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Adonis Un poète dans le monde d'aujourd'hui 1950-2000 Cette publication a été éditée par l'Institut du monde arabe à l'occasion de l'exposition consacrée à Adonis.

L'exposition et le catalogue ont bénéficié du soutien de

The Institute for the Transregional Study of the Contemporary Middle East, North Africa, and Central Asia — Princeton University

@ 2000, Institut du monde arabe Adonis Un poète dans le monde d'aujourd'hui 1950-2000

Exposition du 11 décembre 2000 au 18 février 2001 Adonis, Recherche documentaire Catalogue Un poète dans le monde d'aujourd'hui Hoda Makram-Ebeid Direction scientifique 1950-2000 Alain Jouffroy Cette exposition est conçue et réalisée Scénographie par l'Institut du monde arabe. Véronique Dollfus Coordination Ouïdire Mona Khazindar assistée Exposition présentée à l'Institut du monde arabe de Djamila Chakour du 11 décembre 2000 au 18 février 2001 Communication Philippe Cardinal Suivi éditorial Mériam Kettani Béatrice Peyret-Vignals Institut du monde arabe Camille Cabana Secrétariat d'exposition Conception graphique Président de l'Institut du monde arabe Arlette Bodin Ursula Held Marie-Flore Nemecek Hans-Jurg Hunziker Nasser El Ansary Directeur général de l'Institut du monde arabe Régie d'exposition Traductions Jalal Alami El Idrissi Erika Abrams (anglais) Commissaires Elisabeth Agius d'Yvoire (italien) Brahim Alaoui Abdelmajed Benjelloun (arabe) Chef du département musée et expositions Bhattacharya (bengali) Denis Collins (anglais) Mona Khazindar Valérie Dariot (anglais) Chargée de collections et d'expositions Ferda Fidan (turc) Evelyne Martin Hernandez (espagnol) Commissaire scientifique Jean-Yves Masson (allemand) Alain Jouffroy Dominique Palmé (japonais) écrivain-poète François Zabbal (arabe) assisté de Lucas Hess © 2000, Institut du monde arabe Comité scientifique Philippe Cardinal Abdellah Hammoudi Illustration de la couverture : Abdelwahab Meddeb Adonis, , 1991 Anne Wade Minkowski Photo : Abbas, Magnum Photos

Illustration en page 2 : Photo Zarko Vijatovic Remerciements L'Institut du monde arabe adresse ses plus vifs remerciements aux auteurs ainsi qu'aux artistes qui ont permis par leurs prêts des œuvres la réalisation de cette exposition. Nous exprimons toute notre reconnaissance à M. Abdellah Hammoudi pour son précieux soutien et sa bienveillante action en faveur de cette publication. Nous tenons également à exprimer notre reconnaissance à Mme Khalida Saïd pour l'attention amicale apportée à notre projet dès sa conception.

Enfin nous associons à nos remerciements tous ceux qui ont contribué à la réalisation de ce projet, et dont le concours fut indispensable. Sommaire

9 Préface 84 Adonis et la poésie arabe moderne Nasser El Ansary Muhammad Jamal Barout 11 Adonis, poète dans le monde 92 Transpoésie d'Adonis d'aujourd'hui Michel Camus Alain Jouffroy 95 Au poète euphratique 19 Adonis : fragments, débris et Chantal Chawaf remembrement Abdellah Hammoudi 96 Le temps vertical des présences Geneviève Clancy 23 Escorte pour Adonis 99 Adonis/Ulysse Michel Deguy Giuseppe Conte 30 Violence et paix Yves Bonnefoy 102 Adonis : le poète-philosophe par excellence 32 Les collages d'Adonis : Adel Daher Autoportraits du multiple Alain Jouffroy 105 L'un et le multiple dans Siyâsat al-chi'r (La Politique de la poésie) Faysal Darraj Analyses 109 Al-Kitâb (Le Livre), une descente 53 Les visions contradictoires du aux enfers ou une ascension vers les cimes du poème? (ou des) moi un(s). De l'harmonie Zahida Darwiche Jabbour statique à la contradiction dynamique Kamal Abu-Deeb 113 Taha Hussein et Adonis. La récolte culturelle arabe du XXe siècle 60 Tombeau pour New York. Tombeau Ousayma Darwich pour la domination et le racisme Abdel-Aziz AI-Maqaleh 115 L'éclair et la clé Pierre Dhainaut 66 L'union de la pensée et de la poésie Antoun al-Maqadasi 119 La septième face du dé Renaud Ego 69 Après cette poésie, il n'y aura ni conflits ni antagonismes 123 « Ceci est mon nom, ceci est mon Raja Al-Naccache idiome» Ziad Elmarsafy 72 Temps, Lieux, Célébrations Dimitri T. Analis 124 Adonis et la poésie arabe 75 « Sève est ma liturgie » contemporaine Maris-Claire Bancquart Maher Chafiq Farid 77 Adonis, poète du réel et de son opposé 128 Niffari Adonis Mihyar Halim Barakat Jean-Pierre Faye 130 Les figures d'Adonis. L'alphabet du 177 Le poète des contraires 293 Lokenath Bhattacharya : Une danse inattendue désir et le paradis du signe. Abdo Wazen 295 Hélène Condylis-Bassoukos : Lettre à Adonis : Variations sur le discours d'Adonis 11, Tu, Nous Ali Harb 179 Adonis et la pensée allemande : entre Nietzsche et Heidegger 296 Francesca Maria Corrao : Le Voyage d'Adonis en Italie 136 Le charmeur de poussière Stefan Weidner Jacques Lacarrière 300 Ibrahim M. Elfadel : L'Équation comme 138 Territoires du deuil « Tombeau pour New York » Jean-Claude Masson Poèmes 301 Pascal Gilevski : Adonis en Macédoine 301 Qassim Haddad : La leçon permanente 144 Le poète, la ville et le dire 187 Chawki Abdelamir : Adonis par Adonis : collage de la poésie André Miquel 188 Michel Butor : Souvenir du déluge, La reine de 303 Abdulkarim Hassan : Celui qui sut enchanter 146 Adonis : le poète et l'investigateur Saba vient de faire ses adieux au roi Salomon, les mots Sur le chemin de retour la reine de Saba songe Amjad Nasser à la Jérusalem future 304 Samuel Hazo : Adonis applaudi 305 Allen Hibbard : Découvrir Adonis 149 Adonis, un homme libre 190 Andrée Chedid : Naissance et renaissances Basarab Nicolescu d'Adonis 307 Ozdemir Ince : La transformation d'Ali Ahmad de Qassabine en Adonis 153 Adonis régénérateur 191 Hélène Dorion : Ferveurs 308 Wolf Lepenies : Adonis : sismographe Makoto Ooka 192 Jacques Dupin : Minuscule écho au don 155 L'océan secret d'Adonis 309 Franco Loi : Être homme être poète Abdel Munim Ramadan 193 Claude Esbeban : Soleil sans origine 310 Mateja Matevski : Chant au-dessus de l'abîme 195 Clara Janès : Le nom d'Adonis, la métamorphose 311 Manrico Murzi : D'une cafétéria à l'autre, pour 159 Mawâqif ou la contre-utopie la poésie Khalida Saïd du poète 196 Charles Juliet : Pour Adonis 312 Mario Nicolao : L'exil dans sa propre langue 165 Adonis, la blessure et le feu 197 Vénus Khoury-Ghata : Les Mots 313 Claudio Pozzani : Adonis, pluriel en forme Serge Sautreau 198 Claude Ollier : Ralliement de singulier 167 Adonis : pensée et matière de la 200 Gôzô Yoshimasu : Feu 314 David Pryce-Jones : Adonis, le signe poésie du renouveau Hisham Sharabi 314 Nasser Rabbat : Adonis, l'homme critique et poète d'un même souffle 169 Le bonheur et l'Apocalypse Biographie d'Adonis 316 Jean-Claude Renard : Reconnaissance d'Adonis Krystyna Skarzynska-Bochenska par Anne Wade Minkowski 171 « Poète des secrets et des 317 Daniel Rondeau : Tout le monde n'a pas la chance de s'appeler Adonis racines » : l'Adonis hallajien Reuven Snir Témoignages 318 Shawkat M. Toorawa : Adonis, source de joie 319 José Miguel Puerta Vilchez : Adonis : aux bords 287 Asma Afsaruddin : Adonis, l'incontournable 173 Pourquoi Adonis ? du temps et de l'Alhambra Gaber Usfur 288 Edouard al-Kharrat : Le poète, l'ami 289 Sayf Al-Rahabi : Homme de vision, poète 176 Devinette après devinette 322 Bibliographie en marchant vers l'enfance... du vécu Bernard Vargaftig 290 René Alleau : Adonis, le pèlerin de l'unité 291 : Dans l'amitié d'Adonis

Poète et essayiste, Adonis est depuis plus de quarante ans une figure de proue de la modernité arabe. Après avoir participé en 1957 à la création de la revue d'avant-garde Chi'r (Poésie), il a en effet publié, dès 1961, son célèbre Mihyar le Damascène, puis Le Livre des métamorphoses, en 1965, qui ont marqué de façon décisive la nouvelle sensibilité littéraire arabe. Et, depuis lors, il a toujours été au croisement de deux grandes traditions : celle qui, allant de la poésie préislamique jusqu'aux textes mystiques, repré- sente la part la plus vivante de notre culture, et celle qui est issue de la révolution en Europe, à la fin du xixe siècle, du langage poétique. En plus de ses brillants essais, une grande anthologie de la poésie arabe classique et de nombreuses traductions de la poésie française témoignent de ce double ancrage. L'œuvre de ce poète majeur a reçu en Europe, puis en Amérique, l'accueil qu'elle mérite : elle a ainsi été traduite dans une quinzaine de langues, et certaines éditions, notamment en français, ont obtenu un franc succès, non seulement dans le petit cercle des initiés, mais aussi auprès du grand public. Succès que l'Institut du monde arabe voudrait amplifier en organisant l'exposition « Adonis, un poète dans le monde d'aujourd'hui, 1950-2000 », et en publiant ce catalogue qui, j'en suis sûr, sera longtemps consi- déré comme un ouvrage de référence. Je suis sûr aussi qu'il incitera les lecteurs à parfaire leur connais- sance de la poésie arabe, tant classique que contemporaine, qui recèle des richesses insoupçonnées. Nasser El Ansary 10 Adonis, poète dans le monde d'aujourd'hui Alain Jouffroy

