LE DRAGON DE LUMIÈRE

DOMINIQUE LELIÈVRE

Le Dragon de Lumière

LES GRANDES EXPÉDITIONS DES MING AU DÉBUT DU XV SIÈCLE

ÉDITIONS FRANCE-EMPIRE 13, rue Le Sueur, 75116 Paris Vous intéresse-t-il d'être au courant des livres publiés par l'éditeur de cet ouvrage ?

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© Éditions France-Empire, 1996. ISBN 2-7048-0787-6

Tous droits de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays. IMPRIMÉ EN FRANCE REMERCIEMENTS

Ma reconnaissance va d'abord à mon épouse pour son soutien quotidien. Je tiens aussi à remercier Mlle Gao Hong pour son aide précieuse, Mme Cordier pour ses judi- cieux conseils et M. Bruno Delafon pour les illustrations ainsi que tous ceux qui, à Tours et à Toulouse, ont apporté leur concours à la réalisation de cet ouvrage.

TRANSCRIPTION DES NOMS CHINOIS

A l'exception des mots passés dans l'usage comme Pékin, Nankin, typhon, etc., nous avons adopté pour les mots chinois la transcription officielle de la République Populaire de Chine, transcription communément dénom- mée pinyin.

UNITÉS DE MESURE

— Un picul vaut 100 catties, c'est-à-dire environ 60 kg. — Un shi vaut environ 60 litres. — Un zhang vaut 3,11 mètres et un chi 31,1 centi- mètres. — Un li vaut 500 à 600 mètres, selon les lieux et les époques.

LES PRINCIPAUX PROTAGONISTES

Les premiers Ming

(1328-1398), né Zhu Yuanzhang, fils de pay- sans, fondateur de la dynastie Ming en 1368. (1360-1424), son fils, né Zhu Di, prince de Yan, porte la dynastie au faîte de son prestige, chasse du pou- voir son neveu (1377-1402). (1378- 1425), fils de Yongle, ne règne qu'un an. (1399-1434), né Zhu Zhanji, petit-fils de Yongle, est l' initiateur de la dernière grande expédition. né Zhu Qizhen (1427-1464), fils de Xuande, sera capturé et emprisonné par les Mongols en 1449.

Les envoyés spéciaux et les témoins

(1371-1434), eunuque musulman, comman- dant des sept Grandes Expéditions maritimes menées entre 1405 et 1433. (d.1434), eunuque, adjoint de . eunuque, envoyé spécial au Tibet, au Népal, en Inde et à Calicut. (d.1457), lettré, ambassadeur de Yongle auprès de Shah Rukh. eunuque, émissaire de l'empereur auprès des Jürchen. interprète musulman, participe à la qua- trième, à la sixième et à la septième expédition. participe à la troisième, à la cinquième et à la septième expédition. secrétaire du commandant, est de la sep- tième expédition.

Les conseillers

ou Daoyan (1335- 1418), moine, confident de Yongle. (1366-1430), ministre des Finances, il s'op- posera aux dernières réalisations de Yongle. Mais aussi Jie (1369-1415), (d.1422), (d.1433), les trois « et l'eunuque (d.1449). Asie et Grandes Expéditions de Zheng He (1405-1433)

INTRODUCTION

Quelles sont donc ces expéditions maritimes chinoises qui, moins d'un siècle avant le début des Grandes Décou- vertes, mènent les Chinois en Afrique ? Quelle importance eurent-elles, pourquoi sont-elles si peu connues du public occidental et quelle place occupent-elles dans l'évolution comparée de l'Occident et de l'Extrême-Orient ? Cet ouvrage n'a pas l'ambition démesurée de répondre à toutes ces questions. Il veut simplement présenter les faits dans leur contexte. Début XV siècle, alors que l'Occident peine à s'extraire du Moyen Age, une Chine revigorée renoue avec une vocation maritime trop longtemps contenue. Dès 1405, les Ming lancent la première des sept Grandes Expéditions maritimes de leur histoire. Trente années durant, leurs flottes sillonnent avec assiduité les Mers de l'Ouest. Qui peut, alors, rivaliser avec une Chine si entreprenante ? D'autant que, simultanément, l'Empire du Milieu orches- tre un vaste ballet diplomatique, entraînant dans sa danse toute l'Asie. Du Tibet à la Corée, de Samarcande à Java, de Calicut à Bornéo, on se presse pour verser tribut au Fils du Ciel. Au zénith de sa gloire, celui-ci édifie une nouvelle capitale, restaure le Grand Canal et affronte en personne les turbulents Mongols. Puis, étonnante coïncidence, en 1435, au moment où les Portugais commencent l'exploration des côtes africaines, disparaît le dernier empereur « navigateur » de Chine. Fasci- nant premier tiers de siècle entre Chine et Portugal, où se joue en partie, sur mer, le destin du monde. Mais si le désenclavement européen, fils des Grandes Découvertes, est maintenant largement connu, qui, en Occident, a seulement entendu parler de cette période prestigieuse de la Chine ? Peut-on applaudir les uns et ignorer les autres ? Peut-on méconnaître indéfiniment cette Chine des premiers Ming, si fascinante par ses réalisa- tions... comme par ses renoncements ultérieurs.

Y règne l'empereur Yongle (1360-1424) qui, arrivé tard au pouvoir, a une soif insatiable de prestige. Avec lui, la Chine, héritière d'une insoupçonnable richesse maritime, œuvre désormais dans le gigantisme en construisant plu- sieurs centaines de jonques aux dimensions surprenantes. Embarquant plus d'un millier hommes, longues de plus de cent mètres, elles atteignent l'Inde, l'Arabie parfumée et l'Afrique exotique. Aden, Ormuz, Mogadiscio, Calicut et d'autres, reçoivent la visite répétée des marins de l'amiral Zheng He, grand eunuque musulman. Plusieurs dizaines de monarques sont courtisés et gratifiés de somptueux présents : porcelaines, soies et laques. Parmi les nombreux passagers de ces jonques chinoises figurent certes des diplomates, des militaires et des inter- prètes mais aussi des médecins, des cartographes, des her- boristes et toute une suite d'esprits curieux et cultivés. En retour, par dizaines, des ambassadeurs de tous pays affluent à la cour des Ming. S'y coudoient Bengali, Cingha- lais, Indiens de Calicut, de Cochin et de Quilon, Malais, Siamois ainsi qu'Egyptiens, Yéménites et Africains. Tant de personnages insolites et de langues inhabituelles. La toute nouvelle école des langues de Nankin ne suffit pas à la tâche. S'active également le ministère des Rites chargé d'accueillir ces hôtes. Sept rois viennent en per- sonne rendre hommage à l'auguste Fils du Ciel et il n'est nul monarque en Asie qui ne puisse désormais ignorer l'éclat de la Chine. La Grande Flotte, qui n'a d'autre mission que d'exhiber la majesté de l'empereur, ne se prive pourtant pas d'inter- venir. Le pirate de Palembang, le roi cupide de Ceylan et l'usurpateur de Semudra en font l'amère expérience. Tan- dis que d'autres dirigeants, acceptant la souveraineté toute symbolique de l'empire, sont choyés plus que de coutume, tels le Samorin de Calicut, le Shah de Malacca et le souve- rain du Bengale. Ormuz et Aden, quant à elles, rivalisent de générosité, s'octroyant à peu de frais un regain de prestige. D'autres comme Mogadiscio et La'sa, qui osent résister, expérimen- tent avec effroi le grondement des bombardes chinoises. La Mecque, enfin, est visitée lors de la dernière expédition commanditée par Xuande, petit-fils de Yongle.

