l’édito lain d’ ABergounioux

Années tournantes

Cette expression, « années tournantes », doit être utilisée avec prudence. Nous avons e t

s tendance à voir des « tournants » dans l’histoire un peu partout… Et, pourtant, il s’agit

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i bien de cela aujourd’hui. L’élection de Donald Trump n’en est pas à soi seule la cause. c o

e Elle est le signe d’une évolution déjà en cours depuis un moment. Comme l’écrivait s

i t l’historien britannique, Tony Judt, récemment disparu : « Nous vivons des temps incer- r

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tains. On ne peut pas prévoir ce que sera le futur de rien de tout ce qui nous semblait aller

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d auparavant de soi ». Il est possible, en efet, que nous entrions, à nouveau, dans une ère

e de nationalisme et de xénophobie. Certes, Donald Trump, rencontrera des limites dans t

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o l’exercice de son pouvoir, mais il marque une volonté de remettre en cause tout l’efort p i

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R d’établir, depuis 1945, des règes et des régulations dans l’ordre international pour n’y

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e voir qu’un concert de grandes puissances, nouant des négociations entre elles et margi-

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d nalisant les plus faibles. Les conséquences de ce changement de paradigme ne manque- i e

V ront pas d’apparaître bientôt. r s “ u e e l l s u l

l On comprend, dès lors, que pour tous ceux qui partagent cette vision - Vladimir Poutine e

c en premier lieu - l’Union européenne représente un obstacle avec sa vision, d’une part, a l

r s d’une souveraineté partagée, et d’autre part, d’une capacité à mener une politique com- a p merciale infuente dans le monde. La volonté de la voir se dissoudre au proft de zones é t i

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d d’infuence pour les grandes puissances est évidente. Le problème est que ce projet ren- É

contre l’appui des partis populistes d’extrême droite qui occupent des positions de force -

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0 dans de nombreux pays. Et, malheureusement, tous à gauche ne voient pas l’enjeu. Quelle 9

° serait la capacité de chacun des pays européens pris isolement à défendre ses intérêts ef- n

a - cacement face aux grandes puissances ? Cela vaudrait pour les questions économiques, 7

1 comme pour les questions politiques. Qu’il faille, aujourd’hui, réorienter l’Union euro- 0

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r péenne est une évidence, mais il faut le faire en la consolidant, et non en l’afaiblissant. e i

v C’est l’acquis de plusieurs générations qui est en question. Et, c’est surtout la question

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j de notre infuence, dans le monde nouveau qui prend corps, qui est en cause. La vraie

3 protection - et l’expérience de l’entre-deux-guerres devrait demeurer présente à l’esprit - 2 R ne passe pas par le démantèlement des règles collectives dans le monde et en Europe.

Nous avons, cette semaine, la tête dans nos élections primaires qui revêtent une réelle importance. Et cela est naturel. Mais, il nous faut également dépasser la conjoncture présente, aussi difcile et problématique soit-elle. Car, nous nous inscrivons dans une longue histoire, dont nous sommes responsables. Les rénovations nécessaires, en efet, ne doivent pas nous faire oublier que nous avons besoin d’un Parti socialiste en capacité de faire le pont entre le passé et l’avenir, de nourrir une conception du monde. C’est ce qui est en train de se jouer, aujourd’hui, dans la « nouvelle donne » que nous connaissons aux niveaux mondial, européen, français. Pour y faire face, faisons nôtre l’obligation de renouveler, de renforcer, de réunir notre Parti socialiste.

NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 2 François Fillon, prisonnier de ses dogmes

Le candidat investi par la droite dénonce, à au moment où toutes les grandes institutions l’évidence, et de manière systématique, quatre internationales abandonnent les chimères de boucs émissaires. Sa démarche ne rassemble Milton Friedman pour inciter les puissances pas, elle divise ; elle ne fédère pas, elle stigma- publiques, quelles qu’elles soient, à mieux an- tise. Il lui arrive même d’inquiéter. ticiper et encadrer les phénomènes écono- D’abord, les fonctionnaires et les agents pu- miques et financiers, afin de tirer toutes les blics en général. Il entend ainsi, supprimer 500 leçons de la crise financière de 2008. 000 postes dans les trois fonctions publiques, Le député de Paris se fixe, aussi, sur deux res- en cinq ans, remettre en cause la réduction de sorts, confinant au dogme. Celui du recours la durée hebdomadaire du travail moyennant aux privatisations des services publics et des une baisse de 11 % de leur pouvoir d’achat, participations publiques dans les entreprises s’attaquer à leur retraite et à leurs conditions majeures dans leurs secteurs respectifs, pour de travail. Il prône l’autorité de l’État, mais se tenter, d’une part, d’éviter la dérive budgétaire refuse à reconnaître le rôle et les missions de induite par sa stratégie d’ensemble, et, d’autre celles et ceux qui travaillent à son service. part, de tenter de compenser les largesses ac- Ensuite, les organisations syndicales de sala- cordées aux clientèles les plus favorisées. Celui riés. Dans la droite ligne de la de la priorité donnée à la fin de campagne présiden- rente, à travers une politique tielle 2012 de Nicolas Sar- Pour le député de Paris, fiscale, supprimant l’Impôt kozy, François Fillon veut la santé est un bien de solidarité sur la fortune tourner le dos à toute forme (ISF), réduisant les droits sur de négociation collective et de marchand qui doit les grosses successions et la dialogue social, au nom contribuer à générer la fiscalité sur le patrimoine, ef- d’une conception brutale rentabilité des banques façant les tranches supé- et autoritaire de la vie pu- rieures de l’Impôt sur le blique. A l’évidence, il déteste et des compagnies revenu (IR). les médiations démocra- d’assurances privées. Le candidat des « républi- tiques, celles qui font la ri- cains », logique avec lui chesse d’une société civile émancipée et même, propose, enfin, un renoncement. Celui- autonome. ci vise l’impératif de l’environnement et de la Par ailleurs, l’égalité d’accès à la santé. Ces ini- protection de la planète. Ainsi, tout au long du tiatives cafouilleuses sur le sujet ne sauraient débat des « primaires » de la droite, ce sujet est faire diversion, même si elles témoignent d’une passé à « la trappe », tous les postulants pré- connaissance approximative du dossier. C’est férant manifestement surenchérir sur les thé- bien de la remise en cause partielle de l’assu- matiques de revanche sociale et fiscale et de rance-maladie qu’il s’agit. Et avec elle, de l’ins- « course à l’échalote » autoritaire. Cette forme tauration d’une santé à plusieurs vitesses, de déni est en cohérence avec ses choix so- fondée sur la ségrégation par l’argent et la ciaux et politiques, fondés sur la dérégulation, condamnation de toute démarche de préven- le désengagement de l’État stratège, l’abandon tion. Pour le député de Paris, la santé est un progressif des politiques publiques. bien marchand qui doit contribuer à générer la rentabilité des banques et des compagnies Pour la droite « l’environnement, ça com- d’assurances privées. mence à bien faire ». Nous sommes désor- Enfin, l’État stratège. La dérégulation/privatisa- mais très loin des conclusions et de l’esprit du tion est constamment remise à l’ordre du jour, « Grenelle de l’environnement », organisé en