Lire l'œuvre Adonis, c'est partir pour une immense cir- teurs. On croît connaître et reconnaître son bateau, il est cum-navigation, dont personne ne peut prévoir où elle capable de l'échanger contre une barque de pêcheur, ou pourrait s'achever. même d'arrêter sa navigation en pleine mer, de nager vers Mais ce n'est pas seulement parce que l'oeuvre est consi- un autre rivage et de marcher, à pied, seul, dans un chemin dérable en arabe, ni parce que sa traduction en français, perdu, où il va faire retentir sa voix dans l'intimité d'un même incomplète, l'est presque autant. De livre en livre, le espace désert, ou de sa modeste chambre de travail d'une lecteur toujours en retard ne cesse de naviguer à sa suite, tour de Courbevoie où il vit avec sa grande complice d'accoster des îles jamais dites, tout un archipel de poèmes Khalida, la mystérieuse. Comment le rejoindre alors, puis- 11 et de textes surgis par la grâce d'une même voix : une voix qu'il semble ne plus savoir lui-même d'où, et même à qui polyphonique, qui se reconnaît à travers toutes les diffé- il parle ? Comme s'il avait décidé, cet Ulysse-non- Ulysse, ou rences d'écriture et de style, quelles que soient ses très ce Noé clandestin, de se fuir lui-même, de liquider défini- diverses volutes et intonations. Lire Adonis, c'est accepter tivement son identité, de la disperser aux quatre vents, de se laisser embarquer pour un grand voyage dans une comme on veut disperser ses propres cendres sur la mer. langue dont l'horizon ne se limite ni aux pays arabes, ni aux L'évidence est là : son œuvre se présente comme une pays d'Occident, ni à ceux d'Extrême-Orient. Son périple Odyssée dont il refuse d'être le héros : Adonis-Ulysse, ne consiste pas à retisser, comme on le rabâche, des liens Adonis-non-Ulysse, non-Adonis non-Ulysse, personne et entre l'Orient et l'Occident, ni même à en inventer de nou- chacun de nous, le passant de la rue, celui qui lit un livre veaux, mais obéit à la volonté, plus utopique qu'aucune sur un banc de jardin et celui qui attend sur le quai un train, autre, de faire dialoguer tous les temps et tous les lieux pos- qui, lui, est toujours en retard sur le désir du temps futur. sibles au sein du même espace terrestre. Il s'agit donc, à mes Tout commence en fait par cette décision foudroyante yeux comme à ceux de quelques autres poètes, de la plus et fondamentale : le brusque abandon de l'identité fami- ouverte de toutes les œuvres du xxe siècle, dont on peut liale et nationale, l'identification à un nom étranger à sa chercher en vain l'équivalent, individuel, nulle part. famille et la dimension universelle choisie à travers ce nom On peut redouter de s'y risquer, abandonner vite l'ex- mythique. ploration de tant de livres, de tant de textes, eux-mêmes La décision en fut prise à dix-huit ans par ce jeune exploratoires. L'interprétation qu'on peut faire de la pen- Syrien, fils de paysans montagnards, dont le père était une sée adonisienne est sans cesse menacée de partialité et d'in- sorte de petit imam de village, né dans un trou nommé complétude du fait même de sa prolifération continue. On Qassabin, près de Lattaquié. Mais le choix de ce pseudo- a beau avoir abordé et longuement fréquenté plusieurs nyme plutôt qu'un autre, qui lui a tout de suite permis de d'entre eux, cela ne suffira jamais à la connaissance de cette transgresser, physiquement, mentalement, les limites tra- infinitude programmée. Adonis est capable de surprendre, ditionnelles du monde arabe, n'était pas dénué de sens par les détours les plus inattendus, ses plus fidèles admira- multiples à ses yeux d'adolescent. De ce dieu phénicien adopté par les Grecs, il faut rap- En somme et pour tout dire, Adonis a vécu sa vie comme peler d'abord que la belle Myrrha, sa mère, avait trahi une façon de dépasser la poésie en tant que forme littéraire, Théias, son père, qui - tout le monde semble l'avoir oublié et de l'appliquer, littéralement et dans tous les sens, au réel - n'était autre que le roi de Syrie. Recueilli par Aphrodite - tout entier. C'est la raison pour laquelle chaque poète, la phénicienne Astarté, dont il fut aussi l'amant - le jeune quelle que soit sa propre origine et quelle que soit sa langue dieu Adonis a été élevé, on l'oublie aussi, par la très sou- maternelle, ou celle qu'il utilise, peut s'identifier lui-même terraine Perséphone. Blessé à mort par un sanglier, sa à Adonis, devenir Adonis en s'approchant de toute chose, beauté ayant suscité la jalousie d'Artémis, la championne comme en Asie chacun peut devenir Bouddha - se libérer de la chasse et l'ennemie jurée d'Aphrodite, c'est dans ce de soi et de son corps mortel pour s'approcher au plus près, 12 contexte de rivalités féminines que le dieu Adonis a surgi quitte à s'y confondre, de chaque fleur, chaque arbre et comme une exception parmi les dieux, jusqu'à en devenir chaque littoral. la victime. Mais écrire sur l'œuvre d'un poète aussi prolifique et Le jeune poète Adonis n'est sans doute pas allé jusqu'à aussi multiple consiste d'abord à éviter deux écueils : celui partager la signification symbolique des péripéties de la vie de la théorie personnelle, qui va chercher dans l'œuvre étu- et de la mort de ce dieu, mais l'identification surprenante diée des citations susceptibles de conforter sa justesse, et à une telle figure de la mythologie subsume la distance à celui de la redondance, qui consiste à redire avec d'autres l'égard du territoire natal - et, finalemennt, son éloigne- mots ce que l'œuvre dit elle-même. Entre ces deux écueils, ment, par l'exil volontaire, d'abord à Beyrouth, puis à Paris, j'ai toujours préféré choisir un autre système : celui d'un à l'égard de toute espèce de nationalisme, politique ou point de vue perpendiculaire à l'œuvre, qui permet d'ou- culturel. Le choix de ce pseudonyme coïncidait avec celui vrir sur elle une perspective surplombante, par rapport à d'une voie d'autant plus risquée que pour lui, en tant qu'in- elle comme par rapport à la vie entière. L'œuvre d'Adonis, dividu arabe, une voie nouvelle d'universalité semblait par son étendue, semble rendre cette perspective surplom- inaccessible. La Grèce antique et le Proche-Orient formant bante impossible, raison de plus pour s'y risquer, de le même corps, tous les héros qui traversent ses poèmes et manière à éviter de répéter ce que d'autres ont dit, et par- ses réflexions sur la poésie ne sont pas ceux d'un nostal- fois dit avec pertinence, dans la lumière unique et rare de gique des temps anciens : ils sont ses très contemporains de la compréhension et de la complicité. Avec Adonis, dont voyage et de pensée. « Chasse spirituelle » ? Non : quête l'écriture est un défi à toutes les écritures, mieux vaut d'une autre manière de pratiquer, de répandre et de dépen- répondre par un autre défi, qui ne relève ni du commen- ser la poésie en tout pays, en tout lieu et en toute taire, ni de l'analyse historique et linguistique mais de la circonstance, quelles que soient les douanes et barricades liberté individuelle de création. placées sur sa route, qu'elles soient religieuses ou non, Tel est en effet l'impact des poèmes d'Adonis : en comme autant d'épreuves, intérieures et extérieures, à sur- s'adressant à tout et à tous, c'est-à-dire à l'autre de chaque monter contre vents et marées de tous côtés (et, bien « je », il ne résonne pas seulement dans la sphère anonyme entendu, pas seulement du côté arabe). de l'universalité, mais dans la sphère intime de la plus grande subjectivité de chacun, quitte à la bousculer de toutes les manières, et même à récuser la légitimité de l'exis- tence et de la propriété de chaque moi. Pour Adonis comme pour Novalis, l'homme n'est pas le seul à parler : «l'univers lui aussi parle, tout parle - en langues infinies» (Encyclopédie, fragment 479). En parlant de tout à tous, Adonis englobe chaque individu particulier comme le point de départ d'une autre universalité possible. Son œuvre peut être vue et interprétée comme une véri- table invasion de toutes les cultures qui entourent la civili- 13 sation arabe, pré et post-islamiques. Revanche? Non. Réponse à un état de fait d'autant plus éblouissante qu'elle se présente comme non ressentimentale contre l'occulta- tion de la culture arabe par les impérialismes étrangers, mais aussi contre le repliement de la culture arabe sur elle- même, sa paralysie religieuse, qui l'a transformée, depuis des siècles, en une immense peau de chagrin. On peut comparer cela à ce que James Joyce a su opérer, l'académique et obsolète débat «Orient-Occident» qui à sa joyeuse manière, jusqu'à Finnegans Wake, à partir de gouverne et magnétise la pensée créative, qu'elle soit l'isolement de la forte culture et des fortes traditions irlan- réflexive ou non, c'est le banquet de l'humanité tout daises. Adonis est un Joyce arabe : il casse la baraque natale entière, de son existence et de sa survie terrestres, qui pré- pour la transformer en plate-forme de dialogue avec le occupe d'abord cet Ulysse révolté, qui se réveille trop rare- monde et avec l'univers - et pas seulement avec l'« Occi- ment en chacun de nous. Pour un poète pré-voyant, quelle dent». Beyrouth n'est pas Dublin, Dublin n'est pas que soit la langue qu'il emploie pour écrire, le survol de Beyrouth, Joyce n'est pas Adonis, Adonis n'est pas Joyce, tous les horizons est devenu une condition sine qua non de mais le même pari sur une nouvelle conscience de la tota- sa propre liberté, alpha et peut-être omega de la liberté de lité du monde humain a été lancé par deux individus du tous. Dès toujours, Adonis s'est placé, offensivement et xxe siècle, contre tous les paris sur toute particularité, généreusement, face à la simultanéité exponentielle de tous l'identité du moi, l'identité du sujet et l'identité d'un les horizons du monde réel moderne. peuple. Joyce et Adonis ont d'ailleurs choisi, comme par Al-Hallâj, le poète mystique du xe siècle, mort crucifié hasard, le même héros mythique commun pour transgres- pour son hérésie, l'a dit le premier : ser toutes leurs frontières : Ulysse. Mais aujourd'hui, ce « Je n'ai pas connu n'est plus du bassin méditerranéen qu'il s'agit comme lieu d'autre éloignement que le Tien de la transgression primordiale nécessaire, ce n'est plus après avoir acquis la certitude que proche et lointain ne font qu'un appelait la « vieillerie poétique» : ressassement de clichés Et moi-même orchestrés sentimentalement selon des formes diverses, si je m'éloigne néo-classiques ou néo-modernes, et la plupart du temps l'éloignement est mon compagnon pour servir à la seule illustration du «Moi». Adonis pro- Comment l'éloignement peut-il être cède à l'inverse : il part de la déperdition du sens, il part de alors que l'amour est un 1» la désertification de la poésie par les poètes pour fonder de Adonis ne parle sans doute pas du même « proche » et du nouvelles langues, au sens novalisien du terme. Comme même «lointain». Contrairement à Hallâj, poète errant, Novalis, il s'enivre de «parler pour parler ». En quelque son éloignement d'exilé lui a servi à se rapprocher du réel, sorte, il reprend toute la poésie à zéro pour mieux viser l'in- 14 à s'accorder dans sa propre distance avec toutes les villes, fini. Et la réaction religieuse arabe, la survie chaque jour tous les pays qu'il a visités, regardés, écoutés avec tant d'at- plus anachronique et criminelle des trois monothéismes, le tention, de respect et de gaieté. Avec une aisance naturelle provoquent à tel point qu'il sait montrer, simultanément et et souriante, il se sent partout dans son véritable pays, la ligne par ligne, la puissance de ce zéro originel et la puis- terre. Comme Hallâj, cependant, il ne supporte pas, se sance d'un avenir infini. Pour lui, quelle que soit la singu- révolte que tant d'êtres humains vivent dans la misère. La larité de chaque chose, le trésor et le déchet ne font qu'un, rébellion dont il fait sans cesse l'éloge, et cela depuis le comme il le prouve visuellement, presque tactilement, dans temps où il a fondé avec le grand poète et théoricien Youssef ses collages. Mais en plaçant un signe d'égalité entre le tré- al-Khal la revue Chïr, se distingue du sens donné commu- sor et le déchet, il renverse deux fois toute hiérarchie : celle nément au mot « révolution », mais elle constitue le germe qui respecte d'abord ce qui se place « au plus haut », et celle, individuel de toute révolution réelle. révolutionnaire ou d'avant-garde, qui respecte d'abord ce Parmi tant de mots galvaudés par le commerce, les mar- qui se place «au plus bas ». En cela, chacun de ses poèmes chés financiers, les médias, l'ignorance, la bêtise, le mot vise ce que Breton appelait le «point suprême ». révolution s'est dilué depuis les années soixante-dix dans Cette transgression de toutes les contradictions confère les sables d'on ne sait quel assoiffé désert du sens. Contre à tout ce qu'il écrit le caractère d'un manifeste permanent cette censure générale du sens originel et réel des mots les de la rébellion : les citations que l'on fournit à ce propos plus chargés d'un signifié libérateur - le mot « espoir » en sont innombrables, nul besoin d'en rajouter à mon tour, fait partie - les poètes devraient être les premiers à leur on pourrait en faire une encyclopédie nouvelle. Depuis ses réinsuffler nouvelle lumière, nouvelle énergie interne. Mais débuts en Syrie, toute la poésie et toute la pensée d'Adonis ils s'en montrent rarement capables. Ils font comme si, en s'opposent résolument, clairement, sans aucune ambiguïté, écrivant, la déperdition du sens des mots qu'ils emploient à tous les dogmes, esthétiques, moraux, religieux et poli- n'existait même pas, ce qui les condamne à ce que Rimbaud tiques, qui ne cessent d'entretenir les contradictions, de les