Au fur et à mesure que la flotte progresse, « le bûcheron montagnard » et « le petit lettré », témoins à bord des jonques, décrivent pour nous les coutumes et les productions des pays rencontrés. Ils nous parlent des mœurs étranges des Siamois, de la richesse des villes musulmanes éparpillées le long des côtes asiatiques jus- qu'à Java, du commerce à Calicut, de la culture du poivre, de la base stratégique de Malacca et de l'accueil somp- tueux du Bengale. Les stèles racontent, quant à elles, les tempêtes en mer, les proclamations humanistes de Ceylan ou le triomphe d'une girafe à Nankin... tout un univers à découvrir. Pendant que les marins chinois parcourent les océans, des émissaires, eunuques pour la plupart, sont dépêchés en Asie Centrale, en pays Jürchen, au Tibet, au Népal, en Birmanie et bien entendu chez les voisins traditionnels de la Chine : Corée, Japon et Annam. De tout l'Orient conver- gent vers la capitale chinoise des ambassades chargées de luxueux tributs destinés à l'empereur. Elles apportent, qui des éléphants, des autruches, des perroquets, qui des étoffes, des épices, des coraux et des pierres précieuses, qui des étalons ou de jeunes vierges. Bref, tout ce que l'Asie, l'Inde et l'Afrique offrent de plus précieux, de plus chatoyant ou de plus inattendu se donne rendez-vous en Chine. L'empereur a reçu mandat du Ciel pour que règne sur terre la Paix Suprême, dans le respect des hiérarchies et des dynasties. Deux régions, pourtant, refusent l'universa- lisme « généreux » des Ming. Après les premiers succès, on verra les armées caparaçonnées de l'empereur s'essouffler derrière les insaisissables Mongols et reculer derrière les résistants annamites. En cette fin de XX siècle, quand résonnent les mots de « nouvel ordre mondial », l'odyssée diplomatique et civilisatrice de la Chine de Yongle, jalouse de son mandat « universel », n'est pas sans nous interpel- ler.

La grande œuvre de Yongle sera Pékin. Dès le début de son règne, l'empereur, avide de légitimité, initiateur d'une imposante encyclopédie, décide que Pékin sera la nou- velle capitale de l'empire. Il faudra dix-huit ans avant qu'elle ne soit inaugurée. Voilà donc la Chine transformée en immense chantier. On mobilise, on réquisitionne, on réorganise le transport du grain et on achemine du bois sur des milliers de milles. Afin d'approvisionner Pékin et sa région, il s'avère vite nécessaire de reconstruire le Grand Canal. Autant de tra- vaux qui finissent par épuiser le pays et soulever des cri- tiques. Aussitôt intronisé, le successeur de Yongle décide d'interrompre les expéditions maritimes... qui ne seront relancées que par Xuande, après plusieurs années de répit. C'est toute l'histoire du déclin maritime des premiers Ming qui verra s'affronter eunuques et mandarins, déclin où absence de relais socio-économiques et problèmes intérieurs auront leur part. Quand, en 1511, le Portugal s'empare de Malacca, verrou des océans et ancienne base- escale de Zheng He, aucun navire chinois ne vole plus au secours de la ville. Gardons à l'esprit qu'à l'autre extrémité du monde connu, le Portugal, pionnier d'une Europe avide d'espaces, redécouvre les îles atlantiques et engage en tâtonnant l'ex- ploration des côtes occidentales d'une Afrique bien mysté- rieuse. Le petit pays réussit sa révolution « bourgeoise », s'em- pare de Ceuta, avant-poste africain, double le cap de la Peur et colonise Madère. Aiguillonné par l'encerclement castillan et par la résistance du Maroc, il égrène ses explo- rations de fréquentes razzias, capturant hommes, femmes et enfants pour les mener en esclavage. Il aura fallu tout cela, et un tragique recul devant Tan- ger, pour qu'inexorablement se forge le destin maritime du Portugal, destin incarné par Henri le Navigateur, fils du roi Jean I A cent lieues de la Chine, une autre société, d'autres mentalités et d'autres aspirations s'apprêtent à élargir l'horizon de l'Europe.

Un mot, enfin, sur l'authenticité de ces Grandes Expédi- tions. Il convient d'abord de préciser qu'elles ne sont pas ignorées des historiens non spécialistes de la Chine. Atlas historiques et encyclopédies ne se privent pas de les men- tionner. Les faits sont, quant à eux, aussi bien attestés que les épisodes des découvertes portugaises du XV siècle. Abondent les témoignages écrits : rapports officiels de la dynastie Ming (Ming Shi et Shi Lu), descriptions émanant de passagers des jonques (Ma Huan, Fei Xin et Gong Zhen), stèles gravées retrouvées en Chine et à Ceylan, cartes de seconde main, romans, etc. Une chronique yéménite de l'époque confirme la venue de jonques chi- noises. Bref, tout un lot de témoignages incontestables et convergents attestent le gigantisme de ces expéditions. N'en demeurent pas moins, comme d'ailleurs pour les découvertes portugaises, des incertitudes. Dates, lieux et participants ne sont pas toujours repérés avec exactitude. Tous ces témoignages, cependant, ne forment pas un récit cohérent. Il faut combler les blancs, du mieux pos- sible. A ce prix seulement, on peut proposer des éléments de réponse aux nombreuses questions que soulèvent ces entreprises, dont plusieurs demeurent, lancinantes : pour- quoi ces expéditions et pourquoi un déclin si rapide de la marine chinoise ? S'y pencher aide à mieux comprendre pourquoi l'Europe a finalement pris le pas sur l'ingénieuse Chine. Cet ouvrage, on l'aura compris, n'est ni une thèse, ni un livre d'histoire, mais simplement un récit doublé d'une enquête ; car cette période, cruciale parmi d'autres, s'avère un nœud singulier de l'évolution comparée des deux extrêmes que sont la Chine et l'Europe. Aussi n'avons-nous pas craint de multiplier les citations et les emprunts. Asie diplomatique de Yongle (début 15 siècle)

