La Passion Du Québec. Conversations Avec Jean-Robert
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LES GRANDS LEADERS Collection dirigée par Claude GLAYMAN Dans la même collection Sicco MANSHOLT : La Crise. Pierre MENDÈS FRANCE : Choisir. Georges SÉGUY : Lutter. Jacques DELORS : Changer. Nicolas SARKIS : Le Pétrole à l'heure arabe. L'Allemagne selon Willy Brandt, par Henri MÉNUDIER. Préface d'Alfred Grosser. Enquêtes et entretiens avec Willy Brandt, Helmut Kohl et Hans Dietrich Genscher. Un Algérien nommé Boumediene, par Ania FRANCOS et Jean-Pierre SERENI. Olof PALME : Le Rendez-vous suédois. Nahum GOLDMANN : Le Paradoxe juif. Jeannette LAOT : Stratégie pour les femmes. Yigal ALLON : Israël : la lutte pour l'espoir. Kurt WALDHEIM : Un métier unique au monde. Pierre MAUROY : Les Héritiers de l'avenir. A paraître Léopold Sédar SENGHOR : La Poésie de l'action. Bruno KREISKY : Conversations avec Manuel Lucbert. Nicolae CEAUSESCU : Conversations avec Edouard Guibert. Ibrahim Souss : Le Tournant palestinien. Constantin CARAMANLIS : Conversations avec Paul Meunier. Etc. LIVRES-DOSSIERS Suède : la réforme permanente. Revue « Faire » : Dossiers pour 1978. A paraître Des livres-dossiers consacrés à l'Algérie, la Grèce, le Portugal, les Antilles, le Québec, etc. LA PASSION DU QUÉBEC Du même auteur OPTION QUÉBEC, Ed. de l'Homme, 1968. LA SOLUTION. Ed. du Jour. 1970. Montréal. René Lévesque La Passion du Québec Conversations avec Jean-Robert Leselbaum Stock Tous droits réservés pour tous pays. © 1978, Editions Stock. LE QUÉBEC ET LE CANADA Présentation J'ai rencontré pour la première fois René Lévesque à Montréal, la seconde ville francophone du monde, mais aussi la ville la plus américaine du Québec. Il était arrivé au pouvoir à peine neuf mois auparavant. La vague de son parti, le parti québé- cois, dont les objectifs indépendantistes étaient bien connus, avait tout balayé devant elle. Les libéraux étaient déconsidérés, les fédéralistes désavoués. La joie des nationalistes n'avait d'égale que l'inquié- tude des anglophones. Le Québec était-il donc entré dans une période de déstabilisation? Chacun scrutait les prémices annonciatrices d'une prétendue catastrophe. On espérait chaque jour apprendre que les deux lea- ders, René Lévesque, Premier ministre du Québec, et Pierre Elliot Trudeau, Premier ministre du Canada depuis 1968, allaient se rencontrer et entamer des négociations. Peine perdue. La tension continuait d'être grande dans cette « presqu'Amé- rique ». On sut bientôt que, dans ce Québec surpolitisé, les enchères ne finiraient pas de monter avant que ne se termine l'explication fondamentale, au grand soir du référendum. Comme tant de Français qui n'ont pu rester indifférents lors de la victoire du 15 novembre 1976, et un an plus tard lors de la visite offi- cielle de René Lévesque à Paris, comment ne me serais-je pas senti concerné, alors, par la naissance controversée de ce nouvel Etat, dont les liens avec notre pays et notre culture ne se dénombrent plus. René Lévesque accepta la proposition d'un livre d'entretiens. Sans doute avait-il été séduit à l'idée de commencer son mandat en s'adressant à la France, et donc à l'Europe, la souche de peuple- ment du Québec. Probablement aussi les questions d'un journaliste économique l'intéressaient-il : elles lui seraient une occasion de sortir des jeux de la politique politicienne. Pour René Lévesque, travail- ler uniquement à la souveraineté politique serait un marché de dupes si le Québec n'offrait pas par avance au Canada une association économique. Projet insolite : c'est bien la première fois dans l'Histoire qu'un homme politique, prétendant pour son peuple à la souveraineté, annonce d'avance qu'il ne saurait envisager son avenir autrement que dans une association, cette fois consentie volon- tairement, avec la puissance dont il rejette précisé- ment l'autorité. Projet d'un extrême réalisme, si l'on connaît, si peu que ce soit, les inextricables relations entre le Québec et le Canada. René Lévesque ne veut pas prendre la responsabilité de l'impardon- nable erreur : le séparatisme primitif et brutal, l'ablation chirurgicale entraînant pour résultat la solitude du Québec, dans un environnement hostile et le risque d'une aventure quelque peu donquichot- tesque. Un rendez-vous avait été pris pour un entretien préparatoire, au 75, avenue Dorchester, à la fron- tière du quartier des affaires, à la limite d'un vieux secteur d'habitation en pleine rénovation, rues et maisons basses où s'entasse le petit peuple, loin du mont Royal et des résidences très british du Westmount, dont l'Outremont francophone ne par- vient pas à éclipser l'éclat. C'est au siège de la société Hydro-Québec, au dix-septième étage d'un immeuble fonctionnel jusqu'à l'anonymat qu'il a lui-même inauguré comme ministre des Ressources naturelles, que