La poésie dislipée cIana Notre-DIunc de Puis 1462
par
Andr~ Trotticr
Mémoire présenté à la Faeult6 des Études np6ricurcs ct de la R.echerche pour l'obtention du diplôme de maltrisc CM.A.)
Département de Lanauc ct Littérature Crançaisca UJÜYcni~ MçGill, MODtRal
septembre 1990
() And~ Trottier, 1990 t Je tiens à remercier deux de mes professeurs : monsieur Pierre Nepveu, de l'Université de Montréal, pour m'avoir bien aimablement autorisé à utiliser un extrait inédit en français d'un de ses textes critiques, et monsieur Jean-Claude Morisot, de McGill, pour sa lecture des plus attentives des différentes étapes de ce mémoire. ,
Netre-Dame de Paris 1482, de Victor Hugo, est une oeuvre
qui réunit plusieurs genres le roman à travers l 'essa~
histurique, le théâtre, la poésle. Cette poésle essent~elle ment populaire donne pourtant tous les signes de la maladresse (pensons à la pièce de Gringolre ou aux «vers» de Quaslmodo),
de la triv~alité (les grlvoiserles des coquins, les chansons à boire de Jehan Frollo), de l'analphabétlsme (condition d'Esmeralda et de Quasimodo, du «peuple»), du profane, voire de la profanation (l'hérésie, l'anticlérlcal1sme du roman). On peut donc noter que la poésip, dans Notre-Dame de Paris, se trouve ainsi disséminée ou dispersée (dissipée) en une série de sous-textes qui viendront perturber les normes de la «bonne» littérature. Cette désorganisation du poétique est le sujet de la présente étude.
Une première partie de ce mémoire sera consacrée à l'examen de quelques caractéristiques de l'écriture de Hugo sa tendance à échapper aux classifications, de même que certains de ses traits ou motifs esthétiques tels que le grotesque et la démesure. Une seconde sectlon serVlra à une anal yse de di fférents aspects de 1 a moral i t é de Gr i ngoi re, des
chansons de Jehan et d'Esmeralda, du poèml~-fragment de Quasimodo - ces aspects étant étudiés en fonction de l'élément du lieu/non-lieu et de la thématlque du volatil.
Cette recherche tendra à mettr:e l'accent sur le texte hugolien lui-même; l'anarchie qui le caractérise, mais aussi, et peut-être surtout, la liberté de son expression. ABSTRACT
Not re-Dame de Paris 1482, bl' Victor Ilugo, 1S a work which collects many genres : the novel as well as the hlstorical
essay, theatre, poetry. Th~s poetry - which essentially 1S of. popul ar trend - however gi ves aIl signs of cl umSlness (1 et us th1nk of Gr1ngoire's play or of Quaslmodo's "verses"), of
vu l garl t y (the 1 anguage used bl' the rogues, Jehan Fro l ] 0' 5
drinking sangs), of analphabetlsm (a cond~tion shared by Esmeralda, Quasimodo, and "le peuple"), of the secular. even more of the profane (the heresy and anticlericalism present in
the novel). It 1S therefore possibl e to notice that the poeLry of Notre-Dame de Paris is scattered (dissipated) intn
a number of under-texts wh~ch appear ta perturb the rules of
"good" literature. 'r'his d~sorganization of th~ poetic is the subjeet of the present st udy.
A first part of this thesis examines a few charaeteristics of the writing of Hugo its tendeney toward a certain de.::lassiflcation, as weIl as sorne of its rnost important aestheti cs, such as the grotesque and the excessiveness. A second section i5 an anall'sis of different aspects of Gr ingoi re' s mora 1 ity, songs of Jehan and Esmeral da, Quasimodo' s "poem" - these aspects being studied through the elernent of locality and the theme of the volatile.
Thi s research wi Il tend to emphasi ze on Hugo' s text i tsel f; i ts anarchy, but then also - and perhaps mostly - the freedom of its expression.
1 1 NTRODLJCT 1 ON
Le mystère que présente le poète Pierre Gringolre, au
tout début de Notre-Dame de Par~s 1482, et dont la fonction
première est qu'l.l ouvre l'hl.stoire, devient vite le heu
d'une dissipation collective. L'espace, au départ occupé par
la présentatl.on d'un texte drafllatique, se transfot'"me peu à peu
~n une autre scène où le peup 1 e pour ra en f l. n 1 al. sser Il bre
cours à des pulsions profondes qUl, le plus souvent, doivent
demeurer confinées à un ghetto à la fOlS physique et
tributaire du hiérarchique, Cour des M1racles et de III cité et
de l'âme humaine. Nouvell e Justice pour tous, on y va de ses
cris, de ses moquerles, de ses Imprécatl.ons et de ses
calembours dans une langue aUSS1 orgIaque et. subverSIve que le
sont ces saturnales elles-mêmes. Généroslté ou excès, court-
circuitage et destrurtion des valeurs, la dl.SSlpation est un
des nombreux aspects mui tiforInes des thèmes, manières, et
motifs de la production hugolienne.
Dans le titre de ce travail, le mot dissipé, pris en tant
que participe passé, renvoie à l'idée de disperser, de «faire
1 disparaître», ou encore, de «faire cesser». ' On peut
égal ement y voi rIe sen~ rel a tif à tout l'aspect économIque
d'«anéantlr en dépensant».2 Sur le plan synonym1que, Bénac
relève l'expression «SI;: dissiper», c'est-à-dire l'idée de
«disparaî tre en se dispersant ou en se consumant», ou encore,
de «détruire ou faire disparaître en dispersant violemment: 1 - 1 - •
1 Amas de poussière que le vemt a emporté ou dissipé {Bourdaloue)>>.3 Enfin, au niveau de ~'étymologie (cf. latin
dis~ipare), on r-elève au XIIIe sièclti! dans la Bible le sens
4 d J «anéanti r en dlspersant» . On :5e référera donc à ces
dernières descrlptions. su~ le pla~ phllologique, quant aux
différents sens et emplols du terme dissipé, pour tout
1 • aspect des rapports de l' écri ture· hugol ienne aux dimensions
de brlsure, d' éc 1 atement 1 de fragmenta t i on dans la poésie
éparsp. de Notre-Dame de Paris 14H2.
La poésle «dissipée» sera égal ement trai tée au sens
généralement donné à l'adjectif, dénotant l'idée d'une
~ dispersion «par dll utl on, par éparpi Il ement», J mais aussi, de
t urbul ence ou de ce «qui n r est pas doci le». 6 En ef fet on
remarquera au n1 veau des per sannages (et de leur paraI e)
quelques cléments turbulents q,li viennent troubler le
quotidlen déjà passabl ement agité de ce Paris du Moyen-Âge
fl nissant : Pierre Gringolre Ile bohème faméllque et distrai t;
Jehan Frollo, le Jeune frère indiscipliné et alcoolique de
l'archidlacre; dom Claude Frello, aliéné, voyeur r obsédé, et
alchimiste; Esmeralda, la ~so~cière~; Quasimodo, qui enfreint
l'ordre et la loi publics et quj profane les symboles de
] '~glise.
Notons finalement que sur le plan des sens nouveaux que
l'on prête depuis quelques années à l'idée même de
dissipation, des chercheurs comme Prigogine et stengers, qui
ont oeuvré dans le domaine de la physico-r.himie, se sont
- 2 - penchés sur la question de la «structure dissIPatlve»,1 sur
laquelle nous revie~1drons un peu plus loin afin d'élaborer
quelques proposltions face aux aspects de complexif1cation et
de dégradation du texte, dans un contexte ayant traIt à
l'histoire et aux lIttératures.
Cette étude faite à partIr du corpus central Notrp-Dame
de Paris 1482 aura un double but: faire ressortlr l'aspect à
la fois synthétique et multldlmensionnel de l'écriture
hugollenne, et faire ressortIr la complexlté de la représen-
tat i on poétlque dans 1 e roman de Hugo. Ces éléments de
recherche seront examlnés sous le double aspect du texte et
d'une symbolique unIverselle que l'on peut relever partout
dans les ~hématiques de Hugo (le corps - la matIère - l'espace
- le phantasme), soil autant sut" le plan de la forme ou du
genre qu'au nI veau de fIgures, * de rôles, de types ou
d'archétypes.
t . «FIgures» A. Selon le sens qUl nous est donné par l'étymologle latlne et qUl t-enVOle à la notlon de VISIble corporel extérIeur et à une représe11tatlon matérud le ou pl astlque. B. Selon le !:;ens qUl est dt trlbué par la rhétorl.que tradltlonnelle, 1. e. Iln fragment d'énoncé qUI échappe â une f oncti on codée. C. Selon la déflIllt10Tl qUé donne la sémlotlque récente dans ses modèles d'analyse comme ceux d'A ..J. GreImas, 1. e. des «un] tés de con tenu qUI s erven t à quallfler les rôles actantlpls et les fonctlor..s qu'lis rempll.ssent». (cf. Groupes d' Ent r evernps, Ana 1 yse s émi nt i que des textes, Presse::; Unlversltal.reS de • Lyon, 1985, p. 89) .
- 3 - 1 Une certalne dispersion de ce qu' Hugo nonune dans le ti tre d'un poème 1 a «fonct 1\.... n du poète» r se remarque au nl veau de
lieux textuels d'abord (le roman, les genr.es qlu s'y côtoIent,
les manifestations langagières à résonnance poétique que l'on
retrouve souvent dans la prose d'Hugo), de lIeux physiques,
U matériels ou corporal ~sés souvent pd vll égiés par l' auteur
(soit la rue, la place publlque, les foules) et enfin, dans
certaines personnlflcations très partlculières (le gueux-
poète, l'acteur-poète). Li eux «communs», 1 e poét i que et 1 e
lyrique qui sont caractérlstiques du style hugollen ont
souvent inCIté la critlque â dire - et ce depuis la parution
des toutes premlères oeuvres du poète - que cet te écri t ure
pouvait ~tre invraisemblable, anachronique, caricaturale, que
Hugo était «lndifférent à la vérité de fait», g1...l'll était
«forcé), ,.... faux», «égoïste», «Hugolste», ou qu' il étai t même
«Bossu! avec la boss~ en dedans».8 Or 11 s'aglt précisément
de se pencher sur le sujet du poétIque en tant que dysfonction
dans le roman hugolien et, sans tenter de réfuter ou
d'inflrmer les nombreuses crltlques, de les utiliser en tant
que sig!1allsations d'ordre esthétique ou thématIque pour
l'étude du texte.
Li re H:lgo à 1 a 1 umière de textes cri tiques qui, depuis
les vingt-cinq dernières années surtout, sont venus apporter
t Premier poème du recuei 1 Les Rayons et 1 es Ombres (1840). (O.P., l, p. 1023).
tt Comme dans 1 a pi èce Cromwell, 1 e roman L'Homme qui ri t, ou le texte critique William Shakespeare. - 4 - 1 une vislon très neuve sur un sujet aUSSI controvelsé, implIque automatiquement un décuplement de données déJà fort nombreuses
si l'on se réfère à tout l'engemble de l'appareIl des études
hugol i ennes. Nous avons donc opté pOUl une étude de détaIl,
pour le partIculler plutôt que pour le gén~ral. Tout en
tâchant de restrelndre notre sujet à un corpus blen déllmité,
l'aspect comparatlf entre certalnes données nous aura tout de
même entraîné dans des développements encore là assez vastes.
Le caractère hybn de du sUJet de notre recherche pout ral t
exiger des outll s méthodo 1 oglques a USSl dl versi fiés et muttes
que l'orientation multlple suggérée par la problematlque elle-
même, soit cette disslpation du poétlque dans Notre-Dame de
Paris. En effet, une singullère et unlque méthode (pour
utiliser de façon antlnomlque l'expreSSIon de «plurIels»
perspectifs si chêre au critlque Roland Barthes)* ne sauraIt
être, dans le cas présent, prlviléglée. AUSSl aurons -nous
recours à la Poétique, qUl se veut à la fois «art» et
«sci ence» de 1 a poési e (depu 1. sAri s t ote Jusqu'a ux concept s
plus récents proposés par les formallstes russes et la
«nouvelle» critique contemporaIne), et qUl offre par le fait
même de très \Tas tes perspect 1 \Tes. Le ptésent mémOIre se
voudra essen tl e Il emen t consacré à des questlon:3
découleront des aspects artlstlque et sClentlfique de la
t L'idée de «plurIels» de sens ou d'ouvertures du texte est s.:. souvent utillsée chez Barthes que 1 ton ne sauraIt suggérer un t i t re en partI cu Il er . Que l ques ou'! rages, dont S/Z, Le PlaIsir du texte, Crltlque et Vérlté, évoquE'nt cette 1 notion. - 5 - •
poéSle di vers if iée de Notre-Dame, soit aux éléments
d'esthétique et de fonctlonnement du texte (tant sur le plan
théma tique que «formel» 1 c'est -à -dl re 1 exique, rhét onque,
styl~stlque). Sur le plan synchronl.que, l'analyse de quelques
éléments particullers du texte Notre-Dame de Paris (l'avant
texte, la mor311té, les chansons, le poème-fragment)
constituera la partle centrale. Sur le plan plus spécifIque
ment dlachronlque, l'influence de facteurs intertextuels à
travers dl. fférentes époques ou dl. f férents corpus (Moyen-Âge,
XIXe siècle; données comparées dans les oeuvres de Hugo ou
d'autres écrival.ns) servira de cadre pour l'étude. Tout en
ayant SOln de por.ter attention aux dynamiques internes du
texte, nous voudrions toutefois préciser que nous nous
servirons des outils offerts par la Poétlque sans pour autant
négliger la dimension interprétative, «l'opposition encore
trop souvent maintenue ent re ana 1 yse textuell e et approche
herméneutique»9 ne faisant pas ici obstacle quant à une
méthode souhaitée.
«Toute ét ude sér:t euse des romans de Hugo doit nécessai re
ment dépasser 1 eur contexte immédiat et chercher, notamment
dans l'ensemble de sa poésie, des illustrations et un
commental re lntertextuels» affirme Victor Brombert, e spécial~ste du xrx siècle. IO Nous entendons par
«intertextualité» le sens généralement comprlS, c'est-à-dire
des relations qu'entretiendraient des textes tant à un niveau
explicite (citaUon, plagiat, pastiche, réécriture) qu'à un 1 - 6 -
, c.. 1 niveau implicite (nécessltant un plus grand investissement dans le travail de 1 ectt:re, comme l'interprétation,
l'élaboration de paradigmes ou de divers paralléllsmes
structuraux) . Cependant, not re démarche voudra l t aussi
s'apparenter à ce Il e proposée par Ma rc El gel di ngel qui
signale que pour lui, «toute insertion d'un langage culturel
dans le texte li t térai re peut devenl r
d'intertextualité», le projet de M. Eigeldinger étant «de ne
pas délimiter la notion d'intertextua11té à ]:1 seule
littérature»ll de même qu'à cell e du théori ci en Tz vetan
Todorov, qui di t «qu' i 1 n' y a pas un abîme entre la
littérature et ce qui n'est pas elle, [ ... ] les genres
littél.:"aires trouv[a]nt leur origine, tout slmplement, dans le
discours humain. »12
Différentes observations viendront augmenter notre projet
de recherche. Des questions relatives à l'écrlture et à
l 'architect.ure feront ainsi l'objet de certaines intelventions
dans le cas de l'utilisation d'un commun dénominateur tel que
le graffiti, qui apparait dès les premières lignes de Notre-
Dame de Paris.
En abordant même à t raver sie roman 1 e damai ne de 1 a
poésie hugolienne, on ne saurait ne pas ment tonner certaines
références, devenues prntiquement lncontournables, pour
l'étude de cet te part de 1 a product i on de Hugo : ains l,la
somme que représentent les recherches de Jean-Bertrand
Barrère; les études thématlques de .Jean Gaudon, de même que 1 - 7 - 1 l'importante bibl i ographi e qu' il a su cons ti tuer dans son ouvrage Le Temps de la Contemplation et qui pourra être d'une
aide précieuse pour quiconque désire s'initier à la critique
de Victor Hugo; les trav~ux de Pierre Albouy; les analyses
stylistiques-sémiotiques de Michael Riffaterre; les ouvrages
sur 1 a poétique hugol ienne d' Henri Meschonnic et d'Al fred
Glauser. Les travaux de Anne Ubersfeld entre autres 1 et
quoiqu' ils' agisse d'une spécial iste du théât re de Hugo 1
furent particulièrement instructifs sur certains aspects de la
réception du texte hugolien. Bien qu'une liste exhaustive des
références cri tiques pertinentes soit pratiquement irnpossibl e
â dresser ici, mentionnoils, tina l ement, que nous nous
référerons tout au long de cet exercice aux observations
d'ordre génétique de l' édi tion de Notre-Dame de Paris 1482
établie par Jacques Seebacher pour la collection de la
Pléiade.
Plusieurs observateurs ont noté à différentes reprises
des aspects de poétici té dans 1 a prose de Hugo. Bernard
Dupriez (dans son Gradus dictionnaire des procédés
littéraires) cite Martin et apporte l 'exerni'l e de
1 v hornéotél eute en se servant d'une prose de Hugo où se
trouvent introduites des assonances
Martin (les Symétries du français littéraire, p. 67) a montré qu'on pourrai t disposer en vers certaines phrases de Hugo dans Notre-Dame de Paris.
- 8 - «Seulement ici / cette tour était la flèche 1 la plus hardie 1 la pl us ouvrée / la plus menuisée 1 la plus déchiquetée / qu'ait jamais laissé voir le cief 1 à travers son cône de dentelle.» 3
Bien que nous voyions dans ce dernier exemple certains traits
particul iers du texte qui, une fois dégagés et iso 1 és ,
viennent confirmer notre propre orientation de recherche
(déceler du poétique dans une prose), nous tenons à préciser
que notre travail aura une approche quelque peu différente, la
notion même de «poésie» ou de «poème» ne pouvant uniquement se
résumer, pour nous, à une écriture d'abord, et à une écriture
rimée, de surcroît. C'est ainsi que nous nous attarderons à
1 a dimension oral e du texte de Hugo 1 a pièce en vers de
Gringoi re, qui est di te par des acteurs; les chansons
gauloises de Jehan de même que les baIl ades en espagnol
d'Esmeralda; le poème que déclame Quasimodo, qui, comme lui,
ne rime pas avec les règles généralement souhai tées
d'équilibre et de symétrie; ou la narration, quelque peu
ambigüe, qui pourrait passer pour celle d'un conte.
La «dissipation» n'est pas que formelle dans Notre-Dame
de Paris; elle est également un thème important. Tout comme
on él ève des barri cades dans le Paris de Jui Il et 1830, on
assaille la Cathédrale avec un bélier et des pierres dans
celui de 1482. C'est la métaphore socio-politlque bien
connue. Ce sur quoi l'on s'est beaucoup moins arrêté,
toutefois, c'est sur l'humour, trop souvent évacué dans les
études faites sur Hugo, et heureusement soul igné par Henri
- 9 - 1 Gui Il emin14 dans une pl aquet tt! que l'on aura certainement moins remarquée que l' Hugol iade d'un Ionesco .15 Il nous a donc semblé intéressant de nous pencher sur cette dimension quelque peu négligée de la production hugolienne. Dans Notre-Dame de Paris 1482, Hugo entraîne son lecteur dans une odyssée - celle de Gringoire - qui le projette dans la vie et le tumulte du Paris de l'argot et de la Sorbonne, bassin de langages et de textes qui se multiplieront au rythme effervescent des presses et des révolutions, la parole du poète rebelle (depuis Villon jusqu'à Genet) prenant de plus en plus de place dans la culture d'expression française, - direc tions qui, chez Hugo, laisseraient soupçonner autant de
matière à réflexion que cette écriture, bien qu'encore insaisissable, semble contenir de possibles dans l'expression poétique.
1 - 10 - , ~f.
1 1. Le Petit Larousse illustré, 1990, p. 331. 2. Goelzer, H., Dictionnaire français-latin, Paris, Garnier Flammarion, 1970 (1966), p. 209. 3. Bénac, H., Dictionnaire des synonymes, Paris, Hachette, 1982, p. 266.
4. Dauzat, A., Nouveau dictionnaire étymologique et historique, Paris, «Références» Larousse, 1971, p. 239.
5. Le Petit Larousse illustré, 1990, op. cit. 6. Le Petit Larousse illustré, 1977, p. 325.
7. Prigogine, 1., et stengers, 1., La Nouvelle Alliance, Paris, Gallimard, 1979. 8. Karst-Mataush, R., in : Heitman, K., «Actualité de Victor Hugo?», Lectures de Hugo - Colloque de Heidel berg, Paris, A.-G. Bizet, 1986, p. 149; et Milhaud, G., «De l'histoire au roman», Europe, n° 394-395 (février-mars 1962), p. 110. Les propos sont ceux d'un contemporain de Hugo, Heinrich (Henri) Heine.
9. Collot, M., et Mathieu, J. -Co [et al], Espace et poes~e, Paris, Presses de l'~cole Normale Supérieure, 1987, p. 9. 10. Brombert, V., Victor Hugo et le roman visionnaire, Paris, PUF, 1985, p. 10. 11. Eigeldinger, M., Mythologie et intertextualité, Genève, ~ditions Slatkine, 1987, pp. 14-15. 12. Todorov, T., Les Genres du discours, Paris, Seuil, 1978 p. 60.
13. Dupriez, B. ,Gradus dictionnaire des procédés littéraires, Paris, Union générale d'édition, «10/18», 1984, pp. 232-233. 14. Guillemin, H., L'Humour de Victor Hugo, Neuchatel, La Baconnière, 1951. , 15. Ionesco, E., Hugoliade, Paris, Gallimard «NRF», 1982 f (1935-1936) .
J - Il - INDICATIONS ET ABR~VIATIONS
Pour la présente recherche, l'édition du texte étudié sera: Notre-Dame de Paris l482 / Les Travailleurs de la mer, (1831 et 1866), textes établis, présentés et annotés par Jacques Seebacher et Yves Gohin, Paris, Gallimard, «Bibliothèque de la Pléiade», 1975, 1750 pages.
Cette édition servira pour sa documentation génétique (détails sur 1e manuscri t, notes, variantes) de même que sur 1 e pl an du commentaire suivi de J. Seebacher. On voudra bien se référer à cette édition chaque fois qu'il y aura la seule mention de «page» : (p. __ ). Pour 1 es notices campI ètes des autres oeuvres de Hugo citées, voir la bibliographie en fin de ce mémoire.
C. V. Choses vues, vol. 1, 1830-1846 (Gallimard, «Folio») H.Q.R., 1 (et/ou) II L'Homme qui rit, vol.t; II (Garnier-Flammarion) L.& P., 1 (et/ou) II Littérature et philosophie mêlées, vol. 1; II (Klincksiek) His. Les Misérables, vol. 1 (Garnier-Flammarion) O.P., I (et/ou) II Oeuvres poétiques complètes, vol.I; II (coll. de la Pléiade) T.C., 1 (et/ou) II Théâtre complet, vol.I; II (coll. de la Pléiade) W.S. William Shakespeare ( FI amma r ion)
1 - 12 - PREMIERE PARTIE
UNE POËTIQUE DE LA DISSIPATION •
HUGO ET LA DËCLASSIFICATION : ËLËMENTS D"UN AVANT-TEXTE
Notre-Dame de Paris 1482 recèle encore bien des mystires.
Une atmosphère d'énigme lmprègne ce texte, pourtant des plus
connus, et de tous les publics en~ore.