CHAPITRE 1

RICHESSE MARITIME DE LA CHINE

L'histoire millénaire de la Chine ne commence pas avec l'empereur Qin Shi Huangdi, ni avec ses successeurs Han (-221/+220) contemporains des Romains. Mais ils modelè- rent l'empire de façon si profonde et si irréversible, qu'ils peuvent, dans une certaine mesure, être considérés comme les fondateurs de la Chine impériale. Unification des poids et mesures, uniformisation de l'écriture, grands travaux et centralisation du pouvoir comptent parmi leurs réalisations les plus significatives. Premiers recrutements du personnel administratif par concours, adoption des idées de Confucius et progrès techniques (papier, coulée de l'acier, brouette...) complètent le tout. Suit un intermède de morcellement politique marqué notamment par la progression du bouddhisme. Puis avec les Tang (618-907) et les Song (960-1279), s'ouvre une longue période d'épanouissement. Pendant que l'Europe mûrit lentement, l'Empire du Milieu se dote d'une puis- sante administration civile. Tant du point de vue artistique, administratif et juridique que technique ou religieux, la dynastie des Tang constitue un véritable âge d'or qui fait encore la fierté de nos contemporains. En 960, les Song réunifient l'empire éclaté un temps en royaumes rivaux et inaugurent une ère de brillant dyna- misme économique et culturel. L'expansion économique saisit toute la société. Les artisans s'activent et se spéciali- sent, le petit commerce pullule, les marchands s'enrichis- sent malgré la concurrence des monopoles étatiques. Les plaisirs, le luxe s'affichent avec moins de timidité et à l'oc- casion sans vergogne. L'accessoire se fabrique, le décoratif se vend et le spectacle s'étale. Toute une sève économique qui profite aux arts et aux lettres, ainsi qu'aux sciences et aux techniques. La mon- naie fiduciaire, l'imprimerie xylographique, le bouillonne- ment politique et artistique, les perfectionnements tech- niques mêlent avec bonheur leurs effets. La marine y puise une insoupçonnable vitalité.

LES SONG ET LA MER (X SIÈCLES)

On a souvent cru, en Occident, que la Chine était un pays sans expérience ni passé maritimes. Certains histo- riens ont pu écrire que les Chinois n'avaient pas la voca- tion maritime. Certes, la Chine n'aura, dans ses entre- prises maritimes, ni le succès ni la chance de l'Occident. Mais dépasser l'Afrique et découvrir l'Amérique aurait pu être à sa portée... si elle l'avait voulu. Il n'est pas impossible, par exemple, qu'elle ait décou- vert l'Australie bien avant la lointaine Europe. Les Chinois connaissaient et fréquentaient les îles du Sud-Est asiatique, de Sumatra aux Philippines en passant par Java et Bornéo. Ils connaissaient depuis longtemps, c'est certain, les Moluques et Timor loin à l'est de Java. Or l'île de Timor n'est qu'à quelques encablures du nord de l'Australie (îles Melville et Fort Darwin). Des indices, encore fragiles, pourraient laisser penser que des Chinois visitèrent les côtes de l'immense île-continent. Joseph Needham, dont l'autorité n'est plus à démontrer, estime pour sa part qu'ils auraient également pu entre- prendre des voyages épisodiques en Amérique, tant sont étonnants certains parallèles culturels entre les deux conti- nents (sculpture, architecture...). Courant maritime (le Kuroshio à partir du Japon) et vents auraient pu, entre les 25° et 45° Nord, faciliter la navigation d'ouest en est, c'est- à-dire de la Chine vers l'Amérique du Nord. Tout cela, bien entendu, reste encore, malgré des conver- gences, du domaine de l'hypothèse. Par contre, la richesse et la vitalité de la marine chinoise, pendant notre Moyen Age européen, sont, elles, tout à fait réelles et amplement démontrées. Si la Chine n'avait pas de « vocation maritime » au moins possédait-elle une belle avance maritime. Cette avance technologique était manifeste dans de nombreux domaines allant de la construction navale à l'art de la navigation. Est-il besoin de rappeler l'antériorité des Chinois en ce qui concerne la boussole, le gouvernail axial et celle moins connue des voiles « latines », des cloisons étanches, des ancres flottantes, des godilles, du gouvernail amovible, des voiles pliables, etc. Cette précocité n'est pas fortuite ni ne s'est construite en un jour. Elle est, en quelque sorte, le résultat du lent bas- culement économique de la Chine vers le Sud ; le mot Sud étant pris ici dans un sens élargi en l'opposant au Nord traditionnel de l'antique Chine, Nord situé grosso modo autour du fleuve Jaune, le Huanghe. Ce Sud, plus historique que géographique, incluait donc la région centre-est de la Chine, axée autour du Yangzi océanique, région qui comprenait principalement les pro- vinces côtières du Zhejiang et du Jiangsu avec des villes comme Nankin, Yangzhou et Hangzhou, cette dernière possédant près de deux millions d'habitants au XIII siècle. A cette région densément peuplée, s'ajoutait le Sud côtier et ses deux provinces, le Fujian et le Guangdong, nanties de villes comme Fuzhou, Quanzhou (Zaytun), Zhangzhou et Canton (). Ce Sud côtier, découpé, riche en abris, en îles et en ressources fores- tières, était suffisamment bien doté pour développer et accueillir une marine florissante, surtout quand on sait la régularité des vents de mousson.

Si la Chine n'a pas eu de creuset maritime identique à la Méditerranée, berceau avec l'Entre-deux-fleuves (Mésopo- tamie), des civilisations de l'Ouest, inclus, elle n'en posséda pas moins une côte sud reliée très tôt aux Indes, à l'Indochine, aux grandes îles du Sud, à la Perse, voire à l'Arabie et à l'Afrique Orientale. Ce brassage ancien de populations, de matériaux et de techniques n'a pu que favoriser l'inventivité et la multiplicité des solutions nau- tiques retenues par les Chinois. Le mélange, assurément, fut créateur. Comme le fut en Europe le contact entre le sud et le nord, entre l'Atlantique et la Méditerranée, pour l'émergence de solutions nou- velles plus efficientes. La caravelle portugaise (mi-xv fille bâtarde de la kogge [nordique] et de la nef en est un exemple démonstratif.

Effervescence autour du Yangzi

A partir du X siècle, voire avant sous les Tang, le centre de gravité économique de l'empire glissa progressivement vers le sud. Les effets du climat au nord (sécheresses et salinité du sol), l'extension au-delà du Yangzi des tech- niques de rizières inondées avec possibilité de deux récoltes par an, les invasions barbares au nord, les migra- tions de population vers le sud consécutives à toutes ces perturbations, le dynamisme propre du sud, tout contribua à favoriser les deux pôles de ce « Sud » historique, la région centrale du Yangzi et le sud côtier, au détriment du nord traditionnel. En 1119 déjà, plus de 70 % de l'argent et des marchandises collectés par la cour comme tributs, pro- venaient de la basse vallée du Yangzi Le Yangzi, le « fleuve Bleu », (le long fleuve, le chang jiang comme disent les Chinois), fils de l'océan, formait avec ses affluents prolongés par d'innombrables canaux, un immense réseau navigable unique au monde de plus de 50 000 kilomètres, parcouru par une flotte si dense qu'en certains points du fleuve, l'importance du trafic était telle qu 'elle provoquait la formation de véritables villes flot- tantes .

