RÉPONSE D’ALEXANDRE TZARA À FRÉDÉRIC LORDON 1 / 6 Réponse d’Alexandre Tzara blique fondé sur l’alternance entre deux partis recentrés, l’un en majorité, l’autre en opposition. à Frédéric Lordon Un FN très fort (comme c’est le cas aujourd’hui) met à mal ce confortable jeu de chaises tournantes. Monsieur, La gauche comme la droite s’en trouvent menacés. Je prends régulièrement plaisir à vous lire. Vous me En un certain sens la stratégie adoptée par Mitter- semblez être un des rares et stimulants économistes rand est allée bien au delà de ses espérances. Dans de notre époque et vos articles sont précis, ciselés et un deuxième temps je vous ferai remarquer qu’être convaincants, notamment en matière économique. l’épouvantail d’un échiquier politique n’induit pas Cependant un tel article me déçoit beaucoup de une complicité entre l’épouvantail et les forces ins- votre part. Non seulement je ne suis pas en accord tallées. Du moins pas forcément. Durant plusieurs avec vos conclusions sans nuances mais votre ana- décennies en Italie, entre les années 50 et les années lyse est biaisée et souffre même de faiblesses 80-90, le Parti Communiste fut, pour le reste de la méthodologiques. classe politique, l’épouvantail. Face au péril (réel Je vais m’atteler à reprendre point par point votre ou fantasmé) du communisme, la DC et ses alliés argumentation afin d’en révéler les approximations ont adopté une stratégie de verrouillage des institu- et les omissions. Approximations et omissions qui, tions, ceci avec les socialistes, dans la lignée de la bien sûr, vont dans le sens de votre démonstration. tradition du Connubio. Exactement la stratégie de nos deux partis jusqu’à peu. En Italie les choses 1° Commençons par « Le FN, ce terrible fléau, allèrent même encore plus loin avec la stratégie de cette bénédiction ». Que le FN serve d’épou-vantail la Tension qui visait à décrédibiliser le parti com- aux deux partis dominants est une analyse juste muniste, ceci en manipulant les néo-fascistes. Peut- mais tout à fait convenue. Le FN joue au niveau on en déduire que le Parti communiste fut l’allié électoral le rôle du fascisme sur le plan idéolo- objectif voire même le complice de la droite ita- gique: le démon. La menace toujours mortelle et lienne et lui en faire porter la responsabilité ? Don- menaçante. Que les deux partis dominants se jouent nez-moi donc votre avis sur la chose. C’est pourtant du FN afin de mieux se maintenir au pouvoir, il ce que vous faites concernant le Front National. faudrait être un grand naïf pour en douter. Les pre- C’est pour le moins très léger et peu convainquant. miers à avoir instrumentalisé le FN sont les socia- listes, sous Mitterrand. Je ne vous apprendrai rien 2° Deuxième temps, « Des signifiants disputés ». dans ce domaine que vous ne sachiez déjà. En Sans doute la partie la plus envolée et la plus stimu- revanche vous allez beaucoup plus loin, vous lante intellectuellement de votre contribution. Et déduisez de cette posture d’épouvantail une compli- pourtant ici encore on peut trouver des failles cité, comme une alliance objective entre les deux inquiétantes dans votre argumentation. partis de pouvoir et le FN. Voilà un développement Vous commencez par intégrer le PS à un ensemble argumentatif qui aurait mérité plus ample dévelop- appelé la « Droite générale ». Quelle est-elle ? Si pement ! D’une part il est une différence entre ins- l’on se base sur d’autres interventions de votre part trumentaliser un parti comme négatif politique et on pourrait penser que vous considérez de droite les idéologique (ce qui suppose que l’on a pas intérêt à mouvements politiques libéraux. Le distinguo que ce qu’il parvienne au pouvoir ou menace le jeu vous établissez semble donc s’effectuer dans le d’alternance des deux partis en place) et en faire un champs de la pensée économique. Soit. instrument dont la venue au pouvoir ou l’accroisse- Cependant quelques lignes plus bas vous rompez ment excessif ne serait pas redouté. En l’occur- avec ces premières lignes et, passant de la question rence, je rejoins sans problème l’idée