Bl.en que 1 es princl.paux personnages soient devf>nus des
ponci fs à la faveur, surtout, des très nombreuses
représentatl.ons qu'en ont donné la scène,l le cinéma,2 ou la
télévisl.on -, il n'en reste pas moins que la question posée
par Aragon (Aragon, 1952) demeure tout à fait pertinente
aujourd'hul : sans doute sommes-nous trop peu familiers avec
1 es aspects de 1 a 1 ecture, donc de l' écri t ure du cél èbre texte
de 1831, qUl peuvent certainement offrir les pistes les plus
sûres pour toute entreprise de décryptage. 3
Alnsi, 11 est question dans la Note ajoutée à l'édition définitive dl? 1832 des éventuels «lecteurs» qui auraient pu se
1. Le livret d'opéra La Esmeralda (1836; voir: T. C. II, pp. 681-754); ou la comédie en un acte Gringoire (1866) de Théodore de Banville, par exemple.
2. Le cri tique Edgar Mass rel ève l'existence d'au moins hui t versi ons clnématographiques de Notre-Dame de Paris (Mass, 1986, pp. 129-138).
KI aus Hei tmann a ainsi parl é de l'accueil fait à Notre-Dame de ParlS en Allemagne: «Encore est-ce plutôt par les versions filmées que par le livre lui-même que ce roman célèbre a atteint un large public de ce côté du Rhin. Je présume que ceux qui ont vu et aimé Der G16ckener von Notre Dame 19norent en grande pa rtie le nom de l'auteur de ce roman.» (Heitmann, 1986, p. 139).
- 14 - r
plaire (à démêler sous le roman autre choRe que le roman». Il
est aussi fait mention dans le même passage de la possibilité
de trouver «une pensée d'esthétIque et de philosophie cachée
dans le livre» (p. 6). On peut interpréter cet avant-propos
comme une invitation au lecteur qUI aura déjà franchi, en tout
premier lieu, cet obscur vestibul e que représente 1 a page
initiale de Notre-Dame de Paris: «Il y a quelques années ... »
(p. 3). Jacques Seebachet·, dans ses No t es et var l an tes de
l'édition ici sélectionnée du texte étudié. souligne bien le
caractère éqUIvoque de la forme de ce court segment, faisant
remarquer «comment cIl e évol ue de l ' i ncert 1 t ude (je ne sais ...
ou, etc.) à l'évanoulssement~ (p, 1093) : «l'égLIse elle-même
s'effacera bIentôt peut-être de la terre) (p. 4).
Les Choses vues en février 1831 (C.V., pp. 125-126) sont
les mêmes que celles-cj, malS décrItes dans un st y] e encor~
pl us dévastateur et ironique - «quelque jour on délrui ra
Notre-Dame pour agrandir 1 e parVIS» -. pl us apocal yptique :
«quelque jour on rasera Paris pour agrandIr la plaine des
Sablons». Démesure à la fOlS dans l'anéantissement et dans
l'anti-cipation (dans l'étymologie prendre). dans le propos et
le topos, mots (signifiants) et sens (slgnlflés) se retrouvent
autant dans les vestiges épars des (dé)constructlons de
l'Homme que dans les fIgures métaphoriques:
Alignement, nIvellement, grands mots.
grands prIncipes 1 pour lesquels on démolit tous les édIfices, au propre el au figuré, ceux de l'ordre intellectuel comme ceux de l'ordre matérIel, dans la 1 société comme dans la cité. (C. V .• IbId.) - 15 - 1 Première «stigmate» d'un livre qui ne se veut que «fragile souvenir», l'introduction à Notre-Dame de Paris
marque 1 es prémisses d'une entreprise qui procédera «du dedans
comme du dehors» (p. 3), «série d'affirmations de l'Âme»
(H.Q.R. II, p. 398), d'oeuvres (de chair ou de pierre) qui
feront corps avec la matière textuelle elle-même: «le verbe
était enfermé dans l'édifice, mais son image était sur son
enveloppe comme la figure humaine sur le cercueil d'une momie»
(p. 176).
L'avant-texte de Notre-Dame contenant atomiquementl
l'oeuvre à venir, différents éléments méritent ici un examen
plus approfondi 1 a paroI e du narrateur, qui soul ève un
déploiement de genres; le graffiti, ou dissipation du signe.
UNE !NONCIATION LYRIQUE
La narration, comme pour ce qui est du récit français ou
du journal intime en tant que genres, s'apparente dès les
premiè~es lignes de Notre-Dame à la forme de la littérature
dite personnelle: «en f~retant dans Notre-Dame, l'auteur de
ce 1 ivre trouva ce mot gravé à 1 a main sur 1 e mur». On
constate immédiatement le relais narratif à la troisième
personne, qui donne lieu à une certaine distanciation du sujet
par rapport à lui -même avec le dédoubl ement de l'instance
1 Pour reprendre 1 e mot de Yves Gohin (Gahin , 1985, 1 p.19). - 16 -
- narratIve je/il, sImultanéité du illoi et de l'autre. Bien que parler de soi à la trOISIème personne n'aIt riE>n d'inusité, en
1830, dans un roman la tendance à une stratification dans la narration e5t toutefois révélatrice du
véritable décuplement d'énoncIations qu'offrira au fur et à
mesure de ses chapitres le texte Notre-Dame de Paris, phénomène qUI n'Ira qu'en s'amplifIant avec la multItude de
figurants, d'intrigues, d'intervenants :.lU l' le plan de
l 'hlstoire, en partant de la Sachett~, délIrante dans le fond
de son caveau, Jusqu'à un LOUIS XI qUI 1 ance ses ordres du
haut de son pouvoIr (< peuple» p. 452), «tour de Babel» (p. 81) d'o~ s'élèvera peu à peu une clameur, «hurlement prodIgIeux où se mêl[eront] toutes les langues, tous les patOIS, tous les accents» (p. 423). Dans une perspective pragmatIque et suivant la terminologie du théoricien Gérard Genette lorsqu'li se réfère à la notion d'instance narrative, le lecteur serait ici en présence d'une espèce de croisement de narrateurs de types homo et hétérodiégétiques, polyphoniquement reUDIS pour l ' occasi on en une seul e «personne» (Genet te, 1972, pp. 251- 252). Le texte, en un tel cas, n'en devient que plus ambIgu, ._------La tournure n'est guère nouvelle. DéJà, dans La Princesse de Clèves (1678), l'avant-texte «Le LIbraIre au Lecteur» joue sur les genres: ainSI, en plus de l'amblgulté narratologique Je/il, «l'Auteur» cache Madame de La Fayette. Pour ce qUI es t de cet te époque 1830 -1840, Ba 1 zac s'es t ha aussi servi de la formule dans ses textes, notamment au tout début de Pierrette, premier volet des CélJbatalres (cf. 1 paragraphe de la dédicace à Anna de Hanska). - 17 - 1 , puisque doublé, et ce dès la mise en place (ou mise en seine) du sujet parlant. Ce narrateur se signalera d'ailleurs tout au long de Notre-Dame à son lecteur par de fréquentes interventl0ns, de nature phatique, qui auront pour effet de malntenlr sa présence en marge de l'hlstoire. On peut donc VOlr que le travail de lecture se heurte dès les premières 1ignes à des parti cul ari tés d'ordre amphi bol ogique dans Notre- Dame de ParlS. Dans une préface pour un ouvrage de la théoricienne Kate Hamburger, Gérard Genet te soul ève égal ement l'aspect d'une hypothétique véraclté du discours se donnant comme point de vue subjectif, dans ce qu'il appelle le récit/narration Le récit à la première personne ne relève donc pas pour elle (R. Hamburger) de la fiction, mais de la feintise, c'est-à• dire d'une simulation, en quelque sorte apocryphe, d'autoblographie authentique. Par l e b i ais de cet tes i mu 1 a t ion, i 1 s'introduit en intrus dans un champ - celui de la flction auquel il n'appartlent pas dans son prlncipe, qui l'apparente plutôt à l'énonciatlon lynque. (Genette in : Hamburger, 1986, p. 12). Intrus fâcheux ou non, le narrateur-auteur de Notre-Dame est une première occaSlon d'éclatement à travers ce «Moi révulsé en un lndiclble On», comme l'écrit J. Seebacher (p. IX). Si la matière de Notre-Dame ne sera que fragmentation, effritement, friabilité, le sujet, tout aussi morcelé, réassemblera cependant les pièces dans l'unité d'un raconter où il sera possible d'«appréhender comme un tout les modalités l narratlves de discours déployées depuis le récit de fiction - 18 - (conte,légende,drame, roman, film) Jusqu'aux formes "empirl- ques", incluant hlstolre, bIographIe et autoblographle">, sui vant une hypothèse théorlque du phi losophe Paul Rl coeur (Ricoeur 1n Tiffeneau, 1980, p. 49). Feintise, donc, de la part de l'«auteur» qUI peut très bien ne JamaIS avoir vu ce lieu/grafflti du drame que dans son imaginatIon; malS aUSSl, slmulatl0n d'oralIté qUl, dans ce contexte, n'est que résldu de la parole du conteur d'antan. Pour le récepteur de cet avant-texte (ou en-deçà de texte, l'oralité, issue de l'Intérieur du corps, ayant chronologiquement prImé sur le geste de l'écrlt qui, par la main, est extenslon), les pistes se séparent: d"me part, un ar'C du re-faire, de l'artificiel,: commence à peine à s'imposer, dans la France de ]830, par une culture de la typographie; d'autre part, la référence à 1482 n'est-elle pas une allu~ion à cette aube d'une ère nouvelle où l'esprIt se VOlt assuJetti à l'lmprlmé qUl, en Europe, part de Gutenberg. Nostalgie d'une culture orale traditlonnelle et perte de lIberté créatrlce - ou fOl en un avenir progressiste par la démocratlsatlon des outlls de la connalssance. Deux moments cruciaux se trouvent aInsi en conJonctIon dan Notre-Dame, qui correspondent aux étapes de l'avènement el du trIomphe de la W. J. Ong, qUl s'est penché sur 1 es prahl èmes de l'oralité et de l'écrit dans des études qui englohalent les deux sujets, ne voit pas dans l'artificiallté de l'écriture quelque chose de régressif, mais plutôt une occaSIon, pour 1 'homme, de transformations intérleures de la conSClence (< 1 , ! culture ecrl.te.' Le médiéviste Paul Zumthor brosse un pot"tt"a~t de l'évolut~on de ces questions, qUl ont mené à 1 'hégémonIe médiatIque de l'Imprlmé au XIXe siècle Jusque vet"s le XIIe, la vacalIté s'oppose aInSI à l'écrIture comme le discours du pOUVOIr à celUI du saVOIr. A partir des XIIe-XIIIe, le rapport s'lnverse à l'écrit le pouvait"; à la voix, la transmission VIve du savoir. Mais au tournant des XVe-XVl e, SInon des xvr e- XVI re, aUCL1n de ces deux faisceaux de forces et de valeurs n'a encore réussi à asserVI r entl èrement l' aut re. (Zumthor 1 1984, pp. 60-61). Cet espace ouvert que r eprésen te le] 482 de Not re-Dame, à tt"avers lequ 43), est d'abord celUI du roman, lui-même forme ouverte (et qui peut aUSSI bi en se donner 1 es aIl ures du conte 1 de l'essai, ou même de l'histOIre), mais également celui d'une transformatIon. Cette transformation - qui pourrait s'appeler renaissance passerait cependant par une étape de diSSIpatIon, comparable à JUIllet 1830, et dont le synonyme serait révolution. Jacques Seebacher procède pour sa part à une interprétatl. on à caractère dissipatif de l'époque décri te dans Notre-Dame : La révolution de Juillet 1830 est marquante en ce qui concerne les revendications pour la liberté de presse. (Voir à ce sujet: Seebacher, 1986, p. 68.) - 20 - ( ... ] Notre-Dame de Paris, qui a pOUl" espèce de sous-titre 1482, met en scène non pas le plein d'une époque, malS cette sorte de tèmps creux qui sépare la fin du Moyen Âge du début de l a RenaIssance; non pas l'oeuvre de Louis XI, malS son déclIn [ ... J; non pas l'élan des bâtisseurs de cathédrales, mais la rUlne de t0ut monument, la fatallté de la destruction par le fer et par le feu, par le graffiti et les incend1es. (p. 1045) L'introductIon de mars 1831 à Notre-Dame de ParIS, par la présence inter-médiaire du narrateur (les média oral et écrIt étant contaminés l'un à l'autre dans l'attItude de conteur mais aUSSI d'«historlen»), recrée sous les yeux du lecteul un Paris de superposi tion, allIage de réall tés et de fletl ons, offrant une sérle de perspectIves qui se mêleront aux nombreux paliers de Notre-Dame comme autant de voies aux voix et l'Histoire à l'histoire qui lui est racontée. ANANKE LA MISE EN ABYME Bien que le dire du narrateur de Notre-Dame soit plutôt de l'ordre de l'écrit, le fait n'en demeure pas mOIns que son discours est marqué par un lmportant élément de la commt;.nication l'autre. Devant le texte, le narrataire- lecteur ressent la même impresslon d'étrangeto§ que celle éprouvée par les v1.si teurs de 1 a tour lorsqu' J l s se trouveront dans les lIeux où Frollo s'adonne à ses mystérleux travaux. Le narrateur lui-même devient cet autre-lecteur lorsqu'Il allègue avoir posé son regard sur le graffItI Anankè. Toute 1 - 21 - l'introduction à Notre-Dame de Paris peut ainsi être 1 ue comme un espace d'énonciation de l'altérité, que l'on retrouvera partout dans 1 e roman avec 1 es recours à 1 a prosopopée 1 1 • archi tecture se trouvant elle-même douée de la faculté de paroI e (écrite) grâce à l' intermédiaire entre texte et 1 i eu physique que représente le graffiti. Un chapitre comme «Ceci tuera cela» (Livre V, II) illustre bien le va-et-vient incessant tout au long de Notre- Dame entre les figures de l'animé et celles de l'inanimé. L'écrit, suivant la double pensée de Claude Frollo et de l'auteur-narra teur (pensée «phj 1 osophi que» «du savant et de l'artiste» p. 175) tuerait l'architecture en la supplantant. Or il ne semble pas innocent que ce point de vue soit partagé par l'archidiacre. Par sa doubl e acti vi té de I et tré et de voyeur, Fr~ll 0 participe essenti ellement de l' activité du regard. «Comme il regarde la peti te danseuse» (p. 242), il côtoie aussi l' écri t,l qui renvoi e au domaine du savoir, de «Ce maître cependant, penché ~nr url vaste manuscrit ... » (p. 266). Dans le chapitre intitulé «Lasciate ogni speranza» (qui se tradui t par : «Laissez toute espérance [vous qui entrez ici]»), livre VIII, chapitre IV, on voit que Frollo fait la rencontre de la Esmeralda dans un moment de dissipatl.on. Il explique à la bohémienne ce q'l'était sa vie avant le jour (fatal) où il la vi t pour la première fois : «[ ... ] je n'avais qu'à ouvrir un livre pour que toutes les impures fUI!'~es de mon cerveau s'évanouissent devant 1 a splendeur de la science. [ ... ] Un jour, j'étais appuyé à la fenêtre de ma ce11 ul e. .. - Quel livre 1 isai s- je donc? Oh! tout cela est un tourbillon dans ma tête. - Je lisais. La fenêtre donnai t SUL une pl ace. J'entends un bruit de tambour et de musique. Fâché d'être ainsi troublé dans ma rêverie, je regarde dans la place. Ce que je vis, il y en avait d'autres que moi qui le voyaient, et pourtant ce n'était pas un - 22 - la connaissance du bien comme du mal. L'effet de duplicité du regard se multiplle dans la mesure où le prêtre est lui-même épl.é par ses conci toyens, qui le soupçonnent de sorcell erie (p. 142), ou encore par son jeune frère qUl., tout comme 1 e personnage de Coicti er, décèlera 1 a fol i e de son aîné (pp. 173 et 268). Les aIl usions concoml. tantes aux sUJets du charnel et du scriptibl e sont mani festes dans Notre-Dame de Paris, La symbiose par 1 aquell e Quasimodo est en conjonction avec Not re- Darne (< obéissante sous sa main» p. 154) n'est pas sans rappel E'r qu' il est d'abord et avant tout le bossu de Notre-Dame, personnage d'un livre, fait d'encre et de papier, et dont l'étroite re 1 ation homo logique avec 1 es gargouill es évoque e Il e-même ce leitmotiv de Notre-Dame, à savoir la filiation entre «texte» architectural et texte écri t. Anankè est accompagné à un certain moment du roman d'un second graffi ti, AyQyE, Q, qui signifie «impureté» (p. 270). c'est dans cette union sacri lège des textes paï ens - les déi tés de pi erre et le propos anticlérical - qu'un appel fuse, s'élevant hors de la matière figée, «la chaire et le manuscrlt, la parole parlée et. la parole écrite, s'alarmant de la parole imprimée» (p, 174), spectacle fait pour des yeux humalns. Là, au milieu du pavé, - il étai t midi, - un grand sol ei l, - une créature dansai t, Une créature si belle que Dieu l'eut préférée à la Vlerge, et l'eût choisie pour sa mère, et eût voulu naître d'elle 51 elle eût existé quand il se fit homme!» (pp. 323-324), - 23 - c'est ainsi que le projet gl oba l de l' Anankè peut être perçu selon deux champs distincts qui seraient forme (le paraître, les surfaces) et fond (l'être, l'intériorité), qui dessineraient eux-mêmes deux sortes d'espace au ni veau de l'avant-texte de Notre-Dame de Paris : un espace physique clos (1 'enfermement thématique), et un espace scriptibl e ouvert (1 'éc 1 atement sémique / sémantique potentiel). Or ces espaces se rejoignent et s'entremêlent précisément dans l'écrit, qui est à la fois thématique et praxis dans Notre-Dame, et qui 1 tout en se faisant réf 1 exion sur son propre sujet, devient aussi manière et motif, se déployant sous le regard du lecteur, venant en quelque sorte se doubler lui-même. D'où le chevauchement, à travers le propos du roman, d'une certaine conception d'un pouvoi r inhérent à l' écri t ,1 et d'une vision pl us fatal i ste, qui révèl el' impuissance de l' écri ture devant le tragique du destin. J. Seebacher a évoqué ces «spécificités irréductibles à une analyse progressiste, optimiste, triomphante» de Notre- Dame de Paris 1482 (Seebacher, 1986, pp. 68-69). L'écrit - et c'est bien le point de vue que partage Claude Frollo -, en tant que symbole de la science et d'une hypothétique supériorité qui domine la langue parlée du peuple, ne pourra s'avérer l ' él émen t saI vateur pttisqu' il sera, comme FraI 1 0, en P. Zumthor a commenté le thème de la fatalité dans Not re-Dame en insistant sur l' espoi r 1 qu' il attribue à son auteur, de ce que l' écri t puisse ressaisi r un passé disparu 1 (Zumthor, 1967, p. ii). - 24 - , ) chute libre dans Notre-Dame, progressant à une v~tesse folle vers un impact fatal dont le choc ne se mesurera qu'en termes d'entropie, d'affaiblissement de son corollaire,l l' orailté, matière qui n'est que dissipation dans le texte, où «tout s'effa[ce] dans la licence commun'!», «chaque bouche éta[nt] un cri» (p. 49). Toute 1 a science du monde est inutll e pour plaire à l' héroïne du roman, Esmeralda à preuve, cet te parodie du discours amoureux tenu par Phoebus, et qUI, bien que stupide et «mensongère», sera victorieuse par rapport à ce que l'on appellerait en analyse sémiotique du récit «l'objet de la quête». Victolre, donc, de la parole, même grotesque, sur l'érudition, mais aussi, victrnre de la matière sur l'esprit; triomphe de la chair, qui se fera VOIX, sur l'intellect, qui se pose ici comme en conflIt avec le corps. Victoire aussi de la dérision sur la respectabilité, du trivial sur le noble. Jacques Seebacher nous a proposé un él arglssement du sens du terme Anankè, commenté par le narrateur comme «lugubre et fata l~" (p. 3), et par le personnage de Frollo comme «FATALIT~» (p. 270), en renvoyant aux «autres sens que donne le dictionnaire, et qui sont tous pertinents au roman» (p. 1093) . . Pour l'ensemble de cette remarque, nous renvoyons aux travaux du chimiste et philosophe Ilya PrigogIne, qUI a développé, en collaboration avec Isabelle stengers, le concept d'une «structure dissipative» en phYSlco-chlmle, «système qUl, loin de son état d'équilibre, évolue spontanément vers un état dont l'entropie est inférIeure à celle de l' état inItIal» (Le Petit Larousse illustré, 1990, p. 331 : V01r à «dIssipatif, 1 ive - adj. 2»; et Prigogine et stengers, 1979). - 25 . En examinant ces nouveaux sens, il devient possibl e, à un niveau synonymique, de voir se dessiner un champ paradigmatique de l' enfermement spatial,> avec le lexique «contrainte», «besoln physique», «nécessité» (Bailly, 1963, p. 118), qui correspond en plusieurs point à cette tour dans laquelle se trouve le narrateur au tout début de Notre-Dame, et où Frollo connaîtra les affres de la souffrance mentale et passionnelle. Cet enfermement, sur le plan de la construction du texte, crée une tension; d'abord à cause de l'élargissement sémantique inhérent à Anankè, ensuite à cause de l'embarras que peut connaître le lecteur face à l'objet Anankè. Pour ce qui est du narrataire, un certain contrat de lecture se trouve rompu : sur le std ct plan 1 inguistique, un terme de grec ancien est difficilement intelligible pour qui n'est pas érudit ou polyglotte, comme le fait ironiquement remarquer le jeune Jehan Frolla (p. 268). Anankè, à prime abord, se refuseral t à laI ect ure 1 objet se refusant au sujet dans un contexte où un sémantisme est en dt oi t d'être attendu du lecteur (un avant-propos, une prose normalement de ton «sérieux», sinon explicite). Le signi fiant, sans signi fi é, n'est plus que résidu de signe voué à la dissipation, à l'évanouissement. Le narrateur va jusqu'à signaler que l'on aurai t «badigeonné ou grat té>.) ce mur qu' il affi rme avoi r «trouvé» (p. 3). Il paraît donc difficile de parler d'«existence» du graffiti Anankè au sens sartrien de témoin 1 - 26 - de. Tout au plus peut-on ici parler de fait de langage, car Anankè-texte semble, sur le plan de sa matérialité, bien loin d'être comme l'arbre que l'on aura aperçu en forêt, ou même 1 e simple dérivé de cet arbre, soit la classique feuille-de pupier-texte qu' il eût ét é possibl e d' iden ti fier, de répertorier, de cl assi fier. Ané\nkè, c' es t le mot qui se dl::,esse comme un mur dans l' espri t du 1 ecteur , l' obstacl e lexical prenant les dimensions d'une constructlon impressionnante. Dans un deuxième temps, ce mur se dissipe, tel un mirage, dans la mesure où l'on salt qu'l\nankè n'est qu'un ersatz de réel, qu'un texte qui parle sur un autre, et encore faut-il le croire sur parole. C'est dans ce sens que le critique Roland Barthes parle du mythe, «que j'appellerai méta-langage, parce qu'il est une langue seconde dans laquelle on parle de la première» (Barthes, 1957, p. 200). Livre sur l' archi tecture, texte en creux, Anankè peut aussi apparaître cornme une évocation des premiers procédés