Après 1127, avec la fuite des Song vers le sud et le trans- fert de leur capitale à Hangzhou, c'est chose faite : le bascu- lement vers le sud devient une réalité irréversible. De même, au temps des Yuan (XIII et des premiers Ming (XIV tout continue d'émerger du sud et de converger vers le sud : population, taxes, commerce, ambassades étrangères, etc. Il n'est pas jusqu'aux intellectuels méridionaux qui n'envahis- sent les académies, au grand dam des nordistes. Le transfert de la capitale en 1421 annoncera l'isolement des Ming, modifiera les flux mais n'enlèvera rien au dyna- misme du Yangzi. Elle est donc bien loin l'époque de la Chine antique avec ses Confucius et autres sages origi- naires du Nord. La Chine des Song (X celle des Song du Sud surtout, est une Chine nouvelle, happée par l'affai- risme, l'urbanisation et l'ouverture océanique. Les normes sociales s'en trouvent remises en cause : brasser des affaires, s'enrichir, deviennent choses normales. On voit surgir de grosses fortunes qui prennent une place grandis- sante dans la société au point de multiplier les envieux.

Commerce outre-mer

Nouvelles classes marchandes, associations les plus diverses, instruction accrue grâce à la xylographie (impri- merie sur bois), multiplication des artistes, des artisans, des petits commerçants et des ouvriers, comblent les mailles d'un immense réseau d'échanges et de productions. Plu- sieurs dizaines de millions de bouches, autant si ce n'est plus que toute l'Europe réunie. Durant la période des Song, le commerce extérieur fleu- rit grâce à l'initiative privée et à l'intervention de l'Etat. On pense qu'il a pu se créer des liens directs avec l'Afrique orientale jusqu'à Madagascar. Non seulement des officiels et des courtisans possèdent des parts dans des compagnies maritimes ou industrielles mais le gouvernement lui-même accapare des monopoles dans les secteurs du commerce domestique et celui des entreprises productrices. Parmi ces monopoles, le sel, le thé, les alcools et les parfums 5 Mi-XII siècle, les Song prennent explicitement con- science de l'incidence du commerce international sur leurs rentrées fiscales. Tel l'empereur Gao Zong (1127-1162) qui aurait déclaré : Les profits du commerce maritime sont très importants. Correctement gérés, ils se montent à des mil- lions de sapèques. N'est-ce pas préférable que de taxer le peuple. La moitié des revenus gouvernementaux proviendra des taxes et monopoles commerciaux. Le commerce maritime amène, quant à lui, 20 % des rentrées en liquidités de l'Etat. Hélas, tout cela sera remis en question par l'incurie des derniers Yuan et les méthodes des premiers Ming, dont celles de Hongwu qui, bridant les échanges extérieurs, décida d'assujettir toute l'économie du pays à l'agriculture. L'Europe a vécu aux XI siècles une véritable « révo- lution » technique et agricole ; la Chine voit la sienne s'épanouir sous les Song (X sensiblement à la même époque. Sont de la partie progrès agricoles (riz précoce, doublement des récoltes, extension des cultures de canne à sucre, de chanvre, de mûrier, de thé et d'arbres à laques...), progrès artisanaux (imprimerie xylographique, maîtrise technologique accrue, spécialisations régionales pour le papier, la porcelaine, entre autres), exploitation intensive des mines (fer, plomb, étain), développement de la métallurgie grâce aux perfectionnements techniques (emploi du charbon, souffleries, explosifs), intensification des trafics fluviaux et en général des échanges entre pro- vinces, essor du commerce privé, épanouissement des échanges internationaux, et enfin, dès le X siècle, utilisa- tion de billets de banque. J. Gernet parle, à propos de cette période, de « renais- sance » chinoise tant cet essor déborde le seul domaine économique pour nourrir celui des arts, des sciences et des mentalités.

TÉMOIGNAGES

Quelques voyageurs occidentaux ont pu porter témoi- gnage de cette Chine du Sud des XIII et XIV siècles, à l'époque où les Yuan (1279-1368), héritant de cette « renaissance » des Song, ouvrent la Chine aux étrangers. Commençons par Canton dans la province du Guang- dong, grande métropole du Sud, sise aux bords de la rivière des Perles. Cette ville, relate Odoric de Pordenone vers 1325, est d'aspect singulièrement imposant et j'en fus réellement émerveillé. Je la jugeai trois fois plus grande que Venise. Mieux encore, elle renferme plus de marchandises et me sembla plus importante pour le commerce maritime que toute l'Italie réunie. L'hommage est de taille de la part de ce franciscain tchèque qui admirait l'Italie, alors grande nation commerçante de l'Europe. A Quanzhou, mieux connue des Occidentaux sous le nom de Zaytun, il y a, dit-il, grande abondance de tous les biens et La ville est très belle, située sur la mer (ce qui n'est pas tout à fait vrai). Je l'estimai deux fois aussi grande que Rome Odoric de Pordenone traversa également Hangzhou (Cansay ou Quainsai) qui était quelques décennies aupara- vant la grouillante capitale des Song du Sud : Cansay est la plus grande ville qui soit au monde. On lui prête cent milles de tour, et dans cette immense superficie, tout est peuplé et surpeuplé, tant la population est dense. Les maisons y sont innombrables ; dans chacune vivent parfois dix ménages et plus. La ville a plusieurs faubourgs encore plus peuplés. Elle compte douze portes principales, et à envi- ron huit milles de chacune de ces portes il se trouve encore d'autres grandes agglomérations, elles-mêmes plus impor- tantes que Padoue. Des portes jusqu 'aux agglomérations annexes, les rues et les faubourgs se continuent sans arrêt, de sorte qu'on pour- rait cheminer presque six ou sept jours sans avoir l'impres- sion d'avoir parcouru de grandes distances du fait qu'on est resté toujours au milieu des habitations et des fau- bourgs. La ville est située sur un terrain bas, entre deux lacs, des canaux, des lagunes et des étangs comme notre ville de Venise. y a plus de « dix mille » ponts et chaque pont est gardé par la police du Grand Khan. D'un côté de la ville coule un très grand fleuve, c'est pourquoi la ville est plus longue que large. Je me renseignai très soigneusement auprès des chrétiens, des musulmans et des idolâtres, et tous me confirmèrent que cette cité a plus de cent milles de tour, sans compter les faubourgs et les douze agglomérations annexes qui sont à huit milles de chaque porte. Elle est sous la domination du Grand Khan à qui elle rapporte des bénéfices fabuleux, car chaque mai- son (le recensement se fait par feux) lui paie tous les ans un balisch, c'est-à-dire un ducat et demi, mais les habi- tants sont si nombreux que dix ou douze ménages ne font qu'un feu. On calcule pour l'impôt qu'il y a 85 groupes de feux (focolari) pour la seule population chinoise, sans compter 4 pour les résidents musulmans, soit en tout 89, étant entendu qu'un groupe vaut 10 000 feux. Le fait que tant de races différentes puissent cohabiter paisiblement et être administrées par le même pouvoir me semble une des plus grandes merveilles du monde, bien plus encore que l'activité prodigieuse du commerce et l'accumu- lation énorme des stocks de toutes sortes ; notons entre mille détails l'abondance des denrées comestibles, pain, viandes, riz et aussi vin que les habitants tiennent pour un très noble breuvage, nommé ici « bigum » ou « vigum ». Cette cité royale était naguère la résidence des anciens empereurs du Manzi ( empire des Song du Sud, conquis en

1279 par les Mongols de Koubilaï Khan). Odoric ne tarit pas non plus d'éloges sur Nankin. Elle est si belle et si peuplée qu'on en reste confondu. Là encore, on trouve une civilisation matérielle prodigieuse, une fabu- leuse accumulation de richesses.