que le PS a économique à la question des référents de valeurs, tout intérêt à ce que le FN constitue une troisième vous dressez une opposition aussi caricaturale force politique, capable d’affaiblir la droite et donc qu’idéelle entre deux conceptions de la nation que de faciliter la venue au pouvoir de la gauche. vous essentialisez et absolutisez. Opposer le modèle En revanche le passage du FN de la troisième à la républicain, avec son universalisme comme horizon deuxième position voire même la première non d’idéalité et sa conception subjectivisée de l’appar- seulement affaiblit la droite mais bouscule le jeu tenance à une nation au modèle anti-républicain de installé du parlementarisme de notre Vème Répu- la nation comme entité organique et objectivisée est RÉPONSE D’ALEXANDRE TZARA À FRÉDÉRIC LORDON 2 / 6 tout à fait juste, mais demeure un peu primaire, un politique moderne (ceci ne rentrant pas en contra- peu « brut » délivré comme tel. Ce sont des diction avec les lignes précédentes). Ceci dit vous concepts-types. Vous avez choisi, sciemment, de ne ne rendez compte que d’une certaine vision, un cer- citer que deux expressions extrêmes de ces théories. tain discours. Première difficulté: la vision de Pire, vous vous permettez de mettre sur le même Robespierre peut-elle être considérée comme celle plan deux théories de la Nation qu’un siècle sépare. de tous les révolutionnaires de l’époque ? On Sans prendre la peine minimale de restituer le observe qu’à côté de cette vision de la Nation tour- contexte général, intellectuel et politique de l’émis- née vers l’avenir étaient présents des stratégies de sion de l’une et l’autre. Vous mettez ici la déontolo- légitimation qui tout à l’inverse reposaient sur des gie de l’historien à rude épreuve. Sauf à tomber mythèmes identitaires, bien loin d’un discours révo- dans l’instrumen-talisation politicienne ou dans la lutionnaire « de gauche » que vous simplifiez au polémique, toute réflexion sérieuse se doit de consi- possible. Ainsi le pamphlet de l’abbé Siéyès dérer un concept non comme un objet parfaitement « Qu’est-ce que le Tiers-Etat » justifiait-il l’exclu- autonome mais comme une production située dans sion de la Nation des nobles à partir d’une dichoto- le temps et l’espace. mie de races entre ces derniers et le Tiers-Etat. Les Or, et ceci me dérange vraiment dans votre article, nobles seraient descendants des Francs et les à aucun moment vous ne prenez soin de rendre hommes du Tiers descendraient des Gaulois. compte des transformations, bouleversements et Mieux, Siéyès justifie cette démarche d’exclusion recompositions des champs intellectuels et poli- sur la nécessité des Gaulois de redevenir maîtres tiques français à la fin du XIXème siècle entre l’af- sur « leurs » terres au nom de l’antériorité de l’arri- faire Boulanger et la Grande Guerre. A cette occa- vée des Gaulois sur celle des Francs. Voilà bien une sion, les marqueurs identitaires de ce qui fait la argumentation qui n’est pas sans rappeler Maurras gauche et de ce qui fait la droite se sont transformés et celle des identitaires actuels ! Et n’allez pas me en partie (bien que pas totalement). L’émission de dire que Siéyès ne fut pas révolutionnaire. Sans être la pensée de Maurras se situe à ce moment précis, ni montagnard ni robespierriste il fut conventionnel celui où une émerge et réinvestit un et régicide. Vous le voyez votre présentation antino- concept surtout utilisé par la gauche. Tandis qu’à la mique de deux définitions de la Nation, quasi éter- gauche l’internationalisme se propage. Vous pouvez nelles, relève bien plus d’une reconstruction habile penser qu’une filiation directe lie les contre-révolu- de votre part que d’un constat rigoureux historique- tionnaires à Maurras, suivant en cela les travaux de ment. Les choses sont comme bien souvent beau- l’historien Zeev Sternhell. Mais dans ce cas pour- coup plus complexes et nuancées. quoi ne pas citer plutôt Herder ou Burke plutôt que Par ailleurs on observe un décalage entre les dis- Maurras ? Hors le rapport traditionnaliste des cours et les