ACTES DU CARREFOUR D'EXPLORATION

"L'ACCES DES FEMMES AU POUVOIR POLITIQUE1

organisé par

L'ASSOCIATION FEMININE D'EDUCATION

ET D'ACTION SOCIALE

(AFEAS)

les 31 octobre et 1er novembre 1986

au Grand hôtel à Montréal

Publié en juin 1987 Nous tenons à remercier toutes les personnes qui, de près ou de loin, ont contribué au succès de cet événement.

Invitée d'honneur Comité organisateur Monique Gagnon-Tremblay Noella Randlet-Caron Ministre déléguée conditi on Raymonde Paradis féminine Claire Levasseur

Personnes-ressources ou conférencières Monique Begin Lucie Pépin Marcelle Trépanier Céline Hervieux-Payette Lise st-Martin Solange Chaput-Rolland Coordonnatrice Lorraine Duguay Michelle Houle-Ouellet Nadia Assimopoulos Danielle Debbas Communications-Publicité Suzanne Biais-Grenier Louise Dubuc Evelyne Tardy Yolande Rochefort Léa Cousineau Johanne Belisle-Bareteau Diane Beaudry Accueil Lise Tremblay-Cournoyer Lucie Gervais Gisèle Gagnon

Animatrices Rédactrice des actes Louise Coulombe-Joly Christine Marion Pauline Cossette Monique Larouche-Morin Soutien technique Lucille Lavallée-Lemyre José Gauvreau Claudette Coutu-Simard Lise Gratton Luce Ranger-Poisson Marthe Tremblay Raymonde Paradis Huguette Dalpé

Nous remercions également le programme promotion de la femme du Secrétariat d'Etat qui a contribué au financement du Carrefour.

II SOHHAIRE

INTRODUCTION. .1

PROFIL DES PARTICIPANTES 4

CONFERENCE-DE HONIQOE BEGIN 8

CONFERENCE DE PAULINE MARDIS. 20

CONFERENCE DE LUCIE PEPIN, 35

CONFERENCE DE MARCELLE TREPANIER. ... .47

ATELIER 1: .les étapes préparatoires à l'Implication politique Personne-ressource: Francine Lalande... 55

ATELIER 1% :l'inpact sur la vie familiale, sociale et profession- nelle Personne-ressource: Louise Harel 68

ATELIER 3: couinent vivre le pouvoir Personne-ressource: Céline Hervieux-Payette 77

ATELIER 4; l'échec en politique Personne-ressource: Lise St-Martin 87

ATELIER 5: solitude des femmes au pouvoir Personne-ressource: Solange Chaput-Rolland 97

ATELIER 6: militantisme en vue du pouvoir Personne Ressource: Lorraine Duguay 105

ATELIER 7î le jeu des appuis dans les partis Personne-ressource: Nadia Assimopoulos 113

ATELIER 8: le financement Personne-ressource: Danielle Debbas 122

ATELIER 9: la spécificité féminine versus la ligne de parti Personne-ressource: Suzanne Biais-Grenier 133

ATELIER 10: un avenir pour les femmes Personne-ressource: Evelyne Tardy 144

SYNTHESE DE LA PLENIERE Personne-ressource: Léa Cousinsau 153

CONCLUSIONS ET PROSPECTIVES 157

ANNEXES

Conférence de Monique Gagnon-Tremblay . . . . 159

Notes biographiques des personnes-ressources 163 III INTRODUCTION

Fondée il y a 20 ans l'Association Féminine d'Education et d'Action Sociale (AFEAS) regroupe 33,000 membres réparties en 600 cercles à travers la provin- ce de Québec. Soucieuse de l'avancement de la condition féminine, l'Aféas a été pionnière dans de nombreux dossiers. Consciente que de plus en plus de femmes s'intéressent à la chose politique et convaincue que l'avancement des femmes en politique est une garantie de l'avancement des femmes dans la société, l'Aféas, en 1985, mettait de l'avant son projet "Femme et pouvoir politique".

Grâce à une subvention du Secrétariat d'Etat (programme promotion de la femme) l'Aféas réalisait différents documents et différentes activités qui devraient aboutir a l'accroissement du nombre de femmes dans les postes décisionnels et dans les instances gouvernementales. En avril 1986, dans le cadre du Salon de la femme à Montréal, l'Aféas lançait une brochure intitulée "Le pouvoir politique...une réalité quotidienne". Cette brochure visait à démystifier le pouvoir politique à plusieurs niveaux. Elle fut distribuée gratuitement dans l'ensemble des cercles Aféas locaux.

Un autre document fut lancé en octobre 1986 à l'intérieur d'un CARREFOUR D'EXPLORATION SUR L'ACCES DES FEMMES AU POUVOIR POLITIQUE. Il s'agit d'un guide de 47 pages intitulé "Comment prendre sa place en politique" et dans lequel on retrouve toutes les étapes à franchir pour se présenter en politi- que municipale, provinciale et fédérale. On y parle également de financement et de plan de campagne électorale.

Le carrefour d'exploration sur l'accès des femmes au pouvoir politique se déroulait sur deux jours et se voulait un lieu privilégié de rencontres et d'échanges entre des femmes déjà impliquées en politique active et des femmes ayant le goût de le faire. Le présent document constitue les actes de ce CARREFOUR D'EXPLORATION.

Enfin, en mai 1987, des soirées d'information se tiendront auprès des membres de l'Aféas dans tout le Québec sur le thème "Les femmes et le pouvoir politique".

Le déroulement du CARREFOUR D'EXPLORATION

LE CARREFOUR D'EXPLORATION SUR L'ACCES DES FEMMES AU POUVOIR POLITIQUE s'est tenu les 31 octobre et 1er novembre 1986 au Grand Hôtel à Montréal. Il réunissait 170 participantes venues échanger avec 10^personnes ressources et 4 conférencières, toutes des femmes impliquées (ou l'ayant été) en politique active.? Sous un même toit et dans un même objectif se trouvaient donc réunies des femmes de tous les partis et de tous les paliers de gouvernement. C'est par un banquet qu'on procédait à l'ouverture du CARREFOUR D'EXPLORA- TION. Participantes, animatrices, personnes-ressources et conférencières avaient ainsi l'opportunité de faire un premier échange autour d'un repas. Après le repas, l'Aféas lançait le guide "Comment prendre sa place en politi- que". Chaque participante recevait un exemplaire du guide.

Après le lancement, Madame Monique Gagnon-Tremblay, Ministre déléguée à la condition féminine, prenait la parole. Dans son allocution, Madame Gagnon- Tremblay a commenté le guide "Comment prendre sa place en politique". Elle salue le travail de l'Aféas et parle de l'importance de l'implication des femmes en politique. On peut lire le texte de l'allocution de Madame Gagnon- Tremblay en annexe.

La soirée s'est terminée par le visionnement d'un film qui sera en même temps un outil déclencheur pour les discussions du lendemain. "Histoire à suivre" (1) est un document tourné lors de la campagne à la présidence du Parti Québécois en 1985, alors que deux femmes sollicitaient pour la première fois au Québec, un mandat auprès des membres de leur parti. Par une série d'en- trevues avec des femmes impliquées en politique, la réalisatrice nous pro- pose, au-delà de toute partisanerie, une réflexion sur le cheminement des femmes en politique.

Consciente que la réflexion est un préalable à toute action, l'Aféas propo- sait aux participantes, pour la journée du 1er novembre, une série de 10 ateliers et de 4 conférences sur différents thèmes concernant la politique. Tous les ateliers étaient repris deux fois pour favoriser le plus possible la participation. Dans les ateliers, tout comme aux conférences, les échanges furent très libres, avec le respect du tour de parole comme seule contrainte aux participantes. Cette façon de faire provoquera les échanges où les questions seront aussi intéressantes que les réponses, car l'une et l'autre seront riches du vécu de chacune.

Aux conférencières et aux personnes-ressources l'Aféas avait demandé de livrer un témoignage qui ferait abstraction de toute partisanerie. Nous tenons à souligner que cette consigne a été scrupuleusement respectée. C'est tout à l'honneur de ces femmes. On sentait qu'au-delà de tout, elles dési- raient partager leurs expériences avec les participantes: elles ont été réalistes, objectives, impartiales et, malgré tout, très enthousiastes.

La journée s'est terminée par une plénière où madame Léa Cousineau avait pour mandat de livrer aux participantes ses réflexions prospectives suite aux diverses activités vécues par les participantes. Celles-ci étaient ensuite invitées à donner Ipurs commentaires.

(1) Produit par l'Office National du Film, réalisatrice Diane Beaudry. 2 LES ACTES DU CARREFOUR D'EXPLORATION

Les Actes DU CARREFOUR D'EXPLORATION marquent une autre étape dans le projet "Femme et pouvoir politique". Alors que le guide "Comment prendre sa place en politique" faisait le tour des règles écrites qui mènent au pouvoir poli- tique, LES ACTES DU CARREFOUR D'EXPLORATION font le tour de ce qu'on pourrait qualifier de règles tacites de la politique, à cause justement de la teneur des ateliers et conférences.

Le présent document présente le profil des participantes au carrefour, le compte-rendu des ateliers et des conférences-échanges, une synthèse de la plénière ainsi que quelques prospectives en guise de conclusion.

Pour chacun des ateliers et des conférenes on retrouvera le texte intégral des exposés des personnes-ressources ou conférencières suivi d'une synthèse des discussions. Les synthèses ont été rédigées à partir des propos des participantes recueillis dans les deux ateliers portant sur un thème ou suivant chacune des conférences. Les synthèses sont présentées sous forme d'interventions et réponses. En annexe, on trouvera de plus, les notes biographiques des personnes- ressources et conférencières ainsi que le texte de l'allocution de Madame Monique Gagnon-Tremblay, Ministre déléguée à la condition féminine,présentée lors de l'ouverture du carrefour. PROFIL DES PARTICIPANTES

A leur arrivée sur le site du CARREFOUR D'EXPLORATION, les participantes étaient invitées à compléter un questionnaire permettant d'établir un profil des participantes. Nous pouvons donc établir que l'âge moyen des participantes est de 40,6 ans. Toutes les participantes sont francophones, 34% sont bilingues et 6% parlent trois langues.

Bien que les résidentes de la région de Montréal représentent la plus grande proportion des participantes (29,4%), ce sont quand même des femmes de tous les coins de la province qui se sont déplacées pour assister au Carrefour d'ex- ploration ccrare en témoigne le tableau qui suit:

REGIONS POURCENTAGE

Montréal 29,4% }ive Sud Montréal 15,6% Québec 14,7% ^ichelieu-Yamaska 7 ,8% Sherbrooke 6 , 8/0 _anaudière 5,9% Saguenay Lac-St-Jean 5,8% Nicolet 4,0% Mauricie 2,0% Abitibi Témiscamingue 2,0% Bas St-Laurent Gaspésie 2,0% Outaouais 2,0% Côte Nord 1,0% Manitoba 1,0%

100,0%

La plupart des participantes sont des femmes mariées. La compilation des réponses concernant le statut civil donne le portrait suivant:

STATUT CIVIL POURCENTAGE

Mariée 65,0% Divorcée 15,0% Célibataire 15,0% Veuves 5,0%

100 0% Le tableau qui suit donne un aperçu du nombre d'enfants qu'ont les participantes:

NOMBRE D'ENFANTS POURCENTAGE

0 22,5% 1 11,7% 2 28,5% 3 15,7% 4 12,7% 5 5,0% 6 1,0% 7 0,9% 8 1,0% 9 1,0%

100,0%

Le revenu personnel des participantes n'est, en général, pas très élevé. Une très forte majorité disposent de moins de 10 000$ par année:

REVENU POURCENTAGE

0-10 000$ 42,8% 10 000$ à 20 000$ 21,4% 20 000$ à 30 000$ 15,3% 30 000$ et plus 20,5% 100,0%

Plusieurs participantes n'ont pas répondu à la question du revenu familial. Parmi les répondantes, le partage se faisait comme suit:

REVENU FAMILIAL POURCENTAGE

0 à 10 000$ 3,3% 10 000$ à 20 000$ 8,3% 20 000$ à 30 000$ 18,3% 30 000$ et plus 70,1% 100,0% Ce sont les travailleuses au foyer qui étaient le plus largement représentées au carrefour d'exploration. Toutefois, on y retrouve des femmes représentant un vaste éventail d'occupations:

OCCUPATION POURCENTAGE

Travailleuse au foyer 26,0% 'rofesseure 11,0% Animatrice 7,0% Femme collaboratrice 4,0% Administratrice 4,0% Courtière 4,0% Etudiante 4,0% Secrétaire 4,1% Directrice générale 4,1% Coordonnatrice 4,1% -z -I o/ onseillère en orientation J , 1/0

Infirmière J~*l , 1/1 0°' r -l -\o' emme en affaires J , I/o 1 O/ Fonctionnaire 3 , 1/0 Avocate 2,1% omptable 2,1% Directrice des ventes 2,1% Secrétaire générale 1,0% Relationniste 1,0% Coiffeuse 1,0% Sociologue 1,0% Géographe 1,0% Agricultrice 1,0% Informaticienne 1,0% Psychothérapeute 1,0% Notaire 1,0%

100,0%

Au niveau des loisirs, on semble privilégier le sport et la lecture:

LOISIR POURCENTAGE

Sports 53,9% Lecture 50,9% Bénévolat et organismes 22,5% Musique 9,8% Artisanat 9,8% Cinéma 5,8% Voyages 3,9% Cuisine 1,9%

Toutes les participantes affirment être impliquées, en terme de pouvoir, dans un 6 secteur d'activité quelconque. Plusieurs sont impliquées dans plus d'un do- maine. Voici les secteurs où on les retrouve:

SECTEUR D'IMPLICATION POURCENTAGE

Associations diverses 68,6% Partis politiques 41,7% Ecoles et commissions scolaires 29,4% Sports et loisirs 22,5% Conseils d'administration 21,5% Municipalités 20,5% Paroisses - Eglise 14,7% Syndicats 10,7% Coopératives 6, o/o

D'une manière générale, les participantes semblent optimistes quant à la perception de leur avenir par rapport au pouvoir politique. Un tiers d'entre elles manifestent leur goût de s'impliquer en politique, principalement en politique municipale. D'autres envisagent de devenir députées, hautes- fonctionnaires et même ministres.

PERCEPTIONS D'AVENIR EN POLITIQUE POURCENTAGE

Je désire m'impliquer activement 33,3% Je suis en période de recherche et réflexion 19,6% Je désire m'impliquer comme aidante (formation- soutien - organisation) 15,6% Je suis optimiste 11,7% Je suis pessimiste 7,8% Je suis actuellement active en politique 6,8% Je suis à la recherche d'informations sur ce sujet 3,9% Je ne désire pas m'impliquer 3,9% CONFERENCE DE MADAME MONIQUE BEGIN

On m'a demandé de faire une réflexion personnelle, basée sur mon expérience passée. J'ai donc pensé de vous parler des points suivants:

- Le pouvoir, pourquoi faire? - L'autorité, comment? - Bien se connaître ou la fidélité à soi-même: le jeu des miroirs et des images de soi. - L'importance de comprendre les lois de l'action et du changement social. - La vraie solidarité.

A la bonne franquette, je vous donne donc les réflexions qui me viennent à l'esprit. J'ai commencé en disant "Le pouvoir, pourquoi faire?" Ici je vais sûrement toucher les théories féministes sur la question du pouvoir. On dit aux femmes, et moi-même j'en étais, après la commission Royale d'Enquête en 1970, qu'il faut qu'elles aillent en politique. On rêve de ce que la présence massive des femmes élues à quelque palier de responsabilité que ce soit, change le cours des choses. On le rêve beaucoup, on en parle entre nous. Est-ce possible ou n'est-ce pas possible?

Il faut se rappeler qu'il y a deux grandes théories sur la question dans le mouvement féministe. Ou bien on refuse complètement le Système (avec un S majuscule), on refuse de joindre les rangs du Système actuel parce qu'on n'accep- te pas l'ambition qui fait partie du pouvoir, ou la trop grande concurrence ou les valeurs de l'ego, par exemple. Ou bien on décide d'entrer dans le Système et de faire son bout de chemin. Est-ce qu'on y perd nécessairement son âme? La réponse est non. Parce qu'on sait que les femmes ont une âme maintenant. Donc c'est pour cela que j'ai dit "Le pouvoir, pourquoi faire?".

J'ai observé que les femmes qui sont entrées dans ma génération de vie politi- que, c'est-à-dire entre 1972 et 1984, j'ai observé donc autour de moi, à la Chambre des Communes, dans tous les partis, que la plupart d'entre elles gar- daient une échelle de valeurs, des manières de faire, de travailler, dites du monde traditionnellement féminin. Est-ce une question de génération? Je n'en sais rien. Ce que j'entends par là, c'est que nous étions des produits cultu- rels typiques d'un monde très très différencié. Nous avions une échelle de valeurs-gui mettait l'accent sur la sphère privée, la sphère familiale, les problèmes d'enfants etc... Et cela par opposition à une échelle de valeurs, à des moeurs, à une socialisation dite masculine. Il y avait cependant des excep- tions et dans tous les âges. Certaines d'entre nous devenaient des gars (sic). J'entends par là qu'elles devenaient , devenaient très dures, pouvaient jouer malpropre et devenaient extrêmement ambitieuses. Alors moi je ne veux pas généraliser, créer de nouveaux clichés, car je pense qu'on n'aide personne en agissant comme cela. C'est pour cela que je me demande "Le pouvoir, pourquoi faire?".

Qu'un grand nombre de femmes se joignent aux hommes déjà en politique, mais le fassent pour des désirs ou des ambitions personnelles, on peut penser qu'en soi, 8 il n'y a rien de mal à cela. Sauf que si cette ambition devient exagérée, c'est gênant. Vous voyez vous-mêmes le masque de certaines personnes et vous vous dites "cette personne-là est trop ambitieuse". Alors si les gens décident d'aller en politique pour le kick (sic) que cela donne ou uniquement pour des intérêts et des satisfactions que j'appellerais personnels, moi, cela ne m'inté- resse pas. Et cela ne m'intéresse pas comme être humain.

Alors, choisir pourquoi on va en politique, pour moi, c'est fondamental. Et il faut y aller, à mon humble avis, pour des raisons, pour des motifs, pour des objectifs. Parfois, lorsqu'on entre en politique (et c'était sûrement mon cas) les objectifs ne sont pas des objectifs clairs. Ce sont des objectifs vagues et généraux de plus de justice sociale, de plus de tolérance, de plus de modernis- me, au bon sens du terme. Personnellement je n'avais certainement pas des objectifs extrêmement précis. Cela s'est précisé avec le temps. Lorsque vous devenez ministre, ma première année a été en 1976 au Revenu National, vous apprenez littéralement un nouveau rôle. Exactement un an après, en septembre 1977, j'étais nommée ministre de la Santé et du Bien-être et cela m'a pris à peu près quatre mois pour me former des objectifs, peu nombreux mais précis.

Vous vous demandez "Qu'est-ce que je vais faire avec mes années à ce ministère? J'y serai pendant un an, deux ans, trois ans peut-être". J'y ai été pendant sept ans. Alors heureusement que je m'étais donné des objectifs! C'est absolu- ment essentiel d'avoir des objectifs. On ne peut pas en avoir beaucoup, on ne peut pas les réaliser en ligne droite. Parfois on doit laisser aller un dossier pendant un certain temps, vous en poursuivez un autre, vous revenez à celui-là etc...

Quand je suis entrée à la Santé, je pensais que je serais la ministre qui obtiendrait le revenu annuel garanti pour les canadiens. Après quatre mois j'ai subitement compris que la récession était à la porte et que je jouerais un rôle beaucoup moins glorieux, celui de réussir, et je ne savais pas comment j'y arriverais, à sauver le meilleur des acquisitions du passé, c'est-à-dire les programmes qu'on avait déjà depuis très longtemps et qui faisaient partie de ce que j'appelle le contrat social entre les canadiens et leur gouvernement fédé- ral. Garder telles quelles les pensions, les allocations etc... et tenter de les améliorer quand il y en avait moyen. Et puis l'assurance-santé m'est arri- vée dans le portrait comme on dit. Et les circonstances on fait que tout de suite il y a eu des cas de sur-facturation par des médecins ou des spécialistes, des cas de tickets modérateurs. Il a fallu faire l'analyse de cela, prendre des décisions et j'ai choisi les batailles.

Donc si je pose la question "Le pouvoir, pourquoi faire?" c'est parce que des gens qui vont en politique uniquement pour des satisfactions personnelles, moi cela ne n'intéresse pas, que ce soient des hommes ou que ce soient des femmes. Les femmes ont, en groupe (parce qu'on existe jamais seule en politique) l'énor- me avantage d'apprendre rapidement les règles du jeu des hommes, du monde mascu- lin du pouvoir. De plus, elles ont l'appanage, parce que culturellement c'est ce qu'on leur a appris depuis qu'elles sont toutes petites filles, d'être excel- lentes en communication. Or, la politique c'est l'art de communiquer avec les gens. Les femmes sont bonnes dans les relations humaines. C'est ce qu'on 9 pratique dans les foyers: ce sont les femmes qui tenaient cela ensemble si je puis dire. Ce sont des négociatrices nées etc...

Nous sommes également excellentes, n'importe quel médecin vous le dira, pour prendre le stress. Des de fou comme celles-là font faire des crises cardiaques aux hommes alors que les femmes, elles, se contentent de faire des poches sous les yeux un peu plus rapidement. Nous traversons le stress beaucoup mieux que les hommes. Le stress, appelle avant tout un facteur d'adaptation physique. A ce niveau-là, nous avons une chance car nous avons toujours été très bonnes dans cela. Et à mon avis c'est probablement parce que nous avons la chance historique (malgré nos nombreuses malchances, nous avons cette chance) de pouvoir exprimer nos sentiments et nos émotions en tout temps. Cela nous donne des valeurs, des soupapes de sécurité qui se répercutent physiquement sur la santé.

Maintenant, voyons "l'autorité, comment?". Si un jour vous devenez députée, vous penserez peut-être que vous "bosserez" votre comté. Ce n'est pas vrai du tout. Vous ne "bossez" personne, vous arrivez à peine à vous "bosser" vous-même. Mais si vous devenez ministre, vous auriez soudainement sous vos ordres une immense pyramide: un ministère. Personnellement, j'avais un des plus gros ministères et j'avais de loin le plus gros budget du gouvernement fédéral et cela, tout d'un coup.

Ici, je parle comme femme de ma génération; peut-être que beaucoup plus de jeunes femmes n'ont pas ce problème. Mais moi, j'avais le problème d'être une femme qui avait été éduquée à être une deuxième. Mettez-moi en second, faites- moi dire "nous" et je me sens bien, bien, bien. Mais quand vous êtes la pre- mière, que vous êtes en charge d'une pyramide d'autorité, vous devenez obligée d'imposer vos vues d'une part et vous devenez obligée de vous fâcher d'autre part. Comprenons-nous bien: j'ai toujours su ce que je voulais et j'ai tou- jours su où j'allais; mais je n'ai jamais donné de gros coups de poing sur la table comme l'a fait mon prédécesseur Marc Lalonde (qui a été pendant cinq ans à la Santé). Je suis incapable de faire cela mais je sais très bien ce que je veux et je le disais aux fonctionnaires. Evidemment on disait de Marc Lalonde qu'il était fort et de moi que j'étais agressive.

Ce n'est pas parce que vous devenez ministre un jour ou parce que vous êtes une femme (même si vous êtes une des premières) qu'on vous donnera un cours pour vous aider à vous ajuster. C'est le type de métier, d'expérience, où vous vous ajustez en faisant des erreurs et devant tout le monde en plus de cela. Alors naturellement, c'est très inconfortable.

Les rapports avec l'autorité, moi j'ai trouvé cela un peu difficile. C'est certain que ce n'est pas le cas pour toutes les femmes. Par exemple ma collègue ministre, qui est d'ailleurs devenue mon amie pour la vie, Judy Erola,fait partie de ce que j'appelle les personnes secures à 100%. Moi je ne suis pas dans cette catégorie. J'aimerais cela, mais je ne le suis pas. Et je pense que la majorité des gens ne sont pas secures à 100%. Mais si vous l'êtes, c'est un extraordinaire avantage parce que vous ne vous mêlez jamais entre l'émotivité et 10 l'agressivité. Et cela fait de vous un excellent patron, un patron qui sait contrôler vraiment profondément ses émotions, un patron qui peut donner des ordres avec assurance et sans être mal à l'aise de le faire. Je suis Monique Begin, j'ai une forte personnalité et je le sais. Pourtant, j'ai réalisé que j'étais beaucoup plus à l'aise, à cause de mes expériences, de ma personnalité et de ma psychologie probablement, j'étais beaucoup plus à l'aise donc en fai- sant du travail d'équipe, en faisant du travail où des consensus étaient déve- loppés.

Mais quand vous devenez une ministre, seule à la tête d'une pyramide, vous réalisez que ce n'est pas toujours possible. Il n'y avait que des hommes à ce moment, à la tête de la structure de mon ministère et j'ai compris qu'ils étaient complètement perdus parce que je laissais des consensus se développer au lieu de donner clairement des ordres, comme le faisait mon prédécesseur.

J'étais certainement un produit assez typique d'une génération de femmes. J'ai 50 ans aujourd'hui et c'était le mode d'apprentissage de notre rôle. Vous étiez une seconde, vous n'étiez pas une tête d'office. Vous disiez "nous", vous ne disiez pas "je". Et vous étiez mal à l'aise d'imposer vos vues parce que ce n'est pas comme cela qu'on négocie en relations humaines. Mais quand on devient le patron d'une boîte pyramidale, on ne peut pas faire les réformes des program- mes sociaux et les réformes de son ministère en même temps. Il faut choisir ses batailles et ne faire que certaines d'entre elles.

Alors quand je dis "l'autorité, comment?" je veux seulement vous signaler que c'est une dimension de la responsabilité politique que, comme femme, il faut avoir explorée. Il y en a, encore une fois, pour qui ce n'est pas un problème. Moi, c'était un peu le mien. Evidemment, la chance de ma vie a été de rester sept ans au même ministère. Forcément vous faites votre trou, vous vous enraci- nez. Vous connaissez les gens et les gens vous connaissent et finalement vous réussissez à imposer le travail d'équipe comme approche justement parce que vous êtes connue. Vos fonctionnaires vous aiment parce que vous avez gagné des batailles pour eux au cabinet et plus d'argent pour leur budget etc... Cela devient une équipe. Mais cela prend un temps fou et je tenais à le mentionner.

Parlons ensuite du "Jeu des miroirs", cela tombe bien si vous devenez une tête d'affiche, et en politique vous êtes obligée de devenir une tête d'affiche. Je tiens à préciser que ce que je dis ici, c'est tout ce qui n'est pas écrit dans le livre qu'a lancé l'Aféas hier, et qui d'ailleurs est très bien fait. Ce dont je parle, ce sont les règles du jeu qui ne sont pas écrites et qui ne le seront jamais nulle part mais qui pourtant sont les lois de l'action. Les lois de la vie en société. Dans la politique moderne d'aujourd'hui, dans tous les pays, dans toutes les provinces, dans tous les paliers de gouvernement, incluant le municipal, bien que ce soit moins visible à ce niveau, le médiateur entre le public et les politiciens qu'il a élu, ce sont les médias d'information et avant tout la télévision. La radio, les journaux, la télévision bref les médias de communication sont devenus un des rouages de la politique. C'est pour cela que j'ai écrit, faute d'une meilleure façon de le dire "Le jeu des miroirs et des images de soi".

11 Si vous êtes une femme peu sûre de vous, qui voulez absolument être aimée, qui n'avez pas encore tout à fait réglé, dans votre propre tête, vos rapports avec les hommes et vos rapports personnels avec un homme (je m'excuse d'être aussi franche mais c'est aussi simple que cela dans ma tête maintenant), vous allez avoir du trouble. Vous allez douter quatre fois plus de vous parce qu'à un moment donné vous êtes un grand patron, un ministre. Et je fais exprès de dire cela parce qu'il y en a (hommes ou femmes) qui sont élus députés et qui sont contents d'être députés, sans plus. Mais il y en a aussi qui veulent devenir ministre.

Moi j'ai été quatre ans députée d'arrière banc et j'ai été huit ans ministre. Je vous avoue bien franchement que je serais morte d'ennui et de frustrations - d'être restée députée. Je le dis très franchement. Je n'ai pas assez d'ambi- tion pour vouloir être Premier ministre. C'est pour cela que je ne me suis pas présentée et que j'ai quitté la politique, autrement je serais restée. Je ne l'ai pas et je ne sais pas pourquoi. Mais j'avais quand même de l'ambition, j'avais au moins le désir d'avoir été ce que j'ai été et j'ai réalisé mes ambitions. Et j'en ai eu le plus grand plaisir et les plus grandes satisfac- tions, aussi bien égoistes qu'altruistes, si je puis dire. J'ai le sentiment d'avoir fait des bons coups pour d'autres et moi j'ai eu du "fun". Je n'ai pas d'autres façons de le dire. J'ai eu de vraies satisfactions à tous égards: intellectuellement, émotivement, en terme de nouveaux amis, enfin tout ce qu'on veut.

Alors par le "Jeu des miroirs et des images de soi" je veux toucher au manque de confiance en soi que l'on dit être typique de bien des femmes et qui est sûre- ment le problème d'un nombre X de femmes à cause justement de la socialisation ou encore du manque de modèles, de rôles, et aussi parce qu'on arrive dans un monde dont on ne connaît pas les règles. Si on est de la race des secures à 100?o, il n'y a pas de problèmes, on s'ajuste facilement. Mais si on est de la masse du monde qui n'est pas secure à 100%, il y a des tiraillements. Il y en a qui ne réussissent pas le test, d'autres qui passent l'examen et qui arrivent à fonctionner.

Les images de soi ce sont, par exemple, ce que les journalistes appellent dans leur jargon les profils psychologiques; ce sont tous les articles qu'on écrit sur vous, la façon dont on vous montre. Je vous assure qu'à votre première caricature vous recevez un choc! Alors à celles qui veulent aller en politique pour se faire aimer, je réponds n'y allez pas car vous souffrirez le martyr. Ce n'est pas du tout la place pour se faire aimer. Si vous vous mouillez, vous ne pouvez pas plaire à tout le monde. Dès que vous vous mouillez pour une cause ou des objectifs, vous ne pouvez pas faire autrement que d'avoir des ennemis. C'est très inconfortable. Avant d'entrer en politique, dans ma tête, c'était l'idéal de ne pas avoir d'ennemis, l'idéal humain qu'on apprend comme jeune fille. Maintenant j'ai des ennemis: les médecins de l'Ontario ne n'aiment pas, par exemple. J'ai eu de très grosses batailles avec eux. Je peux vous raconter un fait qui s'est produit en 1979 tout de suite après l'élection qui nous avait placé dans l'opposition. Je peux me vanter d'avoir eu à ces élections, la plus grosse majorité de l'histoire du , plus forte que celle de Trudeau et de tout le monde. Pourtant, deux ou trois jours après les élections j'étais au sud de Vancourver, du côté Américain et j'ai fait un début de phlébite. Le médecin américain, qui ne me connaissait ni d'Eve ni d'Adam, a téléphoné un médecin de Vancouver. Je vous rappelle que c'était au plus fort de la crise de l'assurance-

12 santé. Il est revenu affolé. Il avait appris qui j'étais et il l'avait appris dans des termes tels qu'il m'a dit de prendre l'avion et d'aller me faire soigner à Ottawa. C'est aussi simple que cela. Quand on dit des batailles, ce sont des vrais enjeux, des enjeux extrêmement sérieux que vous pouvez avoir, auxquels vous aurez à faire face. Et cela, ce sont des enjeux démocratiques. C'est fait comme cela, et c'est pour cela que je dis que ce n'est pas du gâteau.

Par "le Jeu des miroirs et des images de soi", je veux dire aussi qu'il faut que vous vous bâtissiez un sens de vous-mêmes,s'il n'est pas déjà complètement atteint, ou développé et que vous connaissiez exactement ce que vous voulez pour être fidèle à vous-même. Et fondamentalement, je dirais que la première étape pour une plus jeune femme, c'est d'abord de décider de ses relations avec les hommes en général, mais avec un homme en particulier.

Il faut vraiment comprendre ce qu'on veut de cette relation-là et après, être fidèle à soi-même, point final. Quelle que soit la forme de ce qu'on veut pour soi-même je trouve que c'est important de le savoir. Et il ne faut jamais tomber, devenir prisonnière du jeu des miroirs et de tout ce qui peut s'écrire sur vous. Si cela ne vous convient pas et vous détruit, ne le lisez pas. Moi, je ne mets jamais cela dans mon cahier de presse. J'avais toutes mes coupures de presse sur mes dossiers, sur les sujets qui m'intéressaient. Mais les pro- fils sur moi... et bien il y en a que je n'ai même pas encore lus. C'est aussi simple que cela.

Ce que je vous dis à ce sujet, je le dis en connaissance de cause. N'importe qui, se rappellant de moi lorsque j'ai été élue députée, se rappelle d'une jeune femme mince et fort élégante. Or je n'ai pas été assez fine pour le rester. On ne peut pas tout réussir d'un seul coup. Quand j'ai été ministre, j'ai réussi bien des choses mais je n'ai pas réussi à faire face à une certaine partie du stress relié à la vie de "fou" que je menais. Je n'avais jamais le temps de faire mes commissions, ou j'arrivais dans un hôtel à minuit ou j'avais un banquet à 9 heures alors que je mourais déjà de faim à 6 heures. Alors je mangeais n'importe quelle "cochonnerie" que l'on trouve dans les hôtelsj on retrouve des "fritos", des chips et des tablettes de chocolat. Je connais tous les hôtels du Canada et c'est partout pareil. Ce qui fait que j'ai pris près de 60 livres en 6 mois et devant tout le monde à part cela! N'oubliez pas que les débats de la C h a m b r e des Communes étaient télévisés à ce moment-là. Vous ne saurez jamais comment j'ai souffert!

Il y a des grosses heureuses, mais moi je n'en suis pas une. Je suis très sérieuse vous savez. J'ose partager ces choses avec vous bien que j'en sois très gênée. Et je veux vous le dire parce que fondamentalement, l'image qu'on a de nous, les femmes, c'est d'abord une image physique. C'est à cela que toute la culture de notre société nous a identifiées avant tout. Et nous l'avons tellement interriorisée qu'on ne peut le nier. Il faut d'abord faire face à cela, le confronter, et ensuite le dépasser. Pour ma part, je vous dirais qu'il me reste des chevilles ravissantes.

Ceci étant dit, j'ai ajouté "l'importance de comprendre les lois de l'action et du changement social". Je relie ce point à la question "le Pouvoir, pourquoi 13 fairs?". Je voudrais en toucher deux mots de la façon suivante: encore une fois, je parle de la socialisation féminine par opposition à la socialisation dite masculine, en particulier, les apprentissages que font les jeunes garçons et les jeunes hommes adultes. Beaucoup de femmes, dans quelque milieu de tra- vail que ce soit, en politique, dans des associations, dans des postes décision- nels, beaucoup de femmes donc, pensent que la nature intrinsèque du dossier est si bonne, que l'importance du problème est tellement évidente, que ce sera suffisant pour convaincre tout le monde. Beaucoup de femmes pensent que leur dossier est tellement bon que cela va tout naturellement, remporter les faveurs de tout le monde. Et bien: xVMon Oeil!1' Et pour des raisons très simples; parce que les ressources sont de plus en plus rares, que ce soit les ressources financières ou tout simplement des ressources d'énergie humaine. Il y a aussi le fait que la nature humaine est ce qu'elle est. Même si les personnes à qui vous présentez le dossier ne sont ni des personnes d'ambition personnelle, ni des personnes calculatrices, les préoccupations de ces personnes, leurs motiva- tions, leurs mobiles sont souvent très loin de ce dossier. Il les intéressera davantage par ce qu'il pourra leur rapporter d'une manière ou d'une autre. Vous n'avez qu'a lire Balzac ou n'importe quel autre auteur qui dépeint les mécanis- mes de l'âme humaine pour réaliser que ce que je vous dis est très vrai. Ce ne sont donc pas du tout les conséquences du travail qui sont récompensées mais plutôt la stratégie.

Personnellement je voudrais qu'on donne aux femmes des cours sur la stratégie de l'action. Et d'ailleurs ce que je viens de dire ne s'applique pas qu'aux femmes; des jeunes joueurs qui entreraient ne sauraient sans doute pas cela non plus. Mais le besoin d'apprendre la stratégie est particulièrement pressant chez les femmes. Je ne sais combien de fois je me suis bagarrée avec des amies qui avaient des projets ou des dossiers à présenter à tel ou tel conseil ou comité. Quand je leur demande si elles ont une stratégie ou des alliés, à chaque fois elles pensent que je suis une malpropre ou encore que je leur impute mes calculs, comme si c'était quelque chose de pas correct d'imputer des cal- culs. Pourtant il ne faut pas se leurrer, si vous, vous n'avez pas de calcul, tous les autres joueurs autour de la table en ont. C'est ce que j'appelle les lois de l'action.

Cette façon de faire est sans doute typique de la culture masculine. Il y avait un homme, au caucus, qui nous parlait souvent de Waterloo et de la bataille de Napoléon. Alors un jour je me suis dit qu'il fallait que je lise cela. Je suis allée à la bibliothèque chercher le livre du plus grand stratège britanique, qui s'appelle Littleheart. J'ai compris que ce sont les batailles militaires qui sont à l'origine de la stratégie. L'art de la stratégie c'est d'arriver à percer l'ennemi. Alors il faut se mettre dans la tête qu'il y a des bons et des méchants. C'est comme un western. Comme femme on est mal à l'aise là-dedans car on veut toujours la conciliation, les négociations, les bonnes relations humaines. Mais il faut faire abstraction de cela. Rester courtoise et agréable mais avoir dans la tête des stratégies précises et des objectifs.

La stratégie c'est quoi? C'est l'analyse des rapports de forces qui sont en face l'une de l'autre et l'analyse des buts poursuivis par les joueurs. Combien sont-ils, eux-mêmes et ce qu'ils représentent? Qu elles sont leurs ressources? Quelles peuvent être les conséquences? Selon l'analyse, vous décidez ensuite des tactiques que vous devez adopter au fur et à mesure des événements pour 14 atteindre votre but. Et cela, en gros, on ne le fait pas. Ce sont pourtant les lois élémentaires de l'action fondamentale sur lesquelles j'insisterais comme étant très importantes.

A prime abord cela nous semble abstrait et cela semble dur parce que fondamen- talement cela nous oblige à reconnaître l'être humain comme un être de calcul. Mais cela fait partie de la nature humaine, c'est tout à fait comme cela que ça marche. Personnellement, il n'y avait rien qui m'était plus étranger. Je venais d'équipes, j'avais travaillé avec des êtres humains extraordinaires, je peux vous en nommer deux qui sont morts: Fernand Cadieux et Claude Robillard. Je n'avais jamais vu ce type de moeurs, si on peut dire, dont la politique, en particulier, nous gâte. Mais maintenant, j'ai compris: c'est tout simplement la nature humaine. J'ai pu le pratiquer, cet art de la stratégie et c'est comme cela que j'ai pu gagner des dossiers où tout, à prime abord, semblait contre moi. Beaucoup de joueurs sont faibles là-dedans et n'en font pas et pas seule- ment les femmes. Si vous n'êtes pas douée pour cela, allez chercher de l'aide. Allez chercher quelqu'un qui vous donnera les scénarios stratégiques dont vous avez besoin.

Comme dernier point, j'aimerais parler de la "vraie solidarité". Qu'est-ce que cela veut dire? Cela veut dire que j'ai vu de mes collègues, provenant des trois partis présents sur la scène fédérais, arriver à la Chambre des Communes en disant être pour les femmes mais à la condition d'être les seules à briller parmi les hommes. C'est une très grosse tentation car nous sommes si peu nombreuses encore que nous sommes facilement singularisées, avec les dangers et les avantages que cela comporte.

Personnellement je trouve extrêmement important les réseaux qui se créent main- tenant de plus en plus parmi les femmes. Le mot anglais "network" traduit très bien ce que j'entends par réseau. L'Aféas, par exemple, est peut-être l'asso- ciation la mieux structurée du Québec. Elle est parfaitement formée en une pyramide qui couvre tout le Québec. C'est une grande force. Mais les réseaux dont je vous parle sont beaucoup plus lâches, ils ne sont pas structurés. Ce sont des liens avec des individus femmes, dans ce cas-ci, avec qui on partage des points communs, des intérêts, mais des liens qui ne sont pas structurés. L'un et l'autre sont de grandes forces, de très grandes forces.

Mais pourquoi? Parce que lorsque vous vivez les stress et les problèmes d'un monde comme celui de la politique ou de tout autre monde hautement concurren- tiel, dans un monde plein , on peut difficilement demander à des collègues comment solutionner tel ou tel problème ou simplement partager les bons et les mauvais coups. Tout ce qui fait la vie quoi! Je ne dis pas cela pour qu'on devienne paranoïaque mais parce que les ambitions des uns et des autres sont en conflit, les postes de responsabilités étant si peu nombreux.

Voilà ce que vous donne un réseau, un réseau d'amies femmes ou une association à laquelle on appartient suffisamment pour pouvoir prendre le téléphone n'importe quand et partager sans concurrence. C'est important de pouvoir partager sans concurrence avec d'autres femmes qui ont vécu la même chose. 15 Alors pourquoi ne pourrait-on pas partager avec des hommes ....me demanderez- vous: Je crois que cela fait partie de la nature humaine, autant pour les hommes que pour les femmes de vouloir être entre eux lorsqu'ils vivent de très grands stress ou de grandes difficultés et cela, parce qu'alors, la dimension sexuelle est complètement absente. Demandez-vous un peu pourquoi les hommes font partie de clubs dans lesquels ils ne veulent pas voir de femmes. Nous avons tous besoin d'échanger entre égaux, entre pairs, entre gens du même groupe, sans que la dimension sexuelle, qui est un facteur très complexe des relations humaines, n'entre en ligne de compte. On peut, je pense, avoir des vrais amis hommes. Mais je suis convaincue que ce ne sera jamais pareil à la solidarité qui existe entre gens du même sexe, entre gens du même comme disent les anglais. La solidarité en ce sens est vraiment extraordinaire.

Je viens de vous dire qu'il est important d'avoir un réseau de femmes amies auquel on appartient et qu'on peut appeler en tout temps et avec qui on peut échanger. Mais en même temps il ne faut pas tomber dans la paranoïa qui nous ferait oublier qu'il y a bien des problèmes, bien des insécurités, bien des anxiétés, bien des doutes que les hommes partagent aussi parce qu'ils sont humains, tout bonnement et qu'à ce niveau-là, on n'est jamais seule. Il faut apprendre le paradoxe suivant: on n'existe jamais seule en politique car on doit avoir ses réseaux, ses alliées, (j'en ai glissé un mot à travers les stratégies et à travers le besoin de solidarité) mais en même temps il faut savoir vivre seule et s'assumer.

Vous êtes seule dans les batailles que vous menez contre les autres car souvent leur stratégie sera justement de vous isoler. Mais, et c'est là le paradoxe, il ne faut pas oublier qu'on partage beaucoup, comme être humain, à être au sommet comme le permet la politique. On partage des doutes, des batailles et des succès avec des hommes qui pensent comme vous et qui partagent les mêmes échel- les de valeurs.

16 COMPTE-RENDU DES ECHANGES CONFERENCE DE MADAME MONIQUE BEGIN

J'aimerais que vous nous donniez un exemple concret de stratégies que vous avez employées?

Il y en a qui se racontent difficilement! Par exemple, quand j'ai dû protéger les allocations familiales, j'ai vraiment fait des coups pendables. Ce que je peux dire, c'est que lorsque j'ai su des batailles à livrer, j'ai dû les imposer au cabinet des ministres d'autant plus que j'avais un ministère à très haut budget dans lequel on voulait toujours couper. J'avais contre moi l'ensemble des hauts fonctionnaires, l'ensemble des ministres et j'avais un Premier Ministre qui déléguait complètement et s'occupait surtout de la constitution. Il ne faut pas oublier que vous êtes obligée à une grande solidarité avec le cabinet.

Une autre bataille difficile a été d'amener les suppléments de pension, au niveau du seuil de pauvreté. 75?o des personnes qui allaient bénéficier de cette mesure étaient des femmes. Sont-elles rentables les femmes, politique- ment? Non et celles-là moins que les autres. Récemment, les personnes âgées se voyaient accorder la pleine indexation des pensions alors qu'on refusait la même chose aux femmes pour les allocations familiales. Pourquoi? Parce que les groupes de femmes, l'Aféas exceptée, ne s'occupent plus des mesures qui touchent les enfants et la famille, alors que les personnes âgées sont très bien organisées et sont très fortes politiquement. C'est vous dire l'importance des groupes.

Le cas de l'assurance-santé je peux en parler plus facilement. C'était un cas où l'ensemble des ministres ne voulaient pas de trouble. J'avais contre moi l'ensemble des ministres, l'ensemble des corps médicaux et l'ensemble des provinces; pourtant j'ai gagné parce que j'avais avec moi l'ensemble de la population. Mais pour avoir cet appui, il a fallu l'entretenir.

Vous avez mentionné qu'il faudrait concevoir un cours pour apprendre la' stratégie aux femmes. Je suis certaine que vous y avez déjà pensé et j'aime- rais que vous nous en parliez.

Je n'ai pas bâti de cours. J'ai fait des recherches pour savoir si des écoles telles que les HEC ou le Business Administration donnaient un cours de stratégie; il n'y en a pas. Pourtant cela me semble obligatoire dans le monde des affaires. Je pense que vous-mêmes, à l'Aféas, pourriez élaborer un tel cours. Il suffit de prendre quelques spécialistes pour vous aider. Les femmes depuis 1965 ont suivi toutes sortes de cours pour s'approprier des connaissances traditionnellement réservées aux hommes. Je pense que c'est la même chose en ce qui concerne la stratégie.

17 I Je représente FRAPPE et j'aimerais signaler que nous offrons un cours qui s'intitule "l'art de négocier". Je pense que c'est un peu de la stratégie.

R C'est bien.

I Vous vous êtes exprimée aujourd'hui avec beaucoup d'humour et je me demandais si dans vos stratégies ou vos négociations vous utilisez aussi cet humour?

R En politique, surtout quand on est ministre, on peut facilement devenir un beau ballon bien gonflé. On ne peut pas survivre sans humour et sans rire. Le conseil des ministres est un endroit très strict. Je les ai fait rire souvent. Ce qui n'empêche pas qu'on doit être très sérieuse et très dure pour gagner nos batailles.

Ceci me permet d'aborder un autre point. Quand une femme possède du pouvoiij et cela dans quelque milieux que ce soit, elle apparaît, à certaines femmes et aux hommes, comme déviante. On sort de la norme, on est délinquante et marginale. C'est très difficile à vivre car cela vous porte à penser que vous n'êtes pas bonne. Il faut le savoir, l'analyser et apprendre à vivre avec cette réalité. C'est dans votre force intérieure et chez vos amis que vous trouverez du réconfort. Cela peut être aussi auprès de votre famille que vous trouverez affection et réconfort. Mais ce n'est certainement pas dans le monde de la compétition.

I Aujourd'hui nous avons parlé de différentes formes de pouvoir. J'aimerais savoir si les médias ont le pouvoir de faire changer les enjeux. Je pense particulièrement aux éditoriaux qui peuvent souvent amener le lecteur à changer d'opinion?

R La réponse est oui. Mais il y a des limites au pouvoir des médias et moi- même je ne sais pas lesquelles. Quand je suisdevenue ministre, je n'avais aucune formation pour faire face aux médias et c'était une grande lacune. Même un simple député doit savoir cela, rappelez-vous-en. Les employés des médias ont un travail à faire: remplir leurs colonnes ou leur temps d'antenne. Même s'ils prétendent être neutres, ils ont un point de vue. Il faut aussi comprendre que la nature des médias modernes, c'est l'opposition, le scandale, la controverse. Dans le cas de l'assurance-santé, par exemple, les médias ont joué un rôle important et positif pour moi. Pendant des années, le public a été plutôt pour l'assurance-santé, mais c'était mal verbalisé. Les autres intervenants que j'ai déjà mentionnés étaient contre. Or les médias se prennent pour l'opposition officielle, ils étaient pour l'assurance-santé. Ce fut un rôle très positif dans ce cas précis mais à partir des mêmes données, dans un autre contexte, ce pourrait être le con- traire.

Autre exemple, nous avons noté qu'à la veille des élections en 1980, 102 des 105 journaux canadiens avaient des éditoriaux recommandant de voter contre notre parti et malgré tout, nous avons été élus. Donc parfois cela n'a pas 18 de résultats et c'est pour cela que je dis que l'influence des médias a des limites. Pourtant, je ne pourrais pas dire lesquelles et je pense que cela mérite d'être exploré.

19 CONFERENCE DE MADAME PAULINE MARDIS

Bonjour! Cela me fait plaisir d'être avec vous ce matin. J'aimerais commencer par une citation d'Huguette Bouchardeau, je vous dirai tout à l'heure qui elle est. "Pour moi l'apport des femmes à la politique n'est ni mondain ni superfi- ciel. Si la greffe réussit elle doit bouleverser profondément les moeurs poli- tiques. Sinon quelques femmes seront digérées. Elles auront servi d'alibi et pour les autres, nous n'aurons plus qu'à nous tourner vers autre chose. J'es- saie pour un petit moment encore de croire à l'action possible des femmes dans les partis politiques." Huguette Bouchardeau est une femme qui a été secrétaire générale du parti socialiste (vous connaissez le parti socialiste français, c'est un des grands partis dont le président M. Mitterand est issu). Elle a réfléchi sur son expérience en politique. Elle a été secrétaire générale de son parti, c'est un peu comme présidente générale de son parti, mais évidemment avec des règles du jeu un peu différentes des nôtres. Elle a écrit un bouquin qui s'appelle "Un coin dans leur monde" et qui est extrêmement intéressant à cet égard. Elle fait beaucoup de réflexions sur l'expérience qu'elle a vécu. Je trouvais intéressant de la citer au départ car ma motivation à poursuivre mon implication politique et à être impliquée aussi dans le dossier des femmes c'est ma croyance en ce que nous avons à apporter à notre société et à la vie politi- que aussi. C'est de cela dont je vous entretiendrai.

J'étais très heureuse, je dois le dire, d'accepter l'invitation de l'Aféas. Il y en a eu une première au moment du Salon de la Femme, en mars si je ne m'abuse, où on a lancé cette fameuse petite brochure: "le pouvoir politique une réalité quotidienne". J'ai eu le plaisir de présider au lancement de cette brochure. J'ai été très contente d'accepter cette invitation. Au moment où on me l'a faite, je me disais: "Que c'est merveilleux finalement que l'Aféas, ce grand mouvement de femmes, réfléchisse au fait qu'il y ait de l'action politique quotidienne à faire dans nos vies et propose en plus un outil d'action". Car cette petite brochure, c'est un outil d'action très concret: elle explique com- ment faire pour accéder à un poste dans un conseil d'administration, parce que c'est du pouvoir un poste dans un conseil d'administration, que ce soit d'un CLSC, d'un centre d'accueil, que ce soit conseillère municipale ou au niveau d'une commission scolaire. Quand on pense politique, parfois on ne pense que politique nationale, que grands ensembles, au Québec, à Ottawa. Mais ce n'est pas que cela la politique c'est beaucoup plus quotidien. D'ailleurs la politi- que régit, tout compte fait, notre quotidien. Je me souviens qu'un de vos cercles, une fois, m'avait invitée et m'avait dit: "Vous savez Madame Marois nous sommes un peu craintives, on ne voudrait pas que vous parliez trop de politique" alors je leur ai dit que je ne leur parlerais pas de politique partisane, mais que je leur parlerais de politique. Parce qu'au fond, vous prenez un autobus le matin et c'est parce qu'il y a quelqu'un, à un niveau politique qui a décidé que ce serait tel circuit ou qu'il y aurait un service tout simplement. C'est cela aussi de la politique.

Donc j'étais particulièrement fière qu'on m'invite à ce lancement et qu'on m'invite aussi aujourd'hui à échanger avec vous parce que je crois essentiel- lement aux échanges qu'on peut avoir ensemble entre femmes, à la réflexion qu'on peut faire. Moi elle m'alimente toujours. Je sais qu'après cette intervention il y aura une période de questions ou de commentaires et pour moi c'est intéres- sant et important parce que cela me permet de continuer à être très présente au

20 mouvement des femmes et à son avancement. Cela alimente ma propre réflexion et c'est comme cela que ça doit se faire par les échanges et non seulement par une connaissance livresque, laquelle on peut toujours se procurer facilement de toute façon.

En fait je veux vous parler de mon expérience avec certaines réflexions concer- nant cette expérience. Je l'ai un peu synthétisée, évidemment. Je ne voudrais pas que ce soit trop caricaturé. Parfois on donne des exemples pour simplifier un peu la réalité ou l'expliquer, mais je ne voudrais vraiment pas que ça soit trop caricaturé pour que cela vous donne, peut-être, le goût de vous impliquer à votre tour, peu importe à quels niveaux. Cela on y reviendra éventuellement.

Je n'ai pas la prétention, non plus, dans ce que j'ai vécu d'avoir tout saisi, tout compris et d'avoir vécu tout ce qui peut se vivre. J'ai une expérience et je crois qu'elle traduit des éléments qui peuvent aider à votre réflexion. Mais je crois que chacune doit faire cette expérience cependant. Si je peux alimenter ce débat, tant mieux. Mais chacune doit la faire. On doit partir de ses propres ressources internes quand on veut pouvoir s'impliquer politique- ment. Je crois toujours à l'effet du nombre et je crois toujours que tant que nous ne serons pas plus nombreuses à être en politique, on n'influencera pas le pouvoir. Vous avez vu le film "Une histoire à suivre" hier soir, c'est une partie de mes conclusions.

Je vais vous parler des aspects un peu contraignants et difficiles du pouvoir mais je vais vous parler aussi de ses aspects plaisants, agréables. Toutes les femmes qui ont réfléchi à leur expérience politique ont eu tendance, depuis un certain nombre d'années, souvenez-vous, à nous la présenter toujours comme quelque chose de très lourd. C'est vrai que c'est lourd, c'est vrai que c'est exigeant. Je vais vous dire comment ça l'est, dans quelles circonstances et pourquoi. Cependant il y a du plaisir à faire de la politique, il y a du plaisir à y trouver. Heureusement qu'il y en a, sinon on serait masochistes, moi la première. Je crois que maintenant on doit commencer à en parler si on veut justement que ce soit motivant de s'impliquer en politique.

Avant d'aborder ces deux thèmes, j'aimerais faire une petite réflexion sur le pouvoir. On en parle beaucoup évidemment, lorsqu'on parle de politique, c'est normal. D'abord il faut le démystifier, le pouvoir n'est qu'un outil; ce n'est pas une fin en soi. Si c'était une fin en soi ce ne serait que pour dominer des personnes, dominer des situations, mais dans le sens de ne pas avoir d'objectif derrière son utilisation. Or le pouvoir ce n'est qu'un outil qui nous permet d'atteindre un objectif, de mettre en place une philosophie, de réaliser des programmes, de poser des gestes précis, pour offrir des services._J)pnc le pouvoir n'est qu'un outil, n'est pas une fin et il faut à cet égard le démysti- fier, faire en sorte qu'il n'apparaisse pas comme quelque chose de très gros, d'immense et d'inaccessible.

21 Je vous donne un exemple pris dans le quotidien: si on décide de s'impliquer dans son CLSC, dans sa commission scolaire, dans son comité d'école, dans son Aféas, pour en être la présidente ou la responsable d'un comité, ce ne sera pas uniquement pour aller dire qu'on occupe un poste de responsabilité. C'est parce que vous, dans votre tête, désirez offrir plus à vos membres, défendre des idées dans votre comité d'école, faire en sorte que votre CLSC offre des services plus adéquats, qui répondent mieux aux besoins des gens. En ce sens le pouvoir n'est qu'un véhicule, un moyen et non pas une fin. Il faut se le rappeler, sinon, le pouvoir devient malsain. Quand on critique les gens au pouvoir, on dit qu'ils y sont, justement, seulement pour le pouvoir. C'est l'aspect malsain de ce que peut être la recherche du pouvoir.