Marco Polo a lui aussi laissé une très intéressante et très vivante description de Quainsai (Hangzhou). Datant de la fin du XIII siècle, ce texte est légèrement postérieur à la conquête de Hangzhou par les Mongols. La ville respire encore la prospérité qui était la sienne comme capitale des Song. La Cité du Ciel, comme il l'appelle, est la plus grande ville qu 'on puisse trouver au monde, affirme-t-il avant Odo- ric 7 Et d'ajouter : On y peut goûter tant de plaisirs que l'homme s'imagine être au Paradis. Remarque que ne pouvait se permettre le frère mineur Odoric. Mais comme ce dernier, Marco Polo évoque le réseau fluvial — lacs, canaux et fleuve — qui infiltre la ville tout environnée d'eau. Il s'émerveille des ponts : Il y a douze mille ponts, de pierre pour la plupart, car certains sont en bois ; et sous chacun de ces ponts, ou sous la plus grande partie d'entre eux, une grande et grosse nef peut aisément passer ; sous les autres peuvent passer des nefs plus petites. En guide averti, Marco Polo promène son lecteur dans les dédales de l'immense métropole avec ses rues pavées, ses enceintes, son marché, ses abattoirs... On y sent les poissons frais, on y entend les courtisanes et la foule, on y voit le quartier des artisans, les badauds en barque sur le lac, les « taxis », les jardins, les bains (« étuves ») et l'ancien palais des empereurs Song. Le Vénitien n'omet pas de mentionner les marchands : ... tant de marchands, et si riches, qui font un si grand commerce, qu'il n'est nul homme qui puisse dire la vérité à

leur égard, tant c'est chose démesurée.

Et tant de splendides maisons dans cette ville où circule vivace le papier-monnaie. Quelques décennies plus tard,

Odoric de Pordenone, encore lui, sera de la même manière très impressionné par la richesse d'un simple

bourgeois (en réalité un des plus riches de la ville) :

Dans la contrée du Manzi, je me rendis un jour à la

maison d'un très riche personnage qui n'était d'ailleurs ni prince ni seigneur, mais un simple bourgeois de la ville.

Cinquante jeunes filles le servaient à table et lui appor-

taient tous ses mets en chantant et en jouant de diverses sortes d'instruments de musique ; elles restaient devant lui avec un air rieur, chantant ainsi sans interruption jusqu'à

ce qu'il ait fini un plat, puis elles lui apportaient de la

même manière les autres services jusqu'à la fin du dîner.

Mieux encore : ces jeunes filles le nourrissaient à la bec- quée, comme l'oiseau nourrit sa nichée, en lui mettant un à un les morceaux dans la bouche.

Ce bourgeois a, comme rente annuelle, le revenu de

300 000 sacs de riz, chaque sac ayant le poids de charge d'un âne robuste. Son hôtel est immense. Le pavé en est fait de dalles alternées d'or et d'argent ; au milieu s'élève un

monticule d'argent et d'or (un stoupa), chargé de dais et de clochetons, comme dans les pagodes, et d'autres motifs faits pour le plaisir des yeux.

Il y avait de mon temps dans la Chine (du Sud) quatre

multimillionnaires aussi riches que ce personnage. Pour les

Chinois de cette catégorie, le comble de l'élégance est d'avoir les ongles très longs ; ils laissent tellement croître l'ongle du pouce qu'il arrive à s'enrouler en cercle ! Quant aux femmes, la beauté consiste au contraire pour elles à avoir les pieds petits ; aussi les mères lient les petons des fillettes pour en arrêter la croissance et les atrophier défini-

tivement (la coutume date du X siècle).

Des habitants exemplaires

Marco Polo est tout en admiration devant les habitants

de la métropole. Ses souvenirs méritent ici d'être rapportés

pour l'image certes idéalisée mais inestimable qu'il donne

des Chinois de l'époque (fin XIII siècle).

Les habitants originaires de la ville de Quainsai (Hang-

zhou) ont leur maison très bien bâtie et richement tra-

vaillée et prennent si grand plaisir aux ornements, pein-

tures et constructions, que les sommes qu 'ils y engloutissent

sont chose stupéfiante. Ils sont gens pacifiques, pour avoir

été bien éduqués et accoutumés par leurs rois, qui étaient de même nature.

Ils ne manient point d'armes et n'en gardent point à la

maison. On n'ouït jamais entre eux différend ou querelle.

Ils font leur commerce ou métier avec une grande sincérité

et bonne foi. Ils s'aiment tant les uns les autres qu'un dis-

trict peut être regardé comme une grande famille pour

l'amitié qui existe entre les hommes et les femmes par rai-

son de voisinage. Si grande est leur familiarité qu'elle se

développe entre eux sans jalousie ni suspicion à l'égard des femmes, auxquelles ils portent le plus grand respect. Car

celui qui oserait dire des paroles déshonnêtes à une femme

mariée serait tenu pour très infâme.

Ils sont également bienveillants envers les étrangers qui

viennent à eux pour commercer, et les reçoivent aimable-

ment dans leur demeure, les saluant et leur prêtant toute

assistance et tous conseils dans les affaires qu'ils condui-

sent. En revanche, ils n'aiment point voir des soldats, pas

même ceux de la garde du Grand Khan, car il leur semble

que c'est par eux qu'ils ont été privés de leurs rois et sei-

gneurs naturels. UNE EXTRAORDINAIRE RICHESSE NAUTIQUE

Au milieu de cette effervescence, fleuves, canaux, lacs et zones côtières s'emplissent de navires les plus divers, tous différents les uns des autres. Car une des premières carac- téristiques de la marine chinoise de l'époque est la foison- nante variété de ses corps flottants. Du simple radeau aux immenses bao-chuan (bateaux-trésors), c'est toute une gamme incroyable de coques, de formes, de fonctions, de matériaux et de systèmes de propulsion qui s'offre au regard. Des embarcations et des vaisseaux de tout type sillonnent par centaines de milliers les veines nourricières de la Chine que sont fleuves et canaux multipliés ; ou, sur mer, longent les côtes du continent jusqu'à Malacca et plus loin encore. Cette richesse dans la diversité est d'abord le fait des régions et des provinces. Les bateaux-sable (shachuan) et les grosses embarcations à fond plat sont surtout réservés aux côtes sablonneuses du Nord, quand le Sud, Canton par exemple, fabrique de lourdes coques en bois de fer (tiemu : sideroxylon ferrugineum, gaïc, et autres bois très lourds et très durs). Et entre ces deux extrêmes, dans le bas et le moyen Yangzi par exemple, se rencontrent tous les intermédiaires. En réalité, c'est presque chaque préfecture, chaque sous- préfecture, qui possède ses types d'embarcations spécifi- ques. Chaque chantier, chaque port, chaque bras de rivière ajoute sa touche particulière, affine sa tradition propre ou innove simplement. Bien sûr, on s'efforce de réaliser avec les ressources disponibles (bois dur, pin, sapin, bambou, nattes...) le meilleur compromis possible entre coûts de construction et contraintes de navigation (fleuves, hauts-fonds, ensablements...). Est-il nécessaire d'ajouter qu'à cette foisonnante variété d'embarcations correspond toute une multitude de métiers : bateliers, mariniers, pêcheurs, caboteurs, marins au long cours, armateurs, marchands, pirates, flibustiers, charpen- tiers, menuisiers, voiliers, et toutes les autres professions qui, le long des fleuves ou grâce aux fleuves, exercent leurs activités : hôteliers, artisans, acteurs de théâtre, mar- chands ambulants, etc. Tout un monde s'y déplace. On vit à bord en famille comme on navigue. On pourrait dresser la liste de tous ces bateaux. Nous avons préféré n'en énumérer que quelques types parmi les principaux : bateaux mus par des roues à aubes, bateaux- jumeaux, bateaux-hôtels, bateaux-temples, bateaux à marionnettes, bacs, « cargos » fluviaux et « paquebots », cha- lands, bateaux-céréales, navires d'apparat, bateaux- ordures, bateaux-fumiers... sans compter les navires de guerre : bateaux à tours, cuirassiers de choc, bateaux-hal- lebardes, patrouilleurs rapides, grands vaisseaux de com- bat avec des remparts, bateaux-explosifs, bateaux-mère- enfant, tous décorés d'oriflammes, équipés de gongs et de tambours comme il sied à des navires de guerre.