pratiques. Votre présentation de la contre-révolutionnaires à la nation n’induit pas vision de Robespierre est séduisante. Mais elle nécessairement une posture xénophobe et aggres- masque une autre réalité. Cette nation française en sive, du fait de la place très importante du christia- pleine naissance a dû lutter durement contre ses nisme et de son message dans leurs écrits. Un siècle ennemis pour s’affirmer, s’imposer. Toute Révolu- plus tard les maurrassiens sont catholiques par rai- tion est guerre d’indépendance. Et là on retrouve la son plus que de coeur. Vous négligez la capacité des dichotomie Ami/Ennemi structurante et étudiée par objets Gauche et Droite à se redéfinir,se redéployer Carl Schmitt. En 1794, en guerre face au reste de dans une relation dialectique d’opposition. Et vous l’Europe, la vit dans un climat xénophobe. le faites afin de présenter une image, mythique, de On est bien loin de l’idéal universel que vous citez. deux entités pures et absolument antinomiques et On oppose le sans-culotte bien français et viril au ceci depuis la Révolution française. Une lecture contre-révolutionnaire efféminé et cosmopolite. Le aussi tranchée que peu fondée historiquement barre cosmopolitisme est combattu comme contre-révolu- la route à tout dialogue. tionnaire. De même, ordre est donné (il ne sera jamais appliqué) aux armées de mettre à mort les Précisément, la Révolution française tient dans vos prisonniers de guerre anglais. Les révolutionnaires propos une place importante. Je pense que vous étrangers comme Anacharsis Cloots passent à la avez raison d’y voir l’acte de naissance de la France guillotine tandis que les montagnards constituent RÉPONSE D’ALEXANDRE TZARA À FRÉDÉRIC LORDON 3 / 6 globalement le groupe dominant. L’historienne listes est plus proche de celle des fils de Robes- Sophie Wahnich a consacré une étude à ce paradoxe pierre. On peut même se demander si ce n’est pas la de la situation de l’étranger sous la Révolution: droite qui est passée à gauche en acceptant la Répu- « L’impossible citoyen ». Je vous invite vivement à blique, le jeu parlementaire et l’héritage de la Révo- lire ce livre majeur si vous ne l’avez déjà fait. Il lution. Ceci à la fin du XIXème siècle, reléguant la met le doigt sur les apories d’un modèle qui joue droite précédente dans les marges d’une droite radi- tout à la fois sur le réinvestissement de religiosité cale extra-parlementaire. autour du concept de Nation et sur l’horizon d’idéa- Toujours est-il que mettre sur le même plan Marine lité de ce même concept et donc sa dissolution Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan est une annoncée. manœuvre grossière. Dans un entretien récent l’his- 3°« Misère du mono-idéisme »: pour moi la partie torien Michel Winock rappelait la filiation idéolo- la plus faible de votre billet. Somme toute vous gique différente et même opposée de ces deux per- construisez de toute pièce un concept verbiageux sonnalités politiques. pour rendre compte de quelque chose d’assez banal Et justement tout ce que vous reprochez au Front en politique: le réalisme. Soit la capacité de hiérar- National, ce n’est pas un point précis de son pro- chiser les problèmes et les solutions qui s’imposent gramme, non, vous appuyez sur le fait qu’il est pour les résoudre. Somme toute, dès lors que la « raciste », reprenant ici les critiques les plus sté- politique se définit en premier lieu comme l’art de riles du personnel politique opposé au Front Natio- définir l’ennemi (mais peut-être n’êtes-vous pas nal. Stratégiquement, votre accusation n’est plus schmittien), il s’agit de hiérarchiser les dangers. très efficace... Et même si l’on choisit de s’y attar- Vous voyez du fétichisme là où il n’a pas lieu der un peu on constate que vous traitez le Front d’être. Les accords de la gauche sur les politiques National, dans tout votre article d’ailleurs, comme libérales menées par l’Europe ne s’expliquent pas un bloc homogène. C’est tenir peu de cas des ten- par ce biais mais bien plutôt par un réalisme de type sions multiples qui traversent ce parti en ce