1 Hallâj : Le livre des Tawassines, Le jardin Abdelamir et Philippe Delabre, éd. du du savoir, fragments traduits par Chawki Rocher, 1994. envenimer pour saper tout ce qui pourrait menacer leur observé, a-t-il écouté Rimbaud mieux que d'autres, mais il pouvoir. Ses livres pourraient tous porter en sous-titre le ne le réitère pas : il le continue, l'arrache à son mythe titre d'un essai de mon ancêtre, Théodore Jouffroy : comme on dévergonde une porte, outrepasse Aden et le « Comment les dogmes finissent ». Qu'il oppose ou com- Harar, débarque comme lui au Caire, mais aussi à New York, pare ces dogmes les uns aux autres, comme il le fait dans ou à Paris, dans ce qu'il appelle le « cheminement du désir La Prière et l'épée, ou qu'il les attaque de front, comme il s'y dans la géographie de la matière» - une formule qu'il faut emploie dans de très nombreux poèmes, à commencer par interpréter à la lettre, parce qu'il en applique le sens à tout Chants de Mihyar le Damascène, et dans le splendide ce qu'il fait, dit et écrit. Poésie littéralement vécue, c'est plus poème : Singuliers, où il déstabilise, à la fin, jusqu'au sens qu'évident, où, comme le poète zen, la chose et son énon- de Cirât-le terme eschatologique, emprunté au Coran, qui ciation ne forment plus qu'un seul et unique éclair, une 15 signifie la « voie » - c'est toujours de la destruction radicale seule et même réalité. Depuis que je le lis, au fur et à mesure d'un sens donné définitivement à la vie et à la mort qu'il des belles traductions qu'Anne Wade Minkowski en a faites s'agit, sans pour autant se résigner et se résumer au trop avec tant de constance et tant de lucidité, mais aussi Jacques facile constat nihiliste, du non-sens. Berque, je lis et relis les livres d'Adonis pour prendre de mes Adonis ne se baigne jamais deux fois dans le même propres nouvelles, voir où j'en suis avec moi-même et avec fleuve - ni dans celui de sa vie ni dans celui de ses poèmes. le monde. Consultant ainsi chacun des livres d'Adonis Ses chants tournent, s'élèvent, s'accélèrent, ralentissent comme les différentes parties d'un même Livre d'oracles, comme le vent, mais ne s'identifient en aucun cas à une j'y trouve chaque fois des réponses, comme dans un gigan- girouette, ou à un mur. Adonis passe de cap en cap, les tesque Yi-King arabe, aux questions que ma conscience contourne et les domine, puis s'en va. Chacun de ses ignore qu'elle se pose. J'y navigue dans l'espace qu'Adonis poèmes se recommence comme s'il n'avait ni prédécesseur, appelle lui-même « L'invisible immanent» - où je me recon- ni successeur. Ni origine identifiable ni fin déterminée à nais, comme dans un miroir plongé dans l'énigmatique l'avance. En les lisant, on sent peu à peu, au bout de clarté des ténèbres, là où d'autres dialoguaient avec Dieu. quelques lignes, qu'on est en train de se libérer de toute Mais, selon moi, Adonis n'est pas un mystique, ni même pesanteur, on vole partout et nulle part, même quand ils un mystique athée, même s'il a revisité, revécu intérieure- font référence, implicite ou explicite, aux penseurs arabes, ment Al-Hallâj, Ibn Arabî autant qu'Abû Nuwâs et Niffarî, ou à d'autres. La liberté y rejoue sans cesse son va-tout. tous ces fous sublimes qui ont fait de la poésie leur viatique Comme tous les grands créateurs, peintre ou poète, de libération intérieure et qui ont servi à Adonis de repères Picasso ou Joyce, Adonis semble dire en toute occasion à son pour perpétuer leurs défis, mais aussi pour les traverser, interlocuteur : «Allez, vas-y, à toi de jouer, tu peux, si tu le comme l'œil traverse une baie vitrée, le poisson une cas- veux vraiment, en faire autant. Transformer tout trésor en cade et l'oiseau les nuages et la pluie. Il n'éprouve donc déchet, et l'inverse. Changer ton verbe en silence, et l'in- jamais le besoin de s'opposer à eux, de polémiquer menta- verse. Changer ta vie en mort, et l'inverse. » Sans doute lement avec eux. Leurs voix se mêlent à sa propre voix, mais Adonis, comme un grand nombre de ses exégètes l'ont en s'y mêlant elles changent de musique et répercutent leurs messages dans un tout autre espace que celui où ils feu;/ je ne suis pas de l'empyrée, ni de la poussière; pas de pratiquaient leur ascèse, leurs ivresses, leurs extases, leurs l'existence ni de l'être ; je ne suis ni d'Inde, ni de Chine, ni amours et leurs errances. Il exprime, en les citant et res- de la Bulghar, ni de Sqsin,/ je ne suis pas du royaume d' suscitant, ce qu'ils savaient ne pouvoir exprimer, du fait ni du pays de Khorossan./ Je ne suis pas de ce monde, ni de même de la langue qu'ils utilisaient, et qui n'était jamais l'autre, ni du paradis ni de l'enfer,/ je ne suis ni d'Adam, ni assez « ivre » à leurs propres yeux. On pourrait dire qu'il les d'Ève, ni de l'Éden ni de rizwan./ Ma place est d'être sans intériorise pour leur donner vita nova. place, ma trace d'être sans trace 2 ... », Adonis n'oppose pas Sacrilège, selon certains. Mais un poète qui s'interdit de la dualité à Dieu, n'entérine pas davantage la dualité comme commettre un sacrilège, en connaissance de cause de tout un fait, ne la célèbre en aucun cas en tant que telle, mais, au- 16 ce que cache la mystique, n'est que le policier de son propre delà des gnostiques et de la gnose, en laquelle Breton a langage et un mercenaire du pouvoir : c'est la faiblesse de déclaré voir, en 1949, dans Flagrant délit, l'origine cachée de la plupart des poètes occidentaux de ne plus vouloir, ou de « Hugo, Nerval, Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont, ne plus pouvoir en commettre, sauf en une rêverie sans Mallarmé, Jarry », « plus ou moins marqués par cette tradi- conséquence. tion », Adonis précipite sciemment toute dualité dans un Michel Camus, dans son beau livre : Adonis, le vision- espace où tous les contraires « cessent d'être perçus contra - naire (Éditions du Rocher, 2000, p. 72), le dit autrement que dictoirement », et constituent le corps même de l'univers et moi : « Les élucidations d'Adonis sur la poétique arabe, sur de la pensée qui s'y ouvre. les rapports entre le «métaphorique» et la «réalité» (au En cela, Adonis fait repartir la recherche poétique fon- sens commun ou naïf du mot), constituent une sorte de damentale du surréalisme, qui s'est inscrit lui-même dans manifeste que la poésie française contemporaine devrait la tradition de la gnose, mais en en restituant tous les méditer et expérimenter pour sortir de ses ornières et s'ou- arrière-plans, ceux d'Albert le Grand et de maître Eckhart, vrir à l'univers infini de la connaissance poétique ou du comme ceux des grands ésotériques occidentaux. Comme métaphorique mystique qui est recherche d'unification si, en l'occurrence, l'expérience même de la modernité, entre le visible et l'invisible et dévoilement inépuisable de depuis le temps de la proclamation de la « mort de Dieu » l'inconnu. » et de la fatalité du Nihilisme par Nietzsche, ne pouvait Contrairement, par exemple, à Rûmî, qui disait : « Que devenir illuminante dans la vie des hommes qu'au-delà faire, ô musulmans ? Car je ne me reconnais pas moi-même. d'une rudimentaire opposition à toutes les croyances et à / Je ne suis ni chrétien, ni juif, ni guèbre, ni musulman ;/ je toutes les traditions, telles qu'elles se sont diversifiées dans ne suis ni d'Orient, ni d'Occident, ni de la terre, ni de la toutes les civilisations monothéistes. D'une manière qui mer;/ je ne proviens pas de la nature, ni des cieux en leur demeure l'objet d'une étude comparative qui n'a, je crois, révolution. / Je ne suis pas de terre, ni d'eau, ni d'air, ni de pas encore été tentée, les Chants de Mihyar le Damascène

2 Anthologie du soufisme par Eva Vitray- Meyerovitch, éd. Sindbad, 1978. pourraient être considérés comme le prolongement- La Prière et l'épée, ou la "Démocratie sauvage", c'est un fait éternel-retour d'Ainsi parlait Zarathoustra : Adonis pense, indiscutable. La plupart des intellectuels arabes sont comme Nietzsche, que «l'homme est quelque chose qui conscients du caractère pernicieux des dictatures qui exis- doit être surmonté ». Il pense, comme Zarathoustra, que tent dans leurs pays et les combattent. Mais pourquoi « lorsqu'on ne peut plus aimer, il faut - passer ! - » C'est sa l'Occident a-t-il pris conscience si tard d'une telle vérité, manière de tout reprendre à zéro, et de retourner ce qu'on pourtant déjà largement connue, et depuis longtemps, à tra- ne voit plus qu'à l'envers, dans notre monde renversé. vers la presse et l'information ? Pourquoi la plupart des écri- Reprenant ainsi la thématique du poète dyonisiaque vains occidentaux, notamment, ont-ils gardé le silence sur Rûmî - et de combien d'autres poètes soufis qu'il admire ? une telle situation? Pourquoi la conscience de l'Occident - Adonis lui a fait subir ce qu'Isidore Ducasse a fait subir à s'est-elle tue en face des massacres individuels et collectifs 17 lui-même, en renversant l'apologie du Mal (Les Chants de perpétrés par ces dictateurs contre leurs peuples ? » Maldoror) en apologie du Bien (Poésies), mais d'une Adonis récuse toute critique partielle des pouvoirs, qui, manière beaucoup plus dialectique que ne pouvait le faire en les isolant les uns des autres, comme si ce n'était, chaque Lautréamont à son époque. La question principale est là : fois, qu'un cas ou une anomalie spécifiques, parce que, un poète qui se croit prophète et détenteur d'une vérité selon ses longues vues, les hommes vivent partout dans unique est parfois sublime en paroles, mais catastrophique l'impuissance que suscite l'oubli du devenir. pour l'âme de ses lecteurs. Adonis, lui, dénonce en lui- Les questions politiques provocantes qu'Adonis nous même la tentation prophétique et sait, mieux que per- pose ne s'inscrivent donc pas dans le seul champ du poli- sonne, pour agrandir la sphère, toujours très fragile, de la tique, mais d'une métapolitique qui déborde la métaphy- liberté, qu'il faut d'abord n'accepter ni la loi des deux Dieux sique. C'est la raison pour laquelle je crois que, nous autres uniques (Yaweh et Allah) de l'Orient, ni celle du Dieu de Occidentaux, nous devons répondre sans réserve par oui à l'Occident, ni celle d'aucun « Lucifer », inventer son propre ses affirmations. Je dois déclarativement le souligner ici : « nord », un nord mobile au-dessus de tous les horizons du cette « métapolitique » est à l'origine de mon adhésion au levant et du couchant. Pas de Dieu unique, jamais : un projet d'exposition d'Adonis à l'Institut du monde arabe. Il océan de multiplicités. ne s'agit pas seulement, à travers cette exposition, de rendre Cette condamnation de tous les monothéismes dépasse hommage officiel à un grand poète, mais d'y saisir l'occa- celle que Nietzsche a faite du seul christianisme et répercute sion d'exprimer la reconnaissance de notre dette mentale à dans le monde une voix qui multiplie celle de Zarathoustra son égard, comme à l'égard de tous les exceptionnels com- par la voix d'une politique et d'une poétique universelles. battants arabes contre toutes les formes d'aliénation de la Pour Adonis, le devenir se substitue à l'être, mais ce devenir pensée et de la vie humaines. Ses poèmes le disent encore traverse d'abord le champ psycho-physique de l'existence mieux que ses textes théoriques : le rôle du poète, quels que humaine, où son regard porte sur tous les terrains. soient son pays et sa langue, c'est d'entrer dans la matière « Que les dictatures, quelles qu'elles soient, n'accordent quotidienne du monde et de renverser, en soi d'abord, toutes aucune importance à l'homme et à la liberté, écrit-il dans les idoles. Oui, Breton le savait, Artaud le savait, Paz aussi, chacun d'eux l'a dit à sa manière, mais Adonis le sait et le vue la sagesse bâtarde du Coran » et où il s'exclame : « Ah! dit avec plus de clarté que personne. À nous de tenir, jus- la science ne va pas assez vite pour nous ! », n'est que le pre- qu'au bout, cette ligne de partage entre tout ce qui entre- mier degré de la réflexion émancipatrice moderne. tient, par le langage même, la possibilité des dictatures poli- À travers Adonis, l'ère de l'Impossible devient un hori- tico-religieuses, et ce qui, par un autre langage, s'oppose par zon visible, dont chaque individu qui désobéit aux règles avance à leurs réitérations. Le langage mystique, idéaliste ou s'approche plus rapidement que d'autres par la pensée. Elle magique, n'y suffira jamais et moins encore que ce que commence, à l'insu de l'immense majorité des hommes, à Rimbaud appelait, dans l'une de ses lettres à son professeur se confondre avec une nouvelle ère du Possible et cela non Izambard, «la poésie subjective, horriblement fadasse », qui seulement dans les pays arabes, où les résistances à l'avenir 18 continue de sévir, malgré Rimbaud, dans tous les pays où la et aux transformations inévitables auxquelles il donnera « poésie » sert toujours de prétexte pour esquiver la « réalité lieu sont les plus obstinées, mais dans le monde entier, où dure à étreindre », le fait même de se trouver dans ce monde, l'on en parle à tort et à travers, en bien comme en mal, avec celui des apparences et dans aucun autre. le plus souvent beaucoup trop de moralisme, sans y être Tout se passe comme si, fondateur d'un matérialisme réellement prêt. illuminé, qui tient d'abord compte de l'individu mais Quand on a longtemps, très longtemps navigué à travers refuse de réduire son rôle au solipsisme, Adonis avait remis Adonis, on voit l'avenir comme quelque chose de plus pro- la mystique soufi sur ses pieds, réveillé la conscience indi- fond et de plus illimité que n'importe quel passé. On a élargi viduelle du monde et relancé tous les dés sur les tables de en soi l'espace d'une disponibilité sans exclusive à l'égard notre temps et de celui qui, probablement, lui succédera : de tout. Or, c'est ainsi que son œuvre libère le rire - un rire un temps où la science et la poésie ne seront plus diver- plus profond que la douleur. Transportés et emportés gentes, moins encore divorcées ou même veuves l'une de comme nous le sommes au-delà de sa parole, ce rire nous l'autre, mais convergentes et absolument, contrairement à ouvre à l'être comme à toute existence, les plus petites ce que croyaient Breton et Artaud, qui ne pressentaient choses de l'univers, comme les plus grandes, n'ayant, pour dans la science que des dangers, nécessaires l'une à l'autre. ce généreux poète, aucune fin : surtout pas la mort. Utopie, diront les uns. Impossible, diront les autres. Mais, comme le pense Adonis, sans utopie, l'homme n'est Alain Jouffroy, né à Paris en 1928, après avoir rencontré par rien qu'un consommateur parmi les consommateurs, un hasard André Breton dans le Finistère en 1946, a quitté le mouvement surréaliste dès décembre 1948. C'est André Breton, résigné et un couard parmi les résignés et les couards, c'est- Henri Michaux et René Char qui ont fait paraître ses premiers à-dire un esclave. L'utopie d'Adonis est la machine-mère de poèmes. Auteur de plus de cent ouvrages, recueils de poèmes, la dynamique de son oeuvre tout entière. Car l'utopie, chez romans et essais, théoricien de l'individualisme révolutionnaire lui, est comme son idée de Babel : sa propre création, celle et voyageur, sa récente anthologie de poèmes, C'est aujourd'hui toujours, Gallimard, 1999, a été couronnée en 2000 par le prix des autres, celle de tous et de personne. On le sait, mais on Apollinaire et toute son œuvre par le prix Roger Caillois. l'oublie chaque jour : l'Impossible, l'un des derniers titres d'Une saison en enfer, où Rimbaud dit qu'il n'avait pas « en Adonis : fragments, débris et remembrement Abdellah Hammoudi