d'écriture, lettres gravées dans la pierre, d'autant plus que cette pierre est celle de l'égllse. Le texte se falsant Verbe, s' install e donc 1 e jeu incontournabl e de l'in ter textual i té 1 pUl.SqU' on ne peut manquer d!? VOl r, dans ce contexte Iles rapports de types homonymIque et archétypa 1 entre texte scriptural et texte scrIpturaIre. La parole du narrateur tout comme la non-présence du mot en tant que signe conventionnell ement foncti onnel donnent libre cours à leurs fantaisies dans l'avant-texte de Notre- 1 - 27 - 1 ·1 Dame, établissant les prolégomènes d'un dire mythique, qui n'est, finalement, qu'une hybridation de réalité historique et de légende. On sait que la toute première édition de Notre-Dame de Paris 1482 présentait un texte non signé. Bien que cette signa t ure n'eût pas encore représenté, pour l'époque, une valeur sûre, elle est pourtant elle-même devenue histoire et légende, cherchant à remplir l'insondable fossé qu'elle avait creusé entre l' hermétisme slngul ier de ses pal impsestes et 1 a générosi té uni versaI iste de son ent reprise. Car 1 a «pensée d'esthétique et de philosophie cachée dans le livre» correspond à celi e de Victor Hugo. UNE PROBLeMATIQUE P01!:TIQUE DU SAVOIR Si Hugo (se) joue de l 'Histoire tel l' él ève désobéissant qui, à travers une partition étrangement modifiée, eût délibérément arraché des fausses notes à son instrument ,1 le rapport au Savoi r, dans Notre-Dame, est tout aussi 1 ibre, voire carrément explosif. Seebacher y verra «une critique de l'entendement h1storique, une satire de 1 a tragédie» (Seebacher, 1975, p. 313); Goethe avait reproché à Notre-Dame son manque de «vérité» (voir: Goethe in : Guyard, 1976, p. 1 J. Seebacher, dans l'édition de la Pléiade de Notre- Dame de Paris, rel ève systématiquement un nombre impression nant d'anachronismes et de déviations dans les citations de 1 Hugo. - 28 - , t' 610); Montalembert devait en voultrir à liugo de son «abondance de pl aisan teries forcées et inutll es» (Montalembert, ibId, p. 608) . Toujours dans la Note du 20 octobre 1832,11 est questlon du «potiel." dont parI e Horace 1 1 eque 1 médi t al t des amphores et produisait des marmites. Currit rota, urceus exit ... » (p. 7), citation au demeurant inexacte (p. 1094) et qui montre bien la dissipation de Hugo, face aux règles de méthode, malgré l'indiscutable érudition. Il semble toutefoIS que c'est plus un certain plaisir à travers cette dlsslpatlon que recherche Hugo que «le système de l'hIstorien» (p. 6). Dans les deux seul s moments où sera évoquÉ' 1 e nom d' Horace dans 1 e roman (pp. 7 et 287) (Horatius, p. 272), c'est la dimension du grotesque qui ressort de façon signifIcative, chose assez étonr.ante pour cet exemp 1 e de vert us cl ass i ques d' équi Il bre et de mesure. Ainsi l '«amphore» se lransformera-t-elle en «cruche» (pp. 7 et 1094) et «la statue du cardinal Pierre Bertrand» subira-t-elle cet «espèce d'affront dont se plaint. si amèrement Priape dans la satire d'Horace Olim truncus eram ficulmus», ce qui signifie que la fIgure du relIgIeux eût été «outrageusement arrosé[e]» (pp. 287 el 1189). Le saVOIr est d'abord subverti au profit de «la jeunesse artIste» et au détriment des «professeurs qUI sont détestables» (p. 7), le contraste s'affadissant entre ces détenteurs pl utât flous de la connai ssance et 1 e rappe 1 fina 1 ement Ineor rect des vers , d'Horace. Dans un deuxième temps 1 e trI vIal et 1 e comique - 29 - l'emportent sur la représentation sérieuse, littéraire et littérale, en plus de la connotation anticléricale assez évidente. Ce n'est que beaucoup pl us tard que 1 e 1 ecteur pourra établir le lien véritable avec Horace. Dans sa longue série d'essais qu'il réunit sous le titre de William Shakespeare (1864), Hugo expl i ci tera un peu plus sur son intérêt pour Horace en même temps qu'il (ré) insistera sur l'importance d'une certaine forme de liberté dans le poétique : «Toutes 1 es révol tes contre 1 a pédanteri e sont 1 à : prosodie disloquée, césure dédaignée, mots coupés en deux; ma1S dans cette licence que de science!» (W. S., p.397). Hugo aime donc Horace pour tout ce qui est, chez 1 ui, de caractère subversi f, pour ses défauts pl utôt que pour ses «quaI i tés». Jean Gaudon, en distinguant deux genres de destinataires 1 chez Hugo,' suppose 1 a possibi 1 i té que 1 t écri vain «proposait une probl éma tique romanesque du savoi r» (Gaudon, 1985 -A, p. 26). Selon le critique, «il y a toujours un arrière plan caché, un sens enfoui» chez Hugo (ibid., p. 27). Plusieurs autres thèses abondent en ce sens cell e bien connue de Michael Riffaterre, qui présuppose la fameuse «sémiosis hugol i enn('» (Riffaterre, entre autres, 1985, pp. 38-55), de même que celle de Victor Srombert Le réal i té prof onde des oeuvres de Hugo ne relève [ ... ] pas d'une [ ... ] harmonie mimétique. D'un roman à l'autre, sa rhétorique semble obéir à des impératifs Ce qu' Hugo fai t 1 ui aussi dans son avant-texte «Mais 1 il est peut-être d'autres lecteurs ... » (p. 6) - 30 - autres que ceux de ses thèmes explicites. 1 Le système des antithèses, le réseau compl exe des oxymorons qui lnvi tent à leur transcendance, les structures métaphoriques avec leur principe inhérent d'inversion et de conversion, un ludisme langagier qui subverti t 1 e 1 angage de toutes 1 es idéologies, 1 e caractère polysémique des descriptions de la nature, les figures d'effacement impliquant l'écriture elle-même - toutes ces caractéristiques et tous ces procédés suggèrent que les structures sous jacentes sont mobiles, voire instables; que les textes de Hugo éludent leur sens premier. (Brombert, 1985-A, p. 227). Non seulement la critique récente a-t-elle été à même de vérifier le double sens émergeant de l'écriture hugolienne, mais peut-elle également contribuer à jeter un éclairage nouveau sur les commentaires fort nombreux ayant été faits sur l'oeuvre de Hugo depuis ses débuts. Spécial iste de Hugo, Anne Ubersfeld résume en ces termes la critique de Désiré Nisard face à une certaine déliquescence dans l'écriture de Hugo: «[les] grands bourgeois sont les adversaires de Hugo de façon radical e. Un homme comme Nisard écri t deux tomes sur 1 es poètes latins de la décadence pour expliquer que Hugo c'est la même chose.» (Ubersfeld in : Heitmann, 1986, p. 150). C'est ainsi que Hugo ne s'en prendrait pas tant aux «classiques» qu'il malmène un peu depuis sa préface de Cromwell - Horace, qu'il affectionne finalement, mais aussi les Aristote, Corneille, ou Vaugelas que, de manière détournée, à quelques-uns de ses contemporains et aux canons esthétiques de son époque, allant jusqu'à extrajre éclectiquement de Nicolas , Bai 1 eau ce superbe «mys tère» qui entoure «1 a règl e de ne point - 31 - 1 garder quelquefois de règles» (T.C. l, p. 453). tmile Faguet, deux ans après l' hommage li v ré aux obsèques du grand poète français par le peuple de Paris, publie les lignes que voici: On s'étonne qu'un homme qui pense si peu fasse penser 1 es choses, que Notre-Dame de Paris, par exemple, soit un roman très insignifiant si on y cherche une peinture vraie et forte des âmes, très vi vant comme caractère et physionomie donnés aux rues,aux places, aux tours, aux pignons et aux pavés, en telle sorte que dans ce poème pittoresque il n'y a guère que les pierres qui vi vent. (Faguet, 1887, pp. 200-201).1 Cette opinion rejoint sensiblement la thèse sémiotique au détriment d'une mimésis sans doute quelque peu «expressionniste» chez Hugo, au sens étymologique du terme ( épreindre extraire l'essence). Marius-François Guyard soul ignera une certaine hési tation chez Hugo quand cel ui -ci doit choisir une forme définitive pour sa Notre-Dame, à sa- voir: celle du roman d'idées, du roman historique, ou, comme l'a proposé Henri Meschonnic (Meschonnic, 1977), celle du 1. t. Faquet, bien que visibl ement excédé de l'abondance des prosopopées de Hugo, touche néanmoins à un point important au niveau de la symbolique. Cette vie de la pierre pourrait bien être signalisatrice d'une filiation avec la légende de Prométhée. Suivant cell e-ci, la pierre aurai t conservé une odeur humaine, remlnl.SCence, donc, d' humani té et de vie. L'association est d'autant pl us tentante que dom Froll 0 serai t une espèce de Prométhée : il s'adonne à l'alchimie, recherche du «secret» qui est 1 e domaine excl usif des dieux (< simpl ement défini r son projet de manière unl voque, Hugo ne peut s'empêcher de pourSUl vre son «entreprlse de subverslon», selon le mot de Michel Collot (Collot, 1985, p.99). Hugo démantèle, sabote constamment le langage lUl-mème dans un effort infatigabl e pour surmonter le mur de 1.' Indlclbl e. D'où le sens éclaté et multiple qu'il accorde à l'hlstoire, qu'il remet toujours en questIon, et qUI ne peut se rédUIre, chez lui, à un genre. [ ... ] je n'ai jamais fai t de drame historique ni de roman historique. Quand je peins l 'histolre, jamais je ne fais faire aux personnages hlstoriques que ce qu'ils ont fait, ou pu faIre, leur caractère étant donné, et je les mêle le moins possi bl e à l' inven ti on proprement di te. Ma manière ~st de peIndre des choses vraIes par des personnages d'invention. Tous mes drames, et tous mes romans qui sont des drames 1 résul tent de cet te façon de VOlr, bonne ou mauvaIse, malS propre à mon esprit. (H.Q.R. II, p. 405).1 Deleatur de sa propre marque, l'écriture hugolienne refuse les cloisonnements, les genres, les «écoles». .Jean- Bertrand Barrère souligne, à ce sujet, que Hugo sembl e avoj r même toujours répugné à se serv i r dlO! l 'ét 1quet te «romantique» : Hugo s'est-il d'ailleurs enfin déclaré tel? Depuis 1826, l'année des Odes et Ballades, jusqu'à 1864, l'année de Il s'agit ici d'un des «Extraits de lettres sur L'Homme qui Rit», soit celle à Lacroix, datée de la première 1 quinzaine de décembre 1868. - 33 - Wi Il iam Shakespeare 1 Hugo n'a au fond de 1 ui -même cessé de se défendre de cet te mobilisation un peu simpliste ... » (Barrère, 1949, p. 154). Hugo échapperait donc aux différentes tentatives de classi fication que l'on aura tenté d'exercer sur ses oeuvres: «Notre-Dame deties classification», comme 1 'a écr~t Patricia A. Ward, (Ward, 1975, p. 46); «Hugo lrréductible à une classiflcatlon» comme l'a dit. Klaus Heitmann (HeitmaI'n, 1986, p.152). Par 1 amuI tip 1 icité des propos i tians, le nombre considérabl e d'interprétations, de ni veaux de sens décel abl es dans l' écri t ure de Hugo, le texte, perdant sa fi xi té, 9 llsse , et échappe à 1 a 1 ecture unique. Chaque certl tude tend à se doubler, chaque élément à se stratifier «érosions et carros ions», écri t Seebacher (p. XI) . Par la duplication des énonciations, le décuplement des dynamiques intra, I-ara, et méta-textuell es, l' éclatement des structures catégoriel 1 es ,.. t de l'uni voci té, l'avant - texte de Not re-Dame de Paris donne tous les signes d'une sémantique fondée sur les multiples corrélations relevant de l'implicite. C'est pourquoi, comme 1!:mile Faguet, mais aussi comme Henr~ Meschonnic ou Jean- Bertrand Barrère t proposerons-nous d'aborder le cél èbre texte de 1831 comme un «roman poétique» (Banère 1 1984, p. 44). - 34 - 1 LES ËCRITURES DU GROTESQUE Tant sur un plan individuel que collectif, il s'agirait, dans le cas de la narration proprement hugolienne, de sous- (en) tendre l'idée même de «présence», comme dans l' dpa r tÉ' au théâtre, par exemple, ou encore comme le soliloque du poète qui, malgré sa «condition» (le fameux «second» degré), à travers les obstacles (l'incommunicabilité, la «fatalité»), espère toujours se faire entendre de «quelqu'un». Espace de «ficti on» ou de «mythe», l 'écritur~ de Hugo pourra être appréhendée selon différents points de vue, entre aut res, celui d'un «présent» dissipé, révolu, et réactualisé pour les nécessités évid~ntes de l'intrigue, et celui d'un futur, où, comme dit Seebacher, «tout le travail reste à faire» (Seebacher in : Heitmann, 1986, p. 144). Le critique Jacques Neefs abonde lui aussi dans ce sens. La «pensée» de Hugo n'est peut-être pas tant dans les énoncés qu'il impose (sur 1 e progrès, 1 a clarté qui sort de l'ombre ... ) [ ... ] que dans ce régime fictionnel qui ouvre une relation nouvelle entre l'intelligibilité et la réalité, entre le monde et la conscience. La force de l'oeuvre est dans !' aveni r phi losophique de ces noti ons de monde, d'horizon, d'être au monde que la fiction hugolienne déjà pose, figuralement, inlassablement [ ... ] (Neefs, 19B5, p. 106) . La thèse ~e Jacques Seebacher, à l'effet que Notre-Dame de Paris sOl t bien «roman de l' histol re et non roman l - 35 . 1 historique, roman méthodique de l'histoire à lire comme texte et non chronique d'une époque déterminée» (p. 1081), est fidèle aux échappatoires d'un Hugo insistant sur le fait «qu'il n'a jamais écrit de roman historique» (Seebacher, 1972, p. 96). Seebacher spécule pl utôt sur 1 a présence du poète dans l'histoire qu'il écrit. [ ... ] c'est moins le nom de l'auteur, la torce de son écriture, son génie ou son mythe qui fait la différence, que la nat.ure elle-même, littéraire, structu rale, sociale, scripturale de la présence de l'auteur dans l'oeuvre, de ce sujet en instance de dérision sinon d'annulation, dont l'évanescence ironique tient ici la pl ace qu'occupe dans 1 e 1 yrisme épique l'évanouissement des Mages. (Seebacher, 1975 , p. 320). Bien que Hugo soit lui-même légende, ou «mythe vivant» comme disait Pierre ~lbouy (Albouy, 1976, p. 276), il ne faudrait pas pour autant oublier de distinguer cette importante composante clê Hon écriture, soit le constant rapport au destinataire. Anne Ubersfeld explique sur ce point qu'il est désormais nécessaire «d'échapper enfin à cette éternelle et naïve recherche d'un moi du scripteur» - ou d'un moi du personnage, ce qui est tout un. C'est que la question posée n'est pas: qui parle, qui est ce je qui parle? mais que dit-il et à qui? (Ubersfeld, 1985-B, p. 13). Hugo se serait-il dépeint sous les traits du malheureux Claude Frollo? Phoebus et Esmeralda représenteraient-ils Sainte- Beuve et Adèle Foucher-Hugo? Comme Anne Ubersfeld, nous ne 1 - 36 - 1 croyons pas qu'il s'agisse là des questions essentielles qui doivent ressortir de la lecture des oeuvres de Hugo. Hugo n'a jamais dit: Jean Val jean, c'est moi. s'il affirme une parenté, ce n'est pas celle du scripteur et du personnage, du crfateur et de sa créature, mais celle qui l'unit au récepteur-lecteur, «insensé qui croi t que je ne suis pas toi ... » (Ubersfeld, ibid., p. 117). Au delà de ce niveau premier qui est celui de l'engagement à sauvegarder les monuments, les valeurs (< Le poème est ce travail de 1 angage 1 e plus subjectif, le plus individuel, qui fai t de l' homme ordinai re 1 de chaque sujet, 1 e sujet du poème. C'est peut- - 37 - être l'effet spécifiquement révolution naire [ ... ] du poème, son effet politi que. (Meschonnic, 1985, p. 293). Il serait donc tentant de rapprocher de ces concepts ce «moi évidé, mais di 1 até et envahi, devenant moi du monde» dont parle Guy Rosa (Rosa, 1985, p. 276). Spectateur passif, mais aussi potentiellement actif de l'histoire, le lecteur- scripteur du texte poétique dispose d'une matière qu'il façonnera - ou ne façonnera pas - suivant l'engagement qu'il prendra ou non «Vers ou prose, le poème n'est-il pas toujours, lui aussi, projet d'un sens à construire, objet de langage offert à observation et «recréation» actives par un "sujet?"» (Briolet, 1984, pp. 5-6). Spécialiste des questions médiévales chez Hugo, Patr1cia A. Ward a su faire une heureuse synthèse de la problématique hugol ienne dans Not re-Dame de Paris en nous présentant 1e choi x du poète pour 1 a période charnière du XVe siècl e à travers un certain regret de ce que l'expression artistique collective (l'architecture) soit remplacée par un art individuel (l'écrit) : «[ ... ] for art would never again have the liberating force for a society that the gothic cathedral had for the medieval spirit» (Ward, 1975, p. 44). Cette thèse fort intéressante mériterai t cependant d' êt re un peu pl us développée. Ainsi l' écri t, Si il sait se fai re porte-paroI e de la collectivité, retrouvera-t-il sa vraie raison d'être, c'est-à-dire d'opérer une dialectique, comme l'explique Anne Ubersfeld. 1 - 38 ------ La paroI e romantique se revendique 1 d'abord comme paroI e grotesque loin d'être l'émanation d'un sujet unique et maître de soi, elle met en cause les catégories conformes d'un uni vers classique; elle fait parler les contradictions [ ... ] Elle intègre chansons et musique, elle dépasse les oppositions de la vie et de la mort, du mal et du bien, du ri re et des 1 armes. Elle est revendication du sujet parlant, pour tous ceux qui n'y ont pas vocation, qui n'ont pas droit à la parole pleine: le serviteur, le bouffon, le fou, la femme, la prostituée. L'intérêt apporté par Hugo à la figure de ces exclus n'est pas tant misérabi 1 isme qu' at tention aux conditions d'exercice de la parole. En ce sens la parole grotesque est parole de s~turnal e, refusant de 1 aisser 1e champ libre à la parole des maîtres, à la parol~ conforme. Affirmant le droit à la parole pour tous, elle postule l'exigence de la parole populaire parole objectivement impossible dans les conditions du 1ge siècle, bouches muettes que seul e p~ut fai re parI er l' écri ture utopique du grotesque. (Ubersfeld, 1985- B, pp. 9-10) Car le «propre» de Hugo n'est rien de moins que la réalisation écrite et sociale de ce qu'il appelle «1 'homme peuple» (W.S., p. 329). Henri Heschonnic s'exprime en ces termes à propos de Notre-Dame : La force du roman poème vient de 1 a prépondérance des personnages collectifs ou abstraits sur les individus. Première tentative d'un roman de la foule. La foule est un être qui existe ici selon un mode double, par gros plans sur des échantillons qui sont et ne sont pas des individus, et par suggestion de la masse. (Meschonnic, 1977, p. 79) Dans Notre-Dame, non seulement a-t-on pu voir le narrateur se dédoubler pour mieux entraîner son lecteur dans 1 - 39 - un curieux périple à travers inventions et histoires, mais aussi sera-t-on à même de constater que le roman, de par sa construction à la fois unitaire1 et anarchique,2 donnera tour à tour la parole aux diverses strates d'un Paris reconstruit puis mis à sac dans 1 e travai 1 et 1 e désordre du texte, à travers, comme l'a dit Winfried Engler, «cette recherche [chez Hugo] d'une cohérence face au monde disparate et morcelé qu'il raconte» (Engler in : Heitmann, 1986, p. 145). C'est pourquoi il semble tout autant possible d'aborder un certain fonctionnement de l' écri t hugolien à partir du principe de vouloir refaire une unité à travers le texte que suivant une perspective pluraliste de l'éclatement, ce que Hugo d'ailleurs suggère à son lecteur. lIn' y a de lecteur que le 1 ecteur pensif. Toute oeuvre digne de lui être off er t e a , comme 1 a vie et conne 1 a création, ~lusieurs aspects et ouvre plusieurs perspectives sans pour cela cesser d'être une.» (H.Q.R. II, p. 402). Le «poème» que serai t Notre-Dame de Paris 1482 trouverait son sens véri tabl e dans un débordement, un dépassement de frontières aussi bien génériques que physiques, état 1 imi te qui, dans 1 a vision du poète, peut potentiell ement devenir . Par exemple, dans son ouvrage sur The Early Novels of Victor Hugo Towards a Poetics of Harmony, Kathryn M. Grossman développe plus particulièrement ce principe, qu'elle emprunte d'une thèse de Pierre Albouy (Grossman, 1986, p.lS). 