LETTRES D'un PAYS EFFACÉ Tome 2
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LETTRES D’UN PAYS EFFACÉ Tome 2 : Et l’Orchestre Continue de Jouer Olivier GABIN Décembre 2016 ii Olivier GABIN – Lettres d’un Pays Effacé – Tome 2 : Et l’Orchestre Continue de Jouer iii “Le mur de Berlin sera encore là dans 50 ans, et même dans 100 ans” Erich HONECKER – 19 janvier 1989 Olivier GABIN – Lettres d’un Pays Effacé – Tome 2 : Et l’Orchestre Continue de Jouer iv Olivier GABIN – Lettres d’un Pays Effacé – Tome 2 : Et l’Orchestre Continue de Jouer v Le monde du travail n’est pas forcément de tout repos, même en RDA en 1987. C’est ce que découvre Renate Mendelsohn-Levy, embauchée du VEB Johannes Be- cher, entre ses collègues sympas, sa direction inepte, et l’ambiance de travail assez particulière. Mais il y a l’Association Internationale des Étudiants Berlinois, avec ses rencontres avec des étudiants de l’autre côté, dont les inénarrables cousins Martin-Georges Pey- reblanque et Roger Llanfyllin. Et, surtout, Dieter Hochweiler, brillant juriste et futur juge. Sous l’œil de l’omniprésente Stasi, pendant que Mikhaïl Gorbatchev lance sa politique de réformes à Moscou, Renate passe à l’âge adulte, avec tout ce que cela implique, surtout du point de vue activisme politique. Et ses copines, Milena Von Strelow et Siegrid Neumeyer, sont toujours le nez dans leurs études, élève-officier pour Milena, doctorante en mathématiques appliquées pour Siegrid. Malgré les interférences de la Stasi, les deux jeunes femmes s’accrochent à leurs futures carrières, leur meilleur atout dans un monde changeant et incertain. De son côté, toujours sous surveillance de son alter ego de la Bundeswehr, le général Wolfgang Hochweiler, le général Kolpke et sa subordonnée préférée, Renate Von Strelow, voient de l’intérieur leur pays stagner, malgré les nouvelles orientations définies à Moscou. Seront-ils prendre les bonnes décisions à temps ? Retrouvez les personnages de Chroniques d’un Pays Effacé à un tournant majeur de leur vie, alors que la RDA vit ses dernière années, et que l’URSS vacille sous les coups de boutoirs de toutes les voix dissonantes que la Glasnost a libérées. Comme une dernière répétition avant la première, Renate, Milena, Siegrid et les autres sont aux premières loges de l’Histoire. Le compte a rebours a commencé ! Olivier GABIN – Lettres d’un Pays Effacé – Tome 2 : Et l’Orchestre Continue de Jouer vi Olivier GABIN – Lettres d’un Pays Effacé – Tome 2 : Et l’Orchestre Continue de Jouer ’est une histoire que m’a racontée mon grand-père paternel, et qui a eu C lieu dans les années 1950, peu de temps après la création de la RDA. À l’époque, c’était Walther Ulbricht qui était au pouvoir, et les pénuries n’avaient rien à envier à ce qu’elles furent en Pologne pendant les années 1980. Un beau jour, mon grand-père est allé acheter de la viande avec un de ses copains, un goy qui bossait dans le même atelier que lui à l’usine. Grand-père était tourneur- fraiseur dans un atelier de mécanique de précision, je me dois de préciser. Donc, mon grand-père et son copain vont faire la queue devant la boucherie pour acheter de la viande, une livraison étant attendue. Alors que la boucherie est sur le point d’ouvrir, le patron de l’établissement en sort et vient prévenir les gens qui attendent qu’il n’y aura pas assez de viande pour tout le monde, et qu’il va devoir refuser de vendre à certaines personnes. Naturellement, vous vous doutez bien quelle était la première catégorie de visée : « Désolé, mais on ne peut pas servir les juifs. Rentrez chez vous, on n’a rien à vous vendre ! » Grand-père est rentré à la maison, mais son copain lui a dit qu’il prendrait de la viande pour lui en plus de celle qu’il voulait acheter pour sa famille, et qu’il partage- rait. Une fois les juifs partis, le patron de la boucherie a continué à réduire le volume de la clientèle : « Il y a encore trop de monde ici, je ne pourrais vendre de la viande qu’à ceux qui ont leur carte du SED. Les autres, n’insistez pas, il n’y a rien pour vous ! » Les non-membres du parti au pouvoir en RDA sont donc rentrés chez eux les mains vides. Le copain de mon grand-père, qui avait sa carte, est resté dans la queue. C’est alors que le patron de la boucherie a fait sa dernière annonce de la journée : « Maintenant que nous sommes entre nous, camarades, je peux vous parler en toute confiance : aujourd’hui, il n’y a pas eu d’arrivage de viande, et je n’ai rien à vendre à qui que ce soit. Vous pouvez rentrer chez vous. » Déçus, les acheteurs