3 NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 2007. « L’environnement, ça commence à bien et donc écologique. Nous ne sommes plus très faire », formule lapidaire utilisée pendant son éloignés de la dérive « climato-sceptique ». mandat par Nicolas Sarkozy, en visite au Salon Au point, d’ailleurs, de compromettre en de l’Agriculture, en mars 2010, l’emporte dés- même, le sens des recommandations ormais dans presque tous les esprits à droite, actées lors des accords de Paris, en décembre et en particulier dans celui de l’ancien Premier 2015, à l’occasion de la COP 21. Au point, sur- ministre du quinquennat 2007-2012. Le faible tout, de brider substantiellement les capacités score (2,6 %) réalisé par l’ancienne ministre de de choix et donc l’avenir et l’espoir des généra- l’Environnement, Nathalie Kosciusko Morizet, tions futures. Les renoncements formulés en à la « primaire » de la droite, confirme le matière énergétique - car il s’agit essentielle- constat. Cette tendance lourde entraîne natu- ment de cela - scelleraient et engageraient, en rellement des conséquences importantes sur efet, pour le moins, les perspectives de plu- tous les dossiers ayant trait aux dérèglements sieurs générations. climatiques, à la santé, à l’alimentation, mais François Fillon envisage également, de relan- aussi à l’aménagement du territoire et à la pré- cer la recherche en vue de l’exploitation du gaz servation des littoraux. de schiste, sans écarter le recours à la méthode Le candidat de la droite dite de la fracturation préconise, tout d’abord, hydraulique. Cette op- le retour au « tout nu- Les renoncements formulés en tion avive toutes les cléaire » civil. Cette déci- matière énergétique - car il craintes relatives à la sion signifie l’abandon s’agit essentiellement de cela - qualité des nappes de toute forme de diver- phréatiques, et donc de sification énergétique et scelleraient et engageraient, l’eau potable, et à celle de toute volonté de pro- en effet, pour le moins, les des sols et des sous-sols, jection dans un avenir perspectives de plusieurs et par conséquent, post-nucléaire civil. Il en de l’alimentation. Elle découle également, la générations. confirme son penchant résignation à l’implicite pour les solutions de prorogation de durée de vie, d’une vingtaine court-terme et sa sensibilité au discours tenu d’années supplémentaires, des actuelles cen- par les divers groupes de pression du secteur. trales nucléaires, avec tous les risques que D’autant que cette politique s’accompagnerait comporte une telle perspective. Cette dé- dans l’esprit du vainqueur de la « primaire » de marche entrainerait, par ailleurs, des investis- la droite, de la relance de la recherche sur les sements colossaux, à terme, pour assurer non OGM, en contradiction avec toutes les normes seulement le renouvellement du parc nu- et toutes les précautions impulsées par une cléaire, mais aussi sa modernisation et son ex- forte majorité de la communauté scientifique, tension, investissements qui par leur ampleur, elle-même, depuis des années. interdiraient, presque mécaniquement, toute logique de diversification, et, surtout, de mon- Un discours démagogique. D’ailleurs, Fran- tée en puissance des énergies renouvelables çois Fillon prétend, dans la plupart de ses dis- propres et sûres. cours, en finir avec les normes, que ce soit sur La cohérence d’une telle approche apparaît le plan social ou écologique, conjuguant ainsi d’ailleurs avec l’intention réitérée de la part du facilités démagogiques et soumission bien candidat de la droite, d’abandonner toutes les comprise aux lobbies de toute nature. Dans aides publiques en direction et en faveur des une société développée, le « tout marché » ne filières d’énergies renouvelables. Un tel choix saurait trancher de tout. La liberté ne s’impro- pourrait pourtant se révéler très grave, vise pas, mais s’organise, avec des règles, des puisqu’il aurait pour conséquences, d’une normes, des principes. Elle exige des protec- part, de tarir un puissant gisement d’emplois, tions et des « garde-fous ». La sauvegarde du et, d’autre part, de tourner définitivement le climat ou de la biodiversité s’accommode très dos à tout processus de transition énergétique, mal de la dérégulation « libérale ».

NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 4 Cette conjonction, associant démagogie et per- tant par les associations et la société civile en méabilité aux groupes de pression, l’entraine général. Autant de considérations que rejette, très loin, jusqu’à se dédire. Ainsi, n’hésite-t-il à l’évidence, le conformisme de Monsieur pas, dans son programme présenté lors des Fillon. « primaires » de novembre dernier, à recom- Ainsi, la démarche politique de François Fillon mander - au-delà de la suppression de nom- contredit ces deux préoccupations. Elle reste, bre de normes - l’abrogation de la référence en efet, largement subordonnée aux impéra- même au principe de précaution, reconnu par tifs des groupes de pression, aux objectifs des le préambule de la Constitution, depuis février lobbies, ainsi qu’aux logiques de profitabilité, 2005, à l’instigation de Jacques Chirac. A noter, à court terme. pourtant, que François Fillon a accepté à D’une manière générale, les réflexes du député l’époque et sans la moindre critique, la consti- de Paris s’écartent du gaullisme, mais surtout tutionnalisation de ce principe, puisqu’il était de toute référence à l’intérêt général, auxquels membre du gouvernement Rafarin, sous l’au- il prétend encore se référer. Ils dénotent surtout torité de Jacques Chirac, une totale incompréhen- en qualité de ministre de sion des enjeux du XXIe l’Éducation nationale. Les réflexes du député de Paris siècle, et une surdité vis- Cette idée, maintes fois s’écartent du gaullisme, mais à-vis des inquiétudes répétée depuis ces der- ressenties à des degrés niers mois, marque à surtout de toute référence à divers par toutes les gé- l’évidence un profond l’intérêt général, auxquels il nérations. recul et une rupture avec prétend encore se référer. Ils La pérennité de la biodi- l’esprit et le discours dé- versité, la qualité de l’eau veloppés par les précé- dénotent surtout une totale potable et de l’alimenta- dents gouvernements, y incompréhension des enjeux tion, le reflux de la pollu- compris de droite. du XXIe siècle, et une surdité tion de l’air, la L’adoption du principe sauvegarde des équili- de précaution, ainsi vis-à-vis des inquiétudes bres climatiques, le droit constitutionnalisé, était, ressenties à des degrés divers à la santé sont les sujets en efet, dictée par la par toutes les générations. clés de l’avenir des poursuite de deux objec- jeunes et futures généra- tifs. D’abord, prendre en tions. Cette évidence a, compte le temps long et respecter l’intérêt gé- pour l’heure, échappé au candidat des droites néral ; ensuite, développer la pratique de l’ex- parlementaires. Celui-ci raisonne en fonction périmentation rigoureuse, indépendante et de d’un modèle économique « libéral », sociale- l’évaluation contradictoire dans le temps, des ment injuste, et incapable d’anticiper et, sur- innovations et, surtout, de leur application, tout, d’identifier les défis à la fois sociaux, afin de sortir d’une conception « messianique sanitaires et environnementaux, de surcroit », voire scientiste du progrès, pour privilégier très étroitement liés, pour les pays développés une approche à la fois plus lucide, plus ration- comme pour les nations en développement. nelle et plus maîtrisée de celui ci, quant à ses François Fillon est vraiment un responsable implications. En outre, cet acte politique de fé- politique, conservateur, de la droite du début vrier 2005 - l’inscription du principe de précau- du siècle dernier. tion dans le préambule de la Constitution - représente un levier et un point d’appui impor- M.B.

5 NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE Le numéro de ce mois-ci consacre un dossier spécial aux fondements de la République. À lire !

NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 6 DÉCRYPTAGE & DÉBATS

Valérie Igounet… est historienne, spécialiste du négationnisme et de l’extrême droite en France. Elle est notamment l’auteure d’Histoire du négationnisme en France et de Le Front national de 1972 à nos jours : le parti, les hommes, les idées, tous deux publiés aux éditions du Seuil. Son ouvrage L’illusion nationale : deux ans d’enquête dans les villes FN, coécrit avec Vincent Jarousseau, paraît ces jours-ci aux éditions des Arènes, conjointement avec Les français d'abord : Slogans et viralité du discours Front National (1972-2017), publié aux éditions Inculte.. « Le « peuple » auquel se réfère servait également de cible à son père »

Vous évoquez, de longue date, la continuité bien une continuité avec son prédécesseur sur les indéniable entre le FN de Jean-Marie Le Pen et celui de sa flle. plans visuel et sémantique. Au-delà de ses conten- Ne s’agit-il pas, pour Marine Le Pen, tions, ses ruptures et ses conflits, le Front national de dire la même chose, mais autrement, de a pour l’essentiel conservé le socle idéologique à substituer un terme à un autre pour partir duquel il s’est constitué. parvenir aux mêmes objectifs ? La présidente du FN se sert ainsi de vieux slogans Oui. Marine Le Pen ne cesse de prôner une rupture du parti de Jean-Marie Le Pen. La devise « Avant idéologique sur diférents points, en visant tout qu’il ne soit trop tard » avait même été utilisée en particulièrement la dialectique déployée par son 1970, par le MSI (Mussolini sempre immortale), père. Il n’en demeure pas moins vrai qu’il existe avant la naissance du mouvement. Aujourd’hui,

