LA LETTRE DE LA CONFORMITÉ

CHAPITRE FRANCE DE L’ACAMS – LETTRE D’INFORMATION #2 2018

NOTE DE LA RÉDACTION PARLONS

Le 15 mai 2018, la conférence du Chapitre France de CONFORMITÉ l’ACAMS a tendu le micro à Stéphanie GIBAUD, qui se Avec l’ACAMS retrouve, bien malgré elle, sur le devant de la scène, depuis maintenant dix ans. Sa dénonciation de faits jugés L’ACAMS a lancé trois certificats de contraires à l’éthique ne lui laisse pratiquement aucun spécialisation, durant le premier répit. Stéphanie est venue témoigner de sa condition de semestre 2018, à destination des lanceuse d’alerte ; si jamais la forme féminine de ce détenteurs du CAMS (cours en anglais) : concept devait exister. Vous pouvez lire la retranscription de son intervention dans sa quasi-totalité sur le site de  AML for FinTechs (s’adresse aux professionnels en l’ACAMS (https://www.acams.org/fr/chapitre- poste dans une société fintech européenne ou à toute france/#activites) ou bien vous référer à l’article publié en personne aspirant à le devenir). page 2 de ce bulletin, pour une vue d’ensemble sur le sujet.  FinTech as Your Customers (à destination des Cette initiative personnelle est cher payée et met à jour un professionnels comptant des fintechs parmi leurs clients) paradoxe : les entreprises sont surveillées tout en étant mises à contribution lorsqu’il s’agit de lutter contre le crime.  GDPR and 4AMLD (pour être à la page en matière de Nous avons choisi un article paru dans la dernière protection des données, le Règlement Général sur la publication d’AcamsToday sur le trafic d’organes pour Protection des Données étant entré en vigueur le 25 mai cette deuxième newsletter. Une meilleure sensibilisation à 2018. Ce règlement aligne les 28 pays de l’Union ce sujet permettrait de lutter contre ce fléau plus Européenne autour de ce sujet). Ce cours s’adresse aussi efficacement. Il est donc demandé aux chargés de bien aux membres de la direction, qu’aux professionnels conformité, une fois de plus, d’ouvrir l’œil… de la conformité ou du juridique. Ce nouveau numéro vous propose enfin de vous rendre sur le site de l’association afin d’écouter le premier webinar en Si l’une de ces formations vous intéresse, n’hésitez pas en français, proposé par l’ACAMS, consacré aux dernières cette rentrée à vous inscrire sur nouveautés législatives françaises. Y interviennent Dan www.acams.org/certificates ou à appeler le BENISTY, le Vice-Président du Chapitre France ainsi que 0044.20.37557400. Régis OREAL et Antoine JUARISTI, tous deux d’Herbert Smith Freehills. Le programme se trouve en page 14 de ce CONFÉRENCES DE bulletin. 69 minutes d’écoute pour se tenir informé des dernières nouvelles du front et la possibilité de télécharger L’ACAMS la présentation sous-jacente aux échanges AVEC LEXISNEXIS BIS (https://www.brighttalk.com/webcast/12373/329831). LES CONFERENCES SONT ANNONCEES SUR La boîte mail [email protected], quant à elle, constitue votre droit de réponse et se tient à votre HTTPS://WWW.ACAMS.ORG/FR/CHAPITRE-FRANCE/ disposition.

31 août 2018 Numéro 2

Chapitre France de l’ACAMS – Lettre d’information #2

SALE TEMPS POUR LES LANCEURS D’ALERTE

En 2015, David SANCHEZ Dans l’inconscient collectif, le « lanceur d’alerte » est (ACAMS European account une sorte de Robin des bois qui ose attaquer le système. manager), basé à Paris, fait la Très éthique, il ou elle répond à des valeurs morales à connaissance de Stéphanie toute épreuve et veut que la société soit informée des GIBAUD, lors d’une conférence méfaits ou dysfonctionnements qui se déroulent en ACAMS organisée à Londres. Le catimini. Chapitre France, toujours partant lorsqu’il s’agit d’inviter des La réalité est pourtant loin d’être aussi rutilante. En personnalités jouant un rôle rencontrant Stéphanie GIBAUD, nous réalisons qu’un majeur dans le domaine de la lanceur d’alerte est certes une personne qui clame des conformité, se faisait donc une secrets sur tous les toits mais que, ce faisant, il joie de s’entretenir avec Stéphanie hypothèque surtout la totalité de son existence. au sujet de son expérience en tant Chaque cas est un cas en soi et la nature de l’alerte, que lanceur d’alerte. ainsi que le secteur ou l’endroit au sein desquels elle intervient semblent jouer un rôle déterminant. Les informations secrètes divulguées peuvent relever de la finance ; tout le monde se souvient des ou des . Elles peuvent avoir trait à un scandale touchant le milieu médical ou concerner un cas de au sommet de l’État. Elles peuvent mettre en lumière de mauvais traitements au sein de l’armée ou un détournement des ressources financières allouées à une ambassade. Toute divulgation d’informations concernant des activités illégales peut être qualifiée d’alerte.