Il faut démystifier le pouvoir, le définir, le décortiquer un peu pour en avoir un peu moins peur et peut-être, pour avoir le goût de l'investir comme femme. Car ce qui est mystérieux, ce qui est mystifié, on le craint habituellement et on a peur de s'y engager. En le démystifiant, on en a un peu moins peur. On va donc poser, peut-être, des gestes pour avoir le goût de se l'approprier.

Maintenant, pourquoi les femmes, collectivement voudraient-elles ou devraient- elles accéder au pouvoir? A mon point de vue c'est essentiellement, pour essa- yer de briser cette espèce d'inégalité collective dans laquelle nous nous trou- vons encore, là comme ailleurs dans d'autres sphères de notre société. Et je dirais "là" plus qu'ailleurs car il y a moyen d'agir "là" plus qu'ailleurs pour agir sur les causes profondes des inégalités inscrites dans les mentalités, dans les façons d'agir. J'espère aussi, surtout,"là" comme ailleurs pour investir ou utiliser le pouvoir d'une façon différente, avec une vision qui nous est propre, qui nous appartient et pour, peut-être, je le souhaite encore et espère que ce soit possible, en changer certaines règles du jeu.

Mais quand on veut s'impliquer, quand on veut agir, je crois qu'il faut savoir un peu d'où on part, d'où on vient. Quelle est notre histoire à nous, notre histoire collective de femmes ayant eu des responsabilités politiques ou ayant accaparé des places dans la société dans laquelle on vit.

Je me permets ici une autre citation que vous connaissez sûrement. Elle est dans "L'histoire des femmes du Québec", un livre qui fut publié par quatre femmes, le collectif Clio, et qui relate l'histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles. C'est magnifique à lire et ce fut d'ailleurs un best-seller au moment de son lancement. Il est très bien fait et couvre tous les angles: la vie familiale, la vie culturelle, la vie politique. Dans cette citation on parle de la fondation de l'hôpital Ste-Justine et on dit qu'en 1908, Justine Lacoste Beaulieu, épouse de Louis de Gaspé Beaulieu, fonda l'hôpital Ste-Justine. Pas- sons sur cet aspect-là. Elle sera entourée d'un certain nombre de femmes qu'on décrit comme des bourgeoises (ce qui n'était pas un terme négatif mais signifie plutôt que ce sont des femmes qui ont un peu plus les moyens, et ont du temps, pouvant mettre un peu de sous mais surtout, pouvant s'impliquer dans leur socié- té). On dit donc que: "l'hôpital ouvre en 1908, le bureau médical s'organise en 22 janvier et le dispensaire ouvre en mars. Les cours d'infirmières et d'aide maternelle débutent peu après. Afin d'être en mesure de gérer l'hôpital, ces femmes doivent demander au parlement québécois, comme leurs ancêtres qui avaient fondé des refuges 50 ans plus tôt, d'être relevées de leur incapacité juridique, ce qui leur permettra l'incorporation". A la suite de batailles juridiques, rapporte Thallis Lacoste, qui est secrétaire de l'hôpital, et je cite cette femmes: "Elles sortiront victorieuses d'une petite lutte engagée entre nous qui voulions la plus grande liberté pour travailler le plus efficacement possible à notre chère oeuvre, et messieurs les hommes qui, jaloux de leurs droits, ne voulaient pas, sans se faire prier un peu, les partager avec nous, serait-ce même pour la charité."

Cela c'était en 1908. Qu'est-ce qui s'est passé depuis? Je vais faire un tableau sommaire mais je pense que c'est important de l'avoir en tête. Sommes- nous conscientes que nous avons le droit de vote au Québec seulement depuis 46 ans; c'est en 1940 qu'on obtiendra au Québec le droit de vote pour les femmes (droit qui avait été obtenu plus tôt dans les autres provinces). On ne peut exercer ce droit et en même temps celui d'éligibilité que 4 ans plus tard, aux élections suivantes. Cela fait donc seulement 44 ans que nous votons. Nous serons mineures jusqu'en 1960 si nous voulons contracter, une fois mariées. Et oui! c'est seulement en 1962 je crois que la première femme ministre, la pre- mière femme députée d'ailleurs au parlement de Québec, Madame Claire Kirkland Casgrain (qui a d'ailleurs été élue dans une élection partielle et non pas lors d'une élection générale) modifiera le code civil pour faire en sorte que nous ne soyons plus traitées en mineures lorsque nous sommes mariées et que nous n'ayons plus, pour contracter, à avoir le consentement de notre mari. Cela ne fait pas très longtemps. C'est récent dans la vie d'une collectivité. Dans la vie de générations c'est très bref 20 ou 25 ans.

Donc c'est en 1961 qu'on aura une première femme élue, lors d'une élection partielle, au parlement de Québec. Il n'y aura toujours qu'une femme jusqu'en 1976. En 1970 ce sera Madame Lise Bacon qui sera élue, elle sera d'ailleurs la seule femme ministre au sein du gouvernement. Il y aura un temps d'arrêt entre 1966 et 1970 où il n'y aura aucune femme ministre dans le cabinet du gouverne- ment du Québec. C'est récent encore tout cela! C'est en 1976 qu'on aura pour la première fois 5 femmes élues. Il y en aura 4 du Parti Québécois et une du Parti Libéral sur 108 députés à ce moment là. En 1981, on sera 122 au total à l'Assemblée nationale et il y aura 8 femmes élues. Ce n'est pas beaucoup n'est- ce pas? Donc 8 femmes élues et 2 autres s'ajouteront en cours de mandat ce qui fait qu'on terminera ce mandat, en 1985, avec 10 femmes élues à l'Assemblée nationale. Il y en aura 5 dans chaque parti. Il y aura, durant cette période, jusqu'à 4 femmes au Conseil des Ministres, ce sera la première fois de notre histoire. Mais ce ne sera pas long, cela durera à peine quelques mois. Vous vous en souviendrez c'était la fin du mandat de Monsieur Johnson et il avait fait entrer 4 femmes au Conseil des Ministres. Jusque-là nous n'avions jamais été plus de 3 au maximum. Et je peux vous dire que pendant un bout de temps j'ai été seule comme femme siégeant au Conseil des ministres. Ça ne fait pas 20 ans, ça ne fait pas 10 ans, ça fait tout juste 2 ans. En 1986, il y aura 18 femmes élues sur 122 membres de l'Assemblée nationale. Ce sera en fait 14% des membres de l'Assemblée nationale alors qu'on sait très bien que nous formons la majorité de la population. 23 Lorsqu'on regarde ce tableau, on constate que dans les dernières années la progression a été un peu plus rapide. Mais 14% c'est tellement peu encore, beaucoup trop peu. Si on regarde ce qui se passe dans le reste du Canada, ce qui se passe au gouvernement fédéral, dans certains cas c'est dans des propor- tions moindres ou sinon comparables que nous sommes représentées.

Personnellement cela ne me décourage pas. J'aimerais que ce soit différent mais cela ne me décourage pas parce que je me dis, en 40 on a le droit de vote, en 44 on l'exerce, en 60 on est encore mineure jusqu'en 62. On a, en peu de temps, malgré tout, franchi des étapes majeures. Ce qui ne veut pas dire que nous devons nous asseoir sur nos lauriers, loin de là! Ce qu'on peut constater à travers cette histoire, à travers ces faits très ponctuels et très précis, c'est qu'il y a eu des changements majeurs qui nous ont concernées quand il y a eu des femmes dans les gouvernements. Madame Claire Kirkland Casgrain qui a changé le code civil, /(Madame Fayette qui a fait modifier 1s code civil du Québec dans les années 76 à 81. On a un peu oublié et je crois qu'on doit se le rappeler, même si c'est quelqu'un qui n'est pas de mon parti, c'est Madame Bacon qui avait instauré le système de service de garde à l'enfance au Québec. Alors tout ce qui nous a concerné en terme d'égalité, a été fait lorsque des femmes ont poussé sur des lois, sur des projets. Bien sûr, et je pourrais en témoigner, certains collègues on fait des choses intéressantes et importantes pour nous. Mais parce qu'il y avait autour d'eux des gens, des femmes, qui leur disaient que c'était important et qu'il fallait le faire: d'eux-mêmes ils n'auraient pas pris l'ini- tiative. Je peux très honnêtement en témoigner. Si d'autres que moi étaient assises à cette table et avaient cette même honnêteté, elles vous diraient la même chose.

Cette histoire que je vous raconte et ces faits que je vous donne, je ne vous les donne pas inutilement. Il est important lorsqu'on veut échanger avec d'autres, lorsqu'on veut se demander où on en est maintenant de savoir cela. Ce que cela traduit, c'est que lorsqu'il y a eu des femmes au pouvoir, il y a eu des changements qui nous ont concernées en plus et en mieux, pas toujours parfait, ça c'est une autre chose, mais qui ont amélioré notre situation. Voilà pour ce qui est de notre courte histoire politique. On pourrait relever ce qui se passe dans les municipalités: cela s'améliore tranquillement. On pourrait relever ce qui se passe dans les conseils d'administration: cela s'améliore mais pas encore, à un rythme suffisant à mon avis, mais on y viendra.

Maintenant, pourquoi irions-nous en politique alors que cela semble si pénible? Je me permets de vous citer à nouveau Bouchardeau. "Que l'on m'entende bien. Je ne crois pas possible d'exercer une activité quelconque sans y trouver quel- ques compensations. Et plus l'activité est coûteuse de temps, d'énergie, plus s'y trouvent attachées aussi des sources de plaisirs divers. Peut-être plus que tout autre, le responsablef politique a-t-il un besoin constant d'être reconnu, apprécié; faut-il dire être aimé? Face cachée et fragile de son autorité, l'accueil chaleureux des camarades du parti, l'écoute attentive d'une salle de 24 réunion, les approbations à la fin d'une intervention, tout cela fait partie de ces plaisirs de réassurance sans lesquels celui ou celle qui vit de l'opinion ne tiendrait pas la route". Ceci est une autre expérience de femme qui vient rejoindre la mienne. En fait, c'est vrai que ce n'est pas toujours facile et nous allons commencer par cela.

Le passage de la vie privée à la vie publique, car agir en politique, à quelque niveau que ce soit, municipal ou autre, nous fait passer du privé, vers la vie publique connue, identifiée, où on vit un peu plus en aquarium. Ce passage nous fait prendre profondément conscience de la différence, de l'inégalité bien sûr à l'occasion, et surtout du jugement et de l'oeil un peu différent qu'on pose sur nous, quand on s'implique nous, comme femmes, en politique. Je vous dirais du plus petit événement jusqu'à la situation la plus importante, on attendra plus de nous et on nous jugera différemment. Je vous dirais de la façon dont on s'habille jusqu'à la façon dont on va défendre ses dossiers. Est-ce que c'est si important que cela? Je vous dirais qu'on ne juge jamais un homme politique au pli de son pantalon mais qu'on juge parfois, et malheureusement, une femme politique à la façon dont elle s'habille. Cela n'a l'air de rien, mais c'est un petit agacement quotidien un peu désagréable.

Ensuite, ce passage de la vie privée à la vie publique politique, je vous dirais qu'il est finalement une confiance à bâtir quotidiennement. Quand on pose, par exemple, la question aux femmes qui se sont impliquées en politique, souvent on leur demande "pourquoi avez-vous décidé d'y aller?" Très peu d'entre elles répondront qu'elles y avaient pensé longtemps à l'avance, qu'elles avaient préparé leur carrière en fonction éventuellement d'être en politique. Par contre, du côté des hommes, souvent ils ont été confrontés très jeunes à des expériences politiques, ils ont préparé leur curriculum en fonction de cela. Et donc quand on leur pose la question "est-ce que tu te présenterais à la munici- palité", "est- ce que tu accepterais de prendre la responsabilité du conseil d'administration du centre hospitalier, du centre d'accueil, du groupe de loisir qui est là?", ils y ont pensé, ils y sont préparés. Ils ont acquis ou bâti, de façon séculaire et collective une espèce de plus grande confiance, qui, dépassée certains niveaux, peut d'ailleurs devenir très négative. Ils répondront plus facilement "oui". "Oui j'y avais pensé; il y aurait peut-être quelques diffi- cultés, mais j'y avais pensé". Et que répondrons-nous, nous les femmes? "Est- ce que tu crois que je serais capable?" Posez-vous la question et pensez à des expériences que vous avez vécues. Nous n'avons pas préparé, nous, notre curri- culum en fonction de cela. Quand on s'occupe de bénévolat, on ne pense pas que cela se met dans un curriculum, d'avoir pu s'occuper de personnes âgées dans un centre d'accueil, d'avoir aidé des femmes à s'en sortir. Les gars en font beaucoup eux aussi de bénévolat mais c'est un bénévolat public. Ils s'occupent du club Richelieu, cela se place mieux dans un curriculum que d'être allé aider un malade dans un centre d'accueil. Ainsi se bâtit une espèce de confiance qui va un peu de soi, qu'on peut articuler et qu'on peut facilement mettre dans une note biographique. Alors que nous avons à la bâtir, à l'acquérir et surtout à reconnaître que les expériences qu'on vit sont aussi valables, aussi intéressan- tes et peuvent nous permettre de nous bâtir tout autant, pour être capable à notre tour d'apporter plus à la société et être capables de prendre notre place dans la société. Je vous dirais que, pour les femmes, cela est un "handicap", cette confiance qu'on a continuellement à bâtir, cette réponse qui doit devenir 25 plus facilement "Oui je pense que je pourrais être capable", sans pour autant se prendre pour d'autres.

Pouvoir dire, sans se prendre trop au sérieux "Oui je pense que je pourrais être capable" au lieu de dire "Non je ne suis pas capable" ou bien "Penses-tu que je le serais?". Mais c'est évident que cette confiance-là restera toujours fra- gile. Peut-être que le temps va nous aider, mais elle restera fragile parce que tant que nous ne serons pas plus nombreuses, nous serons plus facilement identi- fiées, peu importe où on sera, on aura donc moins droit à l'erreur. Or quand on se trompe, cela vient saper la confiance qu'on a construit. Pensez à Madame Payette quand il y a eu cette histoire autour des Yvettes. C'était finalement une erreur bête, dans le fond, une phrase qui lui avait échappé, qui dépassait sa pensée et qui a pris une ampleur incroyable parce qu'on n'a pas droit encore à l'erreur malheureusement. J'ai des collègues qui ont fait plein de bêtises, pas mal plus importantes, pas mal plus grosses et cela en a pris beaucoup plus pour les déstabiliser.

D'autre part, nous n'avons pas de modèles. Je crois que dans le film "Une histoire à suivre..." on aborde un peu cette question. Nous n'avons pas de modèles auxquels se référer, nous n'avons pas de modèles auxquels nous référer de leaders féminins en nombre important. On en a quelques-uns mais peu. D'ail- leurs c'était un des objectifs du Collectif Clio, quand elles ont fait l'his- toire des Femmes du Québec, de dire qu'il existe des femmes qui ont exercé des leadership, il en existe des femmes qui ont été bâtisseures de pays, ont été colonisatrices mais on a nié leur histoire.

Mais en politique, et lorsqu'on veut exercer des responsabilités de pouvoir, on n'a pas de modèles. Vous allez me dire qu'il y a toujours Madame Tatcher: et bien je n'aime pas cela car elle a effectivement adopté l'attitude d'un homme politique, elle a adopté les stratégies, les façons de faire d'un homme. Peut- être n'avait-elle pas le choix pour survivre dans le monde politique dans lequel elle vit, vous savez que l'Angleterre est plus traditionnaliste etc... Donc nous n'avons pas de modèles et cela n'est pas facile de ne pas avoir de référen- ces, de façons de faire qui se dégagent. Cela aussi nous cause un certain nombre de difficultés.

D'autre part, comme on nous croit fragiles, ce qui n'est pas le cas puisque nous vivons toujours plus longtemps malgré que nous travaillons tout autant que les hommes, nous n'avons jamais le droit d'avoir l'air fatiguée quand on est en politique. Vous savez si on a l'air fatiguée, on a les épaules trop fragiles pour porter le pouvoir. Quand un homme est fatigué, c'est parce qu'il a trop travaillé à ses dossiers, c'est différent n'est-ce pas? Quand une femme parle fort, comme on a des voix qui sont plus hautes, évidemment, on devient hystéri- ques, dit-on. Alors que lorsqu'un homme parle fort lui c'est parce qu'il a une saine agressivité, qu'il défend bien ses dossiers et qu'il a du caractère. C'est comme ça!

26 Souvent en politique, il faut avoir le sens de l'humour. Nous, on ne l'a pas beaucoup développé ce sens de l'humour. Il n'y a pas beaucoup de femmes humoris- tes. Regardez au Québec parmi nos grands artistes: il y a Dominique Michel, Clémence Desrochers. Il n'y a pas beaucoup de femmes humoristes. Parce qu'on a eu tellement à se construire je dirais, dans le quotidien, qu'on n'a pas mis de temps à développer cela. On a peu le sens de l'humour. Or souvent quand on occupe des fonctions publiques ou des fonctions de responsabilités, ça aide le sens de l'humour. On peut l'avoir dans le sens de rire des bonnes blagues, ça va; mais nous-mêmes, en faire, je ne vous dis pas faire des grosses blagues comme parfois eux en font, je dis avoir le sens de l'humour. Et bien on ne l'a pas bâti cela! On ne l'a pas développé, alors que parfois, cela pourrait nous aider à nous sortir de certaines situations.

Combien de fois a-t-on posé la question à mes collègues, et cela vous m'avez sûrement entendu le dire car je le dis souvent, combien de fois a-t-on demandé à mes collègues qui ont de jeunes enfants comme les miens "Que faites-vous pauvre M. Johnson (ou pauvre M. Marcoux) pour combiner les deux tâches?" "Comment pouvez-vous faire de la politique et en même temps prendre soin de vos enfants?" A moi évidemment c'était toujours la première question qu'on posait! "Comment faites-vous Madame Marois pour combiner les deux?". Je pense qu'il faut se la poser cette question, bien sûr. Mais cela me choquait qu'on la pose seulement à moi et qu'on ne la pose pas à eux. J'ai pris ces exemples justement parce qu'eux aussi ont de jeunes enfants à peu près de l'âge des miens. Pourquoi à moi on disait "Comment faites-vous pour combiner les deux" et pourquoi à eux on ne leur demandait pas? C'est parce qu'on nous a associées, essentiellement et unique- ment, la responsabilité des enfants et pas à eux. C'est une autre de mes convictions profondes. Tant qu'on aura pas réglé l'égalité dans la famille, la responsabilité vis-à-vis des enfants, je crains qu'on n'ait pas réglé nos problèmes d'égalité tout court. Parce que de se sentir seule responsable de nos enfants ou beaucoup plus responsable que l'autre, fait en sorte qu'on se sent plus coupable aussi quand on est moins là, quand on a moins de temps pour en prendre soin. Et c'est sûr que lorsqu'on exerce des fonctions publiques, des responsabilités, ça exige du temps. D'autant plus que les femmes sont exigean- tes avec elles-mêmes, on est plus perfectionnistes, on met plus de temps habi- tuellement. Donc il faut que cela se règle là aussi. Ce n'est pas parce qu'on a les enfants biologiquement que c'est inné en nous le fait de savoir comment changer des couches.

27 Il y a autre chose. Ce n'est pas vrai que les femmes exercent des fonctions de leadership seulement depuis quelques années. Elles en ont exercé par le passé. C'était un type de femmes et c'était moins connu, c'était moins dit. C'était entre autres les religieuses dans les congrégations. Elles étaient responsables de leurs hôpitaux, elles étaient responsables des écoles, elles étaient éco- nomes, elles géraient des budgets de centaines de milliers de dollars à ce moment-là. Mais c'était plus caché, on en a moins parlé. Et cependant, juste- ment à ce moment-là les fonctions de responsabilités étaient souvent laissées à des femmes qui avaient déjà élevé des enfants ou qui n'en avait pas. Cela aussi c'est l'autre virage qu'on est entrain de faire et qui n'est pas facile à faire.

Une autre difficulté que j'ai rencontrée, c'est à l'égard de "la" question qu'on me posait: "Comment combiner les deux tâches?" Ça me faisait plaisir d'y répondre car je me disais que peut-être ça aiderait les autres femmes à y réfléchir. Si j'y répondais certains disaient "elle veut utiliser ses enfants en politique". Et si je n'y avais pas répondut" Ça ne l'intéresse pas évidem- ment, de toute façon c'est quelqu'un d'autre qui s'en occupe, c'est une gar- dienne, elle ne veut pas en parler".

Regardez le jugement différent qu'on pose sur nous. D'abord premièrement, on ne pose pas la question aux gars et quand on leur pose, cela va de soi que de toute façon, c'est leur femme qui s'en occupe. Quand on me la pose à moi, si je réponds on me dit "elle utilise ses enfants" et si je n'en parle pas j'ai l'air d'une femme sans coeur qui, de toute façon, n'est pas préoccupée par ses en- fants. C'est une difficulté.

Une autre chose qui est entrain de disparaître et heureusement, c'est comment cela semble difficile la politique. On pose comme jugement que "c'est compliqué faire cela, ça doit sûrement prendre des moyens; il faut être particulièrement bonne, formée, etc...". Donc il n'y a qu'un certain nombre qui peuvent le faire: ce sont des"super-femmes". C'est un mythe à la mode, bien qu'il me semble qu'il ait tendance à s'atténuer. Il n'y en a que quelques-unes qui peuvent le faire et pour la majorité que nous sommes, ce n'est pas possible. Il y en a juste une ou deux qui, elles, ont les moyens, qui, elles, ont ceci et cela, et qui peuvent assumer des responsabilités comme celles-là. Et on recom- mence à mystifier, d'une autre façon, les fonctions publiques et les fonctions de responsabilités et les femmes s'excluent ainsi elles-mêmes du processus.

Je trouve que c'est un mythe à briser à tout prix. C'est vrai que toutes ces différences dont je vous parle ce n'est pas toujours facile à prendre mais il reste que c'est possible. Bien sûr avec des moyens, bien sûr avec des condi- tions. Si on a des enfants, entre autre, ce partage des tâches essentiel, cette confiance à bâtir, cette démystification du pouvoir, c'est possible. Mais il va falloir aussi penser que ce ne sont pas seulement des femmes qui sont, semble-t- il, des super-women qui peuvent le faire. C'est un des qualificatifs qui m'a le plus agressée quand on me l'a accolé. Je pense que c'est cela qui finit par nous faire craindre collectivement et nous empêche d'y aller comme femme et de faire le pas et donc de prendre la décision d'entrer en politique. 23 Vous me direz que je m'éloigne du sujet. Et bien non je ne m'en éloigne pas car tant qu'on aura pas réglé cela finalement, on sentira toujours cette culpabili- té. On dira est-ce que cela vaut la peine d'engager une carrière si je veux avoir des enfants et qu'il faut leur donner du temps (et je suis d'accord qu'il faut leur en donner) et qu'en leur en donnant je ne pourrai plus être aussi efficace ailleurs. Remarquez qu'il y a des modèles différents du mien; il y a des femmes qui décident d'avoir des enfants seules et de les élever seules. Mais de façon générale encore, nous avons un modèle à deux conjoints et tant qu'on ne se sentira pas aussi responsables les uns que les autres de nos en- fants, à mon point de vue il est évident que les femmes ne pourront pas aller plus loin collectivement de façon importante parce qu'on se sentira encore trop coupable.

Je me souviens d'une anecdote que racontait Madame Simone Monet-Chartrand, que vous connaissez toutes, qui est la femme de Monsieur Chartrand, ce syndicaliste qui cause très fort. C'est une femme très sympathique, c'est une femme absolu- ment magnifique, qui a élevé d'ailleurs 7 ou 8 enfants. Vous savez qu'elle vient d'une famille assez bourgeoise, elle le dit elle-même. Elle était enfant unique ou ils étaient deux enfants. Elle se marie avec Michel Chartrand, ils ont des enfants. Lui venait d'une très grande famille de 14 enfants. Madame Chartrand raconte que lorsqu'elle a eu un bébé, elle n'avait jamais préparé un biberon ni changé une couche de sa vie. Alors elle dit que c'est lui qui a fait tout cela et qui lui a montré.

Ce gros homme bourru, c'est lui qui l'a fait parce que lui, il l'avait déjà fait chez lui; il avait déjà dépanné sa mère. Ce n'est pas inné ces connaissances et ce n'est pas dévalorisant non plus. Souvent les hommes pensent que c'est dévalo- risant. Pourquoi cela serait-il dévalorisant pour eux et pas pour nous? Cela ne l'est pas en soi. Je reste convaincue qu'il va falloir régler cela aussi et que si on ne le règle pas là, je ne crois pas qu'on puisse s'imaginer prendre des responsabilités publiques, qu'on puisse y mettre le temps qu'il faut.

Je vais vous faire une confidence qui n'en est pas une car je l'ai déjà dit: quand j'étais beaucoup plus active en politique, (je continue à l'être au niveau de mon parti mais évidemment c'est moins exigeant que ce que je faisais avant) mon mari a mis plus de temps à s'occuper des enfants que je n'en ai mis moi. Mes enfants n'ont pas l'air plus malheureux que les autres. Ils ont l'air tout aussi heureux. Je peux vous dire que mes enfants s'entendent particulièrement bien avec lui et qu'ils s'entendent assez bien avec moi aussi. Mais parfois il y a eu des moments pas toujours faciles. Il faut l'accepter cela aussi. Je vous dirais qu'il y a eu un temps où je partais le matin au bureau en pensant au vaccin que l'un devait recevoir et à l'autre qui avait mangé des oeufs le matin mais ne devait pas en manger d'autres le midi sinon il aurait une allergie. Et j'ai senti que le déclic se faisait avec mon conjoint le jour où c'est lui qui s'est mis à y penser, parce qu'il n'y pensait pas avant. Ce sont des exemples qui sont tout petits mais qui sont importants et qu'il faut retenir.

29 Cependant, si on veut changer le pouvoir, changer les modalités et les règles du jeu, on doit garder imprégné en nous l'importance de l'impact de la vie privée sur la vie publique. Lorsqu'on a à prendre des décisions sur un conseil d'admi- nistration, dans une commission scolaire ou à quelque niveau que ce soit en politique, au Québec, il faut garder cette racine profonde dans le quotidien qui fait que les décisions prises répondent mieux aux besoins des gens. Et cela c'est peut-être une façon différente que nous avons d'être et de travail- ler, de s'impliquer et pourquoi pas, éventuellement, de changer les règles du jeu.

Vous me direz ce n'était pas très facile ce que je viens de vous décrire. Alors pourquoi donc on irait en politique? Pour le plaisir vous dirais-je. Mais quel est-il ce plaisir? D'abord le fait de savoir qu'on rend un service à ses concitoyens et à ses concitoyennes. Prenez tous les exemples que je donne: on met nos talents au service des gens qui nous entourent. Il ne faut pas aller au pouvoir pour le pouvoir. Il faut y aller pour une cause. Il faut quelque chose à laquelle on croit. Et c'est la reconnaissance, effectivement d'un certain nombre de personnes qui nous entourent et qui apprécient le travail que nous faisons qui nous motivent. Heureusement qu'il y en a, parce que certains jours on aurait le goût de tout lâcher et de s'en aller chez nous, parce que ça devient trop lourd et trop exigeant.

Je vais vous donner quelques exemples. Quand j'ai participé à cette élection à la présidence de mon parti l'été dernier, il y a mon sous-ministre qui entre dans mon bureau et qui me dit |Madame Marois je ne voudrais pas vous fâcher". Il ne se fâchait jamais, on avait de bonnes discussions mais on ne se fâchait pas. Il me dit "Vous savez je pense que vous avez plus fait pour la condition de vie des femmes cet été, dans votre campagne à la présidence que lorsque vous étiez ministre à la condition féminine." Je lui dis "Ah oui!" Il dit "Oui, parce que tout le Québec a réfléchi au fait qu'il pouvait y avoir une femme première ministre et que sûrement les mentalités ont avancé un peu.| En me donnant ce témoignage c'était un peu me dire que tout ce boulot que j'ai fait, tout cet engagement que j'ai eu, tous ces efforts que j'ai mis, ils n'auront pas été inutiles s'ils ont donné un tel résultat. Et c'est la reconnaissance de cela qu'on me signalait.

Un jour j'avais à défendre la position de mon gouvernement, devant les fonctionnaires. C'était pendant la campagne électorale de 85. Ce n'était pas particulièrement facile. J'avais très peur, j'étais traumatisée. J'avais tra- vaillé mon dossier, que je connaissais déjà évidemment, pour être capable de bien présenter nos orientations. J'avais à respecter la solidarité de mon gouvernement. Effectivement cela n'a pas été une situation très facile. Mais pourtant il y a une syndicaliste qui, à la fin de la séance, elle de son bord et moi du mien (et qui avait un poste de responsabilité dans son organisation) m'a dit "Quel courage Madame! Peu de vos collègues en auraient fait autant et auraient dit aussi sincèrement ce que vous avez dit." Cela c'est un témoignage qui m'a profondément émue bien sûr et qui est justement une reconnaissance, une reconnaissance de ce que tu fais, de la façon dont tu le fais et qui fait en 30 sorte que les gestes que tu poses peuvent avoir une portée. C'est donc un plaisir que tu retires à t'impliquer politiquement. Un peu comme des femmes de mon parti qui viennent me voir et qui me disent "Ah! Madame Marois continuez, il faut rester avec nous. On vous appuie, on veut travailler avec vous, réfléchir avec vous sur la condition de vie des femmes etc..." Ce sont ces témoignages qui te donnent le goût de continuer, qui font que tu trouves du plaisir à faire ce que tu fais. Au-delà du fait que tu t'impliques au niveau d'un service à rendre et que déjà là, il y a une certaine satisfaction. Heureu- sement qu'il y en a parce que sans cela je ne crois pas qu'on devrait aller en politique; on serait tout à fait masochiste.

Mais y a-t-il un certain nombre de conditions à remplir pour qu'on puisse y aller collectivement? Je pense vous en avoir décrit un certain nombre. Cette démystification du pouvoir, cette confiance à bâtir et j'ajouterais aussi, cette solidarité. Mais avant de le faire j'aimerais vous citer, pour la der- nière fois Huguette Bouchard qui explique peut-être pourquoi il faut être sinon solidaires, du moins de connivence. "Nous nous cherchons une histoire, quelques ancêtres oubliées. Mais elles étaient encore bien plus que nous marginales, ridiculisées, rejetées, accablées de mépris. Vous les appelez les "suffraget- tes" quand elles réclamaient le droit de vote, le droit d'être citoyennes, "dames patronesses" quand elles cherchaient à développer les oeuvres de charité dans lesquelles vous les enfermiez, "bas-bleu" quand elles étaient savantes, "égéries" quand elles s'efforçaient de faire carrière par homme interposé. Et quand elles forçaient votre admiration c'étaient des "passionarias", mais jamais la simple reconnaissance."

Alors c'est le jugement qu'on a porté sur nous à travers les siècles, lorsqu'on a voulu s'impliquer, agir. On a toujours eu un jugement ou une perception négative des gestes qu'on posait, jje vous dirai que c'est finalement le nombre qui finira par faire basculer ura. peu toute cette réalité dans laquelle nous sommes, je crois qu'il faudra être sinon solidaires, du moins de connivence.! Et pourquoi pas solidaires nécessairement? Parce que j'y crois un peu moine, en toute honnêteté. Je crois à des solidarités, à des solidarités conjoncturelles sur des objectifs précis, sur un projet. Mais une espèce de grande solidarité universelle, je n'y crois pas; à mon point de vue elle n'est pas possible. Il ne serait pas réaliste de l'imaginer. Existe-t-il une grande solidarité univer- selle entre les hommes? Je ne crois pas.

On est d'idéologies différentes, on a des convictions différentes, on est de milieux sociaux différents, on est de cultures différentes. Parfois on ne pense pas pareil et c'est heureux. On fait partie de mouvements politiques différents etc... Cette espèce de grande solidarité universelle qui permettra que toutes les femmes vont s'engager derrière une femme pour la cause des femmes unique- ment, sans nuances et sans faire de choix, je n'y crois plus. Je crois cepen- dant à des solidarités ponctuelles: appuyer tel projet qui va concerner les femmes; appuyer telle femme pour ses idées sur le dossier de l'égalité et sur d'autre chose aussi. Je crois donc à des solidarités ponctuelles ou ce que j'appelle des connivences. Là je crois que c'est possible. Mais il faudra qu'il y en ait cependant. Parce qu'effectivement s'il n'y en a pas, je ne 31 crois pas qu'on puisse arriver à changer profondément les règles du jeu. |Ce n'est pas une femme, ce ne sont pas quelques femmes isolées dans leur parti, dans leur gouvernement, dans leur conseil d'administration qui vont faire chan- ger la balance.}

Je le dis sans animosité, sans agressivité: Ine comptez pas sur des gouverne- ments composés à très, très large majorité d'hommes, ne comptez pas sur ce genre de gouvernement pour répondre fondamentalement à l'ensemble des besoins qui concernent les femmes. Il ne le feront pas par mauvaise foi, ni par malhonnête- té, mais par manque de conviction, de compréhension, de connaissance et de vécu.J

lOn n'est jamais mieux servi que par soi-même, j'en suis persuadée. J'ai vu de près deux gouvernements, j'observe de très près, évidemment celui qui est là, et vous comprendrez pourquoi, à l'occasion, je le critique. C'est le même constat.

\Alors si nous voulons vraiment changer les choses, changer les façons de faire et apporter des objectifs qui feront en sorte que cela nous concerne, il va falloir être présente. C'est à mon point de vue la seule solution, en connais- sant les obstacles et les difficultés! Je vous ai tracé, je pense, un portrait qui est assez réaliste de ce qui se passe. On pourrait d'ailleurs prendre beaucoup d'autres situations qui seraient tout aussi intéressantes.|I1 faut y aller aussi en sachant qu'il y a du plaisir à le faire et qu'il y a du plaisir à savoir que des choses ont avancé pour l'ensemble de la société, ont avancé pour les femmes et pour d'autres groupes sociaux. Je peux vous dire que j'ai été fière d'un certain nombre de choses que j'ai faites et heureusement.!

Et maintenant, comme j'ai beaucoup laissé la parole aux femmes, je vais terminer par une parole d'homme. Vous me le permettez? Si je le garde pour la fin cela ne veut pas dire que c'est plus important, mais c'est intéressant.! C'est Gilles Lesage, dans le Devoir qui après l'élection du 2 décembre 1985, a fait un editorial. Je ne vous lis que sa conclusion: "En somme qu'il y ait 18 députées sur 122 et que l'une d'entre elles, Madame Bacon, lise le discours inaugural de l'Assemblée en lieu et place d'un Premier Ministre mal aimé ne signifie nulle- ment que le pouvoir ait changé de place. Il reste encore et toujours une affaire d'hommes dans les deux principaux partis et dans les centres de déci- sions gouvernementaux. Il ne signifie pas non plus que l'égalité soit sur le point d'être atteinte. Mais il y a quelque chose qui est en train de changer tranquillement au pays du Québec. Cela se sentait déjà avec 10 femmes sur les banquettes du Salon de la Race (c'est comme cela qu'on appelle l'Assemblée Nationale à l'occasion). Un accent nouveau, un style différent. Un peu moins de partisanerie et un peu plus de courtoisie, de solidarité même dans le caucus féminin péquiste et libéral confondu. Qu'en sera-t-il maintenant qu'elles sont 18?" Voilà, merci.| _ !

32 COMPTE-RENDU DES ECHANGES CONFERENCE DE PAULINE MARDIS

A mon avis, votre pensée rejoint celle de Céline Hervieux-Payette, même si vous n'êtes pas du même parti. Lorsqu'elle dit que nous aurons vraiment atteint l'égalité quand il y aura autant de femmes médiocres qu'il y a d'hommes médiocres au pouvoir.

Hier soir, en visionnant le film "Une histoire à suivre..." j'ai été enchan- tée car j'ai vu là des femmes extraordinaires et intelligentes. Je me deman- de toutefois si la présidente nationale du CAPC pouvait se permettre de se prononcer pour une femme et mettre ainsi en danger la survivance même du comité. | Si on veut continuer à survivre il faut respecter encore, selon moi, les règles du jeu./

Avec du recul j'ai pu réfléchir à cette question. Vous faites référence au comité d'action politique. Je crois qu'un comité d'action politique, très honnêtement, aurait dû prendre parti s'il désirait vraiment qu'il y ait plus de femmes impliquées, en vue d'atteindre l'égalité. Je pense que c'était d'autant plus facile pour le comité de prendre parti parce qu'il y avait deux femmes qui se présentaient. Il pouvait clairement appuyer les deux femmes. Naturellement ce n'est que mon point de vue. Cela prend du courage pour agir ainsi mais je pense que c'est avec du courage qu'on pourra commencer à briser les règles du jeu.

J'ai été aussi très déçue de l'attitude de ce comité. Il me semble qu'il aurait dû définir ses objectifs en terme d'avancement pour les femmes et les respecter. Quand une femme a l'audace de se présenter en politique il faut lui donner sa chance. Je trouve regrettable que celles qui n'ont pas con- fiance en elles transposent leur manque de confiance sur celles qui osent se présenter.

Je trouve cette réflexion très importante. Vous décortiquez très bien ce problème. Parce qu'une femme n'a pas confiance en elle-même elle ne peut comprendre qu'une autre puisse assumer des responsabilités. Cela ne se fait pas par mauvaise foi mais à cause de ce que l'on est profondément. C'est important de prendre conscience de cela. Quand on connaît un mécanisme, on peut le contrer.

Je trouve regrettable qu'on ait enseigné si longtemps aux femmes que la capacité d'attirer l'argent, "le pouvoir économique", ce n'était pas bien. Les religieuses ne s'étaient pas laissées arrêter par cela. Elles avaient rentabilisé leurs communautés. Elles ont mis sur pied le réseau hospitalier et le réseau scolaire des filles au Québec. Dans les faits, elles travail- laient pour le bien collectif et c'est ce que les femmes en politique font aussi. Je crois donc qu'il faut appuyer inconditionnellement une femme qui va en politique actuellement. Quand nous serons plus nombreuses on pourra alors se permettre de faire une sélection, mais pas avant. 33 Je n'ajoute rien, je pense que tout est dit.

I Je voudrais intervenir sur les modèles. Je pense que nous sommes actuelle- ment à bâtir un modèle de femmes extraordinaires. A mon avis c'est quelque chose qu'il faut démystifier. Ce n'est peut-être pas souhaitable de créer un modèle qui répond aux critères d'habillement et à ceux de la super-femme qui ne fait jamais d'erreurs. Est-ce que les hommes font parfois des erreurs? Oui! Est-ce qu'ils sont tous intelligents? Non! On peut comparer cela à la femme au volant. Quand les femmes ont commencé à conduire, on les a ridicu- lisées, c'étaient elles qui avaient toujours des accidents, elles condui- saient mal etc... Depuis que la plupart des femmes conduisent on n'entend plus ce genre de remarque. On réalise même que les femmes ont moins d'acci- dents. Alors pour les femmes en politique, ce sera la même chose.

R Je suis d'accord avec vous, c'est le poids du nombre qui compte. Même si elles ne sont pas féministes, il faut encourager les femmes qui se présen- tent. Je pense que l'exercice du pouvoir leur fera réaliser bien des choses et qu'elles deviendront féministes, j'en suis certaine.

I Quand vous étiez au conseil des ministres vous avez souvent dit que vous étiez une bonne soldate. Pour moi être une soldate cela implique qu'on a une certaine muselière. Je me suis toujours demandée comment une femme comme vous, une femme qui a des idées, pouvait être une bonne soldate?

R Je voulais dire par là que je suis loyale. Et c'est là le côté très diffi- cile de la politique. Dans nos institutions gouvernementales il y a une exigence de loyauté vis-à-vis du leader et c'est contraignant: cela oblige à la solidarité de décision et d'expression. Tant que nous aurons cette forme de règles et d'institutions, il faut les respecter, sinon on arrivera à l'anarchie et à l'incohérence. Mais être loyale cela ne veut pas dire qu'on ne fait pas ses batailles sur le terrain, à l'intérieur du cabinet, là où c'est moins visible. On peut se faire aider par des groupes demander de l'appui et se débattre pour gagner. Cela ne se fait pas sur la place publi- que. On reste loyale mais il y a quand même moyen de défendre ses idées.

34 CONFERENCE DE MADAME LUCIE PEPIN

Ce que j'ai pensé discuter avec vous aujourd'hui, c'est une interrogation que j'ai. Pourquoi y a t-il si peu de femmes en politique dans les années 80-85? Evidemment nous avons trouvé plusieurs raisons mais lorsqu'on regarde certaines études qui ont été faites je pense qu'il y a trois facteurs qui sont dominants: 1- la formation de la personnalité chez l'enfant 2- le râle de la famille 3- les modèles. Alors en regardant tout cela je pense qu'on pourra comprendre pourquoi il y a si peu de femmes en politique.

Effectivement, on a moins de femmes élues, dépendant des vagues politiques, mais je pense que les partis,depuis quelques années,sont plus ouverts à accepter des femmes à se présenter comme candidates. Avant on accusait les partis politi- ques, et moi la première, de donner des comtés perdus à des femmes. Mais comme maintenant le fait d'avoir des candidates femmes est devenu populaire, les partis politiques vont ouvrir des comtés. Pourtant, une des difficultés qui sera importante pour trouver des femmes en nombre important, ce sera le fait que les femmes, du moins celles de ma génération (j'ai 50 ans), ont eu une éducation différente. Dans les études qui ont été faites il est prouvé que la formation de la personnalité des garçons et la formation de la personnalité des filles sont différentes. Et si on se ramène en arrière, on se rappelle qu'en défini- tive, la chose politique, c'est notre père qui s'y intéressait, beaucoup plus que notre mère. Je me rappelle fort bien que lorsque j'ai eu le droit de vote à 21 ans j'ai demandé à ma mère "comment cela fonctionne tout ça?" Elle me dit "Premièrement, en tant qu'épouse je ne peux pas voter contrairement à ce que pense ton père. Je ne peux pas effacer son vote".

En 1986 cela ne se fait plus. Ma mère a 75 ans aujourd'hui et comme elle le dit: "Je vote de mon bord et ton père vote de son bord". Mais cela a pris 20 ans pour en arriver là. Donc à ce moment-là, c'était le père qui s'occupait de la chose politique dans la maison. Il passait le message aux garçons. Les personnes en politique devaient être des hommes car ils avaient une stature beaucoup plus imposante que la nôtre, ils étaient plus forts et c'était l'image de domination qui était prédominante. Alors que nous les femmes nous étions plus fragiles physiquement mais aussi, nous avions notre rôle de procréatrices qui faisait qu'on devait rester à la maison et que nous n'étions pas orientées vers une carrière politique. Egalement les garçons devaient être plus détermi- nés et savoir ce qu'ils voulaient alors que nous, nous étions agressives et nous avions un caractère de chien si on voulait faire comme nos frères. Alors ça part de loin tout ça. !

Dans les études on a aussi essayé de déterminer s'il y avait simplement la famille qui avait ce rôle important ou s'il n'y avait pas autre chose. Il y a une étude particulièrement intéressante qui s'appelle l'étude Brodie qui a déterminé comment les apprentissages étaient importants et surtout comment la famille était importante. Je me rappelle que lorsque j'avais 12 ans, Maurice Duplessis était premier ministre du Québec. Moi, la politique ne me disait pas grand chose mais monsieur Duplessis, je savais qui c'était.

35 Je viens d'un petit patelin qui s'appelle St-Jean d'Iberville. Il y a une rivière et deux "thank" à gaz (sic) mais les gens étaient bien politisés. Durant une campagne électorale, j'étais hospitalisée et ma chambre donnait sur le parc. Et le soir, à l'époque, c'était les grands discours. Alors M. Duples- sis était venu jusqu'à 11 heures faire ses discours. J'avais regardé par la fenêtre et je n'avais vu que des hommes. Il n'y avait pas de femmes! Donc les prototypes qu'on a fait, c'était pour les hommes.

Ce qu'on peut se demander c'est "est-ce que les femmes qui sont en politique actuellement ont reçu une éducation différente ou est-ce qu'elles ont reçu une incitation de leur père vers la politique"? Les râles modèles d'homme fort et de femme à la maison étaient tellement importants! Ces modèles ont sûrement eu un rôle important puisqu'il y a si peu de femmes qui sont impliquées. Depuis les années '70 on a commencé à parler des stéréotypes sexistes, il y a plus de femmes qui se sont impliquées dans le processus. Quand on pense qu'en 1929 les femmes au Canada n'étaient pas des personnes, ne pouvaient pas être nommées au Sénat ou être élues en politique, quand on pense qu'on a eu le droit de vote seulement en 1940 au Québec, on a fait un pas de géant. Mais il reste que les stéréotypes sexistes sont là. On essaie de les éliminer et c'est important. En bas âge les attitudes des parents sont très déterminantes et font que les femmes ne se présentaient pas en politique.

Si je reviens à l'étude que je mentionnais tout-à-l'heure il y est dit que la famille constitue dans la majorité des cas le principal agent de socialisation favorisant le développement du potentiel politique. Alors une famille où l'ac- tivité politique est tangible va inciter davantage un enfant à s'engager ulté- rieurement dans la sphère politique. Il a été démontré que chez les femmes qui sont actuellement en politique le père, bien souvent, était mêlé à la politique, ou bien un oncle ou un proche. Je pense que toutes les femmes qui sont actuel- lement en politique avaient dans leur entourage un rôle modèle, que ce soit le père, la mère, -l'oncle ou un ami de la famille.

Il est bien certain que pour une femme il y a une grande difficulté. Une femme qui actuellement s'en va en politique doit savoir qu'elle s'en va dans un monde d'hommes qui a été dessiné par des hommes et s'en va se battre sur un terrain d'hommes. C'est pour cela que c'est si difficile pour une femme. On arrive avec notre approche différente; il faut la garder mais il faut qu'on prenne les mêmes façons que les hommes de travailler pour être capablesau moins de les pousser, de négocier et d'échanger pour les amener sur notre terrain. Il est inutile de se dire "il faut que tu sois féminine, il faut que tu sois différen- te". Si on est tellement différente on va passer à côté. Si on veut bien faire comprendre qu'on est différente il faut prendre les mêmes moyens qu'eux. Après cela on les amène de notre côté. C'est pour cela qu'au fédéral on ne doit pas rester seulement 27 sur 282. Au provincial la proportion est plus élevée, mais pas encore assez. C'est important qu'on ait plus de femmes et plus de femmes qui ont une approche féministe.

Quand je dis féministe je veux bien me faire comprendre. Actuellement c' est tellement galvaudé que si vous prononcez "féministe" personne ne veut plus rien savoir de cela. On n'est pas féministe, on n'est pas des femmes qui ne sont pas féminines etc... Même nos jeunes ne veulent pas se faire appeler féministes: on 36 les a ^traumatisées. Mais il faut que les femmes qui sont en politique aient définitivement une approche différente. Il faut qu'on prenne les moyens mascu- lins qui sont en place afin de les changer et non pour les continuer. Cela c'est très important pour les femmes qui se lancent en politique. Si on prend les moyens des hommes pour les perpétuer et les continuer, on ne changera pas la société. Et c'est déterminant que l'une des raisons pour lesquelles une femme se présente en politique est pour changer des choses au niveau des attitudes sociales.

Un jour on aura sûrement autant de ministres des finances chez les femmes que chez les hommes. Mais actuellement quand on regarde les attitudes et les disciplines vers lesquelles les femmes veulent se diriger en politique on réalise qu'on se dirige plutôt vers les affaires sociales. Là encore, je suis convaincue que cela vient de notre éducation.

Il y a eu une étude qui s'appelle Clark et Price qui confirme l'importance du milieu familial dans la formation des politiciennes. Le milieu familial s'avère particulièrement important dans l'initiation des femmes à la politique. Les études porbant sur les patterns (sic) initiaux de la socialisation politique chez les militantes des partis politiques révèlent que les femmes indiquent plus souvent que les hommes que leur premier intérêt en politique fut suscité par l'activité politique de leurs parents. Lequel des parents exerce la plus grande influence chez les filles dans la considération de leur socialisation politique? Certains auteurs concluent que la mère et le père influencent de façon analogue l'intérêt politique de leurs filles. Par contre d'autres auteurs estiment que le stimuli politique doit émaner d'un modèle comportemental féminin.

L'étude qui a été réalisée chez Brodie tente d'évaluer l'influence du milieu familial et d'un modèle féminin chez les femmes oeuvrant sur la scène politique au Canada. Dans un premier temps, les politiciennes qui ont été interrogées devaient indiquer quel membre de leur famille était politiquement actif. Elles devaient de plus décrire le type d'activité pratiquée par chacun des membres. Dans un second temps, les politiciennes soumises au questionnaire devaient indiquer à quel point leur milieu familial avait été déterminant dans l'éveil de leur premier intérêt dans la politique. Un pourcentage relativement élevé des femmes ont révélé que les membres de leur famille immédiate affichait une acti- vité politique intense. Je suis convaincue que la majorité des femmes actuelle- ment en politique viennent d'un milieu où il y avait quelqu'un qui se mêlait de politique.

Personnellement je viens d'une famille où ni mon père, ni ma mère n'étaient impliqués de très près. Mais j'avais un voisin qui était l'organisateur en chef de la province pour le Parti conservateur et pour l'Union nationale. Comme j'étais très copine avec ses enfants, on vivait moitié là, moitié chez nous, j'ai rencontré tous les ministres et les politiciens du temps alors que j'avais entre 12 et 18 ans. Bien souvent, à 12 ans, les gens ne s'occupaient pas de nous. Mais on s'assoyait, nous les enfants et on regardait, on écoutait, on fouinait tout le temps. Rendu à 16 ans on voulait les rencontrer et à 18 ans moi j'ai rencontré Diefenbaker. Il ne savait pas un mot de français et moi pas un mot d'anglais mais au moins j'étais là. Par la suite on posait des questions "Pourquoi avez-vous discuté de cela? Pourquoi avez-vous dit ceci?" Donc il y a une personne qui m'a influencée et c'était quelqu'un de très très près. 37 La majorité des modèles politiques que les femmes ont eu quand elles étaient jeunes étaient du sexe masculin. Des femmes en politique il n'y en avait pas à l'époque. 12% des femmes ont indiqué que leur père était impliqué en politique. 10?o avait un oncle engagé en politique. 8?o avait marié un conjoint politique- ment actif. Par ailleurs 4% des femmes déclaraient que c'était leur mère qui avait brigué les suffrages. Une des femmes que nous avons eu comme modèle, qui n'était pas une politicienne en ce sens qu'elle n'a jamais été élue comme candidate, c'était Madame Casgrain qui s'est battue pour le droit de vote des femmes. A l'époque on avait 5 ou 6 ans. A un moment donné on l'a un peu oubliée mais c'est revenu plus tard. Et au niveau fédéral je pense que nous nous étions trop loin, en étant trop jeunes pour qu'on soit définitivement marqué par cela.

De pareils résultats confirment l'importance du rôle des parents politiquement actifs dans la motivation des femmes à se présenter. Mais le milieu familial n'est pas le seul facteur. Les expériences vécues au cours de l'enfance peuvent influencer le comportement des adultes. Il existe d'autres facteurs d'appren- tissage, toutefois, tel que l'école, les pairs c'est-à-dire les amis et l'entou- rage, et les événements qui peuvent conditionner les aspirations politiques des individus. C'est entendu que si actuellement on se réfère aux écoles en ce qui concerne le partage des tâches, en ce qui concerne les communications, on enlève les stéréotypes sexistes (et le Québec est la seule province au Canada à le faire) des livres. Et on a de plus en plus de femmes maintenant qui s'impli- quent.

En tant que député je me fais un plaisir de visiter les écoles de mon comté. Les parents me disent parfois "Qu'allez-vous faire là? Vous allez leur parler de politique?" Et ils sous-entendent de politique partisane. Jamais je ne vais faire cela. On ne fait pas cela avec des enfants. Je leur dis que la chose la plus importante c'est de donner aux enfants un rôle modèle. J'ai déjà demandé à un groupe d'enfants entre 6 et 12 ans: "Qu'est-ce que vous pensez que c'est un député? Qu'est ce que cela fait?" Il y a en un qui a répondu: "ça fait des lois et puis ça fait des règlements". C'était un enfant de 3e année. C'était la première fois qu'il voyait une femme députée. Je lui ai dit: "Moi, quand j'avais votre âge, je ne pensais jamais d'être un jour en politique. Mais je viens vous dire aujourd'hui que si jamais cela vous tente, vous les filles autant que les garçons, dites-vous que si moi je suis là vous en êtes capables vous aussi. Et quand vous penserez à votre avenir, pensez que vous pourriez peut-être embarquer en politique. Peut-être pas nécessairement comme candidate ou candidat, mais embarquer dans un processus spécial, que ce soit dans n'impor- te quel parti". Je pense vraiment qu'il ne faut pas faire de la politique partisane au niveau des tout-petits, surtout si on veut avoir plus de femmes. Il faut leur faire savoir que la politique c'est simple, accessible à tout le monde.

Une des choses que je déplore, et c'est bien personnel, cela n'a rien à voir avec mon parti, c'est la qualité des personnes en politique actuellement. Si on veut avoir des personnes qui ont des qualités et de l'envergure, je pense qu'il faut commencer maintenant à dire à nos jeunes "Si vous avez quelque chose à dire, si vous êtes déterminés et que vous voulez vous engager, allez-y!". Lor- qu'on parle en temps de crise économique d'un salaire de 52 000$ par année pour un député, c'est certain que cela paraît énorme. Pourtant quand on considère

38 toutes les dépenses inhérentes à cette charge, les 2 appartements ou les 2 maisons à soutenir etc... je peux vous assurer qu'on a pas mal plus de dépenses qu'un couple ordinaire. Actuellement donc je ne pense pas que les moyens finan- ciers à la disposition des différents partis politiques vont stimuler lesperson- nes qui auraient un avenir dans le futur au niveau des idées et des leaders politiques à se présenter dans un parti quelconque. Et cela je trouve que c'est grave. Et c'est peut-être une approche des femmes qui est différente de celle des hommes. Il est important de comprendre qu'on ne va pas en politique pour faire fortune. Et je pense que les femmes ne vont pas en politique pour l'ar- gent mais parce qu'on croit qu'on peut changer quelque chose.

Je reviens aux tout-petits. C'est important de leur dire "Si vous voulez le faire, vous pouvez le faire". Il faut insister pour développer des qualités à des personnes qui auront un bagage important à donner. Sinon on récoltera comme dans tous les partis politiques, des personnes qui seront élues mais qui seront comme des pions, pour dire oui ou pour dire non. Et cela touche tous les partis, tant au provincial qu'au fédéral et probablement aussi au municipal. Et c'est encore les femmes qui actuellement donnent les messages au niveau de l'éducation la plupart du temps. Le partage des tâches et de l'éducation cela se fait, mais ce sont encore les femmes qui donnent le message. Et j'aimerais que ce message vous le passiez à vos enfants.