7 NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE une photo, accompagnée du slogan « Avec Ma- Oui, mais qu’on ne s’y trompe pas, cette formule rine, avant qu’il ne soit trop tard », figure sur le divise davantage le FN qu’il n’y paraît. Si Marion guide de l’eurodéputé Nicolas Bay, en respectant Maréchal Le Pen l’utilise à dessein, d’autres, tel Flo- une même continuité. rian Philippot, la réfute ainsi totalement. Elle ne suscite donc pas l’adhésion des dirigeants du De l’assimilation à l’ascenseur social, en mouvement, plutôt prudents sur ce registre. passant par la laïcité ou la défense des retraites et des services publics, c’est Le slogan et l’afche « La France apaisée » toujours l’Autre qui est dans le viseur, reprennent certains codes des élections l’immigré. La marque de fabrique du FN présidentielles socialistes. Comment ne reste-t-elle pas, au fond, la xénophobie ? l’interprétez-vous ? Oui. La xénophobie est bien la marque de fa- Ce slogan, comme d’autres, est clairement em- brique du FN. Avec, pour référence principale, prunté aux adversaires politiques du FN. Ce qui l’identité nationale rebaptisée « priorité nationale démontre bien, d’ailleurs, son efcacité. Et il suft », le marqueur anti-immigrés reste ici prégnant. souvent d’un simple mot pour en changer le sens. Cette substitution lexicale ne change rien au fond, L’objectif est, bien évidemment, de capter une par- si ce n’est que l’islamophobie supplante désor- tie ciblée de l’électorat. Ce parti se prétend d’ail- mais l’antisémitisme. Ce mouvement préserve leurs de droite comme de gauche, avec la volonté ses thématiques phares, de séduire les électeurs avec, notamment, la lutte Marine Le Pen ne cesse de des deux camps. Et de contre l’immigration, la prôner une rupture capter le plus grand nom- priorité accordée aux bre possible voix. Certains Français, la suppression idéologique sur différents ouvriers de droite se mon- du regroupement familial, points, en visant tout trent ainsi sensibles au le droit du sol et l’arrêt des particulièrement la dialectique marqueur « immigration- régularisations, ainsi insécurité », et non les ou- qu’une répression accen- déployée par son père. Il n’en vriers de gauche qui, eux, tuée et un budget renforcé demeure pas moins vrai qu’il ont majoritairement opté pour la sécurité. Le parti existe bien une continuité avec pour un candidat plus d’extrême droite aborde proche de leurs idées. aujourd’hui l’immigra- son prédécesseur sur les plans Cette partie de l’électorat tion sous l’angle du réta- visuel et sémantique. frontiste - revendiquée par blissement des frontières. le FN - ne vient cependant Sur le plan du programme, le discours frontiste pas uniquement de la gauche. Ce sont de « nou- montre une relative stabilité. Les évolutions les veaux ouvriers » qui ont intégré le corps électoral. plus significatives concernent le domaine éco- nomique, débouchant sur un discours antica- L’objectif de Marine Le Pen et de Florian pitaliste et « social ». Philippot est d’élargir ainsi leur socle Si la campagne présidentielle de 2007 avait électoral. échoué pour plusieurs raisons, ce principe n’en Bien sûr. La prétendue gauchisation du parti n’a demeure pas moins immuable. Les derniers cependant pas commencé avec Marine Le Pen. Ce tracts que le parti a édités sont ainsi très ofensifs vote existait dès les années 1995. Soyons précis. à l’encontre des réfugiés. Exemples à l’appui. Je Quand le FN se prétend le premier parti ouvrier pense, en particulier, à celui qui a pour slogan « de France, il faut bien analyser le profil de cette Halte à la submersion du territoire ». Certaines frange de l’électorat, en ciblant bien la nature des photos s’en prennent même violemment aux élections à laquelle il prend part. Bien évidem- étrangers, stigmatisés pour l’occasion. ment, il faut aussi prendre en compte l’abstention. Les choses sont donc bien plus complexes qu’il Cette stratégie prend appui sur la théorie n’y paraît au premier abord. du Grand Remplacement, chère à . Marine Le Pen se présente en

NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 8 « candidate du peuple » contre les élites, sujet. Ce, d’autant plus que les principaux intéres- avec un slogan - « Au nom sés se gardent bien d’alimenter la polémique. du peuple » -, qui révèle sa volonté de s’élever au-dessus des partis. Compte tenu de ses divisions internes, Ne cherche-t-elle pas ainsi à stigmatiser la le Front national marque-t-il le pas, démocratie parlementaire ? à quelques semaines de la campagne Je le répète, le « peuple » auquel se réfère Marine présidentielle ? Le Pen servait également de cible à son père. Ce Depuis les propos de Marion Maréchal Le Pen sur slogan n’obéit donc pas à une forme nouvelle de l’IVG, deux lignes s’afrontent et se démarquent revendication. En revanche, elle prétend combler très clairement. Chacun sait, à ce sujet, le conflit un fossé entre cette partie de l’électorat et les élites idéologique qui oppose la nièce du patriarche à incarnées, notamment, par « l’UMPS ». Et il ne fait Florian Philippot. guère de doute que cette identification lui sert de Ces tensions étaient toutefois palpables depuis prétexte pour stigmatiser les politiciens et, plus longtemps et n’ont cessé de s’afrmer au fil du généralement, tout ce qui s’apparente aux appa- temps. N’imaginons pas, pour autant, que le FN reils, qu’elle et son parti rejettent depuis toujours. soit sur le point d’éclater. Il existe des précédents dans l’histoire de ce parti et chacun s’eforcera de Existe-t-il une faire taire ses divisions singularité dans cette année. Avec l’ambi- la gestion des Au-delà de la présidentielle, tion de s’afcher unis en municipalités que ce sont bien les élections prévision des échéances le FN administre ? législatives qui importent. électorales de mai et juin Le FN de Marine Le Pen et prochains, même si on est Florian Philippot n’hésite Certes, il y a eu des défections loin du compte. Au-delà plus, aujourd’hui, à se pré- dans les municipalités de la présidentielle, ce sont senter comme un nouveau frontistes, depuis 2014, des bien les élections législa- gestionnaire, ce qui le dis- tives qui importent. Certes, tingue de la stratégie pour- points de vue discordants, des il y a eu des défections suivie par ses élus sous personnalités qui tendent à dans les municipalités l’ère Mégret, dans les an- s’affirmer de plus en plus, frontistes, depuis 2014, nées 1990. des points de vue discor- Au-delà, il faut bien relativi- mais l’objectif est de faire corps dants, des personnalités ser les choses et rappeler, face à l’adversité. qui tendent à s’afrmer de s’il en était besoin, que ce plus en plus, mais l’objec- parti n’administre qu’un tif est de faire corps face à faible nombre de municipalités. Soit, une dizaine l’adversité. sur plus de 36 600 communes, à l’échelle de l’Hexagone. D’autre part, il faut bien reconnaître En exploitant à dessein le conservatisme que ses élus s’investissent énormément. Je pense, catholique pendant la campagne des en particulier, à seul maire FN élu, à primaires de la droite, François Fillon a, ce jour, au premier tour de l’élection municipale, semble-t-il mordu sur une partie de l’électorat frontiste, dans le sud-est et à Hénin-Beaumont. Il faudra certainement atten- l’ouest de la France. Cette stratégie est-elle dre encore un peu avant de le juger sur le fond, de nature à afaiblir Marine Le Pen, en au même titre que les autres édiles frontistes, perspective de l’élection présidentielle ? même s’il existe bien des marqueurs propres à ce parti, tels que la débaptisation de la rue du 19- De toute évidence, il n’est pas le candidat idéal Mars-1962, à Beaucaire, la stigmatisation de cer- dans l’esprit des dirigeants frontistes pour faire taines associations comme les Secours face à Marine Le Pen. Mais, ne soyons pas naïfs, il populaires à Hayange et bien d’autres exemples semble peu probable que celle-ci soit élue prési- qui démontrent l’existence d’une politique singu- dente en mai prochain. Son objectif est ailleurs, lière. Mais, il est sans doute encore trop tôt pour dans l’obtention d’un résultat supérieur à celui se livrer à une analyse complète et détaillée sur le qu’elle avait obtenu en 2012, et dans l’afrmation

9 NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE de sa stature de présidente du parti. tivement au profil des candidats, en gommant Il faut le redire avec force, l’enjeu véritable, ce sont autant que faire se peut les écarts de langage bien les législatives, et il paraît évident sur ce point pour investir en nombre les rangs de l’Assemblée. que le nombre de députés frontistes augmentera sensiblement, en juin. Ne doutons pas, à ce pro- pos, que les leaders du parti veilleront très atten- Propos recueillis par Bruno Tranchant

NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 10 PUBLICATION Le long combat des socialistes contre l’extrême droite