gestionnaire qui les pousse à accepter les lois moment. Tensions qui le rendent tout à fait inca- iniques d’un système non démocratique par peur de pable de prétendre gérer un pays tant les modalités l’effondrement d’un système qui les fait vivre. de réglementations des conflits dans ce parti Gauche et Droite se sont convertis au libéralisme et reposent sur un pur rapport de force familial. Bien donc à l’Europe sur les ruines des idéologies alter- entendu il serait aventureux de penser que le FN a natives du XXème siècle. Ils sont incapables de totalement changé. Cependant l’arrivée de nom- penser l’alternative. Pire, pour eux cet effondre- breux souverainistes de gauche avec Philippot ainsi ment d’une structure politique équivaudrait à un que des profils comme celui du gaulliste Paul retour à une forme d’état de nature entre les Marie-Couteaux (depuis éliminé) semble indiquer nations. Ils s’allient donc contre l’ennemi commun: que plusieurs familles aux héritages divers coha- la transformation radicale des modalités de régle- bitent dans cette grosse PME familiale assez attra- mentation et de domination politique. Votre concept pe-tout qu’est devenu le FN. Permettez-moi de de mono-idéisme est assez peu convainquant. prendre un exemple que je trouve révélateur. Lors Dans votre deuxième sous-partie de cette partie de la Manif pour Tous le FN est parti en ordre dis- vous placez sur le même plan Nicolas Dupont-Ai- persé. Au fond toute une partie de ce parti a refusé gnan et le Front National. Voici qui est bien de s’opposer au mariage pour tous tandis que curieux. Votre dualisme extrême vous oblige à l’autre partie (derrière Marion Maréchal Le Pen) a ignorer la pluralité des droites existantes en France. choisi de s’y opposer vivement. Clairement à cette Notamment ici vous oubliez un fait essentiel et occasion les fractures internes ont été mises à jour. structurant dans la vie politique française et ceci Or, je pense que vous pourriez en convenir, un parti depuis bien longtemps: l’existence d’une droite héritier de Maurras et des valeurs portées par sa tra- gaulliste. Certes les débats furent vifs sur ce point dition, aurait lutté de toutes ses forces contre un tel entre René Rémond et Zeev Sternhell mais mettre projet de loi. On observe depuis quelques années dans le même sac les enfants de Maurras et ceux de d’ailleurs un mécontentement croissant des milieux De Gaulle relève d’un curieux numéro d’équili- liés au FN à l’ancienne. Pour eux le parti est passé briste. La conception de la Nation chez les gaul- « à gauche ». Ainsi, le FN ne met-il pas en avant les RÉPONSE D’ALEXANDRE TZARA À FRÉDÉRIC LORDON 4 / 6 thèmes chers aux identitaires tel que le Grand Rem- un) sans se renier Monsieur Lordon. Exemple plus placement, la défense de la Civilisation... Stratégie frappant encore ! Celui de Georges Valois. Anar- me répondrez-vous ? De la part de chiste dans sa jeunesse, il adhère ensuite à l’Action peut-être, mais il semble plus compliqué d’imaginer française puis fonde en 1926 le premier parti fas- Florian Philippot, au vu de ses engagements passés ciste de France: le . Dans les années 1930 et de sa vie, comme un maurassien identitaire dissi- il retourne à gauche et se rapproche de Marceau mulé. Au fond deux voies semblent s’offrir à ce Pivert, le leader de l’aile gauche de la SFIO (proche parti: celle de Marion Maréchal-Le Pen et celle de de certains trotskistes). Georges Valois est mort Florian Philippot, avec Marine Le Pen comme maî- dans un camp de concentration nazi en 1945, tresse de maison distribuant les points et infléchis- comme tant d’autres héros morts pour la France. sant son discours au gré des situations. Dernier exemple: Paul Nizan. Dans les années 20 il Votre analyse me paraît donc ici aussi bien faible. adhère à l’Action française puis se rapproche du L’opprobre que vous jetez sur les gaullistes souve- Faisceau de Georges Valois. A l’époque il admire le rainistes de droite est non seulement infondé mais fascisme italien. Pourtant dans les années 1930 il mensonger au regard de l’histoire. Quant à Jacques devient