Que faire, lorsque pensant à un témoignage, s'impose d'écrivains arabes inspirée par Damas. Association arabe. d'abord le nom? Adonis, Adonis... Ali, le dieu et l'homme Quels Arabes ? « Les Arabes, Oh mon frère ! » exclamation aux noms multiples. Mon ami de jeunesse d'abord qui, qu'Adonis répète sans cesse. Exclamation, question qui se avant de m'offrir le bonheur de sa présence physique, le font lamentation chaque fois que la politique politicienne mystère de sa voix et l'ironie douce de son regard, me sou- se rend maîtresse de l'écriture. Retournement de l'écriture. tint par ses Écritures. Poèmes, essais théoriques, prises de Fort heureusement le voyageur conserve quelques position sur notre passé et notre futur. Faute de lui parler ancrages : le village natal, loin de Damas, Beyrouth, directement et l'apercevant toujours de trop loin, sa voix , le Caire, Paris, l'autre patrie poétique. 19 par la seule lecture pouvait être mienne. Et elle ne me quit- Princeton 1996. Adonis, mon ancrage. Lui et moi, un tait plus : toujours là, elle insufflait sa vigueur à un corps ancrage pour deux. L'arabe, notre langue, notre ancrage. que la jeunesse quittait sur la pointe des pieds. Plutôt notre arbre dans ce pays d'arbres. Perchés sur une Puis ce fut la rencontre à Paris, ensuite au Maroc, et la branche, nous nous appliquions à déchiffrer les pépiements surprise d'une familiarité immédiate. Quelques phrases américains; l'Amérique des langues à l'étroit dans suffirent. Le reste vint par les jeux de mots, le rire et, en une l'Amérique ; langue. après-midi dilatée, les histoires à dormir debout que nous livrait la verve de Mounir Bachir. Le voilà donc, Adonis, Refus du manger américain. Que dis-je? Des pitances celui qui, de surcroît et pour moi, fut toujours accompa- euro-américaines ; héritage d'une Angleterre émigrée, gné d'un autre nom : Khalida. Croisée trop brièvement invention d'un homme blanc pressé, rejets d'une Europe dans les années 1970 à Londres, suivie dans ses sillons nova- centrale aux tonalités lourdes. Antidote? le couscous, teurs lors d'une réflexion sur le destin des Arabes qui abou- l'unique, le vrai ; pas celui qu'on trouve dans certains res- tit à quelques films. Entreprise à laquelle nous associa le très taurants new-yorkais, sous l'étiquette «couscous israé- regretté Albert Hourani. lien ». Mis dans le commerce, dans la fraude par les pirates Princeton 1996, Adonis vint. Toutes les Écritures aupa- de la culture... Et le taboulé frais aux arômes légers du ravant fréquentées, tous les poèmes chantés, psalmodiés, Bilad al-Sham, les falafils palestiniens. Le poisson grillé, toutes les imprécations de Mihyar, tous ses cris, tous ses vers choisi et saisi du doigt fin, quelques délices français ou tantôt tranchants, tantôt tendres, souvent fugaces et tou- méditerranéens. Mais le vin? Le vin qui coule dans les jours économes... tous ces murmures tour à tour sata- veines du poème arabe. Les grands californiens. Oui, de niques et prophétiques ou, que dis-je ? satano-prophé- temps à autre, avec délectation, et même délirium. tiques... Tout cela s'incarna d'un coup. Figure du gai savoir « L'esprit du vin habite le grand vin » : de la Californie au échouée là, après d'autres accostages dans l'urgence, à Bordelais, à la Bourgogne, à l'Alsace, au Val-de-Loire, à la Beyrouth, Paris et ailleurs. Le Damascène, jadis chassé de Toscane et aux régions centrales de la péninsule Ibérique. Damas, le voilà à nouveau mis au banc d'une association Autre voyage avec, comme il se doit, les nostalgies : vins vieillis et intelligents des monts Liban. « Ô mon frère le Après ces moments, New York s'imposait. New York : le vin... jamais le vin médiocre. Ça éteint le feu de l'âme ! » recours, le lieu des exorcismes. New York, le fauve Princeton 1996. Adonis enfant parmi les enfants. Pour qu'Adonis touche avec empressement ; le fauve qui se laisse Jazia et Ismael, le poème sonne d'une voix gaie et impé- distraitement caresser, qui vous prête son énergie ; le fauve rieuse. Après cette voix, leurs yeux fixent ce visage à l'in- qui vous envoûte, vous aime ; le fauve qui protège sa sau- nocence première, de primauté qui s'arrache à la Loi. Père vagerie ; le fauve qui défie toute prédiction et rend vos cal- et mère ; catégories incarnées et familières à Miriam, pour- culs sans objets ; qu'on ne peut vraiment approcher qu'en tant fuyantes sur les contours de ce visage, de ces mains, de rêve, hors instinct de conservation... Beauté et énergie de ce corps. Catégories qui bourgeonnent toujours plus loin ce sultan des Djinns qui se nourrit exclusivement du sang 20 devant chaque tentative de reconnaissance, bourgeonne- des victimes sacrificielles. ment, qui nous envahissent, qui nous traversent. Énergies. Celles des Indiens cantonnés, celle des Noirs Le rire d'Adonis. Le rire avec Adonis nous rappelle les uns niés et sous haute surveillance, celle des Portoricains, des aux autres, et nous voilà ensemble corps soudés, sur la Mexicains... et d'autres. Toutes mises sous le harnais. Mises planche qu'emportent les rapides. Princeton, où Adonis et en service. Leurs grondements s'entendent pourtant à l'ar- moi dans cette banlieue verte aux arbres démesurés ; nous rière-plan, et leurs forces se déversent au grand jour dans campons adossés aux bois. Au loin le grand fleuve, et plus les rites, les arts, les images du corps, les exercices de la loin encore d'autres bois, à perte d'horizon. Sans doute liberté, et bien sûr, ceux de la violence. « Et nous autres faut-il s'abandonner à ce rire qui part de l'abdomen pour Arabes?» se demande toujours Adonis. Énergies en dissi- secouer tous les organes. pation, capturées par New York, comme les autres ; épui- Le campement est si paradoxal que je ne fus pas surpris sées par les agressions et les guerres, transformées en des frayeurs qu'Adonis éprouvait le soir, dans cette petite appareils de répression et d'illusion. maison en bois, pourtant située au milieu d'une résidence Certes il y a des prises de conscience, des tentatives, des noyée dans le vert. Ces frayeurs se nourrissaient de lassi- changements à l'horizon... Mais les Arabes sauront-ils tudes et réciproquement ; elles prenaient possession de la enfin inventer leur modernité ? Adonis poète, animateur de voix. Au téléphone, après une séparation d'un jour, celle-ci revues, de cercles littéraires ; penseur et praticien de moder- sonnait neutre. nité. Nous enregistrons certains désaccords ; des tournures Les esprits du bois, dérangés sans doute par une intrusion de phrases négligeant quelque peu l'historicité des mots et particulière de l'humain, s'insinuaient dans la bâtisse, ins- des choses, comme ceux-là mêmes d'Arabes, de modernité, pirant ces peurs qui laissaient leurs ondes dans la voix. Dans avec les dangers de fixation du sens et du stéréotype. Adonis le peu de ton qui la colorait encore. «Alors rien ne s'est sait qu'il y a l'autre camp ; celui qui use de ces fixations pour passé ? » « Non rien... on se voit ? » ; « oui, oui, on déjeune à dévaluer tout ce qui est arabe et abattre l'Arabe par les midi, ou si tu veux le soir on... tu as écrit ? et les collages ? »... mots, en attendant les armes. Mais le poète sait aussi que «oui, oui... oui... ah! j'ai nourri les écureuils». L'éclat de ses mots à lui sont les plus forts, que ses cris doivent s'adres- rire n'attendait pas. Nos voix changeaient; nous changions. ser d'abord aux sociétés arabes, aux Arabes. Il en est. Comme tant d'autres, il veut quitter les marges de l'histoire embûches damascènes, payer le prix, avec quelques autres, faite par les autres. Adonis sait que la déconstruction de pour le renouveau de la poésie et de la pensée arabes ; s'ex- l'Occident n'y suffit guère. Le champ décisif? Les cultures poser aux coups de la soldatesque, et se résigner aux arra- arabes elles-mêmes. chements, à l'errance. Restent le village, Beyrouth ; et Paris Ainsi parle la blessure ; elle se parle d'abord, et alors sur- pour la vie de tous les jours. Survivre en Français, vivre en gissent les noms ; tous les noms : Ali, Adonis, Mihyar, al- Arabe. Mutanabbî, al-Ma'arrî... que de noms ! Ali, martyr et point Blessures, démembrements. Adonis. Chaque fois que je de départ d'une lignée de martyrs. Dans la Syrie d'aujour- le vois, il me semble toujours sortir du néant. Le voilà qui d'hui le descendant d'un Ali prend sa revanche au centuple. s'est à nouveau ramassé; toujours soigné, bien coiffé. Se Histoire de bains de sang. remettre ; autant le faire avec gusto. Y aurait-il un sens à se 21 Histoire momentanément modérée à la naissance d'Ali refaire à moitié, à renaître avec les traces de poussière, de dans le village qui surplombe la Méditerranée, près de sang, et d'excrément? Non! Il faut toujours réapparaître Lattaquié. Il n'a pas choisi ce nom, on l'a choisi pour lui. dans une forme indiscutable, devant laquelle il n'y a qu'un Ou, peut-être, le nom a-t-il choisi? Mais cet autre nom, commentaire possible, et qui consiste à dire : « oui c'est ça; Adonis, le jeune poète le substitua à Ali. oui exactement... ». Et comment faire autrement dès lors Nouvelle identité. Elle effaçait Ali ; ou bien Ali le martyr que toute réincarnation est poème? Deuil du mot ainsi s'éclipsait devant Adonis le Grec, Adonis le Syrien ; Adonis renouvelé. Répétition du chœur à la mise à mort! Le mot des champs et de la vigne chassait Ali l'oasien, le déser- s'élève au-dessus du néant, au-dessus de l'incertitude qui, tique, le héros du glaive et du savoir dire, le martyr. un moment, a plané sur les lambeaux du corps déchiqueté, Le poétique narguait le rhétorique, l'érotique se moquait désertés par la vie. de la force, l'hédonique faisait valoir ses droits au regard de Le destin d'Ali, c'est bien Adonis. C'est le mot qui sourd ceux de la piété. Le jeune homme savait-il à quels périls il du démembrement. Le démembrement est ce cycle à deux s'exposait par l'adoption de ce nom? L'alliance souterraine temps, car il faut bien voir que revenus à la vie et, ayant à entre le dithyrambe et le deuil ; le martyr vital, le sacrifice peine repris notre souffle, la répétition propre au poème et le démembrement mystiques. Ali chassé ? oui, mais tou- invite de nouveau à la transe des mots, et ceux-ci retour- jours posté là, non loin d'Adonis. Ce nom, le jeune homme nent au cri et au son : râles d'un corps qui s'émiette. Mais avait sans doute le sentiment de l'avoir choisi ; et il avait une comme d'une renaissance à l'autre, Adonis est incapable idée du prix que ce choix signifiait. Mais ce sens ne s'im- d'assurer la récurrence du cycle à l'identique, l'éparpille- posait pleinement qu'après coup. À chaque tournant de sa ment irrémédiable guette toujours. Il faut alors en appeler vie le nom allait le posséder de plus belle. À chaque tour- à la magie pour faire comme si les lambeaux devaient tou- nant l'identité trompeuse qu'il offrait se dispersait en jours se recoller ensemble. mirages multiples ; transes qui dessinaient les figures suc- Je ne peux m'expliquer que de cette façon l'intérêt, voire cessives d'un destin. Le jeune Adonis allait sans cesse deve- l'obsession d'Adonis pour les débris et le collage. Débris de nir Adonis. Traverser les épreuves initiatiques, tâter des mots, débris d'histoires, débris de livres, fragments de poèmes. Tous ces débris se déploient dans un collage ram- le palais du Shogun, à travers un bois de pins noueux et pant, dont ce collage qu'est Al-Kitâb, volant les techniques manucurés ; c'est alors que je tombais sur un minuscule tes- du collage aux Écritures ; faisant fi des risques encourus à son de poterie et, plus loin, un morceau de ferraille. Je déci- vouloir se hisser à leur grandeur mythologique. dais que les puissances shinto avaient bien voulu m'aider J'eus le bonheur de suivre la gestation d'une péripétie de en plaçant ces objets précieux sur mon chemin ; j'en fis un ce mythe qui refuse de cacher les jointures de ses collages. cadeau élégant et l'offris, dès mon retour, à Adonis. Ce fut à Princeton, dans les locaux d'un campus aux bâti- Quelques jours plus tard, je reçus un collage. ments néo-gothiques, où le culte de la raison prend quel- Adonis le démembré toujours renaissant, se ramassant. quefois le visage de la folie. Le collage nous sauvait. Dans Renouvelé, renouvelant ainsi notre monde et notre expres- 22 ce campus et aux alentours, à New York, et ailleurs, Adonis sion. Travail de réfection de nous-mêmes à partir de nos continuait son ramassage. Quand nos poches étaient débris, de nous-mêmes en tant que débris, éclats et frag- pleines, il s'arrêtait un moment. Mais jamais longtemps, car ments d'une histoire qui nous soumet à l'occupation, aux il ne pouvait résister à un nouveau débris ou à un fragment occupations, aux bombardements, et aux discours qui nous de nature : galets, éclats de roche, feuilles mortes, morceaux rendent méconnaissables à nous-mêmes. Histoire subie, et de journal. Immanquablement, nous nous trouvions, sans tout autant de notre fait. Y aura-t-il réfection ? En tout cas, nous en rendre compte, à la recherche d'un sac en plastique. Adonis m'apprend notre puissance de remembrement, Et toute la famille s'y mettait. Nous déambulions ainsi ; le source des figures multiples d'un collage qui se défait et se sac se remplissait et, la cueillette finie, il fallait rentrer. À la refait sans cesse, à la recherche d'un nous campant toujours prochaine visite nous trouvions toujours les collages ; fabri- plus loin. Et dont chacun poursuit les traces, imitant le qués après les collages des mots ; ayant pris leur place dans poète qui, selon l'image d'Apollinaire, déambule tous les le temps, quelque part entre l'autre écriture et la nourriture matins dans les pièces de sa maison pour réunir les frag- prodiguée aux écureuils. Des centaines d'œuvres ; la table ments de son âme. croulant sous les débris. Avec les mêmes instruments simples, ciseaux, couteau, colle. Abdellah Hammoudi, actuellement professeur d'anthropologie Quand il manquait de fragments ramassés, Adonis les et directeur de l'Institut des Études Transrégionales sur le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord et l'Asie centrale à l'Université fabriquait : bouts de papier, fils, rognures de toutes sortes, de Princeton, a effectué de nombreux travaux de recherche machins hétéroclites. Cet amour du fragment et du débris, au Maghreb et dans le monde arabe. Il a enseigné au Maroc je le sentais si fort chez lui, que pensant lui rapporter un de 1972 à 1990, date à laquelle il a été nommé professeur d'anthropologie à l'université de Princeton. Il a publié cadeau lors d'un voyage au Japon, j'eus du mal à me déci- notamment La Victime et ses masques, Seuil, Paris, 1988, Maître der quant à la nature de celui-ci. J'eus beau me creuser la et disciple : sur l'autoritarisme au Maroc, Chicago, 1999, Maître tête et, toute imagination m'ayant abandonné, je décidai et disciple : sur le paradigme autoritaire dans les sociétés d'abandonner ce projet pour consacrer ma dernière pro- arabes, 2000. menade à la visite d'un temple shinto, situé aux abords du palais impérial. Après le recueillement, je me dirigeais vers Escorte pour Adonis Michel Deguy