Les lanceurs d’alerte seront ainsi tout un chacun et nous les retrouverons à n’importe quel niveau de l’échelle sociale. Ils ont pourtant une chose en commun : une conscience de leur citoyenneté au-dessus de la moyenne. C’est cette conscience aigüe qui les mène tout droit dans des ennuis qui relèvent aussi bien de la sphère privée que de la sphère publique.

QU’EST-IL ARRIVE A STEPHANIE GIBAUD ?

Nous rencontrons quelques obstacles dans un premier temps pour localiser Stéphanie car ses coordonnées ont changé. Nous sommes sur le point d’abandonner notre projet lorsque de manière tout à fait inattendue, elle nous rappelle.

Rendez-vous est pris donc avec notre Erin Brockovich1 à la française un mardi à 8 heures du matin. Cette mère de deux enfants à l’allure élégante est déjà pleine d’énergie. Elle nous attend pour le petit-déjeuner dans un hôtel proche

1 http://www.brockovich.com

2 Chapitre France de l’ACAMS – Lettre d’information #2

de la tour Eiffel et nous explique rapidement qu’elle connaît très bien Paris, y ayant vécu et travaillé par le passé. « Juste au coin de la rue » précise-t-elle. Elle commente : « Je jouissais d’une vie confortable, avant que tout cela ne m’arrive, il y a dix ans ». Elle bénéficiait effectivement d’un statut professionnel, d’une certaine sécurité financière, et voyageait à travers le monde pour représenter la banque qui l’employait.

Très professionnelle, elle explique : « En tant que spécialiste des relations publiques, si j’avais détruit les documents qu’UBS (France) SA m’a subitement demandé de détruire en 2008, je risquais la prison. Je travaillais alors pour le département marketing d’UBS et n’avais absolument aucune idée de l’importance des documents dont j’étais censée me débarrasser. Une perquisition était en cours ; j’ai refusé de prendre part à ces activités illégales et j’ai lancé l’alerte en interne. Affaiblie par le harcèlement dont j’étais victime au sein d’UBS, j’ai été repérée par l’État français en 2011 et, contrainte par la loi, obligée de communiquer des informations confidentielles au Ministère des Finances ; ce qui a grandement facilité l’identification de nombreux comptes en banque offshore ».

La banque de gestion de fortune « UBS AG » fonde « UBS SA » en France en 1999. Le marché suisse est alors limité et la banque souhaite développer ses activités à l’étranger. Cependant, dès l’été 2007, le responsable de l’audit interne d’UBS (France) SA fait part de ses soupçons à plusieurs membres de la direction parisienne2. Il suspecte certains gestionnaires de portefeuilles suisses de convaincre des clients français fortunés résidant en France d’investir en Suisse (où, à l’époque, le secret bancaire est toujours très fort) et ce faisant, de promouvoir l’évasion fiscale. L’audit interne ne peut réconcilier l’écart constaté entre les fonds officiellement récoltés et les montants pris en compte pour calculer les bonus de certains de ces gestionnaires de fortune. Cet écart commence par soulever des interrogations, puis finit par éveiller de francs soupçons.

Peu après, une lettre anonyme concernant UBS (France) SA atterrit sur le bureau du superviseur français3. Une enquête est ouverte. Une sanction de 10 millions d’euros et des critiques officielles sont alors prononcées à l’encontre de l’entité française d’UBS.

Stéphanie GIBAUD a refusé d’obéir aux ordres de sa hiérarchie, de détruire des documents et a fini par porter plainte contre son employeur. Ce faisant, elle devient partie prenante du processus de lancement d’alerte.