Inventivité et diversité

Présentons quelques-unes de ces curiosités flottantes, car toutes flottent et flottent même fort bien. Le Zimuchuan, bateau-mère-enfant, portait, caché dans ses flancs, un petit navire. Grâce à des avirons munis de longs dards, les marins du Zimuchuan agrippaient les coques ennemies. Après s'être ainsi arrimé à l'adversaire, on incendiait le tout et on prenait la fuite sur le petit navire. Quant aux bateaux-jumeaux, les yuanyangchuan, ils permettaient, en se dédoublant, d'assaillir l'ennemi de deux côtés à la fois. Les Chinois étaient aussi passés maîtres dans l'utilisation des explosifs et ils réservaient à leurs ennemis de bien désagréables surprises. Certains bateaux, les lianhuan- zhou, se scindaient en deux. Abandonnant à l'ennemi leur proue bourrée d'explosifs, les assaillants prenaient la fuite avec ce qui leur restait de coque. Plus simples mais tout aussi efficaces, les chilongchuan et les huolongchuan, étaient de véritables bombes flottantes lancées contre l'ennemi, les pilotes et rameurs n'ayant que le temps de se jeter à l'eau avant l'impact et l'explosion. D'autres navires de guerre, comme les mengchong (cui- rassés de choc) et les louchuan (bateaux à tours) remon- taient à l'époque Han. Ils étaient donc contemporains des galères romaines solides et rapides mais beaucoup moins sophistiquées. Leurs flancs, ceinturés de peaux de bœuf fraîches, se hérissaient de créneaux pour les arbalètes et d'ouvertures pour les lances. Les bateaux à tours se pré- sentaient, eux, comme une superposition de trois ponts avec des remparts sur le pont supérieur. Il arrivait qu'on y installe des trébuchets, lanceurs de pierres et de fer fondu, ou des armes à feu. La marine chi- noise avait également ses galères et ses patrouilleurs rapides équipés d'un ou de plusieurs bancs de nage. Leurs formes n'étaient pas effilées comme celles des galères méditerranéennes de l'époque peut-être plus rapides. Certaines de ces jonques de guerre portaient des noms très suggestifs comme faucons ou perdrix de mer, bateaux- aigles, bateaux-scolopendres, navires-anguilles, navires perce-vent ou encore bateaux à bec d'oisel Les fameuses bombes flottantes, mentionnées précédemment, s'appro- priaient le prestige du dragon cracheur de feu avec des noms comme chilongchuan (bateaux-dragons rouges) ou comme huolongchuan (bateaux-dragons de feu) ; « long » signifiant dragon. Les bateaux à roues sont mentionnés dès le VII siècle. Comportant une à deux roues, légèrement immergées de chaque côté du bateau et mues au pied par la force humaine, ces bateaux à usage militaire ou civil, avaient la réputation d'être très véloces. En vérité les bateaux à roue, essentiellement fluviaux, furent d'utilisation et de grandeur très diverses. Certains eurent jusqu'à treize roues (6 de chaque côté et 1 à l'arrière), d'autres mesuraient 360 pieds de long. On leur adjoignait des rames ou des systèmes d'attaque ou encore des blindages, voire une roue à l'ar- rière pour faciliter les manœuvres.

Les Song et la flotte de guerre

La Chine possédait une panoplie inimaginable de bateaux de guerre fluviaux et lacustres, secondés par toutes sortes de navires auxiliaires : bateaux-citernes, bateaux-provisions, bateaux-navettes, transbordeurs... Fin XII siècle, les Song infligèrent de cinglantes défaites aux Jin. La marine est notre point fort, remarquait l'empereur Xiaozong (r.1163-1189), et nous ne pouvons nous per- mettre de la négliger. Au XIII siècle contre les Mongols, et avant même contre les Jin (dynastie d'origine jürchen), ou lors des conflits opposant le futur fondateur des Ming à ses rivaux, se jouè- rent sur les immenses fleuves chinois ou sur les lacs, de grandes et décisives batailles navales engageant parfois des centaines de navires. Voilà comment vers 1363 Chen Youliang, l'ennemi de Zhu Yuanzhang (futur Hongwu), achemina ses forces vers Hongdu, capitale du Jiangxi. Il laissa, écrit l'historien Wu Han, son territoire presque désert, emmenant avec lui les familles de ses soldats et tous ses fonctionnaires sur des navires de guerre hauts de plusieurs étages et si longs que des chevaux pouvaient y galoper à leur aise. Pendant la guerre de Succession (1399-1402), les forces navales fluviales ne restèrent pas, non plus, inactives. Contrairement à ce que pourraient laisser supposer les exemples ci-dessus, la Chine n'eut pas que des bateaux de guerre. Bien que ceux-ci aient été parmi les plus curieux et peut-être parmi les plus ingénieux, la variété des navires civils, fluviaux ou marins, fut beaucoup plus grande. Le plus simple d'entre eux était le trois-planches dont le nom chinois nous est familier puisqu'il s'agit du sampan (san- ban signifie trois planches). Ces bateaux fluviaux possédaient quelques particulari- tés. La godille d'abord, sorte de rame-hélice propulsive, bien connue des Bretons. Actionnée par un ou plusieurs hommes, elle se plaçait à l'arrière ou sur le côté des jonques. Signalons, en second lieu, la dissymétrie existant sur certains bateaux entre poupe et proue, conçue semble- t-il pour mieux négocier les rapides. Il existait également de navires brise-glace pour les canaux du nord. Admirons enfin une description poétique des jonques de ravitaillement adaptées à la navigation en eau peu pro- fonde ; description conforme à l'esprit à la fois concret et imaginatif des Chinois : Pour tout ce qui est de la construction de ces navires, leur fond est comme le sol ; les poutres et les baux com me les murailles d'un édifice et les bambous imbriqués comme les tuiles d'une toiture ; devant l'emplanture du mât, c'est comme un grand portail, derrière l'emplanture comme une chambre à coucher. Le mât, lui, ressemble à une arbalète, les drisses et les voiles à des ailes et les avirons aux chevaux d'un char. Le gréement tient lieu de chausses et les cordages sont comme les os et les muscles d'un aigle. L'aviron de proue représenterait l'avant-garde, le gouvernail serait le commandant en chef et les ancres une armée qui plante son campement. IBN BATTUTA ET LES AUTRES

