lesquelles il me faut noter un mois passé à Marseille
’ C était un peu avant que oommen
’ a ssent l A rica ine —â ç les répétitions de f ,
’
l O éra . O n M oïse de R os p avait remonté ,
s o ini . C mme j e ne faisais point partie
ena is de de la distribution et que j e v ,
’ donner beaucoup de ma personne , j ob
86 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’ le public et , à la vérité , j e n en pou v ais produire autant sur tout le monde
car peu de temps après mon arrivée , il me demanda ma main . Il faut croire encore qu ’ il avait su se faire apprécier de moi aussi , puisque j e la lui accordai .
ré é ti Six mois après , au cours des p
l ï-A rica ine tions de f , nous étions mariés .
’ ’ Dans l intervalle , j e l avais fait entendre
’ ’ hé i a l en a r . n s t e à M Perrin qui pas à g g , ’ b non pour m être agréa le , mais pour sa
’ seule valeur d artiste , puisque , après un
i — E u excellent début dans Sa nt Bris , des
u enots rôl e d e g , il lui confia le don Diego
’ ’ l A rica ine de / , que mon mari créa , d ail
u ne t . leurs , avec réelle au orité
Je reviens à mes voyages .
’ ’ Brûlafit d envie d entreprendre la car ’ E 87 E N P R O V I N C E , A L T R A N G E R
1 e tu diais n r ere italienne , j depuis lo g temps avec l ’ intention de répondre quel
que j our aux invitations que j e recevais . ’ 1867 C est en que , pour la première fois , j e chantai en Italie , au théâtre de la Pergola , à Florence . Vingt fois de sui te j e fus acclamée dans
’ H u u enots t la les g , et c es que j e connus
’ l éniv rem ent enfin des rappels sans fin , des applaudissements crépitant c on
u rore f , que ne pratiquent pas les Fran
’ çais . Même dans ses instants d enth ou sia sme emballabl e , le public parisien , si pourtant , conserve une certaine me sure .
’ E n l e Italie et dans d autres pays , on
n verra , les manifestations atteigne t sou vent presque au délire . Je fus quasi ense velie a la dernière soirée sous des ava 80 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’ 5 1 j e voulais chanter l air des Bij oux , elle
’ s a y renoncerait volontiers . Mais il ne gissait plus seulemen t de m oi : V ie naw ski était entré en scène et nous nous en tin
’ l A M a ia mes à oe r .
’ L histoire , naturellement fut bientôt
c onn e e t u . , fit beaucoup de bruit On verra ailleurs combien le public de
’ P éte rsbou rg témoigne d égardS aux ar ’ ff ’ tistes qu il a ectionne . Il m en donna , e dans cette circonstance , une pr uve tou
a chante , me faisant à l soirée une série
’ ' d ov a tions auxquelles j e fus particulière
e t e ment sensible , soulignant son in t ntion
’ ’ par l a c cUeil relativement froid qu il fi t
’ ” à l artiste dont j e parle , si transcendante
' - cantatrice fût elle.
’ " C est la seule aventure de ce genre é qui me soit arrivée , et , j e le r pète , j e AU T H E A T R E 81
’ ’ n a i en au j amais , dehors d elle , trouvé tour de moi de ces j alousies mesquines
dont on se plaît à accuser les artistes . Peut—être se manifestent— elles plus fré
qu emment sur de moins grandes scènes
’ que celles sur lesquelles j ai chanté . Mais
’ j e suis portée à. croire que l on exagère
la . beaucoup , aussi
Les vrais artistes , ceux qui le sont par
t u e le sentiment tou au moins , quels q
’ s a ré c ier soient leur moyens , savent pp
’ s estimer et se témoigner leur estime .
E ’ N PROVIN CE , A L ÉTRANGE R
Un proverbe dit qu ’ on n ’ est j amais
’ content de ce qu on a . Comme beaucoup de proverbes il est faux , ou , tout au
c n v ê moins , il ne dit pas exa teme t la rité .
’ Cette vérité la voici Même lorsqu o n
’ c t on est onten de ce qu on a , désire encore autre chose . t Cer es , j e me trouvais admirablement
’ ’ ’ é ra à l Op . Tout m y avait réussi ; j étais e ntourée de bons camarades et le public S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’ m a l dir ne s etait j amais lassé de pp au . E h ’ bien , j e désirais d autres applaudis J’ sements encore . aurais voulu chanter
’ ’ s u d a u devant d autre p ublics , rec eillir tres bravos , conquérir de nouveaux suc
c è s .
’ ’ J avais souvent reçu , d ailleurs , pres
s que depuis mes débuts , des proposition
’ fort tentantes . Mais j avais peu d e loi fi ’ r . s sirs Cependant , j e d abo d quelques excursions dans les grandes villes de
province , parmi lesquelles il me faut noter un mois passé à Marseille
’ C était un peu avant que oommen
’ a ssent l e s ré étitions l A rica ine ç , p de / à
’
l O éra . O n M oïse de R os p avait remonté , o sini . C mme j e ne faisais point partie
v ena is d e de la distribution et que j e .
’ -b donner eaucoup de ma personne , j ob
86 SO U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’ le public et , à la vérité , j e n en pou v ais produire autant sur tout le monde car peu de temps après mon arrivée il me demanda ma main .
’ Il faut croire encore qu il avai t su se faire apprécier de moi aussi , puisque j e la lui accordai .
ré é ti Six mois après , au cours des p
l ’A ric a ine 1 tions de / , nous étions mar es . ’ t ’ Dans l in ervalle , j e l avais fait entendre
’ ’ n hé si a à l en a r . t e à M Perrin qui pas g g , ’ b non pour m être agréa le , mais pour sa ’ a seule valeur d artiste , puisque , près un
S i — E u excellent début dans a nt Bris , des
u enots rêl e d e g , il lui confia le don Diego ,
’ ’ l A rica ine de / , que mon mari créa , d ail
t . leurs , avec une réelle au orité a Je reviens mes voyages .
’ ’ Brùlai1 t d envie d entreprendre la car ’ E 87 E N P R O V I N C E , A L T RA N G E R
1 é n r ere italienne , j tudiais depuis lo g temps avec l ’ intention de répondre quel
que j our aux invitations que j e recevais . ’ 1867 C est en que , pour la première t fois , j e chantai en I alie , au théâtre de la Pergola , à Florence . Vingt fois de sui te j e fus acclamée dan s
’ H u u enots t la les g , et c es que j e connus
’ enfin l é niv rem ent des rappels sans fin des applaudissements crépitant c on
u rore f , que ne pratiquent pas les Fran
’ çais . Même dans ses ins tants d enth o u
siasm e emballabl e , le public parisien , si pourtant , conserve une certaine me sure .
’ E n l e Italie et dans d autres pays , on verra , les manifestations atteignent sou vent presque au délire . Je fus quasi ense velie à la dernière soirée sous des ava 88 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E '
L lanches de bouquets et de couronnes . e
o —E II a la ntu omo roi Vict r mmanuel , roi g ,
’ l a el aient comme pp ses suj ets , qui assis t à c ait cette représentation , me fit app
’ m a c c abla ler dans la loge royale , de compliments , débités dans le plus pur
’ m offrit français , et un splendide bracelet de brillants .
’ ’ -c c Je n avais qu a me féliciter , n est A pas de cette première expérience . ussi ,
’ rofita nt un p d congé de trois mois , en
’ 1868 a c c e , entre deux engagements , j p
’ ta i les offres séduisantes qui m étaien t faites à la Scala de Milan .
’ Je débutai dans les H ug u enots et l ac
’ c u eil fut , s il est possible , plus chaud
’ encore qu à Florence . Pendant trois mois , j e chantai plusieurs œuvres parmi
L u crèce B or ia lesquelles g , de Donizetti
9 0 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
Il Gu a ra n fut la création de y , du maes
’ ” tro Gomez . C était ma consecration défi
’ nitiv e d artisteitalienne et j e fus con
’ sacrée par des ovations dont l écho vibre
encore à mon oreille charmée .
I l G u a ra ng ne devait point être aussi
’ u heureux . La partition n a pas véc , pas
longtemps tout au moins .
’ L auteur de cet opéra , était , si j e ne
’ d o r1 m e me trompe , g brésilienne , et
I l G u a ra ny devait être représenté à Rio
’ ’ — ri ir de Ja e o l année suivante . L empereur
’ d on Pedro me fit proposer d e l aller j ouer dans sa capitale . On me remit un
’ engagement en bla nc que j étais libre de
‘ e r mplir a ma guise , en y écrivant tel f chif re que j e voudrais .
’ si v a Mais les oy g es m avaient séduite , si j ’ avais voulu cueillir d ’ autres lauri ers ’ E 9 1 E N P R O V I N C E , A L T R A N G E R
’ ‘ n én tenda is que ceux de Paris , j e point t quitter la France , doublemen mon pays par mon mariage et par mon affection
n reconnaissa te .
’ Je f re usai donc d aller au Brésil , et j e
’ rentrai à Paris pour l hiver de 1868 - 1869
’ v J y retrou ai mon public accoutumé , si
em res bon pour moi , dans son paisible p
n a seme t , et ses pplaudissements me
n ê fu fieu x fure t doux , m me après les
transports des salles italiennes .
s s La saison pa sa , puis la suivante san
n i cidents notables . Vint
’ L env ahisseme nt dé finitif de la France G l e” par les armées de uillaume , qui
n n mettait la patrie en da ger , en appela t tous les français valides sous les dra peaux et en remplissant les esprits de 9 2 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
D sombres préoccupations , provoqua , atu
’ rellem ent u l O é ra a 1nSI , la fermet re de p ,
que des autres théâtres nationaux de
Paris .
Les représentations étant forcément r inte rompues , les artistes recouvraient , par le cas de force maj eure toute leur
’ t m offrit — liber é . On aussitôt a Saint Pé
tersbo u r à. g un engagement , raison de 4 0 000 ’ francs par mois , que j e m em
’ pressai d accepter . A e vant de partir , j e voulus aller m ttre des vale urs en sûreté a la Banqu e de
’
. t r . B uxelles Le dépôt fai , j allais rentrer à Paris pour prendre mes malles qui
’ lors u é c lata étaient prêtes , q , comme un
s coup de foudre , la nouvelle du dé astre
’ : t de Sedan Puis , aussitô , on apprit l in
S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
à profit pour donner une dizaine de re présentatio n s au directeur de la Monnaie
les qui sollicitait . Une grande par tie de la soc i e te pari sienne habitait alors la capitale de la
’ Belgique et rehaussait l éclat des rep ré
c u s tations de la Monnaie . Je fus donc fêtée non seulement par les Bruxellois ,
’ mes compatriotes d origine , mais par
’ ’ nombre d h abitu és et d habitu é e s de
’ ’ l O é ra u i retrou p q , dans l exil obligé , v a ie nt une de leurs chante uses p réfé rées .
’ P e nd a ñt Tu e e les entr actes , on d man
M a rseilla ise dait la , comme à Paris , et
’ B ra ba nconne j y j oignais la . Ces deux chants nationaux étaient chaque fois
’ l oc c a sion de m anifesta tion s en tho usias tes
ê auxquelles j e me pr tais avec orgueil , ’ E T 95 E N P R O V I N C E , A L R A N G E R
fière des applaudissements , en bissant à
perte de vue toutes les strophes .
Les semai nes passèrent rapidement
au milieu de ces ovations et de v ant ces salles combles dont la composition me faisait presque croire que j e n ’ avais pas
. E èt quitté Paris nfin , le moment arriva
- je partis pour Sain t P étersbou rg . C ’ est vraiment une des meilleures p ériodes de ma vie que celle de mon
’ séj our en Russie , tant l accueil que j e
reçus fut chaleureux et sympathique .
’ ’ J a i chanté presque dans toute l E u rop e ;
’ ’ si j e n ai poin t traversé l Atlantique et le
’ ’ Pacifique , c est que j e ne l ai pas voulu
ma 1s j e sais par d es camarades qui
’ on t vu les villes d outre - mers où j e ne
suis point allée comment y sont reç u s
’ ’ les artistes qui s imposent à l attention . S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
'E h ’ ’ bien , j e puis dire qu il n y a pas de
public plus vibrant , plus chaud que le
public russe . A s E illeur , en Italie , en spagne , en E Portugal , en gypte , les ovations sont
e xtrav a plus bruyantes , parfois , plus
— ou gantes , pourrait presque dire ; elles ne sauraient être plus cordiales et plus
empressées tout ensemble .
Les femmes surtout sont choyées .