sont rentrés les mains vides. Avant que la queue ne se dis- perse, l’ami de mon grand-père a entendu une des personnes qui attendait faire cette remarque : « Ces enfoirés de juifs !. Toujours avantagés ceux-là !. » *** 1 2 Olivier GABIN – Lettres d’un Pays Effacé – Tome 2 : Et l’Orchestre Continue de Jouer – 1 – n ce début du mois de février 1987, la vie poursuivait son cours habituel E en République Démocratique Allemande. J’allais avoir vingt ans en août, j’avais un emploi, j’étais toujours logée chez mes parents et ma vie sentimentale était au point mort. Par contre, j’avais quelque chose que beaucoup de mes compatriotes auraient payé cher pour bénéficier : des contacts réguliers avec des occidentaux. Tous les membres d’Amitiés Internationales faisaient des pieds et des mains pour venir en RDA afin de partager de bons moments avec nous, en plus des bons petits plats de Martin et des livres qu’ils dissimulaient. Le second point, je n’en ai rien su avant l’été 1990. Cet hiver 1986-1987 était aussi un des plus froids que le pays ait vécu ce qui, avec presque trente ans de recul ainsi que trois hivers printaniers et sans neige à Berlin, semble surprenant aux générations actuelles. Il paraît que le réchauffement climatique d’origine humaine n’y est pour rien selon certains. Comme d’habitude, entre les coupures de courant et de chauffage urbain, il fallait se mettre bien au chaud chez soi. Heureusement, j’avais les manœuvres des KdA pour aller prendre le grand air avec la batterie antiaérienne Pankow-218 où j’étais aide-artilleur. Remuer des casiers de cinquante obus de 23 mm, ça réchauffe, surtout quand il fait 20 degrés en-dessous de zéro. Le premier février 1987 tombait un dimanche, et j’ai passé toute la journée au grand air sur le terrain d’entraînement au tir de la NVA situé non loin d’Anklam, dans les plaines de ce qui n’était pas encore redevenu le land de Mecklembourg- Poméranie, et était encore le district de Neubrandebourg. Dans la NVA et les KdA à l’époque, le gros sujet de conversation était la parade prévue à Berlin pour le 70ème anniversaire de la révolution d’octobre 1917. La RDA voulait mettre les petits plats dans les grands et de nombreuses unités étaient sélectionnées pour cet événement. Je savais déjà par Christa Kolpke que les unités de blindés que son oncle commandaient étaient déjà de la fête, mais je n’avais aucune information à ce sujet concernant les KdA. C’est pendant une pause dans notre entraînement que j’ai eu l’info par mes col- lègues de la batterie Pankow-218. Franz Kobler, notre collègue qui travaille au bureau des admissions de l’hôpital Charité, a eu la confirmation que nous défilerions sur Karl-Marx-Allee avec les troupes des KdA, au titre de la défense anti-aérienne de Berlin-Est. Inscrit au SED ouvertement par pur opportunisme, et mal vu à cause de 3 4 cela, en plus de son art de distiller les vacheries bien calibrées sur le gouvernement, le régime, le SED et tout le reste, Frantz arrivait aussi à avoir des informations fiables, bien souvent du genre que seule la Stasi pouvait obtenir. Ce jour-là, nous avons appris par ses soins que nous étions retenus pour le défilé du 7 novembre 1987 : « C’est une info fiable par une de mes relations à la mairie : 24 batteries anti- aériennes des KdA sont retenues pour le défilé, et Pankow-218 est sur la liste. — En même temps, c’est pas compliqué, il n’y a que trente batteries AA des KdA à Berlin, commenta Werner. Les six restant, ça doit être les moins présentables. — Ils doivent les garder en réserve au cas où l’une des 24 autres n’aurait pas ses effectifs au complet. commentai-je. Ça nous fera de l’entraînement pour le défilé du 40ème anniversaire de notre pays, dans deux ans. — C’est ce qui me paraît le plus vraisemblable, commenta Frantz. Par contre, pour celui du cinquantième anniversaire, c’est pas garanti. » Jusqu’à l’automne 1989, Frantz avait toujours cultivé une indiscutable ambiva- lence sur la façon dont il voyait l’avenir de notre pays. Il multipliait les formules peu claires dans ses commentaires et, suivant le degré auquel vous les compreniez, elles pouvaient être aussi bien anodines que politiquement chargées. D’autant plus que la langue allemande se prête bien au double sens, avec des mots qui ont plusieurs si- gnifications. Frantz ayant un diplôme universitaire d’allemand, il était expert dans la manipulation du langage. Un cas d’espèce de la notion de base du langage comme boîte à outils sémantiques développée par quelqu’un comme Ludwig Wittgenstein, par exemple.