UN SYSTEME SCHIZOPHRENIQUE

Les informations communiquées par Stéphanie ont largement contribué à identifier 38 000 comptes offshores, détenus par des citoyens français, pour un montant estimé à 12 milliards

2 Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution, procédure 2012-03, UBS (France) SA, 25 juin 2013, https://acpr.banque- france.fr/sites/default/files/medias/20130626-decision-de-la-commission-des-sanctions.pdf 3 Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution, https://acpr.banque-france.fr/

3 Chapitre France de l’ACAMS – Lettre d’information #2

d’euros. C’est ce qu’elle affirme et c’est ce que nous pouvons constater en visionnant un programme télévisé auquel elle a participé en compagnie du ministre des finances français de l’époque. Le ministre la remercie pour sa contribution fructueuse4.

Nous pourrions penser que l’État français, reconnaissant d’une telle « aubaine » aiderait notre conférencière à retrouver un poste après qu’elle ait été « remerciée » par son employeur.

Rien n’est plus loin de la réalité. Aujourd’hui, Stéphanie GIBAUD est dans une situation précaire. Ses efforts pour tenter de réintégrer le marché du travail restent vains. Les institutions financières et autres employeurs redoutent probablement qu’elle leur inflige le même traitement qu’à UBS…

D’un côté, elle est chaudement félicitée pour son action. Il semblerait que la société reconnaisse effectivement la valeur de sa contribution dans son ensemble et il lui a été donné la possibilité de témoigner de ses faits d’armes. Elle commente : « Après avoir publié mon premier livre en 2014, La femme qui en savait vraiment trop5, j’ai reçu le prix Anticor et j’ai été nominée pour le prix Sakharov en compagnie de SNOWDEN6 et de DELTOUR7 en 2015 ». Sur les plans politique et judiciaire, elle reçoit également beaucoup d’attention de la part des autorités françaises. En 2015, elle est même invitée à parler devant le parlement à Bruxelles dans le cadre de la commission « Rulings ».

Elle demeure pourtant complètement isolée et doit se battre pour subsister. Au sujet de sa situation, elle dit : « Je n’ai pas de poste. En d’autres termes, aux yeux de notre société, je ne suis rien ». Tout en ajoutant cependant dans la foulée : « Je ne baisserai pas les bras. Je continuerai à me battre. Je viens d’ailleurs de créer ma propre structure ».8

STEPHANIE SERAIT-ELLE MIEUX LOTIE SI ELLE ETAIT CITOYENNE AMERICAINE ?

Selon l’OCDE : « Donner l’alerte sur des dysfonctionnements peut être intimidant, peut causer une perte de vitalité et entraîner une mise à l’écart au plan professionnel. En plus de la stigmatisation que cette alerte peut générer, les employés peuvent également craindre une dégradation de leur statut financier et de leur image. Pour réduire ce risque de pertes potentielles et encourager les individus à donner l’alerte sur ces dysfonctionnements, les pays

4 Cash Investigation, "Panama Papers – Paradis fiscaux: le casse du siècle," April 5, 2016, http://www.youtube/wath?v=L3ZIO- mBxfE, Le Ministre des Finances français Michel SAPIN apparaît à la minute 2:32:00, Stéphanie GIBAUD à la minute 2:21:00. 5 Stéphanie GIBAUD, La femme qui en savait vraiment trop, 2014 6 Edward Snowden a copié et divulgué des informations confidentielles en provenance de la Agency (NSA) en 2013 sans autorisation. Source: Wikipedia. 7 Antoine DELTOUR est à l’origine de la divulgation de nombreux documents LuxLeaks. Source: https://support- antoine.org/en/#luxleaks 8 Stéphanie GIBAUD est présidente d’ETICARE, www.stephaniegibaud.org.

4 Chapitre France de l’ACAMS – Lettre d’information #2

ont prévu plusieurs éléments de motivation allant des marques de reconnaissance jusqu’aux récompenses financières9 ».

