2 Du même auteur :

– L’Eglise, un héritage de Rome, Essai sur les principes et méthodes de l’architecture chrétienne, Religions et Spiritualité, collection : Beaux-Arts, Architecture, Religion, Editions Harmattan 2009, 267 p. – « Les minihis en Bretagne, des territoires monastiques sacralisés ? », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, Presses Universitaires de Rennes, tome 117, juin 2010, numéro 2, p. 25-55. Publication dans le cadre d’un Master 2 Recherche, Rennes 2, 2009. – L’immunité du « monastère de Saint-Méen et de l’île de Malo », à l’origine de la création de l’évêché d’Alet, Dossiers du Centre de Recherche et d’Archéologie d’Alet, volume 38-2010, p. 63-86. – « Quintin, châtaigne ou borne milliaire ? », Quintinais, n° spécial 2010. – « Quintin, genèse et développement d’un bourg castral », Quintinais, n° spécial 2011. – L’émigration des Bretons en Armorique au haut Moyen Age (en préparation)

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« Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté ; son usage appartient à ses propriétaires, sa beauté à tout le monde. » Victor Hugo1

1 HUGO, Victor, Guerre aux démolisseurs, pamphlets de 1825 et 1832 pour la sauvegarde du patrimoine, éd. L’Archange Minotaure, réed. 2006.

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Introduction

En Bretagne, le mot bourg a conservé une connotation rurale, équivalent du village entourant l’église paroissiale. Tel n’est pourtant pas le cas de Quintin à l’origine dont la fondation, associée à un bourg, a conduit au développement d’une cité importante au Moyen Age à l’échelle de la Bretagne. L’enjeu actuel du développement de cette « cité de caractère » pose la question des dynamiques à l’œuvre dans ce territoire, sa place dans la Communauté de communes2. L’étymologie du nom de Quintin peut contribuer à apporter une « pierre » à l’édifice.

2 Une réflexion sur le positionnement touristique du Pays de Quintin a été engagée à travers le Schéma local de Développement Touristique depuis le 15 décembre 2009. La mission, dont l’activité est organisée par un Comité de pilotage regroupe des élus, des professionnels, l’Office de tourisme, des associations… Elle a pour but d’identifier et mieux exploiter le potentiel touristique relevant de la Communauté de communes.

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Partie 1 Aux origines de Quintin « châtaigne » ou borne milliaire ?

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1 Aux origines de Quintin le Vieux-Bourg…

A l’origine du nom de Quintin se trouve la commune du Vieux-Bourg qui portait initialement le nom de Quintin. La commune du Vieux-Bourg s’appelait Kintin vers 1330, Quintin en 13683, Quintini in Burgo en 1516 et Vetus Burgus Quintini dans les registres mortuaires de Saint-Gilles- Pligeaux4 du XVIe siècle. La forme la plus ancienne du nom de Quintin, recensée à ce jour, est Quintonensis également associée au Vieux-Bourg dès 1163 (anciens évêchés de Bretagne). Elle associe la racine quintum (cinq) au suffixe « nensis », caractéristique des noms de lieux latinisés au Moyen Age et qui pourrait se traduire par « de, hors de », « of » en anglais5. Le nom porté par une autre

3 Pouillès de Tours, 301 et 305. 4 Le Vieux-Bourg est un démembrement de l’ancienne paroisse de Pligeaux. 5 Sur la désignation des noms de lieux avec le suffixe « nensis », cf. l’article « The Latinization of Names in the Middle Ages »,

2 9 commune interroge. Il peut renseigner sur l’origine et l’évolution du sens attribué au nom de la cité actuelle.

1.1. Quintin « pays de la châtaigne », nom d’un chef romain Quintinus ? Les étymologies du nom Quintin, qui étaient proposées jusqu’ici, ont hésité entre « la châtaigne », la plus souvent retenue et celle d’un général « Quintinus ». Une rapide analyse rend leur origine peu convaincante. L’étymologie qui proposait de faire de « Quintin », un dérivé de Kistin : « la châtaigne » en breton est critiquable. La confusion repose en fait sur l’assimilation Kistin et Kintin/Kyntin. Le nom de Quintin apparaît en fait d’abord sous une dénomination latine dans les chartes féodales (Quintonensis, 1163, Quintinia 1235 ; 1247) et non bretonne même s’il est « bretonnisé » rapidement sous la forme Kintin (Kyntin, 1249). En zone bretonnante, les communes qui tirent leur étymologie du nom breton « châtaigne » ont une forme en « s » caractéristique dans les sources de la même époque comme les communes de Quistinic (Kistinc-Blaguelt en 1160 : « Quistinic sur Blavet ») ou Questembert (Kaistemberth en 1160, Questebert, Questembert en 1164, Kestembert en 1255, Questembert en 1266) dans le Morbihan. Il en va tout autrement des communes de Peumerit Quintin, Plounévez-Quintin où l’étymologie commune à celle de Quintin renvoie de Susan Carroll-Clark, 1997, [article en ligne : http://nicolaa5.tripod.com/articles/latin.html.] ; l’ouvrage en anglais Orbis Latinus (co-écrit par Graesse, Benedict et Plechl, Klinkhardt and Biermann : Braunschweig, 1972)