2. Dans Victor Hugo philosophe, Jean Maurel a examiné le concept de chaos et 1 a «dispersion de l'idée» chez Hugo , (Maurel, 1985, p. 4 : texte de présentation des éditeurs). - 40 - , l, t «des mondes» au pluriel (p. 403). La secti on qui sui t examinera d'un peu plus près cette pluralité du texte hugolien, dont on peut dire, pour citer Yves Gohin, qu'elle «se produi t comme total i té ouverte et dynamique» (Gohln, 1985, p .19), où, comme l ' écri val t déjà le jeune Hugo dans la pré1.ace de la première édition des Odes (1822), «le domaine de la poésie est illimité». LES HYBRIDATIONS G2N2RIQUES DE HUGO n'intéressantes analogies peuvent être faites au niveau des recoupements, des croisements qui s'effectuent dans les oeuvres de Hugo, plus spécifiquement sur le plan des genres. Le moti f de l' hybridi té est présent tout au long de la production hugol ienne, ce qui permettra dE' l'examiner de manière comparative sur un plan diachronique. Cette façon de procéder vise surtout à sonder l'écart manifeste qui se crée entre les concepts communément admis (les ouvrages généraux qui identifient Notre-Dame de Paris comme un roman historique),l et les explications apportées par Hugo lui-même sur ses écrits. Or bien avant les textes et notations qui ont entouré la préparation manuscrite de L'Homme qUI rit,2 Hugo - et très jeune - avait commencé d'élaborer les préceptes d'une . Le Petit Larousse illustré, 1990, p. 1471. J Op. cit., p. 33 du présent mémoire. - 41 - ..;, esthétique dont le moins qu'on puisse di re est qu' ell e fut au centre de quelques polémiques. Dès l'âge de vingt-et-un ans, dans son article qu'il écrit pour La Muse française sur le roman Quentin Durward de sir Walter Scott (juillet 1823) (L.Sr P. II, p. 37) Hugo fait mention de cet «autre roman» qu'il faut dorénavant imaginer, «le roman à la fois drame et épopée, pittoresque mais idéal, vrai mais grand, qui enchâssera Wal ter Scott dans Homère». Les éléments des premiers amalgames sont donc donnés ici : Homère, ou la poésie classique se mêlant à la légende; Scott, ou l'alliage du romanesque et du poétique, de l 'historique et du légendaire. Mélange d'époques, de réalités et de f~ctions, mais aussi, mélange de classes. Car Hugo juxtapose, enchâsse «le roman pittoresque, mal.S prosaïquJ» de Scott (ibidem) à «l'énorme poète» qu'est Homère (W.S., p. 61). En plus du projet de réaliser la nouvelle épopée, de remplir l'espace du dix-neuvième siècle qui s'ouvre d'une oeuvre à la fois «grande», démesurée, donc «idéale», Hugo formulerait aussi le projet d'un nouvel égali tarisme dans le domaine des arts 1 d'«un art qui soit également démocratique» comme l'a dit Karl Heinrich Biermann (Biermann in : Heitmann, 1986, p. 143). Cromwell (1827) parait au début de 1 a période fort agi tée qui donnera les pièces Marion de Lorme (1829) et Hernani (1830). A propos de Cromwell, Hugo lui-même avai t reconnu qu'il s'agissai~ là d'une oeuvre tout à fait injouable: «rI est évident que ce drame, dans ses proportions actuelles, ne - 42 - pourrait s'encadrer dan3 nos représentations scéniques» (T.e. l, p. 434). Problèmes de d~rée des représentations, longueur du texte, nombre effarant a~ figurants, Hugo risque -et de façon tout à fait volontall:e - de connaître les écarts qui avaient été décrits déjà par Corneille, soit de «towber dans le dérèglement, et de réduire le portrait tellement en petit, qu'il n'y aye plus ses dimensions proportlonné~s, et ne soit qu'imperfection» (CorneUl e, 1987, p. 184). Bi en que ce genre de critique puisse s'appliquer à l'entreprise de Hugo, et ce, pour la majorité de ses oeuvres, il semblerait que Corneille n'alt pas anticipé de façon très juste sur au moins un des points qu'il soulève: s'il est vrai que des auteurs comme Hugo, ou encore Rimbaud, ont institué les bases de véritables esthétiques de l' Imperfect i on (1 e grote3que) et du dérèg 1 emen t (< Cromwell est demeuré de l'ordre de l 'écrlt, puisque lmpossible J - 43 - à réaliser sur scène, et ensuite, de la théorie élaborée par Hugo autour de la notion de drame. Car Hugo parle de «l'arbi- traire distinction des genres» (T. C. l, p. 427). Et c'est là qu'entre en jeu la possibilité d'une autre inflation, sur le pl an sémantique cet te fois, si l'on examine ces deux passages particulièrement révélateurs de la préface de Cromwell [ ... ] la poésie de notre temps est donc le drame; le caractère du drame est le réel; le réel résul te de 1 a combinaison toute naturelle de deux types, le sublime et le grotesque, qui se croisent dans le drame, comme ils se croisent dans la vie et dans la création. (T.C. l, p. 434). Le drame est la poésie complète. (Ibid., p. 424). Chez Hugo, poésie, drame, roman se confondent dans le texte en une adéquation synonymlque qui prend forme par le procédé de l'analogie de contenu. D'où ce type de construction, sur le plan syntagmatique «le drame» j •.• j «est» j ... J «la poésie» ou encore «la poésie» J ... J «est» J ... J «le drame». Dans sa Note de 1832 pour Notre-Dame de Paris, Hugo laisse, à plusieurs reprises, s'installer une ambiguïté quant au genre de l'oeuvre: Un roman, selon lui, naît, d'une façon en quelque sorte nécessaire, avec tous ses chapitres; un drame naît avec toutes ses scènes. (p. 5). [ ... ] votre roman n'est pas viable? Vous ne lui rendrez pas le souffle qui lui manque. Votre drame est né boiteux? Croyez-moi, ne lui mettez pas de jambe de bois. (p. 5). - 44 - [ ... j des chapitres d'art et d'histoire qui n'entamaient en rien le fond du drame et du roman ... (p. 6). [ ... ] des personnes, d'ailleurs fort judicieuses, qui n'ont cherché dans Notre-Dame de Paris que le drame, que le roman. .. ( p. 6). Ici, une seconde équation nous donne donc drame = roman Une compilation finale, en combinant les données prises à même Cromwell, Notre-Dame, ou les extraits de lettren sur 1 'Homme qui Rit (op. cit.), aura pour résultat: drame = poésie = roman s'il est possible de voir ce genre de corrélation lexicale comme résultat d'une augmentation par addition, ou inflation, il faut éga 1 ement noter, ici, le caractère uni tai re sur le plan sémantique; toutes les catégorisations, toutes les séparations tombent, chez Hugo, au profi t de l' unic1- té de création. Tout se passerai t donc comme si, 1 es genres s'étant dissipés, la littérature s'affirmait seule, brillait seule dans la clarté mystérieuse qu'elle propage et que chaque création littéraire lUI renvoie en la multipliant, - comme s'il y avait donc une «essence» de la littérature. Mais précisément, l'essence de 1 a littérature, c'est d'échapper à toute détermination essentielle, à toute affirmation qui la stabilise ou même la réalise ... (Blanchot, 1959, p. 244). 1 - 45 - LES HYBRIDATIONS GiNiRIQUES SUITE La non-fixité du texte hugolien, toujours prête à engendrer la monstruosité par les enflures et les transformations les plus excessives, se révèle donc dans un goût pour l'hybride qui marque déjà les premiers énoncés esthétiques de Hugo, comme dans les exemples que nous venons de citer. On peut même se demander si Vigny ne se moquait pas un peu de ce trait, dans Notre-Dame, lorsqu'il comparait Hugo au personnage de Pâquette 13 Chantefleurie (alias «la Sachet te», alias «la Gudule») en lui écrivant Que vous êtes une bonne mère! une mère intarissable en baisers, en caresses sur les petits souliers et les cheveux de son enfant, une mère tendre, inépuisable en mots adorables d'amour, dont le sein est toujours gonflé d'un lait pur et nourrissant, dont les bras savent bercer et dorloter! (Vigny in : Guyard, 1976, p. 604) . Vigny, quel que soit le cas, rappelait toutefois un élément textuel véri f iabl e dans 1e roman : quand Quasimodo, après avoir fait la découverte de la disparition d'Esmeralda suite à son combat avec le peuple des truands, connaît un moment de stupeur et de désespoir, Hugo le dépeint comme «plus sombre et pl us pensif qu 1 une mère assise entre un berceau vide et un cercueil plein» (p. 490). Est-il une antithèse plus poussée que celle-ci; or toutes les cultures n'ont-elles pas représenté, sous diverses formes, cet enchâssement de l'élément masculin à l'élément féminin à travers différentes - 46 - figures du couple symbiotique, ou encore, de l'androgyne: le principe du yin et du yang, selon les Anciens en Chine; l'iconologie de Çiva enlaçant Shakti dans la représentation hindouiste; Adam et ~ve, etc. [ ... ] il me paraît moins urgent de souligner ce qu'on appelle la suite dans les idées [chez Hugo] que d'attirer l'attention sur ces idées elles-mêmes qui, à travers cent avatars textuels, finissent par constituer une esthétlque et une stylistique de la démesure (on ajoutera, si l'on veut, une théologle, une morale, une philosophie, une politique et même une érotique). (Gaudon, 1972, p. 78). A-peu-pr~s de «fils», «mère» de surcroît, Quasimodo est sans doute le plus bel hybride, «la plus belle laideur» (p. 53) de toute la mythologie hugolienne. Quasimodo est rOl des fous. Même si «le ridicule» (p. 69) est sa marque, il est cependant, et à la fois, ce «mâle qui a perdu sa femelle», «ruglssant» (p. 489), et c'est lU1 qui, en gain de cause, finit par épouser la Esmeralda dans les noces post-mortem. Les «ruglssements» rappellent aUSS1, à travers ce même exemple, l'hybridité homme/animal, qui part, au moins, dans la production romanesque, de Han (Han d'Islande), et qU1 passe par Habibrah (Bug Jargal), Quaslmodo, pour finir avec Gwynplaine, le petit Homme qui rit. Du sanglant âge de pierre (mode de vie de Han) en passant par le Moyen-Âge épique ( Quas i modo) , la représentation hugolienne de l'humanité connaîtra un peu la même courbe que celle proposée dans les théories sur l'évolution d'un contemporain de Hugo, Charles 1 - 47 - Darwin. Ainsi, avec la progression chronologique, la distanciation se fera de plus en plus grande par rapport à l'animalité (Han), et la conscience de la cruauté sera de plus en plus marquée dans l'oeuvre (la mutilation de Gwynplaine). C'est dans un tel contexte qu'il est possible de retrouver certaines affinités avec un La Fontaine par exemple, mais qui procéderaient simplement selon un ordre inverse : plutôt que l'animal humanisé, Hugo élabore l'homme animalisé, dont les déterminismes, de même que dans les figures de La Fontaine, sont tout autant physiques que moraux. Cet te parti cul ari té est mise en évidence, entre autres, à travers le phénomène de désappropriation de la parole chez les personnages de Hugo. Han, bien que le plus bestial des personnages des romans de Hugo (son vampirisme), est volubile et se montre habile orateur; avec le nain Habibrah, la parole se détourne de sa fonction «première» pour devenir incantation de grand-prêtre; Quasimodo, «dont la surdité le rendit en quelque sorte muet» (p. 150), en perd peu à peu l'usage pour tendre vers un mutisme quasi complet; et finalement Gwynplaine, dont l'organe phonatoire ne sera plus qu'une hideuse caricature. «Infinie méditation sur l'impuissance du verbe» (Gaudon, 1985-B, p. IV) 1 l' écri ture de Hugo 1 à travers le non-accompl i, le non «un», à travers l'impur, tend, cependant, à un ailleurs qui peut bien être 1 e paradigme d'un autre «Beau», d'un autre «idéal», d'une autre humanité: «La Fontaine, immoral, - 48 ------_. ------_ .. civilise; Horace, impur, civilise» (rI.S., p. 400); «Le beau n'a qu'un type; le laid en a mille.» (T.C. l, p. 420). Quasimodo, hybride entre les hybrides, par sa richesse plurielle, ses multiples facettes, son appartenance au genre humain et au genre anlnld l, cOlnme son appartenance au 1 yrique, à l'épique, et au grotesque, par son asymétrle symbolique, ses sens à demi voilés tels son oeil unique et sa compréhension partielle, Quasimo~;o donc pourrait bien fonctionneL, ddns Notre-Dame, selon le même système que celui des bestiaires du Moyen-Âge, ces animaux «dans le langage» qui deviennent autant de signes au «sens masqué» : 1 e genre didactique des bestiai res qui, au Moyen Âge, ne décrit le monde anlmal que pour 1 e consti tuer en réseau symbolique signiflant à l 'homme son destin et la grandeur de Dieu, résume et perpétue des traditl.ons antlques convergentes [ ... ] (BlanCl.otto, 1980, p. 7). L' hybridation, dans Notre--Dame comme dans bon nombre de textes de Hugo, sert abondamment une symbolique qui puise ses sources dans la mythologie classique de l'Antiquité, où l'on retrouve rninotaures, centaures, et autres créatures mlxtes, tels les dieux, mais qui, tous, ont une trace encore d'humain, telles les pierres de la légende de Prométhée. 1 - 49 - DES LIVRES PLUTÔT QU'UH Si dans sa Note à l'édition è.éfinitive de 1832 Hugo hésite, oscille constamment au niveau d'une définition claire, «unique» et précise d'un genre pour sa Notre-Dame de Paris, et ce, tant par les jeux de la narration que par le va-et-vient entre la notion de drame et celle de roman, il semble que le phénomène de l'intertextualité puisse également apparaître comme un aIl er-retour qui exige que l'on dépasse le strict niveau de l'observation synchronique. Sur le plan narratif, Hugo perpétue la tradition du conteur en même temps qu'il installerait les conditions (mythiques) d'une révolte contre l 'Histolre, celle avec un grand «H», officlelle, référentielle, établie. Au niveau des séries ou des récurrences à parti r desquell es on pourra suggérer différentes structures il faut relever, chez Hugo, les nombreux recours à des signes dé jà text ual isés (ou déjà chargés ou investis quant à leur contenu culturel), tels les mythes, les archétypes, les symboles, ou, sur le plan plus spéci f iquement scriptura l, l' uti 1 isa t ion du pasti che ou autres réécritures. C'est ainsi qu'il devient possible de lire un text e comme Notre-Dame selon des comparaisons comme 1 e rapport au bibl ique, de même qu'à cel ui pl us équi voqu~ encore (chez Hugo) des règles d'unltés classiques, temps, lieu, et action. L'intertextualité sera donc l'occasion d'un soulèvement de figures extrêmement riches pour les interprétations du texte. 1 - 50 - 1 " On notera, rien que par le titre Notre-Dame de Paris 1482, une action qui aura cours à l'intérieur d'une même année. 1 On pourra aussi apPt'éhender l'oeuvre comme un monde en soi lieu physique (la vllle) «clos», «cloître» ou lleu scripturaire (la cathédrale), cette dernière image étant renforcée par la singularité de la figure de Notre-Dame, la Vierge Marie, Mère de Jésus. Enfin, l'uni té d' acb.on se résume dans l 'imbricatlon ou la réunion des dlfférentes rnlni- intrigues, oü s'entrecrolseront (parfois même anachronlque- ment) les chemlns de personnages «réels» ou fictifs qUI auront pour centre de gravlté la cathédrale. Kathryn M. Grossman a su démontrer la victoire d'une certaine «harmonie» sur 1 e chaos et 1 a <'" de Notre-Dame de Paris, en rappelant, entre autres aspects, comment Hugo avait réussi à tresser les nombreuses voix s'élevant de Notre-Dame, (celles des cloches qui sonnent notamment) en une polyphonie qui deviendra «opéra» (p. 137) (Grossman, 1986, p. 165). Notre-Dame est donc ce «fertile hybride» dont parle K. M. Grossman (IbId.) l'oeuvre, en effet, combine l'unité des structures classlques à travers la di vers i té des st y 1 es (gothIque et roman). Ell e est cetle «vaste symphonie en pierre» [ ... ] 1 «pul.ssante et féconde comme la créatlon divine dont elle semble aVOlt" volé le double caractère : variété, éternl té» (p. 107). L'action se déroule à l'intérieur d'une période 1 d'envi ron si x mois. - 51 - Tout comme la Bible qui, elle aussi, est divisée en Livres, Notre-Dame de Paris 1482 se veut plurielle plutôt que monolithe. Que l'onrésurne, suivant telle ou telle allégean- ce, la problématique de l'une ou l'autre de ces oeuvres à une seule et unique s~gnification ne change rien au fait: reste, et même encore aujourd' hui, le mystère du texte, qui peut prendre autant de directions que le nombre des interprétations que l'on en fer a . L'art n'a quP. fair~ des lis~ères, des menot t es, des bâll1 ons; il vous dit : Va! et vous lâche dans un grand jardin de poésie, où il n'y a pas de fruit défendu. L'espace et 1 e temps sont au poète. Que 1 e poète ai Il e donc où il veut, en faisant ce qui lui plaît; c'est la loi. Qu'il croie en Dieu ou aux dieux, à Platon ou à Satan, à Canidie ou à Morgane, ou à rien [ ... ] qu'il écrive en prose ou en vers, qu'il sculpte en marbre ou coule en bronze [ ... ] (a.p. I, p. 577). Conune Notre-Dame de Paris, la Bible rassemble textes historiques et a Il égori es, métaphores et récits biographiques, et, finalement, poésie autant que métonymie. Hugo montre [ ... ] 1 pl us qu'aucun aut re J la continui té d' écri ture qU1 tend à annul er l' OppOSl. tion entre prose et poesl. e, et qui tend à joindre poétiquement le récit et le récitatif [ ... ] Chez Hugo c'est une entreprise subjective qui va vers 1 'histol.re coll ecti ve. Hugo montre aussi, exemplairement, que la vision poétique prophétique est une audi tion 1 en quoi aussi il es t proche des prophètes de 1a Bibl e. (Meschonni. c, 1985, p. 207), Il s' agirai t donc, pour 1 e récepteur du texte Not re-Dame, , d'entendre d'autres voix que seulement celle du scripteur - 52 - r, immédiat de l'oeuvre, ou de di s tinguer di f f érents textes. D'où le point de vue exprimé par Pl erre Al bouy, et qui réuni t à la fois les aspects de mythification et de mystification qui seraient inhérents à l'écrit hugolien. L'éruditIon hugolienne [ ... ] se fonde toujours sur quelque texte; malS Hugo transforme, fond ensemble des renseignements épars, corse et t rans figure; on a presquE", à de certalnes fois, l'impression d'une mystification. (Albouy, 1976, pp. 311-312). Marc Eigeldinger, en étendant la notlon cl' intertextuali té à différents champs culturels autres que la littérature, laisse ainsi la possibilité, tout comme l'avait fait Barthes (op. cit.), qu'émerge «un autre langage à l'intérieur du langage» (Eigeldinger, 1987, p. 15). Dans Notre-Dame de Par:-1S 1482, le phénomène de l 'intertextualité est intimement lié à celul de l 'hybrldité. Si l'on examine l es dl fféren t s champs de l'intertextualité tels qu'ldentiflés par M. Elgeldlnger (ibidem) par rapport aux thèmes et mot 1. ts de Notre -Darne, on constatera que cette hybridité est constante. VOiCI quelques exemples. Champ arti stlque Hybrida t i ons de l ' l conographl e relIgieuse, des «statues» paiennes (gargouilles, etc.), de l 'archi tecture, des hauts et bas reliefs, de la sculpture, du graffi ti, etc. Champ bibl ique - Prolifération des archétypes d~ Caïn et Abel (voire d'Adam et Eve'), de la cruciflxion (Quasimodo, sur le pilori, abreuvé par Esmeralda), de 1 Voir à ce sujet le propos de J. Seebacher (p. 1253). - 53 - Judas (Gringoire livrant Esmeralda à 1 Frollo), etc. Champ mythologiquel mythique - Mythes de Don Juan, de Prométhée, de Polyphème, de Faust, de la Belle et la Bête, etc. Champ philosophique - Spéculations à partir des «espèces» et des genres selon la pensée aristotélicienne (la poeSie narrative et la poésie dramatique); références explicites et implicites à différents philosophes et philosophies «Aristotélès», Platon, «Diogènès», Pythagore, double «emploi», chez Gringoire, des fonctions de bateleur et de «philosophe pyrrhonien» (p. 388); etc. L t intertexte fonctionne donc à plein dans l'encyclopédique Notre-Dame, créant, sur 1 e pl an de l'écriture, les conditions d'une hybridité aussi marquée que celle de Quasimodo par rapport à son humanité mitoyenne. Certaines figures sont aussi à distinguer à travers ces références à des textes autres. L'achidiacre dom Claude représente l'image du père par rapport à Quasimodo, l' infi rme- orphelin, et par rapport à Jehan, le jeune rebelle. Quasimodo et Jehan tout comme Jehan et Claude sont des représentations des frères ennemis, Caïn et Abel, archétypes qui seront ici redoublés puisque Quasimodo sera et fratricide, et parricide, tuant d'abord son «demi» frère, Jehan, puis son «père» adoptif Claude, d'où la contamination d'un autre mythe, celui de la créature qui se révolte contre son créateur. Quasimodo, en tuant le père, procède par le fait même selon le 1 - 54 - schéma oedipien et trouvera dans sa propre mort la vie nouvelle dans les bras de la femme idéalisée (Esmeralda, qui symbolise à la fois la pureté virginale et l '~ros). La mort tragique d'Esmeralda et celle, plus pathétique encore, de Claude Frollo, sont transcendées à la fin de Notre-Dame dans une coïncidentia oppositorum où s'aboliront les pôles manichéens qu'ils personnifient (Esmeralda, le bien - Frollo, le mal). Le «Mariage de Quasimodo» est le sacre d'une ère nouvell e qui s'ouvre à l' human:L té, pastorale qui achève toute la série des ritournelles que furent les voeux grotesques (< religieux de Claude) . En plus de ses références explic:ites et. implicites aux écrits bibl iques, Hugo installe les conditions d'une j ntertextua lité tournée vers un deveni r, vers l' aveni r cel} e qui n'est pas encore née de Freud, de Jung (dialectique du moi et de l'inconscient et archétypes collectifs), d'~liade (qui cherchera des signi fications du monde actuel en scrutant ce Il es du monde passé), ce qui mont re bien, chez Hugo, et avant même que chez Rimbaud ou les symbolistes, la capac:o.té du poète à se fai re voyant. 