Les femmes qui ont participé à cette étude devaient par ailleurs analyser l'im- portance relative des facteurs impliqués dans leur apprentissage. Leurs répon- ses indiquent que le contact avec la politique active n'était pas le seul facteur important dans les apprentissages. 30% des femmes ont affirmé que leur père n'a eu aucune influence sur leur décision de joindre les rangs sur la scène politique, alors que i\% prétendent que c'est leur mère qui a joué un rôle déterminant. Et on n'avait pas de femmes en politique, candidates, à ce moment- là. La moitié des femmes mariées avouent que leur conjoint a grandement favori- sé le développement de leur militantisme politique. On sait toutes que si vous êtes l'épouse d'un homme politique, en tant que tel vous vous impliquerez beau- coup. J'ai une amie dont le mari a été député. Elle m'a dit que lorsque celui- ci a donné sa démission après un mandat parce qu'il avait réalisé que ce n'était définitivement pas son domaine: "J'ai été bouleversée, cela m'a fait plus de peine qu'à lui, parce que moi j'étais embarquée dans cette affaire-là. J'aimais cela. C'est lui qui a été élu et quand il a démissionné c'est moi qui ai eu de la peine". Je lui demandai: "pourquoi ne t'es-tu pas présentée?" Elle n'y avait pas pensé. Remarquez, elle a 60 ans maintenant et cela s'est fait il y a près de 10 ans. Maintenant pourtant on voit cela de plus en plus. Le mari va quitter ou il y a un décès et l'épouse va embarquer. Ça prouve que les con- joints ont une certaine influence et que les femmes prennent la direction et le leadership.

Donc les conjoints, pour plusieurs femmes, ont favorisé leur développement mais aussi ce rôle a été joué par les groupes pairs adultes qui est l'environnement. Plus de 40°o des femmes questionnées estiment que leurs amis adultes sont à l'origine de leur implication politique. Ainsi, un fort pourcentage de femmes politiquement actives doivent leur politisation à leurs expériences adultes et non aux influences spécifiques à la période de l'enfance. Alors vous avez les messages de la période de l'enfance, la famille et l'expérience à l'âge adulte. 39 Moi je suis, comme on dit, un "late bloomer". Tout s'est développé un moment donné, comme la majorité des femmes. On a eu des points importants dans cer- taines étapes de notre vie et tous les tiroirs se sont ouverts en même temps. Ce qui fait qu'on est allé en politique. Vous savez que les modèles comporte- mentaux féminins ne sont pas cruciaux, ils ne sont pas particulièrement impor- tants. Si on regarde notre génération, nous n'avons pas eu de modèles féminins qui ont fait que nous nous sommes présentées en politique.

La mère semble moins importante que le père ou le mari dans cette étude-là. C'est bien facile à comprendre: à l'époque les femmes étaient au foyer et faisaient l'éducation de leurs enfants. Seulement 20% de l'échantillon ont affirmé que l'éveil à la politique émanait de l'observation des activités poli- tiques de leur mère. A l'époque nos mères votaient dans le même sens que nos pères. Les femmes ne se mêlaient pas de politique. Je me souviens très bien que dans les réunions politiques il n'y avait que des hommes.

La socialisation politique des femmes apparaît fort variée. 79% de l'échantil- lon indiquait que la réalisation de l'objectif collectif était à la source de leur engagement politique. 66% des femmes imputent leur intérêt politique au désir de supprimer les injustices sociales. C'est cela qui a motivé plusieurs d'entre nous. Evidemment vous avez des femmes qui ont été éduquées dans des maisons d'hommes. Elles étaient la seule fille avec 6 ou 7 frères. Ces femmes- là ont pris l'éducation de la majorité c'est-à-dire des garçons même si la mère se débattait pour lui donner UHR attitude très féminine. Tu jouais avec tes frères, tes frères faisaient leurcours classique alors à ce moment-làj si les parents avaient les moyens, tu pouvais aussi poursuivre tes études.

Vous savez qu'une des choses les plus importantes qui a déterminé ce qu'on appelle l'émancipation de la femme, qui fait que les femmes sont là où elles sont aujourd'hui, c'est l'éducation. Quand l'éducation a été accessible à tout le monde, quand on a sorti l'éducation des collèges privés et qu'on a fait une ouverture au niveau de l'éducation, les filles ont pu poursuivre leurs études et après cela, continuer à cheminer. On a eu la contraception aussi qui nous a aidées, on ne peut pas le nier, car la contraception a fait que les femmes ont été capables de planifier le nombre d'enfants qu'elles désiraient et quand elles les désiraient. Enfin les communications nous ont aidées car elles nous ont fait voir ce qui se passait ailleurs que chez nous. C'était les trois facteurs dominants qui ont fait que les femmes sont sorties du rang traditionnel qu'on leur avait tracé dans les années "50. Dans les années '80 on retrouve des femmes dans toutes les sphères, au fédéral, au provincial, au municipal.

J'écris actuellement un rapport sur les services de garde et j'ai de grandes discussions avec de mes collègues qui soutiennent qu'il faut revenir à la famil- le traditionnaliste et qu'on doit féliciter les femmes qui ont décidé de rester à la maison ou de prendre du travail à temps partiel, au détriment de celles qui travaillent à l'extérieur à temps plein. Ils disent qu'il faut ramener tous les enfants vers le foyer. Au lieu de dire que la famille évolue, on dit qu'il n'y a plus de famille, qu'elle n'existe plus. C'est une approche tellement néga- tive! Je n'ai rien contre la famille traditionnelle. Je viens d'une famille traditionnelle et j'espère que mes enfants auront une famille à deux. Mais de 40 vouloir ramener tout le monde au traditionnel c'est retourner les femmes dans la cuisine à élever des enfants. Je n'ai rien contre cela mais en 1986 on ne peut plus enseigner que cela à nos enfants parce qu' on va régresser. La famille restera toujours un facteur déterminant mais il faut avoir une ouverture d'es- prit. Même si on voulait ramener nos filles à un rôle traditionnel on ne pourrait pas parce qu'avec la télévision elles apprennent des choses avant même qu'on leur enseigne.

Il y a quatre facteurs déterminants qui ont stimulé les femmes à aller en politique. Le premier facteur c'est l'auto-initiation,la connaissance de soi, qui fut sélectionné par 46.5% des répondantes comme étant un facteur primordial. Le deuxième est l'entourage, les amis: c'était le choix de 20% des femmes. Le troisième facteur sont les parents pour 11%. Le quatrième facteur sont les groupes féministes. Cela prouve que les groupes féministes maintenant ont un impact. C'était le choix de 16?c des femmes. Je vous souligne ce fait parce qu'actuellement il semble y avoir un certain ressac vis-à-vis les groupes fémi- nistes. Je suis assez bien placée pour en parler parce qu'actuellement on me dit souvent "C'est plus la mode! Ça n'a plus l'air d'être à la mode!" Et on parle bien sûr du féminisme et du dossier des femmes.

Effectivement il y a une vague de droite qui nous frappe et qui est dangereuse. Vous avez un groupe qui s'appelle les Real Women qui est actuellement un groupe important politiquement en ce sens que mes collègues me disent "C'est des votes ma fille". Elles ont un impact et un lobbying très fort et elles peuvent nous ramener très loin en arrière. Il y a CREA qui a publié un petit livret qui explique comment répondre à tout ce mouvement des groupes de Real Women. Elles doivent venir sur la colline parlementaire d'ici peu et je peux vous assurer que 98% de mes collègues conservateurs vont afficher leur bouton en chambre. Mes collègues des différents partis viennent me retrouver en me demandant ce que j'ai contre elles. Je ne peux tout simplement pas les appuyer car elles sont contre les garderies, elles sont contre l'éducation, elles disent que les femmes qui travaillent à l'extérieur, qu'elles y soient obligées ou pas, ne sont pas des bonnes mères de familles; elles sont contre l'égalité des femmes au tra- vail. On ne peut pas appuyer cela. Et dites-vous bien que ce phénomène commen- ce à s'installer au Québec et cela m'inquiète énormément. Actuellement on fait des lois pour 29% des couples qui sont traditionnellement mariés. Alors quand un groupe comme elles arrivent et prétendent représenter 300,000 femmes et bien c'est tentant de dire que les statistiques ne sont pas bonnes! Soyez vigilantes et dites-le très fort que vous n'appuyez pas un groupe semblable, dites aussi pourquoi.

En conclusion on peut dire qu'une des choses les plus déterminantes pour les femmes qui sont en politique actuellement a été la formation de la personnalité. Mais attention car; là encore, il y a un biais, un stéréotype. Cela existe moins maintenant mais pour nous c'était très important car c'était les hommes qui allaient en politique et le message on l'a reçu d'hommes. Bien souvent les femmes sont choquées, lorsqu'elles nous demandent qui a été notre mentor, qu'on leur réponde un nom d'homme. Il ne faudrait pas être blessée, que voulez-vous il n'y avait pas de femmes en politique à ce moment-là. C'est à nous maintenant les femmes qui sommes en politique de devenir un rôle modèle pour d'autres femmes.

41 Donc il y a eu la formation de la personnalité alors qu'on était jeune, il y a eu la famille et aussi les amis qui furent des facteurs déterminants. Quand j'ai décidé de me lancer en politique j'ai dit à des amies qui étaient très près de moi (on se connaît depuis 30 ans) mes intentions d'aller en politique. La réponse d'une de mes amies, peut-être celle qui était le plus près de moi, a été: "Si tu t'en vas en politique tu vas baisser dans notre estime". J'ai été bouleversée. Elles m'ont dit avec cynisme "La politique ce n'est pas sérieux, ce ne sont que des escrocs etc..." encore "Si tu vas en politique que vas-tu aller faire là comme femme? Laisse cela aux hommes!". J'ai eu d'une certaine partie de mon milieu des commentaires qui ont été excessivement décourageants pour moi. On me disait aussi "Tu es beaucoup trop agressive" ou "Si tu penses que cela peut canaliser ton agressivité et bien vas-y!". Cela ne fait pas longtemps de cela, c'était en 1984. Je me suis vraiment demandée si je n'étais pas de travers. Je me suis dit que peut-être je n'avais pas raison, je me suis deman- dé quelle sorte de rôle modèle j'allais donner à mes enfants, parce que j'ai des filles. J'ai hésité; cela m'a définitivement influencée. Je me suis ques- tionnée très sérieusement: je me suis demandée si je devais ou pas aller en politique. J'ai pris la décision que vous savez, j'ai fait une campagne et j'ai été élue et je n'ai pas entendu parler de mes amies. Ce n'est qu'un an après que nous nous sommes revues et qu'elles ont révisé leur jugement. Et cela il y a beaucoup de femmes pour qui c'est très difficile à vivre.

Un autre facteur déterminant c'est la famille. Il y a bien des femmes qui actuellement iraient en politique mais qui ont à faire un choix. Elles aime- raient aller en politique mais elles craignent que cela brise leur ménage. C'est une réalité. Je ne dis pas cela pour faire de la discrimination à l'égard des hommes, pas du tout. C'est une constatation. Certaines m'ont dit: "Si je me présentais comme députée mon mari serait bien content mais au bout d'une couple (sic) de mois je suis convaincue qu'il ne serait pas capable de le supporter. Je serais souvent partie, je serais toujours la première etc... et j'ai l'impression qu'on serait en compétition et que je perdrais mon ménage". J'ai connu des femmes sensationnelles qui auraient fait d'excellentes députées et qui ont décliné pour cela. Et je les comprenais. La chose la plus difficile en politique c'est votre vie personnelle. Sur 27 femmes élues au fédéral, vous en avez 5 qui sont mariées. Il y en a 22 qui sont seules, soit célibataires, divorcées, veuves. Et sur les 5 il y en a 2 ou 3 dont le mari est en pré- retraite ce qui leur permet d'avoir leur mari avec elles.

Prochainement il y aura des élections au Nouveau-Brunswick. Nous sommes allés à la recherche de femmes candidates excellentes et leur réponse a été "J'ai telle- ment peur à mon ménage". Ça prouve que l'éducation qu'on a reçu il y a 30 ans c'était que les hommes pouvaient aller en politique mais pas les femmes. Et si nous les femmes on est prêtes à le faire à ce moment-là on se heurte au rôle modèle qu'on a inculqué à nos hommes. C'est un problème réel et on doit respec- ter la décision de ces femmes car je suis convaincue moi aussi que 30% de ces couples, si la femme décidait de le faire, auraient un ménage qui ne fonctionne pas. Et au fédéral l'autre réalité c'est les distances. C'est un très gros inconvénient. Quand une femme part de Vancouver pour s'en venir à Ottawa et qu'elle dit à son mari "Chéri je te reverrai dans quinze jours, occupe-toi des enfants!" Cela ne marche pas.

42 C'est une réalité importante. Si un homme voulait suivre sa femme députée à Ottawa il faudrait qu'il soit lui-même en politique ou fonctionnaire car la ville est faite de cela. Une épouse, elle, peut plus facilement suivre son mari à Ottawa car tout est fait autour de la famille. Dans la génération future l'homme sera peut-être capable de s'occuper des enfants si sa femme s'absente. Mais actuellement ce n'est pas le cas. C'est une réalité au niveau fédéral. Et une des façons de la changer serait qu'au lieu de siéger 10 mois par année, 5 jours par semaine, qu'on fasse comme au provincial, qu'on siège 5 ou 6 mois par année et 3 jours par semaine. A ce moment-là on peut être dans notre famille, dans notre milieu, dans notre comité pour travailler, ce qui serait très bon. Et cela ce n'est pas du tout une difficulté au municipal car les femmes travail- lent dans leur milieu. De même au proviciai c'est plus facile car les distances sont moins longues et surtout ils siègent d'une façon plus intelligente. Nous avons eu un beau rapport au fédéral, le rapport McGraw: comment améliorer ce que comprend tout le système politique. Malheureusement on n'a jamais touché dans ce rapport au nombre de jours et de mois où on peut siéger pour améliorer la qualité de vie des familles. Là encore ce sont les femmes qui se livrent et qui le disent. Les hommes nous disent: "Mon Dieu que tu as raison". Pourtant c'est eux qui étaient là quand l'étude s'est faite et pas un ne l'a mentionné!

43 COMPTE-RENDU DES ECHANGES CONFERENCE DE LUCIE PEPIN

I Mon intérêt pour la politique a pris naissance en 3ième année, à l'école, lorsqu'à la fin de l'année, le député de mon comté m'a remis un petit drapeau du Québec parce que j'étais la première de classe. Croyez-vous au rôle de l'école dans la formation politique?

R C'est certain que le rôle de l'école est important. Nos professeurs ont souvent un rôle déterminant sur notre futur. Qui de nous n'a pas entendu son enfant lui répondre "mon professeur l'a dit!" et peu importe ce que nous lui avons dit. L'éducation est la clef de tout. Elle se commence à la maison et se poursuit à l'école. Je n'aime pas du tout qu'on coupe dans les budgets de l'éducation et j'espère que les femmes réagiront.

I Avez-vous l'impression qu'il est difficile de recruter des jeunes pour faire de la politique?

R Vous avez raison. Ils sont d'un cynisme incroyable, c'est sûrement parce qu'on les a déçus. Il faut absolument retrouver leur confiance et pour cela il faut qu'on cesse d'aller chercher n'importe qui pour faire de la politi- que. Nous avons besoin de politiciens et de politiciennes qui ont des i- déaux.

I Les femmes ne veulent plus du rôle de colleuse de timbres. Diriez-vous qu'el- les ne veulent plus s'impliquer?

R C'est vrai que les femmes ont été confinées dans le rôle de colleuse de timbre. Pourtant au Québec, nous sommes la province où les femmes sont le plus politisées et il n'y a que 16 comités féminins (par rapport à 40 au N.3. par exemple). Je pense que les femmes abandonnent le rôle de colleuse de timbres. Dans les réseaux qui existent je m'efforce de leur faire faire des études sur différents dossiers politiques. On a souvent dit aux femmes qu'elles sont de bonnes deuxièmes mais on a oublié de leur dire qu'elles sont d'excellentes premières. On manque encore de confiance en nous. Je vous dis: vous êtes capables, allez-y. Je pense qu'entre autre, la politique municipale est très facilement accessible pour les femmes, même si elles ont de tout jeunes enfants.

I Que veut-on dire quand on dit d'un parti qu'il est du centre?

R Comment vous expliquer... Personnellement je suis du centre gauche, peut-être plus à gauche qu'au centre. Quand on est au centre, on cherche un certain équilibre entre les différentes tendances de la société, car on doit composer avec les différents mouvements de cette la société. La crise économique que nous avons subie a favorisé le retour à ce qu'on connaissait avant. C'est

44 très sécurisant, ce qu'on a connu quand on était jeune. Cette tendance au retour en arrière c'est ce qu'on appelle la droite. Les groupes de droite sont très forts actuellement. On revient aux anciennes questions: "Ton père fait quoi? Vous vivez à quel endroit? Quelle sorte d'auto avez-vous?". Je pense qu'il faut se méfier de ces tendances. L'argent, c'est important mais les idées sont aussi très importantes. Etre du centre, c'est rechercher cet équilibre.

I J'interviens sur la question de désintéressement. Il y a dix ans j'étais beaucoup plus motivée à faire de la politique que maintenant. Lorsque je regarde les débats de la Chambre des Communes ou de l'Assemblée Nationale, j'ai l'impression que ce n'est rien d'autre qu'une vaste cour de récréation où il n'y a aucune discipline.

R Je suis contente de votre intervention. Je dis toujours que la Chambre des Communes c'est la salle des jeux. A mon avis, cela est dû au fait que les débats sont télévisés. Comme disent les anglais "You have to perform!" Il y a quand même des efforts qui se font pour redonner plus de discipline aux débats. Je pense que c'est impératif car comme vous le dites si bien, cette façon de faire est démotivante. J'ajouterais que je suis convaincue que lorsqu'il y aura plus de femmes en politique, ce sera bien différent.

I J'apporte mon témoignage pour renforcer ce que vous avez dit a propos de l'influence de la famille. Chez-nous, mon père était bleu et ma mère était rouge, ce qui à l'époque était très rare. Bien sûr il fallait qu'ils votent quand même et pour tenter de se convaincre l'un et l'autre il y a eu de nombreux débats devant la famille. Depuis l'âge de 4 ans, j'ai vu mes parents faire l'analyse des programmes politiques. Inutile de vous dire que la politique m'intéresse vivement. Si je ne me suis pas encore présentée c'est seulement à cause du timing.

Je pense qu'actuellement il y a un grand défaut chez les électeurs: on regarde l'image du leader mais on ne regarde plus le contenu d'un programme. Je trouve démotivant d'aller en politique avec un programme pour être ensuite obligée de le mettre au panier.

Dernière constatation, je vis ce colloque avec un intense plaisir. Je suis très heureuse que l'Aféas, qui a une bonne image, se penche sur la question de l'accès des femmes au pouvoir politique et qu'en plus elle le fasse au Grand Hôtel et non pas dans un sous-sol d'église.

R Je suis d'accord avec vous pour regretter qu'on ne fasse pas l'élection sur un programme mais plutôt sur une image. C'est d'ailleurs la même chose aux Etats-Unis. Les gens se font prendre par l'image, les communications. La population n'est plus vraiment intéressée par les programmes.

Je suis d'accord avec ce que vous avez dit de l'Aféas. Je souhaite que ce colloque aboutisse à ce qu'on ait un jour une femme ministre de l'agriculture et une ministre de la défense. Ce jour-là, les choses vont changer. 45 A l'Aféas nous sommes d'accord avec vous en ce qui concerne les mouvements de droite et les Real Women. Nous avons sensibilisé nos membres à ce sujet. Quel autre geste pourrions-nous poser à votre avis?

Je pense qu'il faut sensibiliser vos députés. Ce sont eux qui votent et appuient les ministres. Demandez à vos députés de s'opposer aux subventions pour les Real Women. Il faut que les députés sachent que les gens de leur comté ne sont pas d'accord avec ce mouvement. C'est vous qui avez de l'in- fluence sur vos députés.

46 CONFERENCE DE MADAME MARCELLE TREPANIER

Bonjour mesdames, tout d'abord j'aimerais vous donner un aperçu de mon vécu en politique. J'ai été conseillère municipale de 1968-71. En 1971 je me suis présentée à la mairie et j'ai été défaite. En 1975 j'ai été élue par acclamation. En 1979 j'ai été élue, avec une forte majorité, j'ai été préfet de la MRC Beauharnois et au conseil d'administration de l'Union des Municipalités. J'ai été défaite en 1983. Ceci résume ma carrière politique. J'ai choisi d'oeuvrer au gouvernement municipal.

La municipalité, comme la famille, a besoin pour trouver un développement harmo- nieux, de l'apport dès femmes autant que de celui des hommes. La ville, la municipalité, est la cellule de base de la société. C'est l'école maternelle de la démocratie. Elle se trouve confrontée avec les mêmes problèmes que ceux de la famille. Problèmes d'emplois, problèmes du milieu de vie en général. La coopération naturelle de la femme dans la famille devrait se retrouver dans la gestion de la municipalité.

Madame Evelyne Tardy nous a renseignées tout à l'heure sur les statistiques (1) en termes d'élues au niveau municipal. Même si au niveau municipal il y a une nette amélioration, ce n'est pas encore éloquent. Il faut se présenter pour être élues et on voit sur la scène municipale, à Montréal et ailleurs, que les candidates n'affluent pas en grand nombre.

Le gouvernement municipal étant le plus près du peuple, et j'insiste, le plus près de la population, il est donc le plus facile d'accès pour la femme. Est-ce que cette situation provient d'un certain nombre de difficultés qui tiennent sans doute moins à la capacité des femmes de remplir certaines fonctions qu'à l'obligation où elles se trouvent de les assumer parfois sur le mode masculin?

Il y a une amélioration encourageante pour l'avenir et c'est positif, construc- tif de penser à l'avenir. Tout de même, il faut le dire, l'organisation de la société et de la vie professionnelle a été pensée par des hommes et pour des hommes alors que les différences physiologiques et psychologiques entraînent des situations parfois différentes pour l'homme et la femme. Il serait absurde de ne pas reconnaître la différence des rôles dans la vie sociale. Le droit à la différence donne aussi le droit à l'équivalence. L'égalité ne veut pas dire identité. C'est avant tout l'égalité des chances qui importe. Les femmes peuvent devenir ce qu'elles souhaitent être sans pour autant être ce qu'elles ne désirent pas être. L'engagement des femmes dans une association mixte est devenu une réalité depuis quelques années. Et les femmes osent de plus en plus prendre leur place, leur vraie place, dans un monde qui est aussi le leur.

(1) Atelier no. 10 47 On peut s'interroger sur ce qui les amène à ces prises de responsabilité. Un enfant ne parle que s'il est concerné, nous dit-on à l'école maternelle. Et l'un des buts de cet engagement sera de motiver l'enfant à développer un lan- gage. Les femmes s'engagent parce qu'elles sont motivées, parce qu'elles sont concernées et elles le réalisent. C'est sans doute parce que les associations sont le relais le plus proche, le plus direct, qu'elles choisissent d'abord d'y militer et qu'elles apportent ce souci du concret, des petites choses de la vie qui les font se sentir, parfois, différentes des hommes au cours des réunions. Les hommes les sollicitent pour entrer dans les associations parce qu'elles travaillent. Je me souviens d'une conversation avec un groupe d'amis où j'étais la seule femme. Nous discutions et tout-à-coup l'un d'eux dit "Nous allons faire entrer une femme au conseil d'administration pour travailler". Puis réalisant ma présence il ajoutait "Excusez-moi!". Je crois que c'est révélateur à la fois de l'état d'esprit de beaucoup d'hommes et de la qualité certaine des femmes dans les associations.

La vie associative mixte constitue une très bonne formation pour l'exercice du pouvoir. Avec la connaissance des rouages administratifs, au travers de ten- sions et souvent de conflits les femmes font la preuve qu'elles sont capables de partager l'exercice du pouvoir. C'est au sein d'associations que j'ai appris que la femme ne peut à la fois demander à être considérée différemment, à être protégée par les hommes et à souhaiter exercer des fonctions réservées aux hommes. C'est encore l'opinion d'un très grand nombre d'hommes.

Ma présence dans plusieurs conseils d'administration d'associations a facilité mon engagement à titre de conseillère municipale en 1968. J'en avais le goût, je croyais y être préparée adéquatement car je savais que ma responsabilité serait lourde comme femme. Je représentais l'élément féminin et je devenais une cible. J'étais la seule femme dans un monde d'hommes, phrase célèbre qui rappelle le titre du livre de madame le sénateur Casgrain et je pense que l'occasion est toute désignée pour rendre un vibrant hommage à cette grande dame qui est encore vivante dans notre mémoire.

Elue avec une confortable majorité, deux hommes étaient en lice avec moi aux élections. Cette majorité me donnait confiance. Membre du conseil municipal, j'ai vite appris qu'il fallait que j'assume pleinement la fonction pour faire vivre l'idéal qui m'avait conduite jusque là. Je voulais servir mes concitoyens et mes concitoyennes le plus adéquatement possible. Pour ce faire il fallait que je travaille intensément et prouver que j'étais à la hauteur pour les représenter.

Je me suis rendue compte que même formée par les associations et par un retour à l'université pour être mieux qualifiée, il m'était difficile d'être intégrée au fonctionnement des hommes. Il s'imposait que mes collègues m'acceptent. C'é- tait primordial. Car si j'avais un programme politique à faire adopter, il devait être accepté par la majorité au moins du conseil. Il ne fallait pas rêver en couleurs. J'avais été élue pour administrer la municipalité et non pour faire la promotion de la femme. Ce n'est pas au gouvernement municipal qu'il appartient de légiférer pour assurer l'égalité de la femme. Mais il s'agit de poser des gestes concrets lorsque les circonstances l'imposent. 48 Par exemple à la ville lorsque la femme célibataire se mariait elle perdait son emploi. Incroyable! Et c'était en 1970. Il a fallu que j'apporte la question sur la place publique. Cette mesure avait été adoptée par le conseil municipal avant mon arrivée. Renverser cette décision a été pénible, mais j'ai réussi. J'ai même demandé: "comment se fait-il que vous m'acceptez? Je suis mariée!". On m'a répondu: "ce n'est pas la même chose" J'ai dû leur demander aussi: "Une femme qui se marie perd-elle ses qualités et ses qualifications?". Là-dessus on n'a pas pu me répondre. Ce qui importait c'est que la femme mariée puisse travailler à l'hôtel de ville, c'était ma façon de faire la promotion de la femme.

Vous dire que je n'ai pas eu de difficultés à gagner des débats et à défendre certains dossiers serait mentir. On me disait: "C'est de bon aloi, c'est tout- à-fait normal". Mes collègues m'ont toujours respectée, je dois le souligner, et s'ils m'ont acceptée et ils me le disaient, c'est parce que je travaillais très fort. Ma force auprès de la population a été de donner des informations au moment des temps forts de la vie civique, d'écouter mes commettants et d'être très présente. Mais j'ai toujours déploré grandement l'absence des femmes aux séances publiques. Si elles m'avaient élue, elles m'ont fait confiance; elles sont quand même par la suite disparues de la scène municipale. Jamais elles ne venaient à des réunions, ce que j'ai bien déploré.

Le conseil me confiait des dossiers qui traitaient des affaires culturelles, des loisirs, des réceptions et m'éloignait, naturellement, de celui des finances. Mais bûcheuse de nature j'ai fait en sorte de connaître et de m'impliquer dans tous les dossiers car pour une femme il faut tout savoir sinon on ne vaut pas grand-chose. On est beaucoup plus exigeant, d'ailleurs on l'a souvent dit au cours de ce colloque, pour la femme qu'on l'est pour l'homme.

En 1971, convaincue que j'étais prête à avancer d'un pas, je me présente à la mairie. J'ai été défaite, par peu de votes. Je ne peux imputer cette défaite au fait que j'étais une femme, mais bien à une campagne électorale mal planifiée et au retard à poser ma candidature à cette fonction. Je revenais en 1975 et cette fois j'étais élue par acclamation. Mon mandat était renouvelé en 1979 avec une très forte majorité de votes. Mais, j'étais à nouveau défaite en 1983. Je suis persévérante n'est-ce pas? Ce serait trop long d'expliquer les raisons réelles de cette défaite. Je dois mentionner toutefois que la politique munici- pale n'est jamais neutre. On tient parfois compte de l'allégeance politique des élus municipaux, qu'ils soient des femmes ou des hommes.

En 1981 avec la création des municipalités régionales de comté, nouvelle créa- ture du gouvernement provincial, les 13 maires qui formaient le conseil de cette structure administrative devaient s'élire un préfet. Je me présentai. J'étais élue. Madame Casgrain disait souvent: "au lieu de disputer parce que vous n'êtes pas au pouvoir, présentez-vous! Essayez au moins". Son idée m'a souvent inspirée. Donc j'ai été élue et les maires m'ont respectée, ils m'ont considé- rée comme si j'étais un homme et j'en étais fière. Un de mes collègues du conseil municipal me disait malicieusement cette boutade "tu viens d'ajouter à ton curriculum vitae" et je rétorquais à brûle-pourpoint cette fois, parce que jamais je n'en parlais, je posais plutôt des gestes: "oui mon cher, pour la promotion de la femme!". 49 A la mairie comme à la préfecture j'ai mis des heures de travail, ce qui a été ma force. A la ville j'étais au bureau du maire dès 7:30 heures a.m. sur les travaux d'égouts et autres, et s'il y avait lieu je chaussais les bottes, qui ne sont pas réservées aux hommes, et cela ne me gênait pas du tout. Je surveillais l'administration municipale de très près. Mes collègues ne l'ont jamais souli- gné mais si j'en avais été absente c'eut été souligné.

Ma vie familiale était très propice à mon implication. Mon époux avait favorisé ma candidature dès que le mandat de conseillère municipale m'avait été confié. Et mes enfants avaient toujours été habitués à avoir une mère très active. Ils l'acceptaient. J'ai voulu défendre les intérêts des villes et discuter des mesures législatives des gouvernements supérieurs. Je me suis présentée encore dans la région de Valleyfield, qui regroupait 5 ou 6 comtés. Au conseil d'admi- nistration de l'Union des municipalités on m'a élue par acclamation. J'ai siégé 8 ans à ce conseil. Je me souviendrai toujours que Monsieur Lamontagne, qui était maire de Québec et président de l'Union des municipalités, lors de mon arrivée, avait été très gentil. Il m'avait accueilli et dit "madame Trépanier est la première femme, j'espère que vous l'accepterez comme si elle était un homme". Vous pouvez vous imaginer que mes interventions étaient pensées et réfléchies avant d'être apportées. Et comme cela était assez sérieux, à la fin de la réunion Monsieur Lamontagne a demandé aux maires "Est-ce que vous l'accep- tez comme un homme?" Ils ont dit "oui". Alors à ce moment-là comme j'étais acceptée je me suis sentie en confiance et on m'a toujours incluse dans toutes les discussions et on m'a donnée des dossiers, des dossiers qui parfois ont été pénibles. Des dossiers où on pensait que peut-être on n'oserait pas me contes- ter comme femme, et que j'avais plus de chances peut-être de faire accepter. Des interventions j'en avais peut-être un peu moins dans certains dossiers mais les dossiers étaient dûment préparés et étoffés. Je savais que j'avais à les défendre à fond. Déjà on était renseigné sur le fait que je préparais mes dossiers, ce qui était très important.

Dès mon accession à l'exercice du pouvoir politique, j'ai appris à connaître et à reconnaître le rôle et l'importance de la mission qui m'était confiée. Je l'ai acceptée cette responsabilité au pouvoir municipal comme une mission et nommément pour la promotion de la femme. Alors d'autant plus, face aux hommes, j'avais une lourde responsabilité. Je jugeais que l'avenir des femmes pouvait dépendre de mes actes et c'est un fait, car cela a ouvert des portes. La commission scolaire à Valleyfield a une femme à la présidence maintenant, il y a aussi une femme à la présidence du conseil d'administration du centre hospita- lier, il y a plusieurs femmes conseillères scolaires. Mais pas une autre femme n'a voulu encore se présenter au municipal. Mais aux prochaines élections, j 'espère...

C'est dans l'avenue locale qu'aboutissent pour chaque femme et chaque homme les réseaux complexes dont elles dépendent. C'est là que sont vécues toutes les interdépendances et que chacun et chacune dans sa vie quotidienne reproduit l'ensemble de la vie d'une communauté. C'est là également que chacun et chacune peut appréhender toutes les structures, que les besoins peuvent être détectés, que l'information peut être donnée. Lorsque j'étais conseillère municipale je considérais ma tâche comme importante. Mais devenue maire j'ai réalisé pleine- 50 ment la lourdeur du mandat qui m'était confié. Ma réflexion me guidait car cette responsabilité que j'assumais était entièrement mienne. J'avais voulu m'approprier ce pouvoir politique, je devais faire en sorte que cette possibili- té dont je bénéficiais soit utilisée dans une action déterminante pour le mieux- être de mes commettants et de mes commettantes. Lors de ma défaite je n'ai pas été amère. Je n'étais pas heureuse, veuillez bien le croire! Mais j'ai continué à servir où on me jugeait utile. Ce qui est important, aussi bien pour l'homme que pour la femme, c'est l'électorat. Quand la démocratie décide que l'on doit quitter l'exercice du pouvoir, il faut l'accepter de façon élégante. Ce qui importe, c'est d'être satisfaite de ses actes face à la population, d'avoir rempli un mandat avec les moyens qui étaient fournis et d'avoir été honnête avec soi-même et avec les autres.

Vous avez raison mesdames de dire tout au long de vos interventions que les femmes se doivent de prendre une place, leur place, dans la vie politique active, d'exercer le pouvoir. Il ne faut pas attendre que les hommes vous sollicitent ou vous le donne. Mais je dirai que c'est en partie de notre faute si la situation est telle qu'elle est. Si vous voulez prendre le pouvoir, le mériter, le gagner, si vous voulez avoir l'appui d'un certain nombre d'hommes, ayez une politique. Non pas une politique de gauche ou de droite, particulièrement au gouvernement municipal, mais ayez une politique que vous défendez. Que peut-elle être cette politique? En quelques mots cette politique, c'est la politique du bon sens, de la réalité. Vous avez votre place et vous n'osez pas la prendre.

Le passage de la vie associative à la vie politique active n'est pas aisé. Il ne faut pas se le cacher, car les femmes ont été rendues très méfiantes pendant des années vis-à-vis l'exercice du pouvoir. Il faut donc établir un certain nombre de conditions qui favorisent l'accession des femmes au pouvoir politique, à tous les pouvoirs politiques. Bien entendu il ne faut pas cantonner les femmes au gouvernement municipal. Personnellement je le recommande comme pre- mière implication. Il est près de la famille, près du milieu que vous connais- sez, près du peuple. Mais il faut un effort conjugué et des femmes et des hommes. Je me répète: si les femmes veulent avoir l'appui des hommes, qu'elles soient prêtes à prendre des responsabilités. Qu'elles espèrent la concertation, qu'elles acceptent de compléter le travail de l'homme, qu'elles voient une autre action que celle de la compétition. Lorsque je me suis présentée conseillère municipale, si j'étais partie en guerre contre les hommes je n'aurais jamais été conseillère municipale et encore moins maire. Il faut se faire élire n'est-ce pas? C'est très important!

Madame Chépry de France, impliquée dans la promotion de la femme a défini la philosophie de sa politique comme étant "l'alliage": c'est le rapprochement, la rencontre, l'égalité. Pourquoi n'emprunteriez-vous pas des idées comme celle- là? Il faudrait une nouvelle philosophie, un nouvel esprit autour du thème "alliage". Je n'ai pas dit alliance: j'ai dit alliage ou un synonyme, échange.

Cette nouvelle notion consisterait à avoir une politique à vous mesdames, des règles de conduite à vous. Elle susciterait l'adhésion de plusieurs hommes et particulièrement chez les jeunes. Cette nouvelle politique pourrait être propo- 51 see par une association aussi bien structurée et vivante que l'Aféas. Si ce mouvement a organisé ce carrefour c'est qu'il sait, qu'il est intéressé à ce que ses membres prennent la place qui leur revient dans la société. De plus en plus l'Aféas a conscience de sa force dans son milieu. Votre influence, est impor- tante et imposante, il faudrait le réaliser! Vous êtes en mesure de le réaliser pleinement cet alliage, je le répète. Mais attention! Cela ne vous oblige pas à imiter les hommes et à adopter leur vision des choses, leur système de valeurs, leurs pratiques sociales et politiques. C'est peut-être un son de cloche diffé- rent de ce que vous avez entendu aujourd'hui.

Lorsque j'étais à la mairie de Valleyfield, les cercles Aféas de Valleyfield et de la région immédiate me demandaient de préparer des cours, à leur intention, sur l'administration municipale. Devant leur intérêt, j'acceptai. 40 dames s'inscrivirent. 36 d'entre elles poursuivirent jusqu'à la fin. Il y a des hommes, croyez-le ou non, qui ont voulu se joindre au groupe, ce qui aurait favorisé l'alliage et l'échange. Mais d'autres hommes ont dit: "Ah non, vous allez faire rire de vous!". Les hommes pourtant étaient intéressés parce qu'ils sentaient qu'ils en avaient besoin. L'occasion est choisie pour affirmer que ces femmes, pour la majorité, sont prêtes à assumer le pouvoir politique munici- pal. Et c'est bien mesuré ce que je vous dis. Mais qu'est-ce qui les retient? Pourtant il y a de l'espoir pour l'avenir car elles sont conscientes qu'elles sont co-responsables de la société d'aujourd'hui et de demain.

Ce colloque, je félicite l'Aféas d'en avoir eu l'initiative. Grâce à la présen- ce d'une brochette exceptionnelle de conférencières qui sont des femmes d'expé- rience, ce colloque pourra éclairer les participantes et,j'en suis assurée, démystifier le pouvoir politique et démontrer que les possibilités sont à leur portée. Il s'agit de vouloir mesdames.

52 COMPTE-RENDU DES ECHANGES CONFERENCE DE MARCELLE B. TREPAN1ER

I Vous avez mentionné avoir organisé des cours sur la politique municipale. Je trouve cela très bien et je pense que ce devrait être répandu partout.

R Cela a eu beaucoup de succès en effet et c'est pourquoi je dis qu'il y a de l'espoir.

I Suite à ces cours y a-t-il des femmes qui se présenteront aux prochaines élections municipales?

R Je l'espère et j'ai bien l'intention de les aider.

I Vous avez mentionné avoir été accueilli comme un homme au conseil de l'Union des municipalités. N'auriez-vous pas mieux aimé être accueillie comme une femme avec vos capacités de femme?

R Sans doute, mais il faut se rappeler que j'étais la première et la seule femme. Alors j'ai essayé d'être tolérante dans mes paroles et de faire plutôt mes preuves par des gestes concrets. C'était ma façon de travailler.

I Je vous félicite pour votre ténacité et votre persévérance. J'aimerais revenir à cette question d'être accueillie comme un homme. J'ai à vivre parfois cette situation et je trouve cela très frustrant. A mon avis, les hommes n'ont pas de modèle à nous donner. Je pense que ce que vous voulez nous démontrer c'est que, quand on veut arriver à nos buts, il faut prendre les moyens, les stratégies et même marcher sur son orgueil au besoin.

R Vous avez entièrement raison. Quand on me dit qu'on me considère comme un homme, cela me réjouit car je me dis qu'ils me considèrent comme leur égale. Pour ce qui est de faire des concessions, c'est évident qu'il faut en faire, mais pas à n'importe quel prix. Il faut être honnête avec soi-même et poursuivre un idéal. Bien sûr on m'a fait la vie dure mais je m'en suis tirée et je pense vraiment que la politique municipale c'est le milieu idéal d'implication pour les femmes. C'est tellement près d'elles! Toutes les femmes qui se sont impliquées dans des organismes comme l'Aféas ou l'A.D.F.C. ont les capacités pour se présenter en politique municipale.

I Je suis d'accord avec votre attitude. Ils ne sert à rien de se mettre les hommes à dos. Ils ont déjà suffisamment peur de nous. Je pense que si chacune pouvait plutôt sensibiliser "son" homme à la qualité d'une femme qui se présente, ce serait déjà un gros gain.

53 Vous avez mentionné tout à l'heure avoir travaillé très fort. C'est tout à votre honneur. J'aimerais vous citer les paroles de cette grande dame, Charlotte Witton, qui disait: "Vous savez, les hommes disent toujours que les femmes travaillent doublement pour arriver à leur point. Mais c'est tellement facile!".

Merci.

I J'ai toujours dit qu'il faudrait être également représentées, hommes et femmes, partout, à tous les paliers. Par exemple quand on parle d'assainis- sement des eaux, je pense que la femme est hautement concernée. Pourtant je ne voudrais pas que pour promouvoir les femmes en politique, on diminue le rôle des travailleuses au foyer. Personnellement, tout ce que j'ai appris sur la politique je l'ai appris à la maison, en écoutant la radio. Ce n'est pas facile pour la jeune mère de s'impliquer en politique. Mais si elle continue à s'informer, elle sera peut-être la relève.

I J'aimerais savoir si malgré votre dernière défaite vous avez encore le goût de vous présenter en politique municipale?

R J'ai toujours été très impliquée dans mon milieu dès mon jeune âge et j'ai toujours fait de la politique en fonction de services. Même quand j'ai été défaite, j'ai continué à servir. Bien sûr il ne faut jamais dire: "Fontaine je ne boirai pas de ton eau". Ce que je favoriserais c'est que des femmes de l'Aféas se présentent comme conseillères municipales. ATELIER 1: LES ETAPES PREPARATOIRES A L'IMPLICATION POLITIQUE ALLOCUTION DE MfiDSMB FKflNCINE LALONDE

D'une certaine manière, je ne suis jîas-''tout à fait la bonne personne pour parler des étapes préparatoires à l'implication politique, parce que s'il existe une chose que je n'avais pas préparée, c'était mon entrée en politique.

J'ai accepté la proposition un peu abracadabrante de Monsieur Lévesque de de- venir ministre, alors que je n'étais même pas membre du parti québécois (j'avais été là dans les débuts en '68, mais je ne l'étais plus depuis '73). Quand je me suis impliquée dans le syndicalisme, j'ai trouvé que deux chapeaux c'était trop, j'aimais mieux en garder un seul. Cependant j'ai constaté après coup que j'étais drôlement bien préparée à faire de la politique et que j'y serais parvenue de toute façon. Le temps passe vite et il faut en tenir compte, quand on pense en terme de mandat de 4 ans ou même 5 ans. J'ai 46 ans, je ne peux pas manquer mon coup bien des fois encore.

Je vous dirai tout de suite qu'il est important de distinguer la politique de la politique et que (ce sera une boutade) la meilleure préparation à la politique, c'est la politique! C'est la politique que probablement vous faites toutes c'est-à-dire cette implication dans une action collective, à la défense d'une idée, avec un groupe d'intérêt, que ce soit un groupe de femmes, de jeunes, un comité d'école, une association quelle qu'elle soit. Cette action politique qu'on fait par intérêt pour la chose publique dans son sens large, parce qu'on a le goût de s'impliquer, la volonté de défendre une idée, qu'on a un but, des objectifs. Parce qu'on n'accepte pas les choses comme elles le sont. Il me semble que c'est la première préparation à ce qui peut devenir ensuite une implication en politique au sens plus précis, c'est-à-dire jouer un rôle dans un parti et même devenir député.

Dans mon cas, l'étape préparatoire a été le syndicalisme, je vous le dis en secret. En 70, j'avais été approchée pour me présenter comme candidate du parti québécois (c'était la première élection où participait le parti) dans Gouin. C'est finalement M. Joron du parti québécois qui fut élu. C'était son organi- sation qui m'avait d'abord demandée.

J'avais 29 ans. J'ai hésité, j'ai dit "non, je suis trop jeune". J'ai dû répondre implicitement "je ne me sens pas prête". Ensuite j'ai tourné la page et je me suis lancée dans le syndicalisme. Lorsque je me suis retrouvée dans le bureau de Monsieur Lévesque, je n'y ai pas pensé tout d'abord, mais par la suite je me suis dit "malgré tout je suis contente, parce que j'ai appris à connaître les hommes et les femmes. J'ai appris le fonctionnement démocratique d'une organisation. Je me suis assumée comme femme dans ce poste et je me sens prête maintenant".

55 Pour les femmes, je crois que ça se présente souvent moins sous forme de car- rière que sous forme d'un désir de participation à un changement, à l'im- plantation d'une idée. Donc une idée, une volonté de changement, un apprentis- sage du fonctionnement démocratique avec ses joies et aussi toutes ses faibles- ses, toutes ses mesquineries, ses luttes de pouvoir, parce que ça fait éminem- ment partie de l'action. Où il y a des hommes, il y a de l'hommerie. Il n'y a pas de féminin à ça, je m'en sers souvent pour toutes sortes de raisons. Il y a aussi des mesquineries, vous comprendrez que j'englobe tout le monde, et on doit s'habituer à vivre en s'enlignant sur un projet et accepter les difficultés, voir que malgré tous les aléas de cette vie démocratique, il y a quand même un cheminement qui se fait. C'est un apprentissage. Ça suppose qu'on demeure sensible, mais qu'on est capable de vivre dans un monde où les émotions ne doivent pas nous empêcher d'agir. C'est un atout les émotions! Moi, je n'ai jamais eu peur des émotions des femmes, au contraire.

J'avais écrit un petit texte à la demande de la revue Possible, sur les femmes et le pouvoir. J'y avais dit que les femmes, dans l'ensemble, sont beaucoup moins politiciennes au sens où elles sont moins carriéristes. Souvent, elles s'avan- cent visière ouverte, sans vraiment avoir préparé tout à fait leurs points, et elles vont s'avancer lorsqu'elles estiment qu'il y a quelque chose à dire. Elles sont courageuses, les femmes. Je conclue en disant: il ne faut pas confondre larmes et faiblesse. Je sais bien qu'il y a des femmes qui pleurent, mais qui sont capables de tenir leur bout. J'aimerais bien parfois que des collègues masculins pleurent et soient capables de tenir leur bout.

Mais c'est évident que nous sommes, par rapport à la sensibilité, fort différen- tes. Il faut s'accepter comme ça et en même temps apprendre à vivre avec les autres. Je pense aussi qu'il faut se donner une formation. Lire sur les dos- siers qui nous intéressent. Si on veut intervenir et être écoutée, davantage si on^est une femme, on a besoin d'être bien au courant de nos dossiers: plus on est préparée, plus on a un esprit rigoureux, plus on est capable de faire des analyses, de s'imposer, même dans un milieu d'hommes.

Se percevoir et être perçue comme différente (vous avez dû vivre la même chose que moi) est un autre apprentissage à faire. Comment accepter et assumer un leadership, si on en a le goût et si on pense qu'on a les moyens. Pour les femmes, c'est toujours une étape à franchir. Pour les hommes, sans doute, mais pour les femmes ça représente quelque chose de plus. Ça veut dire qu'on va accepter de se poser comme étant une personne capable et intelligente, ayant un jugement et une force, comme étant une personne en mesure d'entrer en débat avec d'autres et de ne pas flancher à la dernière minute. Etre capable d'avoir raison et ensuite conséquemment diriger une action, par exemple. La formation, l'éducation qu'on a reçues (les jeunes connaîtront peut-être moins de difficul- tés) ne nous préparaient pas nécessairement à ça. On est souvent prête à faire un bout de bataille, puis rendue à un moment donné, on a le vertige, on lâche, on dit: "Vas-y donc toi, moi les honneurs, ça ne m'intéresse pas". Il y en a combien qui font ça? Si bien que dans bien des partis, organisations, mouve- ments qui se prétendent même avangardistes sur le rôle des femmes, on y retrouve des femmes qui font les tâches pénibles, mais quand il s'agit d'occuper des fonctions, pas nécessairement des honneurs, mais des fonctions visibles où il y a une responsabilité, souvent ce sont les hommes, puis les femmes abandonnent. Elles disent: "Moi, je vais être secrétaire ou je vais faire le café". 56 Il faut savoir accepter l'opposition. Pas l'opposition pour l'opposition, mais l'opposition aux autres qui nous permet de nous raffermir dans nos idées, dans nos manières de faire et de s'accepter différente, mais capable. Et tant qu'on n'a pas fait cela, dans le fond, on n'est pas capable de faire le reste, même si on a toutes les capacités au monde car il faut accepter, assumer le fait de se sentir un peu seule. Assumer les trahisons possibles. Là je parle des côtés qui vont avec l'aspect passionnant de participer à des changements, de les proposer, de les initier.

Ça prend aussi beaucoup de travail. Je parlais avec quelqu'un s'étant impliqué dans un parti politique au niveau d'un comté et qui disait: "c'est énorme le nombre de dossiers à voir". C'est vrai ça demande beaucoup de travail. Si on veut jouer un rôle, il faut connaître bien certains dossiers, mais au fur et à mesure, en connaître davantage. Donc il faut s'intéresser à l'actualité. Il faut se faire une idée de ce que devrait être et de ce qui est.

Il faut apprendre aussi à être à l'écoute des autres, même et surtout des personnes qui nous critiquent. C'est le danger qui vient le plus vite, celui de ne plus écouter. Je dirais que plus on est sûre de soi, plus on est capable d'écouter les critiques. Il faut donc prendre de l'assurance et l'assurance vient en éprouvant ses propres capacités. Se faire dire qu'on est bonne, ça ne nuit pas, ça donne un coup de pouce dans les moments de déprime. Alors ne vous gênez pas pour le dire aux autres car vous vous attendez certainement à vous le faire dire aussi. Se faire dire aussi ce qu'on attend de plus précieux d'un ami ou d'une amie: qu'on nous dise, entre quatre yeux, nos défauts. On a besoin de le savoir, pas pour les corriger tous, c'est terriblement "plat" quelqu'un de parfait, mais pour connaître ses limites. C'est extrêmement important, en particulier si on a à exercer des responsabilités car si on connaît ses limites, on va chercher à se corriger, à s'entourer de personnes qui nous complètent pour faire, à deux, l'équivalent d'une seule personne qui verrait à tout et qui serait indispensable. Mais je pense qu'il s'agit de connaître ses limites car dans certains cas, on a besoin de se faire compléter. Moi je le dis clairement et je pense que les autres devraient en faire autant.

Cette assurance profonde, cette sécurité, il faut l'acquérir sinon on risque de se faire meurtrir ou alors de ne plus être en mesure d'être performante. Même si on est porteuse d'une idée, si on n'a pas l'assurance suffisante, dans le sens de sécurité, de capacité d'affronter les difficultés en cherchant des appuis, on va connaître bien des déboires.

Il faut apprendre à être à l'écoute des besoins. Dans une organisation on doit le faire et encore plus en politique. Qui prétend vouloir organiser l'ensemble des possibilités humaines dans le but d'apporter le meilleur, a besoin d'être à l'écoute. Il est parfois nécessaire de changer d'idée ou alors d'infléchir notre action. Je pense que les femmes possèdent cette capacité d'être à l'é- coute des besoins.

57 La question qui reste est: pratique-t-on ainsi longtemps? Je pense qu'il n'y a pas de recette miracle. Si je ne me sentais pas prête à 29 ans, une autre peut l'être. Il y a près de 20 ans de cela. Je crois que c'est plus facile aujourd'hui. Ça ne veut pas dire que tout va sur des roulettes, mais c'est plus facile pour les femmes. Dans certains milieux, du moins. Il s'agit de plonger et le plus rapidement possible.

On doit se poser cette question, au début ou plus tard: "Ai-je le goût, malgré toutes ces difficultés, de faire avancer les idées auxquelles je crois? Ai-je le goût de m'impliquer dans un parti? Il faut savoir que l'on va retrouver toutes les difficultés d'action rencontrées ailleurs, mais en pire. Mais si on est préparée et bien convaincue, nous serons de plus en plus nombreuses à mettre la main à la pâte publique.

Je pourrais terminer en disant que j'espère que ce sont les femmes qui vont changer la politique et non la politique qui va changer les femmes.

58 COMPTE-RENDU DES ECHANGES FRANCINE LALONDE: LES ETAPES PREPARATOIRES A L'IMPLICATION POLITIQUE

Je suis de très près la politique municipale chez nous et je trouve qu'il est difficile de rejoindre l'information, par exemple en ce qui concerne la documentation venant des gouvernements. Y a-t-il des pistes qui soient plus faciles d'accès?

C'est un problème partout. C'est sans doute en s'impliquant dans un parti qu'on a le plus accès à l'information. C'est certain que lorsqu'on reste dans sa cuisine on n'a pas accès à l'information. Mais il faut être décidée et très opiniâtre pour arriver à ses fins.

Vous avez été sollicitée pour vous présenter comme députée à 29 ans et vous avez refusé car vous vous pensiez trop jeune. Si c'était à refaire, pren- driez-vous la même décision?

R Ce que j'aurais pu faire aurait sans doute été intéressant. Je vous rappelle que cela se passait en 1969. Je pense que c'était nécessaire de faire au préalable les apprentissages que j'ai fait. Mais aujourd'hui, à une femme de 29 ans et qui est bien préparée je dirais "vas-y, si tu t'en sens capable!". Il ne faut pas oublier qu'on a toujours, à tort, tendance à croire que ceux qui sont en place ont de grandes compétences.

I On hésite souvent à se lancer en politique parce qu'on pense manquer d'expé- rience alors que les hommes n'hésitent pas et une fois élus apprennent sur le tas. Cette condition qu'on s'impose nous arrête trop souvent pour accéder à des postes dans lesquels on pourrait être tout-à-fait efficaces.

R Vous avez tout-à-fait raison!

Je milite depuis longtemps dans les mouvements de femmes et j'ai eu à vivre les difficultés et mesquineries que vous mentionniez tout-à-1'heure. J'aime- rais savoir si votre expérience est la même que la mienne, mais enveloppée en bleu au lieu d'en rosé?

Je sais que les femmes sont capables de mesquineries. C'est vrai aussi avec les hommes mais avec cette différence qu'eux sont des hommes et trouvent que c'est une qualité supplémentaire et suffisante pour avoir raison par rapport à une femme. Alors quand ils sont 52, cela suppose qu'on a ajouté la mesqui- nerie à cette différence et c'est difficile à vivre. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas se lancer. Mais il faut que les femmes se posent.

59 Je pense qu'un autre élément qui nous nuit c'est d'être seule de femme dans un groupe d'hommes. Si on était plus nombreuses ce serait déjà un peu plus facile.

R Vous avez raison.

Dans le film que nous avons visionné hier soir on retient que les hommes et la société semblent prêts à nous accepter comme collègues mais pas comme patronnes. Je pense personnellement que tant que les femmes n'acceptent pas de prendre le pouvoir dans la cellule familiale, cet état de fait ne changera, pas. Je pense qu'on peut défendre les enjeux féministes ailleurs que dans l'arène politique. Les femmes sont-elles réellement à l'écoute des autres femmes?

C'est certain que c'est très dur d'être en politique. Mais plus nous serons nombreuses à nous impliquer en politique et ailleurs, plus nous serons capa- bles de faire accepter nos réalités. Mais cela prend une motivation, des nerfs, un soutien, que ce soit dans notre entourage immédiat ou ailleurs. Il faut aussi accepter quand on prend un leadership, le fait que les hommes auront toutes sortes de réactions (qui peuvent aller du paternalisme au flirt ou à la mesquinerie). Et dans ce sens les implications quenousavons eues, les interventions que nous aurons faites, les leaderships que nous aurons assumés ailleurs qu'en politique sont une école. Ce sont des étapes à fran- chir.

I Y a-t-il des aptitudes prérequises pour se lancer en politique?

R Je pense bien sûr qu'il faut des aptitudes. Mais pour moi il est clair que lorsqu'on n'a pas ces aptitudes, on n'a pas le goût d'aller en politique. Et ces aptitudes ne sont pas les mêmes pour chacune. Je sais personnellement que j'ai des qualités et des défauts. Mais lorsque j'entreprends quelque chose je m'associe une personne qui saura contrer ces défauts.

1 Quand on a un caractère de cochon (sic), cela pose-t-il un problème d'entrer dans un parti et de devoir respecter la ligne du parti?

R Cela pose un problème mais cela peut aussi être un atout d'être têtue. Chacune apprend avec les dispositions qu'elle a, en se frottant aux autres. C'est dans ce sens que tout ce qu'on a fait au préalable est une école. Plus on assume de responsabilités, plus on apprend. Mais si on ne plonge pas, on n'apprend pas. Il faut se dire qu'on est bonne car on l'est.