10 2 à une dénomination latine, la proximité des voies romaines le confirmant. L’hypothèse du nom de Quintin dérivé d’un nom propre d’origine romaine est également peu vraisemblable. L’étymologie proposée par M.L. Audo en 1861 est fantaisiste : elle reposait sur une latinisation approximative du mot burgus qu’il assimilait à « une forteresse » – tout en faisant une digression sur la légende de fondation de Carthage6 – et du nom d’un général Quintinus, dont lui-même ne savait d’où il pouvait sortir ! « Selon quelques étymologistes, le mot Bourg, en latin vulgaire Burgus, signifierait forteresse. Corneille de la Pierre, dans son savant commentaire sur Isaïe, s’exprime ainsi, en nous expliquant le mot Bosra, chap. 63. « Ex Bosra per metathesim Byrsa, arx munita Carthaginis, Romani dixerunt Burgus, unde dicti sunt Burgundiones, eo quod in Burgis, id est, in arcibus et locis contra hostium incursus munitis habitarent ». Le Bourg de Quintin, en adoptant cette explication, serait donc la forteresse de Quintinus. Ce nom semble justifié par la position du bourg sur une hauteur et par les vestiges d’une vieille forteresse qui se trouve à 300 mètres dans un champ, nommé le « Clos du Vieux-Châtel ». Quintinus serait le nom du fondateur. L’on demandera, peut-être, pourquoi le Vieux-Bourg aurait-il le monopole de cette étymologie. La ville de Quintin n’a-t-elle pas le droit de revendiquer la priorité ? Le nom de Quintin ne

6 GENDRY, Mickaël, L’Eglise, un héritage de Rome, Essai sur les principes et méthodes de l’architecture chrétienne, Religions et Spiritualité, collection : Beaux-Arts, Architecture, Religion, édition Harmattan 2009, p.63-64.

2 11 figure dans aucune histoire, à quelle époque a-t-il vécu ? Quel lieu a-t-il habité ? Quelle a été l’étendue de sa puissance ? Ce sont là autant de questions difficiles à résoudre. Nous croyons que Quintinus était un chef romain, qu’il habitait le lieu qui porte son nom, et que sa juridiction s’étendit assez loin vers Carhaix, dans le pays de Cornouaille, où l’on retrouve les paroisses de Plounevez-Quintin et de Peumerit- Quintin. Au Vieux-Bourg, comme à Saint-Gilles- Pligeaux, plusieurs champs portent le nom de Tertres et Clos-Quintin »7. D’autres ont pu suggérer sans autre forme de preuves que le nom de Quintinus aurait été à la tête d’une villa gallo-romaine, en témoigneraient les références de Plounevez-Quintin, du Vieux-Bourg de Quintin, Saint-Thurian de Quintin soit à six ou sept lieues à la ronde. C’est ignorer l’étymologie et la situation de ces toponymes ! Comme le soulignait Monique Langlois dans sa thèse sur la seigneurie de Quintin : « En général les noms propres de personnes sont devenus noms de pays qu’après l’adjonction du suffixe « acum » ce qui donnerait en pays celtique quelque chose comme Quintiniac*. On ne trouve nulle part Quintiniacum »8. Les formes « Quentin » (saint Quentin/ Quintus du Bas Empire qui évangélisa le Beauvaisis et la Picardie) ou Quintin (saint Quintin, martyr en Touraine du VIe

7 AUDO, M.L., « Le Vieux-Bourg-Quintin. Quelques notes sur cette ancienne paroisse », Annuaire des Côtes-du-Nord, t.XII, 1862, p.2 et 3. L’article est signé de 1861. 8 LANGLOIS, Monique, Etude historique, administrative et économique de la seigneurie de Quintin jusqu’en 1682, thèse non publiée, 3 volumes, 1944, p.39.