Une artiste aimée est , couramment , rappelée douze ou quinze fois après le
baisser du ride a u .
’ ’ Un fait q u il faut signaler et qu en
’ France , où l on se pique de galanterie ,
on ferait bien de méditer j amais , j us,
’ ’ qu à ce que l artis te - Soit sortie de scène
m — e pour la dernière fois , j a ais , dis j ,
’ n e p ersonne bouge de sa place . On n en
S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E '
" l ne rer des mains en reme rci ant , et ce a
’ lais se pas d être fort impressionnant ce tte i admiration S spontanément exprimée . Je n ’ oublierai j amais l ’ accueil qui me
” a —P é tersbou r fut fait Saint g , au théâtre , nonplus qu e celui qui me fut réservé à la Cour O ù plusieurs fois j e fus invitée à chan ter dans des récep tion s d ’ un faste
e inouï . Je fus fêtée par tout le monde t accablée de prévenances extrêmement délicates .
’ Ce n est nullement pour le plaisir de mettre en lumière tous les succès que
’ ’ n j ai pu obtenir qu e j i siste sur ce point .
Je veux seulement , en racontant ce que
’ a i v u d e j , essayer rendre le caractère des divers publics ceux des grandes d S villes évi emment , mais ils ont la syn thèse des autres , devant lesquels une E N ’ E 99 P R O V I N C E . A L T RA N G E R ar tiste de quelque réputation est appelée à se produire J ’ ai dit ce qu etaien t les spectateurs italiens et russes j e vais parler de ceux ’ ' Pl que l o n rencontre en Égypte . u S mé E langé , le public comprend des uropéens , enchantés de v o ir triouî ph er un artiste de É t t leur race , et des gyptiens , na urellemen dé sire ux d é se montrer plus fanatiques encore . Il y a assaut e ntre c es deux élé ments , qui arrivent facilement à des dé m onstra i n t o s folles .
’ ’ u RUssiè Lorsque j e q ittai la , j avais f S n déj à , en e fet , igné un e gagement de c inq mois pour le C a ire où j e me rendis x u en passant par Bru elles , po r y prendre ma mère qui était venue m ’ y attendre a l em ent ussitôt après le déb oqu de Paris . On était en pleine Commune e t je dus 100 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
renoncer à aller voir le boulevard , alors singulièrement bouleversé . Le soir de ma première représ en tation
’ d o u ir n au Caire , j e fus stupéfaite ta t et de si véhémentes acclamations . Les
fleurs pleuvaient sur la scène .
a Lorsque j e quittai le théâtre , près des
o u rappels sans n ombre , me fit monter
— dans une voiture du vice roi dont , peu
f re n dételé u t . après , les chevaux s Une
’ ’ foule d Arabe s portant des torches l en tou ra ient et poussaient des bourrah .
’ ’ e Je dois l avouer , j n étais qu a
’ i moit e rassurée , surtout en voyant qu on
’ u ne me ramenait pas de s ite à l hôtel . Le cortège improvisé parcourut la ville en effet , pendant une heure , sans que j e pusse arriver a faire comprendre a ceux qui le formaient que j ’ avais besoin de
102 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E u ne centaine de mille francs de b1j oux et de cadeaux divers . J ’ avais été réengagée pour l ’ année sui vante a des conditions plus brillantes
’ encore , sur l invitation formelle du vice roi que j e connaissais depuis mes rep ré sentations de la Monnaie , à Bruxelles , A où il se trouvait alors . une soirée de gala il avait tenu a m ’ adresser personnel lement ses félicitations , dans la loge
’ royale , et m avait fait remettre un collier
’ d une grande valeur .
e Cependant , j e ne r tournai pas au
’ d Al exa ndrie Caire . La traversée à Brin disi qui dura quatre j ours a cause d ’ une ê ’ épouvantable temp te , m avait donné un ff insurmontable e roi de la mer . Puis , j e reviendrai sur cet incident ailleurs , j e
' Aïda et devais créer . , Verdi ne voulut ’ E 103 E N P R O V I N C E , A L T RA N G E R
point consentir aux quelques change
’ ments que j e lui demandais . J en pro fi ta i p o ur refuser de remplir mon enga
e u f gement o frant de payer le dédit prévu ,
’ ’ n a c c e a ce que l on pt point . Touj ours ma
’ bon ne étoile m a mis en rapport avec des personnes qui , sur ce point spécial ,
’ m ont témo 1gné les plus parfaits égards . E ’ a ntre temps , on m av it demandée à
Madrid , en me faisant de fort belles con
’ ’ ditions a c c e ta i que j p , car j avais pris l ’ habitude des déplacements et j e desi rais voir des pays nouveaux .
Du reste, après la guerre , tout avait bien changé à Paris . On était encore
’ sous le coup de l invasion ; une cer taine tristesse rég na1t ; les théâtres étaient
’ moins fréquentés et -les engagements s en
e de . t ressentaient Il y avai ncore , enfin , ’ 1 1 04 - S O U V E N I R S D U N E AR T I S T E
’ ’ 1 et la tristesse dans l a r , j en avais en
c . ore , moi aussi , au fond du cœur
’ J ava is besoin de distractions .
’ J aj oute que la carrière italienne , pour
’ i moi comme pour b en d autres , avait du
’ ’ isa c . n env harme J y étais faite , et j e g eais pas sans appréhension une rentrée A a Paris . insi passèrent des années
’ a v insi , sans m être décidée à re enir au
’ a tte i nis lieu de mes premiers succès , j g
le moment où j e crus devo i r abandonner
la scène .
’ Mes débuts à l Opé ra madrilène sont
’ les plus mouvementés que j aie eu s .
Je désirais , naturellement , débuter par
’ l es H u u enots A ri a i g ou l f c ne . Mais le d irecteur lu i—même ne pouvait accéder a
’
. ir n mon désir Il était forcé d ouvr . avec u
’ o é O l Anna p ra italien , et cet péra était
— 106 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’ e du fond de l art , en pleine poss ssion r ôle .
’ 1 J arriva a Madrid assez rassurée , mais pourêtre aussitôt reprise par le trac
’ E n f entenda is r ou e fet , j di e partout j ’ allais que le directeur avait tort de me
pré senter aux Madrilènes dans Anna B o
’ lena n , rôle que j e avais j amais chanté au lieu de me faire entendre d ’ abord dans un de ceux qui m ’ avaient portée à la celé ’ s f . C t bri é e t moi , out naturellement , qui supportai les conséquences de ce mé c on
’ t enteme nt s a ffi rm a , qui le soir de la
’ ’ première d une façon non équivoque .
s a Je entis la froideur du public , dès
mon entrée en scène , que ses disposition s
étaient vraimen t hostiles .
’ e ac Peu h abitu é e . qu j étais à un tel
c u c il e . , j me sentis aussitôt démontée ’ E R E 107 E N P R O VI N C E , A L T A N G R
t o sier se Ma frayeur fut elle , que mon g _
’ re sserra et que les sons ne p ou v a ient
. sortir Tant il est vrai que , même une
’ ’ longue pratique , et l assurance qu elle à donne forcément , ne vous mettent pas .
’ ’ l abri d accidents fortuits .
’ J étais , à proprement dire , paralysée ,
‘ ’ dois l av o u er n t et , j e , j e cha tai for mal n ’ ma cavati e d entrée .
’ Une t a u par ie de la salle , qui n avait
cu_ ne idée préconçue et se rendait compte
’ c om renant u dné t des choses , p , q artis e n ’ était pas arrivée à ma situation sans
’ d u n être en possession réel talent , vou
’ lut m e nc o urager et applaudi t malgré
’
. 1 rofi tout Ma s l autre partie du public , p
' n h a l a ta t de ce début fâc eux , chuta les pp u
” ’ " i n J d sseme ts . amais j e ne m étais trouvée a O dev nt une semblable bstruction . 1 08 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’ L inju stic e flagrante de ce procédé
’ ’ m ex a s é r t f p a . Cela me produisi l e fet d ’ un coup de fouet sous lequel j e me
de redressai , avec le désir prouver aux
opposants ce que j e pouvais faire .
Je me retrouvai , pour le second acte ’ t résolue , ferme et tranquille . C étai une " bataille soit , j e la gagnerais
’ J enlevai la scène avec H enri VIII a v ec
v c m à ma aillance ac outu ée , sans arriver
re v enu s désarmer les gens p , et j e me
u donnai to te entière au dernier acte , surtout dans le rondo final , le plus dur et le plus difficile morceau de la parti
a u tion , point de vue vocal comme au
" point de vue du style .
’ n La bataille était gag ée , j avais vaincu .
' t La salle entière é ait debout électrisée ,
un ff refl exe d a u ta nt et , par e et , plus
1 10 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
a Je consentis reparaître , en voyant
que tout le monde était bouleversé , mais sous cette condition formelle qu e mon engagement serait résilié et que j e ne chanterais plus . Naturellement on promit tout ce que
’ alla i j e voulus et j saluer le public qui , complètement retourné , voulait me por ter en triomphe. Je ne pus rentrer a mon domicile qu ’ après une heure du
t diré c matin , et ce fut pour y rouver le t eur qui , accompagné de plusieurs habi tués comptant parmi les notabilités de
c al Madrid , venait essayer de . me mer
’ On me représenta que , d abord , pour
les débuts , la pièce devait être exécutée
deux fois ; que , ensuite , j e ne pouvais laisserl ’ administration dans un embar ’ E 1 1 1 E N P R O V I N C E , A L T RA N G E R
u 11 ras si grave , p isqu fallait au moins s ‘ quinze j our p our trouver , engager et
’
faire venir une autre chanteuse , et que ,
On t dans ce laps de temps , me donnerai sa tisfac tion ainsi qu ’ au public en mon
s tant les H ug u enot .
Je dus me rendre a ces raisons q ui t étaien à la vérité fort bonnes , et j e
i prom s , devant les instances si aimables
’ t ma de tous ces messieurs , d a tendre remplaçante é v ent u elle .
A " insi que cela avait été convenu , les
H ug u enots furent montés à quelques
’ ’ l a fut a j ours de et ce , d un bout l autre i t de la so rée , une telle ova ion , le public témoigna de telle façon ses regrets de la
’ première algarade , que , lorsqu on me
à. demanda , la fin de la représentation , si j e voulais touj ours résilier mon enga ’ 1 12 S O U V E N I R S D U N E A R T I S T E
ma i gement , j e revins sur prem ere déci sion e t me décidai à rester . Ce ne fut pas pour une seule année
’ au reste , puisqu en effet j e fis cinq
saisons successives à Madrid , obtenant
chaque soir le même succès , applaudie dans tout mon répertoire avec la même
faveur . Les cinq saisons de printemps qui ’ v suivirent les saisons d hi er , j e les pas A sai en ndalousie , où j e fus acclamée chaque fois comme dans la capitale . t t Mes appointemen s é aient , chaque
a m nnée , aug entés dans de grosses pro ’ E portions , et j ai eu , en spagne , toutes
’ les satisfactions . Satisfactions d amour ’ f i ’ propre d artiste et satis act ons d argent .
Chacune de mes représentations à bé né e
’ fi c e a été l occasion de démonstrations
114 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
s n abord , ils sont au moins aus i passion és
’ s d a dm1ra i n dan leurs témoignages t o . Ces pays ensoleillés sont la vraie p a
— — u trie des fleurs . Aussi le s prodigue t o
’ en toute circonstance . Je n ai j amais l chanté sans en être comb ée , et à ma
’ d a dieu x représentation , mes camarades et moi marchions littéralement sur un tapis de roses et de camélias .
tente Pendant la soirée , un orchestre t t sp écial demeura ins allé devan ma loge , au fond de la scène , j ouant , pendant les
’ entr actes , les airs les plus applaudis de mes divers rôles .
1 Vers le milieu de la p ece , le roi et la reine me firent prier de me rendre dans E t . t leur loge , ce que j e fis aussitô pen dant que j e recevais les félicitations des souverain s ,qui me remettaient un sou E N P R O V I N C E A L ’ E T RA N G E R 1 16
’ venir de grand prix , l orchestre j ouait la ill l” a rse a ise . t On voi comment , dans ces
c élé pays , plus charmants que la Chine
’ bré e at t par Bazin , on tr i e les ar istes qui
ont su se faire apprécier et aimer .