Écris - Mais moi niant ce que je vois c'est la voie souveraine Je dirai de mes illuminations pour te lire toi-même Celles qui me viennent. et écouter le monde. La troisième conférence confie la poésie à la pensée; elle Adonis, Célébrations, 1991'. répète (au sens de la philosophie et de la citation), pour l'admiration de l'auditeur français, l'insurrection formi- dable de Nuwâs, de Niffarî, de Ma'arrî, auxquels Adonis L'Introduction à la poétique arabe est une introduction à la raconte, dans un moment autobiographique émouvant, 23 Poétique. En fait de poétique, si c'est un poète qui s'y qu'il fut reconduit par Baudelaire, par Mallarmé, par adonne, il n'y a jamais qu'une introduction. La poétique «Rimbaud, Nerval et le surréalisme» (p. 108). est une manière de ressasser ce questionnement tourné La quatrième livre la poétique à la modernité, elle en vers « le dehors éternel» (Blanchot), dont la mer homé- explicite le programme généreux, ascétique, peut-être rique éternellement bruissante instigue le murmure salvateur, celui d'une pensée paradoxale pour une « moder- augurai. nité » qui est tout sauf l'enseigne d'une galerie de « nou- Les quatre leçons prononcées par Adonis au Collège de veautés », même si elle doit parler le langage de la rénova- France2 font une pensée de la poésie comme pensée. tion et de l'innovation. Intrépides, savantes, clarifiantes, les conférences s'élancent, La pensée d'Adonis est hardie, combattante, perforante. bouleversantes. Elles comprennent et rassemblent la poé- Son énonciation dénonce et annonce - elle est performa- sie arabe anté-islamique comme oralité. Elles exposent, et tive. La conférence publique où elle s'expose est un geste. s'exposent, à la rupture coranique, la révolution de l'écri- Elle déclare un combat décisif. Affrontant en connaissance ture, et entreprennent à la lumière du Coran de parler du de cause(s) sa tradition et notre modernité, l'Orient et paradoxe de la modernité arabe ; elles assument le risque l'Occident, le poète déchire ses habits ; il se déchire ; sa pen- extrême de s'ouvrir « à la création hors de tout modèle pré- sée se met, et se regarde, à nu. établi» (p. 66). Ce faisant elles ne peuvent pas ne pas pas- Le voilà nu ser sous le régime du double-bind enduré par tous les Il ne trouve pour s'habiller « modernes3 », ici par Adonis (re)disant « Il faut considérer Que des paroles5 la poésie en tant que commencement, et non en tant qu'ini- Qui suis-je, Arabe? Qui êtes-vous Occidentaux «mo- tiation » (p. 66)4 et s'en remettent aussitôt au grand modèle dernes », et prétendument postmodernes? Et si le geste est d'Abû Nuwâs qui lui prête son JE dans la citation : déconcertant, c'est que, très étrangement pour notre