12 2 siècle) doivent être également écartées. Si, Quentin renvoie à la racine latine cinq (Quintus) désignant « cinquième » dans le sens de « né le cinquième mois » (Quintilis qui deviendra ultérieurement Iulius, juillet) ou le « cinquième enfant d’une fratrie », la forme hagio-toponymique aurait été déclinée en « *Saint- Quentin/Quintin » équivalente à Saint Quentin (Saint- Quentin dans le département en Yvelines, Saint Quentin dans le département de l’Aisne…), Saint- Quintin-sur-Sioule dans le département du Puy-de- Dôme. Hors tel n’est pas le cas dans la région et aucune titulature de lieux de culte à un Quentin ou Quintin n’a pu être relevée, forme qui n’est pas à confondre avec Corentin, à qui est dédiée originellement l’église du Vieux-Bourg de Quintin ! Une dernière hypothèse, parfois soulevée de l’existence d’un camp romain pour Quintin actuel doit être tout autant rejetée. Outre les défauts de sources archéologiques pouvant l’attester, l’erreur sur le site (la toponymie implique la recherche au Vieux- Bourg !), elle ne tient pas compte de l’évolution des sources de l’époque féodale impliquant un développement différent de la cité.

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En approfondissant l’analyse, l’idée que la ville évoque grossièrement le plan d’un camp romain9 correspond en fait à un développement de la ville au XVe siècle. L’idée d’une via quintina assimilée à la Grand Rue pour justifier sa situation excentrée ne peut être tenue car dans les camps romains cette voie était parallèle au cardo (axe nord sud). La Grand-Rue, axe Est-Ouest serait en effet davantage un decumanus. Le decumanus quintinais, dans son prolongement jusqu’à la basilique actuelle, est hérité de la construction de la collégiale Notre-Dame à l’extérieur du bourg castral en 1405 !

9 Le plan d’un camp romain est toujours le même ce qui permet une construction très rapide. Deux voies principales cardo (Nord-Sud) ou via principalis (dextra et senestra, « à droite et à gauche » du soleil, dict. Gaffiot, 1936, p. 501) et le decumanus (Est-Ouest) ou via praetoria se coupaient à angle droit devant le praetorium (la tente du général). La via quintana était parallèle à la via principalis selon la description du grec Polybe du camp de marche romain (Livre VI, 27-42) qui écrit sous la Rome républicaine, cf. pl. XXVII, figure 21 dans LE BOHEC, Yann, L’armée romaine sous le Haut-Empire, éd. A. et J. Picard, troisième éd. revue et augmentée, 2002.

14 2 1.2. Quintin, borne milliaire ? L’écueil des étymologies précédemment avancées, outre le défaut des sources qu’elles peuvent présenter repose d’abord sur l’absence de considérations des enjeux spatiaux-temporels. Pour comprendre l’évolution de la cité, il convient de replacer la situation de la ville actuelle à l’emplacement d’un important carrefour gallo- romain : à l’intersection des voies qui menaient de Carhaix à Alet et du Cos-Yaudet à Blains. La carte dressée par R. Couffon après-guerre permet de s’en représenter aisément l’idée. La commune actuelle du Vieux-Bourg était située sur une de ces voies.

Voie romaine, forêt de Lorge, tronçon Carboureux-Croix Saint- Lambert. En Bretagne, la majorité des voies n’étaient pas dallées mais constituées de gravats, graviers et sables damés.

2 15 Si on calcule la distance entre le Vieux-Bourg et Quintin, à l’emplacement de l’ancien carrefour, en tenant compte des unités de distance du monde romain (le mille équivalent à 1,478 m)10, on trouve une distance de cinq milles (= 7,39 km). Cette distance est équivalente à un autre tronçon de la même voie romaine entre Plounévez-Quintin et où a été mise à jour une borne milliaire ! Les bornes milliaires11 étaient les colonnes romaines