’ J ai tou t a u ta nt à me louer de la saison
‘ la — SIx 1 e m e que j e fi s e nsuite à Madrid (douze représentations des H u g uenots au théâtre Rivas). Al "II a Le roi phonse , qui assista
presque toutes , me fit mander plusieurs a fois pour me féliciter chaudement , et ,
ma dernière s oirée m e remit un très
beau collier enrichi de diamants . Il fallait ma longue série de succès li fi pour que le p ub c m e t ainsi fête . ’ ff ’ t J avais en e et été prise , d assez subi e ’ d u n a v a it ré sisté façon , enrouement qui
’
a . tous les tra itements C était , pour une 116 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
. e s fois , j ouer de malheur L témoignages de vibrante sympathie qui me furent
— prodigués , malgré ce triste contre temps par une foule qui paraissai t presque plus
’ —m m ém u re n t a peinée que moi ême , un tel poin t que j e me mis à pleurer en
u ne a t a scène comme enf n , t ndis que la
’ nt a fflic tion salle , comprena mon , m ap
’ ’ pl au dissa it plus fort qu el le ne l aVa it j amais fai t . Il me fallut de longues semaines de repos et de soins pour retrouver la v 1
De x n gueur de mon organe . bea u e gage f ments me furent proposés que j e re us a i . J ’ avais perdu confiance et ne pouvais
’ dominer la crainte d un désastre c omme celui qui avait m arqué m on départ de
Madrid . Déj à se précisait dans mon
’ esprit l idée de quitter le théâtre .
118 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
Le superbe ténor qui devait se faire
applaudir con furore dans les deux
mondes était alors a ses débuts . Mais sa voix avait déj à tant d ’ éclat et de charme
l v tout ensemb e , le chanteur faisait preu e ’ t ’ d un si rare tempéramen d artiste , qu ’ il n ’ était pas difficile de prévoir son brillant avenir . Ce fut une j oie pour moi qu e de chanter de telles œuvres avec un tel partenaire .
” la N v Je retrouvai aussi audin , a ec qui
’ l A rica ine Ga arré j e chantai f , et y qui , avec
fi t t L u crèce B or moi , mon er aux nues
ia g .
retro u Lors de ma soirée à bénéfice , j e t vai mes riomphes de Madrid , avec les
rofu mêmes pluies de fleurs , la même p s ion de couronnes une en or massif
et de bij oux . La colonie française ’ E 1 19 E N P R O V I N C E , A L T RA N G E R
’ m offrit , après la représentation , un sou
per somptueux .
ne n t Je puis , sa s me sen ir encore les yeux mouill és , me rappeler ces j ours si
’ heureux de m a carrière , et j ai gardé de
’ l E s a ne p g , du Portugal , si fastueusement t hospi aliers pour moi , la plus douce
mémoire . Ces belles années faillirent p ourtant
’ s achever fort mal .
’
Tandis que , l on nous acclamait au
L c e o a y , Tam gno et moi , mon camarade C ap onl triomphait dans F a us t au Théâtre principal . Nos représentations termi nées , nous fîmes partie , la basse David
C a o ul p et moi , de rentrer en France en
’ c haise de poste . C était un intéressant et pittoresque voyage a faire e t nous étions e nchantés de notre idée . 1 20 S O U V E N I R S D ’ U N E A RT I S T E
V n Mais oilà que , dans une localité do t
’ m é c h a e le nom pp , tandis que le con du c teu r était descendu pour faire boire
— ff ses chevaux , ceux ci , sans doute e rayés
’ s em ortè par quelque bruit insolite , p rent soudain avant qu ’ il eût regagné
son siège .
Par bonheur , mes deux compagnons ,
’ qui m avaient quittée un insta n t v e
naie nt . de remonter Sans cela , j etais a probablement perdue , car les chev ux eussent brisé la voiture a quelque tour a ’ n nt d une ro u te fort accidentée .
’ — i C a oul Le sang froid et l énerg e de p , qui parvint à se rendre maître des che
’
s . u vaux , nous auva Mais no s l avions échappé belle et notre ard eur pour les
’ ’ é e1n è voyages à l ancienne mode s était t t . Aussi reprîmes —nous bientôt le train
1 22 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
Un an après ma derm e re soirée de Bar
’ c el one j avais encore retrouvé m a voix .
’ Mais j e n avais pas retrouvé mon ass u E . t rance , bien perdue cette fois cepen dant , ma réclusion me pesait . Tous les quinze j ours , plus fréquemment parfois ,
’ j aba ndonn ais ma maison pour venir a
a c c a a Paris , ce Paris si terriblement p
reu r . , dont le charme vous envoûte
’
i . J y revoyais des am s , des camarades
’ J n y renouais des relatio s , allant dans des réunions et y chantant comme autre
’ fois . Tant et si bien q u un j our on me
’ pr oposa de rentrer à l Opé ra pour ré
’ l A ri a ne prendre f e i . Ce fut pour moi un gros crève —c œu r de
refuser , mais j e ne pus vaincre mes E a u . t ppréhensions , dominer ma pe r , ’ E 123 E N P R O V I N C E , A L T RA N G E R
c ependant , le désir de reparaître devant u n public grandissait en moi .
fi s Sur ces entrefaites , j e la connais s a à ance de Teres Tua , qui , quatorze ans , é tait une violoniste hors ligne que déj à
’ presque toute l E u rop e avait applaudie .
Son père me proposa de faire avec elle une tournée de concerts .
Cette prop osition me séduisit singuh e E rement . lle répondait à mon désir de t reparaître en public , sans déployer tou es
’ ‘ m e s - a - forces , c est dire en ménageant
mes craintes , et , en même temps , elle s a tisfaisait le besom de mouvement que
’ ’ J a c c e tai j avais gardé de mes voyages . p
donc et nous partîmes . r La tou née dura huit mois , avec un
c oncert presque chaque j our dans une
v f E f . ut ille di férente lle , pour Teresa 1 24 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
Tua et moi , absolument triomphale .
’ ’ J avais repris de l assurance , mais
’ non assez po u r rentrer à l Op é ra ainsi
’ ’ que l on m en priait encore . Il y avait trop longtemps que j ’ avais quitté la
’ ’ scène . L idée d y remonter me causait
une insurmontable terreur . L ongtemps , j e me tâtai comme r on dit vulgairement , pa tagée entre la tentation de redevenir une de ces héroï
’ nes de l art dont les accents secouent l ’ une sa le , la font palpiter , trembler d une
’ ’ fièvre d enthousiasme , et l idée de ne
’ m d insu ffi sa nts pas compro ettre , par
’ succès , une carrière jusqu alors lumi
neuse . Je ne voulais par être une de ces
artistes dont on dit , avec quelque commi
’
sé ra tion E u … du lle a rait s arrêter ,
’ nous laisser sur les impressions d antan .
1 26 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
maîtres , que , en un mot , on travaille à donner au théâtre les artistes qui le doi vent illustrer
H e rs Cet excellent M . eugel me p u a d e
’ a 1ns 1 qu après avoir reçu les enseigne
’ men ts de ces maîtres à l école de qui
’ ’ n j e m étais formée , j e avais pas le droi t de conserver pour m oi leurs
’ ’ leço ns qui m avaient faite ce que j e
Je tais . devais communiquer ces leçons
’ a e t - eu t m d autres , , même e ps que ’ n l art du cha t , à proprement parler , leur inculquer les grands principes
de déclamation lyrique , les nobles traditions scéniques dont j ’ avais été
pénétrée .
’ m a re erent fOrt Ces conseils g , et les encouragements dont ils furent aecom
H i — a né s . u l u p g , tant par M e gel même ’ E 127 E N P R O V I N C E , A L T RA N G E R
’ que par nombre d autres personnes . me décidèrent .
’ ’ Je m insta ll ai rue Nouvelle et j o u v ris
’ u n cou rs d enseignement musical et dra
’ L c c n matique . a omp ag a te ur qu i me fut recommandé et que j engetgea i se trouva
ê tre M . Caron . Tout de suite il me parla de sa femme M me Rose Caron , dont la carrière fut si
’ ’ belle et dont j e m h onore d avoir été
’ ’ l initia tric e dans l art si difficile et si
" c omplexe du théâtre . J ’ aurai l ’ occasion de reparler d ’ elle
’
. ê plus loin Je m arr te sur son nom , un
’ u peu tard , puisq e j en ai fini avec le t h éâtre , en tant que chanteuse , depuis
quelque temps déj à .
’ J ai , très sincèrement , montré dans toutes ses phases mon ' existence au 128 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
i théâtre , dit les déboires , décrit les j o es
’ d une artiste toute —entière adonnée à son
art .
Les déboires y sont fréquents , mais les
’ j oies si profondes , qu elles vous laissent
’ ’ au cœur d in effa çabl e s impressions . C en
est u ne encore que de seulemen t se les
e t u f e rappeler , cela s firait à xpliquer Comment m’ est venue la pensée de fixer
mes souvenirs .
13 0 S O U V E N I R S D ’ U N E A RT I S TE
’ en é c rira i ment , toute simplicité , que j sur ces maîtres ce qui me reste - présent a la memoire .
L M E Y E R B EE R . E S H U G U E N O T S L ’ A F R I C A I N E
’ Les deux maîtres dont j ai conservé le t meilleur souvenir son Meyerbeer ,
’
W e . d abord , et agn r La première impression que j ’ avais produite sur Meyerbeer n ’ avait pas été
’ favorable . C était peu de temps après
’ mes débuts à l Op é ra . Le maître fréqu en m tait peu le théâtre , ais chaque fois
’ qu une artiste nouvelle se produisait , il
’ t t l a allai l entendre , cherchant ouj ours
créatrice rêvée de sa Selika . Le rôle dans lequel il me vit tout d ’ abord ne me con L E S M A I T R E S 13 1
a venait sans doute pas très . bien , son
s c a r avi , il dit dédaigneusement
’ ’ ’ C es t pour ça qu on m a dérangé
’ a ré Pourtant , il revint m entendre , pp
ca cia mieux la seconde , puis la troi
e e si me fois , et , enfin , comme épr uve ,
u t demanda que j e reprisse les H ug eno s . Pendant trois mois il me fit travailler
’ le s a tta c h ant rôle de Valentine , surtout au duo du troisième acte avec Marcel .
’ ’ n t C est le poi culminant , mais c est \ u l e l u s du r a ssi le passage p , le plus épi ne ux , au point de vue vocal , de ce chef
’ ’ A c m d œ uv re . m a c o a ssis au piano , il p
nait n g , indiquant les moindres uances ,
’ m e xpliqu a nt la contexture des phrases musicales et leurs intentions . Tout cela avec une science , un goût si sûr , un
en sens artistique si délicat , et , tout 1 3 2 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E m se ble , une courtoisie si parfaite , que
’ ’ ’ délic e v e r1tabl e m e nt c était un , d étudier avec ce grand musicien , qui se mettait si bien a votre portée et descendait des hauteurs de l ’ inspiration pour vous
’ indiquer l es moindres nuances d un rôle .
’ Ah " trois1em e t l a i— e ce duo du ac e , j répété pendant ces trois mois "Le maître me le faisait reprendre j usqu ’ à deux et trois fois de suite , disant avec grâce , afin
’ ’ ue de s en excuser , q c était pour sa satis
e t faction personnelle , tellement il pre
’ n nait pla i s1r a l entendre ai si chanter . a Que refuser un si charmant homme ,
’ qui se faisait votre obligé , alors qu il
’ vous donnait d ines timable s leçons ?
Il Pendant les repos , me faisait en tendre des compositions inédites , des
13 4 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
Je garde précieusement la mémoire
’ de ces j ours passés dans l intimité d u maître à qui j e dois les plus hautes j ouissances de ma vie ar tistique .
Cette r eprésentation des H ug u enots
— fut peut être la plus belle , au moins
1 p our moi , de ma carr ere . Ce fut dans l a salle un enthousiasme délirant , des a cclamations sans fin . Mais ce qui consa cra ma prise de possession d ’ un des plus t ’ admirables rôles qui soien , c est que
e c Meyerbeer , nfin convain u de ce que j e
’ m entenda nt inter ré pouvais faire , en p
* ’ ’ ter ce rôle , que j usqu alors j avais seule
‘ ment chanté avec lui , sans la fièvre que
n a e ous donne , nous autr s artistes , le c d e t t ontact la foule , ce te élec risation des
a la u disseniénts u e — pp , q Meyerbeer , dis je
’ s é c ria ré v é , comme si j e lui eusse été L E S M A I T R E S 1 35
lée trois1em e , après le duo du acte , chanté sans une coupure E ’ A nfin , j ai trouvé mon fricaine
E n ff e et , de par sa volonté expresse , r espectée par ses héritiers , il devait
’ t t d u m ê re donné , après la mor maître hélas "de créer cette Sélika dont j e savais
’ déj à une partie du rôle , et dont j avais o ch isi , comme j e viens de le dire , un
des principaux airs . A cette représenta tion des H ug u enots se rattache un des incidents de ma car
riè re qui me donnent le plus de fierté .