Bradley BIRKENFELD peut attester des « récompenses financières » mentionnées dans ce rapport de l’OCDE. BIRKENFELD est ce gestionnaire de portefeuilles d’UBS qui a lancé l’alerte sur des comptes offshores illégaux détenus en Suisse par des citoyens américains, et en tant que tel, constitue l’étrange homologue de GIBAUD, à l’américaine. Les informations dévoilées par BIRKENFELD au gouvernement américain sont à l’origine de l’enquête menée à l’encontre d’UBS, suspectée d’avoir permis l’évasion fiscale de contribuables américains. En février 2009, toujours sur la base de ces informations, le département de la justice américaine annonce « Le succès de la négociation qui… a conduit l’IRS (Internal Revenue Services, services fiscaux américains) à recevoir une quantité d’informations sans précédent sur des détenteurs américains de comptes auprès de la banque Suisse UBS10. » Une Convention Judiciaire d’Intérêt Public (deferred prosecution agreement) a été conclue avec UBS. Au total 780 millions de $ de sanctions et de pénalités civiles ont été payées par la banque suisse. La divulgation d’informations confidentielles sur les évadés fiscaux américains était partie prenante de la transaction.

Juste une « toute petite » différence entre BIRKENFELD and GIBAUD cependant : le FISC américain a récompensé BIRKENFELD à hauteur de 104 millions de $ en 2012 pour le rapatriement financier rendu possible par l’alerte11.

Stéphanie GIBAUD serait définitivement mieux lotie si elle était citoyenne américaine.

UNE LOI POUR PROTEGER LES LANCEURS D’ALERTE

Deux parcours différents, deux endroits du monde différents et deux claps de fin différents. Comme souvent, un scandale lié à la corruption fait les gros titres de la presse et nous ne voyons que ces gros titres. Jusqu’à ce que nous rencontrions une personne liée à « l’affaire ». C’est alors que nous réalisons les subtilités du système juridique dans lequel nous évoluons et la manière dont ces règles peuvent nous affecter.

Pour évaluer le traitement réservé aux lanceurs d’alerte de manière adéquate dans votre pays, vous devez prendre en compte les paramètres suivants : les récompenses financières éventuelles, la protection des lanceurs d’alerte (si elle existe), la garantie de l’anonymat ou l’absence de garantie, le processus de remontée des alertes (interne ou externe ?), etc. La législation française semble couvrir tous ces aspects, excepté celui de la récompense financière.

9 “Committing to effective protection highlights,” OECD, http://www.oecd.org/corruption/anti- bribery/Committing-to-Effective-Whistleblower-Protection-Highlights.pdf 10 “IR-2009-75,” Internal Revenue Service, August 19, 2009, https://www.irs.gov/newsroom/irs-to-receive-unprecedented- amount-of-information-in-ubs-agreement 11 Andrew Krieg, “October 2016 News Reports,” Justice Integrity Project, https://www.justice-integrity.org/news-reports?start=18

5 Chapitre France de l’ACAMS – Lettre d’information #2

La protection des lanceurs d’alerte est bien prévue par la Loi Sapin 212. La loi stipule que pour lancer l’alerte, il convient de suivre une procédure : d’abord informer son supérieur hiérarchique et s’il ne réagit pas, informer les autorités. Si rien ne se passe dans le mois qui suit, les informations peuvent être divulguées dans l’espace public ou le défenseur des droits peut être saisi13. L’anonymat du lanceur d’alerte est garanti. Un lanceur d’alerte peut être réintégré dans son ancien poste. Pour finir, les entreprises privées et publiques, correspondant à certains critères (une taille bien spécifique et la localisation de leur siège social) sont dans l’obligation de mettre en place un système qui permette aux individus de faire part de leurs soupçons. Cette loi est entrée en vigueur en décembre 2016.

Malheureusement, cette procédure n’est pas rétroactive et ne concerne pas les lanceurs d’alerte passés à l’action avant l’entrée en vigueur de la loi.

MERCI MILLE FOIS POUR VOTRE SACRIFICE, MME GIBAUD

Le prix à payer pour un lanceur d’alerte est très élevé. Stéphanie GIBAUD a perdu son emploi chez UBS et dans la foulée son assistante et son salaire. Elle participe maintenant à des programmes télévisés, elle rencontre d’autres lanceurs d’alerte. Depuis dix ans, elle n’a cessé de faire entendre sa voix en commentant, entre autres, les situations emblématiques d’un Edward SNOWDEN, d’une Chelsea MANNING ou d’un Julian ASSANGE dans son dernier livre14.