I Je pense que les femmes devraient développer un mécanisme de stratégies qu'on pourrait se partager. Dans vos expériences avez-vous pu identifier des stra- tégies qui auraient dû être utilisées et qu'on pourrait employer à différen- tes implications? 60 R Je pense qu'il faut de plus en plus développer des réseaux de complicité. Je pense que c'est entrain de se faire chez les femmes. Ce n'est pas néces- saire d'être d'accord sur tout, de se voir ou de s'appeler à toutes les semaines. Si on a une occasion de s'appuyer on le fera, même si on ne partage pas tout. Au fond c'est ce que les hommes font. Cet appui peut venir tout autant de critiques et de questions; c'est d'être actives les unes envers les autres. Personnellement j'espère que ces réseaux iront en s'intensifiant.

I Quand j'ai à vivre une difficulté ou une défaite en politique (je m'implique au niveau municipal), je pense à ce que j'ai vécu ou à ce que d'autres ont vécu au niveau de l'Aféas et cela m'aide à passer au travers. Est-ce ainsi pour vous aussi?

R Vous avez raison. Toutes les défaites sont utiles. Il faut regarder pour- quoi c'est arrivé et on se renforce toujours dans une défaite à condition qu'on ne fasse pas que dire "Mon Dieu que les gens ont été méchants". Si on regarde ce qu'on a fait et ce qu'il faudra changer pour l'avenir, je pense qu'une défaite nous aide.

I Les partis politiques actuellement semblent vouloir aller chercher des femmes et je pense que c'est peut-être qu'ils jugent que cela prend un minimum de femmes pour avoir l'air bien-pensant. Cependant je pense que celles qu'ils choisissent, bien que compétentes, ne sont pas des femmes ayant des idées. J'ai l'impression qu'il y a là un danger, et vous?

R C'est vrai. C'est une question qui demande réflexion mais pourtant je me dis que plus les femmes qui ont des idées seront supportées et appuyées par des réseaux, plus elles s'impliqueront et plus les femmes qui auront un rôle politique a jouer auront des idées. Les femmes qui ont des idées ne doivent pas hésiter à s'impliquer mais elles doivent compter sur l'appui des réseaux.

I Souvent les hommes à qui on demande de se présenter, du moins sur la scène municipale, n'ont pas besoin d'avoir fait leurs preuves. Dans un groupe ils ont tout le crédit. Alors que pour une femme on attend qu'elle ait fait beaucoup de choses, qu'elle ait fait ses preuves. Cela est peut-être dû au fait que nous n'osons pas assez. Je pense qu'il faudrait inculquer aux jeunes filles l'idée qu'il n'est pas nécessaire d'avoir atteint la perfection avant de se lancer dans quelque chose si dans leur for intérieur, dans leur âme, elles ont le goût de faire quelque chose. Ne faut-il pas leur dire: "N'attendez pas trop tard, faites vite"?

R Vous avez raison, c'est beau.

I Si on se réfère à la notion de moralité telle que décrite dans le livre de l'Aféas "Comment prendre sa place en politique" je me demande si une femme n'a pas plus de mal à défendre sa moralité qu'un homme. J'aimerais aussi qu'on revienne à la question d'âge. Est-ce que 40 ans c'est trop tard pour une femme? 61 R J'espère bien que non!

I J'habite dans une petite municipalité et j'avais le goût de la politique municipale. Alors je m'y suis préparée. Or quand est venu le temps de prendre la décision de me lancer en politique j'ai hésité car je me sentais très fatiguée. Finalement je ne me suis pas décidée. Après coup j'ai analysé la raison pour laquelle j'ai changé d'idée. Pourquoi je me sentais si fatiguée? J'ai réalisé que cette fatigue c'était de la fatigue anticipée car je me sentais seule. Je n'avais pas d'équipe pour travailler avec moi.

R En somme vous êtes d'accord avec moi sur l'importance des réseaux.

I J'ai un commentaire et une question. Mon commentaire est celui-ci: person- nellement je me suis présentée deux fois au municipal et j'ai été défaite deux fois. Mais j'ai appris et je me suis préparée pour une troisième fois. Ceci s'échelonne sur une période de huit ans. Il ne faut donc pas croire que cela se fait vite. 6 mois, 1 an, c'est très court en politique.

Ma question est la suivante: Où doit-on aller pour chercher des solidari- tés, pour se monter une équipe, se préparer à une élection? Je parle du municipal ou du provincial. J'aimerais avoir une critique sur ce que je fais. Après avoir été battue je suis allée voir mes ennemis pour savoir. Mes amis je les avais de longue date et ils sont là, c'est certain. Ce sont les autres que je veux gagner à ma cause. C'est peut-être un jeu très dangereux que je fais mais je ne sais pas où aller chercher les supporteurs.

R Je ne comprends pas ce que tu veux dire par "lieux". Tu as sans doute une idée là-dessus.

I Moi je vais toujours au pif!

R J'appellerais plutôt cela de l'intuition.

I Personnellement je me suis impliquée après une défaite dans une commission des loisirs ruraux. Cela m'a donné de l'impact, des contacts au conseil municipal et m'a permis d'aller chercher des appuis et d'être élue. Il faut savoir profiter de toutes les tribunes.

I J'aimerais savoir quelles sont les choses qu'on ne doit pas faire quand on se présente en politique municipale?

R C'est difficile pour moi de répondre. En bref je dirais qu'il ne faut pas avoir peur de s'entourer de gens qui vont nous critiquer. Les réactions sont différentes de milieu en milieu et bien sûr, ton discours doit rester le même. Mais si tu connais bien tes défauts et tes qualités, tu trouveras la 62 manière la plus vraie et la plus percutante de développer ton discours pour ce que tu veux faire. Pour savoir ce qu'il ne faut pas faire, pose la question à des personnes qui te répondront honnêtement.

I Est-ce qu'il y a une préparation nécessaire pour passer du public au privé?

R C'est difficile à dire. Je pense que la meilleure chose à faire c'est de plonger. Cela ne sert à rien de retarder pendant 20 ans. Il faut plonger. C'est comme apprendre à faire du ski dans un livre; à un moment donné il faut passer à la pratique. C'est étonnant comme cela devient facile dans la prati- que. Mais chose certaine il faut prendre des risques, il faut accepter cela. Il faut aussi se préparer tout autant à assumer la victoire que la défaite.

I A votre avis, est-ce qu'on a besoin de beaucoup de scolarité pour faire de la politique?

R Quelle belle question. Je ne méprise pas la scolarité. J'en ai et elle m'est utile. Cependant je connais un tas de personnes qui n'ont pas de scolarité mais qui sont des gens absolument brillants, capables de s'exprimer d'une façon remarquable et avec une pensée très bien structurée. Lorsqu'il s'agit d'écrire cela peut être beaucoup plus compliqué mais on n'a qu'à s'ad- joindre des personnes qui peuvent nous aider. La scolarité c'est utile mais l'intelligence, le jugement, la force de caractère, la capacité de s'exprimer n'ont souvent rien à y voir. Le meilleur que j'ai entendu a la C5N n'avait pas de scolarité.

I , Souvent l'après-politique est très difficile. Lors d'une défaite, est-ce que vous croyez que ce serait un pré-requis de se protéger, d'avoir un pacte ou je ne sais quoi?

R C'est vrai que c'est difficile. C'est certain qu'il faut y penser, surtout si on est responsable d'une famille. Il faut s'assurer qu'on ne se retrouve- ra pas au chômage. Personnellement je n'y avais pas assez pensé. Je ne pensais pas qu'il fallait de l'argent. Je vis seule et j'ai mes trois enfants à charge alors j'ai peut-être pris un peu trop de risques même s'ils ont bien accepté ce fait. C'est vrai qu'il faut se protéger car ce qui nous paraît rosé un jour peut devenir très noir le lendemain. Mais cela ne devrait pas nous empêcher de nous impliquer.

I A votre avis est-ce qu'il faut beaucoup d'ambition pour se lancer en politi- que?

R Ce n'est pas un mot que j'aime beaucoup. Pourtant si on définit l'ambition comme le désir de réaliser ses objectifs alors je dirais que je suis ambi- tieuse. Cette volonté-là est nécessaire. Pour réaliser ses objectifs on en a besoin. 63 Il y a un autre mot que les femmes n'aiment pas, c'est le mot "opportunisme". Il faut me semble-t-il savoir être opportuniste. Les expériences que vous avez vécues vous ont sûrement permis de vous faire une opinion là-dessus et ce serait sûrement intéressant de la connaître?

R II y a différentes façons d'être opportuniste. L'opportunisme veut dire être capable de saisir les occasions. Si on se prépare mal, au fond c'est peut- être qu'on ne veut pas vraiment faire des choses.

Mais je crois quand même qu'il y a opportunisme et opportunisme. Si par opportunisme on doit abandonner les choses auxquelles on croit pour pouvoir occuper une fonction, je ne suis pas d'accord. A ce moment j'aime mieux une défaite. Cependant vous avez raison de dire qu'il faut mettre toutes les chances de son côté. Il faut se rappeler toutefois que l'opportunisme n'est pas toujours le même selon les circonstances. Ainsi lorsque je me suis présentée pour le leadership du P.Q. je ne cherchais pas une victoire mais bien l'opportunité d'une tribune publique pour défendre mes idées.

I J'aimerais savoir s'il est important d'être discrète sur certaines choses. Par exemple ne serait-il pas préférable de rester discrète sur ses capacités, puisque le seul fait d'être là prouvent nos capacités. Ne vaut-il pas mieux oublier ce discours au profit de l'action comme tel? Faut-il être en politi- que nécessairement et uniquement pour la cause des femmes ou n'est-il pas suffisant d'être en politique?

R Les femmes sont un peu piégées en politique. Pour imager ma réponse, je ferai référence à la course au leadership du P.Q.. Les femmes ont du retard - à rattraper et à cause de cela nous misons beaucoup sur la solidarité. D'un autre côté ce retard en est un d'égalité. Or si dans la course au leadership je ne pouvais pas me présenter parce que j'étais une deuxième femme, il y avait là un piège. Je ne peux accepter que parce qu'une femme est représen- tée quelque part on pense que tout est dit. Si la promotion de la femme est une promotion à l'égalité, c'est aussi une égalité dans la différence entre les femmes qu'il faut chercher.

Il faut avoir un réseau suffisant de solidarité pour pouvoir s'exprimer dans la différence. Mais par la solidarité il ne faut pas créer un nouveau ghetto. Si je me propose comme leader, je me propose comme leader des femmes mais aussi des hommes.

On reproche souvent aux femmes d'être mesquines les unes envers les autres, alors qu'on pense que les hommes ne le sont pas. Pour avoir travaillé avec beaucoup d'hommes je peux vous assurer que c'est faux. En somme ils ne sont pas mieux et nous ne sommes pas pires. Nous pouvons être d'avis différents en ayant des rapports corrects.

Ma question allait aussi dans le sens de savoir si lorsqu'on gravit les échelons il faut s'afficher en tant que femme? 64 R Personnellement je n'aimerais pas être élue seulement parce que je suis une femme. J'aimerais qu'on m'élise pour mes idées d'abord.

I J'abonde dans le sens des idées. Faut-il s'imposer?

R Je dirais plutôt qu'il faut se poser. Il faut dire "je suis là, j'ai mes idées et vous ne me déstabiliserez pas".

I J'aimerais savoir si vous avez senti la solidarité des femmes ou si vous aviez à la gagner. J'aimerais savoir qu'est-ce qu'il advient d'une femme qui subit une défaite?

R Ce que j'ai sentie lorsque je me suis présentée dans Bertrand et St- Henri c'est que les femmes étaient sensibles au fait que j'en étais une et que nous avions des expériences communes. Ce qui ne veut pas dire que d'emblée elles étaient du même avis que moi.

Par conséquent lorsqu'on subit une défaite, on peut se retrouver assez seule et si on n'a pas un bon coussin sur lequel retomber, on peut avoir des problèmes d'ordre financier et aussi d'ordre affectif. Il y a un risque, il ne faut pas le minimiser. La seule façon de prendre ce risque c'est d'avoir suffisamment le goût de réussir pour se dire que le risque en vaut la peine. Si on n'est pas prête à assumer ce risque, mieux vaut ne pas se lancer en politique. Il faut de plus savoir que toute personne qui se lance en politi- 1 que a le droit de demander un congé sans solde et qu'en cas de défaite elle peut, si elle le désire, réintégrer son poste.

I Je considère personnellement que lorsqu'on est battue en politique ce n'est pas un échec. C'est une défaite tout au plus et la nuance est importante. Idéalement il faut viser la victoire mais si on subit une défaite je pense que cela peut quand même nous apporter beaucoup, ne serait-ce qu'en terme d'apprentissage. Il y a du positif à en ressortir.

J'aimerais aussi rendre hommage à l'Aféas pour toute la formation sociale qu'elle donne. Cela m'a été très utile de savoir ce qu'est un ordre du jour, un procès-verbal, une assemblée délibérante. Et je pense que, dans les étapes préliminaires, il faut penser à cette formation de base. Elle est importante pour être efficace et s'éviter des ennuis.

R II n'y a pas de doute là-dessus. L'implication dans un groupe c'est la base.

I Considérez-vous que le fait d'avoir été nommée ministre avant d'être élue vous a nui? 65 R 3e ne pense pas. Il y a beaucoup de personnes qui ont été élues d'abord, nommées ministre après pour finalement être battues dans une élection subsé- quente. Je pense que compte tenu des circonstances, j'ai fait un excellent score et surtout j'ai eu une tribune pour défendre mes idées.

I Vous avez mentionné qu'il faut avoir de l'assurance. Pouvez-vous nous indi- quer comment on peut acquérir cette assurance?

R Je pense que la meilleure solution c'est de se lancer dans l'action. Plus on fonce, plus on prend de l'expérience et donc, plus on prend de l'assurance, jusqu'à ce que cela devienne étonnamment facile.

Ceci dit j'ajouterais que si on a peur des femmes ce n'est pas parce qu'elles sont faibles mais plutôt parce qu'elles sont fortes. Personnellement il m'est arrivé de pleurer. Un homme prendra une brosse (sic), moi j'ai pleuré. Il ne faut pas confondre les larmes avec la faiblesse. Nous sommes différentes c'est tout et il faut assumer cette différence.

Pour les jeunes femmes dans la vingtaine qui songent à aller un jour en politique est-ce qu'il y a un champ d'étude que vous recommanderiez tout spé- cialement?

R Ma réponse évidemment est subjective. Si on a le goût de la politique au niveau national je pense que l'histoire sera particulièrement utile. Elle permet de voir comment les peuples ont évolués. J'ai été professeur d'his- toire et cela m'a bien servie. Cela permet de savoir comment s'inscrire dans le temps. Quand on sème une idée on sait qu'elle germera peut-être beaucoup plus tard.

D'autres atouts sont la curiosité et la rigueur intellectuelle et cela peut se développer à bien des endroits.

I J'ai parfois l'impression qu'il faut d'abord aller chercher les hommes avant d'avoir l'appui des femmes. Comment aller les chercher?

R Je pense que plus nous prenons des responsabilités, plus nous devenons sûres de nous et plus nous inspirons confiance. Et c'est ainsi que se forment des réseaux d'hommes et de femmes. Cela demande du travail mais il faut se poser. C'est vraiment plus difficile pour les femmes que pour les hommes, je pense que c'est encore vrai.

J'aimerais que vous commentiez la notion de séduction et comment on doit s'en servir? 66 R II est clair qu'on ne peut pas faire de politique sans séduire. Il faut séduire les hommes et les femmes. C'est un ingrédient mais on ne peut pas baser une action là-dessus. Il ne faut cependant pas le sous-estimer. Il y a du pour et du contre. En fait,la séduction peut nuire autant qu'aider.

I Les femmes refusent souvent l'arme de la séduction. Elles préfèrent monter mieux leurs dossiers, s'appuyer sur d'autres stratégies. Pourtant la séduc- tion pourrait être utile.

R C'est qu'on ne veut pas être accusée de tomber dans des travers.

I Je pense qu'il faut être consciente de ce pouvoir, qu'on doit l'utiliser?

R C'est vrai et je pense qu'on s'en sert d'instinct.

67 ATELIER 2: IMPACT SUR LA VIE FAMILIALE, SOCIALE ET PROFESSIONNELLE ALLOCUTION DE MADAME LOUISE HAREL

Je pense que nous vivons une époque importante. Je bénéficie beaucoup, moi aussi, de toute cette réflexion sur l'accès des femmes au pouvoir politique commencée depuis presqu'une décennie. Si on regarde en arrière, le chemin parcouru s'est fait rapidement. Il y a maintenant 46 ans que les québécoises sont des citoyennes à part entière, ont le droit de vote et le droit d'éligibi- lité, obtenus en 1940 après plusieurs années d'attente et de démarches au parle- ment. Grâce au pèlerinage annuel de madame Thérèse Casgrain et de ses compagnes qui réussissaient chaque année à trouver un député masculin à l'Assemblée Natio- nale pour présenter un bill privé et qui, à chaque année, pendant 13 ans, se voyait refuser. C'est donc encore tout récent notre reconnaissance de citoyen- nes à part entière.

Il faut constater l'absence chronique des femmes en politique. A l'Assemblée Nationale, par exemple, des études du secrétariat de la réforme parlementaire (des études qui d'ailleurs sont disponibles pour celles d'entre vous qui aimeraient fouiller la question) ont démontré qu'à peine 2,Q% de l'ensemble des sièges qui ont été occupés à l'Assemblée Nationale l'ont été jusqu'à maintenant par des femmes. Cette absence chronique pose une question de fonds puisqu'elle provoque à peu près le raisonnement suivant: lorsqu'une femme accède à l'Assemblée Nationale, ses collègues se disent: "si elle est là, c'est parce qu'elle n'est pas comme les autres (femmes). Si elle était comme les autres (femmes), elle n'y serait pas, puisque les autres (femmes) n'y sont pas". Vous voyez un peu le cercle vicieux.

Fondamentalement, qu'en est-il? Toute femme qui accède au pouvoir politique doit, tôt ou tard, décider si elle sera comme eux (hommes), donc différente de nous, ou bien si elle sera comme nous et donc différentes d'eux (hommes)? Cette question est vraiment fondamentale. C'est à partir de là que s'ajustent les comportements des uns et des autres. Cela veut dire quoi? Je vais vous donner quelques exemples. Vous savez déjà qu'il n'y a pas une femme qui a accès à la vie publique ou à des hauts postes sans se faire poser l'inévitable question "Comment faites-vous pour concilier la vie familiale, la présence des enfants avec votre vie professionnelle et parlementaire?" C'est vraiment une question qu'on ne pose qu'aux femmes en politique. Pourquoi les hommes n'ont-ils jamais à y répondre?

Parce qu'il nous faut conclure que cette société n'a pas réconcilié la vie publique et la vie privée. Qu'est-ce que cela veut dire? La vie publique a depuis toujours été l'apanage des hommes et la vie privée (par vie privée j'entends les responsabilités familiales, conjugales, parentales, l'ensemble de ce qui constitue les rapports humaines) est attribuée principalement aux femmes. Les formes sont maintenant quelque peu modifiées mais les valeurs demeurent. Madame Payette illustre bien cet aspect lorsqu'elle disait qu'être un homme public c'est être un homme au service de ses concitoyens alors qu'une femme publique est une femme déplacée. Si elle est déplacée dans la vie publique, c'est qu'on considère que sa place est dans la vie privée.

68 J'ai beaucoup réfléchi à tout ceci, il y a quelques années, avec une grande amie à moi, qui a mis sur pied les comités de condition féminine au sein du parti Québécois. Une infirmière de métier qui a exercé jusqu'à sa première grossesse à l'âge de 28 ans, puis qui a quitté la vie professionnelle pour élever ses enfants. Elle militait bénévolement au sein du parti Québécois. Je me rappelle qu'en 1977 elle était très active préparant mémoires, communiqués, se présentant devant toutes les tribunes pour défendre ses idées. Invariablement elle se faisait demander: "Oui, mais c'est ce que vous pensez mais les vraies femmes elles, qu'est-ce qu'elles pensent?".

Il n'est plus fréquent d'entendre cette expression "des vraies femmes", mais ce n'est pas parce que les choses ne sont plus dites qu'elles ne sont pas pensées. C'est quoi une vraie femme? La question, je vous le rappelle, était posée à une femme qui en avait tous les attributs et qui, par son engagement, devenait en quelque sorte une personne publique, défendant ses convictions publiquement. C'est cela sans doute qui n'était pas considéré comme "naturel". J'ai entendu en 1978 un homme estimé, M. René Lévesque, dire de , femme tenace et énergique, qui venait d'être élue députée de Hull, pour souligner la contribution qu'elle avait eue à l'exécutif national, qu'elle était "le meilleur homme de son équipe"!

Je le dis de Monsieur Lévesque mais on pourrait le dire de beaucoup d'autres qui sans le dire ne le pensent pas moins. N'est-ce pas ces mêmes propos que l'on tenait à propos de Madame Ferraro, candidate à la vice-présidence des Etats- Unis, l'an dernier. Il faut prendre conscience que lorsqu'une femme occupe un poste politique, on s'attend à ce qu'elle l'occupe comme un homme. On est encore si peu nombreuses qu'il est impossible de modifier cette règle du jeu d'où le sentiment d'être toujours à contre-courant. En plus de la règle de la ligne de parti, de la règle de la solidarité ministérielle, cette règle étouffe puisqu'elle est la règle commune de la partie.

Le malaise vient du fait qu'une femme dans les lieux de pouvoir doit consacrer beaucoup d'énergies pour ne pas renoncer à ce qu'elle est, pour ne pas perdre sa différence. Vous avez peut-être déjà vécu ce malaise quand on vous a sollicité pour occuper un poste de présidente d'une association professionnelle, par exemple, ou tout autre poste. Lorsqu'une femme est sollicitée pour un tel poste, elle fait la somme de ce qu'elle a à perdre, elle évalue ce à quoi elle devra renoncer. Tandis que le phénomène est tout à fait l'inverse chez nos collègues masculins: en général, ils calculent tout ce que cela va leur rapporter avant de prendre une décision» Ce processus est réel et important et on ne parviendra pas à augmenter notre nombre si on ne se dit pas la vérité pour y faire face. Toutefois, j'ouvre une parenthèse pour vous parler tout de suite des immenses plaisirs que l'on peut ainsi retirer de la vie publique: aller au maximum sinon au-delà de ses capacités, c'est extrêmement satisfaisant pour n'importe quel humain.

Etre en politique, c'est être mise en situation de dépassement constant, c'est se donner la possibilité de s'étonner soi-même. Il faut être oratrice, animatrice, organisatrice, communicatrice, capable de synthèse, d'analyse. Tout cela, les femmes sont capables de le faire et d'en être capable procure un sentiment de bien-être! Ce sentiment de plaisir intense vous le ressentez aussi

69 lorsque vous réalisez que vous arrivez à changer l'ordre des choses par la force de votre volonté. Ce plaisir est d'ailleurs ressenti tout autant par les hommes que par les femmes. Mais le prix à payer pour ce plaisir est beaucoup plus élevé pour les femmes. C'est évident pour les mêmes raisons que nous venons d'examiner.

Un exemple suffira à démontrer les exigences différentes à l'égard des femmes en politique. Quand Mila Mulroney a eu son quatrième bébé, Brian est allé faire une conférence de presse, à l'hôpital, le lendemain de l'accouchement et cela a fait la première page de tous les journaux du Canada. Brian avait un ourson dans les mains et je suis convaincue que d'un océan à l'autre les gens ont dit: "Que c'est beau! qu'il a l'air d'être un bon père!" On dit de Jean Doré, qui sera sans doute le prochain maire de Montréal, qu'il donne tous les matins le biberon à Magalie. Cela fait partie de son image publique aussi sincère soit-il dans sa paternité politique? Vous connaissez ce sentiment répandu dans les médias et dans l'opinion publique: qu'elle utilise ses enfants! Quand Pauline Marois a fait une conférence de presse après avoir accouché (c'est elle qui a fait la conférence pas son mari) elle ne l'a pas fait pour dire comment cela c'était passé comme pourtant Brian avait fait pour Mila. Mais lui n'a suscité aucune réaction négative, n'a été accusé par personne d'utiliser ses enfants. Il est évident qu'on a des exigences très différentes pour une femme ou pour un homme en politique. Les femmes sont censées tout concilier, exercer tous les (leurs) rôles sans rien dire. C'est une règle du jeu qu'il faut dénoncer car je ne pense pas que nos filles accepteront de cumuler et payer le prix du cumul comme on le fait.

Un autre exemple? J'ai une collègue à l'Assemblée Nationale que je retrouvais dernièrement dans l'avion entre Montréal et Québec. C'est une dame d'une cinquantaine d'années qui a deux grands garçons et un mari. Je lui dis "mon Dieu que vous avez l'air détendue!" Je ne la connaissais pas avant les élections de décembre dernier. |A l'ouverture de la session elle m'avait donné l'impression d'une femme tendue et fatiguée. Alors elle me répond: "vous savez j'ai fait un séjour à l'hôpital cet été car j'étais complètement épuisée". Elle me confie: "vous savez quand j'ai été élue, j'ai voulu que mon élection ne change rien pour mes fils et mon mari. Alors comme j'étais sa partenaire dans l'entreprise familiale, je faisais le travail à mon retour la fin de semaine, la nuit. Le samedi je faisais l'épicerie et le dimanche je préparais tous les repas pour être bien certaine que mon élection n'allait rien changer pour eux". Est-ce que ça vous étonne qu'elle se soit retrouvée à l'hôpital complètement épuisée? Et pensez-vous qu'il y a un seul homme élu à l'Assemblée Nationale depuis qu'elle existe qui, une fois élu, n'a pas décidé que la vie de sa famille allait changer et qu'il était tout à fait normal que cela change? Au contraire, une femme doit prouver que son élection à l'Assemblée Nationale ne modifie en rien sa vie familiale. C'est là la différence fondamentale.I

Je voudrais terminer par l'exemple suivant. J'ai seulement une fille de 11 ans. Le prix à payer pour m'être impliquée en politique, c'est seulement à quarante ans que je m'en rends compte, c'est d'avoir toujours retardé mes grossesses. Je parle pour ce qui me concerne moi bien sûr. J'aime les petits bébés et lorsque j'ai été enceinte une première fois, la satisfaction que j'ai ressentie était telle que je me disais "quelle chance d'avoir d'autres occasions de recommencer!". Puis, j'ai retardé, comme bien des femmes le font, pour toutes

70 sortes de bonnes raisons dont le barreau, le référendum, les élections etc... et je n'ai toujours qu'une fille. Il faut être bien consciente du poids de ces réalités dans la vie privée, dans la vie familiale, dans la vie professionnelle d'une élue.

Quand nos collègues masculins disent qu'au fond la vie publique est aussi exigeante pour eux que pour nous, ils ont tort. C'est vrai que la règle du jeu est non pas la règle du meilleur,mais la règle du plus fort. Si c'était la règle du meilleur, nous serions bien plus nombreuses! Ce n'est pas parce que vous êtes bon que vous gagnez en politique, ce n'est pas parce que vous avez raison que vous gagnez. La règle du pouvoir, c'est la règle de la force, du rapport de force.

Je reviens à l'exemple de ma fille. Je me souviens, lorsqu'elle était jeune, lui avoir acheté un beau camion de pompier rouge, énorme, en me disant qu'elle pourrait s'initier à un nouveau modèle par un jeu non-stéréotypé. Quand elle a mis le camion entre deux chaises en me disant qu'elle voulait être mécanicienne, j'étais au comble de la joie. Par la suite pourtant, une amie m'a dit: "Si c'était un garçon, le laisserais-tu jouer à la maman devant la maison, t'emprun- ter ton sac à main et pousser un carosse avec des poupées en te rendant compte qu'il y prend beaucoup de plaisir?" Et là, j'ai réalisé que oui vraiment je me sentirais un peu mal à l'aise vis-à-vis des voisins et des voisines. Très certainement, c'est cette chaîne-là de comportements stéréotypés pour les hommes comme pour les femmes qu'il faut briser.

71 COMPTE-RENDU DES ECHANGES LOUISE HAREL: L'IMPACT SUR LA VIE FAMILIALE, SOCIALE ET PROFESSIONNELLE

I II y a une difficulté au niveau de la cellule familiale. On prend pour acquis que la femme doit tout faire. Est-ce la société qui lui impose cela ou le mari? Par où faut-il commencer pour changer cette situation?

R II y a des renégociations à faire avec le mari c'est certain. Il ne faut pas oublier cependant que l'un influence l'autre. Il faut dire aussi que les femmes ont la responsabilité familiale en elles de manière profonde. Il faut aussi re-négocier cela avec nous-mêmes. Il faut cesser de se culpabiliser.

I On a entendu, lorsque Madame Marois s'est présentée à la chefferie du P.Q., des personnes dire: "C'est impensable qu'elle soit Premier Ministre. Ses enfants ont besoin d'elle". Or on sait que dans ce cas bien précis, le mari de Madame Marois est prêt à assumer ces tâches. On n'a jamais dit une chose semblable d'un homme en politique. Alors je suis convaincue qu'il faut changer les mentalités de la société et pas seulement négocier avec le con- joint. Ce n'est pas acquis dans la société que la femme a droit à sa place.

R Vous avez raison. Pourtant autrefois quand les femmes avaient une dizaine d'enfants je ne pense pas qu'elles avaient le temps d'être aussi présentes à chacun, ce qu'on exige à présent. On disait de ces familles que c'étaient de belles familles. Il n'y avait pourtant pas autant de temps consacré aux enfants que maintenant. Je pense que ce n'est pas seulement une question d'enfants mais plutôt de rôle qu'on nous attribue dans la société. Je ne sais pas si la population serait prête à accepter une Première Ministre célibataire. Il faut se rendre compte qu'une femme c'est un risque. On a peur de ne pas pouvoir la contrôler, on a peur qu'elle ne veuille pas suivre les règles du jeu des hommes.

Dans les partis politiques il y a encore des eminences grises et les choses ne changeront pas tant qu'il n'y aura pas d'éminences blondes ou brunes. Je crois que la population est de plus en plus prête à accepter les femmes en politique, peut-être pas parce que nous avons plus de qualités, mais plutôt parce qu'on pense que cela ne peut pas être pire. Chose certaine si on était là, ce serait différent.

I Parlons des conséquences au niveau social, professionnel de l'implication politique.Quelles sont les choses à faire? Moi par exemple, je suis céliba- taire.

72 R Dans la politique homme célibataire ou marié, ça ne fait pas de différence. La femme célibataire, elle, a plus de chances d'aller plus haut, d'accepter plus de responsabilités. Cependant la socialisation des filles est la même, qu'elle soit mariée ou célibataire, une fois adulte. Nous n'avons pas appris la compétition et c'est une grande lacune. En politique on ne cherche pas à convaincre, on complote. Donc on doit apprendre à ne pas sortir en morceaux d'un combat.

J'ai remarqué que les femmes en politique ont tendance à se féminiser davan- tage c'est-à-dire à augmenter ou utiliser davantage tous les attributs fémi- nins. Moijpar exemple^je mets du rouge sur mes ongles chose que je ne faisais pas avant. Je me demande si nous ne faisons pas cela justement pour ne pas qu'on oublie que nous sommes des femmes, nous qui vivons quotidienne- ment dans un monde stéréotypé masculin. Il ne faut pas oublier que le pouvoir donne de la séduction aux hommes et en enlève aux femmes. C'est une réalité très importante. Les femmes au pouvoir sont menaçantes et on ne les considère pas comme des personnes qu'on peut séduire. C'est peut- être ce qui amène chez nous une surenchère de la féminité.

Un autre préjugé qui existe est l'aspect physique: carrure, voix que les gens s'imaginent qu'on doit avoir. On nous imagine grandes et bien bâties avec une voix très forte. Une femme qui a du pouvoir doit ressembler à une mégère.

Mais nous avons au moins un avantage, c'est notre sens inné de la gestion du temps. Les nombreuses responsabilités que toutes les femmes assument font que nous savons très bien organiser notre temps. Je vous jure qu'en 6 ans je n'ai jamais vu une femme faire perdre du temps à l'Assemblée Nationale. On ne parle pas pour passer le temps. C'est un élément très positif qu'on apporte dans la vie publique. Mais quand on doit siéger jusqu'à 4 ou 5 heures du matin aux fins de sessions, je pense qu'il y a une discrimination qui est sous-jacente à nos rôles. Les nommes n'ont pas besoin de se lever le matin pour faire le déjeuner ou coudre un bouton.

I Un homme n'aura jamais à négocier une maternité. Pour une femme c'est quel- que chose qui sera toujours à négocier et ce sera toujours un prix énorme à payer. Qu'en pensez-vous?

R Je me rappelle il y a quelques années, le C.S.F. avait organisé un colloque. Pauline Marois était alors Ministre de la condition féminine. Elle venait d'accoucher, cela faisait huit ou dix jours. Je l'ai donc remplacée. J'ai été très surprise de constater qu'on reprochait à Madame Marois de ne pas être présente. A un moment, j'ai dû la rejoindre par téléphone et lorsque je lui ai appris la réaction des gens elle fut tentée de venir au colloque.

73 Je m'y suis opposée. Je pense que si nous-mêmes ne respectons pas nos congés de maternité, il sera difficile de les faire respecter par les autres. Je suis convaincue qu'on ne gagnera rien à faire comme si nous étions des hommes. Nous vivons dans une société qui dit vouloir que les femmes aient des enfants mais en même temps, cette même société fait peu de chose pour nous faciliter la tâche lorsqu'on en a. Alors c'est évident qu'on a encore beaucoup de chemin à parcourir.

Les femmes ont besoin d'appuis. Il me semble qu'il faudrait s'entraider davantage entre femmes. Le manque d'appui me révolte. Que peut-on dire aux femmes dans ce sens?

R Actuellement on ouvre le chemin. On travaille à l'aveuglette et on fait de la place pour les autres. En ce sens je pense que nous devrions être très tolérantes envers celles qui sont en politique. Ce n'est pas simple, ce n'est pas facile.

I Lors d'un sondage récent fait par CROP on a vu que la majorité des gens, qu'ils soient hommes ou femmes, étaient indifférents à ce que le Premier Ministre soit homme ou femme, pourvu que ce soit une personne compétente. Je trouve cela très significatif. Pourtant je sais que dans son parti, les gens n'ont pas aidé du tout Pauline Marois. J'aimerais avoir votre impression sur ce constat: le langage politique exclue les femmes. Les femmes ne voient pas l'importance symbolique de cette exclusion. Quand vous n'avez pas de sens au niveau symbolique, vous n'avez pas de légitimité pour être là. Ou sinon vous devez l'être comme un homme. Je me dis que tant qu'on ne fémini- sera pas le langage politique, nous n'aurons pas de légitimité réelle. J'ai- merais connaître votre point de vue sur la féminisation du langage politique?

R Cette féminisation ou son absence n'est pas sans signification. Actuellement en politique lorsqu'on s'adresse au public, on utilise beaucoup le féminin. On dira "les québécoises et les québécois, les montréalais et les montréa- laises etc...". Mais dans la dynamique privée, caucus ou rencontres, dans le feu du débat, règle générale on parle des "gars". Je me souviens d'avoir déjà dit: "Ecoutez si vous êtes les gars, nous on est les garces". Il faut les rendre conscients de cela. Le langage politique est un langage de combat essentiellement masculin. Les femmes ne sont pas familières avec ce langage et cette dynamique. Lorsqu'on les utilise, par exemple en donnant un coup de poing sur la table, on nous le reproche. Il nous faut donc trouver notre propre mode d'expression.

I J'ajoute un commentaire sur le thème du langage. Je pense que cela va très loin. Quand on dit un homme public, c'est quelqu'un de bien. Quand on dit une femme publique, c'est une putain. Quand on dit d'un homme que c'est un professionnel, c'est très bien, quand on dit d'une femme que c'est une pro- fessionnelle, on veut dire que c'est une putain. Je vous observe depuis tout-à-1'heure et je pense que vous êtes un grand orateur et je dis bien orateur. Mais vous avez en plus beaucoup de grâce et de féminité. Je pense que vous êtes un bel exemple de ce que nous faisons. Nous prenons ce qu'il y a de bon chez les hommes et nous l'adaptons à nous. Je trouve cela formida- 74 Concrètement, j'aimerais savoir ce qui culpabilise la femme qui va en politi- que. Est-ce sa mère, les parents, les enfants, les journalistes? Comment la femme en politique peut-elle vivre avec cette culpabilité que peut-être elle ne ressent pas mais que d'autres lui feront ressentir? D'où cela vient-il?

Cela vient des rôles qu'on nous enseigne dès la petite enfance. Cela vient de la société et des rôles qu'on nous attribue et envers lesquels nous nous sentons redevables. On sait bien que des comptes peuvent nous être demandés. Actuellement la femme doit tout concilier parce que la société n'a pas encore reconcilié les rôles.

I J'ai l'impression que dans les entrevues avec les journalistes, les questions concernant la vie privée des hommes politiques sont beaucoup plus réservées. Je me demande si les femmes en politique ne devraient pas faire front commun et refuser catégoriquement de répondre à des questions sur leur vie privée.

R L'ennui c'est que si on ne rend pas de comptes, les gens qui nous écoutent en concluent que ça va mal. Par ailleurs je suis favorable à ce que chaque fois qu'on pose ce genre de question à une femme en politique, elle demande au journaliste s'il pose la même question aux hommes.

I Puisqu'on sait que les rôles ne sont pas réconciliés, est-ce que cela sous- entend que le mari d'une femme en politique devra jouer le même rôle que la femme d'un homme politique? Voyez-vous une possibilité pour que dans un couple l'homme et la femme soient actifs? Est-ce conciliable?

R Actuellement je pense que c'est chacune qui peut donner sa réponse. Il n'y a pas de modèle à suivre. Il faut régler soi-même son cas. L'exemple que je donnais sur la gestion du temps et les horaires de travail est valable ici aussi. Vous savez lorsqu'on siège il y a des pertes de temps. Ou encore quelqu'un sera considéré comme vraiment bon s'il peut parler pendant 20 minutes sur un sujet qu'il ne connaît pas. Nous les femmes n'agissons pas ainsi. Nous allons en politique pour régler les problèmes, pas pour les transférer aux autres.

I Justement, est-ce qu'une femme qui s'implique en politique ne transfère pas le problème en demandant à son conjoint d'assumer les tâches?

R Ce que vous venez de dire confirme ma théorie selon laquelle les critères d'appréciation ne sont pas les mêmes pour les hommes et pour les femmes. Je pense qu'il faut exiger l'égalité dans la différence.

I J'aimerais féliciter les femmes qui ont le courage de se présenter au niveau fédéral ou provincial. Personnellement je me suis présentée en politique municipale et je suis tout-à-fait d'accord avec vous pour dire que dès qu'on 75 se présente en politique on devient une cible. Comme le gouvernement munici- pal est très près du peuple j'en suis arrivée à me culpabiliser (à cause des commentaires qu'on faisait sur moi) même si ma famille était tout-à-fait d'accord avec mon engagement. On allait même jusqu'à surveiller si j'al- lais à la messe le dimanche. C'est malheureusement une réalité. A l'avenir il faudra penser à gagner les hommes à notre cause, c'est très important.

R Je suis très contente de votre intervention. Il faut en effet parler de nos réalités avec nos collègues. Il y a une sensibilisation à faire. Ce n'est pas parce que les femmes ne sont pas intéressées à la politique qu'il y en a si peu. C'est parce que la vie politique n'est pas organisée pour que les femmes puissent y accéder sans douleur. Il faut aussi s'accepter, accepter nos différences et les assumer. C'est l'égalité dans la différence. Il ne faut jamais perdre l'estime de soi. Ne jamais abdiquer au profit de valeurs qui nous sont étrangères.

I Quand une personne (homme ou femme) exerce une fonction publique, on oublie souvent que l'autre qui est à la maison lui facilite la tâche tant sur le plan matériel que moral. Or cette personne qui facilite la tâche est rare- ment valorisée.

R C'est vrai jusqu'à un certain point. Je pense que derrière un homme en politique, il y a toujours une femme. Mais derrière une femme en politique il y a toujours une femme, pas un homme. Et cela ne changera pas tant que la société n'aura pas vraiment changé les choses.

76 ATELIER 3: COMMENT VIVRE LE POUVOIR ALLOCUTION DE MADAME CELINE HERVIEUX-PAYETTE

D'abord je suis très heureuse d'être parmi vous et d'avoir été invitée. Je dois dire que c'est pour moi une des préoccupations importantes, même si je ne suis plus sur la scène publique depuis 1984, je ne peux pas dire que la politique m'a laissée instantanément. Je suis encore présidente de mon association de comté et j'ai continué à travailler au sein de l'équipe du parti Libéral. Il faut reconnaître que l'Aféas a certainement le bon "timing" dans le thème de son colloque. Tout l'ensemble du dossier qui a été mis sur pied par l'Aféas sur la politique, je peux vous le dire pour avoir passé à travers toutes ces phases , est une recette infaillible. Pour celles qui veulent faire de la politique, cela peut devenir votre bible, ce n'est pas épais mais toutes les recettes sont dedans.

J'aimerais vous définir le mot pouvoir car c'est un mot un peu mystérieux, pour qu'on s'entende sur quoi on parle, pour que vous sachiez ce que moi j'entends par pouvoir. Avant de regarder "comment vivre le pouvoir", il faut savoir lequel. Dans nos démocraties occidentales le pouvoir généralement vient des gens qui vous confient un mandat d'agir pour et en leur nom dans différents domaines. Comme députée fédérale ou provinciale, vous agissez pour votre cir- conscription; si vous êtes à la mairie, c'est pour votre municipalité; si vous êtes à la commission scolaire, c'est évidemment pour le territoire scolaire oO vous êtes élue.

Vous êtes toujours investie d'un pouvoir venant d'une base démocratique, qui exerce son droit de vote et vous confère des responsabilités. Le pouvoir additionnel du ministre, il relève d'un autre niveau puisque c'est le premier ministre qui choisit ses ministres, alors c'est une autre forme de pouvoir. Le premier ministre, son premier pouvoir c'est justement celui de nommer son cabi- net, de s'associer des personnes qu'il choisit pour partager son pouvoir par secteur puisque le premier ministre ne dirige pas tous les ministères. Chaque ministère est confié par loi à un ministre assermenté. Il a un mandat et suit une loi qui l'habilite à diriger un secteur bien défini au niveau des activités et des pouvoirs qui lui sont conférés lorsqu'on lui donne un portefeuille. Donc la première fonction du premier ministre, son premier pouvoir, c'est de nommer les ministres et de présider le conseil des ministres.

Il existe, en dehors du pouvoir de ce domaine politique, le pouvoir législatif détenu par tous les députés. Vous avez aussi le pouvoir exécutif au niveau des ministres et du premier ministre. Vous avez le pouvoir judiciaire exercé par la magistrature, mais qui a quand même une influence sur le législatif, puisque c'est l'interprétation des lois, il y a quand même cet aspect de balancier. Il y a d'autres pouvoirs, évidemment. Il y a le pouvoir économique que tout le monde connaît et qui est aussi mystérieux. Il y a le pouvoir des groupes de pression, qui ont différents intérêts à défendre, comme les syndicats et comme l'Aféas. Alors chacun est investi d'une partie du pouvoir. Une personne qui a tous les pouvoirs dans une société démocratique vous en connaissez peut-être, mais moi je n'en connais pas. Il y a des personnes qui ont tous les pouvoirs, mais alors on se situe dans les pays totalitaires. Et encore ce pouvoir est 77 partagé par un groupe d'individus car une seule personne peut rarement cumuler toutes les forces du pouvoir.

Comment vivre ou exercer le pouvoir? Il faut d'abord se dire qu'il faut con- vaincre entre 50,000 et 60,000 électeurs au fédéral et entre 25,000 et 30,000 électeurs au provincial d'avoir confiance en vous. Et la façon d'accéder à ce pouvoir est peut-être de se pencher sur les aspirations et les besoins des gens puis leur faire valoir comment on peut les représenter. Cela implique évidemment un rôle de consultation. Mais d'abord et avant tout, pour moi, le pouvoir initial, c'est de soi-même savoir ce qu'on va faire en politique, losqu'on décide d'y aller. Il faut présenter ses options aux électeurs ou en tout cas à ces constituants (ce sont des membres dans une association par exemple) et leur dire exactement ce qu'on entend faire pendant le mandat.

Ce pouvoir, qui vous est confié par une collectivité s'exerce aussi au niveau des individus et c'est un pouvoir de dépannage administratif. Quand quelqu'un vient voir un député à son bureau de comté, les trois-quarts du temps c'est parce qu'un dossier est accroché dans l'administration publique et le rôle du député, à ce moment là, en estundbmbudsman ou d'ombudswoman (si ça existe). En fin de compte lorsqu'il y a des différends avec l'administration, dans l'appli- cation des lois, la personne qui se sent lésée vient voir son député. Un des rôles importants, lorsqu'on vous investit du pouvoir au niveau d'une constituan- te électorale, c'est de rester en contact avec les individus. Dans le cours d'un mandat je calcule qu'on voit peut-être 2,000 personnes par année et on parle à quelques centaines directement. Donc si vous avez 50,000 à 60,000 électeurs c'est sûr que dans un mandat de quatre ans vous avez peut-être pu en toucher 2,000 à 3,000. Comment rester en contact avec ces gens-là? C'est généralement par le biais des groupes représentatifs, avec les chefs de file, donc avec ceux qui partagent les pouvoirs à d'autres niveaux.

La limite du pouvoir pour le député? Le député peut ou peut ne pas voter sur une loi, il peut suivre les orientations de son gouvernement, ou l'influencer par le biais de son caucus pour adopter des lois. Son premier pouvoir c'est de déterminer le cadre dans lequel la société va évoluer et de pouvoir l'influen- cer.

Le pouvoir additionnel, peut-être une marche plus haute, est celui du ministre. Lui peut concevoir la loi, commander des études qui vont avec la loi, l'adminis- trer, rédiger et adopter les règlements nécessaires. Au niveau de l'orientation des politiques d'un pays un ministre a évidemment plus accès aux mécanismes de pouvoir. Et le pouvoir avec sa connotation négative, pour moi c'est le pouvoir discrétionnaire. C'est le plus mystérieux. C'est celui qui est le plus discré- dité en général. Le mot pouvoir a quand même souvent une connotation négative et c'est celui qui dit: "Voici, le ministre peut nommer des gens pour occuper des fonctions" et à ce moment-là cela s'est fait de façon discrétionnaire. Il peut donner des mandats à sa guise. Ce pouvoir discrétionnaire, tout en étant un pouvoir très important, est un pouvoir qui a ses limites car en vous inves- tissant de ce pouvoir-là, on vous donne aussi le pouvoir de vous couler avec. Il y a autant de positif que de négatif.

78 Est-ce qu'il y a une différence pour exercer ou vivre le pouvoir lorsqu'on est une femme? Personnellement je dis que non. Il faut, je pense, dans ces aspects du pouvoir politique que les hommes et les femmes suivent les mêmes règles. Et une des règles fondamentales est celle du réseau, des appuis parce qu'une seule personne n'est pas investie de tout le pouvoir, c'est un réseau de personnes. Quand on connaît le mécanisme du processus décisionnel, que ce soit dans les instances politiques locales, nationales ou provinciales, on sait qu'il faut qu'il y ait une majorité dans un caucus qui se range à une idée et à une option. Même si on a l'idée la plus merveilleuse de la terre, s'il n'y a personne qui l'achète, on ne fait pas beaucoup de millage et on est un peu frustrée de ne pas avoir vendu son idée. Alors je pense que cette recette vaut autant pour les hommes que pour les femmes. Le pouvoir ne réside pas dans une personne mais dans la capacité de convaincre.

Evidemment des appuis sont nécessaires à l'intérieur des structures du parti du gouvernement, mais il faut aussi avoir des appuis à l'extérieur. C'est impor- tant, par exemple, lorsqu'on a des dossiers qui touchent des associations comme l'Aféas et d'autres organismes, d'avoir également l'espèce d'inter-force entre le pouvoir des groupes de pression et le gouvernement. La décision finale appartient toujours au gouvernement mais si vous avez trois organismes de pres- sion dans un secteur et que vous allez à contre-courant, vous avez de grosses chances pour que votre pouvoir politique s'effrite assez rapidement.

J'ai choisi d'exercer le pouvoir à l'intérieur d'un parti politique où j'ai coordonné la préparation du programme des élections provinciales pour le Parti Libéral du Québec en 1973 (j'étais coordonnatrice du programme) et au fédéral en 1980 alors que j'étais présidente nationale de la commission politique du Parti Libéral du Canada. Dans les deux cas il s'agissait, d'une part, d'avoir les personnes ressources pour toucher tous les aspects de la politique d'un pays ou d'une province, mais également d'avoir l'appui de toutes les instances du parti pour pouvoir véhiculer ce programme-là. Un programme n'est pas quelque chose qu'on impose d'en haut. C'est quelque chose qui doit faire le consensus et cela demande énormément de consultation et de sensibilisation aux autres pouvoirs. Donc dans les deux cas et encore plus en 1973, on avait eu la possibilité de compiler les résolutions de toutes les associations ou groupes de pression du Québec et d'avoir par exemple, le point de vue du Conseil du patronat, de la Fédération des Eemmes du Québec, de l'Aféas, de la CSN, de la FTQ sur les mêmes sujets et de voir quelles étaient les lignes de force. On faisait ensuite des consensus sur des éléments de politique. Souvent les gens pensent que pour préparer un programme politique on n'a qu'à faire un sondage et a régurgiter aux gens ce qu'ils pensent. Ce ne serait pas très solide comme base car les gens changent souvent d'idée. Si on est un vendeur d'idée et qu'on a un modèle de société à préconiser j'ai l'impression que bâtir sur des éléments de politique sur lesquels on croit c'est plus solide que d'attendre d'un sondage qu'il nous dise quoi faire et de quel côté aller, car le vent risque de tourner. Si on est convaincue de notre option , on a plus de chances de faire le consensus et que l'appui, et donc le pouvoir, demeure avec nous.

Je peux mentionner quelques dossiers où, comme députée ou comme ministre, j'ai influencé des choses pour les faire changer. Je vous donne ceux-là de préféren- ce parce que ce sont des questions qui nous touchent et qui sont plus difficiles à véhiculer dans un parti politique (les dossiers de la condition féminine ne 79 sont pas nécessairement à l'agenda du comité des priorités du gouvernement à chaque réunion du cabinet), mais aussi parce que ce ne sont pas des dossiers à saveur électorale et que vous n'aurez pas nécessairement beaucoup de gens qui voteront pour vous parce que vous vous occupez de ces dossiers. Tout cela pour dire qu'il faut avoir énormément de pouvoir, énormément de consensus et une base très solide pour faire passer des dossiers qui, au niveau de l'électorat ne sont pas des gagnants.

J'ai donc pensé vous parler de la prostitution. J'ai tenté de faire décrimina- liser la prostitution puisque notre intention était de prouver que c'était plutôt un problème de pauvreté. Je ne connais pas de femmes qui gagnent 50 000$ par année et qui s'adonnent à la prostitution. J'ai posé des gestes dans le domaine des pensions alimentaires: on a obligé les fonctionnaires fédéraux à payer leur pension alimentaire comme tout le monde.

Pour les femmes indiennes je vous confie avoir usé mon fond de culotte pendant deux semaines pendant l'été, dans un comité sur les femmes indiennes et il n'y a pas un seul de mes collègues qui soit jamais venu. J'avais un N.P.D. qui venait et un conservateur. Le comité se composait de 20 personnes mais nous avons fait le comité à 3 parce que tout le monde était en vacances. On a passé une cen- taine d'heures à se pencher sur la question de la discrimination des femmes indiennes qui perdaient leur statut d'indienne en mariant un blanc alors que si une blanche mariait un indien on lui conférait le statut d'indienne. Moi j'en ai fait une question de principes et quand vous défendez des principes, l'aspect électoralisme est un peu laissé de côté. C'est cet équilibre entre les ques- tions de principes et les questions à saveur un peu plus électoraliste qu'il faut conserver si on veut rester en politique. En lisant notre programme d'au- jourd'hui j'ai vu qu'on parlera du "pouvoir pour le pouvoir". Les gens pensent qu'on peut abuser du pouvoir et ne pas payer pour. J'ai l'impression que ceux qui suivent l'enquête de Sinclair Stevens s'aperçoivent que lorsqu'on abuse du pouvoir le sort qui nous est fait par la suite n'est pas tellement agréable.

Une autre question dans laquelle, vraiment, le pouvoir des femmes s'est exercé et cela avec tous les groupes féminins au Canada, c'était la clause d'égalité dans la constitution et évidemment les programmes d'action positive. Ce n'était vraiment pas vendu, ni le caucus, ni le parlement n'avaient acheté l'idée. Ce ne furent que par des pressions extrêmement bien articulées que ces clauses ont été incluses dans la constitution.

Les femmes de pouvoir ne sont pas nécessairement des femmes qui sont au pouvoir pour d'autres femmes. Je pense qu'on a deux modèles: Margaret Tatcher, dont le féminisme m'inquiète un peu beaucoup et Corazon Aquino qui a sa population entière à sortir du marasme. Elle est devenue politicienne par accident parce que son mari a été assassiné. J'ai l'impression que c'est encore plus difficile pour elle d'exercer le pouvoir; elle est entrain d'apprendre le pouvoir. Une partie de son pouvoir lui est donné par les gens qui croient dans son option mais il reste qu'elle partage largement ce pouvoir avec l'armée.

80 Les gens m'ont demandé parfois quel était l'impact du pouvoir sur notre vie person- nelle? La différence est très simple. On n'arrête pas d'être une mère de famille du jour au lendemain parce qu'on veut exercer le pouvoir et il faut s'obliger à toutes les concessions pour y accéder. Car pour vendre des idées il faut avoir des plates-formes, il faut avoir des endroits et ce n'est pas nécessairement dans la maison. Alors il faut sortir de chez soi, il faut y consacrer énormément de temps et tout ce temps-là est pris à la famille; on n'a pas automatiquement, pour autant, un père qui se transforme en mère, avec le résultat que cela devient le tiraillement numéro un.

Cela est redevable à l'éducation des femmes de ma génération qui n'a pag été faite dans le sens d'un partage des tâches très défini. En ce qui me concerne, je faisais encore les menus, je préparais encore la nourriture pour la semaine avant de m'en aller à Ottawa, car si je voulais qu'il y ait une nourriture de qualité, il fallait que je m'en occupe. J'avais partagé les tâches le samedi où il y avait à peu près deux heures et demie d'ouvrage multipliées par cinq, alors cela faisait une grosse journée de travail sans que personne ne soit débordé. Je ne connais pas de place où un homme a pris vraiment charge de famille pendant que sa femme faisait de la politique. Si vous en connaissez vous me le direz et je le répéterai dans toutes mes conférences, mais à ce jour je n'en connais pas. J'ai plutôt vu des femmes qui sont vraiment restées en charge de la famille et de l'éducation des enfants tout en étant en politique. A moins que Pauline Marois n'ait un mari exceptionnel et je lui en souhaite un avec les touts-petits qu'elle a. Je vous dis cela car mes enfants étaient adolescents lorsque je suis arrivée sur la scène fédérale et mes filles ont aujourd'hui dans la vingtaine , ce qui veut dire qu'à toute fin pratique, je ne suis pas lancée quand j'avais de jeunes enfants. Les sermons quand ce n'était pas moi qui les faisais, c'était ma mère. Elle m'a vraiment beaucoup secondée, c'était la deuxième mère de la famille.

J'espère et je crois tout de même que cet aspect là ira en s'amenuisant car il y aura de plus en plus d'égalité dans le couple, plus d'égalité versus les tâches dans la famille, dans l'éducation. Je ne parle pas seulement des tâches domestiques, je parle de tout l'ensemble de l'éducation des enfants, avec un meilleur partage des responsabilités car ils apprennent plus tôt à faire les mêmes choses ensemble.

J'ai donc espoir que la génération de mes enfants aura moins de difficultés dans cet aspect de l'exercice du pouvoir. Je crois qu'elles pourront partager les tâches face à la famille.

