L’édito de françois mitterrand

JUSTICE SOUMISE

Ces magistrats, quelle différence avec des tueurs à Bien entendu les magistrats sont honnêtes et indépen- gage ? Capables d’envoyer à la guillotine trois hommes dants, mais enfin il suffirait d’un – celui-là on le trouve déjà condamnés pour des mêmes faits à des peines toujours – pour que leur honnêteté et leur indépendance légères, en vertu d’une loi rétroactive que n’avaient lue soient à la fois suspectées et impuissantes. Certes, le juge, ni les juges, ni les défenseurs ni, à plus forte raison, les comme tout citoyen, est libre de ses opinions comme de accusés et qui, tout sursis et tout recours abolis, ordon- ses amitiés. Nier le rôle personnel de chaque magistrat numéro 13 naient l’exécution des coupables, sans délai. Ces magis- risquerait de les transformer en machine, ce qu’ils n’ont trats que nous a montrés aux « Dossiers de l’écran » le film pas envie d’être et ce qui ne serait pas heureux pour une un couple presque parfait de Costa-Gavras, Section spéciale, sont-ils encore parmi bonne et saine justice. L’indépendance de la magistra- nous ? Il n’existe, cela va de soi, aucune relation entre ture subit, on le sait, de nombreux coups de canif, mais le misérable tribunal d’exception de 1941 et les institu- n’en demeure pas moins une garantie réelle de notre politique tions judiciaires d’aujourd’hui. Aucune relation ? Si, la démocratie. Que valent les libertés individuelles quand raison d’État. Il suffit de parcourir les décisions de justice l’indépendance de la justice est en péril, quand aucun où la raison d’État camoufle, comme il se doit, les plus Conseil supérieur de la magistrature digne de ce nom & Justice vils intérêts de la classe dirigeante, pour comprendre ne les protège, quand des tribunaux politiques substi- qu’entre l’indépendance et la servitude du juge, il n’est tuent au droit commun un exécrable droit d’exception ? roland dumas pas de juste milieu. Je puis vous dire à travers de longues Lorsque le scandale atteint les antichambres du pouvoir, « J’ai eu affaire à la justice années de pratique de la responsabilité politique, que la lorsque l’électoralisme domine les initiatives du chef dès l’âge de 8 ans » raison d’État, je ne l’ai pratiquement jamais rencontrée ou de l’État, lorsque la quête aux bulletins de vote s’établit lorsqu’elle était invoquée, c’était un argument subalterne au-delà de nos frontières, il est difficile de voir grand et de pour dissimuler autre chose. Je conteste la raison d’État mobiliser un peuple qui aime la justice et la liberté. Dans qui, dans une démocratie, ne doit pas exister. On doit toutes les affaires financières, de mœurs ou simplement pouvoir tout dire, tout expliquer. Je connais ou j’imagine crapuleuses, qui de près ou de loin pouvaient atteindre les devoirs d’un gouvernement. Mais quelle facilité pour le politique, le cours de la justice a été dévié. Célérité, les gagne-petit de la politique qui se servent de la raison sévérité, telle est la devise des ministres de la Justice d’État pour régler leurs comptes ou effacer leurs fautes. qui se sont succédé place Vendôme depuis l’instauration Pas question… Elle est le plus souvent invoquée par les de la vème République. Si vive fut et reste leur ardeur, si complices… ou les coupables… Que l’on se souvienne de exemplaire leur soumission qu’on peut écrire qu’en dépit ce que Mathurin Régnier, l’auteur des Satyres, écrivait, il de la règle d’antan qui voulait que la police fût l’auxiliaire y a environ quatre siècles : « Il n’y a point de sottise dont de la justice, la justice désormais tient à l’honneur de se par raison d’État leur esprit ne s’avise. » conduire en auxiliaire dévouée de la police. —

Sources : Ici et maintenant, Fayard, 1980 ; Politique, Fayard, 1977 ; L’Abeille et l’Architecte, Flammarion, 1978 ; Discours du 6 janvier 1989, à l’audience solennelle de la Cour de Cassation ; Mitterrand cité par Edith Boccara, dans Mitterrand en toutes lettres, Belfond, 1995

3 4 Charles Charles renseignements généraux

6 politburo les chaussures d’aquilino morelle par Mehdi Ouraoui

10 je t’aime moi non plus audrey pulvar « Avec Copé, c’était de la boxe ! »

18 pour qui votez-vous ? Yann moix

24 graine de star Stéphane tiki es harl c r ou p ousse k labr ic Jeune, populaire et sans-papiers /Yann is

na 28 L’INTERVIEW D’UN CHARLES es h c

e charles villeneuve n

toi « Le journalisme permet d’entrer n A

© dans n’importe quel cercle. » 5 6 Charles Charles Renseignements généraux politburo Les Pointures Les Chaussures d’Aquilino Morelle par Mehdi Ouraoui Membre du Conseil national du PS

ehdi Ouraoui est membre du Conseil national du PS et l’ancien directeur de cabinet de Harlem Désir. À ce titre, il a vécu de l’intérieur, depuis 2012, la victoire des socialistes, puis leurs échecs assortis de scandales. Dans « Les Pointures », ce conte allégorique pour le moins acerbe, il fait parler les fameux souliers M d’Aquilino Morelle. Et ils ont beaucoup de choses à dire. illustrations Anne-Gaëlle Amiot

Pendant longtemps, vous avez ignoré jusqu’à mon notre maison du faubourg Saint-Honoré, évoque « cette technocrates volant au secours de la victoire. Même les Et là, il faut bien comprendre ce qui commence pour existence. « Eliseo Berluti », c’est ainsi que me sur- matière au tannage naturel et minéral qui confère aux éminences solfériniennes, qui se croyaient au-dessus nous, ce n’est pas le pouvoir, c’est le luxe. Chaque fois nommait, avec son humour d’initié, l’homme de ma couleurs leur transparence si caractéristique ». du lot avec des Paul Smith pour faire ministre, n’ont pas qu’un militant socialiste a enfilé ses baskets pour aller vie lorsqu’il m’allongeait sur son imposant bureau. Au compris que le pouvoir était déjà entre d’autres mains, faire du porte-à-porte, c’était in fine pour permettre à Château, ma présence faisait jaser, nous n’étions pas Transparence ! Las, tout était écrit, j’aurais dû me méfier ! ou d’autres pieds, enfin vous avez compris. Dans les la caste de continuer à fouler, indifféremment du pied discrets, cela devait finir par se savoir. Transparence, transparence, tout le monde n’a plus que réunions importantes, de moins en moins de chaussures droit ou du pied gauche, l’épaisse moquette à laquelle sa ce mot à la bouche. Le dernier vrai pouvoir, c’est de tout de femmes, alors des godasses de pauvres, vous plaisan- naissance l’a promise. La moquette à 87 euros le mètre Rien ne m’avait préparé à une célébrité aussi subite voir. Et moi, j’ai tout vu. J’ai dansé sur les tables avec tez ! carré – six fois plus cher que chez Saint Maclou – de la que subie. Les gens manquent d’élégance : lorsqu’ils Arnaud et Audrey le soir des primaires. J’ai rejoint, avec salle des fêtes de l’Élysée. Tout ça, c’était pour le bureau nous croisent c’est toujours moi qu’ils toisent, d’un œil mon homme, le candidat du changement. « Le change- C’est là que les vrais maîtres et possesseurs de la vème jouxtant celui du Président. Pour le salaire à cinq chiffres. curieux ou moqueur. Quand je traîne ma mélancolie et ment, c’est maintenant ! » : ce n’était pas un slogan, c’était République ont repris leurs droits. Ces hommes qui, Pour la voiture avec chauffeur dans laquelle, journaux du mes semelles, de la Closerie au Flore, ils me regardent la vérité. Mais les millions de gens qui commandent en comme le Fouché de Stefan Zweig, résistent à toutes les jour sur le siège arrière, on longe les quais de Seine avant de haut : leur sourire entendu me range dans l’extraordi- promo sur Sarenza et Zalando ont fait un contresens, un alternances. Dès le 6 mai au soir, le socialisme a fondu de savourer les œufs brouillés servis par un domestique naire foire aux monstres qu’est devenu ce quinquennat, peu comme avec de Gaulle et son « Je vous ai compris ! ». comme un sucre sous la pluie de la Bastille. Les nouveaux en livrée. Tout ça n’est pas nouveau : on raconte que, déjà aux côtés de Leonarda, Jérôme, Thomas, Valérie... amis du pouvoir nouveau communiaient avec le peuple, conseiller de l’austère Jospin, mon homme recevait à Parce que le changement a bien eu lieu à ce moment mais depuis une tente VIP installée backstage. Quelques Matignon « les Weston sur le bureau ». Une habitude, déci- J’ai bien pensé me réfugier à la campagne, mais on m’a précis. Au siège de campagne, avenue de Ségur, les socialistes se marchaient sur les pieds pour accéder à la dément. assez traîné dans la boue comme cela. Et pour lui, une mocassins milieu de gamme des dirigeants socialistes scène et être sur la photo souvenir. Bref, la noblesse, le vache se résume au Venezia, ce « cuir d’exception », exclu- (Bexley, 189 euros les deux paires par lot) furent peu clergé, le tiers état : la normale. Au fond, s’il y a quelque chose à révéler, c’est qu’il n’y a sivité de mon auguste famille. Un petit écriteau, dans à peu remplacés par les Weston rutilantes des jeunes rien à révéler. Il n’y a pas de coulisses du pouvoir,

7 8 Charles Charles Renseignements généraux aquilino morelle habitudes de l’ancienne bourgeoisie et les réflexes neufs qu’il ne peut rien contre les vrais puissants, les Mozart d’une couche conquérante, [...] alliance implicite entre des de la pantoufle, les capi di tutti i capi. Au-dessus même grands dirigeants d’entreprise, des financiers, des cadres de la caste : les Jouyet et Macron, les « hommes plus que élevés de l’industrie et des services, certains hauts fonction- politiques » que chantait Noir Désir, qui effacent droite et naires de l’État et des privilégiés des médias. » gauche, public et privé, qui prêchent la flexibilité pour les « illettrées » de Gad tout en restant hauts fonctionnaires à Vous voyez, ça existe encore, le fameux « vivre ensemble » ! vie, qu’ils œuvrent pour Rothschild ou pour l’ennemi de On dîne ensemble, on part en vacances ensemble, on la finance. Aussi sûrement que Kant faisait chaque jour couche parfois un peu ensemble… On embauche l’enfant la même promenade dans Königsberg, aussi sûrement ou le conjoint d’un ami, parfois son propre conjoint ou que le Bureau national du PS se réunit chaque mardi à 17 sa propre progéniture, sans y voir de mal, sans même heures pour ne décider de rien, Macron et Jouyet seront vraiment tricher puisqu’on est passé par les mêmes demain, comme toujours, à la tête d’un magnifique pays écoles. en déclin.

On a fait de moi la sandale du scandale, parce que Près de son bureau, je peux observer mon homme noircir mon homme, comme tous les parvenus sans doute, en a fait trop. Le cireur du Bon Marché dans les salons de l’Élysée, On a fait de moi la sandale du scandale, c’était la faute de goût, le faux pas qui rendait inévitable parce que mon homme, comme tous les parvenus la mise à pied. Mais le vrai sans doute, en a fait trop. Le cireur du Bon Marché scandale, c’est la « pantoufle » ! La République irréprochable, dans les salons de l’Élysée, c’était la faute de goût, c’est Lemas, l’ami de la promo le faux pas qui rendait inévitable la mise à pied. Voltaire, le secrétaire général Mais le vrai scandale, c’est la « pantoufle » ! parce qu’il n’y a plus de pouvoir. Quand la France était produit parfois de bonnes bêtes de concours, jamais des que mon homme s’enorgueillit un pays administré, une économie fermée, une nation prix Nobel. d’avoir « buté avant qu’il ne le informée par l’ORTF, le souverain gouvernait, ses bute », recasé à la Caisse des conseillers étaient tout-puissants. Dans une France Ils aiment vivre dans le vème arrondissement pour se dépôts. Ce sont ces collabora- mondialisée, européanisée, libéralisée, le politique a donner une patine intellectuelle, parfois s’encanaillent teurs nommés, par le fait du prince, au Conseil d’état ou les feuillets d’un livre vengeur, ce nouveau genre de real- abdiqué, se réduit à communiquer et à s’indigner, et ses jusqu’au Canal Saint-Martin ou Montmartre. J’étais dans dans la préfectorale. littérature qui dit les mœurs de ses auteurs et la tristesse conseillers n’ont plus qu’à jouir d’un apparat de puissance un coin de la pièce, dans notre grand appartement du de l’époque. Peut-être me rendra-t-il hommage, citant qui ne fait plus illusion. Dans cette vieille maison, qui vème justement, lorsqu’une journaliste était venue, en La pantoufle, mon homme l’a pratiquée aussi, mais – Rimbaud : « Comme des lyres, je tirais les élastiques / De tient désormais plus du musée que du palais, j’ai vu les janvier 2012, faire le portrait de mon homme : « Coquet- encore un péché d’ancien pauvre – il a dépassé la limite mes souliers blessés, un pied près de mon cœur ! » derniers hédonistes de la France en crise. terie ou sincérité ? Il reçoit pieds nus », avait-elle rapporté, en cumulant grossièrement son activité à l’IGAS et ses fascinée. Bref, on est « cool ». C’est peut-être pour cette ménages pour les labos pharmaceutiques. Heureuse- De mon côté, je compte publier Moi, piétiné par le Des jeunes gens sympathiques, avenants. Pas les moines raison que, comme tant d’autres de la caste, il détestait ment, l’IGAS lui permet toujours de toucher son traite- pouvoir, pour livrer ma part de vérité / défendre mon soldats discrets et redoutables qui servaient hier les Ayrault. Avec ses Birkenstock et son combi VW de prof es ment en insultant le Président : la République, bonne fille, honneur / rétablir les faits (rayer la mention inutile). Et

hommes d’État. Ce ne sont pas des pointures. Juste d’allemand, il n’avait pas la carte, ou plutôt pas la bonne : harl encourage et finance la liberté d’expression ! Il a un peu profiter un peu de la manne des pamphlets écrits avec les c des enfants de bonnes familles heureux de s’afficher juste sa carte du PS. Quant à Valls, il peut toujours parler r dépassé les bornes en se disant victime d’une épuration, pieds, formidable soutien offert à l’édition française par ou à la Une de L’Obs et de raconter quelques anecdotes d’apartheid aux Français, pendant ce temps les petits comme les Tutsis au Rwanda. Comme lui, ils marchaient cette gauche dont les ministres ne-lisent-plus-depuis-

croustillantes sur le Président dans leurs dîners en ville. énarques monocolores de la promotion Mandela ou p MIOT pieds nus, mais ils n’avaient sûrement pas d’aussi belles deux-ans ! Je vous laisse. J’entends au loin, avançant à A E

Ils font plus penser aux Choristes qu’à Frank Underwood, Senghor profitent tranquillement de la ségrégation... LL chausses que moi dans leurs placards ! grands pas dans un pays qui attendait la gauche et n’a vu Ë

et ressemblent plus à une sous-préfecture qu’à The West Jospin en a, lui au moins, tiré quelque leçon. Dans sa G que la caste, les talons aiguilles de Marine, précédant un Wing. Jamais soumis à aucune adversité ni concurrence, retraite, il a écrit un épais livre où il nous appelle « la E- Je le connais bien, mon homme et, au fond, il est comme étrange bruit de bottes… — ANN ils ne sont pas mauvais, juste médiocres : la consanguinité nouvelle aristocratie » : une « sorte de caste qui mêle les © A les Français : il s’en prend au Président parce qu’il sait

9 10 Charles Charles Renseignements généraux je t’aime... moi non plus A udrey pulvar « Avec Copé, c’était de la boxe ! » l’instar de ses consœurs Christine Ockrent, Anne Sinclair ou encore Valérie Trierweiler, Audrey Pulvar fut un temps suspectée de collusion avec À la sphère politique. Pour , elle revient sur cette période, ses Charleserreurs, son souci d’étanchéifier vie publique et vie privée. Elle nous livre également quelques confidences sur ses échanges musclés en compagnie de Jean-François Copé, Pierre Lellouche, Bernard Tapie et d’autres. Avec son franc-parler habituel. Propos recueillis par Camille Vigogne Le Coat Renseignements portraits Arnaud Meyer généraux je t’aime... 11 moi non plus Charles Renseignements généraux audrey Pulvar Un dîner avec La pluie Le cœur à les Vallaud- d’insultes de gauche de Belkacem Pierre Lellouche Sarkozy « Arnaud et moi étions en Saône-et-Loire, pour le « C’était en 2010, à I-Télé. Je recevais Pierre Lellouche week-end, en 2010 ou 2011. Il avait invité celui qui pour parler du Liban, à l’époque il devait être ministre « En juin 2008, je reçois Nicolas Sarkozy, alors deviendra par la suite son directeur de cabinet au des Affaires européennes. Mais le jour même, Le Canard président de la République, sur le plateau de ministère de l’Économie : Boris Vallaud. Il se trouve que enchaîné avait publié un grand article sur la vente France 3. Nous parlons des reconduites à celui-ci était venu avec sa femme, Najat Vallaud-Bel- contestée de l’hippodrome de Compiègne. J’avais prévu la frontière, et je lui demande plusieurs kacem, qui était encore à l’époque simple élue à Lyon. de lui poser une question à ce sujet, accompagnée à la fois : “Combien d’arrestations faut-il pour Depuis, lorsque je la croise, je la vouvoie et je l’appelle limite d’une relance, et de passer ensuite au Liban. Mais expulser 25 000 sans-papiers par an ?” Ce madame la ministre. lorsque je lui pose ma question – assez banale qui plus jour-là, j’étais malade comme un chien, est – il réagit de façon très vive, refusant de répondre, me bourrée de cortisone après une allergie C’est le seul dîner de ce type auquel j’ai participé, même disant que c’était du n’importe quoi ! Évidemment, après au pollen. Je pense que bizarrement, cela si les gens s’imaginent que je ça, j’ai continué ! Et comme il m’a rendue imperméable à la tension qui voyais Martine Aubry quoti- s’enferrait et qu’il était assez régnait sur le plateau. Quand Nicolas Sarkozy diennement ! Par principe, désagréable, je n’ai pas voulu me répond : “Mais madame, j’ai un cœur, et comme j’ai toujours voulu étan- « Arnaud Montebourg était un le lâcher, et nous avons fait vous, il est à gauche !”, je souris, car la ficelle est chéifier les choses. De plus, électron libre à l’époque, qui toute l’interview sur ce sujet ! tellement grosse ! C’était un vrai moment de Arnaud Montebourg était vérité, et c’est pour ça que cette interview est un électron libre à l’époque, n’avait pas forcément beaucoup J’ai vu qu’il blêmissait, mais restée dans les mémoires. qui n’avait pas forcément d’amis au PS. J’ai fait une erreur il ne m’a rien dit sur le coup. beaucoup d’amis au PS. J’ai en allant à la Bellevilloise à ses Lorsque j’ai rendu l’antenne, Nicolas Sarkozy a un avantage indéniable, fait une erreur en allant à après son départ, j’ai su qu’il comparé au reste du personnel politique : il sort la Bellevilloise à ses côtés. côtés. Mais je n’allais pas dans avait eu un langage fleuri à très vite des chemins de la communication Mais il n’empêche, je ne les meetings ou dans les dîners. » mon égard, et qu’il avait élevé pour aller vers celui de la conviction, pour connaissais même pas son la voix. Croyant bien faire, je peu qu’il soit poussé. Je sais que ça n’a équipe de campagne, mis décide de l’appeler en sortant pas été un moment très agréable pour à part sa secrétaire et son de l’émission, soit deux heures lui, mais je n’ai eu aucun reproche. attachée de presse qui géraient avec moi ses billets de plus tard. J’avais l’intention de lui dire : “Écoutez, ne vous Le lendemain, nous nous sommes train et son agenda ! Je n’allais pas dans les meetings, mettez pas dans cet état, j’ai fait mon travail, il fallait qu’on croisés à Strasbourg en raison de dans les dîners, ni déjeuner au Marco Polo (restaurant pose ces questions, vous reviendrez parler du Liban…” Mais la présidence française de l’Union tenu par le frère de Claude Bartolone, où se retrouvent je me suis fait pourrir au téléphone ! Il m’a hurlé dessus, européenne qui commençait. de nombreux politiques – NDLR). j’ai hurlé, et pendant près de quarante minutes nous nous En conférence de presse, il m’a sommes traités de tous les noms ! (Rires) Les torts sont vue et m’a fait un grand sourire. La seule chose vraie est que les socialistes ont effec- donc partagés car nous sommes tous les deux partis en À la sortie, alors même que je tivement changé leurs rapports avec moi : ils étaient live. Après ça, je n’ai pas eu l’occasion de l’interviewer l’avais mis mal à l’aise avec une assez outrés que je continue à les emmerder ! » (Audrey pendant un ou deux ans. L’an dernier, je l’ai retrouvé à question pendant la confé- Pulvar sourit poliment mais refuse ici de donner des “Tirs croisés” sur I-Télé, nous n’en avons pas reparlé. Je rence, il est venu me saluer ! noms, car elle interviewe toujours la plupart d’entre eux ne dirai pas que c’est l’homme politique le plus chaleu- Je n’ai jamais eu de sa part le sur I-Télé – NDLR). reux avec moi, mais je crois qu’il n’y a plus de sujet. Je me moindre reproche. » illustrations Benoît Carbonnel demande même s’il s’en souvient ! »

13 14 Charles Charles Renseignements généraux audrey Pulvar

Mon Pour Gérard La lutte taquet Longuet, Audrey avec Laurent à Copé Pulvar l’immigrée Wauquiez

« C’était sur le plateau de “Des paroles et des « C’était sur I-Télé, j’interviewais Gérard Longuet au « Fin 2012, nous recevons dans “On n’est pas couché”, actes”, et Jean-François Copé venait en tant que sujet de la nomination à la présidence de la Halde. le ministre Laurent Wauquiez venu assuré la représentant de la campagne de Sarkozy. Je Le nom de Malek Boutih (d’origine algérienne, c’est promotion de son livre La Lutte des classes moyennes. n’avais pas du tout l’intention de m’attaquer à l’ancien président de SOS Racisme, aujourd’hui député Il faut déjà préciser que cette émission dispose d’un lui. Pourtant j’ai fini par lâcher : “On ne passera de l’Essonne – NDLR) avait circulé. À l’époque, Gérard format très particulier, qui combine le divertissement pas non plus vos vacances avec Ziad Takieddine, Longuet avait eu cette phrase malheureuse, affirmant que et une interview politique. Lors de son arrivée, l’invité ça, c’est clair.” Ça a été vu comme de l’agres- Malek Boutih n’était pas « le bon personnage » à nommer politique descend littéralement dans l’arène : il le fait sivité, même si c’était plus de l’ironie. Cette à la tête de la Haute autorité de lutte contre les discrimi- par un grand escalier, avec des pièges sur les marches interview est un cas d’école : dès la première nations parce qu’il ne faisait pas partie du “corps français pour qu’il se casse la figure ! Et bien sûr, en cas de seconde, Jean-François Copé me prend à la traditionnel”. Lorsque je l’inter- chute rien n’était coupé au gorge en me disant qu’on sait bien que je fais roge à ce sujet, il revient sur sa montage ! C’était un truc campagne pour François Hollande. déclaration et finit par me dire : « “Quand on est immigré, quand de fou ! “Quand on est immigré, quand on on a des problématiques d’immigré Pourtant, je lui posais une question très a des problématiques d’immigré qui se sent discriminé – enfin Une fois dans l’arène, nous chiffrée sur la TVA sociale, mais pour chaque qui se sent discriminé – enfin sommes entourés de 200 à question technique, il me dit que de toute j’imagine que vous voyez de quoi j’imagine que vous voyez de quoi je 300 personnes chauffées façon, je ne suis pas légitime à poser cette je parle”. Je lui ai alors répondu parle.” Je lui ai répondu que je à blanc. L’invité politique question. Une fois, deux fois, trois fois, quatre que je n’étais pas immigrée, n’étais pas immigrée, mais qu’en est très loin, Natacha, fois. La cinquième fois, je lui mets un taquet mais qu’en tant qu’être humain, Laurent et moi posons les sur Takieddine. C’est sûr, ça a donné une autre oui, je comprenais. Je ne dirais tant qu’être humain, oui, je questions : pour pouvoir dimension à l’interview. J’aurais pu enfoncer pas que ça m’a blessée, mais comprenais. » prendre la parole, poser la dague un peu plus loin, et je ne l’ai pas fait. Je c’est compliqué d’être systéma- deux questions d’affilée, ne voulais pas être agressive, mais lui l’a été. Alors tiquement renvoyée à ce qu’on il faut parler fort et aller oui, à un moment j’ai réagi. Et c’était de la boxe. Un croit que vous êtes, et à ce que vous avez l’air d’être. Et droit au but. Au bout d’un moment, il y a toujours un uppercut, on ne le voit pas venir. Mais c’était un moment de n’être jamais entendue comme une journaliste qui fait mouvement d’humeur sur le plateau, et c’est le but. de vérité : pendant deux ou trois secondes, il était sonné, son boulot de journaliste. il a eu un moment de recul. Dès le début de l’interview, je m’avoue “consternée par souvent pendant la présidentielle, des confrères m’en- J’ai connu à la fois les difficultés liées à mon sexe, et son livre”, car il se permet d’y opposer des pauvres à des

Après, j’en ai entendu parler. J’ai eu des reproches répétés, voyaient des textos en me disant : “Ça y est, le point es celles liées à ma couleur de peau. Heureusement, à un plus pauvres. Par la suite, toute la séquence est tendue,

mon nom était cité dans les meetings de l’UMP, et régu- Pulvar est arrivé”, lorsque les militants huaient mon nom harl moment, les unes ont servi les autres. Mais je me suis lui m’accusant de caricaturer son livre, moi d’alimen- c lièrement sifflé. L’émission était enregistrée le jeudi, mais en plein meeting. Ça participe du jeu politique. r entendue dire plein de fois que je devais en faire plus que ter le fantasme des pauvres profitant du système. Sur ou

diffusée le samedi. Le dimanche, il y avait un très grand l p les autres. Par mes parents, mais aussi par des patrons de le plateau d’I-Télé, ça aurait été très différent, je ne e

meeting de Nicolas Sarkozy, et Jean-François Copé a dit Je n’en ai jamais reparlé avec Jean-François Copé, mais nn presse, forcément des hommes, blancs, de plus de 50 ans. me serais pas emportée. Car j’aurais été la seule à lui o à la tribune : “Il m’est arrivé quelque chose de particulier je sais qu’il était très mécontent. Par personnes interpo- Il fallait que j’en fasse plus – sous-entendu : plus que les poser des questions. Pourtant, j’étais authentiquement arb c

hier soir, c’est quand même pas la télévision qui va choisir t sées, j’ai su qu’il jugeait mon interview partisane. Je ne î blancs –, car c’était un défi de mettre une femme noire à indignée ! Je me suis fâchée, ce n’était pas du cinéma. Je o n

pour qui on vote”, etc. Pour moi, c’était donner beaucoup désespère pas un jour de le recevoir à nouveau et de l’in- e l’antenne. Il ne fallait surtout pas qu’on leur reproche une pense qu’il m’en a voulu par la suite. »

d’importance à quelque chose qui n’en avait pas. Après, terviewer. » © b telle décision. »

15 16 Charles Charles Renseignements généraux audrey Pulvar

Bernard Tapie, le moment “What The Fuck!”

« Je l’ai traité de « Fin octobre, je recevais Bernard Tapie sur le plateau D’habitude, je n’interviens pas pendant les chroniques de tous les noms, et d’I-Télé. Au moment d’évoquer l’affaire Adidas et l’arbi- Michael. Mais là, je me retrouvais dans la position que je trage, il s’est emballé, refusant de me répondre sur “des voulais absolument éviter ! Tapie venait de passer douze c’était partagé. Je l’ai affaires en cours”. Il ne pouvait pas imaginer faire une minutes à refuser de me répondre, Michael Darmon entre, quasiment plaqué au interview simplement en répondant aux questions. et il répond à ses questions ! Donc je l’ai aussi interrompu. mur, et je lui ai dit que Je me suis sentie trahie, car nous avions prévu de faire c’était inadmissible et cette interview il y a très longtemps, et comme avec Quand Tapie est sorti du plateau, je l’ai entendu qui misogyne. Il m’a répondu n’importe qui, je l’avais prévenu des grandes lignes. Et il parlait de moi de façon assez désobligeante. Comme il y m’avait toujours dit : “Vous posez toutes les questions que avait une longue coupure pub, je suis sortie, en lui disant que j’étais “une conne qui vous voulez.” Jamais il ne m’avait fait un sketch. Que ce tout le mal que je pensais de son attitude. Et je le lui ai n’avait pas intérêt à soit la veille au téléphone, ou quelques minutes avant fait comprendre de façon très vive. Je l’ai traité de tous les en rajouter”. » l’antenne pendant la conférence de rédaction, il est très noms, et c’était partagé. Je l’ai quasiment plaqué au mur, détendu. Il me reconfirme qu’il n’y a pas de problème et je lui ai dit que c’était inadmissible et misogyne, qu’il avec mes questions. n’avait pas tenu sa parole. Et d’autres choses un peu plus fleuries. Mais j’ai eu le droit à sa réponse ! Il m’a répondu Puis, à l’antenne, il se produit ce qu’il se produit. Tapie que j’étais “une conne qui n’avait pas intérêt à en rajouter”, s’emporte, fait son cinéma, refuse de répondre aux car il était déjà assez énervé comme ça. Là, pour le coup, questions. Il était certain qu’on me parlait à l’oreillette : c’est vraiment un partout la balle au centre. Nous nous personne ne le faisait ! À un seul moment, on m’a dit d’en- sommes insultés copieusement. chaîner sur un autre thème : mais comment enchaîner après ce qu’il venait de se passer ? Lorsqu’il commence à Pourtant, j’aurais préféré formuler ma question à ce taper des poings sur la table, je suis très choquée, je me moment de télé qui ressemblait à un sketch. Cet épisode dis : “What the fuck !” J’évite d’ironiser, je fais comme si de avec Tapie, c’était de “la bonne télé”, c’est-à-dire le rien n’était. Lorsqu’il m’assène : “Mais vous ne connaissez contraire de ce que je voulais faire. Ce n’est ni ma came rien en droit, ma pauvre”, je reste juste concentrée pour ni mon objectif. réussir à poser mes questions. rien en commun. Je l’avais interviewé plusieurs fois sur J’ai demandé à ma chroniqueuse de faire une enquête

« Allô, c’est Bernard Tapie. » es France 3, sur I-Télé. Par la suite, mon téléphone sonnait très sensible sur les politiques en deuil de leurs animaux

Plus tard, je comprends que ça n’ira pas, que l’inter- J’ai eu le sentiment d’être trahie, car il a prétendu à harl de temps à autres, et j’entendais : “Allô, c’est Bernard de compagnie. Une fois réalisée, j’ai envoyé à Bernard c view doit s’arrêter, mais il reste encore sept minutes à l’antenne que je cherchais à le piéger. Je ne pensais r Tapie.” Il commentait l’actualité. Il m’a souvent soutenue, Tapie une copie de la chronique : il avait été très touché. ou

l’antenne. Je dis : “C’est fini, on va envoyer la pub.” Sauf pas qu’il allait me faire ce coup-là. Sa manœuvre m’a l p appelée. Il m’avait dit : “Mais vous êtes la seule personne de France e

qu’à ce moment entre Michael Darmon, le chef du service blessée et je me suis sentie à la fois manipulée et trahie. nn à m’avoir pris au sérieux quand j’ai dit être terrassé par le o politique. Plutôt que d’envoyer la pub, la régie a poussé Manipulée, car Bernard Tapie a voulu faire un coup Une autre chose nous a rapprochés. En 2010, lors de mon chagrin !”. Ça n’a jamais été un ami, mais on s’appelait, on arb c

t

Michael à rentrer en plateau deux minutes plus tôt. d’éclat, et c’est tombé sur moi. î arrivée à France Inter, Tapie devait soutenir Borloo à une s’envoyait des messages. Je l’avais félicité quand il avait o n

Habituellement, il vient toujours lors des cinq dernières J’étais déçue : c’était quelqu’un avec qui j’avais une assez e réunion. Au dernier moment, il ne vient pas : il était “en pris la tête de La Provence. Ce n’était pas de l’intimité,

minutes des “18h Politique”. bonne relation, de façon curieuse, car nous n’avons © b deuil de son chien”. Tout le monde s’est marré, sauf moi. mais du respect. » —

17 18 Charles Charles Renseignements généraux Bulletin

Pour qui votez-vous, yann moix ?

ann Moix l’avoue : il est très influençable. De retour d’un voyage à Cuba en 1997, il prend sa carte au Parti communiste. Si un critique littéraire démolit Mitterrand, il vote Chirac. Et s’il s’entretient pendant deux heures de Charles Péguy avec François Bayrou… En somme, le prix Y Renaudot 2013 est un véritable intellectuel en politique. par Arnaud Viviant portraits Antoine Chesnais

Yann Moix : Je n’ai voté techniquement qu’une seule d’un candidat, ce qui est finalement une autre manière de fois dans ma vie et c’était pour Chirac en 1988. J’avais voter en démocratie. été très content de la victoire de Mitterrand en 1981, C’est tout de même étrange de n’avoir voté qu’une j’avais 13 ans, mes parents de droite étaient en larmes, seule fois dans sa vie, et pour Chirac, quand on est ce qui me faisait littéralement exulter ! Maintenant que l’auteur de Panthéon (Grasset, 2005), un hymne à je t’en parle, tout me revient et je me rappelle très bien François Mitterrand. pourquoi je n’ai pas voté pour lui en 1988. C’est à cause Oui, d’autant que je n’ai jamais vraiment supporté de sa « Lettre ouverte aux Français » ! J’avais été salement Chirac. Et si c’était à refaire aujourd’hui, il est clair que influencé par une critique littéraire d’Angelo Rinaldi je voterais Mitterrand. Aujourd’hui, je me rends compte qui l’avait démolie, cette lettre ! Au premier tour, je me que les deux grands hommes de la vème République, ce souviens d’avoir voté Antoine Waechter, je trouvais ça sont de Gaulle et lui. Ils sont les plus fascinants, intel- bien, intelligent et j’ai même demandé à ma grand-mère lectuellement parlant. Les deux seuls qui auraient pu de faire de même. Je n’ai jamais revoté depuis 1988. avoir un débat autre que politique. Ils auraient pu parler Par paresse, je ne suis pas inscrit sur les listes électo- ensemble pendant des heures de la Révolution française, rales. Alors je vote passivement, virtuellement. Je sais à de la Restauration, de Louis Philippe, de Charles vii ou de chaque fois pour qui je voterais, mais sans jamais le faire. Charles Péguy... De Gaulle était extrêmement pointu en D’ailleurs, je m’exprime toujours publiquement en faveur littérature et Mitterrand n’avait rien d’un cuistre.

19 20 Charles Charles Renseignements généraux Yann Moix

Ce sont aussi tous deux d’assez bons écrivains. le fascisme était passé. Le Pen, lui, n’avait rien fait de tout savoir des individus, inversement les individus n’ont propre affaire, lorsqu’il a accepté d’être réhabilité alors C’est vrai. Quand tu vois l’assez pathétique Anthologie de mal. Il avait joué sa partie. Car c’est le vice de forme de la pas à tout savoir de leurs gouvernants. D’autant qu’au- qu’il était innocent. Péguy ne lui a jamais pardonné. C’est la poésie française de Pompidou, tellement académique… démocratie de permettre à ses ennemis de se présenter. jourd’hui, chaque information devient un flot d’avis, vrai qu’il a versé dans une forme de nationalisme à la Pompidou, son génie, c’était d’être bon en grec. Quand tu On en vient à 2007. d’opinions, d’aphorismes, de commentaires, de commen- fin. Comme il voyait la guerre imminente, il était outré lis les bouquins de Paul Guth, il t’explique que dans sa Là, tout change. De 1958 à 2007, on était dans une taires de commentaires, de commentaires de commen- par les propos de Jaurès. Il trouvait criminel de ne pas classe de khâgne, les deux plus brillants élèves étaient démocratie de représentation. Ensuite, une démocratie taires de commentaires, toute une matière première qui considérer le danger en face. Bref, un jour Le Point m’a Brasillach et Pompidou. d’opinion prend le relais. Avant l’élection, on avait vu finit par devenir plus invivable que la réalité qui en est demandé un portrait de Bayrou. Honnêtement, j’y suis Parce que parmi toutes tes perversions, tu lis déjà que Ségolène Royal avait été inventée en tant que à l’origine. allé à reculons. En fait, on a parlé de Péguy pendant deux aussi les livres de Paul Guth ! candidate par les journaux et l’opinion. Mais surtout, on On l’a vu avec les attentats… heures. Et absolument pas de politique. Il a juste dit un Avec un ami, Nicolas d’Estienne d’Orves, on a une a compris qu’au moment des décisions à prendre, Nicolas Oui. Un règlement de compte de bas étage, où la densité peu de mal de Nicolas Sarkozy, c’est tout. Du coup, j’étais passion potache pour cet homme. On traque ses enregis- Sarkozy était connecté aux réseaux sociaux et vérifiait d’intelligence est nulle — je trements sur Internet. Il est formidable, Paul Guth, parce en temps réel si ce qu’il faisait plaisait ou pas au peuple. parle là du seul attentat contre qu’il a tous les vices : il est creux, il est méchant… On a Ce dernier exerce alors une pression fantôme ou immaté- Charlie —, a donné une ver- retrouvé une émission avec Jacques Chancel où il est au rielle sur ses dirigeants. C’est le même problème qu’avec tigineuse hypertrophie du summum de sa méchanceté. Chancel lui fait remarquer la transparence. On n’a jamais élu des gens pour qu’ils commentaire, où personne qu’il n’a pas intégré Normale Sup, et Paul Guth lui répond : nous dévoilent tout en temps réel. On les élit parce qu’im- ne sait vraiment ce que veut « En rentrant de Cuba, je vais à la Fête « Vous ne l’auriez pas intégré non plus, vous êtes nul ! » Bref, plicitement on leur reconnaît le droit de nous cacher des dire « Musulman », « Islam », de l’Huma, je me bourre la gueule Pompidou était un très bon helléniste. Giscard ne m’a choses pour notre bien. Le contrat rousseauiste, c’est « Juif », « laïque ». Par exemple, jamais fasciné… de dire : le peuple élit des représentants qui sont l’in- à la base, les laïcs sont des à la caïpirinha et dans la foulée Ce n’est pas un très bon écrivain, pour le coup. carnation de la volonté générale, et ensuite ils font ce religieux : ce sont ceux qui, en je prends ma carte au Parti. » Non. Jean-Edern Hallier a écrit un pamphlet à son sujet : qu’ils veulent. Avec Hollande, la situation s’est encore tant que croyants, n’ont pas la Lettre ouverte au colin froid. Je ne l’ai jamais lu mais je aggravée : il est pétrifié par les décisions à prendre et connaissance que possède le trouve l’image assez bien trouvée. Et puis il faut que je vérifie au jour le jour à quelle partie de la population il clergé. Saint-François d’Assise te dise : en 1997, j’ai pris ma carte au Parti communiste. déplaît lorsqu’il fait un pas. À cause des réseaux sociaux, est ainsi un laïc. Bref, ce qui La vraie raison, c’est un voyage que je fais à Cuba avec il y a une proximité qui s’est faite entre l’Élysée et les nous a fait dire que l’attentat trente ans de retard, il aurait fallu y aller en 1967, mais gens, ce qui explique au demeurant toutes ces crises à contre Charlie était du terrorisme, c’est juste parce que les bien emmerdé au moment de rédiger mon article. Comme bon… Comme je suis très influençable, je trouve ça l’Assemblée nationale, l’usage du 49-3… Car la popula- frères Kouachi ont crié : « Allah akbar ». Car le terrorisme, je suis influençable, ainsi que je te l’ai déjà dit, je me suis très bien Cuba, et donc en rentrant, je vais à la Fête de tion qui est véritablement méprisée aujourd’hui dans la à proprement parler, c’est le fait de tuer des inconnus, des dit qu’un aussi bon lecteur de Péguy ne pouvait pas être l’Huma, je me bourre la gueule à la caïpirinha et dans la démocratie, c’est la représentation parlementaire. Elle anonymes, et non des individus ciblés. C’est pourquoi la un mauvais bougre. Il y a aussi que j’aime bien les gens, foulée je prends ma carte au Parti. Je l’ai gardée pendant est complètement ratatinée. comparaison entre Charlie et le 11 septembre est fausse. comme Mélenchon que je trouve aussi très sympathique, cinq ans, quand même. Je devais reverser 1 % de mon Tu as d’ailleurs débattu avec Edwy Plenel au sujet Cela dit, plutôt que de pondre des rapports de 3 000 qui au fond d’eux-mêmes savent qu’ils n’auront jamais le salaire au Parti, ce que j’ai fait, mais je ne suis jamais de cette transparence, en affirmant de ton côté qu’elle pages pour savoir ce qui a merdé au niveau de la laïcité, pouvoir. Donc ils intellectualisent à longueur de journée, allé aux réunions de cellule. Et je recevais L’Humanité était fasciste. on ferait mieux de voir qu’il s’agit là, essentiellement, et j’aime ça. J’aime les intellectuels en politique. Je n’aime Dimanche gratuitement. Cette adhésion, ce n’était pas Oui, parce que la transparence appelle toujours plus de d’un problème de jeunes issus de l’immigration mal dans pas Hollande qui n’a jamais ouvert un livre. Pour cette par snobisme, mais parce que je ne voulais pas être tota- transparence. Il y a une gourmandise de la transparence. leur peau. De la même façon qu’on appelait satanistes même raison, je n’aime pas Nicolas Sarkozy, même si lement apolitique. En 2002, toujours faute de carte, je ne Où mettre la limite ? Plenel pense qu’on devrait connaître ceux qui écoutaient Led Zeppelin à l’envers, on appelle par ailleurs il a un côté Louis de Funès qui me fait mourir suis pas allé voter. Avec Le Pen au second tour, on voit chaque linéament de chaque décision politique. Moi, je aujourd’hui islamistes ceux qui lisent le Coran à l’envers. de rire. Attention, il est drôle, Sarkozy, il a un humour surgir le fameux « No Pasaran », le fascisme ne passera pense qu’il doit y avoir une sorte de pare-feu entre le En 2012, tu as soutenu François Bayrou. dévastateur. Je te raconte une anecdote. Un jour, je suis pas. Ce qui me faisait sourire, c’est que ces gens qui pouvoir et les gens, et que le processus décisionnel d’une Oui, cela peut surprendre, paraître mou du genou, mais invité à l’Élysée et il me dit : « Il y a une grande injustice. défilaient le faisaient surtout contre eux-mêmes. C’est politique ne nous concerne pas. C’est une fantasmago- j’ai une bonne raison ! Tu sais que je suis un très grand Tous les présidents de la République ont eu leur Gendarme parce qu’ils avaient émietté les voix de gauche ou qu’ils rie fasciste de vouloir tout savoir, dans un sens comme lecteur de Charles Péguy. C’est un dreyfusard qui a à Saint-Tropez : de Gaulle a eu Le Gendarme de Saint- s’étaient tout simplement abstenus au premier tour, que dans l’autre. Si les gouvernements n’ont pas le droit de d’ailleurs accusé Dreyfus de n’être pas à la hauteur de sa Tropez et Le Gendarme à New York. Pompidou a eu

21 22 Charles Charles Renseignements généraux Yann Moix

Le Gendarme en balade et Le Gendarme se marie. Giscard Il y a un rapport entre le film et le livre ? a eu Le Gendarme et les Extraterrestres, Mitterrand a eu Non, parce que dans le film il y a la Corée du Nord et la Le Gendarme et les Gendarmettes. Et moi j’ai rien eu ! » Corée du Sud, alors que dans le livre il n’y a que la Corée du Sarkozy est très intelligent, mais ce n’est pas un intel- Nord. En fait, c’est un peu un livre contre l’idéologie des lectuel, contrairement à Mélenchon ou Bayrou. Lui, droits de l’homme. J’ai inventé un guide super cultivé qui, je pensais que sa connaissance de Péguy s’arrêtait à par un exercice dialectique, n’arrête pas de me démontrer « Le kantisme a les mains pures mais il n’a pas de mains » que ces valeurs que nous cherchons à exporter, nous imprimé sur un tee-shirt. Mais non. Et j’ai intitulé mon n’arrivons pas à les appliquer nous-mêmes. Il se fait article « Péguy Président ! ». l’avocat du diable de notre démocratie en me démontrant Tu montes actuellement un film sur la Corée. Nos que c’est une idéologie comme une autre. J’ai relu des lecteurs se rappellent que tu avais donné à un discours de Robespierre, c’est fascinant. La première fois texte formidable et drôle sur ton premier voyageCharles en qu’il utilise l’expression « Liberté, égalité, fraternité », c’est Corée du Nord (dans le huitième numéro de la revue le 23 avril 1791 lors de la Constituante. Or, tu sais ce qu’il – NDLR). Y a-t-il un rapport entre ce film et cet article ? Oui. Et je remercie de l’avoir publié, car celaCharles m’a donné l’idée d’en faire un livre. La « Je n’aime pas Hollande qui n’a jamais Corée du Nord est une histoire vraiment complexe. Il faut ouvert un livre. Pour cette même raison, remonter à la guerre de 1948 je n’aime pas Nicolas Sarkozy, même si pour comprendre comment ce pays en est arrivé là. Il y a deux par ailleurs il a un côté Louis de Funès manières de voir les choses, et il qui me fait mourir de rire. » faut toujours avoir les deux en tête. Du point de vue des droits de l’homme, évidemment c’est un pays aberrant. Mais c’est aussi l’histoire d’un peuple qui a refusé de se laisser impressionner par l’extérieur : ni par entend à ce moment-là par « égalité » ? C’est un discours les États-Unis, ni par la Chine, ni par la Russie. Comme sur la Garde nationale qui était une bourgeoise, le pays ne compte que 25 millions d’habitants, on a pu finalement. Car le grand problème des révolutionnaires y tester comme à Cuba un communisme chimiquement au tout début, c’est que le peuple, après avoir défait le pur. Le problème, c’est que comme tout cela fonctionne roi, puisse vouloir aller plus loin. Il fallait s’en protéger.

es sur le culte de la personnalité, ceux qui ont le pouvoir Donc on a créé ces Gardes nationales, il y en avait dans sont incapables de le rendre. Il faut donc couper les têtes tous les départements, à Paris c’était Lafayette, pour se harl c

r qui dépassent, et comme tu ne peux pas savoir exacte- protéger du peuple. Ce que revendique dans ce discours ou

p ment quelle tête couper, tu coupes les têtes de toute une Robespierre, c’est que chacun puisse faire partie de la is

na génération et tu passes à la suivante. C’est comme ça que Garde nationale, et l’égalité dont il parle alors, c’est la es

h ça marche. La répression est donc permanente, avec des possibilité pour chacun de posséder une arme. Voilà ce c

e

n camps dont l’un compte, je crois, 250 000 personnes. Bref, que m’explique, entre autres, mon guide. —

toi tu ne peux pas défendre le régime mais tu peux com-

© an © prendre le pays.