1 Éditions de la Différence, p. 97. 3 En France, par exemple, on évoquera la Défense au livre Introduction à la poétique arabe. 2 1984. Publiées en 1985 par Sindbad, avec et illustration de Du Bellay. 5 Célébrations, op. cit., p. 27. un avant-propos d'Yves Bonnefoy. 4 Les indications de foliotage renvoient toutes attente à nous, auditeurs non arabes de la fin du millénaire, dans le sens, le même sens, comme on dit. De quelques pas. il en appelle à une modernité arabe beaucoup plus ancienne Les pas sont ici ceux de ce que nous entendons par méta- que celle de l'Occident qui passait pour avoir ouvert les phore et questionnement ; ceux de la lutte avec le religieux ; temps modernes (cf. pages 112, 123). Ne serions-nous pas de la créativité ou capacité de (re)commencer ; de penser la dans le même temps ? Pourrait-il y avoir eu une modernité relation du père et des fils, sur laquelle se clôt, c'est-à-dire il y a dix siècles en Orient et qui nous attende tous, s'il peut s'ouvre, le livre des Quatre Leçons. Chemin faisant donc, y avoir un « nous tous » ? Nous n'en croyons pas nos oreilles (un peu de chemin) l'ami ajoute en apartés successifs « dans parce que le sens de modernité avait été déterminé par la quel esprit » il peut recevoir et entendre la leçon. philosophie occidentale de Descartes à Hegel « pour tout le Et d'abord que cherchons-nous à entendre par « poésie » ? 24 monde ». Quel est donc ce sens de modernité, tel qu'il annonce la possibilité d'une réciprocité où nous recevrions Tantôt on entend par poésie un mouvement de reflux sur ce qui nous attendait il y a des siècles pour notre modernité soi de la langue se préférant (ou, si l'on préfère, de repli du d'Occidentaux et donc une nouvelle modernité commune locuteur sur «la fonction poétique» jakobsonienne, «se aujourd'hui, une « nouvelle alliance », qui donnerait peut- gargarisant » - c'est le cas de le dire - de la signifiance) et se être alors son sens à la « post-modernité » ? détournant des choses pour jouer avec les mots ; tantôt une Cette pensée de la poésie qui se veut poésie de la pensée, transparence aux choses, une expressivité d'émotion «à sa mémoire et son projet, sont complexes. Son présent, travers» la langue, et qui se comblerait peut-être dans ce Adonis le redit, est une crête brillante de houle montante, qu'on appelle le silence. Or c'est plutôt dans le même mou- et insaisissable, une lame de fond aiguisée au soleil d'au- vement qu'une langue se fait langue en se faisant poème - jourd'hui, dont la montée labile opère le partage d'une part, et ainsi le langage comme parole advient en tout idiome - en arrière, d'un immense passé qui recule, et d'autre part, et qu'elle s'ouvre aux choses, se dispose à accueillir « le en avant, d'un avenir aveuglant ; moitiés mouvantes se par- monde» ; et qu'ainsi s'entendant elle-même en un sujet tageant aussi bien en Orient et Occident, qui s'ignorent, parlant, elle se tourne vers le tout autre, le non langagier, le s'arment, se jalousent, s'attendent, inquiètes du risque de « dehors éternel». Elle dit les choses EN (en arabe, par manquer ensemble et définitivement le monde et le futur. exemple) et ainsi « laisse être » les choses, selon l'expression Trop complexe pour qu'il soit ici question d'escorter qui traduit le lassen sein de Heidegger. La « poésie » est le Adonis comme il conviendrait, longuement et minutieu- milieu, et l'expérience du milieu, d'où se répartissent les sement, dans tous les mouvements de son opération stra- deux : la langue qui se fait langue grâce à elle, et les choses tégique. Mon escorte brève l'applaudit; non pas certes qui se phénoménalisent en étant dites. La figure du seuil comme un auditeur en alerte admirative qui va commen- convient donc à sa propre définition comparative ; elle est cer à ne pas retenir la leçon dès le boulevard Saint-Michel. ce qu'elle est en étant comme le seuil ; à condition de pen- Non. Mais plutôt qui va l'accompagner de quelques pas, en ser le seuil comme « créant » par son battement de porte, y mettant aussi de sa rêverie poétique à lui, compréhensive ou rythme, les deux côtés qui passent l'un dans l'autre par et à côté, en annonçant qu'il reviendra. Escorter, c'est aller le seuil. Ce qu'est le langage de la langue (logos; Sprache) se figure, dans tous les sens du se figurer français, grâce aux ture. C'est l'écriture qui remet continuellement en question tournures de la langue. la civilisation arabe, se remet en question elle-même» Ce que condensent deux phrases d'Adonis en ses Leçons : (p. 124). Or on ne peut pas « explorer le langage poétique » « / la codification de l'oralité poétique / affermissait l'iden- pour lui-même sans explorer en même temps toutes les tité de la langue et de la poésie» (p. 26). «Ici la langue ne choses, les choses de « civilisation ». crée pas seulement la chose, elle se crée en la créant. » (p. 97) Il ne s'agit pas seulement de ce qu'on entend par expression, Reconnaissance et affranchissement. Le geste d'Adonis est même enragée (Ponge). Il faut comprendre que les choses double ; son unité, celle d'une splendide contrariété inté- (les choses de la poésie) n'étaient pas là avant le langage grée : la contrariété propre à l'être-arabe aujourd'hui - si d'une langue. Elles sont en étant nommées, ou plutôt dites je comprends bien ; et tout en l'escortant, tout en étant d'in- 25 - car il ne s'agit pas d'un nom, propre et secret puis révélé telligence avec son mouvement, je ne veux pas donner à - pour une chose. C'est ce qu'on appelle la poésie - qui ne croire que je l'assimile, comme ferait un hôte excessif. consiste pas qu'en poèmes - qui les fait paraître ; qui les voit D'une part en effet il recueille (c'est l'étymologie du logos en les visibilisant pas ses « images » (images essentiellement grec) la plus ancienne tradition, le passé et son arche, la différentes de ce qu'on entend par images aujourd'hui, à jâhiliyyah, l'essence du chant, de l'oralité, la connaturalité savoir différentes de l'iconique-photographique). La poé- de la poésie et de la voix, c'est-à-dire de sa proférabilité et sie est bien une affaire de contenu, ou de sens : la conte- prononciabilité pour un auditoire, et donc un peuple nance, tenue langagière, fait le contenu. Après quoi la « lin- (enfantement de la mesure, de la prosodie, du rythme et du guistique », ou théorie, ou comme on voudra dire, revient musical de la poésie par la nature de la langue arabe dans là-dessus. Les choses trouvent en elle leur contenance - la singularité de sa texture consonantique et flexionnelle ; terme intéressant et difficile à traduire qui se tient lui- tout cela qu'il retrace avec précision). même en amont de la différence entre forme et contenu. Et d'autre part, c'est-à-dire en même temps, il en appelle Dit d'autre façon : c'est par l'imagination qu'il y a « un à la sortie de l'oralité, au « comment-en-sortir » en général, monde de référence ». L'imagination réfère - pour à la pluralité contre la menace des monismes, et de la loi reprendre à la linguistique le mot de cette difficile pensée prise aux lettres de la lettre ; à la démesure de cette mesure de la «référence». La disposition poétique est imageante codifiée ; au questionnement contre la réponse, à la méta- plutôt qu'imagée. Le monde des choses est le réfèrent, si on phoricité profonde, c'est-à-dire à la plurivocité, à l'équi- veut - corrélat de l'imagination. Le monde est imaginaire. voque, à l'allégorie, au polysémantisme des énonciations, Ce que condensait Valéry, fulgurant comme souvent, illu- à l'hétérogénéité du rapprochement contre l'homogénéité miné par la mathématique de l'Imaginaire (i = V-i) : «La des comparaisons timides et régularisantes... fonction de l'imaginaire est réelle. » Or ce mouvement - si je le suis bien ! - n'a pas lieu seu- Adonis encore : « la modernité poétique arabe (est) ques- lement pour reméditer l'arrivée de l'écriture, le renverse- tionnement radical qui explore le langage poétique et ouvre ment coranique de la tradition et l'antipoétique du Coran, de nouveaux espaces expérimentaux à la pratique de l'écri- à son tour délivrant une poétique, nouvelle; mais pour mortel que court «l'Orient», et que nous courons tous, je ne les recopie ni ne les résume. Je les mentionne et je les admire. Et vais les escorter un moment à ma façon, digres- sivement si l'on veut, mais le long de son chemin - à côté. Le fond de l'affaire peut seulement être dit en « poème » - de langue, de musique, de peinture, de pierre. Parce que le fond de l'affaire est «poétique». Quel est le fond de l'af- faire? Je le nomme maintenant l' attachement. C'est le jouir, si vous voulez, et je veux bien recourir à ce 26 beau vieux mot. Il s'agit bien de gaudere et de gaudium. Mais de quoi, c'est l'énigme. Dieu n'est plus le corrélat; ni ne s'agit-il principalement de la chose sexuelle qui hante l'imagination aujourd'hui quand ils (les contemporains) parlent de la jouissance. Le sexuel en est une métaphore - et quand la métonymie («les parties» !) se prend pour la métaphore, il y a confusion dans le symbolique. Quel est le jouir et de quelle chose jouit-il, c'est ce que je aujourd'hui, dans la mise en question de la civilisation du cherche. Sans doute la locution « jouir de la vie », le dit-elle. Califat. Le mouvement de questionnement et d'émancipa- L'existence est ce qui jouit de la vie. Mais il faut la faire par- tion se rejoue donc à l'égard du coranique. La stratégie ler. Qu'est-ce que la vie ? À quoi sommes-nous donc atta- inventive qui se déployait contre l'anté-islamique se rejoue, chés ? Ailleurs et inlassablement nous reprendrons les che- lui permettant de se dégager du coranique pour tenter une mins de l'expérience poétique où la vie s'éprouve, où le sortie de modernité, frayer une voie à une modernité... désirable et le donné s'indivisent, se confondent. Pourquoi ancienne ! Il répète l'insurrection de ses maîtres Nuwâs, avons-nous tant de mal à « quitter la vie », l'immense bana- Niffarî, Ma'arrî, chez qui il arriva conduit, non par Virgile, lité du bien, du beau, du vrai? « Encore un instant!»... mais par les grands ouvriers-ouvreurs de la modernité Pourquoi ? Car enfin... française européenne, pour apprendre chez eux une sorte La vie, ou ce par la grâce de quoi l'être est au monde, d'archimodernité toujours à l'œuvre et donc rejouable cette grâce que le poète brésilien Veloso appelle « l'illusion aujourd'hui. Et c'est le plus difficile à pénétrer. Créativité de la joie », c'est cette chose qui est aussitôt méconnue, est le grand mot de ce programme. aujourd'hui plus que jamais, où la mort est plus que la Les pages où, je crois qu'on peut dire prophétiquement, mort. Plus que jamais au cours des trois derniers siècles où Adonis invective une double servilité arabe contemporaine, se fomenta la méconnaissance en termes de droit de. À à la fois imitatrice de l'Ancien et asservie à la convoitise peine suis-je né que j'ai «le droit de vivre»... et c'est ça le consommatrice occidentale, et où, donc, il dévisage le péril problème. Or cette chose qu'une pensée de l'hospitalité, mais tra- duction » (p. m). S'il est vrai que « la modernité est un pro- vaillée, creusée, jusqu'au paradoxe, peut seule respecter, blème que l'homme arabe a eu à affronter bien avant c'est cette chose que nous appelons ici poésie, plutôt appa- l'homme occidental il y a dix siècles environ» (p. 112). rentée à la Dichtung de l'allemand qu'à l'usage français de J'essayerai de dire notre être d'homo technicus sans glose poésie ; qui a pour tâche de la redonner à écouter-voir, mal- heideggérienne mais par une espèce de vision en forme de gré l'occultation et l'occlusion, contre le renversement fable, qui est aussi celle de la scission de l'humanité en deux, immédiat, la refermeture de la grâce en revendication et en l'occidentale et l'autre... J'appellerais ma fable : «les droit de «légitime défense ». moyens sont la fin », dont voici l'argument : ce n'est pas seu- Mouvement a-létheïque de la «vérité de dévoilement» lement « l'horreur économique », c'est encore autre chose du poétique - selon les termes heideggériens. Re-mon- de plus terrible. 27 trance du poème sans remontrances. Double négation mal- larméenne du faire apparaître qui arrache. Voici la scène : Il faut aussi penser l'envers de la révélation (ce que je ne Dans le wagon de ire classe du TGV où il n'y a «per- peux appeler le « contraire » de la révélation, à cause d'une sonne », «je » fonce, je fouette le train d'enfer panoramique, pensée « positive » de la contrariété que je ne peux déve- qui survole le monde à 300 km / heure dans l'absolu lopper ici). Disons : l'antirévélation : l'occultation, la nuit confort. « Personne non plus » (c'est ainsi que nous par- du monde (dark times), la refermeture, l'abandon des lons) sur l'autoroute à six voies qui aplanit la terre, longeant hommes ; la bêtise universelle qui ne voit plus rien, privée la voie, plus large que le train, plus rapide même que le train de toute « lumière », l'obscurantisme. Ce que maints textes parce que d'un coup d'oeil elle est à l'horizon tandis que je religieux invectivent comme bestialité « possédée » se ruant ne vois pas le bout du train. Tout « dépasse » tout à toute à l'abîme, « bande de porcs »... Et quelques « philosophes » allure en tout silence. C'est plus inouï que le luxe : je suis en face, lucides juste assez, « lucifériens », pour comprendre un dieu en tapis volant sur la terre spacieuse ; quelques com- cette nuit, ce nihil nocturne, mais « sceptiques ». parses se mettent à mon service ; je dépasse. Il y a quelque chose d'absolu dans la suprématie humaine. Et nous6, dans cette phase, nous Occidentaux, modernes et Cependant, là-bas, en Ogaden, en Amazonie, en Indo- postmodernes, mais sourds, semble-t-il, à cette modernité nésie, au Bangladesh ou en Sierra Leone, voici les multitudes ancienne qu'Adonis, étrangement, rétrospecte bien en dénuées du tiers et du quart monde, les contaminés, les plus amont de notre xixe siècle - ce siècle des poètes qui fut pour mortels, derrière l'écran de la télévision, immobiles, quasi, lui l'occasion de retourner, en l'inventant, à cette ancienne sur leurs brouettes cholériques dans l'encombrement pol- modernité - comme une secrète, réservée, «future lué fuyant les Seigneurs de la guerre aux armes occidentales. vigueur» (Rimbaud), si seulement nous nous tournions L'Occident économiste produit cette disproportion, vers cet Orient : si « la modernité est vision avant d'être pro- chaque jour la perfectionnant par la technologie. Supériorité