Si vous regardez celles qui étaient avec moi au cabinet et à Ottawa, il y avait Monique Begin, qui n'était pas mariée. Judy Erola dont les enfants avaient largement dans la vingtaine. Heiden Nicholson qui n'était pas mariée. Il y avait Madame Killens dont les enfants avaient 20 ans et plus. Donc la plupart des femmes qui étaient dans le caucus avaient peu de responsabilités familiales. C'est plutôt l'exception qui se ramasse avec des enfants qui ont encore besoin d'une attention soutenue. Je me dis toujours d'ailleurs que dans quelques années je ferai le bilan pour voir si j'ai tout raté au point de vue des en- fants. Alors vis-à-vis de la famille je pense qu'il y a vraiment un fardeau additionnel chez les femmes. 81 Par contre, si on se penche sur la question "comment exercer le pouvoir" je pense que les approches sont les mêmes, qu'il faut défendre nos dossiers de la même façon et surtout se trouver des alliés chez les hommes parce que si on attend des alliés seulement du côté des femmes, quand on est trois, on risque d'avoir trois femmes qui n'ont pas la même idée sur la même chose. On ne va pas très loin avec cela. Cela nous prend des alliances et c'est à partir de là qu'on peut exercer le pouvoir.

Ma conclusion c'est peut-être de vous demander, de votre côté, si l'exercice du pouvoir pour les femmes doit se faire différemment. Que doit-on réclamer pour pouvoir accéder au pouvoir? Une des choses qui est vraiment un handicap au pouvoir en politique c'est le pouvoir économique. Pas d'argent, pas de politi- que, ça c'est clair. C'est sûr et certain qu'avec l'allocation familiale on ne fait pas beaucoup de millage en politique. Et ça coûte des sous pour faire de la politique. Je suis encore présidente de mon association et je regarde le temps et l'argent que j'ai mis là-dedans cette année: si on n'a pas une couple (sic) de mille dollars avant de commencer l'année pour travailler en politique, on ne peut pas le faire. C'est une condition sine qua non. Et les hommes ont toujours eu cet avantage sur nous.

82 COMPTE-RENDU DES ECHANGES CELINE HERVIEUX-PAYETTE: COMMENT VIVRE LE POUVOIR

I Avant de recevoir vos questions j'aimerais moi-même vous en poser une. Est- ce que le pouvoir vous fait peur?

R Le pouvoir ne me fait pas peur mais je suis consciente qu'il faut jouer du coude. Je suis en politique municipale depuis 10 ans et je sais que pour une femme c'est difficile. Il faut être tenace et ne pas céder à la panique.

I Je n'ai pas peur du pouvoir. Ce dont j'ai peur ce sont des conditions dans lesquelles on l'exerce. J'aimerais savoir quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées dans l'exercice du pouvoir législatif et au niveau du caucus?

R Si je n'avais compté que sur les femmes pour m'appuyer je ne serais pas allée très loin. Il ne faut donc pas craindre de dire ce que l'on pense. Je ne dirai pas n'importe quoi pour me faire élire. Je ne veux pas céder sur mes principes fondamentaux. Il faut avoir un projet, un idéal pour être en politique et faire avancer les choses. Il faut prendre des risques. Il faut aussi avoir le sens du timing. Vous avez peut-être la bonne idée mais 5 ans trop tôt. J'ai vécu cela lorsque, en 1975, je défendais l'idée de participa- tion des employés aux profits de l'entreprise. Les réseaux d'épargne-action n'ont pas eu de succès immédiat mais cela a fini par être accepté et utilisé par la population.

Heureusement nous avons chacune nos forces et nos points d'intérêts. Le mien c'était l'économie. On ne peut pas toucher à tout en même temps, même si on en a envie. De plus, les dossiers de condition féminine ne sont pas des dossiers à saveur électoraliste et donc prioritaires dans un caucus. Il faut se rappeler que dans un caucus rien ne s'improvise. Tout se planifie et il faut s'associer à des personnes qui partagent vos idées. Là comme ailleurs, il y a à peu près 10% des personnes qui pensent et les autres suivent. Mais il est important de convaincre ce 90%.

I Croyez-vous que fondamentalement il y a une façon différente d'exercer le pouvoir pour les femmes et pour les hommes. Si oui, en quoi cela peut-il se concilier dans la pratique?

R Je pense que là où il peut y avoir une différence, c'est au niveau des priorités. Si votre priorité touche les femmes alors que vous êtes entourée de 90?o d'hommes, il est évident que vous prêchez dans le désert lorsque vous commencez votre processus de sensibilisation. Si une femme va en politique et épouse toutes les causes des hommes c'est certain qu'elle n'aura pas de problème. C'est ce que je pense de Margaret Tatcher. Vouloir garder sa féminité ou sa féminitude à l'intérieur du caucus, je pense que c'est ce qu'il y a de plus difficile. Dans l'ensemble je pense que oui il y a une 83 différence. Si on renversait les rôles, qu'il y ait 9Q% de femmes et 10% d'hommes il y aurait aussi une différence car les priorités de la majorité seraient différentes. Ainsi la valorisation de la cellule familiale serait beaucoup plus grande. Nous avons beaucoup de retard dans ce domaine. Ce genre de priorité ce sont les femmes qui l'ont.

I Est-ce-que les alliances sont possibles en dehors du parti avec des femmes des autres partis ou est-ce que les lignes de parti sont les plus fortes?

R Cela s'est réalisé au sujet des indiennes. Comme c'est Jeanne Sauvé, prési- dente de la chambre qui l'a fait, cela a permis un consensus. C'est possible mais très difficile. Cela demande du doigté. Je dois dire qu'il arrive que des femmes de différents partis siègent sur un comité et qu'il soit impossi- ble de s'entendre. Peut-être faudrait-il choisir des cibles sur lesquelles il y a unanimité dans les groupements féminins. Cela nous donne plus de poids quand on travaille avec les organismes de pression. Chose certaine il ne faudrait pas que ce soit pour plus d'une chose à la fois.

I J'aimerais savoir quels sont les aspects de notre vie qui risquent d'être modifiés si on prend le pouvoir?

R Je peux faire des comparaisons car maintenant j'exerce, en tant que vice- présidente d'une compagnie, un pouvoir économique. Le pouvoir économique et le pouvoir politique demandent qu'on y investisse du temps. C'est pareil dans tous les domaines où on exerce du pouvoir et c'est la même chose pour les femmes et pour les hommes. Sauf que pour nous les fonctions tradition- nelles de mères de famille ne disparaissent pas et cela cause des problèmes. C'est surtout de la famille que viennent les problèmes. Pour nos filles ce sera moins difficile car elles ne seront pas ancrées dans le stéréotype que c'est la femme qui doit assumer toutes les tâches reliées à la famille. Nous avons une autre contrainte celle de n'avoir pas le droit de nous trom- per. Nous ne serons pas égales tant que nous ne pourrons pas occuper un poste sans être particulièrement compétente. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut cesser de viser l'excellence.

Il y a deux choses importantes lorsqu'on est élue. Il faut s'assurer d'être réélue dans quatre ans pour pouvoir continuer de faire avancer nos dossiers. En même temps il faut défendre ses dossiers, ses idées, essayer de provoquer des changements sociaux. Comment concilier ces deux objectifs?

Dans notre système parlementaire on vote à la fois pour le parti et pour le chef. Au départ on peut difficilement se dissocier du parti. Il faut se rallier aux décisions du caucus. Si on veut conserver ses alliances pour faire avancer ses idées, on ne peut pas dénoncer continuellement son parti. Selon moi quand il s'agit des idées il faut d'abord les vendre à l'intérieur de son parti. 84 Pour être réélue il y a des facteurs que l'on peut contrôler et d'autres qui sont en dehors de notre contrôle. Pour ma part quand je n'ai pas été réélue je n'ai pas pris l'entière responsabilité de ma défaite. Nous étions depuis 16 ans au pouvoir et nous avons fait une campagne minable, voilà tout!

Au niveau des dossiers et des idées, une des choses que j'ai faite a été de ne pas oeuvrer seulement au sein du parti. J'ai été en contact avec des groupes de pressions. Cela m'a aidée dans la préparation de mes dossiers prioritaires. Il faut savoir concilier les dossiers à saveur électoriste et les dossiers qui ne le sont pas.

Pour le processus de réélection je dirais qu'il repose à 50% sur l'individu et à 50% sur des impondérables.

I J'aimerais savoir comment vous avez réussi à aller chercher des alliances?

R C'est simple, les femmes sont dix fois plus travaillantes que les hommes. Vous trouvez où sont les vides à l'intérieur des structures d'un parti et vous le remplissez convenablement. Pour moi, toutes les portes sont bonnes, commission d'organisation, commission juridique, commission des finances, commission politique, commission féminine etc.. Si vous allez dans l'une ou l'autre, vous avez accès au pouvoir.

En politique il y a des gens qui sont motivés par l'intérêt, d'autre par l'idéologie. Chez les femmes le pourcentage de motivation idéologique est beaucoup plus important. Cela nous donne un avantage car c'est sur des questions de fond que se font des alliances. Quand vous avez des idées vous avez un avantage sur tout ceux qui n'en ont pas et ils sont nombreux. Il faut aussi être prête à appuyer les autres si on veut que les autres nous appuient. C'est un peu l'histoire de la poule et de l'oeuf: je ne sais pas qui vient en premier mais je sais qu'il faut commencer quelque part. Tout cela se fait de façon informelle. On établit une stratégie sur chaque dos- sier.

I A votre avis, l'appui entre hommes est-il plus facile à obtenir que l'appui entre femmes? J'aimerais aussi savoir si on peut avoir une vie familiale quand on est en politique?

R Pendant que j'étais à la Chambre il y a eu un gros changement, il a été décidé de ne plus siéger le soir. Les femmes sont plus sensibles à la qualité de vie. Nous avons obtenu des changements touchant cette question, allocations de voyage, et de logement notamment. La façon de siéger a Ottawa donne parfois a penser que la famille n'existe pas. C'est très exigeant. Mais il faut concilier charge de travail et famille et il reste encore beaucoup de mesures à mettre en place pour y arriver vraiment.

85 Quant à savoir s'il y a plus de consensus entre les hommes qu'entre les femmes je dirais non. S'il semble plus difficile pour les femmes de faire consensus c'est que nous sommes moins nombreuses. C'est tout simplement une question de pluralité. On ne peut pas être 10 et penser la même chose. Je ne voudrais pas que l'on fasse de nous des photocopies.

J'aimerais savoir quel serait le budget minimum requis en politique pour les dépenses courantes et à quoi est-il appliqué?

En terme de budget annuel essentiel et pré-requis je dirais entre 2,000$ et 3,000$. Il s'agit d'inscription à des congrès, des frais d'hôtel, de repas, de transport, d'invitations pour des bénévoles etc... Il faut aussi recevoir de temps en temps, cela aide à cimenter une équipe de travail. Plus la circonscription est grande plus il y a de dépenses. C'est là un handicap majeur pour les femmes.

Il me semble qu'il y a parfois de la discrimination. On m'a dit par exemple, si tu continues à publier ce journal, tu seras disqualifiée.

Il faut parfois choisir ses coups. On ne peut pas être dans 3 ou 4 camps en même temps. Il m'est arrivée d'avoir à faire des choix. Par exemple j'ai actuellement des actions de la compagnie pour laquelle je travaille. Si un jour je retourne au pouvoir je ne pourrai pas garder ces actions, la compagnie faisant affaire avec le gouvernement de façon régulière. Il ne faut même pas avoir l'apparence d'un conflit d'intérêt. Dans votre cas, je dirais que vous ne pouvez pas accéder a un poste de conseillère municipale tout en occupant une fonction administrative au sein du journal. Mais vous verrez qu'on s'en remet. Pour commencer vous n'aurez plus le temps de vous occuper du journal.

Vous avez parlé des difficultés qu'on rencontre en tant que femme dans l'exercice du pouvoir. Personnellement je pense que nous avons une difficul- té encore plus grande à laquelle il faut faire face: c'est de vouloir prendre le pouvoir?

C'est un fait qu'on attache.beaucoup de négatif à la notion de pouvoir. J'aimerais vous raconter une anecdote. Il y a quelques années j'ai envoyé à Rome (et à tous les évêques canadiens) un mémoire dans lequel je soutenais que selon la charte des droits et libertés des Nations Unies, on ne devrait pas tenir les femmes à l'écart des postes de pouvoir dans l'Eglise. On m'a répondu, la semaine où j'ai été nommée ministre, dans une lettre qui disait "Nous vous mettons en garde contre les dangers du pouvoir". J'ai choisi d'en rire plutôt que d'en pleurer. Tout cela pour vous dire qu'il n'y a pas de tradition de femmes au pouvoir. Le pouvoir que les femmes ont pu avoir à travers les âges n'a jamais été formalisé. La naissance de la démocratie est très récente et cela fait fort peu de temps que le pouvoir s'exerce dans l'ensemble de la population. Nous les femmes sommes arrivées encore plus tard. Nous sommes en train d'apprendre à exercer le pouvoir. Je pense qu'idéalement le pouvoir devrait être partagé de façon égale entre les hommes et les femmes et c'est un idéal vers lequel il faut tendre. Je suis optimis- te pour l'avenir, les pas déjà fais me permettent de l'être.

86 ATELIER 4: L'ECHEC EN POLITIQUE ALLOCUTION DE, LISE ST-MARTIN

C'est un plaisir pour moi aujourd'hui d'être ici. C'est un honneur aussi. Je tiens à vous dire que, malgré mes couleurs politiques très évidentes, l'exposé que je vais faire aujourd'hui n'a rien à voir avec aucune forme de partisanerie politique. Il s'adresse à des gens qui, comme vous, sont impliqués socialement et qui ont le goût de participer, d'apprendre ce qu'est un cheminement politi- que, que ce soit dans une alternative immédiate ou tout simplement par souci de recherche pour l'avenir.

Je dois vous avouer que lorsqu'on m'a demandée de préparer une brève allocution dans le cadre de ce colloque sur l'accès des femmes au pouvoir politique je n'ai pas pu m'empêcher de penser qu'on me confiait un sujet pas très alléchant. La défaite, qu'elle soit politique ou autre, est négative en soi. Cependant, dans le cadre de cette rencontre qui se veut un carrefour d'exploration et s'adres- sant à des personnes déjà sensibilisées, qui ont déjà connu l'implication sociale, que ce soit au sein de l'Aféas ou au sein de bien d'autres organismes (on sait d'expérience que les gens qui sont impliqués dans un organisme sont généralement impliqués dans d'autres aussi), je crois donc que vos organisa- trices ont été bien inspirées de placer à l'ordre du jour de ce colloque le sujet de la défaite. La défaite c'est quelque chose qu'il nous faut être capable d'envisager sereinement.

Si j'avais à donner un titre |L mon exposé, je l'intitulerais "la défaite c'est un choc à prévoir". C'est donc dans cet esprit que je vous soumets quelques idées qui pourront servir de base à une discussion par la suite.

Je n'ai pas eu à subir de défaite politique comme telle, malgré mon implication depuis plus de 15 ans au sein de formations politiques car je n'ai pas été candidate dans ce qu'on appelle la politique active. Cependant je dois vous dire que ce soit au sein d'un mouvement comme le vôtre ou au sein d'un parti politique, lorsqu'on atteint certaines positions on est obligé de suivre le même processus démocratique, qui consiste à se présenter, à briguer les suffrages. En ce sens, je pense que mon expérience m'a permis de me frotter à la confron- tation, aux succès et aux échecs. D'autre part, à cause de mes fonctions j'ai vécu le quotidien de beaucoup de politiciens et j'en connais beaucoup personnel- lement. Leurs succès et leurs échecs, je peux vous en parler comme s'ils étaient les miens.

Enfin, dans la vie sociale et professionnelle ce n'est pas tellement différent de ce qui se passe en milieu politique. On a aussi nos engagements, nos prises de position, on a nos insuccès et aussi nos réussites qui ressemblent beaucoup à ce qui se passe en milieu politique.

Que ce soit en politique ou ailleurs, la défaite est quelque chose de difficile a vivre. C'est un choc. Je pourrais dire que c'est un caillou sur le chemin 87 de quelqu'un, un caillou d'autant plus gros que l'enjeu est important. Je crois qu'aucun individu ne peut échapper au choc d'une défaite car elle génère du stress et provoque des remises en question importantes. J'ai vu des gens, pendant des années, rebrasser les événements qui avaient précédé , par exemple, une élection perdue, juste pour chercher le petit , la pierre d'achoppe- ment, y mettre toutes leurs énergies et devenir beaucoup moins efficaces sur le plan du travail quotidien. J'en ai vu qui devenaient moroses, négatifs et finissaient par se couper de l'affection et du support de leurs proches. J'en connais aussi qui se sont tellement repliés sur eux-mêmes, qu'ils oubliaient ou niaient toute la valeur de l'engagement social qui les avait amenés se présen- ter en politique, (les gens se présentant en politique font généralement déjà autre chose).Je trouve cela triste socialement.

Vous pourriez aussi, probablement, donner des exemples de ce genre. Mais heu- reusement on peut aussi citer des noms de personnes pour qui l'expérience d'une défaite s'est avérée positive. J'en connais personnellement. Mais la défaite a été un choc pour ces personnes-là aussi.

Si certaines personnes ont pu y faire face mieux que d'autres, c'est tout simplement parce qu'ils l'avaient prévue dans leur cheminement. Or que signifie prévoir une défaite en politique? Un bon politicien vous dirait que lorsqu'on veut gagner en politique il ne faut pas penser à la défaite. C'est probablement vrai en temps de campagne électorale, dans le feu de l'action, parce que la volonté de gagner est en quelque sorte le fondement de notre système démocrati- que. En ce sens, elle motive la participation et elle justifie l'engagement personnel. Je ne m'étends pas sur les bienfaits des succès, tout le monde les connaît, tant au point de vue social que pour l'ego du gagnant. Cependant, a chaque fois qu'il y a lutte il y a nécessairement un gagnant et un perdant. Les résultats d'une campagne ne peuvent se solder par la victoire de tous.

Voilà pourquoi il est très important d'envisager toutes les issues possibles avant de s'engager dans une campagne. Evaluer toutes les issues, cela signifie se préparer personnellement, mais aussi préparer son entourage. J'aimerais élaborer quelques minutes sur cette préparation en vous soulignant quatre points qui (n'apparaissent extrêmement importants.

Premièrement, il faut faire un effort de réflexion et se demander; "Mes nerfs vont-ils supporter le stress d'une campagne, d'une défaite éventuelle? Est-ce qu'une défaite remettrait tout en question dans ma vie? Mon édifice psychologi- que, mon ego, vont-ils résister à ce choc?"

Une défaite est un véhicule d'émotions imprévisibles et nouvelles. LSuis-je armée pour faire face à cette nouvelle avalanche d'émotions? Ai. -je vécu des expériences antérieures qui pourront m'aider, le cas échéant?" Et combien d'autres questions qui sont en quelque sorte un questionnement personnel et intérieur. Je pense que toute réponse négative à l'une de ces questions mérite approfondissement et peut-être aussi consultation. Je reviendrai au quatrième point sur la question de la consultation.

88 Dans la même veine du questionnement personnel, on pourrait élaborer également sur les changements importants pouvant survenir dans la vie sociale de quelqu'un du fait de son engagement politique. Il y a des relations amicales qui peuvent être bouleversées. Les relations amicales sont en général basées sur les quali- tés personnelles d'une personne et non pas sur les causes qu'elle défend. Ce- pendant il y a certaines personnes qui ne font pas la distinction entre l'indi- vidu et la cause en temps de campagne électorale. Et cela peut être très pénible pour quelqu'un de constater la dégradation de relations auxquelles elle tenait beaucoup. Cela vaut la peine de réfléchir à cette question. Là encore, mieux vaut prévenir que guérir.

Mon second point est l'importance d'amener ses proches à la prise de conscience d'une défaite éventuelle. Je vous parle comme si vous étiez à la veille d'être défaite mais je ne vous le souhaite pas. Qui n'a pas vu des enfants pleurer des soirs d'élections, des conjoints effondrés, des parents et des amis bouleversés, désemparés. Au point qu'il peut être difficile, pour les proches, de vivre la défaite de quelqu'un qui leur est cher. Les gens qu'on aime méritent de nous suivre dans notre cheminement et leur préparation psychologique est aussi impor- tante que la vôtre. C'est le principe d'action-réaction en ce sens que plus ils sont forts eux-mêmes, plus ils seront aptes à vous supporter dans l'éventualité de votre défaite. En sachant que vous n'êtes pas atteint profondément, grâce à une préparation adéquate, eux-mêmes verront leurs angoisses devenir beaucoup moins grandes.

Le troisième point je l'appellerais "assurer ses arrières professionnels". Je pourrais faire de ce point le sujet entier d'une conférence, tant il est impor- tant et tant aussi, malheureusement, les gens y accordent parfois peu d'atten- tion. Mais je résumerai en disant que c'est démontrer beaucoup d'arrogance que de s'engager dans un processus électoral sans prendre des précautions concernant son avenir. Si vous occupez un emploi, commencez par rencontrer votre emplo- yeur, vos associés ou votre patron immédiat et discutez ouvertement avec eux de la possibilité de votre engagement en politique. C'est un geste qui peut sauver votre carrière. Evaluez avez ces personnes toutes les alternatives possibles. Quelle sera la durée de la campagne dans laquelle vous vous engagez? De combien de temps avez-vous besoin au total pour faire votre campagne? Resterez-vous à votre poste durant cette campagne? Si vous gagnez, que se produira-t-il ? S'il y a défaite, quelles seront les modalités de retour au travail? Y aura-t-il congé avec ou sans solde?

Toutes ces questions sont extrêmement importantes à discuter avant de prendre officiellement votre décision. Une fois ceci réglé, n'hésitez pas à expliquer votre cheminement à vos compagnes et compagnons de travail. Vous vous en ferez des complices qui vous aideront probablement dans votre lutte. Evidement ici se pose la question des opinions politiques personnelles de tous ces gens-là. Mais que vous les connaissiez ou non avant de vous engager, vous devez faire cet effort de contact et préparer votre absence ou, advenant une défaite, une réin- sertion avantageuse dans votre milieu professionnel. Comment voulez-vous qu'une personne, qui serait soutien de famille par surcroit, vive positivement une expérience politique qui se solderait par un échec si, en plus, elle se retrouve sans emploi? J'en connais plus d'un qui ont commis cette erreur-là et c'est faire preuve de beaucoup de naïveté de se dire "après on verra!",

89 Ces facteurs sociaux-économiques sont des éléments très importants dans l'évo- lution des individus. En plus, ce sont des jalons pour les observateurs politi- ques. C'est important pour les gens qui vous regardent aller de voir avec quel sérieux vous traitez votre propre avenir, puisqu'ils sont peut-être à la veille de vous remettre les rênes du leur. C'est un jalon qui est aussi important que la substance même de votre message politique , aussi important que votre person- nalité, votre intégrité, etc... En fait, pour illustrer un peu, tout l'édifice social d'un individu repose sur sa position dans "l'échiquier" de son milieu. En général, le fait de vouloir procéder à un engagement politique a pour but d'améliorer cette position sur l'échiquier. Le contraire ne serait pas admissi- ble socialement. Mais comme au jeu d'échec, se faire prendre un pion ne signi- fie pas perdre la partie. Il ne faut pas que la peur de la défaite vous empêche de vous lancer dans cette partie-là. Quelquefois, un repli, qu'il soit straté- gique ou accidentel, peut être important pour l'atteinte de buts qu'on s'est fixés.

Comme dernier point j'aimerais vous faire part de l'un des objectifs que je poursuis à l'intérieur de mon engagement politique actuel. Il s'agit de la mise sur pied d'une structure de consultation professionnelle au service d'éventuels candidats mais particulièrement au service des candidates car aujourd'hui encore les femmes sont beaucoup plus vulnérables économiquement et financièrement. Ce serait un service dispensé par une équipe multidisciplinaire visant à préparer les personnes désireuses de s'impliquer activement en politique. Sans entrer dans les détails, ce service pourrait signifier du conselling familial, des avis juridiques, des avis financiers, une certaine forme de clinique d'évaluation des compétences, des exercices de mise en situation, des cours de perfectionnement etc... Un service qui pourrait même aller, dans certains cas, jusqu'à la gestion des avoirs financiers des individus. En plus d'éviter des conflits d'intérêts les candidates y gagneraient en sérénité et en sécurité personnelle, deux fac- teurs ayant beaucoup de poids dans une campagne électorale et pouvant peut-être même faire la différence en terme de réussite.

De nos jours dans la recherche des candidats valables, il faudra tenir compte des nouveaux paramètres sociaux-économiques et aussi des nouvelles tendances en matière de campagne électorale, qui ont extrêmement changés au cours des der- nières années et qui changent encore continuellement à mesure que l'information devient de plus en plus instantanée et ce, à n'importe quel niveau de pouvoir.

L'importance des décisions politiques qui sont confiées aux dirigeants justifie, grandement tous les efforts que les partis politiques doivent faire pour mettre en place des services de consultation adaptés aux nouvelles exigences.

C'est le désir de voir de plus en plus de femmes s'engager politiquement qui me fait poursuivre mon action en ce moment, car j'ai la conviction que le jour où beaucoup de femmes s'impliqueront, une nouvelle dynamique sera crée. Il est très important, comme l'a dit Madame Simard il y a quelques minutes, de travail- ler pour faire en sorte qu'un jour les femmes partagent aussi le pouvoir à part égale.

90 Comme je vous le mentionnais au début, les réflexions que je viens de vous livrer, sans donner beaucoup de détails, n'ont rien à voir avec la partisanerie politique car l'important, c'est de s'impliquer. Les portes nous sont grandes ouvertes en politique scolaire, en politique municipale, provinciale, fédérale. Il ne faut pas minimiser l'importance de l'implication sociale en général et à l'intérieur des partis politiques dans les rôles d'organisatrices, de gestion- naires, de bénévoles. Je pense que c'est en quelque sorte l'école de la vie politique, si je puis dire. Et je suis certaine que cette implication actuelle au sein de l'Aféas vous y prépare très bien et je vous encourage a continuer. Je vous félicite également pour cette implication.

J'espère terminer sur une note optimiste malgré l'aspect quelque peu négatif du sujet que j'avais à traiter. J'ai envie de vous livrer une petite phrase d'un de mes amis, chef d'entreprise très connu: "Les femmes partageront le pouvoir économique et politique à part égale le jour où on sera capable d'engager aussi des femmes incompétentes". Sur le coup je vous avoue que cela m'a fait un choc d'entendre cette phrase. Mais après y avoir réfléchi comme il faut, j'ai réali- sé que cela voulait dire qu'on engage actuellement des hommes incompétents. Mais à chaque fois qu'on choisit une femme, il faut toujours qu'elle soit la meilleure. Cela donne une idée de tout le cheminement que nous sommes obligées de faire en tant que femmes lorsqu'on doit briguer des suffrages. Cela aussi doit faire partie de votre processus de réflexion le jour où vous envisagerez de faire ce pas-là.

Je résumerais mes propos comme ceci. Si on a l'humilité d'y penser à l'avance, notre défaite ne sera pas une déchéance et allé ne sera pas vécue comme un constat d'incapacité. Je m'arrête ici. Je vous remercie de m'avoir offert l'occasion de vous adresser ces quelques idées qui me sont chères et je suis ouverte à répondre à vos questions.

91 COMPTE-RENDU DES ECHANGES LISE ST-MARTIN L'ECHEC POLITIQUE

I D'après vous, l'échec politique d'une femme n'est-il pas doublement humiliant justement parce qu'elle est une femme? Est-elle traitée de la même façon qu'un homme?

R C'est peut-être le seul avantage qu'on a sur les hommes. Habituellement, on s'en sort mieux. Je pense que dans notre cheminement on a plus l'habitude de cet exercice d'introspection que les hommes. Un homme va accepter plus vite qu'une femme de se lancer en politique. A mon avis, ce n'est pas parce qu'il pense plus vite mais parce qu'il pense moins longtemps. Donc il n'a pas envisagé toutes les issues possibles.

Egalement, je dirais que socialement l'échec est plus facile pour une femme que pour un homme.

I Je suis une personne qui a connu la défaite en politique municipale après un mandat de quatre ans. Tout ce que vous avez dit est très vrai. C'est parce que je n'avais pas prévu la défaite que le choc a duré presqu'un an.

R II y a une dimension que j'aimerais apporter au niveau professionnel. Vous avez mentionné qu'il faut se ménager une porte de sortie de ce côté. Je suis' fonctionnaire fédérale. Je sais qu'aux dernières élections une fonctionnaire qui occupait un poste assez élevé s'est présentée. Elle a été défaite et, parce qu'elle ne s'était pas présentée pour le parti qui a pris le pouvoir, elle n'a pas pu réintégrer son poste. On ne l'a pas congédiée carrément, ce n'était pas permis, mais on est arrivé au même résultat d'une façon plus subtile.

I J'aimerais vous remercier car, grâce à votre exposé, j'ai réalisé qu'un organisateur ou une organisatrice est une personne très importante. J'avais un préjugé là-dessus. Je croyais que c'était de la "politicaillerie". Grâce à vous, je ne pense plus ainsi. J'ai fait ce que j'appelle de la petite politique. J'ai été commissaire d'école. Vous m'avez ouvert l'esprit.

R J'aimerais souligner qu'à mon avis il n'y a pas de petite politique. Il faut envisager la politique en général comme étant la source de prise de déci- sions. Si j'ai pu vous convaincre que la politique ce n'est ni sale ni laid, je serai très heureuse. Quel que soit votre cheminement personnel il ne faut pas avoir peur d'envisager la "Politique" avec un grand P.

Pour en revenir à notre exemple de la fonctionnaire, j'aimerais souligner que j'ai vu des personnes, hommes ou femmes, consacrer 4-8-12 ans à la politique, des personnes qui avaient quitté des emplois très intéressants, pour finale- ment se faire regarder de travers. Pourtant, il faut se rappeler que la majorité des politiciens font de l'excellent travail. Ce ne sont que des exceptions qui sont ce qu'on pourrait qualifier de moins démocratiques.

92 I Est-ce que vous croyez que les femmes sont plus émotives, moins rationnelles, lorsqu'elles se lancent en politique?

R Bien au contraire! Je n'ai jamais vu une femme se lancer en politique sans avoir pesé le pour et le contre, sans avoir consulté non seulement son mari, mais aussi son entourage. Les femmes sont même plus rationnelles que les hommes. Et quant à l'émotivité, les femmes ne pleurent pas plus, ne se choquent pas plus. Si on véhicule mieux nos émotions, tant mieux pour nous. Avoir une approche plus humaine c'est loin d'être négatif à mon avis.

I J'ai vécu une défaite comme organisatrice. Quelques jours après, les hommes me demandaient "comment vas-tu?" Je leur répondais: "ça va bien". Je pense que ma réponse leur faisait de la peine. Ils auraient voulu que j'aie plus de peine et cela a été aussi la réaction de mon candidat. A mon avis, il était moins bien préparé que moi à cette éventualité d'une part, mais, d'autre part, je pense que la défaite avait une autre dimension pour lui.

R Vous avez raison. Le candidat est très visible. Il a serré 3 000 mains qui lui ont souhaité bonne chance et, s'il n'a reçu que 15% des votes, il se dit qu'il y avait là-dessus 2 500 mains menteuses. Il y a un tas de choses qui, comme celle-là, mine de l'intérieur la confiance qu'on a en soi.

Une façon intéressante de s'essayer les ailes, c'est de se présenter à une élection dans un organisme. On peut très mal réagir à une défaite au poste de présidente à l'AFEAS par exemple. L'ampleur de la réaction n'a rien à voir avec le type de poste qu'on brigue. Ce qui fait la réaction, c'est ce qu'on investit de soi-même. C'est prouvé que les femmes qui ont de l'expé- rience au niveau de l'implication sociale réagissent mieux que les autres, ~dans l'une et l'autre issue. De plus, elles sont aussi aidantes pour les autres en tant que ressource.

Je pense personnellement que les politiciens ne devraient pas envisager la politique comme une carrière. C'est une idée qui n'est certes pas très populaire, mais j'y crois. Je ne pense pas qu'on puisse donner le maximum toute sa vie. Il faut retourner à la base à un moment donné pour se ressour- cer. Les campagnes électorales ont beaucoup évolué et c'est très exigeant. Il n'y a plus de temps entre l'acte et la réaction des gens dans le milieu. On demande presqu'une perfection instantanée.

I A propos de cette perfection instantanée, je pense qu'elle est doublement exigeante pour les femmes. Une femme ne peut pas se permettre de faire une gaffe. Personnellement, je ne pourrais pas fonctionner en étant autre que moi-même. Est-ce que les femmes en politique sont obligées de se former une image?

R Je pense que depuis quelques années les femmes qui vont en politique ne changent plus de tête et c'est sans doute leur meilleur atout. Les hommes ont peut-être fait cette évolution un peu plus vite que nous, mais c'est sans 93 doute parce que nous sommes tellement moins nombreuses. Il faut garder notre échelle de valeurs et ne pas avoir peur de montrer que la contribution qu'on apporte est une contribution de femme.

I J'aimerais savoir si, suite à vos nombreuses implications comme organisa- trice, vous avez l'intention de vous présenter un jour comme candidate?

R C'est une question qu'on me pose souvent et je serais très mauvaise politi- cienne si je répondais un non catégorique. Je dirais que, pour le moment, cela ne m'intéresse pas. Je m'intéresse à la politique fédérale et, comme j'habite Québec, je me retrouverais mère les fins de semaine seulement ce qui, pour l'instant, ne m'intéresse pas.

I J'aimerais qu'on mette le focus sur votre idée de bureau de consultation. Je sais que ce n'est pas notre propos d'élaborer des résolutions, mais je sais aussi que l'AFEAS a piloté de nombreux dossiers sans faire de partisanerie. Je souhaiterais ardamment qu'il y ait plus qu'un support moral accordé à un tel projet, à condition qu'il soit mis en place dans toutes les formations politiques. J'aimerais que ce soit un projet auquel travaille l'AFEAS.

R Peut-être un groupement d'action sociale comme le vôtre pourrait faire encore mieux que moi. Vous avez déjà des structures qui favoriseraient l'envergure provinciale essentielle à un tel projet. Personnellement, je me ferais un plaisir d'agir comme personne-ressource.

I Je suis actuellement conseillère municipale et je songe à me présenter comme maire. Je me demande si, au moment de notre réflexion, on doit mettre dans la balance la popularité qu'on a dans le moment versus l'expérience. La popularité est-elle plus importante que l'expérience? Qu'est-ce qui joue le mieux en notre faveur?

R Les politiciens appellent cela le momentum. Au niveau municipal, on agit dans un milieu restreint où les dossiers sont mieux connus. Franchement, dans votre cas, je ne pourrais donner de réponse. C'est à vous d'analyser ce qui se passe chez vous.

I J'aimerais réagir à ce dernier propos. Les femmes pensent toujours qu'elles doivent être super-compétentes. Il ne faut pas attendre d'avoir fait toutes les preuves sinon ce sera très long. Je pense qu'il faut se dire "je ne suis pas moins bonne que la moyenne de ceux qui sont là ou qui y ont déjà été et, en plus, je ne vais pas tout faire toute seule". Comptez sur les femmes, sur votre entourage et sur vos capacités. Les femmes ont beaucoup de capacités. Il ne faut pas attendre d'être la meilleure, sinon vous ne vous présenterez jamais.

R Effectivement.

94 I J'ai beaucoup aimé votre exposé. C'est exact qu'on ne peut ignorer la possi- bilité d'une défaite. Je pense que vous avez raison de dire que les femmes sont meilleures que les hommes dans cette éventualité. Je crois que c'est parce qu'une femme s'implique, non pour avoir un titre, mais parce qu'elle croit en quelque chose. J'ai eu à vivre une défaite et, après ce choc, j'ai réfléchi. J'en suis arrivée à me dire que ce qui avait le plus souffert, c'était mon ego. Mes idées, je les avais toujours. Cela m'a amenée à continuer mon implication dans mon parti et j'ai eu par la suite des opportu- nités d'engagement très intéressantes. C'est surprenant comme les gens oublient vite notre défaite quand on a une attitude positive face à celle-ci.

R Vous avez raison. Il faut se rappeler que les gens ne votent pas que pour nous. Ils votent aussi pour le parti, ses idées. C'est évident que c'est plus difficile d'accepter une défaite quand on a été ministre que lorsqu'on se présente pour la première fois. Mais encore une fois, ne nous laissons pas arrêter par la crainte de la défaite.

I Quand on veut se présenter et qu'on sait à l'avance qu'on sera défaite parce que le député en place est populaire, etc... est-ce que, selon vous, cela vaut quand même la peine de se présenter? R Madame, je vous assure qu'il n'y a jamais rien de gagné d'avance. J'en ai connu plusieurs qui se croyaient réélus d'avance et qui ont été battus.

I Est-ce que les députés sont au courant que le parti doit faire des remanie- ments. Si un député perd un comté à une élection il y a peu de chance qu'il soit candidat à une autre élection. Il faut savoir que non seulement il perd, mais il fait perdre son parti.

R II arrive que dans le mécanisme de la reconstruction personnelle une personne se dise que la prochaine fois elle va gagner. A ce moment, il est évident que cette personne n'envisage pas le remaniement. Alors, même si les députés sont au courant, ils ne le comprennent pas toujours. J'aimerais ajouter que c'est souvent au niveau de la convention de parti que les femmes ont le plus de difficultés à passer. Dans presque tous les comtés il y a eu des femmes qui se sont présentées pour être candidates de leur parti, mais très peu ont été élues. Tant qu'on ne gagnera pas dans les conventions des partis on ne pourra pas aller plus loin.

I Voulez-vous dire par là que notre prochaine étape serait d'entrer dans les partis politiques pour faire élire nos femmes? R Bien sur! Il faut sortir de nos cuisines, se faire connaître dans des organismes sociaux, y prendre de l'expérience et il faut surtout s'impliquer en politique. I A mon avis on veut voir les femmes plus impliquées mais on n'est pas prêtes à leur donner le grand poste. Il faut se montrer, prouver aux autres femmes qu'on est capable.

95 R Je pense que l'implication politique c'est une forme d'implication sociale. Si elles ont fait leur classe ailleurs et ont acquis une certaine notoriété, les femmes auront plus de chances de percer.

I J'aimerais rajouter que ce n'est pas nécessaire de passer par une association d'hommes comme les Chambres de Commerce. Une recherche faite auprès des mairesses du Québec démontre que toutes sont passées par des organismes féminins. Alors, ce n'est pas nécessaire d'appartenir à une association d'hommes. Cela nous permettra de continuer à voir la politique avec nos yeux de femmes.

96 ATELIER 5: SOLITUDE DES FEMMES AU POUVOIR ALLOCUTION DE MADAME SOLANGE CHAPUT-ROLLAND

Je dois dire d'abord que mes notions en politique sont les miennes et je ne peux témoigner que de moi-même. Ce que je vous dirai de la solitude en politique vous devrez comprendre qiae c'est mon opinion personnelle car les jeunes femmes au- jourd'hui, d'une autre génération que la mienne, sont un peu plus d'attaque que nous l'avons été. Au moment où j'étais à l'Assemblée Nationale, j'avais comme collègue Thérèse Lavoie-Roux, un point c'est tout. Alors quand vous n'êtes que deux dans un caucus d'hommes et dans un parti de l'opposition en plus, vous pouvez comprendre jusqu'à quel point la solitude est dure à porter, qu'elle est un fait de tous les jours et qu'elle est à la fois subie et choisie.

Je vous explique pourquoi je dis subie et choisie. Mais il faudra me pardonner de faire des relations avec le parti dans lequel j'étais. Ce n'est pas pour politiser ce débat, vous n'avez que faire de ces choses là, mais on ne peut, encore une fois, que s'inspirer de ce qu'on a vécu pour se dire: "d'autres ont certainement vécu les mêmes expériences que moi", tant est vrai le fameux dicton "plus ça change, plus c'est pareil".

Solitude de la femme en politique. Retirons le mot femme et disons tout de suite au début que la politique est une solitude, pour qui que ce soit. Autant pour les hommes que pour les femmes. Les hommes s'en accommodant mieux car ils possèdent une expérience qui nous manque, celle du jeu d'équipe. Je parle pour les femmes de ma génération (j'ai 67 ans), car la situation est peut-être un peu différente pour les plus jeunes. Le baseball, le football, le hockey sont des jeux masculins et c'est dans ces jeux d'équipe qu'on apprend à préserver ses arrières, jouer le bout du filet pour que l'équipe adverse ne prenne pas la balle, à faire des passes, etc... Nous n'avons pas encore appris cet esprit d'équipe et c'est un handicap parce que la politique est avant tout un jeu d'équipe. Mais nous savons très bien, peut-être mieux que les hommes, ce qu'est le grand jeu et le beau jeu de solidarité.

La solidarité des femmes en politique est quelque chose de nouveau et de très beau. A la solidarité de la femme en politique s'ajoute l'accomplissement. C'est remarquablement émouvant, remarquablement féminin, dans le beau sens du mot, parce que j'espère bien qu'à force d'être féministes nous n'avons pas perdu la première vérité qui est d'être féminines. Quand on est féminine on se rend compte, en 1986, qu'il n'y a plus de problèmes qui soient précisément des problèmes de femmes; cela n'existe plus. Il y a des métiers qui exigent des biceps d'hommes mais pas des métiers qui nécessitent des cerveaux d'homme. Donc il n'y a plus de problèmes qui soient strictement des problèmes masculins mais il y a des problèmes sur lesquels les femmes posent des regards plus longs, plus prolongés, plus profonds, avec davan- tage de compassion que les hommes. Lorsque vous apercevez votre adversaire féminin de l'autre côté de la Chambre des communes qui vous fait un clin d'oeil complice pendant qu'un de ces messieurs parle et qu'elle sent que vous pensez la même chose qu'elle de ce discours d'homme, c'est de la belle solidarité fémi- nine. 97 Solitude des femmes en politique parce que c'est un métier très difficile et que nous y sommes pas encore une multitude. Quand on additionnera solitude et multi- tude, on arrivera à l'équation fortitude (sic) et c'est à ce moment-là que le pouvoir des femmes prendra toute sa dimension, tout son relief et toute sa vérité. Je puis vous affirmer que depuis 30 ans je suis en politique reflec- tive plutôt qu'activé, puisque je n'y ai passé que deux ans. Je n'ai pas choisi cela, j'ai été battue au bout de deux ans. J'en ai ressentie une certaine amertume dans les premiers mois parce que les femmes ne sont pas battues tout- à-fait de la même façon, car nous n'entrons pas en politique tout-à-fait pour les mêmes raisons. En règle générale, la femme aux cheveux gris entre en politique très souvent pour défendre un principe, pour accélérer une législation dans laquelle elle croît, parce que sa vocation antérieure lui a donné de la vie une certaine réflexion et elle entre donc en politique pour sauver sesprin- cipes.

L'homme entre en politique pour prendre le pouvoir. Il sait qu'ensuite il pourra tenter de sauver un principe, faire adopter une loi ou soulever un problème.

C'est l'une des plus grandes différences, d'après moi, de la façon dont nous entrons en politique, dont nous observons la vie politique, et de la façon dont nos collègues nous regardent en vie politique. "Toi-là avec tes histoires de femmes, fiche-nous la paix!" Voilà à peu près le slogan entendu dans ces caucus que j'ai baptisé une fois "une taverne pas de bière" car cela y ressemble à peu près, quand on est deux femmes avec quarante-cinq hommes qui s'imaginent qu'ils ont la vérité. Je ne suis pas une féministe aigrie, je suis féministe sûrie.

Que nous manque-t-il pour que notre solitude soit à ce point meublée qu'on ne la ressente plus? Il nous manque ce que les Américains appellent "the killer instinct" et je ne suis pas capable de le dire en français. C'est-à-dire cet instinct du pouvoir. Cette soif du pouvoir, ce besoin de le prendre, presqu'à tout prix, qui est ce qu'il faut faire si on veut arriver en haut de l'échelle, si on veut avoir un pouvoir qui est autre que symbolique, qui va être décision- nel. Il nous le faut si on veut occuper un ministère des finances; cela va finir par venir. Aujourd'hui les femmes économistes, vous le savez comme moi si vous les lisez avec la même admiration que moi, sont probablement mieux équipées pour comprendre les problèmes économiques de nos sociétés canadiennes que cer- tains des ministres des finances que nous avons. Elles ont une capacité d'ap- profondir certaines choses, mais cela n'est pas encore admis. Et je vois le parti politique qui demain essaierait de nommer une femme au ministère des finances: ce n'est pas pour après-demain, mais cela s'en vient, car la qualité extraordinaire de ces femmes fait qu'on ne peut plus aujourd'hui, édicter et formuler des politiques économiques sans y associer les plus grandes économistes de notre pays. Et elles sont légion.

Revenons à la solitude. Quand on entre dans un parti politique, du jour au lendemain, on est plongée dans un monde dont on ne soupçonne pas la force et l'importance. Les plus grosses difficultés pour les femmes dans la vie politi- que sont le parti politique et les associations de comté. Fini le temps, heureusement, où on nous réservait, comme dans ma jeunesse, je le sais parce 98 qu'on m'en a offert quelques-uns, où on nous offrait les comtés perdus d'avan- ce. C'était toujours très encourageant pour notre propre fierté, pour notre propre intelligence d'être approchée pour ces comtés vides!

Une autre chose qui était à la mode c'était de nous réserver les tâches comme celles de faire des sandwiches. Dans le livre que vous a remis l'Aféas on vous dit "ne faites plus de sandwiches". Je me dis qu'il ne faudrait pas verser dans l'excès contraire: si vous avez envie d'en faire pour dépanner quelqu'un, allez-y. Mais il ne faudrait plus réserver ces tâches aux femmes. Nous, dans mon époque de journalisme, on appelait cela les chaises berçantes, c'est-à-dire celles qui répondaient au téléphone, prenaient les rendez-vous pour monsieur, allaient faire presser le gilet du monsieur, voyaient à son linge, bref ces tâches immortelles qu'on nous confiait avec beaucoup de générosité. Tout cela c'est fini, c'est dépassé.

Aujourd'hui les femmes ont la chance d'avoir des comtés qu'elles peuvent gagner et, Dieu merci, qu'elles gagnent haut la main, non pas parce qu'elles sont des femmes mais parce qu'elles apportent à la politique des idées, des regards, des suggestions, des politiques audacieuses et des choses à dire que nul autre qu'elles peuvent dire. Il y a un ton de femme, un regard de femme, des concep- tions qui sont inhérentes à nos natures profondes et que je vous supplie de ne pas perdre. Celles qui me disent qu'il faut ressembler à quelqu'un, eh bien au point de départ, c'est une erreur. Quand on veut assumer sa part d'humanité il faut commencer par ne ressembler à personne sauf à soi-même et descendre dans l'intérieur de son âme et de son coeur pour trouver son centre et s'y accrocher. Il faut partir de son centre. C'est là qu'est le principe auquel il faut s'accrocher et le reste suivra. M. Ryan me disait souvent "Accrochez-vous à vos principes Solange et laissez faire, le reste suivra!" Enfin, il y a des restes qui n'ont pas suivi mais en règle générale, dans ma vie, cela a suivi. Je suis restée fidèle à certains principes et cela, c'est très important.

Cette deuxième solitude vient du fait qu'au caucus, je l'ai dit tout-à-l'heure, nous ne sommes pas assez nombreuses pour parler. Et je ne dis même pas autant nombreuses, je ne dis pas plus nombreuses, je ne me fais pas d'illusions là- dessus. L'ambition que j'aurais, avant de mourir, et je ne la vivrez pas je crois, serait de voir un jour un gouvernement, fut-il du Québec ou du Canada, qui aurait un nombre égal de ministres femmes et hommes. Je pense que lorsqu'on aura atteint une telle égalité il me semble que quelque chose changera. Je ne sais pas exactement quoi parce que je suis incapable de prévoir ce qui va se passer demain. Votera-t-on par ordinateur? Par un appareil de télévision? Les lois vont-elles changer à ce point? Je n'en sais rien. Mais je sais, viscéra- lement, que la solution à cette équation hommes-femmes en politique ne peut venir que d'une égalité.

Femme première ministre? Oui très bientôt. J'en ai créé une à la télévision puis cela marchait bien. La réalité se mettait à ressembler au téléroman, je ne sais pas pourquoi, c'est souvent comme cela. Je pense que oui, cela viendra assez vite. Je crois que nous avons les qualifications parmi la relève de jeunes femmes. Je crois que la population est davantage prête à accepter une femme première ministre que les partis politiques. Je pense que c'est vrai ici. Il y a des exemples extraordinaires ailleurs: Madame Indira Ghandi (oublions 99 les politiques qu'elle a appliquées, ce n'est pas mon affaire). Madame Margaret Tatcher, Madame Golda Mayer ont été des femmes extraordinaires. Je n'ai pas à juger de la philosophie de leurs politiques. Mais elles ont su diriger leurs pays et des pays encore plus difficiles que le nôtre, parce que nous avons hérité d'une paix militaire presque continue. Je ne dis pas que nous avons la paix sociale, nous ne l'avons pas car nous avons beaucoup trop de pauvres. Il y en a qui en ont trop, d'autres pas assez: il y a un équilibre à rétablir et nous sommes capables de le faire. Mais ici, dans cette province, dans cet état, dans cette société, il y a des québécoises tout-à-fait capables. Il y en a qui auraient pu être élues, qui auraient pu gouverner et qui peuvent le faire.

Ce que vous avez à faire, vous qui m'écoutez si gentiment, ce n'est pas de suivre mes conseils, c'est de trouver votre propre ligne de conduite. Et sur- tout, pour l'amour du Saint Ciel, ne pas être pour une femme simplement parce que c'est une femme. C'est l'erreur la plus grande que nous pouvons faire, dans un comté ou dans un parti politique de voter pour une femme pour cette raison. Non. Il faut voter pour quelqu'un qui vous apporte quelque chose, qui vous enrichisse, vous nourrisse, vous tonifie, mais pas tout simplement parce que c'est une femme parce que nous serons les premières à payer pour cette erreur.

Il y a deux raisons à la solitude en politique. Qu'on soit député ou ministre, il y a toujours quelqu'un autour de vous. On n'a pas le temps de faire un tas de choses et il y a toujours quelqu'un pour faire ces tas de choses pour vous si bien qu'à l'intérieur des parlements et des Assemblées Nationales on finit par croire et se dire "il n'y a pas de problèmes! Le monde charrie toujours! Ça va se régler!". L'autre raison, celle-là est pire pour une femme, c'est l'éclate- ment de sa vie familiale. Moi je suis entrée en 1979 et j'ai revu mon mari en 1981. La vie du député ou du ministre est une vie de fou. On est sans cesse sollicitée et on a toujours deux carrières, j'espère que vous le savez. La maison et le mari ont toujours leurs exigences qu'on soit députée ou non.

Maintenant, j'aimerais beaucoup entendre vos questions. Merci.

100 COMPTE-RENDU DES ECHANGES SOLANGE CHAPUT-ROLLAND: LA SOLITUDE DES FEMMES AU POUVOIR

(note: à cause de difficultés techniques rencontrées lors de l'enregistre- ment et en dehors de notre contrôle, nous n'avons pu transcrire les interven- tions des participantes à cet atelier.)

R Le ministère de la condition féminine c'est à mon avis un ministère fourré- tout. Je n'y ai pas une entière confiance. A mon avis, ce n'est pas suffi- sant. Plus il y aura de femmes députées, plus il y aura de femmes ministres et plus nous serons nombreuses à nous tourner vers ce ministère pour exiger de lui autre chose que de pâles réponses à de graves problèmes.

Entre nous, il est encore très rare que deux femmes se présentent l'une contre l'autre. Evidemment, quand c'est le cas on a l'opportunité de choisir celle qui rejoint le plus nos attentes. Quand je dis de ne pas choisir une femme pour le plaisir de choisir une femme, ce n'est pas dans cet optique que je parle.

R II fut un temps où le seul fait, pour une femme, d'avoir une carrière faisait qu'on nous taxait d'être de mauvaises épouses, de mauvaises mères voire même de mauvaises citoyennes. Depuis la venue des mouvements féministes, et ici je ne parle pas du féminisme strident, depuis que les femmes prennent la parole, depuis qu'elles publient, qu'elles se rencontrent davantage, depuis qu'il y a de grands mouvements comme l'AFEAS et d'autres mouvements, les femmes se sont mises à se faire confiance et à s'aimer. Il y a entre les femmes une sorte de tendresse qui fait que la femme en politique va trouver chez ses compagnes un appui, un appui qui ne sera ni aveugle, ni inconditionnel, mais quelque chose qui ressemble à une sympathie qui existe d'emblée. Il y a eu un grand progrès dans ce sens depuis 10 ans.

R Je ne voudrais pas qu'on compare le pouvoir scolaire, le pouvoir économique et le pouvoir de la presse avec le pouvoir politique. Le pouvoir politique c'est le pouvoir des pouvoirs. Tous les autres sont petits, même s'ils ont une certaine puissance. Il faut faire la différence entre puissance et pouvoir. Et pour arriver à un certain pouvoir, on ne prendra ni les mêmes moyens ni les mêmes schemes de pensée que ceux qu'on prend pour arriver en haut, au sommet de l'échelle politique. Souvenez-vous de cette différence; elle est très importante. Même si on a atteint le sommet du pouvoir journa- listique, on n'a pas nécessairement les compétences pour atteindre un poste décisionnel dans le pouvoir politique. C'est une erreur de base que j'ai vécue et je sais donc de quoi je parle. loi Selon moi les hommes en politique sont 1 000 fois plus émotifs que les femmes, mais ils le traduisent d'une autre façon. Je pense qu'il ne faut pas avoir peur de son émotivité.

R Je ne fais pas de la solitude des femmes en politique un défaut. La vie a fait que la femme, en règle générale, a toujours deux carrières. Il faut à un moment donné qu'elle se ramasse parce que la vie familiale a éclaté. C'est un des aspects les pires, pour les femmes, que cette vie familiale éclatée.

Ce dont il faudrait parler, ce sont les infrastructures. C'est cela le problème. C'est le problème d'être présente partout dans le comté en plus d'avoir eu à siéger toute la semaine. C'est ce qu'il y a de pire pour nous. Et pendant ce temps, l'autre carrière continue toujours! Cependant, je crois que de nos jours il y a plus d'entraide entre les femmes.

R Quand je suis entrée dans un parti je l'ai fait parce que ce parti rejoignait mes convictions profondes, parce que je me sentais sur la même longueur d'onde que son leader. Vous dire que j'ai tout accepté ce qu'il y avait à l'intérieur du parti, ce serait beaucoup dire. Je pense qu'on a une solida- rité aux principes de base d'un parti mais, pour les "à côtés" il faut avoir le courage de sa dissidence. Selon l'ouverture d'esprit de votre chef, on l'acceptera ou on vous demandera de vous retirer. C'est la même chose pour une membre de l'AFEAS: elle est en accord avec les grands principes mais peut ne pas être d'accord avec tout, de même que l'AFEAS n'épousera pas nécessairement toutes les convictions de cette membre. Pourtant, la solida- rité au chef me semble primordiale.

R Quand je dis être élue à tout prix, je ne dis pas au prix le plus malhonnête. A tout prix veut dire mettre toute sa volonté, tous ses efforts à saisir le pouvoir. Cela ne veut pas dire prendre des moyens véreux pour y arriver. Cela veut dire avoir la volonté de prendre le pouvoir. On ne peut dire aux gens élisez-moi. Non. C'est ta qualité qui contribuera à l'élire.

R Je ne vois pas pourquoi un groupe de femmes hésiterait à supporter une autre femme quand cela fait 1 000 ans que des groupes d'hommes supportent d'autres hommes. Il ne faut pas nécessairement être comme les autres, mais on peut prendre les mêmes moyens pour arriver aux mêmes buts. Je n'ai rien contre les appuis à condition qu'on sache ce que l'on appuie. Si, après avoir bien étudié la question, une femme vous paraît plus forte ou même aussi faible que son adversaire, je ne vois pas pourquoi on ne la supporterait pas. C'est différent du fait de supporter indistinctement toutes les femmes parce qu'el- les sont des femmes.