23 24 Charles Charles Renseignements généraux Graine de star

Jeune, populaire et sans-papiers

arkozyste de la première heure, Stéphane Tiki avait été désigné président des Jeunes Populaires le 17 décembre 2014. Mais les révélations du Canard enchaîné début février selon lesquelles ce militant d’origine camerounaise serait en situation irrégulière l’ont obligé à se mettre en retrait de son poste. l’avait rencontré juste avant l’affaire. S Charles par Julien Chabrout portrait Yannick Labrousse

Il a beau n’avoir que 27 ans, Stéphane Tiki s’exprime l’ancien président en juin 2013 : « J’étais le premier jeune à déjà avec beaucoup d’aplomb. « J’ai la double nationalité, le voir. Quand son cabinet m’a appelé, j’ai mis deux minutes française et camerounaise », nous affirme-t-il une semaine pour m’en remettre. Au début, j’ai cru à un canular. » Au avant ces quelques lignes publiées dans le numéro du 11 final, il échangera avec lui pendant près d’une heure. février du Canard enchaîné qui l’ont contraint à se « mettre « Il me posait de nombreuses questions sur mon parcours en congé » de ses fonctions. Les Jeunes Populaires ont personnel et politique. C’était génial, un grand moment pour néanmoins annoncé quelques jours plus tard qu’ils ne moi. » nommeraient pas de président transitoire ; et ce, jusqu’à « la création de la nouvelle formation politique ». Toujours Alors que la date du retour en politique de son mentor selon l’hebdomadaire, Nicolas Sarkozy souhaite en effet n’est pas encore fixée, Stéphane Tiki, lui, anticipe et réinstaller Stéphane Tiki lorsque sa situation sera régu- lance avec quelques autres jeunes « Génération Sarkozy » larisée. Un vide déjà vécu par l’organisation durant deux en février 2014. L’association a pour but de préparer l’at- ans, suite au départ de Benjamin Lancar. terrissage de l’ancien président. Quand Nicolas Sarkozy officialise sa candidature à la présidence de l’UMP en Mais rembobinons le film des événements. Le 17 septembre 2014, Stéphane Tiki intègre son équipe de décembre 2014, Stéphane Tiki est élu président des campagne en tant que responsable de l’animation des Jeunes Populaires après un vote à l’unanimité du Bureau jeunes et ne compte pas le nombre d’heures travaillées national de la formation auquel participait Nicolas au profit de son leader. « J’ai fait le job, j’ai participé à tous Sarkozy. Il raconte avec gourmandise sa rencontre avec ses meetings en 2012 et en 2014. » Sa fidélité sera

25 26 Charles Charles Renseignements généraux s téphane tiki

au sérieux et sur lequel on peut toujours compter », estime numéro du 7 janvier. En pleine période d’attentats, Vincent Baladi, adjoint au maire du viiième arrondisse- l’affaire ne provoque aucun bruit. Les révélations du ment de Paris. « Stéphane a une grande capacité à sacrifier Canard enchaîné sont, elles, fracassantes. D’autant que sa vie personnelle et professionnelle pour se consacrer à d’autres médias les relaient, à l’image d’Europe 1 et I-Télé, la politique matin, midi et soir », confirme Jonas Haddad, qui affirment que le militant UMP a fait une demande de l’un de ses meilleurs amis rencontré huit ans plus tôt régularisation en 2009, très vite refusée, et que sa carte sur les bancs de la fac. Mickaël Camilleri, président du de séjour au titre d’étudiant est arrivée à expiration en mouvement jeune de la Droite sociale, ne dit pas autre 2011. chose… ou presque : « C’est quelqu’un qui est à l’image de son physique : il est rond. Il arrive à se faire aimer de beaucoup de gens avec talent. Il va te taper sur le dos ou à l’épaule, aller voir un match de foot avec toi ou rester au restaurant Joint après les révélations, Stéphane Tiki et même en boîte de nuit après une réunion avec les Jeunes Populaires. » se contente de réitérer mot pour mot ce qu’il a écrit sur sa page Facebook : « C’est une Celui qui se présente comme auto- entrepreneur, « chargé d’aider polémique infamante. J’ai fait une demande des Français à monter et installer de naturalisation qui est en cours », et évoque leur entreprise à l’étranger », gère son « amour pour la France ». sa carrière militante en faisant le choix de l’omniprésence. En 2012, il soutient la Droite forte, le courant sarkozyste qui arrive en tête du vote des motions, et dont il récompensée après l’élection de Sarkozy à la présidence produit lors du meeting de Nicolas Sarkozy, porte de Ver- deviendra par la suite porte-parole. Au même moment, le Joint après les révélations, Stéphane Tiki se contente de de l’UMP par sa nomination à la tête du mouvement des sailles, le 14 janvier 2007 : « J’ai vu en lui une capacité à jeune homme milite pour Jean-François Copé lors de la réitérer mot pour mot ce qu’il a écrit sur sa page Facebook jeunes. Avec un cahier des charges bien précis : « Mon mobiliser, à rassembler, à dynamiser », et il prend sa carte campagne pour la présidence du parti. En conséquence, le 10 février : « C’est une polémique infamante. J’ai fait une objectif est de dynamiser le mouvement et de faire adhérer à l’UMP. Il devient rapidement un militant actif, particu- il sera nommé secrétaire national de l’UMP en décembre demande de naturalisation qui est en cours », et évoque son le maximum de jeunes. La maison était éteinte depuis deux lièrement dans le viième arrondissement de Paris. Rachida 2013. L’ascension politique de celui qui aime se décrire « amour pour la France ». « Il nous a déçus, car il ne nous a ans. J’ai envie de rallumer la lumière, de refaire du militan- Dati se présente aux municipales de 2008. Stéphane comme un « self-made-man » fait néanmoins grincer des pas dit la vérité. Si on l’avait su, on l’aurait aidé à obtenir tisme et de remettre du fond. » Tiki tracte, colle des affiches et assiste aux réunions de dents. Si Tiki est apprécié par de nombreux militants, des papiers », glisse un militant du parti qui le connaît campagne de la garde des Sceaux : « C’est une combat- il compte aussi quelques adversaires internes. Pour bien. Et d’ajouter : « Il affirme qu’il est auto-entrepreneur. Le parcours politique de Stéphane Tiki débute en 2005 peu tante, elle est solide, elle a des valeurs, elle est courageuse et certains, il serait fils d’ambassadeur. Pour d’autres, il Pourtant, quand on fait des recherches sur Internet, on ne après son arrivée en France. Il a laissé à Yaoundé son père, elle vient d’ici et d’ailleurs comme moi. Sans elle, je ne serais bénéficierait d’un passeport diplomatique. «Les rumeurs retrouve aucune trace de son activité. » Une autre zone juriste, et sa mère, comptable. Il s’inscrit en économie à peut-être pas arrivé là où je suis aujourd’hui. Je lui dois sur sa situation irrégulière ont été lancées dès novembre d’ombre chez un jeune homme qui n’a pas encore livré Tolbiac, bastion de la gauche, et est mis dans le bain à beaucoup. » Parallèlement à son engagement parisien, dernier », révèle un élu UMP. C’est à ce moment-là tous ses secrets. — l’occasion du mouvement contre le CPE : « Une minorité de il devient responsable des Jeunes Populaires de Tolbiac que les rivaux de Stéphane Tiki pour la présidence du gens bloquait la fac », et cette situation révolte ce garçon et occupe un poste stratégique en prenant en charge mouvement jeune fourbissent leurs armes en attendant

qui a « toujours été de droite », même si ses valeurs étaient l’accueil des nouveaux adhérents au Bureau national des R l’élection de Nicolas Sarkozy. Quelques semaines plus

« endormies ». Quelques mois plus tard, le vrai déclic se Jeunes Populaires. « C’est un bosseur qui ne se prend pas © D tard, lance publiquement la rumeur dans son

27 28 Charles Charles Renseignements généraux L’interview d’un Charles Tu parles... Charles Villeneuve

a règle d’or journalistique « Action, Émotion, Information » pouvait faire sourire. Il n’empêche que c’est avec elle que Charles Villeneuve (de son vrai nom, Charles Leroy) inventera ces émissions L emblématiques que furent « Allô Monsieur le juge » sur Europe 1, « Le Glaive et la Balance » sur M6 et bien sûr, « Le Droit de savoir » qui règnera pendant dix-huit ans sur TF1. Un magazine d’investigation télévisuel qui, le premier, utilisera la caméra cachée.

Propos recueillis par Arnaud Viviant photos Philippe Gomont

29 30 Charles Charles Renseignements généraux charles villeneuve

maintenant jusqu’à l’Afrique grâce à la Libye dont nous été officier de gendarmerie avant de se lancer dans la je viens de la presse écrite. J’écrivais les chapôs des repor- avons fait, nous les Français, une armurerie à ciel ouvert. politique et de devenir maire divers droite à Mandelieu- tages, les relances. D’ailleurs, on m’appelait du nom d’un Mais les épidémies ne sont pas faites pour durer. Ici en La Napoule, la ville la moins endettée du département chapelier anglais qui était à la place d’Hermès, au bout de , on n’a de cesse que de raccourcir le temps, des Alpes-Maritimes et la seule où le FN a reculé. J’ai la rue François 1er. Je travaille avec Georges Leroy. C’est à de vivre à l’heure de sa propre existence. Ma mère et donc fait l’école des sous-officiers mais je l’ai quittée dès cause de lui que je vais devoir changer de nom, m’appeler mon père m’ont beaucoup appris la patience. Je suis le que j’ai pu. désormais Charles Villeneuve et non Charles Leroy, mon contraire de L’Homme pressé, ce roman de Paul Morand Vous avez aimé néanmoins ? vrai nom. Du fait de l’homonymie. qui m’avait fasciné à l’adolescence. Je suis le prototype Oui. Ça m’a donné le goût de la solidarité, l’homogé- C’est bizarre de changer de nom… d’un fataliste. C’est-à-dire d’un optimiste. néité. C’est la force de cette institution. Je ne n’ai pas Oh putain, oui. Au début, je suis désorienté. Leroy, c’est Et d’un Oriental… fait beaucoup de maisons, mais j’ai toujours été fidèle au un nom qu’on a trimballé partout : Grèce, Turquie, Liban, Effectivement, puisque je ne découvre la culture euro- groupe dans lequel j’étais. Peut-être naïvement, je crois à Syrie. C’est précieux, le nom, la nationalité, le drapeau de péenne qu’à 17 ans. la force du « drapeau ». vos origines, pour une famille itinérante comme la nôtre. Vous avez écrit un livre sur le terrorisme. Et vous devenez journaliste. D’ailleurs, mon père ne comprend pas. Il me dit : « Tu vas Histoire secrète du terrorisme, oui. Mais cela correspond Je fais un stage à Var Matin et je rencontre Marie-Laure faire un métier de menteur, journaliste ! Regarde comment le à un âge du terrorisme qui n’est plus celui d’aujourd’hui. de Noailles. Qui a le château Saint-Bernard à Hyères. Je général les traitait ! Tu aurais dû faire l’École des officiers ! » C’est-à-dire les années sous Pompidou lorsqu’ont été lui parle de mon désir de monter à Paris où je ne connais Dans n’importe quelle famille, il y a toujours une relique rompues les alliances secrètes qui avaient été passées personne. Elle m’envoie avec une entre la France et la Palestine. C’est le troisième âge lettre de recommandation au du terrorisme, allant du 4 septembre 1986 jusqu’au 17 Figaro, où ça ne marche pas. Alors septembre 1986, avec l’attentat de la rue de Rennes. Le j’atterris à Paris-Presse-L’Intransi- quatrième âge commence avec l’attentat du 23 octobre geant, qui est à l’époque un journal « J’ai toujours été fidèle au groupe Charles Villeneuve : Il y a toujours 1983 à Beyrouth contre la position française de Drakkar, du soir, avec une maquette à l’an- dans lequel j’étais. Peut-être naïvement, eu un Charles dans ma lignée. C’est une famille d’expa- et la position des Marines américains. 240 morts chez les glaise, très Sunday Times, et aussi triés depuis la fin du xixème siècle qui a toujours été dans Marines, 58 parachutistes français tués. Là, on change une école d’écriture. Il y a de grands je crois à la force du “drapeau” ». les chemins de fer. Ils ont été envoyés au Levant pour de dimension puisque c’est avec de simples voitures journalistes ; Maurice Siegel, Jean construire les lignes. Mon grand-père paternel s’était bourrées d’explosifs qu’on va faire partir la flotte amé- Lartéguy, Jean Laborde… Je crois ainsi installé en Grèce, à Salonique ; et mon grand-père ricaine et la flotte française. Rentabilité extrême : deux que Jean-François Kahn y a fait un maternel est un Arménien qui travaillait aussi pour les des plus grandes armées du monde sont mises en échec passage aussi. On soigne l’écriture. chemins de fer. Comme souvent, les Français, à l’inverse avec de très faibles moyens. Ensuite cela sera Ben Laden Comme je suis le dernier entré en 1967, je serai la dernière qui est la référence de la famille. Chez nous, c’est un cadre des Anglais, ont pénétré la société dans laquelle ils et Al-Qaïda, qui fonctionnent si je puis dire avec des signature du journal qui mourra en 1970. Je suis affecté qui contient une lettre du général de Gaulle qui remercie vivaient et ont épousé les femmes du cru. Presque tous. sponsors individuels, des fondations privées. Et là, on est au « marbre ». J’apprends à faire des légendes, à couper mon père d’avoir été parmi les premiers à rejoindre les Mon père a ainsi marié une Arménienne d’Alep, où cette encore dans une nouvelle ère du terrorisme qui n’a plus des papiers. Puis je suis « soiriste » : je faisais toutes les Forces françaises libres. C’est mon frère cadet qui la communauté issue du génocide est toujours très repré- rien à voir avec les trois précédentes. générales de théâtre, de films, de livres. J’apprends alors détient actuellement. Et me voilà parti pour dix-huit sentée et active contre les salafistes, les jihadistes. Car Vos racines maternelles arméniennes sont impor- à devenir un élève acharné du présent narratif. Ce sera ans de carrière à Europe 1. Une formidable école de jour- moi, je ne dis pas islamistes. tantes ? mon mode, je raconterai toujours une histoire. Et je nalisme. Tous les lancements étaient relus et corrigés: Ah ! Oui, nous avons été élevés, mes frères et moi, de façon m’aperçois alors que le journalisme permet d’entrer dans on soulignait au feutre rouge les mots qu’on voulait nous Non, car je ne confonds pas. Parce que j’ai vécu au milieu quotidienne avec le souvenir du génocide. Par ailleurs, n’importe quel cercle, fut-il le plus fermé. C’est pour ça faire changer. Cela n’existe plus… Mais à cette époque, es des Musulmans, notamment en Tunisie où j’ai passé l’es- ma mère s’intéressait beaucoup aux rapports de force, que j’adore ce métier. vous ne preniez pas l’antenne sans que votre copie soit sentiel de mon adolescence. et éventuellement d’intelligence, qui structurent toute la Puis vous rejoignez Europe 1… relue ! On apprenait sur le tas. Il n’y avait pas encore r Charl

Alep, cela résonne aujourd’hui sinistrement. région. ou À la fin deParis-Presse-L’Intransigeant , je pensais regagner ces écoles de journalisme qui formatent tout le monde. p t

Comment voyez-vous la situation ? Vous avez fait l’armée ? n la rédaction de France Soir. Mais dans un Paris-Tunis, je Maurice Siegel et Jean Gorini, qui dirigeaient alors la Assez bien, avec le temps. Cette violence, ce nihilisme Depuis gosse, disons l’âge de 12 ans, je rêvais d’être fais la connaissance de Jacques Paoli, une des grandes rédaction, avaient cette particularité de distinguer votre Gomo n’ont pas de sens. Vous savez, la nuit n’a jamais vaincu reporter. Mais je viens d’une famille de militaires : mon e voix d’Europe 1. C’est drôle, toutes les grandes rencontres talent. Moi, c’était donc le récit. J’aimais raconter des pp i l i

le jour. Le problème, c’est que cette épidémie qui a père et mon oncle le sont restés, après avoir intégré h de ma vie se sont faites dans des avions. Il me propose un histoires. J’espérais être nommé au service de politique P commencé sur les bords du Tigre et de l’Euphrate s’étend les Forces françaises libres en 1940. Mon frère cadet a © essai à la radio pendant l’été. On me met au desk, puisque étrangère, pour faire des grands reportages, couvrir

31 32 Charles Charles Renseignements généraux charles villeneuve

une belle chemise, une belle cravate, un beau costard. que le comptable de cette entreprise est commissaire aux Je connaissais Corinne, la fille de Francis Bouygues. Elle comptes de l’Élysée ! Aujourd’hui, une telle affaire serait me dit : « On rentre dimanche, on te ramène. » Et c’est ainsi jugée devant la Cour de justice de la République. Je fais que je me suis retrouvé dans l’avion privé de Francis le sujet. Par un réseau, je trouve l’adresse du financier et Bouygues, assis en face de lui. Un personnage impres- j’envoie une équipe avec pour consigne qu’on voit bien sionnant qui tenait absolument à ce qu’on l’appelle le logo TF1 sur le micro, pour qu’il n’y ait pas de discus- Francis. Aujourd’hui, personne ne lui arrive à la cheville. sion. Et ça fait très fort ! Puis en 1992, nous faisons sans Il me dit : « Je vous connais, vous êtes dangereux. Vous doute l’émission la plus incisive jamais réalisée sur Le êtes toujours avec un livre à la main. Moi, c’est ma femme Pen. J’en confie une partie à Hervé Chabalier de l’agence Monique qui lit. Elle me fait des résumés, ça va plus vite. » À CAPA et on arrive à infiltrer en caméra cachée l’école des peine rentré chez moi, coup de téléphone de Mougeotte : cadres du FN. On filme à Montretout et on va enregistrer « Tu as voyagé avec Francis. Viens me voir demain matin, l’ancien chef du parti rexiste devenu agent immobilier à il te veut à TF1. » À l’époque, je travaillais à Paris Match, Malaga qui nous dit : « J’aurais aimé présenter Jean-Marie je faisais mon émission sur M6 où on me foutait une Le Pen au Führer, mais ils ne se seraient pas entendus. Car paix royale, j’écrivais des bouquins. Je ne me voyais pas rejoindre la rédaction de TF1 avec mes copains : Gérard Carreyrou, Michèle Cotta. Et puis au bout d’un mois j’ai eu « Francis Bouygues me dit : “Je vous connais, cette idée : créer un magazine d’en- vous êtes dangereux. Vous êtes toujours des révolutions. Mais Gorini, qu’on surnommait Nonosse l’époque directeur de la rédaction d’Europe 1, et c’est Jean- quêtes. À la condition qu’il dépende à cause de sa pipe, m’appelle et me dit : « On est faible en Louis Calderon (grand reporter mort en 1989 à Budapest de la direction générale et non de la avec un livre à la main. Moi, c’est ma femme justice, police, défense. Vous allez vous attaquer au quai écrasé par un char, alors qu’il couvrait la révolution en direction de la rédaction. J’ai dit : Monique qui lit. Elle me fait des résumés, des Orfèvres. Frédéric Pottecher commence à se faire vieux, Roumanie – NDLR) qui nous présente l’un à l’autre. J’avais « Vous ne travaillez pas assez avec ça va plus vite.” » vous allez suivre les procès. » Et puis il me demande : « C’est lu ses bouquins, notamment ses analyses très fines sur l’extérieur, alors que ça vous donne quoi ta règle de base quand tu fais tes papiers, Villeneuve ? » les rapports entre médias et justice. Et Badinter m’avait des bouffées d’oxygène, des idées Je lui réponds : « Monsieur, ma règle, c’est : Action, Émotion, dit de lui : « C’est l’un des rares qui pensent la justice. » nouvelles et équilibrées sur le plan Information ». Et c’est là-dessus que j’ai fondé « Le Droit Soulez Larivière est un grand spécialiste du système politique. » « Le Droit de savoir » va de savoir ». accusatoire américain, ce pour quoi on lui avait d’ailleurs naître comme ça. Avec un coproducteur extérieur : Franz- Jean-Marie est un carnivore, et lui c’était un végétarien ! » Avant « Le Droit de savoir », vous faites une confié la défense des agents de la DGSE. L’idée du « Glaive Olivier Giesbert. Plus Poivre d’Arvor et Carreyrou, de Une séquence extraordinaire ! émission sur la justice, pour M6, avec l’avocat et la Balance » est simple : à partir d’un dossier, faire une la rédaction de TF1. On déjeune ensemble une fois par Cette utilisation de la caméra cachée a provoqué Daniel Soulez Larivière qui s’intitule « Le Glaive et la démonstration sur le fonctionnement ou non de la justice semaine, pour décider du sommaire. énormément de débats déontologiques. Balance ». et de la police. Par exemple, le mauvais génie français des Vous vous souvenez du premier « Droit de La caméra cachée, on s’y est surtout mis lors de la À Europe 1, j’avais déjà créé l’émission « Allô, Monsieur le juridictions d’exception, qui remonte au Tribunal révolu- savoir » ? quatrième année, pas avant. Pourquoi ? Parce qu’on juge », où des juges d’instruction qui deviendront célèbres tionnaire de 1792, quand Danton exécute à tire-larigot ! Oui, c’était le 9 novembre 1990. Il y avait un sujet avec obtenait de moins en moins d’infos. Mais nous n’avons es – Jean-Louis Debré, Alain Marsaud, le juge Bruguière, Cette culture-là est restée. L’émission va durer cinq ans Jacques Vergès, tourné dans un camaïeu de marrons, car jamais bidonné. On a eu des procès, mais on n’en a perdu le juge Boulouque – répondaient aux questions des et ne s’arrêtera que parce que je rentre à TF1. je voulais ça, montrer le mystère Vergès. Il s’occupait à ce aucun. On a été les premiers à s’infiltrer dans les hôpitaux r Charl auditeurs. Ils n’évoquaient évidemment pas les instruc- Alors, comment rentrez-vous à TF1 ? ou moment-là d’une affaire extrêmement compliquée où de psychiatriques. Certes, il y avait un côté émotionnel p t tions en cours, mais parlaient de la vie quotidienne de J’ai un kiff, comme on dit dans mon pays. Aller au Festival n hauts fonctionnaires de la police étaient impliqués. Mais qui pouvait troubler. Mais contrairement à l’Ordre des la justice. Je rencontre Daniel Soulez Larivière dans les de Cannes. Non pas pour travailler, mais pour ne rien le sujet central, c’était les 25 millions de francs injectés médecins ou des architectes, l’Ordre des journalistes Gomo premiers jours de l’affaire du Rainbow Warrior, car il était foutre, mettre un smoking et aller voir des films. J’aime les e dans la petite société de Gérard Monate, un flic qui tra- n’existe pas. Fort heureusement. — pp i l i

l’avocat de Mafart et Prieur, les deux agents de la DGSE fringues. Je vous envie de pouvoir vous habiller de façon h vaillait à ramasser de l’argent plutôt clandestin pour les P que la presse appelait « les faux époux Turenge ». Je suis à aussi décontractée. Moi, pour me sentir bien, il me faut © campagnes présidentielles de Mitterrand. Et on découvre

33 34 Charles Charles politique & justice Un couple presque parfait

36 entretien « J’ai eu affaire R oland à la justice dès dumas l’âge de 8 ans »

56 récits Journalisme et justice Ni juge ni flic

72 entretien 80 enquête élisabeth guigou justice « J’ai vécu avec un policier et dépendances armé sur mon palier » Quand la politique tente es d’influencer la justice harl c r

ou 90 entretien 104 témoignages p d

an Gilbert collard prisonniers m r o « Moi, je suis politiques n

ice un sale mec ! » José Bové & Alain Krivine r t a P nan/ o b c a is © a 35 36 Charles Charles justice et politique entretien

L a première rencontre avec Roland Dumas a lieu moins de quarante-huit heures après son entretien avec Jean-Jacques Bourdin à RMC et la polémique sur « l’influence juive » et Manuel Valls. Dans l’ancien atelier de la sculptrice Camille Claudel sur l’île Saint-Louis où il vit depuis 1956, c’est l’effervescence. Ses trois lignes téléphoniques sonnent à tue-tête : des journalistes bien sûr, des proches qui s’inquiètent, des clients toujours, mais aussi des appels masqués le menaçant de mort.

Depuis ses études de droit et de sciences politiques débutées sous l’Occupation, Roland Dumas a toujours navigué entre la justice et la politique, avec un anticonformisme certain et le sens de la provocation. Avocat durant soixante ans au barreau de Paris, il a défendu Marc Chagall, Pablo Picasso, Jacques Lacan. Mais aussi François Mitterrand, Pierre Mendès France ou Pierre Bérégovoy. Il a connu également la justice de l’autre côté de la barre au moment de l’affaire Elf. En plein « Dumas bashing », il fallait donner du temps au temps pour que l’ami de François Mitterrand puisse s’exprimer dans toute sa complexité.

par Alexandre Chabert portraits Arnaud Meyer

37 38 Charles Charles Justice et politique r oland dumas « Pendant la guerre, des étudiants de , evenons donc quelques années en arrière... À quel qui étaient des mecs avec du fric, s’étaient réfugiés moment vous êtes-vous dit : « Je veux faire de la politique » ? J’ai toujours eu envie de faire de la politique. Je vais vous à Limoges. Ils avaient des pantalons de golf, raconter une anecdote. Mon père était petit fonctionnaire, ils draguaient les filles. Ça m’impressionnait. ma mère élevait les gosses, on vivait dans le Limousin et le Et j’ai dit à mon père : “Je veux faire Sciences Po.” » dimanche, on allait les uns chez les autres. Ma mère avait une copine qui était fiancée avec un propriétaire terrien un peu snobinard, qui m’interrogeait sur des sujets dont je ne savais rien. Et donc un dimanche, il me demande : « Alors Roland, qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? » Goguenard, je Rlui réponds : « Moi je veux être président de la République ! » Tout le monde se marrait, la gare et monte dans un train sans billet pour Lyon. J’ai sur le réarmement allemand. Et donc je fais une liste mais pour moi, c’était tout naturel. pris le maquis. Mon père a été fusillé, moi condamné. de socialistes indépendants avec un vieux copain, qui Et avocat ? Et j’ai attendu 44, j’ai posé des petites bombes par-ci, était sénateur et avocat à Limoges. On fait chier la SFIO. J’ai eu affaire avec la justice dès l’âge de 8 ou 10 ans. J’avais arraché les plantes du par-là. À la Libération j’ai repris ma licence, parce que je J’arrive à Paris, je n’avais pas de groupe où aller. C’est là jardin de la maison que louaient mes parents pour les vacances. Ça s’est terminé au n’avais que la première année. Je me suis ensuite inscrit que j’ai retrouvé Mitterrand, que j’avais vaguement vu à la tribunal ! Il y avait eu une bagarre entre les avocats, j’avais trouvé cela marrant... au barreau. Libération. Et là, Mitterrand me dit : « Je vais vous donner Ce monde des avocats commençait à m’intéresser. Je gardais ça dans ma tête. Et Comment avez-vous commencé à exercer ? mon investiture. » Et je suis élu. Alors Mitterrand me dit : puis, le temps passe. Au début de l’Occupation, je ne savais pas quoi faire. J’avais Je n’avais pas de local mais j’avais une petite amie, et « Comment vous avez fait ? » Alors je lui dis : « Vous savez, mon bac, mais enfin ce n’était pas suffisant, et je pars en vacances en Normandie elle était bonne chez un type qui avait un cabinet moyen c’est très compliqué. » J’avais premièrement derrière moi avec d’autres garçons. Un jour, dans un virage, un type avec une énorme voiture dans le Quartier latin. Celui-ci m’a reçu et m’a dit : « Alors les communistes dissidents de Guingouin qui passaient décapotable accroche notre voiture. On s’arrête, je sors du véhicule, c’était un type écoutez, vous serez mon collaborateur, mais je ne vous dans toutes les fermes où il avait fait son maquis ; avec une nana, très belle – moi je regardais surtout la fille. Le type dit : « Faut que donne pas un sou. » C’était l’usage. « Mais je vous donne deuxièmement, les socialistes dissidents de mon ami je sois ce soir à Paris, je plaide une affaire demain. » Ça m’en a foutu plein la vue ! une pièce. » Au bout de deux-trois mois, j’avais plus de sénateur, et troisièmement, le plus drôle : les poujadistes. C’était Maître Jean-Charles Legrand, l’avocat le plus à la mode. Moi ça ne me disait clients que lui ! Alors qu’en même temps, je faisais le Pourquoi les poujadistes ? Parce que Pouja imprimait son rien à l’époque, mais il m’avait alors impressionné, comparé à mon père, le petit métier de journaliste (au service étranger de l’Agence journal pour les commerçants, dans la même imprime- fonctionnaire… économique et financière de 1949 à 1955 – NDLR). Et rie que moi. Il imprimait le lundi, et moi je faisais mon Et vous avez fait des études de sciences politiques et de droit …. là, m’arrive ma première grosse affaire : celle du colonel petit journal électoral le mardi. On déjeunait toujours au J’étais à Limoges. À l’époque c’était un bled, c’était un peu la campagne déjà. Euh Georges Guingouin, chef des maquis, dissident du Parti bistrot du coin. Un jour, il me dit : « Alors petit, tu veux être non, depuis toujours (Rires) ! Je tournais en rond. Pendant la guerre, des étudiants communiste, renvoyé devant la cour d’assises (victime candidat ? » Je dis : « Oui, mais ce n’est pas simple. » Il m’a de Sciences Po, qui étaient des mecs avec du fric, s’étaient réfugiés à Limoges. Ils d’une machination l’accusant de meurtre – NDLR). dit : « Écoute, tu ne peux pas te présenter sous mon étiquette, avaient des pantalons de golf, ils draguaient les filles. Ça m’impressionnait aussi. J’avais quoi ? Deux ans de barreau ! Et là je m’impose, et ce serait une connerie. Mais ce que je vais faire, c’est que je Et j’ai dit à mon père : « Je veux faire Sciences Po. » Il m’a dit : « Mais enfin, tu es fou, je prends le dossier, et je fais acquitter Guingouin... C’est ne présenterai pas de candidat contre toi. » Et donc, j’ai eu faire Sciences Po ! » Il voulait que je fasse Polytechnique. Mais moi, ça m’emmerdait comme ça que les choses se sont agglutinées autour de des voix poujadistes. Et j’ai fait un siège. Ça a époustouflé et je me suis inscrit à Sciences Po, alors réfugié à Lyon. C’est là-bas que j’ai eu moi. tout le monde. Je dis quelquefois que la chance passe. Il de « mauvaises fréquentations » dans la Résistance. J’ai fait quelques conneries. Et En 1956, vous devenez député à l’âge de 33 ans y a deux attitudes : ou on la regarde passer, ou bien alors en mai 42, je suis arrêté (pour avoir organisé à Lyon le boycott par les étudiants en vous appuyant lors de la campagne électorale hop, on l’attrape par les cheveux. lyonnais de l’Orchestre philharmonique de Berlin − NDLR). Ils me foutent à Fort justement sur le réseau de Guingouin. Pendant la guerre d’Algérie, vous défendez la Barraux. Au bout de trois semaines, j’en avais marre. Lors d’une corvée de bois, je C’est effectivement avec l’affaire Guingouin que j’ai cause de l’indépendance de l’Algérie à la fois au Palais me planque et je m’échappe. Ce n’est pas héroïque… Je me retrouve hors de la forte- démarré en politique. En 56, vous étiez trop jeune, mais je de justice et au Palais Bourbon. resse, avec un ou deux francs et sans papiers. Je marche deux kilomètres jusqu’à vais vous rafraîchir la mémoire : c’était la grande bagarre Je faisais de la politique avec mon métier d’avocat. La

39 40 Charles Charles Justice et politique r oland dumas « J’ai proposé à Mitterrand de prendre une affaire. Et il m’a dit : “Je vais être votre collaborateur.” C’était un peu comique tout ça. Il a plaidé pour l’actrice Dawn Addams. »

guerre en Algérie se prolongeait ainsi à Paris. À l’Assem- d’abord. Une fille l’a tapée. C’est là où il y a eu la fameuse blée, il y avait tous les jours des votes. Et alors, moi, j’étais phrase qui a été reprochée à Jean-Paul Sartre : « Si le FLN apparenté à l’UDSR qui votait dans sa totalité pour le gou- me le demandait, je transporterais des armes. » vernement. Et on mettait une exception : « Roland Dumas Ça… c’est de vous ? contre ». Mitterrand ça l’énervait. Et je disais : « Tant que Oui, c’est de moi. (Rires.) Je suis allé le voir en Espagne et le gouvernement fera cette politique, je voterai contre. Mais il m’a dit : « Vous y avez été un peu fort quand même. Mais quand il changera de politique, je vous promets, je voterai enfin je ne démentirai pas, je dirai rien. » pour. » Ça a pris dix-huit mois. … en 58 de Gaulle revient au pouvoir. Avec Et au Palais de justice, vous défendez les porteurs François Mitterrand, vous vous retrouvez sans siège de valises du réseau Jeanson, le secrétaire de Jean-Paul à l’Assemblée. Et le futur président de la République Sartre aux Temps modernes, et vous travaillez avec devient votre collaborateur. Jacques Vergès qui défendait les militants du FLN. On était tous battus, j’ai alors repris mon cabinet tranquil- On ne travaillait pas ensemble, on était même rivaux. lement. Et lors du procès des Algériens, avec Vergès, on Vergès et son groupe ont même voulu prendre la main sur s’est fait suspendre tous les deux comme je vous l’ai déjà la défense du réseau Jeanson. Au cours du procès, il y a dit. Et donc à ce moment-là, je ne pouvais plus plaider. eu une surenchère entre nous deux. Moi, j’ai pris six mois J’avais trois ou quatre clientes, des filles de cinéma. J’ai de suspension de barreau parce qu’on a un peu insulté le proposé à Mitterrand de prendre une affaire. Et il m’a dit : tribunal. J’avais dit au président : « Ce n’est pas vous qui « Je vais être votre collaborateur. » C’était un peu comique dirigez ce débat, c’est nous. Ça durera le temps que ça durera, tout ça. Il a plaidé pour l’actrice Dawn Addams. trois mois, six mois, un an s’il faut. » Alors là, on avait joué C’était un bon avocat, un bon orateur, Mitterrand ? avec la procédure, on s’était débrouillés comme des chefs. Non, il ne savait rien. C’était un littéraire, Mitterrand. On est partis pendant qu’il rendait le jugement. Donc ils Il n’a pas fait de carrière d’avocat, il a plaidé une seule ont rendu le jugement par défaut. Quand on est rentrés affaire un peu sérieuse, qui sortait de l’ordinaire, une dans la salle, le président nous demande : « Où étiez- affaire littéraire sur une contrefaçon d’un roman célèbre vous ? » Et alors Vergès, avec insolence, lui dit : « Monsieur du xviiième-xixème. Il avait un copain éditeur, qui lui a confié le président, j’étais entre les mains de ma masseuse. » Et le dossier… Mais il n’était pas encore ce qu’il est devenu. la salle rigolait. Le procès a eu lieu. On a bien défendu Il avait été ministre, mais petit ministre. Notre amitié quand même. Ça avait pris une ampleur telle que tous date de cette époque. On sortait beaucoup, on draguait.

es les jours le tribunal était plein de journalistes, mais aussi On était jeunes, il était un peu plus vieux que moi, mais

harl de gens qui venaient assister au spectacle. Et ils ont pris enfin pas tellement. Et il avait des filles sensationnelles. c

r conscience de ce que c’était que la guerre d’Algérie. Je me rappelle d’une maîtresse à Neuilly, une beauté. Je ou Et il y a cette histoire de « faux témoignage » de ne me souviens plus comment il l’avait levée. r p Jean-Paul Sartre en soutien aux porteurs de valises, En 1959 a lieu l’affaire de l’attentat de meye avec sa signature imitée par Siné. l’Observatoire (François Mitterrand est accusé par ud Ça s’est passé ici-même. Siné avait picolé un peu. Le l’ancien député Robert Pesquet de lui avoir demandé

© arna © matin on s’était installés, alors, on avait fait la lettre d’organiser un faux attentat contre lui en vue de

41 42 Charles Charles Justice et politique r oland dumas « Mitterrand me raconte : “Je vois dans mon rétroviseur, une voiture qui me suit. Je me dis : ça y est, c’est le gars.” redorer sa cote de popularité alors en berne – NDLR). lui fait le premier baratin. À partir de là, c’est Mitterrand Il s’arrête au jardin de l’Observatoire, il ouvre la porte Dans quelles circonstances vous demande-t-il d’être qui me raconte. Pesquet lui dit : « Je suis dans un groupe. et il saute dans le buisson. Mitraillette. Et Mitterrand a toujours dit, son avocat ? Vous savez, moi, je suis un peu de droite, mais j’ai horreur du mais enfin là, moi je ne peux pas garantir : Un soir, je prends ma voiture, j’allume la radio et j’ap- sang. Je ne suis pas un révolutionnaire. Or, il se prépare un “C’était un vrai attentat”. Il dit que s’il n’avait prends l’attentat de Mitterrand. Je change d’itinéraire attentat contre vous. Alors je vous le dis, on va se revoir si et vais directement chez lui. Et là, j’arrive : Mitterrand vous voulez, mais surtout gardez ça pour vous. Si jamais ça pas sauté dans le jardin, ils le tuaient. » n’était pas là, il y avait sa femme qui me dit : « François se sait, moi ils me zigouillent. » Alors ça, c’est la version de te cherche partout. Il est chez Georges (Dayan), il t’attend. » Mitterrand. Et il accepte de le revoir, mais ça il ne me le dit J’ai pris ma voiture et je suis allé rue Saint-Honoré. Et il pas. Il accepte de le revoir le lendemain, puis le surlende- était dans les appartements de Georges… Il faisait les main. Et la veille du faux attentat ou de l’attentat, il voit cent pas. Et alors je lui ai fait raconter l’histoire. Et il Pesquet affolé qui lui dit : « Monsieur le ministre, c’est pour et des assassinats politiques. Si la première partie de Et pour conclure avec cette affaire de l’Observa- me raconte sa version. Il me dit : « Qu’est-ce que vous en demain. Alors ne changez rien à vos habitudes. » Alors Mit- l’histoire est vraie, tout le reste en découle. À partir de toire, comment vous expliquez que Mitterrand n’ait pensez ? » Alors je lui dis : « Ce sera votre parole contre la terrand lui donne son itinéraire. « Je dîne chez Lipp, puis je là, j’ai pris l’affaire en main, je peux vous dire que je me pas dit à la police, et ne vous ait pas dit surtout à vous sienne (Robert Pesquet – NDLR) Vous êtes ancien ministre partirai vers onze heures, onze heures et demie. Je prendrai suis remué. Et j’ai appris par des racontars, qu’en réalité qu’il avait rencontré Pesquet les jours précédents de la République, ça a un peu plus de poids. » On se quitte la rue qui remonte vers le Sénat, je tournerai à droite, etc. » le juge d’instruction connaissait Pesquet, qu’ils avaient l’attentat ou le faux attentat ? à trois heures du matin et on se donne rendez-vous le Et Mitterrand me raconte après : « Je prends mon itinéraire, été ensemble aux élèves officiers de Fontainebleau. Alors J’ai souvent posé la question à Mitterrand. Sa réponse lendemain. et je vois à un moment dans mon rétroviseur, une voiture j’ai fouillé, je suis allé à Fontainebleau, et le bonheur était la suivante : « Roland, je ne vous ai rien dit à vous − Et donc il ne démord pas de sa version, Mitterrand, qui me suit. Je me dis : ça y est, c’est le gars. » Il s’arrête au a fait que j’ai récupéré une photo où ils sont ensemble. pourtant vous étiez là, tout à fait au départ − mais Pesquet il vous ment ? jardin de l’Observatoire, il ouvre la porte et il saute dans J’ai payé Pesquet pour l’avoir. On a réglé ça en Suisse. Et était tellement affolé à l’idée que ça puisse se savoir… il Oui, enfin ça sera la version qui sera vérifiée après. Il le buisson. Mitraillette. Et Mitterrand a toujours dit, mais donc j’ai la photo, et devant la chambre d’accusation, je risquait de se faire exécuter. Je ne l’ai donc dit à personne. » me rappelle une scène où on était tous les trois : Robert enfin là, moi je ne peux pas garantir : « C’était un vrai dis : « Messieurs, vous allez avoir un procès superbe. » Les Il ne l’a même pas dit au bâtonnier, il ne l’a dit à aucun de Pesquet, lui et moi. On était au Palais de justice, et au attentat ». Il dit que s’il n’avait pas sauté dans le jardin, ils types, ils sont devenus blancs (Rires.) Ils ont rendu un ses amis, même pas à Dayan. Et à moi à plus forte raison. moment où on part, Pesquet vient me voir : « Comment le tuaient. Et version Pesquet : « Il était d’accord, on avait non-lieu. Mitterrand, il est tombé dans un piège, et ça c’était le vas-tu ? » Moi je le connaissais, Mitterrand ne le connais- dit qu’il sauterait là, et que je tirerai sur la voiture, mais que Est-ce que vous croyez à la thèse du complot plus humiliant pour lui. C’était un super ministre de l’In- sait pas du tout. la voiture serait vide. » Voilà, c’est les deux versions qui politique ? térieur, homme de gauche, malin, roublard. On parlait de Et vous êtes sûr de ça ? continueront à se heurter jusqu’à la nuit des temps. Oui. Parce qu’après les langues vont se délier, et j’étais lui comme d’un vénitien malin, et puis il s’est fait piéger Ah je vous garantis que c’est vrai. Et quelle est votre version ? très copain au barreau avec l’avocat Jacques Isorni. Isorni par un petit bonhomme, quoi. On m’a raconté, je ne suis pas allé sur place vérifier Pfff. Je suis très embarrassé de répondre. Je pense que et Tixier-Vignancour travaillaient avec la même clientèle Comment vous êtes devenu l’avocat du Canard les témoignages, mais il semblerait qu’ils se soient toute la première partie est vraie. Mitterrand a toujours d’extrême droite, mais ils ne pouvaient pas se supporter. enchaîné ? Vous connaissiez déjà des gens ? rencontrés pendant la guerre, du côté de Cormatin, prétendu qu’ils voulaient le tuer. Lors de la reconstitu- Quand Isorni est devenu l’avocat de Robert Pesquet, il Ah, je connaissais beaucoup de gens. Déjà, j’avais un en Saône-et-Loire. tion, ils devaient tirer avec des balles à blanc. Mais Mit- n’était pas mécontent de pouvoir tailler des croupières à excellent ami qui travaillait à RTL qui faisait des piges Alors ce n’est pas impossible, mais je vous garantis terrand a dit : « Non, non, je veux qu’on tire à balles réelles. Tixier-Vignancour. Et un jour, il m’a dit : « Tu sais, toute pour le Canard... Et par lui, j’avais fait la connaissance du que ce jour-là, lorsque Mitterrand revient du kiosque Je préférerai me prendre une balle dans la jambe, mais l’affaire a été montée par Tixier contre Mitterrand. » Il m’a directeur général. Et ils avaient un vieil avocat, qui était où il a acheté Le Monde, lorsque je lui demande : « Vous pour mon honneur, c’est mieux. » Je crois en Mitterrand. dit : « Je te jure. » Ce qui fait que j’étais armé pour aller là depuis longtemps. Ils n’en étaient pas très contents. connaissez Pesquet ? », il me répond « Non. » Mais vous Forcément. J’étais son avocat en plus. chez le juge d’instruction. J’avais les photos et en plus je Et donc un jour mon copain me dit : « Ça vous dirait d’être savez, à l’Assemblée nationale, il y avait 350 types à Mais il n’y a pas un moment, où vous lui avez dit : savais. (Rires.) Donc je renseigne Mitterrand. Mitterrand avocat du Canard ? » Et donc là, on ne réfléchit pas. On a fait l’époque. Pesquet connaissait Mitterrand bien sûr, mais « Bon allez François, qu’est-ce qu’il s’est passé ? » est confronté avec Tixier, qui avait demandé la confron- un déjeuner, on a parlé, et puis la première affaire arrive. Mitterrand ne connaissait pas Pesquet. Et donc Pesquet Non, non. Je ne lui ai pas dit : « Je te crois pas ». Mais il était tation. Il a dit : « Monsieur le juge, je vais vous demander de C’était les diamants de Bokassa. (Le Canard enchaîné dit : « On peut prendre un verre. » Alors on va au petit café tellement acharné sur cette version, que je ne peux pas noter ce que je vais vous dire, M. Tixier-Vignancour qui se avait dévoilé que l’empereur de la République centra- en face, au bar des Deux Palais. On s’assoit, Mitterrand douter. dit avocat est une fripouille. Je vous dis fripouille, écrivez fricaine avait offert en 1973 une plaquette de diamants continue à lire son journal, et moi je parle à Pesquet. Et Par loyauté ? fripouille ! » Bon ça a pris cette tournure. Et puis alors de trente carats destinée à Valéry Giscard d’Estaing, qui quand on se quitte, Mitterrand dit : « Moi je vais marcher Par loyauté, non, mais il faut comprendre le contexte. l’affaire donc finit par avorter… n’avait à l’époque pas déclaré ce cadeau – NDLR). Giscard un peu. » Et Pesquet dit : « Je viens avec vous. » C’est là qu’il C’était une époque où il y avait des tueurs professionnels n’a pas voulu faire le procès lui-même, il l’a fait faire

43 44 Charles Charles Justice et politique r oland dumas « Je suis resté dix ans au Canard. On s’est fait trois présidents quand même ! Il y a eu les diamants de Bokassa sous Giscard, “la commode à Foccart” comme ils disaient sous de Gaulle et les écoutes du Canard sous Pompidou. Et sur les trois sujets, on les a balayés ! »

par ses cousins. Et c’est devenu une mascarade. À l’au- spécialisé dans les affaires juridico-politiques ? dience, il avait pris le plus grand bâtonnier de l’époque. Comment l’expliquez-vous ? La salle était pleine de monde. Et on a gagné le procès. Dès que des affaires politiques voyaient le jour, si c’était Et vous avez observé des pressions sur les juges ? une affaire de droite, ils allaient voir des avocats de Le président du tribunal civil devait sa nomination au droite, Isorni, etc. Et si c’était des affaires de gauche, on président de la République. Il était là pour condamner venait me voir. le Canard. Après, j’ai su qu’il avait été mis en minorité Mais là, c’était presque des affaires judiciaires, par ses deux assesseurs qui voulaient l’acquittement du avec un volet politique à chaque fois. Canard. Les discussions ont duré quinze jours, mais les Exactement. Et moi j’étais là pour développer le volet deux types n’ont pas cédé. Le président a alors dit : « Dans politique, et je substituais l’audience politique qui ne ce cas, je ne fais pas de jugement. » Et il l’a donné à son pouvait pas avoir lieu à l’Assemblée nationale au Palais premier adjoint. Vous savez qu’à cette occasion, le tirage de justice. du Canard est monté jusqu’à plus d’un million et demi Le journaliste Georges Marion a écrit que lors de d’exemplaires. Ça n’a pas été dépassé depuis. l’affaire de Broglie, vous aviez transmis des informa- Vous avez plaidé contre Giscard… qui était un tions à François Mitterrand, qui s’en servait pour les vieux copain (Ils avaient sympathisé en 1956 au sein exploiter politiquement. du Mouvement des nouveaux élus – NDLR) ? C’est-à-dire que j’ai évité à Mitterrand de faire fausse Oui, il m’en a beaucoup voulu. Je lui ai, après coup, dit route. Mitterrand, il avait une vision purement politique, qu’il avait un procureur général nul. Et dès que Giscard mais erronée. Alors, je ne lui disais pas : « Le coupable c’est faisait une réunion à l’Élysée, je savais ce qui s’était dit. untel. » Mais je disais : « Votre vision n’est pas la bonne. » Il C’était fou. On s’est ensuite réconciliés. Je suis resté dix n’était pas tout à fait dans le secret professionnel, mais ans au Canard. On s’est fait trois présidents quand même ! enfin on s’en approchait. Il y a donc eu les diamants de Bokassa sous Giscard, « la François Mitterrand arrive au pouvoir en 81. commode à Foccart » comme ils disaient sous de Gaulle Vous n’êtes plus l’avocat du Canard à partir de ce (Le Canard avait révélé qu’une commode du Palais de moment-là ? l’Élysée permettait d’écouter les autres pièces − NDLR), Si, si, je le suis encore, jusqu’à ce que j’entre au gouverne- et les écoutes du Canard sous Pompidou (Des agents de ment en 1983. Alors évidemment, les gens venaient me

es la DST déguisés en plombiers avaient installé des micros voir pour d’autres affaires. C’était des gens qui avaient

harl dans les bureaux de l’hebdomadaire – NDLR). Et sur les un procès en propriété, ou fiscal. Ils considéraient que du c

r trois sujets, on les a balayés ! fait que j’étais bien avec Mitterrand, j’allais avoir tout le ou Vous êtes ensuite l’avocat du frère de Stephan monde à ma botte. Ce n’était pas le cas, parce que je ne r p Marković, puis du policier Guy Simoné, qui avait confondais pas les genres. Edgar Faure m’a apporté par meye fourni l’arme du crime de Jean de Broglie, puis de exemple deux ou trois dossiers de grandes sociétés. ud Roger Delpey, l’informateur du Canard dans l’affaire à cette époque-là, vous informiez Le Canard

© arna © Bokassa. D’une certaine manière, vous vous êtes enchaîné ?