La revue de l’Ofce universitaire de recherche so- radicale renait de ses cendres à la faveur du na- cialiste (OURS) consacre, ce mois-ci, un hors-série tional-populisme, dont le FN constitue un avatar. à l’extrême droite. Piloté par Gilles Vergnon, maître Cette nébuleuse aux origines hétérogènes se de conférences habilité en histoire contempo- retrouve autour de trois thèmes : l’hostilité à l’im- raine à l’IEP de Lyon, ce numéro spécial montre migration, principalement d’origine extra-euro- ce que doit le Front national aux mouvements na- péenne, la crainte de l’islam radical qui mue tionalistes qui ont émergé sous la Troisième Ré- tendanciellement en hostilité vis-à-vis de l’ensem- publique, sous l’égide des boulangistes et autres ble des musulmans, et le rejet de l’intégration eu- antidreyfusistes. Où l’on voit ce que furent le poids ropéenne et aux formes qu’elle a prise depuis le et l’influence d’un et de l’Action passage à l’euro. française sur l’idéologie du FN, présentant une Face à ce bloc réactionnaire et identitaire, les France meurtrie et minée de l’intérieur par des élé- gauches européennes et le socialisme, en parti- ments étrangers. L’islamophobie s’est substituée culier, doivent conjurer les efets de la mondiali- à l’antisémitisme, et le nationalisme d’exclusion sation de l’économie qui sape les ressources des reste la règle. États nationaux et fracture les sociétés en « ga- L’idée même d’une contre-révolution fondée sur gnants » des pôles métropolitaines et « perdants le rejet des valeurs de gauche, la critique des élites » des zones périurbaines et rurales, rongées par et la montée de l’insécurité culturelle, écono- le poids d’une angoisse identitaire et de l’insécu- mique et sociale ne fait que conforter les popu- rité culturelle, parfaitement décrites par Chris- lismes de tout poils qui sévissent un peu partout tophe Guilluy et Laurent Bouvet. en Europe et nourrissent un fort ressentiment à Ce numéro de Recherche socialiste propose plu- l’égard des puissances démocratiques, ravivé par sieurs articles sur les situations que connaissent la crise des réfugiés. La critique des élites, du sys- le Portugal, l’Espagne, l’Angleterre, la Hongrie et tème et des partis de gouvernement leur sert très l’Allemagne, confrontés, à des niveaux divers, à la clairement de terreau. Et seule la mise en œuvre montée des droites radicales et populistes, sur de politiques alternatives fortes peut servir de ré- fond de rejet des institutions démocratiques eu- ponse aux pourfendeurs du système. ropéennes. Ce travail très fouillé est suivi, dans Gilles Vergnon montre parfaitement la coexistence, une seconde partie, de la confrontation entre la au sein des droites radicales, de projets et de cul- SFIO, puis le PS, aux divers courants des droites tures politiques diférentes et parfois même oppo- radicales. Denis Lefebvre rappelle, en particulier, sées qui se partagent la scène ou se succèdent les difcultés posées aux socialistes par le boulan- dans le temps. La droite contre-révolutionnaire de gisme, à la fin du XIXe siècle, qui parvint, originel- Maurras du début du XXe siècle a ainsi pu coexister lement, à séduire une partie d’entre eux. Thierry avec le boulangisme, parangon de la « droite révo- Hohl montre, pour sa part, comment la SFIO re- lutionnaire ». Une droite qui parle le langage des définit son rapport à la République et aux institu- classes populaires, afche des préoccupations so- tions, dans sa confrontation aux Ligues des ciales et se prend à vouloir infléchir la démocratie années 1930. Pascal Girard démontre, pour sa dans un sens plébiscitaire, autour d’une relation di- part, les limites de l’antifascisme de la SFIO, à recte entre un chef et le peuple. Le boulangisme l’époque de la Guerre froide, à une époque où l’en- trouvera des émules dans la brillante nébuleuse nemi désigné est le bloc soviétique et son repré- des ligues, dont les principales - Jeunesse patriote, sentant en France, le PCF. Enfin, Gilles Vergnon se Croix-de-Feu - assumeront son héritage. livre à une analyse pertinente de l’irruption, dans Après une longue traversée du désert, cette droite le champ politique, du FN (1983-1988) et des

11 NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE réactions qui en découlent. Il revient, notamment, phobie comme moteur, tout est là. » Ce parti de- sur la difculté, pour les socialistes, à organiser la vient alors l’expression d’une « tendance dans le riposte face au FN qui émerge dans les années 80. monde occidental ». D’où la banalisation du parti d’extrême droite. Marine Le Pen en est la parfaite illustration. Sa vi- Un entretien de Jean-Christophe Cambadélis, sion est celle d’une « douce France repliée sur elle- auteur, en 1987, du Manifeste contre le Front na- même et vivant en autarcie. » Et seul le tional, vient conclure ce dossier, particulièrement rassemblement de la gauche et la constitution riche. Dans les pas de Pierre-André Taguief, le Pre- d’un « récit progressiste pour la France à venir » mier secrétaire assimile le parti de Jean-Marie Le peuvent endiguer sa progression. Au risque de Pen au « national populisme » qui inscrit sa pensée voir plonger le pays dans l’abîme… autour de la France éternelle, antieuropéenne et antimondialiste. La droite nationale, explique-t-il, Bruno Tranchant fixe les conditions d’un renouveau autour du trip- tyque : identité, immigration, insécurité. L’erreur, es- time-t-il, par ailleurs, tient dans la démobilisation L’OURS, Les socialistes face à l’extrême droite en qui a suivi la scission, au sein du FN, sous l’égide France et en Europe, XIXe-XXIe siècle, hors-série, de Bruno Mégret. n° 76-77, juillet-décembre 2016, 15 €. Publica- En 2002, il était trop tard, et la tactique de la « difé- tion de l’Ofce universitaire de recherche socia- renciation maximale avec d’autres partis, l’anti- liste (OURS) - 12, cité Malesherbes, 75009 Paris - système, le populisme comme manière de Tél. 01 45 55 08 60 - Mail : [email protected] représenter le peuple, le rejet des élites, la xéno-

NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 12 Front national : le mythe de l’Etat fort