102 Je vous dirai qu'une femme est un être humain et qu'elle a le pouvoir qui l'intéresse. Si votre communauté immédiate ne vous intéresse pas, votre communauté "at large" ne vous intéressera pas plus. Il faut éveiller en soi- même d'abord le désir de s'engager, de militer, de prendre part.

Je pense qu'il nous manque peut-être encore de la facilité pour recruter à la base. Le porte-à-porte, les assemblées de cuisine, les rencontres avec les associations de comtés sont encore très difficiles pour une femme. Heureuse- ment, je pense que la population est de plus en plus prête à accepter une femme au pouvoir.

R L'esprit d'équipe, je ne pense pas qu'on l'apprenne uniquement à l'école. On l'apprend aussi chez soi et j'ai peur qu'on ne la transmette surtout aux fils. Les filles jouent avec des amies, chez des amies, mais pas à des jeux d'équipes. Et la politique, je le répète, c'est un jeu d'équipe.

J'aimerais ajouter que le pouvoir n'est pas qu'entre les mains des députés ou des ministres. Le véritable pouvoir, il est aussi entre les mains des sous- ministres, des chefs de cabinets, des attachés de presse, des conseillers politiques. Là la femme est forte, elle est présente et on devrait en parler. Elles ont un rôle considérable à jouer.

R Je pense que quand vous êtes satisfaites d'une femme ou d'un homme politique, vous devez lui écrire pour le lui dire. C'est très ressourçant de recevoir . ce genre de lettres. On en a bien besoin!

R Les femmes sont plus pragmatiques que les hommes. La travailleuse au foyer a pris au jour le jour des tas de petites décisions, mais elle les a prises. L'homme prend beaucoup plus de temps que la femme à prendre des décisions. De même la femme regardera beaucoup plus une loi dans son application quoti- dienne que l'homme. Cette différence il faut la garder.

R C'est un fait qu'au caucus on pouvait dire "ma femme me disait que..." et que cela servait de poids dans une discussion. Mais, si j'avais dit "mon mari m'a dit que..." je me serais fait regarder de travers. On nous dit aussi "toi c'est pas pareil" comme si on n'était pas de vraies femmes.

I R Oui il y en a quelques-unes maintenant qui entrent au pouvoir pour prendre le pouvoir pour le pouvoir et, ensuite, faire des choses. Je pense que c'est très bien. C'est cela le "killer instinct" dont je parlais dans mon exposé. Il ne faut pas faire comme moi et se dire "si je perds ce sera normal!" J'ai perdu aussi! On m'a renvoyé chez-nous. I 103 R J'ai eu beaucoup de mal à écrire "la première ministre" mais peut-être que vous avez raison de dire que c'est important de féminiser le vocabulaire du pouvoir. Cependant, je pense que ça ne se fera pas sans mal.

I Vous avez parlé du problème de deux carrières. .Perso nnellement je ne vois pas de solution à cela. Qu'en pensez-vous?

R Je pense que cela n'est pas près d'être réglé. On parle des hommes enceints eh bien, si vous voulez mon avis, ils seront enceints une fois mais pas deux! Sérieusement, je pense que ce sera toujours difficile.

Vous avez sans doute raison de dire que les femmes ne regardent pas leurs fils comme dans mon temps. Elles sensibilisent davantage les garçons. Mais ce n'est pas encore généralisé. Il y a un progrès quand même. Pourtant, il faut se rappeler que dans les CEGEP et les universités il y a encore du sexisme. Je ne sais pas où est la solution. On me dit que l'AFEAS se penche sur le dossier de l'éducation et de la formation des filles. Il est grand temps.

R Vous touchez là le fond du problème: le sentiment de culpabilité. Je n'y ai pas touché parce que je vis avec, et encore plus que vous ne pouvez l'imagi- ner. Pour l'assumer, j'ai mené des luttes inconcevables. C'est cela le fond de la solitude de la femme en politique. Je souhaite aux femmes de s'en sortir au plus tôt.

Je pense qu'un député ou un ministre qui ne répond pas à un électeur perd le vote de cet électeur. C'est important de répondre. La politique est devenue quelque chose de totalement ouvert. Avec la télévision, la politique est entrée dans nos salons et ce phénomène a eu des conséquences graves. Plus ça va, moins on dit de choses valables et plus on essaie d'être beau. Toutes les campagnes électorales sont axées sur les médias et ensuite on critique les journalistes qui font des manchettes. Je pense que la politique et les médias devront chacun reprendre leur place; les politiciens se plaignent souvent d'être mal cités. Personnellement, en deux ans, je n'ai jamais été mal citée. Je pense que lorsqu'on dit quelque chose de clair nous ne sommes pas mal cités.

104 ATELIER 6: MILITANTISME EN VUE DU POUVOIR ALLOCUTION DE MAITRE LORRAINE DUGUAY

II me fait plaisir d'avoir l'occasion de rencontrer aujourd'hui des membres de votre groupe. Je me propose de vous soumettre quelques réflexions et je souhaite que nous puissions avoir un échange entre nous duquel jailliront des idées claires.

Tout d'abord je trouverais intéressant que nous nous situions par rapport au langage. Il y a un niveau de langage qu'il faut bien saisir. Lorsqu'on m'a demandé de participer à cet atelier aujourd'hui intitulé "militantisme en vue du pouvoir", je me suis posé mille et une questions, la première étant de me demander quel était le sens du mot "militantisme". j'ai regardé dans mon dictionnaire et je n'ai pas trouvé le mot "militantisme". Je me suis dit que c'était peut-être un anglicisme. J'ai par la suite chercher les mots "militer" et "militante" et j'ai constaté que le mot "militer" venait du mot "militaire".

Ainsi ces mots veulent dire travailler mais surtout lutter et combattre. C'est un vieux mot français qui nous vient donc des luttes et des batailles qu'ont dû mener les hommes dans le passé. Ce niveau de langage un peu viril, les hommes le connaissent bien et savent l'utiliser. Il est intéressant de constater comme les mêmes mots revêtent parfois un sens tout à fait différent selon qu'ils sont liés à la gent masculine ou à la gent féminine. Par exemple, vous n'avez qu'à dire un "homme public" et une "femme publique" pour comprendre tout de suite.

Est-ce que dans le dictionnaire le terme masculin existe dans le sens où on entend les mots féminin ou féminine? Les hommes parlent-ils de leur masculinité comme nous parlons de notre féminité? Parlent-ils de leur masculinisme comme nous parlons de notre féminisme?

Il faut être conscientes de la puissance du langage. La façon que nous avons de nous exprimer est primordiale en politique pour mener au pouvoir.

J'avais pensé pour notre rencontre d'aujourd'hui vous faire l'historique de toute l'histoire du travail militant à travers les siècles. Mais au bout de deux minutes j'aurais perdu votre attention. J'aurais pu parler d'Alexandre le Grand, de Catherine la Grande, de Napoléon, de leurs batailles, de leurs luttes et de leur travail au sein d'un parti. Mais militer, pour moi, n'est pas une façon de travailler pour arriver à ce pouvoir car le pouvoir militaire, je crois, n'intéresse pas les femmes. Aujourd'hui menacées par le nucléaire, je pense que nous sommes à tous les niveaux au même pied cela n'a jamais intéressé les femmes. Nous sommes là pour mettre des enfants au monde, ce fut le premier rôle que nous avons valorisé et aussi pour donner de l'espoir et bâtir un avenir. La destruction n'a jamais été un but principal des femmes, non plus que la conquête.

105 Que voulons-nous, au fond réellement? Ce que nous voulons c'est de faire passer des idées. Et comment devons-nous travailler pour les faire passer? Est-ce que nous croyons que c'est dans le pouvoir que nous pouvons réaliser nos objectifs?

Il faudrait donc définir aussi le mot pouvoir. Le pouvoir, c'est une possibilité, c'est une autorité, c'est une puissance, c'est une efficacité et il se trouve à tous les niveaux. Ainsi, il y a le pouvoir économique, le pouvoir politique, juridique, législatif, etc... Il faut définir dans lequel vous voulez aller.

Dans notre réflexion sur le pouvoir, devons-nous nous en tenir au passé ou devons-nous parler d'aujourd'hui et de demain? Je sais bien que le passé est garant de l'avenir mais face aux changements technologiques d'aujourd'hui, je crois que le pouvoir est autre. Conrad Blacks disait, lors d'une entrevue alors qu'on lui demandait s'il voulait faire de la politique, "cela ne m'intéresse pas parce que là n'est pas le pouvoir". En politique le pouvoir appartient à un homme ordinairement le Premier ministre. Les autres font partie de l'équipe et suivent ses idées. Et les idées du Premier ministre, souvent dépendent d'un autre pouvoir. Vous le voyez tous les jours dans les journaux. Elles dépendent souvent et de plus en plus, du pouvoir économique. Louis XIV a été grand car il était économiquement fort. L'Angleterre a été grande parce qu'elle était forte économiquement. Aujourd'hui il y a deux puissances dont on parle: une puissance économique qui sont les Etats-Unis et une puissance militaire, qui voudrait être économique mais qui ne l'est pas, qui est puissance d'armes et d'hommes c'est I'D.R.5.S.. C'est aussi une puissance d'idéologie. Vous avez dans ce pays beaucoup de militants qui travaillent au sein d'un parti politique et sous contrôle. C'est un pays à dominance contrôlée pour l'ensemble de sa population. Les Etats-Unis quant à eux sont une puissance surtout économique.

Balzac écrivait: "tout parti est accessoirement ingrat quant à ses militants". N'est-il pas vrai que toute révolution a tuer ses militants? Les militants ne restent jamais longtemps au pouvoir car celui que le détient s'entoure de proches collaborateurs et souvent évince les plus actifs au sein du parti.

Hitler a obtenu le pouvoir et s'est entouré de fidèles collaborateurs. Ainsi en fut-il de Napoléon. Un autre pouvoir que je suggère, et celui-là beaucoup moins inrat, est celui des idées. Suivre l'exemple d'une madame de Staël est un pouvoir qui pourrait convenir aux femmes. Napoléon disait d'elle: "Si j'avais su et connu le pouvoir de cette femme, j'en aurais fait une alliée". Et voilà où il faut s'en aller. Je pense qu'il faut avoir des idées. Et madame de Staël avait des idées: avec des idées on peut changer le cours des choses.

Vous savez, j'ai souvent remarqué que les personnes les plus militantes à l'in- térieur d'un organisme n'étaient pas souvent celles qui étaient le plus appré- ciées. Prenons par exemple, il y a quelque temps, les trois colombes qui sont allées à Ottawa. D'où venaient ces colombes? Est-ce qu'elles étaient des mili- tantes à l'intérieur d'un parti? On sait que monsieur Trudeau était intéressé par le NPD à ce moment-là, que monsieur Pelletier était rédacteur à la Presse et que le troisième était un syndicaliste fort connu. On est donc pas allé cher-

106 cher, pour l'exercice du pouvoir, des gens à l'intérieur du parti, mais plutôt des gens qui faisaient parler d'eux, qui avaient des idées. La seule façon d'arriver au pouvoir, à mon humble avis, c'est d'avoir de la visibilité, c'est d'être reconnu pour ce qu'on a fait.

Au tout début de votre brochure intitulée "Comment prendre sa place en politi- que?" vous parlez d'une première implication, "l'implication dans son milieu". Cela est autre chose que l'implication dans un parti. Je crois, par exemple, qu'un organisme comme l'Aféas a drôlement plus de pouvoir qu'un groupe de femmes travaillant à l'intérieur d'un parti. Si toutes ces femmes réunies ensemble disaient un jour au gouvernement "nous voulons telle chose et nous allons voter dans telle direction", je pense que quel que soit le parti, ils veulent conser- ver le pouvoir et devant des pressions organisées, ils s'y soumettront. C'est là qu'est le pouvoir. Vous devez militer dans votre milieu et non pas à l'inté- rieur d'un parti à mon avis, parce qu'on vous utilisera. On vous utilisera pour faire du porte à porte, pour écrire des lettres, pour coller des timbres, pour faire des appels téléphoniques. Mais quand il s'agira de vous donner la visibi- lité dont vous avez besoin, on vous oubliera et on ira chercher monsieur Untel, qui lui, est vice-président d'une compagnie ou président d'une banque et votre travail sera source de frustation. C'est la pire des choses.

Il faut se sentir valorisée dans son milieu, il faut sentir qu'on fait quelque chose pour quelqu'un et surtout, comme disait madame de Staël, il faut avoir une cause à mener. Quand vous avez un but à atteindre, vous verrez qu'à ce moment- là les forces nous viennent et qu'on sait s'entourer..

Balzac disait encore: "Le pouvoir nous laisse tels que nous sommes. Il ne grandit que les grands". Donc ce sera toujours les grands qui auront véritable- ment le pouvoir et nous serons toujours telles que nous sommes. Si nous voulons faire quelque chose telles que nous sommes, nous devons avoir une équipe. Pour avoir l'équipe, je vous parlerai de réseaux, je vous parlerai de parrainnage, de marrainnage, de mentor. Si vous voulez atteindre le pouvoir, rappelez-vous que vous ne l'atteindrai jamais seule. Vous avez besoin de gens qui vous aideront, qui partageront vos objectifs, qui seront vos confidents et vous aideront à éviter les échecs et surtout les erreurs impardonnables.

Je vais vous raconter une petite anecdote pour vous illustrer à quel point quelqu'un peut briser son image en quelques secondes. Il y a quelque temps, je siégeais à un conseil d'administration dont je suis membre et sur lequel se trouvent également plusieurs autres femmes. Lors d'une campagne municipale, le conseil d'administration avait décidé d'inviter deux candidats de différents partis politiques pour nous adresser la parole. Le premier candidat s'est présenté, nous a fait un bref exposé de son programme et a souligné à un moment donné, combien il était heureux de constater la présence de plusieurs femmes à notre conseil d'administration. Et d'ajouter qu'il s'empresserait d'en faire autant une fois élu. Il nous a même nommé des femmes dont il désirait s'entourer. Il nous a paru très habile. L'autre candidat, pour sa part, n'a pas caché sa surprise de voir "tant de femmes ici". Il est même allé jusqu'à faire certains commentaires incongrus et établir des comparaisons de mauvais aloi entre les femmes et les minorités ethniques actives qui "lorsqu'elles arrivent quelque part prennent toute la place". La réaction des membres du

107 conseil, à ces remarques, fut polie mais réservée. Une fois le candidat parti, il apparut évident que ce dernier, en quelques mots, s'était complètement discrédité et qu'aucun vote ne lui avait été acquis.

Je reviens donc à mes propos du début sur le langage. Il faut être conscientes que parfois en une phrase, vous pouvez perdre toute votre image. Rappelez-vous la ministre de l'éducation dans un gouvernement précédent et sa réaction sur la désormais célèbre question des Yvette. Ce n'était pourtant pas son intention. Mais en une phrase...

Rappelez-vous qu'au niveau du langage vous ne devez pas blesser, vous devez faire attention aux autres. Je vous dis parfois qu'il est préférable de garder le silence. Soyez positive, ne critiquez pas. Posez des questions plutôt que d'émettre des affirmations et vous verrez que le pouvoir est facile à atteindre quand on a des idées à défendre.

108 COMPTE-RENDU DES ECHANGES LORRAINE-DOGUAY; LE MILITANTISME EN VUE DO POUVOIR

Avant de commencer la période de questions, j'aimerais vous dire que je favorise l'interaction entre les participantes pendant le prochain échange.

I Selon vous, les groupes de pression tel que l'AFEAS ont beaucoup de pouvoir. Est-ce à cause du nombre de leurs membres ou pour d!autres raisons?

R II y a le nombre oui, mais aussi la visibilité de l'organisme. Les Chambres de Commerce sont un autre exemple. A mon avis,- pour avoir de la visibilité il ne faut pas avoir peur des conférences de presse car tous les problèmes de femmes ne sont pas que des problèmes de femmes; ce sont des problèmes de société. Et si je reprends l'exemple de l'AFEAS, imaginez 30 000 femmes descendant à Québec! Quel pouvoir!

I Pensez-vous que c'est le parti au pouvoir qui a le plus de chances de faire passer ses idées?

R Pas nécessairement. Un groupe de pression bien organisé peut forcer un gouvernement à passer ou ne pas passer un projet de loi. Rappelez-vous l'exemple des retraités!

I Je suis partiellement d'accord avec vous. Il me semble que dans notre sys- tème, si on veut exercer cette forme de pouvoir qui s'appelle le pouvoir politique, l'instrument qu'il faut prendre, c'est le parti politique. J'ai- merais que vous parliez des conditions qui rendraient les femmes plus visibles dans les partis.

R Quand je vous parlais de réseau, c'est un peu de cela que je parlais. Il faut jouer le jeu, le jeu politique. Savoir se blâmer et se critiquer en Chambre et pouvoir en sortir en se tapant sur l'épaule. Les femmes sont souvent plus émotives; il faudrait se rappeler que c'est un jeu. Quand les hommes choisissent quelqu'un, c'est à ce jeu qu'ils pensent. On se dit "celui-là on va le monter au sommet et sa gloire rejaillira sur nous". Malheureusement, on n'agit pas ainsi entre femmes. C'est ce qu'il faudrait faire. Une fois arrivée au pouvoir, c'est de se former une équipe.

î Je suis d'accord avec vous. Quand il y a des interventions à l'Assemblée Nationale, si l'ensemble des groupes de femmes lançaient la balle dans le même sens cela nous donnerait beaucoup plus de poids au niveau du pouvoir décisionnel. Les femmes au pouvoir politique ont besoin de sentir qu'il y a un autre pouvoir derrière elles, celui des groupes de pression.

Pour ce qui est des médias d'information, je pense qu'il faudrait absolument que les femmes apprennent à maîtriser cet outil. Peut-être que ça pourrait faire l'objet d'un autre colloque. Comment occuper la place à l'intérieur des médias? Pourquoi n'y a-t-il que les groupes les plus importants qui ont droit à la page couverture alors qu'il se passe un tas d'autres choses importantes ailleurs. Rappelons-nous que si la société se remet en question actuellement c'est parce que les femmes se sont remises en question.

109 R C'est certain qu'idéalement toutes les femmes devraient poursuivre le même objectif. Cependant il ne faut pas jeter le blâme uniquement sur les groupes de femmes. Quand les députées sont élues on a l'impression qu'elles oublient parfois les groupes de femmes.

I Ce que je trouve important, c'est que les femmes apprennent à créer leur propre solidarité, leurs interdépendances. On a vécu centrées sur nos préoc- cupations individuelles en tant que groupes et je pense qu'il faut arriver à une maturité qui nous permettrait de créer une interdépendance, cette solida- rité qui fera avancer la cause.

R Je pense que lorsqu'on parle de militantisme il faut se dire que chaque soldat est important, du plus faible au plus puissant»

I Actuellement est-ce qu'il existe des groupes, un mouvement militant pour permettre aux femmes d'accéder au pouvoir?

R Je pense que ça existe. La preuve c'est que les hommes commencent à avoir peur de nous. Ce qu'il faut faire c'est se dire: "on est là et on reste là". La preuve qu'on peut changer les choses, c'est l'exemple des canadiens fran- çais. Il fut un temps ou les canadiens anglais disaient "on ne peut pas engager de canadiens français à des postes de direction, ils n'ont pas la compétence". Il y a eu une volonté de changer cet état de chose et cela a changé. Les canadiens français ont prouvé qu'ils étaient capables. Je pense qu'on pourra faire la même chose avec les femmes. Il n'y a qu'à regarder les statistiques qui mont-rent que les PME qui font vivre le Québec sont en majorité contrôlées par des femmes.

I II y a beaucoup de PME contrôlées par des femmes, mais il y en a aussi énormément qui sont nées et ont subsisté grâce à des femmes collaboratrices. Finalement, ce sont les hommes qui en profitent et cela parce qu'on n'ose pas dire "j'ai ma participation et donne-là moi!". Là aussi il y a un pouvoir qui nous échappe.

R Vous avez raison» II faut apprendre à lire, bien comprendre les contrats et se rappeler que le pouvoir c'est la propriété* J'ajouterais que pour moi militer c'est travailler avec des groupes unis qui vont sur la place publique conscientiser les gens, former son armée et aller au combat, pas avec des armes, mais avec des mots. Les femmes s'expriment bien en général et elles ont quelque chose à dire.

I II y a une chose que je déplore, c'est que lorsque je vais à des activités comme celle d'aujourd'hui, il me semble que je vois souvent les mêmes person- nes. Il me semble qu'il faudrait retourner dans notre milieu pour partager ces merveilleuses expériences avec d'autres femmes. Notre force viendra de ce que nous pourrons aller chercher une autre femme et l'intéresser.

R Oui. Il faut former son réseau. Aller se chercher 15 femmes qui, à leur tour, iront se chercher 15 femmes. Toutefois, il ne faut pas oublier que souvent les femmes n'ont pas les moyens économiques pour participer à une activité comme celle-ci. Economiquement, on n'est pas encore fortes. Il faut travailler à cela. Par exemple, savez-vous combien la Chambre de Commerce de Montréal peut ramasser d'argent pour amener ces monsieurs à leur congrès? 100 000$, et ces fonds viennent de l'industrie privée. Il faut s'organiser dans les finances comme dans le reste.

110 I Je pense que l'AFEAS a aujourd'hui mis les fondations d'un premier réseau. Je vais retourner dans mon milieu et je vais tenter d'étendre ce réseau. J'en convaincrai 5, 10, 100 peut-être. L'important, c'est de continuer et d'être des multiplicatrices.

R Vous savez les hommes font la même chose. Les réseaux, il y a longtemps qu'ils connaissent cela. Ils ont quelque chose qui fonctionne bien, pourquoi ne pas faire comme eux? Il faut se rappeler qu'un réseau ce n'est pas nécessairement un groupe très grand. Ce peut être 15 femmes seulement, mais 15 femmes influentes.

I Je pense qu'il faudrait peut-être sortir des mouvements de femmes et aller dans des mouvements où il y a des hommes, comme les Chambres de Commerce par exemple, pour prouver ce dont on est capable. Je pense que si on reste toujours entre nous ce ne sera pas très efficace.

R C'est juste. Si on se referme sur nous, on ne pourra pas obtenir le pouvoir. Il faut tenir compte de cette composante. Il ne faut pas non plus négliger l'apport financier qui peut venir de là.

I C'est vrai qu'il faut travailler avec les hommes, mais il ne faut pas oublier que toutes les femmes ne sont pas encore prêtes à cela. Alors, je pense qu'il ne faut pas nier l'importance des organismes de femmes.

R Vous avez raison, mais quand les femmes sont rendues à un autre niveau, il ne faut pas les empêcher d'accéder à ce niveau. Il faut les appuyer.

I La discussion qu'on vient d'avoir me fait réaliser qu'un groupe de femmes n'est pas nécessairement un ghetto. Il n'est un ghetto que lorsqu'il se referme sur lui et je pense au club masculin les "old boys network". Les hommes n'ont pas cessé de les fréquenter parce que ce sont des endroits ou ils refont leurs forces. C'est important qu'on garde en tête cet aspect pour les groupes de femmes.

R Nous avons besoin de chacune d'entre nous.

I Je pense que la nécessité de se regrouper existe à deux niveaux. D'abord il faut se regrouper pour se soutenir et, ensuite, il faut se regrouper pour développer notre pensée. Du côté du financement, il faudrait peut-être arrêter d'aller chercher des miettes pour faire ensuite des choses extraordi- naires avec ce montant.

R Vous avez raison. Il faut se sensibiliser à cela.

I Je reviens à la question de réseau. Je pense qu'on n'a pas seulement besoin de femmes influentes. Si un grand chef cuisinier n!a pas de laveur de vaisselle, il n'aura rien pour présenter ses créations. Si on n'a pas de comité de téléphone, on est mal pris. Alors, le réseau, il faut le former à la grandeur et ne pas lever le nez sur personne.

I J'aimerais rappeler qu'il est important de travailler avec les femmes qui sont en politique. Il y a une interconnection qui doit jouer.

111 C'est certain qu'on ne peut rien faire s'il n'y a personne pour nous appuyer. Mais, il ne faut pas aller uniquement vers le pouvoir politique. Il faut investir tous les pouvoirs.

112 ATELIER 7: JEU DES APPUIS DANS LES PARTIS ALLOCUTION DE HADAME NADIA ASSIMOPOULOS

II me fait vraiment plaisir d'être avec vous aujourd'hui car il est important pour les femmes d'entrer en politique si on veut intervenir dans la prise de décisions. Il y a beaucoup de femmes compétentes qui peuvent être efficaces en politique; il faut cependant savoir comment le devenir à moindre frais. Il est toujours plus difficile de faire de la politique sans connaître les règles du jeu. Cela peut nous retarder dans notre carrière. Il faut donc saisir les enjeux concrets de la politique active. Dans cet exposé je ne peux pas être exhaustive mais j'essaierai de faire une analyse succincte, en puisant des exemples dans les deux partis que je connais, des thèmes suivants? - l'identifi- cation des réseaux: quels sont les réseaux? - A quoi servent les réseaux? - Comment peut-on se faire des réseaux?

A- Identification des réseaux

II y a des réseaux qui peuvent nous aider dans une carrière politique. Ils sont à l'intérieur d'un parti politique mais ils peuvent être à l'extérieur et être tout aussi importants, il ne faut pas l'oublier. Il y a aussi les réseaux des médias qui sont importants pour une carrière. Dernièrement sont apparus des fractionnements de réseaux et j'aimerais insister quelques instants sur ceux-ci.

Au sein d'un parti politique il y a des réseaux de toutes sortes. Ils peuvent être créés sur des différences de courants idéologiques, des courants de pen- sées, d'idées. Je vous donne un exemple: au parti Québécois, vous avez entendu parler des "orthodoxes" et des "révisionnistes". Ce sont des courants d'idées ou de pensées sur les analyses de la question nationale à l'intérieur d'un parti. Il y avait aussi le courant des sociaux-démocrates avec des tendances sociales différentes par rapport aux autres, le Dr. Lazure ou Monsieur Pierre Marois en tête. Par contre le côté centriste au Parti Québécois, était repré- senté par des gens comme . Vous voyez déjà que des gens du même parti peuvent avoir des opinions différentes. Ils avaient des divergences d'opinions, donc ils avaient des réseaux derrière eux constitués par des gens ayant les mêmes affinités.

Au parti Libéral les mêmes distinctions se font au niveau de la pensée natio- nale; il y a des gens qui sont plus nationalistes par rapport au Canada. Lorsqu'il y a eu le rapatriement de la constitution, le vote à l'Assemblée Nationale contre le rapatriement unilatéral était divisé; parmi les 49 députés libéraux, 40 ont voté avec le gouvernement du Parti Québécois, mais 9 ont voté contre. Ils représentaient un autre courant de la pensée nationaliste. Au niveau de la tendance sociale il y a actuellement des "néo-conservateurs" ainsi que des "libéraux" au sens plus classique du terme. Ce sont des gens comme , Thérèse Lavoie-Roux, Herbert Marx. La tendance néo-conservatrice est pour la privatisation à outrance, représentée par Messieurs Gobeil, Fortier, McDonald.

113 Vous avez donc ici deux types de courants au sein d'un parti. Cela peut être à propos de la question nationale ou des tendances sociales qu'on veut implanter. Mais vous avez aussi d'autres clivages de pouvoir et réseaux d'influence. Au niveau de la deputation, certains députés sont plus influents que d'autres. Il y a ceux qu'on appelle des "poteaux". Vous savez que si vous arrivez à convain- cre l'un d'eux, il entraînera dans son sillage 6 ou 7 autres. Les députés qui représentent des régions agricoles par exemple, ayant les intérêts de leurs citoyens à appuyer, étaient plus sensibles à tel et tel projet de loi et on savait comment obtenir leur appui. Mais en retour, évidemment, il fallait qu'ils appuient des projets de loi que d'autres collègues appuyaient. Donc des clivages en terme de pouvoir au sein des députés et au sein du conseil des ministres.

Tous les ministres n'ont pas la même influence, même s'ils sont dans le conseil des ministres. C'est un autre clivage. L'entourage du chef, composé de députés et de ministres, a plus de pouvoir. Quand je dis qu'il y a des ministres plus influents et d'autres qui le sont un peu moins, je pense par exemple à l'in- fluence de Marc-André Bédard, au sein du Parti Québécois et à celle de : c'est évident qu'elle était supérieure à celle du ministre des commu- nications. Les raisons sont diverses. Cela dépend beaucoup de la conjoncture. Ce n'est pas nécessairement une question de compétence, quoi que ce le soit toujours un peu parce qu'il faut défendre son dossier et que dynamisme et compétence font avancer les projets, mais il y a aussi d'autres raisons. Quel- qu'un comme Marc-André Bédard par exemple avait toute la région du Saguenay Lac St-Jean derrière lui: c'était très important et cela lui donnait un poids supplémentaire. Une autre raison peut être celle de la position officielle qu'on détient. Par exemple, lorsqu'on est ministre des finances on a plus de pouvoir à cause du budget qu'on élabore, des décisions qu'on doit prendre et de l'impact que ces décisions peuvent avoir par rapport à quelqu'un qui dirige un ministère comme celui des communications qui est relativement moins important.

Voilà pour les réseaux à l'intérieur des partis. A l'extérieur des partis (c'est important pour comprendre comment la politique fonctionne), vous avez des réseaux d'intérêts qui sont de toutes sortes. Ils peuvent être politiques, sociaux etc.. Parmi ceux-là, il y a des réseaux à caractère très local, comme les gens qui s'opposaient aux carrières Miron. Dans un comté, si on veut se faire élire, l'engagement face aux intérêts représentés par un tel groupe de citoyens compte aussi bien que d'autres engagements à caractère plus national.

Il existe des réseaux à caractère plus particulier ou même plus général, par exemple les mouvements pour l'avortement: ce n'est plus local, ce n'est plus particulier, ce n'est même plus national. C'est vraiment à caractère général. De même pour le mouvement Pro-vie. Donc on est pour ou contre l'avortement et cela fait des clivages dans la société. Il peut y avoir aussi des clivages sociaux-professionnels, les Chambres de commerce, l'Ordre des médecins ou d'autres organismes ou associations comme ceux-là. La population, en raison de groupe d'âge ou de sexe, auxquels les gens appartiennent peut se diviser en différents groupes d'intérêt qui sont susceptibles d'influencer les décisions politiques.

114 Je veux parler aussi des médias comme réseaux. C'est important dans la carrière d'une personne dans le sens suivant: il faut savoir recueillir de l'information et vos relations avec la presse à ce niveau peuvent être importantes, mais il faut aussi savoir en donner et comment la donner. Il faut être en mesure de bâtir sa crédibilité au niveau national et dans ce sens-là, la presse est importante. Au point de vue de l'image, la presse peut démolir une personne comme elle peut aider à sa carrière. Les relations avec les médias et les journalistes sont donc très importantes, presqu'autant que les relations avec d'autres réseaux.

Je voudrais quand même vous mettre en garde en disant que tous ces réseaux, ne ne sont pas étanches. Parfois on peut faire partie en même temps d'un mouve- ment Pro-vie et être partisane de l'évolution beaucoup plus radicale, beaucoup plus sociale-démocrate dans d'autres domaines. Il y a toujours un va-et-vient entre les personnes qui font partie de ces réseaux. Parfois on peut faire partie de 2, 3 ou 4 réseaux à la fois, selon notre affiliation professionnelle et selon les gens qu'on représente en politique. B. L'utilité des réseaux

Maintenant: "A quoi servent les réseaux?" Pourquoi faut-il des réseaux? La première utilité est celle de pouvoir se faire élire à des structures formelles du parti avant d'être députée. Il faut se faire élire dans l'exécutif de comté de région ou même à l'exécut-if national. Pour cela vous avez des gens qui peuvent appuyer cette candidature, qui peuvent vous aider, par leur vote, à mener votre élection à une convention, pour ensuite appuyer votre élection comme député dans votre comté.

C'est important aussi de s'intégrer à des comités d'un parti, comité d'action politique des femmes, comité des relations internationales, comité des jeunes. Cette participation aux comités permet de prouver vos compétences, de vous faire connaître et apprécier. Il faut être de ceux et celles qui sont suscep- tibles d'être proposés à des postes.

Il faut aussi bien saisir les raisons de la création de ces réseaux, de ces alliances. Vous en avez besoin pour promouvoir votre candidature ou obtenir le règlement des dossiers concernant votre comté une fois élue. Il est souvent nécessaire de faire front commun avec d'autres groupes ou réseaux, d'autres clivages à l'intérieur de votre parti ou même à l'extérieur, dans le milieu local ou régional, afin d'obtenir la réalisation de tel ou tel projet ou de l'en empêcher. Je vous donne deux exemples classiques de pour ou de contre. C'est avec l'appui de tous les réseaux et du milieu à l'intérieur du parti comme à l'extérieur que la loi 101 ou la loi "anti-scab" ont pu être votées. A l'opposé deux projets de réforme majeur n'ont pu se faire adopter parce qu'il n'y avait pas ce front commun: celui sur la réforme du scrutin et la loi 40 sur la réforme scolaire. Les réseaux sont donc utiles.

115 De plus les réseaux sont utiles comme appui à la carrière politique. L'isolement peut démolir rapidement une carrière politique. Je vous donne deux exemples prises dans notre parti, celui de Rodrigue Tremblay qui a été ministre seule- ment une année je crois, et celui de Lise Fayette, après l'affaire des "Yvet- tes". Parce qu'elle était isolée au conseil des ministres. Quand on lui a injustement imputé une certaine responsabilité de la défaite du référendum, ça l'a incitée à ne plus continuer. Si elle avait continué elle se serait fait élire en 1981 et en plus elle avait énormément de dossiers à défendre.

Cela peut aussi, remarquez bien, produire un phénomène inverse. Quand il y a des réseaux qui s'affrontent, les personnes qui sont plus neutres ou plus conci- liantes finissent par bénéficier de cet affrontement entre deux tendances con- tradictoires. Pour éviter une rupture les gens préfèrent appuyer des personnes qui font partie de deux réseaux ou pouvant les concilier. L'appui des fractions dominantes dans un parti propulse les gens vers le haut dans le sens suivant: les ministres qui sont influents exercent des pressions pour que les personnes qui les appuient fassent aussi partie du conseil des ministres. Ils s'entou- rent des gens qui appartiennent à leurs tendances pour avoir plus de poids et ensuite pour défendre leur propres dossiers et vice-versa. Etre de l'entourage de quelqu'un ayant du poids permet de faire avancer notre carrière. Les hommes l'ont compris et font des choix en fonction de cela.

Finalement les réseaux sont utiles car ils peuvent avoir une influence sur les orientations d'une action politique. Je suis convaincue que si on a l'attention de celui qui détient le pouvoir, on peut réaliser plus facilement nos projets. C'est donc détenir un pouvoir que de contribuer à faire adopter telle orienta- tion dans le programme, telle décision gouvernementale. Je vous donne l'exemple de la décision de ne pas poursuivre les contrevenants à la loi 101 ou les contrevenants à la loi sur l'avortement.

Je sais bien que les femmes ont tendance à s'engager en politique beaucoup plus par idéologie et par dévouement que les hommes, par générosité je dirais. C'est très louable et je pense que la politique, qui était une mission par le passés devrait continuer à l'être et dans ce sens là, l'apport des femmes est important. Mais ce n'est pas suffisant. Il faut, bien sûr, avoir de la compé- tence mais aussi comprendre les mécanismes de la politique, autrement on se décourage ou on échoue. Quelqu'un comme Lise Fayette qui a été complètement désenchantée de son expérience ce qui l'a incitée à abandonner alors qu'elle avait encore énormément de choses à faire à la fois pour le parti et pour la société québécoise, puisque pour les partis nous ne travaillons pas seulement pour un parti mais pour le progrès societal aussi, connaissant mieux les méca- nismes de la politique elle aurait pu les utiliser et persévérer dans sa car- rière.

C- L'intégration aux réseaux

Voyons maintenant un aspect encore plus concret: comment faire partie des ré- seaux. Il faut utiliser les structures formelles. Cela peut être à la fois les structures du parti et celles hors parti. Occuper des fonctions ds responsabi- lité à un exécutif local, régional, national. Etre dans des comités; être adjoint politique dans un cabinet ministériel quand votre parti est au pouvoir.

116 Mais il y a aussi les structures hors parti comme par exemple dans les Chambres de commerce, ou être directrice d'un CLSC, d'un CEGEP (surtout à l'extérieur de Montréal), faire partie d'associations de loisirs . Etre présente dans un Con- seil Supérieur, par exemple celui de l'éducation, le Conseil du Statut de la femme, être membre du conseil d'administration de grandes sociétés comme Radio- Québec etc... Il faut donc essayer de faire partie des structures du parti ou hors du parti mais dans des positions de pouvoir. Cela vous aidera à vous intégrer dans des réseaux.

Il y a aussi les contacts informels. En plaisantant c'est bien-sûr qu'il y a beaucoup de décisions qui se prennent dans les toilettes des hommes (Madame Fayette l'a dit hier dans le film que vous avez visionné) et je suis d'accord avec elle. Mais pour être plus sérieuse les contacts informels sont aussi importants que l'intégration à des réseaux formels. C'est ce qu'on appelle les déjeuners d'affaires, prendre un verre avec des gens après une réunion, les inviter chez soi, tout l'aspect social quoi! Téléphoner aux amies des amies c'est-à-dire que si on vous présente quelqu'un vous ne devez pas manquer l'occa- sion de prendre contact quelques jours après pour échanger sur votre vision des choses. C'est important de prendre contact et de faire des échanges enrichis- sants et valorisants pour les personnes. Vous savez c'est faisable et il faut avoir du plaisir à le faire.

Je pense que le plaisir se développe de cette façon et c'est un aspect de la politique qui est très enrichissant. Cela vous aide aussi à mieux relativiser vos propres idées, à devenir mature plus rapidement, à intégrer les idées des autres.

Les alliances, vous savez sont généralement informelles; elles ne sont pas écrites sur papier, il n'y a pas de preuve, pas de protocole à signer. C'est fait oralement autour d'un verre ou autour d'une table et elles peuvent se modifier. Elles ne sont pas toujours les mêmes. Ce ne sont pas toujours les mêmes personnes qui s'allient pour défendre tel ou tel dossier. Je crois qu'il faut une certaine souplesse en politique car la rigidité empêche les concilia- tions. Prenez l'exemple des "orthodoxes" et des "révisionnistes"; les deux camps avaient des positions qui étaient inconciliables et on n'a pu faire le concensus nécessaire pour garder l'unité dans notre formation politique. Il faut donc une certaine souplesse mais aussi une certaine constance dans les idées. Il ne faut pas, par opportunisme politique être tellement volatile parce-que cela finit par vous faire disparaître. Les appuis et les alliances se font donc en souplesse mais avec de la constance dans les idées, sinon plus personne n'aura confiance en vous. Il faut pratiquer l'art des compromis mais éviter les compromissions. Il y a une distinction très importante entre les deux. En politique très concrète l'aide politique joue dans les deux sens. On dit "je t'appuie pour tel dossier seulement si tu m'appuies ensuite pour mon dossier". Cela se joue couramment et c'est comme cela qu'on arrive ou qu'on réussit à imposer telle ou telle réforme.

Pour conclure je dirai que pour réussir en politique l'utilisation des réseaux, des alliances est un outil comme un autre et il ne faut pas avoir honte de l'utiliser. Savoir observer les premiers mois pour connaître ce jeu-là et pour décider en connaissance de cause dans quels réseaux on veut s'intégrer, lesquels 117 peuvent nous aider ou pas. Mais il ne faut pas faire l'erreur de penser que l'intégration dans les réseaux qui gravitent autour du pouvoir est suffisant pour occuper une situation de pouvoir. Il faut aussi de la compétence person- nelle et professionnelle. Il faut du jugement et du savoir-faire. Et je suis d'avis également qu'il faut tenir compte d'une conjoncture. Madame Fayette disait que lorsque cela commence à aller mal dans un parti c'est le moment pour les femmes de l'investir car les hommes commencent à le déserter et il y a de la vacance. Dans un sens elle a raison mais ce n'est pas toujours ainsi. Les femmes ont profité de la guerre pour intégrer le marché du travail et faire carrière. Les générations suivantes ont continué.

Il faut profiter d'un autre phénomène conjoncturel important: c'est à la mode d'avoir des femmes en politique. Regardez; après Lise Fayette il y a eu une Pauline Marois qui a fait campagne à la chefferie et qui aurait pu être élue. Pierre-Marc Johnson après avoir été élu a réformé son conseil des ministres et y a inclu 4 femmes. Bourassa a nommé une femme vice-première ministre pour les mêmes raisons. Il faut donc profiter de la mode et ne pas en avoir honte, au contraire.

Quand a écrit son livre "Le pouvoir, connais pas" elle avait à la fois raison et tort. Elle avait raison à mon sens parce qu'elle était relative- ment isolée au conseil des ministres et parce que les réseaux qu'elle représen- tait étaient en affrontement avec les réseaux très puissants d'intérêts profes- sionnels. Par contre elle avait tort dans le sens suivant: à partir du moment où elle a été compétente, qu'elle avait des solutions très pratiques et très réalisables elle a su, parce qu'elle avait bien défendu son dossier, convaincre M. Lévesque. Elle a eu son appui et sa confiance et elle a pu réaliser une réforme majeure. Et pour moi, elle est la première femme au Québec a avoir eu autant de pouvoir et à l'avoir exercé pleinement. Pour moi c'est très impor- tant, parce qu'elle était une femme compétente, persuasive, dévouée, elle a montré de l'acharnement, elle a montré toutes les qualités d'une femme en poli- tique.

18 COMPTE-RENDU DES ECHANGES NADIA ASSIMOPOULOS: LE JEU DES APPUIS DANS LES PARTIS POLITIQUES

I Je trouve qu'il est difficile de faire des alliances. Celles-ci peuvent nous être très utiles au moment des élections, mais elles peuvent nous nuire par la suite, on peut se sentir liée!

R II faut calculer les avantages et les désavantages et faire un choix. C'est très pragmatique. Je pense qu'on ne peut pas, en politique, faire des alliances uniquement par opportunisme. Il faut avoir de la constance dans ses idées, dans son orientation idéologique, quitte à perdre temporairement une élection. Il faut faire des alliances avec des gens qui ont les mêmes idées que nous. Pratiquement ce n'est pas toujours facile. Je dirais qu'on peut faire des compromis, mais pas de compromission.

I J'aimerais que vous parliez du mouvement des femmes en politique. Jusqu'à quel point le mouvement des femmes peut-il servir d'appui à celles qui se présentent en politique?

R Les groupes de femmes ne sont pas homogènes et je pense qu'il serait utopique de croire à l'appui de toutes les femmes. Par contre, l'appui des groupes de femmes dans certains dossiers, c'est très important pour la réalisation de ces projets. Je suis convaincue aussi que le nombre est important en politi- que. Plus on envahit un parti, plus on est susceptible d'avoir de l'appui même s'il n'y a pas nécessairement homogénéité entre toutes les femmes.

I Je pense que le jeu des appuis peut parfois nous nuire. Les hommes peuvent se servir de nous, par la flatterie par exemple, pour faire passer des choses. Comment peut-on déjouer cela?

R Je pense que cela va avec la maturité. Plus on a de l'expérience et plus on peut faire la part des choses entre la flatterie et les points importants d'un dossier. Je suis convaincue qu'à long terme ça ne sert pas car, on s'aperçoit qu'on s'est fait avoir ou encore on continue et on perd toute crédibilité.

I En politique, il y a quelquefois des"patates chaudes." Que fait-on dans ce cas?

R Une"patate chaude", on se la lance et finalement ce sont ceux qui sont les plus isolés qui tombent. Les Yvettes en sont un bel exemple. Ce que Madame Payette a dit à ce sujet faisait généralement consensus auprès des femmes. Mais, à cause du moment où elle l'a dit on a utilisé ses paroles par opportu- nisme politique pour arriver à un objectif précis. Comme Lise Payette était isolée au sein du caucus, cela a été facile de lui attribuer la défaite du référendum. C'est important d'avoir des réseaux ne serait-ce que pour ne pas recevoir une"patate chaude."

Une autre option serait de prendre la"patate chaude" et d'essayer de résoudre le problème. A ce moment il y a deux issues possibles: vous vous réunissez pour renforcer votre pouvoir, ou vous ne vous vous réunissez pas et vous disparaissez de la carte.

119 I Est-ce mieux d'aller chercher ses appuis longtemps d'avance au moment où on se présente à une élection?

R Définitivement il faut commencer son réseau bien avant sinon vous ne réussi- rez pas à vous faire élire. Si vous êtes connue et bien appuyée, on vous fera élire en convention. C'est une préparation à long terme. Les femmes sont souvent plus utopiques là-dessus. Elles attendent qu'on vienne les chercher au lendemain d'une élection pour l'élection suivante. C'est un minimum. Il faut être visible dans les médias locaux aussi.

I Vous avez mentionné qu'on avait écarté Lise Fayette du pouvoir avec l'his- toire des Yvettes. A votre avis, est-ce que certains n'étaient pas contents de l'écarter du pouvoir parce qu'elle était menaçante?

R C'est certain. Dès qu'on prend beaucoup de place en politique, on devient menaçant qu'on soit homme ou femme. Cela fait partie de la politique.

I Vous avez parlé de l'importance d'identifier des alliances. Quand on arrive dans un conseil d'administration, par exemple, est-ce qu'il y a des moyens d'identifier les gens avec qui on peut faire alliance? Une autre question: s'il y a plus de femmes au pouvoir, seront-elles nécessairement plus prêtes à aider les femmes ou seront-elles comme Madame Tatcher?

R A la première question, je donnerai une réponse bien personnelle. Au départ, je resterais observatrice pour les premières semaines ou les premiers mois, sans me compromettre vraiment. Quand les gens parlent, si vous êtes intelli- gente, vous arrivez à les situer assez rapidement. Ensuite on choisit ceux avec qui on est à l'aise. Donc prudence au départ et contact ensuite.

A la deuxième question, je crois que quand les femmes sont peu nombreuses, elles finissent par adopter le modèle des hommes par la force des choses. Mais, si on est plus nombreuses, même s'il y a dissension (comme il y en a d'ailleurs chez les hommes), on aura plus de chances d'être nous-mêmes, d'avoir des réseaux et d'arriver à quelque chose. Quand on est peu nom- breuses pour réussir, on doit parfois être plus catholiques que le pape. Je crois que l'évolution depuis l'époque de Solange Chaput Rolland, par exemple, illustre ce que je viens de vous dire.

I Après la prise du pouvoir, est-ce que les appuis demeurent ou changent?

R Cela dépend des circonstances. Les appuis sont vraiment circonstanciels. Toutefois, après avoir été élue, les appuis sont davantage parlementaires. On va chercher des appuis pour ses dossiers. Le jeu des appuis se fera aussi en fonction des ambitions: on veut détenir des postes plus importants. Il n'y a aucun chef qui est éternel et les politiciens le savent. Les hommes vont rechercher des appuis en fonction d'un plan de carrière et cela les femmes, en général, ne le font pas ce qui, à mon avis, est regrettable.

I J'aimerais que vous nous parliez de ce que coûtent les alliances. Je pense au peu de crédibilité ou d'intérêt que véhiculent les dossiers dits de condi- tion féminine. Quand on doit défendre de tels dossiers, les alliances sont fragiles et coûtent cher à mon avis. J'aimerais savoir si vous croyez que le jeu en vaut la chandelle?

120 R L'ennui c'est que si on n'utilise pas ce jeu-là, on n'arrive à rien. C'est un risque qu'il faut courir sinon nos dossiers ne passeront pas. Evidemments cela coûte beaucoup mais, si on n'a pas d'alliance, on ne peut rien mener à bien, on perd toute crédibilité, tout pouvoir. Bien sur il faut agir avec une certaine prudence en politique ou dans n'importe quelle vie profession- nelle. Cette prudence ne peut être poussée à l'extrême car vous deviendrez tellement prudente que vous n'aurez plus de couleur et personne ne valorisera votre courage. Pour faire des alliances, il faut un certain courage, ne serait-ce que celui de ses idéologies. D'ailleurs, quelqu'un qui ne ferait que des alliances opportunistes n'y gagnerait pas à long terme. Mais cela n'est vraiment pas le problème des femmes. Elles ont beaucoup trop d'éthique pour cela. Alors, les alliances il faut les doser avec son sens de l'éthi- que.

I J'ai eu connaissance, aux dernières élections, de l'expérience de mon candi- dat qui avait avant l'élection tout un réseau pour avoir oeuvré dans diffé- rents milieux et qui, deux mois après l'annonce de sa candidature, se retrou- vait pratiquement sans appui. Je pense qu'il ne faut pas se leurrer non plus avec les réseaux.

R Bien sûr rien n'est assuré. Les réseaux et les médias sont importants, mais il ne faut pas non plus négliger l'élément conjoncturel. Réussir en politi- que, ce n'est pas uniquement une question de compétences personnelles. La réussite est basée sur un ensemble de facteurs.

I Mon expérience au conseil des ministres m'a vite permis de réaliser que lorsque je m'exprime avec conviction en faveur d'un dossier, la personne que j'ai appuyée aura un mot à dire quand viendra mon tour.

I J'aimerais revenir sur la question de rentabilité de certains dossiers. Il faut arriver à démontrer que notre dossier est rentable, par des astuces selon les cas. Quand on a étudié les convictions, l'influence de nos compa- gnons et compagnes, il faut exploiter cela et je dis exploiter dans le bon sens du terme. Par ailleurs, il est évident qu'il y a des alliances à ne pas faire. Toutefois, il faut refuser ces alliances en essayant de ne pas se faire d'ennemis.

R Je suis tout à fait d'accord avec vous pour ce qui est des astuces à dévelop- per et de l'observation à faire de ceux qui nous entourent avant de passer aux alliances.

121 ATELIER 8: LE FINANCEMENT ALLOCUTION DE DANIELLE DEBBAS

II faut espérer que le peu de femmes présentes en ce moment dans l'atelier prouve qu'effectivement nous sommes conscientes du fait que le financement d'une candidature ce n'est pas chinois. Je suis convaincue que la politique est acces- sible aux femmes.

Pour beaucoup d'entre nous les obstacles paraissent insurmontables, particuliè- rement lorsqu'on s'arrête sur la question du financement d'une candidature. Ceci est tout aussi valable au niveau d'une campagne fédérale, provinciale ou munici- pale. J'en ai déjà surpris quelques-unes en disant que ce n'est pas chinois. Nous allons voir pourquoi. Mais avant d'entrer dans les détails j'aimerais faire une mise au point qui me paraît importante. Elle va vous paraître très dure et elle l'est effectivement. La condition sine qua non pour se lancer en politique, pour les femmes aussi bien que pour les hommes (mais évidemment ce sont les femmes qui nous intéressent en ce moment), est l'autonomie financière.

Je ne vous apprends rien en disant que ce pré-requis est un "must". Et pour les femmes c'est encore plus essentiel. Cela ne sert à rien de penser à vous lancer en politique si votre seul revenu est une allocation familiale, un chèque d'as- surance-chômage ou encore le bien-être social. Vous comprendrez pourquoi, au fur et à mesure des explications. Mais je dois faire une précision: être autonome financièrement signifie avoir les moyens de se tenir sur ses jambes.

La première étape pour toute candidature est évidemment la mise en nomination. Pour être candidate désignée dans une circonscription électorale il faut en premier lieu être choisie par les membres de l'association de comté du parti auquel on appartient, auquel vous voulez vous joindre. Les règles sont à peu près les mêmes quel que soit le parti et elles sont les mêmes pour les hommes et pour les femmes. Il n'y a pas de distinction.

A l'étape de la mise en nomination, une des choses les plus importantes est la vente de cartes de membre du parti. Lorsque vous allez vendre des cartes pour recruter du membership, il est évidemment dans votre intérêt de vous assurer que ces gens là vont voter pour vous au moment de l'assemblée de l'association du comté. Cela ne vous donne rien de vendre des cartes à des gens qui voteront pour l'adversaire.

La campagne de mise en nomination est aussi la partie qui est la plus coûteuse parce que l'aspirante candidate doit assumer entièrement les coûts encourus. Cela peut être des frais de déplacements, de téléphone, de bureau, les dé- pliants, les macarons etc... A peu près tout ce à quoi on peut penser. Ces coûts dépendent de l'ampleur qu'on veut donner à cette campagne de mise en nomination. Elle peut coûter 500$ comme elle peut coûter 500,000$. Tout dépend aussi du comté dans lequel vous vous présentez.

122 C'est sûr que dans Outremont ou dans Mont-Royal vous ne ferez pas une campagne simple et modeste comme vous la feriez à Trois-Pistoles ou à St-Glin-Glin Ce qui entre en ligne de compte est aussi l'escalade possible entre deux adver- saires. Si vous n'aviez pas prévu avoir un autobus qui se promène avec haut- parleurs en criant votre nom mais que votre adversaire le fait, il sera peut- être bon que vous le fassiez aussi. Si vous avez des affiches et que lui n'en a pas assez, il en fera refaire etc... Donc il y a une espèce d'escalade et cela peut coûter effectivement très cher.

Tout dépend de ce que vous voulez faire. Quoiqu'il en soit, ces dépenses sont des dépenses qui sortent de votre poche et ne sont pas remboursables par le parti ni par le bureau du Directeur général des élections. Que vous ayez ou non remporté la nomination, cela sort de votre poche. C'est incontestablement l'étape la plus difficile pour les femmes.

Un homme dans la même situation est un peu plus avantagé parce qu'il a accès à tout un réseau de contacts et de relations développés tout au long de son existence, depuis l'école jusque dans le milieu du travail. Il a des contacts professionnels, il connaît des vendeurs, il est dans le milieu. Donc pour lui, c'est un peu plus facile. S'il a besoin qu'on lui prête de l'argent ou qu'on lui imprime des affiches ou des dépliants ce sera plus facile de l'obtenir gratuitement ou à des coûts moindres, que pour vous qui peut-être sortez depuis peu, n'êtes pas très connue etc...

C'est sûr qu'à ce niveau il peut y avoir un problème mais il n'est pas insurmon- table. J'aimerais qu'on en discute ensuite pour trouver ensemble des moyens pour contourner ça, pour s'en sortir à bon compte. Avec beaucoup d'imagination et de débrouillardise et surtout entourée d'une bonne équipe, je crois que l'aspirante candidate peut trouver le financement nécessaire pour sa campagne de mise en candidature.

Maintenant présumons que ça y est, c'est fait: vous avez gagné la mise en candidature. Vous êtes candidate dans votre comté. Qu'arrive-til? Que vous soyez candidate à une élection municipale, provinciale ou fédérale vous êtes tenue de respecter les règlements électoraux régis par la loi électorale du Québec ou du Canada selon le cas.

La loi électorale du Québec régit à la fois les élections municipales et les élections provinciales. La loi électorale du Canada régit uniquement les élec- tions fédérales. Vous remarquerez qu'au niveau du financement il y a deux importantes différences entre les deux lois. Commençons par la loi électorale du Québec qui date d'à peu près huit ou dix ans car elle a été changée avec la venue du Parti Québécois au pouvoir. La réforme de la loi électorale fut un de leur premier mandat. Pour recueillir des contributions au fonds de dépenses électorales, tout parti politique, toute instance d'un parti ou toute candidate indépendante doit détenir une permission du Directeur général des élections qu'on appelle en abréviation le D.G.E.. La responsabilité du D.G.E. est de veiller à l'application de la loi électorale.

123 En tant que candidate désignée d'un parti vous n'avez pas besoin d'une telle autorisation: votre parti est déjà habilité à le faire. Par contre si vous êtes candidate indépendante, vous avez besoin de cette autorisation. Le parti lui, est autorisé par le D.G.E., via son agent officiel, à solliciter des fonds pour le parti. Vous avez besoin d'un agent officiel qui lui, fera la même chose; il prendra en charge toutes vos dépenses électorales, la comptabilité, les dépenses, le recueil des fonds etc... c'est l'agent officiel qui prend cela en main. C'est obligatoire. Vous ne pouvez pas ne pas le faire. Toute entité qui sollicite une autorisation du D.G.E. doit avoir un représentant officiel. Vous ne pouvez pas décider de recueillir des fonds pour vous-même. C'est interdit. Vous devez avoir un agent officiel, cela se fait par écrit au D.G.E. et par l'entremise du directeur du scrutin. Celui-ci vous fait remplir un formulaire et passe la demande au D.G.E..

