Oeuvres Complètes
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U d'/of OTTAWA 39003001000610 <* ŒUVRES COMPLÈTES DE GRINGORE Paris. — Imprimé par E. Thunot et Cie, rue Racine, : -, avec les caractères elzeviriens de P. Jannbt. ŒUVRES COMPLÈTES DE G RI NGO RE Réunies pour la première fois PAR MM. Ch. d'HÉRICAULT et A. de MONTAIGLON Tome I ŒUVRES POLITIQUES A PARIS Chez P. Jannet, Libraire MDCCCLVIU M 17 «?.) M. LE COMTE EDOUARD DE CHABROL BIBLIOPHILE NORMAND v^ CETTE PREMIÈRE ÉDITION DES ŒUVRES COMPLÈTES DU VIEUX POETE NORMAND EST DÉDI ÉE Par les Éditeurs Ch. d'HÉRICAULT, A. de MONTAIGLON GRINGORE ET LA POLITIQUE BOURGEOISE AU XVI* SIÈCLE es documens que la Littérature pro- cure à l'Histoire doivent être ac- cueillis avec précaution, presque défiance, nous le I avec reconnois- sons. Nous n'ignorons pas d'ailleurs que les œuvres littéraires contiennent rare- ment des faits nouveaux, et quand, par hasard, il en est ainsi , nous savons que ces faits n'ont presque jamais une importance primordiale. De telles œuvres sont donc inutiles à l'historien pour établir les grandes lignes, pour donner des fon- demens sûrs à un système large et nouveau. Elles n'ont pas la puissance d'attaquer de haute lutte les opinions reçues, et de triompher à la manière des faits, c'est-à-dire par leur apparition. On peut dire à la rigueur qu'elles n'offrent rien de gé- néral, presque rien de positif, et, à première vue, elles ne montrent que des lueurs indécises. Mais si elles ne sont point une svnthèse, du viij Gringore moins mettent-elles la philosophie historique sur la voie des plus fins et des plus minutieux ensei- gnemens ; si elles n'existent pas par elles-mêmes — sur la scène de l'histoire , cela s'entend , — du moins parfois indiquent-elles quelque point minime et important tout à la fois , telle petite circonstance inaperçue jusque-là et qui remplit cependant le rôle de cette pierre mince , de ce morceau de ciment sans lesquels le monument ne sauroit être en équilibre. Elles apportent ainsi cette nuance du portrait sans laquelle l'homme est monstrueux , ce léger hasard, non mentionné par d'autres documens, qui seul çéanmoins peut nous empêcher de trouver l'événement absurde; et elles sont quelquefois le dernier recours de l'historien qui veut lutter contre des préjugés dont un jugement droit et impartial lui a dé- montré la sottise ou l'injustice. Un labeur tout particulier est nécessaire sans doute pour rendre de celte façon les ouvrages d'imagination utiles à l'Histoire; il faut pour ainsi dire en extraire l'essence, les soumettre à un tra- vail d'analyse puis de généralisation, beaucoup , plus long et minutieux que celui qui nous est im- posé pour tirer parti des Mémoires. Mais là où ces derniers font défaut, c'est, comme nous l'in- diquions plus haut, le seul moyen qui reste à la postérité pour ôter aux faits ce vague mytholo- gique que l'éloignement leur donne toujours, pour rendre aux soldats et aux capitaines de la civilisation la part d'activité et de gloire que les généraux ont usurpée, pour faire, enfin, d'un personnage un homme, et de l'Histoire l'Hu- manité. et la Politique bourgeoise. ix Au commencement du XVIe siècle, les Mé- moires, si communs au siècle précédent, man- quent presque complètement. Diverses circon- stances politiques, l'état de la société, la position de la Bourgeoisie , l'activité particulière de la France à cette époque, expliquent cette singula- rité, qu'il nous importe ici de constater seulement. A aucune date pourtant ce genre de document n'eût été plus utile. Quand nous pensons qu'à cet instant même la Réforme se préparoit, que la Re- naissance sortoit de son chaos et que le monde moderne entroit définitivement en scène, nous avons le droit de regretter tout particulièrement la lumière précise, les minutieux détails, la réalité nuancée, le méticuleux développement du cœur humain, le jugement contemporain, la couleur vulgaire, le dessin naif, enfin tout ce que les Mémoires ont l'habitude de rechercher et de montrer à la postérité. Cette époque importante est donc restée pour nous parsemée de mystères , difficile à compren- dre, difficile à expliquer. Il faut reconnoître aussi que les historiens modernes, par une méthode peu sensée, par des préjugés d'école, et une sorte de mépris pour l'impartialité , ont été amenés à nous rendre la vérité moins aisée encore à ren- contrer, moins aisée surtout à démontrer. Ils ont pris depuis un siècle leurs espérances, leurs fan- taisies , leur fanatisme doctrinal pour le seul cri- térium de vérité historique; et comme depuis ce temps l'histoire est abandonnée aux écrivains des écoles soi-disant philosophiques et libérales, toute théorie contraire aux préjugés de ces écoles a été bafouée , tout renseignement , tout fait in- X G R 1 