Je le veux relater en quelques lignes . ’ t Roger , le célèbre ténor , l ar iste
l . universe lement apprécié , y assistait
Dès que le rideau fut tombe , il se
précipita dehors , entra dans un café ,
et , au crayon , griffonna ces quelques 13 6 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
lignes qu ’ il me fit auss itôt parvenir
È \M o @ M M O / Vv &%
0 d 1 I g . M D U e .s l, , ’ O … M
‘ / a … …u J a au si . v .; J e w w — … . » w ÂVa t A ew e L - L… M … a f l .. ( l a a i a @ î àm o , u s t rm w
ô
G — ’ Œä Q/ fU Î Ï I l c e a C ea L c r S è u v c
ñ m a m ù C.Q u l b s u w â u c u (YV
W sË O M : ° ' œ rv v l£ Î ÂÀ Q W \ VV w J "V ‘ PO W ' — — ’ "t w a t il l/ : LA t R L o If ç I4
13 8 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
ê l mté rê t dehors m me de du début , sur
’ Valentine . L opinion émise par Meyer beer , confirmée par celle de Carvalho , qui avait dit très haut Voilà quel
’ " e t qu un , on vient de le voir , par
’ ' l im e c c abl e R p j uge oger , fut celle de
’ toute la salle qui me combla d a pplau
’ disseme nts et me fit d extra ordinaires
ova tions .
La seconde fut plus brûlante encore . A ucun accroc , cette fois , et , en outre , la
me présence de M Miola n-Carvalho qui avait
pris possession du rôle de Marguerite . a Je veux dire , cette occasion , toute mon admi ration pour cette talentueu se
a cantatrice . Jamais la Reine de N varre
’ n a été chantée comme par elle ; non
’ ’ u plus , d ailleurs , qu auc n des rôles ’ E ’ qu elle a abordés . lle fut vraiment l a r L E S M AI T R E S 13 9
tiste complète , possédant les dons les plus rares , et la plus merveilleuse con
’ c i n ept o du théâtre et de l art du chant . t Lorsque Meyerbeer mouru , on ne savait rien de précis encore au suj et de
’ A ri a in A l f c e . près la cérémonie funèbre
e —a r d a qui u t lieu la ga e . u Nord et
’ laquelle tout le personnel de l Opé ra prit par t en exécutant quelques — unes des
œuvres les pl u s émouvan tes et imposantes
de ce grand compositeur , sa dépouille
mortelle fut dirigée sur Berlin .
’ l Ac a démie M . Perrin , directeur de
’ l a c c om a nait nationale de musique , p g
’ r a pour assiste l ouverture du testament ,
’ qui eut lieu quelques j ours après . Jusqu à
sa dernière heure , Meyerbeer avait pensé
a A ri ca ine son f , cette fille de son cer
veau , préférée de son cœur . Il donnait à 1 4 0 S O U VE N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’ ’ l Opé ra de Paris l autorisation de la mon
n ter , sous diverses conditio s dont les
’ p rm 0 1p al es étaient l imposition de deux artistes comme interprètes Faure pour
N e e . lusko , moi pour S lika
M . Perrin rentra aussitôt à Paris et les répétitions c omm ençè rent dès son reto u r . Ici se place un des seuls accidents dont j ’ aie été victime au cours d ’ une carrière que j e crois pouvoir dire bien remplie . Trois ou quatre mois après que les
’ t l A rica ine é udes de / eussent commencé ,
’ j e fus prise , presque subitement , d un
mé de enrouemen t grave . Les soins des
c ins les plus éclairés , des spécialistes du plus haut Savoir se heurtaient a un
mal tenace .
’ ’ A l O é ra p , où l on ne voulait pas avoir
\ ’ . E 1 . j S O U V E N I R S D U N E A R T I S T E
’ a L ouvrage était difficile monter . L ’ acte du vaisseau surtout donna beau coup de mal au directeur , aux régisseurs ,
’
. e u aux machinis tes Mais j e n ai pas à. trer ici dans les détails d ’ une technique au tre que la mienne . Ce que j e puis dire
’ ’ ’ a d ino uï s c est qu on surmonta , grâce
‘ ’ ff l e s diffi c ulté s l A ri e orts , toutes et que f
a i c ne vit le j our . ’ a Ce que fut cette soirée , j e n ai pas le
’ dire . On s ait que l œuvre tant attendue fu t accueillie non sans froi deur et que la presse , une partie de la presse tout au moins se montra assez dure pour ’ f ’ l œuvre du dé u nt . L un des écrivains de
’ l é poqu e ju stifi a même la vivacité de ses critiques en disant que si l ’ on doit des égards aux vivants o u - n e doit aux morts
’ que la vérité . Cela me parut , j e l avoue , L E S M A I T R E S 14 3
b assez izarre , car j e m etais touj ours
’ fi t t guré , au con raire , qu on doi respecter
’ les morts e t leurs œuvres d autant plus
’ qu ils ne peuvent se défendre . Mais les éloges fure nt unanimes pour ’ d l ’ i l interprétation . Le caractère e mp ec
F re as cable talent de au ne semble p ,
évidemment , adéquat au rôle , plein de
rudesse e t de contrastes violents . Mais le
merveilleu x chanteur est de ceux pour qui nul obstacle n ’ existe et le maître savai t bien qu ’ en exigeant son concours il
’ ” s a Ssurait le meilleur élément de succès . N audin , avec sa voix charmante , son
e t élégant allure , é ait le Vasco reve , et
me M Marie Battu présenta une Inès deli i c eu se . Le rôle est écourté , sans doute mai s la cantatrice en tira le meilleur p a rti,c a r elle étai t de celles qui mettent 14 4 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E en relief les pers onnages les plus effa
c é s .
Le s a s ou autres personn ge , le sait étaient ainsi distribués
’ v t Bel al , l amiral ; Obin , le grand prê re
’ l in u 1s1teu r Wa ro t d o n A a e David , q ; , lv r
Castelmary , don Diego .
Ah A rica ine t m cette f , cet e erveilleuse
’ A rica ine l ai - f , je assez chantée , plus prise chaque fois par le ch arme de p assion e " profonde , absolue de S lika Meyerbeer
’ m avait choisie lui -même pour incarner
’ son héroïne les éloges que j a i p artoùt
’ i i recueillis me d sent que j étais vra ment ,
a u " la comme on dit théâtre , entrée dans pe au du personnage E t pourta nt j e ne
’ ’ l ai jamais chantée sans me dire qu il y
i xà e r ch ava t mieu fair enco e , sans cher er
r d e à y mett e plus transports , plus
L E S M A I T R E S 1 4 7
d ela ns amoureux , plus de noblesse et
’ bné i n d a ga t o do uloureuses . Car si c ’ est une inexprimable j oie pour un vrai artiste d ’ in terpré ter au contente
’ ment de tous un pareil rôle , c est une souffrance intime de penser que , peut a être , il y a mieux faire encore , et que
’ t l a tte indre ce mieux , un au re p ourra un j our .
n o n Ta t il est vrai que , plus approche du sens de la perfection , et plus on sent
que cette perfection vous échappe . Je ne veux pas terminer ce p a ra gra phe sur l ’ homme a qui j e conserve une t sor e de culte artistique , sans un mot de
v e souvenir à sa veuve et à sa fille qui ,
’ nues a Paris pour la première de l Afri
’ c a ine l d a tten tio n s e , me comb èrent d li cates , de temoignages de sympathie . 1 4 8 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
T AN - N H A W A GN E R . U SE R
La création du Ta nn/ muser e st u n des
’ souvenirs dont j e crois po uvoir m enor i A ue ill r . t Wa g no re époque où gner , ce geant musical , se voit enfin rendre j us t ice en France , j e considère comme une
’ gloire d avoir été choisie p a r lui po u r p e rso nnifi e r une de ses nobles et sym boliqu es figures .
’ 11 ne m a pp a rtie nt pas de j uger le rôle
’ Wa j oué plus tard par Richard gner , ’ ’ t ’ d apprécier l ac e qu il commit , dans une
’ d é a reme n t heure g sans doute , contre les
Français vaincus et accablés . Ce gé nie si t ’ t haut avai été , lui , victime de l opposi ion inepte organisée par quelques retarda faires e ndurcis . Pour garder près de la foule la faveur dont ils avaient j us
160 S O U V E N I R S D ’ UN E A R T I S T E malveillance intéressée de cert ains con
? ’ frères . Mais quoi pour si élevé qu il soit u n homme est u n homme . Son inj ure t ne se jus ifie pas , mais son irritation
’ s explique . t W Malgré sa nervosi é , agner était le ff à plus a able homme du monde , et ,
’ l O é ra t m u p , tou le monde , interprètes ,
’ sic ie ns a , chœurs , machinistes , n eut j
’ mais qu a se louer de lui .
’ L interprétation en cette année 186 1 c Om re na if : Niem a i m ba p le ténor , le
m a M c ryton Morelli , la basse Caz ux , Te desco , qui chantait le rôle de Vénus , et
’ moi à qui é tait échu celui d Elisabe th .
' ’ M . Di tch conduisait l orchestre .
'” W m ontrait énc h a n té agner se de tous , remerciant aimablement pour les effor ts t tentés , prodiguan les encouragements et L E S M A I T R E S 15 1
’ u les éloges , tandis q il enveloppait les
’ critiques de maintes précautions et n e x primait ses désirs qu ’ avec les formes les
s. t plus courtoise Très difficile à sa isfaire ,
’ u a u te u r t en tant q , il savai cependant ne pas se montrer ouvertement exigeant et
ar obtenait de tous , p les egards et la persuasion , la plus grande somme de
’ n lli n travail et d i te ge te application .
Il fut avec m o i p a rtic u liè reme n t a tte n
i — t onn é ff e . , a ectueux même , puis j dire Il
u venait très souvent me faire ét dier , et
’ se s t j udicieux conseils d artis e , en même
’ temps que so n enseignement d auteur f me furent in iniment précieux .
u i Q elques j ours avant la prem ere , au
’ c es t cours d une de répé itions intimes , il
’ e x rim a i a m p t nouveau sa satisfaction .
l e Je l l l demandai alors , comme un t moi ’ 1 0 2 S O U V E N I R S D U N E A RT I S T E
u a c e t t t g ge de con en emen , de me donner la par tition sur laquelle on avait fait les t ’ t . répé i ions Il sourit , sans cependant s en
. s i gager Mais , aprè les deux prem eres re t présenta ions , si troublées , si houleuses
’ et la troisième au cours de laquelle fu
‘ t dé c h aî u é s a u e ren de tels or ges q , on le
’ t u t e m env o a sai , elle ne p être achevé , il y ce tte partition avec la dédicace que v oici
a ? £Q ) ‘ u 0 % M t %Ç (
Opéra en trois actes
1 54 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’ m e ntendit dans plusieurs œuvres , parmi lesquelles son Trou oère e t demanda au s sitôt à la direction de l Opera de rep re n
’ Don C a rlos fit dre avec moi , qu il me tra v a ill r i li e t l e sV ê re s S c i ennes . , puis ensui e p
’ On ne pouvai t qu a c c éder à ce desm don t
fu s f j e aussitôt in ormée .
’ ’ J avoue que ce tte perspective m c f
. E é té fraya Le rôle de lena , qui avait créé avec un très grand éclat par la
Cru v elli , est un des plus difficiles qui
t t e t exis ent , au poin de vue vocal , , quoi que n e manquant point de confiance en
' ’ moi - mêm e c c n e st j amais sans a pp ré h e nsio n que j e me suis trouvée en pré
’ sence d une partition nouvelle po u r moi .
n C Cependa t , omme le travail , si dur
’ t—il t soi , ne m a j amais fai reculer , j e m e déclarai prête à donner satisfaction au L E S M A I T R E S 155 maître et les études commencèrent aus sitôt .