1 Si laques tion d'une cer t alne prémonition chez Hugo a déjà été abondamment commentée, celle d'un Hugo d'une «étonnante modernité» (Ubersfeld, 1985-B, p. 10), visionnaire, mais sur un plan théorique et poétique cette fois, et non plus seulement sur le plan soc1ologique, «Je suis le grand voyant des profondeurs sinistres». J - 55 - 1, reste à ce jour encore négligée par la critique, comme le suggêre H. Meschonnic. Il y a en lui un théoricien de la littérature encore inexploité, à travers les idées et les termes de son temps, sur ce qu'on appelle aujourd'hui la question du sujet, qui déborde la psychana 1 yse, parce qu'elle est aussi la question du mode de signi fier du poème. (Meschonnic, 1985, p. 288). Une fois 1 e rapport scriptura 1 / script ur ai re établ i, res te donc à examiner les liens qui peuvent eXlster avec d'autres écrits, ou ce qui ressort du champ plus spécifique des li t tératures. Outre 1 es ana 1 ogi es mani f estes qui existent entre Notre-Dame et des textes comme Le Moine, de Lewis, ou Frankenstein, de Mary W. Shelley, il semble que la thématique poétique puisse ici servir d'axe d'approche. Un épisode comme le mariage de Gringoire (voir: Livre II, chap. VI, intltulé «r.a Cruche cassée») rappell e au ni veau de quel ques détail s un texte comme «Le Mariage Rutebeuf», dans lequel le «pauvre» Rutebeuf se trouve à faire un mariage de bien maigre intérêt, épousant une vieille femme et, de ce fait, n'aura guère le 1 oi sir de goûter à toutes 1 es fraîcheurs et romances de l'amour. Or non seulement Gringoire ne pourra-t-il pas lui non plus savourer ces fruits farouchement défendus par la Esmeralda, malS sera-t-il également offert comme époux à une vieillarde de la Cour des Miracles La seconde, vieille, noire, ridée, hideuse, d'une laideur à faire tache dans la Cour des Miracles, tourna autour de Gringolre. Il tremblal t presque gu' elle ne voulût de lui. Mais elle dit entre - 56 - ses dents «Il est trop maigre», et 1 s'éloigna. (p. 94). Antithèse du roman traditionnel de la Belle Dame conquise par le preux chevalier, la parodie se poursuit jusque dans l'union sans sentiment (< 111) et 1 es épousai 11 es (aussi fantastiques) à une morte (< clore Notre-Dame et qui peuvent également être lus selon l 'hypothèse d'un pastiche du célèbre poème de Rutebeuf. L'anticourtoisie, en tant que thème dans Notre-Dame de Paris, relèverait ainsi d'une autre tradition qui prend ses sources dans le Moyen-Âge, et qui se ferait écho (réécriture) des Rutebeuf, Chartier, ou Vi lIon, poètes chez qui 1 e sujet de l'amour correspond bien au trai tement qu'en fai t Hugo : amour irréalisable, amour impossible, cédant à une rhétorique qui devient elle-même sujet, que ce soit par transtert, désir de conjuration, ou tout simpl ement désinvolture et humour. Bien que les études génétiques n'aient révélé qu'une documentation plutôt limitée, sur le plan quantitat1f, pour la recherche et la rédaction de Notre-Dame de Paris 1482,1 et que Hugo ait pu être lui-même un médiéviste plus ou moins accompli (Ward, 1975, p.7), une très grande cohérence face au style et aux sujets employés en littérature médiévale est cependant perceptible dans Notre-Dame, si l'on accepte, toutefois, le '" Voir à ce sujet 1 es résul tats réunis par Seebacher , dans la Pléiade (pp. 1076-1078). - 57 - choi x très subjecti f de l'auteur pour un certain nombre de contaminations et de modifications. L' intertextual i té n'est ni un rapport orlglnel ni causal, ni une imitation, ell e est une transformation. Lire un livre dans un autre livre ( ... ] ce n'est pas l echerche r avec ma 1 igni t é que Il e étincelle écrl. te aura engendré l'oeuvre chez un autre, mais voi r ce que devient le livre dans l'oeuvre d'autrui. .. (Ubersfeld, 1984, p. 68). Le sUJet même de Not re-Dame avai t été choisi par Vi 11 on 1 pour sa Ballade pour prier Nostre Dame, rejoignant ainsi toute lat radi tion des «Mi racl es» (sortes de pièces qui avai en t pour but de solll.citer quelque faveur ou indulgence auprès de la sainte). Un autre type de représentation est cependant privilégié dans le roman de Hugo: le mystère, «écrit» par le poète Pierre Gringoire. Tout comme les miracles, les mystères, au Moyen-Âge, étaient des pièces à caractère essentiellement religieux. Or on voit bien par le traitement qu'en fait Hugo que Le bo;' jugement de Mme la vierge Marie, tout en contaminant (dans le seul titre) les genres du miracle et du mystère en une «moral i té» (p. 26) 1 est avant tout une fête paienne, inculte, «orgie» et «bacchanale» (p. 49), où la ridicule fl.gure (paternelle) de Jupiter (pp. 22-23 et suiv.) vient éliminer celle si noble de sainte Marie (Mère de Dleu). L'hybridation - tant thématique que manière du texte - est prépondérante dans les ~cri tures Saintes (l'homme contenant 1 a femme dans son flanc, tout comme 1 a femme qui contiendra l'homme-enfant dans son sein), àans la littérature l - 58 - 1 médiévale (les bestiaires), comme dans l'oeuvre de Hugo (la conception du grotesque). Ces écri tures ont cependant un trait d'hybridité encore plus déterminant que tous les autres à leur base: celui du rapport intertextuel. Tradi tion de t ransmissibi 1 ité, l' écri t n'est dans aucune de ces productions le résul tat unique et fermé d'une seul e pensée 1 mais bien cel ui de toute une co llecti vi té écri vante et en pl eine transformation. Tout comme les ~crits bibliques avalent été transmis d'un commentateur à un autre, Hugo, en respectant la tradition médiévale du texte relayé à travers le genre du roman,l laisse une grande part de liberté à son texte, à ces «aut res» scripteurs - Gri ngoi re, Fro 110, même Quas imodo - qui ont pour tâche premi ère de veni r saboter 1 e roman sentimental, de briser la charmante atmosphère «romantique» qui entoure le beau Phoebus et une Esmeralda en pleine pâmoison. Et ce seront finalement les grotesques2 qui l'emporteront sur la noble tradition chevaleresque. c'est ainsi que «Hugo retrouve certaines tendances caractéristiques des oeuvres antérieures à l'âge classique» (Collot, 1985, p. 99). Tout conune il retrace 1 es sentiers sinueux de l'antique épopée dans une forme, et à travers une mythologie bien à lui, où Gringoire remplace Ulysse, et Quasimodo, Polyphème, Hugo retournerait également à Villon Le Roman de la rose, dont les auteurs furent successivement Guillaume de Lorris et Jean de Meung. 2 Pour reprendre 1 e ti tre et le thème d'un poème de Verlaine. - 59 - peut-être, ou à Rutebeuf, cerhlinement à Rabel ais, engendrant, lui aussi, un rire monstrueux, enjambant complètement, comme s'il voulait le laisser dans l'ombre, le siècle des I.umières. Or c'est à travers le rire, «qu'il charge constamment d'un sens révei uti onnai re» (Brombert, 1985-B, p. 13), que Hugo accomplirait sa plus efficace subversion des valeurs qu'il remet en question. La toute-puissance de l' écri ture, bien que cul t urell ement rattachée dès ses premières apparitions à l'élément déifique, est d'abord et avant tout humaine, c'est-à-dire subjective: elle passe obligatoirement par le senti. Chez Hugo, cette sensibilité/sensualité oscille du passif à l'actif, de l'être ontologique au faire (du grec poiêsis), de la potentialité statique (emprisonnement physique, mutisme) à l'éclatement (déchaînement de la parole, révolte des consciences). Hugo questionnerait donc nos conceptions toutes faites. La capaci té de rire, de torsion par 1 e rire de toutes nos fausses solutions, de nos idées toutes faites, de nos sécurités piètrement acquises, voilà le principal travail de Hugo (Seebacher in : Hei tmann, 1986, p. 145). Il prête «sa» pl ume à un à -peu-près de poète; donne 1 a paroI e à un peupl e handicapé sur 1 e plan de son droi t de dire; figures de l'ombre et de l'innommable, contrastes qui, dans l'oeuvre de Hugo, apparaissent conune ce qui est infirmé, rejeté, mis de côté sur 1 e plan des val eurs : entités profanes qui s'opposent au sacre du Héros magnifié, solaire (Phoebus), «Roi -Sol eU». - 60 - Les romans de Hugo, pl us proches du mythe 1 que de la tradition réaliste, font saillir des structures linguistiques et métaphoriques qui atteignent à ce qu'on a pu appeler «le roman-poème»; ils s'imprègnent toujours d'un contexte socio-historique et visent à l'élaboration d'une épopée nouvell,e qui ne chante plus les exploits d'un héros, mais l'aventure morale de l' honune. (Brombert, 1985-B, p.13). Le lecteur peut se demander, en fin de compte, à quel stratagème peuvent correspondre toutes les contradictions et tous les contre-sens de la rhétorique, du discours hugoliens. Car il y a, d'une part, ce «roman en tant que genre qui parodie les structures canoniques, sape l'hiératisme de l'épopée, défie les hiérarchies de toute tradJLtion établie», et qui, en fin de compte 1 répond parfaitement aux cri tères émis par Bakhtine dans ses observations théoriques sur le roman (Brombert, ibid., p. 12); d' aut re part, nous ret rouvons chez Hugo ce «rapport» J dont parI e Meschonnic, qui «neutral ise l' op~osition entre la poésie savante et la poésie populaire», et qui serait «à la fois une poétique et une éthique du sujet» qui «intègre l' histoi re et 1 a cul ture de tous.» (Heschonnic, 1985, p. 291). Nous examinerons donc d'un peu plus près cette esthétique hugol i enne, plus parti cul ièrement au ni veau de certains aspects de son fonctionnement. - 61 - LA (DYS)FONCTION POgTIQUE Dans son étude Sur l' emploi des mots Immanent et Immanence chez Vi ctor Hugo, Yves Gohin a pu observer, à l'aide des exempl es qu' il apporte, 1 es conditions dans lesquelles s'exercerai ent une thématique et une esthétique de 1 a total i té [ ... ] 1 e vocabul ai re que Vi ctor Hugo s'est progressivement constitué est aussi précis que le permettait la nature même de son objet. Il correspondai t à 1 a t enr,i on d'une pensée qui voul ai t s'emparer de Tout ... (Gohin, 1968, p. 3). PO'..lr Hugo, «tout a droi t de ci té en poésie» (O. P. l, p. 577). Si le lecteur ne peut manquer de constater la très grande dispari té d'un roman comme Notre-Darne de Pal"is (où se bouscul ent l es genres aussi bi en que 1 es locuteurs), il sembl e paradoxal ement possibl e d'en dégager l'idée que l' écrl ture hugol ienne ressortirai t aussi à une poétique de la totalisation, à travers ce que Jean Gaudon a identifié comme «une rhétorique de la démesure» chez Hugo (Gaudon, 1972). J. Gaudon rappelle l • image souvent évoquée par Hugo d'une nature perçue comme art à la fois organique et anarchique, exemple maintes fOlS réutilisé depuis au mOlns sa préface pour Cromwell jusqu'au William Shakespeare (ce riernier titre composant le corpus central de la communication de Gaudon), où 1 ianes, Il erres, et végétat i on fi nissen t par tout gagner. tell el' arabesque qui envahira l' ensembl e du texte à travers 1 la plume üu poète. Tout comme il ne s'agit pas tant d'un - 62 - 1 genre mais bien d'une écriture, c'est plus au niveau de son appareil que de sa seule forme que le texte hugolian peut devenir grinçant dans tout le contexte de la littérature. Cette métaphore, je pense, jette une certaine 1 umière sur notre probl ème. Dans la mesure où l'excès de la parole est figure de l'uni vers, cet te paroI e doit, en dernière analyse, se soumettre à un principe de structuration. Hugo ne tourne donc pas 1 e dos à l' évangi 1 e des correspondances : il va au-deI à, en 1ui ajoutant une rhétorique de l'accumulation. Par là, il congédie - on ne 1 ui pa t'donnera jamais - 1 a muse moderne de l'impuissance et s' inscri t dans une autre lignée. (Gaudon, ibid., p. 85). «Consommation de mots et de couleurs» (Barrère, 1949, p. 152), l'arabesque hugolienne semble régie par 1 e phénomène inflationniste qui est caractéristique du style du poète. Encore là aussi bien thème qu'esthétique, l'inflation peut faci lement être observée à travers 1 es nombreuses digressions aménagées par Hugo dans ses textes, et qui « se renvoient de l'une à l'autre pour tresser un univers» (Ubersfeld in Heitmann, 1986, p. 140). On n'a qu'à penser aux longues listes qui frôlent parfois l'aberration stylistique, ou encore aux chapitres purement descriptifs qui s'intercalent dans les romans. Un des exemples les plus frappants de ce phénomène se trouve dans Le Rhin où, à travers le récit de voyages, vient se rajouter un conte, habi tuell ement forme brève. Ici, la Légende du Beau Pécopin et de la Belle Bauldour se résume à dix-neuf chapitres (Le Rhin, lettre XXI). La construction de 1 - 63 - ni veau métonymique se voi t donc - et de façon récurrente .. brisée par les assauts du métaphorique dans le texte de Hugo. La métaphore a été, dans toute l'oeuvre de Hugo, une force propulsive telle qu'elle lui a donné ses véritables et inévitables dimensions. A chaque stade de sa production, ce dési r de comparaison témoigne d'une poétique qui s'assimile, dès le moment où elle opère, à un acte d' él argissement, de développement, qui signifie conquête, et avec une telle constance et une telle dynamique, qu'elle est l'oeuvre dans la vision de son avenir. (Glauser, 1978, p. 343). Cet avenir dont parlent les commentateurs les plus récents de Hugo (A. Glauser, J. Seebacher, J. Neefs op. cit.) ne peut se résumer au seul renouveau d'un genre appelé «roman», pas plus qu'il n'est celui d'un Moi fermé et unique, mais résiderait aussi, conune 1 c sout ient H. Meschonnic, dans «des rapports entre le langage et l 'histoire, entre l'individu et la collectivité» (Meschonnic, 1985, p. 293). Le poète et criti- que Pierre Nepveu, un peu dans la même perspective que celle exposée ici par Henri Meschonnic, insiste 1ui aussi sur l'aspect de certains 1 iens qui unissent 1 es genres poétique et romanesque. Il ne pourra jamais y avoir de parfaite dichotomie entre poési~ et roman car c'est précisément la dynamique de leur interrelation et de leurs conflits qui mani teste, entre autres phénomènes, 1 e précaire équil ibre qui existe au sei.n d'une société entre mythe et idéologie, unité et pluralité, valeurs transcen- - 64 - dantes et évofution historique. (Nepveu, 1 1983, p. 91). Le cri tique Henri Bonnet s'est penché sur de tels aspects par rapport aux questions de qenres, et fai t état de 1 a rel ation roman-poésie en dégageant des trai ts qui peuvent être communs au poétique et au romanesque. [ ... ] au fur ~t à mesure que le symbole, la suggesticn indirecte, l'emporteront sur le récit, sur l'objectivation, l'intérêt p()étique croî t ra et s' imposera. C'est ainsi que, petit à petit, nous verrons le symbole lui-même se condenser en images et en mét~phores, faire place au style et ~II pUlsir poétique pur. Nous trouverons ici la preuve que les moyens d'expression purement romanesques peuvent être utilisés de telle sorte qu'ils soient transformés en moyens d'expression purement poétiques. (Bonnet, 1980, p. 108). H. Bonnet tente ainsi de distinquer certains liens/oppositions possibles entre ce qu'il considère comme des modes d'objecti- vation romanesque et des modes de «subjectivation» poétique (Bonnet, ibid. 1 p. 70) . Deux éléments nous s~mblent significatifs relativement aux propositions de H. Bonnet, et que nous voudrions rattacher aux constatations faites un peu plus tôt sur les sujets de la narrat10n de même que sur certaines figures d' enfermement et d'ouvertures (physique/ scr iptibl e) : d'abord, l'insistance marquée sur 1 e si gni fi ant Nous tenons à remercier H. Pierre Nepveu pour ~vn aimêA.ble soutien et l'autorisation de réutiliser ici un de ses textes sous forme inédite en langue française. - 65 - dans l'écrit hugolien; ensuite, le rapport à une ouverture, ou la figure du dehors. 1 Dans Notre-Dame de Paris, les fameux «chapitres d'art et d'histoire», dont on a à peu près tout dit (soit qu'ils étalent ou facultatlfs, ou encombrants), viennent interrompre la narration en même temps qu'Ils ouvrent toute la place à l'écrit lui-même, dans de longues envolées2 qui n'ont d'autre fonction que poétique, délaissant complètement l'Intrigue, ne remp 1 issant l'espace que d'un foisonnement 1 exica l et imagier. c'est aInSI que l'énumération, chez Hugo, prend parfoIs des proportions affolantes. [ ... ] c'est avec Notre-Dame de Paris que se révèle la gourmandise lexIcale de l'auteur; il puise a Il ègrement dans 1 e vieux SauvaI, découvre coquIllarts, hublns, sabouleux, narquois, mallngreux, larronnesses qUI peuplent la Cour des Miracl~s, vêt s~s personnages de cottes, de camelot, de surcots de tIretaine, de sandal nOIr ... A l'imitatlon de son ami Nodl er , Il es t devenu dévoreur de dIctionnaires, non de ceux que pratiquaIt le publIC de son temps, comme le Boiste, plus tard le Littré; mais de plus mystérIeux, comme celui de Collin de Plancy, où il grapilla, pour sa Notre Dame, quelques diablerIes et sorcelleries, et plus tard le vieux Moréri, inépuisable source de personnages obscurs aux noms sonor.es et aux biographl.es insolites. (Muller in Brun et, l 988, 1, p. 1 l ) . Nous empruntons l'eFpression au poète Kenneth White, du titre d'un de ses ouvrages. 2 «ParIS à vol d'oiseau» (Livre troisième, II), entre autres. - 66 - 1 Le «dénombrement à fatiguer Homère» (p. 68) revêt donc différents sens. Il s'agirait d'égaler, de dépasser même les grands class1ques à travers l'excès. Mais ces débordements ne suffisent plus au seul genre de la poésie. [ ... ] la liberté n'est pas entIère dans le genre poétIque, dont Hugo atteInt assez vite les limItes, et, s'Il se montre généralement accuelllant aux nouveautés, aux curIOSl tés, et pat-fOLS même aux trivialités du vocabulaIre, 11 entasse ses trouvaIlles au grenIer - c'est-à-dlre dans la prose, et dans un genre, le roman, où les règles eXlstent à peIne - mals non à l'étage nobl e de la poésle. (Brunet, ibid. p. 23). Le spéciallste de la poétIque hugollenne Alfred Glauser avai t fai t l' observati on sui vante à propos du poème «Le Satyre» (La Légende des siècles, XXII) (<'Le satyre dE' Hugo poursuit des foules de nymphes, toutes dIstInctes, occupant l'espace avant d'occuper des vers.» (Glauser, 1967, p. 155). Dans Notre-Dame de Paris, 1 e rappol: t de l' écri t à l'espace est tout aussi distendu, 1 es vocables et 1 es noms propres se multipliant dans un tourbillon frénétique. «Holà! crIa Clopin [Trouillefou] remonté sur sa futaille, Holà! femmes, femelles, y a-t-Il parmI vous, depUIs la sorcière Jusqu'à sa chatte, une rIbaude qUI veuille de ce rIbaud? Holà, Colette la Charonne! ln Isabeth Trouvaln! SImone Jodouynel Marle Plédebou! Thonne la Longue! Bérarde Fanouel! M.lchelle Genaille! Claude Ronge-OreIlle! Mathurine Gi rorou! Hol à! Isabeau 1 a Thl er rye! Venez et voyez! u~ homme pour rIen! qui en veut?» (p. 94)." Scène extrai te du chapi tre «La Cruche cassée» - où 1 Gringoire est à «donner» aux dames de la Cour des Miracles. - 67 - L'écrit hugolien se veut bien plus que simple nomenclature; il taraude l'ordre taxinomique de l' histoire qu'il imite, parodie, et fait exploser - pour en faire un poème, celui «de la conscience humaine~, comme il est dit dans Les Misérables (His., p. 248). Le 1 ecteur - et. pour cause - est d'abord impressi onné par les dehors de l'écriture huqolienne : ses monstres, ses grotesques. Or le monstrueux est avant tout dans le texte. Ruy BIas s'exclame «Le dehors te fait peur? Si tu voyais dedans!~ (Ruy Blas, acte l, scène III). Honstrum, la conformation contre nature; monstrare, ou le geste de montrer. L'acte même de raconter serait beaucoup plus le «monstre» que les infirmes ou les tyrans dans les histoires de Victor Hugo. Et sa Notre-Dame de Paris 1482 semble précisément le terrain idéal pour aborder ces questions 1 puisqu' eli e synthétise en un espace unique les rapports de l 'extéri ori té et de l'intériorité du texte hugolien ~cri ture-corps, mais surtout paroI e corps, ce travail de la nomination des héros qui f ai t de chaque nom 1e mi roi r imaginaire d'un corps articulé [ ... ] Et c'est ainsi peut-être que peut se 1 i re l' intertextual i té chez Hugo. (Ubersfeld, 1985-B, p. 12). L'esthétique hugolienne, bien qu'inextricablement liée au charnel-corporel, tend cependant à un au-delà (ou un en-deçà) de la matière, à une transcendance qui conserve encore l' écheli e humaine, mais tout en en mui tipI iant les données potentielles. Dans la section qui suit, c'est à travers la - 68 - 1r 1 dimension lyrique que sera examiné ce rapport au monde, aux espaces, aussi bien physique que script ibl e, qui s'ouvrent pour le lecteur autant que pour le spectateur de Notre-Dame de Paris. 1 - 69 - SECONDE PARTIE LA P~SIE DANS NOTRE-D~E DE PARIS l LIEUX ET NON-L'EUX DU TEXTE S'il est possible pour le lecteur de retrouver bon nombre d'indices d'une esthétique de la dissipation dans Notre-Dame de Paris, «le problème de l'image poétique», comme dit Gaudon (Gaudon, 1969, p. 14), n'en devient, par le falt même, que d'une pl us grande compl exi té dans 1 e texte romanesque de Hugo, où la métonymie du récit narratif se voit constamment brlsée par i e métaphorique ou par des él éments d'ordre poét lque 1 yrisme de 1 a narration, importantes digressions, surabondance de l'inter-texte et autres interruptlons du syntagmatique. Comme le mentionne Anne Ubersfeld, «avec Hugo, nous savons qu' i 1 est possibl e de construl re une pyramlde de néant, comme une cathédrale de l' espolr» (Ubersfeld, 1985-A, p. 306). En effet, 1 a toute dernière page de Not re-Dame 1 aisse 1 e lecteur devant ces deux choix: inscrlre lUl.