Le représentant officiel du parti ou l'agent officiel d'une candidate sont les seules personnes autorisées à recueillir des fonds pour la campagne électorale, îl y a plusieurs façons de recueillir des fonds. Ils peuvent le faire par le biais d'activités politiques, par des soirées bénéfices, des soirées de bingo, des soirées de danses, des tirages, tous les moyens sont bons. Ils peuvent aussi solliciter directement des contributions auprès des électeurs et contrac- ter un emprunt.

Les agents officiels et représentants officiels ont l'obligation de présenter un rapport financier qui est conforme aux exigences de la loi électorale. Si vous désirez solliciter des contributions, il vous faut l'autorisation écrite et signée de votre agent officiel. Seules les personnes physiques de plus de 18 ans, résidant au Québec et ayant le droit de vote au Québec peuvent verser des contributions. C'est-à-dire qu'il est impossible pour des personnes morales (par personne morales on entend les compagnies, les syndicats, les organismes, les associations etc..) de verser des contributions. Seulement un militant, c'est-à-dire, vous et moi pouvons verser des contributions. Et moi, si je veux verser une contribution, je dois prendre les fonds non pas dans ma compagnie, mais utiliser mon argent personnel.

Le total des contributions autorisées pour une personne au cours d'une année civile ne peut dépasser 3 000$. Je précise bien que c'est au Québec. Ce montant peut être distribué comme vous voulez. Vous pouvez donner 2 000$ à un candidat, peut-être du Parti Québécois, 1 000$ au Parti Libéral. Vous êtes entièrement libre de le distribuer à votre goût. Cette contribution politique donne droit, au Québec, à un crédit d'impôt maximal de 140$. Ce n'est vraiment pas le Pérou.

Maintenant au même titre que n'importe quel électeur vous pouvez, en tant que candidate, contribuer à votre propre campagne électorale. Vous pouvez être candidate et mettre 3 000$ dans votre campagne comme dans la campagne de quel- qu'un d'autre. Vous avez le droit de le faire. Evidemment il ne faut pas dépasser 3 000$. Comme je le disais tout-à-1'heure, c'est seulement votre agent officiel qui est autorisé à chercher l'argent mais aussi à faire des dépenses à même le fonds électoral. Le fonds électoral lui, est mis à la disposition de votre candidature par le représentant officiel du parti. Votre agent officiel va produire le rapport de toutes les dépenses qui doivent effectivement être justifiées avec des reçus etc... 124 L'agent officiel est donc une personne des plus importantes dans le cadre d'une campagne électorale. C'est pour cela qu'il vous faut choisir une personne très compétente et surtout que vous ayez confiance en elle. C'est important, même si vous n'avez pas à le faire, d'être très au courant de la loi électorale, de ce qui est permis et de ce qui ne l'est pas, de ce qu'on peut faire ou qu'on ne peut pas faire lorsqu'il faut aller chercher des sous. Il peut y avoir des erreurs car elles sont très facile à commettre, vu la complexité de cette loi. C'est arrivé à Marcel Masse et à d'autres. Il faut quand même une bonne connaissance pour éviter d'être prise par surprise a un moment donné.

La question que vous pouvez poser et qui est très justifiée, c'est de savoir jusqu'à combien on peut dépenser dans une campagne électorale. Il y a-t-il des limites, un plafond? Oui, il y a un plafond et il est établi, encore une fois, par la loi et le D.G.E. Il est basé sur le nombre d'électeurs dans une cir- conscription. On accorde tant de sous par électeur. Même les dépenses dites personnelles, effectuées en tant que candidate, sont fixées à un plafond de 2 000$. Cela comprend les dépenses pour vous et votre famille immédiate. C'est comptabilisé comme des dépenses électorales. Cependant ces dépenses personnelles n'incluent pas la publicité. Par dépenses personnelles on veut dire par exemple le coiffeur, les choses nécessaires achetées pour les enfants, etc. C'est limité à 2 000$.

Si vous êtes élue, vous aurez droit a un remboursement partiel de vos dépenses électorales et cela aussi est fixé à tant de sous par nombre d'électeurs dans votre comté. Si vous remportez au moins 20?o des votes vous aurez droit aussi à un remboursement. Le D.G.E. vous versera, sur réception de votre déclaration de candidature, une avance sur les remboursements auxquels vous avez droit, si vous représentez l'un des deux partis dont le candidat a obtenu le plus grand nombre de votes dans votre circonscription aux dernières élections. C'est-à-dire que même si les élections ne sont pas commencées mais que le parti que vous repré- sentez a obtenu 20?o des votes, même s'il n'a pas été élu, vous aurez une avance sur les dépenses parce qu'on sait que vous y avez droit.

Les élections municipales sont elles aussi régies par la loi électorale du Québec. C'est exactement la même chose. La différence réside au niveau des contributions permises par électeur. Au municipal le plafond autorisé par électeur est de 750$ contrairement au 3 000$ du provincial. Donc le plafond baisse mais aussi les dépenses permises baissent. C'est proportionnel au nombre d'électeurs par district.

Je vous disais tout à l'heure qu'il y avait une différence majeure entre la loi électorale provinciale et la loi fédérale. Contrairement au provincial, au fédéral il n'y a absolument aucune limite quant à l'ampleur des contributions qu'un électeur peut verser. Vous pouvez verser 500$, 500 000$, vous pouvez verser 5 000,000,000$, peu importe, vous avez le droit de le faire. Les déduc- tions fiscales sont proportionnelles au montant versé. C'est cependant assez compliqué comme calcul. Vous pouvez obtenir des renseignements dans les dé- pliants du bureau des élections.

125 L'autre différence importante, c'est que contrairement au provincial, en tout cas au Québec, n'importe qui peut verser de l'argent et cela veut dire aussi n'importe quel organisme, compagnie, syndicat, a le droit de contribuer aux dépenses électorales ou à un parti. C'est illimité. Cependant, seules les contributions données en argent sont admissibles pour le crédit d'impôt fédéral. C'est-à-dire que si moi je vous offre gratuitement mes services de communica- trice, je ne peux pas déduire de mon rapport d'impôt 50 000$ de frais puisque je ne vous ai pas donné cela en argent, mais en services. Si je vous ai prêté mon bureau, je ne peux pas en déduire les frais. Il faut que je vous donne de l'argent par chèque pour qu'il y ait une preuve de ces dons (sauf pour un montant de moins de 100$), pour être admissible au crédit d'impôt.

Ceci est un bref aperçu des règles. Ce n'est pas plus compliqué que cela. C'est la loi, ce sont les règles qui s'appliquent en matière de financement électoral. J'espère que vous comprenez maintenant pourquoi je vous ai au dit au tout début que le pouvoir est accessible aux femmes et que le financement n'est vraiment pas sorcier. Mais je le répète, avant de vous lancer dans l'arène, soyez bien conscientes et soyez bien imprégnées des lois électorales pour ne pas avoir de surprises parce que s'il y a un scandale, c'est sûr que votre agent officiel, si c'est lui le responsable, paiera les conséquences; cependant cela rejaillira sur vous, vous serez salie et même si vous êtes réintégrée comme ce fut le cas pour Marcel Masse, il y aura toujours ce petit doute qui rejaillira sur vous.

Si vous avez des questions, si vous voulez plus d'informations, si vous voulez des documents vous n'avez qu'à téléphoner au bureau du Directeur général des élections du Québec ou du Canada selon le cas. Ils ont plein de documents très bien faits, ils sont très gentils, ils vous répondent au téléphone, ils vous donnent l'information, ils sont vraiment tout à fait disponibles.

Maintenant si vous avez des questions, si vous voulez discuter et aller plus loin, je vous écoute.

126 COMPTE-REM)U DES ECHANGES DANIELLE DEBBASï LE FINANCEIOT

I Vous avez parlé de vente de cartes de membres. Si on est candidate indépen- dante, comment trouve-t-on du financement?

R A ce moment vous devrez trouver du financement par vos propres moyens.

I Peut-on avoir une avance du directeur général des élections?

R Non. Le montant dont j'ai parlé est attribué seulement si votre parti a eu aux élections précédentes, 20% des votes. Donc au fond ce n'est valable que pour les partis déjà existants,

I Au niveau municipal où il n'y a pas de parti, est-ce que ces montants d'ar- gent ne sont pas attribuables aux personnes? Je croyais que les candidats recevaient une mise de fond de base?

R C'est possible. Cependant cela me paraît étrange car les fonds doivent venir de quelque part. Je vous conseille de vous adresser au bureau du directeur général des élections où on pourra vous renseigner.

I J'ai deux questions sur l'autonomie financière. Est-ce qu'il faut vraiment oublier la politique si on n'a pas d'autonomie financière quel que soit notre potentiel? J'aimerais aussi savoir si les femmes qui sont actuellement en politique sont des femmes mariées, célibataires ou divorcées? Il me semble que ce doit être plus facile pour celles qui ont un homme derrière elle.

H Encore faut-t-il qu'il soit prêt à vous aider. A votre première question, même si je vous parais très dure, je répondrai oubliez la politique si vous n'avez pas d'argent. Et cela est valable aussi pour les hommes. Ce n'est pas nécessaire d'être millionnaire mais il faut pouvoir assumer les coûts que cela implique. Toutefois une personne qui est très capable et déterminée arrivera à se ramasser l'argent nécessaire tout en se faisant connaître, ce qui lui sera utile.

Pour répondre à votre deuxième question je pense, que c'est assez équilibré même sije n'ai pas de statistiques dans ce sens. De toute façon je ne pense pas que le statut social quel qu'il soit, devienne un empêchement si on est autonome financièrement.

127 Vous avez parlé du finanement au niveau fédéral et provincial mais qu'en est-il au municipal?

C'est parce que le municipal est régi par la loi provinciale. C'est donc la même chose au municipal et au provincial sauf pour le plafond de contribution qui est de 750$ au municipal.

Au municipal une candidate doit-elle assumer tous les coûts de sa campagne avant l'élection?

R Oui

Après l'élection au municipal est-ce qu'une candidate peut se faire rembour- ser un certain montant?

R Oui

I Si j'ai déjà été élue est-ce que j'aurai droit à une avance?

R Oui, tout comme au provincial. Et tout comme au provincial le montant que vous pouvez dépenser pour votre campagne est plafonné. Si cela vous intéres- se vous pouvez d'ailleurs consulter le rapport des dépenses électorales. Ce rapport est toujours publié peu de temps après les élections. C'est intéres- sant à consulter dans la mesure où on peut observer que chacun met l'accent de sa campagne là où il veut.

I C'est lors de la première élection qu'on aura le plus d'argent à débourser avant l'élection. Est-ce plus facile une fois qu'on a été élue?

R Même si vous n'avez pas été élue, en autant que votre parti a eu au moins 20% des votes, vous avez droit à une avance. Et cela, même si c'est la première fois que vous vous présentez. L'argent est attribué selon les votes au parti et non à la personne.

I Cela veut donc dire qu'il est difficile de créer de nouveaux partis?

R En effet. Vous remarquerez qu'il n'y en a pas beaucoup qui naissent non plus.

I A la limite, sur le plan démocratique ce n'est peut-être pas ce qu'il y a de mieux?

128 Peut-être pas. Sans doute y a-t-il de la place pour de l'amélioration. D'ailleurs il y a beaucoup de questionnement qui se fait. Mais pour le moment, c'est comme cela. Si on veut entrer en politique, il faut observer ces règles. Par la suite, on pourra toujours changer des choses si on est élue.

I Dans les petites municipalités est-ce qu'il y a des partis?

R Souvent dans les petites municipalités, les partis naissent pour la durée d'une campagne électorale. Ils meurent ensuite.

I II me semble que c'est une bonne chose qu'il n'y ait pas de parti. Les gens commencent à avoir peur des partis. Qu'en pensez-vous?

R L'ennui c'est que vous devez être très bien connue dans un district pour passer comme indépendante au provincial ou au fédéral. C'est peut-être parce qu'on se fait plus facilement connaître dans une petite ville et qu'il y a moins d'emphase mise sur les partis.

I J'aimerais qu'on discute des moyens à prendre pour se financer?

R Prendre des moyens pour se financer cela veut dire aller chercher de l'argent dans des compagnies si c'est possible, auprès des particuliers etc.. Mais lorsque vous faites cela il faut que vous soyez prêtes à une certaine recon- naissance. Je vous donne un exemple. Si moi je suis non fumeuse et que je suis anti-cigarette est-ce que je suis prête à accepter du financement de Du Maurier par exemple? Il faut accepter du financement qui soit compatible avec nos idéaux.

I N'y a-t-il pas d'autres moyens de se financer? Ne peut-on pas avoir quel- qu'un qui organise pour nous des parties de cartes par exemple?

R Rappelez-vous d'abord qu'une telle chose ne doit être faite que par votre agent officiel. J'ajouterais que ce genre d'activité rapportent fort peu.

I Posons l'hypothèse d'une femme qui veut se présenter aux prochaines élections et qui a une équipe pour la supporter. Cette équipe se mettra en branle, que doit-elle faire pour aller chercher de l'argent? Est-ce seulement par les cartes de membres qu'elle peut se financer?

R La première étape, c'est la vente de carte de membres soit par un réseau de la candidate, soit par la candidate elle-même. Après les cartes de membres il y a la campagne à l'investiture. Pendant tout ce temps vous voulez vous faire connaître. Vous aurez alors des dépenses: pour vous faire connaître par des affiches, des macarons etc... A cette étape ce n'est pas nécessaire 129 d'avoir un agent. Vous pouvez demander de l'aide sous forme d'un meilleur prix pour l'imprimerie par exemple.

I Supposons maintenant que je gagne l'investiture, je deviens donc candidate d'un parti. Mon équipe me reste toujours acquise. C'est à ce moment que j'entre dans le cadre d'une loi électorale. Qui nomme l'agent officiel?

R C'est vous. L'agent officiel relève de votre choix. Il faut bien le con- naître car son rôle est très important. Si vous ne savez pas qui demander, votre parti vous aidera. A partir du moment où vous êtes candidate officiel- le, votre parti fera tout ce qu'il peut pour que vous soyez élue. On mettra à la disposition de votre agent officiel un fond électoral par exemple.

I Si je comprends bien l'agent officiel est une sorte de comptable?

R C'est cela. Vos questions sont intéressantes car elle démontrent qu'il ne faut pas attendre à la veille des élections pour décider de vous présenter. Ce serait suicidaire. J'aimerais aussi mentionner l'importance des comités de bénévoles. C'est un apport qui n'en est pas un d'argent sonnant mais qui est quand même très important.

I Est-ce qu'un organisateur et un agent officiel c'est la même chose?

R Non. Un organisateur c'est celui ou celle qui va coordonner toute votre campagne, tous les autres comités.

I Vous avez mentionné que l'habillement pouvait entrer dans les dépenses élec- torales. Il me semble que ce doit être difficile de prouver que je me suis achetée une robe spécialement pour la campagne?

R Une des premières choses que le responsable des communications ou de la publicité vous dira ce sera de vous habiller de telle ou telle façon. Il y a une image que, malheureusement, il faut accepter de véhiculer. Tout cela coûte des sous. Alors vous avez un montant de 2 000$ d'alloué.

I II me semble à moi que c'est très peu?

R C'est strict évidemment mais s'il n'y avait pas un certain contrôle, cela monterait vite en escalade.

Ce n'est pas encourageant pour une femme d'aller en politique. On rêve de voir 50% des politiciens qui soient des femmes mais il me semble que du côté finance nous sommes handicapées, malgré toutes nos capacités.

130 R Vous savez ce n'est pas si difficile de trouver de l'argent quand on est déterminée. Il faut se dire que ce ne sont pas tous les hommes non plusqui ont les moyens de se lancer en politique. Il faut surtout se rappeler que cette décision ne s'improvise pas.

I Parfois on entend dire que quelqu'un a perdu ses élections parce qu'il n'a- vait pas assez mis d'argent dans sa campagne. L'argent a donc une incidence sur la victoire?

R Je ne pense pas qu'on puisse attribuer une défaite à une seule question d'argent. Comme je le disais tantôt lorsque vous serez candidate d'un parti, celui-ci fera tout ce qu'il peut pour vous aider à gagner. C'est dans son intérêt.

î Je crois que les femmes en général pensent qu'elles doivent assumer seules toutes les dépenses alors qu'en fait elles sont entourées d'une équipe. Je suis d'accord avec ce que vous disiez sur les bénévoles. Ils sont une ressource alternative très importante.

R Oui, c'est vrai même au niveau de la campagne à l'investiture. Le point de départ c'est de former une bonne équipe.

I Est-ce que ceux qui se présentent pour le parti au pouvoir ont plus d'argent que les autres candidats?

R Absolument pas. Tout cela est régie par la loi électorale. C'est tant de sous par électeur du comté, pas plus, que ce soit pour le parti au pouvoir ou non.

I On peut croire que c'est au niveau de la mise en candidature qu'il y a le plus de problème de financement. Pourtant, nous les femmes, nous avons l'habitude du porte à porte que ce soit pour Centraide ou la Croix Rouge. Alors la vente de carte de membres ne devrait pas être un problème pour nous.

R Quand on a déjà vendu des cartes pour un candidat, alors on peut le faire pour nous.

I II arrive parfois, il me semble, que le parti fasse tout ce qu'il faut pour empêcher une femme ou un homme d'être élu candidat du parti?

R Cela arrive mais c'est rare. N'oubliez pas que les femmes sont politiquement rentables actuellement pour les partis. Alors profitons-en!

131 I Croyez-vous que les gros comtés sont ouverts aux femmes?

R Souvent hélas on donne encore aux femmes de moins bons comtés.

I II me semble que cela doit être très difficile quand le parti penche pour un autre candidat. Les femmes sont-elles habituées a ce genre de guerre?

R Et bien il est temps qu'on apprenne. Il faut agir avec les règles du jeu et se battre avec les mêmes armes tant que nous ne serons pas assez fortes et nombreuses pour changer ces règles.

I Pensez-vous que la combativité est une qualité de base?

R C'est vrai pour les femmes et pour les hommes.

I Vous disiez que les femmes sont politiquement rentables pour les partis. J'ai l'impression que les partis recrutent des femmes en se disant que lorsqu'elles seront élues on trouvera bien le moyen de les faire tenir tran- quilles. Je pense que cela prend une préparation mentale pour ne pas se faire manipuler. Il faut aussi une préparation intellectuelle pour ne pas être tanée d'incompétence.

R Je vais vous contredire là-dessus. C'est nous-même qui voulons des diplômes et la sécurité de se dire "je suis compétente, j'ai des diplômes". Pendant que vous vous sécurisez, le train passe et vous le manquez. Je pense que vous pouvez prendre le train et que la sécurisation pourra se faire en même temps. Nous avons aussi le droit de faire des erreurs et de ne pas être parfaite.

I Notre premier défaut c'est peut-être le manque d'assurance. Pour contrer cela il faut commencer par la base, se faire connaître dans des organismes etc... L'assurance cela s'acquiert avec le temps et l'expérience.

R C'est très juste.

132 ATELIER 9 LA SPECIFICITE FEMININE VERSUS LA LIGNE DE PARTI ALLOCUTION DE MADAME SUZANNE BLAIS-GRENIER

Je vous remercie pour votre présentation. Ce qu'il y aura d'intéressant dans cet atelier, ce sera l'échange avec les participantes. Aussi ai-je l'intention de me restreindre dans mon allocution. Je ne suis pas ici pour vous dorer la pilule. Par ailleurs je ne suis pas du tout pessimiste mais réaliste. La politique c'est une jungle où tous les coups sont permis, pourvu qu'on ne se fasse pas prendre par l'arbitre. Je ne vous dis pas que j'aime cela, mais c'est ainsi.

A la question "Est-il possible pour une femme au pouvoir de poursuivre sa lutte pour l'amélioration de la condition féminine? Je répondrai oui! Un grand et très ferme. Ensuite je dirai "mais", comme le font tous les politiciens, ce qui nous laisse une porte de sortie si nous devons reculer parce que les événements ne se déroulent pas tel que prévu. Les femmes qui vont en politique sont toutes, à l'heure actuelle, des femmes qui ont lutté pour des causes. Que ce soient des causes féministes au sens strict du terme ou des causes qui ont une incidence sur la cause féminine.

Il y a beaucoup de femmes qui ont été bénévoles, qui ont travaillé auprès des citoyens. Elles ont fait de l'action communautaire, elles ont été membres des Caisses populaires, elles ont été membres de l'Aféas. Pour les femmes francophones ce furent des foyers, des forums où elles se sont révélées à elles- mêmes et plusieurs d'entre elles ont ensuite franchi le pas pour aller en politique.

A. La spécificité féminine face à la ligne de parti

Tous les groupes, et donc tous les groupes dits féministes, sont des groupes de pression dans la société. Une société, au fond, est formée de groupes de pression qui parlent au nom de toute la population. Vous entendrez des personnes qui disent: "Moi je parle au nom de l'association des parcs et des activités plein air du Canada, qui regroupe 40,000 personnes". Cette personne indique que son influence, lorsqu'elle prend position consiste à s'exprimer au nom de 40,000 personnes. Par ailleurs il y a des personnes actives dans le mouvement mais il y a aussi une grande majorité silencieuse qui souvent n'est même pas au courant des déclarations qu'on fait en son nom. Dans les groupes de pression, il y a toujours cet élément-là.

Lorsqu'on parle de spécificité féminine et des groupes dits féministes, ce n'est donc pas monolithique! Il y a plusieurs sortes de groupes féministes. Certains sont extrémistes, prêts à faire des batailles de rue pour obtenir ce qu'ils désirent. D'autres s'occupent, en suivant les règles habituelles du jeu, à faire avancer une législation. Je pense à l'Aféas qui a travaillé très fort pour faire reconnaître la femme comme l'égale de l'homme dans l'entreprise agricole. Ainsi vous avez contribué de façon très importante au le dossier des pensions pour la femme au foyer, dont on parle de plus en plus. On sent qu'é- ventuellement on va en arriver à accorder un statut à la femme au foyer, parce

133 qu'elle fait partie d'un certain type d'entreprise qui est l'entreprise fami- liale et qu'elle a un besoin de protection lorsqu'éventuellement cette entre- prise ne peut plus la soutenir. Donc vous avez contribué à faire avancer cela. Mais je pense aussi à des groupes beaucoup plus militants comme Pro-vie ou, à l'inverse, à des groupes qui favorisent l'avortement, sans aucune nuance. Donc tous ces groupes dont je viens de parler, et bien d'autres aussi, font partie d'un grand phénomène d'action féminine.

Parmi tous les groupes de pression qu'il y a dans la société, il y a donc des groupes qui s'occupent de questions plus pertinentes à la situation de la femme, d'autres s'occupent d'environnement etc... Mais le plus grand groupe de pression , le groupe le mieux identifié , c'est le parti politique. Quand j'ai donné des exemples pour définir le concept de groupe de pression, on a tout de suite vu qu'il y avait des conflits possibles entre divers groupes de pression. Il peut très bien arriver, et cela arrive d'ailleurs fréquemment, qu'un groupe dira une chose et qu'un autre prendra la position contraire.

Le parti politique a pour premier but de conquérir le pouvoir. Autrement, il ne serait pas là. Je ne parle pas des individus qui,à l'intérieur d'un parti, peuvent faire de la politique pour faire avancer des idées et qui ne sont pas du tout carriéristes. Mais ce sont des exceptions. Généralement, quand quelqu'un se lance dans une bataille électorale, c'est pour acquérir le pouvoir et le garder. Et tout de suite, cela indique une limite à l'identification avec l'un ou l'autre des groupes de pression.

Si à un moment donné un groupe va trop à l'extrême, c'est sur que la ligne de parti, elle, va choisir le centre, parce que le plus grand nombre de voteurs est au centre et qu'il y a des conséquences inéluctables à cela. Je me reporte à quelque dizaines d'années, au débat sur l'avortement. Il y avait presque 49.0% des voix contre et 51% des voix pour l'avortement au sein de la population. C'est très difficile pour un gouvernement de prendre une position ou l'autre. C'est bien évident que dans l'arène politique, plutôt que de frustrer complètement 51% ou 49% des électeurs, un gouvernement va préférer laisser aller (laisser pourrir) la situation; en fait il laisse les attitudes évoluer! C'est vrai qu'on ne veut pas perdre trop de votes! Le fait que les mentalités ne sont pas suffisamment homogènes rend très difficile l'adoption d'une législation qui, d'une manière ou de l'autre, ne sera pas utile à la grande majorité de la société. Et cela, c'est un élément qui entre toujours en ligne de compte, dans la prise de décision.

B._ Le choix d'un parti politique qu'a-t-on comme critère d'orientation lorsqu'on choisit un parti? On a dit sou- vent de l'équipe conservatrice, qu'elle regroupe des gens qui sont arrivés à la toute dernière minute, qui n'avaient pas été membres du parti pendant très longtemps, en somme sous-entendait-on, des opportunistes. Il y a de cela, évidemment. Je pense que rares sont les gens qui se lanceront dans l'arène politique, ou dans une arène quelconque, en sachant qu'ils vont perdre! Mais il y a aussi des gens ,de plus en plus de gens dans la société, qui ne suivent pas la ligne d'un parti . Ils oscillent d'un parti à l'autre et ils suivent davan- tage un programme politique ou une personnalité politique. Et ces gens se

134 disent: "Dans mon analyse de la société à l'heure actuelle je vois que s'annon- ce un changement, des deux protagonistes (chefs de parti) lequel sera l'objet de mon choix, lequel selon moi (et je dis lequel, car il n'y a pas encore de femme chef de parti) lequel pourra réaliser le changmeent que j'attends." J'ai mentio- nné deux protagonistes, bien qu'il y ait trois partis au fédéral, mais le troisième n'a encore jamais exercé le pouvoir.

Donc au moment où on entre en politique on s'interroge: "Le programme me convient-il et dans le programme y a-t-il des éléments qui touchent la condition féminine"? On recherche alors le programme qui nous convient dans son ensemble et ensuite on demande qui a le plus de chances d'appliquer le , railleur program- me. Voilà ce qui conduit souvent une personne à choisir un parti ou l'autre!

C. Le Parti politique vs le gouvernement

Si vous allez en politique un jour, il faudra toujours vous souvenir que ce ne sont pas les programmes, une fois qu'un parti est élu ou porté au gouvernement, qui sont les plus importants. C'est le Premier ministre. Dans nos institutions britanniques il faut constater que tous les pouvoirs, (et je mets ici une nuance en regard de l'opinion publique ou des groupes de pression), sont concentrés entre les mains du Premier ministre. C'est vrai au fédéral comme au provincial. Il n'y a pas, comme aux USA, un équilibre exercé par la Chambre des représen- tants ou le Sénat. Nous n'avons pas ici la même situation! Il y a aux USA un président qui a énormément de pouvoir, mais dont le pouvoir est contrebalancé par le sénat ou la chambre des représentants. Le sénat ici pourrait ne pas exister et cela ne changerait pas grand chose pour le moment! Il aurait peut- être, et je vais être cynique, il y aurait peut-être un peu moins d'espace pour placer ceux envers qui on a des dettes politiques, mais c'est tout.

Et la deputation? On reproche souvent aux députés et aux ministres du cabinet d'être silencieux. On est très "vocaux" lorsqu'on est dans l'opposition, mais quand on arrive au gouvernement tout d'un coup, tout le monde se tait. C'est parce que la solidarité politique, qui est la règle non écrite de nos institutions britanniques, veut qu'on ne contredise jamais le Premier ministre!

Si on contredit le Premier ministre on se met soi-même en dehors du cabinet ou en dehors du parti. Il faut se rappeler que les ministres sont choisis par le Premier ministre pour agir auprès de lui comme conseillers, ils ne sont pas élus "ministres". Quand on est ministre, on est tenu à la solidarité ministérielle, c'est-à-dire qu'on ne peut pas contredire le Premier ministre et on ne peut pas contredire un autre ministre. Le député dispose d'un peu plus de latitude, car il ne représente pas l'ensemble du gouvernement mais plutôt sa circonscription. Néanmoins il n'est pas souhaitable qu'il contredise le Premier ministre. S'il le fait il n'aura d'autre choix que d'aller siéger comme indépendant ou dans l'opposition!

135 Notre liberté comme élu(e) est donc très restreinte. Ce n'est même plus la ligne de parti qui joue car le parti a toujours son programme, et celui-ci est généralement assez large. On se présente en politique avec un programme pour s'apercevoir en fin de terme, qu'il n'y a peut-être que 3 ou 4 choses qu'on a mises en place! Du côté de l'opposition il y a aussi des contraintes. Quand on est député de l'opposition on ne peut pas parler non plus de n'importe quoi! Le chef de l'opposition nomme des personnes qui parlent en son nom sur les finances publiques, les affaires extérieures, les affaires sociales etc... Ces personnes deviennent les critiques de l'opposition dans tel et tel domaine. Un député ne peut pas prétendre parler au nom de son parti sur tel ou tel sujet s'il n'a pas été mandaté à cet effet! Dans l'opposition ou au gouvernement il y a donc des impératifs, des contraintes et on doit en tenir compte; le champ de manoeuvre où on peut évoluer est assez étroit.

D^ Des exemples concrets

J'aimerais vous parler, de deux ou trois situations qui illustrent un peu ce que je viens de dire. Ensuite vous comprendrez pourquoi j'ai dit: "Oui on peut endosser la cause féminine, mais il y a des limites, des nuances, des étapes et parfois des fossés qu'on ne peut pas franchir". Le premier exemple est celui - du libre-échange. Au moment où le gouvernement conservateur a lancé les discus- sions sur le libre-échange, la levée de boucliers fût énorme. Cela a créé un peu dans tous les milieux économiques ou sociaux des craintes, parfois justi- fiées.

Si le gouvernement a lancé les discussions sur le libre-échange, c'est qu'il n'avait pas le choix. Cela n'a peut-être pas été suffisamment expliqué. Le gouvernement n'avait pas le choix, parce qu'au moment où le Premier ministre a lancé les discussions avec les Etats-Unis, il y avait déjà au Congrès américain 300 projets qui menaçaient de restreindre considérablement les pratiques écono- miques canadiennes. Trois cents projets qui touchaient des champs d'activités- où nous sommes très actifs.

Tout récemment, il y a eu un sondage sur le libre-échange et les résultats démontrent une évolution des mentalités. Au début, moins de 35% de la population était d'accord pour que les discussions avec les Etats-Unis sur le libre-échange puissent débuter. Aujourd'hui, c'est 59% des gens qui le sont. Tout ce débat, qui a soulevé l'opinion publique et engagé les médias, a permis aux gens de réfléchir, de se faire une idée, d'évoluer!

C'est la même chose pour l'avortement. La première fois qu'on a parlé d'avorte- ment ce fût épouvantable! Ensuite on s'est retrouvé dans une situation où la population féminine et la population canadienne en général se répartissaient en deux groupes presqu'égaux. Actuellement il y a plus de gens qui sont pour l'avortement que l'inverse. Donc, il s'est produit un changement dans les men- talités à cause des discussions publiques.

Une élue peut donc endosser la ligne de pensée d'un groupe féministe mais jusqu'à un certain point. A un moment donné, elle va se heurter à une réalité, qui est son gouvernement ou son Premier ministre, ou son chef et parfois ceci

136 est bien en deçà de la position favorisée par le groupe féministe. Elle va devoir atténuer ses déclarations publiques, parce qu'elle peut se mettre en conflit avec les décisions du gouvernement, auquel elle est censée participer. C'est pour cela que je dis: "Qui on peut poursuivre l'avancemet de la cause féminine, mais il existe des limites et elles sont réelles".

Si on va très loin en épousant les idées d'un groupe de pression, on risque,à un moment donné,de se retrouver seule au bout de la ligne. Le gouvernement prendra une position mitoyenne, toujours pour les mêmes raisons: en attendant que le débat soit moins politisé, pour ne pas heurter une grande partie de la population, donc de l'électorat. On peut donc se retrouver seule, et le groupe de pression qui a servi de point de départ à notre action, s'est impliqué lui- même dans une autre lutte, ou il est devenu moins militant.

Je vais vous donner un dernier exemple. Dans la question du contrat des CF18, les éléments qui ont joué dans la prise de décision ont évidemment été l'expertise de Canadair-Bombardier, et le fait qu'on avait promis à Montréal de remplacer ses champs technologiques vieillissant, comme le textile et l'industrie maritime, par de nouvelles activités, dont la haute technologie avionique. Mais un des facteurs qui a fait pencher la balance fût sans doute la coalition des groupes tels les syndicats, les milieux financiers, les universités, les chambres de commerce et finalement le Premier ministre du Québec qui ont dit: "c'est nécessaire d'avoir ce contrat à Montréal".

Les groupes de pression ont une influence réelle à certains moments, même s'ils ne gagnent pas toujours l'ensemble de leurs revendications. Ils en obtiennent une partie. Les mentalités continuent d'évoluer et quand le sujet est repris plus tard (et parfois il s'agit de plusieurs années plus tard), ils ont plus de chances d'obtenir ce que l'on croyait perdu pour de bon.

Ces groupes de pression contribuent aux changements de mentalités, et renforcent le travail que le député peut accomplir à l'intérieur de son caucus ou du cabinet. C'est ce qui fait qu'un projet de loi a des chances d'être amélioré à un moment donné. C'est un processus long et lourd. Il faut être persévérant.

Un gouvernement ne peut faire n'importe quoi. Un ministre a des pouvoirs limités. Un député a des pouvoirs encore plus limités. Un groupe de pression a aussi des pouvoirs, à condition qu'il sache les exercer! Pour qu'un groupe de pression exerce son pouvoir avec succès, il faut que ses dossiers soient bien montés, qu'ils soient menés à terme et que le groupe investisse constamment l'opinion publique, en intéressant les médias. Les médias ont un rôle très important à jouer dans l'évolution des mentalités, les femmes l'oublient souvent. Le travail coordonné d'un groupe de pression et celui d'un député ou d'un ministre peut amener les changements désirés mais ceci exige de la patience et de la détermination. Je ne dis pas cela pour être pessimiste, mais pour que celles d'entre vous, mesdames, qui choisiront d'aller en politique, le fassent les yeux ouverts, en sachant bien où sont leurs alliés dans un dossier, comment intéresser les médias et sachant aussi ce que les députés et les ministres peuvent ou ne peuvent pas faire. Il faut connaître le fonctionnement d'un gouvernement.

137 On est fort quand on sait non seulement où l'on veut aller, mais aussi comment y arriver. Et le moyen d'y arriver, c'est souvent d'utiliser les mêmes moyens que nos collègues masculins. La politique est un monde d'hommes, un monde de luttes. Comme femmes nous avons deux possibilités: rester en retrait en attendant que cela change (et on peut agir ainsi même en étant élue) ou lutter en prenant les mêmes armes que les hommes! Si on ne prend pas les mêmes armes, on peut facilement être mises hors-jeu.

138 COMPTE-RENDU DES ECHANGES SUZANNE BLAIS-GRENIER: LA SPECIFICITE FEMININE VERSUS LA LIGNE DE PARTI

I Vous avez parlé du dossier des CF18. Est-ce qu'on accepte bien dans un caucus qu'une femme s'exprime sur ce genre de dossier?

R Moi en tout cas, j'ai pu m'exprimer. C'est un dossier qui me tenait à coeur car je crois que ce sera un apport important pour les Québécois. Cela n'a cependant pas été un dossier où des groupes dits féminins se sont impliqués. A mon avis, c'est une lacune. Les femmes ne devraient pas se limiter aux dossiers féminins. Il va falloir, à un moment, que les femmes prennent leur place partout. Ceci ne veut pas dire que je minimise l'importance des dos- siers féminins; ils sont importants et sont sans doute un préalable.

J'aimerais vous poser à toutes une question. Lorsque vous voyez une femme qui a des difficultés, est-ce que, comme militantes, vous avez le goût de l'aider, de lui apporter du support?

I Nous plaçons nos femmes en politique sur un piédestal et on ne s'imagine pas qu'elles peuvent avoir besoin de nous. Une journée comme aujourd'hui sert à démystifier le pouvoir.

R Les gens s'imaginent souvent qu'une fois élue on a beaucoup de pouvoir. Comme je l'ai dit, en fait, le pouvoir est entre les mains du Premier Minis- tre et, quand on vote, on vote pour le Premier Ministre. Souvent, ce qui motivera notre vote dans notre comté, c'est que tel candidat est sous la bannière de tel leader.

La fonction publique est aussi très puissante. Un ministre doit partager son pouvoir avec cela aussi. Ce que vous avez exprimé ce n'est pas seulement la tendance féminine; c'est la tendance de l'électorat en général.

I Vous semblez faire un constat d'impuissance pour le rôle de ministre et dire que nous vivons dans un régime où il y a un roi et des sujets. Est-ce à dire que c'est à la base qu'il y a le plus de pouvoir?

R Je vais attendre les autres réflexions et je répondrai tantôt.

I Ce que vous dites par rapport aux groupes de pression c'est, selon moi, une question de légitimité.

Je veux répondre à la question que vous avez posée. Ce que je trouve intéressant quand une femme accède au pouvoir et surtout quand elle a un portefeuille, c'est qu'elle ne soit pas confinée à la cause féminine.

R C'est exact. I Vous avez eu un portefeuille qui n'en était pas un de condition féminine, vous êtes-vous sentie seule au sein du cabinet?

R Je vais répondre comme femme et aussi comme membre du cabinet. A la question à laquelle je n'ai pas répondu plus tôt, j'aurais eu envie de répondre en citant le titre du livre de Madame Payette "le pouvoir? connais pas!". Le

139 pouvoir n'a pas de sexe. Il n'y a que 5 ou 6 personnes qui ont du pouvoir. Ce ne sont pas tous les ministres qui en ont. D'abord les minitres sans portefeuille n'ont pas de pouvoir. Au niveau des ministres avec portefeuil- le, le pouvoir n'est pas égal non plus. Le Ministre de l'Expansion Régionale a plus de pouvoir que le Ministre de la Santé. Ça n'a rien à voir avec le fait d'être un homme ou une femme.

D'autre part, le jeu politique est encore un jeu d'hommes. Actuellement, en politique fédérale, le modèle qui est le plus apprécié c'est celui de la femme douce. De plus, tout le vocabulaire est un vocabulaire d'homme, un vocabulaire de sport d'homme où les coups bas ne sont pas trop mal vus en autant qu'on ne se fait pas prendre. I Par rapport à ce que vous vivez, comment qualifiez-vous la spécificité fémi- nine versus la ligne de parti? Est-elle importante, dérangeante...?

R La spécificité féminine existe très peu. Et d'ailleurs, ce n'est pas vrai- ment une question féminine. C'est la capacité pour l'élue d'être là pour parler et non pour se taire. Au Canada, nous avons les institutions où le député a le moins de possibilité de parler des dossiers comme il les sent et comme les citoyens qu'il représente les sentent. Les réformes de la Chambre, débutées l'an dernier, ont pour but de corriger cela. Mais il y a encore bien peu de fait. Alors, vous pouvez constater que la spécificité féminine est encore loin derrière.

I Après ce que vous venez de dire, il me semble que si les femmes ont tant de mal à faire quelque chose, il ne faut pas s'attendre à ce que les hommes le fassent pour nous. A titre de groupe de pression, on est souvent aussi très limité. Les médias ne veulent pas nous aider, le député n'est pas accessible ou n'est pas au courant. C'est encore le même problème.

R Vous touchez un point important. Les femmes seront fortes quand elles seront solidaires et elles seront fortes au fur et à mesure qu'elles apprendront, dans les groupes de pression comment faire leurs batailles. Elles pourront alors envahir les structures politiques. Les hommes sont forts parce qu'ils sont liés par des questions d'intérêt. Malgré tout, je suis très optimiste. Dans mon esprit, le terme intérêt n'est pas péjoratif. Je vous donne l'exem- ple de la mairesse de St-Foy qui disait qu'elle a commencé à s'intéresser à la politique municipale parce que le conseil de ville avait pris des déci- sions avec lesquelles elle n'était pas d'accord concernant sa rue. Elle a commencé à assister aux débats et elle s'est aperçue qu'il y avait d'autres questions qui l'intéressaient, ce qui l'a amenée à se présenter une première fois. Elle a été défaite. Comme le parti avec lequel elle s'était présentée ne la rejoignait pas vraiment dans ses idées, elle a décidée de fonder un parti. Elle a encore été défaite, mais elle ne s'est pas avouée vaincue. Maintenant, elle est mairesse de St-Foy. A ma connaissance, c'est le seul parti au pouvoir dans tout le Canada a avoir été fondé par une femme. Cela prouve qu'il y a moyen de changer des choses, même si ce n'est pas facile. I Est-ce que votre démission a été liée au fait que vous êtes une femme?

R Ma décision, je l'ai prise parce que je n'étais pas d'accord avec ce qui se faisait sur le dossier Gulf. Alors, ou bien on se tait et on reste dans le parti, ou on le dit. Alors on doit quitter le parti. Ce genre de position, qu'on soit homme ou femme, implique qu'on n'est pas carriériste. Les hommes,

140 en général, le sont plus que les femmes. Les femmes sont davantage prêtes à prendre des positions plus difficiles pour défendre une idée.

I Avez-vous senti de l'opposition venant des femmes à l'accès d'une autre femme à un poste de pouvoir?

R Je me méfie des généralités. Ça dépend beaucoup des personnes. Je ne sais pas si l'opposition vient des femmes. Ce que je sais, c'est que, comme membre d'un cabinet, les femmes n'ont pas plus de solidarité entre elles que les hommes en ont entre eux. Quand il y a des solidarités, elles sont ponctuelles, sur un dossier bien précis. Ce n'est pas vrai que les femmes en politique ne se donnent pas de coups bas. Elles ne le font pas de la même façon que les hommes, mais les règles du jeu sont les mêmes quand ce sont des femmes qui s'affrontent.

Pour ce qui est de l'appui dans la population, je dirais que le fait d'être une femme nous favorise. En campagne électorale j'ai vraiment ressenti de l'appui.

I Ce qui me reste de nos échanges c'est que hommes ou femmes ont peu de pouvoir pour défendre une idée et restent toujours liés à la ligne de parti.

R C'est vrai pour le parti au pouvoir et aussi pour le parti de l'opposition. Mais quand on a une masse derrière soi, c'est déjà mieux. Les groupes de pression ont beaucoup d'influence. On parlait l'an dernier d'un parti de femmes. Je ne pense pas qu'un tel parti pourrait prendre le pouvoir, mais il aurait au moins le mérite d'être un laboratoire d'apprentissage extraordi- naire. Dans les partis traditionnels, c'est très difficile de faire des changements.

I On a peut-être trop tendance à vouloir accéder au Pouvoir avec un grand P et je pense qu'ainsi on laisserait la proie pour l'ombre. Nous serons peut-être déçues. Je pense que nous avons déjà du pouvoir mais que nous ne l'exploi- tons pas assez. J'ai vécu ce que vous avez dit en tant que présidente d'un comité d'école où le pouvoir est souvent limité au droit de parole. Je ne voudrais pas limiter les aspirations de celles qui voudraient aller plus loin, mais je voudrais qu'on se rappelle que le grand pouvoir est un ensemble de petits pouvoirs. Il ne faut sans doute pas s'arrêter d'aspirer au grand pouvoir, mais il ne faut pas non plus s'arrêter de militer. R Vous ne fermez pas la porte aux aspirations politiques car il faut se prépa- rer à livrer des batailles quand on va en politique. La plus facile de ces batailles c'est de se faire élire. C'est après être élue que ça devient vraiment difficile. Vous avez raison de dire qu'il faut continuer à militer car vous avez du pouvoir et ce pouvoir, il faut le montrer sur la place publique via les médias. Les médias sont l'extension d'un pouvoir. Vous avez également raison de dire que le Pouvoir avec un grand P c'est un ensemble de petits pouvoirs. Quand on est élue quelque part, notre pouvoir est toujours dilué.

I C'est vrai que le pouvoir est dilué, mais si on revient à la spécificité féminine, je crois que tant que les femmes au pouvoir seront si peu nom- breuses, la spécificité féminine ne pourra jamais ressortir. Elle sera diluée (je reprends volontairement le terme) dans le nombre. R Effectivement, il y a un nombre à atteindre. Le syndicalisme en est un bel exemple. Avant, il n'y avait pas de femmes dans les syndicats. Parce qu'il y a maintenant un grand nombre de femmes sur le marché du travail, elles se sont impliquées dans les syndicats et quelques-unes ont marqué le syndicalis- me. D'ailleurs, le syndicalisme est une forme de pouvoir, mais il ne faut pas se leurrer. Militer dans un syndicat peut être aussi très étouffant, autant que dans un gouvernement. Mais vous avez raison, il y a un nombre à atteindre et une personne seule ne pourra rien changer. Plus il y aura de femmes militantes dans divers organismes, plus il y aura de femmes tentées d'aller en politique, et plus on aura de chances de changer des choses.

I J'aimerais ajouter que si un jour on est 52% en politique comme on l'est dans la population, on les changera peut-être ces règles du pouvoir. A mon avis, ce n'est pas en utilisant seulement notre pouvoir comme organisme de pression qyu'on y arrivera. J'aimerais qu'aujourd'hui on reparte avec une flamme qui nous dit allons-y!

R Oui, mais pas seule. Le nombre est important, mais il ne faut pas y aller les yeux fermés. C'est le message que je veux livrer: allez-y, mais allez-y les yeux ouverts. J'aimerais aussi dire que quand on voit une femme qui fait quelque chose de bien, dans quelque domaine que ce soit, il faudrait que des femmes ou des groupes de femmes lui écrivent pour le lui dire, même si ce qu'elle fait ne concerne pas les objectifs du groupe. On a besoin de cela. I Je sais que quand on est au pouvoir, on s'ennuie parfois du droit de parole. Mais je préfère avoir la possibilité d'agir, ne serait-ce qu'un tout petit peu, qu'avoir un droit de parole qui ne fasse rien avancer. Poser son clou au bon moment vaut mieux que de parler beaucoup. J'aimerais savoir aussi si la spécificité féminine a quand même une petite place ou si la ligne de parti avale tout?

R Tout d'abord, j'aimerais répondre à votre première remarque. Il faut se dire que s'il n'y avait pas de droit de parole, il n'y aurait pas non plus de droit d'agir. Le droit de parole est un catalyseur pour faire avancer les mentalités. A ce titre, Madame Casgrain est un bel exemple. Elle n'a jamais été élue, n'a jamais fait partie du parlement canadien et pourtant elle a été un tel éveil des consciences pour la place des femmes en politique! Ce que j'ai vécu comme ministre c'est la dure réalité de la tradition de nos institutions britaniques. La solidarité ministérielle nous empêche de pren- dre une position contraire à la position officielle. On n'a pas le choix. Si on prend une position contraire, on se retrouve dehors.

I Est-ce que la femme élue a quand même un lieu d'action, un lieu d'influence pour faire avancer les choses?

R Elle a un lieu d'influence qui dépend des circonstances, comme la force du gouvernement par exemple. Si le gouvernement est minoritaire, on n'a pas beaucoup de chance. Cependant, je dirais qu'elle a une influence disséminée entre d'autres agents. C'est pour cela qu'on ne peut pas changer les choses du jour au lendemain. Je suis bien certaine que c'est la même chose partout. Prenez la vice-présidente de la CSN. Je doute qu'elle soit toujours d'accord avec tout ce qui se décide. Pourtant, elle ne dira rien parce que le bien du mouvement (ou ce qu'on lui dit être le bien du mouvement) doit passer avant. I Je suis très heureuse et je vous remercie de votre objectivité. Cela nous donne une vision éclairée et cela nous montre aussi que les femmes sont capables d'audace.

I? Je vous remercie. J'aimerais ajouter que mon choix était bien personnel et que, selon les circonstances, il ne serait pas nécessairement le même pour quelqu'un d'autre. Quand on entre en politique, on a des valeurs et on peut faire des concessions jusqu'à un certain niveau, mais pas plus. ATELIER 10: UN AVENIR POUR LES FEMMES ALLOCUTION DE MADAME EVELYNE TARDY

Les questions de l'atelier étaient les suivantes: est-il possible de partager l'exercice du pouvoir? Quels espoirs pouvons-nous entretenir sur les possibili- tés de s'approprier le pouvoir?

Je pense qu'avant d'envisager de partager le pouvoir, il faudrait définir un peu ce qu'on entend par pouvoir politique. Le pouvoir, nous ne sommes pas les premières à en parler et à le revendiquer et nous ne serons sûrement pas les dernières. Toutes les sociétés humaines se sont posées le problème du pouvoir. C'est une notion imprécise par excellence que certains réduisent au niveau du pouvoir politique et que d'autres utilisent absolument à toutes les sauces. Le pouvoir est vu, le plus souvent, comme la capacité que possède une personne ou un groupe d'en obliger un autre à accomplir ou à ne pas accomplir un acte déterminé, sous peine de sanctions. Avec plus souvent comme une contrainte, une domination sur autrui ou sur des groupes.

La question que l'on peut poser est: le pouvoir doit-il impliquer nécessaire- ment la domination? Je pense que c'est parce qu'il a toujours été exercé de cette façon et non pas , que nous avons tendance à associer ces deux termes. Mais je crois que nous ne sommes pas forcées de les associer. En effet, le pouvoir c'est aussi la capacité d'agir, de décider, d'orienter, et sous cet aspect le pouvoir est nécessaire si on veut modifier les rapports hommes-femmes dans notre société, en particulier les rapports de pouvoir.

Le pouvoir politique est souvent vu comme pouvoir car il touche toutes les personnes, tous les domaines de la société. C'est aussi le pouvoir par excel- lence dont nous avons été exclues et dont nous le sommes encore d'une certaine façon. Dès les débuts de l'organisation démocratique des cités comme la Grèce Antique, la vie démocratique excluait les femmes, comme elle excluait les étran- gers, comme elle excluait les esclaves. Des siècles plus tard, on instaurera le suffrage universel.

C'est quoi le suffrage universel? Je vais vous donner une belle définition. Universel veut dire tout le monde, tout citoyen ou citoyenne ayant le droit de voter, quelles que soient ses convictions d'éducation ou de fortune. Avant par exemple, il fallait être propriétaire pour voter. Mais en 1920 on a instauré le suffrage universel. Universel veut dire que tout le monde vote, sauf nous! C'est cela l'universel: tout le monde sauf les femmes! Vous pouvez être anal- phabète, vous avez le droit de voter. Vous pouvez être avocat, vous avez le droit de voter. Mais à la condition d'être un homme. C'est là qu'on voit très bien que les droits de l'homme ce ne sont pas l'équivalent des droits de l'hu- main. C'est là qu'on se rend compte qu'il y a une différence. En attendant on nous fait croire: "Vous savez les droits de l'homme incluent les droits des femmes". Si on prend le suffrage universel, cela n'a pas inclu le droit des femmes et cela pendant très longtemps, pendant au moins 20 ans puisque c'est en 1920 qu'on a voté le suffrage universel et seulement en 1940 que les femmes ont eu le droit de vote. Diable qu'on s'est battues pour cela! Donc, non seulement on a exclu les femmes dans ce suffrage universel mais il y a plus: On a considéré que les femmes ne pouvaient exercer le pouvoir politique que d'une façon conservatrice, néfaste, voire même monstrueuse. Les exemples sont nombreux dans la mythologie avec Dalida, Médée, Athalie et aussi dans la vie publique avec la femme de Mao: quelle horreur cette femme! Ou Margaret Tatcher. Alors que d'inepties n'a-t-on pas avancées pour empêcher les femmes d'avoir le droit de vote ou d'éligibilité.

Je vous rappelle qu'on a traité les femmes qui faisaient de la politique (c'est Henri-Bourassa, fondateur du Devoir qui le disait) de monstre hybride et répugnant; c'était en 1939. Cela ne fait pas si longtemps. Il faut se le rappeler de temps en temps. Je vous rappelle aussi qu'on obtenu le droit de vote en 1918, en 1940 au Québec. Quelques petits chiffres pour nous situer: aucune femme élue avant 1961. Ce qui veut dire qu'on a le droit de vote en '40 et que cela a demandé au moins 20 ans pour réussir à avoir une femme élue. Depuis qu'on a le droit de vote, cela a demandé 36 ans avant qu'il y en ait plus d'une. De '61 à '73, il n'y avait qu'une seule femme: Claire Kirkland Casgrain et de '73 à '76 ce fût Lise Bacon. Une à chaque fois. Ce n'est que depuis '76 donc récemment (10 ans), que l'on a plus d'une femme au parlement de Québec.

En '76, 5 femmes se font élire: on se tape le score de 4.5% de femmes à l'Assemblée Nationale. 1981, 8 femmes pour 6.5%, on monte! De 2%. Avant les élections de 1985, il y avait 10 femmes députées parce qu'entre temps il y en a eu deux, donc on était déjà monté à 8%. En 1985 ah merveille! 18 femmes, 11.5%. Cela fait que l'Assemblée Nationale du Québec est actuellement la plus féminisée de toutes les Assemblées des autres provinces, avec un beau 15%.

Au municipal, le droit de vote a été donné par étape. Je ne vous ferai pas tout l'historique de cela. La première mairesse a été élue en 1954, dans le comté de Portagiford. Elle y est restée 17 ans. En 1980, lorsqu'on a fait notre étude, il y avait, en tout, 21 mairesses pour tout le Québec. Elles se trou- vaient dans les toutes petites municipalités, là où il n'y a pas de pouvoir, où elles y étaient allées vraiment par bonté d'âme. A cette époque, il y avait 1.5% de femmes maires et 4.1% de femmes conseillères. En novembre 85, donc aux dernières élections municipales, nous avons 3,8% de mairesses (ça a quand même monté, mais ça va prendre des années avant d'avoir la parité à ce rythme là) et les conseillères sont passées à 11.5%. Donc, je dirais que les femmes ont été exclues pendant longtemps. Maintenant, on nous a ouvert, je dirais plutôt, on nous a entrebaillé, même pas la porte, mais bien une petite fenêtre. Conclu- sion, le pouvoir politique est nécessaire. Il est nécessaire de prendre le pouvoir dans son ensemble pour changer ces rapports de pouvoir actuels où nous sommes plus ou moins exclues.

Maintenant posons une question. Pouvons-nous exercer le pouvoir autrement? Et pourquoi serions-nous plus aptes que d'autres à l'exercer? Le premier constat à faire est que les femmes comme groupe social n'ont exercé le pouvoir dans aucune société. Ni le pouvoir économique, ni le pouvoir politique, ni même le pouvoir social ou culturel. Encore aujourd'hui, on constate que ce sont les hommes, comme collectivité, qui occupent les lieux de pouvoir, qui exercent le pouvoir. Nous avons donc eu le charmant privilège de subir le pouvoir. On a connu les coups et on les connaît encore. Mais la question à se poser est voulons-nous le pouvoir pour dominer à notre tour une autre collectivité, ou pour le transformer?

Le fait d'avoir été écartées du pouvoir politique pendant si longtemps est sûre- ment une condition nécessaire pour vouloir changer cet état de chose. Mais ce n'est pas une condition suffisante. Un renversement des rôles ne règle rien. Il faut changer le pouvoir, transformer le pouvoir en un pouvoir . Il faut lutter contre la hiérarchie qui sert à exploiter, à infantiliser, à dévaloriser les autres. Il faut se battre contre les situations de dépendance dans laquelle on installe d'autres individus pour asseoir son pouvoir.