45 46 Charles Charles Justice et politique r oland dumas « Lors du procès de Klaus Barbie, j’ai pris Klarsfeld à part et lui ai dit : “Écoute, c’est stupide la façon dont Quand j’avais les bons tuyaux, je leur en faisais profiter. des prisonniers, fusillés, etc. me désigne. J’ai repris ma le procès s’engage. Vous allez diviser les avocats juifs Quel genre de bons tuyaux ? robe pour venir défendre madame Lefèvre, dont le mari (Silence) Mais enfin pour finir sur ce sujet, le jour où j’ai avait été torturé et déporté par Barbie. Madame Lefèvre des avocats non-juifs. Ce n’est pas ça la Résistance, été nommé ministre, Mitterrand m’a dit : « Vous n’avez était une belle femme aux cheveux blonds. On prétend la Résistance ça a été au contraire, plus à faire vos preuves au Palais, c’est fait. » Alors ils maintenant que Barbie l’aurait épargnée parce qu’il était tout le monde.” On a sauvé le procès. » avaient fait un petit encadré en bas à droite de la page de un peu amoureux d’elle. Mais son mari a été déporté, Une, avec un petit canard qui s’en va comme ça, un code et son fils a été fusillé. Et donc ce qui était intéressant, civil sous le bras, et qui dit : « Et moi, qu’est-ce que je vais c’était le procès lui-même, parce que c’est une histoire devenir ? » Le titre, c’était « Dumas ministre ». C’était très incroyable, d’abord la façon dont Barbie avait été arrêté sympa. et transféré en France. Donc ça a été la première partie de cette connerie. Vous n’allez pas faire ce procès comme ça. Ce Ça a tiraillé. On ne se ménageait pas dans l’audience Et Mitterrand, il communiquait avec Le Canard la plaidoirie de Vergès. Ensuite Vergès a trouvé le moyen procès, c’est un procès de la Résistance contre l’hitlérisme. » publique. Vergès pensait qu’il allait tirer son client enchaîné ? de dire : « Mais qu’est-ce que vous lui reprochez ? C’était la On a sauvé le procès. Parce que sinon cela aurait été très d’affaire… Ce qui a été le fait saillant du procès c’est que Mitterrand ne les aimait pas. Il n’épargnait personne. guerre, et nous, nous avons fait pire en Algérie, et dans les néfaste sur le plan politique parce qu’on aurait dit : « Ils les gens sont venus expliquer les tortures, en présence En 81, donc, on vous attend garde des Sceaux. colonies. » Donc il avait constitué un collège d’avocats, n’arrivent pas à s’entendre ». Et donc le procès s’est bien de Barbie. C’était un procès affreux. Et puis surtout, Cela a été la grande querelle avec Badinter. Bon, c’est avec deux bras cassés : un Algérien et un Africain, qui terminé, aussi parce que Vergès a bien plaidé, intelligem- l’affaire des enfants d’Izieu que j’ai plaidée. Il y avait une vrai que ça lui revenait objectivement. Moi-même, sont venus dire quelques mots, comme ça, mais le gros ment, il s’était arrangé pour que son client ne vienne pas maison de vacances en pleine montagne, à quarante j’avais dit à Mitterrand : « C’est un bon choix, Badinter. » morceau, c’était Vergès. Alors ça a dégénéré assez vite, à l’audience, pour qu’on ne lui pose pas de questions… ou cinquante kilomètres de Lyon, ils étaient là, cachés, Il n’aspirait qu’à ça Badinter, depuis toujours… Et puis, parce que tout le palais de Lyon était mobilisé, on avait Moi, il m’a pris à partie, il m’en a voulu que je ne partage tranquilles, depuis quelque temps. Et les parents étaient Mitterrand avait un pacte avec Badinter sur la peine de fait ouvrir une salle spéciale. Et est apparu un clivage pas la même thèse que lui. Tout en nuançant. dispersés dans la nature, les gosses étaient gardés. Il mort. Ce qui était évidemment déséquilibré, c’est que extraordinaire à ce moment-là, car tous les avocats juifs Pris à partie dans les coulisses ? y avait des femmes admirables. Et bon, un jour, Barbie moi je n’avais rien. Je suis resté tranquille deux ans, j’ai – je vais encore me faire traiter d’antisémite, mais enfin Oui, c’est ça. C’est ce qu’il me disait : « T’es un salaud, etc. » a reçu une lettre de dénonciation, il est arrivé avec ses fait mon travail de député, et mon métier d’avocat. Puis peu importe –, tous les avocats juifs de Lyon avaient Il me reprochait de ne pas avoir la même position que lui. sbires, et les a ramassés. Il les a tous raflés, les a mis dans un beau jour, au cours d’un voyage en Yougoslavie, il a constitué un groupe, qui a voulu accaparer le procès, en « C’est-à-dire tu as été un avocat anticolonialiste, on a plaidé le train. On les a emmenés à Auschwitz, ils ont tous été demandé de prendre un petit déjeuner avec moi. « Je vais nous éliminant. Moi, j’avais constitué un petit consor- ensemble pour les Algériens, pour des Africains. » Je disais : brûlés. vous faire entrer dans le gouvernement. » J’ai été ministre tium d’avocats français, avec mon collaborateur. « Ce n’est pas le même problème. » On s’est un peu fâchés à Et est-ce qu’à un moment, vous avez dit à Jacques des Affaires étrangères pendant dix ans. Il y avait Gilbert Collard aussi ? ce moment-là. Après, il a fait un article un peu venimeux. Vergès : « Comment tu peux défendre Klaus Barbie ? » Votre nomination aux Affaires étrangères était le Collard est venu. Comme toujours, il s’est glissé là-dedans. Voilà, le procès d’un point de vue politique ou philoso- Non même pas. Mais il avait quand même des arguments fruit d’une discussion commune ? Mais la tentation du barreau lyonnais, c’était de dire : ce phique, c’était un peu ça, mais ça n’a pas débouché sur pour lui. Je ne dis pas sur le fond. Mais il disait : « Moi Je pense que ce qui a impressionné Mitterrand, c’est le procès, c’est essentiellement le procès des juifs, de la la grande place publique, qui s’en est tenue aux aspects j’étais chez de Gaulle. » Il s’est engagé à l’âge de 18 ans. fait que je parle un grand nombre de langues étrangères. Shoah. Donc on n’a pas besoin de vous. C’était un peu ça superficiels. Il était dans la Marine. Il ne s’en vantait pas tellement. Et lui, il avait un mal fou à parler anglais. Et en même l’atmosphère. Mais ces divisions, comme vous le disiez, entre Mais quand on l’attaquait, il disait ça. Et en plus, il avait temps, le fait que j’aie des relations avec les résistants Et qui disait cela? les « avocats juifs », et les autres, c’est quelque chose une lettre personnelle de De Gaulle, datée de 45 ou 46, grecs, avec les Espagnols. Tout ce qui bougeait un peu C’était Alain Jakubowicz qui était un peu le chef de file de qui était, comment dire… « presque officiel » ? « adressée à Vergès, mon compagnon ». Ça avait de la dans le monde, quoi. Il m’avait dit aussi : « Vous avez très tous les avocats. C’était évident, oui c’est connu. Vous pouvez interroger gueule quand même, ça le rendait invulnérable. bien réussi comme avocat, prenez chacun de nos dossiers Serge Klarsfeld aussi ? Klarsfeld. Appelez-le, dites-lui : « C’est Roland Dumas qui J’ai lu dans votre livre, Dans l’œil du Minotaure, que comme un dossier d’avocat. » Ah non, non. Justement pas Klarsfeld. Je vais vous m’a dit que... » Je serais surpris qu’il dise le contraire. C’est ce qui vous différenciait de Jacques Vergès, c’est que En 1987, vous réenfilez votre robe pour le procès dire pourquoi. C’est lui qui avait découvert l’affaire des comme ça que ça s’est passé. Il y avait une belle unité vous ne pouviez pas vous attaquer au sacré. Qu’est-ce Barbie, « le boucher de Lyon ». Qui est venu vous enfants d’Izieu. Et j’ai pris Klarsfeld à part, je lui ai dit : de la défense face à Barbie, qui il faut le dire n’avait pas que vous vouliez dire ? chercher ? « Écoute, c’est stupide la façon dont le procès s’engage. Vous grand-chose pour lui. Et donc voilà la philosophie un Je voulais dire que… C’est encore plus vrai aujourd’hui que J’étais l’avocat déjà depuis très longtemps des orga- allez diviser les avocats juifs des avocats non-juifs. Ce n’est peu de l’histoire, qui a évité cette césure, qui à mon avis ça ne l’était à l’époque, parce qu’à l’époque tout le monde nisations de Résistance, un peu communisantes. J’avais pas ça la Résistance, la Résistance ça a été au contraire, aurait défrayé la chronique à l’époque. était d’accord, sauf les collaborateurs… Mais aujourd’hui, plaidé beaucoup en province, contre Isorni, qui plaidait tout le monde. » Et Klarsfeld très intelligemment a réuni Comment s’est déroulé le procès avec Jacques vous remarquerez que dans la vie politique française, il toujours pour les vieux collaborateurs. L’association tous les avocats juifs, et leur a dit : « Vous n’allez pas faire Vergès ? y a une zone sacrée. Faut pas toucher à tout ce qui

47 48 Charles Charles Justice et politique r oland dumas

« Je n’attaquerai jamais quelqu’un, ou je ne plaiderai jamais pour quelqu’un qui vante les fours crématoires, ou qui vante la déportation. C’est ça le sacré. »

concerne l’existence juive. de plusieurs heures. Alors je l’appelle, je lui dis : « Est-ce L’existence juive ? que tu connais Kadhafi ? » « Non, je ne connais pas. » « Est-ce La réalité juive, c’est-à-dire le comportement des juifs, que tu veux le connaître ? » « Oui ! » « Et ben viens avec moi. » leur malheur, et pas dire un mot… C’est un peu ce qui Je l’ai emmené, j’ai prévenu Kadhafi. « Pas de problème, m’arrive aujourd’hui (Roland Dumas fait référence à qu’il vienne. » Lors du dernier voyage chez Kadhafi, on a la polémique qui a suivi l’échange avec Jean-Jacques visité l’hôpital, Kadhafi avait donné des ordres pour qu’on Bourdin sur BFM TV en février 2015, au cours duquel nous emmène à la salle des grands blessés, les types qui le journaliste lui a demandé si Manuel Valls était « sous avaient été bombardés par l’Otan. « Allez-y, promenez- influence juive ». L’ancien ministre des Affaires étran- vous partout », nous avait dit Kadhafi. Et donc Vergès est gères avait répondu « Probablement. » − NDLR). Il ne faut venu avec moi, et c’est là où j’ai découvert l’âme profonde même pas prononcer le nom. C’est le sacré. de Vergès. On s’est promenés, on nous a amenés dans la Et donc vous, à l’époque, vous ne pouviez pas vous salle des grands blessés, il y avait le médecin chef qui attaquer au sacré… était là. Il nous demande : « Vous voulez voir le travail des Oui, c’était une partie d’entre nous qui était sacrée. Américains ? » Un type de 22 ans, je me souviens, tout Aujourd’hui, encore. Je n’attaquerai jamais quelqu’un, jeune. Le médecin attrape le drap, il ouvre, le type a deux ou je ne plaiderai jamais pour quelqu’un qui vante les jambes coupées, plus de jambes, coupées au ras du tronc. fours crématoires, ou qui vante la déportation. C’est ça le J’ai regardé Vergès, il s’est mis à pleurer. C’est la première sacré. Alors, à partir de là, il y a tout un environnement fois que j’ai vu Jacques pleurer, et ça, ça m’a réconcilié du sacré. Je ne vais pas aller plus loin. avec lui. C’est quand même l’être humain qui parlait. Et Et quelques années plus tard, vous retrouvez donc il s’est mis à pleurer, c’est moi qui l’ai consolé. Je lui Jacques Vergès. ai dit : « Écoute, tu as fait la guerre, comme moi, moi je ne On s’est retrouvés un peu par hasard, le hasard du pleure pas. Reprends-toi. » Mais il a fondu en larmes quand destin. Je reçois un coup de fil de Jacques, quand j’ai il a vu ça. Incroyable. eu les premiers ennuis (lors de l’affaire Elf – NDLR). Il Et dans votre carrière, vous allez me dire si je m’appelle : « Tu sais, je suis avec toi. » Très bien, je dis : « Je dis vrai ou pas, mais vous avez défendu des causes : te remercie, etc. » Je croyais qu’il voulait entrer dans ma l’Algérie indépendante avec les porteurs de valises, la défense, mais ce n’était pas ça. C’était par amitié. Alors liberté de la presse avec Le Canard enchaîné, l’antisé- es

« on se reverra ». Et puis un jour, je reçois à deux heures du mitisme avec le procès Barbie, et puis, là avec Gbagbo, harl c matin un appel de Laurent Gbagbo qui me demande de avec Kadhafi, vous défendez aussi des hommes qui r venir le voir. Je fais un voyage, et avant de partir, j’appelle ont commis des crimes. Vous le faites parce que tout ou r p Vergès et je lui dis : « Ça t’amuserait de défendre Gbagbo le monde a le droit à une défense ? meye avec moi ? » « Formidable ! » Alors on se voit, on a déjeuné, Oui. Mais c’est pas parce qu’on défend quelqu’un qu’on ud et voilà. Alors après, tout s’est enchaîné pour Kadhafi, épouse ses thèses. Et qu’en lui touchant la main, on est

j’allais voir Kadhafi. Ça m’emmerdait, c’était des voyages pestiféré. arna ©

49 50 Charles Charles Justice et politique r oland dumas « Ces interviews à la télévision, ça va très vite. Vous réfléchissez, mais enfin vous n’avez pas Je suis d’accord, mais est-ce qu’il n’y a pas une Certes, mais ce sont des gens qui ont, que ce soit le temps de polir vos phrases. Ce n’est pas comme évolution dans votre carrière où jusqu’alors vous ne Kadhafi ou Gbagbo, commis des crimes contre… quand vous faites un article, vous vous arrêtez, défendiez que des gens dont... … et Ouattara, il n’en a pas commis ? … vous voulez dire qu’ils étaient plus fréquentables que Si, si, bien sûr que si. Je caricature un peu mais vous allez pisser, vous revenez, et vous tournez la page. » les derniers ? jusqu’alors vous étiez plutôt du côté de la veuve et Disons que oui, j’avais l’impression que l’orphelin, et après... jusqu’alors, vous étiez toujours dans le camp qui vous … je l’ai été tout à fait au début. Après, c’est vrai, j’ai pris convenait le plus d’un point de vue éthique. des positions politiques. J’ai choisi les causes qui valaient la peine. Sans me renier Après, vous êtes allé vers des gens, comme vous Mais dans votre bouche, à chaque fois que je vous rence à Genève, il m’a dit dans l’avion : « J’ai pensé à vous moi. Sans aller jusqu’aux excès, parce qu’il y avait des disiez, « moins fréquentables »… ai entendu parler de cette histoire, c’était dans le pour Matignon. » Et c’est là que je lui ai répondu, que je excès, avec Vergès qui épousait les « théories » des gens Mais qui est vraiment fréquentable dans ce monde ? sens de « pro-israélienne » (La veille, Roland Dumas n’avais pas très envie d’aller à Matignon, que j’étais qu’ils défendaient. J’ai considéré que tous les gens à un Vous croyez qu’il y a beaucoup de chefs d’État qui étaient m’avait fait part de menaces de mort qu’il avait fatigué, avant d’ajouter : « D’abord je vous remercie, per- moment avaient le droit d’être défendus, qu’il y avait des fréquentables ? Quand on regarde un peu tout ça en reçues : « Ils sont fous ces mecs. Parce qu’on ose dire : mettez-moi de vous dire quelque chose, je pense vraiment causes valables, qu’il y avait des choses qui devaient être Amérique latine, Afrique, en Extrême-Orient. “Il est marié avec une israélienne militante et elle a une que c’est le tour de Bérégovoy. » « Ah oui, pourquoi ? » dites, notamment lors du procès Gbabgo, où il fallait dire Hier (l’entretien a donné lieu à quatre rendez-vous influence.” Alors si on n’a même plus le droit de dire ça… » « Bérégovoy a souffert que Matignon lui passe sous le nez, que l’armée française a ouvert les portes aux gardes de – NDLR), on parlait de l’interview que Manuel Valls − NDLR) déjà, et il a ressenti une certaine hostilité à l’égard de celle Ouattara. avait donnée à la radio strasbourgeoise Judaïca en Oui. Ces interviews à la télévision, ça va très vite. Vous (Édith Cresson – NDLR) qui avait pris sa place. » Et c’est J’ai vu une interview dans « Apostrophes », datée 2011. J’ai écouté cet entretien où il disait : « Oui, je suis réfléchissez, mais enfin vous n’avez pas le temps de polir après qu’il a fait le déjeuner dans le jardin de l’Élysée. Il de 77, où vous disiez : « Oui, moi je ne pourrais jamais lié de manière éternelle à la communauté juive et à Israël vos phrases. Ce n’est pas comme quand vous faites un y avait Lang, Mermaz, d’autres vieux… Il faisait un beau défendre Jean-Marie Le Pen. » quand même. » Et j’ai vu dans la suite de la vidéo qu’il article, vous vous arrêtez, vous allez pisser, vous revenez, soleil, au mois de juin. Il a dit : « Voilà, il faut qu’on pense ça, c’était à l’époque, mais je crois que je le redirais. Tout vous traitait de « sale bonhomme », en insistant sur le et vous tournez la page. à ma succession ». C’est là qu’il a dit : « Celui que je vois le ce qui touche à la guerre, l’Occupation, les massacres, fait que vous aviez un discours négatif par rapport Et aujourd’hui sur les réseaux sociaux, il y a cette mieux parmi vous tous, c’est Roland. » Et la vacherie tout la mort de mon père dans cet ensemble, je ne peux pas à Israël, et aussi en évoquant vos liens avec Jacques photo de vous avec Dieudonné qui circule. Est-ce de suite après : « Le problème c’est qu’il a dix ans de trop. » trahir ça. Par exemple, je ne pourrais pas plaider pour Vergès. Et aujourd’hui, il vous accuse d’antisémi- que vous pensez que Dieudonné est allé trop loin (Rires.) Alors ça a permis aux autres d’avoir de l’espoir. Faurisson. Ce que j’ai refusé de faire. Parce que bon, je tisme, comment vivez-vous ces accusations ? dans la provocation quand il a dit : « Je me sens Charlie Mais dans l’avion lorsqu’il vous en parle, vous ne trouve qu’il déraillait complètement, je pense qu’effec- Je ne veux pas en parler. Je trouve ça minable de la part de Coulibaly » ? rebondissez pas ? tivement, il y avait des camps d’extermination, toute la quelqu’un qui est Premier ministre. Mais enfin sa phrase, J’ai vu, je suis allé une fois à son spectacle, je lui ai pro- Dans l’avion, c’était pour la succession de madame démonstration qu’ils veulent faire, qu’ils la fassent, mais à Strasbourg, elle existe. C’est la confirmation de ce que bablement dit bonjour, j’en sais rien. Alors ils se servent Cresson. Et donc il voulait que je prenne Matignon, mais ce n’est pas mon sujet. Si vous voulez, la guerre à laquelle j’ai dit à demi-mot. de ça. Je ne suis pas son avocat, je ne m’occupe pas de je n’étais pas en forme. j’ai participé… de loin, par rapport à mon père (Georges J’ai l’impression que dans cette histoire, il y a un ça. Il dit ce qu’il veut, tant qu’on n’a pas encore disposé Vous n’étiez pas en forme, c’est-à-dire ? Dumas était membre de l’Armée secrète et chef régional malentendu sur la sémantique, parce que dans l’in- tout un ensemble de lois qui l’interdise. Il fait ce qu’il J’avais dix ans de Quai d’Orsay, j’étais fatigué. Donc j’ai du Noyautage des administrations publiques – NDLR), terview, ce n’est pas vous qui avez dit les mots qui veut. Je ne critique rien, je n’approuve rien, je laisse faire. laissé passer mon tour, vous savez, j’aurais été content c’est rien. J’ai vu mon père pleurer, le jour de la Seconde font la polémique, c’est Bourdin, lorsqu’il parle « d’in- (Silence). d’être Premier ministre, mais je ne me suis jamais attaché Guerre mondiale, en disant : « Il a fallu que je vois deux fluence juive ». Vous vouliez peut-être plutôt dire une En 1993, j’ai lu que Mitterrand vous aurait proposé à ça comme d’autres. Mitterrand par exemple, il avait une guerres dans ma vie. » C’est quand même incroyable. Et « influence pro-israélienne » ? de devenir Premier ministre. ténacité de fer, il s’est battu, d’abord contre le général de bien tout ça, c’est sacré. Je ne veux pas y toucher, c’est Je me rappelle, quand j’ai entendu cette phrase, je me suis Oh oui, ça c’est connu. Il avait fait une réunion dans le Gaulle, ensuite contre Pompidou, etc. Il voulait être chef tout. Que d’autres le fassent. Mais la prise de position dit : « Ça c’est un piège. » Et je lui ai dit : « On peut dire les petit jardin de l’Élysée, où nous étions huit-dix. Tous les de l’État, mais en même temps, il a écrit dans un livre un pour Kadhafi en 1980 ou 90, ça n’a rien à voir avec la choses comme ça. » Ce qui voulait dire que je lui renvoyais prétentieux étaient là. jour : « Vaincu ou vainqueur, dans ce métier, on est toujours guerre de 14-18, ni celle de 39-45. La position politique la balle. « On peut dire les choses comme ça. » C’était une Pourquoi avez-vous refusé ? seul. » Donc c’est un combat solitaire qu’il menait. Moi je pour Gbagbo, qui était quand même membre de l’Interna- façon, un réflexe, ça va vite ça. C’était une façon de dire : Je n’ai pas refusé, la question ne se posait pas. Il a dit : n’ai pas eu ce combat solitaire. tionale socialiste, ça n’a rien à voir non plus avec tous ces « C’est vous qui le dites. » (Roland Dumas a véritablement « Il faut penser à ma succession. » C’était lui qui dirigeait Vous avez été l’avocat d’artistes comme Picasso, événements. Donc je suis moi, dans mon siècle. dit à Jean-Jacques Bourdin sur BFM : « Probablement, je la conversation. Il ne m’a pas dit : « Je vous nomme Premier Giacometti, vous avez côtoyé Jean-Paul Sartre... peux le penser. Tout le monde a un peu d’influence. » – NDLR) ministre. » Mais avant, alors que nous allions à une confé- Lacan…

51 52 Charles Charles Justice et politique r oland dumas « Tous ces grands hommes, quand ils sont en face de la machine de la justice, ils deviennent comme tous les autres. »

Et de politiques : Mitterrand… Pour l’affaire Jean-Edern Hallier (L’écrivain a écrit J’étais l’avocat de Mendès d’abord, j’étais l’avocat de Mit- au début des années 80 un pamphlet dans lequel il terrand. De bien d’autres : Bérégovoy, etc. révélait notamment l’existence de Mazarine, la fille J’ai une question peut-être un peu naïve, mais cachée de François Mitterrand – NDLR) est-ce qu’il y a quelque chose qui rapproche tous ces Notamment pour l’affaire Jean-Edern Hallier. grands hommes ? Vous avez déjà raconté dans Politiquement incorrect Tous ces grands hommes, quand ils sont en face de comment vous aviez récupéré le manuscrit de Jean- la machine de la justice, ils deviennent comme tous Edern Hallier (via l’avocat d’Hallier, Jean-Marc les autres. Il y a ceux qui connaissent les rouages et Vauraut, qui était l’ancien associé de Dumas dans les magistrats comme Mitterrand. Et un type comme les années 70. Condamné à de la prison ferme pour Bérégovoy, qui était d’une naïveté totale. J’étais à côté de fraude fiscale, il a consenti à échanger le manuscrit lui au Conseil des ministres. On écoutait les communica- contre la promesse d’une grâce présidentielle. – tions, mais on se parlait surtout : « Comment se fait-il ? Qui NDLR), mais ce que je n’ai pas très bien compris, c’est connaît ? Qui est avocat ? Qu’est-ce qui se passe ? Comment comment vous avez récupéré et confisqué le stock de un juge d’instruction peut-il donner les papiers du dossier à livres chez l’imprimeur. des journalistes ? » « Tu es naïf, tu es la naïveté incarnée. » Ça, ça reste encore secret, parce qu’il y a des gens qui Ils redeviennent pékin, comme un commerçant qui se sont toujours vivants. C’était une opération commando, fait prendre dans une affaire sans facture. nous dirons (Silence). Mitterrand était moins naïf quand même ? En 1995, François Mitterrand vous nomme Mitterrand était plus malin. Il voyait bien les magistrats président du Conseil constitutionnel. Comment comme ils étaient. Un qui les connaissait bien, c’était avez-vous pris cette décision de valider les comptes Badinter. Il connaissait bien les magistrats, Badinter. de campagne de Jacques Chirac et d’Édouard Et justement avec Badinter, je crois que c’était Balladur ? Pelat qui a dit un jour : « Mitterrand a deux avocats. Ça, on ne peut pas le dire tout de suite, parce qu’on a prêté Badinter pour le droit et Dumas pour le tordu. » serment de ne rien dire, rien divulguer des discussions, Non, ce n’était pas Pelat, je n’ai jamais su l’origine, mais des opinions des uns, des autres, et des votes. Alors bon, c’était un mot très drôle. Pas tout à fait exact, parce que j’ai dit ce qu’il était possible de dire pour démentir des j’ai fait du droit, et Badinter était capable aussi de faire choses, mais pour le moment je ne veux pas en rajouter. du tordu. Mais peu importe, c’est un bon mot, du droit et Surtout que les archives vont être ouvertes dans cinq du tordu, formidable ! ans.

es Et comment Mitterrand répartissait ? À la même époque, avec l’affaire Elf, c’est vous qui

harl Ah non, on était quand même chacun sur son quant-à- passez de l’autre côté de la barre. c

r soi. Quand il y a eu toute la campagne sur Mitterrand, Alors là, je suis pour mon compte. ou et surtout la fille naturelle de Mitterrand. Badinter était Vous avez donc eu cette phrase devant le tribunal r p garde des Sceaux, donc il ne pouvait pas intervenir. qui est restée : « Quand tout cela sera terminé, je vais meye C’est moi qui suis intervenu pour Mitterrand, mais on se m’occuper de certains juges. » ud voyait, je voyais le garde des Sceaux. J’emmerdais tout Oui, c’était insensé. J’avais même été plus méchant que

© arna © le monde. ça, j’avais dit… Mais enfin je ne vais pas le redire,

53 54 Charles Charles Justice et politique r oland dumas « On n’arrivera jamais, je pense, à trouver un équilibre tel que la justice soit complètement bon, un passage comme ça, c’est le calvaire. extraite des contingences politico-médiatiques. Dans votre livre Coups et blessures, Mais on porte tout ça sur notre dos vous disiez : « Mis en examen en juin 1997, je suis abasourdi, ne crois plus en la justice comme l’escargot avec sa coque, depuis des siècles. de mon pays. Les grands principes du droit La justice retenue des rois de France, demeurent dans le marbre de la loi, mais dès qu’une affaire touche à la politique, c’était l’origine de tout ça. » met quelqu’un en vue, la sérénité, et la vérité laissent place au fantasme, voire au mensonge, je ne crois plus désormais qu’à la justice du ciel. » Ce qui était pour moi une façon d’aborder le vous demander un rendez-vous. » « Pourquoi ? » « Je voudrais Moi, j’ai assisté à toutes les réformes. J’en ai même voté ciel. (Rires.) faire de la politique. » Je dis : « Vous en faites, là, vous faites pas mal depuis 1956. On fait des petites réformes. On Est-ce que vous avez changé d’idée ou des communiqués. » Et il dit : « Oui, mais je veux être dans touche au pouvoir du procureur, du ministre de la Justice, pas ? la politique active. » Et on a commencé à faire le tour du juge d’instruction, mais on ne fait pas la grande Non, c’est pareil. Je suis aujourd’hui hors du des possibilités. Il m’a dit qu’il avait quelques relations réforme qui ferait basculer la justice dans un autre champ des batailles d’investigation, mais je en Corrèze. J’ai dit : « Ça tombe bien, moi je suis député de monde, dans ce qu’elle devrait être quoi : pas d’interven- présume que c’est pareil. Regardez un peu Brive. Et à Tulle, la place vient d’être libérée par la mort du tion, des gens totalement indépendants. En fait, on vit vous-même, faites-vous une idée. On n’arri- maire de Tulle. Alors venez et puis je vous présente. » Alors sur le système pas féodal, mais royal de la justice retenue, vera jamais, je pense, à trouver un équilibre je l’ai amené. J’ai dit : « Je vous ferai une édition spéciale où tout le pouvoir était entre les mains du roi. Alors bon, tel que la justice soit complètement extraite de mon journal », qui était Le Journal de Brive, un vieux petit à petit, avec le temps, la lutte des droits de l’homme des contingences politico-médiatiques. journal, racheté par un vieux libertaire de la guerre de 39. etc., ça s’est grignoté, et ça a mené au spectacle auquel Mais on porte tout ça sur notre dos comme Et bon, on a fait un tirage. Et puis, il s’est implanté, j’ai on assiste aujourd’hui. Mais vous avez des pays dans l’escargot avec sa coque, depuis des siècles. assisté à tout parce que les villes sont voisines de 35 kilo- lesquels il n’y a pas de ministre de la Justice. En France, La justice retenue des rois de France, c’était mètres. J’ai vu comment il a progressé, comment il conci- vous en avez un et c’est un des postes les plus désirés, les l’origine de tout ça. liait, il se débrouillait pas mal ce type. Puis finalement, plus contrôlés du gouvernement. C’est pour ça que vous aviez parlé après, j’ai vu qu’il mettait dans sa poche Chirac, c’est un Est-ce qu’il y a un ministre de la Justice dont vous aussi d’acharnement judiciaire contre miracle ! J’ai du reste un petit livre qu’il a écrit, dédicacé avez approuvé l’action ? Nicolas Sarkozy ? par lui : « À Roland Dumas, qui a guidé mes premiers pas Badinter, parce qu’il a fait une grande réforme fonda- C’est vrai qu’il y a eu un acharnement contre dans la Corrèze. » Très sympathique. mentale : la peine de mort. Mais c’est plus une réforme Sarkozy. Je ne sais pas si c’était l’œuvre des Vous sentiez qu’il avait un potentiel pour devenir sociale, philosophique, qu’une réforme de la justice. Tout magistrats eux-mêmes, si c’était les fautes président à l’époque ? ça, c’est sous contrôle. C’est mal organisé. Mais en même de Sarkozy, si c’était le pouvoir politique. Non. Mais si vous voulez, ça, ça se découvre avec le temps, vous avouerez, que pour y toucher, c’est comme Mais bon en tout cas, c’est évident. temps. Beaucoup de gens ne croyaient pas du tout que vouloir bouger le Mont Saint-Michel. Pourtant, il faudrait Et pour Dominique Strauss-Kahn ? Mitterrand serait président de la République. Ils étaient bouger le Mont Saint-Michel, le mettre plus au sud, là il y parce qu’on va encore nous poursuivre tous les deux. Je ne parle pas de Strauss-Kahn, c’est un épisode. es nombreux. Moi j’étais un des rares qui pensait qu’il le a plus de soleil. Mais ce n’est pas facile. —

Comment avez-vous vécu cette période-là où l’on Oui, mais il y a le procès du Carlton, aussi… harl serait. c parlait de vous tous les jours dans les journaux ? Ah oui, c’est un sacré gaillard ! r Vous disiez tout à l’heure qu’il était difficile On est au fond du trou, on est tout seul, on a beau avoir Puis en 2012, votre ancien directeur de cabinet, ou d’arriver à une indépendance de la justice, étant r p des amis, on ne dort pas la nuit, je me promenais dans François Hollande, est élu président. donné les contingences politiques. Est-ce que vous meye l’appartement, je partais en voiture pour Limoges, je Oui, j’avais gardé le directeur de cabinet de Max Gallo avez une idée de ce qu’il faudrait faire pour que la ud commençais à broyer du noir. J’allais sur la tombe de mes auquel je succédais aux relations avec le Parlement. Un justice soit davantage indépendante du pouvoir

parents, c’est vrai que j’ai pensé un peu au suicide. Mais jour, Hollande m’a dit : « Monsieur le ministre, je voudrais arna © politique ?

55 56 Charles Charles justice et politique Récits NI JUGE NI FLIC

a interrogé six journalistes d’investigation. Ils ne sont pasCharles tous de la même génération. Ils ne tiennent pas tous le même discours. Ils sont parfois ennemis après avoir été amis. Quelques lignes signées de leur main, et nous voilà plongés dans les secrets de la République, de Bygmalion à Bettencourt, de Karachi à Cahuzac. Le journaliste d’investigation, nous répètent-ils souvent, n’est ni juge ni flic. Mais c’est bien là le seul point sur lequel ils s’accordent entre eux.

par Laura Pouget portraits Patrice Normand 1 Dat ve -Lhomme st- ar tandem

1989. Gérard et Fabrice, deux petits nouveaux, même pas 25 ans, se reniflent dans les couloirs du Parisien. Le rock, les filles et le foot, trois passions communes, achèvent de les rapprocher. Puis c’est une piste soufflée par le père de Gérard qui les met sur le chemin de leur premier scoop, un détournement de fonds à la mairie du xième arrondissement de Paris. En une semaine de porte-à-porte, le duo est né. Les années passent, Gérard quitte Le Parisien pour s’installer au Monde, tandis que Fabrice, l’indépendant du couple, trimballe son calepin de rédaction en rédaction, jusqu’à Mediapart, où il sort en 2010 la déflagration Bettencourt. C’en est trop pour Gérard, jaloux, qui convainc son ami de le rejoindre à la tête de la cellule investigation du quotidien du soir. Quatre ans plus tard, ils ont cosigné quatre livres d’enquête, dont la promo du dernier, Sarko s’est tuer fut largement assurée par la révélation d’un certain déjeuner Fillon-Jouyet. Aujourd’hui aussi médiatisé que caricaturé, le tandem a atteint les rêves de ses 25 ans, mais expé- rimente à présent les désavantages de la vie de vedette.

57 58 Charles Charles Justice et politique Gérard davet et fabrice lhomme « J’ai des informateurs dans le milieu judiciaire. Je dois reconnaître qu’il m’arrive de faire avec eux échange de bons procédés, leurs infos contre les miennes. Mais c’est donnant-donnant. » Fabrice Lhomme

Fabrice Lhomme : nous était parvenue, dans laquelle Jean-Claude Méry, « Ce qui me plaît avant tout dans le métier ? L’excitation homme d’affaires et ancien membre du comité central qui va avec. Je l’ai sentie dès la première enquête, quand du RPR, se confessait sur les financements douteux du Gérard est venu me voir avec cette histoire de finance- parti de Jacques Chirac. « Monsieur Lhomme, il nous faut la ment illicite à la mairie du xième. Mettre des personnalités cassette. » J’ai dit non. Je ne suis pas auxiliaire de justice. en cause m’émoustillait. Étudiant, je rêvais de partir en Après, je dois reconnaître que la frontière est mince, car reportage dans les pays interdits, Corée du Nord, Iran, j’ai des informateurs dans le milieu judiciaire. Et qu’il et à l’époque, le bloc de l’Est. J’avais élaboré une liste de m’arrive de faire avec eux échange de bons procédés, sujets potentiels, genre « la jeunesse dévoyée iranienne ». leurs infos contre les miennes. Mais c’est donnant-don- Aller voir derrière… Cela m’a toujours plu. Mais si je me nant. penche bien sur la question, l’excitation ne fait pas tout. Je ne suis pas un écervelé. En bousculant les agendas, L’autre jour, j’ai passé mon après-midi à la BRDP (Brigade j’ai conscience de concourir à la salubrité publique. La de répression de la délinquance aux personnes – NDLR). preuve, je me suis ennuyé à L’Équipe magazine, où je Je me suis entretenu avec un flic du suivi de la plainte sortais pourtant des scoops. Mais qu’est-ce qu’un sportif pour espionnage que nous avions déposée quelque temps dopé face à un ancien président mis en examen ? Le auparavant, quand le journal Valeurs actuelles avait pouvoir est ce qui doit être contrôlé en priorité, et ce publié le détail de nos rendez-vous. Puis un autre flic est rôle social compte aussi pour moi. Beaucoup plus que venu frapper à la porte : « Il faut que je vous entende. » En pour Gérard, qui agit presque uniquement par plaisir tant que mis en cause cette fois, car Henri Guaino venait personnel. de porter plainte contre moi pour recel de violation du secret de l’instruction. Poursuivi, je l’ai été des centaines Nous menons deux types d’enquêtes. Les 100 % jour- de fois. Condamné, seulement trois. Ce jour-là, au départ, nalistiques, dont nous sommes entièrement à l’origine, j’étais venu déposer une nouvelle plainte. Pour menaces. sur la base d’informations recueillies auprès de nos Ces derniers temps, elles se sont intensifiées. Chez sources ; et les autres, en parallèle avec la justice et moi, ma femme et ma fille ont trouvé un petit cercueil la police, déjà sur le coup, et qui nous fournissent une au courrier. Chez Gérard, c’est une lettre mentionnant

es partie de notre matière. Parfois, ce sont nos révélations femme et enfants qui est arrivée. Depuis quelques mois, qui conduisent à l’ouverture d’une procédure judiciaire. chacun a son garde du corps. Nos sources le savent, et harl c

r Cela m’est arrivé pour Karachi et Bettencourt, quand je se dérobent. Nous, à qui tout le monde parlait, avons ou

p travaillais à Mediapart en tandem avec Fabrice Arfi. Je maintenant du mal à travailler. On essaye de rassurer d

an n’y avais pas pensé avant, mais ce fut une victoire oui, nos interlocuteurs, on donne rendez-vous dans des m r

o dans le sens où cela actait notre travail. Une seule fois, cafés paumés, on s’y rend sans nos policiers, on utilise n un juge m’a contacté directement pour me demander les dernières cabines téléphoniques qui restent… Mais ice r t

a de collaborer. C’était en 2000, sur l’affaire de la cassette faut-il encore que la personne soit joignable du premier P

© Méry. J’étais au Monde à l’époque. Une vidéo posthume coup…

59 60 Charles Charles Justice et politique Gérard davet et fabrice lhomme

« “Tu m’as trahi. À cause de toi, j’ai perdu mon boulot.” C’est ce Les menaces, je n’y pense pas, le stress surtout, c’est de publié un article sur la base d’un rapport de police qui que m’a dit Christian Flaesch, le patron du quai des Orfèvres, ne plus réussir à bosser. Avec Gérard, nous nous sommes disait que l’enquête initiale avait été bâclée. Le jour où, lancés sur d’autres projets : l’écriture de scénarios, jeune journaliste, j’ai reçu mon premier droit de réponse, quand j’ai révélé qu’il avait téléphoné à Brice Hortefeux pour toujours dans le même univers un peu sombre… Et puis, j’ai cru que j’allais être viré. Maintenant, quand je me lui annoncer qu’il allait être convoqué comme témoin. » ce livre avec François Hollande. Nous avions proposé à retrouve devant la justice, je le vois surtout comme une Gérard Davet Sarko une idée de bouquin aussi. Sur lui et les affaires. perte de temps. Et à la fois, la menace d’être poursuivi, Il n’a pas donné suite. Il nous déteste, je le sais. Et moi, condamné reste toujours un garde-fou. À chaque fois j’y je maintiens que j’arrive à garder mon objectivité. pense. Rejeter une prétendue affaire le concernant, après avoir déterminé qu’elle ne tenait pas la route, cela m’est arrivé. “Tu m’as trahi. À cause de toi, j’ai perdu mon boulot.” C’est procurés mes fadettes (factures téléphoniques détaillées « Je me présente comme quelqu’un qui combat la cor- Il ne faut pas oublier qu’excepté quelques scoops, c’est ça ce que m’a dit Christian Flaesch, le patron du quai des – NDLR). J’ai tout reconstruit derrière, avec de nouveaux ruption avec son calepin et son stylo. Sans pour autant notre métier : une longue série de fausses pistes. » Orfèvres, quand j’ai révélé qu’il avait téléphoné à Brice interlocuteurs, en deux-trois ans. Mais aujourd’hui, j’ai nier mon côté chasseur, je n’ai pas le plaisir du scoop Hortefeux pour lui annoncer qu’il allait être convoqué l’impression que je suis un peu arrivé au bout. Le bouquin pour le scoop. Les affaires nous disent bien plus que les Gérard Davet : comme témoin, dans une enquête autour de Nicolas sur François Hollande, s’il se fait, sera complètement faits eux-mêmes. En soulignant que nos gouvernants ne « Il y a une scène qui m’a marqué. Elle se passe en 1991, Sarkozy. Je l’aimais bien, Christian Flaesch. Mais je place différent. La seule certitude, c’est que si Fabrice et moi sont pas soumis aux mêmes lois que nous, elles créent ce dans la salle de rédaction du Parisien. Fabrice et moi, le journalisme plus haut que mes relations avec les gens. nous séparons, je ne ferai plus d’enquêtes. » que j’appelle de la « fatigue démocratique ». Ça me révolte. pourtant chargés des éditions de banlieue, venons de Même Fabrice, qui est pourtant comme mon frère. Quand D’autant plus que moi, j’ai grandi avec le mot « crise », du faire la Une du journal national avec notre premier il était à Mediapart, en pleine affaire Bettencourt, il avait réveil au coucher. Il n’y a plus d’argent, on n’y arrive pas… scoop. Dans son JT de midi, France 3 fait un sujet avec fait l’interview de Claire Thibout, la comptable, sans l’en- Cette sinistrose a participé de mon hypersensibilité à nos révélations. Grand silence dans la pièce, et puis dès registrer. Le lendemain de la publication, mes sources me la corruption. L’atavisme paternel (policier à la brigade que c’est fini, tonnerre d’applaudissements. Ça m’a plu. disent qu’elle a été réentendue et qu’elle parle à présent financière – NDLR) a aussi joué un rôle. Puis Mediapart, J’avais trouvé mon objectif : être reconnu comme étant le de « romance » sur une partie des propos de l’article (sur le où je documente le sujet depuis sept ans, a fini d’asseoir meilleur. Je l’ai poursuivi dans différents services, le fait financement illicite éventuel de la campagne présiden- mes convictions. divers, l’étranger, avant d’atterrir à l’enquête. Jeune, je tielle d’édouard Balladur – NDLR). J’ai publié l’info, et 2 n’avais aucune conviction politique, et avant d’arriver au j’ai fait mal à Fabrice, parce que du point de vue journa- Fabrice Arfi À mes débuts, j’ai été chroniqueur judiciaire. J’adorais Monde, pas du tout cette idée de lutter contre la corrup- listique, j’estimais qu’il fallait le faire. En même temps, le croisé mon métier, mais j’étais un peu frustré de n’interve- tion. Simplement aujourd’hui, j’ai le pouvoir de dénoncer malgré ça, il m’arrive de me découvrir une forme d’af- nir qu’au moment du procès, le dossier une fois bouclé. la malhonnêteté morale et financière de certains élus. Je fection pour des gens sur qui je sors des trucs. Bernard L’autre nouveau visage du journalisme d’enquête de L’envie de faire mes propres enquêtes, de me construire sais que je rends service, mais surtout je me rends service Tapie, par exemple. Il vient de la banlieue, moi aussi. ces dernières années, c’est lui. Comme ses confrères une autonomie intellectuelle face à la justice, me titillait à moi-même. Ma démarche est d’abord celle d’un égoïste. Il vénère sa femme, il a des valeurs que je respecte. On du Monde, Fabrice Arfi aime la musique. À tel point qu’il déjà. Un policier ou un gendarme, ils se demandent s’ils l’a étrillé, pourtant je pense que demain s’il m’arrivait débuta comme critique de disques dans un journal de ont de quoi condamner ou pas, tandis que nous, nous Il n’y a pas longtemps, un grand quotidien a écrit, citant quelque chose, il enverrait des fleurs. Lyon, sa ville d’origine, avant d’être attrapé par le « sens pouvons révéler des choses qui bien que légales, posent mes propos, que je serais « prêt à aller en prison » pour une des affaires », ainsi qu’il a nommé son dernier livre. problème. Parfois aussi, nous devançons la justice. Il bonne info. C’est faux. N’exagérons pas. Je ne suis pas Les menaces, Fabrice dit qu’il n’y pense pas, mais moi Il forme dans les premières années de Mediapart un arrive alors qu’un juge prenne attache avec nous pour prêt à aller en prison pour une info, ni d’ailleurs à prendre je les ai tout le temps en tête. À chaque lettre, il y a tandem explosif avec Fabrice Lhomme, à l’origine des récupérer des informations qu’il ne possède pas. Notre

n’importe quel risque. Je me méfie de tout, des sources 95 % de chances que ce soit un taré, comme ceux qui es premiers soubresauts Karachi et Bettencourt. En 2011, règle : ne donner que ce qui est déjà connu des lecteurs. comme des PV, qui ne sont pas une religion. Les gens nous écrivent qu’ils se sentent surveillés par les extra- son acolyte tente bien de l’entraîner au Monde, mais lui Sinon, nous devenons informateurs de police. Que la harl c

peuvent mentir n’importe où, et l’affaire Cahuzac n’a fait terrestres, et 5 % que ce soit un vrai dangereux. Nous r préfère rester fidèle à Edwy Plenel et son site. Rupture justice se mette à enquêter sur nos révélations n’est ou

que me le confirmer. Ce qui est bien avec Fabrice, c’est portons plainte à chaque fois, mais sans jamais obtenir p douloureuse, mais peut-être inéluctable entre deux d’ailleurs pas toujours une victoire pour nous. Exemple d

qu’à deux, on s’autocensure. En revanche, une fois mon de réponse. Et pendant ce temps, nos sources s’en vont. an journalistes qui n’emploient pas les mêmes mots pour avec l’affaire Bettentourt. Sarkozy est entendu une m r première fois, et placé sous statut de témoin assisté. papier écrit, je déteste qu’on vienne me le retoucher pour Moi j’ai déjà connu ça au moment de l’affaire Betten- o raconter leur métier. À Mediapart, Fabrice Arfi se veut prendre des précautions, ce que Le Monde me demande court, quand Squarcini (à l’époque, directeur central du n acteur d’une société qu’il aimerait nettoyer de son argent On entend : « Ah, Mediapart ils n’ont rien. » Il est mis en ice r

renseignement intérieur – NDLR) et Courroye (à l’époque, t sale, et à 33 ans, ne désespère pas que sa plume fasse examen, c’est « Ah, Mediapart, ce qu’ils sont bons ». Pour parfois de faire. J’ai deux condamnations définitives, a P pour diffamation, dont l’une dans l’affaire Alègre. J’avais procureur de la République de Nanterre – NDLR) se sont © changer les choses. finir en non-lieu : « Ah, Mediapart ils avaient tort.»