L'essor du commerce maritime avec l'étranger sous les Tang (618-907) puis sous les Song (960-1279) sera sûre- ment à l'origine du développement des grandes jonques de mer chinoises. Dès le VIII siècle sont installées à Canton des colonies de marchands musulmans et juifs 11 A partir de là, c'est toute une économie-monde qui se met en place, faisant communiquer par la mer et par la terre — la fameuse « route de la soie » — trois univers actifs : l'Islam, le monde indien et la sphère chinoise, Japon inclus. Mais sont-ce des bateaux chinois ou des bateaux arabo- persans qui chargent en Chine le fret et les passagers chi- nois à destination de l'océan Indien ? Quand Sulayman (IX siècle) écrit que la plupart des navires « chinois » effec- tuent leur chargement à Siraf (Golfe Persique) et partent de là, on ne sait trop s'il s'agit de bateaux arabes desser- vant la Chine ou de jonques de fabrication chinoise. Au début du XII siècle, on trouve mention de gros navires chinois. Zhu Yu, fils du gouverneur de Canton parle, par exemple, de navires chinois embarquant plu- sieurs centaines d'hommes pour le commerce : D'après les règlements, sur un grand bateau de mer de plusieurs centaines de personnes, ou sur un petit de plus de cent personnes, un chef et un sous-chef sont choisis parmi les gros marchands pour s'occuper des différentes affaires. L'administration de la marine (de Canton) leur donne un sceau dont l'empreinte est rouge et leur permet d'employer le bambou léger pour punir leurs employés. Quand une personne meurt ses propriétés sont enregistrées. Les mar- chands disent qu'il y a beaucoup de pirates dans l'outre- mer. On n 'ose y aller que lorsque le bateau est grand et les passagers nombreux. Au XIII siècle, plus de doute possible, ce sont bien des bateaux chinois qu'empruntent les marchands chinois. Entre golfe Persique et mer de Chine

Les liens marchands, très anciens, entre la Perse et la Chine perdurèrent malgré bien des vicissitudes comme la mise à sac de Canton par le rebelle Huang Chao (fin du IX siècle) et le tremblement de terre détruisant Siraf en 977. Ormuz succéda à Siraf et en Chine, Quanzhou, située à quelque soixante-dix kilomètres de l'actuelle Xiamen (Amoy), prit le relais de Canton. Elle devint de ce fait une ville cosmopolite où vivaient musulmans, chrétiens et hin- dous. Selon des sources officielles chinoises, les marchands musulmans, formant la communauté la plus nombreuse, s'y étaient établis dès 618-626. Ils laissèrent sur place des descendants parfaitement assimilés dont certains s'illus- trèrent des siècles durant. Au XII siècle, un marchand nommé Abu Ruh paya une jolie somme pour une cargai- son d'encens. Celle-ci devait être d'importance pour que le fait soit enregistré dans les annales. Sous les Yuan, à la fin du XIII siècle, le richissime armateur Pu Shougeng, descen- dant d'une famille musulmane cantonaise de lointaine ori- gine persane, contribua à reconstruire la marine chinoise des Yuan. Son gendre, un certain Fulian (Fo-lian ?) laissa à sa mort cent trente mesures de perles. Nombreux, les musulmans n'étaient pourtant pas les seuls à habiter Quanzhou, l'ancienne Zaytun d'Ibn Battuta et de Marco Polo. S'y coudoyaient aussi des hindous, les uns de tendance shivaite, les autres de tendance vishnuite, des chrétiens et des pratiquants de bien d'autres confes- sions encore. Musulmans, hindouistes, chrétiens, nesto- riens, juifs, mazdéens, tous laissèrent qui des sculptures et des temples, qui des tombes et des inscriptions. La plupart de celles qui furent identifiées prouvent sans contestation la présence nombreuse des étrangers en ce lieu : C'est le port, dit Marco Polo parlant de Quanzhou, où toutes les nefs d'Inde viennent avec maintes marchandises coûteuses et avec maintes pierres précieuses de grande valeur et maintes perles grosses et bonnes .

Jusqu'où vont les bateaux chinois ? La seule chose que l'on puisse dire avec certitude, écrit J. Dars, est qu'il y a au XII siècle des grandes jonques de mer, de fort tonnage, qui font des voyages intercontinentaux et dont on a des des- criptions . Dès la fin du XI siècle, c'est entre la Chine et la Corée que circulent des navires géants appelés navires surnatu- rels (Shenzhou). Ils auraient mesuré quelque 300 pieds de long, c'est-à-dire près de 100 mètres, et étaient manœuvrés par près de 200 hommes d'équipage. Aux nombreux textes chinois s'ajoutent les inestimables témoignages des « voya- geurs » de renom tels que Marco Polo vers 1292-1294, Ibn Battuta le tangerois vers 1342 et Nicolo di Conti voyageant en Inde et en Insulinde entre 1420 et 1444. Tous trois furent fort impressionnés par les grandes jonques de mer. Marco Polo regagne l'Europe fin XIII siècle sur des jonques dont certaines ont un équipage de 250 hommes et plus, et il ne cache pas son admiration. Les affirmations d'Ibn Bat- tuta sont aussi fort précieuses car elles appartiennent à une autre culture que celle des deux précédents narrateurs.