Il faut penser à un pouvoir qui se partage plutôt qu'à un pouvoir qui se délè- gue. Il faut penser à partager ses responsabilités et surtout, apprendre à d'autres la façon d'assumer ses responsabilités. Il faut viser l'égalité qui respecte les différences et viser à ce que ces différences ne se transforment pas à leur tour en inégalités, et ce, dans tous les domaines. En politique cela veut dire viser des choix d'équité. Réduire les inégalités sociales entre les groupes sociaux, assurer une vieillesse digne aux personnes âgées. Donner des perspectives d'avenir à nos jeunes. Aider les femmes à développer leur poten- tiel. Mettre son énergie et ses finances au service de la paix et non pas de la guerre. Redonner aux individus le goût de s'impliquer et pas seulement de faire de l'argent. Développer l'éducation, l'art, la culture au même titre que le développement économique etc...

A partir de cela nous changerons les rapports de pouvoir et le type même de pouvoir qui est actuellement exercé.

"Est-il facile de partager le pouvoir?" Je dirais non, car on a trop souvent intériorisé le modèle de pouvoir tel qu'il est actuellement exercé par des hommes depuis des millénaires. Nous faisons nôtre le slogan "le pouvoir ne se partage pas, il se prend". Mais pourtant, de nombreuses femmes, et surtout des féministes, ont développé de nouveaux rapports de pouvoir entre elles. Des rapports basés sur le respect, la collaboration, la non-hiérarchie, le partage. Nous savons que cela est possible, n'entraîne pas de facto l'immobilisme, l'in- certitude, l'anarchie, la non-décision. En conclusion il faut prendre le pou- voir dans une perspective de partage.

Passons à la deuxième question de l'atelier. Quel espoir pouvons-nous entrete- nir sur les possibilités de nous approprier le pouvoir? Moi je suis toujours optimiste, alors je dirais: tous les espoirs. Plus que jamais auparavant les femmes, comme collectivité, ont en main les atouts pour s'approprier le pouvoir. Mais corollairement, je dirais que plus que jamais auparavant les hommes comme collectivité se sentent menacés et résisteront à se faire désapproprier.

Développons ces deux aspects pour ensuite voir quels moyens nous pouvons utili- ser pour arriver à nos fins. Les femmes ont en main tous les atouts ai-je dit. C'est exact. Le nombre de maternités de nos mères et de nos grands-mères ne sont plus des entraves à une vie professionnelle pour la majorité des femmes. Je ne veux pas dire que les enfants ne pèsent pas lourd dans la carrière d'une H6 femme. Je dis que ce n'est plus une entrave: on en a deux ou trois, on en n'a plus 22. Et tant mieux. L'éducation des femmes s'est nettement améliorée. S'il reste encore des différences au niveau des études supérieures, s'il reste encore des ghettos scolaires, le rattrapage a été remarquable. Les revendications du mouvement des femmes, en particulier des associations comme l'Aféas, ont porté fruit.

Les femmes d'aujourd'hui revendiquent leurs droits, s'impliquent en dehors du foyer de plus en plus, acquièrent une autonomie économique plus grande, prennent des responsabilités dans leur association, et acquièrent beaucoup d'expérience en tant qu'organisatrices et gestionnaires. Elles se donnent les moyens pour acquérir la formation qui leur manque et je pense que ce colloque c'est vraiment l'exemple typique des moyens que se donnent les femmes, j'en suis très fière.

Grâce au mouvement des femmes, grâce au travail dans les associations, les femmes ont repris confiance en elles et en leurs capacités, elles acceptent de moins en moins de subir le pouvoir des hommes. Convaincues de leur égalité avec eux, ces rapports de domination sont devenus intolérables pour elles ainsi que ceux d'inégalité. Les femmes sont devenues moins vulnérables parce que regrou- pées dans des associations de femmes qui les aident à avancer et à se prendre en main. 1500 groupes et associations de femmes dans un pays comme le nôtre je vous assure que c'est une force avec laquelle il faut compter et sur laquelle on doit compter. "Diviser pour régner", cette maxime fut très longtemps, de tout temps, celle des hommes. Maintenant, elle s'applique plus difficilement. Les hommes se sentent menacés. Menacés par nos associations de femmes, nos revendications, notre autonomie, notre soif de prendre notre place et d'orienter la société vers des aspirations de l'ensemble de ses membres.

Ils constatent que le vieux discours sur la jalousie des femmes, les rivalités entre les femmes, l'impossibilité de s'entendre entre elles, tout cela ça s'écroule. Ce discours faisait bien leur affaire et il faut dire qu'ils sa- vaient assez bien l'entretenir. Mais nous ne marchons plus dans ce là! Et cela les désarçonne. Les femmes découvrent la solidarité entre les femmes. Une solidarité profonde, basée sur la même compréhension des problèmes. Et cette solidarité effraie les hommes. Car si les hommes comme collectivité ont toujours paru solidaires les uns des autres, c'est seulement quand nous étions en jeu. Contre les femmes, les hommes ont toujours été solidaires. Mais entre eux, ils ne se sont pas fait de cadeaux. Les luttes de pouvoir sont féroces. Le pouvoir s'exerce à plein. Et ils craignent que les femmes, dans leur quête de pouvoir, utilisent leur propre jeu, c'est-à-dire dressent les hommes contre les hommes. Que réalisent-t-ils ? On réalise que ce sont les hommes qui deviennent insécures. Ils deviennent agressifs et ce sont eux qui deviennent émotifs. Vous n'avez d'ailleurs qu'à leur parler d'imposition de quotas de représentation hommes-femmes ou de programme d'égalité avec mesures de redresse- ment ou de soutien et vous allez voir leurs réactions: c'est de la panique. Conclusion: que peut-on faire, que doit-on faire? Je pense qu'on a pas le choix. Il faut augmenter notre représentation dans les postes de pouvoir et du pouvoir politique tout particulièrement. Il faut faire des réunions comme celle d'aujourd'hui, il faut forcer la mise en place de programmes d'accès à l'égalité avec mesures de soutien et de redressement. Il faut se donner de la formation et du perfectionnement. Il faut exiger une reconnaissance des acquis expérientiels des femmes. Il faut aussi exploiter, mais dans le bon terme, la solidarité entre femmes. Il faut pouvoir s'aider mutuellement, aider les femmes qui ont le plus de potentiel à accéder à ces postes de pouvoir. Personnellement je dis "Attention"! Je ne pense pas qu'il faille aider n'importe quelle femme. Une femme qui veut le pouvoir pour le pouvoir, pour l'exercer d'autres, je dois dire que je ne perdrai pas mon temps à l'aider. Elle va se débrouiller avec les hommes. Me faire dominer par une femme, je ne trouve pas cela plus acceptable que de me faire dominer par un homme.

Quand une femme arrive dans un poste de pouvoir, son réflexe de défense devrait être d'en faire entrer d'autres au plus vite. Sinon elle se transformera en femme invisible, elle sera récupérée ou alors écoeurée, comme Madame Fayette, et elle démissionnera. Il n'y a pas 36 choix pour elle car la pression de la collectivité des hommes est très forte. La seule porte de sortie c'est de faire en sorte que d'autres femmes entrent dans le club. C'est aussi la seule et unique façon de faire changer les règles du jeu. Il faut développer une straté- gie dans ce sens. Favoriser l'embauche et la promotion de femmes compétentes et je souligne compétentes, qui veulent changer ces rapports de pouvoir. Si on se donne cela comme objectif, les rapports de pouvoir changeront. C'est ma pre- mière stratégie donc, faire embaucher des femmes dès qu'on arrive en poste. Notre objectif: il faut qu'il en rentre, des filles compétentes, il y en a des filles compétentes!

Deuxième stratégie à développer; celle-ci est plus complexe et me tient à coeur, c'est pourquoi j'aimerais qu'on en discute. Se donner la légitimité d'occuper les postes de pouvoir. Et pour ce faire, ne pas continuer de s'exclure symboli- quement. Je m'explique. Le pouvoir des hommes repose sur toute une symbolique qui exclue les femmes, légitime le pouvoir des hommes et rend illégitime celui des femmes. Détenteur du pouvoir, les hommes ont constitué un langage qui leur est propre et ce langage exclue les femmes. Je trouve que le langage politique est le langage par excellence qui montre cette exclusion. Se faire appeler madame ministre ou madame maire en plus d'être une aberration linguis- tique, ça n'a pas de sens. Nous nous trouvons donc dans une situation linguis- tique de ne pas avoir de sens, de ne pouvoir se définir dans les postes de pouvoir si ce n'est qu'en nous identifiant à des hommes. Ceci confirme notre illégitimité à occuper ces postes. Et le pire c'est que nous enseignons cette symbolique à nos enfants. Nous avons acquis des droits égaux mais nous n'avons toujours pas acquis la légitimité d'occuper une place égale dans la société. Le grand danger c'est que rares sont les femmes qui réalisent l'impact de cette symbolique de l'exclusion du langage. Si la féminisation des titres soulève tant de railleries de la part des hommes, croyez-moi, c'est qu'elle exprime la volonté absolue de conserver le privilège du genre qui est le noeud même du pouvoir symbolique des hommes. Ecoutez plutôt cette citation: "C'est parce qu'ils ont su imposer au monde son sens qu'ils le dominent" dira Michelle Coquillard, ajoutant que "les femmes se conditionnent elles-mêmes en passant par le moule du langage qui leur est impo- sé". Conclusion: il faut, et c'est urgent, féminiser le langage du pouvoir. S'il est légitime de voir un homme comme premier ministre il doit être aussi légitime de voir une femme première ministre. La mairesse ce n'est pas la femme du maire, c'est la première magistrate de la ville. Posez-vous la question: Comment on appelle le mari d'une femme qui est maire? On ne l'appelle pas!

Si on apprend à nos filles à parler de la consuls, la députée, la cheffe d'en- treprise, la générale, la capitaine, elles sauront qu'elles peuvent aussi le devenir. Nous avons là une énorme responsabilité vis-à-vis d'elles. Il ne suffit pas d'avoir ouvert des portes, encore faut-il que nous, et elles ensuite, nous nous sentions légitimées d'y entrer. Et que les hommes soient forcés de reconnaître cette légitimité. Merci. COMPTE-RENDU DES ECHANGES EVELYNE TARDY: UN AVENIR POUR LES FE*i€S

(Note: à cause de problèmes d'ordre technique nous n'avons pu transcrire les questions des intervenantes).

R Les économistes sont sûrement très importants au niveau économique, mais au niveau social sont-ils aussi importants? Ce n'est pas tout de développer les ressources économiques. Il faut aussi s'occuper des besoins sociaux des gens. Il est dangeureux de s'occuper d'un aspect d'une société au détriment des autres. Un individu ne vit pas qu'économiquement. D'ailleurs, on sent qu'il y a un changement de mentalité depuis que les couples se séparent et et se partagent la garde des enfants.

R C'est vrai que nous avons été exclues du pouvoir. Mais, si on regarde ce que les hommes en ont fait, on arrive vite à la conclusion qu'on ne peut pas faire pire. Donc, tous les espoirs nous sont permis. Le fait d'avoir été exclues nous a donné une grande sagesse: on ne fera pas la bêtise de ne pas s'associer les hommes au pouvoir. Je suis convaincue qu'on pourra changer les règles du pouvoir s'il y a suffisamment de personnes qui le désirent.

I Quel est le pourcentage de filles en science politique à l'université et y sont-elles pour s'informer sur la politique ou par intérêt pour la politique?

R Nous sommes un bon nombre et les filles en politique sont actives. Elles travaillent pour des partis ou sur des questions de militantisme. Elles s'impliquent auprès des groupes de femmes. Parmi nos meilleurs, le pourcen- tage de filles est supérieur au pourcentage de garçons, aussi bien au niveau de la maîtrise que du doctorat.

I Au moment où vous parlez de l'embauche des femmes, j'aimerais que vous nous parliez de la fonction publique et de la haute fonction publique en regard de leur importance. A mon avis, c'est peut-être la face cachée de la politique et je pense que ces gens pèsent très lourd dans l'appareil gouvernemental.

R C'est très juste. Malgré les programmes d'accès à l'égalité dans la fonction publique, il y a fort peu de femmes au niveau supérieur. En 1985 il n'y en avait qu'une par rapport à 4, il y a quelques années.

Je pense qu'il faut talonner les gouvernements car il y a effectivement du pouvoir réel dans le haut fonctionnariat. Il y a encore des ministères et des offices où il n'y a absolument aucune femme cadre. Ainsi, à l'Office de la langue française, il n'y a pas une seule femme cadre; il ne faut pas s'étonner s'il n'y a aucun effort de féminisation de fait. Il faut conti- nuellement être vigilantes et harceler, car le pouvoir, il faut le prendre, on ne nous le donnera pas.

150 R Si tu prends le pouvoir, après tu peux le partager. Mais les hommes ne le partageront pas avec toi s'ils n'y sont pas forcés.

I Pour avoir vécu des expériences au niveau des commissions scolaires, je suis absolument convaincue de l'importance de la féminisation. Quand on dit les "présidents" des commissions scolaires, on vient de dire qu'il n'y a pas de présidentes. Quand j'ai commencé à protester à cause de cela, nous étions minoritaires et nous avons pu faire respecter la féminisation.

R C'est très important. On ne pensera pas à se présenter si on sait qu'on cherche "un président".

R Personnellement, cela m'effraierait d'avoir un modèle, surtout si je dois m'y conformer. Je pense que nous sommes capables de nous passer de modèles. Il faut se dire "je suis capable, j'ai les capacités". Les femmes qui sont passées avant nous sont presque allées à l'abattoir. Elles sont un modèle de persévérance mais je ne voudrais pas que nous aussi on aille à l'abattoir.

R Nous avons des filles et des garçons. C'est le petit univers sur lequel on peut agir. Il y a toujours des lieux où on peut agir et vous avez raison de dire qu'au niveau de l'éducation c'est possible de le faire et ce, au niveau primaire, secondaire, partout... Je pense que le Québec la-dessus est très dynamique. Il y a un dictionnaire qui vient de sortir avec des titres féminisés. J'en suis très heureuse. Ce n'est pas seulement une question de linguistique. Toute cette symbolique de la féminisation des termes a une énorme importance. C'est grave de ne pas savoir comment s'appeler quand on occupe un poste de pouvoir. Féminiser les termes, c'est changer les mentali- tés et c'est le début de vrais changements. Il faut s'approprier le langage du pouvoir, je voudrais que vous soyez convaincues de cela.

R Les hommes ont toujours ridiculisé la féminisation des termes du pouvoir alors je comprends les femmes d'avoir peur de féminiser parfois. Un exemple typique de cela, c'est "le couturier"; quand on dit cela, on parle du maître. Quand on dit "la couturière", alors, on parle de l'ouvrière. On masculinise les termes en les glorifiant et on fait l'inverse en féminisant. Même chose pour le terme de mairesse. Je comprends les femmes qui avaient des restric- tions face à ce terme parce qu'elles voulaient vraiment qu'on sache qu'elles n'étaient pas la femme du maire. Mais je pense que c'est à nous d'imposer nos vues là-dessus. Et s'il faut payer le prix du ridicule cela ne me fait rien, en autant qu'on arrivera à avoir une première ministre un jour.

R Féminiser les termes cela veut dire on prend notre place et, en conséquence, les hommes perdent une partie du pouvoir. C'est certain qu'ils ne sont pas intéressés. Pourtant, il faut le faire. La société a tout à y gagner.

151 R L'exemple de l'expression "travailleuse au foyer" est un très bel exemple. C'est un beau travail de l'AFEAS. Effectivement c'est vous qui avez imposé cette expression et d'ailleurs je cite souvent cela dans mes cours. Alors, quand on pense que cela s'est fait en moins de 5 ans, on peut dire que c'est rapide.

Je ne pense pas que toute la responsabilité repose sur la famille. Pensez aux heures qu'un enfant passe devant la télévision, à l'école, avec ses camarades. Mais il y a du travail à faire auprès des travailleuses au foyer car elles sont isolées et la meilleure façon de travailler auprès d'elles, c'est avec des organismes comme l'AFEAS. Les associations de femmes, c'est non seulement la dynamique, mais aussi la dynamite la plus importante. Ces associations conscientisent les femmes et c'est très important. Les hommes ont peur de cela et ils ont raison.

Le féminisme n'a pas commencé dans les années 70. Les premières associations de femmes remontent au 19ième siècle, Tout le travail s'est accumulé et on en a les résultats maintenant. Nous ne sommes pas encore satisfaites parce que nous voulons renverser des millénaires d'histoire. Pourtant, on a fait des progrès extraordinaires et dans la jeune génération il y a des rapports hommes-femmes qui sont très sympatiques. Personnellement, je suis féministe et je vis depuis 23 ans avec le même homme et nos rapports sont très satis- faisants. De nos jours on a le choix de continuer ou d'arrêter ces rapports. Alors, quand ils résistent, c'est parce que ce sont de bons rapports. C'est dur de vivre avec une féministe, mais c'est drôlement intéressant.

152 SYNTHESE DE LA PLENIERE PERSONNE-RESSOURCE: LEA COUSINEAU

Mon mandat cet après-midi n'est pas de faire une synthèse des ateliers mais plutôt de vous livrer mes commentaires, de faire des réflexions prospectives qui seront inspirées à la fois des ateliers, des conversations autour d'un café et de mes réflexions personnelles. A partir de cela et de vos commen- taires nous pourrons échanger.

Je considère que nous avons vécu aujourd'hui un moment historique. Pour moi l'Aféas a toujours été une association baromètre de la société. Elles ont été les pionnières de plusieurs dossiers tels les femmes collaboratrices et les travailleuses au foyer, pour n'en nommer que deux. A d'autres moments, l'Aféas a été, pour les femmes québécoises, la mesure de certains acquis. Aujourd'hui, que l'Aféas puisse convoquer non seulement ses membres mais aussi des femmes de tous les groupes, qu'elle puisse convoquer des femmes de tous les partis, des femmes ayant vécu des expériences politiques et que ces femmes acceptent de venir partager leurs expériences, pour moi cela marque vraiment une étape dans l'histoire politique des femmes au Québec.

J'ai le sentiment que depuis 10 ans nous avons cheminé dans des réflexions collectives. Nous avons ensemble mit fin à certains mythes, nous avons ensemble développé de nouvelles consciences politiques. Nous sommes mainte- nant au seuil de nouveaux cheminements collectifs en regard de la place des femmes en politique et à leurs rapports avec les autres femmes et groupes de femmes. Tranquillement, nous faisons la part des choses entre divers senti- ments qui nous habitent tel le sentiment qu'il faut appuyer sans condition toutes les femmes en politique. Nous nous défaisons du mythe de la solidari- té absolue entre femmes. Nous faisons la distinction entre le mouvement des femmes avec ce qu'il représente comme force de revendication et comme pouvoir qui fait avancer certains objectifs d'égalité et de prise en charge, et entre les femmes en politique. Nous savons maintenant que ce n'est pas seulement aux femmes en politique qu'on doit s'adresser pour faire avancer nos causes. Il faut aussi s'adresser aux partis politiques ou partis au pouvoir.

Nous faisons aussi la différence entre les femmes en politique et les mili- tantes et les féministes en politique. Par militante ou féministe en politi- que j'entends des femmes qui se sont données comme priorité d'action et d'intervention de défendre surtout et avant tout les intérêts des femmes comme groupe. Les exigences que nous aurons envers les unes et les autres devront être relatives à ces questions. Les groupes de femmes devront exiger que celles qui parleront en leur nom aient des acquis avec elles. Nous sommes convaincues qu'il faut des femmes en politique; mais il faudra aussi des féministes en politique à qui on confiera aussi des tâches et des respon- sabilités. Que nous ayons intégré tout cela, c'est un pas en avant.

Il faudra réaliser qu'il est difficile de se prévaloir d'un pacte qu'on a établi seule. Une femme peut arriver en politique en disant qu'elle est porteuse des revendications féministes mais jamais elle ne pourra accuser les

153 autres femmes de l'abandonner, car elle n'est pas mandatée par elles. Il faut donc que les pactes soient bien clairs. Si l'on veut défendre les intérêts des féministes, il faut être élue à titre de féministe.

Ma grande utopie serait un parti féministe qui tiendrait le discours. Lors- qu'on se présente dans un parti c'est parce que les intérêts de ce parti nous rejoignent, bien qu'ils ne soient pas tous des intérêts de femme. Dans un contexte de proportionnelle absolue j'imaginerais bien que des femmes puis- sent, sur la scène politique, n'avoir comme seule préoccupation que de porter une analyse et un discours centré uniquement sur les intérêts des femmes comme groupe. Cela pourrait être intéressant pour faire avancer certaines idées. Mon utopie ne va cependant pas jusqu'à imaginer un pouvoir qui n'ap- partiendrait qu'à des femmes.. Cela me semblerait en contradiction avec ce que nous défendons.

On a beaucoup parlé aujourd'hui des difficultés que rencontrent les femmes en politique. Souvent nos difficultés sont aussi celles de d'autres groupes par rapport à la politique. Il y a d'autres groupes qui sont aussi privés que nous de l'accès au pouvoir; cela m'apparaît important de le souligner. Ils ont en commun avec les femmes de n'avoir ni argent, ni réseaux. C'est donc l'ensemble des conditions de vie, des conditions d'accessibilité au pouvoir qui mériteraient d'être changées. L'action des femmes contribue à les faire changer et c'est très important. La mixité n'aurait pas de valeur si elle ne s'adressait pas à tous et était réservée a une classe privilégiée.

A travers tout cela nous sommes en train de redéfinir ce qu'on entend par solidarité féminine quand on parle de politique. Nous n'avons pas encore la formule définitive mais nous sommes en train d'intuitionner des nouvelles formes. On parle de connivences, de réseaux, de modèles. Nous sortons d'une espèce d'idéal irréalisable où toutes les femmes seraient d'accord avec toutes les femmes. Nous pensons plutôt qu'à travers nos différences, nos origines différentes, nos intérêts différents, à travers notre éducation politique différente et nos partis différents, nous pourrions peut-être développer un minimum de contacts, de partage et de clin d'oeil, qui nous permettraient de contribuer, de chacune de nos places, à l'avancement des femmes en politique; celui-ci étant la meilleure garantie de l'avancement des femmes dans la société. Dans les partis, on parle de plus en plus de comité de support aux femmes plutôt que comité de condition féminine; à mon avis cette démarche s'inscrit dans la même direction.

Les femmes sont celles qui connaissent le mieux les vrais enjeux et les vraies réalités de notre avenir politique. Les femmes ont des questions sur tout et peuvent parler de toutes les problématiques qui sont les enjeux même de nos organisations politiques et de notre vie politique. Le porte à porte que j'ai fait en campagne électorale m'a convaincue de cela. On ne peut plus prétendre que les femmes sont loin de la politique. Il serait donc normal qu'elles prennent plus de place en politique.

J'aimerais maintenant que vous nous fassiez part de vos commentaires et de vos impressions. î J'aime l'idée de comité de support. Quand nous retournerons chez-nous, nous ferons face a une montagne de difficultés qui nous donnent parfois l'impres- sion que nous perdons notre temps tellement il faut mettre d'énergie sur des choses simples et fondamentales. J'ai entendu plusieurs commentaires dans ce sens aujourd'hui et je ne pense pas que nous ayons abordé ce problème de front. J'aimerais que vous ou d'autres personnes en parlent.

R Je pense que dans tous les ateliers on a dit qu'une condition essentielle pour faire de la politique était d'avoir des idées, une cause à défendre. D'après ma longue expérience il n'y a pas d'autres solutions lorsqu'on veut arriver à nos objectifs que de recommencer et encore recommencer. Je ne connaît personne, homme ou femme, petit groupe ou grand groupe, qui ne soit arrivé à ses fins autrement qu'en recommençant et recommençant. Il faut se rappeler que 10 ans cela nous semble long mais que pourtant c'est très rapide dans l'histoire. Quand aux réseaux qui peuvent nous aider, il est bien évident qu'on les forme peu à peu et qu'ils seront toujours un peu plus efficaces au fur et à mesure que nous les développeront. La journée d'au- jourd'hui a été intéressante dans la mesure où on a voulu poser les choses concrètement. A partir du moment où l'Aféas s'intéresse à un dossier nous avons peut-être des chances que cela devienne concret! Il y aura à mon avis deux sortes de suites à la journée d'aujourd'hui. Il y aura la poursuite d'une réflexion qui ira plus loin, qui a peut-être l'air compliquée et intel- lectuelle mais qui nous alimente par des contradictions et des questions: pour cela on peut compter à la fois sur un réseau de militantes et de journa- listes. A côté de cette réflexion, il y aura des gestes concrets qu'on posera partout, de plus en plus, démystifiant ainsi les objectifs.

I Par expérience j'ai appris que si je n'ai pas le pouvoir, c'est parce que quelque part j'ai joué un jeu qui a permis à quelqu'un de le prendre. Depuis que j'ai découvert cela je n'ai plus de sentiment d'impuissance face à ma capacité de prendre un pouvoir.

R Merci. Dans un autre ordre d'idée et dans une perspective d'avenir, j'aime- rais avoir vos commentaires, sur une possibilité de réseaux qui pourrait prendre certaines formes et qui serait au delà des partis. Cela vous paraît- il naif ou cela vous intéresse-t-il?

C'est ce que FRAPPE essaie de faire, aller au delà des partis. Cela se présente relativement bien. Nous avons par exemple appuyé les deux femmes candidates à la chefferie du P.Q. et je pense que toute la population et les médias ont compris que ce n'était pas une démarche partisane mais une démar- che de solidarité envers les femmes. D'ailleurs nous avons parmi nos membres des femmes de tous les partis.

Madame Begin dans sa conférence a parlé de l'importance de la stratégie et a mentionné qu'il serait impératif de bâtir et de donner un cours de stratégie. Je pense que ça pourrait être intéressant.

155 Il ne faudrait pas sous-estimer les acquis des femmes en terme stratégique. Je pense ici aux groupes de femmes qui ont souvent fait leurs preuves. Il y a là un bassin de vie politique réelle qui devrait nous alimenter quand on fait le saut dans la politique. Dans tous les groupes, on a rencontré des luttes de pouvoir, la compétition, les élections, des courants d'opinion qui s'opposent, etc... Parallèlement, ces groupes ont une expérience de confron- tation au pouvoir parlementaire où on a aussi développé des stratégies.

J'aimerais réagir à l'idée d'un parti féministe. Je crois que c'est une utopie, mais une utopie intéressante car on pourrait y développer un dis- cours. Ce ne serait pas toutes les femmes qui adhéreraient à ce parti. Certaines continueraient à se joindre à d'autres partis mais elles pourraient s'alimenter à notre discours. Ce qui est difficile actuellement pour les femmes en politique c'est que le discours féministe n'est pas porté par un parti et c'est donc individuellement qu'elles le portent. Ce parti féministe n'est peut-être pas pour demain, mais je suis quand même très heureuse du colloque d'aujourd'hui qui est une belle amorce vers l'avenir.

Merci. J'aimerais savoir également si vous repartez stimulées d'une journée comme aujourd'hui.

I Oui, bien sûr, je repars très stimulée. On a entendu plusieurs femmes aujourd'hui parler très honnêtement des difficultés qu'elles ont eues mais qui disaient tout aussi honnêtement "J'aimais bien cela, c'était le fun". Cela m'a procuré une sensation très agréable. C'est comme si on avait eu quelque chose de plus.

Cette journée m'a donné des ailes. J'ai le goût d'aller organiser des choses, de faire partie de l'équipe de celle qui, dans ma région, a manifesté le goût de se lancer en politique. J'ai du travail pour les trois prochaines années. J'ai le goût de l'action, tout de suite.

Je pense qu'il faut avoir le goût du défi pour aller en politique. Mais cela nous apporte une sorte de plénitude, malgré les côtés difficiles, et c'est ce qui fait que cela vaut la peine d'être vécu et qu'on a le goût d'y être.

156 CONCLUSIONS ET PROSPECTIVES

A la fin du CARREFOUR D'EXPLORATION SUR L'ACCES DES FEMMES AU POUVOIR POLITIQUE les participantes repartent satisfaites: on comprend, on sait. Les objectifs du CARREFOUR D'EXPLORATION sont atteints.

Les participantes ont pu démystifier le pouvoir politique. Elles admirent le courage de celles qui ont osé se présenter. Elles comprennent l'interaction au sein d'un parti. Elles savent l'importance des alliances et des réseaux. Elles comprennent aussi qu'il faut se préparer à la solitude car elle sera le lot des femmes en politique tant que nous n'y serons pas plus nombreuses. Mais elles savent aussi quelle exaltation peut procurer le pouvoir politique.

La très grande majorité des participantes (99%) croient qu'il existe un avenir pour les femmes en politique et plusieurs pensent que cet avenir est proche. Elles aspirent au partage équitable du pouvoir avec les hommes, souhaitant qu'ils soient nos partenaires. Elles sont toutefois conscientes que les femmes devront s'entraider, être fidèles à elles-mêmes et tenter de faire des changements.

L'Aféas a fait ses preuves dans le dossier de l'accès des femmes au pouvoir politique comme dans bien d'autres. Un grand nombre de participantes au CARREFOUR D'EXPLORATION souhaitent que cette association continue de s'y intéresser. Elles font tout un éventail de suggestions dans ce sens: continuer de sensibiliser les femmes à l'importance du pouvoir politique; informer et former celles qui s'intéressent à la chose politique, les aider à franchir les étapes; créer un réseau composé de femmes actives en politique (ou l'ayant été) et d'aspirantes politiciennes; aider à la formation de réseaux d'appuis; soutenir les femmes qui veulent accéder au pouvoir; continuer à agir auprès des élues. Les suggestions sont encore nombreuses et fort intéressantes.

Tout n'a pas été dit dans le dossier sur l'accès des femmes au pouvoir politique. L'Aféas en est consciente. Les premiers gestes sont faits et nous posons des jalons pour l'avenir. LE CARREFOUR D'EXPLORATION SUR L'ACCES DES FEMMES AU POUVOIR POLITIQUE a permis l'expression d'un grand désir d'implication de la part des participantes. Tous les espoirs nous semblent donc permis.

L'Aféas tient a exprimer sa satisfaction aux conférencières et personnes- ressources pour la qualité et la justesse de leur témoignage. Elles furent pour beaucoup dans le succès de cette activité. Nous voulons remercier également chacune des participantes. Par leur présence et leurs interventions elles ont contribué à la réussite de cette rencontre.

157 Fidèle a sa tradition de non partisanerie, l'Aféas a relevé avec brio le défi de réunir, pour une même activité, des femmes de toutes les allégeances politiques. C'est dans ce même esprit que l'Aféas continuera à travailler au dossier sur l'accès des femmes au pouvoir politique.

158 ANNEXE

ALLOCUTION DE MME MONIQUE GAGNON-TREMBLAY

MINISTRE DELEGUEE A LA CONDITION FEMININE

C'est avec plaisir et fierté que je participe aujourd'hui à ce grand rassemblement de femmes où l'on s'interrogera ensemble sur l'accès des femmes au pouvoir politique. Malgré les progrès des dernières années avec, entre autres, l'entrée de 18 femmes à l'Assemblée nationale du Québec en décembre 85, le chemin qui reste à parcourir est encore énorme.

La tenue d'un Carrefour d'exploration sur l'accès des femmes au pouvoir politique peut devenir l'un des éléments catalyseurs susceptibles de permettre aux femmes québécoises de s'affirmer davantage sur la scène politique. Je désire donc féliciter l'Association féminine d'éducation et d'action sociale (AFEAS) de cette heureuse initiative.

Permettez-moi maintenant quelques commentaires sur le guide que vient de vous présenter la présidente de l'AFEAS, Madame Louise Coulombe-Joly: "Comment prendre sa place en politique".

Ce guide m'apparaît d'abord comme un outil précieux, bien documenté et très facile d'accès. Je crois donc qu'il rencontre bien son objectif principal qui consiste à démystifier la chose politique. En fait, cet outil aidera sûrement plusieurs femmes à tirer des constatations utiles pour leur avenir politique.

La lecture de ce guide permet d'abord de mettre en lumière un constat simple mais important: plusieurs femmes ont le potentiel nécessaire pour se lancer dans l'arène politique. En effet, les exigences décrites par ce guide pour des postes politiques rejoignent, j'en suis certaine, les caractéristiques de plusieurs d'entre vous. Il faudrait donc se dire et s'avouer que la politique n'est pas réservée seulement aux hommes, mais également à nous les femmes!

Le guide s'avère d'autre part un excellent outil pour permettre à celles d'entre vous qui se voient candidates à un quelconque poste électif et qui n'ont pas encore fait le choix de s'impliquer dans une formation politique, ne serait-ce que comme simple membre, de poser dès aujourd'hui, les actions qui s'imposent pour concrétiser leurs aspirations.

Bref, le guide "Comment prendre sa place en politique" constitue un excellent outil de référence qui ne peut qu'être utile aux femmes qui s'intéressent à la chose politique et qui ne peut que contribuer directement à l'avancement de la cause des femmes du Québec.

A l'image du guide présenté aujourd'hui, l'AFEAS constitue un outil précieux pour les femmes. Un outil par lequel les femmes du Québec ont été en mesure de faire progresser plusieurs dossiers fondamentaux à leur quête de l'égalité et de son préalable essentiel: l'autonomie financière des femmes.

L'AFEAS est un mouvement de femmes crédible et puissant. Puissance qui se révèle dans son membership, tant par le nombre que par sa représentativité.

159 Armée de cette représentativité, l'AFEAS s'échine à aider les femmes et à promouvoir leurs droits.

Au-delà de cet important rôle collectif pour l'avenir des femmes du Québec, l'AFEAS constitue également un outil essentiel pour les femmes afin de les aider à développer leurs capacités individuelles. L'AFEAS est, en effet, un lieu qui permet aux femmes de développer leur "savoir-faire". L'AFEAS fut et demeurera, j'en suis profondément convaincue, une espèce de catalyseur pour plusieurs femmes qui s'impliquent ou s'impliqueront sur la scène québécoise.

Si l'AFEAS peut jouer un tel rôle, c'est surtout à cause de sa vocation. Ce mouvement a une vocation d'information et de formation. Deux ingrédients indis- pensables pour celles qui aspirent à des postes de direction, qu'importé la sphère d'activité retenue.

Grâce à l'AFEAS, ou encore à d'autres mouvements similaires, des centaines, voire des milliers de femmes, ont pu développer leur capacité de leadership, leur habilité à travailler en groupe ainsi que leur capacité d'engagement: habilités nécessaires à toute action politique.

L'implication d'une femme à titre de membre active d'une association comme celle de l'AFEAS peut constituer, dans bien des cas, le premier pas d'un processus permettant de passer de la sphère privée à la sphère publique et finalement à l'intégration de ces deux dimensions.

L'AFEAS peut jouer un rôle similaire pour les femmes à celui que jouent, par exemple, la Chambre de Commerce pour les gens d'affaires, le syndicat de la travailleuse ou encore les associations étudiantes pour les jeunes. Tous ces groupes de pression, vous en conviendrez avec moi, ont bien peu en commun si ce n'est de constituer à un moment de leur cheminement un milieu d'appartenance spécifique auquel un individu peut s'identifier et acquérir une confiance en ses possibilités.

Loin de moi l'idée de réduire le rôle de ces importants outils de notre vie démocratique, à de simples tremplins à saveur carriériste. Néanmoins, on ne peut nier tous les apprentissages sociaux que peuvent procurer à un individu une implication active dans de tels groupes de pression.

En fait, ces groupes de pression permettent de faire certains apprentissages et de mieux connaître les règles du jeu en société. Ils aident aussi à prendre conscience de nos forces et de nos faiblesses, de nos habilités et de nos caractéristiques personnelles au sein d'une organisation.

Par ailleurs, il importe de ne pas négliger le fait que les groupes de pression sont des outils essentiels à l'exercice d'une véritable vie démocratique et qu'à ce titre, une implication active dans un tel groupe constitue en soi une impli- cation politique réelle. A titre d'illustration, pensons au rôle très politi- que, et éminemment utile, d'un organisme comme l'AFEAS dans des dossiers tels, les régimes matrimoniaux, la planification des successions ou encore la partici- pation des travailleuses au foyer au Régime de rentes du Québec pour n'en nommer que quelques-uns.

Il m'apparaît fondamental d'insister sur l'importance des groupes de pression dans le processus politique. Grâce à leur caractère non partisan, les groupes de pression réussissent à mobiliser l'opinion publique sur des questions parti-

160 culières et ils obligent ainsi les décideurs à prendre en compte leurs revendi- cations et bien souvent à les traduire en actions gouvernementales. En ce sens, on n'insistera jamais assez sur l'importance de préserver le caractère non partisan qui a toujours prévalu jusqu'à maintenant au sein d'un groupe comme celui de l'AFEAS. C'est ce caractère qui lui donne sa force et sa crédibilité et qui lui permet de faire progresser les dossiers qu'elle défend.

S'impliquer en politique c'est, d'après Monique Begin, "monter-monter-monter", mais dans ce domaine, peut-être plus encore que dans tout autre, il y a beaucoup d'appelées mais peu d'élues. D'après Lysianne Gagnon, le nombre de candidates depuis 1945 au Québec est passé de 2 à 82 en 1981. Par contre, le nombre de candidates élues n'a pas augmenté dans la même proportion. Dix-huit femmes ont été élues lors des dernières élections, ce qui représente 14% des membres de l'Assemblée nationale. Il faut donc se présenter, mais l'important c'est de gagner.

Pour gagner, il faut d'abord s'assurer de choisir un comté, ou un district, dépendamment qu'on parle de la scène municipale ou des scènes provinciale et fédérale, dans lequel on se sent chez-soi. Il faut aussi faire le meilleur choix, là où on peut escompter de bonnes chances de victoire.

Par ailleurs, une victoire électorale comporte une bonne part d'aléas difficilement contrôlables tels, la force respective des chefs, les partis en présence et les éléments de conjoncture...Il faut donc dès le départ être motivée à gagner. Contrairement au sport amateur où l'adage olympique voulant que "l'important c'est de participer", s'applique merveilleusement bien, c'est tout le contraire en politique, l'important c'est de gagner.

Pour gagner, il faut se préparer sérieusement. Il faut se doter d'une excellen- te organisation. Il faut recruter avec soin nos principaux collaborateurs et collaboratrices. Il faut également se convaincre de notre capacité d'influencer véritablement les décisions tout en ayant le goût de se battre de toutes nos énergies, contre vents et marées, car, le monde de la politique est un milieu hautement compétitif. Cela insinue donc qu'il faut aussi avoir le goût du risque et du pari, du "bluff" disait une ancienne présidente du Conseil du statut de la femme.

Finalement, pour gagner, il faut aussi avoir la capacité d'affronter l'isolement car toutes le disent, le principal problème des femmes une fois qu'elles sont au pouvoir, c'est leur isolement. Bref, s'impliquer en politique et avoir accès au pouvoir c'est donner le maximum de soi-même. La vie quotidienne, plus que toute autre activité, demande une dépense incroyable d'énergie physique, intellectuelle et émotive. En ce sens, il faut vraiment que cela repose sur une motivation intrinsèque, parce que l'exercice du rôle politique est souvent cruel et ingrat.

Mais, il faut bien l'avouer, la vie politique c'est aussi une passion dévorante qui nous amène à donner le maximum de nous-mêmes, qui nous fait sentir que nous nous réalisons pleinement et que nous développons notre plein potentiel comme individu.

Cette dernière phrase constitue à elle seule, j'en suis convaincue, un puissant élément de motivation pour vous amener à faire le saut en politique.

161 Je vous incite donc à poursuivre vos engagements et vos actions sociales. Vous pouvez ainsi choisir de vous impliquer davantage dans le milieu où vous êtes actuellement ou encore décider de vous présenter à une élection soit sur la scène municipale, provinciale ou fédérale. Vous pouvez aussi choisir de vous impliquer davantage dans votre milieu dans des conseils d'administration de caisses populaires, d'organismes sociaux ou encore d'organismes à caractère économique.

D'autre part, si vous ne désirez pas vous lancer personnellement dans l'aventure politique, pourquoi ne pas encourager la candidature d'autres femmes que vous considérez capables. Aider ces femmes tout comme les hommes ont pu être aidés par leurs amis dans le passé, ne serait-t-il pas un juste retour des choses?

Plus que jamais, il importe que les femmes s'investissent dans le champ politique tout comme elles ont déjà commencé, et de brillante façon, à s'investir dans le champ économique en devenant propriétaire ou cadre de PME.

Je vous lance donc un appel à la solidarité. Il nous faut travailler ensemble pour augmenter le nombre de femmes élues au sein de nos institutions démocratiques. Il faut aussi travailler ensemble afin d'augmenter la proportion de femmes dans nos corps électifs. Je suis persuadée que cela amènera les changements bénéfiques non seulement pour les femmes mais aussi pour l'ensemble de notre société.

Le pouvoir, c'est non seulement exigeant pour quiconque veut l'exercer, mais c'est surtout passionnant. Alors Mesdames, n'attendons pas encore vingt ans...prendre sa place et accéder au pouvoir, c'est participer!

162 NADIA ASSIMOPOULOS

PH.D., Département de sociologie, Université de Montréal.

Elle est agente de recherche au Bureau institutionnel de l'Université de Montréal, depuis 1974.

Elle a agi comme consultante pour le département de sociologie de l'Université McGill, le Conseil de la langue française, le ministère de l'immigration, le service de l'éducation des adultes.

Elle a enseigné la sociologie à l'Université de Montréal (HEC) et

à l'école Polytechnique.

Elle est vice-présidente de l'association canadienne des sociologues et anthropologues de langue française.

Active au référendum de 1980, elle est candidate dans Laurier en

1981. Elle est présidente du parti Québécois dans Laurier.

Elle est conseillère au conseil exécutif national du parti

Québécois.

Elle préside le comité des relations internationales du parti

Québécois.

Elle est présidente du conseil exécutif national et vice-

présidente du parti Québécois.

163 MONIQUE BEGIN

Titulaire de la chaire conjointe en études des femmes, Université d'Ottawa et Carleton.

Maîtrise en sociologie, Université de Montréal, études doctorales à l'Université de Paris (Sorbonne).

En 1963-64, elle est coordonnatrice et secrétaire du bureau tech- nique de l'Expo 67.

En 1965-1967, elle coordonne,tout en y participant,des travaux de recherche dans le domaine des sciences sociales appliquées tant pour des gouvernements que pour le secteur privé.

En 1967-1970, elle est secrétaire générale de la Commission Royale d'enquête sur la situation des femmes au Canada.

En 1972, elle est élue députée à la Chambre des Communes pour St- Michel (Montréal) pour le parti Libéral du Canada. Elle est la première femme du Québec à être élue à Ottawa. Elle est réélue en 1974, 1979 et 1980.

Elle est co-présidente du Congrès national du parti Libéral du Canada en 1973. Elle est nommée déléguée permanente à l'O.N.U. en 1973 et est élue vice-présidente du caucus national en 1975.

Elle est secrétaire parlementaire du ministre des Affaires exté- rieures en 1975-1976.

De septembre 1977 à mai 1979 et de mars 1980 à septembre 1984, elle est ministre de la Santé nationale et du Bien-être social.

A ce titre, elle a fait adopter des mesures législatives augmen- tant le supplément de revenu garanti des personnes âgées défavori- sées, le crédit d ' i mpôt-enfant ainsi que la nouvelle loi sur la santé au Canada en 1984.

164 SUZANNE BLAIS-GRENÏER

Députée à la Chambre des Communes.

Doctorat en sciences économiques à l'Université de Paris.

Elle débute sa carrière comme professeur à l'Université Laval et fut ensuite directrice de la Corporation des travailleurs sociaux du Québec.

Elle a été vice-présidente du Conseil I nter-Professionne1 du Québec.

Elle est ensuite successivement secrétaire de la commission d ' assurance-chôm âge, directrice à la commission canadienne des droits de la personne à Ottawa et directrice executive de l'Association de prévention en santé et sécurité du travail du Québec.

Elle est élue pour la première fois en septembre 1984 députée à la Chambre des Communes. Elle représente le comté de Rosemont pour le parti Progressiste conservateur du Canada.

Elle devient ministre de l'Environnement puis aux Transports du gouvernement actuel.

Elle démissionne de ce dernier poste en décembre 1985.

165 SOLANGE CHAPUT-ROLLAND

Ecrivain politique, animatrice à la radio et à la télévision.

Etudes à la Sorbonne et à l'Institut Catholique de Paris.

1955- Elle entreprend une première tournée de causeries à travers

le Canada et fait ses débuts à la télévision.

1969- Elle est nommée observateur aux Nations Unies.

1973- Elle reçoit la médaille de l'Ordre du Canada, à titre

d'officier.

1974- Le Premier Ministre Trudeau la nomme commissaire à la

Commision de la Capitale Nationale.

1977- Elle devient membre du Conseil des Arts du Canada.

1979- Elle est élue députée à l'Assemblée Nationale pour le Parti

libéral du Québec. Elle est battue en 1981. Elle est une

figure de proue de la campagne référendaire pour le "non".

1984- Elle reçoit un doctorat "Honoris Causa" en droit de

l'Université Quenn's.

1985- Elle reçoit la décoration Ordre national du Québec à titre

d'officier.

Au cours de ces années, elle est écrivain politique et anime différentes émissions de radio et télévision. Elle signe, en 1981

avec Michèle Bazin, la série télévisée "Monsieur le Ministre" pour

Radio-canada.

166 DANIELLE DEBBAS

Présidente de F.R.A.P.P.E.

Journaliste

Elle collabore à diverses émissions de radio, de télévision.

Elle publie des articles dans plusieurs magazines.

Elle est communicatrice et conférencière.

Féministe de longue date, Madame Debbas est de plus en plus active dans les milieux de groupes de femmes.

Très sensible à la cause des femmes et à l'importance de leur présence dans les lieux de pouvoir, elle fonde, en 1985, l'Association des Femmes regroupées pour l'accessibilité au pouvoir politique et économique, F.R.A.P.P.E.

167 LORRAINE DUGUAY

Avocate au cabinet juridique Duguay,Salois, Dionne.

Licence en droit à l'Université de Montréal.

Antérieurement à sa carrière d'avocate, Me Duguay fut journaliste pour divers journaux et revues, speakrine et animatrice à la radio et à la télévision.

Elle a été attachée de presse des 17 pavillons thématiques lors de l'Exposition Universelle de 1967.

Elle a été conférencière en droit criminel et en droit de la famille à l'Université de Montréal et à l'Université McGill.

Elle agit à titre de personne-res source auprès du Comité consultatif sur la femme pour le parti Progressiste conservateur.

Elle fut candidate pour ce parti lors des électionsfédé raies en 1984.

Madame Duguay a été nommée au cours de l'année 1986, membre du conseil d'administration de Radio-Canada, vice-présidente de la

Chambre de Commerce de Montréal et présidente du projet "Accès

51", projet qui a pour but de répondre aux demandes croissan- tes des gens d'affaires et d'intégrer les femmes à des fonc- tions de prestige. Elle est également membre de la Fédération canadienne des femmes dilpômées des universités, du Musée des

Beaux-Arts de Montréal, du Réseau des femmes de carrière de

Montréal.

168 LOUISE HAREL

Députée à l'Assemblée Nationale.

Etudes en sociologie et licence en droit à l'Université de

Montréal.

Admise au Barreau du Québec en 1979.

Elle est vice-présidente de 1 ' U G E Q en 1968, permanente au

secrétariat national du Parti Québécois en 1970 et 1971 puis

travaille au Conseil de Développement Social du Montréal

métropolitain, au service des coopératives, de 1971 à 1974.

Présidente de la région Montréal-Centre du PQ de 1974 à 1979, elle

est vice-présidente du PQ de 1979 à 1981.

Elue députée de la circonscription de Maisonneuve en 1981, elle

est présidente de la Commission de l'Economie et du Travail. Elle

est Ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration de

septembre à novembre 1984 et adjointe parlementaire au Ministre de

la Dustice de mai à décembre 1986.

Réélue députée de Maisonneuve le 2 décembre 1985, elle est vice-

présidente de la Commission de la Culture depuis février 1986.

169 CELINE HERVIEUX-PAYETTE

Vice-présidente à la division Développement de la firme de génie- conseil 5NC à Montréal.

Licence en droit de l'Université de Montréal et certificat de l'Association Canadienne des Courtiers en valeurs mobilières.

A l'emploi du gouvernement du Québec, elle a été, pendant un an, directrice de projets dans le cabinet du Premier ministre, avant de remplir les fonctions d'adjointe législative au cabinet du ministre des Affaires sociales. De 1976 à 1978, elle a été adjointe spéciale du sous-ministre québécois du Travail et de la

Main-d'oeuvre.

Elle est élue députée pour le parti Libéral du Canada dans le comté de Montréal-Mercier en 1979.

En 1984 elle a occupé pour la première fois le poste de ministre d'Etat à la Jeunesse dans le gouvernement canadien. Elle avait antérieurement occupé le poste de ministre d'Etat à la condition physique et au sport amateur en 1983.

Membre du barreau canadien et de celui de la province de Québec, elle a participé aux activités de plusieurs associations dans les domaines de l'économie et des relations internationales. Depuis

1985, elle siège sur les conseil d'administration de plusieurs organisations.

170 FRANGINE LALONDE

Enseignement à l'Université du Québec a Montréal en relations du travail, aux HEC en administration, participation à un projet de recherche sur les mécanismes de détection précoce des faillites.

D'abord professeur d'histoire, elle est présidente du syndicat des professeurs du CEGEP St-Laurent en 1968-1969 et présidente du secteur CEGEP à la CSN en 1970.

De 1970 à 1976, elle est la première femme présidente de la Fédé- ration Nationale des Enseignants Québécois.

En 1976, elle est la première femme élue première vice-présidente de la CSN.

En 1979-1981, elle est présidente de la Fédération Nationale des Enseignants Québécois de la CSN. Elle coordonne les fédérations du secteur privé dans le cadre du comité de coordination générale des négociations à la CSN de 1981 à 1983.

En 1984, elle est membre du conseil d'administration de la Société de développement coopératif ( S D C ) „

En 1985, elle est nommée ministre déléguée à la condition fémi- nine, appelée à cette fonction par le premier ministre sans avoir été élue au préalable.

Elle est candidate dans le comté de Bertrand lors des élections partielles et participe à la course au leadership du Parti Québé- cois comme candidate à la présidence sur le thème du plein emploi.

Elle est conseillère sur la question de l'emploi pour le ministre délégué à l'emploi et à la concertation, Robert Dean.

En 1985, elle est candidate du Parti Québécois dans le comté de S t-Henri.

171 PAULINE MARDIS

Impliquée dans diverses activités: conférences, cours, appui et soutien à des groupes humanitaires (amnistie internationale).

Baccalauréat spécialisé en service social et maîtrise en adminis- tration des affaires (M.B.A.).

En 1978, elle occupe la fonction d'attachée de presse auprès du ministre des Finances, Jacques Parizeau. En novembre 1979, elle devient la directrice du Cabinet de madame Lise Fayette, ministre d'Etat à la condition féminine. A partir de 1980, elle cumule la direction de deux cabinets, soit celui de la condition féminine et du développement social.

Elle est élue en 1981, députée du Parti Québécois dans le comté de La Peltrie et entre immédiatement au Conseil des ministres comme ministre d'Etat à la condition féminine, poste qu'elle occupe jusqu'en novembre 1983, où elle est nommée ministre de la main- d'oeuvre et de la sécurité du revenu. En juin 1985, elle assume de nouveau le poste de ministre déléguée à la condition féminine.

Elle devient membre de l'exécutif national du Parti Québécois en juin 1984.

Au sein du gouvernement du Québec, Madame Marois assume à la fin de son mandat les responsabilités ministérielles suivantes:

- ministre de la m ain-d'0 euvre et de la sécurité du revenu et, à ce titre ministre responsable

- vice-présidente du Conseil du Trésor

- présidente du Comité ministériel de l'éducation des adultes

- membre du Comité des priorités

- membre du Comité ministériel de l'emploi

- membre du Comité permanent du développement social

- responsable de la région de l'Outaouais.

Madame Marois est actuellement membre de l'exécutif national du parti Québécois comme conseillère.

172 LUCIE PEPIN

Députée à la Chambre des Communes elle a été présidente du Conseil

Consultatif Canadien sur la Situation de la Femme (1981-1984) et a longtemps travaillé dans le domaine de la planification des naissances.

Madame Pépin a oeuvré comme coordonnatrice nationale du Comité

Canadien de Recherche en Fertilité et de l'Organisation Mondiale de la Santé (1971-1979). Elle a également coordonné plusieurs conférences nationales et internationales pour les fondations

Rockfeller et Ford de New-York (1975-1979) sur la Fertilité et la

Contraception.

Elle a été membre de la Commission Badgley sur la Justice et la

Santé (1975-1977) et du comité sur les infractions sexuelles à

l'égard des enfants aussi présidé par le Dr. Robin Badgley (1981-

1984).

Elle est élue députée d'Outremont pour le parti Libéral du Canada,

en septembre 1984.

Elle est la critique libérale pour l'immigration de septembre 1984

à janvier 1986. Elle est la critique pour la condition féminine

depuis septembre 1985 et occupe le poste de vice-présidente du

comité des politiques au PLC. Elle est également membre du comité

parlementaire sur les services de garde à l'enfance. Elle a

participé aux travaux concernant les projets de loi sur le

divorce (C-46, C-47, C-48), l'immigration (C-55), la prostitution

(C-49), les allocations familiales (C-70), et l'égalité en emploi

(C-62).

173 LISE ST-MARTIN-TREMBLAY

Chargée de l'administration et des relations publiques pour la société d'architectes Gilles L. Tremblay et André Tremblay.

Etudes en gestion d'entreprises à l'Université Laval et l'Université de Montréal.

Elle est organisatrice adjointe pour les campagnes électorales du parti Libéral du Canada dans le comté Louis-Hébert en 1977, 1979 et 1980.

Elle est membre de la Commission d'organisation et vice-présidente du parti Libéral du Canada depuis 1982.

En 1984, elle est co-prés iden t e de la campagne à la chefferie de l'honorable John Turner.

En 1986, elle est co-présidente du congrès biennal du P.L.C.

Elle est membre de la Chambre de Commerce et d'Industrie du Québec

Métropolitain, de l'Association des rédacteurs de devis du Canada.

Depuis 1985, elle est également membre du comité de recherche en terminologie du Centre International de recherche et de formation en gestion des grands projets. EVELYNE TARDIF

Elle est professeur en sciences politiques à l'Université du

Montréal. Elle a un doctorat en sociologie.

Elle fut coordonnât rice à la recherche de la politique d'ensemble

"Pour les Québécoises: égalité et indépendance" du Conseil du Statut de la femme et de la politique d'ensemble "Apprendre: une action volontaire et responsable" de la Commission d'étude sur la la formation des adultes.

Elle s'est toujours préoccupée des conditions de vie et de travail des femmes. Elle s'intéresse et mène des recherches sur les

rapports hommes-femmes en regard du militantisme politique.

En 1982, elle mène une recherche sur les mairesses au Québec. Les

résultats en ont été publiés sous le titre "La politique: un monde d'homme" aux éditions HMH, Montréal, 1982.

175 MARCELLE B. TREPANIER

Etudes en administration et diplômée du Centre d'enseignement et de formation en aménagement du territoire, urbanisme, droit public de l'Université de Montréal.

En 1965-1967, elle est membre du Conseil consultatif de l'Expo "67

(secrétaire).

En 1968, elle est élue conseillère municipale de Sal1aberry-de-

Valley fi eld.

En 1971, elle se présente pour la première fois à la mairie et est

défaite.

En 1974-1975, elle est vice-présidente de l'Association des

consommateurs du Canada, fondatrice de la section Valleyfield.

En 1975, elle est élue maire par acclamation.

En 1979, elle est réélue maire de Valleyfield.

De 1979 à 1983, elle est membre du Conseil d'administration de

l'Union des Municipalités du Québec.

En 1981, elle est élue préfet de la Municipalité Régionale de

Comté Beauharnois-Sallaberry. Elle est la première et seule femme

élue à ce poste au Québec.

En 1983, elle est défaite à la mairie et, de ce fait, au poste de

préfet.

Elle est actuellement membre l'Ordre des Comptables agréés de la

Province de Québec, vice-présidente de l'Association des Villes

Jumelées du Canada Inc., Directrice de la Chambre de Commerce de

la Région de Sallaberry-Valleyfield.

176