61 62 Charles Charles Justice et politique fabrice arfi

« Parfois aussi, nous devançons la justice. Il arrive alors qu’un juge prenne attache avec nous pour récupérer des informations qu’il ne possède pas. » Fabrice Arfi

Or, il suffit de lire l’ordonnance des juges pour voir qu’en Avec cette affaire, il y a eu des avancées, notamment matière de financement politique, ils avaient bien de la la création de la Haute autorité pour la transparence de matière. la vie publique. Bien, mais insuffisant. La lutte contre la corruption ne coûte pourtant pas cher. Pour la mener Je n’ai jamais été condamné, et je tiens à mon casier à bien il faudrait plus de juges et de douaniers, mais ce judicaire. C’est ce qui fait que ce que je sais n’est pas n’est rien mesuré au pognon que l’on peut récupérer. Elle toujours publiable. Je sors l’information quand j’ai suffi- devrait être un enjeu égal au chômage. Seulement en samment d’éléments pour la soutenir devant un tribunal. France, quand nous mettons ce problème sur la table, Les papiers sensibles sont relus par Edwy, les très chauds on tente de nous le cacher sous le tapis. Je ne comprends comme ceux de l’affaire libyenne (sur un éventuel finan- toujours pas pourquoi. » cement de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy par Mouammar Kadhafi – NDLR) par notre avocat. Il évalue les risques, et retire les insinuations. En revanche avec moi, jamais de conditionnel. Sinon, ce n’est pas la peine que j’écrive. Avec le succès, nous nous savons attendus au tournant. Si j’étais hypocrite, je dirais que si le succès est arrivé justement, c’est parce que nous avons toujours été très vigilants sur nos publications. C’est vrai, mais 3 maintenant on fait encore plus attention. Edwy Plenel Mediapapa À Mediapart, l’affaire Cahuzac aura été comme un accou- chement. Il y a un avant et un après. La lettre d’Edwy Dans sa jeunesse algérienne, Edwy Plenel se voyait au procureur de la République de Paris le 27 décembre bien archéologue. Un jour, sur un chantier de fouilles, 2012 (pour lui demander d’ouvrir une enquête – NDLR) il participa même à la découverte d’un sarcophage. était un geste anormal. Anormal dans une situation qui Devenu journaliste à Paris, ce sont les vicissitudes de l’était encore plus. Alors que nous venions de révéler que la République qu’il ne se lassera pas de déterrer. Après le ministre du Budget était un fraudeur fiscal, il ne se des débuts dans la presse communiste, il entre au Monde

es passait rien sur le plan judiciaire si ce n’est une plainte en 1980. Deux ans plus tard, trois indépendantistes en diffamation déposée contre nous. Face à la communi- irlandais sont jetés en prison, accusés de fomenter des harl c

r cation mise en place par Euro RSCG (les communicants attentats terroristes sur le territoire français. Edwy ou

p de Jérôme Cahuzac – NDLR), nous ne pouvions pas nous Plenel révèle les dessous de l’affaire, montée de toute d

an défendre. C’est pourquoi Edwy a eu ce geste, qui dépasse pièce par la police. Premier fait d’armes. Quand il délaisse m r

o le rôle du journaliste. J’espère que nous ne nous retrouve- le terrain, c’est pour devenir directeur du Monde. Après n rons plus jamais dans une telle situation. Reste que l’on son départ, il fonde en 2008 l’écrin journalistique de ses ice r

t Mediapart a sait que cette lettre a accéléré la décision d’ouvrir une rêves, . Au commencement, il fixe la ligne édi- P

© enquête. Sans elle, cela aurait pu mettre deux ans. toriale : après les affaires d’État qui ont marqué ses

63 64 Charles Charles Justice et politique edwy plenel

« Dans l’affaire Cahuzac, j’ai compris le risque que j’avais pris quand j’ai entendu le procureur de la République dire : “Nous avons considéré que la lettre de M. Plenel était comme un signalement. Et si l’enquête n’avait pas abouti, nous nous serions retournés contre M. Plenel pour dénonciation calomnieuse”. » Edwy Plenel

débuts, il est temps de mettre au jour celles de l’argent. à la police, avant de se rétracter – NDLR) d’aller chez Depuis, le sexagénaire s’emploie à veiller sur les enquêtes le juge, c’est pour le protéger. J’ai peur qu’il lui arrive explosives de ses poulains, et à les protéger des turbu- quelque chose. Il faut qu’à la sortie de mon papier, il soit lences que lui-même a bien connues. en sécurité. Dans l’affaire Cahuzac, si j’écris au procureur de la République pour lui demander d’ouvrir une enquête, « J’ai rencontré le journalisme dans le cadre d’un enga- c’est pour défendre ma rédaction, notamment contre gement politique, et j’en ai fait un engagement démo- la profession. Je lis ici et là : « La justice est saisie. » Mais cratique. Mon éducation, je la dois à Rouge, le journal de c’est faux. Il n’y a qu’une plainte en diffamation, déposée la Ligue communiste révolutionnaire, où j’écrivais dans contre nous par Jérôme Cahuzac. Lors de la commission les années 1970. J’y publiais de petites enquêtes, qui d’enquête parlementaire, j’ai compris le risque que j’avais n’avaient rien de bien spectaculaire, mais j’avais déjà pris. Quand j’ai entendu le procureur de la République le goût de chercher, le désir de trouver. Dans la famille dire : « Nous avons considéré que la lettre de M. Plenel était intellectuelle que je m’étais choisie, le trotskisme, j’ap- comme un signalement. Et si l’enquête n’avait pas abouti, partenais au courant le plus libertaire. Pour avancer, on nous nous serions retournés contre M. Plenel pour dénon- ne craignait pas de critiquer le grand parti. On apprenait ciation calomnieuse. » qu’il fallait avoir le courage de penser contre les siens. Cela rejoint ma conception du journalisme, qui est de Depuis que Mediapart existe, 60 procédures judiciaires porter la responsabilité démocratique, de faire du bien à ont été lancées contre nous. Sur ce total, nous avons été la société. Je ne suis pas favorable au scoop pour le scoop, condamnés trois fois, pour diffamation. Les vrais risques, et je me méfie des journalistes qui se vivent en héros de nous ne les prenons qu’après discussion avec notre leurs propres enquêtes. avocat, Maître Jean-Pierre Mignard. Il faut qu’il soit de plain-pied avec nous. Je le connais depuis 1971 ou 1972. À Mediapart, comme depuis toujours, je défends l’idée Quand je militais au Quartier latin pour la Ligue commu- que le journalisme de PV, basé uniquement sur la repro- niste, lui était à la Sorbonne avec le PSU. J’ai avec lui une

es duction de pièces, est un journalisme fainéant. Ce n’est relation de très grande confiance. Jamais il n’a mélangé pas parce qu’un document figure dans le dossier qu’il dit ses engagements personnels à notre travail ensemble harl c

r la vérité finale. Donc j’ai une préférence pour la révéla- (Jean-Pierre Mignard est le parrain des deux fils de ou

p tion avant judiciarisation. Dans ce cas, je pense que celui François Hollande – NDLR). Mais les risques ne sont pas d

an qui a fait l’enquête ne peut pas suivre le procès, car il s’est seulement juridiques. Je me souviens, le lendemain du m r

o forgé une conviction sur le dossier. Or le doute, lui, profite premier papier sur Jérôme Cahuzac, d’avoir mis en garde n à l’accusé. Nous ne sommes pas des juges. À l’époque l’équipe : « Attention, on continue, mais on ne personna- ice r

t lise pas. On ne met pas le nom sur toutes les manchettes. a des Irlandais de Vincennes, si je conseille fermement à » P

© Bernard Jégat (l’homme qui dénonce les trois Irlandais Pour moi, le ministre du Budget était soit un grand

65 66 Charles Charles Justice et politique pierre péan

« J’ai toujours défendu, et je continue de défendre, ma liberté de ne pas tout dire. J’étais parvenu à remonter le fil des Irlandais de Vincennes avant Plenel, mais je n’ai rien sorti car j’estimais que Bernard Jégat, le témoin principal, risquait d’y perdre la vie. » Pierre Péan

menteur, soit fragile psychologiquement. C’est dans cette Bokassa pour Le Canard enchaîné, mais sous pseudonyme. seconde hypothèse que j’intervenais. Le dimanche 2 mai L’enquêteur au long cours a, depuis, publié une trentaine 1993, qui a suivi la mort de Pierre Bérégovoy, j’ai assisté de livres, et diversifié son inspiration, entre histoire de à une réunion au Monde. Je voyais bien les regards en France, des médias, et récit de la jeunesse mi-vichyste, biais dans ma direction (Edwy Plenel avait enquêté sur mi-résistante de François Mitterrand, qui lui vaudra son l’affaire du prêt sans intérêt fait à Pierre Bérégovoy par plus beau succès de librairie. Très attaqué ces dernières Roger-Patrice Pelat – NDLR). J’ai dit : « Je prends la plume », années, il se dit atteint, mais à 77 ans ne compte pas et j’ai fait un papier où je m’interrogeais moi-même. Ce lâcher la plume pour autant. Dans sa prochaine enquête, que j’ai écrit alors, et ce que pense toujours, c’est que l’on il sera question des relations de l’État avec la mafia corse. ne peut pas exclure, en tant que journaliste, d’avoir été la goutte d’eau de trop. Le métier est fait de difficultés, et « Je me souviens de mon sentiment en découvrant, un cette éventualité en est une. jour de 1984 ou 1985, aux archives départementales de Nantes, un paquet de lettres datant de la Terreur. Je Mon rôle à Mediapart, pendant ces sept années, aura été préparais alors Les Chappellières, un roman sur la Révo- d’abriter le bateau de la tempête, de faire en sorte qu’il lution. Avant même de les ouvrir, mon cœur s’est mis à ne coule pas pendant la conquête. Mais aussi de trans- battre la chamade. À cet instant précis, j’ai compris que mettre, de manière non autoritaire, une conception je n’avais plus besoin de l’actualité pour assouvir mon du journalisme. J’ai déjà prévenu l’équipe de la date de plaisir de chercheur. Jusqu’à présent j’avais surtout traité mon départ, 2017. Il fallait qu’ils sachent que le bouclier des affaires récentes de la Françafrique. Désormais, je Plenel ne serait pas toujours là. » pouvais choisir n’importe quel sujet d’enquête, si éloigné soit-il des préoccupations médiatiques. Heureuse décou- verte, car je n’aurais jamais pu concurrencer les journa- 4 listes d’investigation d’aujourd’hui. Premièrement, je ne Pierre Péan travaille pas vite, et suis donc très facile à doubler. Deu- xièmement, je n’aime pas m’immiscer dans le système voyg a e en solitaire

es judiciaire. L’enquête sur l’enquête me gêne. Elle fait fi de Lorsque le jeune Pierre Péan rejoint en 1962 le cabinet la présomption d’innocence et du secret de l’instruction, harl c

r du ministre des Finances gabonais, c’est surtout par auquel je tiens. ou

p désir de s’ouvrir au monde. Il ne le sait pas encore, mais d

an ce séjour déterminera la suite de sa carrière. Au Gabon, Je crois qu’aucun de mes livres n’a déclenché d’instruc- m r

o il se sensibilise aux dérives de la Françafrique, devenues tion. Et je préfère ça. Toute judiciarisation d’une de mes n ensuite le thème central de son travail d’enquêteur. C’est révélations me mettrait très mal à l’aise. J’aurais l’im- ice r t

a avec le livre Affaires africaines qu’il se fait un nom en pression de collaborer avec la justice et la police. C’est P

© 1983. Quelques années plus tôt, il a sorti les diamants de mon côté culture catho : une fois que j’ai été loin sur

67 68 Charles Charles Justice et politique pierre péan

« Je n’ai jamais aimé ce qui se passe après une enquête. Il y a d’abord eu les menaces physiques dans les années 83-84, après la sortie des affaires africaines. Des lettres, des coups de fil anonymes, et deux bombes qui explosent devant ma porte… » Pierre Péan

que j’ai signé ensuite avec Le Monde (dans lequel Fayard 5 renonçait à toute nouvelle édition en échange de l’arrêt Violette des actions en diffamation – NDLR) m’a été beaucoup reproché. Mais pour moi, la situation était devenue Lazard ingérable. Je perdais un temps fou dans cette bagarre, la révélation et elle promettait de durer encore deux-trois ans. Sans compter la menace financière, que je ne pouvais assumer.

Je n’ai jamais aimé ce qui se passe après une enquête. À ses débuts au Parisien, il y a dix ans, elle couvre le Peut-être parce que j’ai pris beaucoup de coups. Il y a xvième arrondissement de la capitale. Dans les rues du d’abord eu les menaces physiques dans les années 83-84, quartier résidentiel, pour trouver un sujet, Violette Lazard après la sortie des affaires africaines. Des lettres, des doit longuement chercher. Promue au service enquête, coups de fil anonymes, et deux bombes qui explosent elle obtient de sa hiérarchie un billet pour Marseille où devant ma porte… Pas de quoi faire de blessés, mais les juges commencent à s’intéresser à Jean-Noël Guérini. suffisant pour souffler la porte de mon garage. Jeme Puis s’envole à New York suivre la descente aux enfers de souviens de ma fille qui révisait son bac dans une maison Dominique Strauss-Kahn, qu’elle accompagnera jusqu’au sous protection policière. Mais tout cela n’est que peu Carlton de Lille. Trajectoire ascendante, mais discrète. de choses à côté du soupçon. J’ai été condamné une Jusqu’aux retentissantes doubles factures Bygmalion- quelqu’un dans mes écrits, j’ai envie de me réconcilier Je n’ai pas de causes à défendre, mais je reconnais des dizaine de fois en diffamation, mais rien ne m’a fait plus UMP qu’elle révèle dans Libération au printemps 2014. avec lui. Je ne suis pas un dénonciateur, pas un moraliste. énervements. C’est ainsi que sont nés certains de mes mal que la plainte de SOS Racisme pour mon livre sur La jeune femme enchaîne avec un livre, Big Magouilles, Je ne peux pas l’être, car moi-même ne suis pas irrépro- livres. Si j’ai fait Le Monde selon K. par exemple, c’est parce le génocide rwandais (Noires fureurs, blancs menteurs écrit en attendant son premier enfant. Nouvelle invitée chable. En enquêtant, je me salis les mains. Dans le sens que je ne supportais pas le déséquilibre entre la posture – NDLR). J’ai été relaxé au pénal en 2011, mais je sais des plateaux radios-télés, elle a aussi été chassée par où, pour avoir des informations sur une affaire, je suis de chevalier blanc de Bernard Kouchner et la réalité de que la plupart des gens pensent que j’ai perdu. Blessé L’Obs, qui vient de l’embaucher pour relancer ses inves- obligé de protéger ceux qui me les donnent, qu’ils soient sa vie. Même chose pour La Face cachée du Monde. Je aussi quand Mediapart insinue que j’aurais peut-être tigations. impliqués ou non. J’ai toujours défendu, et je continue de trouvais le quotidien, que je lis depuis 1956, donneur touché de l’argent du pouvoir gabonais pour renoncer à

défendre, ma liberté de ne pas tout dire. J’étais parvenu à de leçons, voir harceleur avec certaines personnalités es la parution de mon dernier livre (Nouvelles Affaires afri- « Je n’ai jamais été aussi exaltée de ma vie que pendant remonter le fil des Irlandais de Vincennes avant Plenel, comme François Mitterrand. Ces attaques continues caines – NDLR). Même si les journalistes eux-mêmes ne les trois mois d’écriture de ce bouquin. C’est l’éditeur qui harl c

mais je n’ai rien sorti car j’estimais que Bernard Jégat, le me faisaient mal. D’autant plus que j’avais levé le voile r tranchent pas dans leur article, le soupçon de corruption est venu à moi. Grâce à lui, j’ai pu mener une seconde ou

témoin principal, risquait d’y perdre la vie. Une autre fois, quelques années auparavant sur la jeunesse du person- p est lancé, et je sais à quel point la condamnation média- enquête, sur un temps plus long que celle de Libération. J’ai d

c’est un patron des services secrets qui m’avait parlé un nage, et que de mon livre, il n’en avait été retenu que les an tique, elle, est définitive. » revu tous les protagonistes de l’affaire. Chacun pendant m r

peu librement de ce qui était toujours un secret défense. heures les plus sombres. Juridiquement, c’est bien cette o trois-quatre heures. Décrocher l’interview que personne Une fois dévoilé, des gens auraient pu être en danger. Je « face cachée » qui a failli me coûter le plus cher. Une n n’a eue, obtenir la réponse tant attendue… J’ai la passion ice r t

me suis tu et je l’assume. La transparence totale est une quinzaine de plaintes et plus de deux millions d’euros de a de ces instants-là. Sans pour autant perdre de vue le but P dictature. dommages et intérêts réclamés. Le protocole d’accord © final, qui est de dénoncer des actes délictueux. Les deux,

69 70 Charles Charles Justice et politique Violette lazard

« J’ai été convoquée chez les flics, et j’y suis allée, seule, pour leur expliquer que non, je ne pouvais rien leur donner. Qu’il y avait le secret des sources et que je n’étais pas auxiliaire de justice. » Violette Lazard

le plaisir et la dénonciation, sont pour moi indissociables. j’ai appris que concernant DSK, la juge avait demandé Ce travail d’enquête, je le faisais déjà depuis des années, mes fadettes et une perquisition à Libé. Le procureur s’y précisément depuis Guérini, mon premier amour. Mais est opposé, mais ça s’est su. Certaines de mes sources c’est avec Bygmalion, en me voyant au “Grand Journal”, ne voulaient plus que je les appelle. Le reste du temps, que les gens ont découvert que j’étais journaliste. Cette la menace judiciaire me permet surtout de maintenir exposition m’a permis de consolider mes sources. Elles ma vigilance, de ne pas me laisser aller à une facilité de m’ont soudain prise plus au sérieux. jugement. Avant la sortie du bouquin, l’avocate de Stock m’a rendu un mémo de trente pages. Si je l’écoutais, je Bygmalion, c’est aussi ma plus grosse prise de risque changeais tout. Pendant trois jours, j’ai relu, rajouté des journalistique, avec la révélation dans Libération, le “présumés” partout, quelques conditionnels, et retiré les 15 mai 2014, du système de double facturation de jugements de valeur qui m’avaient échappés. J’ai aussi l’UMP, lors de la campagne 2012. J’avais eu accès aux vérifié qu’il me restait des traces de toutes les rencontres documents qui l’attestaient grâce à l’une de mes sources, avec mes sources, celles qui voulaient bien apparaître. un mois plus tôt. Un mois pendant lequel j’ai bossé d’ar- Au cas où l’une se défilerait. rache-pied, pour être sûre de leur authenticité, et réduire au maximum ma marge d’erreur. Mais même comme ça, Je voulais faire un livre humain. Montrer que derrière un doute, si léger soit-il, subsiste toujours. C’est moi qui tous ces chiffres, il y avait aussi des hommes. Certains freinais mon rédacteur en chef. Tous les matins, il me de mes informateurs vivaient là un moment unique disait : “On fait la Une demain, on fait la Une demain.” Et dans leur vie. Ils sortaient brutalement de l’anonymat, moi : “Non, on attend, on attend.” Finalement le papier est projetés dans le tourbillon médiatique de l’affaire. Alors sorti. Le lendemain, le juge m’appelait. Il voulait tout. J’ai que leur entourage s’écroulait, j’étais parfois l’une des été convoquée chez les flics, et j’y suis allée, seule, pour seules personnes de confiance avec qui ils communi- leur expliquer que non, je ne pouvais rien leur donner. quaient. Dans ce genre de cas, un lien s’instaure. C’est Qu’il y avait le secret des sources et que je n’étais pas un jeu dangereux pour l’enquêteur. Car quand il y a auxiliaire de justice. En même temps, je leur ai confirmé trop d’empathie, les sources ne vous donnent plus rien. le sérieux de mon travail, et le fait que j’avais bien eu Avec elles, il faut toujours savoir doser. À l’été 2010, aux

es les factures entre les mains. Ce n’était pas forcément prémices de l’affaire Bettencourt, un de mes interlocu- évident pour moi, car je savais que j’étais en posses- teurs m’avait confié quelque chose d’énorme, tout en me harl c

r sion de documents très importants pour leur enquête. faisant promettre de ne rien dire. Je n’ai rien dit. Résultat, ou

p Quelques jours plus tard, ils ont mené une perquisition un confrère l’a sorti avant moi. J’ai passé tant de nuits à d

an qui leur a permis de les récupérer. En tant que citoyenne, y penser que je me suis dit : “Plus jamais”. Aujourd’hui m r

o j’étais contente. au début de chaque rendez-vous, je refroidis mon inter- n locuteur : “Sachez que je pars du principe que vous ne me ice r t

a J’ai eu cinq ou six plaintes, mais je n’ai jamais été racontez pas la vérité… ”» — P

© condamnée. Une seule fois, la justice m’a fait peur, quand

71 72 Charles Charles justice et politique entretien « J’ai vécu avec un policier armé sur mon palier »

Garde des Sceaux de 1997 à 2000 du gouvernement de Lionel Jospin, Élisabeth Guigou a dû faire face aux pressions lors de son passage place Vendôme. De la rumeur qui la met en cause dans l’affaire Elf ; aux pressions politiques lors du scandale des emplois fictifs de la mairie de Paris qui touche le président en exercice ; en passant par les menaces de mort des indépendantistes corses après l’assassinat du préfet Érignac : retour sur trois années mouvementées où madame Guigou vivra sous protection policière.

par César Armand portraits Nolwenn Brod

73 74 Charles Charles Justice et politique élisabeth guigou « J’avais décidé que le ministre de la Justice ans quelles circonstances avez-vous été ne serait plus le ministre des affaires, nommée garde des Sceaux en 1997 ? Juste après les élections, Lionel Jospin m’avait mais le ministre du droit. » dit que j’entrerais au gouvernement, mais il ne savait pas encore à quelle fonction. Je m’at- tendais à entrer aux Affaires sociales puisque j’étais secrétaire nationale en charge de ce sujet, ou aux Affaires étrangères (Élisabeth Guigou a été ministre des Affaires européennes une chance de ne pas être une experte. Je n’étais affiliée de la Justice ne serait plus le ministre des affaires, mais le de 1990 à 1993 – NDLR). Cela a donc été une à aucun de ces corps et j’avais alors une page blanche ministre du droit. vraie surprise ! Je ne suis pas juriste – même si à écrire. Il y a souvent des frictions entre les uns et les Pourtant Le Nouvel Observateur vous appelle pour Dj’ai certes travaillé le droit pour le concours de l’ENA – et je ne me sentais autres et être en dehors permet de prendre du recul, vous signaler qu’il a des informations sur vous, que pas spécialement préparée pour ce ministère. Quand je lui ai demandé sans a priori. Je m’étais juste fixé une ligne : rapprocher vous démentez aussitôt avec votre avocat Maître pourquoi il m’avait choisie, il m’a répondu : « J’ai besoin de quelqu’un qui la justice des citoyens et la rendre plus accessible. Dès Mignard. applique les engagements que nous avons pris et en qui j’ai confiance. » Je lui lors, nous avons bâti la grande réforme judiciaire que j’ai Il existe toujours des rumeurs. C’est terrible de lutter ai demandé le respect du principe que nous avions fixé, à savoir la fin des présentée, dès octobre 1997, en Conseil des ministres. contre une rumeur ! Le Nouvel Observateur a prévenu instructions ou des interférences dans les dossiers individuels, mais aussi Votre nomination a donc été bien accueillie. mon attaché de presse qu’ils allaient sortir un article des crédits pour rehausser le niveau du service public de la justice. Il m’a L’ensemble du ministère se rappelait que j’avais été selon lequel j’étais compromise dans ce dossier Elf. Tout rassurée tout de suite. J’en ai parlé aux amis qui avaient occupé la fonction ministre des Affaires européennes, où je crois avoir de suite, j’ai appelé Jean Daniel (fondateur en 1964 – et j’ai accepté dans les vingt-quatre heures. Lionel Jospin tenait également laissé un bon souvenir. C’est également un ministère NDLR) en lui demandant : « Qu’est-ce que c’est ? », puis à faire accéder des femmes à des postes de très grande responsabilité. Il qui a besoin d’avoir quelqu’un qui pèse dans le gouver- j’ai eu Laurent Joffrin (directeur de la rédaction de 1999 insistait pour que ses numéros 2 et 3, Martine Aubry et moi, soient des nement. Être numéro 3 du gouvernement était un atout à 2006 – NDLR) auquel j’ai demandé : « Que vous a-t-on femmes. J’ai eu un soutien constant du Premier ministre que je voyais en formidable, cela signifiait ma proximité avec le Premier dit sur moi ? » Il m’a alors dit avoir des informations tête-à-tête chaque semaine. ministre. C’était la garantie que le ministère de la Justice selon lesquelles Elf avait financé mon appartement à Catherine Trautmann raconte à Olivier Faye dans le numéro 10 de serait traité avec la considération qu’il mérite. Rappelons Paris, ainsi que les travaux de ma résidence secondaire. que c’est elle qui a soufflé votre nom… que ce ministère a un rôle spécial dans l’État. C’est un C’était un tissu d’inepties : l’affaire Elf date des années Peut-être.Charles J’ai eu d’autres échos, mais ce n’est pas impossible. Lionel Jospin cas un peu à part : c’est à la fois un service public et une 90 alors que nous avions acheté notre appartement en nous a demandé nos avis aux uns et aux autres avant de procéder aux autorité judiciaire. Il faut constamment gérer et veiller à 1975, et réalisé les travaux de notre résidence secondaire nominations. cet équilibre entre l’indépendance de la magistrature, qui dans les années 80. J’ai demandé à Maître Mignard de Vous êtes économiste de formation. Comment avez-vous fait l’ac- doit être respectée, et le service public de la justice. ressortir tous les justificatifs bancaires qui prouvaient quisition des connaissances juridiques ? En juin 1998, Roland Dumas est mis en cause dans ma bonne foi. Il n’y a eu aucun article. Il faut être préparé

J’ai eu la chance que la dissolution ait lieu au moins de juin. Cela m’a es l’affaire Elf. Comment avez-vous géré le dossier ? à ce genre de situation. Cela a été un moment pénible et

en effet laissé le mois d’août pour me plonger dans des rapports. J’avais harl J’y portais déjà un regard distancié car j’avais décidé, dès désagréable, car il faut rechercher tous les documents c décidé, dans le même temps, de consulter au maximum. Dès que je suis r le début de ma fonction, de ne pas intervenir et de passer nécessaires. Je suis vite passée à autre chose malgré tout ou arrivée, j’ai demandé à mon cabinet d’organiser des rencontres avec tous p le moins de temps possible sur les affaires. Bien sûr, je me puisqu’il y avait tellement de réformes à défendre. Et od les professionnels, en commençant par les magistrats. Vous voyez ainsi tenais au courant pour répondre aux questions des parle- Le Nouvel Observateur, comme vous le rappelez, m’avait nn br

quels sont les dossiers en cours et les principaux enjeux. J’ai aussi reçu tous e mentaires. Je préférais me consacrer aux juridictions, aux prévenue. Ils ont été corrects. lw

les directeurs d’administration centrale. J’ai ainsi intensivement consulté o prisons, aux budgets et aux réformes structurelles. Je me Été 1998 : le préfet Érignac est assassiné. Comment

tout en lisant et travaillant sur ce sujet. Je considère aujourd’hui que c’était © n tenais en effet à distance. J’avais décidé que le ministre avez-vous géré cette crise ?

75 76 Charles Charles Justice et politique élisabeth guigou « Le ministère recevait des lettres avec des petits cercueils : il y avait une boîte noire “Érignac” et d’autres petites boîtes à mon nom. »

C’était un choc terrible. C’est la première fois qu’on s’en Vous avez été menacée de mort à cette période… prenait à un tel symbole de l’État. Le préfet Érignac était Cela a été considéré comme suffisamment sérieux par en outre un homme aimé et respecté de tous, en parti- le ministère de l’Intérieur pour qu’on m’impose des amé- culier des Corses. Il allait au théâtre, il était près de 21 nagements chez moi. J’ai vécu deux ans et demi avec heures et il marchait seul dans la rue… Nous avons un policier armé d’une mitraillette sur mon palier, sans d’abord été frappés par la lâcheté de cet acte. Nous oublier les voitures aux vitres blindées et les motards en avons ensuite fait tout ce qu’il convient de faire dans ce civil à chaque déplacement. Le ministère recevait des cas : la machine judiciaire s’est mise en route avec une lettres avec des petits cercueils : il y avait une boîte noire attention particulière, l’enquête a été conduite sous l’au- “Érignac” et d’autres petites boîtes à mon nom. torité des magistrats du parquet antiterroriste, et nous En 1999, une première instruction est ouverte sommes immédiatement allés en Corse avec le Premier contre Jacques Chirac et deux semaines après, le ministre et le ministre de l’Intérieur. J’en ai tiré plusieurs Conseil constitutionnel réaffirme l’immunité du conséquences. J’ai ainsi nommé, avec l’aval du CSM, un président de la République. Quelle attitude adoptez- nouveau procureur général à Bastia pour que la justice vous comme ministre de cohabitation ? passe en Corse et j’y ai créé le premier parquet financier. Il faut laisser faire la justice et appliquer le droit. J’avais J’étais persuadée qu’il fallait s’attaquer au terrorisme à un principe, déjà exprimé, qui était celui de ne pas inter- travers leurs intérêts financiers. C’est effectivement de férer pour qui que ce soit. Le président de la République a cette manière que la justice a pu faire arrêter et juger un système d’immunité – qui, soit dit en passant, devrait des personnes dont les on-dit relayaient qu’elles étaient être revu complètement – et en tant que ministre de la impliquées dans les trafics, voire dans les assassinats. Justice, j’ai laissé les tribunaux agir. Ce n’est pas le rôle Le procureur général Bernard Legras a été très efficace. des responsables politiques de commenter les affaires C’est la première fois qu’il réussissait à obtenir des judiciaires. Notre rôle est d’agir. Je me suis toujours témoignages. Les gens avaient peur avant, des magis- interdit de parler de ce dont je ne m’occupais pas. trats avaient été menacés, voire victimes d’attentats... Le président Chirac vous demandait-il de calmer Nous avons donné des moyens à la justice. Lionel Jospin le jeu ? a décidé de faire un travail interministériel qui s’est C’est arrivé une seule fois quand le juge de Nanterre,

es poursuivi pendant des mois afin de rétablir l’ordre en Jacques Gazeaux, avait développé son instruction et

harl Corse sous tous ses aspects. Plus l’enquête progressait, mis en examen le président. Jacques Chirac m’a alors c r plus nous avons renforcé notre appareil répressif, et plus contactée pour me demander quelle était l’attitude du ou p nous avons tendu la main aux Corses. Je suis allée ren- procureur. Je lui ai répondu : « Le procureur fait ce qu’il a od contrer ces femmes très courageuses qui manifestaient à faire. Je n’ai pas d’informations particulières. » Et ça s’est nn br

e contre les violences. Je les ai reçues au ministère et je arrêté là. J’avais de bonnes relations avec le président lw

o suis allée les voir là-bas. Nous avons mené une politique Chirac, puisque je l’ai connu sous la première cohabi-

© n globale qui a fini par porter ses fruits. tation où j’étais à la fois à l’Élysée avec François

77 78 Charles Charles Justice et politique élisabeth guigou « Je sais qu’il y a eu des contacts entre les conseillers de justice de Jacques Chirac et des magistrats engagés à droite. »

ni sur quelque parlementaire que ce soit. Il existait déjà Quand DSK a été arrêté en mai 2011, on a beaucoup des controverses dans la presse et une majorité qui s’op- parlé de votre loi sur la présomption d’innocence posait. Je sais, en revanche, qu’il y a eu des contacts entre qui interdit de représenter quelqu’un entravé dans les conseillers de justice du président de la République et sa liberté, menotté ou non. Cela doit être compliqué des magistrats engagés à droite. quand cela concerne un proche ? Fin 1999, le conseiller d’État Jean Massot vous J’ai présenté cette loi bien avant l’arrestation de M. remet d’ailleurs un rapport sur la responsabilité Strauss-Kahn, parce que j’avais été choquée de voir à la pénale des décideurs publics et déplore un risque Une de La Provence un guide de montagne menotté à la de pénalisation croissante de la vie publique. Le suite d’un gravissime accident. J’ai trouvé que c’était une personnel politique est-il ainsi un justiciable comme atteinte à la dignité humaine et qu’il n’était pas besoin de un autre ? le représenter ainsi. On peut très bien trouver une autre Bien sûr ! Il y a certes les immunités pour les ministres photo. C’est pour cela que j’ai décidé d’inclure dans cette et les parlementaires. Mais ces immunités peuvent être loi cette interdiction. J’avais aussi vu dans un hebdoma- levées et ils sont alors jugés comme les autres citoyens. daire la photo d’une femme complètement déshabillée Seul le président de la République bénéficie d’une protec- par le souffle d’une bombe. Elle était assez corpulente et tion durant l’exercice de sa fonction. Il faut distinguer les avait été reconnue par ses proches, alors même qu’elle actes relatifs aux fonctions exercées – là, il y a une pro- avait été prise de dos. J’estime que c’est dégradant et tection, et c’est normal, sinon chaque justiciable, qui ne que c’est inutile de montrer ce genre de clichés. Jamais, serait pas content d’une décision ministérielle, pourrait contrairement à ce que j’ai pu lire, il ne s’est agi d’interdire s’en saisir – et les actes détachables de la fonction qui de représenter la guerre. Pour Dominique Strauss-Kahn, relèvent de la vie quotidienne. Je pense qu’il faudra qu’on j’avais été choquée de voir cette marche de la honte. Je aille vers un système qui prévaut déjà dans tous les l’avais dit à la télévision, mais cette scène se passait aux pays européens et qui considère qu’en dehors des actes États-Unis. La loi française, par définition, ne s’y appli- rattachés à la fonction, il y a une responsabilité civile et quait pas. pénale. Ce rapport de Jean Massot est en fait sorti alors Certains médias audiovisuels français n’ont pas que plusieurs sénateurs s’inquiétaient de la mise en respecté pour autant la législation. Mitterrand (conseillère technique chargée de l’écono- ministres. Le président de la République m’a répondu : cause de la responsabilité pénale des maires lorsqu’il y Je me souviens de l’inquiétude de certains dirigeants mie internationale, du commerce extérieur, des affaires « Faites comme vous pensez devoir faire. » Jacques Chirac avait des accidents. Plusieurs d’entre eux avaient alors de chaînes qui me disaient : « Est-ce qu’on risque quelque européennes et des sommets économiques internatio- a trouvé un dossier européen complet sur son bureau, es demandé qu’on encadre ces risques. Le résultat a été la loi chose ? » Je leur répliquais : « Ces images sont abondam- naux – NDLR) et à Matignon où je dirigeais un service comme Laurent Fabius en avait eu un auparavant. Nous harl Fauchon (du nom de l’ex-sénateur Pierre Fauchon, actuel ment rediffusées sur les chaînes étrangères disponibles c du Premier ministre (le comité interministériel pour les avons très bien travaillé. J’avais des relations excellentes r membre du CSM – NDLR) à laquelle je ne me suis pas en France, vous n’êtes donc pas les premiers. Mais si vous ou questions économiques de coopération européenne – avec son cabinet. p opposée mais que j’ai amendée, avec le gouvernement, insistez trop, et si c’est systématique, DSK ou son entourage od NDLR). Dès que Monsieur Chirac est arrivé à Matignon, À cette époque, Arnaud Montebourg, député, pour qu’elle n’exonère pas les dirigeants de leurs respon- peuvent porter plainte. » Finalement, cela ne s’est pas nn br

en 1986, j’ai vérifié auprès du président de la République appelait à traduire le chef de l’État devant la Haute e sabilités. Cette proposition de loi a ainsi établi les fautes produit. Le problème vient des États-Unis où la présomp- lw

qu’il ne voyait pas d’inconvénients à ce que je procède Cour de justice. o qui révèlent des négligences coupables. tion d’innocence n’empêche pas ces exhibitions. Je vous

de la même façon qu’avec les précédents Premiers Très franchement, il n’a jamais fait pression ni sur moi, © n l’avoue : je n’aime pas ce système judiciaire. —

79 80 Charles Charles Justice et politique enquête Justice et dépendances

Tout le monde le sait : la justice est indépendante du pouvoir politique. Cela dit, comme l’a encore récemment démontré l’affaire Jouyet/Fillon, certains le savent moins bien que d’autres. Enquête auprès d’avocats, de juges et de procureurs sur un couple qui est supposé faire chambre à part, mais…

propos recueillis par Jérémy Collado illustrations Clément Quintard

81 82 Charles Charles Justice et politique Justice et dépendances « Des jugements fabriqués par le politique, Les pressions politiques, ce sont des histoires de journalistes. C’est je n’en ai jamais vu. Des jugements cons, n’importe quoi ! » Jean-Pierre Versini-Campinchi commence par balayer notre enquête d’un revers de main. En cinquante ans de en revanche, j’en ai vu des tonnes ! » barreau, l’homme dont l’allure est légèrement surannée, a plaidé Jean-Pierre Versini-Campinchi, les plus grands dossiers politico-financiers des années 90. Ce avocat de François Fillon joueur de poker qui réunit ses amis depuis trente-cinq ans autour d’une des « plus vieilles tables de Paris », a par exemple sauvé la mise à Jean-Christophe Mitterrand, relaxé dans l’affaire des ventes d’armes à l’Angola. Aujourd’hui, c’est peut-être sa réputation « d’avocat kamikaze » qui l’a poussé à prendre la défense de François Fillon, accusé d’avoir une culture... » À l’entendre, c’est comme si les juges devant des impératifs qui lui sont étrangers. » Désormais à «sollicité lors d’un déjeuner son ancien ministre, le secrétaire général de l’Élysée avaient intégré les pressions, comme si, dans l’ombre, la retraite, il affiche comme des médailles ses résistances Jean-Pierre Jouyet, afin de faire pression sur la justice dans l’affaire des pénalités elles étaient inhérentes à leur action. « Quand Fillon va aux « pressions » diverses et variées du pouvoir. Comme de campagne de Nicolas Sarkozy payées par l’UMP. Aux deux journalistes du voir Jouyet, celui-ci répond que ça n’intéresse pas Hollande, ce jour où il reçut le courrier d’un parlementaire, qui l’in- Monde auxquels il s’est confié, Jean-Pierre Jouyet a reconnu : « Il pense que l’Élysée et donc que le président ne fera rien. Ce qui est étonnant, ce terpelle sur une de ses connaissances coupable d’une a toujours une main invisible sur la justice. » n’est pas l’attitude de Fillon. Et ce qui est rassurant, c’est la infraction. « Il attendait que je classe l’affaire. Je lui ai fait réponse de Hollande... », indique Françoise Martres, la pré- une autre faveur : j’ai accéléré la procédure pour la faire L’ancien Premier ministre dément cette version. « D’après vous, quand François sidente du Syndicat de la magistrature, classé à gauche, comparaître plus vite devant le tribunal ! » Fillon rencontre Jean-Pierre Jouyet, c’est pour parler des derniers films qui sont sortis, et pas franchement surprise de cet échange. « Techni- des pièces de théâtre qu’ils ont vues, de la vie qui court, des souvenirs d’anciens com- quement, ce qui parvient au parquet peut faire débuter une Le péché originel : le lien entre parquet et ministère battants qu’ils ont ? » faisait mine de demander sur un plateau télévisé l’édile PS procédure, relève Philippe Bilger, magistrat honoraire, Le sujet est miné car la « pression » est un mot-valise. Julien Dray. Avec son franc-parler, Jean-Pierre Versini-Campinchi répond : « Mais aujourd’hui à la tête de l’Institut de la parole, qui propose Un voile derrière lequel on loge tout et n’importe quoi. quel est l’intérêt de Fillon ? Tout le monde sait qu’il suffit que Sarkozy éternue pour des formations pour toutes les déclinaisons de la parole, Comme la pièce de monnaie d’André Gide qui se passe que toute l’administration lui tombe sur la gueule. Les juges le font chier depuis dix du profane au professionnel . Sic. Si Jouyet prend langue de main en main, personne n’en vérifie plus sa valeur ans : ils n’ont pas besoin de ça pour intervenir, plaide l’avocat. Et quand le parquet a avec le procureur de la République de Paris, ce qui n’est pas ni son authenticité. Côté pile, on imagine tout de suite ouvert une information, il avait déjà reçu une dénonciation des deux commissaires aux totalement inconcevable, il aurait pu faciliter l’ouverture de se dessiner un décor façon « Tontons flingueurs », avec comptes de l’UMP. Alors... » Il n’empêche, le calendrier laisse songeur : le 2 juillet l’enquête... » d’obscurs conseillers en vestons qui composent des 2014, soit huit jours après le déjeuner litigieux, une enquête préliminaire a été numéros sur de vieux téléphones à cadran. Côté face, ouverte par le parquet de Paris. Jean-Pierre Versini-Campinchi jure que « ce n’est N’en déplaise à Jean-Pierre Versini-Campinchi, l’affaire les pressions prennent en réalité de nombreuses formes. pas sous pression politique », mais « au vu des seuls éléments » transmis « par les Jouyet / Fillon révèle surtout que lorsque la justice « C’est très compliqué car ce n’est jamais une pression directe, commissaires aux comptes de l’UMP. » Se faisant formel : « Des jugements fabriqués enquête sur eux ou sur leurs adversaires, les politiques c’est rarement une quelconque officine politique qui va vous par le politique, je n’en ai jamais vu. Des jugements cons, en revanche, j’en ai vu des ont bien du mal à la laisser travailler en paix. Quant aux appeler, confirme Éric Halphen, qui a instruit l’affaire des

tonnes ! assène-t-il de sa voix truculente. Les politiques n’ont pas le pouvoir d’inflé- es juges, ils semblent piqués au vif. On s’attaque à leur sacro- HLM de la Ville de Paris. C’est plutôt un d’évé-

chir la justice. Au contraire, ils sont morts de trouille face à elle. » harl sainte « indépendance ». « François Fillon est aussi malheu- nements pour, au mieux, freiner votre enquête, et au pire c

r reusement révélateur de l’attitude d’une classe politique qui, vous déstabiliser et faire peur à votre entourage. » Le juge ou

Pourtant, lorsqu’on discute avec des magistrats, tous racontent à l’unisson qu’ils p non seulement n’a pas intégré le rôle éminent de la justice, distingue « le légal, le semi-légal et le pas du tout légal ». d ar

ont subi des pressions. Sans toutefois admettre qu’elles ont eu des effets... Par t mais s’obstine à la vouloir soumise au pouvoir en place », Tout est dans cette nuance ambiguë qui alimente les n

exemple, l’ancienne juge d’instruction Laurence Vichnievsky prévient : « En ui s’emporte Philippe Bilger. « On peine à croire que cela soit légendes et a longtemps protégé les politiques. q t

France, on a une habitude de l’interférence du politique dans la justice. Et rien n’a n possible, se désole Éric de Montgolfier, ancien procureur changé depuis vingt ans. C’est critiqué par les politiques eux-mêmes au moment des me de la République de Nice. Comme s’il allait de soi que le La plupart du temps, les pressions se situent en effet

élections, mais c’est pratiqué lorsqu’ils sont au pouvoir. Il est difficile de revenir sur © Clé corps judiciaire s’incline, pourvu qu’on le lui commande, dans une zone grise qui échappe à la morale. « Elles ne

83 84 Charles Charles Justice et politique Justice et dépendances « Retrouver son nom sont jamais directes, relève à son tour Françoise Martres. êtes à la tête de l’État, il y aura toujours un pourcentage sur une liste de gens assassinés, Certes, il arrive que certains politiques aient demandé direc- de serviteurs qui vous seront reconnaissants, même sans c’est extraordinairement violent. tement à des magistrats d’agir dans un sens. Mais souvent exercer de pressions, regrette Philippe Bilger. Mon expé- c’est plus subtil. C’est un système : on met des pions et ces rience, c’est que les gens téléphonent : c’est une pression Au début, j’avais du mal à y croire. pions peuvent vous servir. » Pour son organisation, le délicieuse. Mais je me suis toujours affranchi de la tutelle J’avais du mal à imaginer qu’en France, pouvoir de nomination du ministre de la Justice, qui peut pour développer une parole libre, ce qui n’a pas favorisé révoquer un magistrat du parquet, agit comme un péché ma carrière puisque j’ai eu deux listes d’aptitudes et trois on menace les magistrats. » originel. C’est d’ailleurs la première forme de pression. Et tableaux d’avancement pour arriver au poste de substitut E va Joly la porte ouverte aux suspicions. « Le système est archaïque du procureur général. » Un jugement partagé par Éric car le politique peut encore murmurer à l’oreille d’un de Montgolfier, connu pour son intransigeance. Il s’of- procureur. Or ce procureur a une carrière... », prévient la fusque qu’on puisse penser qu’il était soumis au pouvoir députée européenne écologiste Eva Joly. « Pourquoi est-ce politique. « En réalité, j’ai bien du mal à dire ce qu’est une si évident que l’ancien directeur de cabinet du ministre de pression. Elles sont exercées sur ceux qui veulent bien les la Justice, François Molins (il le fut aux côtés de Michèle recevoir... » Et la fin des instructions individuelles, qui L’engrenage est en place. D’indirectes, les pressions se Alliot-Marie et de Michel Mercier, entre 2009 et 2011 – permettaient au ministère d’intervenir directement font plus franches. « Mon fax mettait un temps incroyable NDLR) hérite d’un poste aussi sensible et exposé que celui de dans des affaires en cours ? « C’est incroyable : on a l’air de à transmettre des pièces entre la brigade financière et procureur de la République de Paris ? s’interroge Françoise comparer les magistrats à des chiens à qui on enlèverait leur mon bureau. Un expert a constaté qu’il y avait un trouble Martres. Il devrait revenir en juridiction, tout simplement, laisse. » sur la ligne, raconte Joly. Une autre fois, la présidente de même si c’est un excellent professionnel par ailleurs. Si on la chambre d’instruction me téléphone et, sans que j’aie était dans un système où l’indépendance était garantie, c’est L ’affaire Elf décroché, elle entend ce qui se passe dans mon cabinet... » le Conseil supérieur de la magistrature qui choisirait les Il y aurait donc plusieurs façons de ressentir les pressions. Un matin, la juge d’instruction découvre un petit bristol gens en fonction de leurs compétences. » De les subir, d’en souffrir et d’y céder. Pendant plus de six vert, coincé dans l’enveloppe en plastique transparente ans d’instruction, celles-ci se sont succédées sur les juges collée sur la porte de son bureau. Dessus, une liste de Du procès d’intention à la pression manifeste, il n’y a Joly et Vichnievsky, qui ont compilé le dossier Elf de 1994 noms griffonnés au crayon, dont Joly ne connaît que le parfois qu’un pas. Ainsi le rôle de l’ancien procureur de à 2001. D’abord des mises en garde d’amis, plus ou moins premier : le juge lyonnais Renaud, fondateur du Syndicat Nanterre Philippe Courroye : ses rencontres fréquentes proches, qui s’étonnent que des femmes prennent autant de la magistrature, exécuté en pleine rue en 1975, sans avec Patrick Ouart et Jean-Pierre Picca, conseillers justice de risques. Et puis un pistolet chargé, oublié sur la table que le crime ne soit jamais élucidé. Les autres noms sont tout-puissants de Sarkozy, alimentent le soupçon. Entre lors d’une perquisition chez Étienne Leandri, un intermé- ceux des magistrats français tués depuis la guerre. Tous 2008 et 2010, a-t-il ralenti le dossier Bettencourt dont diaire proche de Charles Pasqua... « C’était un avertisse- sont barrés, sauf le sien, qui figure en deuxième position : il avait la charge ? En 2009, il était promu chevalier de ment, assure aujourd’hui Eva Joly. Maintenant que je suis « Retrouver son nom sur une liste de gens assassinés, c’est la Légion d’Honneur par le président de la République devenue plus sage, je me dis que j’avais pris cette enquête extraordinairement violent. Au début, j’avais du mal à y Nicolas Sarkozy. « On nous reproche de nous connaître, avec innocence et, même, avec une sorte de naïveté. » croire. J’avais du mal à imaginer qu’en France, on menace mais cela ne l’a pas empêché de faire son métier, ni moi le Après l’audition d’un ingénieur d’Elf, elle reste quelques les magistrats. » mien », s’est-il un jour défendu. « Un État normal ne peut instants dans son bureau pour trier des papiers. Soudain, Malgré les embûches, les deux juges parviennent à pas ne pas être informé au plus haut de la hiérarchie de son témoin frappe de nouveau à la porte. Et l’index sur la dévoiler les caisses noires et les prélèvements illégaux. certaines procédures judiciaires qui tiennent à son intérêt bouche, lui fait signe de ne pas réagir. Elle comprend que es Le dossier Elf fait 256 tomes. Plus de 100 000 pages

supérieur, relativise encore une fois Jean-Pierre Ver- son bureau n’est pas sûr : « J’étais comme un lapin aveuglé harl produites par des greffiers qui ne comptent pas leurs c sini-Campinchi. Après, le cas Courroye, c’est surtout un par la lumière, admet-elle. Quand vous êtes le nez dans le r heures. En pleine Françafrique, les pressions ne fonction- ou mauvais magistrat plus que le résultat d’une pression. Il a guidon et que vous pédalez, vous ne savez pas d’où viennent p nent plus, croit-on. À la même époque en Italie, elles ont d ar rendu des services qu’on ne lui demandait pas... » les menaces. Ce que je sais, c’est que mon domicile a été t fait plier Antonio Di Pietro, substitut au parquet de Milan n

cambriolé et que mon bureau a été visité de façon visible. On ui et figure de proue de l’opération Mani Pulite, qui a démis- q ème t Mais peut-il en être autrement, dans une v République n’a rien voulu camoufler, au contraire, on a laissé des traces n sionné de la magistrature en novembre 1994, après des qui a pensé le pouvoir judiciaire à l’intérieur du pouvoir pour m’impressionner. C’était une façon de me dire “on te me chantages répétés sur sa vie privée. « J’ai pris beaucoup

exécutif dans le moule d’une administration ? « Si vous voit et on fait ce qu’on veut”. » © Clé de précautions et j’ai eu de la chance de m’en tirer.