— Verdi avait lui même insisté , fort gra
’ c ie u sem e nt a Va is , en me disant que j tout ce qu ’ il fallait pour bien chanter le
’
t . rôle que , d ailleurs , il me ferait répé er
’ u J ai touj ours adoré travailler, on a p
u t le voir , avec les aute rs , les écou er et
r i t me pénétrer de leu s nstruc ions , cher cher à saisir , à comprendre leur pen
’ é a c c i s e e t e ta . , j p avec empressement Ah "ce n ’ était pas la même chose ’ A qu avec Wagner ou Meyerbeer . utant
x— i ceu ci se montra ent amènes , patients ,
m e tta nt to ute le u r onctueux , attention à ne
s t j amais froi ser un in erprète , ne se pé né trât-il que difficilement du caractère et
’ i d u n des ntentions rôle , autant Verdi
’ a du r aussitôt à l étude , deven it exigeant , , 15 6 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
s t . ouven même , j e puis le dire , brutal
l u i i Des mots vifs échappa ent , et , bien
’ f u au des ois , j ai ple ré cours de ces
séances quo tidiennes .
A tem é ra m lors , le maître , que son p
’ n t ment exubéra t avai emporté , s adou
’ ’ c issa it m a dressait , des excuses , m en
c ou ra e a it g , et nous recommencions avec
acharnement .
’ Ses leçons m ont été aussi inestim a
l em n A f b e t précie u ses . orce de travail
n et de co seils , il parvint à assouplir ma
ix u n u grande vo , encore peu r gueuse ,
- u es p eut être , me fit s rmonter toutes l
’ d i fficul tés et m a ssu ra un des beaux su c
c è s t de ma carrière , me préparan en
outre , pour la scène italienne . Tout en lui gardant beaucoup de
e r connaissance de ses excellents conseils ,
15 8 S O U VE N I R S D ’ U N E A R T I S T E de légères modifications ne devan t en rien altérer le caractère du rôle ni celui
’ de l œuvre . Il me répondit nettement que c ’ était impossible et qu ’ il s ’ y refusait
’ d une façon absolue .
Je revis alors poindre quelques séances , fort utiles sans doute , mais peu agréables , comme celles que m ’ avaient values les
ê res Sic iliennes V p , et , ma foi , j e renonçai ,
’ ue a ainsi q j e l ai dit plus haut , chanter
Aï a d .
t t Je le regre te , cer es mais enfin Verdi avait— il le droit de se montrer plus in W transigeant , plus intraitable que agner ou Meyerbeer ? Cela ne me paraît pas démontré . L E S M A I T R E S 159
G U D I - N . R R N N O O E Y E . SA T S A E S . ‘ M ASS E N E T
J ’ ai dit qu ’ au Lyrique j ’ avais créé un
' P hilemon et rôle de Bacchante , dans
’ B a u c is u u , j ai dit a ssi comment un j o r ,
’ ’ l im rov is te R eine de à p , j avais chanté la
’ ’ ba Sa . , après l avoir répétée avec l auteur G ’ ounod était d une parfaite amabilité ,
’ plus que cela , d une raffinée galanterie , ne parlant j amais aux femmes qu ’ avec
les formes les plus exquises . A ’ ’ rtiste j usqu au bout des ongles , d ail
n leurs , et vous donna t non seulement les
m a is l e s meilleurs enseignements , meil
o n le leur exemples , car il possédait , sait V t une charmante oix de énor , souple ,
v à. moelleuse , dont il se ser ait ravir . 1 60 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
Avec lui on n é tudiait pas seulement sa
" t on t d u par ie , répétai , au sens complet
mot .
’ J ai travaillé encore avec l ui F a u st et
R omé o et Ju liette , opéras dans lesquels j eus partout de très vifs succès .
’ De tous les compos 1teurs qu e j a i con
’ nu s a u i , celui vec q j ai eu les relations
’ e s t l plus suivies rela ions qui , j e l es
n père pour nous deux , dureront lo gtemps
’ encore c es t mon grand ami Reyer .
E n 1862 — , j e créai , à Baden Baden , son
’ E ros tra te qu il avait écrit pour moi .
Quel mer v eilleux rôle et combien peu ’ t l in erprète a de mérite personnel , lors
’ ’ qu il est ainsi porté par l inspiration de
’ l a u teur . Ce fut pour Reyer un triomphe
’ car vous avez remarqué qu e l on fai t beaucoup plus de cas des auteurs français
1 62 S O U V E N I R S D ’ U N E A RT I S T E
’ les bons procéd é s que j ai partou t ren contrés .
De même que Reyer avait écrit E ros
’ tra te Si u rÎl , il écrivit g , dans l intention ’ fi de m en confier la création . Il me t même travailler le rôle avec cette science
’ ’ ’ t e t parfai e qu il possède , j eus l occasion de faire connaître les pri nci paux pas sages de ce tte superbe partition bien
’ avant qu elle fût représentée : C ’ est a une soirée donnée ch ez Sain te ’ la Beuve qu on les applaudit . Il y avait
E G Ro u e la n mile de irardin , q p , le prince N apoléon , et nombre de sommités des
i . arts de la l ttérature , de la politique
C es t avec Maurel que j e chantai ces
’ r fragments . L effet prod uit s u cet audi toire d ’ élite fut considérable et pour ’ t ' tant , c es Bruxelles qui devait avoir la L E S M A I T R E S 1 63 primeur de cette œuvre de si grandiose
su u n allure , que Paris reprit en ite avec
’ s e s a m i succès qui ne t j a s démenti . Mais Reyer attendit longtemps pour
’ ’ ’ v i l r qu elle t le j our . J avais quitté O pé a
a c e fut pour suivre la carrière it lienne , et m ma pre ière élève , Rose Caron , qui ,
u A t t . u to t na urellemen , hérita du rôle
’ regret que j en éprouvai , se mêla cette satisfaction de voir triompher encore
’ ’ mon excellent ami e t l a rtis té d o n t j av a 1s
formé le j eu ne talent . Parmi les compositeurs co ntemporain s ’ que j ai le mieux connus , j e citerai
n — encore Sai t Saê ns et surtout Massenet .
’ n a i Je j amais , cela va sans dire
chanté leurs œuvres , mais j e les ai tra
’ v a illé e s m l e uss e avec eux , co me si j e dû t à faire , afin de transme tre mes élèves les 1 64 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
n t e seignements des au eurs , comme j e le f W . ais pour Meyerbeer , agner , Verdi Je tie ns a rendre hommage ici non p a s a t leur alent , universellement consacré ,
’ — â — u c est dire non pas aux aute rs , mais
aux hommes .
tem é ramm ent Chacun , avec son p par
tic ulie r t son œ ùv re , carac éristique de
Sain t-Sa ê ns plus ren fermé en lui -même ;
t SO ii le Massene plus répandu , plus p , d ’ une grâce plus moelleuse sont d ’ un commerce aussi agréable que possible .
’ J a i é tudié leurs par titions en leur compagnie avec les plus profondes j ouis
’ t e t a i f r sances artis iques , j ait touj ou s ce qui é tai t en moi pour communiquer à
’ mes élèves l i dé è très haute que j en ai .
1 66 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’ ’ e e e n ais C st d elle que j t ma voix . Dans
’ le lointain de ma mémoire j e l entends encore chanter quand mon père faisait
de la musique , au piano ou sur quelque
’ I a is a m a is ns trument . M j elle n avait songé
à cultiver son organe . Tou t en cherchan t à développer mes
’ dons naturels , ainsi que j e l ai dit ail
’ m o n n e nv isa ea it leurs , père g pas pour
’ t Il v o la i moi la carrière héâtrale . u t faire
’ de sa fille une institutrice : C est pour
’ quoi il s imp o sait de si lourds sacri
’ fi c es qu à sa mort nous nous trou
vames pre sque sans ressources .
’ J ai conté comment nous fùmes tirées d ’ affaire par mon entrée imprévue au concert et dit le rapide changement de
t . no re position Il était tout indiqué , étant
donné mon j eune âge , que ma mère P A G E S I N T I M E S 167
s ’o c c up ât de to utes mes affaires et me di
’ â E fi t a rige t dans l existence . lle le vec un t absolu dévouement de tou es les heures . E lle était de tempérament un peu
’ autoritaire e t c était for t heureux pour
moi , car , avec ma nature expansive ,
’ ’ - j avais besoin d être tenue . Peut ê tre a u
— e d a ns le s rais j , premières années ,moins travaillé et le succès se fût - il fai t plus attendre . Il ne me faisait pas touj ours
’ ’ i i pla s r , j e l avoue , d être ainsi bridée ,
n t mais j e rongeais mon frein , re dan
a ux j ustice , dans le fond , intentions de
’ l excellente femme , et j e lui rendais en affection ce qu ’ elle me prodiguai t en
soins .
’ a m o rt de Jeune en core la mon père , elle trouva plusieurs fois l ’ occasion de se
‘ remarier ; Mais elle refusa toutes ces 1 68 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
proposi tions pour se co nsacrer toute
en tière à moi .
Je lui en ai touj ours gardé une viv e
’ n recon aissance , reconnaissance que j ai
eu le bonhe ur de lui pouvoir prouver . Nous ne nous sommes quittées que
s quelques mois , la seconde année aprè
mon mariage . Il y avait entre ma mèr e
inc o m a i et mon mari, une si absolue p t
’ bilité r r d humeur , que j e dus me sé pa e m momentané ent de la première . Je l u i louai e t meublai u n apparteme n t n o n
’ loin de chez moi . Mais c est tout ce qu e
’ j e pouvais faire de ne l avoir p a s san s cesse à mes cô tés . Chaque j our elle v e
’ i a nait , s occupait avec moi , et d n it avant de rentrer chez elle . e ’ Le désaccord p rsista donc , ainsi qu il
’ v t e nd r . arrive souven , d ailleurs , entre le g
17 0 S O U V E N I R S D ’ U N E A RT I S T E
Car elle avait gardé une très hau te idée de l ’ autorité ma ternelle et de ses
v E prérogati es . lle avai t conservé aussi des sentiments profondément religieux
’ ’ i qu elle m avait commun qués . ’ f Je n ai j amais manqué , en e fet , de
u n faire brûler , les j ours où j e chantais , h ’ cierge à la Vierge . A "j é tais une bonne cliente des marchandes de Notre —Dame des —Victoires t Supersti ion , diront des sceptiques qui
— m — — peut ê tre riront de m . Mais ne v a t o u
’ pas au danger lorsqu on affronte u ne ? ’ s alle de spe ctacle J agis s a is comme les
Off r x l marins qui vont ri des e c o o a quel; que madone avant d ’ affronter la mer
’ dOnt ils son t touj ours sur le poin t d être la proie Il n ’ y a jamais eu entre ma mère et P A G E S I N T I M E S 1 7 1
u t moi que quelq es pe its nuages , venant de ce qu ’ elle me voulait encore traiter
’ u ne un peu en gamine , alors que j étais
f e t emme , une femme accoutumée aux E faveurs du public . lle a beaucoup aimé sa fille et sa fille le lui a rendu autant
’ ’ t e n n qu il é ait elle , en lui faisa t j usqu à
la fin la vie la plus douce et la plus tran
quille .
’ N é ta is—je pas mise en mesure de le
’ ar l ind ul enc e faire p g , les gâteries du
’ public e t de tous ceux qui m e ntou ra ie n t ?
E e û t lle bien ri , la petite fille du concert
’ ’ o n de Charleroi , si lui eût dit qu un j our , t t fê ée dans le premier théâ re du monde ,
elle frayerait avec tout ce que Paris com p tait d ’ hommes célèbres à la fin de l ’ empire e t se ferait entendre a u x Tuileries en ll n . maintes circonsta ces eût bien ri , sans 17 2 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
doute aussi , malgré son amour pour sa
fille l e , pauvre père qui , hélas était trop ô t t disparu .
Singulièrement brillantes avec , cepen
’ u c e s dant , quelq e familiarité d allure ,
’ soirées des Tuileries . L imp é ra tric e é tait ff fort a able , non sans un certain laisser
. E i aller lles éta ent assez fréquentes , et ,
e s presqu touj ours , dans les dernière
i m n om t a u a ées , mon étai programme .
A re rod u c titre de curiosité , voici la p tion de l ’ un d ’ eux
P A L AI S D E S T U I L E R I E S
C on c e rt d u L u n di 1 2 M a rs 1 8 6 6
P R O G R AM M E
P R E MIE RE P ART IE
h r d r e 1 . œu e M s O SSI I C o R N .