6 Je tente de répondre promptement à ma question précédente. sans frein de l'homme sur l'homme que caricature suprê- éloignés. Il s'agit donc de devenir comme des frères. La fra- mement, à la rubrique «people», le milliardaire gobergé ternité consanguine sert de comparant. Pourquoi ? Qu'y a- dépassant à son tour, le surplombant dans son jet privé, le t-il de si remarquable dans cette fraternité, de si excellent lent TGV où je commençai ma parabole. et enviable, qu'il faille chercher à devenir pareils à des Telle scène de l'irrationnel nous montrerait que l'insu- frères ; comparables à des frères. « Notre Père qui êtes au bordination de la technoscience accrochée à l'autonomisa- ciel... ». Si nous avions le même Dieu-Père, nous serions tion de l'économie emporte tout en avant dans une ruée frères, ou pourrions le reconnaître, nous reconnaissant forcenée où l'humanité se scinde, se délivre d'elle-même, comme à la fin d'une comédie de Molière, - tu quoque, fra- se laisse en arrière. La worldmusic même devenue techno ter! - mais nous ne l'avons pas. Le jugement analytique, 28 amplifie en le synthétisant le fracas de la précipitation tautologique, Dieu est Dieu, que tout le monde professe, concassante. L'identité des moyens et des fins, technolo- devrait nous réunir; mais au contraire il divise les giques, s'accomplit. hommes : ce n'est pas le même Dieu. C'est donc probable- ment en nous découvrant orphelins d'un tel Dieu-Père, Comment repartir à zéro ? J'entends cette question extrême communément orphelins, que nous avons une chance de chez Adonis, non seulement dans la récurrence fiévreuse nous découvrir frères - pareils à des frères. des mots de créativité ou d'innovation aux pages de ce livre Recommençons. où je me suis replongé, mais dans la fable finale (p. 129), où Pour la «fraternité» les frères doivent oublier le Père. il en appelle à la fraternité comme fait mainte grande pen- L'avenir de la fraternité passe par l'orphelinat. Au lieu de la sée aujourd'hui. Écrivant que « le poète arabe moderne ne fable de la culpabilité partagée du meurtre du Père, et tue pas le père mais le transforme en ami, en potentialité de autres mythicailleries, qui paralyse les frères, les divise irré- dialogue ». Car tuer le père serait tuer le fils qui est bien lui- parablement (fuite de la horde, têtes basses, trahisons laté- même le père virtuel d'un autre fils tueur, et comment arrê- rales, héritage dépecé, indivision impossible, accusations, ter la tuerie est la question. Adonis termine ainsi « la poé- vendettas, fratricides ... ), il faut s'appuyer plutôt sur l'expé- sie d'aujourd'hui surgit de la poésie ancienne, mais elle rience commune, la plus générale, celle de l'indépendance surgit pour pénétrer plus profondément dans la nuit du sens, des enfants, de leur oubli, de leur non-jalousie, de leur celle que le père ancien a inaugurée» (p. 129). indifférence gaie, de leur multiplicité éparpillée, de leur haussement d'épaule à la «loi du Père », de leur soulève- J'ai dit fraternité, puisque la transformation du père en ami, ment... Le Père est mort ! Vivent les frères ! par renonciation à ce meurtre qui entait la fraternité sur le Car qu'est-ce qu'être enfant ? Les enfants ne sont plus des parricide, inaugurerait une nouvelle fraternité. enfants. Après avoir été dans la dépendance complète, Qu'est-ce qu'être frères? Comment le devenir? « néoténique », à l'égard des géniteurs, quand l'enfance Frères, nous ne le sommes pas dans l'acception dite litté- infante est un devenir enfant, voici l'enfant adolescent (tou- rale, autrement dit « par le sang ». Ni de près (mêmes jours Y escence...) qui oublie ses parents. C'est une vérité parents), ni de loin (de la même gens) ; pas même cousins d'Évangile, quand le très jeune Jésus, encore en culottes courtes, envoie promener sa maman qui le cherche. Il C'est de quoi il faut sortir. On espérait que ça pourrait se s'émancipe, bientôt complètement; il est comme ingénéré faire par le Père - l'invention d'un Père commun, « qui êtes (Trakl dit ungeboren), libre. C'est une souffrance pour les aux cieux ». Yahwé; Dieu (<< le Seigneur»); Allah. Cela a parents, qui commencent ainsi leur sénescence (toujours échoué. Chaque religion doit renoncer à affilier les autres. Yescence... ), leur vieillir et mourir. Ils redeviennent comme S'il doit, et peut, y avoir adoption, ce sera adoption, des avant leur parenté : seuls. Mais ce n'est pas souffrance pour frères les uns par les autres, adoption réciproque des orphe- l'enfant maturescent, bientôt mûr, qui devient « enfant » lins; laïque; universelle. C'est la devise révolutionnaire. dans l'autre sens, celui de l'identité patronymique (fils ou Inventer l'Humanité, c'est inventer l'indivision. Elle est fille de M. X et Mme Y). Il vaque à son destin sans remords, devant nous. Chaque humanité doit renoncer à son élec- sans enfantillage. Il se souvient avec émotion, souvent tion « pour soi ». Abdication. 29 reconnaissance, de ses parents; des «vieux», qui parfois L'avancée, ou la venue, de l'Humanité en termes occi- sont morts - sans parricide. Les enfants ne le sont plus. dentaux semble bloquée. La Raison occidentale bute sur Mais « absolus », c'est-à-dire déliés, adultes libres. Ils ne doi- l'identité. L'Humanité, en termes de « droits de l'Homme » vent plus rien après avoir tout dû. Le passage du tout au appropriés par et à l'Occident, paraît aux « autres » accapa- rien, ou, si vous préférez, au pas-grand-chose («Tiens; ça rée, à jamais suspecte. Il faut une nouvelle « Amérique ?. Je fait six mois que j'ai pas téléphoné aux parents ! »), est souf- veux dire que ça aurait pu être «l'Amérique», puisque france pour les parents, qui ne sont pas pourtant infanti- l'Amérique était l'expatriée, la sortie de soi d'Europe, le cides ; et équilibre pour les enfants entre tout et rien - s'ils «redépart à zéro », l'à-venir. Mais l'Amérique est devenue sont équilibrés. Ni matricides ni parricides. C'est ainsi USA. Ça a raté. Le redépart est «à zéro ». Allons vers un qu'ils deviennent frères. nouveau zéro - qui ne soit ni le « zéro-mort » ni le Zorro Et si Dieu est le Père des pères, le devenir orphelin dont américains. Il nous faut aller où nous ne sommes encore je parle, déculpabilisé, sans peur et sans reproche, dit la jamais allés, sans retour. vieille devise, sans faute originelle, c'est un devenir athée. Le se-savoir orphelin est la condition de la fraternité Michel Deguy est Professeur émérite à l'université Paris-VIII, annoncée. directeur de la Revue PO&SIE, éditions Belin, membre du Comité des Temps Modernes, Grand prix national de poésie, Comment le devenir ? Humains parce que (quasi) frères ? 1989; Grand prix de la SGDL, 2000. A publié de nombreux Ou frères parce qu'humains ? Mortels, ennemis, frères sont ouvrages chez Gallimard, aux PUF et au Seuil. Titres récents : les humains. Ennemi d'être frères mortels; frères d'être À ce qui n'en finit pas, Seuil, 1995; L'Énergie du désespoir, ennemis mortels ; mortels d'être frères ennemis. PUF, 1998; Gisants, Poésie/Gallimard tome 3, 1999.

Les hommes se disputent le monde de la terre. C'est la «mondialisation». Chaque multitude fraternelle (ethnie, nation, etc.) se préfère à toutes les autres. Les autres sont de trop (Albanais pour les Serbes et réciproquement, etc.). Violence et paix Yves Bonnefoy

Double nature de la poésie, double postulation qui la rend difficile, sauf au prix d'un travail du poète sur soi, dans son existence même, qui est d'ailleurs le contenu secret de son œuvre, la façon par laquelle elle signifie, et peut servir de modèle : la parole de poésie est violence, d'une part, puis- qu'elle est la mise en question des stéréotypes qui étouffent nos mots, et ne peut aller loin dans cette lutte sans une 30 fureur, une aptitude à détruire, détruire encore et toujours, ces clichés, ces vaines images vides qui se reforment dans le langage, et aussi bien, hélas, dans la pensée et l'imagina- tion du poète. Mais, à dévaster ainsi le discours, ce qui se dégage, ce qui paraît derrière le mur tombé, c'est la pré- sence des autres êtres, auxquels jusqu'à cet instant ultime se substituaient des représentations simplifiées, abstraites et souvent déformantes et donc aisément haineuses. Et c'est alors la parenté profonde du Je et de l'Autre qui se révèle, l'amour redevient possible, la paix infiniment désirable. La paix apparaît le cœur même du poétique, le besoin qui fai- sait que des hommes s'étaient frayé ce chemin, si durement parfois, à travers la violence de l'écriture. Violence et paix, diastole et systole du poétique. Et quant aux poètes eux-mêmes, toutes les variétés, certes, dans l'équilibre qu'il faut entre la capacité de déni et le besoin d'aimer, la vocation irénique. Tels se laissent prendre à leur fureur, passent leur vie à saccager le men- songe sans s'apercevoir qu'ils ont détruit avec lui et en lui l'amande de vérité qui, reconnue, se serait ouverte, eût répandu la lumière qu'ils désiraient pourtant dans le secret de leur cœur. Tels, au contraire, s'abandonnent trop vite au désir irénique, ils ne comprennent pas que ce qu'ils aiment ou croient aimer n'est encore qu'un de ces travestissements dont est coutumier le langage. Et les plus grands, à mi- chemin entre iconoclasme et idolâtrie, cherchant parmi fruits d'un arbre de vie dont ce n'est que de loin aujour- leurs erreurs, souffrances infligées qui les font eux-mêmes d'hui que l'on entend le chant des oiseaux et le bruit du vent souffrir, naïvetés qu'ils regrettent. Je pense aux guerres dou- dans les feuilles. loureuses menées par Baudelaire, ou Rimbaud. Que la langue humaine soit employée poétiquement et Adonis. Je laisse à d'autres de parler de ses poèmes car la parole de tous peut pénétrer dans une région où ce qui malheureusement je ne connais pas l'arabe et ne suis donc semblait jusqu'alors de l'incompatible se révèle n'être, en pas en mesure de le suivre dans ces moments de naissance fait, que de l'inexistant, rien que telle ou telle de ces diffi- de la parole qu'on doit pouvoir visiter si on veut avoir droit cultés qu'a l'universelle pensée avec l'idiome au sein 31 de parler d'une œuvre. Je ne puis pas, par exemple, bien duquel, ici ou là, elle se cherche. Effacés ces fantasmes apprécier dans son écriture, c'est-à-dire parmi ses mots, ce comme à l'éveil l'écume triste des rêves, de grands symboles qui est dévastation, ce qui est célébration. riches de sens reprennent vie, qui appellent les concepts Mais j'ai la chance de le connaître en personne ; de le voir d'ici ou là dans le monde à exister en commun. parfois dans sa vie, dans ses réactions aux événements de Adonis a pris ce nom, Adonis, pourquoi ? Peut-être parce l'existence ou de l'histoire. Et je constate si aisément en lui qu'Adonis, le dieu qui meurt dans les montagnes près de l'homme de paix, l'ami des situations où l'on peut aimer - Byblos et fut célébré aussi à Paphos et plus tard partout encore que ce soit sans rien sacrifier des exigences qu'il faut, dans le monde grec, c'est aussi la belle figure que des lucidités qui s'imposent -, que je suis prêt à penser que Shakespeare, Poussin, Yeats encore, célèbrent, donnant c'est en ce lieu d'esprit précisément, auprès de cette source, visage à l'unité qui circule entre l'orient et l'occident du la « balance égale » entre rigueur et ferveur, que sa poésie monde méditerranéen, notre origine toujours active. a su se porter, a vérifié ses démarches, a pu prendre valeur Adonis est nom qui unit. Écrire sous le signe du dieu qui d'exemple, grand arbre dont on vient goûter l'ombre meurt pour renaître, c'est demander à l'expérience accu- lumineuse. mulée dans les mythes d'aider à substituer le tragique Adonis fait oeuvre de rassemblement au plan où il le faut, vrai et éternel de la condition humaine aux malheurs, qui me semble-t-il, le plan où ceux qui s'y portent apprennent, doivent finir, de l'histoire. de ce fait même, à exiger comme il faut et autant qu'il faut, à dénoncer comme il faut les illusions, les mensonges; Yves Bonnefoy, né en 1923, est écrivain, professeur honoraire au à aimer aussi, comme il le faudrait. Collège de France (Paris), poète, critique, historien de l'art et traducteur. Parmi ses travaux, Poèmes, 1978, Ce qui fut sans Et il est bien en cela de ceux dont le siècle à venir a le plus lumière, 1987, La Vie errante, 1993, et en prose Le Nuage rouge besoin. De ceux qui aideront à comprendre que par la voie 1977, La Vérité de parole, 1988, Giacometti, 1991, Shakespeare de la poésie, et à force de lutte contre les mots fallacieux, et Yeats, 1998. Nombreuses traductions de Shakespeare. les idées usées, les êtres et aussi les langues pourraient com- mencer à partager les fruits d'un second degré dans l'esprit : Les collages d'Adonis : Autoportraits du multiple Alain Jouffroy