Ibn Battuta, de l'Afrique à l'Asie

Mi-XIV siècle, Ibn Battuta, un des plus grands voyageurs du Moyen Age, promène en Chine une insatiable curiosité, s'intéressant aux machines hydrauliques, au papier-mon- naie, à l'usage du charbon, à la construction et à l'aména- gement des bateaux ainsi qu'à la fabrication de la porce- laine. Il ne perd rien des catégories de bateaux, des voiles, du compartimentage, de l'aménagement intérieur et de la construction de ces jonques de haute mer. Ses témoignages sur l'Orient sont si nombreux, si divers et si riches que nous aurons encore bien des occasions de rencontrer cet infatigable marocain. Il sera à Delhi, dans les îles aux épices, en Chine, en Afrique Noire, partout où le pousse le vent de l'Islam, précédant de quelques décen- nies les flottes de Zheng He. Mais s'il a atteint, c'est cer- tain, la côte chinoise qui seule ici nous intéresse, son périple à l'intérieur de l'immense pays reste plus contro- versé. Le 2 août 1341, il quitte le Sultanat de Delhi comme membre d'une ambassade à destination de la lointaine Chine. Les relations diplomatiques entre les Indes et la Chine n'étaient donc pas particulières à l'époque des Ming. En novembre 1341 on retrouve notre Tangerois à Calicut. En raison de la barrière himalayenne, la seule route pos- sible est celle des océans. Hélas, le navire de notre diplomate improvisé s'écrase sur les rochers. L'homme n'en réchappe que de justesse mais tous ses biens, entassés sur un autre bateau en fuite, lui sont volés. Sa fortune, il l'apprendra plus tard, sera dila- pidée à Java. Echec, ruine, désespoir, notre voyageur rejoint Calicut, ville tenue par des « idolâtres » mais fré- quentée par des coreligionnaires. Ibn Battuta passe ensuite plusieurs mois comme cadi dans les Maldives, visite Ceylan où il effectue un pèleri- nage au pic d'Adam, puis se lie d'amitié avec le Sultan de Madura dont il épouse une des filles. Quittant Madura en raison des épidémies, il retourne sur la côte de Malabar, au sud-ouest de l'Inde, où des pirates le dévalisent complète- ment, ne lui laissant pour toute fortune qu'un caleçon. C'est dans cette tenue qu'il se réfugie à la mosquée de Calicut. L'homme n'est pas sans ressource et la solidarité musul- mane n'est pas un vain mot. Ibn Battuta finira par atteindre la Chine, non sans s'être attardé à Pasei (nord de Sumatra) et à Java. A Calicut, il aperçoit treize jonques dont une devait convoyer une ambassade. C'est à cette occasion qu'Ibn Battuta décrit les vaisseaux chinois : y en a de trois espèces : les grands, qui sont appelés gonoûk et au singulier gonk (jonque, du javanais djonk) ; les moyens, nommés zaou ; et les petits nommés cacam. a sur un de ces grands navires douze voiles et au-dessous jusqu 'à trois. Leurs voiles sont faites de baguettes de bam- bous, tissées en guise de nattes ; on ne les amène jamais, et on les change de direction, selon que le vent souffle d'un côté ou d'un autre. Quand ces navires jettent l'ancre, on laisse flotter les voiles au vent. Chacun d'eux est manœuvré par mille hommes, à savoir : six cents marins et quatre cents guer- riers, parmi lesquels des archers, des hommes armés de boucliers, des arbalétriers, c 'est-à-dire des gens qui lancent du naphte. Chaque grand vaisseau est suivi de trois autres : le nisfy « moyen », le thoulthy « celui du tiers », et le roub'y « celui du quart ». On ne les construit que dans la ville de Zaytun (Quanzhou) en Chine, ou dans celle de Syn Calân (Canton), c'est-à-dire Syn Assyn. Voici de quelle manière on les fabrique : on élève deux murailles de bois et on remplit l'intervalle qui les sépare au moyen de planches très épaisses, reliées en long et en large par de gros clous, dont chacun a trois coudées de longueur. Quand les deux parois sont jointes ensemble à l'aide de ces planches, on dispose par-dessus le plancher inférieur du vaisseau, puis on lance le tout dans la mer et on achève la construction. Les pièces de bois et les deux parois qui tou- chent l'eau servent à l'équipage pour y descendre se laver et accomplir ses besoins. C'est sur les côtés de ces pièces de bois que se trouvent les rames, qui sont grandes comme des mâts ; dix et quinze hommes se réunissent pour en manier une ; ils rament en se tenant debout. On construit sur un vaisseau quatre ponts ; il renferme des chambres, des cabines et des salons pour les marchands. Plusieurs de ces cabines contiennent des cellules et des commodités. Elles ont une clef, et leurs propriétaires les ferment. Ils emmènent avec eux leurs concubines et leurs femmes. Il advient souvent qu'un individu se trouve dans sa cabine sans qu 'aucun de ceux qui sont à bord du vaisseau ait connaissance de sa présence, jusqu'à ce qu'ils se ren- contrent lorsqu 'ils sont arrivés dans quelque région. Les marins font habiter ces cabines par leurs enfants ; ils sèment des herbes potagères, des légumes et du gingembre dans des baquets de bois [...] Parmi les habitants de la Chine, il y en a qui possèdent de nombreux navires, sur les- quels ils envoient à l'étranger leurs facteurs. Il n'y a pas dans tout l'univers de gens plus riches que les Chinois. Et Ibn Battuta, qui a rencontré de nombreuses personna- lités en terre d'Islam, sait de quoi il parle, même s'il lui arrive, comme les voyageurs de l'époque, d'enjoliver quelque peu son récit. Il atteint Zaytun (Quanzhou) en 1346. S'il trouve fort pointilleuse l'administration chinoise (inventaire douanier, contrôle des sommes dépensées...), il s'extasie devant la ville : Le port de Zaytun est l'un des plus vastes du monde ; je me trompe, c'est le plus vaste de tous les ports. J'y ai vu environ cent jonques de grande dimension; quant aux petites, elles sont innombrables.

Tous les témoignages concordent donc : la Chine des

XIII et XIV siècles possède une prodigieuse animation maritime et une merveilleuse marine où se mêlent gigan- tisme, diversité et ingéniosité.

JONQUES DE MER

Bateaux du Zhejiang, bateaux foukienois (du Fujian) ou bateaux cantonais, tous s'ingéniaient à concilier des impé- ratifs contradictoires, entre mer et fleuve, entre voiles et rames ou entre volume et vélocité. Par exemple, les jonques de Cangshan — bateaux du Zhejiang — étaient larges de poupe et de proue, mues au gré des caprices du vent à la voile ou à la rame, et surélevées de deux étages. Les jonques balahu, par contre, possédaient une carène fine, proue et poupe semblables, avec à l'arrière une petite dunette. A la voile comme à la rame, ces jonques étaient rapides. Rangées obliquement à l'arrière, leurs rames ser- vaient de gouvernails latéraux, d'anti-dérives ou de brise- vagues. Les grands foukienois étaient, quant à eux, surélevés. Leurs flancs garnis de planches protectrices avec revête- ment de joncs et de bambous se dressaient comme des murailles. Mais les bateaux cantonais étaient sûrement les plus grands et les plus solides. Conçus pour chevaucher les océans, ils étaient le plus souvent construits en bois de fer alors que les foukienois se contentaient de bois blancs. Plus coûteux, les bateaux cantonais étaient à l'épreuve des abordages, des vers et du temps. Les jonques japonaises, en bois plus léger, ne se hasardaient paraît-il jamais à épe- ronner leurs rivales cantonaises. Certaines de ces jonques de mer pouvaient dépasser les 100 mètres de long. Une découverte archéologique a per- mis de confirmer les multiples témoignages en notre pos- session. En 1962 a en effet été mis à jour, dans le fameux chantier naval Ming de Longjiang près de Nankin, un énorme gouvernail de onze mètres de long avec une lon- gueur de barre d'environ six mètres qui aurait pu apparte- nir à une jonque de 500 pieds, c'est-à-dire mesurant plus

de 150 mètres de long 15

Ingéniosité, solidité et efficacité

Si la diversité des jonques de mer était indéniable, l'in-

géniosité de leur conception et de leurs équipements se concrétisait dans les moindres détails de leur construction,

de la proue à la poupe et de la coque au gréement.