10 Pour définir le mille romain, il existe deux échelles de référence : celle qui fait du milliaire une unité de mesure égale à 1.478 mètres et celle de 2.222 mètres, plus récente, de l’époque de Septime Sévère. Concernant le tronçon de voie romaine qui nous intéresse le plus, communes du Vieux-Bourg et de Quintin, il ne peut s’agir que de l’ancienne mesure comme le souligne J.Y. Éveillard, Stéphane Le Pennec, spécialistes de la question, « la Voie -Carhaix reprend la première partie d’une grande diagonale pré-romaine – voie remontant à l’âge de fer ou même à l’âge de bronze – Alet-Saint-Servan Quimper, à laquelle la ville nouvelle de Vorgium fut rattachée », dans Atlas d’Histoire de la Bretagne, Bernard TANGUY, Michel LAGRÉE, éd. Skol Vreizh, Morlaix, 2002, p.46. 11 Les toponymes concernant le comput des milliaires ont souvent servi à désigner des stations : « 2e mille : Secondo 3e mille : Thiers, Terzo, Terzolle 4e mille : Quart (Le) ; Saint-Martin-du-Quart 5e mille : Quinta/o (Vercellese), S. Maria de Quinto, Petri de Quintolo », extrait de l’ouvrage de Raymond CHEVALLIER, Les voies romaines, éd. Picard, Paris, 1997, p. 67. « À Quintam (leucam) « cinquième lieue » se rattache Quint à la Roche des Arnauds (Hautes Alpes, Quintum, vers 1100, Quinta 1166, Quint (Haute Garonne, de Quinto) à l’est de Toulouse, La Quinte, commune à environ 12 km du Mans sur le passage de la voie romaine du Mans à Jublains, Les Quintes à Laigné-en-Belin sur la voie Le Mans-Tours, La Quinte, banlieue de Tours, La

16 2 placées à égale distance sur le tracé des voies romaines. Celle retrouvée à Plounévez-Quintin, qui est une des trois bornes milliaires12 retrouvées dans le département, jalonnait la voie romaine de Carhaix à Corseul. Si l’on observe encore plus attentivement cette voie romaine, on s’aperçoit que les jalons étaient placés de cinq en cinq milles, soit une distance au total de vingt milles. Sur une autre voie, menant également de Carhaix à Corseul, le toponyme « la lande du Militaire » à Peumérit-Quintin conserve la trace à n’en pas douter du nom d’une ancienne borne. Deux noms figurant le toponyme de Quintin13 sur des voies romaines, le nom de « Kintin (Quintini in birgo) » associé au Vieux-Bourg de même que l’emplacement actuel de Quintin, en lieu et place d’un ancien carrefour gallo-romain, laissent peu de place au doute. L’étymologie du nom de Quintin serait alors à relier à une unité de distance par rapport au carrefour, ce que suggère l’appellation Quintam (millarum), cinquième borne milliaire depuis le Vieux-Bourg. La dénomination Quintonensis de 1163, forme toponymique la plus ancienne pour le nom de Quintin, serait alors « un lieu de la cinquième [borne milliaire]* » au regard de sa situation géographique à l’époque gallo-romaine. Ce toponyme, par la seule référence à une localisation, écarte, de fait, l’ancienne hypothèse de la « châtaigne ».

Quinte à Liffré (Ille-et-Vilaine), etc. », dans La toponymie des voies romaines et médiévales. Les mots des routes romaines, Stéphane GENDRON, éd. Errance, Paris, 2006. 12 À celle de Plounévez-Quintin, il faut ajouter celles de Plélauff et Maël-Carhaix. 13 Peumérit-Quintin ; Plounévez-Quintin associées à une borne milliaire

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Une des quatre bornes milliaires retrouvées en Armorique à Maël-Carhaix. La borne n’est plus située sur la place, comme indiquée sur cette carte postale ancienne. Elle a été déplacée dans le jardin près de l’église. Elle est désormais anépigraphique alors qu’elle comportait des inscriptions lors de sa découverte (Centre généalogique du Poher). Le constat se retrouve aussi dans « le pays » pour les autres voies romaines qui partaient du carrefour. La commune de (du bas latin cavannus « chouette »), dont l’implantation gallo-romaine est attestée par la terminaison en « ac », était située à cinq milles du carrefour, soit une distance équivalente à celle qui est entre le Vieux-Bourg et Quintin (actuel). Le Rillan, dans l’actuelle commune de Saint- Brandan, site de l’implantation d’un vicus14 gallo-

14 Le vicus du Rillan s’étend de part et d’autre de la vallée de Saint-Germain, sur 300 m, le long de la voie de Corseul-Carhaix (en territoire Coriosolite, mais près de la frontière avec les Osismes). Carte archéologique de la Gaule, préinventaire Michel PROVOST (dir.), Côtes d’Armor, (Catherine BIZIEN-JAGLIN, Patrick GALLIOU, Hervé KERÉBEL), ministère de L’Éducation

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