Pourtant, si l’on prend du recul sur la question, l’affaire BIRKENFELD n’a-t-elle pas été profitable à la société dans son ensemble ? Les lignes n’ont-elles pas finalement bougé ? Le dossier BIRKENFELD n’est-il pas considéré comme le top départ de l’érosion du secret bancaire suisse ? La Suisse a même fini par signer une convention d’entraide administrative mutuelle dans le domaine fiscal le 15 octobre 2013.

Le chapitre se demande si Stéphanie GIBAUD travaillera à nouveau dans le secteur de la finance et si elle retrouvera même une situation pérenne.

Et si le sacrifice est le prix à payer pour l’éthique.

Nathalie Bosse, CAMS, communications director, ACAMS France Chapter, Paris, France, [email protected]

12 Loi 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique," Legifrance, 10 décembre 2016, https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000033558528&categorieLien=id 13 http://www.defenseurdesdroits.fr 14 Stéphanie Gibaud, La traque des lanceurs d’alerte, Max Milo éditions, 2017. Le livre est prefacé par Julien ASSANGE.

6 Chapitre France de l’ACAMS – Lettre d’information #2

LE TRAFIC D'ORGANES, FACE CACHÉE DU TRAFIC D’ÊTRES HUMAINS

Le trafic d’organes est une affaire Les trafiquants d’organes profitent de l’obscurité et les lucrative et illégale qui transcende les seuls témoignages qu’ils laissent dans leur sillage sont frontières. Vue sa dimension leurs traces médicales destructrices. Les populations complexe et souvent furtive, cette vulnérables, c’est-à-dire les « donneurs » et les problématique est cependant rarement « receveurs » du monde industrialisé, se retrouvent ainsi au cœur des préoccupations des susceptibles de devenir victimes d’une exploitation opposants au trafic d’êtres humains. sévère et s’exposent à des conséquences sanitaires Les décisionnaires en matière de pouvant avoir des répercussions à vie. politiques publiques et les campagnes de sensibilisation évoquent avant tout Cette forme de commerce illicite fait également du le trafic sexuel ou le travail forcé secteur privé, en particulier du monde de la finance, lorsque le sujet vient sur le tapis. Le un canal de diffusion potentiel, à leur corps défendant. trafic d’organes occupe pourtant une place centrale au sein des groupes de Avec une formation adéquate et une sensibilisation crime organisé transnationaux. Ceci aiguisée sur ce sujet, les institutions financières peuvent s’explique par la demande importante néanmoins jouer un rôle crucial lorsqu'il s'agit de mettre qui entoure ce trafic et par un taux de à jour les trafiquants d’organes et de traquer leurs vigilance policière relativement bas. signatures financières.

PEU D’OFFRES POUR UNE FORTE DEMANDE

Les circonstances qui entourent la perpétration du crime que constitue le trafic d’organes sont généralement floues. Le GFI (Global Financial Integrity) estime que 10 % de toutes les transplantations d’organes, y compris les poumons, le cœur ou le foie, sont des organes issus de trafics1. Parmi eux, les plus à même d’en faire l’objet sont les reins. L’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) évalue à 10 000 le nombre de reins commercialisés au marché noir à travers le monde chaque année, soit plus d’un rein à l’heure2.

Ces chiffres peuvent paraître impressionnants. Pourtant, vus les temps d’attente pour obtenir des organes dans les pays développés, on comprend mieux que les demandes soient

7 Chapitre France de l’ACAMS – Lettre d’information #2

redirigées vers le marché noir. Au Canada, on estime que le délai moyen pour obtenir un rein est de 4 ans, avec des délais pouvant atteindre 7 ans3. Aux États-Unis, le délai moyen pour un rein est de 3,6 ans selon la fondation nationale de néphrologie4. Au Royaume-Uni, il faut attendre en moyenne, au bas mot, entre 2 et 3 ans5.

SE CACHER A LA VUE DE TOUS

Une fois obtenus, les organes trafiqués peuvent être transplantés dans les hôpitaux les plus renommés de grandes villes à travers le monde mais des salles d'opérations de fortune installées dans des maisons individuelles ont souvent fait office de théâtres clandestins à ces transplantations.