Depuis le début des années quatre-vingt-dix, Adonis a réa- réelles, qu'elles soient de l'ordre de la nature ou de la lisé plus d'une centaine de collages, dont la singularité com- nature industrielle, a, parallèlement aux « ready-mades » mune est patente. Il s'y montre à l'aise, léger et profond, de Marcel Duchamp mais d'une tout autre manière, clair et énigmatique, comme il l'est toujours. On les réconcilié deux choses que le dualisme occidental sépare découvre tel un pays de connaissance, comme si, les ayant encore : l'art et le non-art, le sens et le non-sens, le visible oubliés, on les redécouvrait avec surprise. On le « piste » en et l'invisible. Adonis se situe, par ses collages, dans cette lui succédant, on reconnaît son regard et sa trace d'un col- perspective réunifiante, qui, quoiqu'on dise, n'est toujours 32 lage à l'autre, sur le même chemin, sinueux et rectiligne, pas comprise. aventureux et familier : le même chemin que celui qu'il Car Adonis ne se contente pas d'assembler ses objets ouvre, d'un poème à l'autre, d'un livre à l'autre. Adonis y trouvés, de les agencer les uns par rapport aux autres selon rend visible ce que les mots, parfois, rendent présent mais des critères de forme, de matière et de couleur, comme le invisible, sensible et inaccessible. Ils forment, dans leur font tant d'assemblagistes. Il ne s'en contente même jamais. ensemble, une sorte de territoire qui lui appartient en Il les colle sur des fonds de papier ou de carton, où il calli- propre et qui permet de nous guider, telles de petites stèles, graphie, non pas ses propres poèmes, mais des poèmes dans l'immense labyrinthe de son œuvre écrite. écrits par des poètes arabes qu'il admire et qu'il donne donc Le principe qui y préside est simple : Adonis ramasse de à lire simultanément, comme si mots des autres et choses petits objets partout où il passe, des bouts de bois, des anonymes formaient un même tout à déchiffrer. Il s'agit pierres, des lambeaux de tissu, de papier ou de chiffon, ou toujours de collages sur calligraphies, même dans le cas où des fragments non codés du réel ordinaire. Cette méthode il invente une écriture illisible, au lieu de citer lisiblement de cueillette hasardeuse de ce que, d'habitude, on ne des textes. Le langage écrit sert ainsi d'arrière-plan immé- regarde pas et qui passe complètement inaperçu des pas- diat aux choses rencontrées par hasard et c'est la principale sants et des promeneurs, mais que lui remarque, rassemble innovation d'Adonis dans ce domaine, où les réelles inno- dans des sacs de voyage, afin de les revoir plus tard, fait vations sont devenues plutôt rares. songer aux collages « merz » de Kurt Schwitters, qui disait La tentation est grande, cependant, de classer ces col- aux critiques d'art, en 1922 : « Il faut un savoir plus grand lages selon leurs couleurs dominantes : le noir et le rouge, pour découper une œuvre d'art dans la nature, qui d'un par exemple, ou le noir et le blanc, ou le marron et le beige, point de vue artistique n'est pas formée, que pour ou encore le rouge, le gris et le noir. Cette classification, construire une œuvre d'art à partir de ses propres règles facile à opérer, n'aide en presque rien à leur lecture et à leur artistiques et cela avec un matériau sans importance. En interprétation. Le but poursuivi par Adonis dans ses col- art le matériau n'est pas important, il suffit de le former lages n'est pas exclusivement esthétique, de même que le pour en faire une œuvre d'art (...). Est-ce qu'un critique but de ses poèmes ne saurait se réduire à des fins de séduc- d'art peut comprendre ça ? » En fait, ce « rapt » des choses tion littéraire. Là encore, il transgresse discrètement les La Prière et l'épée (Essais sur la culture Homenajes, Ediciones Libertarias, Madrid, Saint-John Perse, Éloges, La Gloire des rois, arabe), éditions Le Mercure de France, 1993, 1995, traduit par Marfa Luisa Prieto. Anabase, Exil, Pluies, Poèmes à l'étrangère, édition établie par Jean-Yves Masson, Amers, 2 vol., Damas, 1976, 1978. Poesîa y Poética arabes, ediciones del oriente traduction par Leïla Khatib et Anne Wade y del mediterraneo, Madrid, 1997, traduit par Yves Bonnefoy, L'Œuvre poétique, Minkowski, choix et présentation par A.W.M. Carmen Ruiz Bravo-Villasante. Damas, 1987. « Sur les rivages du prophétique», in Khalil Gibran, artiste et visionnaire, catalogue de En polonais l'exposition Khalil Gibran, éditions Institut du Obrazy, Mysli, Uczucia, Wydawnictwo De l'arabe en français monde arabe/Flammarion, 1998, traduit par Akademickie, Dialog, Varsovie, 1995, traduit Abû I-'Alâ al-Ma'arrî, Rets d'éternité (extraits Fayez Malas. par Krystyna Skarzynska-Bochenska. des Luzûmiyyàt\, en collaboration avec Anne Wade Minkowski, éditions Fayard, 1988, coll. 326 «L'Espace intérieur». Avant-propos d'A.W.M., Traductions en langues autres que postface d'Adonis. le français Anthologies Mukhtarât min chi'r Yûsuf al-Khâl (Choix Khalil Gibran, Le Livre des processions En anglais de poésie de Yûsuf al-Khal), Beyrouth, 1963, IAI-Mawâkib), en collaboration avec Anne An Introduction to Arab Poetics, AI Saqi précédé d'une introduction. Wade Minkowski, éditions Arfuyen, 1998, Books, , 1990, traduit par Catherine poème-préface d'Adonis, postface d'A.W.M. Cobham. Mukhtarât min chi'r al-Sayyâb (Choix de poésie de Sayyâb), Beyrouth, 1967, précédé En suédois d'une introduction. En introduktion till arabisk poetik, Alhambra, Lund, 1991, traduit par Astrid Ericson Bahari Diwân al-chi'r al-'arabÎ!Anthologie de la Autour d'Adonis et Hesham Bahari. poésie arabe), 3 vol., Beyrouth, 1964-1968, précédé d'une étude. Des textes d'Adonis traduits en français Bônen och svârdet, Essaër om arabisk kultur, et des entretiens avec lui, ainsi que Alhambra Lund, 1994, traduit par Jan Stolpe. des articles et des études critiques portant sur son œuvre figurent dans En allemand Traductions les publications suivantes : Gebet und Schwert, Oberbaum Verlag, Allemagne, 1995, traduit par Michael (effectuées par Adonis) Revues : Poésie 84, n°5,1984, Poésie 96 Henselmann et Siegfried Heinrichs. n° 64 , 1996, Poésie 98, n° 73, 1998. Du français en arabe Actes des Troisièmes Assises de la traduction En italien Georges Schehadé, le Théâtre complet, 6 vol., littéraire (Arles, 1986), ATLAS/Actes Sud. Introduzione alla poetica araba, Casa Editrice Beyrouth, 1972-1975. Une nouvelle édition de Marietti S.p.A., Genova, 1992, traduit par Quinzièmes Assises de la traduction littéraire cette traduction est en préparation aux (Arles, 1998), ATLAS/Actes Sud. Khaled Fouad Allam. éditions Dar al-Nahar, Beyrouth. Le 1er tome est paru en l'an 2000. (Une partie de l'œuvre Revue Détours d'écriture, n° 16, 1991, éd. En espagnol poétique a été publiée dans la revue Chi'r, Noël Blandin. (Numéro entièrement consacré Introduccfon a la poesfa arabe, Publicaciones 1954-1967.) à Adonis.) del Instituto de Estudios Orientales y Africanos, Universidad Autônoma de Madrid, Jean Racine, La Thébaïde ou les Frères Revue Sud, n° 96, 1991, n° hors série Éloge 1976, traduit par Carmen Ruiz Bravo. ennemis, Phèdre, Beyrouth, 1972, 1975. de Babel, 1994. Revue Souffle de Perse (Revue de On peut aussi consulter en d'autres Post-scriptum l'Association des Amis de la Fondation Saint- langues Dans cette bibliographie, nous avons John Perse). n° 4, 1994. naturellement privilégié les livres d'Adonis et En anglais leurs traductions qui sont énumérés, à notre RLC (Revue de littérature comparée) n° 269, Issa J. Boullata, Modem Arab Poets, 1994, éd. Didier littératures. connaissance, dans leur totalité. Nous avons Three Continents Press, Washington, 1976. donné des indications abrégées concernant la Revue Archipel, volume 4, 1994, Anvers. Abdullah al-Udhari, Modern Poetry of the critique littéraire en français portant sur son Revue Poésie, n° 44, 1988; n° 68, 1994; , Penguin Books, 1986. œuvre, plus abrégées encore concernant les n° 78,1996, éd. Belin. textes écrits à ce sujet en d'autres langues Dennis Lee, Reading Adonis, Printed at the occidentales. Nombreux sont ceux qui sont parus Revue L'œil-de-bœuf, n° 8, 1995. (Numéro Coach House Press, Toronto, 1987, published en anglais, en espagnol, en italien, en allemand, entièrement consacré à Adonis, avec des on the occasion of the 8th International en polonais... Et il existe une pléiade d'articles 327 dessins de Garanjoud). festival of Authors. et de livres que sa poésie et sa pensée ont Revue Esprit, n° 3, 1968; n° 6, 1996. Atif Y. Faddul, The Poetics of T.S. Eliot and suscités dans les pays de langue arabe, du , AI Hamra Publishers, 1992, Beyrouth. Machreq, au Maghreb, ainsi que des numéros Revue Dédale, nos 3 et 4, 1996, nos 7 et 8, entiers de revues. Adonis est sans aucun doute 1998, nos 9 et 10, 1999, éd. Maisonneuve En suédois l'auteur arabe contemporain qui a été le plus et Larose. Dennis Lee, Adonis, Tryck Omnicréa, Lund, commenté. Nous sortirions du cadre qui nous est Revue Pleine Marge, n° 28, 1998, éd. Peeters. 1988, traduit par Astrid Ericson Bahari. assigné en essayant d'en rendre compte, mais il est permis d'espérer qu'un jour prochain une Revue Autre Sud, n° 2, 1998, éd. Autres En italien étude compréhensive sera consacrée à ces écrits Temps. Francesca M. Corrao, Nella pietra e nel vento, sur un poète qui a fait couler beaucoup d'encre et s'élever bien des voix. ln Georges Schehadé, poète des deux rives, Mesogea, Messina, 1999. ouvrage collectif réalisé par Danielle Baglione De même, il ne nous est pas possible ici de nous et Albert Dichy, éditions de l'IMEC, éditions En polonais étendre sur l'important travail journalistique Dar An-Nahar, 1999, poème en version bilingue. Revue Okolice nos 4/5, Varsovie, 1989. effectué par Adonis lui-même pendant ces quarante dernières années. Kamal Kheir Beik, Le Mouvement moderniste Anthologie de la poésie arabe en polonais, Qu'il suffise de dire que les journaux et de la poésie arabe contemporaine, Parstwowy Instytut Wydawniczy, Varsovie, les revues les plus lus de la presse arabe ont Publications orientalistes de France, 1978. 1990. bénéficié de ses contributions : à Beyrouth, Le Poème arabe moderne, anthologie établie Revue The Arabist Budapest Studies in AI-Nahar. AI-Jarida, AI-Safir. AI-Ahad, et présentée par Abdul Kader AI-Janabi, Arabie, nos 19-20, Budapest, 1998. AI-Muharrir, AI-Kifâh al-Arabî; à , Afkâr; préface de Bernard Noël, éditions à Damas, Al-Thawr; au Caire, AI-'Usur al-Jadida; Maisonneuve Larose, 1999. La revue Polskie Towarzystne enfin à Londres, le quotidien AI-Hayât où il tient Orientalistyczne, Varsovie, 1999. jusqu'à ce jour une chronique bimensuelle. Une Le Spleen du désert, anthologie de poèmes anthologie des articles de presse d'Adonis - voilà arabes en prose, établie patr Abdul Kader AI- encore un projet à réaliser et qui ne manquerait Janabi, éd. paris-Méditerranée, 2000 (édition pas de projeter des lumières sur le devenir de la bilingue). culture et de la civilisation arabes, et pas Michel Camus, Adonis Le Visionnaire, seulement arabes, à l'orée de cette période éditions du Rocher, 2000. charnière que nous abordons en l'an 2000. Anne Wade Minkowski