-même le mot «fln» après avoir quitté les restes épars de Quasimodo à Montfaucon (p. 500), ou dépasser ce stade, 1 a questlon étant cie saVOl r ce qui l'emporte entre la condjtion exprimée par la fatalité, et cet «aveni r», de et dans l'oeuvre, tel que perçu par la critique récente. «Que ces structures soient marquées de négati vi té, c'est l'évidence. Négatlves SI l'on veut, ces structures restent ouvertes.» (Ubersfeld, Ibld.). Or le «poème nous dit une chose et en signifle une autre», suivant 1 a perspect ive sémi otlque proposée par Mi chae l Ri f f a terre J - 71 - (Riffaterre, 1978, p. 11). «Variation» sur le sens comme on dirait variation sur un thème en musique, il s'agirait donc de lire (d'entendre) le texte à caractère poétique comme s'il en était d'un «logogriphe» (Riffaterre, ibid., p. 204). Parmi ces varia tion&, il nous a été dé jà possibl e de constater que les assises installées par Hugo pour sa Notre- Dame sont de l'ordre du fondement historlque, mais avec, en surimpression (cf. réécritures, palimpsestes), celul beaucoup plus dynamIque et mobile des continuités mythiques,l à travers une «pratique assez généralisée», chez Hugo, «du déplacement, voire de la falsifIcatIon», comme di t Seebacher (p. 106'1 ). Nous avons d'abord voul u soul ever - ou du moins tenter d'identifier - certains de ces mythes de l'histoire, fai re ressortlr quelques-uns des archétypes qui partidpent de la ~tructure mime du roman de Hugo, et dont il semble possible d' dff i rmer qu' ils peuvent aussi bi en avoi r été puisés chez 1 es classIques de l'Antiquité que dans différents textes scripturaires, dans les traditions autant que dans ces ruptures auxquelles on donne le nom de modernité(s), tant à travers une subjectivité que par le biaIS d'un inconscient de nature collective. Or l'approche subjective de Hugo (< façon de VOlr, bonne ou mauvaise») par rapport à son objet (la matière qu'Il travaIlle autant que «le but de l'artiste»), dépasse le strIct niveau d'un imaginalre lIé à une réalité c'est Jules Michelet qui avait déjà évoqué cette «cathédral e de poeSIe aussi ferme que 1 es fondements de l'autre» (Michelet, 1833, p. 684). ·1 - 72 - unique, fermée: elle tIent compte à la fOlS de l'indIvIdu et de la collectivité, ou, plus exactement, d'un degré premler de perception (celui du moi) qui tend à se multiplIer à travers les différents palIers Impllcltement ou expllcltement exprlmés dans le texte ( 1 e nous, le socIal, la successivité paradigmatlque). et de ce falt transforme la 1ect~re unIque en une vision kal éldoscopique de l' homme et du monde. C'est pourquoi il nous semble possible d'afflrmer à la sUlte des études récentes faites sur Hugo que Notre-Dame de Paris 1482 se voudrait d'abord et avant tout une constructIon, c'est-à• dire oeuvre à construire plutôt que proJet achevé, terraln propice aux transformatlons plutôt que masse Immuable et arrêtée. Pour le texte poétIque, l'imagerIe (non pas prise selon une connotatlon péjoratlve malS bIen au sens littéral cf. l'étymologie - «statue»; «symbole»; (art de l' .... magIer'») se fonde sur une duallté qla peut être compatable à CAlle du mythe la non-fixité (voire l'évanescence) de ce qui est représenté (le slgnifIé), en même temps que la matérlalltê concrète, vêr i fi ab1 e, de ce t ext e 1 Ul -m2me ou de CP qUI C:1 es t à l'origine (le signlfiant). Dans la section qUI SUIt, c'est plus particulIèrement de l'aspect représentatIf qu'lI ~era question, cette représentation étant avant tout celle d'un espace rpndu par l'ent.remise du texte, et qUI, comme 11 l'a déjà été signalé auparavant, pose le problème des genres, et, en fond de scène, celui du polItique dans le cas de la prose J - 73 - hugolienne. Car, comme l'affirme Henrl Meschonnic, «Hugo déborde poétlquement la poésle» (Meschonnlc, 1985, p. 289), et la référence de sa poésle à l'espace qu'elle occupe pourrait très blen être ce «point d'ancrage en un lleu problématique, qUl serait en même temps un non-lieu», décrlt par les critIques Mlchel Collot et Jean-Claude Mathleu (Collot et Mathieu, 19B7, p. 8). Avec Notre-Dame de Paris 1482, Hugo atteint le but qu'il s'était fixé plus de hUlt ans avant la parution de l'oeuvre, soit celul de falre une épopéE'. Il réussit à la fois à produlre un texte qUI, comme celui d'Homère, mêle le poème à l'aventure, à fondre en un tout l'érudItIon prlVllégiée du discours instrult et le plalslr de la foule. Il cumule les anciens «Védas» aux «Niebelungen» en même temps que «Shakespeare» à lord «Byron», juxtapose «Homère», «la BIble», le «Romancero», «(RétIf de la Bretonne», «1 'EncyclopédIe», pour en falle ces «formes hybrldes» (p. 188), rassemble (~pyrami- des)", «temple lndlen') et «Babylone» (p. 172) en un espace unique et multIple - le scriptible -, oü toutes les lIbertés, toutes 1 es 1 i cences sembl ent permlses. J. Seebacher commente -::e florilège de références en insistant sur la dimension anachronique et hétéroclite du texte de Hugo. Hugo contamine en une seule fête différentes solennltés, dont le feu de jale de la Salnt-Jean en place de Grève, que Louis XI avait prés1dé en 1471. De même 11 ama 1 gamera 1 a basoche, 1 a truanderie et la bohème. De même il cristalilse en un 1482 romanesque (après 1 aVOl r abandonnt? l' exacti tude hlstorique - 74 - qui voulait 1483) des événements des années vOIsines et surtout des détall s d'époques dIfférentes. Il n'en va pas autrement pour les lIeux de l'actlon, dont on verra qu' ils sont presque tous construIts à partIr d'emprunts hétéroc Il tes et anachron:tques. Presque rIen n'est iCI d'Il'laglnatlon, plesq\lE' tout est de construction [ ... ] (pp. 1096- 1097) . Lieux symboliques d'une diSSIpatIon tant ~émantlque que des corps (des sens), tant charnelle que politique, les espaces dépeints dans l"otre-Dame rel èvent eux aUSSI d'une tradItion et d'un «goüt», celul de Hugo pour la pérIode fin Moyen-Âge et début RenaIssance. D'oü le souhait formulé par le poète, dans sa préface pour les OrIentales, d' «une littérature qu'on puisse comparer à une VIlle du Moyen-Âge.» C' es t 1 à une des ImagInatIons les plus folles oü l'on pUIsse s'aventurer. c'e~t voul 01 r hautement le désordre, la profusion, la bIzarrerIe, le mauvaIS goût. (O.P. l, p. 579) Ce «désordre» si cher à Hugo a serVl et servira souvent de décor type pour ses textes. Le thème du Moypn-Âgc pst dejà important dans les Odes et Ballades, dans des poèmes comme «le 1 Chant du tournoi», «la FIancée du timballer»", et surtout «la Bande nOIre», qui prend la forme d'une énumération de vestiges épars d'un passé perdu. L'intérêt pour la Renaissance - pour MontaIgne, RabelaIS, Shakespeare -, serait Indiciel chez Hugo de l'étape d'une recons t ruct 1 on devant suivre ce Il e d'un ------«La Fiancée du t Imball er», oü l'on ret rouve dé Jà un personnage qUl évoquera la Esmeralda, à travers les traits de 1 cette «~gyptienne sacrllège». - 75 - anéantissement. Pour J. Seebacher, Hugo, «contrairement à ce que l'on croit, a senti mieux que personne ce qu'avait été l ' irruption de 1 a Renaissance.» (Seebacher in Heitmann, 1986, p. 144). Jacques Seebacher voi t ainsi deux voies possibles qUl se dessinent pour le lecteur d'un Hugo admlrateur des grandes figures du XVIe siècle : [ ... ] ou bien nous allons continuer cet espèce de classicisme médiocre dans lequel 1 a bourgeoisie nous fai t vivre depuis 1830, et même depuis 1789, négligeant l'eytraordlnai.re souffle de bouleversement, d'invention, de décou verte et de bonheur que représentait, dans la nostalgie des gloires impérlales, l'effervescence romantique, ou bien, à l'enseigne de Hugo, nous sai si rons 1 a possibilité d'une nouvelle rena~~sance à laquelle il donnera son souffle, sa foi, sa puissance, ses mises en garde. (Seebacher, ibid., p. 145). c'est pourquoi il semble possible de situer Notre-Dame dans un~ espèce de non-lieu, qui est celui d'une époque frontal:! ère entre la renaissance à laquelle elle asplre et les lirr.itations de tout ce qu' e Il e cherche a qui t ter, conf l uent du roman médiéval traditionnel et d'une poésie au «Je» qUl se fait de plus en plus in:31stanb:, à la fin du XV e s1.ècle, et tout spécialement en France, moment de l 'histolre, qui sépare Villon des poètes de la Plé1.ade, et moment dans l'hlstoire, où la littérature recule en importance devant le politique et le socla. 1 .'1 ------Hugo avait dû interrompre un certain temps sa rédaction de Notre-Dame de Paris à cause des événements de ·1 JUlllet 1830. - 76 - r, S'il n'y a pas de référence explicite aux Rutebeuf, Villon, Ronsard, ou Du Bellay, toute une thématique - sinon une satire, - de la poésie ml.sére'.lse est présente dans Notre- Dame. Les descriptions d'un Gringoire pauvre, incompris de son public, aux vêtements usés, qui erre dans Parl.S sans le sou, aux aguets pour trouver «une plerre» pour oreliler (p. 57), ou «quelque ml.ette» pour souper (p. 59), sont typiques, à en devenir typées. Elles ne cessent df' renchérl.l- sur le fai t q".le le poète est un personnage de second pl an 1 comme sont de seconde zone 1 es vers de Cri ngoi re, 1es chansons de 1 a popul ace, ou l'étrange camp 1 ai nt e de Quasi modo, et ("omme cet te langue du peuple est aussi de seconde zone par rapport au latin de l'élite. Poésie et roman sont donr., dans ce contexte, 1 es résul tantes d'une adéquat ion parfai te en effet, comme 1 e signal e Zumthor, roman «51gni fj e proprement toute composition de langue vulgal.re opposable â un modèle laUn, même très lOJntain" (Zumthor, 1972, p. 159). Ici, la poésie se falt comme du temps de Shakespeare dans les tavernes plutôt que dans les salon~, dans la rue et non pas dans les seuls lIvres. Paul Zumthot, dans un article sur les évolutIons de ce qu'il a IdentIfié comme étant une «littérature de colportag8\\ (Zumthor, 1982, pp. 129-140), évoque dIfférents contextes et époques - aussi prlvl1~glés par un Hugo auteur de Cromwell, de 1 'Homme qui ri t 1 ou de WIllIam Shakespeare - «où se produi sai ent [ ... ] poètes, pamph létal r es, musiciens, en une foire d'empoigne à la poésie vivante :» - 77 - le Pont-Neuf à Paris [ ... ] A Londres, la 1 place Saint-Paul, à Madrid la Puerta deI Sol d'autres lieux ~ussi, auberges, tavernes, cabarets. Des pubs londoniens tapissaient leurs murs de broadsides, de tell e manière que les buvE.urs pouvaient s'unir à la ballade poussée par un chansonnier de passage. (Zumthor, ibid., pp. 136-137). C'est ainsi qu' il faudr.ai t 1 ire (entendre) 1 es passages de Notre-Dame où apparaissent chansons, gestes, et autres spectacl es de deuxième ordre : espace essentiellement de par- ticipation - pour ne pas dire de tradition ou de transition - espace du don, de la transmission de la parole, plutôt que de la fermeture, du renfermement et de la retenue. Lieu de médiation, le sujet poétique devient bien plus que simple dilettante élitiste dans le texte de Hugo de même que dans les traditions populistes. «. .. 1 a poésie ne s' adresse pas seul ement au sujet de telle monarchie, au sénateur de telle oligarchie, au citoyen de telle république, au natif de telle nation; elle s'adresse à l'homme, à l 'homme tout entier.» (Les Orientales, préface de 1830) . Quand Montalembert s'en était pri~ à «ces images et ces peintures lascives que M. Victor Hugo a laissées pénétrer dans son roman», à ce «penchant vers la matière» qu'il reprochait à Notre-Dame de Paris, il y a lieu de se demander si c'est seulement à l'impureté du sujet qu'il en a, ou si ce n'était pas plutôt à ce «mélange continuel de grotesque au tragique» (Montalembert in : Guyard, 1976, pp. 607-608) qui rappelle nominalement les genres esthétiques définis par Hugo. Au - 78 - cours de cette période si hosti 1 e à Hugo que seront 1 es prem~ères années du v~ngtième siècle, le cr~tIque Lou~s Maigron s' ~ndignerai t de ce que Not Le "Dame de Pans ne 50] t «plus faite pour abriter les fidèles," (Malgron, p. 182) . En effet, Notre- Dame 1 comme Le Mo~ ne de LewIs, est 1 e lieu de la disslpatlon plut6t que celUl de l'obéIssance tant rel~g::.euse que cl':ile. On y chante, déclame, P.t on y crIe, on y jure et on y blasphème, et il est vr-al qu'tian n'entend murmurer sous l es hautes voûtes auct:.~; chuchotement dp. pd èl e» (Maigron, ibid.). Mais préCIsément, c'est qt.: /! ce qUI se di t revêt moins dl impor tanc e, dans Net re - Dame de Pa ri s 1482 , que le simple droIt de dire. «Le rapport», dIt Meschonnic, «entre le poèmf' et. l'~Jlsto::.re n'est pas sItu6 cL:ms ] 'énoncé seul, mals dans l'énonCIatIon elle-même.» (Meschonnlc, 1985, p. 291). C'est dans cette capac::..té de mOdlf] er son propre destIn par l'entremIse de la parole que le mOl peut se définIr par rapport à une collectlvlté, peut Intervenlr SUl le! plan de l'h1stoire. Et c'est pourqUOI le texte hugollen, échappant à des trad::.tlons qUl cherchent à fIxer 1<:1 matIère langaglère, se reconnaîtrait plus volontlet"s dans ces fOrmE'0 de NmauvalS goût» et s'U]et:es à transformat~ons qu'étal('nt celles de la pér~ode médiévale, Atl moyen âge, les poèt E:", son t gens de Pr-cvence, co~::tlsans de Bourgogne ou de Champagne, P.r ras, Toulouse;, Tloyf;S ou Rouen éclipsent t>0.Ll::~ Lr rJ,J.ll~;.., l'orthographe, le vocabl;la}[e nnt la dlverslté de ces ct'lglnes. La langue de l'unitA est encor~ le latJn, Il y a , autant de «vulgaIre:::;" que de prOVInces. - 79 - •1 Cet lmmense domaine de notre passé, où tant de ri chesses, de trouvai Il es, de hautes pensées et de folles demeurent comme en eXIl, parce que les langues multIples d'alors ne sont plus que mal percepbbl es à l' orei 11 e française [ ... ] (Aragon, 1952, PF- 18-19). Tou t comme le::; genre::.> lit t éral res étal ent encore des formes libre::; ver::; la fln du Moyen-Âge, fu::;ionnant parfois les caractéristiques du roman au réci t personilel, dl" la poésie au testament, des chansonr. au conte, la langue, elle aUSSI, (In 'étalt guère plus fIxée qUE:' ne l'était l'unité nationale» (Bourr!"~:;f'r, 1936, p. ~7). C'est donc dans cet ordre des choses SOlt dans une perspective IlngUJ._stlque qu' il faudr.:ut s1tuer et romplendre la démarc:-:'e d'un Hugo mêlant les argots et le latln, le vernaCUlall."e et les modes d'eXpteSSlon dIts plus noble,c::, et dans ce partl-pns même, à la base exacte de son mode d' express 1 on la langue et: la llttérature --, où déjà Hugo procèdela1 t a la mlse en place de son propos fondamental, qu: sel-alt d'ouvnr, de décloisonner le poème, l'écnt, la parolc.- N'est-ce pas d'ailleurs ce qu'avaIt B:::::ara Johnson, dans ses observatIons sur les DéfIguratIons du langage poétique dans le poème e!l prose, InsIste et aver ra) son nous semble-t-l.l - .:Jur les actuels que~tlonnemenf-~ de Id crItIque, qUI sont passés des OppO:;ltlûll:J C':,tre prose et poésie à celles de «langage Otdlna:rE''' à «langage poétlque», et qUl. n'ont «rien dlSS1pé», selon d 1l', (,de l']ntensIté des quer;tlorls de Iltterallt':' qc:i s'y posent" (.Jo!îCl::or~, 1979, p. 10) _ Or, le «déclolsonnement» auquel :lO\;;~ fa1.s0YJ:::' ICI allUSIon se sltue préCIsément à ce n.lveau q\.:: en es~ un d'écrlture et de lecture de ce qu'il COnVlenGl.a..:.t de :lommer la VOIX, malS selon plusleurs acceptIons (phYSIologique, nùrratolog:que, :::;oclale, etc.)_ En effet, ., n'y duraIt pas et selon t:.nc oplnion de plus en plus fOlte en cdtlque actuelle - de dIchotomie véritable 1 entre' ce que 1'0:: ::.dcntl fie comme les expreSS1.0ns dites - 80 ------_,J perçu Pierre Albouy en transportant le débat des interrogations sur 1 a «vraisemb 1 ance» , ou 1 a «pureté» des genres 1 i ttéralres, vers cel Ul beaucoup pl us pert inent des «représentat: ons» et autres «possibles de la réalité» (Albouy, 1963, p. 15), réall té qui, du temps de Hugl:', se VOl t désormais attachée à son étroit synonyme qu'e'3t «écriture», mal.S qui, avec les Balzac, Hugo ou Dumas, connaîtra l'éclatement que l'on connaît - éclatement d'abord et avant tout physique, avant même que symbolique (symboliste), débordement de la paroI e par l'excès de l'écriture, broads ides «modernes» qui deviendront les feuilletons. MalS dans la Notre-Dame de Hugo, c'est surtout à une réalité autre, médiévale et antique, qu'il faut arti cul er 1 es passages gr i voi s ou gaul o~ s, où 1 e prof ane, à tort ou à raison, ~era perçu comme profanation. [ ... ] le tnomphe de l 'écn ture [ ... ] fut lent, contrarlé, tardl. f, et les mentalltés scrIpturales demeurèrent jusqu'aux XVIe ou XVIIe SIècles lrès minorltal.res. C'est pourqUOI (pourrall on soutenlr par paradoxe) la différence, intultive J'alileurs plutét que matlère à preuve, que nous faIsons entre «tIctIon» et «réallté historlque» est lnappllcable à ces textes. CeUX-Cl procèdent, tous ensemble, d'une même lnstance : la traril- écrites et celles dltes de la VOlX. Claude Hagège faIt partle de cet te tendance, et VOl t dans «1 e st y 1 e ora 1 [ ... ] un véritable genre llttéralre. Il s'agIt [selon luI] d'une tradltion naturelle qUl paraît apporter une Justlflcatlon à la création d'un terme, orature-, lequel deviendralt symétllque de celui d'écrl.ture, entendue comme Il.ttérature (souvent à l'excluSIon de la tradltlon orale, certes tout aUSSl littéraire elle-même, au sens où elle conserve les monuments d'une culture, mais ne laisse pas de trace matérielle)>> (Hagège, 1985, p. 84). J - 81 .- III '1 :1 / tian mémorielle transmise, enrichie, et incarnée par la VOlX. (Zumthor, 1984, pp. 108-109). C' est donc dans 1 f examen et 1 a considération «des instances du texte» - tant oral qu'écrit -, «prises dans leur totali té (,) que peut se tai re une 1 ecture idéologique du texte» (Ubersfeld, 1974, p.88), et les fantaisies, mélanges, et caprices de Hugo diraIent «l'histoire réelle mieux que la chronlque des hauts faits princiers, l'aventure de la civilIsation mieux que l'exactitude pseudo-objective des manuel s seol ai res» (propos de Seebacher, p. 1064). Quoique 1 'on puisse s'irriter des libertés de l'écriture hugolienne, on ne peut cependant manquer de VOl r dans un texte c:>mme Notre-Dame de ParlS la constante fonctlonnalité d'une structnre blnalre et d'une dialectique, tant sur le plan de la forme que sur celul du se~s et de l'interprétation. ~crlture- symbol e, la véri tabl e «moder-nl té» de Hugo, conune dl t V" Brombert, apparaît bIen plus que dans les seuls «processus de dissolution», mais aussi et surtout «dans sa croyance que la réali té, comme l' histoi re, est un texte» (Brombert, 1985-8, p. 17) . - 82 - J VOIX VERSUS EN FERMEMENT «L'oralité contient la collectivité», postule Henri Meschonnic (Meschonn~c, 1985, p. 292). Nous paraphraserlons en disant que l 'orallté sous-(en)tend le corps social, tout comme 1 e corps contlent et sous -tend la VOIX. La signalisation de Montalembert en ce qUI concerne la matlèLC (op. ci t .) peut donc èt fe récupérée se 1 on un pOInt de vue différent: Seebacher, en partant des terrIbles détermJnlsmes physIologIques qUl sont ('eux de QuasImod.o, propose que «la catastrophe découle en grande partie de la surdIt0 de QuasImodo, figure symbollque du Peuple emprisonné clan" 1 a matIère» (p. 1062). MalS plu~ gra~d enCOL'e est 1t: conflIt qUI. se trouve au centre de Notre-Dame, salt la passion InaSSOUVIe de dom Frollo, et son incapacité de dire. c'~st â partir de cet axe que nous élaborerons notre propre hypothèse sur 1 a nécessi té du poétique dans Notre - Dame de Pa rIS. Car ce confllt rést:1i\e les antagonIsmes qUl peuvent exister entre pensee et chair, entre pOUVOIr et peuple, malS aussi, entre enfermernent et ouverture. La question prInCIpale, entre la CathédralE: et le LIvre, pour Frollo et pou r Hu go, est [d 0 n c] cel l e dus a v 0 11.-, d (, 1 a soi f de cc:m;n SSélncp, e-t sur t out des lnterférences douteuses qUl se produisent, â de C'E:rta::ns moments de l 'histOIre et de la VIe d'un homme, f'ntrc différents systèmes d'::;tNprétatlon, mais aussi entre 1 e corps et l' esprl t. (p. 1067). J - 83 - Le drame n'est pas tant dans ce qui se déroul e dans Not re-Dame de Paris - les Injustes procès de Quasimodo et d'Esmeralda, les châtiments, les humiliations, le sort que subissent les protagonIstes; le véritable drame naît de ce qui n'a pas lieu dans l' hl stolre. Esmeral da ne cannai tra jamais l' homme qu' el J e adore. Fro lIon' aura pas l J agréabl e 1 oisi r de démystifler l'Image de celle qu'11 désire. Quasimodo, en plus de son Impossiblf> amour, se sera dévoué pour un maitre qui n'est même plus maître de lui-même. La Gudul e aura sa vi e duranL et sans s'en rendre compte, haï sa propre fille. Fatum: fatallté. De l'ironie à la tragédle. Le parad .... gme de la limItatIon comprend donc, à la fois, tous les synonymes de la chair et ceux de l 'emprlsonnement de la matière.: Ce qUl dIfférencIe Jehan, Esmeralda, Grlngoire, ou même Quasimodo de Claude Frollo, c'est leur capacit~ d'ouve~ture, de diu'. Frenc, on le sait, s'identifie surtout avec le champ scopique dans Notre-Dame. Or c'est bien plus a;..< nIveau des sens qu'à to~t autre nIveau que les éléments centraux sembl ent opérer dans le text e de Hugo (pensons i ci a ux thèmes mêmes de l'écrivain les Contemplations, ou les VOlX intérieures) . Les princlpaux personnages de Notre-Dame de Pa.t-IS connaIssent tous une candi tion d' enfermernent pour Fr0110, elles sont symbol~sées par la tour et par son , ., Un parallél1sme il téressant peut être Ici suggéré si l'on compare, dans ce cont~xte, l'oeuvre de Hugo à celle d'un Villon par exemple, dont l'Épitaphe résume ces thématiques du corps et de l'espace poétique en un seul 1 ieu qu'est le texte. - 84 - • obsession; pour l a Sachet te, par le rédult et une mortificatlon volontaire; Quasimodo, Esmeralda, et Grlngoire connaissent d::.fférentes formes d'arrêts, d'empnsonnement, et de condamna t l ons. MalS ces emprisonnements de la matlère, condit::.ons même d'un exister, sont perçus !3elon deux man::.ères par les protagonistes, qui sont de l' ordre du passlf et de l ' acti f . La dichot omle de dom Frollo est percept:1 bl e d'abord par son malheur «physique>'.. Quasimodo, peut-être par inconsclence ou innocence, connai t des moments de bonheur, mf'lT,f' éphémères. La joie enfa:1tlne qu'il éprouve de sonner les cloches en criant de pla::.sir en est un exemple (pp. 152-11)")). Blen que Quasimodo et Gr lngo::. re 501 en t eux auss l pn vés des J 01 e;:; de l jJ chair, Ils réussissent tout de même à eXprl.mel par la vo~ j( leurs sentlments; Frollo, au contraire, dOlt cacher ce qu'il r essen t, et en ce la, incarne l' impul ssance même. Il doit constamment aVOIr recours à des intermédIaIres pour parvenir jusqu'à Esmeralda, et lorsqu'lI avouera enfIn sa paSSIon à la bohéml enne, il sera dé Jà trop tard. Lac a tas t r op t. e a Il 1 a commencé de fa::.re son oeuvre de destrtlctlon en lui, liet! même où une envie bien légitIme (celle que tout l(~ monde semble éprouver pour la gl tane) se sera peu à peu tranSfOrrT\f:'p pn aliénation, «poids du réel sur l'idéal, de la mat::.