Les trafiquants orchestrent souvent le recrutement du donneur à partir d'un endroit à risque et les victimes ne sont pas obligatoirement choisies pour leurs qualités de donneurs sains. Les patients désespérés qui ont besoin d’un organe peuvent devenir la proie d’un trafiquant qui pourrait se présenter comme mandaté par une organisation renommée soit disant altruiste et spécialisée dans le don d’organes. L’exploitation financière joue un rôle crucial des deux côtés du scénario. Les trafiquants d’organes peuvent également être impliqués dans le trafic sexuel ou le travail forcé, autres formes de trafic d’êtres humains. Dans certains cas, un donneur d’organes peut avoir été victime de trafic sexuel ou de travail forcé ainsi que victime de trafic d'organes, cumulant ainsi plusieurs types d’exploitation. Le terme « tourisme de transplantation » est souvent utilisé pour parler de ce sujet, comme défini dans la Déclaration d’Istanbul. Il s’agit d’un « …voyage en vue d’une transplantation qui implique un trafic d'organes ou un commerce de transplantation ou des ressources (organes, professionnels et centres de transplantation) dédiées à la transplantation d'organes à destination de patients étrangers qui sape la capacité du pays à fournir des services de transplantation pour sa propre population6»

Taux de transplantation (par million d’habitants)

8 Chapitre France de l’ACAMS – Lettre d’information #2

ENRICHIR LE CONCEPT DE TRAFIC D’ETRES HUMAINS

Comment le trafic d’organes s'articule-t-il à l’intérieur de la définition du trafic d’êtres humains ? Le protocole de Palerme de 2000, qui sert de base à la plupart des lois nationales sur le trafic d’êtres humains, définit le trafic d’organes dans son acception la plus large :

« Le trafic de personnes désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, au moyen de la menace ou du recours à la force ou du recours à toute autre forme de coercition (l’enlèvement, la fraude, la tromperie, l’abus de pouvoir ou d’une position de vulnérabilité) ou bien le fait d’effectuer des paiements ou d’en recevoir ou de bénéficier d’avantages. Ceci dans le but d’obtenir le consentement d'un individu exerçant un contrôle sur un autre individu, à des fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d'autrui, ou autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou des services forcés, l’esclavage ou des pratiques similaires à l’esclavage, à la servitude ou au prélèvement d'organes7 ».

Dans la plupart des pays, l’achat et la vente d’organes sont illégaux. L’Iran est le seul pays au monde dans lequel ils soient légaux (mais cette exception ne concerne que les citoyens

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iraniens). Peu de lois limitent par contre un individu dans ses mouvements s’il envisage de quitter son pays pour obtenir un organe d’un autre individu à l’étranger. En fait, de nombreuses entreprises se chargent du « tourisme de transplantation » tout en prétendant se limiter à mettre en contact receveurs et donneurs de plein gré.

Il est difficile de connaître avec certitude le chiffre d'affaires du tourisme de transplantation à l’année à travers le monde, mais le commerce illégal d’organes génèrerait approximativement, et a minima, entre 840 millions et 1,7 milliards de $ par an, selon GFI8.

Malheureusement, même avec des transactions supposées dépasser la barre du milliard de $ par an, il est difficile pour les forces de l’ordre et les professionnels de la lutte anti blanchiment de détecter des activités financières en relation avec ce trafic. Cela est dû à plusieurs facteurs à commencer par l’absence de lois nationales mettant à jour les séjours à l’étranger des citoyens, la nature transnationale du crime et la connaissance par les fournisseurs des lois relatives au trafic d’organes qui leur permet de les contourner assez efficacement par le biais de sociétés écrans et d’offres publiques légales sur des sites internet.

INDICATEURS DE BLANCHIMENT D’ARGENT

Bien qu'il puisse être difficile pour les banques de détecter les opérations financières relatives au trafic d'organes, il n’est pas impossible de le faire à l’aide de certains indicateurs. Ces indicateurs peuvent inclure les signes suivants qui pris séparément peuvent paraître anodins mais qui, cumulés, pourraient présenter un comportement potentiellement suspect :

• Des virements bancaires à destination d’entités à haut risque (voir le graphique A) dont l’intitulé contient des variations du mot « médical ». Par exemple : « medicus ». • Des modes de paiement, tels que des virements, des transferts d’argent par mails ou des retraits en liquide en grande quantité (voir le graphique B pour un ordre de prix). • Des paiements entre œuvres de charité et sites de tourisme médicaux. • Des paiements par carte de crédit à destination d'agences de voyages, de compagnies aériennes ou d'hôtels, préalablement à des mouvements de fonds ou à des déplacements. • Des indications par le personnel de la banque ayant des contacts directs avec la clientèle de clients éventuellement malades transférant de grosses sommes d’argent à destination de sociétés ou d’organisations caritatives préalablement à leur voyage. • Des sites internet de tourisme médicaux qui proposent des services de transplantation à l’étranger et qui conseillent de faire appel aux services de leurs propres docteurs certifiés avant le départ.