1 7 4 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’ ’ l m o1d n , , e t e J etais d ailleurs , que j
e vais relater le prouve , tenue en réell estime à la Cour . La veille du dernier concert qui eut lieu , avant la guerre , j e reçus chez moi la
’ ’ visite d un chambellan de l E mp e re u r
u i q , de sa part , me venait demander ce que j e préférais t oucher mon cach et habituel ou recevoir Un cadeau de Sa
Maj esté . Ce sont là de ces démarches qui
d s fla ttent touj ours une artiste . Je répon i au chambellan que le cadeau qu ’ au moins j e conserverais me serait infini
’ L tile ff . u ment plus agréable , en e et ,
’ ’ im ortait . m p , en l occurrence , assez peu h ’ à ’ ’ E bien , j eus la fois l utile et l a
ré able l e g , car , après le concert , j e reçus
cadeau tout en touchant le cachet . P A G E S I N T I M E S 17 5
On a p u remarquer que dans le pro
’ t m o n gramme qui vient d ê re reproduit ,
nom qui tient , j e crois , une large place ,
- y est orthographié Sa x e Castelmary .
’ L o rth og ra ph e exacte de mon nom de
f . j eune fille est Sasse . Ce u t M Carvalho
’ a a u qui , mon entrée Lyrique , m y fi t
e substituer celui de Saxe , avec un muet
’ a fi n la , en disant que c était un nom déj à connu dans la musiq ue .
Je fus donc Saxe pendan t pl u sieurs
fi n S années . Vers la eulemen t de mon
’
l O é ra . séj our à p , M Sax , le facteur bien
’ ’ t s a v isa connu d ins ruments , de trouver
’ la chose mau v aise et voulut m interdire
’ v l e de porter ce nom , même a ec muet
fi naL Ce fut une des gaietés de la fin de l ’ em ’ t pire . Les chroniqueurs s en donnèren 17 6 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
à e cœur j oie , aux dépens du p èr Sax ,
- comme on disait . Celui ci irrité par les t railleries , me menaçai de faire un pro ’ i c è s . m m orta it Cela p peu , car avec le
’ e ne t m em ê fameux muet , nul pouvai p
c her de porter ce nom .
’ n ire n Cependant des amis s e trem t . On
’ ’ c hercha un terra in d entente e t on m en
» à. ré gagea , moi , devenue française , e prendre mon vrai nom , dont la d si
n enc e était plus française . Je le fis avec
’ ’ n t m a m u sais plaisir , et l incide t , don j e ,
a u . fond , fut ainsi vidé
’ Je crois cependant que , en tant qu ins
’ tru m ent n eu sse , j e point dé paré la col lection du père Sax On en peut
’ ’ n é al eront faire d or , ils g j amais la voix
’ humaine , et Dieu , j e puis le dire , m en
a t vai vraiment donné une .
17 8 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
Pas de dîners ou de réceptions sans
n u à d e st moi , chez ces hommes co n s itres
d . f a t ivers In atigable , ce te époque , j e
’ ’ ’ c li a n ta is c h ez quelqu un d eux presque chaque fois que j e n ’ étais pas à l ’ affiche
’ ’ as de l Op é ra . E t lorsque ce n é tai t p chez
’ e u x . , c était chez moi
’ Car la fille de l obsc u r peti t chef de
musique belge recevait , elle aussi ; le
- t t tout Paris littéraire , artis ique , poli ique
’
s a sse yait a sa table . Dans son salon . o u e t F rez z olini m ntendai la , Ros e Bloch ,
’ N l ri audin , le merveilleux Vasco de Af
’ ’ c a ine e t t , combien d au res que j e n oublie
d o nt n t t pas , mais la omencla ure serai
trop longue .
’ J i n ava s également , da s le monde pro
rem ent t . p dit , de très belles rela ions m e i P E H è ne . . M M et enr de , M dmond P A G E S I NT I M E S 17 0
n v T a rbé étaie t pour moi de rais amis .
’ ’ J ai fort bien connu aussi l u n des
’ n hommes les plus brilla ts de l épo que ,
n r le duc de Morny . Je ne ferai pas so p o
tra it do nt se son t chargées des plumes
ré plus autorisées que la mienne . Je pé terai seulement qu ’ il étai t la courtoisie la galan terie fa ite homme .
’ t l O é ra e t Il venait for souvent à p , ne manquait guère de venir dans ma loge
t e t me saluer , me félici er chaudement
’ no n d une façon banale , mais avec des aperçus révélant le gout artistique le plus
fin .
’ U n autre personnage dont j ai gardé un e x cellent souvenir est le prince de 8 Joinville , dont j e fis la connaissance
a a l a Mil n , tandis que j e chantais
Scala . 1 80 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S TE
Il se fit un soir présenter et me combla
’ d éloges , en exprimant le regret que le
’ rôle que j inte rp ré fa is ne fût pas celui de
Valen tine des H ug u enots . t Je le chanterai dans rois j ours ,
— e . prince , lui dis j
E h —il bien , répondit , quoique j e
’ a tten sois fort pressé de gagner Rome , j drai
’ t ff t m a l a u dir Il at endit , en e et , et vin pp
’ ’ ce soir-là avec d au tant plus d emp resse ment qu ’ il adorait les œuvres de Meyer beer . Mais le prototype de la courtoisie et t affable de hau ton , le grand seigneur
’ d uc d Aum ale de vieille souche était le , que j e rencontrai assez souvent dans des
a . t m isons amies Il était , en ous points , un de ces hommes rares avec qui les
1 82 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
Dès que la guerre fut déclarée , la foule ,
s M a r partout , réclama à grands cri la
’ i is A l se lla e . O é ra d p il en fut e même , et c ’ est moi que la direction désigna pour la chanter
" u l - Quelle soirée quelle ino b iable - soi
u a u n Une salle comble , éco tant d ns religieux silence les strophes sacrées de
’ m n E c l H e . t y national moi , entre de ces
’ inter rète d e milliers de regards , p l œuvre sublime don t je faisais passer le frisson d ans les cœurs , un genou en terre pour
dra entonner , drapée dans les plis du peau , la dernière strophe .
’ ’ C est a ce moment qu E m ile de Girardin avai t crié Debout tout le
’ monde " E t l a a lle s était dressé e
h aleta nte su » comme un seul homme , , , s ’ M a ri a ss h a nt a nt l a M a rseilla ise à l O é ra e S e c p , ’ ’ s n l r i l é d a p rè u e it h o g ap h e de p o qu e .
186 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’ l a ss o c i i plus connu de la foule . On a t tou t naturellement à la manifes ta tion qu i a v a it e u . lieu , et pour la masse de ceux
’ v as t t qui , n y a ant p assis é , en avaien
’ ’ l l e s o u rna u x inc a r trouvé écho dans j , j
’ n nais l H ym e national . Je le sus ainsi
6 fi a c re Le août , ayant pris un pour
’ l O é ra me rendre à p , j e vis dans Paris une animation extraordinaire . Les gens couraient les uns a u — devant des au tres
’ s interp ella ie nt avec des ges tes fébriles échangeaie nt de brèves paroles et se
t . quittaient , touj ours couran de la f t De ci , des grou pes se ormaien
’ O ù l on discutait avec vivacité e n se montrant des feuilles fraîchement tirées …
' Il y a v a üg d a ns lÆnr co nnu e une odeur t u n - e de poudre , hourvari de bataille de victoire . P A G E S I N T I M E S 187
’ ’ J allais à l Op é ra pour to u cher mes i . a S appointements La chose f ite , j e orta s
c ro iSa i de chez le caissier , lorsque j e
" Rosine Bloch qui me dit j oyeusement Bonne j ournée Il paraît que les
Prussiens ont été écrasés .
’ Ah fi s— e t t j , c est donc cela que ou Paris semble sens dessus desso us :
Oui .
i — e Il faut voir ça , repr s j . Viens avec moi … Nous m ou tons en v oiture et quelques minutes après nous débouchons sur le e boulevard . Mais là , arrêt presque imm di t e . Q uelle cohue "et quelle fièvre "quel
’ enthousiasme On s é c ra sa it sur les E trottoirs et sur la chaussée . t tous ces me dit ’ gens avaient , com j e ne sais quel 188 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
” t e te poè e , la flamm au cœur , en at ndant
’ i d avoir la palme a la ma n . La j oie était
é n gén érale . Une motio généreuse planait sur cette foule vibrante .
’ d instant Les camelots qui , en instant , arrivaient par les rues adj acentes avec touj ours , de plus nouvelles nouvelles ,.
se voyai ent littéralement dépouillés en
’ ’ un clin d œil de leur papier , . qu on se
’ repassait de mains en mains , qu on
i d e s ex c la lisa t tout haut avec cris , des
at n m io s , des
Poignées au cœur toutes deux , Bloch
e t e nth ou moi , par le spectacle de cet s iasme p atriotique , nous regardions de
u e to s nos yeux , la voitur arrêtée par les remous de la foule , quand , soudain , une dit voix , près de moi Mais c ’ est Marie Sasse
190 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T IS T E
d u avec plus d elan , moins avec une
con v ic tion plus ardente ; j amais ma voix
’ n a sonne da ns les salles les plus pro
pic e s comme su r ce boulevard des Ita
lie ns l , en p ein air ; j amais j e ne me
suis sentie plus secouée e t plus en communion d ’ âme avec l ’ âme des les . Une immense acclama tion s eleva lors
’ ’ que j a c h ev a i la p remière s trophe . L en
th ou sia sm e t a u t tournai délire , prenan
’ ‘ d ino ui e s proportions a mesure que se déroul a i t le chant tragique don t mille e t mille voix entonnaien t formidablement f le ormidable refrain . Mais un religieux silence pla ne sur la
’ ‘ multi tude q uand j e n to nna i la dernière t s s rophe , la plus noble , la plu haute , avec … toute la fer v eur qu e j e po uvais P A G E S I N T I M E S 1 9 1
mettre dans ce tte sublime invocation
m u r sa c ré d e l a P a trie A o ,
n d u is s u tiens n os bra s v en e u rs Co , o g
ê d u Ce ne fut plus m me délire , mais
A n e de la frénésie . la fin , des gens qui
’ ’ s étaient j amais vus s e mbra ssa 1en t fra
ternelle m e nt : Aux , et le grand appel
" t . armes , citoyens grondai sous le ciel Des bouquets tombaient dans ma voi
’ ture et l on criai t : E ncore encore "
t v De sui e , j e recommençai , oyant tou fi j ours autour de moi de nouvelles gures ,
le car ma voiture , presque portée par h flux et le reflux de cette mer umaine ,
E u t n n e . avançai le teme t , par saccad s c ore encore " répétaient ceux auprès
‘ E t 8 ‘ I‘é de qui nous arrivions ainsi . j 1 9 2 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’ c ommençais touj ours . J ai certainement chanté au moins tren te s trophes de ce tte
a rs illa ise ff M a is e n M e e rénée . arrivant
c t e tom au oin du faubourg Mon martre , j bai assise , épuisée , haletante , faisant
’ s i ne u e g q j e n en pouvais plus , suppliant par gestes ce tte foule inla ssé e de me faire ’ t grâce . E t l on ne voulait rien en endre On con tinuai t de crier : E ncore "e u core "
’ A u n s a ro c h a lors , petit mobile pp de
t son la voi ure , et , me présentant képi , me dit t la Quê ez pour ceux qui sont bas ,
Madame .
’ C étai t une vraie in spira tio n . Je tendis
l e képi au tour de moi et ce fut une
extraordinaire bousculade,chac u n v Ou
’ lant m apporte r son obole .
194 S O U V E N IR S D ’ U N E A R T I S T E
vice de la plus noble , la plus haute des passions : le patrio tisme ?
’ H fois de élas c était , une plus , sur une fausse nouvelle que cette effervescence
’ ’ r populaire s é tai t déchaînée . On l a pp e
‘ ut nait peu après , et ce me f un coup
’ sensible d avoir ainsi bercé une e sp é rance si tôt déçue . J ’ ai dit ailleurs comment j ’ avais qui tté
’ Paris e t n étais plus remontée sur une scène parisienne .
Ce ne fut point ma faute , pourtant , i H … c r . E t mais celle de . V tO ugo voici dans quelles circonstances Un de mes triomphes a Madrid avait
’ i B r ia L u crez a o . été , j e l ai dit , g
Les noms de mes deux partenaires , le
Gen ténor Robert Stagno , un admirable
' e t-la basse naro , Selva , le plus beau duc P A G E S I N T I M E S 195
A ’ lphonse que j aie connu , disent assez ce
’ ’ q u était l interprétation de L u crez ia dans la cité madrilène .