~re sur l'espr::.t, loi latente de l'anankè faisant prédolTlIne!. ]a f oncti on dramatique du grotesque» (GOhI n, 1985, p. 27). 1 - 85 - 1 Parole «grotesque»; parole «où se dit [ou non] un moi, celui du scripteur ou celui, fictif, du personnage» (Ubersfeld, 1985-B, p. 10). Lieu du texte, le poème, dlsséminé au travers des manifestations tant écrites qu'orales comme il l 'p.st à travers l'Hlstoire, se donnerait avant tout comme un espace du corps, devenant chez Hugo ces «membra d1s jecta» évoqués par A. Ubers fel d, ce «corps di ssém~né d'une expérlence fraternelle» (Ubersfeld, ibid., p. 11). Non-lieu, 11 sera l' o<.;caSl or.. de soul èvements, d'ascendance, ou d'une certaine élévatIon «de l'âme» 1 «de l' espri t» di ront les poètes comme Hugo; mal.S aussi de cet espace <"intérieur et Incertaln que nomment tant bIen que mal des métaphores» comme le souligne P. zumthor «source, fond, moi, Vle ... », espace avant tout de par-ole «qui ne désigne nen à propt"ement parlet"» (Zumthor, 1983, p.159). Qu'il s'agisse d'une parole qu'on «n'a pas le droit de prononcer» ou d'«une parole que le destl natal::-C ne peut entendre» (Uhersfeld, 1986, p.117), le droit de dire, chez Hugo, est caractérisé par un empêchement, une limltation. La «réalité» - historique, chronologique - qui passe par la matlère est le premier niveau d'expresslon de ce détermll11sme, et de ce fait s'oppose au symbole, qui, lU1, opère à un autre ni veau 1 second 1 et qui s'impose comme l' espa ce cl' un possibl e qui transcendera cet te même ma t i ère. Exami nons, pour terminer, les exemples de Gringoire, d'Esmeralda, de Jehan et de Quasimodo, qui sont, dan~ Notre-Dame de Paris 1 ce que l'on pourrait appeler des scripteurs fictifs. 1 - 86 - GRINGO{I)RE REPR2SENTATION/ANTI-REPRgSENTATION A l'exacte jonction du fictif et de l'historique - qui est le lieu mythique par excellence - se trouve le poète Pierre Gringoire. Moins connu que Quasimodo mais tout aussi hybride sur le plan du scriptible, Gr~ngoire n'est pas le premier ni le seul représentant d'une 1 ignée de poètes nés de la plume de Hugo, et qUl tous ont entre eux des traIts de ressemblance : Rochester dans Cromwell, 'l'ho 1 omj'ès dans 1 es Misérabl es, Ursus dans l' Homme qui rl t pour ne nommer que ceux-là. MargInal en même temps qu'intImement llé au peuple, égotiste mais aUSSI f~gure du don ou de la transmis::nbilité (de la parole, de la VlC, ou d'une (::,onnaissance), le poèlp est tout au long de la production de Hugo un thème a.ussi t-lche et complexe que celui de la poésie, auquel il se juxtapose. Si Rochester et GrIngoire, à maints égards, offrent des caractéristiques assez sImilaires (Bellessort, 1951, p. 38), c'est pourtant avec un autre poète figurant dans ~romwcl1 John Milton -- que Gringoire manIfest(~ un plus grand nombre d'affInités par rapport à ce «prolongement», auquel Hugo fait allusion dans William Shakespeare, qUi cst «double, ! 'un dans l 'histoire, l'autre dans le conte» (W. S., p. 231). Comme pour ce qui est de Cromwell et de MIlton, les dictionnaires, encyclopédIes et anthologIes nous conflrment 1 es exist ences d'un LOUl s XI, et d'un certain p~ err e Gn.ngore, qui aurait eu en réalité CInq ou six ans en 1482, et qui J - 87 - 1 , ef fecti vement «obt int des succès» sous Louis XI l (p. 497) grâce à une pièce qu'il produisit en 1512 et qui répondait à une commande du roi. Hugo - qui devait être enclin au ludisme dans l'écriture - s'adonne donc ici aux jeux de l'homonymie: il y a Histoire et histoire, ct il y a Gringore et Gringoire. Or l'Histoire elle-même ne s'est pas arrêtée à un seul Gringore. Dans les études menées par Henri SauvaI qui sont une référence précieuse en ce qui c)ncerne le Hoyen-Âge et que Hugo cite dans sa Notre-Dame -, SauvaI, donc, rel ève au moins deux graphies différentes lorsqu'il est question chez lui du poète dramatique français. Outre GRINGORE, les documents anciens (SauvaI in : Gringore, 1877, p. xx) mentionnent également le nom de Pierre GRgGOIRE (ibid.). En introduisant sa propre graphie, Hugo, de manière fidèle à la stylistique médiévale et tout en modifiant les éléments d'historicité dans son texte, s'en remet à d'autres traditions de langue et d'écriture où une certaine liberté pouvait encore prévaloir sur les décrets culturels à venir. Car la graphie n'était pas fixe et stable au Moyen-Âge, la norme n'étant guère établ ie en matière de langue écrite, et cette langue, encore très proche de l'expression orale, pouvait à l'époque se prévaloir du droit à la variance. Conunepour Villon, le lecteur dans l'Histoire ne peut que spéculer dans le cas de Gringo(i)re : sur des lieux, des dates, des événements approximati fs; sur des écri ts, des J - 88 - , 1 graphi es. ('" est 1 • inachèvement de 1 • Histoi re. Et c' est aussi l'inachèvement de l 'histoire de Gringoire qui est son Anankè -, poèt e sans succès. sans t ext e, qui cède 1 apI ace au rire du spectateur, au non-lieu du grotpsque. Quand le poète GLngo::.re, dans la Notre Dame de Pans de Hugo, essaIe de faIre jouer son «myst ère) l] t téral re, 1 e publl c le déserte et s'en va contempler les gr l ma ces deI a f ê t e des Fou S : 1 a non parole l'emporte sur la parole littéraire. (Ubersfeld, 1985-B, p. 9). D'abord espace grotesque, le mystère de Grlngolre se présente essentlellement comme un non-texte, où personne n' écou te nI ne regarde <"1 a pa uv re mora l Hé"), 1 e poète voyant «s'écrouler piÈ'ce à plèce tout son échafaudagp de gloJre et de p 0 é SIe ») ( p . 4 6 ) . «Pas de turpitude qUl ne [Salt] d~::, drolt~~ dans ce décor anarchique, «et, dU miljeu du brouhah;:l», de l '«ef f rayan t chari vari de bl asphème::; et d' énorrnl t és'~ qu lest «cel ui de toutes ces 1 an gues échappées [ ... ] contE'nt~,:'::; le reste de l'année par la crainte du fer chaud de saInt LOUIS'>, on peut, en «un si beau Jour, en sj bonne compagnj e de gens d'église et de filles de JOIe» <<'Jurer à son aIse et maugréer» à son go û t (p. 3 6), 0 u 1 an CE' r cl es «r allIe r 1 es» , des '( a p pel s go gue na rd s » (p. 16) à tau t ceCI u ' 0 n v eut, « No b les se», II' CIe r 9 é» (p. 28), ou autres têtes de turcs, cornues (p. 17) ou non. Mais justement, c'est qu'il faudtai t lirl?, comprendre cette cacophonie non pas unIquement du point de vue d'un résul lat déjà inscrit (ou écrit) 1 mais bIen comme «geste(s] de parodie» (p. 16); car c'est sur le ton de l'ironie qu'il est enfln 1 - 89 - donné droi t au lecteur / specta teur de pouvoir savourer l'unique «vers mirifique» : One ne Vl t dans 1 es bois bête pl us triomphante (p. 32). Or Gringoi re et Gringore/Grégoire coïncident au moins en ceci: ils rassemblent dans leurs oeuvres respectives, et «pour la même occaSIon, une moralité et une farce» (Zumthor, 1978, p. 132) [ ... ] pol ymorphe lIa farce s· insinue 1 à l'occaSIon, dans tous les discours. Elle tient davantage, en cette fIn du XV e siècle, au XVIe, d'un état d'esprit que cl' un code puissance du ri r e, dég radée en nuances, de l a joyeuseté vlscéra le à la parodIe méchante Jusque (pour une senslblllté plus moderne) à la li:nite du larmoj'ant. Quel que sa) t le pOInt de vue que l'on adopte pour tenter d'éclairer le contexte èc :e siècle, on retrouve la farce au carrefour. Mal distincte des «mon t res>' et mimes de toutes ces f êt es 1 sans liml te préCIse du côté des «mo raI it é s » a Il é go ri que S Dl de las 0 t i e [ . . .] ( Zum t ho r, i b id. ) . Mul ti fonne, l a dissipation des genres, à travers di fférents traits de l'écriture médiévale, est donc au centre même de Notre-Dame de Paris, suivant le projet émis dans la préface de Cromwell de réunir t ragédi e et comédi c. Même si Gringoire s' lndign~ à l' ldée que l'on eût pu chanter des «bergerettes) ,1 dans sa mora 1 lte", la comédie s'insinue malgré tout (à ses dépens) avec 1 e concours de grimaces et l ~~s interruptions qui n'en finl ssent pl us. c'est donc uniquement au niveau d'un «Il ne faut pas confondre les genres. Sic' é t ait un e sotie, ;\ la bonne heure.» (p. 26) -- 90 - para-texte qui ressembl e pl us à une étude psycho ou sociolinguistique qu'à une pièce de théâtre - que la moralité trouve sa raIson d'etre dans Notre-Dame, conditlons dans l esque Il es des locuteurs aut res que l' éc rI vaIn prennent possessi on de l'espace de paroI e. Grlngoire se VOlt dOlle ob llgé de des cendre de son piédes ta l et, excéde, l anct:ra lUI aussi sa tirade, répondant (t.ant pal le ton que pal }(.:' style) à l'affront qui lui est faIt: «Be Ile cohue d'ânes et cl c butors que ces Parisiens! grommelait-Il entre ses dents; ils VIennent pour entendre un mystère, et n'en écoute:1t rien. I!~:Je sont occupés de tout le monde, de Clopln Troml1 efou, du cardInal de Coppenolc, de Qu,l::imodo, du diable! Mais de la VIerge Millle, pOlnt. SI J'aV3.1::; su, Je vous en aUtalS donné, des VIerges M'-'rle, badduds! ... ) (p. 56). Et Gnngoire deviendra saI tllObanque, épom:ant par des voeux grotesques Esmeralda 1 la chanteuse-danseuse. L'unJon IntlTne d'2 la mU:JJque el de la po é s 1 e que l' 0 n a c LuI on g t emp s è t r e partlcuIJère à la RenaIssance, est, au contrail.e 1 dans la pl us pure tradl tion médiévale [ ... ] En effet 1 à cetté époque, c'est la chanson qUl représ(~nte le mi e'-'x l' ~~n: on de ] Son parcours, en partie calqué sur l'HIstoire, tracera plut6t une régressIon qu'une évolution, la plètre qualllé de sa production f;nsant de lui pour toute la durée de ] 'lntngue un 1 poète «vide» (Seebacher, 1975, p. 318), Vldé, en fal.t, de son - 91 - activité, de sa fonction, de sa mission, et dont la carrière se voi t interrompuE' jusqu'à l' avan t -dernl. er chapi t re à la fdveur d'activités de jonglerie. - Je SUl.S philosophe pyrrhonien, répondit Gringoire, et je tiens tout en équilibre. - Et comment l a gagnez -vous, vot re vi e? - JE" fais encore çà et. là des épopées et des tragédies; mais ce qui me rapporte ! e plus, c'est l'industrie que vous me connaissez, mon maî tre. Porter des pyramides et des chaises sur mes dents. Le métier est groSS1.er pour un phi l osophe. C'est encore de l'équilibre, dit Gringoi re. Q\..\and on a une pensée, on 1 a retrouve en tout. (p. 388). L'allusion à Pyrrhon est claire l a phi l osophi e du scepticisme ouvre le texte sur la possibilité de changements et de transformations. S'il Y a effectlvement gross] èreté comme di t Frol1 0, il y a aussi «appel au renouveau», comme 1 e fai t remarquer J. Seebacher (p. 1074). Gringoi re, dépourvu et vidé de son sens inj tial, laisse donc la placE" à c~s autres poètes de l' histoire, qui sont en quelque sorte annoncés par Jehan, Esmeralda, ou Quasimodo. Et le signifiant (Gringoire poète), coupé de son slgnifié (Gringoire saltimbanque), subsiste à l'état latent la pièce avortée ne connaîtra d'audience vraiment qu'en 1512. Le personnage du poète, dans Hugo, a souvent. des aspects cachés ou inconnus du lecteur, ceci comparatl.vement aux principaux protagonistes; ce qU1. n'a r 1. en cl' étonnant pui squ' 11 s'agit toujours d'une représentation personnificatrice secondai re. Cel te secondari té trouve son prolongernent dans 1 - 92 - • l'exercice de la doubl e fonction d'acteur chez l a pl upart de ces poètes Gringoire est metteur en scène, Rochester se déguise, Tholomyès a un faux visage.. dans son rapport à Fan tine, Ursus et ses amis sont comédiens. Pour Ursus, cet te double activité (poète et acteur) correspond à un certain envers de la culture Grand Siècle, notamment sur le plan de , son rôlE' de saI timbanque, d'artiste de foire." On a donc un archétype qui es t véhi cul é t out au long de la production de Hugo, celui de l'artiste bohème, adolescent at tardé (Gringoi re, Thol omyès), cel ui, en somme, qui n'est pas «accomp li» . Le poète est souvent un «ét udian t», ou bien un personnage qui a des rapports intimes avec un certain «savoir» : ainsi, Gringoire, élève de Frollo, ou Ursus, qui est une espèce de maî t re d' écol e pour Gwynplaine et Déa. Cet arrière-plan où se retrouve le poète n'est pas que péjorativement connoté chez l:ugo; l'ombre, lieu du caché, peut aussi être celu~ c.~ !a potentialité: et Gwynplaine, Valjean, Gringoi re , Urs us s'élèveront dans laI umière de la connaissance. Ce positionnement peut donc être perçu comme Le poète est secondaire tout comme le ~tatut (le paraître) le sera par rapport ,tux valeurs «vraies» (l'être). Sur ce dernier point, le projet de la plece Les Jumeaux (version de Hugo de L 'Homme au masque de fer) est un bon exempl e d'un certain envers des choses proposé dans le texte hugolien. Anne Ubersfeld mentlonne, à ce sujet, le «li~n du mal avec 1 a tout e-pu~s sance dont la fabl e du Masque sembl e la paradigme» (Ubersfeld, 1974, p. 357). Le bien et le mal ne sont que les deux faces d'une seule et :nême ~~éalité. De même, une certaine «culture» de l'aristocratie, et cette sous l cul t ure du peup le, incarnées par l es jumeaux. - 93 - extrêmement dynamique dans l'organisation hugollenne, tel un devenir en suspens. Le poète peut à la fois ~tre positif et négatif dans le texte de Hugo. Ains i, Urs us , à 1 a foi s généreux, doué de compassion, et 11lisanthrope, ou Gringoire qui, bien que doté de bonnes intentions 1 livrera, comme dans l'archétype de Judas, Esmeralda à Frollo. Le po~te n'est pas tant ici le détenteur du monopol e du «Seau» OLl ,lt; «l'Art», bouffon 1 fou du roi, ou dilettante, que catalyseur entre les choses et les hommes, el entre les hommes et eux-mêmes. Le Gringolre de Notre-Dame, en dehors de son rôle lrès involontaire de Judas, sert également d'lntermédlaire entre l'aristocratie et 1 e peupl e, et ce 1 dès 1 e début du réd t, lors de la présentation de son mauvais mystr.re. Cette position ambivalente se perpétue jusque dans son intégration à la collectivité des gueux par le mariage (non consommé) avec Esmeralda, et la rencontre, à la fin du roman, avec Louis XI (pp.441 et sui\,. ). Gringoire est donc constamment à 1 a 1 imi te entre action et non-action, entre faire et non-faire. Il se trouve également au centre de l'expression verbale (de la diégèse donc 1 et de l 'histoi re) par son passé (et surtout son avenir) en tant que poète. Il agi rai t comme pi 'Tot ou axe ent re tout ce qui est fond et forme, fondement et cl i cbés, ou encore entre limitation et potentIalité réalité/flction; poésie/philosophie; poétique et rtmanesque; «versifJcatp.ur»/ poète; etc. «SI Gringoire vi vai t de nos jours 1 quel beau 1 - 94 - milieu il tiendrait entre le classique et le romantique!» (p. 72). Comme la langue (savante, ou simplement code), les «Belles-lettres» sont prises dans le même étau que Gringoire dans Notre-Dame: une des mâchoires correspond à la définition idéal e du «génie»; l' aut re, à tout ce qui est «grimaces», grotesque, ou à l' 1 ronie d'un très hypothétique «pouvoi r de 1 a poésle» (p.50). Judas, Gringoire n'ira-t-il pas jusqu'à nier (trois fois, comme Pierre) ses «maîtres» - J!:sope, Homère, Hermès: «Je ne vois pas pourquoi, dit-il, les poètes ne sont pas rangés parmi les truands.» (p.87). Gringoire est donc le poète et l'anti-poète. «Scrivassier» (Seebachec, 1975, p. 319), le mérite de Gringoire se situe plutôt à un autre ni veau, qui serai t de provocation. Son mauval.S texte en génère cl' autres 1 textes oraux, triviaux, qui sont ceux du peuple, de toutes les couches de ce peuple. Dans Notre-Dame de Paris, Hugo (re)crée un archétype du poète qu'il continuera d'élaborer et qui, par la suite, sera reprl s par Banvill e (et par tout le monde) 1 archétype qui correspond au «pauvre» poète médi éva l (h ,tebeuf, Vi lIon) et au 1 fameux «poète maudi t»- (< ennuyer tout le monde avec ses lamp.ntations. Car le lecteur est en droi t de se demander à quoi peut bien avoir servi d'introdulre le court chapitre intitulé «Impopularité» (Livre quatrièrr,'?, VI) .. sinon à insister sur ces aspects qui sont L'expression ne sera en fait mise à la mode par Verlaine qu'en 1883. - 95 - ceux du poèt e d' aut refol s, passé (lst e), et des poètes qUl arrivent en même temps que Hugo, poètes «romantiques~, et qui (contrairement à Hugo) sont «médiocrement aImés du gros et menu peuple» (p. 112). Car ce n'est plus, à ce stade de l'histoIre, Grlngoire qui détient le flambeau de la poésie, malS bIen les grotesques, QuasImodo et Frollo, qui vont «dans leur quartier comme les "poètes" dont parle RégnIer». Toutes Doctes de gens vont aprè~ les poètes Comme après les luboux vont criant les fauvettes. (p. 163). S'lI est poète de Notre-Dame, GrIngolre ne l'est que de titre. Et Hugo, ce faisant, 1 aisse cet te pl ace «vide), prête à occuper dans son texte et dans son hlstoire, qui ~eront les «lieux de l'envie, de l'impopularlté, de la dIstance intéri eure et de l'écart socia 1» décri ts par Jacques Seebacher (p. X). 1 - 96 - • VO 1 X/VOLAilLES Déjà dans le Château d'l diable (1812), Hugo, enfant, fait l'expérience d'un travestissement de l'écriture à laquelle Il veut donner des allures de VOIX Eh bl en, malS vOll à un moyen de reprendre du coeur, chantons, cela donne du courage quand on chante, on se croit deux ... Ta, ta, ta, la, la, la, etc ... (r.c., II, p. 1294). NarratoloC;lquement par 1 ant, le cas est intéressant juste en cela cett~ tendance, comme l'ont proposé ailleurs J.-J. Thierry et J'.)sette Mélèze, à «se fUl[r] en se multipliant» (T.C. l, p. 1800). En effet, on dirait que «Hugo a besoIn de s'évader de soi» (Ibid.). Majs plus encore, le lecteur aura la sensation d'une fuite par rapport aux sens premierG, de conv~ntion; car Hugo reformule, ou vide le texte (aux allures familières pourtant) de son contenu classique, habituel, pour le réinvestir à sa façon personnelle, bien à lui. Ta, ta, ta, la, la, la, etc. : texte vide, oui, mais aussi texte de re- connaissance; en même temps que 1 e personnage de Robert, dans le Châ teau, cherche son chemin dans 1 a demeure obscure, 1 e lecteur aura de son côté tout de suite reconnu, ne serait-ce qu'au nIveau dll rythme, la structure d'une comptl.ne. Pour ce qui est du «etc.» : tutl. quanti - ou n'Importe quoi - et le reste. Ou devinez, créez vous-même le reste. Car - et c'est là sans doute l'aspect le plus important de ce court extrait - 97 - in-signifiant - le signifiant est ici presque à l'état pur, c'est-à-dire d€apourvu de sens fixe, lexical. Dan.:; Notre-Dame, la dichotomie signifiant/signIfié .sera encore plus marquée, allant même Jusqu'à devenlr un thème récur rent du roman. La scène du procès de Quas Imodo (Li vr e VI, chap. 1) montre bieD que les dIalogues de somds ne Dont pas que l'apanage des malentendants, malS ausSI Ct"'lUl des classes, des hiérarchIes, des dIfférents pallers dl' pouvolr. Les exemples sont nombreux, et par leur accumulatIon mèm('> finissent par produire du sens : rappelons entre autres les textes en langues étrangèrf?s, 1 e cas de Gr IllgOl re et de son texte dramatique qui sera rédult au nlveau clIO' non-texte, le silence de Claude Frolla, (grand) prêtre et érudit, qUl devient dépravé et possédé «d'une seule misérabl~ pensée» (p. '267), l'antIthèse que représente QuasImodo ~Ul, de "ourd deviendra chantre et poète, et qui, bien qu'infl.l:me, possède une f oree physique hors du commun, et surtout Phoebus, qUl résume tous ces antagon ismes du pa raH re et de l' êt re à lUI seul. Et ce sont l es apparences qUI mènent pour une grande Plut le bal de Notre-Dame, qui évei.lleront la paSSIon fatale de dom Froll 0, qui t'Hon t condamner Esmera 1 da pour soree Il en e, mal s surtout q 1..-. 1 laI 55 eron taux f ut ur s récepteurs / speeta teurs certalnes Images de sur face qU.l ne r enden t pas tau jours compt. e du fond de l'oeuvre. Anankè de Quaslmodo, du bossu de Notre Dame 1 mai::.; à 1 a t ois aussi Anankè du roman de Hugo. 1 - 98 - Les comptines, mystères, monologues, décrets, et autres orationes sonl donc autant de sIgnifiants flottants, laissés pour compte, qui apparaissent çà et là dans le texte de Hugo, eux-mêmes textes, mais plus peut-être textes en deveniA.', qu'il reste à l' hlS!:Ol re à Investi r au ni veau de 1 eur .::harge sociale, culturelle, collectlve. Blen que métalangage - et de surcro î t, dans Notre-Dame, méta langage métissé -, hybride, mêlée de trIvial et de comique, de grotesque et de tragique, l'expression poétique de l'anti-héros se refuse, dans sa glorieuse dégradation, à la seule véritable aliénation: celle d'être rédUIte su silenc~. DE LA VOIX ET DE LA DISSIPATION JEHAN 51 à travers l ' anti - représenta tian de Gr.ingoi re «1 e poète bateleur transformait en bouffonnerJ.e le: grand alr de la quête chevalet"esque» (p. X), la chanson, avec Jehan Frol.lo, se fait la VOIX des impOSSIbilités (p.1189) comme dit Seebache: - ou «de l' Impossibi 1 i té popul al re du poème» (p. X). Comme Gringolre, Jeh~n ne parvient pas à Lntéresser grand monde à son art, mais en retue plulôt une satisfaction personnelle qui tient lieu, chez lui, de simple plaiSIr dans le soliloque Och! och! Hax! pax! max! les puces! les chIens enragés! le diable! j'en ai assez de leur conversation! La tête me bourdonne comme '.ln cl Dcher. Du fromage - 99 - moisi par dessus le marché! Sus! 1 descendons, prenons l' escarcell e du grand frère 1 E:t convertissons toutes ces monnaies en bouteilles! (p. 280). Lesdites bouteilles, loin d'effacer toute mémoire chez le «bachelier» Jehan, l ont cependant pour résultat de compromettre dangereusement la logique syntagmat1que lors de 1 i'l communi caU on 1 inguistique avec 1 e locuteur et de ne 1 aisser subsister rien d' aut re que 1 a voi x2 (sans doute un peu éraillée) de son «destinateur», ce qu:. occasionne parfois certaines réactions assez prol1~ptes chel: le «destinataire». Phoebus, compagnon de beuverip. de Jehan, n' appcécie guère les élans lyriques de son collègue (p. 286), pas plus que dom Claude, qui désespère face à un frère si ivrogne, viveur, et étourdi. Or c'est dans ce genre de tension que le poème, dans Notre-Dame de Paris, trouverai t essentiell t:ment son espace, lieu où le scopique et l'auditif se rencontrent et se 1 Si Jehan n'est pas toujours en mesure de se rerLdre parfaitement compte de ce qu'il fait ou dit, Jes chansons, ell es 1 sont d'un st yi e tout à fai t ct.