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Il ne faut pas oublier que bien que le fait de voyager à l’étranger pour obtenir un organe puisse être légal dans certains pays, les transactions financières liées à cette opération peuvent entrer dans le cadre d’une obligation de déclaration dans de nombreuses juridictions car le fait d’acheter un organe peut être illégal dans le pays de résidence.

Cette approche donne aux professionnels de la lutte anti blanchiment une perspective intéressante et une longueur d’avance par rapport aux forces de l’ordre car elle leur donne la possibilité de recevoir des informations que les forces de l’ordre pourraient ne pas obtenir, ou ne pas être dans l’obligation d’obtenir.

Les informations recueillies par les cellules de renseignement financier (CRF) en provenance des institutions financières associées au trafic d’organes ou au tourisme de transplantation peuvent être communiquées à des partenaires internationaux par les CRF nationales.

LE « PROJECT PROTECT » PREND DE L’AMPLEUR : VIVE LE « PROJET ORGANE »

Comme indiqué auparavant, déclarer des opérations liées au trafic d’organes n’est pas aisé. Le « Project Protect » au Canada, lancé en 2016 par Peter Warrack, le gourou LAB, est un exemple de sensibilisation, dans le contexte de la lutte anti blanchiment et du trafic d’organes. Bien que conçu initialement pour combattre le trafic sexuel, le « Projet Protect » a été élargi pour intégrer le trafic d’organes à la demande du Dr Francis Delmonico, professeur de chirurgie à l’école de médecine d’Harvard en 2018. Cet élargissement porte maintenant le nom de « Project Organe » et ses objectifs sont similaires à ceux du projet original, puisque le but est de sensibiliser sur le sujet et d’augmenter le nombre de déclarations à destination de la CRF canadienne (c’est-à-dire le centre d'analyse des déclarations et des opérations financières canadien).

REGARDER VERS L’AVENIR

Des pays, tels que les États-Unis ou le Canada n’ont pas intégré le trafic d’organes dans leurs lois nationales sur le trafic d’êtres humains. Cependant, aux États-Unis par exemple, certains États comme le Massachusetts l’ont fait.

Depuis le protocole de Palerme, les discours de politique publique se sont multipliés sur le sujet. En 2008, un groupe d’individus parties prenantes dans la bataille mondiale contre le trafic d’organes a formé la déclaration d’Istanbul, qui, dans la foulée, a créé de nouvelles définitions clefs concernant le trafic d'organes et le tourisme de transplantation et a développé des pratiques prometteuses pour s'attaquer au commerce d’organes. Le Dr Delmonico était l’un des fondateurs de la Déclaration d’Istanbul et par conséquent de la

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DICG (Declaration of Istanbul Custodian Group), une entité internationale chargée de mettre en place les principes de la déclaration.

Selon lui, « Le DICG a été un groupe de collègues internationaux efficace qui a été en mesure de surveiller les pratiques illégales suite à la sensibilisation de patients retournés chez eux pour des soins médicaux sophistiqués post transplantation d’organes. Le fait d’informer les autorités compétentes en conséquence a permis l’arrestation de trafiquants d'organes en Israël, en Chine, au Pakistan, en Inde, au Costa Rica, en Égypte et aux États-Unis ».

Le Conseil de l’Europe a lui aussi adopté une convention contre le trafic d’organes humains en 2014, qui est entrée en vigueur récemment, en janvier 20189. Il s'agit d’un développement majeur en tant que premier mécanisme légal comportant une définition plus généralement admise sur le trafic d’organes.

Des événements plus récents, comme le sommet sur le trafic d’organes en février 2017, organisé par l’académie des sciences pontifical du Vatican, a également mis l’accent sur le commerce d’organes.

À ce jour, le poids du trafic d’organes reste flou, quant au nombre de transplantations effectuées chaque année. De plus, cette problématique n’est toujours pas partie prenante du sujet du trafic d’êtres humains dans sa globalité.