85 86 Charles Charles Justice et politique Justice et dépendances Avant d’entrer dans sa voiture, sur le parking de son immeuble, Mon dossier n’a pas été annulé. Et pour ça, je remercie jure qu’elle a tout connu, les « petits télégraphistes », les le juge Halphen ordonne à ses enfants de rester sur le côté. les magistrats de la chambre d’instruction », se félicite « lettres anonymes », mais jamais l’intervention directe du Et tourne la clé, seul dans l’habitacle. Eva Joly, qui loue également le travail de sa collègue pouvoir politique, qui est « trop subtil pour cela. » « Ce qui Laurence Vichnievsky. Mais à quel prix ? Une protection est certain, c’est que l’affaire Elf ébranlait les relations avec « J’avais toujours un petit frisson. » policière qui durera six ans, une pression médiatique le Gabon, juge Eva Joly. Il y avait une pression de Bongo sur et un isolement personnel, tant l’instruction demande Chirac, Bongo ne comprenant pas pourquoi on ne pouvait qu’on s’y consacre corps et âme. « J’étais quelqu’un de très pas mettre fin à cette enquête. » Pression dérisoire, le sérieux et je ne comprenais pas les obstacles. C’était une ini- président gabonais ira même jusqu’à déclarer que la juge tiation à la réalité », reconnaît Joly. « pue le poisson. » des collègues plus sages à la cour d’appel, ironise Laurence « simple » affaire de fausses factures dans les Hauts-de- Vichnievsky, dix ans après. Je ne critiquerai pas les Seine qui débouchera bientôt sur des soupçons de détour- Mais face aux pressions que les deux juges ont éprouvées, « À Elf, les enjeux n’étaient pas seulement politiques, c’était décisions des juges. De notre côté, on a pensé qu’il y avait nements de fonds de l’office HLM du 92, dirigé par Patrick Laurence Vichnievsky est moins directe que sa consœur. une histoire de malfaiteurs qui ont pillé une entreprise grâce suffisamment pour mettre en examen. » Lors du premier Balkany, à destination du RPR. Au cœur d’une guérilla

Là où l’une a identifié des menaces évidentes, l’autre voit à un système qui profitait à la droite et à la gauche. Les es procès, Roland Dumas avait lancé à l’assemblée : « Quand pour la présidentielle de 1995, le feuilleton voit apparaître

simplement des « signes » : « Elle est peut-être plus parano pressions pouvaient venir des politiques, qui pour certains harl tout cela sera terminé, je vais m’occuper de certains juges. » Didier Schuller, qui brigue la mairie de Clichy, et Charles c que je ne l’étais ! » plaisante à peine Laurence Vichnievsky. percevaient des rentes indues, mais je n’en suis pas sûre r Pasqua, le patron des Hauts-de-Seine et ministre de l’In- ou

Par crainte de la diffamation ou par manque d’éléments, à 100 % », tempère Laurence Vichnievsky, qui rappelle p L ’affaire Halphen térieur. « Je risquais de détruire les ambitions politiques des d ar cette dernière ne donne aucun nom : « Je n’ai jamais eu la que le dossier « politique » n’a pas véritablement abouti, t Mais très souvent, les intérêts des uns se fracassent sur uns et des autres », rappelle Halphen, en se poussant du n preuve que nous ayons été sur écoute, confie-t-elle. Parfois, visant un temps Roland Dumas, qui tenta de dessaisir ui ceux des autres. Ils ne furent peut-être jamais autant col. Avant d’entrer dans sa voiture, sur le parking de son q t pour rigoler, je disais au téléphone “Bonjour les grandes les juges en demandant leur révocation pour « partia- n opposés qu’au moment de l’affaire Halphen, où les immeuble, il ordonne à ses enfants de rester sur le côté. oreilles”, en me disant que les pauvres, ils devaient s’ennuyer lité ». Une requête rejetée par la cour d’appel, qui relaxera me pressions ont atteint leur paroxysme. En 1994, alerté Et tourne la clé, seul dans l’habitacle. « J’avais toujours un

à écouter les discussions amoureuses de mes enfants. Alors l’ancien ministre des Affaires étrangères en 2003. « On a © Clé par un rapport du fisc, le juge Éric Halphen instruit une petit frisson. » Un matin, il retrouve un mot sur son oui, on a eu des petits signes qui montraient qu’on s’intéres- sait à nous. C’est vrai que j’ai reçu des coups de fil bizarres, mais qui m’appelait ? C’est impossible à démontrer. » À l’époque, on crie à la « République des juges », et on accuse Eva Joly de mettre en scène les pressions, sans douter totalement qu’elles existent. Le 4 avril 1997, quand l’enquête met en cause André Tarallo, le PDG d’Elf-Gabon, ses méthodes vont ainsi se retourner contre elle. Elle écoute ses arguments. La question de l’incarcération se pose. Mais le calendrier tombe mal : André Tarallo a rendez-vous le lendemain avec le président gabonais Omar Bongo. Elle décide de le laisser en liberté, en assortissant sa décision d’une caution de plusieurs millions de francs. Très vite, on crie à la manipulation. On soupçonne Alexandre Benmakhlouf, proche du pouvoir gaulliste et procureur général près la cour d’appel de Paris, d’avoir fait pression sur Eva Joly pour ne pas incarcérer André Tarallo. Le magistrat fut conseiller au cabinet de Jacques Chirac dans les années 80, d’abord à Matignon, puis à la mairie de Paris. Si bien que Jacques Chirac est carrément cité comme « interlocu- teur clandestin » de la juge d’instruction. « En trois jours, la rumeur est devenue fantasme », déplore Eva Joly, qui

87 88 Charles Charles Justice et politique Justice et dépendances « Ça fait partie de notre boulot pare-brise, le lendemain d’une soirée au Parc des Princes cours, les semaines précédentes étaient déchirées, raconte d’être instrumentalisés. avec son fils : « Alors, c’était comment le match du PSG ? » Éric Halphen. Puis un jour j’ai décidé de ne plus prévenir Un coup à droite, un coup à gauche : Cette fois, la pression est signée : le camp Pasqua tente de les policiers et de leur donner rendez-vous dans Paris, pour le déstabiliser, jure-t-il. Il en aura la preuve ensuite. Mais leur dire ensuite où on allait. Chez les Tibéri, j’ai dû chercher ça maintient l’équilibre » ça n’est pas toujours le cas. Un après-midi, au milieu des moi-même l’étage et le code. Et à deux heures de l’après-midi, L aurence Vichnievsky années 90, Éric Halphen décroche son téléphone. C’est sa le maire de Paris m’a lui-même ouvert la porte ! À ce moment- copine qui l’appelle. Elle espère qu’il garde le moral alors là, le policier à mes côtés m’a dit qu’il avait reçu l’ordre de ne que l’instruction s’essouffle. Après quelques minutes de plus m’accompagner. J’y suis allé seul. » conversation, ils entendent soudain une respiration. Et puis un chuchotement presque inaudible : « Oui, oui… Tu Sans mettre en doute la parole du juge Halphen, certains L’impunité est-elle terminée ? as raison. C’est comme ça qu’il faut faire… » Silence. Éric suggèrent que son jugement a pu être altéré par la Derrière les pressions, c’est l’impunité supposée des élus veux croire qu’elle a vécu », claironne Laurence Vichnie- Halphen demande : « Tu as entendu ? » « Bien sûr », répond déflagration familiale qu’il a endurée. Didier Schuller qui rejaillit. Selon que l’on soit puissant ou misérable, vsky, qui évoque le rôle positif de certains juges, qui n’ont la jeune femme. Et encore cette voix lointaine et fanto- et Charles Pasqua, couverts par Édouard Balladur, sont les moyens ne sont pas égaux pour faire céder la justice. pas plié. Eva Joly, elle, se fait moins optimiste : « Nous matique, qui se répète comme dans un mauvais rêve : allés jusqu’à manipuler son beau-père, décédé en juin « Servir la justice n’est pas anodin et je ne crois pas qu’on n’avons pas encore vu la fin de la corruption politique même « Oui, oui... Tu as raison. C’est comme ça qu’il faut faire... » 2014, le docteur Jean-Pierre Maréchal, proche du RPR, puisse soutenir qu’il s’agit d’un métier comme les autres. si depuis l’affaire, c’est plus verrouillé. Le danger, c’est qu’il Et puis plus rien. « On ne sait pas si c’est pour vous aviser ou pour faire tomber son gendre, à grand renfort d’écoutes L’idée que j’en défends ne pouvait qu’entrer en conflit avec y a encore trop de réseaux et de loyautés qui ne sont pas pour vous menacer. Mais en tout cas, ça donne des frissons. téléphoniques sauvages et de valises de billets. Il aura la vanité que procure à la plupart l’exercice du pouvoir », républicains. Il y a une volonté de plaire et, pour certains, ça Ce jour-là, oui, j’ai eu très peur... » reconnaît-il aujourd’hui. fallu l’intervention in extremis du président Mitterrand attaque Éric de Montgolfier dans son dernier livre, Une mène aux plus hauts postes. » Tout ce manège profite au climat de tension destiné à dis- pour que l’affaire remonte à la surface. Comme s’il morale pour les aigles, une autre pour les pigeons, paru créditer les juges : « Les dossiers politiques sont comme des allait de soi que la justice fût baladée ainsi de droite à chez Michel Lafon, en 2014. À Nice, l’ancien procureur de Si peu étonnante qu’elle puisse paraître, l’attitude de dossiers mafieux où les gens ne parlent pas. Certains m’ont gauche, au gré des intérêts politiques. « On a utilisé mon la République a combattu les grandes comme les petites François Fillon démontre qu’aujourd’hui, les pressions dit que s’ils me parlaient, ils iraient dans la Seine. » entourage pour essayer d’obtenir une interruption ou un corporations. Les réseaux francs-maçons qui enkys- sont dénoncées avant même qu’elles s’exercent. Elle gros coup de frein sur une enquête qui gênait le pouvoir », taient la ville comme les délits mineurs du quotidien. rappelle également l’impuissance relative des politiques Éric Halphen paraît encore secoué. Il se souvient des raconte Éric Halphen. « Le cas du juge Halphen, c’est une Dans les dîners, il rigole encore en repensant aux virées à peser sur le cours de la justice, au-delà des effets de auditions avec émotion. Et de la pression officieuse de la crapulerie d’homme politique, estime l’avocat Jean-Pierre qu’il ordonnait aux policiers, afin de vérifier la confor- manche. Parmi les quatre derniers présidents sortants, police : « Il faut parler de l’indépendance de la police ! Une Versini-Campinchi. Mais cette manipulation ne peut pas mité des terrasses des restaurants préférés des élus. trois ont été dans le collimateur de la justice : Jacques audition peut parfois durer quinze secondes et dans ce cas être érigée en système : on est en présence d’hommes qui Une façon de répondre aux nombreuses pressions qu’il Chirac a écopé d’une condamnation sans toutefois c’est un petit sabotage. Dans l’affaire des HLM, j’ai demandé commettent des délits de l’ordre de la délinquance. » Si les a endurées dans la ville dirigée par Christian Estrosi : assister à son procès, le second septennat de François plein d’auditions qui n’ont servi à rien parce qu’elles étaient grands fauves concernés par cette affaire ont échappé « C’est une véritable petite monarchie ici. En treize ans, j’ai Mitterrand fut parsemé d’affaires ; et Nicolas Sarkozy mal menées. » Soumise à une double autorité (celle du aux condamnations (le dossier fut jugé vingt ans plus pris des coups. » est concerné par pas moins de onze affaires judiciaires, juge d’instruction et du ministère de l’Intérieur), la police tard en ne retenant comme charge que trois emplois dont certaines sur lesquelles il s’est « informé » directe- peut alors hésiter. Or le locataire de Beauvau, à l’époque, fictifs), ceux-ci ont éprouvé la pire des sanctions à leurs « Longtemps, l’impunité a favorisé la corruption des élus et, ment. « Il n’y a pas que la droite qui a fait pression sur la s’appelle Pasqua. « Un jour, le lieutenant-commandant yeux : la sanction politique. « En l’espèce, il y a eu un retour maintenant, se faire condamner est devenu un label, que les justice, rappelle Françoise Martres. Les années Mitterrand a fait une perquisition et trouvé la pièce que nous cher- de bâton », témoigne le juge Halphen. Édouard Balladur juges distribuent à tour de bras », rapporte Éric de Mon- en sont un bon exemple. C’est la même chose à gauche et à chions, mais le commissaire n’a pas voulu qu’on la saisisse. voit sa popularité fondre quand les premières informa- tgolfier, qui poursuit : « Plus les politiques sont ambitieux droite. » « Ça fait partie de notre boulot d’être instrumentali- Là, vous avez la preuve par A plus B que votre enquête tions fuitent dans la presse. Et alors que la partie la plus et moins ils sont intelligents. Mais en vérité, le politique a sés. Un coup à droite, un coup à gauche : ça maintient l’équi- ne pourra pas aboutir. » La pression s’exerce sur tous les imposante du dossier concernait les HLM de la Ville de peur du soupçon. C’est parce qu’il est faible qu’il est tenté libre », expose avec un doux cynisme Laurence Vichnie- maillons de la chaîne. Mais le juge Halphen est lucide. Il Paris, dont Jacques Chirac était maire, l’affaire l’a para- d’utiliser la justice ». Philippe Bilger ne contredit pas : vsky, en rigolant. « Il faut que le pouvoir soit dilué, défend admet des erreurs : « À l’époque, j’étais naïf, je disais aux doxalement servi. « Globalement, les politiques s’en sortent « Finalement peu d’affaires intéressent le pouvoir politique, Éric de Montgolfier. La France est une monarchie : on a policiers où on allait le lendemain : ils en référaient à leur bien face à la justice, car ce sont les seconds couteaux qui peut-être 2 % seulement des affaires totales,décompte-t-il . coupé la tête de Louis xvi par égarement ! » Son téléphone hiérarchie. Quand je suis arrivé au siège du RPR, il y avait sont jugés », résume Éric Halphen, encore amer. Mais les pressions exercées par le pouvoir ont pour consé- sonne. C’est « La Marseillaise » qui retentit. Le magistrat encore les berceaux orange qui soutiennent des dossiers quence une dévastation et une démolition de l’État de droit, conclut : « En définitive, le politique ne peut pas être désin- suspendus, mais les dossiers n’étaient plus là. On avait fait en donnant l’impression d’une impunité à ceux qui nous téressé par rapport à la justice, d’autant plus qu’on le rend le ménage. J’ouvrais les agendas : il y avait la semaine en gouvernent. » Cette impunité est-elle terminée ? « Oui, je responsable de celle-ci. » —

89 90 Charles Charles Justice et politique entretien « Moi, je suis un sale mec ! » Pareil à un refrain d’une chanson de Julio Iglesias, Gilbert Collard affirme à qui veut l’entendre qu’il a « toujours défendu les mêmes idées ». Pourtant, dans cet entretien sous haute surveillance à , le député du Gard raconte avec sa verve de prétoireCharles méridional un parcours d’avocat médiatique et de militant politique qui l’aura conduit du « gauchisme » jusqu’au « marinisme ». Et de la défense de Pierrette Le Pen contre son mari, à la présidence du comité de soutien de leur fille, en 2012.

propos recueillis par Mathieu Dejean et David Doucet portraits Samuel Guigues

91 92 Charles Charles Justice et politique gilbert collard « à l’âge de 12 ans, ilbert Collard n’est pas du genre à ter- j’ai décidé que je serai giverser. Quand il nous reçoit dans son appartement luxueux du vième arrondis- seul contre tous sement, l’avocat nous intime d’aller droit et que je lutterai au but : « Allez-y, mais je vous préviens, si vous manquez d’objectivité, l’entretien se contre les pouvoirs. » terminera aussitôt. » Attablé à son bureau, entre une bibliothèque bien fournie et une cheminée condamnée sur laquelle trône l’intégrale des œuvres de Molière en DVD, il branche un enregistreur, histoire de dignitaire de la papauté à l’époque, qui était inscrit et non titution, c’est quand même le plus beau cadeau qu’on pouvoir vérifier notre retranscription. La pas le mien. Furieux, je mets alors un pain au professeur. puisse faire à quelqu’un. Gméfiance caractérise le personnage. Sans doute un stigmate des nom- Vous l’avez vraiment frappé ? Lorsque vous entrez à la faculté de lettres et de breuses affaires médiatiques pour lesquelles il a plaidé, du démantèle- Je lui ai mis une gifle oui, ce qui ne se fait pas. J’ai subi une droit, étiez-vous déjà engagé politiquement ? ment du SAC dans l’affaire de la tuerie d’Auriol à la défense de Charles punition très lourde puisque j’ai fait un mois de cachot. Non, mais j’avais une petite tendance à l’anarchisme. Pasqua, de la défense du travailleur algérien Mohamed Laïd Moussa Vous n’avez pas été exclu ? Vous avez étudié Proudhon ? – dans laquelle il a risqué sa vie –, à celle du général tortionnaire Aus- Non car les pères ont considéré que j’avais morale- Je connais par cœur Pierre-Joseph Proudhon, Mikhaïl saresses pendant la guerre d’Algérie… Gilbert Collard n’en est pas à un ment raison, mais juridiquement tort. J’ai accepté cette Bakounine, Max Stirner… paradoxe près. Ses engagements politiques en témoignent également : décision, car on ne lève pas la main sur un professeur. D’où vous venait ce penchant pour l’anarchisme ? du PS au trotskisme (bien qu’il le démente), des radicaux valoisiens au Mais pour compenser l’injustice dont j’avais été victime, Vos parents étaient-ils engagés politiquement ? Rassemblement bleu Marine – la couleur du pull qu’il arbore ce jour-là. ils m’ont octroyé une autorisation de sortir pendant Non. Mon père a été Camelot du roi dans sa jeunesse, Et si derrière l’avocat et le politicien se cachait un très bon comédien, sa deux mois. C’était intelligent : j’ai été puni, mais en membre du Parti communiste pendant la guerre, puis première vocation ? même temps, ils ont reconnu la faute du professeur. Ce membre du Parti radical après. Cette recherche d’un idéal Comment est née votre vocation de devenir avocat ? jour-là, j’ai compris qu’on ne pouvait pas faire confiance politique est de famille. J’ai été pensionnaire chez les pères maristes de 8 à 17 ans. On subissait au pouvoir, qu’il n’y a pas d’institutions à l’abri de la Vous rappelez-vous les discussions politiques une discipline que vous ne pouvez pas imaginer, ce qui ne m’a pas donné malignité de l’homme, qu’un professeur, un magistrat, un que vous aviez avec lui ? le goût de l’autorité. Un jour, on nous a octroyé l’autorisation de sortir général, peut être un sale con. Et ce jour-là, à l’âge de 11 Oui, mais ce qui m’a marqué davantage ce sont mes le samedi soir, alors qu’avant on devait attendre le dimanche. On avait ou 12 ans, j’ai décidé que je serai seul contre tous et que je lectures. J’ai beaucoup lu Jules Vallès, Victor Hugo. J’ai lu un prof qui s’appelait Guérini, et qui a décidé de créer « l’épreuve de la lutterai contre les pouvoirs. ces auteurs qui partent à l’assaut du ciel. Ma vision de sabatine » pour obtenir la permission de sortir le samedi. Cette épreuve Ça sonne comme le vers de Victor Hugo adressé à gauche est donc une vision littéraire. Après, je suis un consistait à tirer au sort le nom d’un élève dans un tas de papiers, et à Napoléon iiie «: J resterai proscrit voulant rester debout ». des rares politiciens à avoir lu Le Capital, ce qui déroute lui demander de parler latin. Si celui dont on tirait le nom au sort ne Tout à fait, et quelle meilleure profession que celle un peu mes adversaires de gauche parce que je connais réussissait pas, il était privé de sortie. Je n’étais pas un bon élève, j’étais d’avocat pour traquer l’injustice ? Ce qui est extraordi- mieux leur littérature qu’eux. un élève indiscipliné, rebelle… Et chaque fois que j’avais la permission naire, c’est que quelques années plus tard, ce profes- Lisiez-vous ces livres avec l’intention de vous de sortir, mon nom était systématiquement tiré au sort. Au bout d’un seur a été décoré des palmes académiques, et comme trouver politiquement ? moment je me suis dit que ce n’était pas possible, je ne pouvais pas j’étais devenu un avocat connu, il m’a demandé de Non pas du tout. Ce qui m’intéressait c’était la polémique, croire que le sort s’acharne contre moi ainsi. Un samedi où j’avais l’au- venir le décorer. Il avait complètement oublié ce qu’il le choc. torisation de sortir, le professeur Guérini tire mon nom et pose la feuille avait fait. J’y suis allé, et quand j’ai fait mon discours, Lors de Mai-68, vous étiez encore étudiant. Quelle de papier sur un coin du bureau. Je me précipite dessus et je le lis à haute je lui ai rappelé cette scène. Je lui ai dit que je lui devais émotion politique cela a-t-il représenté pour vous ? voix : « Tisserand ». C’était le nom du neveu du cardinal Tisserand, haut beaucoup. Je lui dois de ne faire confiance à aucune ins- Oui, j’étais à l’université de droit d’Aix-en-Provence.

93 94 Charles Charles Justice et politique gilbert collard « Quand je défends le général Paul Aussaresses qui a torturé sur ordre de Mitterrand et de Guy Mollet, je ne défends pas sa méthode, j’explique un moment de l’Histoire. »

Il y a eu deux votes contre la manifestation favorable au Pourquoi souhaitiez-vous être acteur ? général de Gaulle : le mien et celui d’un autre étudiant. Parce que la vie simple m’emmerde, alors que la vie On a été deux à voter contre. Pourquoi ? Parce que je ne d’acteur est un extraordinaire voyage avec des passe- voulais pas être dans la majorité. ports fournis par Shakespeare, Molière, Dante, Labiche… Vous avez toujours voulu vous différencier... Le génie d’autres hommes offre une dimension addi- Je ne veux pas être avec la mêlée, c’est tout. Le groupe tionnelle à votre vie. C’est un peu ce que vit l’avocat au m’emmerde. Par exemple, si vous me demandez si demeurant : il a un rapport à l’être très étroit. je suis Charlie, je vais vous dire que je suis malheu- L’un de vos premiers dossiers retentissants en reux, que je suis en deuil, que je suis triste. Mais je tant qu’avocat, c’est la défense de Mohamed Laïd ne peux pas m’assimiler à cette espèce de slogan qui Moussa qui sera victime d’un attentat raciste après est finalement une simplification de toutes les souf- sa sortie de prison en mars 1975. frances humaines. Oui, et pour cause : il est mort, et moi j’ai failli mourir. À D’où vous vient ce goût pour la polémique ? l’époque, on n’avait pas SOS Racisme, on n’avait pas le (Il réfléchit.) C’est une bonne question, je ne sais pas. Je MRAP. Enfin on les avait, mais ils étaient inexistants et crois que ça vient de la passion des mots. J’ai beaucoup quand on défendait un Arabe, on le défendait tout seul. lu sur la rhétorique, j’ai travaillé pour être un avocat per- À l’époque, des grenades étaient lancées dans certains formant, mais c’est d’abord le jeu des mots qui m’a plu. bars… Il fallait y aller pour défendre un Arabe. On perdait Ce n’est plus le cas maintenant, mais il fut un temps où de la clientèle. On prenait des coups… C’est l’époque où on ne devenait pas avocat si l’on n’avait pas de véritables Valéry Giscard d’Estaing va opérer un rapprochement capacités verbales. entre l’Algérie et la France, et beaucoup de nostalgiques On dirait que vous prenez tout comme un jeu… de l’Algérie française ne souhaitaient pas ce rapproche- Oui, sinon on meurt. Ce siècle meurt de ne pas être léger. ment. Les gens se prennent très au sérieux, et ils prennent leur On a l’impression que dès le début de votre enga- sérieux pour du sérieux. Pourtant, pour grand qu’on soit, gement dans le métier d’avocat, justice et politique on n’est jamais plus grand que son cercueil. s’entremêlent. C’est la raison pour laquelle vous avez hésité à Un professeur d’histoire du droit m’avait fait lire Cicéron, être comédien plutôt qu’avocat ? qui reste le maître des orateurs. Cicéron définissait J’aurais aimé être acteur avant tout. Mon maître est là. l’humanisme de la manière suivante : c’est la capacité es (Il désigne un portrait accroché avec deux punaises et deux à donner aux événements une dimension universelle. harl c

r bouts de scotch à gauche de son bureau.) Un Arabe qu’on assassine, ce n’est pas un Arabe qu’on

ou Qui est-ce ? assassine, c’est un Arabe qu’on assassine dans l’Hu- p

ues Stanislavski. Le grand comédien russe, le père de la manité. Pendant toute ma carrière je me suis évertué g

ui technique théâtrale, l’inventeur qui a conditionné toute à sortir du quotidien les faits et les actes. Quand je l g la scénographie américaine. L’Actors Studio a deux défends le général Paul Aussaresses qui a torturé sur mue maîtres : Aristote et Stanislavski. ordre de Mitterrand et de Guy Mollet, je ne défends © Sa 95 96 Charles Charles Justice et politique gilbert collard « Vous savez, l’engagement politique, pas sa méthode, j’explique un moment de l’Histoire. C’est donc rencontré au moment où son livre sur Trotski c’est l’homme, ce n’est pas toujours facile d’être contre la torture quand on est dans venait de sortir. J’ai été déçu. Il m’a demandé si je voulais un catalogue La Redoute. » un pays en paix. Maintenant, s’il y a une bombe dans la faire le clip, j’ai accepté très volontiers, je ne le renie pas. pièce où nous sommes et que nous voulons savoir qui l’a Je souscris à tout ce que j’ai dit à propos des centres de posée parce que nous sommes enfermés, ça m’étonnerait rétention. Je suis toujours contre d’ailleurs, c’est pour que vous ou moi lui demandions gentiment comment la cela que je ne veux pas que les immigrés entrent : parce désamorcer. Moi je ne lui demanderai pas gentiment, je que j’estime que nous n’avons pas les moyens décents de et le militaire : tandis que l’un écrit tranquillement dans Vous avez moins de clients ? vous le confesse. Mais moi je suis un sale mec.... les accueillir. son bureau assis dans un fauteuil « avec une plume et de Oui, mais c’est aussi parce que j’ai moins de temps, il faut Votre engagement politique commence à gauche, C’est votre déception du socialisme qui vous a l’encre, l’autre l’écrit dans le sable au bout de son sabre, dans être honnête. Il faut du temps pour se plonger dans des vous étiez membre du Parti socialiste ? conduit à ce rapprochement ? la poussière et avec son sang. » Il me dit : « Ah oui, c’est beau dossiers judiciaires. Je ne le savais même pas. Mon oncle était adjoint au maire Ils m’ont écœuré ! Ils sont dans le confort en permanence. Tixier hein ? » Je lui dis que oui. Il me répond: « Malheureu- Vous sacrifiez donc votre carrière d’avocat sur de Marseille, Gaston Defferre, et j’ai expérimenté assez C’est mon combat contre le mépris de l’homme qui m’a sement, ce n’est pas de moi, mais de Vigny. C’est emprunté à l’autel de la politique. vite ce qu’était la démocratie chez les socialistes, puisque poussé à faire ce clip pour Pierre Boussel-Lambert, et qui Servitude et Grandeur militaires. » Il m’a ensuite confié : J’ai tout vu dans le métier d’avocat. J’ai commencé à pour avoir une voix de plus, ils m’avaient inscrit sans que me pousserait encore à le refaire aujourd’hui. Si je sais « Il faut savoir faire des emprunts, et ne pas le dire. » Je l’ai 23 ans, plus grand-chose ne me surprend. J’ai plaidé au je ne le sache. Donc j’étais membre du Parti socialiste à qu’il y a un endroit où on humilie les gens, ce n’est pas fait très souvent et ça marche bien. À ce titre, je lui dois Tchad, j’ai plaidé en Bosnie, partout ! J’ai tout vu. l’âge de 16 ans, mais je l’ai appris qu’à 18. Dans le sillon parce que je suis secrétaire général du Rassemblement beaucoup. On n’écrit jamais aussi bien que Vigny ou Hugo. C’est cette lassitude qui vous a poussé à être de mon oncle, j’ai fini par être secrétaire PS de la section bleu Marine que vous allez m’empêchez de le dénoncer. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’un jour, à la fin d’une candidat à la mairie de Vichy en 2001 ? des Baumettes. J’étais rocardien. Mais lorsque j’ai appris En 1981, dans l’affaire de la tuerie d’Auriol où le audience, un journaliste vient me voir pour me féliciter Non, j’ai été candidat parce que j’ai une fille, elle avait que Bernard Tapie allait entrer dans le gouvernement de chef du SAC est assassiné avec toute sa famille... de ma plaidoirie et me dit : « En souvenir, je vous donne une maladie grave, et il fallait absolument qu’elle soit Mitterrand, je suis parti. (Il nous coupe.) Oui, j’étais avocat de la partie civile, c’est mon cahier de notes. » En le parcourant, j’ai remarqué que dans une bonne atmosphère, humide et saine, donc nous Et vous soutenez alors Pierre Boussel-Lambert moi qui démantèle le SAC... Et après, j’ai été l’avocat de toutes les phrases qu’il avait relevées étaient de Céline. avons fait le choix de Vichy, une station thermale. On (candidat du Mouvement pour un parti des tra- Pasqua ! « Il buvait du gros rouge, épais comme de l’encre », « Quand il avait une maison là-bas, et ma femme est originaire du vailleurs) à l’élection présidentielle de 1988. Vous Dans cette affaire vous avez plaidé contre Jean- est revenu, après avoir débarqué en Provence, il a été blessé, coin. Et tant qu’à rester coincé à Vichy, je me suis dit que minimisez souvent ce virage trotskiste dans vos dif- Louis Tixier-Vignancour : quels sentiments vous il a eu une décoration, pas de pension. Encore un cocu de ça valait le coup de goûter à la politique. J’ai voulu tenter férents entretiens. éprouviez pour cet homme, à la fois avocat et homme l’infini ». En effet, ce procès, c’était l’histoire du type du cette expérience. En sachant que je ne serai pas élu. Mais Je n’ai pas été trotskiste. Je n’ai pas été militant au MPPT. politique ? Voyage au bout de la nuit. L’écriture célinienne est une j’ai tout de même fait 25 % ! Si je l’avais été, je n’aurais pas de honte à vous le dire. Être J’avais été très marqué par la plaidoirie de Tixier-Vignan- écriture paranoïaque qui génère de redoutables effets Votre engagement politique serait donc une trotskiste n’est pas une vérole. cour au procès du général Salan après le putsch des rhétoriques. affaire de conjoncture ? Et pourtant vous seriez allé une fois à Matignon généraux. C’est un grand moment d’art oratoire. (Grâce Comment s’est passée votre rencontre avec Edgar Vous savez, l’engagement politique, c’est l’homme, avec Pierre Boussel-Lambert… à sa plaidoirie, Tixier-Vignancour lui évite la condam- Faure ? ce n’est pas un catalogue La Redoute. Et la qualité d’un Jamais ! nation à la peine capitale – NDLR.) Edgar Faure m’avait C’est tout simple, il était à l’Assemblée nationale, il nous homme ne dépend pas de son étiquette politique ou de Mais vous avez participé à son clip de campagne confié que c’était un extraordinaire avocat et qu’il avait accueillait. On passait devant lui pour lui serrer la main. son programme. Staline avait un programme magni- par contre ? été condamné à la fois par la Résistance et par Vichy ! Machinalement, par distraction, j’ai fait un second tour, fique sur le papier, mais dans le réel, on ne compte plus Oui, ça c’est vrai, pour m’amuser, et parce que je pensais Quelqu’un qui est critiqué dans les deux camps, pour et il m’a resserré la main. Je lui ai dit : « Attendez, vous les morts. Souvent, quand je vois des journalistes qui vraiment que les centres de rétention à l’époque étaient moi, il est déjà sympathique. C’est un brevet. Après l’un serrez la main à n’importe qui, c’est la deuxième fois que je font la liste de mes engagements politiques, je leur une ignominie. de ses procès auquel j’étais venu assister, je l’ai retrouvé passe ! » Il m’a répondu : « Vous savez, la politique c’est 80 % réponds : « Cherchez des contradictions dans mon propos. » Comment se fait-il que vous ayez participé à paumé sans savoir où loger le soir même. Je lui ai proposé d’écoute, 20 % de décision, et une poigne très entraînée. » L’Europe ? J’ai toujours été contre. J’ai même milité contre son clip de campagne si vous n’étiez pas membre du de venir chez moi, trop heureux de pouvoir l’ausculter. Peut-on vraiment exercer le métier d’avocat plei- le traité de Maastricht. MPTT ? Durant quinze jours, j’ai pu lui poser toutes les questions nement lorsque l’on est engagé politiquement ? En 1989, vous aviez porté plainte en tant que secré- Pierre Boussel-Lambert me l’a demandé. J’ai une fasci- que je rêvais de lui poser. Bien sûr, parce qu’on ne porte que soi. Mes décisions n’en- taire général du Mouvement contre le racisme et pour nation pour l’Histoire. Et Pierre Boussel-Lambert est un Quel souvenir en gardez-vous ? gagent que moi. C’est le juge qui détermine votre destin. l’amitié entre les peuples (MRAP), lors du débat sur le type qui a connu Trotski. Ça me passionnait de savoir Je lui ai dit qu’il y avait un passage dans sa plaidoirie pour Votre engagement a-t-il eu des conséquences sur foulard islamique, contre Charles Zorgbibe, le recteur qui était Trotski, comme ça me passionnerait de discuter Salan que j’avais trouvé magnifique. C’est le passage où votre clientèle ? de l’académie Aix-Marseille, après sa décision de avec des gens qui ont connu Allende ou Chavez. Je l’ai il évoque la différence entre l’homme de haute politique Oui mais je m’en fous, c’est le prix à payer. refuser son entrée à des cours aux jeunes femmes

97 98 Charles Charles Justice et politique gilbert collard

« Je suis un pur produit de l’intoxication gauchiste. J’étais persuadé que Le Pen était un personnage effroyable. Plus sectaire que moi, il n’y avait pas. Je vous traitais de “facho” avant que vous n’ayez ouvert la bouche. Aujourd’hui, j’ai rencontré Jean-Marie Le Pen et j’ai une opinion tout à fait différente. »

qui refusaient de retirer leur voile. Le referiez-vous aujourd’hui ? Oui, mais c’était en 1989 ! Vous m’accorderez qu’en trente ans, il y a un abîme. La crise. En 1989, le jihad n’existait pas. L’échec de l’intégration n’était pas acté. Le premier rapport qui le constate date de 2004. Vous reconnaissez avoir changé de regard sur l’islam ? Oui, mais de bonne foi. À l’époque, ce n’était pas devenu un instrument politique. Quand la situation ne l’exige pas, je ne suis pas contraignant. En 1989 ça gênait qui, ce foulard ? Aujourd’hui, c’est devenu un instrument politique pour combattre la laïcité. Il y a des femmes qui ne le font pas du tout par prosélytisme, mais il y en a d’autres qui le font pour s’afficher de manière politique. Vous êtes passé du trotskisme au marinisme en passant par le PS, le Parti radical valoisien ou bien encore le Nouveau Centre. Est-ce que vous reconnais- sez un manque de cohérence idéologique quand vous scrutez votre parcours personnel ? es Non, car vous ne pourrez pas me prendre en défaut sur harl

c une idée. J’ai toujours défendu les mêmes idées. r

ou Le 24 juin 1990, vous défendiez l’organisation p des « Premières assises en Défense de l’Immigra- ues g tion ». Aujourd’hui, vous êtes membre d’une coalition ui

l g politique qui défend l’idée d’une immigration zéro.

mue N’est-ce pas contradictoire ? a s

© Oui, je me suis planté et je le reconnais. Mais si vous

99 100 Charles Charles Justice et politique gilbert collard « Je l’ai aidée pour des dissertations, me démontrez que la situation de cette époque est com- photos. Playboy m’avait proposé une commission comme je l’ai également encouragée parable à celle de 2014, je reconnaîtrai que j’ai eu tort, j’étais l’avocat et que j’ai supervisé la signature du quand elle a voulu mais ce n’est pas le cas. Ma femme m’avait prévenu contrat. Et si Jean-Marie Le Pen me garde une certaine d’ailleurs et je n’y croyais pas. estime, c’est parce que j’ai toujours refusé de prendre devenir avocate. Vous savez, (Gilbert Collard interpelle sa femme située dans une pièce un sou sur cette opération. C’était marrant, mais j’avais Marine a défendu à côté. Elle entre alors et dit : « Avec mon métier de gynéco- dissuadé Pierrette Le Pen de le faire. Je lui avais dit : des sans-papiers au début... » logue, je me suis très vite rendu compte que dans les centres « Avec ça, tu perdras ton divorce. » de procréation médicalement assistée, j’avais le planning À l’époque, elle préparait un manuscrit dans familial à côté et je voyais toutes les difficultés qu’avaient lequel elle avait écrit qu’elle détenait les preuves ces personnes issues de l’immigration pour s’adapter à d’une évasion fiscale en Suisse réalisée par Jean- notre société. Les femmes étaient perdues, c’était affreux. » Marie Le Pen… Gilbert Collard reprend alors la parole : « Et moi, je ne la Oui, mais ce n’est pas vrai. On n’a jamais rien prouvé. comme d’un intermédiaire. Je m’étais dit qu’une fille Elles le savaient, je ne crois pas. Tant que j’étais l’avocat croyais pas et on se disputait. C’est pour ça que les gauchos, Au FN, certains disent que vous connaissez tous capable d’appeler l’avocat de sa mère pour se servir de des deux plaignantes, le dossier tenait, c’est après qu’il je les comprends : j’ai été aussi con qu’ils peuvent l’être ») les secrets de la famille, ce qui vous rend indéboulon- lui, afin de rencontrer sa mère, c’était culotté. Et que cette s’est effondré. Mais Georges Tron est renvoyé en Cour Pourquoi avoir défendu Bernard Notin, accusé nable. fille soit ensuite capable de devenir ami avec l’avocat de d’assises, alors ce n’est pas fini. d’avoir nié l’existence des chambres à gaz dans un Je ne sais pas si vous avez divorcé – ça arrivera de toute sa mère sans que son père le sache, ça prouvait un certain Nous vous avions suivi lors de votre campagne article, alors que vous étiez à la tête du MRAP ? manière, ne vous en faites pas – mais en général, on ne se courage. municipale à Saint-Gilles (Gard) et à l’instar de Attendez, quand on défend un mouvement pour l’amitié fait pas de cadeaux. Si elle avait des éléments à l’époque, Vous l’avez aidée dans ses études de droit aussi ? nombreux habitants, nous vous avions trouvé entre les peuples, on n’a pas peur de débattre et de elle les aurait balancés. Oui, on travaillait ensemble. Je l’ai aidée pour des disser- distant, pas totalement engagé dans ce combat discuter. J’ai voulu défendre ce type parce que je consi- Vous dites que vous êtes un pur produit de l’an- tations, je l’ai également encouragée quand elle a voulu électoral. Comme si dans le fond, vous ne souhai- dérais qu’il avait le droit de dire ce qu’il voulait. Je suis tiracisme, mais vous étiez choqué également par le devenir avocate. Vous savez, Marine a défendu des sans- tiez pas être élu maire ? Collard, maire d’une ville de favorable à l’abrogation de la loi Gayssot. J’estime que vocabulaire employé par Jean-Marie Le Pen. papiers au début... province, était-ce vraiment conciliable avec votre l’on va mourir de ne plus dire ce que l’on pense. Je ne peux plus maintenir mes déclarations contre Le Comment avez-vous pris la décision d’adhérer au surexposition médiatique et vos activités sur Paris ? Comment êtes-vous devenu l’avocat de Pierrette Pen, quand je vois que Manuel Valls dit sur un marché FN ? Objectivement non, mais j’ai quand même fait 49 % en Le Pen, lors du procès qui l’opposait à Jean-Marie Le d’Évry qu’il n’y a pas assez de « blancos », ou lorsque C’est Michel Thooris (ancien syndicaliste policier proche ayant tout le monde contre moi. Je n’étais pas à fond car Pen ? Chirac parle du « bruit et de l’odeur » des populations nord- de l’extrême droite israélienne – NDLR) qui m’a fait ren- je suis contre le cumul des mandats et honnêtement, ça Lorsqu’elle a décidé de quitter Jean-Marie Le Pen, elle africaines. On peut critiquer les phrases explosives de Le contrer , lors d’un dîner en 2009. Michel me ne me plaisait pas d’y aller. J’y suis allé car on n’avait que cherchait un « avocat courageux ». J’ai été recommandé Pen. Mais elles ont souvent l’excuse de l’improvisation et disait à chaque fois : « Tu dis la même chose que Marine. » moi sous la main. par Jean Marcilly qui était en train d’écrire la biographie du contexte littéraire. Je lui répondais : « Peut-être mais derrière Marine, il y a Ça vous aurait fait chier d’être élu du coup ? de Jean-Marie Le Pen et qui était tombé amoureux de sa Et lorsque Jean-Marie Le Pen dit qu’il « croit à l’iné- Jean-Marie. » Mais quand j’ai découvert Louis Aliot, il m’a (Rires suivi d’un long silence.) J’aurais assumé, on assume femme. Ça m’avait fait marrer, je trouvais ça très drôle galité des races », lors d’une université d’été du FN... assuré que c’était qui était désormais tota- dans la famille. Mais franchement ceux qui cumulent, je comme situation. C’est simple, je n’aurais pas adhéré au FN de Jean-Marie lement aux manettes. ne sais pas comment ils font. À l’époque, vous avez justifié ce choix en affirmant Le Pen. Je reconnais que la phrase de Le Pen est une Vous partagez donc le constat de Florian Philippot Beaucoup de politiques sont devenus avocats qu’en défendant Pierrette Le Pen, vous aviez vu une connerie. Le discours sur l’inégalité des races m’est odieux. qui a déclaré que Jean-Marie Le Pen était devenu mais il y a moins d’avocats qui sont devenus poli- opportunité de « lutter contre Le Pen ». L’Afrique a été le premier continent à percevoir un contact « inoffensif ». tiques. Comment l’expliquez-vous ? Je suis un pur produit de l’intoxication gauchiste. J’ai fait avec l’au-delà, c’est pour ça que c’est imbécile de tenir de Non, car un homme qui maîtrise le verbe n’est jamais Lorsqu’on est avocat, on gagne un salaire, on n’a pas partie de la secte, j’étais persuadé que Le Pen était un per- tels propos. C’est Marine qui m’a convaincu d’adhérer inoffensif. C’est un canon verbal et quand vous prenez un financièrement besoin de devenir politique. Par contre, sonnage effroyable. Plus sectaire que moi, il n’y avait pas. au Rassemblement bleu Marine, pas Jean-Marie. boulet, ça peut faire des dégâts. Je pense qu’il ne faut pas beaucoup d’hommes politiques choisissent cette recon- Je vous traitais de « facho » avant que vous n’ayez ouvert Vous connaissez Marine Le Pen depuis combien négliger Jean-Marie Le Pen. Il est entré dans l’Histoire. version à la fin de leur carrière, comme une sorte de pré- la bouche. Aujourd’hui, j’ai rencontré Jean-Marie Le Pen de temps ? Dans l’affaire dans laquelle Georges Tron a été retraite. Mais ce ne sont pas des avocats. Un avocat, on et j’ai une opinion tout à fait différente. Depuis qu’elle a 15 ans. J’étais une sorte de grand frère accusé d’agression sexuelle, votre adhésion au FN le voit dans les prétoires. Je n’ai jamais vu Jean-François C’est vous qui l’avez poussée à poser nue en Une pour elle. Je me rappelle que dans les années 90, elle n’ar- n’a-t-elle pas fragilisé les parties civiles ? Durant Copé dans un tribunal. Ce sont plus des conseillers. de Playboy pour se venger de Le Pen ? rivait pas à rentrer en contact avec sa mère qui était en toute l’enquête, il a dénoncé un « complot ourdi par Vous avez eu le projet de monter une émission Non, et j’ai même refusé de toucher de l’argent sur les instance de divorce. Du coup, elle s’était servie de moi l’extrême droite »... télévisée sur TF1, avec le producteur Philippe

101 102 Charles Charles Justice et politique gilbert collard « Si demain, je me rends compte que je ne peux pas me battre comme je le souhaite en politique, je le dirai et je me casserai. »

Alfonsi, afin de « stigmatiser les dysfonctionnements définissez encore comme un anarchiste ? de la justice ». Vous avez toujours cette volonté de Il s’agissait d’une Anthologie des œuvres anarchistes. montrer les carences de la Justice dans votre combat Vous savez l’anarchisme, c’est la pire des choses, car c’est politique ? l’ordre poussé à son degré le plus absolu. Il n’y a pas de Oui, et j’ai mes idées fondées sur vingt-cinq ans de système plus discipliné car c’est l’individu lui-même qui pratique. Mon enseignement, je ne le tire pas d’une chaire en est le régulateur. Il n’y a plus besoin de policiers car on universitaire, mais du réel. Je souhaiterais organiser des ne vole pas, plus besoin de feux rouges car on respecte garanties contre le petit pouvoir. Dès qu’on donne du les arrêts et les limitations de vitesse. Moi, je supporte de pouvoir à quelqu’un, il est tenté de se soigner avec son moins en moins ce monde ambiant. J’aime la liberté et à pouvoir. Une phrase de Tacite me hante : « Qui gardera les chaque fois que j’ai une rupture dans ma vie, c’est au nom gardiens ? » Pourquoi ne pas appliquer la transparence de cette même liberté. aux juges ? Je ne comprends pas qu’on puisse décorer Ce livre vous a servi ? un magistrat en exercice. De la même manière, je trouve Oui bien sûr, je l’ai encore, c’est un très beau livre noir, il scandaleux que des magistrats puissent travailler dans est là chez moi. (Il se lève.) Ah mais non, il est même ici. des ministères, et ensuite retrouver leur juridiction à des (Il pointe un livre noir à la tranche usée, situé au dernier postes toujours prestigieux… étage de sa bibliothèque.). Je l’ai lu et relu, vous savez. — Aujourd’hui être politicien, c’est une fin en soi pour vous ? Attendez, je n’ai jamais souhaité devenir politicien. Donc je peux faire autre chose tant que j’ai la force. Si demain, je me rends compte que je ne peux pas me battre comme je le souhaite en politique, je le dirai et je me casserai. Vous dites que ce qui compte ce n’est pas le parti mais l’homme. Donc si François Hollande change de politique et vous appelle au gouvernement pour appliquer vos idées, en vous disant : « Gilbert, on a besoin de toi. » Vous iriez ? Si Marine m’y autorise, oui, car j’ai le culte de la loyauté. es Par exemple, je ne supporte pas qu’un mec qui a été harl

c Premier ministre de Sarkozy ou de Hollande aille l’insul- r

ou ter ou le critiquer par la suite. Sauf s’il y a un motif de p rupture réelle. Je pense que la loyauté c’est important. On ues g peut toujours trouver des raisons d’aller à la mangeoire. ui

l g Dans un livre d’entretiens, vous dites n’avoir

mue commis qu’un seul vol dans votre vie, celui d’un livre a s

© sur l’anarchisme quand vous étiez jeune. Vous vous

103 104 Charles Charles justice et politique Témoignages Prisonniers politiques

José Bové et Alain Krivine ont en commun d’avoir fait quelques passages en prison. Ils reviennent ici sur leurs différentes incarcérations. Bové se souvient du quotidien, de l’insalubrité, du bruit et du comportement étonnant de certains directeurs. Le second évoque la solitude qui l’a amené à adopter une vision d’ethnologue face à l’enfermement carcéral. De ces souvenirs distincts, tous deux s’accordent sur le caractère privilégié des prisonniers dits « politiques ».

par Arthur Nazaret illustrations Benjamin van Blancke

105 106 Charles Charles Justice et politique prisonniers politiques « Pendant plus d’une semaine, tous les matins, le directeur de la prison venait me supplier de payer José Bové : l’effectif de la prison. Ils ont été obligés d’aller acheter des assiettes, des couverts, des verres. Évidemment, cela la caution pour sortir. En fait, c’est moi qui décidais « J’étais un traduit une autre époque que celle d’aujourd’hui. Nous quand j’allais sortir. Un vrai pied de nez à la justice n’étions pas du tout dans des cellules au sens classique, et à l’administration. » prisonnier tel qu’on peut l’entendre aujourd’hui. C’était des dortoirs avec cinq ou six personnes. Nous avons été enfermés José Bové atypique » dans des voutes au rez-de-chaussée, dans des espèces de grandes salles.