Mon succès , entourée de ces parte n a ire s V iz e ntini , avait été tel , que , alors
u d u a Gaî té directe r L yrique , la , qui était
’ v o ulu t m on te r L u crèc e venu m entendre ,
’ m o ffrit en français et , pour créer le rôle
a . Paris , un engagement superbe
’ C était aller au devant de mes désirs . Je ne souhaitais rien tant que paraî tre devant le public parisien dans cette t t ’ pièce , ellemen j e m y sentais , comme
’ n ï o dit , vraiment entrée dans l héro ne
’ M ais il fallait l autorisation de Victor
’ ’ J all i H . a ugo la lui demander , et ce n est pa s saus émotion que j e me trouvai en
face de lui . L e maître me reçu t a v ec cette a ffa bi 196 S O U V E N I R S D ’ U N E A RT I S T E
t ’ li é , cette grâce souriante qu il montrait surtout vis — â — vis des femmes et des ar tistes . Il se déclara prêt à tout pour m ’ être agréable sauf a laisser j ouer à
t i Paris la par ition de Don zetti .
Je donnerais beaucoup pou r vous
—il voir dans Lucrèce , me dit , mais la
— musique , voyez vous E videmment le grand poète jugeait son œuvre dénaturée p a rDonizetti et ne
’ voulait pas qu elle fût pré sentée à Paris
' ’ - . il s ous cette forme C était assez , disait , ’ a ’ qu on la pût entendre ainsi l étranger .
l -il Mais pourquoi , conc ut , ne j oue riez — vous pas ce rôle tel que j e l’ai
t ? n écri Il est tout à fait dans votre ature , é dans votre temp rament . Vo us y seriez merveilleuse .
’ J observ a i t au maître que , artis e lyri
198 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
événemen ts auxquels j e me suis tro u vée mêlée " et des hommes connus de tous que j ’ ai approchés au cours de ma
carrière . L ’ artiste disparaî t cédant la place au
pro fesseur . L E P R O F E SSO R A T
Ce n e s t pas un iquement pour la satis faction de rappeler mes souvenirs e t t pour les conter au public , don une par
’ tie ne m a point connue au théâ tre et
’ t t inté res ne saurai , par conséquen , s y
’ ser en aucune façon , que j ai entrepris
’ d écrire ce petit livre .
tra Passionnée de mon art , voulant v ailler encore pour lui , après avoir
’ ’ quitté la scène , j ai cru qu il était bon de montrer , par mon exemple , que tou 200 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
f tes les di ficultés sont surmontables , qu ’ on ne doit point se décourager devant
’ les nécessi tés de l existence qui peuvent vous obliger à débuter de la façon la plus
m fim e s modeste et dans les plus emplois ,
’ to Ut que ce qu il faut , avant , pour parve
’ n nir , c est vouloir fermement , é ergique ment .
m o e nSna turel s t n Certes , les y son i dis
pensables ma i s il exis te le plus et le
’ moins . Il n y a pas , il ne peut pas y
m Cruv elli avoir que des étoiles com e la , l a M Miol a n— alibran , la Carvalho , la Viar t V i e . E dot dans la théâtrale , quelles que a soient les f cultés , on en peut tirer parti
’ ’ touj ours , avec l amour de l art , la per
’ r nc s é v é a e et l étude .
’ Ceci m amène à la question qu e je
t u veux raiter maintenant , po r terminer
202 S O U V E N I R S D ’ U N E A RT I S T E
’ — rant de leur exemple , au point qu ils ont bien voulu me tra iter n o n pas même
’ en émule , mais en égale et que j ai par
’ ’ tagé le u rs succès . C est pourquoi j estime i avoi r le droit de parler de cet a rt . qu
’ ’ ’ m est cher et qu à leurs côté s j ai
exercé . Voyons donc comment nous en som mes arrivés à la situation actuelle . ’ iff nc h aî ne . La d u Tout se tient et s e . sion du théâtre , la création de multiples scènes ont eu leurs avantages , mais aussi
’ i leurs inconvén ents . Du j our où l on a chanté le répertoire lyrique dans u n très grand nombre de villes , il a fallu forcé
u n d ex é c u ment , très grand nombre ta Dts . m Mais co me , dans presque toutes
… c e o u ne . s villes , pouvait don ner aux
s s f t arti tes . , faute de res ources suf isan es, LE P R O FE SS O R A T 203
que des appointements minimes ; comme ,
’ d un autre côté , les exigences de la vie
’ augm entent sans s est trouvé bientôt que les j eunes ar tistes montaient
’ sur la s cène avant d avoir parachevé
’
u . v le rs études , a ant d avoir dégrossi leur
organe , incapable , par conséquent , de s upporter d e s — fatigues p our lesquelles il t . i é ait , mal préparé encore Comb en de voix superbes ont été ainsi gâchées "
u De son côté , po r répondre à ce même
’ ’ d int e r rè te s b esoin p , l enseignement est
devenu hâtif, donc mal ordonné . On a i fait , si j e pu s ainsi dire , de la culture
’ de voix intensive . Mais l usure de tout a organisme correspond , la rapidité de s o n développement . Plus vite o u form e
u n chanteur et On ne le form e j am a is
rs c alo omplètement plus vite, il voit 204 S O U V E N I R S D ’ U N E A RT I S T E
” e son son organe décliner , perdr de éclat
et d e sa force .
’ ’ E n u de outre , du moment q il s agit
’ n ne do ner qu une éducation superficielle ,
’ s e qu il faut , en quelque ort , improviser
un chanteur , ce qui ne se peut faire
’ q u en abandonnant les sérieux et grands
’ principes , qu il faut bien appeler conser
v ateu rs a bon u , quoi les série x et grands professeurs
’ Dans l état actu el du theatre ce ux qui
—â— savent et peuvent enseigner , c est dire
former une voix , la mettre au point , tout en transmettant à l ’ élève le s saines
’ et hautes traditions de l art pur , sont
devenus presque des gêneurs .
Plus il y a de chanteurs ratés , ne pou
n ns va t plus exercer après quelques saiso ,
’ ’ parc e qu ils ont t—rop tô t abusé d un
206 SO U V E N I R S D ’ UN E A RT I ST E
’
la u . de l organe , ni de m sique Comment
’ ’ s é tonnera it-ou de la déchéance de l art
(hi c h a nt ?
Mais , obj ecteront quelques per
’ s n il n c e t ensei o nes , y a pas que gneme nt libre . Nous vous abandonnons la plupart de ceux qui le pratiquent et reconnaisso ns l a j us tesse de vos il . l e critiques Cependant , y a , dans
u n u e problème , facteur q vous ou
bliez .
Quel ?
n ne s Le Conservatoire , ational , vou
’ s l ensei déplaise , et ses uccursales , où gnement de la musique et du chant est . entouré de toutes les garanties désirables
i le Conservato re , fidèle gardien des prin c ip es et des traditions ; le Conserva toire L E P R O F E S S O R A T 207
”
Ah " e . oui , le Conservatoir Parlons
en - un peu , voulez vous
’ E n i n mat ere d enseignement , j e vie s
e t e n de le dire j e dois le répéter ici , ’ t m matière d enseignemen , il faut , pri or
dialem ent u . , au professeur , la techniq e
‘ -t- il Comment , en effet , démontrera , fera
’ t- il apprécier à l élève les difficultés du m n —t- il a su rmon étier , lui appre dra les
—t—il ter , le guidera , enfin , dans les études , ’ ê si , n ayant que peu ou m me pas exercé
il ne connaît ces difficultés que par ou i dire ?
’ Que penseriez—vous d un monsieur qui prétendrait enseigner la peinture sans
connaître l es lois des couleu rs et sans avoir j amais mani é un pinceau " Mieux encore appellerait— ou à pro
e v ê fess r la fugue,au Conser atoire m me , ' 20 8 S O U V E NI R S D U N E A RT I S T E un monsieur don t les études se seraient
' ’ arrêtées au Tra ite d ha rmonie de Bazin ? N on . Mais alors , pourquoi faire , au point
’ de vue de l enseignement lyrique , ce que l ’ on ne fait pas dans les autres branches
’ de l art m u sic al ?
au Il existe , Conservatoire et dans
u ses succ rsales , des professeurs qui ont ainsi assumé la tâche d ’ enseigner ce qu ’ ils n ’ ont j amais connu que par a peu
près , dont ils ont vaguement ap pris la
ra théorie , mais dont ils ignorent la p
’ tique . Ils sont l opposé de ces professeurs a ’ libres dont j e parlais tout l heure , qui ,
eu x , ont pratiqué peu ou prou , mais à la
’ diable , et n ont j amais rien appris .
On reste stu p éfié en lisant la liste des professeurs du Conservatoire chargés de
’ prép arer les j eunes gens à l art lyrique .
210 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
u plus chanter , on ne sait pl s dire la
— phrase musicale , on ne sait même plus ,
. E t souvent , émettre le son les grandes
œuvres du répertoire , même sur nos pre
miè res Sabotté es scènes , sont par
’ des interprètes qui n ont ni c omp réhen
u i . sion , style , ni voix même
- u i Tout cela , est ce moi seule q le pense ? Je ne me permettrais pas de le
’
a . dire , coup sûr , s il en était ainsi Il serait trop facile alors de m e faire de
’ n i l c h gê antes réponses . Mais j e su s é 0
’
. J ex rimè des plaintes générales p , en
quelques lignes , ce qui se répète partout ,
’ ’ ’ e t n ai d autre rôle , en l espèce , que de rapprocher les faits trop connus de tout
' ’ l e monde i i , pour en signaler l or g ne et en faire ressortir les conséquences .
La réalité , la voici il y a , au Conser L E P R O F E S S O R A T 211
v a toire des classes de composition où se
forment à p e u près tous ceux qui doi vent devenir des compositeurs de talent
’ ou même de génie , grâce à l excellence
des professeurs qui sont , à proprement
parler , des maîtres ; Il y a des classes d ’ instruments d ’ où
sortent les exécutants les plus brillants , car ils ont reçu les leçons des plus dis ting u é s parmi les instrumentistes fi h Il y a , en n , des classes de c ant et de
e xc e déclamation lyrique dont , sauf p tions l e s t , élèves se montren notoirement inférieurs j ’ en appelle à l ’ unanimité des critiques les plus autorisées qui
’ accueillent les concours de fin d an née
parce parce que ces classes , o sauf exceptions enc re ,_ ne sont pas diri ’ L gees comme elles devraien t l être . a S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E dispropor tion qui existe entre les pre miè re s — e s t et celles ci , on ne saurait le nier , flagrante . Ce n ’ est point parce que j e professe
’ moi —même que j e n aurais pas le droit
’ e t t de dire cela , ce n est poin parce que j e ne professe pas au Conservatoire que j e le dis . Je suis , hors du faubourg Pois
— n sonnière o . , en tr p bo ne compagnie Je
’ c onstrfi e s im l em e nt p que l on a organisé , au Conservatoire , un enseignement de
’ l art l yrique auquel ne furent et ne sont
V ia rdot Miolan appelés ni les , ni les
Carvalho , ni les Faure , ni quelques u f autres encore qui , po rtant , ont ait et font du professorat à la fin de leur car
E n riè re . regard de cette constatation mettez les résultats obtenus depuis trop e longtemps par cet enseignement , r sul
214 S O U V E N I R S D U N E A RT I S T E
’ ’ d O é ra — â - l e t années p , c est dire contac inces sant ave c le goû t élevé et sûr du public parisien ; huit ans de ca rri ere ita
’ ’ ‘ - â - I é reu v e dé c 1s1v e lienne , c est dire p des
auditions les plus variées , Milan , Flo
—Pé tersbou r rence , le Caire , Saint g , Ma
’ drid , Lisbonne , Barcelone , etc . C est
enfin ce que quinze anné es de profè s sora t couronnées de nombreux succès
’ c orrobo m ont permis de recueillir , en rant par l ’ observation générale ce qui ’ t ’ n étai que l observation particulière ,
spécialisée .
’ ’ On prétend que les voix s en vont ; c est
’ u ne . y plaisanterie , j e l ai déj à dit Il a
e t des touj ours des larynx cordes vocales , m a is le professeur de chant doi t savoir
’ î n . V O I" s ab me t les diriger Si parfois les , c ’ est tout simplement parce que ces voix L E P R O F E S S O R A T 21 5
’ n ont pas été suffisammen t étudi é es au p réalable par le maîtr e qui les devait former .
’ L enseignement du chant ne peut pas , ne doit pas ê tre le même pour tous ; il doit varier ave c les différents tempéra m ents des élèves , quoique , cependant , il y ait certaines règles générales qu ’ on est tenu de respecter . C ’ est par une consciencieuse étude des facultés de l ’ élève qu ’ on peut se rendre
compte de ses qualités , de ses défauts de la possibilité de développer les unes
e t de corriger les autres .