N G R E conciliablesavec ces préjugés, ont été considérés comme non avenus. On n'a voulu consulter que les documens écrits sous l'influence d'inspirations analogues à celles qui dirigeoient les écrivains de ce parti. Les Railleurs et les Protestans sont ainsi devenus les maîtres de l'histoire ; l'esprit qui les animoit domine visiblement les opinions actuelles , et c'est de ces deux sources que dé- coule toute la philosophie historique de notre temps. Nous avouons que ces railleurs et ces pro- testans sont ceux qui ont parlé le plus haut et le e plus souvent dans le xvi siècle , et nous recon- naissons aussi que pour le vulgaire cela est une grave considération. Ils ont encore eu la bonne fortune de se servir de certains mots qui sont en honneur auiourd'hui; ils représentent l'esprit qui est depuis un siècle notre seule d'opposition , théorie gouvernementale; ils ont été les ennemis d'une royauté à cette heure éclipsée, d'une reli- gion maintenant attaquée, de toute une série d'i- dées actuellement calomniées. Les esprits étroits et fanatiques de ce temps-ci peuvent trouver là, sans doute, de grandes probabilités de sens com- mun , de sincérité et de vertu ; mais nous ne pou- vons comprendre que les intelligences droites et sensées s'y soient laissé tromper. Il y a, en effet, dans l'effort nécessaire à l'exer- cice de la raillerie, un mouvement qui la porte invinciblement à côté de la vérité. Le railleur, obligé comme il l'est de rétrécir la portée de sa vue, afin d'augmenter, pour ainsi dire, l'acuité de son regard, ne peut voir qu'un point très- particulier, presque toujours exceptionnel dans et la Politique bourgeoise. xj un homme ou dans un événement. Encore parlons-nous ici des railleurs de génie, des rail- leurs de bonne foi , et ils sont rares à côté de ceux qui spéculent sur le mensonge et le scan- raillent par amour la méchanceté, dale , qui de et subissent les entraînemens d'un esprit har- gneux, envieux ou borné. Vis-à-vis de la vérité , la position des écrivains protestans est moins bonne encore. Leur qualité de rebelles, leur état d'agresseurs contre tout ce qui étoit alors vénérable et sacré , leurs atta- ques contre la patrie , contre la religion mater- nelle , contre le gouvernement dans lequel leurs pères avoient trouvé leur honneur et leur gloire, ces effroyables guerres civiles dont ils étoient les instigateurs, tout les obligeoit, pour éviter l'in- famie, d'exagérer les défauts de ce qu'ils atta- quoient, d'en inventer au besoin , de changer les défauts en crimes, et les vices en monstruosités. C'étoit là une nécessité pour les meilleurs d'entre eux , pour ceux qui n'étoient ni fanatiques outrés ni dirigés par le libertinage, la politique, l'am- bition ou l'amour insensé de la nouveauté. Quant à ces derniers ,• nous savons qu'ils calomnioient de parti pris et par habileté diplomatique. La dictature de Calvin , le traité de Bèze ( de Hœre- ticis à civili magistratu puniendis ) , les lettres de Luther, sa conduite vis-à-vis des paysans vaincus, la tyrannie à la fois pateline et impla- cable des prédicans dans les villes françoises tombées en leur pouvoir, la vie de Hutten et de Henri VIII , enfin les actes ou les théories de presque tous les chefs, nous montrent ce qu'ils entendoient par ces mots de tolérance, de li- XÎj G R I N G R E berté , de charité, de vertu, dont ils ont leurré les historiens de ce temps-ci. Il est donc nécessaire de ne pas accepter aveu- glément des idées puisées à de pareilles sources, et de se tenir en garde contre une philosophie historique qui se distingue par un sens critique aussi complaisant ou aussi na'if. Ce sont de telles considérations , nous voulons dire la défiance que nous inspirent les historiens de notre époque et la pénurie de Mémoires au xvi e siècle , qui nous ont amené à accorder la plus minutieuse attention aux œuvres politiques de Gringore. Notre poète, d'ailleurs, tout obscur qu'il est resté , a joué un rôle important et exercé une notable influence au milieu de la société françoise pendant les vingt premières années de e ce xvi siècle. Il peut être regardé comme un re- présentant intelligent de la bourgeoisie moyenne et libérale de Paris à cette époque, comme un écho de ses pensées, comme un des directeurs de ses idées politiques. Cette influence est restée inaper- çue jusqu'ici; cette bourgeoisie elle-même ne prit une part bien active aux événemens qu'à la fin du siècle, sous la Ligue. Chacun sait comment elle vint hardiment en aide au Catholicisme et à la Royauté , comment elle resta un instant maî- tresse des destinées de la France , et il nous a semblé curieux de constater avec quels préjugés, quels instincts, quelles idées, elle alloit se trouver en face de la Réforme, qu'elle devoit plus tard si courageusement combattre.