membre du Parti Communiste et écrit son Sapir, au fond il n’a jamais parlé que de liens pos- célébre livre sur les Chiens de garde. Son passé fas- sibles dans l’avenir avec le FN sur certaines ques- ciste est moins connu de nos jours. tions tout en précisant que cela dépendait de la voie Tous ces exemples Monsieur pour bien montrer que prendrait ce parti. Ceci n’engage que peu et qu’il n’y a aucune fatalité à chuter et à rester à l’ex- reconnaissons que la perspective d’une recomposi- trême-droite quand on dialogue avec elle. Vous tion du FN autour de Philippot dans une filiation pouvez donc dormir sur vos deux oreilles Monsieur crypto-gaulliste, sans être très vraisemblable, n’est Lordon, Monsieur Jacques Sapir n’est pas condam- pas impossible. né à devenir maurrassien en dialoguant avec Nico- 4 « Le jugement de l’histoire »: Ici votre argumen- las Dupont-Aignan ou même avec Marine Le Pen. tation repose d’avantage sur des présomptions et Ces contre-exemples viennent infirmer ce que vous des incantations que sur une analyse apaisée de la nous présentez comme une véritable loi dans le situation. Tout d’abord vous nous présentez comme domaine de la politique. Le dialogue n’implique une fatalité le passage d’un individu à l’extrême- pas le reniement et la capitulation, simplement l’ac- droite et ceci définitivement dès lors qu’il com- ceptation que les arguments du contradicteur valent mence à dialoguer avec elle. « Fatalité résistible », la peine d’être discutés, affinés, appuyés ou contre- fondée sur de « trop nombreux témoignages » dite- dits. Ce serait faire insulte à Monsieur Jacques vous. Peut-être pensez vous à l’ouvrage de Philippe Sapir que de le croire incapable de défendre ses Burrin sur la dérive fasciste et à ses protagonistes: propres idées. Déat, Doriot et Bergery. Certes, mais ce n’est nulle- ment une fatalité. Je vais vous citer quelques noms 5°« Egaré pour rien »: Là votre trame argumenta- d’hommes d’extrême-gauche ayant dialogué avec tive s’enrichit d’une perspective nouvelle et d’une l’extrême-droite et qui n’ont pas succombé à la approche spécifique. Cette perspective c’est celle « tentation » si je puis dire voire même de ceux qui du renoncement du FN à tenir ses promesses de sont passés à l’extrême-droite puis sont revenus à manière volontaire. Votre approche, c’est celle l’extrême-gauche. d’une essentialisation du concept de « Capital », je En 1911 fut fondé le Cercle Proudhon qui a permis suppose dans une acceptation marxiste la plus à des socialistes révolutionnaires (Georges Sorel, rigide. Pour ce qui est de la capacité du FN à tenir Édouard Berth → son disciple) de dialoguer avec ses promesses l’exemple d’Alexis Tsipras nous des maurrassiens de l’Action française. L’histoire montre que la bonne volonté ne suffit pas. Mais oui de ce cercle est méconnue mais elle est pourtant vous allez plus loin, pour vous le FN est néo-corpo- éclairante. Sorel et Berth ne sont pas pour autant ratiste. Vous êtes au moins cohérent avec le début tombés dans le loin de là puisqu’ils de votre post. L’Action française avait sur le plan ont plus tard salué la Révolution bolchevique. économique un positionnement corporatiste mar- Signe qu’on peut dialoguer avec d’authentiques qué, je vous l’accorde. Mais là où le bas blesse membres de la droite radicale (et Maurras en était c’est que pour tirer une conclusion aussi convain- RÉPONSE D’ALEXANDRE TZARA À FRÉDÉRIC LORDON 5 / 6 cue du vrai programme du FN (d’ailleurs quel texte Premièrement nous sommes, je crois, passé à un officiel récent produit par ce parti pourrait le laisser nouveau stade de l’expansion du capitalisme et de penser ?) il faudrait déjà prouver qu’il est l’héritier ses modalités d’action que Lénine n’avait pas per- de Maurras et juste de Maurras. Et là les faiblesses çu. Désormais, les entreprises ne sont plus liées à de votre analyse au point précédent se répercutent à des états, à des pays, elles sont trans-nationales. ce niveau de votre développement. Que faire des Elles jouent sur la globalisation et sur la parfaite nouveaux profils du FN tels que