La chose la plus importante peut - ê tre
u à déterminer , car elle décide so vent de
’ ’ ’ n n l ave ir d un artiste , c est de se re dre
c a ompte , vant tout , de la catégorie à
a laquell e app rtien t une voix . 216 S O U V E N I R S D ’ U N E A RT I S T E
c c Beau oup lassent la voix , à l etat
’ ’ f s o ra no m ez z o ruste , d après l étendue p ,
’ ba r n té n or to . contralto ; , y ou basse C est une erreur grossière . Ce qui classe la
’ voix , c est le timbre .
’ ’ Q u est— c c qu i différencie un V iolond un ? alto le timbre . Montez un violon avec
’ des cordes d alto et vice versa ; vous
’ changerez l étendue non le timbre . Votre violon sera touj ours violon et votre alto t al to . e s Il en de même pour les voix ,
’ qu on déplace assez facilement , au moins
dans une certaine mesure , tandis que
’ l on ne change pas le timbre .
Donc , avant même de commencer les e ex rcices préliminaires , reconnaître la n de ature de la voix , afin la travailler pour l e genre auq u el elle est destinée . Il se rencontre des voix ex ception
218 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
i i a Cec posé , dont mportance est c pi
’
â c h a nt . tale , arrivons l exercice du t La voix étant un instrumen , doit être t travaillée comme telle , avec ous les soins
n que comporte sa délicate co stitution . Il faut apporter dans sa formation u ne
d ne grande pru ence , afin de pas fatiguer a les cordes vocales , pratiquer peu la
n fois et souve t , pour arriver de façon
’ progressive , par le mécanisme de l exer
’ ’ l a sso u lissem ent a cice , à p d bord , puis à
’
x n a . l e pa sion , la force Il est indispe n sable de savoir vocaliser p our bien chan ter et po u r conserver sa
’ voix ; mais il est bien entendu qù u ne pra tique exagérée des voc a lises arriverait à
’ user l organe et à dé fendre les cordes
’ N ab so ns . u u . vocales de rien , mais sons
"‘e P onc h a rd M , Levasseur , Dorus , bien L E P R O F E S S O R A T 219
’ v d autres , dans un âge très a ancé chan taient e ncore avec des voix admira
t m e rv e il blemen posées , parce que ces leux ar tistes é taient des v oc aliste s de
premier ordre .
n Donc , j eu es gens , apprenez à vocali
t o ser , mais avec méthode , lentemen , p
i a sém e nt . Qu i v a p ia no v a sa no c qu c
’
sa no oa lonta no . r , dit l italien Ce p overbe é é semble avoir t fait pour le chan t . Le
’ tra v a il p ré c ip ité ne donnera qu une m a u t vaise vocalise , communémen appelée
’ sa v onnage la voix n apprendra pas
so n à poser le , et quand ce défaut est
’
n a . contracté , il y a plus rien faire D t onc , vocaliser len ement , du gosier
e t n non des lèvres , le me ton immobile ,
afin de ne pas changer la qualité du son ; t se enir bien droit , la poitrine bombée 220 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
f f a les épaules e facées , de açon ce que le
’ ’ Sang circule facilement et que l on n é ê prouve aucune g ne .
Le professe u r doit inc u lqu e r Soigne u l ’ sement ces pr i nc i pes . Lorsque éle v e t t ravaille seul , il est rès bon que ce soit
’ t u n e s observ ér devan glace , afin de atten tivement et de se mieux écouter
même , car on entend mieux quand on
voit . Les sons doivent se succéder san s sac t t cades , quoique ne temen détachés , afin
’ ' d é v ite r le s nuances i ntermédiaires où
traînent les V O I" m ex pé rim e nté es ou
’ gâchées . Le son que l on qui tte sera le
’ ’ point d appui de celui que l on attaque . Les sons doivent être considérés
’ a comme les nneaux d une chaîne, tenus
’ x les uns a u autres et d une même qualité .
222 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E c ’ es t absolumen t comme si l ’ on tirai t
’ sur un morceau d é toffe par les deux
’ Iné v i ablem n t s é c la ir . f e bouts , le milieu cit . Si vous insistez , un trou se forme .
’ ’ Ainsi en Va— t —il d une voix dont on n a
’ to u t f t pas , d abord , ermemen . solidement campé le médium qui est la base for melle de tout ins trumen t .
’ ? - t— o u a u t Su r L a fait , con raire cette base , vous pouvez tout établir . Les sons
- a les plus élevés eux mêmes , ppu yés sur t t un bon médium , sor ent avec facili é
’ n pleins d ampleur et sans chevro teme t .
v Or , le che rotement , et cela corrobore tou t ce que j ’ ai dit touchan t le mauvais t t enseignement rop répandu , le chevro e ment est la plaie du chan t moderne . Combien auj ourd ’ hui peu de chanteurs ont la voix bien posée "cela tient au L E P R O F E S S O RA T 223
d t u . médium éfec ue x Sans appui sérieux ,
la voix devient vacillante , sans accent i ’ . e t aussi B ntôt , c est le chevro ement
u e n un bêlement , en réalité , et ce x qui
son t at tein ts arri v en t rapidement à la
culbu te fi nale .
Av t ec le chevro ement , pas de chan
t v i eurs possibles ; donc , é itez tout ce qu
t e t r peu le préparer , pour cela t availlez
t e le médi um surto u t avan t tou t .
’ m ob ec te r da ns On pourra j que , le t t réper oire moderne , les composi eurs , ' ’ t sous prétexte d effet , abus des sons
v éle és , souvent j etés sans être amenés .
Cela e s t vrai ; cer tains musiciens devraien t
a x n t x apprendre mieu con aî re la voi , ’ m t l instru en délicat par excellence , qui
u t t ne pe se plier à outes les exigences , o u d u a moins consentir à la mén ger , ce 224 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
qu ’ ils sont bien obligés de faire pour les
’ instruments de l orches tre . Mais nous
’ n avons p a s ici a tenir compte de ces
’ fantaisies d artiste . Que les j eunes chan t teurs travaillent sérieusemen , comme j e
r le leur conseille . Ils auront enco e plus de n r cha ces de éussir honorablement , avec
un bon médium , qui sera la sauvegarde
’ de leur voix ; tandis que s ils se laissent aller tout d ’ abord a cette tendance né
a ntinatu rel s on faste des cris , ils perdr t infailliblement ce tte voix avant même
’ qu elle a it pu exister . La respiration tien t une place impor
’ ’ tante dans l art du chant ; c est sur elle
” ’
. s que doit s appuyer le son Bien re pirer ,
et u t t , s rtou , savoir re enir la respiration dans les poumons pour ne la dépenser
’ et a est qu au fur mesure des besoins ,
226 S O U V E N I R S D ’ U N E A RT I S T E
u ne un exercice , gymnastique des pou mons .
Quand on sera arrivé a j ouer avec la à respiration , en être maître , on atta quera un son . Cela doit se faire s u r
’ ’ ’ t— â — u a u ssitô t u e l expiration , c es dire q q les poumons Son t arrivés au maximum
’ e mm a asine m ent f t de leur g d air , il au
s le attaquer san brusquerie , en retenant a ’ souffle de façon ce qu il ne passe pas ,
d u . si j e puis dire ainsi , au travers son La respiration doit rester en dessous du
’ de e n son , et lui servir point d appui ; t ’ dépensant une plus grande quan ité d air , vo u s augmen tez la force du son . Les pou mons sont a la voix ce que le soufflet est
’ à l orgue . Le défaut général es t de ne pas sa v oi r
’ n a l atta u e d u j ouer de la respiratio , et , q L E P R O F E S S O RA T 227
ê son , de lâcher en m me temps la respi
n dé o nflen t e t ratio . Les poumons se g , le
’ ’ t v son n ayan plus de point d appui , de ient
’
r . t sans fo ce , sans vibrance C es alors
’ qu on a recours aux e fforts e t a ux cris . t t e Quand on éme le son , il fau fair
’ a ttention a la forme que l o n don ne a la
u tt bo che , ce e forme ayant une influence
’ s ur la qualité du son . Il fa u t pour l emis t sion , ouvrir la bouche plutô en hauteur ,
t bie n en aplatissan la langue , de façon
’ ’ a ce q u elle ne s oppose pas au passage de
’ u t u l air , la bo che ouver e en large r do n nant un son niais . Ayez la tête plu tô t a baissée , de façon ce que le tuyau
t t e t u vocal soi bien ouver , sans auc ne
c o u t u contraction , le end donnant des a sons gutturaux . Il fau t arriver chanter 228 S O U V E N I RS D ’ U N E A RT I S T E
t ’ sans effor s , avec la même facilité qu on met à p arler . Comme tous les exercices qu i sem
’ f a t l ex e rc 1c e du blent aciles exécu er , chant est un des plus ardus auxquels se
’ puisse livrer l organisme humain . Ce ’ t n est , on le voit , que par une pra ique
su r raisonnée , portant et le caractère de
’ à e t sa l organe dégrossir , sur qualité , et
’ sur son étendue relative , que l on peut se baser p ou r l u i faire donner son maximum E t f . t de résultats ceci é abli , il aut pro
’ céder à l aide de principes formels , sans t a se permettre le moindre écar , peine de compromettre la voix .
’ On comprend dès lors qu il soi t indis pensable d ’ être rompu a la pratique d ’ un tel a art , qui exige la fois de sérieuses connaissances techniques et 'une sorte
23 0 S O U V E N I R S D ’ U N E A R T I S T E
’ autant que possible , les défauts , s im
pose .
’ Il es t donc inutile que j insis te sur ce
e résumé de préceptes . Cela serait presqu
’ e rfl une s up u ité . J en ai dit assez pour
’ ’ que l on sache à quoi s en tenir et que
’ n l on j uge en co naissance de cause .
’ Il v a de en de même l art lyrique , à
’ - i O rem ent . ê p p parler Ici encore , peut tre , doit—ou concéder une plus grande part à
. t r la nature , au tempérament Un chan eu peu t avoir en lui des dons scéniques na
tu rels qui prennent un naturel essor
parfois presque sans étude , tandis que
’ la voix a touj ours besoin d un long tra C t vail . ertains j eunes ar istes ont un ins tinct de la scène qui leur fait trouver les
effets sans les avoir cherchés . E ncore faut -il que cet instinct soit L E P R O F E S S O RA T ‘ 23 1
’ sagemen t réglé ; encore faut- il qu on y
’ j oigne les conseils de l expérience ; encore
’ ’ faut—il qu à cette espèce d inspiration dra matique on apporte le résultat des pré
’ c édents ff e orts , qu on communique les
traditions qui , pour certaines œuvres , sont aussi consacrées que les œu v res
- elles mêmes , puisque , généralement elles gardent avec soin la marque im
’ — primée par l auteur lui même . Quelque
e conc ption , quelque génie de la scène
’ indis en qu on puisse posséder , il est p sable de les plier à cette école , car enfin
’ a le chanteur , le tr gédien lyrique , n est ,
’
t . après tout , qu un interprè e La pensée
’ de l auteur domine touj ours p ou r l a bien exprimer il est nécess a i re de la connaître . C ’ est pour cela qu ’ il la faut prendre à
’ ceux qui l ont reçue directement ou qui 232 S O U V E N IR S D ’ U N E A R T I ST E
t la conservent par le dépôt des ra ditions . A insi seulement on peut acquérir , avec la compréhension absolue d ’ une œuvre tout ce ‘ qui en peut faire ressortir les
O IH d I‘B m ot à ins i beautés , J , en un , son p ration personnelle celle , primordiale de
’ ’ l inte r re ta l auteur , et , ainsi , arriver à p t f ’ ion par aite , autant du moins qu il nous
’ n est donné de l a tte i dre .
’ Ceci encore ne s e nseig ne point par des ll t à mots alignés sur une page . fau , cette n tra smission , le concours de la parole ’ ’ t e t . C e s chaude l exemple pourquoi ici , plus encore que dans le chant , le profes
’ seu r doit posséder ce qu il assume la tâ c h e de communiquer à ses élèves .
’ ’ Je n ai eu d autre ambition , en traçant
n ces lig es , que de le faire comprendre aux j eunes gens , et j e serai heureuse si
TA B L E M AT IÈR E S
P ré fa c e biog ra p h iqu e
M o n e n fa nc e
Au c o n c er t.
Au th é â tre
E n r v in c e a l e tra n e r p o , g
Le s m a i tre s
i i P a ge s n t m e s .
Le p rofe ss o ra t .