Afin de combattre le trafic d’organes de manière efficace et d’augmenter sa visibilité parmi les autres formes de crimes organisés transnationaux, il est vital de s’engager dans des partenariats public-privés efficaces. Le secteur privé, y compris le secteur financier, peut jouer un rôle essentiel dans cette bataille mondiale.

Christina Bain, dirige l’action sur le Trafic d’êtres humains et l’esclavage moderne, Babson College, Wellesley, MA, USA, [email protected]

Joseph Mari, CAMS, senior manager of major investigations, Bank of Montreal, Toronto, Canada, [email protected]

Dr. Francis L. Delmonico, Conseiller, World Health Organization, advisory organ donation and transplantation and professor of surgery, Harvard Medical School, Massachusetts General Hospital, Boston, MA, USA, [email protected]

1. “Transnational Crime and the Developing World,” Global Financial Integrity, March 2017, http://www.gfintegrity.org/wp- content/uploads/2017/03/Transnational_Crime-final.pdf 2. Denis Campbell and Nicola Davison, “Illegal kidney trade booms as new organ is sold ‘every hour,’” The Guardian, May 27, 2012, https://www.theguardian.com/world/2012/may/27/kidney-trade-illegal-operations-who 3. “Organ Donation,” The Kidney Foundation of Canada, https://www.kidney.ca/organ-donation 4. “Organ Donation and Transplantation Statistics,” National Kidney Foundation, https://www.kidney.org/news/newsroom/factsheets/Organ-Donation-and-Transplantation-Stats

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5. “Waiting list,” NHS, October 14, 2015, https://www.nhs.uk/conditions/kidney-transplant/waiting-list/ 6. “The History and Development of the Declaration of Istanbul,” Declaration of Istanbul on Organ Trafficking and Transplant Tourism, https://www.declarationofistanbul.org/about-the-declaration/history-and-development 7. “United Nations Convention Against Transnational Organized Crime and the Protocols Thereto” United Nations Office on Drugs and Crime, 2004,https://www.unodc.org/documents/treaties/UNTOC/Publications/TOC%20Convention/TOCebook- e.pdf 8. “Transnational Crime and the Developing World,” Global Financial Integrity, March 2017, http://www.gfintegrity.org/wp- content/uploads/2017/03/Transnational_Crime-final.pdf 9. “Trafficking in human organs: Council of Europe convention enters into force,” Council of Europe, January 3, 2018,https://www.coe.int/en/web/cdpc/-/trafficking-in-human-organs-council-of-europe-convention-enters-into-force

13 Chapitre France de l’ACAMS – Lettre d’information #2

WEBINAR ACAMS EN FRANÇAIS LES DERNIERS DEVELOPPEMENTS REGLEMENTAIRES LCB- FT EN FRANCE https://www.brighttalk.com/webcast/12373/329831

La 4ème directive européenne devait être transposée en France à la date du 26 juin 2017. La transposition a été effectuée dans le socle législatif français par le biais de : - L’ordonnance n°2016-1635 du 1er décembre 2016 - Le décret n°2018-284 du 18 avril 2018

Et renforcée par la mise à jour des lignes directrices de l’ACPR et de TracFin à destination des professionnels.

Il a également fallu compter durant ce premier semestre 2018 avec l’adoption en première lecture par le Parlement Européen de la 5ème directive.

Le webinar apporte des éclaircissements sur les points suivants :

 Décret du 18 avril 2018. Des précisions concernant : o le bénéficiaire effectif o la vigilance standard o la vigilance simplifiée o le renforcement des missions de TracFin

 Mise à jour des lignes directrices conjointes ACPR/TracFin o Vigilance renforcées sur certaines opérations o Précisions apportées sur les diligences à effectuer o Détection du financement d’une activité terroriste o Vigilance accrue pour les relations d’affaires avec des personnes détenues o Les PPE

 5ème directive o Quels apports ?

Les intervenants analysent également quelques décisions rendues par la Commission des Sanctions de l’ACPR, évoquent le montant des sanctions infligées (en particulier à BNP Paribas) et commentent l’attention portée sur le crédit à la consommation.

La règlementation anti-corruption est également abordée (mise en œuvre de la loi Sapin 2 et de la Convention Judiciaire d’Intérêt Public, la CJIP).

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