Philippot ? Serait- libéralisation du marché des capitaux et sur la pos- il corporatiste lui aussi ? De plus, là encore les sibilité de mondialiser le processus productif lui- idées changent. Si Maurras était corporatiste dans même, profitant des différences de législation et de les années 30, ne peut-on envisager que ses héritiers niveau économique. Aujourd’hui plus besoin pour aient abandonné cet aspect de sa pensée ? Tous les nos multinationales d’une conquête coloniale sur marxistes n’adhèrent plus à l’économicisme du fond d’idéologie nationaliste pour se déployer et Marx de la maturité (par exemple feu le philosophe réaliser le maximum de leur profit. Bien au marxiste italien Costanzo Preve que je vous invite à contraire... Nos multinationales profitent de notre lire). Si les idées s’affinent et peuvent se transfor- système libéral européen et du discours dominant mer chez les héritiers de Marx, pourquoi pas chez sur le développement économique des pays pauvres ceux de Maurras ? pour s’implanter mondialement. Comme Carl Schmitt l’avait bien compris, les nouvelles guerres Vous parlez également du capital comme d’un sujet asymétriques et le discours mondialiste dominant agissant de manière coordonnée, rationnelle. Alors faisant de la croissance économique le but à recher- peut-on inclure le petit patronat sous un tel cher à tout prix font le jeu de ce système capitaliste concept ? Nous avons, à ma connaissance, un dense et lui permettent de diversifier et de complexifier tissu de PME en France. Je vous laisse la possibilité son logiciel de domination. ici de me réfuter vous devez mieux le savoir que moi. Mais il s’agit d’un réseau éclaté peu suscep- tible d’agir en commun. Dans le passé, peu de Or ceci nécessite une libre circulation dans tous les régimes ou de partis ont été soutenus par l’action domaines, y compris humains. La position du grand concertée, économique notamment, des petits patronat allemand est significative à cet égard, il patrons (ce qui ne veut pas dire que ces derniers appelle à favoriser l’immigration, du moins pour n’aient pas des préférences politiques). peu qu’elle soit qualifiée. L’ »Immigration choisie » sarkozyste est l’ultime avatar de cette posture libé- Alors il s’agit du grand patronat ? Celui qui a finan- rale et cynique. A l’inverse je ne vois pas en quoi de cé les fascistes italiens (Confindustria, Confagricol- nos jours le grand patronat aurait à se réjouir d’une tura) et les nationaux-socialistes. Là encore votre venue au pouvoir du FN (pour le petit patronat c’est incantation pour laisser croire à une situation pas si différent mais à travers le concept de capital je éloignée de celle des années 1930 tombe à l’eau. pense que vous parlez du grand patronat). Un parti Lénine a écrit un très beau livre sur l’impérialisme qui aujourd’hui fait du protectionnisme et ferme les et ses relations avec les logiques du capitalisme. barrières migratoires d’un pays, mettant fin à la glo- Dans ces années le grand patronat recherchait une balisation, va ainsi à l’encontre des intérêts du protection de son marché intérieur, garantie par le grand capital. Ce dernier l’a bien compris et le protectionnisme voire l’autarcie des régimes fas- MEDEF a une position beaucoup plus dure envers cistes. De plus, l’impérialisme agressif et colonia- le FN qu’envers... le PS. A moins que vous ne pen- liste des fascismes assurait à ces entreprises des siez que le FN s’aligne sur une politique libérale, situations de monopoles sur des espaces sauvegar- européenne et favorable à la globalisation et fera dés. A l’époque les modalités de déploiement de même dans la défense d’une « immigration choi- l’autorité étatique et de la domination monopolis- sie ». Mais dans ce cas en quoi serait-il encore tique pouvaient parfaitement concorder. d’extrême-droite ? Il deviendrait un parti comme Mais une analyse rigoureuse de votre part aurait les Républicains ou le PS... Très décevant certes exigé une étude des dynamiques propres au capita- pour ceux qui auraient cru en lui mais finalement lisme de nos jours et aux nouvelles formes