René Lévesque, devenu Premier ministre, campe au moins une fois par semaine. En plein centre de Montréal, dans la rumeur entêtante de la circulation automobile, à quelques minutes du comté de Taillon, dont il connaît tous les recoins pour y avoir été élu député, il éprouve le besoin de se replonger dans les oppositions et les contradic- tions de la société québécoise. Il y vient prendre le pouls d'un peuple rassasié de politique, mais sans cesse interpellé et pris à témoin. Ce jour-là, à la fin d'un mois d'août étouffant de chaleur humide, après les neuf longs mois de l'hiver carcéral, René Lévesque revenait de vacances, passées, comme à son habitude, au milieu d'amis intimes sur les plages de cap Cod, en Nouvelle- Angleterre. A l'entrée, un unique surveillant en uni- forme, débonnaire, fait presque oublier les discrets gardes du corps qui veillent plus loin, juste à côté du bureau personnel, sobre jusqu'à l'austérité, si ce n'est le drapeau québécois à quatre fleurs de lys. Voici donc qu'arrive, sans aucun cérémonial, pressant le pas, l'Honorable M. René Lévesque, plutôt petit, assurément fluet, un visage mobile où les yeux d'un bleu clair, brillant de mille idées, retiennent plus l'attention que le front dégarni et la mèche rebelle qui le désignent, depuis plus de vingt ans, à tous les Québécois « nationaleux ». René Lévesque répond vite. Sa voix est cassée. Son accent n'est pas le plus québécois qui soit. Il parle longuement, surtout quand la question le dérange. Le journaliste qu'il fut longtemps semble alors remercier que l'on affronte le chef d'Etat qu'il est devenu. Pressé par le temps, allant d'une séance du Conseil des ministres, d'autant plus longue que parfois l'unanimité tarde à se réaliser, à une séance réservée aux questions posées par les députés de l'Assemblée nationale, située à un jet de pierre des bureaux de l'exécutif à Québec, courant d'une conférence de presse à l'américaine, deux tiers en français, un tiers en anglais, à une réunion de travail du Comité des priorités, il n'a jamais interrompu lui-même un entretien. C'était pour lui un entracte. Interrogé, il en profite pour se situer, s'expliquer à nouveau. Anxieux, se méfiant du « présomptueux » comme de la peste, il fait le point, il « balise », presque autant pour l'autre que pour lui-même. Un Premier ministre est obligé d'être économe de son temps. Mais, pour ce livre, René Lévesque a respecté son engagement. Plus d'une dizaine de fois en moins de quinze jours, il s'est arrangé pour nous ménager au moins deux heures de conver- sation. Des heures qui passent très vite, pour toutes les questions qu'on aimerait lui poser. Quand René Lévesque ouvre sa porte au visiteur, aucun coup de téléphone intempestif ne vient le déranger, jusqu'à l'extrême limite du délai, souvent pro- longé. Le filtrage est de rigueur. Autour de lui veille une petite équipe soudée, rodée par les années de militantisme, et dévouée avec un mélange d'in- dicible admiration et d'affectueux respect. On s'excuserait volontiers d'être là, encore, à l'interro- ger, quand c'est lui qui se montre le plus navré d'en finir pour ce jour, ouvrant ses bras en signe d'impuissance et tendant la main, moins pour prendre congé que pour inviter à revenir. Sans savoir bien longtemps à l'avance si ce serait le matin ou le soir, à Montréal ou à Québec. Ce qui me frappe chez René Lévesque : sa passion. Mais dont la maîtrise lui coûte. On retrouve souvent, sous l'homme d'Etat, le militant brûlant de convaincre, respectueux de l'autre, mais dur parfois jusqu'à l'insupportable pour ses adver- saires, qu'il ne considère jamais pourtant comme des ennemis. Il demeure fidèle à ses amitiés, parce qu'il ne mêle pas le politique et le personnel. Comme s'il en avait trop souffert lui-même, à ses débuts. Que ne lui a-t-on pas reproché ? Le négligé dans ses vêtements, la bohème dans sa vie, le retard dans son emploi du temps, le retour, à l'heure du laitier, d'interminables soirées comme seuls les Québécois en connaissent, dans le froid du long hiver, on ne sait plus combien de maladies, l'alcool, la cigarette... René Lévesque ne s'en laisse plus « charrier ». Il fait ce que l'on attend d'un chef d'Etat : il serre la discipline. Mais, rendant la monnaie de la pièce, il a « bétonné » l'entrée de sa vie familiale. Il ne m'en a pas parlé. Une seule allusion, mais si anodine qu'elle signifiait, en vérité, le refus d'aller plus loin. Merveilleux démonstrateur, il tente d'excuser par un sourire désarmant un charisme que ses adver- saires mêmes lui reconnaissent, mais qui le gêne et l'enivre à la fois. Les mots ne lui suffisent pas qui, pourtant, se bousculent à ses lèvres, souvent encom- brées d'une sempiternelle cigarette qu'il cache, un moment après, au creux de sa paume, quand elle ne virevolte pas déjà dans l'air, emportée par une main ou par l'autre.