« J’ai été incarcéré pour la première fois en juin 76. C’était Quand les prisonniers édictent dans le cadre de la lutte contre l’extension du camp un règlement intérieur sortis à part. Nous, les gens du Larzac, nous avons été une façon de manifester leur sympathie. Ils ne pouvaient militaire du Larzac. Nous avions occupé la commune La journée, nous étions tous ensemble dans une même mis ensemble. Nous occupions, au dernier étage, un coin pas faire autre chose, donc ils avaient fait ça spontané- de La Cavalerie, qui était située dans la base même du pièce. Cela faisait pas mal de chahut. Très vite, nous du bâtiment, avec des lits superposés. C’était pendant ment, et je trouvais que c’était quand même un geste camp militaire. C’est à cet endroit qu’étaient stockés nous sommes dit que nous n’arriverions pas à tenir ainsi. l’été de la sécheresse de 76, avec une chaleur absolument assez étonnant et très sympathique. tous les actes de vente des propriétés pour agrandir Alors, nous avons fait un règlement intérieur et nous incroyable. Le fait que nous soyons ensemble, à mon le camp militaire. Notre objectif était de détruire les nous sommes fixé des heures de silence, pour que les avis, a beaucoup facilité les choses. Quand nous avons La liberté ne se monnaie pas documents. Et en même temps de montrer que derrière gens puissent avoir un peu la paix à certains moments été amenés au tribunal, tous les détenus ont tapé sur les Quand je suis arrivé ensuite à la prison de Villeneuve, je cette histoire d’extension du camp militaire, il y avait de la journée. Nous avions affiché le règlement au mur, ce grilles... Le Larzac avait une bonne cote quoi. Même, du me suis rendu compte que tout le monde avait entendu aussi une histoire de spéculation foncière. Évidemment, qui a un peu déconcerté les gardiens qui venaient. Parmi côté des gardiens, il n’y avait pas d’hostilité. Il y avait parler du démontage. À la grande différence de 1976, les nous avons été arrêtés sur place, parce que le but n’était les gens qui étaient dans cette prison, il y avait aussi plutôt une sympathie, assez générale. détenus avaient des télés ou des radios dans les cellules. pas de s’échapper, mais bien de dénoncer le scandale. un pasteur et un prêtre franciscain. À chaque fois que Mon arrivée à Villeneuve-lès-Maguelone avait créé Tous les gens du plateau faisaient partie de cette action. nous sortions en promenade, nous avions le droit à une Bières et cigares une certaine attente de la part des surveillants et des Il y avait Guy Tarlier, Léon Maillé... Nous avons passé la explication architecturale de la prison… cela donnait une Par la suite, j’ai été incarcéré à trois reprises : en 1999, en détenus. J’ai commencé à nouer des liens avec les uns première nuit dans les bâtiments du camp militaire à La impression étonnante. Ce qui m’avait le plus frappé à ce 2002 et en 2003, à la prison de Villeneuve-lès-Mague- et les autres et essayé de comprendre un peu comment Cavalerie, gardés par les gendarmes mobiles. Ensuite, moment-là, c’est que moi j’avais ma fille aînée, Marie, qui lone. Cette maison d’arrêt a été construite pour remplacer fonctionnait la prison. Mes avocats avaient demandé nous avons été amenés en bus – vingt-deux personnes devait avoir huit ou neuf mois et quand avec sa mère, elle la vieille prison de Montpellier. C’était un bâtiment que je sois mis en liberté provisoire. Le juge avait refusé, ça ne se déplace pas comme ça – devant le procureur. Et venait dans ces parloirs de plexiglas avec seulement des standard comme ceux que l’on voit maintenant. La parce que j’avais eu des condamnations sans incarcéra- là, on nous a annoncé qu’on allait passer en comparution petits trous pour l’hygiaphone, cela la perturbait complè- première fois, en 1999, j’y vais à cause du démontage du tion, pour des histoires d’OGM. Il a fallu qu’il y ait une immédiate, ce que nous avons refusé. Nous avons donc tement. Elle ne comprenait pas pourquoi elle ne pouvait McDo. À l’époque, j’étais en vacances avec mes enfants, audience au tribunal de Montpellier pour décider s’ils été mis en détention préventive en attendant le jour du pas me toucher. puisque le démontage a eu lieu le jeudi 12 août et que tra- pouvaient me mettre en liberté. Il s’est passé quinze jours, procès. ditionnellement je partais le 15. La police a fait un coup trois semaines avant que cette audience ait lieu. À l’au- Là, nous avons été transférés à la prison de Rodez. Les rats de filet, le lundi suivant. Ils ont eu du mal à croire que je dience, ils ont décidé de me mettre en liberté si je payais Depuis Millau, cela fait environ 75 kilomètres, que nous Après une semaine, nous avons été transférés à Mont- ne m’étais pas échappé. Bref, je me suis rendu, vu que les une caution pour sortir. J’avais déclaré à ce moment-là, avons encore faits en bus. Il y a eu un incident dans le pellier. Nous y sommes restés encore huit à dix jours, en autres collègues avaient été arrêtés. La juge d’instruction que c’était une action syndicale, politique aussi, et que bus, puisque parmi nous il y avait plusieurs femmes, et attendant le procès en appel. Là, c’était une toute autre a décidé de m’incarcérer le temps de l’instruction. Donc donc la liberté ne se payait pas. Vouloir me libérer en me celles-ci n’ont pas voulu être séparées des hommes. Ils prison. C’était la vieille prison de Montpellier. Une prison j’ai été amené à la prison de Villeneuve-lès-Maguelone, faisant payer une caution, comme dans un très mauvais ont essayé d’arrêter le bus au bord de la route pour faire en croix, un grand bâtiment à plusieurs étages, avec de depuis Millau. On m’a emmené dans la cour, pour entrer feuilleton américain, non. Je me suis retrouvé dans une sortir les femmes, elles n’ont pas voulu descendre. Bref, grands escaliers en ferraille, avec des coursives en fer au dans la voiture des gendarmes. Ils avaient préparé une situation marrante, puisque pendant plus d’une semaine, ça a créé un moment de panique. Nous sommes quand milieu. Au niveau sanitaire, c’était une prison vraiment glacière, avec des bières et une boîte de cigares, et depuis tous les matins, le directeur de la prison venait me même arrivés à la prison de Rodez, le soir. Et à l’époque, invraisemblable avec des rats qui remontaient par le trou Millau jusqu’à la prison, pendant une heure et demie, supplier de payer la caution pour sortir. En fait, c’est moi la prison de Rodez était une vieille prison, qui était en des WC que du coup nous bouchions. L’entassement dans nous avons bu des bières et fumé avec les gendarmes. qui décidais quand j’allais sortir. Un vrai pied de nez à la fait un couvent de capucins, reconverti en prison. Ce qui les cellules était très important. Nous avions très peu L’action du démontage était très populaire sur Millau et justice et à l’administration. C’était cocasse. était marrant, c’est qu’en arrivant là, nous avons doublé de contacts avec les autres prisonniers car nous étions sur la région, et on se connaissait tous. Pour eux, c’était

107 108 Charles Charles Justice et politique prisonniers politiques « La nuit, il y a aussi du bruit parce que toutes les angoisses remontent. Les gens sont Le quotidien enfermés dans leur cellule, ça tambourine, Chaque jour, tu cantines. Un jour les produits alimen- détenus, en tout cas c’est comme ça que je l’ai vécu, je ne taires, un jour les produits sanitaires, un jour le papier me sentais pas coupable de quoi que ce soit. Pour moi – et jusqu’à 3 heures du matin il n’existe pas de silence. et le tabac, les journaux… Une fois par semaine aussi, c’est peut-être la philosophie de l’action non-violente qui Beaucoup de détenus sont soit sous médocs, tu as le droit à la visite de la famille. Comme il est très m’a amené à ça –, la prison est la continuité de l’action. compliqué de faire entrer des livres en prison, j’ai surtout Être en prison participe de la mobilisation et la prolonge. soit claustrophobes, soit victimes lu des romans. Les seules choses que j’avais tous les jours, de crises d’angoisses. » c’était le courrier. C’était devenu absolument démentiel. L a hiérarchie des promenades José Bové En 2003, on a calculé qu’entre 400 et 500 lettres arri- J’ai noué des liens avec les détenus qui étaient autour vaient par jour. Il fallait régulièrement qu’on évacue ma de moi. Ils m’avaient mis dans un des bâtiments les plus cellule. Nous avons aussi lancé un truc assez marrant qui calmes. J’étais avec des mecs qui attendaient leur procès, était que les gens envoient leur courrier en recommandé soit en première instance, soit en appel, pour avoir avec accusé de réception. Cela obligeait l’administra- commis des gros vols, des assassinats ou des choses tion à venir me faire signer mes recommandés tous les comme ça. J’étais avec les délinquants lourds, dont Le rituel des cailloux je crois. Mon voisin avait une petite caméra, il a filmé. jours, à raison de 30 à 40 récépissés à faire signer par jour. certains étaient des récidivistes, des vieux routiers de la En 2002 et 2003, évidemment la tension a été plus forte Ils avaient aussi bouclé toutes les routes autour de la On peut dire que j’ai occupé l’administration pénitenti- prison, des gens qui avaient déjà fait dix ans ou quinze parce que les copains avaient établi un campement prison, pour empêcher les manifestations. Quelques aire. La journée, s’il n’y avait pas de tension, les cellules ans de prison, à plusieurs reprises. Il s’agissait de gros permanent devant la prison. Il y avait des animations à jours après, un surveillant passe et nous nous mettons pouvaient être ouvertes. Parfois les gars demandaient à braqueurs, ceux qui avaient des délits de sang, de vrais l’extérieur, des ballons s’envolaient et venaient jusque à discuter. Il me raconte que lui-même avait été bloqué venir me voir, il y a des moments où j’ai dû dire stop, parce truands. Ils géraient l’espace et servaient un peu de juge sur les grillages. Un pataquès invraisemblable à l’exté- en arrivant à la prison. Il était arrivé en civil et on ne l’a que toutes les heures, quelqu’un de nouveau venait. C’est de paix. Très vite j’ai vu que dans la cour de promenade, rieur. L’administration a craqué, complètement. Il y a eu pas laissé passer, en lui disant que ce n’était pas un jour sympa pour boire un coup, mais souvent c’était aussi il existait une hiérarchie, et qu’en fonction de comment plusieurs fois des manifs et des chaînes humaines autour de visite. Il était de type nord-africain, alors forcément pour des papiers, pour les aider à comprendre ce qu’ils on était socialement dans la prison, soit on marchait de la prison. En 2002, un rituel s’est institué. Spontané- il devait venir parce que quelqu’un de sa famille était en avaient reçu du juge. Je servais aussi un peu de conseil. en faisant le tour, soit on faisait des allers-retours, sans ment. Les gens se retrouvaient tous les soirs à 18 heures. prison... La chaleur accentuait les problèmes d’odeur. La bouffe être obligé de tourner en rond. J’avais le droit de rester au Il y avait une rambarde en fer, les gens ramassaient était souvent jetée par les fenêtres et cela s’accumulait milieu, puisque j’étais un prisonnier atypique. des cailloux, et ils tapaient avec sur la rambarde. Je ne A yrault en prison au rez-de-chaussée. Les rats passaient. C’était vraiment pouvais évidemment pas les voir. Mais je les entendais. Comme ils sont venus m’arrêter à 6 heures du matin, désagréable pour tout le monde. Drucker Une fois, j’ai pu monter à l’étage dans les douches, aller j’avais juste pu m’habiller et j’étais parti sans argent sur J’ai eu une amitié plus particulière, avec un gars qui voir comment c’était. Les gens de la prison savaient qu’il moi. En arrivant à la prison, je ne pouvais pas cantiner Bruit et angoisse venait de tomber pour avoir commis 13 braquages en y avait ce rendez-vous tous les soirs à 18 heures. Des quoi que ce soit. À midi, quand le repas est arrivé en J’étais seul en cellule. Les repas se prenaient seul aussi et un an. Des braquages à main armée. Il attendait de centaines de personnes tapaient. Je rencontre souvent cellule, il y avait deux grands sacs en plastique, qui à des heures très précises, vraiment. Six heures le petit passer en procès pour ses braquages. Depuis qu’il était des gens qui me disent : “On est venu taper à la prison. ” m’ont été donnés par celui qui faisait la distribution de la déjeuner, midi le repas, et 18 heures le dîner. À partir de 18 en prison, il faisait de la peinture. Nous avons discuté, nourriture, et qui était la collecte de tout l’étage. Chacun heures, le soir, il ne se passe plus rien jusqu’au lendemain c’était un ancien croupier. Lui était branché bande-des- L ’hélicoptère avait donné, des timbres, du papier pour écrire, du tabac, 6 heures. Douze heures, où les gens sont enfermés à clé, sinée, et c’est à partir de là qu’il s’est mis à dessiner en En 2003, j’ai été incarcéré de manière assez invraisem- dans une espèce de quête spontanée, organisée par les sans plus aucune activité possible. La prison est un lieu prison, puis à faire de vrais tableaux. Cette amitié a duré blable. J’avais été arrêté chez moi, à 6 heures du matin. Ils détenus, que je ne connaissais pas. Cette arrestation a où il y a toujours du bruit. En journée, c’est très difficile ensuite à travers les années. Je suis allé aux assises pour ont fracturé la porte de la maison, 200 gardes mobiles ont causé tout un pataquès et j’ai eu, presque tous les jours, de se concentrer. La nuit, il y a aussi du bruit parce que assister à son procès, où il a été condamné à huit ans encerclé toutes les routes pour être sûrs que personne ne un député d’opposition (communiste, socialiste, radical toutes les angoisses remontent. Les gens sont enfermés ferme. En 2001, quand j’ai été invité à l’émission de télé puisse venir. Ils ont fait atterrir un hélicoptère à côté de de gauche) qui venait me rencontrer dans ma cellule. dans leur cellule, ça tambourine, jusqu’à 3 heures du du dimanche après-midi, de Michel Drucker, j’avais mis la ferme, à 50 mètres de la porte de la maison. Ils m’ont Ayrault notamment. Je m’en rappelle, parce que c’était matin il n’existe pas de silence. Beaucoup de détenus comme seule condition qu’une équipe de France 2 vienne menotté, directement mis dans l’hélicoptère et immé- la première fois qu’il mettait les pieds dans une prison. sont soit sous médocs, soit claustrophobes, soit victimes à l’intérieur de la prison de Villeneuve-lès-Maguelone, et diatement amené à la prison. J’ai été embarqué, j’étais Comme la prison n’était pas proche de Paris, ils ont de crises d’angoisses. Le silence se fait entre 3 heures du lui offre l’occasion de parler de sa peinture. Il s’appelle en tee-shirt et en sandalettes. Le ministre de l’Intérieur organisé une sorte de rotation à l’Assemblée nationale. matin et 6 heures du matin. À la différence des autres Moss. C’est son nom de plume. devait s’appeler quelque chose comme Nicolas Sarkozy, Une vraie solidarité. »

109 110 Charles Charles Justice et politique prisonniers politiques

Alain Krivine : « On s’emmerdait, quoi »

« J’ai été deux fois en prison, chaque fois un peu plus ouvrière (qui plus tard deviendra Voix lutte ouvrière). À d’un mois, mais sans jamais avoir de procès. J’ai toujours ce moment-là, quatre mecs me tombent dessus. L’un était bénéficié d’une amnistie. Parce qu’à chaque fois le déguisé en marchand de journaux. On ne pouvait pas président de la République était mort. En gros, j’ai tué penser que c’était des flics. Du coup, on s’est fait arrêter deux présidents de la République. La première fois que tous les trois. Les flics ne savaient pas qu’il était le type j’ai été en prison, c’était en 68, quand ils ont dissous une de Voix ouvrière. Ils l’ont arrêté parce qu’il me saluait, dizaine d’organisations d’extrême gauche. Il n’y a que c’est tout. Et en fait, c’était un grand dirigeant, dont le l’organisation des lambertistes qui n’a pas été dissoute... pseudonyme était Spartacus. Nous sommes envoyés dans un commissariat près de Saint-Denis. Ma femme a Les “événements” été libérée assez vite. Moi, ils m’ont quand même gardé En 1968, j’ai 27 ans. J’ai obtenu un sursis pour l’armée. Je plusieurs jours. Ensuite, ils m’ont envoyé à la prison de suis censé préparer l’agrégation d’histoire. En fait, je ne la Santé. J’étais un politique, alors j’étais tout seul dans la préparais pas. Quand les événements ont commencé, ma cellule. j’étais à mi-temps chez Hachette comme secrétaire de Les rapports avec Voix ouvrière (l’ancêtre de Lutte rédaction d’une revue culturelle, Connaissance de l’his- ouvrière) en 68 n’étaient pas excellents. Mais le type de toire. Je relisais les textes. 68 arrive, je retourne à la VO était un gars sympa. Il était marrant. Il était vraiment Sorbonne, parce que j’étais secrétaire de l’Union des à la direction de VO, mais il n’avait pas l’esprit VO. La étudiants communistes. Je quitte Hachette. Pendant preuve, c’est qu’il va se faire shooter de Lutte ouvrière les événements de 68, je vais habiter dans différents plus tard. Après chaque interrogatoire, il me renseignait endroits au Quartier latin. sur ce qu’il avait dit, en chantant les questions et les À ce moment, la possibilité de finir en prison, je n’y réponses en anglais sur un air des Beatles pour que les pensais pas. Je savais que nous n’étions pas dans un flics ne comprennent pas. régime fasciste et que ce n’était pas la révolution non plus. Mais notre organisation s’est fait interdire. À On s’emmerdait, quoi l’époque, on organisait des réunions qui n’étaient pas Quand on arrive à la prison, un directeur vous reçoit.

es tolérées, un peu clandos. Pour les réunions du bureau Très poli, vous expliquant comment ça fonctionne.

harl politique, on allait chez des comédiens, des gens comme Les balades, je les faisais tout seul. Les conditions de c r ça. On a dû apprendre notre interdiction par la radio. détention étaient pénibles, j’étais dans une cellule sans ou p

e journaux, sans télévision, avec un lit replié pendant k c Entre Baisers volés, Spartacus et les Beatles la journée, ce qui fait que je ne pouvais pas m’allonger. an Un jour, je donne rendez-vous à ma femme, devant le Au quotidien, on bouquine et on s’emmerde aussi. Il y a an bl

v lycée Condorcet, qui était mon ancien lycée, en pensant des interrogatoires, l’avocat vient vous voir de temps en n

mi que personne ne le saurait. Je la vois, je traverse. Je vais temps. La famille aussi, mais à l’époque il n’y avait pas de a j n

e lui faire un bisou et là un mec s’arrête et me dit : “Alain, salle, donc il y avait un hygiaphone ou je ne sais pas quoi.

© b qu’est-ce que tu fous là ?” C’était un des dirigeants de Voix

111 112 Charles Charles Justice et politique prisonniers politiques « Durant la promenade, nous n’étions qu’entre politiques. On était très peu.

1973, et Maurice Papon On tournait comme des cons. La deuxième fois, en 1973, j’ai été arrêté après un Les politiques étaient considérés meeting d’Ordre nouveau à la Mutualité. Ordre nouveau comme des privilégiés. » était un des groupes fascistes de l’époque. Ils défendaient des thèmes comme l’Algérie française, le colonialisme, le Alain Krivine racisme, avec un petit côté vichyste. Au moment de leur meeting, notre logique, c’était “le fascisme s’écrase dans l’œuf ”. Je me rappelle qu’il y avait eu un vote au bureau politique, sur le nombre de cocktails Molotov qu’on allait fabriquer. À l’époque, les manifestations étaient rentré à pied, avec une nuée de poulets derrière moi. J’eus Je roupillais violentes et nous sommes tombés dans une provoc. Les à peine le temps de faire un bisou à ma femme, que ça J’avais un peu de fric, donc je cantinais. Cantiner ça flics manquaient de munitions. Ils en ont pris plein la sonnait à la porte. Les flics m’ont dit : “Maintenant, ça permet d’acheter, de passer des commandes. Il n’y a pas poire, je crois qu’ils ont eu 70 blessés. On a appris après, suffit. Vous nous suivez.” Et ça a été ma deuxième arresta- eu de tortures, pas d’insultes. Les douches, c’était une que le manque de munitions était délibéré. Maurice tion. Là, les flics m’ont emmerdé à propos de nos pseudo- ou deux par semaine. Les gardiens nous emmenaient Papon, qui était préfet, voulait monter les flics contre nymes, ils voulaient savoir qui était Ludo. Ludo, c’était à la douche, mais les portes étaient ouvertes. Ce qui nous pour aider le syndicat d’extrême droite. Nous, nous Recanati, qui est mort par la suite. Il y a eu un film sur lui domine dans la prison, ce sont les conditions d’héber- voulions obliger les gens à aller à ce meeting entre deux de Romain Goupil. Ils voulaient savoir qui avait organisé gement qui ne sont pas bonnes. Surtout à la prison de la rangées de CRS pour qu’ils comprennent que ce n’était la manif, et qui y était. Quand j’ai été arrêté juste après les Santé. Ensuite, il y a le bruit. Toute la journée, le bruit des pas un meeting comme les autres. Donc on avait appelé événements de 68, il y avait un climat anti-gauchistes. serrures. Sans arrêt. Les braves gardiens qui ouvrent les à une contre-manif avec le PSU et quelques groupes On était assez isolés. Alors qu’en 1973, le contexte était serrures, qui les ferment, qui les ouvrent, qui les ferment, cathos de gauche, je crois. à aider et à intervenir.” Il faisait le gars qui aurait été un assez différent. Il y a eu un meeting de soutien avec quand il y a une visite, quand il y a un avocat… Il n’y a peu coupable d’être acteur. Après, j’ai été chez un acteur, Duclos, Mitterrand, pour notre libération. Cela montre pas un moment de silence dans les prisons, sauf le soir. Hébergé chez Piccoli très drôle, qui fait très mondain… Puis la direction de la qu’on avait un impact. La nuit, les prisonniers commencent à parler entre eux, Moi, on m’avait envoyé à Nice, donc je n’ai pas participé à ligue a estimé que ça ne servait à rien, qu’il fallait que je d’une cellule à l’autre, à envoyer des coups sur les tuyaux cette manif. Quand je suis revenu le lendemain matin, je me livre. On s’est dit qu’on allait le faire en beauté ! Nous Un espion sympa pour se faire entendre. Mais on ne comprend pas grand- me suis rendu vers notre local, mais des militants m’ont avons fait une conférence de presse à l’Hôtel de Ville. Rebelote. À la Santé. Des gardiens me disent : “Vous chose. La nuit, j’arrivais à dormir. Je roupillais. J’avais arrêté sur le chemin. Ils m’ont dit : “Alain, les flics sont Nous avions invité beaucoup de leaders de la gauche. vous souvenez de moi ?” “Non.” Je me rappelais plus leur toujours dans l’idée, que, étant un politique, je n’allais au local, tu te casses.” Et effectivement, les flics occu- gueule. Cette fois, je pouvais avoir les journaux. Le lit pas rester très longtemps. Du coup, comme après à paient le local, ils faisaient une perquisition, d’ailleurs “On va aller voir Mitterrand” n’était pas replié, donc on pouvait dormir, faire la sieste. l’armée, j’ai davantage adopté l’attitude de l’ethnologue, c’est cette fois où ils ont trouvé un fusil de chasse. Avec Charles Hernu était là et, à la fin de la conférence, il me Dans la cour, j’ai rencontré un condamné pour espion- du sociologue. À l’armée, j’étais dans l’infanterie à faire certains, comme Daniel Bensaïd, on a été hébergés. Un dit : “On va aller voir Mitterrand.” Mitterrand ne savait pas nage au profit de la RDA. Très relax, le gars. C’était un des marches à la con. Et l’infanterie, on ne peut pas dire premier chez Delphine Seyrig, moi chez Piccoli et Gréco. quoi me dire, moi non plus. Donc, il m’a dit : “On se serre espion, mais bon, sympa, il prenait vraiment ça à la qu’elle était composée d’intellectuels. Mais ça m’intéres-

Il y avait une grande table, des serviteurs, la grande la main.” Il a ajouté : “Il faut qu’on parle et que l’on fasse de es légère. Je lui dis : “T’en as pour combien ?” “Deux années, sait. À l’armée comme en prison, je me sentais un peu

vie quoi. Ce sont des gens qu’on connaissait, qui nous grands gestes pour la télé.” à l’époque, ils avaient ravalé harl mais il va y avoir un accord commercial, je vais être libéré extérieur à ce qui se passait. C’est en lisant que j’ai appris c avaient aidés. Piccoli, par exemple, nous avait filé du la façade de la cité Malesherbes, là où était le PS, et Mit- r bientôt.” J’ai aussi retrouvé Pierre Rousset, un autre que certains étaient à 4 ou 5 dans une cellule, dormaient ou p fric pour acheter le local. Il venait nous voir de temps en terrand me montrait tout cela du doigt et les télés étaient e dirigeant de la Ligue, arrêté le 22 juin au matin. La cellule par terre. Moi, j’étais seul dans ma cellule. Donc je n’avais k temps, on le rencontrait dans le café qui était en bas, et persuadées qu’on parlait politique. En me raccompa- c étant ouverte la journée, je pouvais aller le voir. On avait pas tous ces inconvénients... » — an c’est là où je le consolais, parce qu’il disait: “Oui, j’en ai gnant, il m’a dit : “Je peux vous garder toute la nuit au local, même un étage en haut, où on pouvait se voir, se balader, an bl marre d’être acteur, c’est stupide, faut que je milite. ” Et je lui même plus si vous voulez.” Mais on avait décidé que je me v discuter, bouquiner. Durant la promenade, nous n’étions n

disais : “Mais non, c’est ridicule.” Je lui disais, à l’inverse ferais arrêter chez moi. J’ai quitté François Mitterrand, mi qu’entre politiques. On était très peu. On tournait comme a j n

de ce que disait Sartre, de pas faire le con : “T’es acteur, toujours avec des grands gestes. Les télés, les flics, tout e des cons. Les politiques étaient considérés comme des

c’est très bien, continue à être acteur. Et puis, tu continues ça, tout le bordel suivait. J’habitais tout près, donc je suis © b privilégiés.

113 114 Charles Charles 115 Charles

© patrice normand pour charles culturelle révolution enquête p. 138 entretien p. 126 2017, EN

thomas legrand IMA LE G ES

POU p. 150 V OIR

DE

L ’ IMA G INATION p. 116 Charles 116 demande à des écrivain(e)s d’imaginer, Charlesde comploter, de sublimer sous la forme d’une nouvelle, 2017 la présidentielle de 2017. Politique-fiction ? Si l’on veut… LE POUVOIR En tout cas, à coup sûr, le pouvoir de l’imagination. révolution Quatrième de la série : Thomas Legrand culturelle DE l’IMAGINATION 2017 N°4 Sarko papillon de thomas legrand

ardi 9 mai 2017

From : [email protected] To : [email protected]

« Chère Isabelle, M Le président va mieux. Nous pensons qu’il a retrouvé quasiment l’intégralité de ses esprits. Il communique depuis hier grâce aux clignements de ses yeux : un clin d’œil, c’est oui, deux clins, c’est non. Carla vient de passer plusieurs heures à ses côtés. Elle lui a tout raconté… sa course à vélo avec Michel Drucker au cap Nègre, puis l’acci- dent, la collision avec la Porsche Cayenne de Didier Barbelivien devant la propriété des Bruni. Les deux ans de coma, l’émotion nationale, les messages de soutien du monde entier, les paroles de réconfort d’Angela Merkel, les grigris envoyés par Ali Bongo, les milliers de lettres qui s’entassent rue de Miromesnil adressées par des sympathisants ou de simples citoyens émus, l’étape du tour de France 2016 que, sur l’insis- tance de François Hollande, les organisateurs ont fait passer devant notre hôpital San Salvadour de Hyères. Nous lui avons passé sous silence le suicide de Didier Barbelivien. Nous avons pensé avec Carla que ce n’était pas la peine de lui annoncer et de risquer un choc émotionnel… En tout état de cause, il ne peut pas

Thomas Legrand est éditorialiste politique à France Inter. Il travaille également à Canal+ et au mensuel Lui. Seul ou en collaboration, il est l’auteur de plusieurs enquêtes ou essais politiques. Il a ainsi récemment fait paraître Arrêtons d’élire des présidents (Stock, 2014) et De quoi nous parlez-vous ce matin ? (Les Petits Matins, 2015). Avec cette nouvelle inédite, Thomas Legrand prouve qu’il a aussi beaucoup de talent dans la fiction.

portrait patrice normand 118 Charles révolution culturelle 2017

poser de questions. Il est dans un état de passivité totale (hormis la soient déjà aux abords de votre établissement pour guetter la moindre possibilité de cligner des yeux). visite… » Carla a été parfaite et le président sait maintenant qu’il est atteint du locked-in syndrome, qu’il est enfermé dans son corps, inerte. Il sait aussi Mercredi 10 qu’il peut s’en sortir. Sa situation est déjà exceptionnelle, sa résistance physique et sa force mentale sont incroyables. Carla lui a donné des Isabelle Balkany est maintenant assise sur la chaise d’hôpital en nouvelles de tous ses proches et de sa famille. Mais il veut maintenant corde de plastique bleu. Elle fait face au lit de l’ancien président. D’une tout savoir sur la vie politique française. Il connaît la date d’aujourd’hui, blondeur toute fraîche de la veille, elle regarde Nicolas Sarkozy dormir, mais il n’a visiblement pas fait le rapprochement avec la présidentielle. comme une grande sœur veillant sur son petit frère blessé. Le malade Il ne va pas tarder à comprendre que nous sommes entre les deux tours. est d’un calme terrifiant. Il paraît congelé. Lui qui ne tenait pas en place, Il semble qu’il veuille écouter la radio. Pour l’instant, nous ne jugeons se dit Isabelle, lui dont le corps tressaillait à la moindre contrariété, lui pas raisonnable de le plonger trop brutalement dans le flot de l’actualité. qui semblait contenir l’énergie d’une centrale nucléaire intérieure, lui Trop d’informations politiques confrontées à son incapacité complète dont le visage se tordait quand il tentait, au prix de terribles efforts de bouger et de parler créeraient un conflit sensoriel et émotionnel sur lui-même, de modérer ses emportements, ses agacements, le voilà interne qui pourrait s’avérer dommageable pour son état général. statufié, horizontalement, dans une attitude de passivité glaçante. La Nous lui avons soumis une liste de noms parmi ses amis personnels et pasionaria de Levallois, la plus ancienne amie de Sarkozy, ne l’a pas vu ses collaborateurs pour qu’il nous désigne celui ou celle qu’il souhaite depuis deux ans et s’attendait, comme tout le monde, à la triste nouvelle rencontrer afin de parler politique. C’est sur votre nom, madame de sa disparition. Balkany, que le président a cligné seulement une fois des yeux. Sur Isabelle prend la main de Nicolas. Il n’est pas congelé… il est bien à 37,2… votre nom et seulement sur le vôtre. Cela veut dire qu’il veut vous voir. Aucune réaction. Elle approche son visage de celui de l’ancien président, Il compte sur vous pour lui raconter les deux dernières années de la vie « Nicolas, tu m’entends ? » politique française. Il faudra vous y prendre avec tact : recontextualisez Ses yeux sont ouverts. les événements, ne brûlez pas les étapes. Le patient doit se réapproprier Il cligne une seule fois, mais en appuyant bien ce mouvement si modeste les logiques de la politique, se réinstaller dans ses dispositions d’avant qu’il prend soin de faire durer quelques secondes pour signifier qu’il ne la chute. Ça risque d’être brutal, mais ce travail est vital. s’agit pas d’un clignement réflexe mais bien d’une réponse consciente Venez au plus vite ! Il faut absolument que son intérêt soit alimenté. et positive. Tout ce qui éveillera son esprit sera un atout pour sa survie, et même pour qu’il puisse espérer un jour retrouver l’usage de son corps et de – À la bonne heure !... Ben dis donc mon Nico ! Dans quel état tu t’es ses sens. Surtout ne dites rien à personne, même à votre mari. Seul le mis ! On s’en est fait du souci… Mais tu es une force de la nature, tu t’en personnel habilité de l’hôpital, la famille proche, le président de la Répu- sortiras et tu seras président en 2023… Parce que ce qui se prépare, ce blique, savent que M. Sarkozy est sorti du coma. » n’est pas de la tarte ! On va avoir besoin de toi ! Et là, je peux te dire que tout le monde t’aime. Depuis deux ans tu as battu tes records de popu- From [email protected] larité… On s’était déjà aperçu que quand tu ne parlais pas ta popularité To [email protected] montait… Eh bien, quand tu ne bouges pas, ça monte encore plus vite !... Non, je déconne ! Sais-tu que nous sommes entre les deux tours de la « Cher Professeur, présidentielle ? Merci de ces excellentes nouvelles que j’attendais depuis deux ans ! Je prends dès aujourd’hui le TGV. Je me présenterai demain à 10 heures Aucune réaction dans les yeux de Nicolas. Quelques clignements mani- dans vos services. Votre secrétariat peut-il prendre contact avec le mien festement réflexes… Puis deux clignements distincts. Non, il ne savait afin d’organiser une entrée discrète s’il vous plaît? La rumeur d’une pas. sortie du coma court dans tout Paris, et je crains que des paparazzis

Thomas Legrand 119 120 Thomas Legrand Charles Charles révolution culturelle 2017

Faisant fi des recommandations de modération et de tact du profes- mon petit Alain, maintenant récite-moi “Le Corbeau et le Renard”. » Le tout seur, Isabelle, comme à son habitude, y va franco ! en direct sur la 2 en prime time ! Et puis, il s’est bien fait pomper dans les beaux quartiers par Ludivine de La Rochère avec ses 4,6 %… Elle n’a – Bon, ben je peux te dire que sans toi la droite est dans les choux. Voilà pas arrêté de rappeler que Bordeaux était la deuxième ville après Paris la situation : le second tour, dimanche prochain, opposera Manuel Valls pour le nombre de mariages pédé depuis que la loi est passée ! Et l’autre à Thomas Piketty ! Je vais te donner les résultats complets et puis je pomme de Juppé de répondre : « Oui, et j’en suis fier »… Quel branque vais te raconter comment on en est arrivé à ce merdier, à ce face-à-face çuici ! J’te jure… Bref, nous voilà ratatinés. La droite n’est pas au second de gauchos. Donc Thomas Piketty à la tête de NDR, Nouvelle Donne tour alors qu’on n’arrête pas de dire que la société se droitise. C’est bien Républicaine, a fait 27,6 % des voix. Il est soutenu par le PC, le Parti de la peine. Gauche de Mélenchon, Europe Écologie Les Verts, Debout la République de Dupont-Aignan, Nouvelle Donne de Pierre Larrouturou, les frondeurs Rien. Rien dans les yeux de Nicolas Sarkozy ne laisse transparaître une du PS, et toute une clique d’artistes gauchisants et d’intellos genre quelconque émotion ni la moindre surprise… Télérama… Tu vois ce que je veux dire… Et aussi, tu dois le savoir, par Carla ! Mais ça, je lui laisse le soin de t’expliquer. Madame reçoit tous ses – Ben quoi, ça te fait ni chaud ni froid ce que je te raconte ? Tu ne dis amis d’avant, et elle vire bolcho du Quartier latin ! Je peux te dire qu’on rien… Ah non, chui conne… Pardon mon Nicolas ! Faut dire que c’est pas ne la voit plus beaucoup aux fêtes de famille ta belle Italienne ! Mais facile comme situation. D’habitude avec toi faut se battre pour en placer bon, tu régleras ça avec maman… tu sais ce que j’en pense ! une… Tu m’entends ? T’es toujours là ?

Le regard de Nicolas Sarkozy reste figé. Aucun clignement. Un clignement.

– Bon, je continue, Manuel Valls 23,8 %, Marine Le Pen 23,6 %… éliminée – Bon, alors ça t’épate pas un peu cette situation ? mais tu notes l’écart ! À peine quelques dizaines de milliers de voix. Ça a chauffé, elle conteste mais Philippot vient de déclarer surBFM Un clignement très appuyé. qu’il fallait accepter le résultat. Il faut dire que celui-là, il lui aura bien plombé sa campagne. Figure-toi qu’il s’est marié à la surprise générale, – Voilà comment les choses se présentent pour la suite. Pik-moi l’ketty il y a dix jours, avec un journaliste de M6… Ce n’est pas tout ce qui lui est (c’est comme ça que Patrick l’appelle) va recevoir le soutien du FN, c’est arrivé à la pauvre Marine, attends un peu que je t’avise. Mais d’abord, je couru d’avance. Il dit qu’il n’en veut pas, il joue l’oie blanche, l’hypo- finis avec les résultats du premier tour. Alain Juppé, la grande courgette crite. Mais il l’aura ! Ludivine ne veut pas choisir entre deux « soixante- bordelaise coincée, se vautre avec 20,4 %… éliminé. Alors lui, il n’est pas huitards responsables de la décadence et de la déchristianisation de la bien malin. Il se fait chambrer par toute la presse depuis qu’il a déclaré France ». Un boulet coincée du cul celle-là ! Bon, en attendant, faut que qu’il avait hâte de « retrouver Bordeaux après toute cette mascarade… » Tu j’te raconte comment on en est arrivé là. Tout a commencé à l’été 2015… parles d’un chef de guerre ! Il a passé la campagne à expliquer qu’il fallait Début juillet, François Hollande donne une interview au journal de la réduire le nombre de fonctionnaires, et qu’il fallait se montrer ouvert à 2 avec l’aut’ nabot centriste là… Pujadas. Et il dit : « J’ai décidé de ne pas la question de la PMA, et même de la GPA. Il n’a pas voulu reprendre la me représenter dans deux ans. Je vous le dis dès maintenant parce que j’ai proposition du parti d’interdire le voile islamique dans les universités. engagé toute une série de réformes importantes qui mettent la France sur les Dans un débat avec Marine Le Pen, il lui a demandé le cours exact de rails de la modernité, d’une nouvelle prospérité, de la transition énergétique l’euro, elle lui a répondu qu’il n’était pas son prof et elle lui a demandé bla bla bla… Pour mener à bien ces réformes, il me faudra décider, trancher, de réciter la table de 9 pour voir s’il était aussi fort que ça… Et tu sais sans avoir le souci de ma popularité et sans la suspicion quant au caractère quoi ? Il a commencé à réciter la table de 9 ! Neuf fois un neuf, neuf fois électoraliste de mon action… Bla bla bla… » À partir de ce moment-là, il a deux dix-huit, jusqu’à neuf fois cinq ! Toute l’assistance était pliée de grimpé dans les sondages, et je dois dire qu’on avait l’impression qu’il rire, il s’en est aperçu et ça a été le délire quand elle lui a dit : « C’est bien s’était acheté des couilles. Il s’est mis à trancher. Il a même réformé

Thomas Legrand 121 122 Thomas Legrand Charles Charles révolution culturelle 2017

le Code du travail, il nous a fait de l’écologie à haute dose. Les Verts grand éclat de rire. Et Florian Philippot a tweeté : « Bienvenue au club, ont explosé… Les socialos ont organisé des primaires… Je te passe les Jean-Marie »… Cette affaire a beaucoup affecté Marine que l’on n’a plus détails mais Valls a gagné haut la main contre Arnaud Montebourg. entendu pendant des mois… Charlie, qui tire toujours à 800 000 par Montebourg a été trahi par Aurélie Filippetti, son amoureuse, qui a dit à semaine, s’en est donné à cœur joie. La Marine, elle était passablement Libé que « comme amant Arnaud tenait toutes ses promesses mais comme cramée. Elle se remettait à peine de cette histoire, et voilà que Philippot président, elle n’y croyait pas du tout ». Ça l’a plombé. Valls a gagné. Mais se marie en grande pompe ! De son côté, Mélenchon, dans son obsession il y avait un troisième larron qui s’est présenté : Thomas Piketty, l’éco- de ressembler à Tsipras et Iglesias, s’est fait pousser les cheveux et a nomiste millionnaire qui a vendu des millions de livres. Les frondeurs du jeté sa cravate rouge de syndicaliste travailliste des années 70 à la PS avaient réussi à le convaincre de se présenter à la primaire socialo. poubelle… Ça a fait marrer tout le monde… Dis donc, t’es toujours là ou Il est arrivé en tête au premier tour, devant Valls et Montebourg. Et… je parle dans le vide ? t’imagines ? Il a arrêté, il a décliné et ne s’est pas présenté au second tour en disant qu’il n’avait pas imaginé réaliser un tel score, qu’il ne voulait Lent et lourd clignement qui semble signifier que le pauvre prisonnier pas être président. Valls a fini par gagner la primaire, il a démissionné de son corps est passablement affligé de ce qu’il entend. de Matignon pour faire campagne alors que Barto, Bar-moi-l’teleone (c’est Patrick qui l’appelle comme ça), devenait Premier ministre. Et – Bon t’es là, je continue. Maintenant il faut que je te parle des nôtres… puis deux mois après, il y a eu la primaire de la gauche de la gauche, C’est pas glorieux ! Comme tu n’as pas voulu qu’il y ait de courants organisée par le Front de gauche et les écolos. Et là, surprise ! En plus dans le nouveau parti, eh bien on s’est écharpés sur les hommes… et les de Mélenchon, Pierre Laurent et Cécile Duflot… voilà t’y pas que Piketty femmes parce que ta girafe des beaux quartiers, la NKM, Kosuce-moi s’y recolle. Il disait qu’il voulait encore convaincre, que les premiers pas l’ko, mord-moi l’rizet (Patrick encore), elle a foutu un sacré souk avec du candidat Valls étaient trop libéraux. Mais, là, bien sûr, les journaleux ses lubies écolos. La primaire a été sanglante. Comme tu n’étais pas le sommaient de dire s’il se débinerait encore s’il arrivait en tête… Et il là, ils y sont tous allés joyeusement : Juppé, Fillon, Le Maire, Bertrand, a été soutenu par DSK, redevenu une star. Et surtout, lui qui n’est pas Darmanin (qui a trahi Bertrand) et NKM… Et Pécresse… Et Mariton… Et un vrai politicien, il a eu ces mots géniaux : « Je ne veux pas LE pouvoir, Lagarde (Christophe)… Et Lagarde (Christine). Deuxième tour : Christine je veux pouvoir, j’irai au bout et l’Élysée redeviendra la maison de la France Lagarde qualifiée avec 13 % et Juppé avec 16 %… Je ne sais pas si tu vois qui peut. » Il gagne la primaire des gauchos au premier tour, et pof, le le bordel. La primaire sans toi c’est bon pour les socialos. Bref, Juppé a voilà sur les rails. Aucun meeting, pas un rond dépensé, que des ques- gagné le second tour avec 57/43 contre madame FMI… Faut dire qu’elle tions-réponses avec de petites salles et un programme économique se la pétait grave la washingtownienne à perlouses ! Qu’est-ce que tu dis néo-keynésien et écolo. Pendant ce temps-là, coup de bol, la courbe de tout ça Nicolas ? Vas-y cligne ! Tu crois que c’est qui qui va gagner la du chômage baisse enfin. La France devient un modèle de transition présidentielle dimanche ? Valls ? Piketty ? énergétique avec des découvertes en matière de marée-motricité… Cette nouvelle énergie tirée des marées va transformer le Sud-Ouest en Les yeux du pauvre ex-président auto-prisonnier restent inertes. Aucun nouvelle Californie… C’est ce qu’on dit partout. Bref, la France va mieux, clignement, rien. elle a gagné les coupes du monde de rugby et de foot ! T’as loupé quelque chose ! Hollande ne débande pas. Ah ! Et puis t’es pas au courant pour les – Alors tu vas me demander qu’est-ce qu’on fait nous ?... Enfin non, tu Le Pen… Ben non, chui conne, tu pionçais comme un bébé légume ! Tu ne vas rien me demander… J’m’y ferai jamais, faut vite que tu sortes de connais Michou… le vieux pédé tout bleu de Montmartre. Il a publié ses cet état… légume, ça te va pas du tout !... Bon ben le parti se divise entre Mémoires, au début de cette année… Il raconte sa folle passion vécue ceux qui disent que l’on ne doit pas voter et ceux, plus nombreux, tous à trois avec un boxeur noir et Jean-Marie Le Pen dans les années 60… les centristes mous, toutes les lopettes européistes, qui disent qu’il faut Photos à l’appui ! Le Pen en soubrette, à la une de toute la presse ! Pas soutenir Valls. Pour l’euro… toutes ces conneries. Patrick et moi on dit : Pierrette, Jean-Marie, dans les bras du grand Noir. « Au moins ça prouve « Chacun fait selon sa conscience ». En fait, on fait voter en douce pour que je ne suis pas raciste », a tout simplement répondu Le Pen, dans un Pik-moi-l’ketti. On se dit que ça a plus de chance d’être le bordel

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avec lui. Et que donc pour toi ce sera plus facile dans cinq ans… Jeudi 11 mai 2017 ou même avant. Et même dans une chaise roulante, ça peut être classe From [email protected] aussi. Ça force le respect ! Je peux te dire qu’Angela, elle flippe… Parce To [email protected] qu’avec Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, le Sinn Féin en Irlande, si maintenant il y a le NDR en France elle va se sentir seulette la chleuh. « Chère Madame, T’es d’accord avec mon analyse ? J’ai raison de voter Piketty ? Votre conversation d’hier, avec le président, l’a visiblement beaucoup éprouvé. Ce matin, l’examen de son état général n’est pas satisfaisant. Deux clignements appuyés. Bien que les yeux ne trahissent rien d’expli- Un certain stress, une forme d’anxiété, s’est déclaré. Trop de tension cite, Isabelle sentait bien que Nicolas était furieux. Pas d’accord du tout. n’est pas propice à son rétablissement. Nous vous demandons, par la présente, de ne pas revenir aujourd’hui, comme initialement prévu. – Ben quoi… tu aurais voté Valls toi ? Monsieur Sarkozy a besoin de repos et de sérénité. Nous réactiverons sa ré-acclimatation à l’actualité du monde après les élections. Mes services Un clignement. ne manqueront pas de vous recontacter. En attendant, veuillez, s’il vous plaît, prendre garde à maintenir la plus grande confidentialité concer- – Mais pour ta réélection c’est quand même mieux… nant toutes les informations sur l’état de santé de Monsieur Sarkozy. » — Soudain un gros doute étreint Isabelle.