>hérent par rapport aux traditions, us, et coutumes populaires du temps. Très intimement mêlées au quotidien, les chansons françaises du Moyen-Âge p.taient en effet «des oeuvres polyphoniques au contrepoint enCGre un peu raide, mais où le style d'imitation apparaît, déroulant ses arabesques» (Droz et Thibault, 1976, p. 11). Tout comme les poésies imitent le style des mémoires, journaux, inventaires, legs et autre:>, la chanson subit nombre d'influences qu'elle intègre peu à peu à son expreSSIon et à son 1 angage. 2 C'est Paul Zumthor qui a pari éd' un certain champ «trans-sémiotique», qu'il identifie, par rapport à la voix, à un «en-deçà» et/ou un «au-deI à» du signe (cf. conférence à l'Uni versi té de Montréal, 1e[ mars 1990, intitulée «l'Investissement corpore 1», qui venai t clore un cyc 1 e de 1 conférences sur le thème de Performance, réception, lecture). - 100 - confrontent dans les représentations des deux frères antagonistes, où l'enfermement monacal et contradictoire du regard de Cl aude subi t un vé ri tabl e échec 3t?vant la disslpation débridée de la parole de Jehan :1 voeux prononcés par Cl aude, et qui 11 ne le sait que trop b1en - ne correspondent plus à rien, s'opposant à l'anarchie de Jehan, qui symbolise la liberté. Et je n' al, mo i , Par le sang-Dieu! Ni foi, ni 1 Di, Ni feu, ni lieu, ni roi, ni Dieu! (p. 403) L'effronterie de Jehan connaît ~on point culminant allant même jusqu'à l'absurde - lorB de l'attaque sur Notre- Dame. 2 Jehan, étant enfin IJarvenu ju~qu' à Quasimodo, se mesure une fois pour toute avec lui, mais rate (et c'est le lot du bon buveur) sa dbl e. Quasimodo, trop content de régler son compte à ce tortionnaire qui le taquine et le provoque depuis si longtemps, au moment de le mettre à mort, ne pourra entendre la chanson de l' «enfant de sei ze ans» (p.422) Voir tout l'épisode orgiaque des pp. 357-358 où Claude Frolic, en pleine crise, tombe par hasard sur son jeune frère et doit,pour se cacher, jouer à son tour le «mort», 1 '«ivre mCit» Car Claude n'a «que le temps de se jeter à terre pour ne pas être rencontré, regardé en face, et reconnu». Le geste de pitrerie de Jehan sera le même que celui de Gavroche dans Les Misérables, et indique que leur mort est proche. Gavroche tourne en ridicule le sergent du poste de l'hôtel Rohan; Jehan fait de même avec le sonneur de cloches de Notre-Dame. - 101 - E Il e es t bi en habl Il ée, La vi Il e de Cambrai. Marafln l'a pillée ... Véhiculant à la fOlS du pleln (de sens) et du Vlde, la parole poétiqùe lntègre folklore, tradItIons, et en même temps s'annule elle-même dans un présent ImmédIat qUl tend au geste de transformatlon et de devenIr, comme l'a .souligné J. Seebacher L ' 1 mp 0 S S 1 b 1er é C' 0 n cIl 1 a t 1 and e s val.nqueurs et des vaIncus ne sl.gnlh.e nullement la nécesslté de cholsIr !Jon camp, mais impose la créatIon d'un espace théol agI que, plu 1 osophlque et poét l que où le cnme et la contradlctlon travaIllent, comme le langage, à tIsser une HlstC)1re plus vraie, dans des équivalences, de::; antIthèses, des symétrIes qUl se rongent et s'usent les unE'S et le~) autres, faIsant place nette à l'avemr. (p. 1051). Incarnation (lm)parfalte de ce~ «pauvres marIonnettes» auxquelles Goethe fIt allus10n à Eckermann (Goethe in Guyard, 1976, p. 610), Jehan - qUI n'est en effet plus qu'une poupée de chi f fan entre les malns de QuasImodo - qUI n'espère atteindre personne avec son chant de condamné, à travers le soliloque, la chanson pour se donner ((du courage»), att~indra1t donc à «un dIalogue», comme l'a exposé Anne Uhetsfeld celui du tragIque et du populaue, du créateur et de son publ~c, les VOlX unIes du même et de l'autre, de l a mort et du ri r e; et au - deI à de ce dIa log u e 1 ma l.S à travers lui, se révèle peut--être un sens nouveau à ce nOj'ëlU de l'oeuvre. (Ubersfeld, 1985--B, p. 12). J - 102 - 1 DE LA VOCALITg, DU CORPS, DU VOLATIL(E) ESMERALDA Lorsque dom Frollo prend connaissance pour la première fois de l'exIstence d'Esmeralda - ou de Sd fatalité -, c'est bien sur par l'entremIse du corps, du désl.r que l'envoûtement , s'opère, mais surtout de cet te vo~ x,· 1 ui parvenant jusque dans son monde hermétIque par l'espace ouvert de sa fenêtre, qui donne sur la place publIque et sur le cIel. L'image n'est pas sans rapport symbol ique. La voix, associée au ci.el, donc au sa 1 ut, s'OPPOSES au voyeurlsme, à 1 a fermeture, à l'obscur. En effet, SI FrolIo est le mal, Esmeralda pour sa part est Identifiée à tout ce qui a trait à la pureté, à la «lumière très blanche» d~s premlers rayons du jour (p.492), et, «vêtue de blanc» alors que le bourreau lui passe la corde au cou , (p.494),' «la creatura bel1a blanco vestlta», tout comme dans Dante (p.1249), représente aussi l'évanescence, l'immatéria- lité, l'ange. Frollo se remémorera à un certain moment la Esmeralda «comme 11 l'avait vue le premier jour, vive, inSOUCIante, joyeuse, parée, dansante, aIlée» (p. 353). Cette thématique, qUI comblne tous les synonymes de volage, aérien, , • Op. cit., p.22 du présent mémoire (note '). Dans ses Notes et variantes, J. Seebacher (p.1251) fait une analyse fort probante de dIfférents éléments de verticalité dans Notre-Dame, dont cette figure de l'échelle, qui apparaît dès les premiers chapitres (scène du mystère), et qui iCI peut évoquer le lien qui rattache le ciel à la terre qui n'est que souffrance, Esmeralda accédant de l'un à l'autre 1 par le glbet. - 103 - 1égèreté, se COIlcent re dans le paradi gme de l 'oi seau, que nous identifierons dorénavant comme volatil. Le paradigme terrestre de l'icI et de la matJèrE' (des limItes) se trouve aInSl opposé à travers Frollo et Esmeralda à cc ~ui (aénen) de l'au-delà, du fantar;magooque et du fantasmatique, mai~ non à l'l.dée d'utopl.'-~ qUl., avpc FroIIo, sera la cause du drame. Plus que tout, c'est l 'Impo~sibilité d'échapper au confinement du réel qUI anéantira l'esprIt de Froll 0, car l'archidIacre «étai t de ces hommes pour 1 esquel s il n'y avaIt pas de matIns, pas d'oiseaux» (p.493). L'autre pendant au style «noir) que l'on a S1 souvent évoqué en parlant des romans de Hugo \:st clone présent, dar.s Notre-Dame de ParIS, par cette dame Esmeralda, chez qUJ l'on découvre après maints détours dans 1 e texte une af finI té avec Mari e, 1 a sainte VI erge des ~cri t ur es, mal s aUSSI avec cet t e autre «Marie», la cloche préférée de Qua:>lmodo (p. 152). c'est sans doute sur cette dernl&re plutôt que sur le personnage tragique que Hugo compose son Il vret d' opéra- comique en 1836. On pourra comparer, à ce su jet:, la thématique entomologique dans différents textes, SOlt le CM on père est oiseau, ma mère est oIselle» chanté par la Esmeralda de Notre-Dame (p. 102), et cet extrait du lIbretto (T.C. 1 II. p. 689) : Je danse, humble jeune fille, Au bord du ruisseau; Ma chanson babille Comme un jeune oiseau. J - 104 - :.:.. Pour l'époux Gringoire, qui se laisse volontiers distraire et émouvoir par le chant de sa prude mais généreuse compagne, la «sérénité» et l '«insouciance», la chanson troublent sa «rêverie» «comme le cygne trouble l'eau» (p. 67). Les paroles qu'elle chantait étaient d'une langue inconnue à Gringoire, et qui paraissait lui être inconnue à elle-même, tant l'expression qu'elle donnait au chant se rapportait peu au sens des paroles. Ainsi ces quatre vers dans sa bouche étaient d'une gaieté folle: Un cofre de gran riqueza Hallaron dentro un pilar, Dentro deI, nuevas banderas Con figuras dè espantar. Et un instant après, à l'accent qu'elle donnait à cette stance: Alarabes de vavallo Sin pod~rse menear, Con espadas, y los cuellos, Ballestas de buen echar. (ibid.).l 1 La figure du vol ati 1 e, en tant que 1 iée à 1 a voix, apparaît maintes fois dans l'oeuvre de Hugo pensons à Déruchette dans Les Travailleurs de la mer, ou à Déa dans L'Homme qui rit. Pour Déa et Esmeralda, certaines valeurs sont attachées à la langue espagnole, qui leur sert pour le chant. Le chapi tre «Extravagances que 1 es gens sans goût appellent poésie» (H.Q.R. l, livre II, chap. IX) insiste sur cet aspect. La dimension divine qui se dégage du personnage de Déa se pose en contraste avec la monstruosité de Gwynplaine, qui symboliserait l'ici, la matière. Le couple Déa/Gwynpl aine s'apparente ainsi au coupl e Esmeralda/ Quasimodo, ce qui aura fait dire au critique Georges Piroué que l'oeuvre de Hugo était «réité:rative». «Répétition et renouvellement. Tel roman dit tout, trace la courbe achevée d'une destinée refermée sur elle-même, mais aussitôt recommencé, un autre roman le dit d'autre manière, dans une autre gamme de couleurs. Si bien que ressemblance et dissemblance se confondent, qu'unité et foisonnement vont de , pair.» (Piroué, 1964, p. 17). - 105 - Pl utôt que d' assi ster aux résul tats attendus d'une nuit de noces, le lecteur/spectateur, tout comme Gringoire, sera mis en présence d'un véritable détournement des habituelles fonctions du corps, desquelles subsiste uniquement ici (ou presque) 1 a voi x . Le texte étonne d'autant pl us par SOl1 inaccessibilité puisqu'il s'agit d'une «stance espagnole qui n'est plus que pure et sauvage mélodie à nos oreilles» (Barrère, 1949, p. 152). ta dichotomie polyglossie/analpha- bétisme insiste donc sur les aspects antithétiques du personnage de la bohémienne : tout comme Esmeralda se refuse à Pierre et à Frollo, le texte poétique encore une fois se refuse à la lecture première. Ne subsiste enfin que la voix, qui est figure du dehors et de la liberté. L'idée de P. A. Ward sur une certaine psycho 1 ogie animal e, «primaire» des personn;'\ges de Notre-Dame de Paris (Ward, 1975, pp.S1-52), examinée selon l'approche d'une thématique volatile, peut devenir tout à fait révélatrice et riche de significations si l'on tient compte de la problématique poétique dans le texte. W. J. Ong, en ce sens, rappelle que dans une perspective d'oralité, il ne sera pas premièrement donné à l'homme de concevoir les mots comme des «signes» simplement visuels, et renvoie à Homère, qui les désignait comme des «mots ailés» «winged words» which suggests evanescence, power, and freedom : words are constantly moving, but by flight, which is a powerful form of movement, and one lifting the flier free of the - 106 - ordinary, gross, heavy, «objective» world. (Ong, 1982, p.77). L' ange/ oiseau «incarné» par 1 a bohémi ennc se consumera au contact du mal, mais, tel le Phénix, pourra renaître de ses cendres à la toute fin du livre, et au delà du livre. La description finale, qui nous offre Quasimodo et Esmeralda étroitement enlacés, peut être corrélée à la défjnition de l 'amonr fournie par Esmeralda à un certain moment de l'histoire: «C'est être deux et n'être qu'un. Un homme et une femme qui se fondent en un ange. C'est le ciel.» (p. 100) . On comprendra donc plus facilement le propos d'un Jacques Seebacher lorsqu'il parle «de la danse et de la musique comme substituts du corps» dans le texte hugolien (p. X) : musique quasi à l'état pur, où le signifiant dégagé de son signifié n'est plus que mélodie pour l'oreille, mouvemen4- qui ne conserve que l'essentiel des rythmes corporels. Voix, le poème ne dépend plus uniquement des critères et des limites de la matière; volatil, l'espace poétique devient en mème temps le domaine de la création et de la réception, où la dissipation pourra acquérir ses titres de noblesse. 1 - 107 - QUASIMODO, OU LE TRANSFERT DU POeKE A LA VOIX Si Gringo(i)re est le poète de l'histoire, «c'est autour du pape des fous [Quasimodo] que se déploient, dans une cacophonie magnifique, toutes les richesses musicales de l'époque» décrites pour le spectateur/auditeur (p. 69). Sursus absurdus, dit Hugo de Quasimodo, enfant substitué, malformé, défocmé, musicien sourd, âme emprisonnée dans le corps, corps emprisonné dans les pierres de la cathédrale, et dont le nom lui-même di t l'à peu près, tout en exprimant 1 a vertu métaphorique. (p.1067). Après le silence éloquent de la moralité du poète Pierre, le bruit engendré par Jehan et par la Révolution du peuple, après le «jargon» en «égyptien» d'Esmeralda, le poétique aboutit, dans Notre-Dame, à Quasimodo, dont laI angue est pourtant «engourdie, maladroite, et comme une porte dont les gonds sont rouillés» (p. 150). Et c'est dans «une chanson triste et bizarre», dans «des vers sans rime» que le poème nait finalement dans le roman. Ne regarde pas la figure, Jeune fille, regarde le coeur. Le coeur d'un beau Jeune homme est souvent difforme. Il y a des coeurs oü l'amour ne se conserve pas. Jeune fille, le sapln n'est pas beau, N'est pas beau comme le peuplier, Mais il garde son feuillage l'hiver. Hélàs! à qUOl bon dire cela? Ce qui n'est pas beau a tort d'être; La beauté n'alme que la beauté, Avril tourne le dos à janvier. - 108 - La beauté est parfaite, 1 La beauté peut tout, La beauté est la seul~ chose qui n'existe pas à demi. Le corbeau ne vole que le jour, Le hibou ne vole que la nuit, Le cygne vole la nuit et le jour. (p. 378) La thématique du volatile, abondante dans la composition de Quasimodo, a recours à de récur.rentes aJ l usions dans le texte qui précède: le chapitre «Impopularité», où Frollo et Quasimodo correspondent aux «hiboux»; «le hibou [qui] n'entre [jamais] dans le nid de l'alouette» (p. 367); la sensation éprouvée par Esmeralda, lors de son sauvetage qu'elle doit au bossu, quand «elle montait dans l'air, qu'elle y flottait, qu'elle y volait» (p. 363), etc. L'oiseau résume donc 1 a liberté en ce bdS monde, même si ce n'est qu'illusoire, que temporaire. Figure qui s'oppose à la thématique arachnéenne (qui en est une d'oppression et de fatalité puisque liée à Frollo), le volatil conserve pourtant les caractérIstiques de tension que l'on peut relever partout dans le roman. Ainsi, cette «cage d'oiseaux» (p. 377) qu'Esmeralda trouve un JOUI à la fenêt re de sa l oget te 1 et le «nid», à un certain point déserté par 1 a bohémi enne (p. 490) 1 et qui sera cause du désespoir de Quasimodo. La cathédrale (le nid) sera le refuge du bossu et de la «sorcière», tous deux condamnés, tous deux bannis et exclus et, en cela, unis pour affronter leurs persécuteurs. Or c'est de la voix que VIent le salut. «Asile!» crie 1 Quasimodo après avoir emporté la bohémienne jusque sous le - 109 - toit prot~cteur de l'église (p. 349). Et le phénomène est le même pour le «poèrr.e» maladroit du bossu. Car l'intérêt réside moins dans les allitérations ou les métaphores du poème- fragment de Quasimodo que dans IfS questIons qu'il suscite. Hélas! à quoi bon dire cela? résume blen la chose. [ ... ] dans la poéSIe lyrique, toutes les interrogations sont f Igure-s 1 pui sque le poète ne peut pas, par défInItIon, s'adresser directement à un lnter locuteur - la femme aimée par exemple (MolIna et Tamine, 1982, p. 137). [ ... ] «L'InterrogatIon consiste à prendre le tour interrogatIf, non pas pour marquer un doute et provoquer une réponse, mais pour Indique-r au contra]re la plus grande persuasion, et défier ceux à qui l'on parle de pouvoir nier ou même répondre.» (Fontanl er, in Mo 1 ino et Tamine, ibid.). Tels Adam (p. 1253), Quasimodo, Esmeralda, Jehan et Gringoire nommeront les choses du monde qUI les entourent. D'où certaines scorles, qui sont inhérentes à une idéologie qui prendra place dans ces vocabl es, ces chants, ces «poèmes».l Et ce sont ces «questions, sans réponse, que Hugo pose sur l'organisation de notre monde» (Uberofeld ln Heitmann, 1986, p. 140). Mais ces questIonnements pus dans leur ensemble créent une polyphonIe, toutes les VOIX, s'élevant de la cathédrale et du livre, forment l'effet choral La poeSIe est dans les idées, selon la première préface des Odes et ballades «la poéSIe n'est pas dans la forme des idées, mais dans les idées elles-mêmes». A. Ubersfeld dit à ce sujet que «la poésie de Hugo est impure; elle charrie des idées, des sentiments, des ~corles.» J (Ubersfeld in : Heitmann, 1986, p. 151). - 110 - d'une multitude - le peuple -qui s'affranchit à travers le droi t de di re. Et c'est l'effet spécifiquement révolutionnaire du poème qui prend place, à ce stade, dans le roman. On connaît déjà, au Moyen-Âge, certains principes établ is au ni veau de la technique de l'écriture longueur en pieds, tercets, quatrains, rimes entrE' autres. On connaît également les liens qui existent entre ces systèmes et leurs racines véritables, l'ode antIque. Ceci pour faire ressortir que Quasimodo, malgré les lacunes esthétiques de son poème (ou grâce à elles), crée une autre dissidence, une autre subversion. Mais c'est à un niveau d'ensemble culturel que s'opère cette dissidence, ensemble qui est le roman, et les préceptes esthétiques de la forme écr~te. L'écriture de Quasimodo - qui est d'orallté tranche radicalement avec les critères établ is, en boul everse l'ordre, tout comme le bossu avait bouleversé l'ordre et la paix publics. En un mot, son «poème» pourrai t être beaucoup pl us qu'une mauvaise écri ture 11 pourrait s'agir en fait d'une expression révolutionnaire. Quasimodo détruit les valeurs (la famille, l '~glise, les dogmes, l'ordre moral et social); mais en même temps, il est potentiellement «la force productive de l'hIstoIre» comme dit Seebacher (Seebacher in : Viallaneix, 1975, p.23). La Révolution est pour Hugo la force vivifiante de 1 'histoire moderne. Mais la monstruosité de la violence révolutionnaire, qui l'a véritablement obsédé, explique aussi son rêve de transcender la révol uti on, de chercher - III - une pl us grande harmonie en sortant de l'histoire, en niant le principe de destruction qu'i1 associe à toute idée de linéarité historique. (Brombert, 1985, p.IS). «La parole du moi, comme celle de l'HIstoire, ne sera dite qu'à la faveur des ruses de l'écrIture.» (Ubersfeld, 1985-B, p. Il). Ultime dissipation du poétique dans le roman de Hugo, le squelette de Quasimodo, lorsqu'«on voulut le détacher du squelette qu'il embrassait, [ ... ] tomba en poussière.» (p. 500). Et l'écrit lui-même, à travers les nombreux effritements, partant de l'Anankè jusqu'à celui du corps de Quasimodo, fini t par échapper au 1 ecteur, phi 1 osophi e d'une histoire qu'il reste encore à faire. «A tel point que pour ceux qui savent que Quasimodo a existé, Notre-Dame est aujourd'hui déserte, inanimée, morte.» (p. 154). Le poème devra aussi attendre après l'HIstoire; Quasimodo, tout comme Gringoire, ne connaîtra que bien plus tard l'auditoire qu'il espère: il s'appellera Salvatore de son prénom, et on l'admirera pour ses v~rs sur la SiCIle tout comme on aUIa aimé les textes d'Aimé Césaire sur la négritude, de Miron sur le Québec, et les poèmes romans de Hugo sur le vieux Paris, sur l'Europe et sur le monde. 1 - 112 - CX>NCL_US ION Bien que Notre-Dame de Paris ai t touché tous 1 es publ ics, Hugo, pour sa part, «reste ~élèbre et méconnu» comme le fait remarquer Henri Meschonnic (Meschonnic, 1985, p. 286). Car si l'on connai t toute une «imagerie» véhi cul ée par certains côtés de la production hugolienne (les grotesques, les monstres, les éléments de surface et du paraître), il semble que l'on se soit beaucoup moins penché sur les aspects intérieurs, soit sur le texte lui-même. Hugo, ironiquement, aura donc subi le même Anankè que le poète Gringoire. Le poétique qui est figure d'effacement et de dissipation dans le roman de Hugo - affirme pourtant son droit à une expression, même imparfaite, même si celle-ci ne peut exister que par bribes, percées, ou par nappes. Amorce vers un nouvel égalitarisme esthétique aussi bien que social, la poésie qui se dégage de Notre-Dame donnerait finalement tous les signes d'une poétique de l'éclatement, qu'il resterait à examiner pl us en profondeur, et dont nous avons simpl ement voulu donner ici un rapide aperçu. - 113 - PAGINATION ERROR.. ERREUR DE PAGINATION. TEXT COMPLETE. LE TEXTE EST COMPLET. NATIONAL LIBRARY OF CANADA. HIBLlOTHEQUE NATIONALI~ nu CANADA. CANADIAN TlŒSES SERVICE. SERVICE DES THE5ES CANADIENNES. BIBLIOGRAPHIE: OUVRAGES CIT~S ALBOUY, Pierre 1963 La création mythologique chez Victor Hugo. Paris José corti. 1976 Mythographie8. Paris José Corti. ARAGON 1952 Avez-vous lu Victor Hugo? (Anthologie poétique commentée). Paris: Les ~diteurs Français Réunis. 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