Feu nourri contre la décentralisation. C’est peu Philippot sont, aujourd’hui, en total désaccord. dire que Marine Le Pen et ses proches s’enflam- Adeptes d’un Etat fort, ces deux là ont renié tout ment, aujourd’hui, sur la question. Au point de ou partie de ce qui faisait l’ADN et l’identité idéo- proposer la suppression pure et simple des exé- logique du parti, en balayant d’un revers de la cutifs régionaux. Pas vraiment nouveau, puisque main les principes mêmes de décentralisation, la candidate à la présidentielle l’avait clamé haut de démocratie locale et d’identité régionale. Loin et fort lors des départementales de mars 2015, du discours porté par le Groupement de re- avant d’étoufer l’afaire six mois plus tard, à l’oc- cherche et d'études pour la civilisation euro- casion d’élections où elle rêvait d’être élue à la péenne (GRECE), qui estimait a contrario que présidence des futurs Hauts-de-France. Surpre- chaque organe du corps social doit pouvoir nant, cependant, au regard de l’histoire, compte poursuivre le plus librement possible ses fins tenu de l’attachement de l’extrême droite au propres. , n’a cessé ainsi de prê- concept de décentralisation que Charles Maurras cher l’autonomie de la Corse et de la Bretagne, la lui-même qualifiait de « très belle chose sous un création d’une région Pays Basque, la réunifica- très méchant mot. » (1) « On appelle « décentrali- tion de la Normandie et de la Savoie, le retour de sation » un ensemble de la Loire-Atlantique, au réformes destinées à re- sein de la région Bre- constituer la patrie, à lui La reconnaissance de toute tagne, l’encouragement refaire une tête libre et un forme d’identité régionale est au bilinguisme en Al- corps vigoureux », s’em- sace, le regroupement pressait-il d’ajouter. proscrite du logiciel de pensée du des communes, la sup- vice-président du FN qui voit dans pression des départe- Rupture idéologique. la reconnaissance des ments, au profit des Plus récemment, Alain de régions et des « pays », Benoist, qui a longtemps singularités une atteinte à l’unité l’extension du champ servi de modèle et de nationale et à l’indivisibilité associatif et de la démo- source d’inspiration aux de la République. Cette cratie locale, et enfin, idéologues frontistes, fus- la reconnaissance des tigeait l’ingérence tou- reconnaissance risque, afrme-t- peuples de France. jours plus poussée de il, de « balkaniser la France ». Pas question de sous- l’Etat dans les méca- crire à de tels principes, nismes de la vie sociale, au motif qu’il se traduit fait valoir aujourd’hui Florian Philippot. La recon- par l’oppression des minorités. « Le modèle de naissance de toute forme d’identité régionale est l’Etat-nation a inspiré tous les nationalismes proscrite du logiciel de pensée du vice-président modernes, en même temps qu’il a constitué le du FN qui voit dans la reconnaissance des singu- principe fondateur de la Société des nations larités une atteinte à l’unité nationale et à l’indivi- (SDN), puis des Nations-Unies, explique-t-il (2). sibilité de la République. Cette reconnaissance A ce titre, il a été la cause de conflits innombra- risque, afrme-t-il, de « balkaniser la France ». bles. Poser la souveraineté comme liberté illimi- Faut-il rappeler que la loi du 2 mars 1982 rela- tée et indépendance absolue conduit en efet tive aux droits et libertés des communes, des dé- nécessairement à des afrontements au nom de partements et des régions a ouvert la voie à un l’égoïsme sacré. » profond bouleversement de la répartition L’idéal d’authenticité appelle aussi la reconnais- des pouvoirs, au profit des acteurs locaux ? sance publique de spécificités collectives avec Considérée comme la loi fondamentale de la dé- lesquelles les amis de Marine Le Pen et Florian centralisation, elle fait partie, depuis, des carac-

13 NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE téristiques constitutionnelles de l’Etat français. l’Etat (…). Le rôle des régions doit quant à lui être Entérinée à une très large majorité par les repré- revu à la baisse : leurs compétences actuelles en sentants du peuple réunis en Congrès, elle est matière de transports régionaux et d’action éco- pourtant très critiquée par le FN, au prix d’un re- nomique seront transférés à l’Etat. Il est en efet virement idéologique spectaculaire, alors même nécessaire de lutter contre les féodalités régio- que ce mouvement n’avait pas hésité à présen- nales qui se sont constituées au détriment de ter, en 2015, des candidats à la présidence des l’égalité entre les citoyens. » (5) régions, dotées de pouvoirs économiques im- À ce jeu, l’intercommunalité, pourtant indispen- portants et qualifiées ensuite de « baronnies to- sable pour nouer des partenariats complexes et talement irresponsables » par Marine Le Pen. mutualiser la conception d’équipements structu- Laquelle taxe la décentralisation de favoriser « rants, est elle aussi dans le collimateur. La chef de un creusement des inégalités entre les territoires file du FN ne fait d’ailleurs pas mystère de sont in- et les Français, une complexité accrue de la dé- tention de procéder à un audit des dépenses des- cision publique, une corruption aggravée, et la dits groupements par les chambres régionales de reconstitution de féodalités locales dépensières comptes, en prévision d’une réelle simplification. au détriment d’un Etat stratège. » (3) L’objectif est clair : mettre les collectivités, quelle que soit leur taille, sous l’éteignoir, au profit d’un Vraie fausse clarification. En réaction, les parti- Etat fort, capable d’imposer ses vues, afin de per- sans de la présidente du mettre le « réarmement de mouvement se disent la France dans la mondia- prêts à renforcer le rôle Les partisans de la présidente du lisation ». Difcile, dans des préfets - serviteurs mouvement se disent prêts à ces conditions, d’accorder zélés du régime dictant le moindre crédit à un leurs instructions aux renforcer le rôle des préfets - parti qui prétend, dans le élus - sur les collectivités, serviteurs zélés du régime même temps, se faire le par un contrôle systéma- dictant leurs instructions aux défenseur des fonction- tique des délibérations naires et des services pu- adoptées par les assem- élus - sur les collectivités, par un blics, qui seraient, à n’en blées locales, et d’abais- contrôle systématique des pas douter, les premières ser de 2 % les dotations délibérations adoptées par les victimes de cette politique publiques, afin d’éviter le de recentralisation force- développement de « ba- assemblées locales, et d’abaisser née. ronnies » et de « féodali- de 2 % les dotations publiques, Ajoutons qu’au contrôle tés ». À charge, pour l’Etat, afin d’éviter le développement de qu’exercent aujourd’hui de « récupérer les compé- les élus sur les finances tences relatives aux « baronnies » et de « féodalités » locales, le FN préfère la transports régionaux et à mainmise d’une autorité l’action économique, et rétablir un contrôle de lé- non élue, nommée depuis Paris par le pouvoir galité a priori sur les engagements de dépenses exécutif. Et ce, en dépit de la dénonciation régu- des collectivités territoriales supérieurs à des lière, par ses dirigeants, des « élites parisiennes montants définis par la loi, énonce Marine Le ». Qu’importe ! Une démocratie digne de ce nom Pen. Il faut rétablir un Etat fort dans l’intérêt des ne s’exerce qu’au niveau de la Nation souveraine. citoyens » (3), renchérit-elle, avant de préconiser une clarification des compétences, au profit des Un discours contradictoire. Pas question, en re- communes et départements qui, veut-elle croire, vanche, de toucher au Sénat, en cette période de sont les niveaux de collectivités le mieux à course aux parrainages ! D’autant que les même de compléter l’action de l’Etat. « Ils sont grands élus qui le composent peuvent consti- en efet sufsamment proches des citoyens pour tuer de précieux relais pour la collecte des signa- répondre à leurs besoins de démocratie de tures auprès des maires des petites communes, proximité et pour gérer les services publics lo- cœur de cible du parti frontiste. La présidente du caux, et pas assez grands pour concurrencer FN leur fait même miroiter la possibilité d’un sta-

NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE 14 tut dérogatoire au non-cumul des mandats. Des L’apport de Florian Philippot s’est avéré, de ce faveurs qui échappent aux fonctionnaires terri- point de vue, décisif et son positionnement - dé- toriaux, bien trop nombreux à ses yeux, et qu’il fense d’un souverainisme politique, écono- convient de redéployer dans les services de mique, démographique et culturel, opposé à la l’Etat, en « déficit de personnel », selon ses pro- globalisation qui serait aussi une islamisation pres termes. de l'Europe - n’a guère varié depuis 2012. S ous couvert de remettre l’Etat au centre des dé- Mais, derrière le faux-nez de l’Etat providence, bats et de revenir ainsi « dans le jeu des Nations », sur fond de remise en cause du principe de sub- le FN prétend imposer une autorité capable de sidiarité, du creusement des inégalités entre ter- faire contrepoids aux « puissances de l’argent », ritoires, la complexité accrue de la décision aux « communautarismes » et aux « particula- publique, surgit un autre adversaire, bien plus rismes ». Coupé du monde et de l’Union euro- menaçant, l’Union européenne. Marine Le Pen péenne, il y a fort à parier que l’Etat français n’hésite d’ailleurs pas à parler « d’Empire euro- devrait pallier alors à l’in- péiste », en opposition à capacité des élus régio- On imagine aisément ce que la nation France, dans naux et départementaux pourrait être la situation des une dialectique qui em- à agir au nom de l’intérêt collectivités, privées des prunte au registre de l'ex- général. On imagine d’ail- trême droite radicale des leurs aisément ce que dotations indispensables à leur nationalistes révolution- pourrait être la situation fonctionnement, alors qu’elles naires. Tout comme des collectivités, privées interviennent, dans des quand elle parle de des dotations indispensa- « patrie charnelle », no- bles à leur fonctionne- conditions parfois difciles, dans tion popularisée un ment, alors qu’elles les domaines de l’aide sociale à temps au sein de l'ex- interviennent, dans des l’enfance, aux personnes âgées, trême droite par le conditions parfois dif- GRECE. ciles, dans les domaines aux handicapés et à l’insertion Où l’on voit que la notion de l’aide sociale à l’en- (RSA), du logement, des de racine, au sens identi- fance, aux personnes transports ou de la formation. taire du terme, sert de fil âgées, aux handicapés et rouge à son discours. Le- à l’insertion (RSA), du logement, des transports quel lui permet de se placer dans un positionne- ou de la formation. ment anti-élites - taxées de tous les maux, de la Le Darwinisme social mâtiné de poujadisme et corruption au pillage de la souveraineté de la destiné à séduire la boutique électorale du Front France - et populiste, décliné dans de nom- national, avec très peu d'État et peu de fiscalité, breuses mesures dans les domaines de la jus- cher à Jean-Marie Le Pen, n’en a pas moins vécu. tice, de la sécurité et des institutions. Pleinement Nicolas Lebourg, chercheur en sciences poli- autoritaire, aussi, pour afaiblir tous les contre- tiques au CEPEL de l'Université de Montpellier, ne pouvoirs. Au FN, tout est afaire de tactique. manque d’ailleurs pas une occasion de rappeler que les premiers à s'intéresser aux thèses ultra- Bruno Tranchant libérales de l’Ecole de Chicago, adeptes de Milton Friedman, furent les membres du Club de l'Hor- loge - Jean-Yves Le Gallou, Bruno Mégret - que Notes : l'on allait retrouver au Front national, dès sa créa- tion, en 1972. Cette option s’est toutefois fracturée (1) Charles Maurras, L’idée de la décentralisation, 1898. au tournant des années 90, et le discours de Le (2) Alain de Benoist, Jacobinisme et fédéralisme, 2010. Pen père dénonçant la « spoliation par l’étatisa- (3) http://frontnational.com/le-projet-de-marine-le- tion » et suggérant de « dégraisser le mam- pen/autorite-de-letat/etat-fort/ mouth » céda alors la place à une vision (4) Intercommunalités, mensuel de l’AdCF, mars 2012. interventionniste, protectrice et protectionniste. (5) Ibid.

15 NOTE DE VEILLE ET RIPOSTE SUR LA SITUATION DE LA DROITE ET DE L’EXTRÊME-DROITE