– Me dis pas que tu ne veux pas redevenir président ?

Un long clignement.

– Ben dis donc… Cette foutue virée en vélo t’aura bien changé. C’est la première fois de ma vie que je t’entends (enfin tu me comprends)… que je te vois dire que tu ne veux pas être président… Bon, ça te passera. À peine debout et tu vas nous dire, comme d’hab : « On y retourne » ! Je te connais.

Nicolas Sarkozy ferme les yeux plusieurs longues secondes. Les ouvre brusquement, puis les referme.

Isabelle Balkany comprend alors que cette « conversation » a éprouvé son ami.

– Bon, je te laisse mon Nicolas… T’en as appris assez pour aujourd’hui. Je reviens demain pour te parler de la situation internationale. Là aussi c’est un beau bordel : la Syrie, l’Ukraine, la Libye, etc. Le monde a besoin de toi ! Et puis nous aussi on a besoin de toi parce que, je ne t’ai pas dit mais Patrick est en prison depuis un an et demi ! La justice n’est plus tenue dans ce pays de merde ! Va falloir que tu te réveilles.

Thomas Legrand 125 126 Thomas Legrand Charles Charles révolution culturelle entretien Royal au bar ! Des royalistes de gauche ? Oui, ça existe ! Et Bertrand Renouvin a longtemps été leur figure de proue. En 1974, il est candidat à l’élection présidentielle où il obtiendra 0,17 % des voix. Ensuite, il soutiendra Mitterrand, puis Chevènement avant de s’enticher récemment de Nicolas Dupont-Aignan. Mais qui est donc ce dahu politique, gaulliste souverainiste, ami de la famille d’Orléans, ancien membre du Conseil économique et social, et rédacteur en chef du bimensuel Royaliste ? Entretien. par César armand

ous êtes né au Val-de-Grâce sous occupation allemande car votre mère était internée à la prison de Fresnes, et votre père, avocat royaliste, est mort en déportation. Vous êtes né royaliste, en fait. Effectivement, mon père est resté royaliste dans la Ré- sitance et se définissait comme monarchiste socialiste, mais ma mère ne l’était pas. Elle était strictement gaulliste, plutôt à droite. Les héritages, c’est compliqué dans ce cas-là, mais je peux dire maintenant, après un détour par l’Action française dans ma jeunesse, que je suis royaliste et gaulliste. Quand on a créé la Nouvelle Action royaliste, on a rencontré très rapidement les représentants du gaullisme de gauche comme Philippe de Saint Robert qui était lui-même proche du comte de Paris. Il y a eu, dans notre rapport au gaullisme, un rapport essentiel avec les gaullistes de gauche. Nous avons toujours eu beaucoup d’amis dans ce mouvement. Après la victoire de Giscard d’Estaing, les relations se sont concrétisées dans une réflexion en commun autour de la revue L’Appel que dirigeait Olivier Germain-Thomas et à portraits lucas grisinelli laquelle contribuait déjà Régis Debray.

127 128 Charles Charles révolution culturelle bertrand renouvin « D’abord, on nous a surnommés “les gauchistes du roi”. Puis, quand on a soutenu Mitterrand, c’est devenu “les royalistes de gauche”. Je n’ai jamais compris d’où cela venait. Une fois qu’on aura défini la gauche, on pourra peut-être dire si nous sommes ou pas des royalistes de gauche… »

Vous êtes docteur en sciences politiques et Quel était le profil des maires qui vous avaient titulaire d’un DEA de philo. Quel était votre sujet de donné leur paraphe ? Tag de la campagne présidentielle thèse ? C’était des maires libéraux de petites communes car de 1974. à droite, affiche pour L’Action française et la question sociale. Une thèse que les vrais maires royalistes étaient généralement liés la campagne présidentielle de 1981 époque il y avait beaucoup d’attentats à la bombe. Avant, j’ai soutenue en 1972 à l’université d’Aix-en-Provence, à l’Action française et ne voulaient pas signer pour les bagarres entre services d’ordre se réglaient dans la après avoir fait Sciences Po Paris. C’est important dans quelqu’un qu’ils considéraient comme un traître. Pour rue ; après, c’était à l’explosif ! Cela préoccupait tout le mon histoire puisque c’est le moment où j’ai compris eux, j’étais un dissident. Les maires, qui voulaient bien partir de 1981, c’est le Conseil constitutionnel qui envoie monde... qu’il fallait rompre avec l’Action française et abandonner que de nouveaux mouvements politiques s’expriment, des formulaires aux maires. Ils sont seuls devant leur Au fait, royaliste de gauche, qu’est-ce que ça la référence à . Un long processus qui signaient aussi bien pour Arlette Laguiller que pour moi. feuille, et même s’ils vous promettent de signer, souvent signifie ? s’est conclu en 1977 par le changement du titre de notre En France, un certain nombre d’élus estiment que des ils se disent : « Je vais avoir des ennuis... Que va-t-on Je ne sais pas ce que cela veut dire. On nous a collé cette journal en Royaliste. Un an plus tard, notre mouvement tendances minoritaires doivent se présenter à l’élection raconter dans ma commune ? » Dernière chose : les grands étiquette. D’abord, on nous a surnommés « les gauchistes est devenu la Nouvelle action royaliste (NAR). Naturel- présidentielle et signent systématiquement pour un partis exigent de leurs élus qu’ils ne paraphent pas pour du roi ». Puis, quand on a soutenu Mitterrand, c’est lement, je n’ai pas été le seul à œuvrer à cette évacuation petit candidat. les petits candidats, dans la mesure où ils viendraient devenu « les royalistes de gauche ». Je n’ai jamais compris du . Nous en avons beaucoup discuté au En 1981, avez-vous retenté le coup ? perturber l’élection. En revanche, quand il faut affaiblir d’où cela venait. Une fois qu’on aura défini la gauche, on sein de la NAR et des gens en sont partis car ils voulaient Oui, mais nous avons échoué à avoir ce qui était devenu le camp adverse, ça se fait beaucoup. pourra peut-être dire si nous sommes ou pas des roya- rester fidèles à l’héritage de l’Action française. En 1974, entre-temps les 500 signatures nécessaires. Ce qui était Votre femme est présente dans un reportage dédié listes de gauche… le virage est pris, mais il n’aboutira vraiment qu’en 1978. bien plus compliqué. Nous avons à nouveau rencontré à votre campagne. Elle a été de tous vos combats ? Vous avez aussi été surnommé « le mao-maurassien »... En 1974, vous décidez d’être candidat à l’élection ces petits maires. J’ai beaucoup circulé en France avec Pas du tout ! En 1974, on ne se rendait pas encore compte C’était il y a quarante ans. C’était une invention des présidentielle. Pourquoi ? mes camarades, mais souvent, ces maires me disaient : du pouvoir des médias. On savait que la télévision avait médias de l’époque. C’était drôle : les maoïstes étaient à la Tout simplement parce que nous en avions la possibilité. « Désolé, on a déjà signé pour Arlette », parce que chez un impact très fort en politique car il n’y avait que trois mode, on était encore maurrassiens, mais on n’a jamais, La quête des 100 signatures a été facile. Nous en avons Lutte ouvrière, ils étaient mieux organisés. C’était chaînes et tout le monde regardait le 20 heures, et ça vraiment jamais, eu la moindre sympathie pour Mao même obtenu 170, je crois. Cette campagne nous per- des supers militants avec une discipline de fer et bien c’était formidable. On ne voyait pas que cela pouvait être Zedong, ni pour la Révolution culturelle. Ça n’a stricte- mettait de nous faire connaître dans l’opinion publique souvent, ils nous passaient devant et récoltaient les embêtant pour la famille. Alors oui, j’ai laissé interviewer ment aucun sens de nous qualifier ainsi. comme le nouveau mouvement royaliste. Une difficulté signatures d’élus qui n’avaient pourtant rien à voir avec ma femme et photographier ma fille de 3 ans mais après- En 1978, vous vous présentez aux législatives à subsistait néanmoins. On avait prévenu le comte de le trotskisme. Alors, ces mêmes maires nous disaient : coup, je me suis aperçu qu’il ne fallait pas faire ça et je Nantes, en 1986 à Angers, puis plus rien. L’accueil sur Paris – qu’on ne connaissait pas encore –, lequel nous « C’est pas grave, je vais aussi signer pour vous. » On leur n’ai plus jamais recommencé. Par ailleurs, nous avions eu le terrain était difficile ? avait demandé de ne pas faire une campagne royaliste. répondait : « Désolé, il n’y a qu’une signature possible... ! » des attentats à notre bureau de la rue des Petits-Champs. C’est plutôt une question d’argent : ça coûtait cher, ces Nous lui avons obéi, ce qui pour moi était une difficulté Il y avait des contraintes supplémentaires. La première, La police nous avait conseillés de déménager car elle ne campagnes électorales. Et nous étions très pauvres ! dans la mesure où tout écart, toute parole malheureuse, c’est la publicité des signatures : pour les maires des pouvait pas assurer notre protection. Il n’était alors plus Nous ne pouvions plus continuer à ce rythme. La

pouvaient entraîner un sévère communiqué de sa part. petites communes, cela devenait compliqué. Deuxième R question de montrer quoi que ce soit, ni l’appartement, ni dernière campagne électorale de la NAR, c’était en 1993

Nous risquions le désaveu. difficulté : en 1974, on présentait un papier libre alors qu’à © D les proches. C’était dangereux ! On l’a oublié, mais à cette en Vendée contre Philippe de Villiers. On a présenté

129 130 Charles Charles révolution culturelle bertrand renouvin « La dernière campagne électorale de la NAR, c’était en 1993 en Vendée contre Philippe de Villiers. On a présenté un candidat, le seul de nos dirigeants qui avait une particule. La population nous tournait le dos et faisait la gueule à nos jeunes qui tractaient dans la rue car on attaquait Monsieur le Comte ! »

un candidat, le seul de nos dirigeants qui avait une Les riverains n’aimaient pas ce genre de plaisanteries particule. Je crois d’ailleurs qu’il n’était même pas noble… surtout quand on avait des paroles désagréables pour de Enfin, je n’ai jamais vraiment compris s’il l’était ou pas. Villiers. On a finalement fait un score misérable, mais on En tout cas, Luc de Goustine, c’est son nom, a accepté et s’est bien amusés ! Ci-dessus, avec Jean-Pierre Chevènement au colloque il a même écrit un livre assez dur contre de Villiers qui Vous soutenez Mitterrand en 1981 et êtes membre «Nouvelle citoyenneté» le 12 novembre 1983. à droite, affiche s’appelle Coup de gueule contre un valet de pique à l’usage de son comité de soutien en 1988. Avez-vous une pour le bicentenaire de la Révolution française en 1989. de ceux qui l’aiment et ceux qui le détestent. Nous sommes anecdote particulière à son sujet ? Ci-dessous, Journées royalistes à Paris les 29 et 30 avril 1978. allés faire campagne avec lui et nous avons dépensé une Je l’ai rencontré assez régulièrement à partir de 1984 par somme assez rondelette. Cinquante militants de Nantes l’intermédiaire de Frédéric Grendel, l’ancien rédacteur sont venus sur le terrain car nous étions peu implantés en chef de Notre République, le journal des gaullistes de dans ce département, avec un seul délégué sur place. La gauche. Frédéric était un ami et voyait dans Royaliste Vendée est une terre hostile. Jamais nous n’avons été l’héritier de son journal. Très proche de Mitterrand, il lui aussi mal accueillis. Même dans la Lorraine industrielle, avait dit qu’il fallait absolument qu’il me reçoive. Après, nous étions mieux acceptés. Dans la Vendée militaire, je l’ai revu à dates régulières jusqu’en 1992. Je n’ai pas sur les terres de De Villiers, la population nous tournait voulu le déranger ensuite car il était très malade, et je ne le dos et faisait la gueule à nos jeunes qui tractaient voyais aucune raison de lui prendre du temps. dans la rue car on attaquait Monsieur le Comte ! C’est la De quoi parliez-vous quand vous vous voyiez ? campagne la plus drôle de ma vie : on se moquait ouver- C’était à l’Élysée, dans son bureau, et ça durait toujours tement de lui avec des centristes et des socialistes dis- quarante-cinq minutes. Il était question de notre sidents qui n’avaient pas pu se présenter. On avait par mouvement, du comte de Paris et de la vie politique du exemple occupé un champ en jachère avec la Confédé- moment. Mon grand souci, c’était le quinquennat. Je lui ration paysanne pour protester contre les subventions disais : « Il ne faut pas le faire ! » Il me répondait toujours : inutiles de l’Union européenne. J’ai aussi posé la dernière « Si la classe politique me le demande, il faudra que je le pierre de la digue de Montaigu. On était arrivés, sous un fasse. » Heureusement, elle ne le lui a pas demandé, air de trompette, et j’avais fait un discours sur la politique même si ça s’est fait depuis et que c’est une catastrophe. pénitentiaire de la monarchie qui était assez sympa- Pourquoi ? thique, dans la mesure où ceux qui partaient au bagne J’ai toujours été partisan de la vème République. C’est pouvaient se reposer avec des femmes accueillantes, sur une monarchie élective, que le quinquennat dégrade. cette même digue. On avait ouvert une barrique de vin. Le président n’est plus un arbitre. Regardez Sarkozy

R La population était invitée à boire avec nous, mais elle ne et Hollande, ce sont des chefs de gouvernement. C’est

© D se marrait pas du tout, alors que nous, on riait aux éclats. un inconvénient qui déstabilise complètement le

131 132 Charles Charles révolution culturelle bertrand renouvin « Mitterrand a lui-même été royaliste. Il avait rencontré Henri d’Orléans avant la guerre au manoir d’Anjou en Belgique. »

système institutionnel. Il n’y a plus de président ! Où guerre au manoir d’Anjou en Belgique. est-il ? Le 14 janvier 2014, Hollande a fait un discours François Mitterrand, c’est le meilleur monarque de Premier ministre en parlant des impôts et des entre- de la vème ? prises. Mais c’est le Premier ministre qui détermine et Le meilleur, c’était de Gaulle, et Mitterrand le savait bien. conduit la politique de la nation ! Par ailleurs, il est sur- Son problème à lui, c’était son rapport très complexe au Avec Pierre Péan en 1994. à droite, affiche pour prenant que le président ait l’initiative de la loi, car c’est Général. Mitterrand avait une conception gaullienne les élections législatives à Angers en 1986 ce qu’on reprochait aux monarques absolus ! Il s’agit en de la politique étrangère, il incarnait la vème et il m’a réalité d’une pente extrêmement dangereuse. expliqué, comme à d’autres, que « ces institutions étaient Vous pouviez tout évoquer avec François Mit- mauvaises avant lui, et qu’elles le resteraient après lui. » Là c’était le signe d’une existence dans la France libre. terrand ? résidait l’une de ses ambiguïtés. On parlait de tout sauf Qu’ils se soient mal entendus, c’est une vérité historique. Comme je n’étais pas dans les rapports de force de la d’économie, et je le regrette, même si je n’avais aucune Mais, croyez-moi, ceux qui arrivaient à Alger avec une politique, il était avec moi d’une grande franchise. influence sur lui, reconnaissons-le ! Il lisait les journaux mauvaise réputation, ils étaient collés au mur. La fran- Autant il manipulait les autres, autant avec moi il parlait et l’édito de Royaliste. Il savait ce que nous pensions de cisque, tout ça, c’est comme tous ces gens qui ont joué des uns et des autres, de ses projets. J’ai ainsi su très vite la rigueur de 1984, mais bon, nous ne pouvions aborder double jeu avant d’avoir une conduite honorable. qu’il se représenterait. Je ne racontais rien aux médias, tous les sujets. En 1995, vous appelez à voter blanc... je rendais compte seulement au comité directeur de Comment le fils du résistant déporté à Mauthau- Oui, il m’était impossible de choisir entre Jacques Chirac la NAR, et tous les secrets restaient dans la maison. Il sen que vous êtes a-t-il réagi à la publication d’Une et Lionel Jospin à cause de leurs programmes. en 1975, ça s’est bien passé : il a demandé à voir plusieurs savait qu’il pouvait me faire confiance. La dernière fois jeunesse française en 1994 ? Les avez-vous déjà croisés ? de mes amis, puis il a reçu des militants dix par dix, tous que je l’ai vu, il m’a parlé de Rocard. Il m’a dit : « Il a des Je n’ai pas réagi négativement, et Pierre Péan est venu Chirac, je lui ai serré la main une fois à Matignon lorsqu’il les vendredis, pendant des mois, à Chantilly. Le comte nerfs mais il n’a pas le plexus. » Ce à quoi j’ai répondu : présenter le livre chez nous. Certes, je viens d’une famille recevait les parlementaires du Conseil économique de Paris discutait avec eux pendant trois heures. Puis « Qu’entendez-vous par là ? » Et Mitterrand de répliquer : de résistants où l’on a longtemps tenu pour inexistants et social. Il m’a dit, comme à mille autres personnes : des intellectuels nous ont accompagnés comme Olivier « Il a des qualités, mais elles ne sont pas reliées. » Il avait les résistants de la dernière heure, mais j’ignorais tout « Bonjour ! Comment ça va ? » Jospin, je ne l’ai jamais vu, Germain-Thomas qui dirigeait la revue gaulliste L’Appel des phrases destructrices de ce genre. Il aimait la langue du Mouvement national des prisonniers de guerre et mais dès qu’il a été nommé Premier ministre en 1997, on à laquelle nous collaborions, ou encore Roger Pannequin, française et, à la différence de ses successeurs, il me déportés que Mitterrand dirigeait. Je ne savais pas qu’il a vu que, de toute façon, il ne ferait rien de ce qu’on sou- communiste libertaire, homme d’appareil du PCF exclu parlait de l’Histoire. Un jour, il m’a montré une brochure avait eu une attitude courageuse à Paris en 1943. haitait. Il a accepté le Traité d’Amsterdam, il a privatisé... dans les années 50, grand résistant et instituteur du sur Philippe Auguste alors que j’avais envie de lui parler Et la francisque… Bref, il a fait ce qu’il ne fallait pas. Nord avec une belle personnalité. Ces deux-là se sont d’autres choses ! Parfois, il faisait arrêter sa voiture pour Oui, il a été vichyssois. Mais Maurice Couve de Murville, Quatre ans plus tard, Henri d’Orléans décède. tout de suite bien entendus. Avant le premier entretien, visiter une abbaye alors que Sarkozy et Hollande, c’est quelle a été sa carrière avant d’être le Premier ministre Racontez-nous votre amitié avec le comte de Paris. Roger m’a demandé : « Comment faut-il l’appeler ? Monsieur pathétique : ils ne savent même pas où ils sont... Un ami de De Gaulle ? Haut fonctionnaire sous l’État français ! Nous n’étions pas amis, mais nous avions de bonnes le comte ? » Ce à quoi je me suis exclamé : « Surtout pas ! a visité la cathédrale de Tulle avec Hollande qui ignorait Souvenez-vous aussi de Maurice Clavel qui écrivait dans relations. Les premières années, jusqu’à la présidentielle C’est Monsieur ou Monseigneur ! » Arrivé face à lui, il le où se trouvait le transept. Mitterrand, en revanche, avait Compagnon, la revue des jeunes du Maréchal, sur le culte de 1974, il a observé la NAR avec beaucoup de méfiance, remercie d’avoir tué l’amiral Darlan ; et Henri d’Orléans,

beaucoup de références historiques. Il avait lui-même du chef. Mitterrand a joué un jeu complexe, mais moins R car il se souvenait de l’Action française qu’il avait de s’excuser : « Désolé, je n’ai pas demandé qu’on le fasse

été royaliste. Il avait rencontré Henri d’Orléans avant la que d’autres. De Gaulle l’a reçu à Alger. Qu’il le reçoive, © D condamnée. Quand je l’ai rencontré pour la première fois tuer, mais ça me fait plaisir que vous ayez pensé à moi ! »

133 134 Charles Charles révolution culturelle bertrand renouvin « Vers 1982-1983, à la NAR, on a cherché collectivement les hommes d’État de l’avenir, et on en a trouvé deux : Philippe Séguin et François Hollande. Nous avons passé cinq heures ensemble. »

Quand Mitterrand est arrivé au pouvoir, ils se sont vus Vers 1982-1983, à la NAR, on a cherché collectivement pour le millénaire de la dynastie des capétiens et pour les hommes d’État de l’avenir, et on en a trouvé deux : le bicentenaire de la Révolution. Le président a associé Philippe Séguin que je suis allé rencontrer à Épinal en les familles de France aux commémorations, c’était très 1983, et François Hollande. bien de sa part. Le comte de Paris avait une vraie intelli- François Hollande ? Vraiment ? Dès 1983 ? gence politique. Il impressionnait car il était lié à la vie En 1984 ou 1985, nous avons organisé un dîner privé chez politique française depuis les années 30. Il avait rompu Régine Judicis qui s’était installée à Paris et il y avait Luc avec l’Action française, protesté contre les accords de de Goustine qui, en Corrèze, connaissait bien Hollande. Munich et s’était engagé dans la Légion étrangère sous Nous nous sommes retrouvés tous les quatre autour de un faux nom car ni l’armée française ni l’armée britan- la table. Nous avons passé cinq heures ensemble. Nous nique ne l’avaient intégré. Quand il a publié ses Mémoires, en avons tous gardé un bon souvenir, mais nous ne l’opinion publique a été très intéressée. Nous avons été l’avons jamais revu. Il était sympa, drôle et aimable. Je de tous ses combats historiques et politiques. Un jour, me rappelle qu’il voulait que je rencontre Lionel Jospin. en 1987, nous déjeunions à l’Élysée avec François Mit- Avec Luc de Goustine, ils se revoient régulièrement et terrand et, au moment du café, le comte de Paris lui a se tutoient, à tel point que Luc a raconté à un journal demandé : « Alors, naturellement, vous vous représentez catholique le rapport de Hollande à la religion : « Tous les parce qu’il faut de la continuité... » faits religieux sont extérieurs à lui. » On peut être athée ou Et que lui a répondu Mitterrand ? agnostique, mais nier l’importance des religions, c’est Il a dit : « Je ne sais pas... Suis-je vraiment l’héritier du quand même embêtant ! Ces trouvailles n’étaient quand général de Gaulle ? » Henri d’Orléans l’a vite rassuré : « Si, même pas si mal. Philippe Séguin était alors au début de si, vous l’êtes ! Il faut continuer Monsieur le président ! » son ascension, et François Hollande n’avait pas encore Arrive 2002 où vous soutenez Chevènement. Quel vraiment commencé. On a continué à chercher mais mal- rôle avez-vous joué dans sa campagne ? heureusement, on n’a trouvé personne. Sauf Chevène- J’étais à la direction du pôle républicain dans le comité ment. On a toujours eu des relations proches sur le plan de campagne avec Régine Judicis, notre première élue sur politique : nous étions comme lui contre l’austérité, nous une liste de gauche à Épinal en 1977, battue en 1983 par partagions le même avis sur la question européenne, la es harl

Philippe Séguin. J’ai d’ailleurs rencontré Séguin chez elle. même conception de l’État, et la même amitié pour Régis c r

Que pensiez-vous alors de ce gaullo-chiraquien ? Debray, si bien qu’en dépit de quelques blocages du côté ou p i

Je ne voudrais pas choquer certains amis de la maison, de son parti, nous avons fait sa campagne. ll e mais il n’est pas allé au bout de ce qu’il voulait faire : Chevènement, un gaulliste de gauche. n isi

président de la République. Il n’en a pas pris les moyens. Chevènement lui-même a toujours été attentif à ce que gr s Vous auriez aimé qu’il aille jusqu’au bout ? disaient les gaullistes de gauche. Il leur a toujours été a uc

Oui, j’aurais souhaité qu’il devienne chef de l’État. favorable. Son dernier livre, 1914 - 2014, l’Europe sortie © l

135 136 Charles Charles révolution culturelle bertrand renouvin « Nicolas Dupont-Aignan a réussi ce que d’autres dirigeants gaullistes ne sont jamais parvenus à faire : intervenir dans le débat politique en tant que groupe constitué et être candidat – ce qui est désormais un exploit – à l’élection présidentielle. »

de l’Histoire ?, montre bien qu’il s’inscrit dans une problé- à l’élection présidentielle. Je suis d’accord avec lui sur française et deux autres sur les relations avec l’Europe de symbolique important. matique gaulliste. Il part d’une réflexion sur « la guerre l’essentiel, et notamment sur la question de l’Europe l’Est. J’avais en effet demandé à être dans la section des Siméon, c’est une autre démarche, celle d’un homme qui de trente ans », expression du général de Gaulle dans un qui est pour nous décisive. Il a mené une campagne très relations extérieures. Le premier portait sur les relations est revenu avec un réveil très important du sentiment discours de 1947, et sa conclusion porte sur la nécessité solide et il est très bien entouré. culturelles et le second sur les relations économiques. royaliste. Il a été reçu comme le roi de Bulgarie, alors qu’il d’une Europe confédérale sur le plan continental. Telle a Les porte-paroles de la Manif pour tous se Ces deux études, je les ai rendues après la chute du mur était en exil depuis 1946. Il a alors engagé une démarche toujours été la vision du général après la guerre : « Nous décrivent comme représentants du « pays réel » face de Berlin. Nous avons vu la possibilité de constituer une électorale qui est, sans doute, allée beaucoup plus loin avons à organiser notre continent », dit-il à Moscou, alors au « pays légal ». Qu’en pense le lecteur de Maurras Grande Europe, ce que Mitterrand appelait une « confédé- que ce qu’il n’avait imaginé. que c’est encore l’Union soviétique. De Gaulle voyait très que vous êtes ? ration européenne » avant que cela n’échoue. Il n’y avait Même le poste de Premier ministre, au lendemain de sa loin, Chevènement a repris ce projet, un projet conforme Je n’ai jamais accepté cette distinction. Que cela veut-il pas d’enthousiasme et nous étions les seuls à y croire. victoire qui a surpris tout le monde, il ne le souhaitait pas, à la tradition historique de la France. bien dire ? Cette opposition traîne un peu partout mais J’ai même fait deux fois le tour de l’Europe de l’Est en mais il n’y avait que lui. La tâche a été compliquée : son En 2007, Dupont-Aignan n’obtient pas ses 500 n’a aucun sens. Ces groupes sont des fractions de la cette période de transition. Le premier rapport sur les mouvement était fait de bric et broc, tout tournait autour signatures. Vous appelez à voter blanc encore une société qui se mobilisent, ça fait partie du jeu classique relations culturelles a été très bien accueilli tandis que de sa personnalité, et il a eu beaucoup de courage contre fois. des rapports de force, mais dire qu’ils sont la France toute le second sur les relations économiques a été violem- la classe politique, la presse et des mafias locales et avec Oui, l’oligarchie l’avait déjà emporté à ce moment-là. entière, ce n’est pas vrai. ment combattu par François Perigot, le président du une politique économique imposée par le FMI. Réformer Avant le second tour de la présidentielle, nous avons Il y a quarante ans, dans votre déclaration de can- CNPF (aujourd’hui Medef). Il ne voulait pas que j’inclue en 800 jours, ce n’était pas possible. Il y a eu déception, et publié un texte où nous étions plus sévères avec Sarkozy didature, vous compariez l’Union européenne à « une la Russie dans mon raisonnement. J’avais un profond la Bulgarie est retournée à sa vie politique très chaotique. qu’avec Royal, mais sans réellement trancher entre idée folle dans laquelle on cherche à réduire la France mépris pour le personnage. Bref, dans ce milieu très L’avez-vous rencontré ? les deux. Avant le premier tour, nous avions soutenu et son destin. » C’est toujours votre conception de la consensuel, j’avais créé une rupture de ton et je ne disais Oui, je l’ai vu deux fois à Sofia quand il était Premier Dupont-Aignan, car il y a toujours eu entre la NAR et les chose au lendemain des élections européennes ? jamais « mon cher collègue » sauf pour me moquer. Je ministre, mais je ne l’ai pas revu depuis. Juste avant vrais gaullistes des proximités politiques approfondies. C’est encore plus vrai aujourd’hui qu’à l’époque ! En 1974, restais militant : je dénonçais les thérapies de choc et je les élections législatives de 2001, il nous a donné une Notre ami Grendel avec son journal Notre république et il n’était ni question de monnaie unique, ni de marché n’avais pas leur vision libérale de l’Europe. J’ai défendu interview. J’avais connu Sofia dans les années 80 : c’était Germain-Thomas avec son titre L’Appel comme point de unique, ni de Banque centrale... La situation géostraté- mes idées, et malgré les pressions et les manœuvres, cela l’immeuble du Comité central du Parti, on n’y entrait pas, rencontre de l’Union des jeunes pour le progrès représen- gique était bien différente avec une Allemagne divisée et demeurera une expérience intéressante. il n’y avait pas de voitures autour, il y avait rien, et là, il taient bien cette tradition. Déjà, en 1982, j’avais dîné avec un rideau de fer. Toujours à propos de l’Europe de l’Est, vous avait son bureau au premier étage. Je n’aurais pas imaginé Chevènement et tous les représentants gaullistes. Mais Vous avez siégé au Conseil économique et social évoquez, sur votre blog, Siméon II de Bulgarie, devenu que Siméon puisse revenir alors que la Bulgarie avait tous ont choisi des carrières personnelles. Quelques-uns de 1984 à 1994. Quels souvenirs en gardez-vous ? Premier ministre de 2001 à 2005, un libéral de gauche eu cette histoire. Il a essayé de jouer son rôle dans une ont rejoint Chevènement pendant la campagne de 2002, J’en garde un très bon souvenir, car j’ai pu rencontrer et vous y écrivez qu’il incarnait vos idées. conjoncture qui était la sienne. Même s’il nous recevait, mais ils sont partis très vite. et observer les forces vives de la nation : syndicats, La démarche de Siméon était très intéressante à suivre il n’aurait pas accepté nos conseils. Il a voulu et obtenu En 2012, Dupont-Aignan obtient ses paraphes. patronat, FNSEA, etc. Pendant les séances de com- dans un pays qui avait eu à subir une dictature commu- l’entrée de la Bulgarie dans l’Union européenne, alors que Incarne-t-il la « divine surprise » dont vous rêvez ? missions, il était intéressant de voir leurs réactions, ce niste assez rude. On pouvait penser que le sentiment nous, on était déjà très sceptiques sur les possibilités de Nicolas Dupont-Aignan a réussi ce que d’autres diri- qu’ils pensaient, leurs systèmes de référence... Souvent royaliste avait été éradiqué. l’Union européenne. La chance que représentait la chute geants gaullistes ne sont jamais parvenus à faire : inter- inexistants d’ailleurs ! J’ai beaucoup travaillé, ça m’a À ma grande surprise, j’ai aussi vu les rushs du retour du Mur de Berlin a été complètement manquée. — venir dans le débat politique en tant que groupe constitué passionné et j’ai rendu trois rapports en deux mandats : du roi et de la reine de Roumanie à Bucarest chez eux en et être candidat – ce qui est désormais un exploit – l’un sur l’utilité économique et commerciale de la langue Suisse en 1993. C’était intéressant. Ils ont repris un rôle

137 138 Charles Charles révolution culturelle magazine George, le papa de Charles Son slogan ? « Not Just Politics as Usual » (pas de politique à l’ancienne). George, magazine mensuel publié de septembre 1995 à janvier 2001, tire son nom du père spirituel de la nation, George Washington. Il est intimement lié à la personnalité de son fondateur et directeur de la rédaction : JFK Jr., le fils de John Kennedy. Surnommé John-John, celui-ci disparut à bord de son avion le 16 juillet 1999 au large de Martha’s Vineyard. Voici l’histoire de ce journal américain, qui a donc inspiré en partie la revue que vous tenez entre vos mains. par Vincent Dozol

FK Jr. est entré dans l’imaginaire américain avec une photo

, 2014 de 1963 : l’enfant lève la main droite pour un dernier salut s k militaire au cercueil présidentiel, au cercueil paternel. Boo

y Plus tard, il s’orientera vers le droit à la New York Uni- r e versity, une voie plutôt originale pour un Kennedy. Les all G , e J tabloïds s’interrogent sur ses aptitudes à faire autre chose que fréquenter des actrices et des top-modèles, & M e

rg d’autant qu’il échoue deux fois au barreau de New

Geo York avant de réussir le concours. Il quittera son poste

Jr., d’assistant du procureur général de la ville en 1993. K Jackie O. décède l’année suivante, et son fils devient

an, JF le centre de l’attention médiatique du clan Kennedy. Avec m r

Be son associé Michael Berman, dirigeant d’une firme de relations

t publiques, il décide alors de capitaliser sur son indécision et fonde

© Ma t la société Random Ventures (« investissements aléatoires »).

139 140 Charles Charles révolution culturelle magazine

Les fondateurs de George sont persuadés que la majorité des Américains ne prêtent plus attention à la politique, sauf si elle arrive emballée dans la culture pop, principalement via Hollywood.

Grand sportif, il souhaite produire en masse des kayaks retracer l’histoire de ce phénomène, on commencerait par faits main, puis s’aperçoit de la contradiction. Les deux la saga de John et Jackie Kennedy. C’étaient des célébrités hommes se tournent alors vers l’industrie des médias, comme aucun politicien américain avant eux. Venant de la sans expérience dans le domaine. Pendant deux ans, ils haute société, ils ressemblaient à des stars de cinéma, qu’ils soumettent leur idée de magazine politique grand public fréquentaient d’ailleurs. Cette relation entre la société du à différents éditeurs de presse. JFK Jr. déjeune avec Victor spectacle et la politique a passé la cinquième vitesse pendant Navasky, alors rédacteur en chef de l’hebdomadaire de l’administration Kennedy », souligne Richard Bradley. gauche The Nation et professeur à l’école de journalisme L’offre télévisée explose lors de la décennie 1990 : CNN de l’université Columbia. « Je lui ai conseillé de s’impli- fête ses dix ans d’existence, Comedy Central est créée en quer personnellement dans son futur magazine, car cela 1991, MSNBC en 1996, la même année que Fox News. Le susciterait beaucoup d’attention, ce qui est toujours une vice-président républicain Dan Quayle, dans un discours bonne chose. Mais je ne pensais pas qu’il allait en devenir sur les valeurs familiales, dénonce le mode de vie irres- rédacteur en chef, et non simplement l’éditeur. Il s’en est bien ponsable de Murphy Brown, personnage de télévision, sorti », explique ce vétéran de la presse. femme active et divorcée qui élève seule son enfant. Face arrive emballée dans la culture pop, principalement via dues, significatives et fantaisistes dont la politique affecte La compagnie française Hachette-Filipacchi, filiale du à un George H. W. Bush ringard, le candidat présidentiel Hollywood. « George est resté une note marginale dans ce votre quotidien. » George veut rompre avec la tradition groupe Lagardère, est la première à donner son accord. Bill Clinton utilise aussi bien les grandes chaînes que les paysage politico-médiatique transformé, il n’a pas été un engagée de la presse politique. « John proposait une Elle promet l’investissement de 20 millions de dollars sur canaux de diffusion plus modestes, afin d’atteindre un acteur majeur », juge Victor Navasky. attaque sournoise contre la forteresse élitiste du journa-

cinq ans. Daniel Filipacchi comprend que s’associer avec public plus jeune et plus féminin. Il se lance par exemple , 2014 lisme politique. Les célébrités – la sienne et les autres – ser- s le jeune Kennedy, ce n’est pas tout à fait comme lancer un dans un solo de saxophone sur le plateau de l’émission k « Si, comme les historiens le suggèrent, les Américains viraient de cheval de Troie. George ne serait pas partisan, Boo

fanzine avec Albert de Monaco. Le président d’honneur télévisée « Arsenio Hall Show », avant deux apparitions y réitèrent leur passion pour la politique tous les trente ans, mais profondément démocratique », écrit Richard Bradley. r d’Hachette reconnaît s’être embarqué dans l’aventure sur la chaîne de musique MTV en 1992. L’infotainment, e peut-être que ce réveil est moins le fait d’un changement de Il est même « post partisan » selon son fondateur. « Je ne all G , sais pas si Kennedy l’aurait présenté de cette manière, mais « un peu à contrecœur. Je l’ai fait uniquement parce que mélange d’information et de spectacle, s’étend. Les pro- e goût que de la façon dont les élus communiquent avec leur John-John était un type très sympathique, je l’aimais bien. grammes bourgeonnent (« Politically Incorrect » avec Bill électorat », avance JFK Jr. dans son premier édito. Il fait George est un peu un magazine de fan, comme les publica- & M e

Mais la politique me casse les pieds. Puisqu’on avait envie Maher en 1993, « The Daily Show » en 1996). La fiction rg référence à l’arrivée au pouvoir de son père en 1960. Le fils tions musicales et sportives peuvent l’être. George adore la

de le faire, il fallait essayer. » audiovisuelle s’engouffre aussi dans le monde politique. Geo livre son diagnostic : la politique a migré dans le domaine politique et a un profond respect pour les personnes qui font

La comédie romantique « The American President » (« Le Jr., du spectacle et on ne peut s’en détourner. « George est de la politique leur vie. George célèbre l’artisanat politique K George est inspiré par le nouveau contexte politique, les Président et Miss Wade ») sort en 1995, adaptée d’un un magazine lifestyle qui a la politique à cœur, qui dévoile et son mode d’exercice. Le magazine People a été un modèle désillusions issues du Watergate couplées avec le pouvoir scénario d’Aaron Sorkin, créateur de la série « The West an, JF les points de convergence entre la politique, le monde des très influent pour George. Notre magazine s’intéresse m r

grandissant de l’industrie du divertissement. Au milieu Wing » (« À la Maison Blanche ») en 1999. Les fondateurs Be affaires, les médias, l’industrie du divertissement, la mode, essentiellement aux histoires humaines de la politique »,

des années 1990, la pop culture infuse plus rapidement et de George sont persuadés que la majorité des Améri- t l’art et la science », écrit JFK Jr. L’approche journalistique ajoute Richard Bradley aujourd’hui.

plus profondément dans le monde politique. « Si on devait cains ne prêtent plus attention à la politique, sauf si elle © Ma t promet d’être « exubérante, montrant les façons inatten-

141 142 Charles Charles révolution culturelle magazine

Qui peut donner à George un visage et apparaître sur la première couverture ? John F. Kennedy Jr. suggère le président Clinton, ce qui manque un peu d’originalité. Un mannequin alors ? Cindy Crawford fait parfaitement l’affaire. Le photographe de mode Herb Ritts propose de la travestir en George Washington.