d’impé- nous avons déjà ces gens au pouvoir.. Non, la rialismes. grande faille de votre argumentation est que vous RÉPONSE D’ALEXANDRE TZARA À FRÉDÉRIC LORDON 6 / 6 essayez de nous faire croire que grand patronat et tique, divisée et morcelée, on peut vite en conclure extrême-droite partagent les mêmes intérêts. Ce qui que votre post , qui refuse jusqu’au dialogue avec pouvait être vrai dans les années 1930 ne l’est plus des néo-gaullistes comme Dupont-Aignan, ne peut aujourd’hui. aboutir qu’à une seule situation: le renforcement du 6°« A gauche, et à gauche seulement »: Pour finir contrôle des deux partis dominants sur la situation voici vos espoirs, ce que vous nous proposez. La politique. voie semble bien étroite permettez-moi de vous le Je me permets en conclusion de vous rappeler une dire. Vous en appelez à une alternative bien à conférence où vous souteniez la « politique du gauche. Encore s’agirait-il de proposer une défini- pire » en appelant à voter pourquoi pas UMP plutôt tion développée et argumentée de ce qu’est la que PS. Permettez-moi de vous faire remarquer que gauche pour vous. Votre appel à Robespierre votre politique du pire est assez fade et très loin de s’avère, comme je l’ai développé plus haut, assez ce qu’elle désigne réellement. Faire la politique du faible sur le plan intellectuel, d’un manichéisme pire c’est croire au chaos régénérateur, penser intéressé. qu’un effondrement total des mécanismes poli- Vous citez Tsipras et son parti Syriza, vous semblez tiques de règlement des conflits permettra un affai- appuyer le travail qui fut le sien jusqu’à son renon- blissement de l’autorité étatique en terme de mono- cement. Dois-je vous rappeler que tout ce travail ne pole de la violence et ainsi à des forces radicales de fut possible qu’avec l’alliance précisément des sou- se retrouver en situation de force. Ce fut la stratégie verainistes de droite grec (les Grec Indépendants). des contre-révolutionnaires français au début de la Oui, les alliés de Nicolas Dupont-Aignan. Celui-ci Révolution qui ont aidé les Jacobins contre les même que vous rangez avec mépris dans le même Feuillants. Certains ont payé par la suite de leur vie sac que les héritiers de Maurras. Voilà une bien cette stratégie dangereuse. Votre version de la poli- étrange démonstration que la votre qui, pour tique du pire n’est rien d’autre qu’un appel à l’alter- défendre une alternative à gauche et à gauche seule- nance dans l’espoir (vain car nos institutions font ment, prend pour exemple un parti alternatif de que les partis modérés se renforcent dans l’alliance gauche qui a accepté non seulement de dialoguer avec les plus radicaux) d’un renversement du rap- mais de s’allier avec un parti de droite. Votre port de force entre PS et gauche de la gauche. Il exemple va à l’encontre de ce que vous entendez s’agit d’une petite combinaison politicienne pas démontrer. Vous rendez vous compte seulement de d’une authentique « politique du pire ». l’incohérence de vos propos dans cette partie ? J’espère que ces lignes vous parviendront. Ne pre- Prendre pour exemple une stratégie qui est l’inverse nez pas ombrage de leur ton parfois passionné. de celle que l’on défend relève ni plus ni moins du masochisme intellectuel et politique. Clarté - Frédéric Lordon → Concluons. Vous vous plaignez à la fois de la pos- ture internationaliste des partis d’extrême-gauche qui empêche de permettre un retour à un niveau politique de décision national afin de battre en brèche la volonté politique libérale de nos élites européistes. Dans le même temps vous accusez éga- lement le PS d’avoir abandonné la gauche. Puis vous vous attaquez à Jacques Sapir et à ceux qui prônent un dialogue ou un rapprochement avec les souverainistes de droite tout en citant comme exemple de votre stratégie jusqu’au-boutiste un par- ti qui a choisi précisément l’alliance avec un parti de droite. Quand on observe la situation des forces politiques en France aujourd’hui, autour de trois pôles: PS, LR, FN dont deux (PS, LR) partagent les mêmes valeurs, quand on observe l’état de la gauche cri-