Le nouveau projet de John F. Kennedy Jr. déroute. On Kennedy n’a aucun goût pour Washington. Le magazine est une énergie. C’est une épreuve et une perte, la quête du Luther King et de John et Bobby Kennedy. Le novice JFK l’attend au plus tôt dans l’arène politique, c’est évident, met en avant son côté outsider. Sa popularité doit se faire pouvoir, et le prix de l’ambition pour sa propre fin… une Jr. est assisté d’un journaliste politique pour conduire depuis son discours à la convention démocrate d’Atlanta ailleurs que dans la capitale fédérale. scène sur laquelle le puissant trébuche. » Sur le positionne- l’interview. L’expérience n’est pas assez convaincante en 1988. Pourquoi se lance-t-il, à 35 ans, dans une activité ment politique du titre, John-John choisit l’humour : « Si pour être publiée, une seconde équipe est envoyée au aussi triviale que la presse, dont il est l’un des sujets Qui peut donner à George un visage et apparaître sur mon oncle Ted m’adresse encore la parole à Thanksgiving, chevet du gouverneur. préférés ? Son loft de TriBeCa est rempli de livres d’his- la première couverture ? John F. Kennedy Jr. suggère le je n’aurai pas fait correctement mon boulot. » Cette répartie La plupart des observateurs des médias n’aiment pas le toire et de recueils du Nouveau journalisme des années président Clinton, ce qui manque un peu d’originalité. est signée Paul Begala, ancien conseiller politique de Bill magazine, et ne manquent pas de viser son fondateur 1960-1970, signés de Hunter S. Thompson, Tom Wolfe, Un mannequin alors ? Cindy Crawford fait parfaitement Clinton, bientôt chroniqueur pour le magazine. dans leurs critiques. Pas assez politique, trop de photos, ou de Norman Mailer. JFK Jr. n’arrive pas à se qualifier de l’affaire. « Complètement Américaine, self-made woman, trop de stars, trop non partisan. L’éditorialiste Maureen « journaliste » et reconnaît son incompétence. Il recrute icône pop, sexy, forte et intelligente » selon Kennedy, qui Sur le plan éditorial, l’offre est attirante. Selon les Dowd persifle dans le New York Times : « George pourrait le respecté Eric Etheridge, passé par le magazine Rolling l’a connue intimement. Le photographe de mode Herb rubriques, George est sérieux (les meilleures sources de vider la politique de sa gravité et de sa force morale. […] Stone et le New York Observer. Il embauche ensuite Ritts est choisi. Il propose de travestir Crawford en Washington, un portrait du sénateur Ben Nighthorse Le message de George, c’est de ne pas prendre la politique Richard Bradley du magazine d’affaires Regardie’s, un George Washington. La sortie du premier numéro est Campbell, à moitié Cheyenne, cancre, motard, ancien trop sérieusement. » La remarque est savoureuse de la

habitué de la bulle de Washington D.C., sans faire com- un événement médiatique, à une époque où ces dévoi- , 2014 vendeur d’armes, démocrate puis républicain), divertis- part d’une plume qui s’est rendue célèbre en faisant de la s plètement partie du « club ». Elizabeth Biz Mitchell, du lements faisaient encore sensation. L’image est depuis k sant (« Si j’étais présidente » par Madonna), mondain (« We politique un spectacle, en se concentrant sur les hommes, Boo

magazine musical Spin, rejoint enfin la direction. Selon ancrée dans les mémoires : Cindy Crawford/Washington, y The People »). Pour sa première grande interview de huit le jeu plutôt que les idées. r JFK Jr., les magazines politiques devraient ressembler perruque blanche, jaune éclatant, brassière et nombril e pages, JFK Jr. choisit un autre George, Wallace, ancien all G ,

à Elle (publié par Hachette) : « Accueillants, accessibles, apparents. George est beau, commercial, sans complexe et e gouverneur, champion des politiques ségrégationnistes 500 000 exemplaires sont vendus en quelques jours. baroques et plein de jeunesse. » Pour la direction artis- le plus américain possible. Le magazine est présenté à la de l’Alabama, longtemps ennemi politique de Martin 100 000 de plus sont imprimés et écoulés à $2.95. George & M e

tique, il choisit d’ailleurs un styliste d’Elle, Matt Berman, presse new-yorkaise à Federal Hall, où George Washing- rg

formé à l’ « école française » de la conception de magazine, ton a été intronisé, le 30 avril 1789, premier président de la Geo

obsédé par la photographie. L’équipe est jeune, 27 ans en République naissante. L’épreuve est préparée avec l’aide Jr., Sur le positionnement politique du titre, K moyenne, diplômée des grandes universités de la côte du consultant en communication Michael Sheehan, qui John-John choisit l’humour : « Si mon oncle Ted Est. La plupart des rédacteurs et des pigistes ne sont compte Bill Clinton et Ted Kennedy, sénateur démocrate an, JF m

r m’adresse encore la parole à Thanksgiving,

pas spécialisés dans le journalisme politique, un choix du Massachusetts, parmi ses clients. Le discours de Be

délibéré de la direction afin de garder un regard neuf sur JFK Jr. est emphatique : « La politique n’est pas ennuyeuse. t je n’aurai pas fait correctement mon boulot. »

les affaires publiques. George est fièrement new-yorkais. Pourquoi un magazine politique devrait l’être ? La politique © Ma t

143 144 Charles Charles révolution culturelle magazine

Pour une couverture de 1996, l’actrice Drew Barrymore apparaît en Marilyn Monroe susurrant « Happy Birthday Mr. President », clin d’œil aux rumeurs de sa liaison avec John F. Kennedy.

souhaite prolonger cet élan en habillant les stars de sa ton dans la culture américaine. L’essai rendu par le grand Des dizaines de milliers d’abonnés affluent mais les couverture en pères fondateurs : Robert De Niro tient écrivain est acide et flirte avec la diffamation historique. commerciaux sont inquiets : les lecteurs achètent- une réplique de l’épée de Washington sur le deuxième L’équipe lui suggère quelque travail de réécriture et ils le magazine pour voir ce qu’il contient, ou unique- numéro (une relique de l’administration Kennedy), Demi d’édition. Gore Vidal rappelle à ces impertinents que son ment pour satisfaire leur dose de John mensuelle ? Moore singe Martha Washington, George Clooney se voit texte ne saurait être revu. L’article est escamoté. Une étude interne montre que les rubriques les plus en Thomas Jefferson, Harrison Ford prend l’allure sévère populaires du magazine sont l’édito de Kennedy et d’Abraham Lincoln, Barbra Streisand se montre en Betsy JFK Jr. s’implique de plus en plus dans le choix rédac- sa grande interview avec une personnalité : Marion Ross, la première confectionneuse de la bannière étoilée… tionnel. Au bout de deux numéros, Etheridge quitte le Hammer, grand-mère carabine et présidente de la « Les acteurs s’impliquaient beaucoup dans le choix des magazine, ses positions ne sont pas conciliables avec National Rifle Association, le lobby pro-armes, le figures historiques. On a décidé de ne pas travailler avec celles des fondateurs. Biz Mitchell devient la rédac- télévangéliste Billy Graham, le général Norman des photographes spécialisés dans les portraits d’hommes trice en chef exécutive. George cherche à tout prix à Schwartzkopf, l’acteur Warren Beatty… Kennedy peut politiques, mais de faire confiance à de jeunes talents être branché. Il s’efforce de faire des coups médiatiques obtenir un rendez-vous avec n’importe qui, même Fidel européens de la mode et du show business (la plupart des à grand renfort de stars en tournée promotionnelle, en Castro (le líder máximo refuse d’être enregistré, l’entre- La figure du père est à la fois invisible dans le choix photographes de mode renommés sont sous contrat avec tirant ensuite un parallèle avec la politique. « George tien n’est jamais publié). Mais JFK Jr. n’aime pas vraiment des articles, et omniprésente dans les pages de George. Condé Nast − NDLR), c’est ce qui a rendu ces couvertures aurait dû être un magazine populaire dans le pays mais pas l’exercice, il est très exigeant dans le choix de ses inter- L’histoire du clan familial est un sujet tabou. On conseille cool et donné une identité visuelle particulière à George », à New York. Beaucoup de personnes voulaient que George locuteurs et sèche certains mois son rôle d’accoucheur au stagiaire d’éviter les traits d’humour autour de Lee explique Matt Berman. Quelques hommes politiques soit nerveux et urbain. Il fallait plutôt le conserver comme sur papier glacé. « Ses interviews étaient bien, mais elles Harvey Oswald. JFK Jr. refuse un article sur le réalisateur passent une tête de temps en temps, mais Hollywood une version moderne de l’Americana, rouge-blanc-bleu, n’avaient pas d’impact médiatique particulier », se souvient Oliver Stone, pour ne pas s’engager sur son terrain favori,

garde la main. Les cadres d’Hachette pestent contre ces grand public, pas dans le vent », selon Richard Bradley. Biz , 2014 Victor Navasky. Richard Bradley garde aussi en tête de les théories du complot entourant l’assassinat de son s costumes d’époque outranciers, qui porteraient atteinte Mitchell commande un dossier intitulé « Ce qui ne va pas k belles, longues conversations mais dénuées d’aspérités, père. Il a depuis longtemps pris la décision de ne pas Boo

au pouvoir de séduction des personnalités. Les mises dans la jeunesse américaine », avec une tribune signée y de confrontations ou d’un début de scoop. JFK Jr. échange rester bloqué à Dallas toute sa vie. Pour une couverture r en scène évoluent, en jouant toujours avec le répertoire Bret Easton Ellis. Le registre cynique et sans illusion e avec des personnalités qu’il considère « sages », capables de 1996, l’actrice Drew Barrymore apparaît en Marilyn all G ,

iconographique de la politique américaine. Le directeur du dossier déplaît à l’équipe, mais Kennedy soutient sa e de lui transmettre des leçons sur l’engagement et la vie Monroe susurrant « Happy Birthday Mr. President », clin artistique s’amuse à cacher systématiquement le buste nouvelle promue. La rédaction est aussi très politique, publique. « John était en train d’auto-publier une psychobio- d’œil aux rumeurs de sa liaison avec John F. Kennedy. & M e

de Washington dans les photographies, « une récupération les intrigues et tensions de bureaux sont incessantes. rg graphie par tranche bimensuelle », selon Richard Bradley. Dans un édito de septembre 1997, JFK Jr. prend

délibérée du lapin de Playboy », reconnaît-il. Les hurlements de JFK Jr. et Michael Berman ponctuent Geo

la vie du titre glamour. Berman confie que travailler avec Jr., K Des dizaines de milliers d’abonnés affluent mais Eric Etheridge se concentre sur la crédibilité et la rigueur Kennedy, « c’est comme être les pieds de Dolly Parton », la de George. JFK Jr., sous la pression des cadres d’Hachette, reine de la musique country. Il ne tarde pas à quitter la an, JF les commerciaux sont inquiets : les lecteurs achètent-ils m r

est plus concerné par le côté pop et le défilé des têtes maison. Les plus jeunes sont fascinés par leur boss. Son Be le magazine pour voir ce qu’il contient, ou uniquement connues sur ses pages. Un article est commandé à Gore attitude et ses choix vestimentaires sont imités. La com- t pour satisfaire leur dose de John mensuelle ?

Vidal, ami de la famille, sur l’image de George Washing- pétition est permanente pour avoir ses faveurs. © Ma t

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En septembre 1997, JFK Jr. prend maladroitement la défense de ses cousins Joe et Michael Kennedy, pris dans des affaires familiales et sexuelles, en les qualifiant de « champions du mauvais comportement ». Sur la couverture, Kate Moss pose en tenue d’Eve dans le jardin d’Eden. JFK Jr. apparaît aussi nu sur sa page d’édito, assis en tailleur sous une pomme rouge. George fait l’objet d’une très mauvaise publicité ce mois-là, et connaît une hausse de 70 % de ses ventes par rapport à la moyenne.

maladroitement la défense de ses cousins Joe et Michael Lawrence White, professeur d’économie à New York Uni- chasse d’un président infidèle et le magazine du fils d’un Le magazine satyrique Spy consacre son numéro de Kennedy, pris dans des affaires familiales et sexuelles, en versity, juge dans The Independent en 1997 que George autre président célèbre pour sa libido se hâtait de rejoindre mars 1998 à John-John. Sur la couverture, il est en pleine les qualifiant de «champions du mauvais comportement ». peut « être considéré comme le magazine de divertissement la meute », écrit Richard Bradley. Un grand entretien est réflexion. «À quoi va-t-il penser ensuite ? » s’interroge Sur la couverture, Kate Moss pose en tenue d’Eve dans le qui a la plus petite diffusion. Il peut capoter car sa niche est consacré à l’ex-sénateur Gary Hart, forcé de se retirer de Spy devant les difficultés économiques de sa publica- jardin d’Eden. JFK Jr. apparaît aussi nu sur sa page d’édito, mal définie. Pour moi, c’est un magazine pour anthropolo- la campagne de 1987 à cause d’une affaire d’adultère. tion. Autour de son visage, des bulles mentionnent ses assis en tailleur sous une pomme rouge. George fait l’objet gistes intrigués par les affaires publiques. Il y a une sorte Dans cette course à l’audience, George commet alors sa options : « Premier homme sur la lune ? », « Un magazine d’une très mauvaise publicité ce mois-là, et connaît une de détachement, de distance même, par rapport à son sujet plus grande erreur journalistique. Le pigiste Stephen pour les chiens… sur les chats ! », « Tourner avec ma femme hausse de 70 % de ses ventes par rapport à la moyenne. et une réticence au sérieux, même pour un court instant ». Glass écrit un article sur l’attitude déplacée envers les dans une vidéo d’aérobic ? ». George est voué à l’échec Mais les polémiques concernant George masquent le Richard Bradley écrit cette année-là un article sur Don femmes de l’homme d’affaire Vernon Jordan, éminent selon Spy, il est impossible, par les temps qui courent, journalisme de qualité qu’il sait aussi publier. Sipple, influent expert en communication qui bat ses conseiller du parti démocrate. JFK Jr. est mal à l’aise au de rendre la politique sexy. Dans sa quatrième année

épouses successives. John Kennedy Jr., qui a commandé , 2014 moment de publier le papier, qui contient des témoi- de publication, George ne fait toujours pas recette. Il a s George accueille de nouveaux contributeurs venant de l’enquête, refuse ensuite de la publier. L’article paraît k gnages anonymes tels que « le président Clinton et Vernon toujours refusé la publicité d’organisations politiques Boo

l’ensemble du spectre politique : l’animateur radio ultra- finalement dans Mother Jones et fait grand bruit. Richard y Jordan ont en commun leur goût pour les jeunes femmes », dans ses pages. Cette règle est abandonnée. La NRA fait r conservateur Rush Limbaugh, la correspondante à la Bradley apprend plus tard que Carolyn Bessette a décon- e ou « je porte toujours un soutien-gorge devant Vernon son retour, cette fois-ci à des fins promotionnelles. Un all G , George Maison Blanche de NBC Claire Shipman, la chroniqueuse seillé à son compagnon JFK Jr. de sortir un scandale e Jordan, sinon, il regarde mes seins. » Kennedy connaît projet d’émission télévisée dérivée de est évoqué, républicaine Ann Coulter, la romancière féministe domestique : il exposerait alors sa vie privée à ce genre personnellement Jordan, mais cède sous l’insistance sans suite. John F. Kennedy Jr. émet l’hypothèse d’arrêter & M e

Naomi Wolf, Tony Blankley, l’ancien porte-parole de d’investigation. rg de son équipe de direction. Stephen Glass se révèle être l’édition papier pour se consacrer pleinement au site

Newt Gingrich. George tire à environ 430 000 exem- Geo romancier plutôt que journaliste, des passages entiers de internet. Mais il ne se voit pas éditeur d’un magazine en

plaires en 1997, mais doit atteindre le demi-million pour Le titre, qui a toujours clamé son optimisme, est Jr., ses articles sont purement inventés. C’est un faussaire ligne. K pouvoir faire recette. Le PDG David Pecker ne veut pas bousculé en janvier 1998 par l’affaire Monica Lewinsky. en série, Harper’s, Rolling Stone et The New Republic sont attendre les six à sept années en moyenne d’existence Jusqu’alors, les seuls articles négatifs concernaient an, JF aussi touchés. George publie une lettre d’excuses à ses L’héritier Kennedy n’a pas abandonné ses ambitions poli- m r

pour être profitable. George se plie en partie à la pression des journalistes. George est forcé d’entrer sur le terrain Be lecteurs et un correctif des articles. JFK Jr. envoie un mot tiques. « C’est ce qui le motivait principalement, il n’avait pas

publicitaire : on ajoute les mots « exclusif » et « hot » un bilieux de la politique, sous peine d’être distancé par la t personnel à Vernon Jordan, qui, en bon tacticien, le fait un goût particulier pour le journalisme. Mais il se trompait

peu partout, on multiplie les listes et les tops à l’infini. concurrence. « L’ironie était inévitable : la presse était à la © Ma t fuiter à la presse. fortement, un journal n’a jamais aidé qui que ce soit à faire

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Après la mort de JFK, les anciens de la rédaction partent vite vers d’autres projets professionnels. Hachette fait savoir qu’elle a encore investi à perte 10 millions de dollars l’année précédente. George quitte la scène en janvier 2001 avec un numéro d’adieux consacré à son fondateur. une carrière politique », assure Daniel Filipacchi. Victor avec News Corporation du magnat Rupert Murdoch, qui Navasky pensait bien qu’il allait finir par se lancer : « Il détient le néoconservateur Weekly Standard. était très attrayant, attentionné, prudent, sérieux sans être Un mois plus tard, l’avion du pilote John F. Kennedy Jr. égocentrique ». « D’une certaine manière, ses grandes inter- s’écrase dans l’Océan Atlantique, avec à bord son épouse views et ses rencontres servaient de comité exploratoire Carolyn et la sœur de cette dernière, Lauren Bessette. préalable à une campagne », ajoute Richard Bradley. La pression s’intensifie au printemps 1999. Le siège de Hachette annonce poursuivre la publication après l’ac- Daniel Patrick Moynihan, sénateur de New York, est à cident tragique. L’entreprise récupère rapidement les prendre. De nombreux responsables du parti démocrate parts (50 %) de Caroline Kennedy, qui ne semble pas poussent JFK Jr. à se présenter. Il devrait alors faire face encline à continuer l’aventure de son frère. Les ventes à deux puissants candidats potentiels : Hillary Clinton, progressent faiblement sous la direction de Frank Lalli, encore première dame, et le maire républicain de New arrivé du magazine Money, mais le soin esthétique du York, Rudy Giuliani. Kennedy a l’avantage de ne pas titre, la qualité et la publicité s’effondrent. Les anciens encore s’être aliéné des pans entiers de l’électorat. Lors de la rédaction partent vite vers d’autres projets profes- d’une conférence de presse, JFK Jr. déclare finalement sionnels, sans retrouver l’intensité de George. Hachette espérer que Hillary se présentera. Sur l’éventualité d’une fait savoir qu’elle a encore investi à perte 10 millions prochaine campagne, il a cette formule : « Je me vois bien de dollars l’année précédente. George quitte la scène en

dans un hamac sur une plage, donc je peux me voir un jour janvier 2001 avec un numéro d’adieux consacré à son , 2014 s candidat à une élection. » Il y pense sérieusement, mais fondateur. k en France, Pamela Churchill Harriman, qui se résume à et ces grands noms d’auteurs étaient des incitations à Boo

n’est pas prêt. Il a déjà investi beaucoup dans George et y une liste de ses conquêtes et élude tout bilan politique, acheter le magazine, mais je ne pense pas que l’acquisi- r ne désire pas voir sa création chancelante s’effondrer « L’échec de George n’est pas dû à un problème de vision, e on tombe sur treize pages écrites par Norman Mailer, tion de George se justifiait uniquement par son journa- all G ,

complétement. L’échec du titre serait aussi le sien. Et mais au chaos de son organisation. Le magazine, qui avait e reporter aux conventions partisanes de la campagne de lisme. Je ne peux citer aujourd’hui un seul article vraiment Carolyn Bessette-Kennedy ne s’est pas encore habituée besoin de John pour débuter, n’a pas réussi à survivre à la 1996. « Être un mensuel n’a pas facilité les choses, c’était marquant », insiste-t-il. « George a toujours gardé une & M e

à son nouveau rôle public, depuis leur mariage en 1996. disparition de son fondateur. Pas dans sa forme physique rg dur de suivre une certaine actualité. Il aurait fallu avoir le assez bonne image et quelques succès d’estime. On s’est

Elle s’oppose à une nouvelle aventure politique. en tout cas. Mais l’idée derrière George, que la politique est Geo courage de faire un hebdomadaire, mais c’est un investis- trompé sur l’impact que pouvait avoir Kennedy lui-même.

trop importante pour être laissée aux politiciens, était plus Jr., sement énorme. Après les cinq premiers numéros, on s’est On n’achète pas le magazine d’une célébrité, il faut que K George perd environ 5 millions de dollars par an, deux forte parce que George a existé », selon Richard Bradley. vite rendu compte que ça n’allait pas. Ça a été compliqué de le produit soit bon et réponde à une demande. Quelqu’un fois moins que le New Yorker. Victor Navasky rappelle Pour Matt Berman, la forme était parfois trop éloignée du an, JF continuer », ajoute Daniel Filipacchi. George n’a pas non pourrait peut-être sortir un magazine politique qui marche, m r

qu’à cette époque, l’ensemble des magazines américains fond. La couverture suggère une publication distrayante Be plus de ligne politique prévisible. « Il ne défendait rien qui traite de la culture pop et des sujets en profondeur, avec

étaient en difficultés financières. En juin 1999, Hachette et branchée, puis l’intérieur varie beaucoup de ton. t de particulier, ce qui peut être une bonne et une mauvaise de grandes interviews. Je constate que ça n’existe toujours

décide de se séparer de George. Des discussions ont lieu Après un portrait très léger de l’ancienne ambassadrice © Ma t chose », selon Victor Navasky. « Tous ces visages célèbres pas », remarque Daniel Filipacchi. —

149 150 Charles Charles révolution culturelle en images Monnaies de singe ou de l’utilisation du faux billet en politique

L’utilisation de monnaies contrefaites, en forme de tracts politiques, date des années 20. Elle a servi dans tous les camps durant la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à la guerre en Irak. Tous les partis politiques ont joué, à un moment ou un autre de leur histoire, sur l’attraction vicieuse qui pousse un être humain à ramasser par terre ce qui ressemble à un billet de banque… Au risque parfois de s’emmêler les pinceaux. par Zvonimir Novak

ors d’une manifestation, en octobre 2011, sur les retraites, de petits attroupements se forment. Des personnes gesticulent, sautent, s’empressent pour attraper des billets de banque. Un braquage qui a mal tourné, une fuite d’espèces en pleine rue ? Non ! Ce sont des faux billets, des tracts, en réalité distribués par Ldes militants du NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste), qui provoquent cette cohue. Le slogan écrit au verso du tract, « Woerth, Sarkozy DEHORS parce qu’ils le volent bien », ravit d’aise ces manifestants. Cette action d’agitprop est le remake d’une opération déjà menée quelques mois plus tôt par un humoriste. Christophe Alévêque, alias Super Rebelle, annonce sa candida- ture à l’élection présidentielle de 2012, à l’occasion d’un happening qu’il organise chaque année devant le Fouquet’s depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. Une distribution de faux billets de 500 euros, où l’on voit un Sarko à la sauce Gala, donne le ton à son action de promotion. Pour sa rentrée de septembre 2011, Marine Le Pen fait aussi sa maligne. Une opération symbolique est menée devant l’Assemblée nationale pour

R dénoncer les 15 milliards jetés par les fenêtres, dans le cadre d’un plan

© D d’aide à la Grèce.

151 152 Charles Charles révolution culturelle en images Celui qui trouve au sol, myope ou pas, ce faux billet, qui date de 1919, s’inscrit dans cet entre- un billet n’y résiste pas, le ramasse, l’examine, puis le lit. deux où Longuet tergiverse. Ce tract est en fait un outil de propagande électorale des radicaux de gauche qui Zut ! C’est un faux. Le tract de faux billet, pastiché ou enverra le député Longuet au tapis à ces élections légis- en surimpression, devient, à partir des années 20, latives de 1919. Il le représente en monarque coincé entre un grand classique de la propagande. deux individus de la pire espèce. Celui de droite est recon- naissable avec sa chope de bière dans la main, c’est un Allemand. Il semble goguenard mais attention, il cache un couteau derrière son dos. L’autre lascar est la figure L’idée de diffuser des faux billets pour dénoncer, ou salir billet, pastiché, devient, à partir des années 20, un grand Cette passion des bank notes n’est pas qu’américaine. caricaturale du bolchevique, tel que l’on se l’imaginait débute avec la naissance de la propagande de masse, et classique de la propagande. Tous les partis et syndicats Les faux billets politiques circulent en France depuis à l’époque. Un nihiliste sanguinaire et alcoolique prêt à le développement de l’action psychologique, tant dans le vont émettre de fausses coupures. Pendant la Seconde l’entre-deux-guerres, l’âge d’or de la propagande. Si son employer la bombe, le couteau et la chaîne pour arriver domaine politique que militaire. Alors pourquoi ? Prolé- Guerre mondiale, l’ensemble des propagandistes s’y utilisation est continue jusqu’à aujourd’hui, son sens à ses fins. taires comme bourgeois, vieux comme jeunes, la couleur emploie. Les spécialistes de l’office américain des services politique connaît des variations considérables. Car le de l’argent continue toujours à hypnotiser le regard des stratégiques racontent que le succès de ces billets de rapport idéologique à l’argent n’a cessé d’évoluer dans Le dollar antijuif passants. Les services de l’agitprop, tout comme les pacotille coule de source. Ils affirment que le citoyen, la société française. C’est ce que raconte l’analyse de ces En 1941, l’Institut d’étude des questions juives est mis en militants, l’ont vite compris et s’en servent comme un même le plus intègre, dans un réflexe pavlovien, se faux billets, et c’est là tout leur intérêt. place par des collaborationnistes. L’opération est suivie appât. Le fric, et la fraîche ont décidément, hier comme mettrait à quatre pattes pour en ramasser. Et peu importe de près par les services allemands. Theodor Dannecker, aujourd’hui, un fort pouvoir d’attraction. Celui qui trouve le terrain, champ de mines compris. Ainsi, pendant les Règlement de compte entre deux gauches. Déjà ! l’un des responsables de la solution finale alors en poste au sol, myope ou pas, un billet n’y résiste pas, le ramasse, deux opérations de guerre en Irak, Desert Shield et Desert La plupart de ces faux billets nous racontent une à Paris, supervise l’activité de ses amis français. Le but l’examine, puis le lit. Zut ! C’est un faux. Le tract de faux Storm, les Américains larguent des tonnes de faux billets. histoire. S’ils nous font sourire avec leur contenu souvent est d’adapter la propagande antisémite au contexte Au recto, se trouve l’effigie de Saddam Hussein, au verso provocant, la plupart ne livrent pas leurs secrets sans national. Un personnage douteux, Paul Sézille, conduit un texte en arabe explique qu’aujourd’hui, en Irak, si passer au préalable par une analyse sémiologique. Un l’activité de ce milieu grassement subventionné par c’est la faim, la soif, la mort, c’est la faute à Saddam. Un faux billet intitulé « La banque bolchevik » nous relate à les Allemands. Connu sous le nom plus respectable de journal turc titre alors en 1991 : « Les États-Unis couvrent sa manière les débuts du Parti communiste en France. Capitaine Sézille, celui-ci a un penchant pour l’alcool et l’Irak d’argent ». Et quand Jacques Chirac refuse de parti- Nous retrouvons bien dans un médaillon un personnage le pugilat. Un beau jour, il écrase le nez de l’éditeur Gilbert ciper en 2003 à l’invasion de L’Irak, le french bashing (la à fine moustache nommé Longuet ier. Mais qui est donc Baudinière sous prétexte que son nez est des plus francophobie à l’américaine) s’exprime par l’émission ce monsieur ? C’est Jean d’un nouveau dollar. Sur le deux cents, c’est-à-dire moins Longuet, le petit-fils de Karl que rien, Jacques Chirac est transformé en blaireau, la Marx. Son cas s’aggrave un clope au bec, et le béret sur la tête pour la french touch. peu plus quand il joue un rôle de premier plan dans la construction du Parti socialiste français (SFIO). La révolution russe éclate, et Jean Longuet la soutient, mais pas pour longtemps. S’il semble hésiter, toutefois il ne rejoint pas les rangs du

R Parti communiste, créé en

© D 1920 au congrès de Tours. Or

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Il est écrit sur ce tract : « Tous les attributs juifs figurent sur ce dollar ». la providence », la représentation de l’œil surveillant de à de la propagande politique. Il réinjecte l’antisémitisme Voyons cela ! « L’œil de la providence », la représentation de l’œil près l’humanité pécheresse. Cet œil omniscient apparaît d’autrefois sous une forme édulcorée. Ils parlent de la au xviiième siècle, et se trouve parfois inscrit dans un haute finance cosmopolite, de financiers qui mènent le surveillant de près l’humanité pécheresse. Cet œil omniscient apparaît triangle dont les trois points se rapportent à la trinité, monde et des grands trusts internationaux. Tiens ! C’est au xviiième siècle, et se trouve parfois inscrit dans un triangle c’est-à-dire au dogme chrétien. Aucune relation avec le James de Rothschild que l’on voit sur un tract. dont les trois points se rapportent à la trinité, c’est-à-dire au dogme chrétien. judaïsme donc, par contre l’œil de la providence dans un triangle ne devient un symbole maçonnique que bien Fric-frac Aucune relation avec le judaïsme donc. plus tard, en 1797. Nous touchons au ridicule quand le Ils en ont le format, l’apparence, et ils portent de gros chiffre 13, en lettres grasses sur le tract, est avancé pour chiffres, mais ce ne sont pas des billets de Monopoly. prouver que « cet argent est bien juif ». L’art d’interpréter Ce sont des tracts syndicaux qui pastichent le papier- suspects. Ce boxeur fou est pourtant à l’initiative d’éton- valent ces révélations ? À vrai dire, pas grand-chose ! les nombres s’appelle la gematria dans la tradition juive, monnaie. Ces tracts-là ne cherchent pas à duper, mais nants documents. L’un deux rencontre un vif succès à Rappelons que le dollar se prête à tous les délires inter- mais comble de malchance, le chiffre 13 est l’un des rares à parodier l’argent pour nous prévenir que c’est de l’exposition intitulée « Le juif et la France », qui a lieu en prétatifs tant il est chargé de symboles mystérieux. En à ne rien signifier. Dans la religion chrétienne, c’est tout gros sous dont il est question ici. Les syndicats en font septembre 1941, à Paris. Nous parlons d’un faux dollar effet, les deux sceaux présents sur le billet concentrent autre chose. une consommation importante pour parler bien sûr parfaitement imité, qui s’ouvre sur un tract déconcer- un nombre important de signes ésotériques. Ceux-ci Mais pourquoi les professionnels du complot d’hier et de salaires, primes, et augmentations. Ces opérations tant. Une étoile jaune bien visible au centre du document continuent d’ailleurs à exciter tous les amateurs de d’aujourd’hui sont toujours attirés par les faux billets de de communication rencontrent un vif succès auprès attrape littéralement le regard du lecteur. Il s’agit d’une complots sur Internet. Un nom revient en boucle sur banque. Nous trouvons une piste sérieuse en la personne des militants. Quand la CGT bat monnaie, de la fausse description fantaisiste du billet vert américain, afin ce tract, celui d’Henry Morgenthau, alors secrétaire au d’, un antisémite de métier, qui fut un pré- s’entend, et distribue de faux billets dans les cortèges, les d’établir la collusion entre l’argent, l’Amérique et les juifs. trésor sous la présidence Roosevelt. Un cauchemar. Pire, curseur dans l’art de confectionner des billets haineux. manifestants les lisent et se tordent de rire, un gobelet La démonstration se veut imparable. une obsession pour les nazis, car Morgenthau junior n’est Après être passé par tous les services de la collabora- de pastis à la main. Ces initiatives font partie de l’ani- Au-delà de l’attaque purement raciale, ce faux dollar pas seulement juif et franc-maçon, il est surtout celui qui tion pendant la guerre et par les fourches purgatives mation syndicale, gouailleuse et rieuse. Ce billet de cherche à accréditer l’idée que la guerre des Alliés est est en train de monter un plan de financement ingénieux, une guerre juive, et fait indirectement référence au afin de soutenir l’effort de guerre des Alliés. programme prêt-bail américain (lend-lease), un plan Il est écrit sur ce tract : « Tous les attributs juifs figurent d’aide pour lutter contre les armées hitlériennes. Or, que sur ce dollar ». Voyons cela ! L’aigle d’Israël ici nommé se réfère à l’oiseau présent sur le sceau des États-Unis, imaginé par Charles Thomson, alors secrétaire du tout jeune congrès américain. Pas de chance, l’aigle ne fait pas partie du panthéon animalier du judaïsme. L’oiseau ici présent n’est autre que le pygargue à tête de l’épuration, ce maniaque du fichage n’a jamais cessé zéro franc avec un Jacques Chirac qui s’entend pour ne blanche qui vit en Amérique du de traquer les forces occultes. Et justement, cet ancien donner aucune augmentation, avec un François Perigot, Nord. Sa beauté lui vaut d’être employé de banque s’est fait remarquer avant-guerre alors chef du patronat français, prend tout son sens en sacré l’oiseau national des États- avec des tracts, reproduisant d’un côté un billet de 100 1988. C’est la première cohabitation Mitterrand-Chirac. Unis d’Amérique. francs, et de l’autre une vilaine diatribe antisémite. À Alors feu sur la droite et ses alliés du grand capital ! Ici Poursuivons avec le « triangle et peine purgée sa peine de prison, Henri Coston relance la parodie du billet de banque est intentionnelle, pour

l’œil de Jéhovah ». Ce symbole n’est R son fonds de commerce. Sur l’un des faux billets qu’il signifier clairement que le peuple n’a rien à attendre d’un

pas un secret. Il s’agit de « l’œil de © D produit, il fait de la publicité pour ses bouquins qu’il mêle tel gouvernement.

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Figures d’honorables savoyards, châteaux et tenues folkloriques en prime nous régalent d’un passé glorieux peut-être, mais réactionnaire sûrement.

Elle introduit une possibilité, celle de l’indépendance, nistes parisiens, mais rien pour sortir ces patois de l’ano- Les organisations syndicales ont décidément des idées billet, et il y a le billet qui détourne les composants d’un et imagine à travers un billet une identité culturelle et nymat. Le choix de faire des billets de banque est en soi quand ils sont en colère. En 2013, ils barrent le nom de billet existant, en y rajoutant des éléments nouveaux. historique. Figures d’honorables savoyards, châteaux et plein de sens. La Suisse fascine, tout comme le Liech- Sanofi, le nom du premier groupe pharmaceutique et L’ONG Agir ici se fait plaisir et s’invente un Pascal de tenues folkloriques en prime nous régalent d’un passé tenstein, neutres, prospères et gavés de devises. Pour les le remplace par Sanofric. Une campagne de tracts s’en 500 francs. Pas de risque de le confondre avec le vrai, car glorieux peut-être, mais réactionnaire sûrement. Sur l’un indépendantistes savoisiens, c’est simple : pas question suit, représentant au recto les billets de banque de dif- un Mitterrand déguisé en Pascal, c’est déjà pas banal, des billets apparaît en bonne place un Savoyard de renom, d’être solidaires avec la pieuvre française, sale et férents paradis fiscaux. Bermudes, Bahamas, mais il y a alors quand on découvre pêle-mêle, le général de Gaulle, Claude Favre de Vaugelas. Ce grammairien, membre de fainéante. Il faut se retirer de l’Union européenne, aban- des intrus sur ces billets : des requins qui se mordent la Valéry Giscard d’Estaing, l’Afrique et le ministère des l’Académie française, a passé sa vie à perfectionner la donner l’euro aux Grecs et aux Espagnols, pour adopter la queue. Finances, on s’y perd un peu. En retournant cet étrange langue française. Les indépendantistes savoisiens n’en livre savoisienne indexée sur l’or. Une fois la démonstra- Parfois l’imitation d’un billet de banque accuse. Détour- billet, on trouve une pétition à renvoyer à un député de sont pas à une contradiction près, quand ils portent au tion faite de ses capacités à fabriquer de la monnaie de nement d’argent, aide de l’état aux riches, investisse- son choix, sur les détournements de l’aide publique aux pinacle l’un de ceux qui ont précisément construit la yeti, la Ligue savoisienne récidive, mais cette fois-ci dans ments injustes et frauduleux, le faux billet aide à voir. pays du sud. Sur l’Afrique, on en comprend la démarche, langue de ces maudits français. Si eux défendent une l’esprit revendicatif du tract habituel. Jets de rancunes, Greenpeace se sert de cette monnaie de singe pour mais sur le Mitterrand pascalisé, le mystère reste entier. langue régionale crachats d’acrimonie, boulets de vengeances, le ton dénoncer une banque. Le mouvement écologiste, fidèle à appelée l’arpitan se durcit. Les indépendantistes savoisiens haïssent la lui-même, joue du lobbying pour faire pression sur une Rêves d’indépendance ou le franco-pro- France. Un détail au dos de ces billets n’échappe pas à banque surnommée la Banque nucléaire de Paris. Pour réaliser son rêve, il faut commencer par le matéria- vençal, Favre notre expertise. L’emblème du comté de Nice apparaît. liser. Ainsi, des indépendantistes corses ont créé le label de Vaugelas a Les sécessionnistes savoisiens veulent-ils annexer le Posta corsa (la poste corse), et imaginé des timbres plus beaucoup fait pays niçois pour trouver un débouché sur la mer ou vrais que vrais. D’autres ont inventé de fausses cartes pour les annexion- conclure une alliance stratégique avec leur voisin ? d’identité, comme « la carta d’identita nissarda » de la Ligue pour la restauration niçoise. Alors pourquoi ne Si certains restent enfermés dans des fantasmes de pas frapper sa propre monnaie ? Les indépendantistes terroir magnifié, d’autres, des artistes, s’inventent des de la Ligue savoisienne sont passés à l’acte pour faire territoires imaginaires. Le plasticien et poète Jean-Claude revivre un mythe, l’État souverain de Savoie. Mais que Mayo décide de créer en 1997, à partir d’un morceau de veulent-ils ? Ils rêvent de rassembler les deux départe- caillou aride et désert, « une perle sur le nombril du monde ». À l’occasion, il réactualise ce personnage bien connu ments Savoie et Haute-Savoie, pour reconstituer l’ancien C’est ainsi que naît la République libre du Frioul, à la fois à gauche, l’homme au cigare et au gibus, en capitaliste duché de Savoie, possession à géographie variable des terre bien réelle et œuvre conceptuelle. Qui dit répu- nucléaire. ducs de Savoie depuis le Moyen Âge. La formule codée blique dit papier-monnaie. Aussitôt dit, aussitôt fait. La Il y a le billet contrefait qui vise l’imitation parfaite pour SE 73 + 74 = 1, inscrite sur ces fausses coupures, résume banque centrale de la République du Frioul édite en 1998

séduire les pupilles. Le message est généralement au dos leurs ambitions. La création, en 1999, de plusieurs billets, R la première « polymonnaie transterritoriale », une série de

du tract. Il y a le billet pastiche qui propose un nouveau appelés la livre savoisienne, fut surtout un coup de pub. © D douze billets à l’effigie des copains du poète. La valeur

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Quatre tracts représentant un billet de 500 sont distribués à quelques mois d’intervalle. Sur le recto, ce sont les mêmes, mais quand on les retourne, c’est la surprise ! L’un d’entre eux est du Front national, l’autre du Parti communiste. Un billet semblable pour deux discours que tout oppose certes, mais avec une cible identique : le peuple et son portefeuille.

Billet blanc et blanc billet ? d’argent et le montrer peut rapporter gros, tout en étant spécialité. Il a mis en place dans les années 80 un pôle Les faux billets de 500 euros font fureurs, nous l’avons sûr d’être entendu. C’est la raison pour laquelle le FN et graphique appelé « service des actions catégorielles », vu. Quatre tracts représentant un billet de 500 sont le PCF ont toujours été friands de francs, d’euros ou de chargé de fabriquer toutes sortes de documents factices. distribués à quelques mois d’intervalle. Sur le recto, dollars, et n’ont jamais cessé d’en produire. Les fausses L’abandon du franc pour l’euro a donné des idées au Front ce sont les mêmes, mais quand on les retourne, c’est la coupures du Front national renvoient à l’économie, au national. Il a lancé en 2002 une opération papier-mon- surprise ! L’un d’entre eux est du Front national, l’autre bas de laine et au patrimoine. Elles s’adressent aux petits naie, et a sorti de faux billets de 200 francs. Il s’agissait du Parti communiste. Un billet semblable pour deux épargnants « menacés d’être mangés par les profiteurs des de montrer son attachement à l’ancienne valeur : « Il discours que tout oppose certes, mais avec une cible régimes en place et la grande finance internationale ». Ces vous manque ? Alors votez pour le candidat qui restau- identique : le peuple et son portefeuille. Si pour eux, tracts défendent la tirelire, mais aussi l’argent national, rera le franc. Votez Le Pen. » L’autre thème récurrent du l’argent n’a pas la même odeur, il est toutefois devenu « dilapidé par la gabegie des gouvernements laxistes, au Front national est le fiscalisme, une expression typi- un argument essentiel de leur propagande. Parler profit des étrangers de l’intérieur et de l’extérieur ». Le quement frontiste que l’on peut résumer par « pas touche FN perpétue de la sorte une tradition de propagande, au grisbi ». Un faux billet de 100 francs sert à faire une nominale des billets fluctue au gré des personnes repré- exploitée par les droites conservatrices et libérales sous brillante démonstration sur le racket fiscal. Mais cela sentées. Ainsi, nous avons comme valeur « le cinq cailloux la iiième et ivème République. Le Front national connaît peut coûter cher. En effet, ces billets factices donneront blancs », « le trente-sept degrés cinq centimes » et même « le l’impact des faux papiers en général, et s’en est fait une des sueurs froides aux responsables du FN menacés quarante douze hors taxes ». Des poètes, des écrivains et des humoristes sont membres de cette micro nation, qui a pour devise « un seul soleil, chacun son ombre ». Au plus fort de son existence, la République du Frioul a plus de 450 ministres, mais surtout pas d’appareil exécutif. En 2012, la galéjade continue toujours, mais avec des objectifs différents. L’émission d’une monnaie de pacotille sert ici à exprimer le droit à la poésie, tout en se moquant des attributs de l’État. De fait, ces fausses coupures produites sous une forme artistique deviennent des tracts subver- sifs de revendication libertaire. Pendant que certains ont toujours l’ambition de créer de nouvelles frontières, un hymne national et un drapeau tout neuf, d’autres choi-

sissent d’affirmer leur indépendance d’esprit en créant R

des espaces d’utopie plus cérébraux que matériels. © D

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En réalisant en 1953 un billet contrefait d’une piastre, l’unité monétaire de l’Indochine française, le PCF a signé l’un de ses plus hauts faits de propagande.

la droite, et la droite c’est bien connu, c’est le fric et donc des hommes politiques, de s’enrichir sur le contribuable l’inépuisable tiroir-caisse. Alors sont ajoutés sur des et le sang des soldats. Mais les communistes oublient de coupures pirates les visages de ministres et de présidents parler de l’autre versant de l’affaire : leurs camarades du de droite. Devaquet, Monory, Giscard d’Estaing, Rocard, Viêt-Minh profitaient eux aussi de ce trafic pour acheter Woerth, Sarkozy, tous ont eu le privilège d’y figurer en des armes sophistiquées à l’étranger. Le mot pourri bonne place. Mais pour quoi faire ? Pour leur demander résume bien cette période. des sous, pardi ! Pas de doute, le pastiche de faux billets fut et reste à Le PCF a pratiqué en pleine guerre d’Indochine l’exercice droite comme ailleurs un outil persuasif de propagande. des faux billets. En réalisant en 1953 un billet contrefait Montrer l’argent pour dénoncer les scandales financiers, un temps, par la banque de France, de poursuites pénales comme des tracts traditionnels de revendications syndi- d’une piastre, l’unité monétaire de l’Indochine française les détournements d’argent, la fraude fiscale est une gym- pour contrefaçon. Pour éviter des peines pouvant aller cales avec ses demandes salariales, ses augmentations rappelons-le, il a signé là, l’un de ses plus hauts faits de nastique très prisée. Plus les chiffres avancés sont gros, jusqu’à trente ans de réclusion criminelle, les auteurs de du SMIC et du pouvoir d’achat, et de l’autre réaffirment propagande. Dans cette imitation parfaitement élaborée, plus les yeux s’écarquillent. Les 60 milliards d’évasion ces tracts se hâteront de marquer leurs faux billets d’un le dogme communiste du rejet de l’argent et de la bourse. sont insérés des slogans. Nous comprenons sans fiscale donnés par Attac rivalisent avec les 55 milliards grand spécimen écrit bien en évidence. Pour accrocher le peuple à l’idéologie communiste, il problème les deux premiers inscrits dans des cercles, d’euros de bénéfice du groupe Sanofi. Mais l’argent faut passer par la case matérielle, c’est-à-dire la matière mais le titre qui chapeaute l’ensemble nous interpelle : appelle l’argent, et beaucoup pensent qu’il leur suffit de La démarche communiste est tout autre. Après avoir sonnante et trébuchante. Certains esprits radicaux y « À qui profite le crime ? » De quoi parle-t-il ? D’un invrai- distribuer de faux billets pour se faire élire et ramener analysé les multiples représentations de faux billets voient une forme d’aménagement du capital. Quand les semblable scandale appelé « l’affaire des piastres », qui a la prospérité. Et pourquoi ne pas faire des offrandes et que le PCF s’est plu à réaliser, apparaît une contradic- communistes sortent des faux billets, ils annoncent la éclaboussé de nombreuses personnalités de la ivème Répu- brûler de faux billets comme le font les Chinois, pour tion entre sa ligne politique et sa stratégie. Ses tracts couleur : soit ils exigent de l’oseille, soit ils dénoncent blique. Cette affaire, découverte puis vite enterrée, révèle assurer le bien-être de leurs défunts au ciel ? —

revendiquent à la fois plus d’argent pour les prolétaires, le capital. Mais le PCF a une bonne raison de fabriquer R que la poursuite de la guerre en Indochine permet à des tout en rejetant le pouvoir de l’argent. Ils se présentent des faux billets, cela lui permet d’associer l’argent avec © D firmes d’import-export, en relation avec des escrocs et

161 162 Charles Charles numéro 13 nouveau un couple presque parfait le site internet Revue Charles.fr politique DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Et sa web émission : Frédéric Houdaille & justice

numéro 12 jacques chirac 50 ans L e politique peut-il être un justiciable comme un autre ? de Vie Directeurs de la rédaction politique vous parle ! D’un côté, il y a la théorie toujours sentencieusement ENTRETIEN EXCLUSIF : Frédéric Houdaille & Alexandre Chabert FRANÇOIS HOLLANDE Charles martelée : séparation des pouvoirs, indépendance de Rédacteur en chef la justice. De l’autre, des réalités concrètes : mises A rnaud Viviant en examen publicisées, spectaculaires perquisitions, communication de crise et avocats spécialisés, Direction artistique divulgation des procès-verbaux dans la presse, David Garchey investigation aux marges de la légalité et médiatisation Comité de rédaction des procédures. En interrogeant des juges, des Majda Abdellah, César Armand, Clémentine Autain, Roselyne journalistes, des procureurs, d’anciens ministres, Bachelot-Narquin, Olivier Bailly, François Bégaudeau, Antoine des avocats, mais aussi, bien sûr, des élus ayant eu Bello, TaoufikB en Brik, Frédéric Beigbeder, Lamia Belhacene, Prochain numéro maille à partir avec la justice, parfois jusqu’à la case Anne Berest, Franck Berteau, Yves Bigot, Baptiste Bouthier, le 17 Juin 2015 prison : a enquêté sur ce couple presque Pierre-Yves Bournazel, Patrick Braouezec, Ian Brossat, Christian parfait queCharles forment la justice et la politique. Brugerolle, Antoine Buéno, Bertrand Burgalat, Simon Capelli- Welter, Mathilde Carton, Yan Céh, Alexandre Chabert, Julien Éditions La Tengo Chabrout, Ariane Chemin, Frédéric Ciriez, Jérémy Collado, avec 174, rue du Temple, 75003 Paris Alexis Corbière, Aurélie Darbouret, Mathieu Dejean, Katia Fabrice Arfi Eva Joly Denard, Laurent Dominati, David Doucet, Vincent Dozol, David www.la-tengo.com Dufresne, Laureline Dupont, Guillaume Durand, Mathias Énard, contact : [email protected] José Bové Alain Krivine Marc Endeweld, Emmanuel Fansten, Olivier Faye, André Gattolin, Tél. : 01 42 74 38 75 Gilbert Collard Violette Lazard Thomas Gayet, François George, Cécile Guilbert, Pierre-Simon Diffusion-distribution librairies : Gérard Davet Fabrice Lhomme Gutman, Pierre Guyot, Vincent Hein, Laurent Joffrin, Pierre Jouan, Chloé Juhel, Nicolas Kssis-Martov, Anne Laffeter, Lola Flammarion - Union distribution élisabeth Guigou Pierre Péan Lafon, Sébastien Lapaque, Daniel Leca, Thomas Legrand, Jean- Distribution presse : éric Halphen Edwy Plenel Yves Leloup, Emmanuel Lemieux, Jérôme Leroy, Anne Le Strat, MLP - Diffusion et réassort : Alain Lipietz, Malika Maclouf, Maria Malagardis, Roger Martelli, KD presse (01 77 35 74 51) Et Pascal Mateo, Bénédicte Martin, Jean-Charles Massera, Mattis Meichler, Pierre Mikaïloff, Stéphanie Moisdon, Yann Moix, Arthur Prix de vente au numéro : 16 euros Thomas Yann Audrey charles Nazaret, Zvonimir Novak, Medhi Ouraoui, Yves Pagès, Emmanuel Legrand Moix Pulvar villeneuve Pierrat, Laura Pouget, Maël Renouard, Denis Robert, Jean-Luc Abonnement 1 an : 64 euros Roméro, Joachim Salinger, Colombe Schneck, Shumona Sinha, Publication trimestrielle. Mathilde Siraud, Stéphane Sitbon, Jean Stern, Flore Vasseur, Parution en avril 2015 En couverture : Roland Dumas par Isaac Bonan Camille Vigogne, Hélèna Villovitch, Arnaud Viviant, Marin de Viry, Martin Winckler, Johann Zarca ISBN : 978-2-35461-073-9 Photographes n°CPPAP 0518K91805 Nolwenn Brod, Antoine Chesnais, Philippe Gomont, Lucas Achevé d’imprimer en Mars 2015 Grisinelli, Samuel Guigues, Yannick Labrousse, Arnaud Meyer, par Imprimerie de Champagne, 9 782354 610739 Patrice Normand ZI Les Franchises 52200 Langres TRIMESTRIEL | printemps 2015 | 16 EUROS Illustrations N° d’impression 0.1104 ISBN : 978-2-35461-073-9 Anne-Gaëlle Amiot, Benjamin van Blancke, Isaac Bonan, Benoît Carbonnel, Clément Quintard Dépôt légal : avril 2015

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